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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2019.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique,
sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires,
TOME I
RAPPORT
Président
M. Serge LETCHIMY
Rapporteure
Mme Justine BENIN
Députés
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Voir les numéros : 1941 et 1983.
La commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du chlordécone et du paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires, est composée de :
– M. Serge Letchimy, président ;
– Mme Justine Benin, rapporteure ;
– Mme Ramlati Ali, Mme Claire Guion-Firmin, M. Didier Martin, Mme Hélène Vainqueur-Christophe, vice-présidents ;
– Mme Annie Chapelier, M. Raphaël Gérard, Mme Cécile Rilhac, Mme Nicole Sanquer, secrétaires ;
– M. Lénaïck Adam, Mme Fannette Charvier, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Michel Lauzzana, Mme Charlotte Lecocq, Mme Véronique Louwagie, M. Stéphane Mazars, Mme Sandra Marsaud, M. Jean-Philippe Nilor, Mme Mathilde Panot, Mme Maud Petit, M. François Pupponi, M. Olivier Serva, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Guillaume Vuilletet.
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SOMMAIRE
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Pages
Avant-propos du président de la commission d’enquête
A. Une utilisation du chlordécone de 1972 à 1993 en dépit de Sa dangerosité
a. Un territoire façonné par deux cultures dominantes
b. Une agriculture productiviste longtemps dépendante des intrants...
c. L’importance du chlordécone dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique
d. Le paraquat, un problème de moindre ampleur
i. Caractéristiques et toxicité du paraquat
ii. Utilisation et législation
iii. Des enjeux sanitaires et environnementaux moindres que ceux du chlordécone
e. Panorama supposé de l’usage du chlordécone dans le monde
2. La responsabilité de l’État dans une application accommodante de la législation
a. Une toxicité et une rémanence du produit connues dès 1969
i. Les premières demandes de 1968 et leurs suites
ii. La révision du tableau des organochlorés en 1971
b. Une procédure dérogatoire privilégiée
d. Un retrait total dans le contexte d’une nouvelle législation européenne
e. Une prorogation imprudente d’utilisation
3. La gestion défaillante des stocks après 1993
a. Des rumeurs sur une utilisation du chlordécone après l’interdiction de 1993
b. Quelques saisies de « Curlone » après 1993
B. Un désastre écologique, sanitaire et économique
1. Une pollution durable et généralisée
a. Un « polluant organique très persistant » dans l’environnement
b. Une rémanence qui diffuse le chlordécone dans les produits alimentaires agricoles et animaux
i. Des taux de transfert très hétérogènes ...
ii. Une contamination possible des animaux d’élevage
iii. Une contamination des espèces marines
2. Un facteur de risque pour la santé
a. Une toxicité du chlordécone connue depuis Hopewell
b. Une imprégnation des populations par l’alimentation
c. Une augmentation du risque de survenue du cancer de la prostate
d. Des effets prouvés sur le déroulement de la grossesse et le développement cognitif de l’enfant
e. D’autres sur-risques soupçonnés mais infirmés par la recherche
3. Des filières économiques locales en danger
a. Un impact économique non évalué
b. Un équilibre à trouver entre une agriculture exportatrice et l’autosuffisance alimentaire
c. Un frein supplémentaire à l’autosuffisance alimentaire
a. Le scandale d’Hopewell en 1975
b. Des premiers rapports signalant un risque
c. Des alertes de terrain ignorées
2. Le poids des intérêts économiques
a. Les actions menées par le distributeur
b. Le lobbying actif des groupements de planteurs
d. Le soutien explicite des services locaux du ministère de l’Agriculture
D. le manque d’ambition des Plans CHLORDÉCONE
1. Une prise de conscience tardive
a. Un changement de regard sur le recours aux pesticides
ii. Un premier plan d’évaluation et de gestion des risques en 2003
2. L’élaboration d’un premier Plan Chlordécone en 2008
ii. Le programme Jardins familiaux
3. Des défaillances dans les Plans à pallier
a. Un pilotage des Plans Chlordécone trop vertical
i. Un volet sanitaire privilégié au détriment des autres « priorités »
ii. Un pilotage éloigné de la société civile
A. Restaurer la confiance entre l’État et les populations
1. Améliorer la construction et le pilotage des politiques publiques
b. Mettre en place un délégué interministériel dédié au chlordécone
c. Repenser la co-construction du prochain Plan Chlordécone
i. L’urgence d’associer les populations aux prises de décision
ii. Impliquer les Guadeloupéens et les Martiniquais tout au long de la démarche
iii. Expérimenter la co-construction du Plan Chlordécone par un conseil citoyen
d. Mettre en place un Comité stratégique dans les territoires
2. Communiquer différemment, mieux informer
a. Une communication longtemps négligée
b. Une communication anxiogène
c. Un sentiment diffus de discrimination
d. Unifier l’information et la communication
e. Développer l’information et l’éducation sanitaire
3. Garantir la transparence par une connaissance de l’étendue de la pollution
a. Une première cartographie des sols réalisée
b. La question des analyses obligatoires et de leur coût
c. L’état de connaissance de la pollution des sols en Guadeloupe
d. L’état de connaissance de la pollution des sols en Martinique
e. Le choix de la connaissance et de la transparence
4. Protéger les populations des risques sanitaires
B. Préserver et diversifier les filières agricoles locales
1. Accélérer la mutation agricole
a. Diversifier les productions
c. Valoriser la qualité des productions
ii. Accompagner les pratiques agricoles innovantes
iii. Accélérer les conversions vers l’agriculture biologique
iv. Ajuster la fiscalité sur les denrées agricoles
2. Garantir la traçabilité et la qualité des produits : « tendre vers le zéro chlordécone »
a. Tendre vers le « zéro chlordécone » dans l’alimentation
b. Augmenter et mieux cibler les contrôles
i. L’action de la direction générale de l’alimentation
ii. L’action de la DGCCRF et la problématique des circuits informels
c. Pérenniser le patrimoine alimentaire créole
C. Ériger la recherche sur le chlordécone comme priorité stratégique
1. Un schéma décisionnel éclaté
a. Treize projets de recherche subventionnés par l’État
b. Un « mille-feuille » décisionnel
c. Des actions de recherche prioritaires
ii. En matière de remédiation des sols
3. Créer un groupement d’intérêt scientifique sur le chlordécone
4. Encourager la recherche et l’analyse au niveau local
D. Une loi d’orientation et de programmation pour une stratégie de sortie du chlordécone
1. Un cadre législatif pour les engagements de l’État
2. Un contrôle parlementaire de l’exécution des engagements de l’État
Troisième partie : vers des actions de réparations
1. Affirmer les responsabilités des acteurs
a. L’État, premier responsable
b. La responsabilité des acteurs privés
i. Les producteurs et les distributeurs
2. Prendre en charge les préjudices avérés
a. Créer un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone
i. Compléter les tableaux de maladies professionnelles
iii. Créer un fonds d’indemnisation spécifique
b. Créer un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques
i. Les difficultés des agriculteurs et des marins pêcheurs
ii. D’autres acteurs économiques affectés par le chlordécone
iii. Un soutien financier indispensable
iv. Un accompagnement technique à poursuivre
B. Limiter l’ampleur des risques encourus par les territoires et les populations
1. Appliquer le principe de précaution en limitant l’exposition et la dissémination du chlordécone
3. Envisager la prise en charge de la dépollution
Instaurer une co-construction pour l’élaboration et l’exécution du prochain plan
Élaborer une loi d’orientation et de programmation de stratégie de sortie du chlordécone
Protéger les populations des risques sanitaires
Préserver la filière agricole et la pêche antillaise
Ériger la recherche en priorité stratégique
Engager un processus de réparations
Contributions reçues des groupes politiques
Contribution du groupe la France insoumise
annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnées
annexe n° 2 : Déplacement aux antilles
annexe n° 3 : historique de l’autorisation du chlordécone
Pièce n° 1 : 19 mars 1969 – Demande d’homologation
Pièce n° 2 : 10 novembre 1971 – Demande d’homologation
Pièce n° 3 : 29 février 1972 APV1
Pièce n° 4 : 21 mai 1974 APV 2
Pièce n° 5 : 31 mai 1976 APV 3
Pièce n° 6 : 7 février 1980 – Lettre arrêt
Pièce n° 7 : 5 mai 1980 – Refus homologation
Pièce n° 8 : 8 avril 1981 – Demande d’homologation
Pièce n° 10 : 30 juin 1981 APV
Pièce n° 11 : 29 octobre 1986 – homologation
Pièce n° 12 : 1er février 1990 – retrait
Pièce n° 14 : 25 février 1993 – PV
Pièce n° 15 : 27 juin 1968 – commission des toxiques
Pièce n° 16 : 19 décembre 1968 – commission des toxiques
Pièce n° 17 : 29 novembre 1969 – commission des toxiques
Pièce n° 18 : 29 janvier 1971 – commission des Toxiques
Pièce n° 19 : 30 novembre 1971 – commission des toxiques
Pièce n° 20 : 1er février 1972 – commission des toxiques
Pièce n° 21 : 22 juin 1989 – sous-commission des toxiques
Pièce n° 22 : 7 septembre 1989 – commission des toxiques
Pièce n° 23 : 13 décembre 1989 – commission des toxiques
Pièce n° 24 : 19 décembre 1980
Pièce n° 25 : 19 décembre 1980
Pièce n° 26 : 19 décembre 1980 – demande d’homologation
Pièce n° 31 : 1er février 1990
annexe n° 4 : Gestion des stocks
Pièce n° 1 : 28 juillet 1994 – Agrisol
Pièce n° 2 : 3 août 1994 – Agrisol
Pièce n° 3 : 17 août 1994 – Cottrell
Pièce n° 4 : 15 septembre 1994 – Punter
annexe n° 5 : SAC DE CURLONE (1983)
Pièce n° 5 : courrier de M. Bourdin, du service d’homologation de l’INRA, à l’ASSOBAG, 13 mars 1992
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Avant-propos
du président de la commission d’enquête
Au bout de six mois d’enquête, la commission rend la conclusion de ses travaux, sous la forme du présent rapport. En ayant réalisé une trentaine d’auditions à l’Assemblée nationale, autant d’auditions sur place en Guadeloupe et en Martinique, en s’appuyant sur des centaines de documents retrouvés et analysés, ses membres ont pu mener un travail d’investigation sans frein et sans concession.
Je suis très conscient que nos conclusions doivent correspondre à une attente âpre et profonde de la part des populations de Martinique et de Guadeloupe. Depuis que l’ampleur de la pollution a été révélée il y a vingt ans, un juste vent de révolte traverse nos territoires. « Îles empoisonnées », « écogénocide », « on a tué le pays », « crime d’État » : les inquiétudes sont énormes, les réponses et les exigences d’établissement de la vérité sur les responsabilités sont essentielles et la mise en œuvre de mesures de réparation doit l’être autant, compte tenu de l’ampleur de cette catastrophe environnementale.
C’est de l’obscurité que naissent les angoisses et les théories du complot. La présente commission d’enquête était avant tout nécessaire pour faire toute la lumière sur les faits qui ont conduit à autoriser l’emploi d’un produit dont la toxicité et la dangerosité étaient connues, puis d’en prolonger l’utilisation, sous la pression des intérêts économiques défendant un modèle productiviste et chimique dépassé. Ensuite, il fallait en évaluer les impacts, environnementaux, sanitaires, économiques : encore une mission qui n’avait jamais été menée. Enfin, établir les mesures et les moyens des réparations à la hauteur de ce drame humain, désormais devenu une dangereuse crise sociétale et systémique.
Dans le même temps, nous devions évaluer les politiques publiques qui ont été menées depuis vingt ans, et notamment les trois Plans chlordécone successifs qui ont été mis en œuvre pour mobiliser des moyens afin de répondre à cette situation de pollution, de protéger la population (surveillance et recherche) mais aussi d’accompagner les professionnels fortement impactés par cette pollution.
Enfin, il nous fallait proposer des solutions, « étudier la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices subis par les victimes et les territoires de Guadeloupe et de Martinique ».
*
Dans un premier temps, je souhaiterais remercier mes collègues membres du groupe Socialistes et apparentés et sa présidente, Mme Valérie Rabault, pour avoir choisi de donner la priorité à la création de la présente commission d’enquête que nous avions proposée le 10 mai 2019 par la résolution n° 1941 ([1]).
L’Assemblée nationale a été plusieurs fois amenée à étudier ce problème, sans pour autant arriver à faire toute la lumière sur le déroulement des événements, sur les responsabilités des autorités réglementaires, des producteurs et des utilisateurs des spécialités à base de chlordécone et de paraquat.
Pour mémoire, la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire avait créé le 19 octobre 2004, une mission d’information relative au chlordécone et autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne, présidée par M. Philippe Edmond-Mariette. Cette mission a débouché sur un rapport d’information présenté par M. Joël Beaugendre, rapporteur, le 30 juin 2005 ([2]).
En outre, le 24 juin 2009, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a déposé un rapport d’étude sur « Les impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénatrice ([3]).
La question de la réparation des conséquences de ce scandale environnemental, sanitaire et économique a également fait l’objet de plusieurs propositions de loi, notamment la proposition de loi n° 4647, déposée en 2017 à l’initiative de M. Victorin Lurel ([4]), et la proposition de loi n° 1543, déposée en 2018 à l’initiative de Mme Hélène Vainqueur-Christophe ([5]), qui n’ont malheureusement pas pu être discutées par l’Assemblée nationale en séance publique.
Mais en l’absence de pouvoirs d’enquête sur pièce et sur place, ces travaux n’ont pu mettre à jour tous les faits et les interpréter.
Pour la première fois, l’Assemblée nationale nous a donné les moyens humains et juridiques de mener cette enquête. Nous avons pu avoir accès à l’ensemble des archives, des documents qui ont abouti à des décisions administratives et politiques parfois aberrantes. Les administrations concernées sont aujourd’hui prêtes à reconnaître les erreurs commises. Si les comptes rendus du comité d’homologation des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés n’ont pas été retrouvés pour la période allant de 1985 à 1993, que ce soit aux Archives nationales, dans les archives du ministère de l’Agriculture, dans celles du ministère du développement durable ou celles de l’INRA, l’ensemble des archives des organes chargés de l’instruction et de l’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques pour la période de 1972 à 1993 ont été remises à la commission d’enquête.
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En tant que président de la commission d’enquête, je me félicite que nous ayons pu, grâce à la mobilisation de tous, aboutir à déposer le présent rapport, qui repose sur un constat partagé, avec des propositions variées qui doivent néanmoins s’inscrire avec clarté au cœur des défis politiques que suscite ce dossier où se joue l’avenir des peuples martiniquais et guadeloupéens.
Le chlordécone est bien avant tout un scandale d’État : comme l’avait reconnu le Président de la République, comme l’ont rappelé les ministres auditionnés, l’État a autorisé l’emploi d’une substance, et maintenu son usage, en dépit des connaissances scientifiques et des signaux d’alerte. La responsabilité de l’État est d’autant plus engagée par l’usage coupable et délibéré de procédures dérogatoires, tant dans les autorisations de mise sur le marché accordées depuis 1972, que par les prolongations de celles-ci acceptées en 1992 et 1993. La gestion du contrôle des stocks entre 1993 et 2002 a été, par ailleurs, calamiteuse. Mais les agissements des fabricants et distributeurs de ces spécialités, et notamment le cas d’un distributeur s’improvisant fabricant de produits phytopharmaceutiques pour faire face à l’interdiction de production du chlordécone aux États-Unis, engagent également leur responsabilité. Enfin, les groupements professionnels, les grandes exploitations bananières et leurs représentants, prêts à tout pour défendre l’utilisation d’un produit miracle sans remettre en cause son impact sur l’environnement et la santé, doivent être appelés à répondre de leur responsabilité. Sans contestation aucune, la responsabilité de l’État est reconnue et l’engage à mettre en place des mesures de réparation exceptionnelles. Les implications des vendeurs-producteurs et des groupements professionnels, sont incontestables.
Ce drame environnemental, sanitaire et économique exige donc sans délai réparation. Je me réjouis que notre rapport le défende avec force, en proposant l’indemnisation immédiate de tous les préjudices avérés comme la prise en charge gratuite des victimes les plus exposées sur le plan de la santé, l’engagement d’une indemnisation et de mesures de réparation à venir de l’ensemble des préjudices dès que les résultats scientifiques le rendront possible, notamment sur l’enjeu crucial de la dépollution des sols.
Ce drame économique exige en effet un plan d’ampleur de dépollution des terres pris en charge par l’État, des indemnisations à la hauteur de la crise pour les agriculteurs de la diversification et pour les pêcheurs, l’analyse gratuite des sols réalisée dans un délai de cinq ans, pour un budget de l’ordre de 25 millions d’euros, l’obligation d’analyses pour toutes les terres exposées, la mise en place d’un dépistage gratuit pour toutes les populations vulnérables, la mise en œuvre de mesures de traçabilité de tous les produits alimentaires issus des circuits formels et informels dans les trois années à venir, l’inscription immédiate de la recherche comme priorité stratégique nationale et la mise en place de moyens locaux adaptés d’expertise pour les analyses de sol et le dépistage.
*
Cependant, au-delà du constat et de l’évaluation ainsi réalisés, la commission d’enquête avait également pour mission d’étudier les solutions à apporter et les modalités d’une indemnisation des préjudices subis par les victimes et les territoires de Guadeloupe et de Martinique.
Si je souscris globalement à l’ensemble des recommandations formulées par la Rapporteure, il me semble fondamental, au-delà de ce que j’ai précisé ci‑dessus, à titre personnel, d’y ajouter, quelques éléments essentiels supplémentaires très attendus par les populations de Martinique et de Guadeloupe pour rétablir la confiance et l’espoir.
Il me semble indispensable qu’un établissement public administratif national soit mis en place par l’État, avec des moyens propres et des missions claires, pour mettre en œuvre le programme d’actions décidé par les Plans chlordécone et la loi de programmation que nous appelons de nos vœux – et par exemple la cartographie des terres contaminées, à réaliser aux frais de l’établissement public.
Les moyens budgétaires nécessaires aux réparations doivent être garantis pour une période triennale, dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation dont l’application ne pourra être inférieure à une durée de quinze ans.
Les moyens concernés doivent comprendre un fonds d’indemnisation de l’ensemble des victimes, de la part de l’État, mais également mettant à contribution les producteurs et utilisateurs des spécialités à base de chlordécone, au nom du principe pollueur-payeur.
Le fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques doit être adapté aux réalités de la pollution au chlordécone.
Il convient également d’accélérer les études épidémiologiques en cours pour que la science donne enfin des réponses permettant aux décideurs politiques de prendre des mesures limitant les risques sanitaires de ce scandale. Le premier objectif doit être de permettre aux responsables politiques de mettre en place de manière urgente d’une valeur d’imprégnation critique – valeur sanitaire de référence – correspondant au seuil de risque sanitaire.
S’il faut rétablir la confiance des Antillais dans la production agricole, et donc interdire les cultures sensibles dans les zones trop contaminées, cela doit se faire en indemnisant les agriculteurs concernés, cultivateurs et éleveurs, et en accompagnant le changement de production et de pratiques culturales.
Les propriétaires de parcelles polluées qui n’ont jamais fait l’objet de cultures bananières doivent être indemnisés pour la pollution de leurs terres.
L’organisation de l’agriculture antillaise doit être globalement revue afin de permettre à la fois la sortie du chlordécone et la reconquête de la souveraineté alimentaire en encourageant la transition agro-écologique. Cela passe par l’utilisation d’au moins un tiers des terres actuellement en friche non polluées au sein des grandes et moyennes exploitations pour la diversification agricole, par un soutien spécifique aux petits agriculteurs par le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), avec référence historique, qui devrait pouvoir conserver le même niveau d’aides tout en diversifiant leur production, la mise en place d’une aide à la surface pour toutes les activités agricoles de diversification, un soutien à l’agriculture hors sol et des mesures spécifiques pour l’alimentation du bétail.
L’application de mesures de sauvegarde – importations externes et internes – au titre du régime dérogatoire rendu possible dans les régions ultrapériphériques par l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, pourrait permettre de favoriser la production locale et d’éviter que la nécessaire recherche d’une alimentation sans chlordécone conduise à recourir uniquement à des aliments importés.
En fait, il s’agit de bâtir un projet de développement sans recours aux produits phytopharmaceutiques, capable d’initier la mutation indispensable de la production endogène afin de faciliter l’émergence d’un nouveau modèle économique tendant vers une plus large autonomie alimentaire locale.
La forte et nécessaire implication de la population ne pourra être un engagement citoyen et collectif que si et seulement si elle se sent respectée par des mesures dignes de la République face à un tel drame.
Pour les marins-pêcheurs, le respect des zones d’interdiction de pêche doit être compensé par des mesures exceptionnelles d’accompagnement à l’investissement, mais aussi de soutien à l’exploitation tel que des exonérations de charges pendant une durée limitée.
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Le présent rapport de la commission d’enquête n’est donc qu’un premier pas. Le constat est fait, des préconisations ont été rendues. Il importe désormais de les faire passer dans les faits, dans le prochain Plan chlordécone, au moyen d’une loi de programmation ambitieuse et de décisions très attendues du Gouvernement et du Président de la République, dont la déclaration de Fort-de-France résonne comme une prise de conscience nationale qui ne peut être trahie. Le président et les membres de la commission d’enquête devront continuer de s’y consacrer, et de s’assurer que l’État met en œuvre ses engagements. En cela, ce rapport d’enquête n’est qu’une première marche de franchie vers l’après-chlordécone.
Serge Letchimy
Président de la commission d’enquête
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Sujet méconnu dans l’Hexagone, le chlordécone a pourtant profondément marqué l’histoire contemporaine de la Guadeloupe et de la Martinique. Autorisé à la vente entre 1972 et 1993, il fut utilisé comme insecticide dans les plantations antillaises pour lutter contre l’invasion du charançon – nuisible qui ravageait les bananeraies – en dépit de sa dangerosité pour l’environnement. En effet, dès 1977, le rapport Snegaroff ([6]), établi à la suite d’une mission de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), puis le rapport Kermarrec ([7]) de 1980, établissaient déjà le lien entre une pollution environnementale des sols et des eaux et l’utilisation du chlordécone dans les plantations de banane. Il est depuis connu et démontré scientifiquement que le chlordécone est un polluant persistant : il s’agrège dans les sols, les nappes phréatiques, les cours d’eaux et les zones côtières pour les décennies, voire les siècles à venir selon les prévisions scientifiques les plus pessimistes – aucune technique de dépollution n’étant réalisable à ce jour.
Par ailleurs, l’exposition au chlordécone révèle des effets possiblement toxiques sur la santé humaine. Dès 1979, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé cette molécule comme « cancérogène possible » ([8]). Reconnu depuis comme un perturbateur endocrinien, plusieurs études scientifiques sur le chlordécone, publiées dans la littérature internationale, ont démontré un lien épidémiologique entre cette substance et l’incidence du cancer de la prostate, ainsi que les troubles liés au neuro-développement de l’enfant en bas âge, ou encore la prématurité des naissances.
La toxicité de cette molécule et sa persistance dans l’environnement ont inévitablement engendré d’importantes conséquences pour les populations de la Guadeloupe et de la Martinique. Dans le champ de l’agriculture et de l’alimentation d’abord, avec la contamination de plusieurs milliers d’hectares de terres, notamment dans la région du Sud Basse-Terre (zone dite du « croissant bananier »), pénalisant ainsi les agriculteurs qui souffrent au demeurant de difficultés structurelles liées à l’insularité et à la fragilité des filières agricoles ultramarines. Le chlordécone affecte également les consommateurs, qui font face au manque de transparence et de traçabilité des produits alimentaires, en particulier dans les circuits informels. Au travers d’une étude scientifique réalisée sur la période 2013-2014 ([9]), Santé Publique France a estimé que 95 % de la population de la Guadeloupe et 92 % de la population de la Martinique était imprégnée de chlordécone dans le sang ; cette imprégnation étant liée à la consommation d’aliments ou d’eau contaminés. Enfin, la pollution au chlordécone des zones côtières a également entraîné des conséquences économiques négatives pour les marins-pêcheurs, puisque des arrêtés d’interdiction de pêche ont été successivement mis en place de manière à lutter contre l’apport de poissons contaminés dans les circuits de distribution. La Guadeloupe et la Martinique faisant partie des plus gros consommateurs de ressources pélagiques au monde, ce secteur d’activité a été grandement affecté, avec la réduction des zones de pêches et le recours aux importations de pays tiers.
Par ailleurs, une forte défiance vis-à-vis de l’État s’est installée dans une partie des populations de la Guadeloupe et de la Martinique. Une partie des citoyens s’interroge, d’abord, sur les raisons qui ont amené les pouvoirs publics de l’époque à autoriser l’utilisation d’une telle substance toxique dans l’agriculture antillaise. D’aucuns s’insurgent sur les lenteurs et les hésitations qui ont eu cours durant vingt ans, malgré l’état avancé des connaissances sur la dangerosité du chlordécone, et sur l’interdiction définitive de l’utilisation de la molécule, qui fut finalement actée en 1993, après trois années de dérogation.
Enfin, certains déplorent les atermoiements des autorités dans la prise de conscience de la pollution, et les difficultés à mettre en place une réponse politique adéquate, efficace et ambitieuse. Le manque de communication, les carences dans la coordination et dans la co-construction des plans d’action, l’absence de dialogue réel entre l’État, les services déconcentrés, les collectivités et les associations ont indéniablement entraîné une crise de confiance, ce qui, de surcroît, a continué d’alimenter l’exigence de réparations pour les populations.
Pour autant, malgré la crise latente et le sentiment d’abandon qui est ressenti par une partie des citoyens dans les territoires, l’État a mis successivement en place une série d’actions pour contenir au mieux cette pollution, d’abord au début des années 2000 à travers ses services déconcentrés, puis au moyen de plans nationaux, dits « Plans Chlordécone, » initiés à partir de 2008.
Surtout, l’engagement des plus hauts sommets de l’administration de l’État sur la problématique du chlordécone a progressé depuis quelques années. En témoignent ces mots prononcés par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de son déplacement à la Martinique le 27 septembre 2018 ([10]) :
« La pollution au chlordécone est un scandale environnemental, dont souffrent la Guadeloupe et la Martinique depuis quarante ans. […] Ce fut le fruit d’un aveuglement collectif. Pendant des années, pour ne pas dire des décennies, nous avons collectivement choisi de continuer à utiliser le chlordécone, là où beaucoup d’autres territoires avaient cessé beaucoup plus tôt. Nous l’avons fait parce que l’État, les élus locaux, les acteurs économiques, ont accepté cette situation et l’ont accompagnée pendant cette période, en considérant que l’arrêt de l’utilisation du chlordécone aurait menacée une partie des exploitations en Martinique comme en Guadeloupe. »
Et d’ajouter : « L’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution, et doit avancer dans le chemin de la réparation et des projets. ».
Cette parole présidentielle est historique. Historique en ce sens où, vingt-cinq ans après l’interdiction définitive du chlordécone, pour la première fois, le Président de la République en exercice reconnaît la responsabilité de l’État dans la pollution et, surtout, fait référence au devoir de « réparations ». C’est en effet dans cette exigence de vérité sur les faits historiques et les responsabilités de cette pollution, ainsi que dans la volonté de mettre en place des réparations pour les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique, que se trouvent la réponse à l’équation complexe que pose ce drame environnemental.
Ainsi, c’est dans la perspective d’apporter des réponses concrètes à ces deux exigences que s’est constituée notre commission d’enquête parlementaire :
Dans un premier temps, il s’est agi d’établir les responsabilités publiques et privées dans la pollution au chlordécone, notamment au travers des autorisations d’utilisation, puis dans la mise en œuvre des dérogations jusqu’en 1993 ;
Puis, dans un second temps, d’envisager les modalités de réparations pour les territoires de la Guadeloupe et de la Martinique face aux impacts écologiques, sanitaires et économiques de cette pollution.
Notre commission d’enquête a débuté ses travaux le 1er juillet 2019 à l’Assemblée nationale. Nous avons auditionné l’ensemble des représentants des agences sanitaires et scientifiques de l’État ; les administrations centrales ; et les experts scientifiques ayant travaillé sur la problématique du chlordécone.
Des auditions ont également été menées entre le 16 et le 22 septembre sur le terrain, en Guadeloupe et en Martinique, afin d’entendre les services déconcentrés de l’État, les collectivités territoriales, les syndicats et les organisations professionnelles d’agriculteurs et de marins-pêcheurs, les représentants des instances sanitaires et scientifiques locales, ainsi que les associations. À ce titre, la commission souhaite remercier le préfet de la Guadeloupe, M. Philippe Gustin, et le préfet de la Martinique, M. Franck Robine, qui ont permis aux parlementaires et aux personnalités auditionnées de travailler sereinement au sein de leurs préfectures respectives.
Les travaux de la commission se sont achevés durant la semaine du 14 octobre, avec l’audition de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, Mme Frédérique Vidal, de la ministre des Solidarités et de la Santé, Mme Agnès Buzyn, de la ministre des Outre-mer, Mme Annick Girardin, et du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, M. Didier Guillaume.
Le Président et la Rapporteure ont souhaité faire la lumière sur l’histoire des autorisations des produits phytopharmaceutiques à base de chlordécone, des premières demandes d’autorisation en 1968 à la fin de leur mise sur le marché et de leur utilisation en 1993. Le présent rapport d’enquête permet ainsi de relater l’historique des décisions de l’État pendant toute cette période.
Afin d’avoir accès aux documents retraçant cette période, il fallait que les administrations concernées mettent à disposition les fonds d’archives conservés notamment au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et aux Archives nationales.
Le Président et la Rapporteure saluent, à ce titre, l’effort de transparence du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation dans la communication de leurs archives, au premier rang desquels le Directeur général de l’Alimentation, M. Bruno Ferreira, et ses services.
Il en est de même de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) du ministère de l’Action et des comptes publics pour avoir transmis un certain nombre d’archives.
Enfin, le Président et la Rapporteure remercient l’ensemble des personnalités auditionnées au cours de cette commission pour la qualité de leurs échanges, le respect de chacun et la volonté commune d’avancer vers des réponses concrètes et des actions ambitieuses pour en finir avec cette pollution au chlordécone.
***
La Rapporteure s’attachera donc à retracer, dans un premier temps, l’histoire de l’usage du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, de manière à décrire le cadre juridique de son autorisation dans l’agriculture, de mieux comprendre les responsabilités dans la pollution d’aujourd’hui, et de cerner précisément ses conséquences sur l’environnement, la santé et l’économie locale.
Dans un second temps, la Rapporteure présentera des propositions de réparations pour les territoires, notamment dans le champ de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation, mais également pour restaurer la confiance des populations envers l’État, et renforcer les efforts en matière de recherche scientifique.
Les populations de la Guadeloupe et de la Martinique vivent aujourd’hui dans l’attente. Ils souhaitent, d’une part, obtenir de la clarté sur les causes et les responsabilités de ce drame environnemental. Et d’autre part, ils aspirent à regarder l’avenir de leurs territoires avec espoir et optimisme. C’est tout le sens de ce rapport, dont l’objectif est bien de faire la lumière sur cette histoire trouble, et d’élaborer des propositions concrètes et ambitieuses pour réparer les dommages causés par le chlordécone et en finir avec cette pollution.
– 1 –
Première partie : d’un usage agricole à une pollution généralisée : l’histoire trouble du chlordécone
A. Une utilisation du chlordécone de 1972 à 1993 en dépit de Sa dangerosité
1. Une agriculture productiviste, à la recherche de rendements et de surpassement des contraintes naturelles
Les productions agricoles antillaises se distinguent de celles de l’hexagone de par leurs variétés, cultivées dans un contexte climatique particulier. Le climat tropical à deux saisons chaud et humide avec le passage récurrent de phénomènes cycloniques explique une production longtemps dépendante des intrants.
De par leur insularité, la Guadeloupe et la Martinique constituent un réservoir de biodiversité considérable mais fragile. La pression foncière liée à l’urbanisation et les conflits d’usage y sont élevés d’où une surface agricole utile (SAU) en constante diminution.
a. Un territoire façonné par deux cultures dominantes
L’agriculture a été le moteur des économies antillaises pendant plusieurs siècles.
Après avoir longtemps développé les cultures du tabac, de l’indigo, du cacao et du café, les Antilles se sont tournées au XVIIe siècle vers l’exploitation de la canne à sucre qui a fait la richesse de ces « Îles à sucre ». La culture de la canne à sucre a ensuite connu un lent déclin à partir du début du XXe siècle pour cinq raisons ([11]) : des méthodes culturales et des procédures de transport inadaptées, une fluctuation des rendements, la départementalisation intervenue en 1946 qui implique de nouvelles charges financières en main-d’œuvre et la concurrence d’autres produits (banane et ananas). Ne subsistent alors que les distilleries de rhum les plus rentables.
Ce déclin de la canne à sucre marque l’émergence de la culture de la banane fortement portée par les exportations vers l’Hexagone. Les premières exportations datent de 1907 avec l’apparition des premiers navires frigorifiques.
Avant d’être cultivée pour être exportée, la banane était une culture vivrière, base de l’alimentation populaire antillaise encore présente dans le jardin créole. C’est pourquoi ce sont des petites et moyennes exploitations qui développent initialement cette culture quand les grands propriétaires préfèrent l’exploitation de la canne à sucre. En 1932, la Martinique compte ainsi une centaine d’exploitations d’environ 10 hectares. Dans les années 1960, cette agriculture familiale est favorisée par des mesures politiques encourageant l’accession à la propriété.
Cependant, à cette même époque, la culture de la banane s’intensifie pour améliorer sa productivité dans un contexte économique de forte concurrence internationale. La filière française s’oriente alors vers la monoculture intensive de la variété Cavendish ([12]).
Du 27 août au 6 septembre 1979, l’ouragan David dévaste les Caraïbes. Les dégâts matériels sont importants mais c’est surtout l’agriculture qui en subit les conséquences : 40 % des cultures vivrières et 95 % des plantations de bananes disparaissent. Onze mois plus tard, l’ouragan Allen détruit à nouveau la production antillaise. En 2007, le cyclone Dean ralentit encore l’expansion de la production bananière.
Dans les années 1990, la monoculture a montré ses limites : des baisses de rendements résultent de la multiplication des bioagresseurs qui s’adaptent de plus en plus aux traitements chimiques utilisés dans les cultures.
b. Une agriculture productiviste longtemps dépendante des intrants...
Après les pénuries subies pendant la seconde guerre mondiale, les agriculteurs sont incités à produire de façon intensive pour nourrir les populations et assurer l’auto-suffisance du pays. La recherche de productivité et de sécurité des approvisionnements à des prix raisonnables pour les consommateurs font partie des objectifs de la politique agricole commune (PAC).
Cet objectif s’est traduit dans la façon dont les montants financiers alloués à cette politique intégrée ont été dirigés vers les grandes exploitations spécialisées. L’Outre-mer n’échappe pas à cette règle : les filières de la canne à sucre et de la banane ont toujours été les mieux soutenues ([13]).
Il n’en demeure pas moins que cette agriculture productiviste a pour caractéristique de ne pas se soucier des conséquences de ses pratiques sur l’environnement même si, comme le rappelait Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé « les produits que nous utilisons aujourd’hui dans l’alimentation sont des produits qui vont chercher le rendement, et ont un impact économique sur les rendements des agriculteurs, mais ce sont aussi des produits qui, pour certains, ont permis d’éviter un certain nombre de maladies liées à l’alimentation, dont on mourrait. » ([14]).
L’intensification des cultures de la banane et de la canne à sucre après la seconde guerre mondiale est concomitante au développement de la chimie qui intervient en complément puis en remplacement des substances minérales à base de soufre, d’arsenic ou de cuivre jusqu’alors utilisées.
« Dans les années 60 et 70, l’on considérait que toute entrave à la productivité agricole pouvait être résolue par des interventions techniques, notamment des apports d’intrants chimiques. Tout bioagresseur des cultures, ayant le moindre impact sur les rendements ou la qualité visuelle des produits récoltés devait être éliminé. » ([15]) comme le rappelaient M. Yves-Marie Cabidoche ([16]) et Mme Magali Jannoyer ([17]).
Les premières molécules de synthèse utilisées appartenaient à la famille des organochlorés dont la plus connue est le DDT ([18]). Mais la nocivité de cette substance sur la reproduction des oiseaux et l’environnement ont conduit à son interdiction en 1972 ([19]). Celle-ci ouvre ensuite la voie au développement d’autres insecticides de la famille des carbamates et des organophosphorés à partir des années 1970.
Le mode d’action de ces substances pourtant moins nombreuses qu’aujourd’hui avait pour effet une toxicité aigüe sur le système nerveux des insectes et des acariens. Les doses considérables utilisées étaient également sans commune mesure avec celles des autorisations de mise sur le marché et des pratiques agricoles contemporaines.
Ce n’est qu’au début des années 1990, lors de la parution des premières études sur les effets de ces substances que la pharmacopée évolue avec le développement de nouveaux moyens de lutte contre les bioagresseurs et la prise de conscience de la nécessité d’une lutte raisonnée au moyen de macro-organismes, notamment.
Évolution du nombre et de la nature des solutions autorisées en France pour la protection des cultures contre les arthropodes ravageurs
Source : Colloque EHESP-IRSET Rennes - J-L Bernard, 14 mars 2017.
Il n’existe pas de données sur les quantités utilisées avant les années 1990 toutefois selon le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement de 2012 « de manière globale, la consommation de pesticides a doublé tous les dix ans entre 1945 et 1985 » ([20]). Faute de préconisations des pouvoirs publics pour réduire les quantités utilisées, celles-ci étaient épandues sans considération de la dangerosité des molécules dans un souci permanent de se prémunir contre les risques ou pour mettre fin à une attaque déclarée.
c. L’importance du chlordécone dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique
Les bananeraies ont été particulièrement consommatrices de produits phytopharmaceutiques, en particulier de chlordécone entre 1972 et 1993.
Le bananier n’est pas un arbre mais une herbe qui peut atteindre jusqu’à 15 mètres de hauteur. Il s’agit d’une plante rustique qui pousse facilement, mais dont la qualité des fruits dépend des soins qui lui sont apportés depuis sa plantation. Il pousse dans des milieux ouverts à la lisière des forêts et dans les clairières. L’enherbement doit être contrôlé et les plantations industrielles ont un grand besoin d’eau.
En outre « le transport maritime sur de longues distances, la concurrence internationale des multinationales, le processus de mûrissage industriel du fruit et de commercialisation en grande distribution imposent un certain nombre de standards de qualité qui conduisent à éliminer tout risque sanitaire par une utilisation importante de produits phytopharmaceutiques à la production et en post‑récole » ([21]).
Compte tenu de son exposition aux aléas climatiques (rafales de vent, tempêtes, cyclones), cette culture est vulnérable à l’action de nombreux prédateurs. Des champignons peuvent attaquer les feuilles et provoquer des maladies telles que la cercosporiose. Les racines du bananier sont attaquées par des vers microscopiques, les nématodes. Les fruits sont quant à eux la cible d’insectes minuscules, les thrips.
La femelle du charançon noir Cosmopolites sordidus pond dans le bulbe du bananier : ses larves y creusent des galeries qui entravent son développement et l’exposent au déracinement en cas d’aléa climatique. C’est pour lutter contre ce prédateur que le chlordécone fut utilisé dès les années 1970, en remplacement du HCH (hexachlorocyclohexane), dont les besoins d’apports en quantité étaient cent fois plus importants ([22]).
Ces conditions de production et de commercialisation ont conduit à l’utilisation démesurée d’engrais et de produits phytopharmaceutiques (insecticides, nématicides, fongicides), au premier rang desquels figure le chlordécone.
M. Éric Godard, ancien chargé de mission interministériel et interrégional sur le chlordécone en Martinique a indiqué que « le chlordécone était utilisé à raison de 30 grammes par pied. Si l’on évalue le nombre de pieds par hectare à deux mille, 60 kilogrammes de produit par hectare étaient nécessaires. » ([23]). Selon le rapport publié en 2009 par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), et intitulé « Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », il s’agirait en réalité de 30 grammes de produit formulé dosé à 1,5 gramme de chlordécone.
C’est ce que confirme la photographie du sac du produit « Curlone », communiquée par M. Henri Vannière, ancien chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) à la commission d’enquête, sur lequel est indiqué « Utiliser au maximum 30 grammes de Curlone/plant » ([24]).
L’estimation de la quantité de produit utilisé à l’hectare varie également, selon le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : « à raison de 800 pieds de bananes à l’hectare et de 2,5 épandages par an (deux épandages pour un cycle de huit mois de production) [cela] aboutit à un dosage de 3 kg de chlordécone/h/an. » Et d’ajouter « pour être complet, ces plans d’épandage n’étaient pas systématiques. En principe, un épandage était mené à l’occasion de la plantation du bananier. Puis, chaque année, on procédait à des tests d’infestation en décortiquant un échantillon de racine pour déterminer si un traitement était nécessaire. Les estimations en possession de vos rapporteurs calibrent à environ au tiers les surfaces des soles bananières traitées chaque année » ([25]).
Le sac de Curlone précité décrit son mode d’action : « le Curlone est essentiellement un insecticide d’ingestion. Absorbé au niveau du bulbe, les tissus végétaux deviennent toxiques pour les larves du charançon qui meurent dès les premiers jours de leur vie larvaire. La persistance du Curlone dans la zone traitée étant assez longue, le renouvellement du traitement est conseillé après 6 mois en situation d’infestation élevée. Il convient de contrôler ensuite régulièrement le degré d’infestation justifiant le déclenchement d’un traitement. Par piégeage, traiter si on a en moyenne, 1 charançon par piège. Par décorticage des pieds ayant portés, traiter si on a en moyenne 5 % des pieds attaqués (méthode du coefficient d’infestation préconisée par l’IRFA ([26]) aux Antilles Françaises et en Afrique). »
Les bananiers antillais semblent avoir été les principaux utilisateurs du chlordécone dans le monde, comme ne manquait pas de le relever M. Hervé Macarie microbiologiste à l’IRD de Marseille (IMBE) « aux Antilles, on a quand même utilisé, d’après les estimations, 300 tonnes de chlordécone. Un sixième de tout ce qu’on a fabriqué dans le monde a ainsi été épandu aux Antilles » ([27]).
d. Le paraquat, un problème de moindre ampleur
i. Caractéristiques et toxicité du paraquat
Le paraquat est un produit phytosanitaire à effet herbicide de la famille des ammoniums quaternaires.
Cette substance est très irritante pour la peau, les phanères et les muqueuses. Elle provoque des intoxications souvent mortelles du fait d’une atteinte pulmonaire irréversible. Lors d’études sur animaux, il a été démontré que la substance était également neurotoxique.
Cependant, elle n’est pas cancérogène. Lors de son audition, M. Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa), a d’ailleurs affirmé que « Pour nous, le paraquat n’apparaît pas comme étant cancérogène, ni chez le rat, ni chez la souris. Il n’y a pas de données chez l’homme : c’est un produit qui est plutôt connu pour sa toxicité aiguë, notamment respiratoire, mais pas seulement. D’après la fiche toxicologique réalisée par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), il ne s’agit pas d’une substance cancérogène. » ([28]).
De même, M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » à l’institut national de la recherche agronomique (INRA) assure que « Cette substance, qui se fixe dans le sol, est très peu mobile et pose moins de problèmes de dispersion dans l’environnement que d’autres substances d’une toxicité aiguë et sans doute plus problématiques pour la santé. » ([29]).
Enfin, au contact du sol, le paraquat devient biologiquement inactif. Sa demi-vie dans les sols est de l’ordre de sept ans, même si cela n’a aucun impact sur les plantes. En effet, le paraquat détruit les fibres des plantes, mais ne pénètre jamais dans la plante.
ii. Utilisation et législation
Les produits à base de paraquat sont utilisés comme herbicides, en particulier dans les bananeraies et les luzernes. Reconnus pour leur efficacité et leur vitesse d’action, ces produits sont épandus sous forme liquide, dans lesquels le paraquat est dilué, directement sur les plantes à détruire. Les produits sont généralement utilisés avant la mise en culture avant de planter sur sol vierge.
La première trace de l’homologation d’un produit à base de paraquat date de 1962 en France. Si la Commission ne dispose pas du document accordant cette homologation, le compte rendu du comité d’homologation du 5 octobre 1972 précise que le produit Gramoxone de la société SOPRA bénéficie d’une homologation depuis 1962.
Cependant, le 4 mars 1973, un arrêté ministériel classe le paraquat au tableau A. Dès lors, la substance est considérée comme toxique et ne peut pas, en l’espèce, être utilisée à toute fin agricole. Par suite, le comité d’homologation propose, lors de sa réunion du 4 juin 1973, le retrait des homologations accordées à tous les produits précités.
Rapidement, le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole cherche des solutions permettant néanmoins l’usage de cette substance. En effet, le paraquat est extrêmement efficace et peu onéreux.
Dès la fin de l’année 1973, de nouvelles formulations sont proposées au comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole et au comité d’homologation. Dès lors, même inscrits au tableau A, des produits à base de paraquat peuvent, à titre dérogatoire, faire l’objet d’une homologation.
L’arrêté du 17 décembre 1974 relatif aux conditions de délivrance et d’emploi en agriculture du paraquat limite la concentration en paraquat des produits à 200 grammes par litre. Il précise également les conditions et les modalités d’utilisation desdits produits. Il interdit, en particulier, l’épandage par voie aérienne.
Par la suite, de nombreux produits à base de paraquat recevront des autorisations provisoires de vente. Le tableau ci-dessous en propose une liste non‑exhaustive.
PRODUITS AUTORISÉS ET HOMOLOGUÉS À BASE DE PARAQUAT (1974-2007)
Produit |
Entreprise |
Date effective de la première autorisation |
Date de retrait |
Concentration |
Gramoxone |
SOPRA |
1962 ? |
4 mars 1973 |
? |
Gramoxone Licorne |
Licorne |
29 mars 1968 |
4 mars 1973 |
? |
Priglone Licorne |
Licorne |
29 mars 1968 |
4 mars 1973 |
? |
Gramixel |
Licorne |
5 décembre 1969 |
4 mars 1973 |
? |
Priglex Licorne |
Licorne |
5 décembre 1969 |
4 mars 1973 |
? |
Priglex granulé sovilo |
Licorne |
1er décembre 1972 |
4 mars 1973 |
? |
Arrêté du 4 mars 1973 |
||||
Totacol et Terraklene |
SOPRA |
1er décembre 1975 |
1er décembre 1987 |
100 |
Total Col C et Terraklene C |
SOPRA |
1er décembre 1976 |
1er décembre 1987 |
100 |
Gramoxone Spécial |
SOPRA |
1er décembre 1976 |
|
40 |
Gramixel Spécial |
SOPRA |
1er décembre 1977 |
5 février 1998 |
40 |
Gramoxone 2 000 |
SOPRA |
1er décembre 1982 |
1er décembre 1987 |
200 |
Gramox 100 |
SOPRA |
1er décembre 1984 |
|
40 |
Gramoxone Duo |
SOPRA |
1er décembre 1985 |
30 juin 2007 |
40 |
Pyriquat Spécial |
Interphyto |
1er décembre 1986 |
1er novembre 1996 |
40 |
Arrêté du 25 août 1987 |
||||
Gramix ([30]) |
SOPRA |
1er décembre 1987 |
5 février 1988 |
40 |
Gramixel 100 (3) |
SOPRA |
1er décembre 1987 |
|
40 |
R Bix (3) |
Syngenta |
1er décembre 1987 |
|
40 |
Gramoxone Plus (3) |
Syngenta |
1er décembre 1987 |
31 décembre 2006 |
40 |
Speeder (3) |
Syngenta |
1er décembre 1987 |
|
40 |
Pyrilab Spécial |
Interphyto |
1er avril 1988 |
3 décembre 1999 |
40 |
Giror |
Syngenta |
1er octobre 1988 |
31 décembre 2006 |
40 |
Tradiaquat 40 |
Tradi Agri |
1er décembre 1989 |
1er février 1991 |
40 |
Illico |
CFPI Agro |
1er février 1990 |
1er avril 1996 |
40 |
Siemquat 40 |
Siemcol |
1er juin 1990 |
6 février 2004 |
40 |
Calliquat |
Arysta Lifescience |
1er décembre 1990 |
1er février 1996 |
40 |
Saniquat 40 |
Laboratoires Sanigène |
1er décembre 1990 |
6 février 2004 |
40 |
Suzaxone 40 |
Société des produits de France |
1er décembre 1990 |
6 février 2004 |
40 |
Pyrichim 40 |
La Chimique de Paris |
1er décembre 1990 |
6 février 2004 |
40 |
STS Para |
Laboratoires Ceetal |
1er février 1991 |
6 avril 2001 |
40 |
Source : Comptes rendus de la commission des Toxiques et du Comité d’homologation.
Il est à noter que de nombreux refus sont également émis par la commission des toxiques et le comité d’homologation sur la période. Ces derniers sont généralement motivés par la possibilité d’une confusion entre le produit et une boisson, le non-respect des limites de concentration ou l’absence d’étude sur les nouvelles formulations.
L’arrêté ministériel du 25 août 1987 vient durcir les conditions de délivrance et d’emploi en agriculture du paraquat. La limite de concentration de la substance dans les produits phytosanitaires est abaissée à 40 grammes par litre. Aussi, le conditionnement doit être réalisé sous un volume minimum de cinq litres, contre un litre auparavant. L’arrêté ministériel précise également que les produits à base de paraquat doivent être colorés en bleu et être additionnées d’une substance répulsive odorante et d’une substance émétique.
Cependant, les études scientifiques relatives à la toxicité du paraquat tendent, progressivement, à émettre l’hypothèse d’un lien entre le paraquat et plusieurs pathologies neurologiques. Plus particulièrement, des études scientifiques établissent un lien entre la maladie de Parkinson, pathologie neurologique chronique dégénérative, et l’exposition au paraquat.
Suite au lobbying à la fois de la France, pour utilisation dans les bananeraies et du Royaume-Uni où il est fabriqué, l’Union européenne a autorisé le paraquat en 2003 en l’inscrivant à l’annexe I de la directive 91/414/CEE par la directive 2003/112/CE ([31]). La Suède, soutenue par le Danemark, l’Autriche, et la Finlande, a introduit un recours.
Après trois ans d’investigations, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a annulé le 11 juillet 2007 la directive 2003/112/CE autorisant l’usage du paraquat dans les États membres, considérant qu’il n’avait pas suffisamment été tenu compte du lien entre le paraquat et la maladie de Parkinson, ainsi que d’autres effets de la substance sur la santé des travailleurs et des animaux sauvages. Un nouvel effet nocif de faibles doses a été publié en 2007, sur les cellules-souches du système nerveux central.
Cette substance active n’est donc plus autorisée dans la composition de préparations bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché. L’avis paru au Journal officiel du 4 août 2007 retire les autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques contenant du paraquat pour tous les usages agricoles et non agricoles, sans délai d’écoulement des stocks que ce soit pour la distribution ou l’utilisation des stocks existants.
Chronologie relative à l’utilisation du paraquat et à la législation relative à cette molécule
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iii. Des enjeux sanitaires et environnementaux moindres que ceux du chlordécone
Les enjeux sanitaires et environnementaux de l’utilisation du paraquat sont bien moindres que ceux du chlordécone.
Cette substance active est très soluble dans l’eau et peu soluble dans les graisses. Aussi, son potentiel de bioaccumulation dans la chaîne alimentaire est limité.
Lors de son audition, M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation (DGAL) a considéré que « le paraquat ne pose pas les mêmes difficultés que le chlordécone en termes de contamination environnementale. Cela a notamment été confirmé par un avis rendu en 2008 par l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) » ([32]).
L’AFSSA avait été saisie, le 10 septembre 2007, d’une demande d’avis sur l’impact potentiel de la présence du paraquat dans les sols et la chaîne alimentaire et des risques qu’il ferait encourir pour la santé en Guadeloupe et en Martinique. Cet avis a été rendu le 2 juillet 2008 ([33]).
En conclusion de l’ensemble de son étude, l’AFSSA estimait que l’évaluation ne met pas en évidence de risque inacceptable pour les consommateurs. Compte tenu de l’absence de risque de migration du paraquat vers les végétaux cultivés sur des sols éventuellement contaminés, des études complémentaires, notamment des mesures dans les denrées végétales et animales, n’apparaissent pas nécessaires.
Concernant l’impact sur l’environnement, dans la mesure où le paraquat n’est plus autorisé, des mesures dans les sols, afin de caractériser son éventuel potentiel d’accumulation dans ceux-ci, n’apparaissent plus utiles à ce jour.
C’est pourquoi, la commission d’enquête a concentré ses travaux sur l’usage et l’exposition au chlordécone.
e. Panorama supposé de l’usage du chlordécone dans le monde
Le rapport de l’OPESCT précité essaie, de façon « hélas incomplète », de répertorier les différents usages du chlordécone dans le monde ([34]).
Le rapport estime à 1 800 tonnes les quantités produites aux États-Unis et au Brésil.
Pour M. Henri Vannière, ancien chercheur du CIRAD « l’usage massif de chlordécone commence, dans les années 1960, dans la partie anglophone du Cameroun. [...] La partie anglophone était plus en contact avec l’Amérique centrale et les compagnies fruitières américaines qu’avec les instituts français de recherche. L’usage du chlordécone part de l’Amérique centrale. Le charançon n’y pose pas un gros problème mais la molécule est connue. Introduite au Cameroun, elle apparaît comme un produit miracle du point de vue agronomique. Dès les années 1966 et 1968, le traitement est généralisé sur de vastes superficies au Cameroun bien avant qu’on ne pense à l’utiliser aux Antilles. Ce qu’on appelait alors Kepone est fourni directement depuis les États‑Unis. Des plaquettes publicitaires américaines sont éditées par la société Allied Chemical, qui ne fournira pas les Antilles » ([35]).
En se fondant sur plusieurs études réalisées après la fermeture de l’usine d’Hopewell aux États-Unis, différents points permettent d’estimer la quantité de chlordécone déversée dans ce pays. En effet, on constate que :
– entre « 7,5 tonnes et 45 tonnes ont été déversées dans l’estuaire de la James River » ([36]) ;
– « la quantité de chlordécone encore associée aux sédiments de l’estuaire » est estimée entre « 10 à 30 tonnes ».
Cependant, les quantités ici précisées ne permettent pas de savoir si le chlordécone a été utilisé aux États-Unis. Les quantités peuvent correspondre à des déchets de production d’Hopewell, ou à l’élimination sauvage de stocks après l’interdiction de 1976.
Selon un rapport de l’Union européenne ([37]), entre 12 et 70 tonnes auraient été utilisées afin de lutter contre les fourmis et les termites.
De très grandes quantités de chlordécone ont été exportées vers l’Europe, et particulièrement vers l’Allemagne. La molécule était utilisée Outre-Rhin par la société Spieß und Sohn afin de fabriquer le Kelevan, produit servant à lutter contre le doryphore et le ver taupin de la pomme de terre. Il a également été commercialisé sous le nom de Despirol. Il s’agit d’un composé mêlant le chlordécone à l’éthyl-lévulinique ([38]). Une fois épandu, le Kelevan met entre trois et quatre semaines à se dégrader sous forme de chlordécone. En effet, d’après M. Hervé Macarie, microbiologiste à l’Institut de recherche et de développement (IRD) de Marseille (IMBE), spécialiste de la bioremédiation, « on sait que, quand on épand du Kelevan sur le sol, la liaison entre la chlordécone et l’acide éthyl-lévulinique se casse très rapidement. Le Kelevan devient de la chlordécone, l’acide éthyl-lévulinique étant lui biodégradable sans problème. Reste le chlordécone ... » ([39]).
Interdit en 1980 en République fédérale d’Allemagne et en 1983 en République démocratique allemande, le Kelevan « ne fait l’objet d’aucun plan de contrôle ni au niveau fédéral ni à celui des Länder ». Cependant, le Land de Basse-Saxe a détecté le chlordécone dans les eaux de surface, et « à une échelle dix fois supérieure dans les eaux souterraines » ([40]), du fait du caractère hydrophobe de la molécule. Il a également été « détecté, mais non quantifié […] dans les anguilles et dans les perches blanches » ([41]).
Le rapport de l’OPECST précise également que « curieusement, le laboratoire concerné n’effectue aucune analyse de sol, ni de végétaux alors que l’on sait que les espèces poussant dans la terre, comme la pomme de terre, très cultivée dans ce Land, sont prioritairement contaminées. ».
Aucune trace concrète d’un quelconque usage européen du chlordécone ou du Kelevan hors de l’Allemagne n’a été retrouvée à ce jour. Cependant, il n’est pas exclu que le produit ait été exporté et donc utilisé dans différents pays. La 2ème note d’étape concernant la mise en œuvre de l’action 40 du Plan Chlordécone 2008-2010, publié par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail (AFSSET) ([42]), donne une liste des pays qui auraient, potentiellement, fait usage de produits composés de chlordécone :
– en Espagne, « la commercialisation du mirex et du chlordécone est interdite depuis 1986. Le chlordécone a été utilisé dans l’industrie jusqu’en 1965 » ;
– en Pologne, en Russie, au Royaume-Uni et en Ukraine, l’utilisation du chlordécone est interdite, mais « aucune donnée sur des utilisations antérieures n’a pu être recueillie ([43]) ;
– en Suède, « le chlordécone est interdit […] depuis 1978 » et n’a « jamais été utilisé de façon importante ([44]) » ;
– en République tchèque, en Hongrie et en Slovaquie, des produits à base de Kelevan ont été enregistrés et certainement utilisés ([45]).
iii. En Afrique
Les auteurs d’un article paru en avril 1974 dans la revue Fruits ([46]) affirment que le « Kepone » a été employé dans le sud-ouest du Cameroun dès 1967. Le rapport de l’OPECST, quant à lui, affirme que « la société Calliope a exporté une partie de [sa] production au Cameroun et en Côte d’Ivoire (de l’ordre de 400 tonnes de « Curlone » sur 10 ans) » ([47]) après avoir importé la matière première du Brésil en 1981.
Les conditions climatiques étant très largement différentes entre les divers pays dans lesquels la banane était cultivée, l’utilisation des pesticides dans la lutte contre le charançon du bananier varie d’une zone à l’autre.
Si ce dernier était un ravageur bien moins problématique en Amérique Latine, il n’en reste pas moins que le « Kepone » y a été expérimenté et utilisé, du fait du pouvoir des grandes compagnies agro-alimentaires américaines sur la culture bananière.
D’après le rapport de l’OPECST, une série de rapports effectués par des chercheurs de l’Institut de recherche sur les fruits tropicaux et agrumes (IFAC) font état :
– au Panama et au Honduras, d’un usage du « Kepone » dans les plantations d’« United Fruit », mais limité aux plants de bananiers de 6 ans ou plus (1969) ;
– de traitements biannuels des plants de bananes au « Kepone » au Nicaragua (1968-1970) ;
– en Équateur, l’utilisation du produit a été prohibée en novembre 1992.
Enfin, selon M. Luc Multigner, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), « l’usage en fut donc peu répandu : un peu à Porto Rico dans la culture bananière – ainsi que, dit-on sans toutefois produire d’éléments formels, dans divers pays de la Caraïbe, d’Amérique centrale, voire ailleurs... » ([48]).
2. La responsabilité de l’État dans une application accommodante de la législation
Il convient de préciser, en préambule, que le chlordécone, composé organochloré, est le nom donné à la substance active servant à la commercialisation de préparations plus ou moins dosées qui porteront les noms suivants en France :
– le « Kepone » jusqu’en 1980, puis le « Curlone » jusqu’en 1993 qui seront utilisés comme insecticides contre le charançon du bananier. S’agissant du « Kepone », on en trouve plusieurs dénominations commerciales, le « Kepone » issue de la première demande d’homologation de ce produit par la société SOPHA, puis « Kepone 5 % SEPPIC » marque déposée par la société d’exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC) pour éviter tout conflit avec la société précédente et le « Kepone 50 WP » ([49]), spécialité déposée également par la société SEPPIC ;
– le « Musalone » : suite à l’arrêt de la production de la substance active par la firme américaine Allied Chemical après la fermeture de l’usine d’Hopewell en 1975, des lots en provenance d’Amérique latine et centrale auraient été proposés aux coopératives bananières antillaises dans les années 1980. La société SEPPIC a donc exprimé son souhait de « reprendre le contrôle de la situation » et « de proposer un produit de composition parfaitement définie » qui porterait un nouveau nom commercial, le « Musalone », tout en conservant les mêmes caractéristiques chimiques et physiques que le « Kepone 5 % SEPPIC » ([50]). Le « Musalone » bénéficiera d’une autorisation provisoire de vente en 1981 et de son homologation en 1986 ([51]). Dans les faits, il ne semble jamais avoir été commercialisé car, entretemps en 1982, la SEPPIC a transféré sa division agricole à l’établissement Dupont de Nemours. En mai 1988, cette dernière sollicitera le ministère de l’Agriculture pour se voir retirer cette homologation, au motif qu’elle ne l’avait pas sollicitée ([52]) ;
– le « Mirex », le « Kepone G » ([53]) « Kepone P » ([54]) sont quant à eux utilisés pour lutter contre la fourmi manioc.
La direction générale de l’Alimentation et la cellule archives du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation ont retrouvé et communiqué à la Rapporteure :
– les procès-verbaux de la commission d’étude de la toxicité, ou commission des toxiques, de 1968 à 1993, ainsi que de la sous-commission dédiée aux produits antiparasitaires créée à compter de 1975 ;
– les comptes rendus du comité d’homologation des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, et de ses groupes de travail, de 1968 à 1984 ; cependant, les comptes rendus de la période allant de 1985 à 1993 n’ont pas été retrouvés, que ce soit aux Archives nationales, dans les archives du ministère de l’Agriculture, dans celles du ministère du développement durable ou celles de l’INRA ;
– des dossiers d’instruction des demandes d’homologation ou d’autorisation des différentes spécialités à base de chlordécone et des dossiers biologiques ou toxicologiques transmis à l’appui des demandes ;
– des dossiers d’instruction relatifs aux deux prolongations de l’autorisation d’utilisation du Curlone en 1992 et 1993.
a. Une toxicité et une rémanence du produit connues dès 1969
i. Les premières demandes de 1968 et leurs suites
Cette première période est marquée par un nombre conséquent de demandes d’homologation de la part de la société SEPPIC qui sollicite de façon pressante le ministère de l’Agriculture de l’époque par l’intermédiaire de son service de protection des végétaux.
Les premiers refus d’homologation sont motivés par des conditions formelles non réunies. Toutefois à partir de la fin décembre 1968, le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole commence à constater la dangerosité de cette nouvelle spécialité. Dans sa décision du 29 novembre 1969 le comité la décrit comme « un nouveau composé organochloré toxique et persistant. », ce qui motive son refus de mise sur le marché. Ainsi, la Rapporteure tient à souligner que la toxicité sur le court et long terme, la rémanence ainsi que les conséquences sur l’environnement du chlordécone étaient donc connues dès 1969.
Chronologie
D’après les documents fournis par le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, le premier dossier de demande d’homologation remonte au 10 janvier 1968 : il s’agit d’une requête déposée par la société SOPHA pour une spécialité commerciale dénommée « Kepone ». Le 9 mai 1968, la société SEPPIC dépose, à son tour, une demande d’homologation pour le produit « Kepone ».
Le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole examine le 27 juin 1968 une liste de nouvelles matières actives dont le chlordécone, le dossier est jugé incomplet, « constitué d’un résumé de trois pages non signé ». Son examen est par conséquence ajourné.
En août 1968, la demande d’homologation est modifiée par la société SEPPIC en ce qui concerne la dénomination de sa spécialité commerciale qui sera désignée désormais comme « Kepone 5 % SEPPIC », afin de ne pas créer de confusion avec la demande de la société SOPHA.
En octobre 1968, la demande d’homologation de la SEPPIC est mise en étude au motif qu’il s’agit d’une demande d’une nouvelle spécialité qui doit être au préalable soumise à l’examen du comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole.
Le 19 décembre 1968, ce comité juge son composé proche de l’heptachlore, en faisant un organochloré toxique, et relève notamment son accumulation dans les graisses lors d’essais chez les rats. Le dossier est encore jugé sommaire par manque de références. « Il s’agit d’un composé organo-chloré dont la toxicité se rapproche de celle de l’heptachlore. […] Lors des essais de toxicité à long terme sur rats, on a observé une augmentation du poids relatif du foie et des reins chez les femelles ayant reçu 1ppm du chlordécone dans le régime. D’autres effets de toxicité se manifestent à partir de 10 ppm. Il y a une forte accumulation de régime. D’autres effets de toxicité se manifestent à partir de 10 ppm. Il y a une forte accumulation de produit dans les graisses. » ([55]).
Le 19 mars 1969, la société SEPPIC redépose une demande d’homologation pour le « Kepone 5 % SEPPIC » avec pour caractéristique physique une poudre pour poudrage et un dosage de 30 grammes par pied ([56]).
Le 29 novembre 1969, ce dossier fait l’objet, à nouveau, d’un examen par le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole. Sa dangerosité est documentée : la toxicité aiguë du produit est moyennement élevée, en revanche sa toxicité à court terme et long terme fait apparaître des effets cumulatifs nets avec un stockage dans les graisses considérable. « La toxicité à court terme et à long terme fait apparaître des effets cumulatifs nets. Sur rats, un régime de 50 ppm a provoqué la mort de tous les animaux au bout de six mois. L’intoxication se traduit principalement par des effets au niveau du foie et des reins. Le stockage dans les graisses est considérable ». Par ailleurs, le comité soulève le risque de contamination du milieu environnemental : selon ses termes « On pose ici le problème de l’introduction d’un nouveau composé organochloré toxique et persistant. » ([57]).
Le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole propose le rejet du « Kepone 5 % SEPPIC » ainsi que du « Mirex » et son inscription au tableau A (produit toxique). Le 5 décembre 1969, le Comité refuse l’homologation du « Kepone », « Kepone 5 % SEPPIC » et du « Kepone 50 WP ».
ii. La révision du tableau des organochlorés en 1971
L’année 1971 marque un tournant. Le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole se réunit pour réviser le texte relatif aux inscriptions aux tableaux des organochlorés et c’est ainsi que le 29 janvier 1971, le Kepone est rétrogradé dans le tableau C, en tant que produit dangereux, et ne figure donc plus dans le tableau A, comme produit toxique. Cette modification ouvre dès lors la voie aux autorisations de vente successives et à la mise sur le marché du « Kepone 5 % SEPPIC » ([58]).
Chronologie
Le 3 avril 1971, un dossier concernant un appât contenant 27 mg de chlordécone, pour lutter contre les fourmis, reçoit un avis favorable du comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole, au motif que le Kepone a été classé dans le tableau C.
Au vu de cette décision, le 10 novembre 1971, la SEPPIC redépose une demande d’homologation pour le « Kepone 5 % SEPPIC ». Son état physique est composé d’une poudre mouillable, ce qui diffère de sa demande de 1969 ; le dosage, soit 30 grammes par pied, reste similaire ([59]).
Le 30 novembre 1971, le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole étudie à nouveau le cas du chlordécone. Dans son rapport, il précise une nouvelle fois que, « Le dossier fourni étant constitué d’un résumé de trois pages non signé, la Commission décide d’ajourner l’examen de ce produit » ([60]).
b. Une procédure dérogatoire privilégiée
En février 1972 se produit le retournement de l’avis du comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole, qui accorde une autorisation provisoire de vente d’une année au « Kepone 5 % SEPPIC ».
La Rapporteure tient à souligner le choix qui est opéré par les autorités règlementaires du ministère de l’Agriculture de privilégier une procédure dérogatoire dans le processus d’homologation qui figure à l’article 6 de la loi de novembre 1943 ([61]). Cette méthode permet, dans les faits, avant décembre 1972, de bénéficier d’une autorisation sans limitation de durée ([62]) et à partir de décembre 1972, de retarder la décision d’accorder ou de refuser l’homologation pendant six ans ([63]). Cela révèle bien les hésitations, voire les réticences, qu’avaient les services de l’État à l’époque d’autoriser la substance.
Ainsi, dans le cas de cette demande initiée en 1972, la décision finale du comité d’homologation interviendra en 1980, par défaut, puisque la société SEPPIC retira sa demande d’homologation, en raison de l’arrêt de sa production.
Chronologie
Le 1er février 1972, le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole propose d’accorder une autorisation provisoire de vente d’une durée d’un an au « Kepone 5 % SEPPIC », au vu de son efficacité. L’argument avancé est que le dosage de ce produit est moindre que celui de l’HCH, un autre organochloré. Par ailleurs, une distinction est faite entre le chlordécone, substance active qui reste inscrite au tableau A et le Kepone, produit à base de chlordécone, classé au tableau C.
On peut lire que « Ce produit avait déjà été présenté à la Commission en 1968, qui l’avait refoulé à cause de sa grande persistance et de sa forte toxicité chronique. Cependant il apparaît que ce produit serait très intéressant pour le traitement des bananeraies, en remplacement de l’HCH qui s’utilise à dose de 90 kg/ha. Les résidus dans la pulpe de banane ne sont pas décelables. M. Viel, qui présente ce rapport, pense qu’il serait utile d’autoriser ce nouvel organo-chloré pour lutter contre le charançon du bananier, et il propose de classer la poudre à 5 % au tableau C, la matière active étant inscrite au tableau A. Le comité décide d’accorder une autorisation provisoire d’un an dans les conditions proposées par M. Viel, mais désire que de nouveaux contrôles de résidus dans les bananes soient effectués » ([64]) .
L’autorisation de vente est donnée pour une entreprise donnée, en l’occurrence la SEPPIC, et pour un usage spécifique, le traitement du charançon du bananier et selon un mode d’emploi défini, 30 grammes par pied. N’y figure aucune référence à un territoire spécifique.
Lors de son audition ([65]), la société SEPPIC a indiqué qu’elle se fournissait auprès d’Allied Chemical pour la substance active et que son produit le « Kepone 5 % SEPPIC », était ensuite distribué par deux revendeurs, les Établissements Laurent de Laguarigue en Martinique et en Guadeloupe par la société Autour jusqu’en 1980.
Le même jour, plusieurs spécialités à base d’HCH destinées à la lutte contre le charançon du bananier perdent leur homologation. « Au surplus, l’HCH ne présente plus, du point de vue technique, le même intérêt dans la lutte contre le charançon du bananier. Des insecticides, tels que le chlordécone et le pirimiphos ethyl qui font l’objet d’un avis favorable de la part du Comité, peuvent remplacer très avantageusement l’HCH tant sur le plan de l’efficacité que sur le plan de la quantité de produit épandu dans le sol. »
Le 29 février 1972, le comité d’homologation accorde une autorisation provisoire de vente au « Képone 5 % SEPPIC » ; le 2 février 1973, il procède au retrait des spécialités à base de HCH destinés à la lutte contre le charançon du bananier ([66]).
Le 20 juillet 1973, le comité d’étude des produits antiparasitaires à usage agricole demande à la société SEPPIC un résultat du contrôle des résidus du « Kepone 5 % SEPPIC » dans les bananes.
Le 3 avril 1974, la demande d’homologation du « Kepone 5 % SEPPIC » est maintenue à l’étude.
Le 21 mai 1974 le comité d’homologation accorde une autorisation provisoire de vente pour le « Kepone 5 % SEPPIC » ([67]).
Le 21 juillet 1975 la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole toxiques effectue une relance auprès de SEPPIC pour demander des résultats complets et chiffrés concernant l’efficacité de cette spécialité qui n’ont pas été obtenus jusqu’alors.
Le 4 avril 1976, la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole toxiques propose de prolonger l’autorisation provisoire de vente du « Kepone 5 % SEPPIC ». La dose d’emploi est inchangée. Le 31 mai 1976 le comité d’homologation prolonge l’autorisation provisoire de vente ([68]).
Le 7 février 1980, SEPPIC décide de l’arrêt de la commercialisation du « Kepone 5 % SEPPIC », notamment du fait de l’arrêt de la production de chlordécone par Allied Chemical ([69]).
Le 5 mai 1980 le comité d’homologation refuse l’homologation au motif que le demandeur a annulé sa demande ([70]).
En 1981, la société SEPPIC autorise la société des Établissements Laurent de Laguarigue à se prévaloir des résultats techniques relatifs à leur spécialité ([71]).
C’est ainsi que cette société entreprend de commercialiser une spécialité dénommée « Curlone » composé à 5 % de chlordécone et pour ce faire le 8 avril 1981, les Établissements Laurent de Laguarigue déposent une demande d’homologation ([72]).
Le 30 juin 1981, une autorisation provisoire de vente leur est attribuée pour le « Curlone » avec les mêmes doses d’emploi que le Kepone et une même inscription au tableau C ([73]).
Cette décision est largement motivée par les dégâts causés par les cyclones Allen en 1979 et David en 1980. La chute des bananiers a rendu possible la prolifération du charançon et la filière bananière fait pression pour pouvoir continuer à utiliser un produit insecticide.
Selon les informations recueillies par la commission d’enquête, la formulation du produit était assurée par la société Calliope, installée près de Béziers et la synthèse était opérée au Brésil.
En 1982, un arrêté relatif aux conditions de délivrance et d’emploi en agriculture de substances vénéneuses pose une série d’interdictions d’usage du chlordécone et précise « traitement interdit sauf sur bananiers. »
Le 29 octobre 1986, le « Curlone » fait l’objet d’une homologation pour les Établissements Laurent de Laguarigue ([74]).
d. Un retrait total dans le contexte d’une nouvelle législation européenne
En 1991, la directive 91/414 ([75]) du 15 juillet 1991, relative à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, harmonise l’ensemble des règlementations et autorisations des États membres de l’Union Européenne. En conséquence, les États membres ne peuvent autoriser uniquement la mise sur le marché que de produits phytopharmaceutiques composés de substances actives incluses dans l’annexe I de la directive. Ainsi, elle fait perdre aux États membres le choix d’autoriser ou non les substances actives et les privent d’une partie de leurs décisions de mise sur le marché des produits phytosanitaires.
Il est fort probable que, dans la perspective de la mise en place de cette nouvelle législation, les services du ministère de l’Agriculture de l’époque aient été contraintes de se livrer à une mise à jour des homologations délivrées dans les années précédentes, ce qui conduira au réexamen de la spécialité commerciale « Curlone » et à son interdiction en 1990, au vu de sa « relative toxicité ».
Chronologie
Dans sa séance du 22 juin 1989, la sous-commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés rappelle que cette spécialité avait été autorisée sur la demande pressante des groupements bananiers mais qu’au vu de sa persistance et de sa relative toxicité, elle « estime qu’il n’y a pas lieu de maintenir l’autorisation d’un tel produit » ([76]).
Le 7 septembre 1989, la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés se prononce pour l’interdiction du « Curlone », approuvant la proposition de la sous-commission ([77]).
Enfin, lors de la séance du 13 décembre 1989, la sous-commission propose « un délai de deux ans pour écouler les stocks afin de ne pas arrêter brutalement l’emploi du produit ». Elle précise également « [qu’]il existe des produits de remplacement pour la lutte contre les charançons du bananier » ([78]).
La décision de retrait de l’homologation du « Curlone », intervient le 1er février 1990 et est notifiée aux Établissements Laurent de Laguarigue. L’arrêté du 3 juillet 1990 relatif aux conditions de délivrance et d’emploi en agriculture de substances vénéneuses prononce quant à lui l’interdiction d’usage du chlordécone et abroge les dispositions de l’arrêté de 1982 cité ci-dessus.
e. Une prorogation imprudente d’utilisation
La prolongation de l’utilisation du « Curlone » jusqu’en 1993, au-delà des délais légaux d’utilisation des stocks, témoigne, aux yeux de la Rapporteure, d’une gestion défaillante du dossier par le ministère de l’Agriculture. Ces prises de décisions ont largement été motivées par la pression exercée par les acteurs économiques, dont au premier chef les groupements bananiers, qui invoquaient l’argument d’absence de solution opérationnelle alternative pour lutter contre le charançon du bananier.
Chronologie
Conformément à l’article 8 de l’arrêté du 1er décembre 1987 ([79]), la vente du « Curlone » a pu se poursuivre deux ans après le retrait de l’autorisation de vente, soit jusqu’en février 1992.
Néanmoins, son utilisation s’est poursuivie au moins jusqu’en septembre 1993, grâce à deux dérogations. La première est une autorisation du sous-directeur de la protection des végétaux, au nom du ministre de l’Agriculture, datée du 6 mars 1992 autorisant l’usage du « Curlone » à titre dérogatoire jusqu’au 28 février 1993. Le 25 février 1993, de nouveau, le sous-directeur de la protection des végétaux délivre une deuxième dérogation qui permet à l’ensemble des planteurs de bananiers l’usage du reliquat de « Curlone » jusqu’au 30 septembre 1993 ([80]).
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Éric Godard a résumé l’action de l’État ainsi : « L’État a à mon sens commis si ce n’est des imprudences, sinon des fautes, en délivrant cette autorisation qu’il aurait pu, compte tenu de la conjoncture, délivrer pour une durée plus courte, sachant que plusieurs produits de substitution du chlordécone existaient avant même 1993, même si leur efficacité était moindre et que leur utilisation aurait été beaucoup plus contraignante pour les producteurs.
Il a également certainement commis l’erreur de ne pas mesurer les conséquences de l’emploi de cette molécule dont on connaissait le caractère persistant et dont on savait qu’elle pourrait poser des problèmes, tant sur le plan environnemental qu’alimentaire. » ([81]).
La Rapporteure partage entièrement ces propos.
– 1 –
3. La gestion défaillante des stocks après 1993
Bien qu’interdit à partir d’octobre 1993, aucun dispositif spécifique n’a été prévu cette même année pour retirer de la circulation et détruire les stocks non utilisés de « Curlone ». Aucune campagne d’information en ce sens n’a été non plus organisée. Une note de la DAAF (Direction de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt) au directeur de la DIECCTE de Martinique (Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi), datant de novembre 2002 reconnaît d’ailleurs : « il n’existe à ce jour dans les départements d’Outre-mer aucun circuit de collecte et de traitement des déchets EVPP (emballages vides de produits phytosanitaires) et PPNU (produits phytosanitaires non utilisés). Peu de sensibilisation à cette problématique jusqu’à cette année a été conduite. »
Interrogé lors de nos auditions par Mme Hélène Vainqueur-Christophe, députée de la Guadeloupe, sur l’action de l’État pour s’assurer du respect de l’interdiction et de la destruction des stocks de « Curlone », le directeur général de l’alimentation M. Bruno Ferreira a fait part de son absence d’information sur le sujet : « en ce qui concerne les stocks, l’action de contrôle de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques a été constamment renforcée au sein du ministère de l’Agriculture. Je ne dispose cependant pas de chiffres précis sur les forces mobilisées au moment où l’utilisation des stocks est devenue impossible » ([82]). C’est pourtant bien le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation qui est compétent sur ce sujet, le ministère de l’Économie par l’intermédiaire la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’ayant compétence que pour contrôler les importateurs.
L’ancien député de la Martinique M. Guy Lordinot est catégorique en affirmant : « L’État fermait les yeux sur l’utilisation de cette molécule dans les bananeraies, bien après l’interdiction. » ([83]).
Cette question de la commercialisation et donc, de l’utilisation de reliquats de « Curlone », a donné lieu à des rumeurs persistantes qui ont également été rapportées au cours des auditions sur le terrain, en Guadeloupe et en Martinique.
a. Des rumeurs sur une utilisation du chlordécone après l’interdiction de 1993
M. Henri Ernoult, ancien directeur des Établissements Laurent de Laguarigue, a déclaré devant la commission d’enquête qu’en 1993 la société qu’il dirigeait avait vendu l’ensemble de ses stocks ([84]).
Cependant, faute de dispositif relatif à l’élimination des stocks en magasin, chez les exploitants et les particuliers, les rumeurs se sont propagées, jusqu’à être relayées par plusieurs personnes auditionnées par la commission d’enquête lors de son déplacement aux Antilles.
D’après M. Olivier Palcy, président de l’Organisation patriotique des agriculteurs de Martinique (OPAM), il y aurait eu, après 1993, des ventes et même une production de produits à base de chlordécone : « Selon de nombreux témoignages, le produit a continué à être commercialisé dans des points de vente appartenant au principal distributeur, qui n’ont pas une vocation à vendre des produits phytosanitaires, notamment des magasins de bricolage. La petite combine consistait à accueillir des agriculteurs qui demandaient encore le produit, peut-être n’étant pas au courant qu’il était interdit ou étant au courant qu’il y avait une possibilité de s’en procurer. On leur faisait un simple bon de retrait et ils allaient récupérer leur produit dans l’autre point de vente spécialisé en bricolage. Ce petit manège a duré au moins deux ans. Le produit a continué à être commercialisé en douce jusqu’en 1995 ou 1996, d’après des témoignages. » ([85]).
Il a ensuite précisé le fondement de ces témoignages : « Les informations que je vous donne se fondent sur des témoignages oraux. Aujourd’hui, pas mal de ces personnes-là sont décédées, et je n’ai pas de trace matérielle assurant la véracité de ces choses-là. Mais le système m’a été très clairement expliqué, et je n’étais presque pas étonné. L’explication était simple : en 1993, l’ensemble des stocks n’avait pas été écoulé. D’ailleurs, il me semble qu’il y a eu une campagne de collecte de Curlone au début des années 2000 durant laquelle on avait récupéré 9 tonnes. Il y a des agriculteurs qui en ont conservé chez eux. D’autres les ont enterrés. » ([86]).
M. Juvénal Rémir, président du Comité défense métiers agricoles, la branche martiniquaise du Mouvement de défense des exploitants familiaux (CODEMA-MODEF), confirmé cette rumeur en ces termes : « [Après 1993] on disait que le sac coûtait 1 000 francs. Je sais que tout n’a pas été récupéré, que des planteurs n’ont pas tout rapporté. » ([87]).
ii. En Guadeloupe
D’après M. Joël Beaugendre ([88]), ancien député de la Guadeloupe et auteur du premier rapport parlementaire sur le chlordécone en 2005 précité, auditionné par la commission d’enquête le 18 septembre 2019 :
« En 2005 en Guadeloupe, nous avons constaté qu’il y avait du chlordécone utilisé sur des habitations.
Nous avons demandé, au niveau de la DAAF, de mettre au niveau des agriculteurs, des conteneurs, sans qu’il y ait de poursuites pour les agriculteurs.
Nous avions également eu une dénonciation du jardin d’Essai, où on nous disait qu’il y avait du chlordécone enterré. Nous avions demandé par écrit de fouiller. Nous n’avons jamais eu de réponses.
Nous avons également trouvé du chlordécone dans des hangars. » ([89]).
M. Bruno Ferreira a confirmé, non pas la présence de stocks, mais l’existence d’une rumeur en ces termes : « la rumeur selon laquelle des stocks auraient été enfouis m’est parvenue par les services locaux des deux îles. Aucune information n’a cependant pu être obtenue quant à̀ sa véracité́ et quant aux lieux de cet éventuel enfouissement » ([90]).
b. Quelques saisies de « Curlone » après 1993
Il n’en reste pas moins que les contrôles opérés par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les pièces transmises à la commission d’enquête démontrent de manière irréfutable la commercialisation de reliquats de stocks de « Curlone », après son interdiction en 1993, par des circuits organisés de magasins de jardinage.
Ainsi, la DGCCRF a été à l’origine de plusieurs procédures administratives ([91]) :
– un procès-verbal du 28 juillet 1994 fait état de la saisie de 94 sacs de 25 kilogrammes de Curlone, soit 2,35 tonnes de produit auprès de la SARL guadeloupéenne Agrisol ([92]) ([93]).
Ce même procès-verbal de saisie indique que la société Agrisol se fournit auprès d’une autre société dénommée Phyto-Center et que depuis septembre 1993 il a reçu 440 sacs de « Curlone ». De plus, dans le procès-verbal de déclaration du 3 août 1994 du directeur administratif d’Agrisol, il est précisé que cette société Phyto-Center est le correspondant de la société martiniquaise Joseph Cottrell ([94]).
Interrogé ([95]), M. Guy Cottrell, directeur de la société Joseph Cottrell a reconnu avoir vendu en Martinique et en Guadeloupe des reliquats de stocks de « Curlone » achetés en 1991 de l’ordre de 15 à 20 tonnes. Il précise que sa société est une filiale des Établissements Laurent de Laguarigue ([96]).
Ces faits ont été confirmés par M. Éric Eberstein, chef du pôle C de la direction des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (DIECCTE) en Guadeloupe, au cours de son audition lors du déplacement de la commission d’enquête : « Après la période d’interdiction de 1993, des enquêtes ont été effectuées en Guadeloupe pour constater la présence de stocks dissimulés chez des revendeurs qui avaient bien pris connaissance de cette interdiction de commercialisation, mais qui, après cette date-là, ont procédé à des ventes de stocks. Ils pensaient naïvement que cette interdiction ne concernait pas les stocks. Souvent, par le passé, des interdictions avaient été prononcées pour des produits en disant « voilà, on interdit tel produit à l’instant t, mais vous pouvez continuer à les utiliser ». Dans cette affaire de chlordécone, par naïveté ou par facilité, certains opérateurs ont pu penser qu’ils pouvaient écouler librement leurs stocks » ([97]).
La commission d’enquête ne dispose pas des chiffres des ventes de produit pour le début des années 1990 comme c’est le cas aujourd’hui avec la Base nationale des ventes des distributeurs (BNV-D). Cependant, ainsi qu’il ressort des procès-verbaux dressés lors de la saisie de la DGCCRF en 1994, à l’approche de l’échéance de l’interdiction, les planteurs de bananes ont constitué des stocks pour l’avenir, a fortiori compte tenu de leur discours consistant à plaider contre l’interdiction en l’absence d’alternative efficace.
En outre, des procédures ont été transmises à l’autorité judiciaire par la DGCCRF :
– une procédure contentieuse à l’encontre de deux entreprises « SA Laguarigue » et « SARL Agrisol-export ». À ce sujet, Mme Beaumeunier a expliqué les faits : « Nous avons, à l’époque, transmis un certain nombre de procès-verbaux contre un vendeur importateur et les principaux acheteurs du produit – qui avaient donc importé et acheté du chlordécone après le 30 septembre 1993, date de son interdiction définitive. Initialement, le parquet n’a poursuivi que l’importateur mais, en 2002, le juge a rendu une ordonnance de non-lieu puisque nombre de faits étaient prescrits. » Il s’agissait de « l’entreprise Cottrell SA de Laguarigue. En fait, il y a deux noms, mais je pense qu’il s’agit d’une seule entreprise, installée en Martinique. » ([98]) ;
– neuf procès-verbaux à l’encontre des planteurs qui avaient continué à utiliser le Curlone après son interdiction en 1993.
D’autres saisies ont permis de récupérer :
– en 1995, 80 kilogrammes supplémentaires de ce produit, saisis sur renseignement du Service de la protection des végétaux ;
– en 2002, onze sacs de Curlone stockés dans des hangars abandonnés avec six tonnes d’Hexaflor saisis par les services aux fins de destruction.
Il faudra attendre 2002 pour qu’une campagne organisée de récupération des stocks soit organisée par les préfectures.
En effet, en 1999, la constatation par la Direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS) de la présence de chlordécone dans les eaux de captage et les eaux en bouteille a conduit la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIECTTE) de la Guadeloupe à rechercher d’éventuels stocks de chlordécone. C’est ce qu’a expliqué M. Eberstein. « Cela a été un constat grave. Nous nous sommes mis en devoir de rechercher s’il existait encore des stocks de chlordécone en 2000.
« Une campagne de récupération des stocks a donc été réalisée en 2002, et des stocks importants de chlordécone ont été à nouveau retirés. Cela ne veut pas dire que ces stocks avaient été commercialisés après 1994, mais ils avaient été gardés par différents intervenants, dans des conditions plus ou moins acceptables. Ces stocks étaient mis sous des hangars, laissant les choses se faire. Mais vous savez très bien qu’en matière de contamination, si les stocks n’étaient pas préservés des eaux de pluie et de ruissellement, il pouvait y avoir des conséquences fâcheuses. Cette intervention a eu lieu en 2002, relayée par des articles de presse. Des prestataires avaient été retenus pour procéder à la destruction de ces stocks importants de chlordécone. On peut considérer qu’à la fin de l’année 2002, les stocks avaient été retirés définitivement de la Guadeloupe. » ([99]).
Ces opérations conduites de mai à juin 2002 ont permis de récupérer 9,5 tonnes de produit en Martinique (soit 363 sacs de 20 à 25 kg) auprès de la SICABAM et de 0,5 tonne (soit 21 sacs de 25 kg) détenus par le GIPAM. En Guadeloupe, 12 tonnes ont été rapportées. La société Adivalor sera chargée de l’élimination de ces stocks ; le coût de l’opération avait été évalué à 29 000 euros hors taxes pour les stocks martiniquais.
Depuis ces dates, la DGCCRF n’a pas eu connaissance de la présence d’autres stocks.
Enfin, nombre de personnes auditionnées ont évoqué le cas de la saisie de 1,2 tonne de patates douces contaminées en 2002. Le procès-verbal de cette saisie, transmis par la DGCCRF à la commission d’enquête et daté du 11 septembre 2002, mentionne 54 colis de 23 kilogrammes en provenance de la Martinique arrivés au port de Dunkerque le 23 août 2002.
La directrice générale de la DGCCRF, Mme Beaumeunier, a précisé les faits : « En 2002, notre service de Martinique a signalé qu’une cargaison de patates douces susceptible d’être contaminée arrivait à Dunkerque. La direction de Martinique a prévenu les collègues du Nord, et les services du Nord sont intervenus au moment de l’importation. Nous avons refait des analyses qui confirmaient qu’effectivement, les seuils étaient dépassés. Il n’y a pas eu de procédure puisque le responsable de l’entreprise concernée a pris l’initiative de détruire le lot. Les patates douces dont le niveau de contamination était supérieur à la LMR [limite maximale de résidus] ont été détruites. » ([100]).
De fait, neuf ans après l’interdiction du chlordécone, il est fort probable que cette fraude n’est pas due à un usage de « Curlone » sur les plantations de patates douces mais vraisemblablement le résultat de la contamination des sols, ce que confirme Mme Beaumeunier : « si les sols sont contaminés, le chlordécone que nous avons retrouvé dans les patates douces est probablement dû à une contamination par les sols. Ce n’est pas forcément parce que du chlordécone aurait été utilisé. » ([101]).
B. Un désastre écologique, sanitaire et économique
1. Une pollution durable et généralisée
a. Un « polluant organique très persistant » dans l’environnement
« Là où tu l’as mis, il est » avait coutume de dire M. Yves-Marie Cabidoche ([102]), propos rapportés par M. Henri Vannière, ancien chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Décrivant les propriétés de la molécule du chlordécone, ce dernier précisait lors de son audition : « cela ne bouge pas, ne se dégrade pas, ne migre pas, sauf, de façon très marginale, suffisamment pour polluer les nappes phréatiques et sauf que l’érosion peut entraîner des particules de terre et de matières organiques susceptibles de contaminer rivières, littoraux et la chaîne alimentaire de ces littoraux » ([103]).
M. Thierry Woignier, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a résumé devant la commission d’enquête les caractéristiques du chlordécone : « une très faible biodégradabilité – on ne se débarrassera donc pas de cette molécule en attendant qu’elle soit dégradée par l’érosion ou par des micro-bactéries –, une très faible solubilité – elle ne peut être facilement éliminée par l’eau – et une grande affinité pour la matière organique, ce qui explique sa persistance dans les sols vingt-cinq ans après l’arrêt d’utilisation du pesticide. » ([104]).
La question du transfert du chlordécone dans l’environnement a été étudiée par de nombreux organismes comme le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique (CIRAD), l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema), et, plus récemment, par l’Agence française pour la biodiversité (AFB). De ce fait, les études disponibles sont nombreuses. Pourtant force est de constater que la cartographie des conséquences environnementales du chlordécone demeure très partielle.
Les caractéristiques de cette molécule ont en effet pour conséquence de contaminer les sols et les eaux à grande échelle.
La teneur en chlordécone d’un sol dépend des pratiques passées (application de chlordécone), des pratiques actuelles (labour, pour les sols agricoles) et du type de sol. Le rôle des formations géologiques est en effet important pour le transfert du chlordécone. Les sols dont la teneur en matière organique est élevée retiennent le chlordécone qui, par lui-même est peu mobile. Ce sont les eaux de percolation qui ensuite le dissipent.
Pour M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’INRA, les « caractéristiques très particulières des sols antillais [...] favorisent la rétention de la molécule » ([105]). Le chlordécone a en effet été épandu sur des sols volcaniques riches en argiles, comportant une forte teneur en carbone organique qui « fixe » aisément le chlordécone.
Selon M. Thierry Woignier « trois types de sols ont été contaminés en Martinique : les andosols situés dans le nord, près de la montagne Pelée, les ferralsols et nitisols, plus au sud et plus anciens. Les taux de concentration des andosols sont deux à cinq fois plus élevés que ceux des autres types de sols, mais les taux de transfert y sont paradoxalement moins importants. » Cela a d’ailleurs des conséquences en termes de dépollution pour l’extraction des molécules dans les andosols ([106]). M. Woignier observe ainsi que « les sols les plus pollués sont les moins polluants.» ([107]).
La dégradation de la molécule étant très faible, le seul facteur de dissipation est son lent lessivage par les eaux de drainage, ce qui ne fait que déplacer le problème. Pour les nitisols, il faut, selon M. Yves-Marie Cabidoche et Mme Magali Jannoyer ([108]), entre quelques décennies et un siècle pour parvenir à une dépollution des sols par lessivage. Pour les andosols, jusqu’à six siècles pour aboutir à la limite de quantification.
Si 95 % de la contamination se retrouve sur dix centimètres de profondeur en bananeraies pérennes ([109]), M. Henri Vannière explique ([110]) que le chlordécone se déplace essentiellement à la verticale et beaucoup moins latéralement : « le front de pollution progresse dans le profil de sol (verticalement). Cette progression est lente (l’essentiel de la chlordécone reste dans les 30 premiers cm, mais réelle puisque les sols peuvent être contaminés à plus d’un mètre), ce qui augmente le volume de traitement de sol et complexifie la remédiation. Les transferts latéraux d’une parcelle à l’autre via l’érosion sont limités aux épisodes cycloniques (ces transferts restent a priori minoritaires) ».
Pour autant, il est difficile de connaître le taux de dégradation naturelle du chlordécone et donc son évolution, car les prélèvements ne sont pas répétés sur une même parcelle, ce que regrette M. Pierre Loic Saaidi, maître de conférences à l’université d’Évry : « À mes yeux, ce qui manque aujourd’hui et ce qui a manqué, c’est qu’aucune parcelle n’a été suivie dans le temps, ce qui aurait pu montrer cette dégradation naturelle du chlordécone. » ([111]).
La Direction générale de l’alimentation (DGAL) a ainsi indiqué qu’il n’existait pas d’éléments permettant de connaître l’évolution des taux de pollution dans les sols, car l’objectif des prélèvements est avant tout de constituer une cartographie.
En outre, deux analyses à des endroits proches d’une même parcelle peuvent donner des résultats différents ... C’est ainsi ce qu’a relevé M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) : « lors de ma visite d’un jardin JAFA en Guadeloupe la semaine passée, l’association m’a expliqué que deux carottages pratiqués à 50 centimètres de distance pouvaient donner des valeurs très différentes, et qu’un carottage testé deux fois pouvait donner des valeurs différentes à 50 % ! » ([112]).
ii. Dans les eaux
En Guadeloupe, l’Office de l’eau assure un suivi des eaux côtières, des cours d’eaux, des eaux souterraines et des plans d’eaux depuis 2009. La directrice des milieux aquatiques à l’Office de l’eau de la Guadeloupe Mme Isabelle Nasso est catégorique : « Depuis 2009, le chlordécone est le produit phytosanitaire le plus retrouvé dans les cours d’eau chaque année. Nous n’avons pas fait le suivi en profondeur car nous considérons qu’il nous manque des informations en termes de débit pour pouvoir faire des comparaisons interannuelles et intrannuelles fiables » ([113]).
En réponse à une question du président de la commission d’enquête sur la contamination des sources en Guadeloupe en comparaison de la Martinique où 90 % des sources seraient polluées, M. Nicolas Rougier, directeur adjoint Transports – Risques – Ressources naturelles de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL Guadeloupe) a expliqué que le changement de réglementation avait eu un effet sur la détection de la pollution « jusqu’à 2016, le seuil de la norme de qualité environnementale pour l’eau était de 0,5 µg/L. Un arrêté en 2015, suite aux préconisations de l’INERIS, a abaissé ce seuil à 5×10–6 µg/L. On a divisé le seuil par 20 000. Avant 2016, six rivières étaient positives à la chlordécone par rapport à ce seuil. Maintenant, avec le nouvel état des lieux pour le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), on en a beaucoup plus puisque le seuil a été abaissé. Il faut savoir aussi que le seuil de détection de la chlordécone des appareils est de 0,01 µg/L. Quand vous avez un résultat négatif, on peut ne pas détecter la chlordécone alors qu’on dépasse le seuil réglementaire. En ce sens, des rivières sont classées inconnues : on ne peut pas exclure le fait qu’on est au-dessus du seuil réglementaire. La réglementation a fixé un seuil que la technique n’est pas capable de détecter. » ([114])
Mme Nathalie Dörfliger, directrice du programme scientifique concernant les eaux souterraines au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a expliqué que le BRGM avait étudié le temps de résidence du chlordécone pour travailler sur les transferts « on a vu qu’il peut y avoir des contaminations plus importantes dans les eaux souterraines que dans celles de surface, ce qui peut avoir des conséquences sur le cycle de l’eau et sur ce que l’on retrouve en aval. Il y a des échanges entre les eaux de surface et les eaux souterraines, ces dernières alimentant les cours d’eaux, notamment en période d’étiage – quand il n’y a plus du tout de ruissellement lié aux précipitations, pendant des périodes allant de 20 à 80 jours selon les bassins versants, ce qui peut représenter entre 50 et 90 % du total des cours d’eaux. Cela explique que l’on puisse trouver dans certains endroits, situés en aval des bassins versants, de l’eau qui a transité par le sous-sol et qui a transporté du chlordécone ou des produits dérivés, comme le chlordécone 5 b-hydro.
« Les temps de transfert et de résidence peuvent aller de quelques années à plusieurs décennies. Il peut exister un stock de chlordécone important de pollution dans le sol. On a effectué des mesures sur les 30 premiers centimètres, mais il peut y avoir des paléosols et un transfert dans les eaux souterraines. On observe une contamination des sols en surface et en profondeur, avec un transport par les eaux d’infiltration et une concentration plus élevée dans les eaux souterraines. Il y a évidemment des variations en fonction des cycles hydrologiques. » ([115]).
Le schéma suivant résume ces transferts sol – eau.
Le chlordécone dans le bassin versant ([116])
Source : CIRAD- Campus agro-environnemental Caraïbe (CAEC).
En réponse aux questions de la commission d’enquête, l’INRA a présenté le projet ChlEauTerre ([117]) mené dans le cadre du Plan Chlordécone III (2014-2020) qui a pour objectif d’améliorer la cartographie des bassins versants à risque de contamination par le chlordécone de la Guadeloupe continentale. Partant du constat, en 2014, que l’étude systématique au niveau de chaque parcelle cultivée était irréaliste, le projet a entrepris une analyse des eaux de surface. La démarche du projet repose sur le fait que « si une eau de surface est contaminée, c’est qu’il existe une zone terrestre qui la contamine en amont ». Il faut noter que ce projet concernait tous les produits phytopharmaceutiques ([118]).
495 analyses de chlordécone et dérivés ont été réalisées dans les eaux, complétées ensuite par 36 analyses de terre. Une cartographie de la contamination a ensuite été réalisée :
– en Basse-Terre, le chlordécone a été retrouvé dans 36 % des analyses effectuées, avec des concentrations variables (0,01 à 42,9 μg/L). De plus, sur l’ensemble des 110 bassins versants analysés, 39 % ont été identifiés comme rejetant en mer des eaux contaminées.
– en Grande-Terre, quelques points de contamination ont été détectés (5 sur 198 prélèvements) mais avec des taux relativement faibles.
Cette activité des bassins versants se répercute sur les eaux marines.
M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), a rappelé en préambule de son audition que la contamination des sols dont on parle beaucoup « a pour corollaire la contamination des zones marines, du fait des déversements qui se produisent lors des tempêtes, des inondations ou d’autres variations climatiques saisonnières » ([119]).
Il a ensuite expliqué que la variabilité spatiale de la contamination s’expliquait par plusieurs facteurs : « la dynamique océanique [...] avec l’intensité variable des courants. Cette dynamique est aussi régie par les phénomènes météorologiques, dont certains se produisent sur des échelles de temps très courtes : une tempête, par exemple, peut transporter des contaminants du continent vers l’océan. À cet égard, il faut évoquer également l’influence de l’activité des bassins versants – je pense en particulier aux conséquences des pratiques agricoles [...]. Ces pratiques elles-mêmes ne sont pas identiques dans l’ensemble de l’île, ce qui participe à la variabilité de la contamination. » ([120]).
L’alerte sur les eaux débute en 1999, « basculement » qu’explique M. Emmanuel Berthier, directeur général des Outre-mer : « on constate une pollution massive des eaux, à la suite d’un changement de laboratoire, les analyses ayant été transmises à un laboratoire de la Drôme qui avait une capacité de recherche dix fois supérieure. » ([121]).
Concernant les zones maritimes contaminées, M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) a précisé simplement « [qu’] à la Martinique, nous avons ainsi identifié deux zones beaucoup plus contaminées que les autres : la partie située dans la zone atlantique et la baie de Fort-de-France. À la Guadeloupe, il s’agit du littoral de Basse-Terre et de la bordure de Grand Cul-de-Sac Marin. » ([122]).
L’étude CHLOHAL « Consolidation des connaissances sur la contamination de la faune halieutique par la chlordécone autour de la Martinique et de la Guadeloupe » ([123]) de l’IFREMER de 2015 donne une cartographie de la contamination au chlordécone dans le milieu marin.
Zones de prélèvements en Martinique (à gauche) et en Guadeloupe (à droite)
En vert : zones du groupe 1 associées à des produits contenant de faibles teneurs en chlordécone.
En orange : zones du groupe 2 associées à des produits dont les teneurs en chlordécone sont variables.
En rouge : zones du groupe 3 associées à des produits dont les teneurs en chlordécone peuvent être élevées.
b. Une rémanence qui diffuse le chlordécone dans les produits alimentaires agricoles et animaux
i. Des taux de transfert très hétérogènes ...
La contamination du sol est sans commune mesure avec la contamination végétale, notamment les racines et les bulbes. Plus le sol est pollué, plus le végétal risque d’être contaminé.
Pour autant, toutes les cultures n’ont pas la même sensibilité au chlordécone, et certains types de végétaux peuvent être produits sans risque de contamination. M. Yves-Marie Cabidoche et Mme Magalie Janoyer expliquent dans leur publication de 2011 précitée que les plantes sont contaminées par deux phénomènes : le contact avec le sol pollué et la diffusion passive ([124]).
Le CIRAD travaille précisément sur l’accumulation passive de chlordécone dans les plantes : la contamination des cultures dépend de la capacité des racines à extraire et transférer une fraction de chlordécone, via le flux de sève, dans les tissus de la plante.
Il en résulte que tous les fruits et légumes ne sont pas contaminés avec la même ampleur. La contamination de l’organe (légume ou fruit) dépend de sa position dans le flux de sève, de sa taille et de l’interposition de tissus végétaux qui ont le temps de filtrer le chlordécone avant de l’atteindre.
D’après le CIRAD et la DGAL, on distingue trois types de cultures : les cultures très sensibles au chlordécone, les cultures intermédiaires et les cultures peu sensibles à la molécule ([125]). En revanche, comme le souligne M. Henri Vannière : « La banane, à l’origine de la pollution, est une des rares cultures qui ne pose pas de problèmes » ([126]) :
– les cultures à la sensibilité faible : cette catégorie concerne toutes les cultures pérennes (arbres et arbustes fruitiers), la banane et l’ananas et la majorité des cultures maraîchères (christophines palissées, tomates, aubergines, gombos, haricots verts, piments). Seules les cives, les laitues et la majorité des cucurbitacées ont un comportement différent. Le CIRAD et la DGAL ne recommandent pas de restrictions de mises en culture ;
– les cultures à la sensibilité moyenne : cette catégorie regroupe la grande majorité des cucurbitacées (concombre, giraumont, courgette, pastèque, à l’exception de la christophine palissée), la laitue et les autres salades. Les choses sont plus complexes pour l’oignon de pays ou la cive : le bulbe est sensible mais pas les feuilles. Pour la canne à sucre, le bas de la tige est beaucoup plus contaminé que le haut mais sur la canne entière la contamination est faible. Elles sont à éviter sur sol pollué au-delà de 1 mg/kg de chlordécone sur sol sec ;
– les cultures très sensibles sont les racines et les tubercules : patates douces, ignames, dachine (madère), carotte, navet, radis et tous les autres légumes racines y compris les épices comme le gingembre et le curcuma. Il convient, selon le CIRAD et la DGAL, d’éviter ces cultures sur sol pollué au‑delà de 0,1 mg/kg de chlordécone sur sol sec.
ii. Une contamination possible des animaux d’élevage
Les animaux élevés pour leur viande (volailles, bovins, porcs) et leurs œufs peuvent être contaminés par le chlordécone s’ils sont élevés sur un sol pollué ou nourris avec des aliments contaminés. Ces animaux se contaminent par ingestion de végétaux contaminés ou par abreuvement à des points d’eaux souillés mais surtout par ingestion directe de terre polluée en recherchant de la nourriture au sol. En effet, la molécule de chlordécone a une forte affinité pour la matière organique, et ne s’évapore pas dans l’air. Le sol est donc une source majeure de contamination, dans le sens où les animaux d’élevage ingèrent des quantités importantes de sol et de fourrage. Lors du colloque scientifique d’octobre 2018, M. Mahieu, chercheur à l’INRA, assurait que le sol apportait directement « entre 20 et 75 % de l’exposition totale ». L’ingestion de sol varie selon la quantité de fourrage disponible. En effet, moins il y a de fourrage, plus les ruminants doivent brouter près du sol, augmentant mécaniquement la quantité de sol ingérée. Ainsi, le sol représente entre 2 % et 10 % de la matière sèche totale ingérée selon la quantité de fourrage disponible.
Le chlordécone met entre 24 heures et 48 heures à se distribuer dans l’organisme des ruminants contaminés. Il s’installe majoritairement dans le foie, mais également dans les muscles et les tissus gras. Le taux de chlordécone chez ces animaux dépend de la concentration en chlordécone des aliments consommés et de la durée de l’exposition. Cependant, la contamination ne semble pas être corrélée au polluant, ou au type d’alimentation.
M. Jean-Pierre Cravedi, chef du département adjoint « alimentation humaine » à l’institut national de la recherche agronomique (INRA) a en effet expliqué que « la contamination provient de la consommation directe du sol et non de la consommation de denrées végétales. En broutant, les bovins consomment une partie du sol contaminé. Les fourrages interviennent dans une bien moindre mesure que la consommation directe de sol. » ([127]).
Pour le directeur général de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, M. Bruno Ferreira, « la question se pose essentiellement pour les ruminants, pour lesquels des concentrations importantes ont été détectées – notamment sur les bovins. [...] S’agissant des productions de volailles ou de porcs destinées à la vente, le problème se pose d’une manière moins prégnante puisque les élevages sont essentiellement hors sol. » ([128]). Or, comme le rappelle M. Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur des politiques publiques au sein de la direction générale des Outre-mer (DGOM), « les élevages hors-sol ne sont pas touchés par cette contamination » ([129]).
iii. Une contamination des espèces marines
La pollution des eaux douces par le chlordécone contamine les espèces sauvages et d’élevage de crustacés. La molécule affecte par exemple les populations de crevettes avec un mécanisme d’action de type perturbateur endocrinien.
M. Roger Genet, directeur général de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), a confirmé que « les transferts sédimentaires dans les estuaires et dans les rivières sont nombreux et contaminent crustacés et poissons. » Les espèces benthiques ([130]) et les crustacés « se trouvent en bout de chaîne, donc accumulent la chlordécone, et vivent dans les zones estuariennes où se déversent les rus, les petites rivières. L’ensemble des côtes de Martinique et de Guadeloupe, compte tenu du régime tropical, sont concernées. » ([131]).
Mme Isabelle Nasso, directrice des milieux aquatiques à l’Office de l’eau de Guadeloupe a affirmé lors de son audition aux Antilles que c’était, comparativement aux sédiments, sur le biote (poissons et crustacés) qu’ils retrouvaient le plus de chlordécone. « Même si on retrouve la chlordécone à l’état de traces dans l’eau, l’imprégnation et la chaîne alimentaire font que les poissons et crustacées vont accumuler des concentrations de chlordécone très importantes. » ([132]) Une concentration maximale de 17 959 mg/kg dans des ouassous a été observée en mars 2013 alors que la norme est de 3 mg/kg.
L’étude CHLOANT 2018-2019 permettra de mieux comprendre le mécanisme de contamination des ressources halieutiques par le chlordécone. M. Emmanuel Thouard, responsable de la délégation de l’IFREMER ([133]) a indiqué que deux voies de contamination des poissons par l’eau sont possibles :
– « par le bain : le poisson est dans l’eau, et par ses branchies, il intègre une partie du chlordécone ;
– « par autoamplification de la concentration » lorsque le chlordécone est intégré dans la chaîne trophique (« le polluant est dans l’eau puis est ingéré par le plancton, qui va être lui-même mangé par les poissons, qui vont être eux-mêmes mangés » décrit-il encore).
La nouveauté de cette étude réside dans le fait qu’elle permettra de connaître la variabilité entre saison sèche et saison humide, et ainsi de démontrer que « la quantité de chlordécone qui arrive en mer est proportionnelle à la quantité d’eau qui passe sur le sol ou dans les nappes phréatiques » selon M. Emmanuel Thouard.
M. Jean-Pierre Cravedi, chef de département adjoint « Alimentation humaine » à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), a rappelé que le chlordécone s’accumule dans différents maillons de la chaîne trophique : « phytoplancton, zooplancton, organismes supérieurs, jusqu’aux poissons du haut de la chaîne qui, comme le thon, sont susceptibles de consommer des animaux déjà contaminés » ([134]). Ce phénomène de bioaccumulation est modéré par l’IFREMER qui a montré que « dans l’écosystème côtier [...] la principale voie d’entrée de la molécule du chlordécone dans les réseaux trophiques était le bain dans une eau contaminée. Cela ne veut pas dire qu’il n’y pas de bioaccumulation dans l’organisme des poissons mais seulement que l’importance de ce phénomène est moindre » ([135]).
M. Patrick Vincent, de l’IFREMER, a ainsi délimité trois groupes d’espèces en fonction du risque de contamination : « les espèces peu contaminées comme certains poissons herbivores ou piscivores pélagiques – thon, marlin, daurade coryphène ; les espèces susceptibles d’être contaminées dans les zones à risques comme des poissons carnivores de rang 1 et 2 – le mérou, par exemple – ou des poissons piscivores côtiers – poisson-lion et tarpon ; les espèces susceptibles de présenter une contamination en dehors des zones à risques, espèces essentiellement carnivores comme le brochet de mer, le vivaneau côtier, la gorette ou la langouste blanche » ([136]).
L’Homme étant au sommet de la chaîne trophique, il est logiquement l’espèce la plus vulnérable à la contamination au chlordécone en fonction de son alimentation.
M. Luc Multigner, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), est revenu en audition sur sa réaction à la lecture du rapport d’Alain Kermarrec en 1980 : « sa lecture m’a laissé pratiquement tétanisé lorsque j’ai découvert le niveau de contamination de la faune sauvage, terrestre, aquatique et volatile par différents produits phytosanitaires de type persistant. La colonne qui correspondait à celle de cette molécule, le chlordécone, dépassait d’un facteur dix, cent, parfois mille, celles des autres pesticides. Lorsqu’Alain Kermarrec me demanda si je pensais que cela pourrait finalement conduire à des problèmes chez l’homme, je me suis dit, qu’étant donné la nature de ces molécules, qui se bio-accumulent dans la chaîne eutrophique, il y avait de fortes chances pour qu’effectivement, tôt ou tard, la population soit concernée » ([137]).
Plus globalement, nombre de personnes auditionnées, dans la logique du plan Ecophyto II +, invitent à s’interroger sur la pression phytosanitaire aux Antilles dans son ensemble, comme n’a pas manqué de le relever M. Jean-Pierre Cravedi, chef de département adjoint « alimentation humaine » à l’institut national de la recherche agronomique (INRA) « Pour avoir une vision plus intégrée, je manquerais de logique si j’invitais à nous intéresser au chlordécone uniquement [...]. La question politique porte vraiment sur les impacts sur la santé et environnementaux de la pression phytosanitaire aux Antilles. » ([138]).
2. Un facteur de risque pour la santé
a. Une toxicité du chlordécone connue depuis Hopewell
Les premières données toxicologiques du chlordécone datent du début des années 1960 et ont été rapportées dans le dossier d’autorisation et d’enregistrement comme pesticide aux États-Unis ([139]). Elles soulignaient que l’administration par voie orale de la molécule à des rats de laboratoire provoquait des troubles neurologiques caractérisés par des tremblements des membres, une atrophie testiculaire et des lésions hépatiques tumorales.
Chez l’Homme, la toxicité aiguë du chlordécone a été mise en évidence suite à l’exposition, des employés de l’usine produisant la molécule à Hopewell en Virginie ([140]). La survenue et la sévérité des troubles ont été corrélées positivement à la concentration plasmatique en chlordécone, permettant ainsi d’établir un seuil pour la manifestation d’un signe ou d’un symptôme clinique de l’ordre de 1 mg par litre de sang.
Ces troubles se sont révélés en grande partie réversibles après l’arrêt de l’exposition, et la diminution des concentrations de chlordécone dans le sang a été constatée. Dans ces circonstances, la demi-vie du chlordécone dans le sang a été estimée entre 120 et 160 jours ([141]).
Par la suite, des études de cancérogenèse chez l’animal de laboratoire ont conduit à son classement, en 1979, comme « cancérogène possible pour l’homme » (groupe 2B) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé ([142]). En réponse à une demande du Professeur Norbert Ifrah, président de l’Institut national du Cancer, la directrice générale du CIRC a mis en chantier un réexamen de la dangerosité de cette substance : « Elle m’a répondu il y a quelques semaines que cela entrait dans la liste des missions acceptées mais avec une low priority, c’est-à-dire qu’il ne faut pas s’attendre à ce que cela soit fait dans les deux ans. Je ne peux que la solliciter : c’est le Centre international de recherche sur le cancer, émanation de l’Organisation mondiale de la santé, qui décide. ». Ce réexamen pourrait potentiellement aboutir à un reclassement du chlordécone comme « cancérogène probable » ([143]) (groupe 2A).
« Le potentiel cancérogène de la molécule était établi, depuis fort longtemps. On sait également, depuis le milieu des années 1970, que cette molécule a des propriétés hormonales, qui en font un perturbateur endocrinien. Il s’agit essentiellement, du cancer de la prostate et du cancer du sein », a déclaré M. Luc Multigner devant la commission d’enquête ([144]).
Subsiste néanmoins un biais fondamental, les scientifiques ne sont pas en mesure de déterminer le niveau d’exposition qui pourrait avoir un impact sur la santé : « La méthodologie employée pour caractériser le risque consiste à comparer le niveau d’exposition à un seuil toxicologique. Pour ce qui est du chlordécone, il est calculé en fonction des données de l’expérimentation animale dont nous disposons. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’études suffisamment solides pour établir le lien de cause à effet entre un niveau d’exposition et son effet sur la santé et proposer une courbe dose/réponse. » ([145]).
Ainsi, en l’absence de valeur d’imprégnation critique établie, il n’est pas possible d’estimer un risque sanitaire sur la base de ces données d’imprégnation. Nous savons donc que le chlordécone possède des caractéristiques nuisibles à la santé humaine, notamment en matière de cancérogénèse, mais il est aujourd’hui impossible d’établir à partir de quel taux la molécule devient susceptible de créer un risque sanitaire pour l’humain.
b. Une imprégnation des populations par l’alimentation
La persistance de la molécule dans l’environnement a conduit à une contamination des eaux, de la mer et des sols et donc par extension s’est retrouvée dans la chaîne alimentaire.
La voie orale constitue en effet la principale voie de pénétration du chlordécone qui se distribue dans l’ensemble de l’organisme et s’accumule préférentiellement dans le foie.
Du fait de sa faible volatilité, la molécule peut difficilement s’ingérer par voie aérienne.
C’est pourquoi, en 2003 et en 2004, des études transversales dirigées par l’Institut national de veille sanitaire (InVs) ont été menées afin d’estimer l’exposition indirecte, via l’alimentation, de la population à la molécule : étude sur la santé et les comportements alimentaires (ESCAL) en Martinique ([146]) et étude sur les comportements alimentaires dans le sud Basse-Terre (CALBAS) en Guadeloupe ([147]). Par la suite, les enquêtes dites « Reso » (résidus d’organochlorés) ont été effectuées entre 2005 et 2007 en Guadeloupe et en Martinique afin de les affiner et de mesurer le niveau de contamination d’échantillons d’aliments. M. Jacques Rosine, responsable de la délégation de Santé publique France aux Antilles, a souligné lors de son audition que : « c’est sur la base de ces différentes études et avec l’appui de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) que nous avons pu établir les premières valeurs toxicologiques de référence » ([148]).
En 2018, l’étude Kannari ([149]) a montré que plus de 90 % de la population présente du chlordécone dans son sang (95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais), mais de manière contrastée : 5 % des participants ont une imprégnation au moins dix fois plus élevée que l’imprégnation moyenne ([150]). Le chlordécone a également été retrouvé dans le lait maternel, mais à des concentrations bien moins élevées qu’attendu en tenant compte de son caractère hydrophobe.
Si depuis 2003, on observe une diminution de l’imprégnation par le chlordécone pour la majorité de la population, le niveau des sujets les plus exposés ne diminue pas.
Le volet 1 de l’étude Kannari a permis de cerner plus précisément ces populations :
– les consommateurs de poissons d’eau douce et de la mer issus de la pêche en amateur et des circuits informels ;
– les consommateurs de volailles et d’œufs issus d’élevages domestiques en zone contaminée ;
– les consommateurs de légumes racines et tubercules issus des jardins familiaux en zone contaminée, qui dépassent la recommandation de consommation maximale de ces aliments de deux fois par semaine.
Les niveaux d’imprégnation de la population sont comparables entre les deux îles. Ils sont notamment déterminés par l’exposition alimentaire mais aussi par le lieu de résidence. Par ailleurs, le fait de résider dans des zones contaminées par le chlordécone est associé à des imprégnations plus élevées.
c. Une augmentation du risque de survenue du cancer de la prostate
Aux Antilles françaises, le cancer de la prostate est la pathologie tumorale la plus fréquente. Son incidence – de l’ordre de 163 à 193 cas pour 100 000 personnes – et sa mortalité – 25 à 27 cas pour 100 000 personnes – sont pratiquement deux fois plus élevées qu’en France hexagonale – 97 à 99 cas et 10 à 11 décès par an pour 100 000 personnes. Ces chiffres sont équivalents à d’autres résultats d’études épidémiologiques réalisées sur des populations d’origine ou d’ascendance africaine hors des Antilles. ([151]).
C’est ce que confirme M. Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer (INCa), « L’incidence est plus forte en Guadeloupe et en Martinique qu’en France hexagonale, mais elle n’est pas différente de celle qui est observée dans les populations issues d’Afrique de l’Ouest dites afro-américaines aux États-Unis, afro-caribéennes et africaines résidant aux États-Unis. […] D’après ces comparaisons, les zones du monde où l’incidence est la plus forte sont le Michigan, la Géorgie, l’État de New York et le Delaware. Ensuite seulement vient la Martinique, avec un taux toujours très élevé » ([152]).
Pour autant, une première étude cas-témoins, Karuprostate, réalisée en population générale en Guadeloupe, a montré une association significative entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue d’un cancer de la prostate.
M. Luc Multigner, auteur de cette étude, a ainsi montré lors de la publication de ses résultats en 2010 « un lien d’ordre statistique entre l’exposition au chlordécone et un surrisque de cancer de la prostate. Pour en simplifier, les hommes, dont l’exposition au chlordécone a été estimée par la mesure de la concentration de chlordécone dans le sang, présentaient plus de risques d’avoir un cancer de la prostate que ceux qui avaient moins de chlordécone dans le sang » ([153]). Un risque significativement augmenté de survenue de la maladie apparait lorsque les concentrations sanguines en chlordécone dépassent 1 μg/L. Une analyse complémentaire publiée en 2015 a montré que cette association n’est pas modifiée par la prise en compte d’autres polluants persistants tels que le DDE (principal métabolite du DDT) et les polychlorobiphényles.
Cependant, le risque n’apparaît pas distribué de manière homogène. Il est significativement augmenté, pour la classe la plus élevée d’exposition, parmi ceux ayant déclaré des antécédents familiaux au premier degré (père, frères) de cancer de la prostate ou parmi ceux ayant résidé temporairement (plus d’un an) dans un pays occidental/industrialisé avant la survenue de la maladie.
Une deuxième étude, publiée en 2019, de type cohorte prospective, Karuprostate II, consistant à suivre au cours du temps des patients présentant au diagnostic une forme localisée de cancer de la prostate et traités par ablation de la prostate a montré que l’exposition au chlordécone (estimée avant l’intervention chirurgicale) est associée à un risque significativement augmenté de récidive biochimique.
En 2013, l’expertise collective de l’Inserm Pesticides : effets sur la santé ([154]) a ainsi estimé comme « forte » la présomption d’un lien entre l’exposition au chlordécone et la survenue du cancer de la prostate.
Cependant, la part des cancers de la prostate attribuable à l’exposition au chlordécone fait encore l’objet de recherche.
Selon Mme Mounia El Yamani, préfiguratrice adjointe au directeur de Santé Publique France, « s’agissant d’une surincidence des cancers en lien avec une potentielle exposition au chlordécone, nous avons conduit depuis le début des années 2000 des études épidémiologiques. Dans le nord de la Martinique, par exemple, nous avons recherché le nombre de cancers – prostate et autres – dans une zone d’habitation donnée. Cette étude, qui pourrait être renouvelée dans le cadre de la nouvelle feuille de route, ne montre pas de surincidence des cancers de la prostate par rapport à la zone géographique. En revanche, elle a établi une surincidence des myélomes jusqu’à il y a une dizaine d’années environ, sans pouvoir établir de lien de causalité » ([155]).
Selon M. Gilles Bloch, président-directeur général de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’étude Karuprostate « ne met pas au jour une surincidence ou une surmortalité de l’ordre de un à deux ou de un à cinq. C’est quelque chose d’assez faible » ([156]).
En prenant en compte l’incidence des cancers sur les populations d’origine africaine, M. Luc Multigner estime de manière schématique, que « sur cinq cents nouveaux cas annuels de cancer de la prostate en Guadeloupe et autant en Martinique, vingt-cinq, trente, quarante seraient imputables au chlordécone. Ce qui signifie, car il y a plusieurs lectures possible, que quatre-cent-soixante au moins n’ont rien à voir avec le chlordécone. Mais, bien évidemment, quarante, c’est quarante de trop ! » ([157]).
Une nouvelle étude est en cours de mise en place (Cohorte KP-Caraïbes). Il s’agira de suivre au cours du temps des cas incidents de cancer de la prostate avec comme objectif de caractériser les déterminants environnementaux, cliniques et génétiques d’évolution (récidive, métastases.) et des complications (urinaires, sexuelles…) de la maladie en fonction des options et parcours thérapeutiques.
Selon le directeur général de la santé, « l’étude de cohorte KP-Caraïbes établit en permanence l’incidence des cancers de la prostate. Elle est de 163 cas pour 100 000 en Guadeloupe, 161 pour 100 000 en Martinique. C’est plus qu’en Hexagone, mais moins que lors de la période précédente. L’incidence du cancer de la prostate diminue donc aux Antilles. […] puisqu’elle est passée de 182 pour 100 000 durant la période 2005-2009 à 161 pour 100 000. » ([158]).
L’ensemble des personnes auditionnées ont fait valoir que contrairement à d’autres cas de cancer, il n’a pas été trouvé de marqueur permettant d’attribuer un cas de cancer de la prostate à l’exposition au chlordécone ([159]). Il n’est donc pas possible, par exemple, de comparer le facteur de risque liant chlordécone et cancer de la prostate, à d’autres facteurs de causalité comme ceux liant tabagisme et cancer du poumon ou encore amiante et cancers broncho-pulmonaires. En effet, dans ces deux derniers exemples, la recherche scientifique est parvenue à déterminer de manière précise les cas de pathologie ou la part attribuable à l’exposition sur l’incidence de la maladie, ce qui n’est pas le cas pour l’exposition au chlordécone dans les cas de cancer de la prostate.
Des recherches scientifiques et épidémiologiques doivent donc être mises en œuvre pour approfondir les connaissances en ce domaine.
d. Des effets prouvés sur le déroulement de la grossesse et le développement cognitif de l’enfant
La cohorte mère-enfant Ti-Moun a été mise en place en Guadeloupe par l’Inserm pour étudier l’impact des expositions au chlordécone sur le déroulement et les pathologies associées à la grossesse ainsi que sur le développement pré et postnatal des enfants. De 2004 à 2007, 1 068 femmes ont été incluses au cours de leur 3ème trimestre de grossesse. L’exposition maternelle au chlordécone a été estimée par son dosage dans le sang prélevé à l’occasion de l’accouchement.
Aucune association n’a été retrouvée entre l’exposition maternelle au chlordécone et le risque de survenue de diabète gestationnel ou de pré-éclampsie. En revanche, une association inverse a été observée avec le risque d’hypertension gestationnelle.
L’exposition maternelle au chlordécone a été retrouvée significativement associée et de manière positive à un risque accru de prématurité (accouchement avant la 37ème semaine d’aménorrhée) ainsi qu’à une réduction de la durée de la grossesse.
Les enfants nés de la cohorte Ti-Moun ont fait l’objet d’un suivi longitudinal jusqu’à l’âge de sept ans et qui se poursuit actuellement à l’âge péri‑pubertaire.
À l’âge de sept mois, l’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée de manière significative à une réduction du score de préférence visuelle pour la nouveauté ainsi qu’à un plus faible score sur l’échelle du développement de la motricité fine. À l’âge de 18 mois, l’exposition prénatale au chlordécone a été retrouvée associée de manière significative à une réduction du score sur l’échelle du développement de la motricité fine, essentiellement chez les enfants de sexe masculin. Courant 2018, sera mis en place le suivi des enfants à l’âge péri‑pubertaire (onze à quatorze ans).
e. D’autres sur-risques soupçonnés mais infirmés par la recherche
D’autres hypothèses de surrisques se sont révélées non avérées, notamment en matière de malformations congénitales : « Nous allons très prochainement publier un article sur le risque de malformations congénitales. Il y a quelques années, beaucoup de bruits ont circulé à ce propos. Pourtant, nous n’observons pas de surrisques de malformations congénitales, y compris de malformations de l’appareil reproducteur masculin. Il n’y a pas non plus de surrisques, en lien avec le diabète gestationnel ou l’hypertension gestationnelle, qui sont des problèmes fréquents chez la femme enceinte et ont une prévalence importante aux Antilles, en tenant compte de l’hypertension et du diabète en général.
« Une autre publication, sous presse, porte sur certains aspects du neuro-comportement des enfants à l’âge de sept ans. Elle montre que l’on n’observe pas de lien avec le chlordécone. Je pourrais en citer d’autres. » ([160]).
En ce qui concerne la fertilité masculine, une étude Matphyto-DOM a été réalisée par Santé Publique France parmi des travailleurs salariés du secteur agricole de la banane et salariés de secteurs non agricoles : « Dans le cadre du Plan Chlordécone II, à l’issue d’une étude de faisabilité, la cohorte de l’ensemble des travailleurs de la banane ayant exercé entre 1973 et 1993, période d’utilisation du pesticide, a été reconstituée. Près de 14 800 personnes ont été retrouvées à ce jour. » ([161]).
Quand bien même les travailleurs du secteur agricole bananier présentaient des concentrations plus élevées en chlordécone dans le sang que les travailleurs de secteurs non agricoles, aucune différence significative n’a été observée entre eux pour ce qui concerne les caractéristiques du sperme et le délai nécessaire à concevoir leur dernier enfant. De plus, et indépendamment du secteur d’emploi, aucune corrélation significative n’a été observée entre les concentrations en chlordécone dans le sang et les caractéristiques du sperme. Ces résultats ne sont pas surprenants tenant compte du niveau d’exposition au chlordécone constaté (valeur médiane de 5 μg/L, valeur maximale de 104 μg/L), bien en dessous du seuil (~ 1 000 μg/L) à partir duquel des atteintes des caractéristiques du sperme ont été observées chez les ouvriers de l’usine de fabrication du chlordécone à Hopewell (États-Unis) au milieu des années 1970. Par ailleurs, quand bien même les participants eussent été fortement exposés dans le passé (la plupart des salariés du secteur bananier participant à cette étude ont été en contact professionnel avec le chlordécone avant 1993), la réversibilité des atteintes spermatiques après arrêt de l’exposition pourrait expliquer l’absence d’associations au moment de la réalisation de cette étude.
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Le tableau ci-après résume les principales associations observées en lien avec les expositions environnementales au chlordécone.
Pathologies étudiées et modes d’actions susceptibles d’expliquer
les principales associations observées
en lien avec les expositions environnementales au chlordécone
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Source : Luc Multigner et al. « Chlordécone : un perturbateur endocrinien emblématique affectant les Antilles françaises », Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire, 3 juillet 2018 http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2018/22-23/2018_22-23_4.html
Considérant l’ensemble des éléments développés ci-dessus, la Rapporteure tient à souligner le manque de connaissances et d’études scientifiques sur les risques sanitaires induits par le chlordécone, notamment en ce qui concerne le cancer de la prostate. En effet, si un lien entre la molécule et l’incidence de cette pathologie est scientifiquement avéré, il est aujourd’hui impossible de déterminer sa part attribuable dans la survenue de la maladie. Par ailleurs, bien que les autorités aient fixées des limites maximales de résidus (LMR) et des valeurs toxicologiques de référence (VTR), il n’existe aucune certitude sur le taux de chlordécone au-dessus duquel des risques sur la santé sont encourus. Il reste par conséquent urgent d’approfondir la recherche scientifique dans ce domaine ([162]).
3. Des filières économiques locales en danger
À la question de Mme Claire Guion-Firmin, députée de Saint-Martin, « quelles sont les conséquences économiques de la fin de l’utilisation du chlordécone ? » M. José Maurice, président de la fédération régionale de défense contre les organismes nuisibles (FREDON) répondait : « Il n’y a pas eu vraiment de conséquences. Quand on a découvert les patates douces à Dunkerque, on n’utilisait plus ce produit depuis longtemps. On a donc eu une crise à retardement » ([163]).
Les derniers mots de cette audition menée en Martinique sont révélateurs de la faiblesse criante de l’évaluation des conséquences économiques de la contamination des Antilles au chlordécone.
Or, dans un contexte ultra-marin où le taux de chômage est élevé, l’agriculture, pourvoyeuse d’emplois, joue un rôle important. Selon l’Observatoire des économies agricoles d’Outre-mer dans sa synthèse des travaux 2018, un hectare de SAU dans les DOM emploie plus de travailleurs et produit plus de valeur qu’un hectare de surface agricole utile (SAU) en Hexagone. Selon le rapport du Sénat sur l’agriculture Outre-mer (2013), « L’agriculture représente [dans les DOM], en termes de poids économique et d’emplois, le double de ce que représente ce secteur en Hexagone. »
a. Un impact économique non évalué
L’arrêt de la commercialisation du « Kepone » n’a pas eu l’impact économique désastreux sur la filière bananière attendu par les professionnels puisque des solutions de substitution ont rapidement été trouvées.
En revanche, la prise de conscience progressive de la contamination persistante des eaux et des sols par le chlordécone a inévitablement provoqué des conséquences économiques négatives sur les filières agricoles de la Guadeloupe et de la Martinique.
M. Bernard Sinitambirivoutin, président de l’interprofession guadeloupéenne des fruits, des légumes et de l’horticulture (IGUALFLHOR), résume ainsi la situation « il y a une perte de confiance des consommateurs, une incertitude posée en permanence, et qui altère l’évolution de notre activité » ([164]). Son secteur des fruits et légumes est très affecté par la pollution au chlordécone puisque ces productions y sont très sensibles ([165]) : « à Basse-Terre, nous avons une agriculture maraîchère, vivrière, et nous nous retrouvons dans une situation où beaucoup d’exploitants agricoles n’ont pas eu de solution pour pouvoir faire face à cette catastrophe majeure. Il n’y en a pas eu deux comme ça dans l’Histoire. Les mesures mises en place jusqu’à présent, à mon sens, ont été largement insuffisantes » ajoute-t-il. N’hésitant pas à parler de « catastrophe économique » il prend alors un exemple : « un agriculteur qui fait une agriculture vivrière à Basse-Terre n’a que très peu d’alternatives. Très souvent, cet agriculteur a disparu. Ses terres agricoles sont passées en friches. Alors que s’il y avait eu des mesures d’accompagnement, pour lui permettre d’aller vers d’autres types d’assolement, de systèmes de productions, d’autres cultures, cela permettrait d’avoir plus d’espoir pour l’avenir, pour nos filières. ».
Aujourd’hui, l’agriculture antillaise repose sur environ 9 500 exploitations (6 469 en Guadeloupe et 3 026 en Martinique en 2017). Leur nombre est en diminution continue : – 20,26 % en Guadeloupe et – 10,23 % en Martinique entre 2010 et 2017. La pression foncière entraîne une accélération de la déprise agricole, qu’il convient toutefois de relativiser, puisqu’elle est commune à l’ensemble du territoire national.
Néanmoins, l’organisation de l’agriculture de la Guadeloupe et de la Martinique diffère de celle de l’Hexagone, puisque deux tiers des exploitations aux Antilles sont de petite taille économique, contre moins d’un tiers dans l’Hexagone.
Les exploitations guadeloupéennes s’établissent sur 4,6 hectares en moyenne, tandis que les exploitations martiniquaises s’établissent sur 7,3 hectares. Mais des exploitations de tailles variées de moins d’un hectare à plus d’une centaine cohabitent sur le même territoire. Les moyennes et grandes exploitations (production brute standard supérieure ou égale à 25 000 euros) concentrent un peu moins des 9/10èmes du potentiel économique global de l’ensemble des exploitations de ces départements ; elles mettent en valeur les 2/3 des surfaces cultivées et occupent les 3/5e de la force de travail.
Les années 2000 ont été marquées par une concentration de l’activité : le nombre de producteurs passe de 1 200 en 2000 à 600 en 2018. Ils sont à la tête d’exploitations de 14 hectares en moyenne, mais la Martinique se démarque cependant par un taux plus élevé de grandes exploitations, avec plus de 15 % des producteurs qui détiennent plus de 80 % de la sole bananière.
Cependant et comme en Hexagone, on assiste en Guadeloupe en en Martinique à une diminution de la SAU : – 14 000 hectares depuis 2010. En conséquence, la richesse produite a diminué de 6 %, ainsi que le nombre de travailleurs (3 500 unités de travail annuel ([166])).Y a-t-il une part attribuable à la pollution au chlordécone ?
Les chambres d’agriculture ont confirmé à la commission d’enquête qu’aucune étude d’impacts n’avait jamais été diligentée pour évaluer les conséquences de la pollution au chlordécone.
La Rapporteure déplore que les impacts du chlordécone sur les filières agricoles n’aient jamais fait l’objet d’une évaluation, entretenant dès lors le manque de connaissances, et l’impossibilité de mettre en place des actions suffisamment efficaces pour soutenir les acteurs économiques.
Pour M. Hervé Deperrois, directeur de l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer (ODEADOM), « il y a eu aux Antilles une baisse notable de la SAU, mais il n’est pas évident de savoir ce qui est lié au chlordécone et ce qui s’explique par d’autres raisons, par exemple la politique d’urbanisme. Nous avons pour notre part constaté une baisse du nombre d’agriculteurs mais, là encore, il n’est pas évident de savoir si cela est lié au fait qu’ils n’arrivaient plus à écouler leur production parce que leurs terres étaient polluées. » ([167]).
Les conséquences de la pollution au chlordécone sur la pêche ont été mieux quantifiées et prises en compte car des arrêtés d’interdiction de pêche en zone fluviale et maritime dans certaines baies sont régulièrement pris. C’est ce que décrivait Mme Mirella Méraut représentante du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de la Martinique : « Depuis le 30 novembre 2012, nous avons eu un arrêté pêche sur la baie de Fort-de-France, qui stipulait que la pêche était interdite depuis le Fort Saint-Louis jusqu’à la Baie Rouge, au niveau de l’hôtel Méridien, commune des Trois-Îlets. Cela n’a pas été anodin : plus d’une centaine de marins pêcheurs se sont retrouvés à l’arrêt, puisqu’ils exploitaient la baie de Fort-de-France, plus précisément ceux qui faisaient des casiers et des filets. Se reconvertir dans la pêche au large n’est pas si simple, puisqu’il faut retourner à l’école de formation maritime, faire des formations adéquates et avoir des bateaux de plus grande capacité pour faire de la pêche DCP. Il y a eu une psychose pendant un an et demi, où les poissons ne se vendaient pas, sur l’ensemble de l’île. [...] En 2012, il y avait 1 180 marins pêcheurs embarqués. En 2017, c’est tombé à 771. Et je suis sûre que si on demande aux affaires maritimes, en 2019, le nombre de marins pêcheurs, nous sommes autour de 500, parce que la situation devient critique. » ([168]).
M. Arnaud Le Mentec, directeur adjoint de la mer de Guadeloupe s’est montré plus mesuré sur les causes du déclin : « on est passé de 1 500 à 1 000 pêcheurs en une dizaine d’années. La pêche a beaucoup changé ! La pêche guadeloupéenne a aujourd’hui des problèmes de ressources. Limiter au chlordécone la baisse de production de la pêche guadeloupéenne serait très réducteur. En particulier, la ressource côtière a diminué » ([169]).
Il n’en reste pas moins que les marchés de la pêche de la Guadeloupe et de la Martinique bénéficient d’une forte demande, ces deux territoires faisant partie des plus gros consommateurs de ressources pélagiques au monde. Et pourtant, aujourd’hui, 75 à 80 % du poisson consommé est issu des importations de pays tiers.
b. Un équilibre à trouver entre une agriculture exportatrice et l’autosuffisance alimentaire
La solidité économique de la filière bananière est sans commune mesure avec celle des petites exploitations de culture vivrière, alors même que ces dernières sont pourtant les plus sensibles à la pollution au chlordécone, ce qui contribue à renforcer la dichotomie entre les deux catégories de filières. Le comble est, comme l’a rappelé M. Henri Vannière, que « la banane, à l’origine de la pollution, est une des rares cultures qui ne pose pas de problèmes » ([170]).
Mme Laurence Grassart, cheffe du service Grandes cultures de l’ODEADOM, résumait d’ailleurs que « pour les grandes cultures, à savoir la banane, la canne à sucre et le rhum, elles travaillent essentiellement pour l’export. [...] Ce sont des filières qui sont très structurées et très suivies. Par ailleurs, ces cultures sont considérées comme peu sensibles au chlordécone. On ne retrouve pas de chlordécone dans les productions de rhum, par exemple, ni dans le sucre : même si la canne à sucre peut être un peu sensible au chlordécone, dans le produit final qui est consommé, il n’y a pas de résidus de chlordécone – à ma connaissance. Il en est de même pour la banane. »
c. Un frein supplémentaire à l’autosuffisance alimentaire
Le chlordécone constitue un frein supplémentaire à l’indépendance et à la diversification alimentaire de la Guadeloupe et de la Martinique, qui restent marquées par une importation importante en provenance de pays tiers et de l’Hexagone, induisant dès lors un coût de la vie élevé.
Les populations guadeloupéenne et martiniquaise ont décru de respectivement 0,2 % et 0,6 % entre 2007 et 2017. Pour autant, l’autosuffisance alimentaire des Antilles s’est détériorée du fait de la diminution plus rapide de leur production agricole non exportée (respectivement 6 % pour la Guadeloupe et 11 % pour la Martinique).
La Rapporteure estime que, si aucune évaluation des impacts du chlordécone sur les filières agricoles n’a été réalisée pour confirmer la corrélation entre les difficultés de la Guadeloupe et de la Martinique à atteindre l’autosuffisance alimentaire, plusieurs éléments viennent tout de même conforter cette thèse.
Ainsi, le taux de couverture des besoins alimentaires ([171]) aux Antilles est passé de 62 % en 2010 à 55 % en 2017 en ce qui concerne les légumes, de 16 % à 14 % en viandes et de 4 % à 2 % en lait livré aux laiteries ([172]).
Or ces productions sont les plus sensibles au chlordécone en zones contaminées. Ce sont en outre les petits producteurs qui n’ont pas intégré les filières organisées qui en pâtissent.
On sait, notamment depuis les États généraux de l’Alimentation organisés en 2017, « combien est important le fait d’avoir des circuits de proximité pour les consommateurs et le fait qu’on ne soit pas obligé de tout importer et de consommer des produits surgelés, dont l’origine est parfois mal connue. Dans ce contexte, l’offre locale est un garant de qualité et d’équilibre alimentaire pour le consommateur » ([173]).
Si les actions en faveur d’une offre alimentaire diversifiée sont soutenues et garanties par l’exigence de qualité sanitaire, le dispositif du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) n’est pas spécifiquement orienté vers les conséquences de la pollution au chlordécone.
Les mêmes problématiques d’autosuffisance touchent les approvisionnements en poissons et crustacés, d’autant que les Antillais sont de gros consommateurs de produits halieutiques : 35 kilogrammes de poisson par an et par habitant en Guadeloupe d’après M. Le Mentec, directeur adjoint de la mer en Guadeloupe. Sur cette quantité, il a révélé que 75 à 80 % du poisson consommé était importé.
Ainsi, ces conséquences dramatiques sur les filières agricoles et marines ne sont toujours pas appréhendées dans leur ensemble, malgré l’ambition affichée par les collectivités de Guadeloupe et de Martinique, ainsi que le Gouvernement, de tendre rapidement vers l’autosuffisance alimentaire dans les Outre-mer
C. la responsabilité de l’État dans la prise de conscience tardive de la pollution et de ses CONSÉQUENCES
À partir du moment où il apparaît que le chlordécone pose un enjeu sanitaire et environnemental, de multiples alertes auraient dû conduire à un réexamen de son emploi généralisé aux Antilles. Cependant, face aux enjeux économiques de la fin de l’utilisation d’un produit phytosanitaire considéré comme « un produit miracle », le maintien de la production bananière a trop souvent pris le pas sur la sauvegarde de la santé publique et de l’environnement.
Auditionnées par la commission d’enquête, les ministres, ont repris les propos tenus par Président de la République en Martinique en septembre 2018 ([174]), appelant l’État à prendre sa part de responsabilité dans cette pollution pour avancer sur le chemin des réparations et des projets. Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des solidarités, a affirmé : « L’État doit prendre sa part de responsabilité. Je le dis devant vous aujourd’hui, devant les Guadeloupéens et les Martiniquais qui nous écoutent. Vous n’êtes pas seuls. Vous ne vous battez pas seuls. C’est un fléau et c’est bien l’ensemble de l’État qui est mobilisé à vos côtés, et je pense pouvoir le dire sincèrement, mobilisé comme jamais. » ([175]). Quant à Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer, elle a considéré : « La responsabilité de l’État est aujourd’hui reconnue et engagée. » ([176]).
Entre 1975 et 1992, de multiples alertes auraient dû conduire les autorités réglementaires françaises à réexaminer l’autorisation donnée pour l’utilisation du chlordécone.
Dans les faits, elles ont été largement ignorées.
a. Le scandale d’Hopewell en 1975
Depuis 1966, le chlordécone utilisé par SEPPIC était fourni par la société américaine Allied Chemical, détentrice du brevet. La molécule était produite par Allied Chemical puis par son sous-traitant ad hoc, Life Science Products dans des sites de production situés à Hopewell en Virginie.
La production de Kepone aux États-Unis et le scandale d’Hopewell
Dès 1952, la société Allied Chemical obtient un brevet concernant la molécule de chlordécone. À partir de 1958, une spécialité commerciale dénommée « Kepone » composée à 5 % de chlordécone est distribuée aux États-Unis comme fongicide et insecticide par la société Dupont de Nemours, la synthèse étant assurée par la société Allied Chemicals.
À partir de 1966, Allied Chemical produit le Kepone sur son site de production de Hopewell, en Virginie. Du fait d’une demande croissante, elle décide de confier la production à un sous-traitant créé pour cette tâche, Life Science Products (LSP), et installé sur un site voisin.
Sur un total de 1 650 tonnes produites aux États-Unis sur la période allant de 1951 à 1975 dans différents sites de production situés dans le Deleware puis en Pennsylvanie, 733 tonnes ont été produites par Allied Chemical à Hopewell entre 1968 et mars 1974 et 769 tonnes par LSP à Hopewell entre le 15 novembre 1974 et le 28 juillet 1975 ([177]).
Le produit est peu demandé sur le sol américain, même si 40 produits sont alors agréés par l’Environmental protection agency (EPA) – agence fédérale américaine de protection de l’environnement – pour la lutte contre les fourmis et les cafards, et l’usage sur le tabac, les fruits ornementaux et autres cultures non alimentaires, à l’exception du traitement des bananiers à Porto Rico ([178]). C’est pourquoi, entre 90 % et 99 % du volume produit est exporté à destination de l’Europe, de l’Asie, de l’Amérique latine ou de l’Afrique.
Dès 1974, les agences de pollution de l’air, de contrôle des eaux et la mairie de Hopewell alertent sur des risques de pollution causés par les conditions de production industrielle de la molécule, sans protection adaptée pour les salariés et avec des effluents aquatiques et gazeux dans le fleuve James ([179]).
Lorsqu’un fort taux de concentration de chlordécone est retrouvé dans le sang d’un ouvrier à hauteur de 7,4 µg/L, la production est rapidement arrêtée et l’usine fermée le 24 juillet 1975. D’autres analyses font apparaître des taux de chlordécone dans le sang des ouvriers pouvant dépasser 1 000 µg/L. Les individus les plus contaminés ont développé des : atteintes du système nerveux, une hypertrophie du foie et une perte de la fertilité masculine ([180]).
Face à cette catastrophe, les autorités fédérales réagissent rapidement.
Le 13 août 1975, l’Environmental protection agency (EPA) – agence fédérale américaine de protection de l’environnement – est informée des motivations de la fermeture de l’usine. Elle entame, trois jours plus tard, des tests systématiques des sols. Le 20 août 1975, elle émet une directive stop sale, use or removal order (« ordre d’arrêt de la vente, de l’usage et de l’élimination »). Les dix tonnes de Kepone encore présentes dans l’usine doivent donc être abandonnées, ce qui évite leur exportation. Toutes les autorisations d’usage du Kepone sont supprimées par l’EPA à compter du 1er mai 1978.
L’étude de la dépollution débute le 9 septembre 1975, sous la direction d’un comité interagences, ce qui conduira en août 1976 à la désignation par l’EPA d’un coordinateur Kepone.
Si l’aspect de la santé au travail est au départ central, il apparaît rapidement que la production de Kepone à Hopewell a induit une forte pollution environnementale de la James River et de la baie de Chesapeake. C’est principalement cette pollution environnementale qui va faire l’objet de procès et va entrainer une réaction du législateur fédéral et des agences américaines.
Les résultats préliminaires des études de contamination environnementale sont envoyés au gouverneur de Virginie le 16 décembre 1975. Deux jours plus tard, il interdit la pêche dans le fleuve James. Cette pollution cause de lourdes pertes à de nombreux restaurants et entreprises qui dépendaient de l’eau du fleuve, toute forme de pêche destinée à la consommation ou à la vente étant interdite.
Une enquête parlementaire est ouverte par le Sénat des États-Unis en janvier 1976, aboutissant sur un rapport de 460 pages. La Chambre des représentants réalise également une enquête le même mois. Les deux chambres adoptent, le 11 octobre 1976, le Toxic Substances Control Act ([181]), dans le but de contrôler les nouvelles substances et les substances préexistantes posant un « risque démesuré pour la santé et l’environnement ».
Dans le même temps des poursuites judiciaires sont engagées.
L’État fédéral attaque en justice les entreprises Allied Chemical et LSP, ainsi que la ville de Hopewell. Le 5 octobre 1976, Allied Chemical, reconnue comme contrôlant et ainsi responsable des agissements de son sous-traitant LSP, est condamné à verser une amende de 13,24 millions de dollars. Huit millions de dollars serviront à la création d’une fondation, la Virginia Environmental Endowment, chargée de distribuer des bourses d’étude. La même année, LSP est condamnée à verser 3,8 millions à l’État.
Les pêcheurs, marinas, entreprises de fruits de mer et restaurants, ainsi que leurs employés le long du fleuve touchés par l’interdiction de pêche, et les ouvriers de l’usine ont entrepris, de leur côté, des actions au civil. D’autres actions en justice sont intentées jusqu’en 1980 ([182]). En 1981, un tribunal fédéral (Eastern District of Virginia), s’est penché sur les dommages économiques spéciaux résultant des dommages causés aux poissons et à la faune par négligence. Dans cette affaire qui a fait jurisprudence, le tribunal a rejeté la « règle des pertes économiques » traditionnelle, qui impose des conséquences physiques dommageables pour la personne ou des dommages matériels, afin de n’octroyer un dédommagement économique qu’à certains groupes de plaignants – les propriétaires de bateaux de pêche, les marinas et les magasins d’appâts.
Au total, entre 1976 et 1977, l’entreprise Allied Chemical est condamnée à verser près de 30 millions de dollars, dont une partie pour frais de dépollution. La mairie de Hopewell et les responsables de l’usine sont également condamnés.
En 1978, l’EPA rend un rapport sur les moyens de limiter l’exposition et la contamination des sols, des eaux et des individus, après analyse de plus de 900 échantillons ([183]). Ce rapport propose un renforcement des études et des analyses, sans lesquelles toute activité restera interdite dans le secteur de la James River. Elle demande également des études plus poussées sur la ville d’Hopewell, ainsi que l’incinération des stocks restants.
Devant l’impossibilité de traiter la pollution qui s’est répandue dans l’estuaire, il a été décidé d’interdire l’exploitation des produits de la pêche et de laisser les sédiments recouvrir de manière naturelle les fonds contaminés.
L’interdiction de la pêche prendra fin en 1988 après que les efforts de dépollution du fleuve et de ses sédiments aient été jugés suffisants ([184]).
Une étude publiée en 2017 par le Virginia Institute of Marine Science a indiqué qu’au bout de quarante ans, un tiers des poissons testés dans la rivière ne contient plus de trace détectable de la substance polluante. Le reste présente des niveaux de contaminations situés entre 0,015 et 0,03 part par million, soit inférieur à la limite de 0,3 fixée par la Food and Drug administration. Cependant, la pollution localisée dans les sédiments est toujours susceptible d’être libérée par des affouillements dans le lit du fleuve ([185]).
En 1995, vingt ans après leur contamination aiguë, 14 des 29 travailleurs hospitalisés en 1975 ont pu être recontactés. Aucun n’a développé de cancer et un faible nombre a présenté des tumeurs ([186]).
La catastrophe qui va conduire en 1975 à la fermeture des sites de production du chlordécone situés à Hopewell, puis à l’interdiction de sa production et de son utilisation aux États-Unis, entraînera deux conséquences directes :
– deux agences américaines reconnaissent officiellement la dangerosité de cette molécule et mettent fin à toute utilisation en 1978 ;
– l’unique fournisseur du chlordécone nécessaire à l’élaboration du Kepone n’est plus en mesure de fournir la SEPPIC.
Aussi, le 7 février 1980, la SEPPIC annonce au ministère de l’Agriculture l’arrêt de la commercialisation du « Kepone 5 % SEPPIC ».
b. Des premiers rapports signalant un risque
En 1975, une mission d’enquête de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur les résidus d’insecticides organochlorés en Guadeloupe constitue la première, étude facteur d’alerte sur l’éco‑toxicité du chlordécone, au même moment de la fermeture de l’usine d’Hopewell.
En 1977 paraît un article de M. Jacques Snegaroff dans la revue Phytiatrie-Phytopharmacie ([187]), qui résulte de cette mission d’enquête pour « étudier les problèmes de pollution de l’environnement liés à l’usage des produits agropharmaceutiques » en Guadeloupe. Le chercheur met en évidence la présence des résidus de HCH et de chlordécone dans les sols des bananeraies et dans les eaux et sédiments de trois rivières, sans pouvoir évaluer l’effet sur la faune et la flore.
Ce rapport est un premier signal concernant la pollution par les résidus d’insecticides organochlorés dans les sols des bananeraies et dans les eaux avoisinantes. Cependant, comme le souligne le chercheur : « les données disponibles sont loin de répondre à toutes les questions soulevées par cette pollution et en particulier sa signification écologique ». M. Jacques Snegaroff insiste donc sur le fait « [qu’]il importerait, dans la mesure où l’HCH est interdit, et où le chlordécone est appelé à le remplacer de manière durable, d’étudier sa stabilité et ses voies de dégradation dans ces sols tropicaux, ses possibilités d’accumulation, de migration, de contamination des plantes. Ces données sont d’ailleurs nécessaires pour que ce produit ait son autorisation définitive d’emploi. »
Un deuxième rapport, toujours réalisé par le centre INRA de la Guadeloupe en 1980 sous la direction d’Alain Kermarrec pour le ministère de l’environnement ([188]), établit que les analyses mettent en évidence la présence de chlordécone dans les compartiments animaux et la bioaccumulation des substances organochlorées dans l’environnement.
M. Alain Kermarrec cite les travaux sur l’accumulation des résidus d’un insecticide proche du chlordécone – le perchlordécone (Mirex) utilisé aux États-Unis pour la lutte contre les fourmis – qui montrent une croissance des taux lorsque l’on monte dans l’échelle trophique. Il relève notamment l’accroissement de la concentration en perchlordécone dans la chaîne alimentaire, notamment dans les muscles des rats et des oiseaux, tout en soulignant qu’il n’est pas encore possible de donner une signification toxicologique à ces résultats. Enfin, il attire l’attention sur la nécessité d’effectuer des recherches sur une molécule voisine, le chlordécone, afin de cerner avec précision sa présence dans l’environnement et de rechercher des alternatives pour protéger les cultures de la banane. Il conclut son rapport en soulignant que : « les Services de Santé proprement dits sont souvent tenus à l’écart des principaux efforts en vue de contrôler la qualité de l’environnement. Or il est nécessaire que les autorités sanitaires soient informées des concentrations de polluants présentes dans le milieu pour prévenir et combattre les dangers que ces polluants peuvent faire courir à l’homme. ».
En 1993, une étude sur la rémanence des pesticides dans l’estuaire du Grand Carbet en Guadeloupe, l’une des rivières les plus exposées aux pollutions diffuses par les pesticides, met en évidence la présence du chlordécone dans les sédiments et dans l’eau à des degrés supérieurs au milligramme par litre ou par kilo. Mais une fois encore, il paraissait difficile d’en tirer des enseignements de portée générale compte tenu du petit nombre de prélèvements pratiqués.
Ainsi, dès les années 1970 et jusqu’aux années 1990, des études furent réalisées et confirmaient la prégnance des pesticides dans l’environnement en Guadeloupe et en Martinique. L’ensemble de ces rapports concluaient tous à la présence significative de produits phytosanitaires. Ils diagnostiquaient un risque lié à cette sur-concentration, bien que ce risque ne pût être clairement corrélé à la pollution au chlordécone, compte tenu du caractère encore incomplet des connaissances de l’époque.
Ainsi, la Rapporteure estime que, considérant les différentes études françaises successives et l’accident d’Hopewell en 1976, qui fut très largement médiatisé outre-Atlantique, les pouvoirs publics auraient dû exercer un devoir de vigilance quant à l’utilisation massive de produits organochlorés tel que le chlordécone.
Quant aux études sanitaires, elles n’ont réellement commencé qu’au tournant du siècle avec une étude réalisée par M. Luc Multigner « parmi les travailleurs agricoles de la banane en Guadeloupe, au cours de laquelle nous avons, avec des collègues belges, mis en place le dosage du chlordécone dans le sang. Et les premières observations, qui datent donc de la période 1999-2001, nous ont montré que, sur approximativement 80 % de la population d’étude – tous des travailleurs salariés, du secteur agricole ou non agricole – on était en capacité de détecter le chlordécone » ([189]).
c. Des alertes de terrain ignorées
Dès 1974, les premières contestations de l’utilisation du chlordécone furent émises par des ouvriers agricoles martiniquais, dans une grève dont la répression fit deux morts. « Deux ans après l’autorisation officielle du chlordécone, les ouvriers agricoles de la banane entament l’une des plus importantes grèves de l’histoire sociale de la Martinique et demandent explicitement l’arrêt de l’utilisation de cette molécule parce qu’ils ont fait l’expérience de sa toxicité dans leur chair. » ([190]).
De même, à cette époque, les associations écologistes de Martinique dénonçaient l’emploi massif des pesticides et le peu de réalisme des résultats des contrôles sur l’eau potable présentés par la DDASS. Ils accusaient les services de l’État de ne pas dire la vérité sur la contamination de l’eau ([191]).
Comme l’a reconnu le directeur général de la santé, « La seule période où il n’y a pas eu de signal, c’est entre la fin de l’utilisation en 1993 et la première alerte lancée par les services du ministère de la santé en 1998 » ([192]).
La mise en application de directives communautaires, et notamment la directive du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux urbaines résiduaires, par la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, ont poussé à rechercher de manière plus fine les résidus de pesticides pouvant être présents dans l’eau potable.
En 1998, le premier bilan publié par la direction départementale des Affaires sanitaires et sociales (DDASS) de Martinique sur la présence de pesticides dans les eaux de distribution publique ne fait état que de la présence de traces, en n’excluant pas toutefois leur présence dans les eaux de consommation : « La connaissance en matière de pesticides est encore trop embryonnaire, compte tenu des difficultés et du coût de leur recherche, pour avoir une bonne image de leur concentration dans les eaux brutes destinées à l’alimentation en eau potable. On peut toutefois constater que les laboratoires mettent en évidence des matières actives à l’état de traces alors que les contrôles sont faits de façon aléatoire, sans lien avec des dates d’épandage ou des phénomènes de ruissellement. » ([193]).
Les obligations réglementaires découlant du code de la santé publique n’imposaient pas de rechercher spécifiquement telle ou telle molécule dans l’eau destinée à la consommation, à l’exception de celles qui faisaient l’objet d’une norme spécifique. L’application stricte de la méthodologie recommandée pour déterminer les molécules à rechercher – et utilisée en Guadeloupe par les services de santé – ne conduisait pas à inclure le chlordécone, qui n’était plus utilisé.
C’est ce qu’a confirmé M. Éric Godard à la commission d’enquête : « René Seux a déclaré à Luc Multigner qu’il avait détecté le chlordécone en 1991 lors d’analyses réalisées pour la DDASS par son laboratoire. Il l’a signalé, et l’autorité sanitaire lui aurait répondu qu’il fallait rechercher les molécules demandées dans la liste » ([194]).
Lorsque les agents de la DDASS de Guadeloupe décident d’inclure le chlordécone dans la liste des molécules à analyser dans la campagne de 1998, il s’avère que l’Institut Pasteur de Lille, où sont réalisées ces analyses, ne disposait pas de la capacité de rechercher du chlordécone. Par contre, le laboratoire départemental de la Drôme, connu par les nouveaux responsables à la DDASS de Martinique, pouvait détecter un spectre beaucoup plus large de pesticides. Lors de la campagne d’analyses de 1999, les échantillons sont envoyés à ce laboratoire.
Comme se rappelle M. Éric Godard, « à l’issue d’une campagne intensive de prélèvements financés par les distributeurs d’eau, nous avons mis en évidence le HCH–bêta et le chlordécone dans trois captages : la source Gradis à Basse-Pointe, la rivière Monsieur et la rivière Capot. La source Gradis a été fermée, compte tenu des quantités de pesticides retrouvés. Il ne s’agissait que de HCH, dans la mesure où les résultats relatifs au chlordécone ne sont arrivés qu’au mois de septembre 1999, quand le laboratoire a pu les quantifier, après avoir identifié la molécule dans son spectographe. » ([195]). La présence du chlordécone est mise en évidence en 1999 en Martinique et six mois plus tard en Guadeloupe ([196]).
Ces connaissances étaient localisées et parcellaires mais il demeure qu’elles auraient dû, bien plus tôt, déclencher l’alerte pour pousser plus en avant les recherches sur la présence de chlordécone dans l’environnement et sur ses conséquences. Ces études concluaient d’ailleurs à la nécessité de développer les connaissances sur ce sujet, préoccupation qui demeure aujourd’hui en 2019.
2. Le poids des intérêts économiques
Les archives retrouvées par la direction générale de l’alimentation du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation ont confirmé le rôle majeur des représentants du secteur de la banane dans l’autorisation, puis la poursuite de l’utilisation du chlordécone, y compris après son retrait, molécule miracle jugée indispensable à l’équilibre économique de cette culture.
Alertés par le possible retrait de l’homologation du « Curlone », dès 1988, les représentants de la culture bananière se mobilisent.
Ainsi, dès le 20 juillet 1988, l’Association bananière guadeloupéenne (ASSOBAG) écrit au service de la protection des végétaux de Guadeloupe pour appuyer le renouvellement de l’autorisation provisoire de vente du Curlone, en souhaitant en outre que « le coût du produit soit diminué par nous à la recherche de toutes les économies possibles au niveau de notre prix de revient surtout avec l’ouverture du marché européen en 1993 ».
En 1990, l’annonce du retrait de l’homologation du « Curlone » conduit à une conjugaison des interventions auprès du ministère de l’Agriculture, alors même qu’elle était prononcée pour des raisons sanitaires et environnementales graves. Elle combine :
– un puissant lobbying des groupements de planteurs, en vue de préserver un outil miracle de lutte contre les invasions d’insectes ;
– un soutien de certains élus relayant les préoccupations des planteurs ;
– une action des distributeurs ;
– une présentation alarmiste, par les relais administratifs locaux du ministère de l’Agriculture, de l’impact économique d’un arrêt de l’utilisation du chlordécone.
a. Les actions menées par le distributeur
Le 1er février 1990, le ministère de l’Agriculture signifie aux Établissements Laurent de Laguarigue le retrait de l’homologation valant autorisation de vente du « Curlone », délivrée en 1981.
Le 9 novembre, M. Barbedette, directeur phyto chez Laguarigue, écrit à l’Institut de recherches sur les fruits et agrumes (IRFA) de Martinique, composante du centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), pour indiquer qu’« il est probable qu’il y ait une période de 1 à 3 années entre la fin de l’utilisation du Curlone et l’utilisation éventuelle de nouveaux produits, compte tenu que l’état des stocks permettrait trois ans d’utilisation (790 tonnes) ». En assurant « à l’écoute des groupements de producteurs martiniquais et guadeloupéens (SICABAM, GIPAM, ASSOBAG), nous pensons qu’il est nécessaire d’intervenir auprès des autorités compétentes (Ministère de l’Agriculture, Service de la Protection des Végétaux) afin d’obtenir d’ores et déjà le délai supplémentaire d’un an jusqu’au 1er mars 1993, et ceci pour permettre aux professionnels d’effectuer les traitements insecticides nécessaires jusqu’en 1993 et à notre société de fabriquer les quantités nécessaires ».
Lors de son audition en Martinique, M. Henri Ernoult, ancien directeur général des Établissements Laurent de Laguarigue, a justifié les demandes de dérogations en l’absence d’homologation d’un produit de substitution, en l’occurrence le Temik, en phase d’essai pour entrer sur le marché.
Dès lors, plutôt que de mener directement la bataille pour obtenir une prolongation de l’usage du chlordécone, les Établissements Laurent de Laguarigue vont plutôt mobiliser les utilisateurs, à savoir les groupements de planteurs, qui ne vont avoir de cesse de réclamer un délai supplémentaire dérogatoire pour utiliser le « Curlone », jusqu’à ce qu’un produit de substitution soit sur le marché.
Lors des auditions menées par la commission d’enquête, les représentants de la chambre d’agriculture de la Guadeloupe ont fait état de la porosité qui existait entre les distributeurs de produits phytosanitaires et les groupements de planteurs. Ils confirmaient par ailleurs que, durant les années 1980, l’industrie phytosanitaire finançait pour partie le Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Si la commission d’enquête ne peut fournir d’élément matériel démontrant de manière formelle cette affirmation, la Rapporteure souligne cependant les intérêts qui liaient les distributeurs et les groupements de planteurs.
b. Le lobbying actif des groupements de planteurs
Trois groupements professionnels de planteurs de banane, constitués sous forme de société civile particulière d’intérêt collectif agricole (Sica), sont présents aux Antilles à cette époque :
– la société d’intérêt collectif agricole de la banane martiniquaise (SICABAM) société de propriétaires bananiers de Martinique ;
– le GIPAM (groupement d’intérêt des producteurs agricoles martiniquais), issu d’une scission de la SICABAM ;
– l’Association bananière guadeloupéenne (ASSOBAG).
Ces trois groupements vont multiplier les interventions auprès des autorités (directions de l’agriculture et de la forêt, administration centrale du ministère de l’Agriculture) pour obtenir une dérogation pour continuer à utiliser le « Curlone ».
Dans l’attente d’une solution phytopharmaceutique de substitution, telle que le Counter 10 g, les producteurs vont solliciter le maintien de l’utilisation de ce produit miracle.
On constate l’absence d’évaluation économique et environnementale de l’intérêt de ce traitement phytosanitaire. Comme l’a rappelé le directeur général de l’alimentation M. Bruno Ferreira, lors de son audition : « Nous n’avons pas trouvé trace d’évaluation économique […] les producteurs ont demandé de manière répétée à pouvoir l’utiliser, en l’absence de solution alternative, mais sans que l’impact qu’aurait eu la non-autorisation de ce produit sur les productions de bananes ait fait l’objet d’évaluation chiffrée » ([197]).
Ce qui permet à M. Malcom Ferdinand de considérer, lors de son audition, que ce n’est que l’esprit de lucre qui a justifié le recours au chlordécone, sans que l’on imagine que des solutions alternatives à la lutte phytosanitaire puissent être mises en œuvre : « Les producteurs de bananes et, plus largement, les utilisateurs du chlordécone ont dit à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas d’autres solutions avant 1968. C’est faux. Le charançon est présent dans les bananeraies depuis 1900 et des moyens agroécologiques de lutte ont été développés en Jamaïque en 1912, au Cameroun ou à Madagascar. C’est donc bien l’appât du gain et la volonté d’aller plus vite qui ont favorisé l’utilisation de cette molécule. D’ailleurs, aujourd’hui, on procède bien comme par le passé, en mettant un piège entre les rangées… L’utilisation du chlordécone n’était absolument pas une nécessité. De la même façon, quand on indique qu’au début des années quatre-vingt, à cause des cyclones, la population de charançons s’est développée et que l’on a été obligé d’utiliser le chlordécone, c’est faux ! C’est un choix technique, qui favorisait très clairement des intérêts financiers, mais qui bafoue la santé des Antillais » ([198]).
Cependant, les groupements de producteurs de banane vont multiplier les interventions auprès des différents niveaux de l’État. Les archives conservent plus d’une vingtaine d’échanges de courrier, dont on ne citera que les plus significatifs.
Le 11 février 1992, la SICABAM écrit à la DAF de la Martinique et au ministre de l’agriculture pour « intervenir auprès de la direction de la protection des végétaux pour qu’elle revienne sur sa décision et permette par dérogation l’utilisation du Curlone jusqu’en 1993 ».
Le 12 février 1992, le GIPAM saisit la DAF de Martinique des « effets désastreux » du retrait de l’homologation et demande son intervention pour obtenir une prolongation.
Le 17 février 1992, une note de Claire Sauvaget, conseillère technique auprès du Premier ministre, fait part d’une intervention de la SICABAM à son homologue au cabinet du ministre de l’agriculture.
Le 13 mars 1992, M. Bourdin, du service d’homologation de l’INRA confirme à l’ASSOBAG qu’il soutient la possibilité pour les planteurs d’utiliser les stocks de Curlone jusqu’au 28 février 1993.
Le 20 mars 1992, le sous-directeur de la protection des végétaux M. Doussau répond à la SICABAM mentionnant son intervention auprès de la commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires afin d’examiner et statuer dans les meilleurs délais sur la spécialité COUNTER 10 G suite à la demande formulée par la SICABAM.
Dans le même temps, le 17 novembre 1992, la direction de l’agriculture et de la forêt de la Martinique se plaint auprès de la SICABAM que son dernier numéro de Bananinfo comporte une publicité de Laguarigue incitant à utiliser le Curlone, alors que cette spécialité fait l’objet d’un retrait d’homologation.
Le 25 février 1993, le même sous-directeur informe la SICABAM qu’une dérogation est accordée afin de pouvoir écouler les derniers stocks de Curlone : nouveau délai à l’utilisation devant prendre fin au plus tard le 30 septembre 1993. Il est précisé que le Counter 10 G a obtenu une autorisation de mise sur le marché lors de la séance du comité d’homologation du 8 décembre 1992.
Le 25 août 1993, la SICABAM demande à la Direction de la protection des végétaux que les dossiers en cours d’homologation ou d’autorisation provisoire de vente pour des produits de substitution au chlordécone soient traités dans les meilleurs délais.
c. Les interventions de certains élus en soutien aux demandes des industriels et des professionnels de la banane
Le 25 avril 1990, M. Guy Lordinot, député de la Martinique, dépose une question écrite n° 27495 adressée à M. Henri Nallet, ministre de l’Agriculture et de la forêt de l’époque, reconnaissant que la disparition sur le marché de cet insecticide organochloré se justifie tout à fait pour des raisons de toxicologie mais demandant, en raison de l’absence de solutions alternatives efficace, un « délai supplémentaire de trois ans [soit] mis à profit pour que le retrait de Chlordécone se fasse progressivement et qu’il ne soit effectif et total que lorsque des solutions de substitution auraient apporté la preuve d’une efficacité reconnue par les services de recherche, par les professionnels et par les agriculteurs bananiers ». La réponse du ministre, publiée le 2 juillet 1990, précise que le délai de deux ans est suffisant pour trouver des solutions alternatives satisfaisantes.
Parallèlement, le même député adresse deux courriers au ministre, le 20 avril 1990 et le 19 juin 1990, demandant que le délai à l’utilisation accordé au « Curlone » soit prolongé de trois ans (soit un délai de cinq ans au total) en l’absence de solutions alternatives jugées efficaces par les producteurs de bananes. Dans sa réponse du 5 juin 1990, le ministre précise les délais accordés et indique que si une prolongation du « délai supplémentaire d’un an s’avérait nécessaire, [il] ne serait pas opposé à l’accorder », si aucune solution alternative n’est mise au point au bout des deux ans. Une seconde réponse du 3 août 1990 confirme cette position.
Le 24 février 1992, le même député saisit le nouveau ministre de l’agriculture, Louis Mermaz, du « problème considérable posé par le retrait d’homologation du chlordécone », « cette décision est ressentie comme un nouveau front ouvert contre la banane des DOM mais par la France elle-même ». Le 31 mars 1992, le ministre confirme la dérogation donnée jusqu’au 28 février 1993 en estimant que « d’ici cette date, des spécialités de remplacement devraient être mises sur le marché qui permettront sans doute d’éviter de prolonger une telle dérogation ».
C’est ainsi que le 27 septembre 1993, au nom du ministre des départements et territoires d’Outre-mer, le sous-directeur des affaires économiques de ce ministère saisit le ministère de l’Agriculture d’une demande de prolongation de l’utilisation du chlordécone jusqu’à fin 1993, compte tenu des deux tempêtes tropicales qui ont engendré des dégâts graves.
D’autres interventions de nature politique ont dû exister, comme le montre la note du Cabinet du ministre de l’Agriculture, indiquant en 1992 à Madame le Premier ministre qu’il a été accordé un délai supplémentaire d’un an pour l’utilisation du produit.
Cette prolongation a donc fait l’objet d’une attention politique soutenue, avec des interventions à tous les niveaux de l’État.
Près de trente ans après les faits, interrogé par une délégation de la commission d’enquête le 16 septembre 2019 en Martinique, M. Guy Lordinot défend sa position par des nécessités économiques et électorales : « Vous êtes député, vous avez parmi vos électeurs l’ensemble des membres des organisations agricoles de la Martinique. Puis, brusquement, on apprend que le chlordécone, c’est fini. Or, c’est le seul produit qui permet d’éliminer le charançon de la banane. Donc l’économie bananière était pratiquement morte. Vous êtes député, on vous demande d’intervenir pour obtenir une prolongation de l’utilisation de la chlordécone. Étant député de la majorité, vous en parler au ministre qui vous dit "non, il est impossible de faire cela". Il est difficile de dire à vos mandants "je ne peux pas faire d’intervention parce que ce sera refusé". Vous faites l’intervention, mais un refus est prononcé ».
L’unique argument alors invoqué était que l’arrêt de l’utilisation du chlordécone signifierait la mort de la filière de la banane de la Guadeloupe et de la Martinique. Pourtant, force est de constater que tel ne fut pas le cas, puisque les niveaux de production de bananes se sont maintenus après 1993, malgré l’interdiction du chlordécone. Par ailleurs, des produits et des méthodes de substitution à l’utilisation de la molécule, tel que le piégeage des papillons, ont été mis en place très rapidement.
d. Le soutien explicite des services locaux du ministère de l’Agriculture
Dans le même temps, on assiste à des échanges de courriers montrant un soutien explicite des organismes relevant du ministère de l’Agriculture, prenant fait et cause pour une prolongation de l’usage du « Curlone ».
L’Institut de recherches sur les fruits et agrumes (IRFA), composante du centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), interpelle le 26 août 1988 le service de protection des végétaux : « l’impossibilité d’utiliser le Curlone se répercuterait sans aucun doute sur la productivité des bananeraies antillaises ». Par la suite, il relaie auprès de l’administration centrale les soucis des producteurs face à l’absence de solutions alternatives efficaces au chlordécone disponible au 1er mars 1992. Le 17 janvier 1991, la responsable du service entomologie-nematologie indique que les résultats du Temik sont insuffisants et les méthodes de lutte alternatives (produits de substitution et agents biologiques) encore en cours de recherche pour appuyer la prolongation d’un an de l’utilisation du « Curlone » pour « maintenir un bon état sanitaire ».
Quant à l’administration centrale du ministère de l’Agriculture, elle ne s’oppose pas au principe de prolongation de l’utilisation du « Curlone »
Le 30 mai 1991, le chef du bureau contrôle des produits antiparasitaires et matières fertilisantes indique au service de la protection des végétaux de Martinique qu’un délai supplémentaire d’un an pourrait être accordé à la demande des professionnels sous réserve d’avis des officiels de la Martinique et de la Guadeloupe en ce qui concerne l’utilisation et le remplacement du « Curlone. »
Les directions de l’agriculture et de la forêt des deux départements servent également de relais à ces demandes.
Dès le 21 novembre 1990, une note de la direction de l’agriculture et de la forêt (DAF) de la Guadeloupe évoque une « effervescence chez les planteurs, sollicités par la S.A. Laguarigue pour concrétiser rapidement leurs commandes pour l’avenir ». Elle évoque « l’effet de choc » que produit la rumeur que le « Curlone » serait cancérigène et indique que le Temik, produit présenté comme une substitution, « est une des causes les plus fréquentes d’accident mortel » car son emploi est « rarement conforme aux conditions d’homologation ».
De même, un courrier du 18 février 1992 du service de protection des végétaux de Martinique au service central de la protection des végétaux, demande un délai supplémentaire d’un an pour l’utilisation.
*
La Rapporteure estime donc que les responsabilités dans l’utilisation du chlordécone sont collectives. La responsabilité première dans cette pollution incombe à l’État, qui a légalement autorisé la commercialisation des produits à base de cette molécule, malgré les connaissances – certes partielles – mais déjà alarmantes sur les risques de toxicité et de persistance dans l’environnement.
L’usage du chlordécone a également été défendu de manière très active par les différents acteurs économiques qui y étaient liés, à savoir les groupements de planteurs et les industriels, ainsi que par certains élus locaux relayant leurs demandes.
D. le manque d’ambition des Plans CHLORDÉCONE
1. Une prise de conscience tardive
Entre la détection du chlordécone dans les captages d’eau en 1999 et la mise en œuvre du Premier Plan Chlordécone s’écoulent huit ans
a. Un changement de regard sur le recours aux pesticides
On peut s’étonner de ce que l’étendue et la gravité de cette pollution n’aient été mises en évidence qu’en 1999, alors que depuis de nombreuses années déjà, les rapports mentionnés entretenaient un « bruit de fond » au sujet d’un risque potentiel, et que les associations s’alarmaient des conséquences de l’emploi massif des pesticides dans l’agriculture.
Cette prise de conscience apparaît comme la conséquence de la lente prise de conscience, à l’aune du troisième millénaire, des impératifs de santé publique et de protection de l’environnement.
Corrélativement, les risques liés aux pesticides ont progressivement été pris en compte parmi les critères de décision, face aux considérations d’ordre économique et social : volumes de production et maintien de l’emploi agricole. M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a ainsi rappelé qu’initialement, « le principe de précaution des cultures guidait bien plus les décisions que celui de protection de la santé publique et de l’environnement. Les choses ont bougé aujourd’hui. Les paramètres prioritaires étaient l’efficacité du produit et éventuellement la phytotoxicité, c’est-à-dire l’effet toxique sur la plante traitée. Les effets chroniques sur les populations étaient encore bien moins pris en compte. » ([199]).
De même, Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des solidarités l’a reconnu : « C’était une époque où la santé publique pesait moins dans les décisions, où les enjeux d’évaluation et de ce qu’on appelle l’analyse du bénéfice et du risque de la balance bénéfice-risque étaient peu connus. » ([200]).
Le second mouvement est l’introduction de normes plus contraignantes dans la mesure de la qualité de l’eau potable, par transposition de directives européennes ([201]).
Ce n’est qu’avec le décret ([202]) du 5 avril 1995 relatif aux eaux destinés à la consommation humaine qu’est introduit la notion de « valeurs limites acceptables » pour les pesticides et le décret du 6 mai 1995 sur la qualité du service public de l’eau ([203]) que des règles spécifiques à la recherche des pesticides ont été définies.
La directive européenne 98/83/CE du 3 novembre 1998 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine constitue le cadre réglementaire européen en matière d’eau potable et s’applique à l’ensemble des eaux destinées à la consommation humaine. En application, le code de la santé publique fixe les dispositions réglementaires en matière d’eau potable ([204]).
M. Emmanuel Berthier, directeur général des Outre-mer, a posé devant la commission d’enquête les jalons de la gestion de la crise du chlordécone depuis la prise de conscience de l’ampleur de la contamination dans les années 1990 : « les pouvoirs publics [ont mis] en œuvre plusieurs démarches interministérielles. En 1998, le ministère de l’Agriculture et celui de l’environnement ont diligenté une mission de l’inspection générale, qui permet de construire un premier plan interministériel. Deux Plans Chlordécone ont été lancés, le plan I entre 2008 et 2010 et le plan II entre 2011 et 2013, qui s’inscrivaient également dans le cadre de la programmation 2007-2013 des fonds européens. Une évaluation a été menée en octobre 2011, par quatre inspections générales et conseils généraux, laquelle a permis de piloter la fin du Plan Chlordécone II et surtout de poser les fondements du Plan Chlordécone III. » ([205]).
C’est ainsi qu’en 1998, une mission interministérielle d’inspection relative à l’évaluation des risques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires en Guadeloupe et en Martinique est menée par MM. Pierre Balland, Robert Mestre et Marc Fagot, à la demande du ministre de l’agriculture et de la ministre de l’environnement. Elle est chargée de collecter les informations existantes et surtout, de procéder à une première évaluation du risque en fonction de ces données.
La mission conclut à l’existence d’un « risque potentiel pour tous les compartiments du milieu et pour les utilisateurs, compte tenu [...] d’une possibilité d’exposition supérieure à ce qu’on peut trouver en métropole [et] des dangers particulièrement élevés, à la fois pour l’homme et l’environnement ».
Néanmoins, elle estime que les connaissances restent encore insuffisantes. Aussi, la première de ses recommandations préconise d’améliorer l’état de lieux : « mieux connaître la contamination par les pesticides et leur incidence sur la santé ; prendre les mesures appropriées en matière de santé publique, mettre en place les moyens de mesure sur place des résidus » ([206]).Priorité était donc à l’acquisition de données fiables.
Suivant ces recommandations une campagne d’analyses spécifique était lancée dans les deux départements antillais.
Dans un premier temps, elles se concentrent sur les cours d’eaux.
Une étude de la direction de la santé et du développement social (DSDS) de la Guadeloupe, menée de septembre 1999 à février 2000, mit en évidence une importante pollution des sources du Sud de Basse-Terre par des pesticides organochlorés interdits depuis plusieurs années. Trois molécules étaient détectées à des doses cent fois supérieures à la norme : le chlordécone, le HCH béta, et la dieldrine, respectivement interdites en 1993, 1987 et 1972.
En décembre 2000, une étude de la direction régionale de l’environnement (DIREN) de la Guadeloupe confirmait la pollution des eaux et des sédiments de rivière. Neuf captages destinés à l’alimentation en eau potable présentaient des dépassements pour les molécules de HCH d’un à vingt fois la norme, pour les molécules de chlordécone de 3 à 103 fois la norme.
C’est également entre juin et août 1999 que la DSDS de la Martinique entreprit une campagne intensive de prélèvements dans les cours d’eaux sur sept sites. Deux rivières, la rivière Monsieur et la rivière Capot et une source, la source Gradis, présentaient une forte pollution. Parmi les substances actives détectées, on distinguait notamment le chlordécone et le HCH béta.
À la suite de la découverte de la pollution des eaux, des mesures immédiates sont prises par la CIRE Antilles, notamment de fermeture de certains captages ou de sites de production (en Martinique, la source Gradis ; en Guadeloupe, les captages de Luma, de Gommier, de Belle-Terre, du Pont des Braves et les usines de Capes‑Dolé). Un système de charbon actif est mis en place pour sauvegarder les autres captages.
Dans le même temps, des plans de surveillance des résidus de pesticides dans les eaux sont été mis en place.
Dans un deuxième temps, les chercheurs font apparaître le transfert de la pollution dans les sols et par voie de conséquence dans la chaîne alimentaire.
Les premiers résultats ont alors démontré un stockage du chlordécone dans les sols, la pollution de certains légumes racinaires cultivés sur des sols contaminés ainsi que la présence de traces de chlordécone dans certaines denrées animales.
Selon le directeur général de la santé, « c’est encore la DDASS qui, en 2001, a lancé une étude pour mettre en évidence le transfert de la contamination au chlordécone des sols vers les végétaux cultivés. Le rapport présenté en juillet 2002 en Martinique confirmera la contamination des légumes racines au chlordécone et servira de fondement à la démarche d’évaluation des risques mise en œuvre par les agences sanitaires – à l’époque, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l’InVS –, saisies par les ministères de tutelle à partir de juillet 2002 » ([207]).
ii. Un premier plan d’évaluation et de gestion des risques en 2003
Face aux résultats de ces analyses, un plan global interministériel d’évaluation et de gestion des risques est décidé début 2003, à la demande du ministre de l’agriculture d’alors, M. Hervé Gaymard. Élaborés par les préfets et déclinés pour la Guadeloupe et la Martinique, ils sont validés en septembre 2003. Ces plans étaient coordonnés par deux groupes régionaux phytosanitaires, le GREPP en Guadeloupe (groupe régional d’étude des pollutions par les produits phytosanitaires) et le GREPHY en Martinique (Groupe régional phytosanitaire).
Début 2003, le Gouvernement demande que soit réalisée une analyse des risques afin de fixer les valeurs limites d’exposition au chlordécone par la prise alimentaire. Une réunion interministérielle décide de la réalisation d’une évaluation quantitative des risques sanitaires pour les populations antillaises exposées au chlordécone. Comme le rappelle l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), « nous avons travaillé à l’époque de manière très étroite avec l’InVS, l’Institut de veille sanitaire – l’actuelle Santé publique France –, qui était maître d’œuvre des études de consommation Comportements alimentaires et perceptions de l’alimentation (CALPAS)- et Enquête sur la santé et les comportements alimentaires (ESCAL) respectivement en Guadeloupe et en Martinique, en 2004 et 2005. Parallèlement, nous avons rassemblé toutes les données de concentration de chlordécone dans les aliments et mis en place l’étude Reso afin de disposer de données représentatives sur ce plan-là. » ([208]). L’AFSSA produit un premier rapport, en décembre 2003, dans lequel elle recommande de retenir pour le chlordécone deux références toxicologiques, les VTR dont découlent les LMR.
Valeurs toxicologiques de référence (VTR) et limites maximales de résidus (LMR)
D’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), « une valeur toxicologique de référence (VTR) est un indice toxicologique qui permet, par comparaison avec l’exposition, de qualifier ou de quantifier un risque pour la santé humaine. ».
La construction des VTR se fonde sur des études toxicologiques, passant par des études expérimentales et épidémiologiques, généralement sur des rongeurs ou des cellules humaines en culture. Les études toxicologiques s’intéressent à de multiples scenarii, en termes de dose et de type d’exposition. L’objectif est de déterminer un surrisque de développer un symptôme associé à l’exposition à un facteur. En revanche, cela n’assure pas un lien de causalité absolu. Seule la répétition des études peut permettre de se rapprocher d’un lien de causalité certain.
Concernant le chlordécone, « c’est un modèle à seuil qui est utilisé pour caractériser son effet ». Il permet de déterminer des concentrations critiques, comme la LOAEL (lowest observed adverse effect level, soit la dose minimale à laquelle un effet néfaste est observé), ou des concentrations limites, comme la NOAEL (no observed adverse effect level, soit la dose maximale sans effet néfaste observée). La VTR est déterminée à partir de la NOEAL, et est spécifique de la molécule, de la voie de contamination et de la fréquence d’exposition. Elle prend également en compte un facteur d’incertitude, dépendant de la variabilité potentielle de la NOEAL selon l’individu.
Ainsi, en 2003, l’AFSSA, devenue ANSES, a établi une VTR pour le chlordécone à 0,5 µg/kg pc/j ([209]) en exposition chronique (à long terme), et à 10 µg/kg pc/j en exposition aiguë (à court terme). Ces VTR n’ont pas été modifiées depuis.
Les limites maximales de résidus (LMR) sont l’expression réglementaire de la VTR. Elles visent à protéger le consommateur d’une exposition supérieure à la VTR, et donc dangereuse pour sa santé. Dès lors, les LMR constituent la limite légale au-delà de laquelle un aliment ne peut être admis dans ou sur les aliments destinés à l’alimentation humaine ou animale. Les LMR sont établies à partir de la connaissance de :
– la concentration de résidus de la molécule dans tel aliment ;
– la consommation (quantité, fréquence) de cet aliment par la population ;
– la VTR chronique, équivalente à la dose de résidu journalière admissible sans qu’il existe de risques d’effets sur la santé sur le long terme.
Ainsi, les LMR sont établies de manière globale. Grâce à l’étude des habitudes alimentaires de la population, elles assurent que la somme des expositions journalières ne crée pas de surexposition, au sens de la VTR.
Les LMR sont fixées à l’échelle européenne par le règlement (CE) n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23 février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et animale et modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil. Cependant, le règlement (CE) n° 396/2005 précité ne fixe pas de LMR pour le chlordécone.
Le règlement (UE) n° 149/2008 de la Commission du 29 janvier 2008 a fixé, à titre provisoire, des LMR pour les molécules qui n’avaient pas été étudiées lors des précédentes directives ([210]). Pour le chlordécone, il a fixé les LMR suivantes :
– 0,010 mg/kg pour des denrées cultivées sous climat tempéré (susceptibles de provenir d’autres zones géographiques que les Antilles) ;
– 0,020 mg/kg pour denrées d’origine animale (terrestre et aquatique) et les autres denrées.
Le 25 janvier 2019, par arrêté ministériel, la France a décidé de réduire la LMR relative à la viande bovine à 0,020 mg/kg au regard de la valeur de gestion de 0,027 mg/kg dans la graisse. Le 23 mai 2019, un deuxième arrêté ministériel étend cette réforme à l’ensemble des viandes (porcins, ovins, caprins et volaille).
Le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation explique que « sur la base des corrélations entre concentrations dans le muscle, dans le foie et dans la graisse de bovins, établies dans le cadre de l’étude « Triplet », l’ANSES conclut dans sa note d’appui scientifique et technique du 14 septembre 2018, en réponse à la saisine n° 2018-SA-0202 du 10 septembre 2018 relative à la fixation de chlordécone dans la graisse des produits carnés permettant de ne pas dépasser 0,020 mg/kg poids frais dans le muscle, que la concentration maximale en chlordécone dans la graisse de bovin permettant d’atteindre dans 97,5 % des cas des concentrations dans le muscle de bovin inférieures ou égales à 0,020 mg/kg de poids frais est de 0,027 mg/kg. Cette valeur sera retenue comme valeur de gestion pour les carcasses bovines. » ([211]).
C’est également ce qu’a expliqué, en substance, le directeur général de l’alimentation M. Bruno Ferreira : « Les différentes études ont montré qu’il fallait affiner les rapports qui permettaient d’établir la conformité de la viande en fonction de la teneur de chlordécone dans la graisse. Les valeurs ont donc été abaissées, pour que l’on soit sûr du respect de la LMR de 20 microgrammes par kilogramme dans la viande. C’est l’objet de ces deux arrêtés. » ([212]).
Deux mesures d’urgence sont prises pour limiter l’exposition de la population :
– par arrêtés préfectoraux pris le 20 mars 2003 en Martinique et le 20 octobre 2003 en Guadeloupe, une analyse de sol préalable à la culture des espèces sensibles (légumes racines tels que ignames, dachines, madères, patates douces) est rendue obligatoire. Lorsque la parcelle est polluée, il est déconseillé à l’exploitant de procéder à la culture des espèces concernées. Si l’exploitant passe outre, il est contraint de procéder à l’analyse de la production avant sa mise sur le marché ([213]).
– par arrêté du 24 mars 2004 le préfet de la Martinique interdit la pêche dans l’estuaire de la Lézarde ;
Parallèlement, en 2004, sont lancées deux études de suivi médical : la cohorte Ti‑moun et l’étude sur le cancer de la prostate Karuprostate.
Cependant, ces découvertes ont mis du temps à déboucher sur des actions concrètes. C’est ainsi que M. Éric Godard résume la situation : « À l’époque, j’ai eu tout un travail à faire pour convaincre les autorités, notamment le préfet, Michel Cadot, ainsi que les autorités nationales, que ce problème méritait un traitement d’urgence et à la mesure des découvertes. Il a fini par rendre public le fait que l’on avait un souci avec les légumes cultivés dans les sols chlordéconés, lors de la réunion du groupe régional phytosanitaire du 1er juillet 2002. Contrairement à la légende, ce ne sont donc pas les patates douces de Dunkerque, en octobre 2002, qui ont révélé le problème – elles l’ont révélé au niveau hexagonal, mais pas localement » ([214]).
Néanmoins, les acteurs reconnaissent qu’il y a eu des actions menées, même si cela s’est fait de manière limitée : « Certains ont par conséquent qualifié cette période 1993-1998 de période d’omerta et de négligence en raison de la non-prise en compte des alertes, notamment de celles lancées en 1993 et ultérieurement. Certes on a ensuite, c’est-à-dire à partir de 1999 et jusqu’en 2002, perdu un peu de temps, notamment parce que le fait d’avoir dit qu’il fallait s’intéresser à l’alimentation a conduit la direction des affaires sanitaires et sociales à être à la manœuvre. » ([215]).
2. L’élaboration d’un premier Plan Chlordécone en 2008
C’est véritablement en 2008 qu’un plan structuré est élaboré. Le Premier ministre confie au Professeur Didier Houssin, directeur général de la santé, le soin de préparer un « plan d’action chlordécone 2008-2010 en Martinique et Guadeloupe ». Deux autres suivront.
Actions des Plans Chlordécone
Plan I
« Le plan I 2008-2010 comportait 40 actions réparties en 4 axes :
– renforcer la connaissance des milieux ;
– réduire l’exposition et mieux connaître les effets sur la santé ;
– assurer une alimentation saine et gérer les milieux contaminés ;
– améliorer la communication et piloter le plan.
Plan II
Le plan II 2011-2013 comportait 36 actions réparties en 4 axes :
– approfondir la connaissance sur l’état de l’environnement et développer des techniques de remédiation de la pollution ;
– surveiller l’état de santé des populations et améliorer la connaissance des effets sur la santé ;
– poursuivre la réduction de l’exposition des populations, assurer la qualité de la production alimentaire locale et soutenir les agriculteurs, pêcheurs et aquaculteurs ;
gérer les milieux contaminés et assurer l’information de la population. »
Plan III
Le Plan Chlordécone III, qui couvre la période allant de 2014 à 2020, est constitué de 21 actions, réparties en 4 axes :
– élaborer localement une stratégie de développement durable dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des populations dans un contexte de pollution ;
– favoriser une approche de prévention du risque sanitaire et de protection des populations dans une stratégie durable ;
– poursuivre les actions de recherche ;
– enjeux socio-économiques.
Parmi les acquis de ces plans, on peut citer la mise en place de registres et l’élaboration de mesures visant à limiter l’exposition de la population.
Le Plan Chlordécone I a décidé la mise en place d’un registre des cancers en Guadeloupe en 2008. Auparavant, il n’existait qu’un unique registre des cancers pour les Antilles en Martinique, créé en 1983. Les données extraites en Martinique étaient extrapolées à la Guadeloupe, les deux populations étant considérées comme semblables d’un point de vue épidémiologique. Ces deux registres permettent désormais de couvrir 20 % de la population des deux îles, ce qui est considéré comme étant un échantillon permettant d’extraire des données fiables et représentatives dans la construction des registres des cancers. Ces registres sont financés à hauteur de 400 000 euros par an, à 78 % par l’Institut national du cancer (INCa) et à 22 % par Santé Publique France. Comme l’a souligné M. Thierry Breton, directeur général de l’INCa : « 400 000 euros par an pour financer les deux registres, cela représente 10 % du budget que nous consacrons aux registres France entière, qui s’élève à près de 5 millions d’euros » ([216]).
Un registre des malformations congénitales (REMALAN) a également été mis en place depuis 2009 sur les deux territoires, dans le cadre du Plan Chlordécone I. Ce registre vise à suivre l’évolution de la prévalence des malformations congénitales, afin d’identifier les facteurs de risques et recueillir des données servant à la recherche. L’Institut national de veille sanitaire (InVS) et la direction générale de la santé (DGS) ont financé ce projet à hauteur de 391 433 euros pendant le Plan Chlordécone I.
ii. Le programme Jardins familiaux
Pour limiter l’exposition alimentaire, un programme, JAFA ou Jardins familiaux, piloté par les ARS a été lancé dès 2009, ils sont un des piliers des Plans Chlordécone successifs, et, de l’avis de tous, une vraie réussite à pérenniser et à amplifier.
Les programmes JAFA ont pour ambition, comme le résume M. Bruno Ferreira, « [d’]analyser les contaminations observées et à donner un certain nombre de conseils quant à ce qui peut être produit sur des parcelles qui ne sont pas dans le circuit formel ; il s’agit de protéger les populations, celles qui produisent ou celles avec lesquelles ces produits peuvent être échangés. » ([217]).
Ils s’adressent en particulier aux populations habitant dans des zones potentiellement polluées (anciennes bananeraies).
M. Emmanuel Berthier considère que ces programmes JAFA constituent des mesures adaptées « car ils ciblent les circuits informels, secteur que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a identifié comme vecteur majeur de la contamination de la population. JAFA a été mis en place dès l’origine des Plans Chlordécone ; le dispositif a été évalué positivement en 2011 et se poursuit dans le plan III. Il permet aux populations qui le souhaitent de prendre contact avec l’Agence régionale de santé (ARS) et de demander son expertise sur les modalités de culture familiale. Lorsque les agents de l’ARS détectent une contamination du sol – l’analyse est réalisée gratuitement par les services –, ils préconisent un suivi particulier et des mesures adaptées aux propriétaires de jardins familiaux – par exemple, une évolution de leurs pratiques culturales. » ([218]).
Les enquêteurs JAFA se rendent chez les familles, discutent de leurs habitudes alimentaires et de leurs sources d’approvisionnement et proposent, selon les réponses apportées, une analyse du sol du jardin. En fonction des résultats de ces analyses, des conseils culturaux et alimentaires sont donnés.
Par exemple, le simple lavage et l’épluchage des fruits et légumes permettent de limiter l’exposition des consommateurs au chlordécone, en éliminant les résidus de terre et la peau des racines et tubercules et des cucurbitacées.
Cependant, ce programme est loin d’avoir touché l’ensemble de la population, faute d’une communication et de moyens suffisants ([219]).
*
Cependant, entre le constat dressé en 1999-2000 de l’impact potentiel sur l’environnement et la santé humaine et les premiers Plans Chlordécone en 2008, beaucoup de temps a été perdu, comme le rappelle M. Henri Vanière : « On nous a donné six mois pour faire notre rapport. Après que nous avons rendu notre copie, trois ou quatre mois se sont écoulés avant que les ministères en prennent connaissance et donnent le feu vert à sa diffusion. Puis les choses sont entrées dans une léthargie totale. Même si on n’est pas d’accord avec les propos du Professeur Belpomme, il a relancé le dossier. Grâce à lui, les plans d’actions ont été mis en place. Mais il n’y a pas eu, peut-être par méconnaissance ou manque de moyens, de la part des administrations centrales, une grande envie de s’immerger dans le dossier. » ([220]).
Ainsi M. Henri Vanniere, ancien chercheur au CIRAD, bien que constatant que le délai entre le moment où l’on utilise le produit et celui où l’on découvre le problème est lié à la technologie analytique : « Il a fallu contacter le laboratoire et que lui-même dise : ce que vous appelez bruit de fond s’appelle chlordécone. Il a fallu mettre un nom. » ([221]), il reconnaît qu’il n’y a pas eu une grande envie de s’immerger dans le dossier de la part des administrations centrales, peut-être par méconnaissance ou manque de moyens ([222]).
Au final, la Rapporteure ne peut que se demander, avec M. Luc Multigner, si la distance entre les territoires contaminés et les administrations centrales n’a pas favorisé une certaine inertie : « si on aurait réagi de la même façon si le chlordécone avait été utilisé dans ma région, la Bretagne, pour protéger la culture d’artichauts du Léon et qu’on avait un tiers des surfaces agricoles, un tiers du littoral marin de la Bretagne pollués par un contaminant dont sait qu’il va rester là pendant des décennies. N’aurait-on pas mis un braquet un petit peu plus élevé ? » ([223]).
3. Des défaillances dans les Plans à pallier
Le Plan Chlordécone I a répondu à une gestion de crise et s’en est tenu à des réponses de court terme et avant tout sanitaires. Les autres volets, environnementaux et économiques, n’ont été pris en considération que tardivement et les efforts restent aujourd’hui encore insuffisants. Par exemple, le manque d’accompagnement des professionnels agricoles est patent.
Le rapport d’évaluation des plans d’action chlordécone I et II aux Antilles (Martinique, Guadeloupe) d’octobre 2011 a souligné plusieurs pistes d’amélioration à̀ mettre en œuvre, reprises dans les objectifs du plan III :
– l’inscription des actions dans un cadre à plus long terme face à un problème s’inscrivant dans la durabilité́ ;
– une meilleure adéquation entre les ambitions affichées à travers les Plans Chlordécone et la réalité́ à laquelle les populations antillaises sont confrontées ;
– un renforcement de la coordination et de la stratégie d’ensemble ;
– un processus de préparation du troisième Plan Chlordécone laissant une place plus importante à la concertation et à la participation des populations et acteurs concernés ;
– une meilleure prise en compte des aspects économiques et sociaux.
La gouvernance verticale nuit à la transversalité des actions et à la coordination des acteurs sur le terrain, aggravée par des compétences éclatées entre ministères et services.
Enfin, les financements alloués ne sont pas tous mobilisés.
a. Un pilotage des Plans Chlordécone trop vertical
i. Un volet sanitaire privilégié au détriment des autres « priorités »
Compte tenu de la crise sanitaire révélée par la contamination des eaux en 1999, ce sont les directions de la santé et du développement social des deux îles qui ont été en première ligne aux côtés de la direction générale de la santé pour prendre les mesures d’évaluation des risques et de protection de la population. Il est d’ailleurs significatif que les deux premiers plans aient été pilotés exclusivement par le directeur général de la santé.
C’est ce qu’a expliqué M. Jacques Rosine, responsable de la délégation de Santé publique France aux Antilles « les premiers dispositifs visant à mieux comprendre la problématique chlordécone ont été mis en œuvre dès les années 2000-2002. Nous avons commencé, au sein de ce qui était alors l’InVS, à y travailler dès 2000-2001 grâce aux travaux des directions de la santé et du développement social (DSDS) de Martinique et de Guadeloupe – aujourd’hui les ARS – menées en 1999 sur la contamination alimentaire, et c’est ainsi qu’a débuté l’évaluation des risques. (…) C’est à partir de ce moment que nous avons lancé les premières enquêtes, dès 2002 pour les phases de terrain, et jusqu’en 2006, avant même la mise en œuvre du premier plan. » ([224]).
Le volet sanitaire des Plans Chlordécone est toujours aujourd’hui celui qui est privilégié par rapport aux volets environnement, économie et recherche, ce que confirme M. Emmanuel Berthier « Le sujet ayant une dimension sanitaire importante, le pilote naturel, qui ne peut toutefois pas travailler seul, c’est le directeur général de la santé. » ([225]).
ii. Un pilotage éloigné de la société civile
Aujourd’hui, le Plan Chlordécone III est piloté conjointement par le ministère de la santé (direction générale de la santé) et le ministère de l’Outre‑mer (direction générale des Outre-mer). Le suivi budgétaire du programme d’intervention territorial de l’État (PITE, programme 162), est assuré par le ministère de l’Intérieur. Ce n’est qu’en 2014 que la coordination locale du plan est déléguée aux préfectures.
La critique majeure faite à la gouvernance de ces différents plans est leur pilotage trop vertical, qui manque de coordination avec tous les acteurs que ce soit ceux de l’agriculture et de la pêche, de la santé ou encore de la recherche.
Leur construction a connu les mêmes critiques : aucune prise en compte du « terrain », notamment des populations au stade de l’élaboration du plan.
C’est un constat que dressaient déjà en 2011 les auteurs du rapport d’évaluation des plans d’action chlordécone I et II aux Antilles (Martinique, Guadeloupe). M. Armand Renucci, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, coauteur du rapport d’évaluation des plans d’action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe), a rappelé le contexte de l’époque : « Si l’on repart de 2011, le point qui nous paraissait essentiel, c’est que la gouvernance associe, outre les services de l’État concernés, les préfets, les collectivités territoriales et, dans une certaine mesure, les parties prenantes, c’est-à-dire les organisations professionnelles et toute association représentant les populations locales. » puis « Je ne sais pas si elle était suffisamment explicite dans le rapport de 2011, mais l’idée était que la gouvernance, le copilotage devaient être réels. Les parties prenantes antillaises devaient se saisir réellement de l’affaire et la gouvernance intégrer une expression du terrain qui demandait à être formalisée. Le problème est là : il faut que les parties prenantes s’organisent sous la forme d’associations, de groupes, qui puissent structurer le dialogue et participer à la gouvernance. J’ai une certaine distance avec la question dans la mesure où j’ai été missionné au titre de la recherche, mais il n’était pas tout à fait clair que ce fût le cas à l’époque. » ([226]).
M. Emmanuel Berthier a rappelé, s’agissant de la concertation avec les élus locaux ou les associations, qu’ils ont été mobilisés lors de la mise en œuvre des deux premiers Plans Chlordécone « par le biais de comités de pilotage locaux, le groupe régional d’étude des pollutions par les produits phytosanitaires (GREPP) en Guadeloupe et le groupe régional phytosanitaire (GREPHY) en Martinique. Les acteurs locaux ont pu y formuler leurs observations.
Lors de l’élaboration du deuxième plan, des réunions de concertation locale ont permis de recueillir les avis et les propositions des acteurs locaux. Les inspections générales en ont fait état dans leur rapport d’octobre 2011 puisqu’ils ont rencontré ces acteurs, tout en considérant que cet axe pouvait être grandement amélioré dans le cadre de la préparation du plan III. Nous en avons tenu compte puisque nous avons mis en place des comités de pilotage territoriaux, présidés par les préfets de Martinique et de Guadeloupe, qui se réunissent très régulièrement. » ([227]).
Aujourd’hui, le GREPP et le GREPHY n’existent plus. Les comités de pilotage locaux ont théoriquement perduré mais – de l’aveu des deux préfectures – ils ont été mis en sommeil pendant cinq ans, de 2013 à 2018, faisant ainsi disparaître tout relais local dans la mise en œuvre du Plan Chlordécone.
M. Éric Godard a regretté la disparition du GREPP et du GREPHY : « Après mon départ, on a complètement arrêté de réunir le groupe régional d’études des pollutions pour les produits phytosanitaires en Guadeloupe, le GREPP, ainsi que le GREPHY. J’ai en outre appris qu’en Guadeloupe la préfète Marcelle Pierrot avait décidé à partir de 2014 de ne plus réunir le GREPP. Même si je n’étais plus, à l’époque, chargé de mission, j’ai dénoncé la situation car je continuais d’essayer de faire avancer les choses. Mon directeur de l’ARS de l’époque a d’ailleurs adressé un courrier à ce sujet accompagné d’une de mes notes – j’en ai produit en 2012, en 2013 et en 2016 – de situation.
Les comités de pilotage territoriaux se réunissent aujourd’hui régulièrement mais toutes les parties prenantes n’y participent pas.
Au niveau national, M. Hervé Deperrois, directeur de l’Office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer (ODEADOM) et M. Patrick Vincent, directeur général délégué de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), ont ainsi indiqué à la commission d’enquête qu’ils ne participaient pas au comité de pilotage.
La Rapporteure souhaite ainsi souligner les défaillances dans la construction et le pilotage de la mise en œuvre des différents Plans Chlordécone. La prise de décision a été verticale : elle n’a pas associé les différents acteurs du terrain, qui vivent au plus près de la pollution, que ce soient les collectivités territoriales, les organisations professionnelles et les syndicats, ou encore les acteurs de santé.
Par ailleurs, le pilotage inclut de manière très insuffisante les populations. Les associations auditionnées en Guadeloupe et en Martinique ont, à ce titre, déploré le fait qu’elles sont très peu associées à la gouvernance des Plans.
Plusieurs services déconcentrés se partagent les compétences pour l’exécution de ces plans.
La question des contrôles illustre la multiplication des acteurs œuvrant autour de la question du chlordécone.
S’agissant de la qualité des eaux, les analyses relèvent du ministère de la santé, donc de la DEAL et des offices des eaux.
Quant aux denrées alimentaires, deux administrations, la DGCCRF au ministère de l’économie et des finances et la DGAL au ministère de l’Agriculture et de l’alimentation contrôlent les conditions d’utilisation des produits phytopharmaceutiques mis sur le marché ainsi que les résidus de ces produits.
M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation a rappelé la répartition des rôles entre ces deux administrations :
– « les contrôles des produits d’origine animale avant et lors de leur commercialisation et ceux des produits d’origine végétale avant leur commercialisation sont réalisés par le ministère de l’Agriculture, donc par les services de la direction générale de l’alimentation qui sont au sein des directions de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, c’est-à-dire les services de l’alimentation (SALIM) au sein de ces directions ;
– « Quant au contrôle des produits d’origine végétale après commercialisation, ce sont les services du ministère de l’économie et des finances, ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui en sont chargés. » ([228]).
De même, la répartition de la responsabilité de la cartographie des sols et des eaux est partagée entre plusieurs acteurs. Ainsi, comme l’a résumé à la commission d’enquête le directeur général de l’alimentation, M. Bruno Ferreira :
– « les services du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation se chargent de la réalisation des analyses de sols agricoles » ;
– « des cartographies des sols des zones urbaines et périurbaines existent mais elles relèvent du ministère de la transition écologique et solidaire » ;
– « par ailleurs, sont également organisées régulièrement des analyses des eaux, lesquelles relèvent de la compétence des Offices de l’eau des Antilles, qui assurent le suivi de nombreux pesticides – dont le chlordécone – grâce à une quarantaine de stations de mesure » ([229]).
À ces organismes, il faut ajouter les agences régionales de santé (ARS) qui peuvent être sollicitées par les particuliers ou des agriculteurs non professionnels cultivant un jardin familial pour faire analyser leur sol afin de connaître l’état de la pollution, ceci dans le cadre du programme « JAFA » (JArdins Familiaux).
Faisant le constat d’une transversalité des compétences, la Rapporteure souligne ainsi la nécessité de mieux coordonner les acteurs impliqués dans la lutte contre la pollution au chlordécone.
Le financement des Plans Chlordécone provient en grande majorité de crédits du budget de l’État dont le programme d’intervention territoriale de l’État (PITE), complété par des fonds européens et des financements réalisés par les collectivités territoriales.
Élément central du budget des différents Plans Chlordécone depuis 2008, le PITE, par son action 8 consacrée au chlordécone, est un outil de proximité, géré par les collectivités territoriales. D’après le professeur Jérôme Salomon, les mesures du PITE, « pilotées au niveau local par les préfets », constituent « un financement dédié, fléché et efficace pour les actions locales » ([230]). Selon la documentation fournie par la direction générale des Outre-mer (DGOM), le PITE intervient dans 13 des 21 actions du Plan Chlordécone III, et particulièrement sur les actions d’accompagnement des professionnels, d’information, de recherche et de contrôle sanitaire. Au plus près des territoires, il est le véritable levier de la lutte contre la pollution au chlordécone.
Cependant, le PITE est pris en charge par différents ministères, ce qui peut être à l’origine de distorsions. Lors de son audition, M. Éric Godard, assurait que « Le PITE est un outil extrêmement intéressant, mais très difficile à défendre, quand des ministères veulent le saborder. Nous avons rencontré beaucoup de difficultés, à certains moments, certains ministères contributeurs n’admettant pas qu’une partie de leurs crédits soient mutualisés de cette manière pour des actions dans lesquelles ils n’avaient pas particulièrement d’intérêts. » ([231]).
Les deux premiers plans se déroulaient sur une période de trois ans, 2008‑2010 pour le premier plan, 2011-2013 pour le deuxième plan. Les budgets inscrits dans les maquettes budgétaires initiales des deux premiers plans étaient respectivement de 33 millions d’euros et 31 millions d’euros.
Comme l’a rappelé M. Arnaud Martrenchar, « Chaque plan était doté d’environ 30 millions d’euros, dont une moitié financée par l’État et l’autre par les fonds communautaires – fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et fonds européen de développement régional (FEDER). Le FEADER finance l’accompagnement technique des agriculteurs et le FEDER la recherche. » ([232]).
Le troisième plan, dont la durée est de sept ans, se décompose en deux périodes d’un point de vue budgétaire. Mme Annick Girardin, ministre des Outre‑mer, précisait lors de son audition que « lors du plan III, le budget annoncé est en deux tranches : budget annoncé pour 2014-2017, c’est 15,1 millions d’euros prévus, dont 14,8 millions pour l’État et ensuite, nous passons en 2018, 2019 et 2020 » S’agissant des crédits du PITE, le Président de la République a annoncé, lors de son déplacement aux Antilles en septembre 2018, que « l’action de l’État sera portée à 3 millions d’euros par an en 2020 ».
Cependant, force est de constater leur sous-utilisation dans de nombreux domaines. En effet, grâce à la documentation fournie par la direction générale des Outre-mer (DGOM), il est possible de réaliser une analyse plus fine de l’utilisation concrète du financement et de la consommation des crédits.
S’agissant des actions sanitaires, d’après le ministère de la santé (1), le taux d’utilisation des crédits de paiements (CP) alloués au Plan Chlordécone I était de 75,89 %, et celui des autorisations d’engagements (AE) était de 83,39 %. En d’autres termes, ce sont 4,5 millions d’euros en AE et plus de 6 millions d’euros en CP qui n’ont pas été consommés. De même, lors de son audition, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, assurait que, sur le Plan Chlordécone III, « pour la première étape, allant de 2014 à 2017, le montant des crédits consommés atteignait 14,8 millions d’euros sur les 18 millions d’euros de participation de l’État, soit un taux de consommation de plus de 81 % » (1). Une partie des fonds reste donc inutilisée, et, nécessairement, plusieurs actions en pâtissent.
Quant à la réalisation d’une cartographie des sols contaminés, sur le Plan Chlordécone I, d’après la documentation précitée, le taux d’utilisation du budget alloué à cette action n’aurait été que de 8,34 %. Ce budget a été largement réduit mais totalement utilisé pour le Plan Chlordécone II, pour un montant global de 89 834 euros. Sur la période 2014-2018, le taux d’utilisation du budget de l’action 3 relative à la cartographie est de 88,39 %, soit un budget consommé de 1,1 million d’euros.
Enfin, un des problèmes majeurs de la sous-utilisation du budget des Plans Chlordécone concerne la recherche scientifique. Si les données concernant les deux premiers Plans Chlordécone sont parcellaires et permettent difficilement de tirer des conclusions, les données relatives au Plan Chlordécone III montrent que le budget alloué à l’axe III entre 2014 et 2018 n’a été consommé qu’à 54,61 %. Par suite, sur la même période, les actions pilotées par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation n’ont consommé que 35,46 % de leur budget.
Exécution budgétaire (en euros) pour la période 2014-2017 par axe
(en euros)
|
Budget |
Consommation |
Axe 1 |
5 595 213 |
4 537 372 |
Axe 2 |
4 416 271 |
4 325 988 |
Axe 3 |
3 034 672 |
1 401 187 |
Axe 4 |
5 119 375 |
4 518 387 |
Total |
18 165 531 |
14 782 934 |
Source : questionnaire budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019.
CONSOMMATION DES CRÉDITS DU PLAN CHLORDÉCONE I
(en euros)
Crédits alloués sur les 3 ans |
Crédits consommés sur les 3 ans |
||
Autorisation d’engagement |
Crédits de paiement |
Autorisation d’engagement |
Crédits de paiement |
27 735 783,22 |
26 167 960,06 |
23 127 605,41 |
19 859 849,66 |
Source : questionnaire budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019.
Par ailleurs, le fait majeur qui est ressorti de nombreuses auditions est la non-utilisation des financements européens dans le Plan Chlordécone. D’après la documentation de la DGOM, ces fonds interviennent en particulier dans l’analyse des sols, dans la recherche et l’accompagnement des agriculteurs, éleveurs et pêcheurs. Ainsi le Fonds européen de développement régional (FEDER) doit être un soutien pour la recherche, le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) prévoit des missions dans le domaine de l’agriculture, et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) est affecté à la pêche et à la mer. Sans ces financements, de nombreuses actions des différents Plans Chlordécone ne peuvent être menées. Lors de son audition, M. Sylvain Vedel, directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Guadeloupe, précisait « Aujourd’hui, nous n’avons pas de financement européen » ([233]). De même, pour M. Charly Vincent, président du Comité régional pêches maritimes et élevage marin (CRPMEM), « Aujourd’hui, nous avons 5 ans de retard sur le FEAMP, avec certaines actions qui ne démarrent que maintenant » ([234]). Dans tous les domaines de compétences partagées des fonds de l’Union Européenne, il existe donc des leviers budgétaires qui ne sont, à l’heure actuelle, que trop peu actionnés. En particulier, les fonds communautaires n’ont pas toujours abondé les actions des Plans Chlordécone, car ils « ont été mis en place tardivement », selon M. Arnaud Martrenchar (3). Ce dernier précise également que « nous avons entendu dire que les deux collectivités ne souhaitaient pas utiliser les fonds communautaires sur le dossier, considérant que la responsabilité de la pollution à la chlordécone relevait de l’État. ». Dès lors, les crédits alloués à plusieurs actions chlordécone qui relèvent de la compétence des collectivités territoriales et, par suite, de celle des institutions européennes, ne peuvent qu’être sous-utilisés.
Enfin, lors de son audition, M. Élie Domota, secrétaire général de l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG), a estimé qu’il avait évalué les Plans Chlordécone à 3 euros par an et par citoyen contaminé, ce qui ne permettait pas de réaliser des actions d’envergure.
*
* *
De l’ensemble de ces constats, découle l’urgence d’apporter des réponses concrètes et transversales pour réparer les dommages causés par la pollution au chlordécone.
— 1 —
Deuxième partie : une loi d’orientation et de programmation pour une stratégie de sortie du chlordécone
« Sortir du chlordécone » passe par l’affirmation d’un engagement de l’État. Une loi d’orientation et de programmation permettrait d’afficher cette volonté et de fixer des grands axes, pour restaurer la confiance des populations envers l’État, préserver et diversifier les filières agricoles locales, protéger les populations des risques sanitaires et enfin ériger la recherche en priorité stratégique.
A. Restaurer la confiance entre l’État et les populations
Depuis la découverte de l’ampleur de la pollution, l’État n’est pas resté inactif, comme l’a retracé la première partie du présent rapport. Cependant, le manque d’ambition des Plans Chlordécone comme le discours des autorités vis-à-vis de la population n’ont pas toujours été à la hauteur des enjeux.
1. Améliorer la construction et le pilotage des politiques publiques
a. Assurer le caractère interministériel du Plan Chlordécone par son adoption en Conseil des ministres
Les premiers Plans Chlordécone ont été élaborés par le directeur général de la santé, missionné par le Premier ministre. Leurs contenus ont été validés par le Gouvernement – dans les faits, par le Premier ministre.
Afin d’assurer le caractère interministériel du plan, et de marquer l’engagement politique du Gouvernement, la Rapporteure propose que le futur Plan Chlordécone IV soit élaboré sous l’égide du Premier ministre, et formellement adopté en Conseil des ministres, après avoir été présenté et débattu devant la représentation nationale au moyen d’une audition devant les délégations aux Outre-mer de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Proposition n° 1 : Organiser un débat sur le Plan Chlordécone devant le Parlement, avant son adoption en Conseil des ministres.
b. Mettre en place un délégué interministériel dédié au chlordécone
Les politiques publiques formalisées dans le cadre de différents Plans Chlordécone, nécessitent d’être incarnées avec une personnalité qui puisse mobiliser et coordonner les acteurs publics et privés et rendre compte auprès des élus et des populations des actions menées et des résultats obtenus.
La gouvernance des Plans Chlordécone a évolué au fil du temps, pour tenter de garantir une meilleure prise en compte du caractère interministériel des actions à mener, sans pour autant aboutir à une solution satisfaisante.
Dans le cadre du premier plan en 2008, a été mis en œuvre une architecture reposant largement sur les administrations centrales et notamment celle du ministère de la santé ([235]) :
– le directeur général de la santé assurait le rôle de coordinateur interministériel du plan d’action, auprès duquel était placé un fonctionnaire de haut niveau du ministère chargé de l’agriculture et deux fonctionnaires du ministère de la santé ;
– il présidait un comité de pilotage national (CPN), composé des représentants des ministères, et auquel étaient associés les établissements publics impliqués dans le plan.
– des groupes scientifiques régionaux – groupe régional d’études des pollutions pour les produits phytosanitaires en Guadeloupe (GREPP) et groupe régional phytosanitaire (GREPHY) en Martinique – étaient consultés sur les orientations, la mise en œuvre et le suivi du plan ;
– un chargé de mission interrégional, placé auprès des préfets de Guadeloupe et de Martinique, veillait à la cohérence des actions de communication et des programmes de prévention des risques.
La société civile était censée être tenue régulièrement informée de l’avancement des travaux dans le cadre de groupes de discussion.
Le Plan Chlordécone II a retenu la même architecture, le plan restant piloté par le directeur général de la santé ([236]).
Le Plan Chlordécone III a réformé ce dispositif :
– en prévoyant un copilotage national : « concernant la gouvernance nationale, le cabinet du Premier ministre a décidé que le plan serait piloté conjointement par le ministère des affaires sociales et de la santé et le ministère des Outre-mer » ([237]) ;
– en confiant le pilotage local aux préfets : « En ce qui concerne la coordination locale, les préfets de Guadeloupe et de Martinique coordonnent la définition locale du Plan pour leurs départements respectifs. Le Préfet de Martinique assure néanmoins la coordination interrégionale pour la gestion budgétaire du Programme d’interventions territoriales de l’État. »
Le plan III insistait sur l’approche locale : « Les constats des évaluations des plans doivent conduire les préfets à renforcer la gouvernance locale du plan pour une meilleure appropriation de la population martiniquaise et guadeloupéenne ».
Dans les faits, cette solution n’a pas donné de résultats probants ; les multiples missions que doit remplir le préfet ou le secrétaire général d’une collectivité territoriale unique ou d’une région et d’un département sont difficilement compatibles avec la nécessité d’avoir un interlocuteur dédié à plein temps.
Dans le même temps, la mise en place entre 2008 et 2013 d’un chargé de mission interrégional en la personne de M. Éric Godard, sans autorité sur les services déconcentrés, n’a pas donné les résultats escomptés : « Mes difficultés sont explicitement exposées dans le rapport de la mission d’évaluation du plan de 2011, [...] de[s] demandes d’appui restant sans réponse et de[s] surcharge de travail, ce qui ne me permettait pas d’assurer correctement l’information de la population, ni de disposer de toutes les informations nécessaires. » ([238])
Aussi la Rapporteure estime nécessaire qu’un référent chlordécone soit désigné à plein temps pour piloter le plan à la fois au niveau national et au niveau local. Un délégué interministériel « chlordécone », nommé en Conseil des ministres et ayant rang équivalent au préfet, pourrait plus aisément assurer une triple tâche :
– piloter la mise en œuvre du Plan Chlordécone et les crédits afférents, en aiguillonnant l’action publique, dans tous les domaines, des directions centrales, des services déconcentrés et des opérateurs et en présidant les comités de pilotage ;
– personnifier l’engagement de l’État, en assurant un compte rendu périodique de la mise en œuvre du plan ;
– assurer la communication et le dialogue envers les différents publics, par exemple en animant, de manière régulière, des réunions thématiques dans chacun des cantons de Guadeloupe et des sections électorales de Martinique.
Le délégué interministériel devrait nécessairement résider aux Antilles, et être accompagné d’un adjoint, résident sur l’autre territoire, ainsi que d’une équipe restreinte, le Plan Chlordécone restant mis en œuvre par les services déconcentrés existants.
Proposition n° 2 : Nommer un délégué interministériel chargé de l’exécution du plan chlordécone, pour assurer la coordination et la transversalité des politiques publiques.
c. Repenser la co-construction du prochain Plan Chlordécone
i. L’urgence d’associer les populations aux prises de décision
Les acteurs auditionnés par la commission d’enquête, et particulièrement les associations, ont tous souligné que les trois premiers plans n’ont fait que très peu de place au dialogue et à l’écoute de la société civile dans les territoires. Et ce malgré les consultations institutionnelles élaborées par les administrations centrales et mises en œuvre par les services déconcentrés de l’État.
Comme l’a confirmé la direction générale des Outre-mer ([239]), « l’élaboration du plan I a peu associé les acteurs locaux. Depuis le 1er Plan Chlordécone en 2008, les acteurs locaux ont été invités aux comités de pilotage locaux (Grephy) et ont pu formuler leurs observations. L’élaboration des plans II et III a fait l’objet de réunions de concertations locales qui ont permis de recueillir les avis et propositions des acteurs et élus locaux. Par ailleurs, les inspections générales ont rencontré en 2011 les acteurs locaux lors de leur mission d’évaluation dont les recommandations ont conduit à l’ajout dans le plan III d’un axe sur l’implication de la population locale et d’un axe sur l’accompagnement des socio-professionnels. ». En effet, seul le dernier plan incluait un axe de travail sur les modalités du « vivre ensemble » et la création de groupes de discussion locaux.
Les associations auditionnées ont regretté que les populations ne soient pas associées de manière plus fine à l’élaboration et à la mise en œuvre des Plans Chlordécone.
La nécessité de cette prise en compte des avis de la population est largement partagée par tous les acteurs. Ainsi, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a souligné : « Si nous voulons construire un grand Plan Chlordécone IV à la fin de cette feuille de route, cela ne peut se faire qu’en co-construction. Nous avons aussi besoin des élus nationaux et locaux et peut-être même de la population qui a envie de s’impliquer pour déterminer la marche à suivre. (…) » ([240]).
De même, M. Philippe Verdol, président de l’Association EnVie-Santé, a insisté sur la nécessité d’un espace « où la société civile puisse apprécier l’évolution des actions menées, critiquer et faire des propositions. ». Il expliquait : « Les GREPP et GREPHY ont été mis en place en 2011 par les préfectures de Guadeloupe et de Martinique et ont pour finalité de fournir une structure d’information à la population. De 2001 jusqu’à 2013, les préfectures faisaient le point une à deux fois par an sur l’état de l’environnement. […] Nous sommes donc passés d’instances où nous pouvions vaguement nous exprimer à des instances de pilotages de plans (comités de pilotage) dans lesquelles nous n’avons pas contribué. Lorsqu’il a été élaboré, le Plan Chlordécone III n’a été présenté ni en Guadeloupe, ni en Martinique. On nous demande désormais de nous asseoir et de tout approuver. » ([241]).
M. Harry Durimel, avocat et président de l’association Rassemblement écologiste et volontariste (Rev’ Guadeloupe) a abondé dans ce sens en affirmant qu’il fallait faire plus de pédagogie pour aider la population, et mieux l’informer. Ceci passe par une coopération entre l’État, les collectivités, les élus locaux, les experts, les associations et les habitants. ([242])
Cette intégration trop lente de la société civile dans la conception et la mise en œuvre des Plans Chlordécone explique, le sentiment largement partagé que la lutte contre le chlordécone se décide depuis Paris, dans les ministères, de manière verticale, sans tenir compte de la participation des populations.
ii. Impliquer les Guadeloupéens et les Martiniquais tout au long de la démarche
Il importe donc que le quatrième Plan Chlordécone soit réellement co‑construit avec la société civile.
Le succès rencontré par les débats ouverts au public lors du colloque scientifique et d’information sur la pollution par le chlordécone qui s’est tenu du 16 au 19 octobre 2018 en Martinique et en Guadeloupe, a bien montré que l’intérêt pour la connaissance scientifique dépassait le cadre des représentants institutionnels. C’est pourquoi une discussion continue avec les populations doit s’instaurer.
Selon la Direction générale des Outre-mer, « la préparation du Plan Chlordécone IV comprendra […] une concertation conduite par les préfets au second semestre 2019 ; une consultation publique formelle à l’automne 2020. »
Il apparaît nécessaire que cette consultation publique puisse avoir lieu à la fois :
– en amont, lors de l’élaboration du projet de plan ;
– sur le projet de plan, comme le prévoit le Gouvernement, à l’automne 2020.
iii. Expérimenter la co-construction du Plan Chlordécone par un conseil citoyen
Les mouvements récents de la société ont montré que la mise en place d’instance de représentation et de concertation avec les acteurs institutionnels ne suffisait pas à épuiser la demande de participation des citoyens à la décision démocratique.
Il est nécessaire de réfléchir à la création d’un espace de dialogue, d’échange et de participation avec les populations, aux côtés de la collectivité territoriale de la Martinique, du conseil départemental et du conseil régional de la Guadeloupe, ainsi que des conseils scientifiques. Et, pour s’assurer de sa légitimité et de sa pleine prise en compte dans les décisions, ce nouvel outil devra être placé sous l’égide du délégué interministériel nouvellement nommé.
Cela pourrait prendre la forme d’un conseil citoyen dans chaque territoire, regroupant une centaine de personnes. Les modalités d’adhésion pourraient être élaborées sur la base du volontariat ou du tirage au sort (sur le même modèle que l’actuelle convention citoyenne sur le climat), et devrait nécessairement inclure la représentation des associations existantes. Les membres du conseil citoyen pourraient, dès lors, se réunir pour des week-ends de travail. Ils seraient chargés de proposer des mesures à intégrer dans le futur Plan et d’émettre des avis et des recommandations sur chaque action de la feuille de route élaborée par le Gouvernement.
Au cours de l’exécution du Plan, la démarche devrait impérativement se poursuivre afin d’évaluer l’application du Plan, les actions mises en œuvre et les progrès accomplis.
Proposition n° 3 : Créer un conseil citoyen, chargé de débattre et d’émettre des propositions dans le cadre de l’élaboration du prochain Plan Chlordécone.
d. Mettre en place un Comité stratégique dans les territoires
Dans l’architecture existante, le suivi de l’exécution du Plan Chlordécone repose sur un comité de pilotage national, regroupant les représentants des administrations centrales sous l’autorité du coordinateur interministériel, et des comités de pilotage locaux, regroupant autour du préfet les représentants des administrations déconcentrées et des opérateurs de l’État. Cela ne laisse aujourd’hui aucune place à la représentation des collectivités locales, des organisations professionnelles, des syndicats ou encore des associations de citoyens.
Il importe que ce dispositif soit revu afin que les élus, la société civile, les acteurs économiques puissent être informés et pleinement impliqués dans l’exécution du plan.
Aussi le délégué interministériel présiderait un comité stratégique dans chaque territoire, éventuellement sous la forme d’un groupement d’intérêt public, regroupant de manière régulière les diverses parties prenantes :
– les représentants des collectivités territoriales, assemblées délibératives de la collectivité territoriale de la Martinique, du conseil départemental et du conseil régional de la Guadeloupe ;
– les services déconcentrés et les opérateurs de l’État dans les territoires ;
– les acteurs de la société civile dans sa diversité et notamment les associations de protection de l’environnement, ou développant une action sanitaire, ainsi que les chercheurs, notamment en sciences sociales, qui remettent le chlordécone dans son contexte social et politique ;
– les représentants des filières économiques et organisations professionnelles, notamment d’agriculteurs et de pêcheurs ;
– les représentants du monde du travail, avec les syndicats représentatifs à l’échelle locale.
Cette instance permettrait de suivre les actions engagées, de débattre et d’émettre des avis sur de l’exécution du Plan Chlordécone,
Proposition n° 4 : Mettre en place dans chaque territoire un comité stratégique, éventuellement sous la forme d’un groupement d’intérêt public, regroupant tous les acteurs locaux, chargé de suivre l’exécution du prochain Plan Chlordécone.
2. Communiquer différemment, mieux informer
a. Une communication longtemps négligée
Alors que les mesures d’évaluation de la pollution étaient prises, la communication envers la population était négligée.
Le rapport des inspections réalisé en avril 2005 ([243]) considérait déjà que « la communication revêt une importance particulière », mais consacre ses développements à la communication interne au sein des services de l’État, puis à la nécessité d’améliorer la communication vis-à-vis des partenaires institutionnels, avant de délivrer un satisfecit à la communication en direction du grand public, résumées à quelques fiches synthétiques et à des relais dans les médias locaux.
En juin 2009, le rapport de l’OPECST est encore plus catégorique : « Le fait que la réalisation de ces programmes soit en bonne voie, n’élude pas un problème, celui de la communication de leurs résultats aux populations concernées » ([244]).
De nouveau, le rapport d’évaluation du Plan Chlordécone II, réalisé par les corps d’inspection en 2011, juge que « la communication, tardive, mal clarifiée et souvent différée, est finalement peu crédible » mettant en cause notamment « l’absence de consensus, sur l’objectif comme sur le message, entre ses acteurs. » ([245]).
Cette question reste déterminante jusqu’à récemment. M. Éric Godard, lors de son audition a rappelé qu’en 2016, il avait alerté le cabinet de la ministre de la santé de l’époque sur le fait que « la communication était totalement éteinte » : « On ne savait en effet plus à l’époque ce que faisait l’État en dehors du programme JAFA : il s’agissait en effet de la seule communication issue du Plan Chlordécone audible par le public » ([246]).
La Rapporteure souligne qu’encore aujourd’hui, les actions de communication à destination du grand public, que ce soit lors de réunions publiques, dans les médias, sur internet et sur les réseaux sociaux, reste trop timide et manque d’ambition.
b. Une communication anxiogène
Les évaluations et les études menées sur les conséquences de la pollution ont conduit à des communications publiques plus anxiogènes que rassurantes.
Le constat établi que le chlordécone était présent dans certaines terres, dans les rivières, et jusque dans l’environnement marin, sans que l’on soit en mesure de déterminer des zones totalement exemptes a pu alimenter les peurs et les rumeurs de toute sorte.
L’étude Kannari, qui a montré que plus de 90 % de la population antillaise présente du chlordécone dans son sang (95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais) ([247]), a pu renforcer cette anxiété, d’autant plus qu’en l’absence de données médicales sur les conséquences sanitaires des niveaux de chlordécone détectés par les tests disponibles sur le marché, il est délicat d’informer sur le risque sanitaire encouru. Cette étude, qui a mis en lumière la contamination de la quasi-totalité de la population des deux territoires, n’a pas fait l’objet d’une communication et d’un travail de pédagogie suffisants, ce qui a indéniablement conduit à un climat très anxiogène et pessimiste sur les conséquences sanitaires du chlordécone.
Comme l’a rappelé M. Henri Louis-Régis, de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (ASSAUPAMAR) et les autres associations rencontrées sur place, ce climat anxiogène est alimenté par le manque d’informations fiables sur les conséquences et les mesures mises en œuvre.
La communication autour des limites maximales de résidus (LMR) illustre à la fois la défiance des populations vis-à-vis des messages institutionnels et ce climat d’inquiétude.
Suite à l’évolution des connaissances scientifiques, les LMR ont été modifiées en 2018 et en 2019, alimentant toutes les suspicions sur leur pertinence et faisant émerger la demande de « zéro chlordécone ». S’agissant des LMR dans la viande, la valeur de gestion a été modifiée pour tenir compte des dernières études de l’ANSES, mais non leur seuil, qui est fixé au niveau communautaire et est resté inchangé. M. Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur des politiques publiques de la DGOM a ainsi déclaré : « Même après l’avis de l’ANSES en décembre 2017, qui a beaucoup fait parler, le seuil de 100 microgrammes a continué d’être utilisé par les services de l’État à l’abattoir. S’il y a eu une confusion en 2013 autour d’un point technique – fallait-il rapporter au poids vif ou à la graisse ? –, les LMR n’ont pas augmenté. » ([248]).
En conséquence, s’est développé en Guadeloupe et en Martinique un climat où la parole est bridée, de peur d’alimenter des peurs irrationnelles.
Ceci a pu conduire à pratiquer une forme d’autocensure de la part des scientifiques et des chercheurs en charge du dossier : ainsi M. Éric Godard a déclaré que « Entre 1999 et 2001, je n’ai eu aucun souci pour parler des travaux de recherche et de leurs résultats, quels que soient les médias, puisque j’ai fait une soixantaine d’interventions publiques sur le sujet. En revanche, après la publication du rapport, j’ai été, en quelque sorte, interdit de parole. [...] On pensait, en gros, que je voulais faire croire que tout était pollué, que j’étais un ayatollah des pesticides et que je voulais mettre la Martinique à feu et à sang, alors que je ne faisais que parler de la réalité et anticiper sur ce que tout le monde a reconnu depuis : il existait une pollution à grande échelle de l’environnement et des terres agricoles, aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe. […] L’une des raisons qui m’a été donnée était que je tenais un discours trop anxiogène, que j’allais faire peur. Il m’a aussi été dit que j’étais trop exposé » ([249]).
c. Un sentiment diffus de discrimination
Enfin, le peu d’informations disponibles notamment sur les archives officielles des ministères ou des services déconcentrés ont alimenté un certain sentiment de discrimination, voire, dans certains cas, la naissance de fantasmes ou de visions « complotistes » sur la réalité des faits
En effet, malgré les dépôts de plainte contre X, aucune enquête n’avait pu mettre à jour l’ensemble des archives et documents sur l’autorisation et l’utilisation du chlordécone, alimentant un double procès en discrimination ([250]) :
– l’autorisation d’utilisation du chlordécone pour lutter contre le charançon du bananier aux Antilles n’aurait jamais été délivrée pour une utilisation en agriculture en France hexagonale ;
– les mesures prises par l’État pour évaluer et contenir la pollution auraient été d’une autre échelle s’il s’était s’agit d’un territoire hexagonal ;
– les contrôles ne sont pas suffisamment efficaces pour éliminer des circuits d’approvisionnement des produits contaminés.
Ainsi, comme le résume M. Éric Godard, « la confiance avait été en partie écornée – et bien écornée – parmi une frange importante de la population, compte tenu des incertitudes planant sur la qualité des contrôles réalisés, qui peuvent laisser passer des produits contaminés selon les marchés » ([251]).
d. Unifier l’information et la communication
C’est pourquoi, dans la perspective d’une construction et d’un pilotage transversal et coordonné, la Rapporteure recommande de repenser entièrement la communication et de l’unifier.
Cela ne pourrait se faire que sous la responsabilité du délégué interministériel, qui disposera d’une vision d’ensemble des actions engagées, et qui aura la capacité d’incarner et de personnifier la lutte contre le chlordécone. Il convient, néanmoins, de rappeler que depuis 2011, les efforts de transparence et de communication se sont multipliés.
Sur Internet, désormais, les citoyens désireux d’en savoir plus sur le Plan Chlordécone et les actions mises en œuvre peuvent désormais trouver des informations via :
– un site national, chlordecone-infos.fr, géré par l’Anses, dédié au chlordécone et aux connaissances scientifiques sur cette molécule. Ce site est plutôt une source d’informations scientifiques et de données sur la pollution qu’une source d’informations grand public ;
– des synthèses des 21 actions et des perspectives et priorités pour 2019 et 2020, sur le site du ministère des solidarités et de la santé ;
– un recueil de fiches d’information sur le chlordécone, élaboré sous l’égide de l’ARS de Martinique et publié sur son site internet ;
– le site internet de la préfecture de Martinique ;
– le site internet de la préfecture de Guadeloupe et un nouveau site dédié planchlordeconeguadeloupe.fr.
Cependant, la démultiplication des sources d’information et de communication au travers de différentes institutions a conduit à rendre illisible le travail de pédagogie et de transparence.
C’est pourquoi le délégué interministériel sera chargé d’unifier la politique de communication Elle devra être adaptée à chaque public visé, pour leur permettre, à partir des données scientifiques, de bénéficier de conseils adaptés et accessibles en français comme en créole. En outre, une évaluation régulière sera nécessaire. Surtout, elle devra nécessairement s’incarner à travers la personnalité du délégué interministériel, doté d’une parole publique et médiatique légitime, crédible et engagée au service des territoires.
L’unification de la politique de communication devra combiner tous les supports :
– un site Internet unique de ressources documentaires, permettant d’avoir accès à l’ensemble des travaux scientifiques et des rapports réalisés sur le chlordécone ;
– un site unique de communication grand public, comprenant des plaquettes d’explications adaptées aux différents publics, des conseils pratiques ;
– des réponses précises apportées aux questions des citoyens, que ce soit sur les réseaux sociaux ou au moyen d’accueil téléphonique ; un numéro vert, solution peu coûteuse et pourtant efficace en matière d’information, doit être créé de manière à recueillir les interrogations des citoyens sur le chlordécone, d’apporter une écoute, des conseils et une orientation. La même démarche pourrait également être mise en place sur les réseaux sociaux. La mise en place de tels outils est indispensable : en effet, lors de ses auditions en Martinique, la commission d’enquête n’a pu que constater le manque d’accompagnement de certains citoyens ne sachant pas à quel interlocuteur s’adresser en cas d’interrogation ou d’inquiétude sur le chlordécone.
Cette communication unifiée sera également un moyen efficace pour détecter et pour apporter des réponses aux rumeurs et aux interprétations fallacieuses qui peuvent se rencontrer
Proposition n° 5 : Confier au délégué interministériel la mise en œuvre d’une politique unifiée de communication envers les différents publics.
Créer un numéro vert consacré à la pollution au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique
Par ailleurs, M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’ANSES ([252]) a souligné l’importance des sciences humaines et sociales pour élaborer les messages, les faire circuler dans l’opinion. Il a donc appelé à les étendre à d’autres types de situations.
e. Développer l’information et l’éducation sanitaire
Dans le cadre de cette politique de communication, la Rapporteure estime qu’un public à privilégier serait les élèves de l’enseignement primaire et secondaire, au collège. En effet, les enfants sont souvent les meilleurs vecteurs puisqu’ils sont à même de sensibiliser leurs familles sur les enjeux et sur les bonnes pratiques à adopter.
Dans ce cadre, le projet « Mon environnement, ma santé » mené en Guadeloupe au collège Germain Saint-Ruf de Capesterre Belle-Eau montre qu’il est possible de faire œuvre utile.
Le projet « Mon Environnement, Ma Santé » de Capesterre Belle-Eau
L’instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) de Guadeloupe a proposé le projet « Mon environnement, ma santé » au collège Germain Saint-Ruf de Capesterre Belle-Eau durant le premier semestre 2018 dans le cadre du programme « JAFA » (Jardins familiaux).
Ce projet a réuni quatre classes du collège et avait pour point de départ la problématique locale de la pollution des sols par le chlordécone. Les jeunes ont pu faire des rencontres, des expérimentations, prendre une part active à des actions citoyennes et être sensibilisé aux problématiques environnementales.
Différentes étapes composaient ce projet :
– un QCM géant sur l’agriculture, les pesticides et le chlordécone ;
– des visites sur le terrain, chez un paysan qui cultive sans pesticide, un groupement de producteurs en cours de conversion vers l’agriculture biologique et un agriculteur conventionnel ;
– la construction d’un questionnaire sur l’évolution dans le temps des jardins créoles (qu’est ce qui a changé ? Comment manger local tout en garantissant la qualité, la sécurité ?). Ce questionnaire a été l’occasion de mettre en place des échanges intergénérationnels pour y répondre, notamment avec les parents et les grands-parents ;
– une phase de mise en application des acquis développés lors des étapes précédentes, avec la plantation de fruits et légumes ;
– l’organisation d’un ciné-débat : c’est comment ailleurs ? En poursuivant ici l’objectif de montrer que l’usage des pesticides est une problématique à échelle mondiale ;
– un travail de restitution et d’expression des élèves sur ce qu’ils ont appris en matière de santé alimentaire et environnementale, avec l’élaboration d’une pièce en slam. Cette pièce a été jouée à Capesterre, devant la préfecture, l’ARS et la DAAF.
Les résultats de ce projet ont été très positifs, à tel point que l’ARS souhaite dupliquer l’expérience dans trois autres établissements du croissant bananier. L’IREPS et le programme JAFA réfléchissent actuellement à des supports pédagogiques.
Proposition n° 6 : Instaurer dans les établissements scolaires une éducation sanitaire autour de la pollution du chlordécone, en faisant monter en puissance les expérimentations déjà réalisées
Ce principe pourrait être repris par la mise en place d’une journée de connaissance et de lutte contre le chlordécone dans les deux territoires.
La Rapporteure propose ainsi de mettre en place chaque année une journée dédiée au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, sur le même modèle que les journées nationales – voire internationales – dédiées à une question de santé publique (telles que la journée nationale du diabète ou la semaine de la vaccination, etc.).
Cet évènement annuel et régional aurait ainsi vocation à mobiliser l’ensemble des acteurs institutionnels, éducatifs, sanitaires, économiques et médiatiques, dans une démarche d’information, de sensibilisation et de prévention.
Proposition n° 7 : Mettre en place, chaque année, une journée dédiée au chlordécone dans les deux territoires, illustrée par des actions de sensibilisation dans l’espace public.
3. Garantir la transparence par une connaissance de l’étendue de la pollution
Dix-neuf ans après la découverte de la pollution et de son origine, la commission d’enquête n’a pu que constater que la cartographie des terres contaminées et leur niveau de contamination restaient parcellaires et en chantier.
a. Une première cartographie des sols réalisée
Si les premiers résultats d’analyse financés par le ministère de l’Écologie datent de 1990 selon M. Thierry Caquet, directeur scientifique « environnement » de l’INRA, une première cartographie des sols a été réalisée en 2003 en Martinique à l’initiative de l’État sur la base de l’historique bananier, de la carte des sols de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), de la pluviométrie et de 300 analyses réalisées sur ce territoire. En 2004, le ministère de l’Agriculture lance des analyses de sol agricole, assorties de conseils aux agriculteurs. À partir de 2006–2007, la DAAF de Martinique intègre toutes ces analyses dans un système d’information géographique et demande en 2009–2010 au BRGM de créer une base de données qui recense toutes les analyses effectuées par tous les acteurs, que ce soit la DAAF, les chambres d’agricultures, les ARS, le BRGM ou le CIRAD. Comme le relevait la DGAL, cette première base a résulté d’une agrégation de données existantes et non d’une méthodologie bien définie.
Depuis, une base de donnés mettant à jour des cartographies de la Martinique et de la Guadeloupe est annuellement actualisée par le BRGM qui en a la responsabilité.
Jusqu’en 2017, ces informations n’étaient accessibles qu’aux instituts de recherche ou aux autres institutions publiques.
Le 24 mai 2017, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), a rendu un avis rendant obligatoire la publication des données de l’État concernant les pollutions environnementales quand bien même ces données permettraient l’identification individuelle des parcelles. C’est ainsi que depuis avril 2018 la cartographie de la contamination est disponible sur les sites Internet des préfectures de la Martinique et de la Guadeloupe ([253]).
Prévues par les différents Plans Chlordécone, ces cartographies doivent avant tout « permettre de déterminer ce qui peut et ce qui ne peut pas être cultivé sur tel ou tel sol » résume M. Bruno Ferreira. Ces analyses sont associées à un dispositif de conseil aux agriculteurs et aux éleveurs.
La priorité a longtemps été donnée aux zones bananières où le chlordécone a été utilisé mais on sait aujourd’hui que la pollution se déplace, sous l’effet de facteurs extérieurs comme le transport de terre ou l’écoulement d’eaux d’irrigation contaminées, ou encore par lessivage. Ainsi, les zones de prélèvements sont désormais définies en tenant compte de données exogènes telles que la pédologie et la pluviométrie. Nécessité que confirme le constat de Mme Nathalie Dörfliger, directrice du programme scientifique concernant les eaux souterraines au BRGM : « certaines communes ayant un historique bananier peu marqué ou nul subissent aussi une contamination significative au chlordécone. » ([254]).
Il apparaît dès lors nécessaire d’approfondir les efforts pour mieux connaître l’étendue de la contamination dans les zones de culture situées hors du « croissant bananier ».
Les analyses font l’objet d’un protocole d’échantillonnage similaire élaboré par le BRGM et le CIRAD expliqué par Mme Nathalie Dörfliger : « on définit quatre zones dans un périmètre donné, où l’on prélève à chaque fois cinq carottes, ce qui en fait vingt au total ». « Vingt carottes sont prélevées pour un hectare de parcelle » ([255]) a précisé sa collègue Mme Pascale Michel, correspondante « environnement » pour l’appui aux politiques publiques de la direction Eau, environnement et écotechnologies au BRGM. La profondeur investiguée est de 30 centimètres.
b. La question des analyses obligatoires et de leur coût
Pour les professionnels agricoles comme pour les particuliers qui cultivent un jardin familial, les analyses de sol sont toujours facultatives.
Pour les professionnels, ces analyses sont payantes, même si des dispositifs de prise en charge par des crédits européens ou nationaux peuvent être activés, ce qui est le cas en Guadeloupe. Pour les particuliers, ces analyses sont prises en charge par l’Agence régionale de santé.
Proposition n° 8 : Généraliser, pour les professionnels et au même titre que pour les particuliers, la prise en charge financière du coût de l’analyse des sols (par le budget de l’État ou le fonds FEADER).
La question du coût de l’analyse est pourtant centrale. Elle oscille entre 87 euros et 142 euros, frais d’envoi compris, lorsque ces analyses sont réalisées dans l’Hexagone. Le choix du laboratoire résulte d’un appel d’offre.
Pour M. Arnaud Martrenchar adjoint au sous-directeur des politiques publiques de la DGOM, la vraie difficulté vient de l’absence d’obligation d’analyse des sols et de fait, « beaucoup d’agriculteurs refusent de faire ces analyses car ils ont peur de la perte de valeur de leur terrain qui pourrait en résulter ». Il ajoute : « L’État fait les analyses si l’agriculteur est d’accord – il est propriétaire de son terrain et ne peut donc y être contraint. Si l’État diligence l’analyse, il la paie. Si l’agriculteur veut analyser son sol, alors il doit payer mais peut solliciter une intervention du FEADER si la mesure est ouverte. » ([256]).
De ces analyses de sol résultent pourtant des recommandations indiquant le type de culture à privilégier en fonction du niveau de contamination des sols ([257]).
Des arrêtés rendant obligatoire l’analyse des sols devenus caducs
Des arrêtés préfectoraux ont été pris en mars 2003 en Martinique, et en octobre 2003 à la Guadeloupe, contraignant les agriculteurs à faire analyser les sols avant toute mise en culture de légumes-racines. Si les agriculteurs décidaient de produire malgré la pollution de leur sol, ils étaient contraints de faire analyser les végétaux produits et en cas de contamination, leur production était interdite à la vente.
Ces arrêtés sont devenus caducs avec l’adoption de plusieurs règlements européens ([258]) instaurant les limites maximales de résidus et, surtout, un renversement de la charge de la preuve pour les exploitants qui doivent désormais fournir tous les éléments de preuve propres à justifier la conformité de leur production ([259]).
Ceci sous forme déclarative circonstanciée (identification de la parcelle, informations sur les noms, les volumes et les dates d’épandage des produits phytosanitaires employés, etc.). La connaissance ne peut donc être fondée sur la seule analyse volontaire des sols par les exploitants agricoles.
c. L’état de connaissance de la pollution des sols en Guadeloupe
Les données développées ci-dessous, pour les deux territoires, proviennent d’une note récapitulative transmise par la direction générale de l’alimentation datée du 23 juillet 2019 et confirmée par les divers témoignages des personnes auditionnées au fil des travaux de la commission.
ÉTAT des lieux de la cartographie de la GUADELOUPE
(dépendances comprises)
(ha = hectares)
Type d’occupation du sol |
Surface totale |
Surface analysée |
% de couverture |
|
Surfaces agricoles |
Surfaces agricoles déclarées (RPG 2019) |
26 770 ha |
2 776 ha |
10,0 % |
Surfaces agricoles non déclarées |
25 320 ha |
494 ha |
2,0 % |
|
Sous-total surfaces agricoles |
52 090 ha |
3 270 ha |
6,3 % |
|
Zones périurbaines |
Zones périurbaines (estimation SAFER) + JaFa |
– |
205 ha |
– |
Zones péri-urbaines dans le cadre de l’action 3 du plan III |
|
1 552 ha |
120 ha |
7,7 % |
Total général (Guadeloupe) |
162 800 ha |
3 475 ha |
2,1 % |
Source : Bureau de la coordination en matière de contaminants chimiques et physiques DGAL et calculs de la commission d’enquête.
À ce jour, 3 475 hectares au total (soit plus de 6 355 parcelles analysées) ont été cartographiés soit seulement 2,1 % du territoire.
L’essentiel de ces surfaces – 3 270 hectares – se trouve en zone agricole, ce qui ne représente que 6 % des 52 090 hectares de la surface agricole utile (SAU) de la Guadeloupe. 85 hectares ont été analysés dans le cadre du programme JAFA et 120 hectares dans le cadre de l’action 3 du Plan Chlordécone III ([260]).
La note de la DGAL précitée précise que 1 100 nouvelles analyses seront produites en 2019 :
– l’étude Chleauterre conduite en 2017 a permis d’identifier une zone à risque de contamination d’une superficie de 14 200 hectares. À ce stade, seules 16 % de ces parcelles à risque ont été analysées. Le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation a donc programmé pour 2019 750 analyses sur cette zone. Ces analyses résulteront de demandes particulières des agriculteurs ou de l’identification de parcelles aux productions sensibles : élevage, maraichage, agriculture biologique ;
– 100 analyses supplémentaires sont également programmées sur les parcelles plantées en banane afin d’évaluer le risque auquel s’exposent les ouvriers agricoles et de conseiller les producteurs qui produisent des légumes dans l’inter‑rang (cucurbitacées) ;
– 260 analyses sont prévues par le programme JAFA.
Mme Nathalie Dörfliger a livré quelques commentaires des échantillonnages : « En Guadeloupe, sur les 792 échantillons prélevés dans des zones périurbaines stratégiques, notamment compte tenu des plans locaux d’urbanisme (PLU), 172 avaient une teneur en chlordécone supérieure au seuil de détection, à savoir 0,0005 mg/kg. À l’échelle de l’ensemble du territoire, environ 54 % des plus de 5 000 analyses réalisées au 1er juin 2018 avaient un résultat positif, majoritairement dans le cas de prélèvements issus de zones agricoles impactées. Ces analyses couvrent environ 2 % du territoire. » Elle conclut à la nécessité de produire des analyses et des échantillons complémentaires afin que ces données soient statistiquement valides, même si « la méthodologie de la cartographie est robuste » ([261]).
Carte de la contamination des sols par le chlordécone en Guadeloupe et des productions possibles au vu des analyses de sols effectuées
Juin 2019
Source : ChlEauTerre 2017 (CIRAD-INRA), IGN – Scan100, BRGM, JAFA Guadeloupe, DAAF
(http://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Guadeloupe_cle015bef.pdf)
Légende :
|
|
|
|
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d. L’état de connaissance de la pollution des sols en Martinique
ÉTAT des lieux de la cartographie de la Martinique
(ha = hectares)
Type d’occupation du sol |
Surface totale |
Surface analysée |
% de couverture |
|
Surfaces agricoles |
Surfaces agricoles déclarées (RPG 2018) |
19 897 ha |
3 989 ha |
20,0 % |
Surfaces agricoles non déclarées |
16 604 ha |
2 155 ha |
13,0 % |
|
Sous-total surfaces agricoles |
36 501 ha |
6 144 ha |
16,8 % |
|
Zones périurbaines |
Zones périurbaines (estimation SAFER) |
5 959 ha
dont 4 377 ha hors agricole |
365 ha
dont 185 ha hors agricole |
6,1 %
soit 4,23 % hors agricole |
Autres zones potentiellement urbaines (photo satellite) |
4 105 ha
dont 4 039 ha hors agricole |
109 ha
dont 90 ha hors agricole |
1,7 %
soit 2,23 % hors agricole |
|
Dont zone péri-urbaines analysées dans le cadre de l’action 3 du plan III |
– |
87 ha |
– |
|
Dont Jardins familiaux |
(30 à 50 000 jardins) |
– |
– |
|
Sous-total zones périurbaines |
8 416 ha |
286 ha |
3,27 % |
|
TOTAL (zones agricoles + périurbaines) |
44 917 ha |
6 419 ha |
14,3 % |
|
Autres (zones naturelles, infrastructures...) |
65 895 ha |
1 976 ha |
3,0 % |
|
Total général (Martinique) |
110 812 ha |
8 395 ha |
7,6 % |
Source : Bureau de la coordination en matière de contaminants chimiques et physiques DGAL.
À ce jour, 8 395 hectares au total (soit plus de 11 500 parcelles analysées) ont été cartographiés à la Martinique soit 7,6 % du territoire.
Là encore, l’essentiel de ces surfaces – 6 144 hectares – se trouve en zone agricole ce qui représente un peu moins de 17 % des 36 500 hectares de la surface agricole utile (SAU) de la Martinique. Ces surfaces concernent à la fois les productions issues de déclarations de surfaces et les circuits informels de production.
Les surfaces « périurbaines » susceptibles d’être urbanisées à moyen terme sont estimées à 8 416 hectares, cartographiés à hauteur de 4 % (276 hectares). Les zones périurbaines cartographiées dans le cadre de l’axe 3 du Plan Chlordécone III représentent 87 hectares.
Pour 2019, la cartographie devrait s’accélérer car plus de 1 000 analyses supplémentaires sont programmées :
– le BRGM a été mandaté pour piloter un plan renforcé d’analyse de sol permettant de réaliser environ 400 analyses. Dans un premier temps, une cartographie identifiant les zones à risque de contamination nécessitant une analyse de sols sera produite, en se focalisant sur les parcelles cultivées en légumes sensibles ou en prairie pour l’élevage. Dans un second temps seront identifiées les parcelles jugées prioritaires dans l’analyse ;
– le plan de surveillance mis en œuvre par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation prévoit 170 analyses ;
– 500 analyses sont prévues dans le cadre du programme JAFA.
Mme Nathalie Dörfliger a donné des indications sur le résultat des analyses : « un peu plus de 12 000 analyses y ont été réalisées, dont environ 9 % ont montré une forte contamination, supérieure à 1 mg/kg. Par ailleurs, environ 1,3 % des 774 analyses réalisées dans des zones périurbaines ont permis de détecter une forte contamination. » et d’ajouter « En Martinique, en 2018, la restitution cartographique à l’échelle parcellaire indique 7 % de surfaces analysées, soit environ 11 % des surfaces cultivées ou potentiellement cultivables – probablement surestimées du fait de la déprise agricole – et 19,5 % des surfaces cultivées en bananes entre 1970 et 1993. » ([262]).
Synthèse des analyses de chlordécone dans le sol de la martinique avec Evaluation de la sole bananière historique
Au 31 octobre 2019
Source : https://carto.geomartinique.fr/1/layers/pref_chlordecone_analyse_sol_s_972.map
Ainsi, déplorant que la part des surfaces analysées est à ce jour très faible, la Rapporteure recommande de mettre en place davantage de moyens pour compléter la cartographie des sols, notamment au travers des aides de l’État et du FEADER, qui doivent être repensées dans leur déploiement pour être plus facilement mobilisées par les agriculteurs.
e. Le choix de la connaissance et de la transparence
La feuille de route chlordécone 2019-2020 présentée par la ministre des Outre-mer Annick Girardin le 14 juin 2019 ([263]) prévoit la « mise en place d’un plan renforcé d’analyse des sols à destination des particuliers et des agriculteurs avec ciblage prioritaire des zones de production de denrées sensibles (légumes-racines, fourrage) ». M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation, a précisé qu’une des actions de cette feuille de route vise à achever la cartographie des sols pollués.
Si ces efforts vont dans le bon sens, il apparaît nécessaire de fixer un calendrier et de prévoir la réalisation, parcelle par parcelle, d’une analyse de la totalité des sols susceptibles d’être contaminés.
Comme le décrit M. Jean-Pierre Cravedi, chef de département adjoint « alimentation humaine » à l’institut national de la recherche agronomique (INRA), « Nous sommes donc en capacité de dire où sont les zones les plus polluées dans les Antilles - effectivement, le croissant bananier fait partie des zones très polluées –, mais on ne peut envisager de réaliser une cartographie à l’échelle des parcelles ou des micro-parcelles par les organismes auxquels a été confiée cette cartographie. S’il y a un besoin plus fin, si des propriétaires fonciers ont besoin de connaître le niveau de pollution de leur petite parcelle d’un hectare ou d’un demi-hectare, l’initiative ne peut venir que d’eux, sachant qu’en fonction de la topographie, le résultat ne sera pas homogène » ([264]).
C’est pourquoi la Rapporteure estime que le prochain Plan Chlordécone IV devrait comprendre l’objectif d’achever, au cours de son exécution, une cartographie intégrale des zones susceptibles d’être contaminées par le chlordécone, réalisée dans un système d’informations géoréférencées, obligatoires pour les propriétaires et exploitants des terrains concernés et réalisés à la charge de l’État.
Proposition n° 9 : Réaliser une cartographie intégrale de l’état de contamination des sols susceptibles d’être pollués par le chlordécone, en se fixant un calendrier.
Le choix de la transparence et de la connaissance ne va pas de soi. Il peut exister des résistances à l’idée de connaître l’état de certaines parcelles, leur niveau de contamination pouvant influer sur la valeur du terrain.
Par ailleurs, comme le décrit M. Éric Godard, par peur de stigmatiser ces territoires et leur production agricole, certaines autorités ont consciemment rendu floues les données existantes, ne publiant que des synthèses, ce qui n’est pas sans conséquence pour la confiance des consommateurs « moi-même qui étais chargé de mission interministérielle, je n’arrivais pas à avoir les données de certains services. […] Par exemple, donner des résultats statistiques en confondant conformité et non contamination, ce n’est pas tout à fait honnête. On donne des informations sur la conformité des denrées sans préciser leur niveau de contamination. […] Tandis que la préfecture de Guadeloupe était d’accord pour diffuser les résultats d’analyses de sols à la parcelle, la Martinique a tout fait pour retarder cette diffusion. » ([265]).
Cet achèvement rapide de la cartographie des sols est d’autant plus crucial qu’il permettra également de constater l’évolution et le déplacement de la pollution, notamment par l’action des eaux.
Comme l’a décrit le BRGM dans le cadre de l’Observatoire des pollutions agricoles aux Antilles (OPALE), « On a vu qu’il peut y avoir des contaminations plus importantes dans les eaux souterraines que dans celles de surface, ce qui peut avoir des conséquences sur le cycle de l’eau et sur ce que l’on retrouve en aval. Il y a des échanges entre les eaux de surface et les eaux souterraines, […] Cela explique que l’on puisse trouver dans certains endroits, situés en aval des bassins versants, de l’eau qui a transité par le sous-sol et qui a transporté du chlordécone ou des produits dérivés, comme le chlordécone 5b-hydro. » ([266]). Ainsi, en Martinique, 25 % des terres contaminées n’ont pas connu de culture bananière.
Par ailleurs, les réseaux d’irrigation, pouvant conduire à transférer des eaux entre des bassins versants, peuvent également conduire à une dissémination de la contamination. Alertée par les représentants de l’Interprofession guadeloupéenne des fruits, des légumes et de l’horticulture (IGUAFLHOR) en Guadeloupe, la commission d’enquête a demandé des détails au préfet et au conseil départemental et a reçu copie d’une étude menée en 2018 à la demande du conseil départemental, maître d’ouvrage du réseau d’irrigation collective, montrant que le transfert existe, du fait de l’absence de traitement des eaux destinées à l’irrigation, transfert qu’il convient de relativiser compte tenu des quantités représentées. Toutefois, ce constat établi sur une partie limitée du réseau public d’irrigation nécessite d’être confirmé par des études complémentaires.
Il est donc urgent qu’une cartographie complète permette d’étudier en détail les dynamiques de dissémination et de transfert du chlordécone, en réalisant des analyses historicisées et élargies à l’ensemble de la SAU de Guadeloupe et de Martinique.
Proposition n° 10 : Compléter la cartographie intégrale de l’état de contamination des sols par une étude des dynamiques de dissémination naturelle ou artificielle de la pollution par le chlordécone.
Réaliser des études complémentaires sur l’eau utilisée pour les cultures d’irrigation et opérer des contrôles réguliers pour éviter tout transfert.
4. Protéger les populations des risques sanitaires
L’état actuel des connaissances scientifiques sur les conséquences sanitaires induites par l’exposition alimentaire des habitants de la Guadeloupe et de la Martinique qui entraînent une imprégnation dans le sang ne permet pas de connaître le niveau de risque rencontré.
De plus en plus de citoyens effectuent des analyses sanguines afin de tester leur taux de chlordécone dans le sang. Une fois ce taux obtenu, le patient reste la plupart du temps sans aucune réponse, information ou interprétation de ses résultats : en effet, en l’absence de données scientifiques sur les taux de chlordécone potentiellement dangereux dans l’organisme, ces tests alimentent l’inquiétude voire l’anxiété sur les risques encourus. En outre, le résultat du peut varier chaque mois, en fonction de l’exposition alimentaire dans les semaines précédentes. Face à ces résultats, les médecins généralistes peuvent eux aussi se trouver démunis face à la question du chlordécone.
Ainsi l’ensemble des agences sanitaires ne recommandent pas de généraliser des tests sanguins pour relever le taux de chlordécone dans le sang, car ce taux dépend de l’exposition alimentaire à la date du prélèvement et il n’existe pas de données médicales permettant de l’interpréter. M. Gilles Bloch, président de l’INSERM, le résume ainsi : « En l’état actuel de la science, la connaissance individuelle d’un taux de chlordécone n’a aucune valeur prédictive sur l’apparition d’une pathologie, que ce soit le cancer ou une autre pathologie, parce que nous ne disposons pas de bases scientifiques. » Le directeur de l’unité INSERM 1124, M. Robert Barouki complète : « Tant que nous n’avons pas le corpus scientifique de base qui nous permette de faire les calculs, nous ne pouvons pas vraiment donner ces valeurs sanitaires de référence dans le sang. Pour le moment, il ne paraît pas utile de dépister toute la population puisqu’on ne pourra pas ensuite donner un conseil ou faire une vraie prise en charge » ([267]).
De même, M. Jacques Rosine, responsable de la délégation Santé Publique France aux Antilles a confirmé : « Nous serions dans le flou en annonçant à des personnes qu’elles ont telle ou telle concentration de chlordécone dans l’organisme sans pouvoir attester qu’elles présenteront une pathologie. Nous ne recommandons donc pas cette prise en charge systématique de la population générale. » ([268]).
Néanmoins, le directeur général de la santé, le professeur Jérôme Salomon, a indiqué que des réflexions étaient en cours : « Nous n’avons pas, à l’heure actuelle, de valeur critique d’imprégnation, c’est‑à‑dire que nous ne savons pas quelle est la valeur de référence du taux qui fait que vous êtes ou non en danger. Nous avons saisi l’ANSES à ce sujet au mois de juillet dernier. Nous avons également saisi la Haute Autorité de santé (HAS), pour savoir si elle jugeait utile de mettre en place une évaluation scientifique afin d’étudier la meilleure forme du dépistage, ponctuel ou systématique, et les enjeux de remboursement pour les populations. » ([269]). L’ANSES, de son côté, a indiqué avoir lancé un appel à candidatures pour des tests rapides, moins précis et sensibles, mais bien plus informatifs, en lien avec l’ANR.
Aussi l’action sanitaire doit se focaliser sur des mesures de prévention, qui nécessitent de s’adresser aux populations potentiellement les plus exposées à d’éventuelles conséquences.
Ainsi en Martinique, l’Agence régionale de santé a lancé un programme de prévention avec des mesures pour protéger les personnes les plus vulnérables (femmes enceintes, femmes en âge de procréer et parents de jeunes enfants) de l’exposition au chlordécone, quelles que soient les sources d’exposition (productions informelles, autoconsommation,…).
La feuille de route chlordécone 2019-2020 ([270]) prévoit de renforcer ces actions, par :
– l’extension d’un programme spécifique de suivi des femmes enceintes et en âge de procréer en Martinique et en Guadeloupe ;
– l’évaluation de l’impact des programmes de prévention en instaurant une surveillance spécifique sur des populations ciblées (femmes enceintes, jeunes enfants,…) via des études dites de biosurveillance.
Cette solution pourrait être étendue à d’autres catégories de personnes potentiellement plus à risque, qui pourraient bénéficier d’un suivi sanitaire spécifique : agriculteurs, pêcheurs, hommes de plus de cinquante ans.
L’Institut national de médecine agricole mène actuellement une étude afin d’élaborer des recommandations pour mieux suivre et prendre en charge les professionnels des bananeraies, en activité et à la retraite. Il s’agira, notamment, de déterminer si parmi ces populations certaines pourraient justifier d’investigations diagnostiques et d’une surveillance particulière.
Parmi ces actions de prévention, la communication sur le cancer de la prostate, sa détection et sa prévention doivent être renforcées : malgré sa prévalence plus importante que dans l’Hexagone, le cancer de la prostate reste un sujet encore tabou en Guadeloupe et en Martinique car, touchant à l’appareil reproducteur, il pose la question de l’atteinte à l’image de la virilité.
Proposition n° 11 : Définir des catégories de personnes potentiellement plus exposées au risque et leur proposer un dépistage et un suivi sanitaire systématique, tous deux pris en charge par l’assurance maladie.
Proposition n° 12 : Renforcer la communication et la sensibilisation sur le cancer de la prostate pour les populations à risque
Dans ce cadre, la Rapporteure suggère de mobiliser tous les réseaux de médecine préventive : protection maternelle et infantile (PMI), médecine du travail, médecine scolaire.
La Rapporteure propose de mettre en place une formation spécifique sur le chlordécone pour les médecins généralistes. Cette formation pourrait être organisée par les agences régionales de santé dans le cadre du développement professionnel continu. La formation des professionnels de santé amenés à intervenir dans la médecine préventive doit être pensée, afin de leur permettre de diffuser les bonnes pratiques et les précautions à prendre suivant les patients concernés.
La Haute autorité de santé devra se prononcer sur des référentiels de prise en charge des patients réalisant une analyse du taux de chlordécone dans le sang, afin de permettre à ceux qui voudraient les réaliser de pouvoir recevoir une interprétation de leurs résultats.
Une telle démarche permettra ainsi de réduire les incertitudes et les anxiétés présentes chez une partie des populations. En outre, cela aura pour vertu d’approfondir les actions de prévention initiée dans le champ de la santé environnementale.
Proposition n° 13 : Établir des référentiels de formation et mobiliser les professionnels de santé pour accompagner les populations les plus à risque dans le cadre des réseaux existants de médecine préventive.
Ceci peut passer aussi par la mise en place de campagnes de sensibilisation ciblées, impliquant les mairies et les relais sanitaires locaux, comme le fait aujourd’hui le programme JAFA : « au lieu d’en faire bénéficier 400 ou 500 foyers chaque année, on s’est appuyé sur des relais dans les collectivités territoriales, en particulier les mairies comme cela s’est fait dans le cadre de la prévention de la dengue, pour rendre visite aux personnes les plus exposées afin de présenter le programme JAFA, même si cela suppose l’acquisition préalable de connaissances spécifiques. » ([271]).
Des professionnels formés pourraient ainsi constituer un réseau d’éducation sanitaire, aptes à toucher les publics qui ne sont habituellement pas concernés par les campagnes de communication médiatiques.
Proposition n° 14 : Constituer un réseau d’éducation sanitaire et de prévention par la formation de référents locaux.
B. Préserver et diversifier les filières agricoles locales
Assurer la qualité de l’alimentation tout en assurant aux agriculteurs un revenu décent sont deux des objectifs des états généraux de l’alimentation tenus à l’automne 2017. Aux Antilles, ces objectifs sont mis à mal par la faible diversification des cultures qui sont aujourd’hui les plus sensibles à la pollution au chlordécone. Ce contexte rend encore plus impérieuse l’exigence de sécurité alimentaire.
Aujourd’hui, il est ainsi nécessaire d’accompagner les agriculteurs dans la transition agro-écologique afin de « tendre vers le zéro chlordécone » selon le souhait du Président de la République, formulé lors de sa visite aux Antilles en septembre 2018.
1. Accélérer la mutation agricole
a. Diversifier les productions
La majorité de la surface agricole utile antillaise est orientée vers deux productions fortement subventionnées : la canne à sucre et la banane d’exportation. Les autres cultures vivrières, maraîchères et fruitières sont principalement destinées au marché local où elles sont le plus souvent valorisées en circuits courts.
Aujourd’hui, la canne à sucre est encore la première culture des Antilles en volume : 773 000 tonnes en Guadeloupe (27 % de la production française, derrière La Réunion) et 208 000 tonnes en Martinique ([272]).
La banane vient en deuxième position : 45 000 tonnes ont été produites en Guadeloupe en 2017 (24 % de la production française sur 1 500 hectares) et 125 000 tonnes en Martinique (68 % de la production française sur 5 500 hectares). La production de banane (hors plantain) a cependant fortement chuté en 2017 : de 65 % en Guadeloupe et 61 % en Martinique. Cela s’explique par deux aléas climatiques : la tempête Matthew de septembre 2016 et l’ouragan Maria en septembre 2017 ([273]).
Pour autant, du fait de l’organisation économique de ces filières exportatrices, ce sont celles qui ont toujours été les plus soutenues par les pouvoirs publics.
Les subventions agricoles versées aux exploitations antillaises se sont élevées à 194,5 millions d’euros au titre des paiements pour 2017 ainsi répartis :
– 71,9 millions d’euros pour la Guadeloupe ;
– 122,6 millions d’euros pour la Martinique.
À l’inverse, les chiffres de l’ODEADOM montrent que 22 % des exploitations de Martinique et 29 % des exploitations de Guadeloupe ne touchent aucune aide ! Par ailleurs, les disparités sont criantes puisque l’aide moyenne versée par exploitation bénéficiaire s’est élevée à 15 508 euros en Guadeloupe toutes filières confondues mais pour les exploitants de la banane, cette aide moyenne s’est élevée à 169 394 euros en 2017. Pour la Martinique la moyenne toutes filières confondues atteignait 52 135 euros contre 261 448 euros pour les producteurs de bananes la même année. De fait, 1 % des agriculteurs touche plus de 278 000 euros alors que 50 % des agriculteurs touchent moins de 2 822 euros par exploitation.
Ces aides regroupent à la fois les aides du premier pilier de la PAC destinées aux exploitations et calculées en fonction du nombre d’hectares par le biais du programme POSEI (Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité) ([274]) pour une part atteignant 71 % du total tous départements d’Outre‑mer confondus, des aides du deuxième pilier (indemnités compensatoires de handicaps naturels, mesures agro-environnementales, aides aux investissements, notamment) pour 10 % et des aides nationales (fonds de secours, principalement) à hauteur de 19 %.
Répartition de l’ensemble des subventions versées par catégorie de prodUIT
Année de paiement : 2017
(en euros)
|
Toutes subventions confondues |
Canne-sucre-rhum |
Banane |
Animal |
Végétal |
Aide moyenne versée par exploitation bénéficiaire en Guadeloupe (% de subventions aidées sur le territoire) |
15 508 (72 %) |
9 089 (40 %) |
169 394 (3 %) |
3 347 (34 %) |
40 337 (2 %) |
Aide moyenne versée par exploitation bénéficiaire en Martinique (% de subventions aidées sur le territoire) |
52 135 (78 %) |
24 027 (5 %) |
261 448 (12 %) |
7 560 (37 %) |
15 977 (8 %) |
Source : ODEADOM.
M. Hervé Deperrois convient que « s’il n’y avait pas ce dispositif [d’aides publiques], il n’y aurait pas, ou très peu, d’agriculture ultramarine. Car il ne s’agit pas d’un secteur naturellement compétitif par rapport à des pays disposant d’atouts plus importants et capables d’économies d’échelle beaucoup plus grandes. Ainsi, on a pu maintenir une agriculture ultramarine, à la fois agriculture exportatrice – pour la filière de la banane ou pour la filière du rhum, qui a même augmenté ses parts de marché depuis quelques années – et agriculture de diversification, pourvoyeuse d’une offre alimentaire pour la population locale. » ([275]).
La Rapporteure souligne toutefois qu’il convient d’orienter davantage les aides à l’agriculture ultramarine vers les cultures de diversification. De fait, s’il est nécessaire de préserver les exportations, indispensables à l’activité économique et à la création de richesse dans les territoires, il est également fondamental d’accentuer l’engagement de l’État pour tendre vers l’autosuffisance alimentaire, condition sine qua non à la baisse du coût de la vie en Outre-mer.
Une des pistes pourrait être la mobilisation d’une partie des terres actuellement en friche en Guadeloupe et en Martinique, notamment au sein des moyennes et grandes exploitations agricoles : une fois réalisés les tests permettant de connaître leur éventuelle contamination par le chlordécone, elles pourraient utilement servir à la diversification agricole, par incitation à y développer des cultures vivrières.
Proposition n° 15 : Mobiliser au moins un tiers des terres actuellement en friche en Guadeloupe et en Martinique au profit de la diversification agricole.
La dichotomie du monde agricole est d’autant plus forte lorsque que l’on sait que seulement 3 % des exploitations de banane en Guadeloupe et 12 % de celles de Martinique touchent des subventions. L’ODEADOM ne soutient en effet que les productions « organisées » qui concernent une petite majorité des exploitations. M. Hervé Deperrois s’en justifie : « Ce choix opéré à l’origine du programme vise justement à mieux maîtriser l’offre de production sur le plan économique et sur le plan sanitaire. [...] dès qu’on invite des producteurs à s’organiser en organisations de producteurs qui, elles-mêmes, peuvent être organisées en interprofessions, cela facilite les contrôles sanitaires des produits avant leur mise sur le marché. » ([276]).
Et d’ajouter que « La proportion d’exploitations ultramarines subventionnées reste faible comparée à l’Hexagone, la nature des subventions variant selon les territoires. On compte 13 500 exploitants bénéficiaires de l’ensemble de ces subventions, soit seulement 35 % des exploitations recensées sur l’ensemble des DOM, pourcentage qui tombe à 30 % si l’on prend uniquement en compte les bénéficiaires du POSEI. Ce pourcentage recouvre une forte hétérogénéité du taux d’exploitations bénéficiaires selon les DOM, puisqu’il n’est que de 10 % en Guyane et à Mayotte, contre une exploitation sur deux pour les trois autres DOM, voire trois exploitations sur quatre en Martinique et en Guadeloupe. Compte tenu de l’urgence sanitaire et de la nécessité de mieux contrôler la production, se fixer comme objectif d’intégrer les 25 % de producteurs isolés aux Antilles dans les dispositifs d’accompagnement de la PAC [politique agricole commune] ne me semble pas hors d’atteinte. » ([277]).
Afin, « Le POSEI, tel qu’il est conçu, s’adresse aux organisations de producteurs, elles-mêmes organisées en interprofessions – c’est d’ailleurs par elles que nous passons pour distribuer les aides. Nous ne disposons pas en revanche d’aides comme les aides surfaciques qui existent dans l’Hexagone et permettent de toucher 95 % des producteurs [...]. Il me paraîtrait donc utile de mettre en place, à côté du POSEI qui a montré son efficacité, un système d’aides susceptibles de toucher la quasi-totalité des producteurs. Si je pense aux aides surfaciques, c’est que la déclaration de surface est aujourd’hui un outil efficient, l’ASP disposant du registre parcellaire graphique y compris pour les DOM. Ce qui nous fait défaut en revanche, c’est le budget pour étendre ces aides surfaciques à l’ensemble des Antilles, sachant que cela ne représente pas nécessairement des sommes considérables. » ([278]).
Pour répondre à la crise de confiance des consommateurs envers les produits locaux, il est impératif que les agriculteurs rejoignent des filières organisées et contrôlées, car elles sont également mieux accompagnées par les aides de l’État des fonds européens. À ce titre, la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, prévoit des mécanismes favorisant les regroupements de producteurs afin qu’ils pèsent dans les négociations commerciales avec les industriels et la grande distribution. Il convient que ces outils soient davantage mobilisés par les producteurs de Guadeloupe et de Martinique.
Proposition n° 16 : Inciter les agriculteurs à se regrouper en organisations de producteurs pour mieux maîtriser l’offre de production sur le plan économique et sanitaire.
Proposition n° 17 : Fixer comme objectif d’intégrer 25 % de producteurs isolés aux Antilles dans les dispositifs d’accompagnement de la politique agricole commune (PAC).
c. Valoriser la qualité des productions
L’accompagnement par le POSEI devrait pouvoir couvrir les besoins des agriculteurs pour des démarches de dépollution de leurs sols. M. Hervé Deperrois s’est ainsi dit « très favorable à tout ce qui peut, par le biais de la concertation, apporter des solutions aux producteurs et aux consommateurs locaux. Jusqu’à présent, ce n’est pas une problématique dont se sont emparées les organisations professionnelles, car la question était abordée dans d’autres cadres – notamment les Plans Chlordécone –, mais si cela s’avérait utile et efficace, nous le mettrions évidemment en œuvre. » ([279]).
C’est ce que confirme Mme Valérie Gourvennec, cheffe de service production de diversification de l’ODEADOM : « aujourd’hui il n’y a pas de modulation d’aide, dans le cadre du POSEI, en fonction de la pollution, notamment de la pollution au chlordécone. Une réflexion est en cours sur l’élevage, au sujet, justement, de la décontamination des cheptels, dans le cadre des procédures de modification du programme qui interviennent chaque année. Mais, aujourd’hui, il n’y a aucune modulation en fonction de la pollution dans le programme, tel qu’il est construit et validé par la commission. » ([280]).
Par exemple, la baisse de la valeur de gestion pour les LMR pour les animaux d’élevage « a conduit à revoir le protocole de mise sur le marché et à instituer un protocole de décontamination des cheptels pour atteindre ces nouveaux seuils, qui n’étaient pas en vigueur auparavant. Discuté pendant six mois, le protocole prévoit de faire passer les cheptels qui auraient été sur des zones contaminées en zone décontaminée. Typiquement, dès qu’on nous propose ce genre de mesure, on peut la faire entrer dans le cadre du POSEI, parce que la décision prise a un impact clair sur la filière organisée et demande donc une adaptation assez rapide » explique M. Hervé Deperrois ([281]).
Ainsi, ces actions doivent également être inscrites dans le budget national de la mission agriculture dans le cadre des mesures agro environnementales et climatiques (MAEC).
Proposition n° 18 : Mobiliser le POSEI et les MAEC pour accompagner les agriculteurs dans des démarches de dépollution afin de rendre leurs parcelles propres au développement de productions saines et respectueuses de l’environnement.
ii. Accompagner les pratiques agricoles innovantes
Des pistes, plus techniques, permettent de contourner l’obstacle de la contamination du sol car comme le rappelle M. Hervé Deperrois « le sol n’est pas une condition nécessaire pour produire » ([282]). Plusieurs solutions existent, il convient de les développer en les accompagnant financièrement :
● Le dispositif de serre sur substrat hors sol. Selon M. Hervé Deperrois « il fonctionne très bien. Il permet de maîtriser tous les intrants, l’eau notamment. On peut donc avoir une offre alimentaire, y compris sur un sol contaminé, en implantant des serres hors sol. Quant aux investissements, ils peuvent être financés via le fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). J’ajoute que les serres sont suffisamment solides aujourd’hui pour résister aux cyclones. Il faut donc encourager les cultures hors sol sur les zones contaminées. » ([283]).
● L’expérimentation de l’élevage de volailles hors sol.
Décontamination des volailles
Sur le fondement d’un projet de sciences participatives, dans le cadre du programme JAFA, huit foyers de Capesterre-Belle-Eau et de Trois-Rivières se sont portés volontaires pour une expérimentation relative à la décontamination des volailles dans leur jardin. 25 poules pondeuses réformées, placées dans des jardins pollués pendant trois mois, ont ensuite été transférées dans des poulaillers hors-sol construits pour les besoins de l’expérimentation.
Dès lors, les résultats dégagés sont positifs. La demi-vie du chlordécone dans la poule est de 6,5 jours, et la décontamination se fait dans un intervalle allant, en moyenne, de 30 à 40 jours. Dans les cas les plus extrêmes de contamination des œufs, il faut compter jusqu’à deux mois et demi pour que le chlordécone ne soit plus détectable. Cependant, même décontaminées, les poules se contaminent à nouveau dès qu’elles sont en contact avec la molécule.
Ces résultats permettent d’améliorer les recommandations faites aux habitants, en les rendant moins contraignantes et plus proches de la réalité de la contamination. De plus, ils concernent les œufs, responsables dans 45,1 % des cas de la contamination des adultes guadeloupéens.
● il existe différentes méthodes de décontamination des ruminants, mais elles ne sont pas capables de supprimer toute forme de risque. La meilleure stratégie d’évitement de la contamination est d’œuvrer pour offrir un fourrage assez haut (au moins 10 centimètres au-dessus du sol) et conséquent, tout en s’efforçant de faire vivre les ruminants sur une terre non-polluée pendant les six derniers mois de leur vie.
Proposition n° 19 : Accompagner les pratiques agricoles hors sol, y compris en agriculture biologique.
Enfin, l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe (UPG) propose de développer la recherche sur les processus de décontamination des sols avec la mise en place de cultures absorbantes pouvant diminuer les taux de chlordécone. Si leur efficacité était prouvée, l’installation de ce type de culture pourrait faire l’objet de primes à la production.
iii. Accélérer les conversions vers l’agriculture biologique
Il convient également d’encourager et de développer l’agriculture biologique en Guadeloupe et en Martinique. La Rapporteure constate en effet que ce levier a été jusqu’à présent bien trop peu utilisé.
Alors qu’en Hexagone les surfaces dédiées à l’agriculture biologique représentent 6,5 % de la surface agricole utile (SAU), et sont en constante progression cette part tombe à 0,7 % en Guadeloupe. En Martinique, ce sont 1 % des exploitations qui sont labellisées en agriculture biologique ([284]). Selon la réponse au questionnaire transmis par la DGOM, « il est toutefois à noter d’une part qu’une dynamique de croissance est à l’œuvre depuis quelques années (+ 20 % depuis 2016), et d’autre part que les principales filières organisées (canne à sucre et banane) entament actuellement un virage vers la conversion en bio d’importantes surfaces dans les années à venir. Si cette tendance se réalise, ceci pourrait conduire à rapidement multiplier par 5 ou par 6 la surface cultivée en agriculture biologique ».
Pour ce type d’agriculture, des aides à la conversion existent. Se pose donc le même enjeu de l’intégration des petits producteurs dans les circuits des organisations de producteurs afin qu’ils bénéficient de ces mesures d’accompagnement économique.
● Une autre piste, consisterait à faire évoluer la réglementation applicable à l’agriculture biologique afin de permettre sa culture hors sol, comme c’est le cas dans d’autres pays européens. À ce titre, la Rapporteure propose que la législation en vigueur prévoie des dispositions dérogatoires adaptées aux spécificités locales de la Guadeloupe et de la Martinique.
Proposition n° 20 : Mieux faire connaître les aides à la conversion en agriculture biologique et adapter la législation actuelle aux spécificités de la Guadeloupe et de la Martinique.
iv. Ajuster la fiscalité sur les denrées agricoles
À l’occasion de son avis budgétaire pour la mission « Outre-mer » sur le projet de loi de finances pour 2020 ([285]), M. Max Mathiasin, député de Guadeloupe, a formulé plusieurs propositions pour renforcer l’autonomie alimentaire des départements et des régions ultramarins.
Il propose, premièrement, d’établir une liste de produits de première nécessité pour lesquels la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) devrait être nulle. Cette réforme permettrait de réduire les coûts pour le consommateur, dans un objectif de croissance de la demande et, par suite, de l’offre. De plus, afin de développer ces filières, M. Max Mathiasin propose une aide spécifique pour lesdites filières, pour une durée limitée.
En outre, il préconise de pérenniser le système de l’octroi de mer externe, en particulier concernant les productions pour lesquelles un substitut local existe. Cette taxe sur les importations permet de financer les collectivités territoriales, tout en protégeant la production locale. En outre, même si la Commission européenne exige le maintien de l’octroi de mer interne qui frappe la production locale, M. Mathiasin considère que sa suppression devrait être réexaminée.
La proposition de loi n° 2060 de M. David Lorion ([286]) propose notamment de modifier l’article L. 3232-1-2 du code général des collectivités territoriales afin d’octroyer au département de La Réunion la compétence d’attribution de toutes aides économiques contribuant au développement rural, agricole et forestier. De même, la modification de l’article précité pérenniserait le département comme autorité de gestion du FEADER. Ces mesures pourraient être transposées aux départements de Guadeloupe et de Martinique.
2. Garantir la traçabilité et la qualité des produits : « tendre vers le zéro chlordécone »
a. Tendre vers le « zéro chlordécone » dans l’alimentation
Faute d’une cartographie intégrale des sols antillais, décréter, à l’issue de la commission d’enquête, l’impératif d’un « zéro chlordécone » dans l’alimentation reviendrait à condamner une grande partie des agriculteurs et à priver les populations de leurs jardins créoles sur lesquels repose souvent une partie de l’équilibre alimentaire et économique des familles.
Ainsi M. Thierry Woignier, directeur de recherche à l’Institut de recherche et de développement (IRD) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a pointé les limites du « zéro chlordécone » en présentant le cas d’agriculteurs respectant scrupuleusement les recommandations culturales sur leur sol pollué : « Il me paraîtrait regrettable qu’ils ne puissent pas obtenir le label « zéro chlordécone ». Mais pourra-t-on le leur attribuer, puisque leur sol est contaminé ? Ils risquent d’être ostracisés par rapport à d’autres, qui en bénéficieront. » ([287]).
Cette notion est même perçue comme « mensongère » par l’Interprofession guadeloupéenne des fruits et légumes et de l’horticulture (IGUAFLHOR) car « on ne pourra jamais affirmer qu’il y a zéro chlordécone dans un sol ou dans un produit eu égard aux limites de détection et de quantification des laboratoires » ([288]).
M. Roger Genet, directeur général de l’ANSES est plus nuancé : « Ma conviction est que l’on peut atteindre un taux de zéro chlordécone dans l’alimentation, mais qu’il est illusoire de penser que l’on pourra détoxifier l’ensemble des sols et des sédiments. » ([289]).
En revanche, cet objectif doit guider toutes les politiques publiques pour accompagner au mieux les agriculteurs dans leurs choix agronomiques et les populations dans leur choix de consommation.
Cela passe par la traçabilité c’est-à-dire une connaissance claire de la provenance des produits afin, comme l’appelle de ses vœux l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe (UPG) s’agissant de la cartographie, « d’éviter l’amalgame entre les produits agricoles provenant de zones fortement contaminées et les autres a priori faiblement contaminés voire pas du tout » ([290]).
Le CIRAD et l’INRA ont déterminé trois groupes de produits en fonction de leur sensibilité à la pollution du sol. Comme il a pu le faire avec les arrêtés de 2003 ([291]), le pouvoir réglementaire devrait en tirer les conséquences sur la définition de zones interdites de cultures et, pour les cultures sensibles, sur la délivrance des autorisations préalables d’exploiter accordées par le préfet de région selon le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) car celles-ci sont attribuées en fonction des orientations productives de l’exploitation (variétés, espèces). ces interdictions se doivent d’être accompagnées de conseils à la mutation des pratiques culturales ou à la reconversion.
Proposition n° 21 : Mettre en place des zones d’interdiction des cultures sensibles dans les zones fortement contaminées à l’instar des zones d’interdiction de pêche avec un accompagnement à la mutation des pratiques culturales ou à la reconversion.
Proposition n° 22 : Prendre en compte la contamination des parcelles et les orientations productives (variétés, espèces) dans les autorisations préalables d’exploiter (modifier le schéma directeur régional des exploitations agricoles).
Si ces propositions étaient retenues, elles pourraient également permettre aux DAAF d’effectuer des contrôles de conformité des produits sur leur lieu de production, ce que recommande M. Éric Godard. Il a en effet proposé un classement des sols, aujourd’hui intégré dans la cartographie que la Rapporteure propose d’étendre. Mais il a également formulé la proposition suivante : « [le classement des sols impliquerait] que les contrôles soient concentrés sur les parcelles concernées. La majeure partie des contrôles aurait été menée sur le terrain, c’est-à-dire sur les parcelles concernées, et non plus sur les lieux de mise en marché. Quel est l’intérêt d’un tel système ? Il donne le temps nécessaire pour intervenir. Par ailleurs, on connaît parfaitement la provenance de la culture qui fait l’objet d’un contrôle, dans la mesure où elle est au sol. Il permet, le cas échéant, de consigner les cultures et d’interdire la vente de cultures n’ayant pas fait l’objet d’analyses préalables alors qu’elles présentent un caractère sensible. » ([292]).Une telle mesure permettrait non seulement de rendre plus efficientes les actions de contrôle de la DAAF, mais également de restaurer la confiance des consommateurs dans l’agriculture locale.
La valeur foncière des exploitations ne doit pas être un obstacle à la généralisation des analyses de sol dès lors qu’est menée une communication forte expliquant que la contamination d’un sol ne le prive pas de sa capacité à produire sainement certaines variétés ou, dans certaines conditions, certaines espèces animales.
Surtout, la Rapporteure tient à rappeler qu’une telle mesure, si elle était prise, doit être partie intégrante d’une stratégie globale d’accompagnement financier et logistique pour aider les agriculteurs dans la diversification et l’agro écologie.
Proposition n° 23 : Mettre en place des contrôles de conformité sur les produits agricoles en amont, directement sur les parcelles.
La DGOM travaille également à l’élaboration d’une charte de qualité et pour une meilleure traçabilité afin que les consommateurs puissent plus facilement reconnaître quels sont les produits qui respectent la réglementation. Cette charte devra d’ailleurs être établie avec les interprofessions agricoles ([293]).
Il s’agirait également, comme le propose la Rapporteure, de travailler à la création d’un label, en lien avec la charte, qui valoriserait la production « locale de qualité ».
Proposition n° 24 : Élaborer, en lien avec les interprofessions agricoles, une charte et un label de production de qualité garantissant la traçabilité des produits.
b. Augmenter et mieux cibler les contrôles
Si les contrôles existent, ils se sont trop fortement concentrés sur le secteur formel et de plus, restent insuffisants.
La mise en place de la surveillance de la contamination des denrées alimentaires animales ou végétales s’effectue par le biais de plans de surveillance et les plans de contrôle (PSPC) selon deux stratégies différentes et complémentaires :
– les plans de surveillance (PS) permettent d’évaluer l’exposition globale du consommateur à un risque particulier. Les prélèvements sont réalisés de façon aléatoire sans ciblage particulier ;
– les plans de contrôle (PC) portent sur des denrées ciblées qui sont connues pour présenter un risque accru de contamination (type de produit, origine géographique, notamment). Ils permettent notamment d’évaluer l’efficacité des mesures de gestion mises en œuvre.
Deux administrations centrales en sont chargées.
i. L’action de la direction générale de l’alimentation
Le DGAL a donné le détail de l’action de sa direction, en lien avec les DAAF placées sous la responsabilité des préfets : « La DGAL exerce deux types de contrôle. D’une part, dans le cadre des plans de surveillance et du plan de contrôle annuel, il s’agit non pas forcément de contrôles de conformité des produits mais de contrôles qui permettent, pour les denrées alimentaires sensibles produites et consommées en Martinique et en Guadeloupe, d’évaluer la conformité des produits du point de vue de leur teneur en chlordécone. D’autre part, des contrôles visent à détecter les non-conformités et d’éventuelles fraudes.
« La surveillance et le contrôle portent à la fois sur des denrées issues d’animaux d’élevage, sur les produits de la pêche, sur les productions végétales primaires – pour ce qui nous concerne –, destinés à la consommation humaine ou à la consommation animale. Au total, dans les deux îles, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation mobilise à peu près dix équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) pour réaliser ces contrôles. En 2017, nous avons réalisé 1 097 prélèvements sur toutes les matrices animales en Martinique et 952 en Guadeloupe. Le taux de conformité, comme je l’indiquais tout à l’heure, s’élevait à 93 % et 97 %. En 2019, le nombre de contrôles officiels a augmenté de 30 %, à la fois sur le secteur officiel et sur le circuit informel de circulation de ces produits – produits de la mer, les viandes et les végétaux. Au total, nous avons prévu de réaliser plus de 4 000 analyses en 2019 sur l’ensemble de ces matrices ([294]). » ([295]).
Les produits de la mer sont soumis à des interdictions préventives. Selon le Plan Chlordécone, les campagnes d’analyses des produits de la mer effectuées depuis 2008 ont permis d’affiner la connaissance de la contamination et plusieurs arrêtés, depuis 2012, définissent les contours des interdictions de pêche.
M. Bruno Ferreira a précisé l’action des services de l’état sur les produits de la mer : « L’instauration de zones d’interdiction de la pêche a permis de réduire la proportion de poissons non conformes, qui est passée de 1 sur 4 pêchés localement à 1 sur 10. Cela concerne exclusivement les zones côtières, donc essentiellement des poissons rouges et des crustacés. Toutes les aquacultures sont contrôlées tous les ans, et aucune contamination n’a été constatée.
« Les aquacultures d’eau douce contaminées ont été fermées en 2010. Celles qui fonctionnent aujourd’hui sont contrôlées tous les ans, sans qu’aucune contamination ait été constatée. Des interdictions de zones de pêche ont été prononcées en 2010 et 2012 et de nombreuses informations ont été délivrées aux pêcheurs professionnels. Par ailleurs, des actions de police sont régulièrement organisées en mer par les directions de la mer. Environ 100 jours de mer par an sont dédiés au contrôle des zones contaminées par la chlordécone et la cartographie est disponible sur les sites internet des directions de la mer. Ces contrôles sont inscrits dans le plan annuel régional de contrôle des pêches et de l’environnement marin. Ils sont principalement réalisés par les directions de la mer mais aussi par les services des douanes et de la gendarmerie nationale. Par exemple, en Martinique, environ vingt équivalents temps plein (ETP) participent à ces missions. Il s’agit de patrouiller pour s’assurer qu’il n’y a aucun navire en action de pêche dans les zones interdites. Par ailleurs, des missions sont organisées après repérage, parfois par des voies aériennes, environ deux fois par an pour relever et détruire des engins de pêche posés dans ces zones. » ([296]).
« Ainsi les secteurs les plus contaminés sont identifiés comme zone d’interdiction totale de pêche. En conséquence de quoi toutes les espèces de produits de la mer et la capture de crabe sont interdites. Dans les zones d’interdiction partielle de pêche, seule la pêche de certaines espèces est interdite.
Source : plaquettes de communication du Plan Chlordécone.
« Les prélèvements du plan de contrôle sont axés sur les espèces qui présentent des non-conformités et qui sont disponibles au niveau de points de vente. Ils sont réalisés dans des restaurants, au niveau de points de débarquement, et sur les bateaux de pêche.
Les prélèvements réalisés sur les étals et les marchés sont analysés chaque année dans le cadre du plan de surveillance pour les produits de la mer. Les poissons et crustacés sont sélectionnés selon un plan d’échantillonnage qui est représentatif des denrées consommées par les martiniquais. Celui-ci a été légèrement modifié en 2015 de manière à cibler les poissons côtiers, plus exposés à la chlordécone. » ([297]).
ii. L’action de la DGCCRF et la problématique des circuits informels
La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle les résidus de produits phytopharmaceutiques retrouvés dans les denrées alimentaires d’origine végétale mises sur le marché.
Mme Virginie Beaumeunier a détaillé en audition l’action de la DGCCRF en ce domaine : « Depuis plus de quinze ans, nous réalisons des contrôles de résidus de chlordécone dans les denrées végétales, en ciblant les produits les plus sensibles, à savoir principalement les légumes racines, les tubercules et certains légumes en contact direct avec le sol. Ces contrôles sur les résidus de chlordécone ont pu représenter jusqu’à 10 % de l’ensemble des contrôles de résidus de pesticides sur toute la France. Depuis 2017, nous renforçons nos contrôles sur les circuits informels, dans la mesure où c’est sur des circuits de ce type de commercialisation que les risques de non-conformité sont les plus élevés. Ces contrôles sont plus complexes à réaliser. Ils sont un peu moins nombreux. Mais nous avons prévu une montée en puissance dans l’actuel plan de contrôle du chlordécone.
« À la suite de la publication de l’avis de l’ANSES de décembre 2017, qui identifie un risque de surexposition des consommateurs qui s’approvisionnent en circuit informel et, dans le cadre de la feuille de route 2019-2020 du troisième plan interministériel chlordécone, nous nous sommes engagés à renforcer la surveillance des circuits informels, avec un objectif de réalisation de cent contrôles dans ce type de circuit pour l’année 2019. Cela représente un tiers des contrôles totaux sur le chlordécone.
« Ces contrôles sur le circuit informel couvriront non seulement les ventes en bord de route, mais également les marchés ou les supérettes, où l’absence de traçabilité – en particulier, l’absence de factures – peut laisser soupçonner la non-conformité des denrées. » ([298]).
La DGCCRF a partagé avec la Rapporteure ([299]) les difficultés liées aux contrôles dans les circuits commerciaux informels : il est souvent compliqué de donner des suites aux contrôles. En effet, certaines ventes sont réalisées par des personnes occupant illégalement le domaine public et n’ayant pas la qualité de commerçants, il n’est donc pas possible de remonter la chaîne commerciale jusqu’à la parcelle contaminée. Dans ces conditions, aucune mesure pérenne d’interdiction des cultures n’est possible. C’est pourquoi, la DGCCRF recommande que contrôles des parcelles cultivées dans l’illégalité soient renforcés.
Proposition n° 25 : Renforcer le contrôle des parcelles cultivées dans l’illégalité (compétence des DAAF)
Proposition n° 26 : Organiser des contrôles conjoints DIECCTE / officier de police judiciaire dans le cadre des Comités opérationnels départementaux anti-fraudes (CODAF) pour faire cesser immédiatement les ventes illégales de denrées alimentaires non conformes
En 2018, les agents ont réalisé aux Antilles 423 prélèvements dont 29 étaient non conformes à la LMR. 243 prélèvements ont déjà été réalisés en 2019, sur lesquels 9 se sont révélés non conformes.
contrôles des denrées végétales et animales programmés en 2019
|
DAAF [végétaux au stade de la production, animaux d’élevage et produits de la pêche] (dont produits de la pêche) |
DIECTTE (végétaux au stade de la commercialisation) |
Guadeloupe |
1 500 (300) |
200 |
Martinique |
2 560 (145) |
250 |
Source : Audition du 16 septembre 2019 et document transmis par le préfet de la Martinique Frank Robine, audition des services déconcentrés de la Guadeloupe le 19 septembre 2019.
Pour la Guadeloupe, le taux d’anomalie est en augmentation au fil des années, mais il s’explique par un meilleur ciblage des contrôles sur les cultures sensibles et sur la production locale (par rapport aux produits importés). Jusqu’au début de l’année 2019 les suites pédagogiques avaient été privilégiées mais face à l’augmentation des constats de non-conformité, il a été décidé que les infractions seraient relevées (procès-verbaux pour défaut de facturation et éventuellement facturation des frais d’analyse) ([300]).
Pour la Martinique, M. Franck Robine a indiqué que :
– pour les végétaux, le risque est très bien maîtrisé ;
– concernant les bovins, l’abaissement de la valeur de gestion des LMR dans la graisse a eu pour conséquence d’augmenter les saisines de carcasses de bovins à l’abattoir et d’éliminer systématiquement les foies des animaux abattus issus de cheptels à risque ;
– pour les autres denrées animales, les résultats sont excellents ;
– s’agissant des œufs, la production est totalement maîtrisée, mais cela est à relativiser compte tenu de la faible part du marché formel au regard du marché informel, dont le taux de non-conformité est de 10 % ;
– point noir des contrôles, les produits de la mer connaissent des pourcentages de non-conformité à hauteur de 8 % sur les étals mais plus important à proximité des zones d’interdiction des zones de pêche.
Ce dernier constat est inquiétant quand on sait que les antillais la Guadeloupe et la Martinique sont parmi les plus gros consommateurs de poissons et de crustacés au monde.
La vigilance des contrôles doit également s’exercer dans les exportations des denrées vers les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, régulièrement approvisionnées en produits alimentaires venant de la Guadeloupe.
Proposition n° 27 : Renforcer les contrôles des denrées commercialisées en mettant l’accent sur les produits de la mer, les cultures sensibles et sur les circuits commerciaux informels.
c. Pérenniser le patrimoine alimentaire créole
Selon l’observatoire de l’ODEADOM, la couverture des besoins alimentaires ultra-marins passe par l’agriculture informelle non commerciale – « l’autoconsommation », qui comprend l’autoproduction et les dons –, à condition qu’elle soit saine.
De fait, le jardin créole est au cœur de l’identité culturelle antillaise, c’est pourquoi les notions de partage, de dons de produits du jardin font partie intégrante des valeurs créoles.
L’autoconsommation familiale pèse de façon très importante en Guadeloupe et en Martinique : 47 % de l’approvisionnement de la population guadeloupéenne et 23 % celui de la population martiniquaise. Les jardins créoles (« bo kay » en Martinique) ne sont pourtant pas épargnés par la pollution au chlordécone alors qu’ils permettent, au demeurant, de garantir des moyens de subsistance en complément de revenus familiaux souvent faibles. Ils constituent en outre souvent un modèle d’agro écologie en agençant les espèces cultivées de manière à améliorer leur résistance aux bio agresseurs et leur qualité.
Cette agriculture non professionnelle échappe en toute logique aux exigences normatives des exploitants agricoles et des commerçants contrôlés par les services de l’État. Ils ne font évidemment pas l’objet de contrôles de la DGAL ou de la DGCCRF puisqu’ils relèvent d’un secteur informel non commercial. Aucun agent n’a la compétence pour intervenir chez des particuliers consommant leur propre production.
Le seul dispositif intervenant à ce jour chez les particuliers passe par le programme « Jardins familiaux » (JAFA) ([301]), développé par les ARS via les IREPS. Ces programmes bénéficient de résultats très positifs et leur pertinence est unanimement reconnue.
Néanmoins, afin de pérenniser le patrimoine alimentaire créole, où l’autoconsommation et les jardins privés en sont une composte fondamentale, la Rapporteure préconise de renforcer les moyens alloués à ces programmes. En effet, la lutte contre la pollution au chlordécone ne saurait remettre en cause les coutumes alimentaires et agricoles qui sont partie intégrante de la culture créole. Il convient ainsi d’adapter les moyens de prévention aux pratiques existantes dans les populations.
Proposition n° 28 : Renforcer les moyens financiers alloués aux programmes de prévention dans les jardins privés, chez les particuliers, au travers du programme « JAFA ».
Par ailleurs, compte tenu de l’importance des produits de la pêche dans l’alimentation antillaise, la sécurisation de l’approvisionnement par la pêche de loisirs doit faire l’objet de programmes d’accompagnement des pouvoirs publics.
En effet, outre la part très importante des importations dans la consommation de produits de la mer, certains consommateurs s’alimentent également dans les circuits informels, approvisionnés par des pêcheurs – parfois amateurs – bravant les arrêtés d’interdiction. Si des contrôles sont régulièrement effectués par les autorités en mer, il convient de renforcer les actions de prévention pour les produits de la pêche.
C’est ce que prévoit la feuille de route 2019-2020 selon M. Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur des politiques publiques au sein de la direction générale des Outre-mer (DGOM) « il est prévu d’étendre le programme JAFA aux pêcheurs auto consommateurs de produits de la mer, mais aussi aux pêcheurs de loisir, au travers d’un programme appelé JAFA-mer. » En Guadeloupe, ce programme existe.
En Guadeloupe : le programme Titiri
Dirigé par l’Instance d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) et financé par l’Agence Régionale de la Santé de Guadeloupe (ARS), ce programme d’information vise à réduire les risques d’exposition au chlordécone par les produits de la pêche en eau douce et en eau de mer. Il est intégré à l’action 6 du Plan Chlordécone III, « Autoconsommation des denrées végétales et animales ». En ce sens, le programme « vise à informer pour faciliter une meilleure compréhension de la problématique pêche et chlordécone » ([302]).
En particulier, cet objectif est concrétisé par un site internet dédié, sur lequel l’IREPS diffuse des messages de santé à destination de la population. Il se décompose en trois « secteurs » que sont la rivière, la mer et la santé, agrémentés de vidéos explicatives et de données des institutions chargées du contrôle, de la surveillance et de l’information relatives à l’alimentation et à la pêche. Les utilisateurs peuvent également s’inscrire à une Newsletter pour être informés des dernières avancées du programme. Ces dernières peuvent également être retrouvées sur les comptes Facebook, Twitter et Youtube du programme.
Enfin, le site internet du programme Titiri est participatif : il permet aux utilisateurs de donner leur avis et de poser des questions pour améliorer les informations proposées.
Selon le préfet Franck Robine, le développement d’un programme JAFA concernant la pêche de plaisance est en réflexion en Martinique. Il n’a jamais été mis en œuvre alors qu’il figurait déjà dans les recommandations du rapport des inspections sur le plan I (2011).
Proposition n° 29 : Amplifier le programme JAFA en l’étendant aux produits de la mer
Enfin, des mesures relevant du domaine des sciences humaines et sociales sont envisageables, comme le prévoit la feuille de route 2018-2019 précitée.
La DGOM a notamment évoqué la nécessité de faire évoluer les comportements alimentaires, ancrés dans la culture locale : « Et il n’est nullement question de les remettre en cause ni de préconiser des achats limités aux circuits de la grande distribution. Il faut préserver et développer la production locale dans des conditions qui permettent d’assurer la sécurité sanitaire des aliments consommés. Un travail de pédagogie a été fourni et doit être poursuivi. Plusieurs études (INRA / IRD) sont actuellement en cours concernant la transition nutritionnelle aux Antilles et dans les DOM. Elles devraient à terme permettre de dégager des pistes pour permettre de faire évoluer les comportements alimentaires qui semblent liés tant à l’âge qu’à l’origine sociale des consommateurs. » ([303]).
Proposition n° 30 : Améliorer les comportements alimentaires pour favoriser les produits locaux de qualité et préserver la culture et le patrimoine alimentaire créoles.
C. Ériger la recherche sur le chlordécone comme priorité stratégique
La recherche sur les effets et les moyens de lutter contre la pollution du chlordécone fait l’objet de l’axe 3 du Plan Chlordécone III. L’objectif affiché est de soutenir et développer la recherche, selon quatre grands domaines : santé humaine, santé animale, environnement (air, eau, sols, plantes) et sciences humaines, économiques et sociales.
Cependant, dans le cadre de ses travaux, la commission d’enquête a constaté que les efforts mis en place dans le cadre de la recherche scientifique n’étaient pas suffisants, et que des dysfonctionnements nuisaient à l’obtention de résultats tangibles.
1. Un schéma décisionnel éclaté
a. Treize projets de recherche subventionnés par l’État
Selon le recensement effectué par l’Agence nationale de recherche (ANR), depuis 2005, dix projets de recherche portant sur le chlordécone, dont sept portant exclusivement sur cette molécule et trois sur plusieurs molécules phytopharmaceutiques, ainsi que trois projets de recherche portant sur le paraquat et d’autres molécules ont été financés. Le budget total affecté a été de 5,7 millions d’euros.
« Sur ces treize projets, le budget total financé par l’ANR s’est élevé à 5,7 millions d’euros, dont 4,6 millions d’euros sur la chlordécone et 1,1 million d’euros sur le paraquat. Au niveau du timing, trois projets ont été financés avant le premier Plan Chlordécone, deux pendant ce premier plan, deux pendant le second plan et trois au cours du troisième plan. Ainsi, ils se sont échelonnés au cours du temps de manière à peu près régulière. » ([304]).
Comme l’a rappelé la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, il ne s’agit que du financement de l’État à des structures de recherche existantes, qui supportent les coûts de fonctionnement des équipes et des projets ainsi subventionnés pour les trois quarts : « Le chiffrage financier de 4,6 millions d’euros consacrés à ces dix projets ne constitue qu’un financement supplémentaire pour les équipes de recherche ; le coût complet des recherches englobant les frais des personnels et des infrastructures nécessite de multiplier ce premier chiffre de 4,6 millions d’euros par un facteur 4 » ([305]).
Les différentes thématiques ont fait l’objet de projets : « Les thématiques qui ont été étudiées dans ces projets sont, d’une part, tous les aspects liés à l’environnement : évaluation de l’exposition, la contamination, les effets sur les plantes et les animaux, la recherche d’outils d’évaluation de la qualité sanitaire environnementale, l’environnement impacté. Cela concerne cinq projets. D’autre part, huit autres projets ont porté sur les effets sur la santé humaine : effet de l’exposition, recherche sur les mécanismes d’action au niveau moléculaire ou cellulaire, aspects liés à la toxicité, notamment les effets sur les cancers du foie, de la prostate, ainsi que le chlordécone envisagé en tant que perturbateur endocrinien. Conformément aux missions de l’ANR, ces projets de recherche étaient général des projets de recherche fondamentale. » ([306]).
Comme l’a précisé le préfet de la Martinique, le programme des interventions territoriales de l’État (PITE) a participé au financement des actions de recherche à hauteur d’un million d’euros entre 2014 et 2018. Dans ce cadre ont notamment été financés des travaux sur la sécurisation des viandes (INSICCA), et sur l’impact de la chlordécone sur l’environnement, avec l’Observatoire des pollutions agricoles aux Antilles (OPALE), le projet CHLOANT (qui vise à étudier les voies de contamination des écosystèmes marins côtiers) et des études sur la dépollution des sols (deux projets financés en 2018 et un appel à projet consacré à cette thématique en 2019).
La Rapporteure estime que le nombre de projets soutenus et les montants consacrés ne sont pas à la hauteur des enjeux, car il existe de nombreux projets de recherche qui n’aboutissent pas ou qui doivent se contenter des ressources disponibles à l’intérieur des universités et des structures de recherche, faute de priorité politique en la matière.
Comme le reconnaît l’Agence nationale de recherche, « Treize projets sur la chlordécone, cela peut paraître faible, mais cela représente treize projets retenus sur un total de 46 projets déposés depuis 2005. Le taux de sélection s’établit ainsi à 28 %, ce qui est supérieur au taux de sélection moyen de l’ANR. Ce taux de sélection moyen était de 26 % en 2005. Il a ensuite décru régulièrement, du fait de la baisse de la dotation budgétaire, jusqu’à atteindre 11 % en 2014 et 2015, pour remonter actuellement à 16 %. » ([307]).
Ainsi aujourd’hui seul un projet de recherche sur six, présentés pour étudier les effets du chlordécone, dispose d’un financement de l’État.
À l’occasion de ses auditions ([308]), la commission d’enquête a pu prendre connaissance de plusieurs projets prometteurs, qui n’ont pas pu progresser faute de financements.
Comme l’a dénoncé M. Denis Le Paslier, chercheur en biologie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « ce manque de financement de la recherche sur la dégradation du chlordécone n’a fait que retarder l’obtention des résultats que nous allons vous présenter » ([309]).
b. Un « mille-feuille » décisionnel
En outre, la procédure d’appel à projets apparaît comme excessivement complexe, comme le décrit M. Jean-Pierre Cravedi, chef du département adjoint « alimentation humaine » à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), utilisant même le terme de millefeuille : « Le groupe d’observation et de suivi scientifique (GOSS) est censé faire l’inventaire des projets de recherche, quels qu’ils soient, sur le sujet, et d’en rendre compte aux instances qui les financent, à savoir des groupes d’action locale (GAL) et le ministère de la Santé. Vous n’êtes pas sans savoir que des alliances scientifiques sont censées donner leur avis : sur les aspects environnementaux, pour l’alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) ; sur les aspects santé, l’alliance Aviesan et sur les aspects socioéconomiques, l’alliance Athena. Mais cela doit passer par un autre type de validation via les alliances, lesquelles ont mis en place le groupe inter-alliances (GIA), qui doit travailler en interaction avec le GOSS. À cela s’ajoute le suivi des appels à projets des différentes instances. Ce système extrêmement complexe mériterait d’être fortement simplifié pour être plus efficace. » ([310]).
Face à ce constat, la Rapporteure propose de renforcer la gouvernance et la coordination entre toutes les autorités scientifiques décisionnaires, de manière à simplifier le financement et la conduite des projets de recherche sur la pollution au chlordécone.
c. Des actions de recherche prioritaires
Plusieurs sujets de recherche nécessiteraient de faire l’objet d’études plus poussées.
La commission d’enquête a ainsi eu l’occasion de se faire présenter des projets dans le domaine sanitaire et en matière de remédiation des sols, qui n’ont malheureusement pour l’instant pas été menés à terme, faute de moyens.
L’action 9 du Plan Chlordécone III a pour but de « poursuivre l’étude de consommation et d’imprégnation de la population antillaise et procéder à une nouvelle évaluation de l’exposition et vérifier au vu des résultats si une réévaluation des risques est nécessaire, ainsi qu’une adaptation des mesures de gestion ».
D’après M. Jacques Rosine, responsable de la délégation aux Antilles de Santé Publique France, « cette première étude en population générale s’est heurtée à des limites, mais nous avons prévu dans la feuille de route 2019-2020 du Plan Chlordécone III de mener une nouvelle étude Kannari avec un nombre de prélèvements plus élevé en ciblant les populations résidant dans les zones contaminées, les agriculteurs, les pêcheurs professionnels et amateurs. Nous envisageons également d’intégrer dans l’échantillon les femmes enceintes ou du moins en âge de procréer et les populations qui ont pu bénéficier du programme jardins familiaux (JAFA) depuis plus d’une quinzaine d’années » ([311]).
D’autres études permettant une meilleure connaissance de l’impact sanitaire du chlordécone pourraient voir le jour dans le cadre de la feuille de route 2019-2020 et du Plan Chlordécone IV. Par exemple, comme l’a souligné M. Jérôme Salomon lors de son audition ([312]), une étude concernant la morbidité des travailleurs de la banane devrait débuter dès 2020, en se basant sur la cohorte du programme Matphyto-Dom et en les rapportant au système national des données de santé (SNDS).
Il est également nécessaire de mettre en place des projets de recherche afin de déterminer la part attribuable du chlordécone dans l’incidence du cancer de la prostate et le taux à partir duquel apparaît un risque. De fait, comme développé dans la première partie du présent rapport, l’état actuel des connaissances ne permet pas de distinguer à partir de quel taux dans l’organisme le chlordécone peut conduire à la survenue de la pathologie.
Par ailleurs, d’autres effets potentiels sur la santé encore à investiguer.
Le chlordécone étant un perturbateur endocrinien, il convient d’approfondir les études dans ce domaine.
Une étude pilote est en cours en Guadeloupe pour étudier la faisabilité d’une étude de type cas-témoins portant sur le risque de survenue du cancer du sein en lien avec des expositions au chlordécone.
D’autres études pourraient être réalisées, notamment en ce qui concerne les effets sur l’appareil reproducteur féminin comme l’endométriose.
ii. En matière de remédiation des sols
Les techniques de dépollution par remédiation des sols font l’objet de plusieurs pistes de recherche, qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour aboutir.
État des lieux des recherches sur les techniques de dépollution
En Guadeloupe, on estime qu’environ 9 % des surfaces agricoles utiles sont fortement contaminés au chlordécone, c’est-à-dire que leur sol comporte plus de 1 mg de chlordécone par kg. En Martinique, ce chiffre est de 8 % ([313]).
En Guadeloupe et en Martinique, on distingue principalement trois types de sols : les nitisols, les ferralsols et les andosols ([314]). Cette pollution est considérée comme durable par l’ensemble de la communauté scientifique, même si sa durée varie en fonction des types de sols. D’après les travaux de M. Yves-Marie Cabidoche, ancien directeur de recherches à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), la dépollution naturelle des sols par lessivage pourrait durer entre quelques décennies et un siècle pour les nitisols et ferralsols et jusqu’à six siècles pour les andosols ([315]). Néanmoins, certains chercheurs comme Pierre Loïc Saaidi, maître de conférences à l’Université d’Évry-Val-Essonne, ont remis en cause cette affirmation et découvert que le chlordécone se dégradait naturellement dans les sols antillais ([316]).
Cependant, compte tenu de ce temps de dégradation, il convient d’étudier les techniques de décontamination afin d’accélérer ce processus.
La dégradation naturelle du chlordécone par le décapement des sols : une solution potentielle pour les sols non labourés
Une solution évidente pour traiter les sols pollués au chlordécone serait de décaper la partie la plus affectée. D’après les estimations de Florence Clostre, décaper des sols non labourés de 20 cm pourrait permettre de diminuer de 80 % la charge polluante du chlordécone ([317]).
Cependant, cette solution ne semble pas viable, puisqu’elle réduirait la fertilité agronomique des sols et accroîtrait de manière importante le risque de leur érosion ([318]). De plus, à cause des pratiques de labours, le stock de chlordécone le plus important est en général présent dans les 40 premiers centimètres des sols. Également, le chlordécone étant entraîné par lixiviation, c’est-à-dire par l’eau circulant dans les sols, il peut être retrouvé jusqu’à 90 cm dans les sols ([319]).
Ainsi, cette technique ne semble ni envisageable, ni possible à l’échelle globale de la Guadeloupe et de la Martinique. Elle peut cependant être mise en place pour certains sols non labourés (bananeraies pérennes par exemple), tout en prenant le risque d’une infertilité des sols a posteriori.
La réduction chimique in situ (ISCR, in situ chemical reduction) : une technique efficace sur un certain type de sol mais coûteuse et nécessitant d’effectuer davantage de recherches
La technique ISCR est une technique étudiée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Elle a été présentée à la Commission d’enquête par Mme Nathalie Dörflinger, directrice de programme scientifique concernant les eaux souterraines et Mme Pascale Michel, correspondante environnement pour l’appui aux politiques publiques de la direction Eau, Environnement et Ecotechnologies au BRGM.
Cette technique consiste à amender aux sols une solution à base de 4 % de matière organique et de poudre de fer. Cela permet de « casser » les molécules de chlordécone, mais produit ainsi des dérivés de la molécule.
L’efficacité de l’ISCR est démontrée en laboratoire et en conditions réelles sur les nitisols en Martinique. Cette technique permet de décontaminer jusqu’à 70 % des nitisols et ferralsols, mais seulement 20 % des andosols. Il n’y a besoin d’appliquer cette solution qu’une seule fois sur les sols contaminés ([320]).
Cette technique présente deux limites :
– elle ne peut concerner qu’une partie des sols pollués, les nitisols et ferralsols, or en Martinique les andosols représentent la moitié des sols contaminés ;
– elle comporte des coûts importants (actuellement de l’ordre de 170 000 euros par hectare).
Il reste nécessaire de poursuivre la recherche avant de l’expérimenter à grande échelle, sachant qu’elle n’a été expérimentée en conditions réelles que sur les nitisols martiniquais. De plus, cette technique produit des dérivés du chlordécone, qui, même s’ils sont moins toxiques que cette dernière, peuvent potentiellement migrer vers les eaux sous-terraines.
La biodégradation microbienne sous conditions anoxiques (sans oxygène) : une solution naturelle, qu’il reste à étudier en conditions réelles
La biodégradation microbienne est une technique à l’étude par le Génoscope, l’Université d’Evry, l’Université des Antilles, l’INRA et le BRGM.
Elle consiste à utiliser les bactéries naturellement présentes dans les sols, qui permettent aujourd’hui la lente dégradation du chlordécone. Cette technique vise à augmenter l’efficacité de ces bactéries en privant les sols d’oxygène afin d’accélérer le processus. En effet, les sols guadeloupéens et martiniquais sont très aérés et ne permettent pas aux bactéries de dégrader de manière particulièrement efficace le chlordécone.
L’efficacité de la biodégradation microbienne sous conditions anoxiques (sans oxygène) a été démontrée en laboratoires et en milieux simplifiés : la molécule de chlordécone a été « cassée » dans 100 % des cas et dégradées en produits dérivés ([321]).
Cette technique présente l’avantage de représenter un faible coût. Cependant, il semble nécessaire de l’étudier en milieu réel et de poursuivre la recherche afin d’établir le potentiel de toxicité des produits dérivés produits par la dégradation du chlordécone.
La phytoextraction : une technique peu étudiée
La phyto-extractation est étudiée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), l’Université de Toulouse et l’École nationale des travaux publics de l’état (ENTPE) et le Centre national pour la recherche scientifique (CNRS).
Il s’agit d’extraire le chlordécone présent dans les sols, à l’aide de plantes.
L’efficacité de cette technique n’a pas été prouvée : sur des sols contaminés de l’ordre de 1 mg/kg de matière sèche, les deux espèces de plantes utilisées n’ont été capables d’éliminer que 1 gramme de chlordécone à l’hectare par an. Or, sur 30 cm de sols, il y a environ 3 000 grammes de chlordécone ([322]).
Cette technique comporte ainsi certaines limites : elle n’est pas probante et, en cas de réalisation à grande échelle, il serait nécessaire d’éliminer les plantes contaminées après leur culture.
Cependant, les recherches concernant la phytoextraction ne sont qu’à leurs balbutiements. Seulement deux espèces de plantes (Miscanthus) n’ont été étudiées. Cette technique pourrait également représenter un faible coût.
La technique de la séquestration : vivre avec le chlordécone sans décontaminer les sols
D’autres chercheurs mettent en avant la nécessité de vivre avec le chlordécone, sans décontaminer les sols.
La séquestration est une technique étudiée par l’IRD et le CNRS. Elle consiste à amender les sols de 5 % de compost afin de séquestrer le chlordécone et de limiter ses transferts du sol vers la plante. Le chlordécone ne serait donc pas éliminé, mais son potentiel toxique via l’alimentation serait réduit.
L’efficacité de cette technique a été démontrée, aussi bien en laboratoires que sur sols réels, les transferts sols-plantes ayant été réduits d’un facteur 2 à un facteur 15 ([323]).
Cette technique présente cependant certaines limites. Elle nécessite un investissement important, de l’ordre de 80 000 euros par hectare à chaque application. Cet amendement devrait être renouvelé tous les deux ou trois ans, la matière organique amendée se dégradant facilement.
Cependant, M. Hervé Macarie, microbiologiste à l’IRD Marseille (IMBE), a confié à la commission d’enquête que des travaux sur les biochars, des matières organiques stabilisées qui se détruiront moins facilement, sont en cours, mais nécessitent des financements ([324]).
La nécessité de combiner les approches
Comme M. Thierry Woignier, directeur de recherche au CNRS et à l’IRD, l’a souligné lors de son audition, « il n’existe pas une solution unique qui serait capable d’éliminer le problème du chlordécone : il existe sans doute des approches différentes en fonction des types de sols », « il faudra ajuster les techniques à la géographie, à la topographie et à la nature des argiles présentes dans le sol » ([325]).
MM. Pierre Loïc Saaidi et Denis Le Paslier, chercheurs au Génoscope, ont également mis en avant, lors de leur audition, la nécessité de combiner les techniques et de développer les recherches en matière de décontamination ([326]).
Ainsi, ces pistes de recherche sur la dépollution présentent des résultats d’autant plus intéressants qu’ils permettent d’entrevoir un « après-chlordécone » pour l’environnement et l’agriculture de Martinique et de Guadeloupe. C’est pourquoi la Rapporteure préconise de leur attribuer une réelle priorité dans l’allocation des moyens destinés à la recherche publique.
Dans la ligne tracée par le Président de la République lors de son déplacement en Martinique en septembre 2018 ([327]), la Rapporteure estime qu’il est nécessaire que les recherches sur le chlordécone fassent l’objet d’une priorité stratégique, décidée par le Gouvernement via le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et mise en œuvre par l’Agence nationale de recherche.
Comme le rappelle M. Frédéric Monot, responsable du département scientifique EERB (Environnements, écosystèmes, ressources biologiques) au sein de l’Agence nationale de recherche (ANR), « Le plan d’action de l’ANR constitue la feuille de route qui intègre les orientations prioritaires de recherche de notre pays. Il permet de mettre en œuvre les orientations et priorités du MESRI qui coordonne l’action interministérielle entre les différents ministères concernés. ».
Proposition n° 31 : Ériger les recherches sur le chlordécone comme priorité stratégique de la politique de recherche publique définie par le Gouvernement.
La priorité nationale ainsi définie devra s’accompagner d’un financement dédié, adapté aux enjeux.
Il ne s’agit pas uniquement de faire progresser la science : il s’agit principalement de donner aux populations de Guadeloupe et de Martinique un calendrier permettant de se projeter dans la fin de la pollution et dans l’après-chlordécone pour porter un projet de développement.
Ce n’est qu’une fois que la France aura affiché ce sujet comme une priorité que l’on pourra mobiliser également des financements européens.
Comme le reconnaît le directeur général de la Santé M. Jérôme Salomon, « Le niveau européen est aussi très important pour trouver des chercheurs qui ont d’autres compétences. Il faut influencer les rédacteurs du futur appel à projets européen qui est très fortement doté, en faisant valoir qu’il est très important de travailler sur les incidences de l’environnement sur la santé. Le chlordécone entre complètement dans ce cadre, comme les produits phytosanitaires ou la pollution. » ([328]).
La recherche sur cette question reste méconnue et se limite aux chercheurs français. De nouveau, le directeur général de la santé relevait : « L’énorme défi est d’intéresser les chercheurs, peut-être même ceux qui ne connaissent pas le sujet […] Pour l’Union européenne, c’est aussi un sujet majeur : il s’agit d’une catastrophe environnementale que l’on n’a pas intérêt à reproduire. J’ai rencontré la directrice générale de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne. Quand je lui ai parlé du chlordécone, elle découvrait le sujet. Nous devons tous être capables de porter ce sujet au sein des institutions de l’Union européenne, en insistant sur le fait qu’il ne concerne pas uniquement les Antilles et qu’il est révélateur de ce qui se passe face à un scandale environnemental ».
Proposition n° 32 : Sécuriser des financements pour prioriser les recherches des techniques de dépollution.
Ces financements devront cibler des actions prioritaires.
Ainsi, sur le plan de la recherche en matière de santé humaine, il est également nécessaire de flécher des financements, de manière à pouvoir fournir aux populations des réponses les plus claires possibles aux questions qui les concernent :
– Peut-on attribuer le déclenchement de certaines pathologies à l’exposition au chlordécone, et quelle est la part attribuable ? Y a-t-il un lien avec certains autres cancers, comme le cancer du côlon ou le cancer de l’utérus ?
Sur ce point, l’INCa proposé un schéma validé par des experts internationaux avec une étude pour répondre à la question du risque attribuable qui a été transmise à la direction générale de la santé. Il semble important qu’elle soit inscrite dans le volet recherche du Plan Chlordécone IV ;
– Quelles sont les valeurs toxicologiques de référence qui présentent un risque avéré pour la santé ?
Proposition n° 33 : Financer de manière prioritaire les projets de recherche en matière de santé permettant à la population exposée au chlordécone de connaître les risques effectivement supportés.
3. Créer un groupement d’intérêt scientifique sur le chlordécone
On peut regretter que les financements soient insuffisants, mais ils manquent également de coordination afin de gagner en visibilité et en efficacité.
C’est pourquoi, un premier pas vers une coordination des actions a été fait en 2016 avec la mise en place d’un Groupe d’orientation et de suivi scientifique (GOSS). Ce groupe est chargé d’animer un réseau des recherches sur le chlordécone, afin de permettre la concrétisation et le suivi des actions de recherche, tout en facilitant les interactions entre équipes, la structuration de projets communs et l’opportunité de réorienter les actions en cours. Il peut également proposer de nouvelles actions de recherche au groupe inter‐Alliances (GIA) qui regroupe les alliances de recherche AllEnvi (environnement), Aviesan (santé) et Athéna (sciences humaines et sociales). Les actions de recherche du plan, sont évaluées et priorisées par le GIA, en cohérence avec la stratégie nationale de recherche (SNR) et l’Initiative Française de Recherche en Environnement‐Santé (IFRES).
Malgré l’existence du GOSS, les actions de recherches sur le chlordécone continuent de pâtir d’un manque de coordination. Comme le remarquait M. Jean-Pierre Cravedi, chef du département adjoint « alimentation humaine » à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), « En termes d’efficacité, et non d’incertitudes, nous avons aussi des progrès à faire parce que les actions ne sont pas toujours coordonnées. On découvre parfois que deux équipes se sont posées les mêmes questions et ont tenté d’y apporter des réponses chacune dans leur coin, ce qui est contre-productif. Il peut aussi y avoir plusieurs guichets de financement. Une réflexion est donc à mener sur le financement de la recherche, son organisation et la gouvernance à mettre en place. Il y a des efforts de coordination et de programmation à consentir dans l’organisation et la stratégie. » ([329]).
C’est pourquoi, afin de mieux coordonner les recherches et les financements, ainsi que les liens entre la recherche fondamentale et la recherche expérimentale, la Rapporteure estime utile de mettre en place une structure de coordination pour porter l’effort de recherche sur le chlordécone.
La mise en place d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS), parfois aussi nommé contrat de programme de recherche, pourrait ainsi permettre de fédérer les différents efforts de recherche.
Créé sans personnalité juridique pour une durée limitée par accord entre institutions de recherche, le GIS permettrait de :
– fédérer autour d’un projet commun de recherche, des compétences scientifiques et des moyens sur un thème donné, pour une durée décidée par les parties ;
– rendre visible une collaboration ou synergie entre parties partenaires, éventuellement pour plus facilement bénéficier d’un financement commun ;
– il permet de régler les modalités d’échanges de données et la question des droits de propriété autour des résultats des projets de recherche ;
– tout en conservant une souplesse et une rapidité de réaction ou de projet.
Proposition n° 34 : Créer un groupement d’intérêt scientifique consacré à la recherche sur le chlordécone.
Cependant, un GIS ne peut être créé qu’avec des partenaires de recherche disposant eux-mêmes de moyens propres.
Cette structure pourrait également prendre en charge une coordination internationale des travaux concernant le chlordécone.
En coordination avec le secrétariat de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, il serait utile que le GIS consacré au chlordécone organise de manière régulière des colloques internationaux permettant de faire le point sur les recherches existantes en France et à l’étranger et de susciter l’intérêt des équipes de recherche étrangères sur ce sujet.
Proposition n° 35 : Organiser de manière périodique un colloque international consacré aux recherches sur le chlordécone.
4. Encourager la recherche et l’analyse au niveau local
Si plusieurs projets de recherche présentés devant la commission d’enquête ont été montés par des équipes antillaises, la Rapporteure constate que les moyens de la recherche seraient plus efficaces s’ils mobilisaient à leur juste valeur les moyens déjà existants en Guadeloupe et en Martinique, là où les recherches appliquées et les expérimentations devront être organisées.
Dans ce cadre, l’université des Antilles doit être mobilisée pour porter un pôle de recherche interdisciplinaire sur le chlordécone.
Au sein de ses deux pôles universitaires régionaux autonomes, elle comprend 25 structures de recherche et 484 enseignants-chercheurs, rattachés aux différentes unités de formation et de recherche.
Ces différentes structures pourraient être fédérées au sein d’une institution consacrée au chlordécone, permettant aux structures de recherche en matière de santé, d’environnement (air, eau, sols, plantes) et de sciences humaines, économiques et sociales de confronter leurs approches et de porter des projets communs.
Proposition n° 36 : Inciter à une recherche locale en finançant un institut pluridisciplinaire de recherche sur le chlordécone au sein de l’université des Antilles.
Dans ce cadre, il apparaît également nécessaire que les moyens soient mis en place pour que les analyses de sols et les analyses sanitaires soient réalisés aux Antilles.
La question des laboratoires est une question cruciale. En 1999, c’est le recours au laboratoire départemental d’analyse de la Drôme qui a permis de mettre en évidence la contamination des réseaux d’eau potable puis de l’environnement.
Les analyses des denrées saisies par les douanes ou par la DGCCRF sont réalisées dans des laboratoires habilités à la recherche de chlordécone et en capacité de maîtriser l’ensemble des exigences de reportage des résultats dans l’application métier.
L’attribution des marchés d’analyses résultent d’une consultation par appel d’offre. Or comme le révèle la direction générale des Outre-mer dans sa réponse écrite, « Les laboratoires de l’hexagone présentent un niveau de compétitivité supérieur. Le coût d’une analyse par un laboratoire métropolitain est moitié moins important que celui du laboratoire en Martinique par exemple. Le coût du transport ne permet pas de rattraper le différentiel qui reste en faveur des laboratoires métropolitains ».
Certaines analyses sont réalisées par le laboratoire territorial d’analyses de Martinique. C’est le cas des analyses du sol dont le transport est coûteux ou des graisses prélevées dans le cadre des plans de contrôle à l’abattoir qui demandent un traitement rapide.
En Guadeloupe, seul le Service commun des laboratoires (DGDDI et DGCCRF) installé à Jarry est agréé par le Comité français d’accréditation (COFRAC) pour la recherche de chlordécone dans les matrices végétales ; les analyses y sont réalisées pour les services de l’État. Quant aux matrices animales et produits de la mer pour l’exercice 2019 et comme suite à l’appel d’offre réalisé, la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) de la Guadeloupe a confié les analyses en vue de la recherche de chlordécone au laboratoire LABOCEA.
Concernant les sols, il n’existe pas de laboratoire agréé pour la recherche de chlordécone. La DAAF, dans le cadre des appels d’offre, impose toutefois que le laboratoire soit accrédité par le Comité français d’accréditation (COFRAC) pour s’assurer de la qualité de la prestation du service. Pour 2019, le Laboratoire de la Drôme et le laboratoire GIRPA réalisent les analyses ; un appel d’offre est en cours pour compléter le besoin pour la période 2019-2020.
Il est urgent d’attribuer un rôle aux laboratoires départementaux ou territoriaux dans la gestion du chlordécone, notamment pour l’analyse des sols sur place, avec des moyens permettant une labellisation conformément aux normes nationales appliquées par la COFRAC, avec un référentiel adapté à la mangrove.
Proposition n° 37 : Donner aux laboratoires départementaux ou territoriaux les moyens nécessaires pour mettre en place une filière d’analyse compétitive.
D. Une loi d’orientation et de programmation pour une stratégie de sortie du chlordécone
L’ensemble des propositions faites dans ce rapport va nécessiter une volonté politique affichée et des moyens pour les mettre en œuvre.
Depuis 2008, par l’intermédiaire de plusieurs plans, l’État et ses opérateurs ont mobilisé d’importants moyens, qui ont conduit notamment à la sensibilisation et à la protection de la population, au soutien des professionnels impactés mais aussi à l’amélioration des connaissances sur le chlordécone.
Le principe de la démarche du futur Plan Chlordécone IV en cours d’élaboration, doit évoluer : il convient que les Guadeloupéens et les Martiniquais soient associés pour faire remonter les axes et les actions à entreprendre.
Une fois ce plan élaboré en co-construction et validé par le Gouvernement, l’engagement financier de l’État devra être à la mesure des enjeux et permettre aux populations de concevoir un projet de développement pour l’après-chlordécone.
1. Un cadre législatif pour les engagements de l’État
Dans ce cadre, il convient que l’État prenne des engagements pour sortir du chlordécone, de différents ordres :
– affirmer les responsabilités dans la catastrophe environnementale, sanitaire et économique ;
– fixer des objectifs permettant aux territoires et aux habitants de sortir du chlordécone ;
– déterminer les actions à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs ;
– s’engager pour la réparation économique, sanitaire et environnementale de la pollution au chlordécone.
Seule une loi de programmation permettrait de garantir aux populations ces objectifs et les moyens correspondant dans le cadre d’un engagement de la parole de l’État.
Proposition n° 38 : Présenter au Parlement un projet de loi de programmation de la sortie du chlordécone et de la réparation de ses conséquences, avec les moyens associés.
2. Un contrôle parlementaire de l’exécution des engagements de l’État
Parallèlement, il convient que le travail de contrôle et d’enquête du Parlement sur la mise en œuvre des actions des Plans Chlordécone et des engagements de la loi de programmation ne cesse pas avec la fin des travaux la présente commission d’enquête.
C’est pourquoi, le Parlement pourrait confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), en lien avec les Délégations aux outre-mer des deux assemblées, la mission de réaliser un contrôle et une évolution périodique de l’avancement des actions réalisées.
Proposition n° 39 : Confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) la mission et les moyens de contrôle et d’évaluation de l’exécution des engagements de l’État.
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Troisième partie : vers des actions de réparations
« Sortir du chlordécone » suppose également un processus qui combine affirmation des responsabilités et prise en charge des préjudices avérés, tant dans le domaine de la santé que dans le domaine économique.
Comme le prévoit l’intitulé de la commission d’enquête, celle-ci doit se prononcer, en dernier lieu, sur « la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires ».
Certains témoins auditionnés ont évoqué le terme d’ « écocide », renvoyant la question de la responsabilité à une qualification pénale. Ce n’est pas le rôle de la commission d’enquête d’en juger, mais à la justice de se pencher sur les éventuelles responsabilités pénales en instruisant les plaintes déposées.
Pour autant, les Antillais ont besoin de comprendre les responsabilités pour se reconstruire et tourner la page du chlordécone. Comme le rappelait M. Malcom Ferdinand, chercheur au CNRS « c’est une question de justice. Nous sommes dans une situation de déréalisation : les personnes que j’ai interrogées dans le cadre de mes recherches n’arrivent pas à comprendre qu’une contamination d’une telle ampleur n’ait pas encore abouti à la désignation publique de personnes ou d’entités responsables et que la justice n’ait pas fait son travail. Comme les habitants n’arrivent pas à déterminer clairement les responsabilités, n’importe qui peut devenir empoisonneur – ce sont parfois les pêcheurs, parfois les agriculteurs. Au-delà de la fonction qui est la sienne, la justice permettrait donc surtout à tous les acteurs – agents de l’État, producteurs et habitants – d’aller de l’avant et de pouvoir tourner la page, tout simplement » ([330]).
La responsabilité des acteurs peut soit découler de leurs fautes, comme le prévoit l’article 1240 du code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » soit lorsque, du fait de leurs actions, ils ont fait courir à des tiers un risque qui s’est réalisé ; l’indemnisation des victimes est alors prise en charge au nom de la solidarité nationale.
Dans les deux cas, il reste à la charge de la victime de prouver l’existence de son préjudice, et que celui-ci est le résultat, soit de la faute, soit de la réalisation d’un risque qu’on lui a fait courir.
Les régimes de responsabilité applicables aux produits phytopharmaceutiques
tels que le chlordécone
Les régimes de responsabilité existants trouvent à s’appliquer au cas particulier des produits phytopharmaceutiques :
– la responsabilité des fabricants peut être recherchée du fait de la défectuosité de leur produit, en vertu de la directive de 1985, transposée en droit français en 1998 ([331]). La loi écarte toute exigence de preuve de faute particulière du fabricant pour engager sa responsabilité. Le responsable ne pourra donc pas s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. Néanmoins, le demandeur devra prouver le lien de causalité avec le dommage et le délai de prescription de dix ans constitue une limite à l’action des victimes ;
– la responsabilité de l’État peut également être recherchée compte tenu des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires qu’il accorde sur le territoire national, au même titre que celle de l’Union européenne en ce qui concerne les autorisations des matières actives qui composent ces produits. Elle peut également être recherchée sur le fondement du défaut d’information du public, pour interdiction tardive, voire lorsqu’il a été amené à prescrire aux agriculteurs l’emploi de certaines substances ;
– la responsabilité de l’employeur peut être recherchée pour faute inexcusable, domaine dans lequel la jurisprudence est bien établie depuis le revirement de la Cour de cassation de 2002 avec « l’obligation pour l’employeur de sécurité découlant du contrat de travail » ;
– l’utilisateur des produits dangereux n’est pas exempt de toute responsabilité et cette dernière peut être recherchée s’il n’a pas respecté les préconisations de sécurité qui accompagnent l’utilisation du produit, notamment l’emploi des équipements de protection individuels.
Dans la pratique, hors un cas particulier lié à un accident ponctuel, la responsabilité des différents acteurs est difficile à établir. La responsabilité de l’employeur ne concerne que le salarié agricole et non l’exploitant lui-même. Enfin, l’utilisateur lui-même ne dispose que depuis peu d’équipements individuels de protection mieux adaptés pour qu’il lui soit reproché d’avoir été négligent.
Certes, le système des tableaux de maladies professionnelles présente le double intérêt d’alléger la charge de la preuve pour les victimes et de permettre une égalité de traitement dans le cadre des conditions posées par les tableaux. Toutefois, les tableaux actuels étant peu « couvrants », les victimes sont conduites à devoir produire des éléments de preuve qu’elles ne détiennent pas toujours, soit pour le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), soit devant le juge de droit commun.
Les travaux de la commission d’enquête ont pu faire la lumière sur les causes et les conséquences de la pollution par le chlordécone, la Rapporteure estime donc que la question de la réparation et de l’indemnisation se pose.
1. Affirmer les responsabilités des acteurs
Avant d’envisager une réparation par indemnisation, un premier pas serait de poser la question de la responsabilité, comme l’a fait le Président de la République.
a. L’État, premier responsable
Comme l’a reconnu le Président de la République en 2018, « l’État, les élus locaux, les acteurs économiques ont accepté cette situation, pour ne pas dire l’ont accompagnée pendant cette période, en considérant qu’arrêter le chlordécone, c’était menacer une partie des exploitations en Martinique comme en Guadeloupe. » ; en conséquence, « l’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et doit avancer dans le chemin de la réparation et des projets » ([332]).
En autorisant le « Kepone 5 % SEPPIC », alors que la toxicité et la rémanence du chlordécone étaient connues, mais surtout en homologuant le « Curlone » après le scandale d’Hopewell et de multiples alertes, puis en prolongeant son utilisation jusqu’à ce que l’arrivée de la réglementation communautaire rende son maintien illusoire, l’État a fait subir des risques inconsidérés, au vu des connaissances scientifiques de l’époque, aux populations et aux territoires de Guadeloupe et de Martinique.
Par ailleurs, certains opérateurs de l’État ont pris fait et cause pour des produits regardés comme indispensables à l’économie bananière antillaise, au détriment des considérations d’intérêt général.
C’est pourquoi, les ministres, lors de leur audition par la commission d’enquête, ont repris les propos du Président de la république appelant l’État à prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et à avancer sur le chemin des réparations et des projets.
Ainsi Mme Agnès Buzyn, ministre de la Santé et des solidarités a-t-elle affirmé : « L’État doit prendre sa part de responsabilité. Je le dis devant vous aujourd’hui, devant les Guadeloupéens et les Martiniquais qui nous écoutent. Vous n’êtes pas seuls. Vous ne vous battez pas seuls. C’est un fléau et c’est bien l’ensemble de l’État qui est mobilisé à vos côtés, et je pense pouvoir le dire sincèrement, mobilisé comme jamais. » ([333])
Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer a même affirmé « La responsabilité de l’État est aujourd’hui reconnue et engagée. » ([334]).
b. La responsabilité des acteurs privés
i. Les producteurs et les distributeurs
Dès lors qu’ils ont mis sur le marché une spécialité commerciale qui a fait l’objet d’une étude et d’une autorisation par l’État, les producteurs et les distributeurs pourraient estimer que leur responsabilité n’est pas engagée.
Cependant, les agissements décrits dans la première partie du rapport montrent qu’ils n’ont pas toujours pris la pleine mesure des enjeux de la santé publique.
Ainsi, à compter du retrait de l’homologation du « Curlone » les distributeurs ont adopté une interprétation fallacieuse des textes, et de multiples infractions ont été constatées dans la distribution de stocks.
ii. Les utilisateurs
Enfin, les représentants du secteur de la banane ont joué un rôle évident dans le maintien sur le marché d’une molécule connue comme toxique. En particulier, ils ont poussé à une prolongation de l’utilisation du chlordécone plutôt que de rechercher des solutions alternatives sans usage de produits phytopharmaceutiques, comme l’ont montré les échanges de courriers entre les sociétés de producteurs et l’IRFA.
S’il ne revient pas à la commission d’enquête de se pencher sur des responsabilités individuelles, qui ont fait l’objet de plaintes actuellement en cours d’instruction, il convient de prendre en compte que les producteurs, distributeurs et utilisateurs portent une responsabilité collective dans l’ampleur de la catastrophe du chlordécone.
Proposition n° 40 : Prévoir une contribution de la filière de la banane au financement des actions de prise en charge des préjudices liés au chlordécone et de la dépollution des terres.
2. Prendre en charge les préjudices avérés
Certes, l’ampleur et l’imputabilité d’une grande partie des éventuels préjudices, notamment ceux portant sur la santé de chacun des habitants de Guadeloupe et de Martinique, ne peuvent pas être déterminés avec précision à ce jour. Il existe cependant des préjudices avérés dont la réparation peut d’ores et déjà être mise en œuvre, notamment en direction des travailleurs de la banane et des acteurs économiques.
a. Créer un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone
Les travailleurs du secteur bananier sont les premières victimes.
L’étude Matphyto-DOM, réalisée par Santé publique France et financée en partie par le plan Écophyto, a cherché à évaluer l’exposition des travailleurs agricoles au chlordécone et à d’autres pesticides. Cette étude a documenté rétrospectivement, en partant de trois sources de données, les expositions des travailleurs agricoles de la banane à tous les pesticides utilisés depuis 1960 dans cette culture, dont le chlordécone.
Selon cette étude, la grande majorité des travailleurs agricoles dans les bananeraies antillaises ont été exposés au chlordécone à l’époque où ce pesticide était utilisé (77 % en 1989). Par ailleurs, les travailleurs de la banane aux Antilles sont encore exposés aujourd’hui à d’autres pesticides ayant eux aussi des effets potentiellement nocifs pour la santé.
Santé publique France et l’Inserm ont reconstruit, à partir d’archives et de données récentes, la cohorte des travailleurs de la banane. Cette cohorte, aujourd’hui composée de plus de 13 000 personnes, permet d’étudier l’état de santé de cette population très exposée aux pesticides ([335]).
Le cadre de la réparation est aujourd’hui insuffisant.
i. Compléter les tableaux de maladies professionnelles
Les victimes professionnelles de pesticides sont principalement prises en charge dans le cadre de l’assurance AT-MP du régime général et des régimes agricoles. Celle-ci passe par deux voies alternatives ([336]) : l’existence d’un tableau de maladie professionnelle ou la preuve, devant un comité médical, du « lien direct et essentiel » entre l’activité professionnelle de la victime et sa pathologie.
Les tableaux de maladies professionnelles, qui représentent la voie principale avec environ 80 % des reconnaissances, dispense la victime d’apporter la preuve du lien de causalité entre son exposition et le développement des pathologies, à condition de répondre aux critères définis par les tableaux (délai de prise en charge, correspondant à la durée maximum entre la fin de l’exposition au risque et la première constatation médicale de la maladie ; durée d’exposition ; types de travaux effectués). Il existe deux listes de tableaux de maladies professionnelles, l’une pour le régime général et l’autre pour les régimes agricoles.
S’agissant des pesticides comme le chlordécone, le régime agricole se distingue par la création de deux tableaux spécifiques : l’un pour la maladie de Parkinson (tableau n° 58, intitulé « maladie de Parkinson provoquée par les pesticides », créé en 2012), l’autre pour le lymphome malin non hodgkinien (LMNH ; tableau n° 59, intitulé « hémopathies malignes provoquées par les pesticides », créé en 2015).
Cependant, dans les départements d’Outre-mer (DOM), les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) assurent l’ensemble des prestations maladie et accidents du travail des salariés relevant du régime général et des salariés relevant normalement du régime agricole, ces derniers étant intégrés au même régime : « Dans les départements d’Outre-mer, les exploitants agricoles relèvent des tableaux des maladies professionnelles agricoles. Pour l’heure, les salariés agricoles dans les DOM ne relèvent que des tableaux des maladies professionnelles du régime général qui ne comportent pas les tableaux 58 et 59 ni a priori le tableau 60 » ([337]).
Sur la base d’une expertise scientifique de l’ANSES, ces tableaux sont élaborés et adoptés par les partenaires sociaux – commission supérieure des maladies professionnelles (COSMAP) pour le régime agricole, Conseil d’orientation sur les conditions de travail (COCT) pour le régime général. Comme le rappelle l’Inserm, « L’expertise de 2013 avait été présentée à la COSMAP, ce qui avait fortement contribué à faire reconnaître la maladie de Parkinson comme une maladie professionnelle chez les agriculteurs. C’était un faisceau d’arguments mais l’expertise avait apporté sa pierre à l’édifice » ([338]).
Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) ([339]), qui représentent environ 20 % des reconnaissances procèdent à un examen individuel des dossiers dans les cas suivants :
Dans ce cadre d’indemnisation complémentaire, l’assuré ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité ; il doit apporter la preuve du lien entre sa maladie et son activité professionnelle. Le CRRMP expertise le « lien direct » (alinéa 6) ou « direct et essentiel » (alinéa 7) entre l’exposition au risque et l’activité professionnelle exercée. Son avis est strictement médical et il s’impose à la caisse.
C’est pourquoi, comme l’a annoncé le Président de la République, le ministère chargé de la santé a saisi l’INSERM et l’ANSES le 24 avril 2018 de la reconnaissance des maladies professionnelles en lien avec le cancer de la prostate et l’exposition aux pesticides, en particulier au chlordécone, avec un addendum le 28 septembre 2018 priorisant les travaux sur le chlordécone ainsi que l’a rappelé M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué du pôle sciences pour l’expertise de l’ANSES, « Le groupe de travail s’attachera donc à indiquer quelle pathologie peut être reconnue, si le cancer de la prostate, notamment, peut figurer dans la première colonne du tableau. Il lui faudra aussi indiquer un niveau de risque – possible, probable, avéré – en lien avec l’exposition à la chlordécone. Il le fera sur la base d’une analyse rigoureuse de l’ensemble des publications scientifiques » ([340]).
Les limites du régime AT-MP pour la réparation des victimes des produits phytopharmaceutiques sont de plusieurs ordres.
L’accès des victimes à une indemnisation est inégal et dépend des tableaux existants (nature des maladies, délais, durées d’exposition) au sein de chaque régime. Les deux tableaux spécifiques du régime agricole, mentionnés ci-dessus, n’ont pas d’équivalent au régime général.
Le système actuel ne couvre pas l’ensemble des personnes potentiellement exposées, comme les professionnels victimes d’une pathologie n’entrant pas dans les critères des tableaux, les retraités non-salariés agricoles relevant d’un régime assurantiel facultatif avant la création du régime AT-MP obligatoire au 1er avril 2002 ou encore les enfants dont la pathologie est directement liée à l’exposition professionnelle de l’un de leurs parents durant la période prénatale.
En ce qui concerne les travailleurs de la banane, leur exposition au chlordécone datant de plus de 27 ans, ils n’entrent pas dans les conditions fixées par les tableaux et doivent apporter eux-mêmes la preuve du lien entre exposition au chlordécone et pathologie.
De manière générale, l’établissement d’un lien de causalité entre la maladie et l’exposition à des substances nocives est le principal obstacle à la reconnaissance de la victime.
La prise en charge est conditionnée par des délais entre la période d’exposition et le moment où survient la pathologie. Ils sont combinés à des durées d’exposition qui peuvent apparaître longues pour les victimes. Ces délais sont d’un an pour la maladie de Parkinson et de dix ans pour le LMNH, sous réserve, dans les deux cas, d’une durée d’exposition de dix ans.
S’agissant de l’instruction des demandes, si les délais réglementaires sont de quatre mois lorsqu’elles reposent sur les tableaux de maladies professionnelles et de huit mois en cas de saisine du CRRMP, dans la pratique, ces délais sont difficilement respectés. Les CRRMP font face à une augmentation continue du nombre de dossiers depuis une dizaine d’années (près de 23 000 demandes traitées en 2017) sans que la ressource médicale mise à disposition évolue dans les mêmes proportions.
Il existe un déficit d’information à plusieurs niveaux. D’une part, les assurés et les médecins traitants ne semblent pas bien connaître les voies d’indemnisation. D’autre part, dans le cadre du système complémentaire aux tableaux AT-MP, la connaissance scientifique ne fait pas l’objet d’une diffusion suffisante au sein et à destination des CRRMP.
Le nombre de victimes reconnues dans le cadre du régime agricole des accidents du travail et des maladies professionnelles apparaît aujourd’hui très limité. Il ne semble pas représentatif du nombre réel de victimes.
Une mission confiée à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), à l’Inspection générale des finances (IGF) et au Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) ([341]) a recensé environ 700 malades déclarés à titre professionnel en dix ans (pris en charge ou non). Selon les informations communiquées par le ministère de la santé, sur la période 2007-2016, 678 maladies professionnelles liées aux pesticides ont été reconnues au sein du régime agricole, dont 303 au titre du tableau 58 créé en 2012 (maladie de Parkinson provoquée par les pesticides) et 88 au titre du tableau 59 créé en 2015 (hémopathies malignes provoquées par les pesticides).
En ce qui concerne plus spécifiquement les Antilles, Mme Pascale Barroso, de la caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA), n’a pu identifier que trois cas de victimes prises en charge en Guadeloupe : « Nous disposons uniquement de remontées de la Guadeloupe. Nous pourrons entreprendre des démarches pour obtenir des données chiffrées auprès des autres CGSS. En Guadeloupe, nous avons connaissance de trois cas de maladies professionnelles, dont un récent qui a été instruit en 2018. Malheureusement, les trois cas de maladies reconnus ne répondant pas aux remontées codifiées, nous ne sommes pas en capacité d’affirmer si ils ont un lien avec les pesticides » ([342]).
La mission IGAS-IGF-CGAAER a estimé, avec des difficultés méthodologiques importantes et un nombre réduit de sources, que le risque d’exposition aux produits chimiques de la population agricole pourrait concerner actuellement 100 000 personnes au niveau national. Le nombre de victimes potentielles pour lesquelles existe une présomption forte de causalité entre la maladie et l’exposition est évalué à 10 000 personnes, dont deux tiers pour la maladie de Parkinson (tableau n° 58 du régime agricole AT-MP) et un tiers pour les hémopathies malignes (tableau n° 59).
ii. Le fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques, une réponse insuffisante
C’est pourquoi l’article 46 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 29 octobre 2019, crée un fonds d’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques pour une meilleure réparation.
L’idée d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques a récemment émergé au cours de travaux parlementaires. Cette solution avait été envisagée par MM. Didier Martin et Gérard Menuel, rapporteurs de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, en avril 2018 ([343]). Elle figurait également dans la proposition de loi déposée par la sénatrice Nicole Bonnefoy et adoptée par le Sénat à l’unanimité le 1er février 2018. Celle-ci avait été adoptée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019 mais son examen en séance au cours d’une « niche parlementaire » n’avait pas été achevé le 31 janvier 2019 ([344]). Parallèlement, le rapport de la mission IGAS-IGF-CGAAER publié en janvier 2018 a approuvé le principe de la création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques tout en proposant des pistes pour en déterminer le champ d’application.
Alors que l’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques s’inscrit actuellement dans le cadre restreint de la branche AT-MP, le nouveau dispositif législatif fait aussi appel à la solidarité nationale pour pouvoir indemniser d’autres personnes qui pourraient être affectées par leur exposition aux produits phytopharmaceutiques : les retraités, les familles des travailleurs agricoles, et les enfants qui subissent un préjudice du fait de l’exposition professionnelle de leurs parents.
La possibilité d’indemnisation sera ouverte pour toutes les pathologies figurant sur une liste fixée par arrêté (et actualisée selon l’état des connaissances scientifiques). L’instruction des demandes sera faite par une commission indépendante spécialement constituée au sein du fonds, composée notamment d’experts médicaux, d’épidémiologistes, de spécialistes en droit de la réparation du dommage corporel et de spécialistes de la prise en charge médico-sociale. Elle sera chargée de rechercher les circonstances exactes de l’exposition et ses conséquences sur l’état de santé de la victime.
S’il est démontré que la pathologie est due à l’exposition au produit phytopharmaceutique, le fonds statuera sur l’évaluation des préjudices indemnisables et les besoins de compensation spécifiques, le cas échéant en orientant la victime vers une prise en charge médico-sociale adaptée. Sur la base du rapport de la commission, le fonds formulera une offre d’indemnisation forfaitaire pour chaque chef de préjudice selon un référentiel indemnitaire fixé au préalable par un conseil de gestion créé au sein du fonds selon l’étude d’impact. Il fixera le montant des indemnités qui lui reviennent : à l’instar du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), le fonds pourra déduire du montant de l’indemnisation l’ensemble des prestations légales dont bénéficie la victime dans le but d’éviter une double indemnisation des postes de préjudices déjà pris en charge par les organismes de sécurité sociale notamment.
iii. Créer un fonds d’indemnisation spécifique
Le fonds d’indemnisation pour les victimes de pesticides reste cependant inadapté à la situation du chlordécone sur plusieurs plans.
L’exposition professionnelle est déduite du fait d’avoir été employé par une bananeraie et d’avoir cotisé à ce titre pendant plusieurs années. Or les personnes employées à la tâche, de manière informelle, ne pourront prouver qu’elles ont été exposées de manière professionnelle.
Ainsi, le fonds apparaît comme une première avancée, mais qui n’épuisera pas la question de l’indemnisation des victimes. Comme l’estime M. Malcom Ferdinand, « Il paraît cependant difficilement compréhensible, alors qu’on sait que plus de 90 % de la population est imprégnée au chlordécone, que ce fonds d’indemnisation soit prévu uniquement pour les ouvriers agricoles. […] Ensuite, je crois qu’il ne faut pas confondre l’exigence de justice et le fait d’avoir un fonds d’indemnisation. Ainsi, en Polynésie, même si un fonds d’indemnisation a effectivement été prévu, une demande de justice est aussi en cours. Ce sont deux démarches importantes, mais distinctes. » ([345]).
Proposition n° 41 : Créer un fonds d’indemnisation pour réparer les préjudices subis par les victimes atteintes d’une pathologie résultant directement d’une utilisation du chlordécone ou occasionnée par l’exposition au chlordécone
b. Créer un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques
Les conséquences économiques de cette pollution ont été largement négligées. Il est d’ailleurs significatif qu’aucune évaluation économique n’ait jamais été menée. C’est ce qu’ont confirmé les représentants de la DAAF de Guadeloupe lors de leur audition aux Antilles. C’est pourquoi, avant toute initiative, il convient de se livrer à une expertise.
Proposition n° 42 : Réaliser des études d’impact sur les conséquences de la pollution dans l’agriculture et dans la pêche
i. Les difficultés des agriculteurs et des marins pêcheurs
Pour les agriculteurs, la présence de chlordécone sur leur sol peut entraîner une modification radicale de leur orientation productive et, a minima, de leurs méthodes de production. Cette pollution entraîne des coûts, que ce soit le coût des mesures permettant d’éviter la contamination ou le coût de la reconversion.
En effet, la réglementation en vigueur ([346]) visant à protéger la population ne permet pas de vendre des productions contaminées à des taux supérieurs aux limites maximales de résidus (LMR). Les mesures de police sanitaire (interdiction de vente de produits végétaux, d’animaux ou issus de la pêche) qui en découlent sont d’effet immédiat et condamnent de petits producteurs à un arrêt brutal de leur activité, les privant de leur source unique de revenu.
Aussi, pour M. Gérard Blombou, président de l’interprofession guadeloupéenne viande et élevage (IGUAVIE), « sur le croissant bananier qui est le plus impacté, nous avions des éleveurs qui, aujourd’hui, ont pratiquement arrêté l’activité élevage car les sols sont contaminés et leurs productions ne peuvent plus être commercialisées » ([347]) d’autant plus que les carcasses saisies lors de contrôles à l’abattoir ne font pas l’objet de compensations financières.
Ces difficultés sont renforcées par les modifications intervenues sur les LMR portées par les arrêtés ministériels du 29 janvier 2019 et du 23 mai 2019 ([348]) M. Olivier Palcy, président de l’Organisation Patriotique des Agriculteurs de Martinique (OPAM), l’a confirmé lors de son audition : « Toute une série d’agriculteurs, comme moi, vont avoir des problèmes face à l’abaissement de la LMR. Les premières études publiées par la recherche montrent que, pour pouvoir continuer à produire face à la nouvelle législation qui est en train de se monter, il n’y aura plus beaucoup de terrains possibles. Beaucoup d’agriculteurs seront exclus de la possibilité de continuer les cultures maraîchères, moyennement sensibles et sensibles. » ([349]).
Quant à la filière pêche, Mme Mirella Méraut, présidente du Comité régional des pêches de Martinique, précise que « En 2012, il y avait 1 180 marins pêcheurs embarqués. En 2017, ils n’étaient plus que 771. » ([350]). Si la baisse du nombre d’actifs de la filière n’est pas totalement imputable aux difficultés relatives à la pollution au chlordécone, elle n’en est pas non plus dissociable.
Du fait des interdictions de pêche en Martinique et en Guadeloupe, « qui représentent près de 30 % des zones côtières en Martinique et en Guadeloupe » ([351]) de plus en plus de marins-pêcheurs doivent se rendre dans des zones éloignées de leur secteur initial. Cette situation peut créer une forte pression sur certaines zones littorales non polluées. Surtout, de nombreux professionnels sont donc obligés de pêcher au large, ce qui implique de forts investissements en matériel. Ce coût financier ne saurait être couvert par les seules aides prévues dans les différents Plans Chlordécone. En effet, Mme Mirella Méraut assure que « pour faire de la pêche au large, il faut une embarcation qui coûte aux environs de 90 000 euros » ([352]). Selon M. Charly Vincent, « Nous [les pêcheurs] restons la seule production sans aide, même pas un euro sur le prix du poisson qui vient de l’Europe ou de qui que ce soit. Nous nous débrouillons seuls, comme nous pouvons, avec les accompagnements de minimis. » ([353]).
La flotte de pêche ultra-marine est par ailleurs vieillissante, comme le souligne le rapport de la mission d’information sur la pêche ([354]) : « La DPMA estime que l’âge moyen des navires des flottes ultra-marines est de 20 ans », mais la situation mérite d’être nuancée : « compte tenu des difficultés climatiques spécifiques de l’Outre-mer, les pêcheurs sont confrontés au vieillissement précoce de leurs navires. Les flottilles sont par ailleurs constituées de bateaux anciens, jusqu’à 40 à 50 ans pour certains navires en Guyane. En Guadeloupe, l’âge moyen de la flotte atteint 17 ans en 2016 » écrivent ainsi les auteurs de la note de l’IEDOM précitée ([355]).
ii. D’autres acteurs économiques affectés par le chlordécone
En dehors des secteurs de l’agriculture et de la pêche, l’ensemble de l’économie antillaise a pu être affecté par la pollution au chlordécone, à des degrés divers.
Ainsi la commission d’enquête a-t-elle été saisie du cas d’un producteur d’eau de source, dont la zone de captage a été contaminée par le chlordécone. Grâce à la mise en place de filtres au charbon actif, l’eau qu’il embouteille est désormais conforme aux normes et propre à la consommation.
Cependant, alors que l’arrêté du 14 mars 2007 ([356]) relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées, aux traitements et mentions d’étiquetage particuliers des eaux minérales naturelles et de source conditionnées autorise à commercialiser des eaux de source présentant un certain nombre de traitements, notamment pour éliminer arsenic, fer et manganèse, il ne prévoit pas la possibilité de procéder à des traitements similaires contre le chlordécone.
Aussi l’atteinte des eaux qu’il capte et commercialise lui a donc causé un double préjudice économique.
iii. Un soutien financier indispensable
Pour de nombreuses personnes auditionnées, si des aides existent, elles sont généralement insuffisantes pour faire face aux difficultés liées à cette pollution, notamment dans l’agriculture et la pêche.
Cependant, même si les professionnels de l’agriculture les jugent insuffisantes, des mesures d’accompagnement existent. Lors de son audition, M. Arnaud Martrenchar a globalement explicité les mesures d’accompagnement des divers Plans Chlordécone pour les pêcheurs, les éleveurs et les agriculteurs : « S’agissant de la pêche, […] des mesures d’aides ont été décidées et mises en œuvre en 2010 et en 2011 [...] : 2,2 millions d’euros ont été accordés à 299 entreprises en Martinique et 460 000 euros à 58 dossiers en Guadeloupe [...]. Après que de nouvelles zones ont été interdites à la pêche à la fin de l’année 2012, les circulaires du 29 mai 2013, pour la Martinique, et du 18 juillet 2013, pour la Guadeloupe, ont décidé la mise en œuvre d’une nouvelle aide d’urgence. Les enveloppes financières globales de l’État dédiées à ces aides se sont élevées à 2 millions d’euros en Martinique et 1,1 million d’euros en Guadeloupe. Elles ont été complétées par un soutien des collectivités locales, à hauteur de 1,5 million d’euros en Martinique et de 0,5 million d’euros en Guadeloupe. […] Dans le cadre du Plan Chlordécone III, l’État a accordé 3 millions d’euros supplémentaires aux pêcheurs. L’objectif était de leur apporter une aide structurelle pour les aider à s’adapter durablement à la situation de la pollution existante. Le montant total des aides accordées s’élève à 10,8 millions d’euros, dont 7,2 millions en Martinique et 3,6 millions en Guadeloupe [...]. Il est prévu qu’une partie de l’enveloppe d’augmentation du PITE, qui a été annoncée par le Président de la République [dans le cadre de la feuille de route 2019-2020], serve de contrepartie nationale sur les crédits européens pour avoir un effet levier maximal. Elle permettra d’aider techniquement les éleveurs à mettre en œuvre ces mesures, qui sont éligibles au programme de développement rural. » (1).
En outre, le cadre européen réduit la marge de manœuvre de l’État face à la pollution au chlordécone. C’est ce que M. Éric Godard soulignait lors de son audition : « Pour l’accompagnement des producteurs, nous sommes limités par les règles de droit commun et le carcan des aides européennes à la pêche et à l’agriculture. » ([357]).
Il n’en reste pas moins urgent, selon la Rapporteure, d’accompagner financièrement les filières économiques affectées par cette pollution par l’intermédiaire d’un fonds d’indemnisation.
M. Bernard Sinitambirivoutin, président de l’interprofession guadeloupéenne des fruits, des légumes et de l’horticulture (IGUALFLHOR), l’a réaffirmé : « Il y a nécessité de mettre en place des vraies mesures d’accompagnement. Nous sommes en train de rédiger le Plan Chlordécone IV, mais à aucun moment nous n’avons l’impression qu’il y a des mesures pour accompagner les agriculteurs face à la catastrophe économique. » ([358]).
La filière pêche en a particulièrement souffert. Selon M. Armand Renucci, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, « S’agissant des interdictions d’usage du chlordécone susceptibles de toucher les agriculteurs, les éleveurs et particulièrement les pêcheurs en eau douce, il est clairement apparu que rien n’avait été anticipé, à part dans une moindre mesure, pour les agriculteurs, mais certainement pas pour les pêcheurs. » ([359]). M. Joël Beaugendre, maire de Capesterre-Belle-Eau et rapporteur de la mission d’information de 2005 sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne, a de même constaté, lors de son audition : « : Je pense que les différents Plans Chlordécone ne sont pas à la hauteur pour les différents marins-pêcheurs » ([360]).
Pour autant, à enveloppe budgétaire constante, des marges de manœuvres existent, notamment lorsque l’accompagnement financier répond à un objectif d’accompagnement des producteurs vers des démarches de transition agro‑écologique.
L’attribution d’un capital sous l’appellation d’« aide à la reconversion » ne paraît pas constituer une réponse suffisante pour les pêcheurs et les agriculteurs touchés par des mesures d’interdiction liées à la pollution au chlordécone.
Ce montant peut paraître dérisoire au regard du capital perdu et des besoins d’investissement pour créer une autre activité. De fait, les pêcheurs et petits agriculteurs maraîchers ont compris que l’allocation forfaitaire (dépôt des dossiers dans l’urgence, sans assistance possible et « pour solde de tout compte » dans l’esprit de la Direction Régionale des Affaires Maritimes DRAM, en application des règlements européens) était pour eux un simple acompte d’urgence sur une indemnisation à venir.
Le rapport précité de la mission d’information sur la pêche explique que « les aides publiques à la construction de navires neufs ont été proscrites par l’Union européenne à compter du 1er janvier 2005. » Cependant, « dans les territoires ultramarins [...] la situation a récemment évolué : la Commission européenne, après des années de négociations, a modifié en novembre 2018 ses lignes directrices sur les aides d’État à la pêche pour permettre le renouvellement des flottes de pêche des régions ultrapériphériques (RUP). Ces aides publiques peuvent favoriser la construction de nouveaux navires d’une longueur allant jusqu’à 24 mètres. » ([361]).
Proposition n° 43 : Mobiliser des aides d’État à la pêche pour permettre la modernisation et le renouvellement des flottes de pêche.
Proposition n° 44 : Mettre en place une exonération totale des charges sociales et fiscales pour les marins pêcheurs pendant trois ans
Les terres rendues impropres à certaines cultures à la suite d’une analyse des sols perdent de leur valeur agronomique et donc de la valeur foncière lors de leur revente. Pour M. Elie Domota, secrétaire général de l’Union Générale des Travailleurs de Guadeloupe (UGTG), « dès lors qu’une parcelle est contaminée, si elle perd de la valeur, le propriétaire doit être indemnisé » ([362]). Ce besoin d’indemnisation, adapté aux situations particulières, a également été exprimé par le syndicat des Jeunes agriculteurs de Guadeloupe ([363]).
Dans le cas d’un arrêté préfectoral d’interdiction de certaines cultures, l’Union des producteurs agricoles de la Guadeloupe (UPG) a proposé un dédommagement à hauteur de 8 000 euros l’hectare pour les parcelles rendues inexploitables ainsi que, durant la période de décontamination : 3 000 euros par hectare et par an au titre du préjudice moral et 4 500 euros par hectare et par an au titre du préjudice financier en lien avec la perte de revenu occasionnée par la cessation de mise en culture de la parcelle.
Quoi qu’il en soit, ces propositions doivent être expertisées et proportionnées au préjudice subi, toutes les terres n’étant pas également polluées et encore moins interdites de culture.
Proposition n° 45 : Mettre en œuvre une indemnisation intégrale du préjudice économique subi par les pécheurs et les agriculteurs du fait de l’interdiction d’exercer leur activité professionnelle, avec évaluation des pertes subies par les administrations déconcentrées.
En outre, lors des auditions menées par la commission d’enquête en Guadeloupe et en Martinique, a été posée de manière récurrente la question de l’indemnisation des produits saisis ou consignés dans le cadre de contrôles (carcasses dans les abattoirs, légumes produits, etc.), déclarés impropres à la consommation car présentant des taux de chlordécone supérieurs aux limites maximales de résidus à l’issue de ces contrôles et détruits.
Pour les producteurs concernés, cette saisie est la conséquence directe de la contamination par le chlordécone : les produits ainsi détruits devraient faire l’objet d’une indemnisation.
MM. Gérard Blombou, président, et Élie Shitalou, secrétaire général de l’interprofession guadeloupéenne viande et élevage (IGUAVIE) ont confirmé lors de leur audition que les carcasses saisies à l’abattoir – lorsqu’elles ne respectent par les LMR – n’étaient pas indemnisées ([364]). Comme le justifie M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation « Une soixantaine d’éleveurs environ a déjà été accompagnée cette année mais nous ne souhaitons pas indemniser les carcasses saisies à l’abattoir, pas uniquement pour des raisons financières mais car cela peut être contraire à l’objectif recherché. » ([365]). Au-delà de la transition en cas de baisse des LMR, il convient de privilégier les analyses en amont de la production pour éviter les saisies à l’abattoir.
Pour la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), les producteurs sont soumis à une obligation de résultat, en application des directives du « paquet hygiène » de l’Union européenne. Les exploitants doivent garantir la conformité de leurs productions aux règles sanitaires et fournir tous les éléments de preuves propres à justifier cette conformité, sous forme déclarative circonstanciée (identification de la parcelle, informations sur les noms, les volumes et les dates d’épandage des produits phytosanitaires employés, etc.).
La Rapporteure estime cependant inéquitable que ces règles s’appliquent lorsqu’un producteur a mis en place des mesures de remédiation visant à limiter la contamination des produits alimentaires, telles que recommandées par les services déconcentrés de l’État (notamment en cultivant des légumes racines sur des parcelles contrôlées ou en transférant des ruminants sur des parcelles non touchées pour les décontaminer) et que les effets de ces mesures n’ont pas permis d’obtenir des produits non contaminés.
M. Éric Godard a transmis à la commission d’enquête des documents rappelant que l’article L. 234-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que « L’ensemble des frais induits par [des mesures d’abattage], prises à la suite de la constatation du non-respect des dispositions susmentionnées, sont à la charge du propriétaire ou du détenteur et ne donnent lieu à aucune indemnité. »
Proposition n° 46 : Modifier l’article L. 234-1 du code rural et de la pêche maritime pour permettre l’indemnisation des carcasses d’animaux saisis à l’abattoir en cas de non-conformité aux LMR.
Proposition n° 47 : Prévoir une prime pour les agriculteurs et les pêcheurs entrant dans une démarche « zéro chlordécone » dont la production serait non conforme aux limites maximales de résidus à l’issue des contrôles.
iv. Un accompagnement technique à poursuivre
L’accompagnement financier nécessaire à la prise en compte de la pollution des sols et à la transition vers de nouveaux modes de production est indissociable d’un accompagnement technique.
M. Berthier, directeur général des Outre-mer (DGOM), a rappelé que le rapport réalisé par les corps d’inspection en 2011 ([366]) « a considéré que le volet concernant l’accompagnement des socioprofessionnels était insuffisant » ([367]).
La direction générale de l’alimentation (DGAL) par l’intermédiaire des DAAF départementales est responsable de cet accompagnement, en particulier lorsque la réglementation évolue (limites maximales de résidus, définition des cultures sensibles en fonction des zones contaminées, etc.). Comme l’expliquait M. Sylvain Vedel, « la DAAF passe un contrat avec des prestataires pour faire à la fois des analyses et l’accompagnement technique des exploitants » ([368]).
Pour autant, les administrations déconcentrées doivent davantage s’appuyer sur les chambres d’agriculture dont le rôle, prévu à l’article L.510-1 du code rural et de la pêche maritime, est bien de « [contribuer] à l’amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles et de leurs filières », ainsi qu’ « au développement durable des territoires ruraux et des entreprises agricoles, ainsi qu’à la préservation et à la valorisation des ressources naturelles, à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et à la lutte contre le changement climatique ».
Cet accompagnement résulte des recherches du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) mais aussi de l’institut technique tropical (IT2) qui comprend une section « diversification » ([369]). L’accompagnement des filières par l’innovation technique permet d’aider les professionnels à s’adapter à la contrainte de la pollution au chlordécone tout en tenant compte des évolutions du marché en termes de compétitivité et de demandes des consommateurs. Il s’agit du bon levier pour assurer la diversification de la production et l’approvisionnement des antillais en produits locaux.
Les professionnels de la filière pêche ont souligné les difficultés techniques de la transition dans la pêche au large, rendue nécessaire par l’ampleur de la contamination des zones côtières. Pour Mme Mirella Méraut « Se reconvertir dans la pêche au large n’est pas si simple, puisqu’il faut retourner à l’école de formation maritime, faire des formations adéquates et avoir des bateaux de plus grande capacité pour faire de la pêche DCP (dispositif concentrateur de poissons). » ([370]).
La Rapporteure reprend à son compte la proposition n° 20 de la mission d’information sur la pêche ([371]) de densifier le maillage territorial des lycées professionnels maritimes, en particulier dans les territoires ultra-marins. En effet, comme le souligne ce rapport « il n’existe pas de lycée professionnel maritime stricto sensu en Outre-mer dispensant des formations initiales maritimes, ce sont essentiellement des associations loi 1901 et des établissements privés qui concourent à cet enseignement subventionné par la direction des affaires maritimes. » Des projets sont néanmoins en cours ([372]).
Proposition n° 48 : Créer des lycées professionnels maritimes en Guadeloupe et à la Martinique.
B. Limiter l’ampleur des risques encourus par les territoires et les populations
Si la réparation des préjudices subis doit rester une question ouverte, il convient de limiter au maximum les risques supportés aujourd’hui par les territoires et les populations.
1. Appliquer le principe de précaution en limitant l’exposition et la dissémination du chlordécone
Le deuxième axe du Plan Chlordécone III favorisait une approche de prévention du risque sanitaire et de protection des populations dans une stratégie de réduction de l’exposition.
En application du principe de précaution, il importe de faire de la limitation de l’exposition à la pollution et de sa dissémination un principe directeur de l’action publique en Guadeloupe et en Martinique.
Proposition n° 49 : Prévoir dans chaque politique publique applicable en Guadeloupe et en Martinique le principe de limitation de l’exposition des populations au chlordécone.
Cela signifie, comme le prévoit la feuille de route 2019-2020, tendre vers le zéro chlordécone dans l’alimentation, mais également limiter autant que possible la dissémination de la pollution par le transfert de terre ou d’eau des zones touchées vers d’autres régions, que ce soit à l’occasion de travaux de terrassement ou par des réseaux d’irrigation transférant des eaux entre bassins versants. Il convient donc de réaliser des études complémentaires sur l’eau utilisée pour les cultures d’irrigation et opérer des contrôles réguliers pour éviter tout transfert. Ceci peut également nécessiter la mise en place de filtres à charbon actif, comparables à ceux existants pour l’eau potable.
2. Tirer les leçons de la catastrophe du chlordécone en renonçant aux polluants organiques persistants
Le chlordécone est un des polluants organiques persistants les plus connus depuis la prise de conscience des conséquences de son utilisation en Guadeloupe et en Martinique.
La convention de Stockholm de 2004 et l’interdiction internationale des polluants organiques persistants tel que le chlordécone
La Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants est un traité international sur l’environnement, signé en 2001 et entré en vigueur en mai 2004 avec la ratification de 128 premières parties et de 151 signataires, qui vise à éliminer ou à restreindre la production et l’utilisation de polluants organiques persistants (POP).
Elle définit les caractéristiques d’un POP. Ce dernier doit être :
– persistant : la substance se dégrade lentement, est propagée par l’air, l’eau et les espèces migratrices et persiste dans l’environnement sur le long terme ;
– bioaccumulable : la substance s’accumule dans les tissus adipeux des organismes vivants ;
– toxique : l’exposition à la substance est susceptible de provoquer des effets nocifs sur les écosystèmes, la biodiversité, ou l’Homme (cancer, malformations congénitales, perturbation du système immunitaire et/ou reproductif).
Les cosignataires sont convenus d’interdire neuf des dix produits chimiques incriminés (l’aldrine, le chlordane, le dieldrine, l’endrine, l’heptachlore, l’hexachlorobenzène, le mirex, le toxaphène et les polychlorobiphényles), de limiter l’utilisation du DDT à la lutte antipaludique et de lutter contre la production accidentelle de dioxines et de furanes. La convention de Stockholm comprend ainsi une liste de substances chimiques désormais réputées être des POP.
Les parties à la convention sont convenu d’un processus permettant de passer en revue les composés toxiques persistants et de les ajouter à la convention s’ils remplissent certains critères de persistance et de menace transfrontalière.
Dans ce cadre, lors d’une conférence tenue à Genève le 8 mai 2009, dix produits supplémentaires, dont le chlordécone, ont été classés comme POP.
Aujourd’hui, les polluants organiques persistants sont au nombre de 23, classés dans trois annexes : l’annexe A pour les produits devant être éliminés (dont le chlordécone), l’annexe B regroupant les substances faisant l’objet de restrictions d’usage, et l’annexe C pour les molécules pour lesquels il convient d’éliminer la production non intentionnelle. Certaines substances font l’objet de dérogations d’usage.
En France, la Convention de Stockholm, ratifiée le 17 février 2004, est entrée en vigueur le 17 mai 2004. Les amendements apportés par la conférence de Genève, dont l’interdiction du chlordécone, sont entrés en vigueur le 26 août 2010.
Au sein de l’Union Européenne, ces dispositions ont été mises en œuvre par le règlement (CE) n° 850/2004 du 29 avril 2004, dit « règlement POP ». Il interdit la production, la mise sur le marché et l’utilisation des substances qui figurent à l’annexe I. Le règlement (CE) n° 756/2010 de la Commission du 24 août 2010 ([373]), a modifié ce règlement et ajouté le chlordécone à la liste des POP interdits par l’Union Européenne.
Dans ce cadre, la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation du chlordécone sont désormais interdites par le droit français, européen et international.
La Convention de Stockholm prévoit que les États parties doivent promouvoir l’information, la sensibilisation et l’éducation du public, ainsi que la recherche-développement et la surveillance. Les collectivités territoriales et la société civile de Guadeloupe et de Martinique pourraient jouer un rôle moteur dans cet effort.
3. Envisager la prise en charge de la dépollution
Il n’existe à ce jour aucune solution permettant de remédier les sols et donc d’éliminer le chlordécone ([374]).
Cependant, il existe plusieurs pistes de recherche qui pourraient permettre de traiter les terrains contaminés, à une grande échelle, après validation et expérimentation des techniques développées.
Dans ce cadre prospectif, la Rapporteure estime nécessaire d’affirmer que lorsqu’une technique permettant de supprimer le chlordécone de manière sûre et efficace aura été mise au point, il reviendra à l’État d’organiser et de financer son déploiement sur l’ensemble des parcelles concernées.
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Les travaux de notre commission d’enquête ont permis d’éclaircir la complexité et les zones d’ombres qui entouraient l’histoire du chlordécone.
Les archives de la Direction générale de l’alimentation et celles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont démontré de manière très précise les responsabilités de l’État et des acteurs économiques dans cette pollution de grande ampleur.
En effet, malgré la connaissance de la dangerosité de la molécule, et les alertes successives sur sa toxicité, l’État a autorisé la commercialisation et l’usage du chlordécone. Cette utilisation a bénéficié d’un soutien actif des industriels, des groupements de planteurs et des services de l’État sur place.
Surtout, la prise de conscience de la pollution environnementale n’a été que trop tardive, et la mise en place d’une action publique s’est révélée trop lente. C’est pour cette raison que la Rapporteure a tracé, dans la deuxième partie de ce rapport, une série de recommandations sur les actions en réparations qu’il convient de mettre en œuvre pour sortir de cette pollution.
Ces réparations devront se déployer tant dans l’agriculture, l’élevage et la pêche, que dans la protection des populations vis-à-vis des risques sanitaires et les projets de recherche sur des techniques de dépollution.
Surtout, afin de restaurer la confiance des populations de Guadeloupe et de Martinique, il importe de repenser la construction et le pilotage des politiques de lutte contre le chlordécone, en y associant davantage les citoyens et les acteurs du terrain.
De fait, il est indispensable de mettre en place des outils adéquats pour répondre à la souffrance des personnes qui supportent aujourd’hui les préjudices écologiques, économiques et sanitaires de cette pollution.
Ce rapport répond ainsi à deux exigences. D’une part, l’exigence de vérité et de clarté vis-à-vis des Guadeloupéens et des Martiniquais, depuis trop longtemps en attente de réponses. D’autre part, l’exigence d’actions concrètes et ambitieuses, pour envisager un avenir sans chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.
La Rapporteure s’engage à porter ces propositions de réparations, afin qu’elles se traduisent en actes.
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Recommandation n °1 : Présenter et débattre le Plan Chlordécone devant le Parlement, avant son adoption en Conseil des ministres.
Recommandation n °2 : Nommer un délégué interministériel pour assurer une coordination et une transversalité des politiques publiques
Instaurer une co-construction pour l’élaboration et l’exécution du prochain plan
Recommandation n °3 : Créer un conseil citoyen, chargé de débattre et d’émettre des propositions dans le cadre de l’élaboration du prochain Plan Chlordécone.
Recommandation n° 4 : Mettre en place un comité stratégique dans chaque territoire, éventuellement sous la forme d’un groupement d’intérêt public, regroupant tous les acteurs locaux, chargé de suivre l’exécution du prochain Plan Chlordécone.
Élaborer une loi d’orientation et de programmation de stratégie de sortie du chlordécone
Recommandation n°37 : Présenter au Parlement un projet de loi de programmation de la sortie du chlordécone et de la réparation de ses conséquences, avec les moyens associés
Recommandation n °38 : Confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) la mission et les moyens de contrôle et d’évaluation de l’exécution des engagements de l’État.
Communiquer différemment
Recommandation n°5 : Confier au délégué interministériel la mise en œuvre d’une politique unifiée de communication envers les différents publics ; Créer un numéro vert consacré à la pollution au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique
Recommandation n°6 : Instaurer dans les établissements scolaires une éducation sanitaire autour de la pollution du chlordécone, en faisant monter en puissance les expérimentations déjà réalisées
Recommandation n°7 : Organiser chaque année une journée dédiée au « chlordécone » dans les deux territoires, illustrée par des actions de sensibilisation dans l’espace public
Assurer une plus grande transparence
Recommandation n°8 : Généraliser, pour les professionnels et au même titre que pour les particuliers, la prise en charge financière du coût de l’analyse des sols (budget de l’État ou fonds FEADER)
Recommandation n° 9 : Réaliser une cartographie intégrale de l’état de contamination des sols susceptibles d’être pollués par le chlordécone en se fixant un calendrier
Recommandation n° 10 : Compléter la cartographie intégrale de l’état de contamination des sols par une étude des dynamiques de disséminions naturelle ou artificielle de la pollution par le chlordécone
Réaliser des études complémentaires sur l’eau utilisée pour les cultures d’irrigation et opérer des contrôles réguliers pour éviter tout transfert
Protéger les populations des risques sanitaires
Recommandation n° 11 : Définir des catégories de personnes potentiellement plus exposées au risque et leur proposer un dépistage et un suivi sanitaire systématique, tous deux pris en charge par l’assurance maladie.
Recommandation n° 12 : Renforcer la communication et la sensibilisation sur le cancer de la prostate pour les populations à risque
Recommandation n° 13 : Établir des référentiels de formation et mobiliser les professionnels de santé pour accompagner les populations les plus à risque dans le cadre des réseaux existants de médecine préventive.
Recommandation n° 14 : Constituer un réseau d’éducation sanitaire et de prévention par la formation de référents locaux.
Préserver la filière agricole et la pêche antillaise
Diversifier les productions
Recommandation n° 15 Mobiliser au moins un tiers des terres actuellement en friche en Guadeloupe et en Martinique au profit de la diversification agricole.
Organiser les productions
Recommandation n° 16 : Inciter les agriculteurs à se regrouper en organisations de producteurs pour mieux maîtriser l’offre de production sur le plan économique et sanitaire
Recommandation n° 17 : Fixer comme objectif d’intégrer 25 % de producteurs isolés aux Antilles dans les dispositifs d’accompagnement de la politique agricole commune (PAC)
Recommandation n° 18 : Mobiliser le POSEI et les MAEC pour accompagner les agriculteurs dans des démarches de dépollution afin de rendre leurs parcelles propres au développement de productions saines et respectueuses de l’environnement
Améliorer la qualité des productions
Recommandation n° 19 : Accompagner les pratiques agricoles hors sol, y compris en agriculture biologique
Recommandation n° 20 : Mieux faire connaître les aides à la conversion en agriculture biologique et adapter la législation actuelle aux spécificités de la Guadeloupe et de la Martinique
Tendre vers le zéro chlordécone dans l’alimentation
Recommandation n° 21 : Mettre en place des zones d’interdiction des cultures sensibles dans les zones fortement contaminées à l’instar des zones d’interdiction de pêche avec un accompagnement à la mutation des pratiques culturales ou à la reconversion
Recommandation n° 22 : Prendre en compte la contamination des parcelles et les orientations productives (variétés, espèces) dans les autorisations préalables d’exploiter (modifier le schéma directeur régional des exploitations agricoles)
Recommandation n° 23 : Mettre en place des contrôles de conformité sur les produits agricoles en amont, directement sur les parcelles
Valoriser la production locale de qualité
Recommandation n° 24 : Élaborer, en lien avec les interprofessions agricoles, une charte et un label de production de qualité garantissant la traçabilité des produits
Accroître et mieux cibler les contrôles
Recommandation n° 25 : Renforcer le contrôle des parcelles cultivées dans l’illégalité (compétence des DAAF)
Recommandation n° 26 : Organiser des contrôles conjoints DIECCTE / OPJ dans le cadre des Comités opérationnels départementaux anti-fraudes (CODAF) pour faire cesser immédiatement les ventes illégales de denrées alimentaires non conformes
Recommandation n° 27 : Renforcer les contrôles des denrées commercialisées en mettant l’accent sur les produits de la mer, les cultures sensibles et les circuits commerciaux informels
Recommandation n° 28 : Renforcer les moyens financiers alloués aux programmes de prévention dans les jardins privés chez les particuliers au travers du programme JAFA
Pérenniser le patrimoine alimentaire créole
Recommandation n° 29 : Amplifier le programme JAFA aux produits de la mer
Recommandation n° 30 : Améliorer les comportements alimentaires pour favoriser les produits locaux de qualité et préserver la culture et le patrimoine alimentaire créole
Ériger la recherche en priorité stratégique
Recommandation n° 31 : Ériger les recherches sur le chlordécone, comme priorité stratégique de la politique de recherche publique définie par le Gouvernement
Recommandation n° 32 : Sécuriser des financements pour prioriser les recherches des techniques de dépollution des sols
Des actions prioritaires
Recommandation n° 33 : Financer de manière prioritaire les projets de recherche en matière de santé permettant à la population exposée au chlordécone de connaître les risques effectivement supportés
Mieux coordonner
Recommandation n° 34 : Créer un groupement d’intérêt scientifique consacré à la recherche sur le chlordécone.
Impliquer les partenaires européens et internationaux
Recommandation n° 35 : Organiser de manière périodique un colloque international consacré aux recherches sur le chlordécone.
Inciter à la recherche locale
Recommandation n° 36 : Inciter à une recherche locale en finançant un institut pluridisciplinaire de recherche sur le chlordécone au sein de l’université des Antilles
Recommandation n° 39 : Donner aux laboratoires départementaux ou territoriaux les moyens nécessaires pour mettre en place une filière d’analyse compétitive
Engager un processus de réparations
Recommandation n° 40 : Prévoir une contribution de la filière de la banane au financement des actions de prise en charge des préjudices liés au chlordécone et de la dépollution des terres.
Un fonds d’indemnisation spécifique pour les victimes
Recommandation n° 41 : Créer un fonds d’indemnisation pour réparer les préjudices subis par les victimes atteintes d’une pathologie résultant directement d’une utilisation du chlordécone ou occasionnée par l’exposition au chlordécone
Un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques
Recommandation n° 42 : Réaliser une étude d’impact sur les conséquences économiques de la pollution sur l’agriculture et la pêche antillaise
Recommandation n° 43 : Mobiliser des aides d’État à la pêche pour permettre la modernisation et le renouvellement des flottes de pêche
Recommandation n° 44 : Mettre en place une exonération totale des charges sociales et fiscales pour les marins pêcheurs pendant trois ans
Recommandation n° 45 : Mettre en œuvre une indemnisation intégrale du préjudice économique subi par les pécheurs et les agriculteurs du fait de l’interdiction d’exercer leur activité professionnelle, avec évaluation par les administrations déconcentrées des pertes subies.
Recommandation n° 46: Modifier l’article L. 234-1 du code rural et de la pêche maritime pour permettre l’indemnisation des carcasses d’animaux saisis à l’abattoir en cas de non-conformité aux LMR
Recommandation n° 47 : Prévoir une prime pour les agriculteurs et les pêcheurs entrant dans une démarche « zéro chlordécone » dont la production serait non conforme aux limites maximales de résidus à l’issue des contrôles.
Accompagner techniquement
Recommandation n° 48 : Créer des lycées professionnels maritimes en Guadeloupe et en Martinique
Appliquer le principe de précaution
Recommandation n° 49 : Prévoir dans chaque politique publique applicable en Guadeloupe et en Martinique le principe de limitation de l’exposition des populations au chlordécone
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Au cours de sa réunion du mardi 26 novembre 2019, la commission d’enquête a procédé à l’examen du rapport.
M. le président Serge Letchimy. Chers collègues, le travail de la commission d’enquête constituée par l’Assemblée nationale arrive à son terme. Nous avons organisé près d’une trentaine de réunions à Paris, et certainement autant en Martinique et en Guadeloupe : le large spectre des personnes auditionnées a permis à nos travaux de se dérouler dans les meilleures conditions possible.
Après avoir examiné le rapport de Mme Justine Benin, nous voterons pour ou contre sa publication. Cette réunion n’est pas ouverte au public ni à la presse, non pas parce que nous agissons en catimini mais parce que le règlement de l’Assemblée nationale l’impose. La publication du rapport ne pourra intervenir avant un délai réglementaire de cinq jours francs.
Je souhaite tout d’abord remercier le groupe Socialistes et apparentés d’avoir pris l’initiative de la création de cette commission d’enquête, qui était attendue depuis très longtemps. Je veux remercier également tous les groupes de l’Assemblée nationale, largement représentés dans cette commission, qui sont intervenus dans un cadre politique apaisé et fraternel, ainsi que les peuples martiniquais et guadeloupéen, qui ont suivi nos travaux pendant six mois. Enfin, je remercie Mme la rapporteure pour le travail qu’elle a accompli avec ce texte.
De manière synthétique, il s’agit d’un scandale environnemental, sanitaire et économique de très grande ampleur. Ce scandale peut nous conduire, et je pèse mes mots, à une crise sociale systémique : des manifestations ont lieu en Martinique, des centres commerciaux sont pris d’assaut en Guadeloupe. Il y a aussi, je le dis comme je le pense, des stigmatisations de races : si je suis contre le système des plantations, je ne suis pas anti-béké et je ne peux pas approuver ce genre de comportements. Je tenais à le dire parce que je ne veux pas que l’on considère que mes propositions vont dans ce sens : ce n’est pas le cas. En revanche, je pense qu’il faut démanteler le système hérité de la colonisation.
Par ailleurs, la responsabilité de l’État est totalement engagée – il n’y a pas, selon moi, de responsabilité collective car le peuple n’a pas demandé que l’on utilise du chlordécone –, de même que celle des importateurs et des groupements de producteurs de bananes.
Je suis donc favorable à une réparation sans délai. Elle doit être la plus large possible, avec la création immédiate d’un fonds d’indemnisation pour compenser tous les dommages causés en matière de santé ainsi qu’aux agriculteurs, aux éleveurs et aux pêcheurs. Je suis également pour une dépollution directe par l’État et pour la gratuité des analyses de sols et des dépistages sanguins.
Il faut profiter de ce drame pour repartir d’un nouveau pas. Je suis donc favorable à des mesures de très grande ampleur : 30 à 40 % des terres des grandes et des moyennes plantations devraient être affectées à la production locale afin de sortir progressivement des mécanismes classiques. Il n’est pas normal que 50 % des petits agriculteurs ne touchent rien, ou moins de 3 000 euros d’aides, alors que les grandes exploitations touchent entre 150 000 et 200 000 euros. Il faut créer un programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) local pour augmenter la production interne dans le pays. Ce sont des mesures de réparation.
Je souhaite que le chlordécone soit déclaré priorité nationale et qu’une loi d’orientation et de programmation, d’une durée minimale de quinze ans, soit adoptée afin d’inciter à une plus grande autonomie alimentaire. La clause de sauvegarde de l’article 349 du traité de Lisbonne doit être activée pour protéger la production locale : je sais qu’il existe des freins juridiques mais cela fait tellement longtemps qu’on nous trompe avec cela ! En outre, le mécanisme des références historiques, ouvrant droit à des subventions de l’Europe, ne doit pas être réservé à la seule production bananière.
Comme la Rapporteure, je souhaite un changement dans la gouvernance avec la création d’un outil de gestion, par exemple un établissement public d’État, pour sortir de ces difficultés.
Pour conclure, ce drame ne peut pas nous laisser indifférents. Il peut, demain, servir de modèle pour les autres drames liés aux pesticides. M. Emmanuel Macron a déclaré à Fort‑de-France que l’État devait assumer sa responsabilité. Les mesures qui devront être adoptées de manière exceptionnelle devront se conformer absolument à cette déclaration : ne pas le faire serait à la fois trahir la République et trahir la parole du Président de la République. C’est la raison pour laquelle la Rapporteure et moi avons émis l’idée d’une loi d’orientation et de programmation, afin de traduire en actes les budgets et les modifications réglementaires et législatives nécessaires, permettant ainsi de sortir de la crise.
Mme Justine Benin, rapporteure. Nous arrivons aujourd’hui au terme de notre commission d’enquête relative à la pollution au chlordécone et au paraquat en Guadeloupe et en Martinique.
Je souhaite en préambule remercier l’ensemble des parlementaires mobilisés dans cette commission d’enquête. Je ne peux les citer tous mais je remercie particulièrement ceux qui ont fait le déplacement avec nous dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique. Les travaux se sont déroulés de manière sereine, dans le respect des convictions et des positions personnelles de chacun, malgré la complexité et la sensibilité d’un tel sujet.
En juillet, nous avons auditionné des agences sanitaires, des administrations centrales des ministères, des experts scientifiques. En septembre, nous avons mené des auditions sur le terrain, en Guadeloupe et en Martinique, au contact des populations ; celles-ci, qui se sentaient abandonnées, nous ont fait part de leur amertume et, surtout, de leur souffrance. Nous avons rencontré les services déconcentrés de l’État, les instances sanitaires locales, les collectivités, les élus, les organisations professionnelles d’agriculteurs et de marins pêcheurs ainsi que des associations citoyennes.
Pour conclure nos travaux, nous avons auditionné la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la ministre des solidarités et de la santé, la ministre des outre-mer et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation : tous quatre ont affirmé la responsabilité de l’État, conformément aux déclarations du Président de la République en Martinique, qui avait déclaré que la pollution au chlordécone était « un scandale environnemental […] fruit d’un aveuglement collectif. » Selon lui, « L’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution et doit avancer dans le chemin de la réparation ».
Sur les responsabilités, le rapport parvient aux conclusions suivantes : tout d’abord, la responsabilité de l’État est avérée car il connaissait, dès 1972, la dangerosité de la molécule ainsi que son caractère persistant dans l’environnement. En dépit des remontées du terrain, des différents rapports rendus par les autorités scientifiques et de l’accident de Hopewell en 1975, l’État a poursuivi les autorisations de vente du chlordécone jusqu’en 1993, ne prenant conscience que trop tardivement de la pollution : ce n’est qu’en 2008, soit plus de vingt ans après, qu’est né le premier plan chlordécone. La responsabilité de l’État fait bien sûr parler car c’est un engagement fort. Il ne s’agit pas d’incriminer le gouvernement actuel mais de répondre à l’exigence de réparation.
Les acteurs économiques, ensuite, ont leur part de responsabilité, car les groupements de planteurs et les industriels ont soutenu la vente du chlordécone, notamment auprès du ministère de l’agriculture : c’est ce que montrent les archives. Par ailleurs, certains élus ont relayé ces demandes de soutien, par le biais de courriers aux ministres ou de questions écrites.
La contamination par le chlordécone des sols et des eaux dans les deux territoires est durable et généralisée, avec des conséquences directes sur les populations. Ainsi, plus de 90 % des populations ont du chlordécone dans le sang. Or il est établi que le chlordécone possède des effets cancérigènes, notamment pour la prostate, qu’il peut causer une prématurité des naissances et entraver le développement cognitif des nouveau-nés.
Le rapport fait donc des recommandations pour améliorer la prévention et la formation des professionnels, notamment des médecins généralistes, et pour renforcer les programmes de prévention et d’éducation sanitaire. Il recommande également de définir des catégories de personnes potentiellement plus exposées au risque du chlordécone afin de leur proposer un dépistage et un suivi sanitaire systématique, intégralement pris en charge par l’assurance maladie. Il propose en outre d’établir des référentiels de formation pour mobiliser les professionnels de santé, de constituer un réseau d’éducation sanitaire et, enfin, de créer un fonds d’indemnisation pour réparer les préjudices subis par les victimes atteintes d’une pathologie résultant directement d’une utilisation du chlordécone ou occasionnée par l’exposition au chlordécone.
Le rapport fait par ailleurs état des conséquences économiques. La pollution au chlordécone affecte fortement les maraîchers et les producteurs de fruits, les marins pêcheurs et les agriculteurs. Les économies ultramarines dépendent fortement de leurs filières agricoles, qui connaissent des difficultés structurelles du fait de la prédominance des monocultures, de la concurrence internationale et de l’étroitesse des marchés intérieurs ; la pollution au chlordécone n’arrange rien. Lors des auditions dans les territoires, la commission a constaté les profondes difficultés auxquelles faisaient face les agriculteurs : les parcelles contaminées, la difficulté de percevoir les aides pour l’analyse des sols, le manque d’accompagnement des filières, la souffrance des marins pêcheurs, qui ont perdu près de 50 % de leurs effectifs en dix ans.
Pour pallier l’ensemble de ces difficultés, le rapport propose des actions plus ambitieuses en matière d’agriculture et de pêche : créer un POSEI pour le maraîchage ; accroître les cultures agrobiologiques ; mobiliser les aides européennes pour le secteur de la pêche ; exonérer totalement de charges sociales et fiscales les marins pêcheurs durant trois ans ; valoriser les métiers de la pêche en créant le lycée professionnel maritime ; prévoir une prime pour les agriculteurs et les pêcheurs entrant dans une démarche « zéro chlordécone » dans l’alimentation ; enfin, créer un fonds d’indemnisation pour les professionnels subissant un préjudice économique du fait de la pollution au chlordécone.
Les auditions ont également mis en lumière les défaillances en matière de recherche scientifique sur le chlordécone. Les recherches médicales sur les conséquences du chlordécone sont peu nombreuses. Il est important de souligner que des chercheurs de haut niveau s’intéressent à ce sujet. Si les ressources humaines existent, nombre de difficultés perdurent du fait du manque de coordination entre tous les acteurs de la recherche fondamentale et expérimentale et du manque d’ambition de l’État en matière de recherche.
Le rapport propose donc d’ériger la recherche sur le chlordécone en priorité stratégique de la recherche nationale, avec des financements fléchés ; de financer de manière prioritaire les projets de recherche en matière de santé, permettant aux populations exposées au chlordécone de mieux appréhender les risques effectivement supportés ; de créer un groupement d’intérêt scientifique pour coordonner les actions, les acteurs et les projets ; d’inciter à une recherche locale en finançant une unité dédiée au chlordécone au sein de l’université des Antilles ; de donner aux laboratoires départementaux et territoriaux de Guadeloupe et de Martinique les moyens nécessaires pour créer une filière d’analyse compétitive, l’ensemble des analyses épidémiologiques et de parcelles étant réalisées dans des laboratoires situés dans la Drôme.
Enfin, la commission n’a pu que constater les défaillances dans la construction et le pilotage des politiques publiques consacrées aux chlordécones : pas d’association des populations, peu de place laissée aux collectivités, manque de coordination entre tous les acteurs, pilotage trop vertical. Le rapport propose donc la nomination d’un délégué interministériel dédié au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique pour faire le lien entre les territoires et le Gouvernement, ainsi que l’installation d’un comité stratégique de type GIP – groupement d’intérêt public – pour évaluer l’application et le déploiement des actions dans les territoires.
Par ailleurs, il est proposé de débattre du plan chlordécone devant le Parlement, avant une adoption en Conseil des ministres, pour traduire l’engagement de l’ensemble du Gouvernement dans ce dossier. Le délégué interministériel aura la charge de mettre en œuvre le plan chlordécone dans les territoires, avec tous les services sur place, en interministériel. Il devra repenser une politique de communication unifiée auprès des populations, pour tous les publics et sur tous les réseaux. Enfin, un conseil citoyen sera créé, en parallèle du comité stratégique, pour adresser des propositions au Gouvernement et évaluer son action.
Le rapport souligne la nécessité d’une loi d’orientation et de programmation de sortie du chlordécone, de manière à inscrire dans le marbre le principe d’action en réparation de la pollution au chlordécone. Cela permettra d’opérer les ajustements législatifs nécessaires à l’application des recommandations proposées.
Telle est la synthèse du rapport de la commission d’enquête, lequel formule quarante-sept recommandations très ambitieuses, à la hauteur de l’enjeu et de l’exigence de vérité des populations de Guadeloupe et de Martinique.
M. François Pupponi. Je salue la qualité du travail accompli par M. le Président et Mme la Rapporteure, de même que leur engagement et leur volonté de ne rien cacher de ce douloureux dossier, que je connais un peu. Je suis toutefois effrayé par ce que nous avons découvert au cours de cette commission d’enquête. La lecture du rapport me conforte dans l’idée que nous sommes effectivement au cœur d’un scandale d’État à plusieurs niveaux, tant parce que ce produit a été autorisé aussi longtemps en dépit des connaissances scientifiques que du fait de l’incapacité de notre pays à mesurer la gravité de la situation.
J’ai du mal comprendre la hiérarchie des recommandations du rapport. La loi d’orientation et de programmation me paraît fondamentale mais je n’ai pas le sentiment, à la lecture du rapport, qu’elle figure au nombre des propositions.
Mme Justine Benin, rapporteure. Il s’agit de la recommandation n° 37.
M. François Pupponi. Je pense qu’elle devrait être la proposition n° 1 car de cette loi d’orientation et de programmation découleront tous les autres textes. Les autres propositions peuvent de fait être intégrées dans la loi de programmation.
Par ailleurs, un délégué interministériel me paraît insuffisant : il faut créer une structure dédiée, non pas par défiance à l’égard des structures de l’État mais parce que la technostructure met du temps à être sensibilisée ; cela s’est passé ainsi quand le produit a été interdit. S’il n’y a pas un outil dédié, codirigé par l’État et les collectivités territoriales, j’ai bien peur que l’on retombe dans nos travers. Or il y a un impératif de santé publique et un impératif économique : une structure dédiée avec une double gouvernance me paraît indispensable.
M. le président Serge Letchimy. Vous souhaitez donc hiérarchiser les propositions et créer un outil de type Groupement d’intérêt public (GIP) ou établissement public. Peut-être faudrait-il en débattre : le GIP est contraignant, compliqué à gérer, tandis que l’établissement public nécessite une expertise pour être à la fois structurant et souple – je connais très bien ce sujet car j’en ai présidé.
Mme Ramlati Ali. Moi qui ne connaissais pas du tout ces territoires, j’ai pris conscience, en participant à toutes les auditions aux Antilles, de la réalité que vit la population depuis maintenant plusieurs années. Je partage l’idée que la loi de programmation devrait être la base du travail à venir.
Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Le chlordécone est une réalité avec laquelle nous vivons depuis près de trente ans. Quand ma proposition de loi tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique a été rejetée au début de l’année 2019, je me suis demandée comment nous allions rebondir et je me suis réjouie par la suite de l’initiative du groupe Socialiste et apparentés de créer cette commission d’enquête. Ses travaux, dont je salue la qualité, ont permis d’établir une fois pour toutes les responsabilités, à commencer par celle de l’État, et donnent des pistes pour les procédures de réparation.
Je rejoins mes collègues François Pupponi et Ramlati Ali sur le rôle moteur que doit jouer la loi d’orientation et de programmation. Elle sera source d’avancées au plan financier. Toutes les propositions énumérées dans le rapport – je vous remercie, madame la Rapporteure, d’avoir repris certaines des miennes– seront de nature à rassurer la population et à nourrir chez les acteurs économiques des espoirs de développer leurs activités – je pense en particulier à l’exonération totale des charges fiscales et sociales pendant trois ans. Toutefois, elles n’auront d’efficacité que si elles sont réellement appliquées. À cet égard, il importe que notre assemblée instaure un comité de suivi pour vérifier que le travail fourni par notre commission d’enquête aboutisse à des résultats concrets.
Mme Véronique Louwagie. En tant que rapporteure spéciale de la mission « Santé » du projet de loi de finances, j’ai eu l’occasion de me pencher sur le troisième plan chlordécone 2014-2020, rattaché aux crédits de l’action 15 du programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins ».
Il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé afin qu’un tel drame ne se reproduise jamais. Il faut aussi apporter une réponse à toutes les victimes du chlordécone et j’ai bien pris en compte votre proposition de créer deux fonds d’indemnisation distincts, l’un pour les préjudices sanitaires, l’autre pour les préjudices économiques. Il sera absolument essentiel de veiller à leur fonctionnement : les procédures devront être calibrées pour une application rapide. Je citerai ici l’exemple du fonds d’indemnisation des victimes de la Dépakine : trois ans après sa création, votée à l’unanimité par notre assemblée, nous constatons qu’à peine une quinzaine de dossiers a été instruite alors qu’il existe 11 000 bénéficiaires potentiels. Vous avez souligné, monsieur le Président, madame la Rapporteure, le fait que la commission d’enquête avait contribué à restaurer la confiance des populations. L’attente est forte et si les réponses ne sont pas apportées dans des délais rapprochés, le risque que survienne une crise sociale augmentera. Même si les décisions sont prises à l’unanimité, elles se heurtent ensuite à diverses formes d’inertie. Sans doute serait-il bon, comme le disait notre collègue, de créer un comité de suivi des propositions formulées dans le rapport.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. À mon tour, monsieur le Président, madame la Rapporteure, de vous remercier pour la qualité du travail accompli et pour le sang-froid et l’objectivité dont vous avez fait preuve. Grâce à cet état d’esprit, vous avez su éviter que cette commission d’enquête ne devienne une caisse de résonance des problèmes des territoires d’outre-mer.
Merci aussi d’avoir osé créer cette commission d’enquête. La contamination par le chlordécone pèse sur la conscience collective à l’échelon national et même mondial et je partage le fond de colère sur lequel repose ce rapport. La connivence entre le monde politique et le monde économique a conduit à sacrifier délibérément les populations au profit d’objectifs financiers, ce qui est proprement monstrueux. Moi qui m’intéresse plus particulièrement aux relations entre santé et environnement, je constate que cette problématique de fond est récurrente : le bien-être de l’individu passe après la rentabilité et la productivité économiques. Le scandale du chlordécone ne le montre que trop bien. Le Président de la Républicaine a eu raison de le souligner. Les gouvernements successifs et les pouvoirs locaux en place, parfaitement conscients de la dangerosité de ce produit, ont laissé perdurer son utilisation.
Il est parfaitement légitime de prévoir des réparations financières. Elles sont là pour compenser le préjudice moral subi par une population qui n’a pas été respectée. Mais il ne faudrait pas qu’elles apaisent sans s’attaquer aux racines du mal comme un pansement sur une plaie non désinfectée. Ce qui me préoccupe, ce sont les modalités techniques retenues pour nettoyer en profondeur les terres agricoles, les cours d’eau et les zones marines afin de permettre aux populations et à l’économie de ces îles de retrouver la santé. Il faut mettre le paquet, je le dis franchement. Nous savons quelle a été l’efficacité des différents plans Chlordécone qui se sont succédé depuis des années. Il ne faudrait pas que les fonds de compensation servent d’alibi pour ne pas régler les problèmes de fond.
Mme Annie Chapelier. Saluons le travail remarquable que vous avez mené : vous avez su, sans langue de bois, aller au fond des choses. Je tiens à vous remercier personnellement, monsieur le Président, d’avoir souligné dans votre propos introductif que le travail de cette commission devait servir de modèle pour la prise en compte d’autres scandales sanitaires.
En tant que membre de la commission qui s’est penchée sur les victimes des essais nucléaires, j’ai pu constater à quelles difficultés se heurtait la mise en œuvre du fonds d’indemnisation. Seule une quarantaine de dossiers a été traitée en dix ans alors que plusieurs milliers de personnes sont concernées. Les procédures étant très lourdes, les populations ont en effet eu du mal à répondre aux demandes qui leur étaient faites. Cela a conduit à réviser les démarches. Il importe de tirer les leçons des expériences antérieures pour parvenir à un dispositif plus fonctionnel qui permette à chaque personne concernée de se sentir impliquée.
Comme le soulignait ma collègue, la confrontation entre les intérêts économiques et les impératifs liés à la santé et l’environnement est récurrente. Des substances continuent d’être produites et utilisées au nom d’intérêts économiques alors même que nous savons que leur impact sanitaire est irréversible. Pour le chlordécone, la décontamination prendra plusieurs siècles et il est à craindre que cela soit le cas pour bien d’autres produits.
Vous avez souligné que l’État avait pris ses responsabilités dans ce scandale sanitaire mais vous avez aussi mis en exergue la responsabilité d’autres acteurs : les groupements de planteurs qui ont mené un lobbying actif, certains élus ayant soutenu les professionnels de la banane qui souhaitaient continuer à utiliser le chlordécone, les industriels qui ont demandé que leurs stocks soient écoulés. Parmi la quarantaine de propositions que vous avez formulées, je n’en vois aucune qui porte sur leur contribution financière au fonds d’indemnisation et au dispositif de réparation.
M. le président Serge Letchimy. La contribution des planteurs, vendeurs et producteurs de pesticide est en effet un enjeu crucial. Il faut absolument trouver un moyen de les faire participer financièrement, notamment à travers un prélèvement sur le chiffre d’affaires. Il est fondamental aussi que les producteurs de banane prennent leur part dans la mutation agri-biologique tendant vers le « zéro chlordécone » : cela suppose de mettre en culture les 30 % à 40 % de leurs terres qu’ils gardent en friche et qui sont pour la plupart non-chlordéconées. J’avais cru comprendre que cette suggestion avait été retenue dans les propositions, ce qui n’est pas le cas ; je formule donc une demande très officielle pour qu’elle en fasse partie. Il appartiendra à Mme la Rapporteure de trancher. Si on ne rend pas la mutation obligatoire, cela reviendra à cautionner le système existant qui repose sur une injustice criante : ceux qui ont pollué sont beaucoup plus aidés que les petits agriculteurs qui ont subi la pollution.
Je souhaite également qu’un POSEI soit dédié à la diversification car 80 % de la production intérieure sont consacrés à la banane, à la canne et au rhum. Cette recommandation a été retenue, me semble-t-il.
Mme Justine Benin, rapporteure. Nous avons structuré les recommandations autour de trois points : améliorer le pilotage, instaurer une coconstruction, élaborer une loi de programmation de stratégie de sortie du chlordécone. Cette loi correspond à la proposition n° 37 : « Présenter au Parlement un projet de loi de programmation de la sortie du chlordécone et de la réparation de ses conséquences, avec les moyens associés ». À mon sens, il s’agit non pas d’un but mais d’un moyen.
M. François Pupponi. La dernière des trois parties de votre rapport est consacrée aux actions de réparations. Elles seront en majorité de nature législative, comme la création d’un fonds d’indemnisation. Elles relèvent donc de la loi de programmation. Selon moi, celle-ci n’est pas une proposition comme une autre ; elle devrait avoir un statut à part car elle chapeaute toutes les autres propositions. Vous le voyez, il n’y a pas de désaccord de fond entre nous : mes réserves sont de nature formelle.
Mme Justine Benin, rapporteure. La création d’un comité stratégique correspond à la proposition n° 4. Avec le président de la commission, nous avons beaucoup discuté de la forme qu’il devrait prendre : groupement d’intérêt public ou établissement public. Nous connaissons les inconvénients liés à chacun de ces types de structure et peut-être faudra-t-il créer une mission spécifique pour déterminer quelle ossature choisir. Toujours est-il qu’il importe que cette instance, quelle que soit sa forme, travaille le plus rapidement possible à la mise en œuvre des différentes fiches-actions dans les territoires.
S’agissant des droits de suite évoqués par Mme Hélène Vainqueur-Christophe, je renvoie à la recommandation n° 38 : « Confier à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) la mission et les moyens de contrôle et d’évaluation de l’exécution des engagements de l’État ». Il faut apporter des réponses concrètes à toutes les victimes. Deux fonds seront créés : le premier sera dédié aux victimes du chlordécone ; le deuxième prendra en compte les préjudices économiques. Deux d’entre vous se sont légitimement interrogées sur le contrôle de ces fonds : Mme Véronique Louwagie en citant l’exemple du fonds d’indemnisation des victimes de la Dépakine, Mme Annie Chapelier celui du fonds d’indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie. La question des tableaux des maladies professionnelles s’est posée lors de la discussion de la proposition de loi de Mme Hélène Vainqueur-Christophe et, plus récemment, avec l’article 46 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Très peu de personnes remplissent les conditions actuellement fixées. C’est la raison pour laquelle il nous faut pouvoir exercer un contrôle sur les fonds d’indemnisation.
Tout le monde s’accorde à dire que les différents plans Chlordécone ont été marqués par des défaillances et des carences, pour reprendre les mots mêmes de l’administration centrale : pilotage trop vertical, fiches-actions non menées à terme, inefficacité. C’est la raison pour laquelle nous insistons dans le rapport sur la nécessité de faire de la recherche sur le chlordécone une priorité stratégique. Je peux vous dire que c’est une bataille. Les chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et d’autres organismes ont souligné les difficultés auxquelles ils se heurtaient pour explorer les pistes relatives à la dépollution par remédiation. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche doit porter cette priorité à travers un grand plan national.
Le principe du pollueur-payeur a été évoqué mais je dois rappeler ici que des procédures judiciaires étant en cours, notre commission d’enquête ne pouvait franchir certaines limites.
Quant à la proposition du président Serge Letchimy sur la mise en culture des terres en friche, elle figure, me semble-t-il, dans le rapport mais je prendrai le temps de le vérifier.
Pour terminer, je soulignerai que les producteurs de banane de 2019 sont différents des producteurs de banane de 1970. Les représentants de l’Union des groupements de producteurs de bananes de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN) nous ont précisé qu’ils s’étaient engagés dans la banane durable.
M. le président Serge Letchimy. J’aimerais revenir sur quelques points qui me paraissent particulièrement importants.
Mon collègue François Pupponi a insisté sur la hiérarchisation des propositions. Comme lui, je pense qu’une loi de programmation et d’orientation, qui encadrerait les procédures financières, législatives, réglementaires et techniques doit constituer une matrice. On pourrait certes mettre en avant un fonds d’indemnisation pour faire plaisir à tout le monde : chacun recevrait soixante-dix euros pour faire un test mais rien ne bougerait ensuite. C’est grâce à la loi que l’on pourra programmer la dépollution et déterminer qui va payer la dépollution. Prenons l’exemple précis des analyses, madame la Rapporteure : Est-ce à l’État de les effectuer sur le terrain d’un propriétaire privé ? Est-ce à aux propriétaires privés ? En ce cas, il faudrait rendre les analyses obligatoires. Nous n’avons pas d’opposition sur le fond, madame la Rapporteure, mais nous aimerions que davantage d’importance soit donnée à cette loi de programmation déjà en bonne place dans le rapport, je le reconnais.
Sur le principe pollueur-payeur, il faut faire très attention. Je le dis clairement : je ne veux pas entrer pas dans le débat racial, voire raciste, mais nous ne pouvons pas ignorer que c’est le système qui a voulu cela. C’est le système qui a créé la situation qui dure depuis quarante-huit ans. Or ce système a reposé sur de multiples responsabilités. Et on ne ferait porter la responsabilité qu’à l’État ? C’est l’État qui devrait financer seul le plan d’indemnisation ?
Je prendrai deux exemples.
Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de la banane est colossal. Il me semble que la meilleure façon de faire contribuer les planteurs n’est pas de leur demander une subvention – et ils sont d’accord là-dessus –, car ce serait une manière de cautionner un mal historique. J’ai dit aux planteurs qu’ils devaient participer à la dépollution des terres, d’autant plus que leurs propres terres sont polluées : à travers les nappes phréatiques, la pollution se déplace d’une terre à l’autre. Les agriculteurs dont les terres sont polluées alors qu’ils n’ont jamais planté de bananes ne touchent rien. Et 80 % des financements européens sont octroyés à une petite partie de la population, du fait du système des références historiques. C’est une vraie injustice, c’est pourquoi je pense que la contribution des planteurs à la dépollution est de nature à apaiser les choses.
Deuxièmement, il faut savoir si nous voulons que la Martinique et la Guadeloupe poursuivent dans la monoculture de la banane et continuent d’importer 90 % de ce que leur population consomme. Personnellement, ce n’est pas mon choix. Je ne dis pas que c’est celui de la Rapporteure, mais c’est un point dont nous devons débattre. Je pense que nous devrions profiter de ce malheur pour faire une proposition structurante, qui a d’ailleurs été formulée par les syndicats de Guadeloupe. Ils proposent que les terres en friche des grandes et moyennes propriétés soient inventoriées et qu’un pourcentage de ces terres soit, non pas redistribué, mais utilisé pour accroître la production locale, dans le cadre d’un POSEI. Autrement, c’est la mort.
M. François Pupponi. Pourquoi ces terres sont-elles laissées en friche ?
M. le président Serge Letchimy. Parce que des procédures font qu’on ne plante pas toutes les terres en bananes et qu’on en garde une partie en friche. Ma proposition ne concerne pas les terres plantées, parce qu’on aurait pu m’accuser de réduire le potentiel de production de la banane : ce n’est pas mon intention, car je suis favorable à la banane durable, ainsi qu’à la production cannière. Ce que je dis, c’est que toutes les terres en friche, qu’elles appartiennent à de grandes ou à de moyennes plantations, à l’État ou aux collectivités, doivent être assainies et mises en culture, ou consacrées à la culture hors sol, pour celles qui sont chlordéconées.
Une telle mutation économique nécessite un grand courage. Elle aurait pour effet de relancer la machine, de tendre vers le zéro chlordécone et d’offrir à la Guadeloupe et à la Martinique une plus grande autonomie alimentaire. Elle relancerait la production agricole d’une manière saine et structurée. N’ayons pas peur de faire cette proposition, qui est très osée, politiquement parlant.
Vous avez dit, madame Annie Chapelier, que l’État avait pris ses responsabilités. Pour ma part, j’estime que l’État n’a pas pris ses responsabilités au moment où il aurait dû le faire, quand on voit ce qui s’est passé après 1993.
Mme Annie Chapelier. Je voulais dire que l’État a fini par reconnaître sa responsabilité.
M. le président Serge Letchimy. Il est vrai que M. Emmanuel Macron est le seul président qui ait tenu des propos responsables, dignes d’un Président de la République française. Aucun ne l’avait fait avant lui. Quarante-huit ans après les faits, on ne peut pas dire que l’État a assumé ses responsabilités : l’État a été complice de ce scandale, de ce crime d’État.
Un débat m’oppose à la Rapporteure sur la question de l’indemnisation. Je ne suis pas favorable à une indemnisation « gadget », qui consisterait à donner 10 000 euros à chacun. Cela ne résoudra rien et on conservera du chlordécone dans les sols pendant 700 ans : c’est ridicule. Selon moi, c’est une manière d’aliéner encore plus le peuple.
En revanche, je suis favorable à la création d’un fonds d’indemnisation qui permette d’entrer immédiatement dans le processus de dépollution. On me répondra que les études scientifiques ne sont pas encore terminées, mais ce que j’ai entendu me rend optimiste quant à la possibilité de dépolluer. Il faudra peut-être du temps pour parvenir à une dépollution totale, mais on peut lancer la procédure. Ce fonds d’indemnisation – ou de réparation – assurera le financement du dépistage gratuit de toutes les personnes en situation vulnérable. Ce fonds soutiendra également les pêcheurs qui sont obligés de pêcher loin des côtes. Je ne suis pas favorable à ce que l’on attende d’avoir tous les résultats scientifiques pour lancer ce fonds, et je l’ai dit à Mme la Rapporteure.
Par ailleurs, l’argument selon lequel il ne faudrait pas faire contribuer les planteurs à l’évolution des cultures, sous prétexte qu’ils se sont lancés dans la banane durable, me paraît très dangereux.
Il reste à réfléchir au mode de participation des planteurs et des acteurs économiques à la dépollution.
Je ferai deux observations pour finir. Premièrement, que faire pour les personnes dont les terres sont polluées, alors qu’elles n’ont jamais planté un pied de banane ? Deuxièmement, faut-il rendre obligatoire les analyses des sols ? Cette question fait débat en Guadeloupe. Dans le rapport, vous ne proposez pas de rendre ces analyses obligatoires.
Mme Justine Benin, rapporteure. Si.
M. le président Serge Letchimy. Très bien.
Par ailleurs, même si je ne suis pas un défenseur de M. Guy Lordinot, je suis un peu gêné que son nom apparaisse à de nombreuses reprises dans le rapport. Il a reconnu ses torts et ne mérite pas qu’on le massacre dans ce rapport.
Il reste deux sujets de débat.
Le premier, c’est le choix entre établissement public et groupement d’intérêt public. Pour ma part, je suggérerais qu’on laisse cette question ouverte et qu’on la tranche, avec le Gouvernement, lors de l’examen de la future loi d’orientation et de programmation. S’agissant de l’idée de créer un comité stratégique de type GIP, je peux vous dire que j’ai vu des comités stratégiques tourner en rond depuis trente ans. Je pense donc préférable de trouver un autre outil que le comité stratégique, capable de fédérer des moyens financiers. Pourquoi ne pas constituer, sur le modèle de l’Agence des 50 pas géométriques, une agence de sortie du chlordécone ? C’est ce que les Américains ont fait.
Le deuxième débat, c’est celui sur la contribution des planteurs. Je fais deux propositions : la mise en culture de 30 à 40 % des terres en friche et l’introduction d’une contribution financière à la sortie du chlordécone, prise sur le chiffre d’affaires de la production de la banane.
M. François Pupponi. Je partage votre avis, monsieur le Président, et je pense qu’il faut deux fonds. Le fonds d’indemnisation servira à indemniser les victimes, une fois que le préjudice aura été prouvé. Mais il faut, par ailleurs, un fonds d’intervention pour dépolluer la terre.
M. le président Serge Letchimy. La rapporteure a proposé la création de deux fonds.
M. François Pupponi. Parfait. Pour moi, il faut un fonds d’indemnisation, qui indemnisera les victimes au terme de procédures souvent longues et complexes, et un fonds d’intervention, qui permettra de lancer immédiatement les opérations de dépollution.
Mme Justine Benin, rapporteure. Nous avons prévu ce deuxième fonds : c’est le fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques.
M. le président Serge Letchimy. En matière de santé, le rapport propose des dépistages gratuits pour certaines personnes ciblées.
M. François Pupponi. Il est dit que les tests seront gratuits, mais on ne dit pas comment ils seront financés.
Mme Justine Benin, rapporteure. Ils le seront par l’assurance maladie.
M. François Pupponi. Ce n’est donc pas un fonds spécifique qui les prendra en charge.
M. le président Serge Letchimy. En effet.
Mme Justine Benin, rapporteure. Ce sont deux choses différentes.
M. François Pupponi. Il y a deux options : soit on confie ce travail aux administrations existantes, soit on crée un fonds spécifique d’intervention. Le risque, dans le premier cas, c’est la dilution. Il faut expertiser tout cela et c’est sans doute à l’occasion de la loi de programmation que nous trouverons la bonne méthode.
M. le président Serge Letchimy. Je vais laisser à la rapporteure le soin d’exposer le dispositif qu’elle propose. J’ai compris qu’il y aura un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques, qui concernera les pêcheurs et les agriculteurs. Ce fonds inclut-il aussi le financement de la dépollution ?
Mme Justine Benin, rapporteure. Tout à fait.
M. le président Serge Letchimy. Et un deuxième fonds d’indemnisation sera destiné à réparer les préjudices en matière de santé.
M. François Pupponi. De mon point de vue, soutenir financièrement les pêcheurs pour qu’ils interviennent loin des côtes ne relève pas de l’indemnisation, mais du soutien économique. Imaginons qu’un jeune pêcheur s’installe : il n’a pas été pénalisé par la pollution au chlordécone. Il est seulement obligé d’acheter un bateau plus cher pour aller pêcher plus loin. D’un point de vue juridique, si on lui apporte un soutien financier, ce n’est pas une indemnisation, mais une aide économique.
Mme Justine Benin, rapporteure. Le jeune pêcheur qui s’installe et qui veut aller vers le zéro chlordécone peut bénéficier d’une prime à l’installation.
M. François Pupponi. Il ne s’agit donc pas d’un fonds d’indemnisation, mais d’un fonds dédié qui permet d’aider les gens à développer une activité hors chlordécone.
M. le président Serge Letchimy. Ce que propose le rapport, c’est un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques.
M. François Pupponi. S’agissant des planteurs, je partage votre avis, monsieur le président : il faut, d’une manière ou d’une autre, qu’ils contribuent à la dépollution, parce qu’ils ont une part de responsabilité. Ce qui peut être problématique, c’est qu’ils soient éligibles au fonds d’indemnisation… Ils ont pollué, on les a financés pour développer leur activité et, finalement, on les indemniserait ?
M. le président Serge Letchimy. Si c’est l’État qui finance la dépollution, ils risquent en effet de demander que leurs sols soient dépollués gratuitement, ce qui serait tout de même incroyable !
M. François Pupponi. En effet, c’est pourquoi je voulais appeler votre attention sur ce point.
M. le président Serge Letchimy. Pour résumer, il reste trois questions en suspens. Premièrement, il faut que la rapporteure clarifie le fonctionnement du fonds d’indemnisation. Deuxièmement, il faut définir le mode de contribution des secteurs économiques qui sont à l’origine de la pollution. Le troisième point concerne l’outil de pilotage : établissement public ou GIP. Pouvez-vous, madame la rapporteure, nous donner votre sentiment sur ces trois points ?
Mme Justine Benin, rapporteure. Monsieur François Pupponi, le rapport propose la création de deux fonds d’indemnisation.
Le premier est un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques. Il concernera les agriculteurs et les marins pêcheurs qui ont subi des pertes : le préjudice économique étant avéré, le fonds sera activé immédiatement.
Le second est un fonds d’indemnisation des victimes. Nous verrons combien de dossiers seront déposés. C’est parce que les conséquences sanitaires n’ont pas encore été chiffrées que nous avons préconisé le dépistage gratuit pour les populations à risque, payé par l’assurance maladie.
Enfin, nous prévoyons une prime, par exemple pour les jeunes marins pêcheurs qui souhaitent s’installer et aller vers le zéro chlordécone dans l’alimentation.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. Au fond, il y a donc trois démarches distinctes.
Mme Justine Benin, rapporteure. Absolument. Nous avons noté des disparités entre la collectivité de la Martinique et la région Guadeloupe. Ce sont des fonds FEADER.
M. François Pupponi. Dans le cadre de la réparation, je crois nécessaire de créer un fonds d’intervention, ne serait-ce que pour financer la recherche.
Mme Justine Benin, rapporteure. C’est précisément pour cela que nous proposons de créer un groupement d’intérêt scientifique. Les techniques de dépollution ne sont pas encore au point et nous nous sommes battus pour faire de la recherche sur le chlordécone une priorité stratégique. Avec la création des deux fonds, auxquels s’ajoutent la prime dont je viens de parler et le dépistage gratuit, nous faisons des recommandations ambitieuses. Mais il importe aussi de rester réaliste.
M. le président Serge Letchimy. Vous proposez donc la création d’un fonds d’indemnisation pour les préjudices économiques et d’un fonds d’indemnisation des victimes, incluant le dépistage gratuit pour certaines personnes ciblées, remboursé par l’assurance maladie. M. François Pupponi propose aussi, pour soutenir l’activité des pêcheurs et les mutations agricoles, la création d’un fonds d’intervention. Je pense qu’il ne serait pas gênant de disposer de deux fonds d’indemnisation et d’un fonds d’intervention qui, du reste, a déjà commencé à s’amorcer.
Mme Justine Benin, rapporteure. En somme, vous voulez que l’on nomme « fonds d’intervention » la prime dont j’ai parlé ?
M. François Pupponi. En tout cas, la prime ferait partie du fonds d’intervention.
Mme Justine Benin, rapporteure. Je sais qu’au niveau de la collectivité de la Guadeloupe, la commission permanente a pris une délibération, il y a dix jours, au sujet de ce fonds d’intervention pour accompagner les agriculteurs et les marins pêcheurs.
M. le président Serge Letchimy. Il importera en outre de le flécher, car il y a des gens qui ne jouent pas le jeu. Il serait en tout cas souhaitable de dire qu’un fonds d’intervention accompagne les deux fonds d’indemnisation.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. Le financement de la recherche sera-t-il bien assuré par l’Agence nationale de la recherche ?
M. le président Serge Letchimy. Si des projets de recherche sont déclarés d’intérêt stratégique national, leur financement sera fléché et prioritaire.
Mme Annie Chapelier. Quand je vous écoute, je me dis qu’il ne faudrait pas fabriquer une nouvelle usine à gaz… En Guadeloupe et en Martinique, les personnes à indemniser sont soit des exploitants et des pêcheurs qui ont subi un préjudice économique, soit des personnes qui ont des problèmes de santé. Or il importe que toutes ces personnes aient un seul interlocuteur, que leur problème soit d’ordre professionnel, économique ou sanitaire. Il est essentiel que le citoyen antillais sache vers qui se tourner : c’est pourquoi il faut une interface unique.
Monsieur le Président, vous avez beaucoup parlé de la contribution des planteurs. Il me paraît effectivement essentiel que les planteurs soient impliqués financièrement, pour que la population n’ait pas le sentiment que les pollueurs ont pu agir en toute impunité. Mais il n’y a pas que les planteurs. L’État n’a certes pas pris ses responsabilités à l’époque, mais il a fini par reconnaître sa responsabilité. Vous appelez à ne pas fustiger M. Guy Lordinot. Il n’est sans doute pas le seul élu à avoir une part de responsabilité, mais il a au moins eu le courage de reconnaître qu’il avait soutenu un système qui n’était pas forcément soutenable. De mon point de vue, il est essentiel que son nom figure dans le rapport. On ne peut pas se contenter de dire : « Faute avouée, à moitié pardonnée. » Cette commission d’enquête à précisément vocation à impliquer les parlementaires et à leur faire prendre position. Dans vingt ans, on pourra nous demander des comptes sur la position que nous prenons aujourd’hui. Il est naturel de demander des comptes à M. Guy Lardinot sur les décisions qu’il a prises il y a vingt ans.
Il me semble que les industriels devraient aussi apporter leur contribution. Or, pour l’heure, ils ne contribuent pas aux fonds d’indemnisation : les seuls contributeurs, ce sont l’État et l’Europe.
Monsieur le Président, vous avez eu des mots très forts : vous avez dit qu’il ne fallait pas avoir peur. Je suis désolée si mes propos sont un peu vifs, mais je crois effectivement qu’il faut arrêter d’avoir peur de tout. Il faut arrêter d’avoir peur de nommer telle ou telle personnalité, parce que cela pourrait avoir des conséquences. Les conséquences, on les connaît : aujourd’hui, nous avons des territoires contaminés, que nous ne pourrons pas décontaminer, et des populations qui subissent un impact sanitaire. Tout cela, parce qu’on a eu peur d’impliquer des industriels, des grandes familles des Antilles, et que des politiques, à des fins électoralistes, ont soutenu ces mesures ! Arrêtons d’avoir peur et prenons des mesures en conséquence.
M. le président Serge Letchimy. Deux noms n’apparaissent pas dans ce rapport, alors qu’ils devraient selon moi y figurer, pour l’histoire. Le premier, c’est celui de M. Jacques Chirac, qui a donné la première autorisation provisoire de vente du chlordécone, en tant que ministre de l’agriculture. Il ne s’agit pas de faire le procès posthume de M. Jacques Chirac, mais il faut le dire. Le deuxième, c’est celui de M. Yves Hayot, qui a été à la foi importateur, producteur et utilisateur du produit. N’ayons pas peur de le dire. Dire la vérité, c’est une manière de se réconcilier.
Je voudrais revenir sur les propos de M. François Pupponi à propos de la contribution des planteurs : il serait vraiment problématique que les planteurs bénéficient de la dépollution s’ils n’y contribuent pas eux-mêmes. C’est pourquoi je propose une contribution sous deux formes. Premièrement, je propose une contribution sur le marché de la banane : il faut absolument qu’un pourcentage soit consacré à la dépollution des terres, y compris de leurs propres terres. Deuxièmement, sur les très grandes plantations, il faut inciter les planteurs à diversifier l’agriculture, pour qu’on aille vers l’autonomie alimentaire. Tout cela me semble tellement logique… C’est un point fondamental pour moi et il faut trancher cette question.
Mme Hélène Vainqueur-Christophe. Je rappelle que, dans le cadre des procès en cours, M. Yves Hayot s’est constitué partie civile. Il estime qu’il a été lui aussi victime du chlordécone.
Monsieur François Pupponi, vous demandiez pourquoi de nombreuses terres sont en friche : il faut savoir que nos grands producteurs de bananes ont décidé, depuis quelques années, d’investir en Afrique, car c’est beaucoup plus rentable pour eux. La proposition du président d’imposer qu’une partie des terres en friche soit réservée à la diversification des cultures me paraît donc excellente.
Enfin, j’imagine qu’un établissement public va gérer les fonds d’indemnisation et le fonds d’intervention : ces fonds seront donc adossés à cet établissement public.
M. le président Serge Letchimy. Sur la question de l’établissement public, je propose, une fois encore, de laisser la question ouverte. J’aimerais que l’on revienne sur la question du fonds d’intervention et sur la contribution des producteurs à la dépollution, au nom du principe pollueur-payeur.
Mme Justine Benin, rapporteure. Madame Annie Chapelier, je ne pense pas que les parlementaires ici présents aient peur de quoi que ce soit. Nous assumons ce que nous faisons. À titre personnel, en tout cas, j’assume : en acceptant d’être rapporteure de cette commission d’enquête, je connaissais la lourde responsabilité qui m’incombait.
Le rapport me semble assez complet : il est très riche et fait le point sur l’histoire de l’utilisation du chlordécone dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique.
S’agissant de la création d’un établissement public, je souhaite vraiment, comme le président l’a suggéré, que nous laissions cette question ouverte. Il ne faudrait pas qu’une telle structure empêche les 47 recommandations d’aboutir. Nous devons nous doter d’une structure suffisamment souple. Après l’adoption du rapport, il faut qu’une mission d’évaluation et de contrôle fasse le point sur les forces et les faiblesses d’un établissement public, par rapport à un GIP. Au début, je n’étais pas favorable au choix d’un GIP, mais j’ai constaté la lourdeur de certains établissements publics, comme l’agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Par ailleurs, de nombreuses administrations se désengagent et se déresponsabilisent, en se déchargeant sur l'établissement public.
S’agissant de la proposition de consacrer 30 à 40 % des terres en friche à la diversification des cultures, c’est une difficulté, car c’était un accord pris avec vous : nous allons donc l’ajouter.
S’agissant des fonds, je ne vois pas d’inconvénient à nommer la prime « fonds d’intervention ». Je crois que nous sommes d’accord sur les deux fonds d’indemnisation et sur le principe d’une prime en faveur des agriculteurs et des pêcheurs, en vue du zéro chlordécone dans l’alimentation.
M. le président Serge Letchimy. Je vous remercie, madame la rapporteure, d’introduire dans le rapport la proposition que j’ai faite de consacrer 30 à 40 % des terres en friche à la diversification des cultures, car c’est un point très important pour moi. C’est une réforme exceptionnelle, car il n’y a pas eu de réforme agraire depuis l’abolition de l’esclavage – il n’y en a pas eu au moment de la décolonisation.
Deuxièmement, je pense qu’il faut instaurer une participation ou un prélèvement – il faut trouver le mot juste – sur le chiffre d’affaires global de la banane. Il faut une contribution de la filière à la dépollution, car il ne faut pas que l’État prenne cela en charge tout seul. Madame la Rapporteure, êtes-vous d’accord avec cette proposition ?
Mme Justine Benin, rapporteure. Oui, mais il faudra trouver la bonne rédaction.
Mme Annie Chapelier. Monsieur le Président, pouvez-vous nous dire un mot de la production de la banane ? Est-ce une affaire de gros exploitants ?
M. le président Serge Letchimy. On comptait 1 000 petits planteurs il y a dix ans ; ils étaient 600 il y a cinq ans et 250 aujourd’hui. En Martinique, 80 % des 230 000 tonnes de bananes produites viennent de cinq à six producteurs.
Mme Justine Benin, rapporteure. La proposition que vous faites figurait dans les deux premières versions du rapport et j’ignore pourquoi elle n’y est plus.
M. le président Serge Letchimy. L’important, c’est que vous soyez d’accord. Nous ajouterons donc au rapport la proposition sur les 30 à 40 % de friches et celle sur la contribution des producteurs à la dépollution.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. Je trouve que cette contribution est une excellente idée. On dit que l’État est responsable et qu’il doit payer, mais l’État, c’est nous, qui votons le budget. Mme Annie Chapelier et moi-même faisons partie de la majorité et soutenons le gouvernement actuel. Nous nous retrouvons donc involontairement solidaires de gouvernements passés, dont nous ne partageons pas le manque d’éthique et la lâcheté. Il me paraît donc équitable et psychologiquement frappant de dire qu’il y a aussi des responsables locaux et qu’ils doivent participer. Il est trop facile de dire que l’État est responsable et qu’il doit payer. Il y a aussi des responsabilités locales.
Mme Justine Benin, rapporteure. Pour rappel, je suis, moi aussi, membre de la majorité. Lorsqu’on dit que la responsabilité de l’État est avérée, c’est sur le fondement de documents d’archives et il n’est pas question pour moi d’accabler le Gouvernement. Je rappelle que la première personne qui a parlé de la responsabilité de l’État est le Président de la République. Il faut le dire et le marteler. De nombreux présidents sont passés et n’ont jamais parlé du chlordécone dans les termes qu’a employés Emmanuel Macron. Devant notre commission d’enquête, quatre ministres ont évoqué la responsabilité assumée et reconnue de l’État.
Loin de nous, je le répète, l’idée d’accabler le Gouvernement. Je trouve au contraire que le Président de la République a été grand, que le gouvernement actuel est grand, dans la mesure où c’est la première fois que l’on entend une parole forte et sans concession d’un gouvernement.
Mme Élisabeth Toutut-Picard. Il y a la responsabilité morale, mais il y a aussi la responsabilité financière.
M. le président Serge Letchimy. Tout à fait.
Mme Justine Benin, rapporteure. Nous sommes d’accord.
M. le président Serge Letchimy. Ce débat a été très riche. Nous allons en venir au vote sur le rapport.
M. François Pupponi. Il s’agit bien du rapport amendé ?
M. le président Serge Letchimy. Bien sûr, monsieur François Pupponi. Je remercie celles et ceux qui ont fait ce travail pour deux peuples, le peuple martiniquais et le peuple guadeloupéen.
La commission adopte le rapport à l’unanimité et autorise sa publication.
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Contributions reçues des groupes politiques
Contribution du groupe la France insoumise
transmise par Mme Mathilde PANOT
Députée du Val-de-Marne
Rapport Chlordécone : contribution du Groupe La France Insoumise
La première étape, lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet du chlordécone, est de mesurer l’ampleur considérable du problème, et les dommages immenses et irréversibles que l’usage massif de ce produit a entraîné sur nos concitoyens en Guadeloupe comme en Martinique, et sur leurs milieux de vie. La dimension criminelle de l’exposition massive de nos concitoyens à ce produit doit être reconnue.
La reconnaissance du crime
En effet, la dangerosité de l’usage du chlordécone pour les êtres humains est reconnue depuis 1969. C’est pour cela qu’il a été interdit dès 1976 aux États-Unis d’Amérique. En Guadeloupe et en Martinique, l’État a accordé une dérogation pour la continuation de son usage jusqu’en 1993.
Le chlordécone avait été interdit en France en 1990. La simple existence de la dérogation pour trois ans dans les Antilles interroge. Continuer à empoisonner sélectivement une partie de la population pour favoriser la culture industrielle de la banane est scandaleux et soulève des problèmes évidents en termes d’égalité réelle entre les citoyens. Le mépris s’est prolongé avec une récupération tardive des stocks. Il a fallu attendre 2002 pour que celle-ci soit organisée par les préfectures. En République, la loi doit protéger tous les citoyens également, où qu’ils vivent sur le territoire.
La France Insoumise rappelle la similitude de cette situation avec l’usage de l’amiante, autorisée en France jusqu’en 1997, alors que sa dangerosité était connue depuis les années 1930. La responsabilité de l’État avait dès lors été reconnue, victoire des centaines de milliers de travailleurs victimes de leur exposition à la poussière d’amiante.
Pendant plus de vingt ans, nos concitoyens ont été touchés par l’usage massif d’un produit dont les effets désastreux sur la santé humaine étaient connus. Il s’agit donc d’un problème politique d’ampleur, et la responsabilité de l’État, dans ce qu’il faut bien appeler un crime, doit être reconnue. Les victimes doivent être indemnisées. Elles sont nombreuses : plus de 90% de la population des deux îles est contaminée par le chlordécone.
Le taux de cancer de la prostate est deux fois plus important en Guadeloupe et en Martinique qu’en métropole, et la Martinique est la région la plus touchée au monde. Le chlordécone est en outre un perturbateur endocrinien très puissant qui engendre à la fois une baisse de la fertilité et un endommagement des systèmes neurologiques. De ce fait, il peut engendrer des troubles du comportement, des pertes de motricité et des baisses considérables de QI. Il entrave également le développement neurologique des nourrissons.
Pourtant, entre cette détection du chlordécone dans l’eau en 1999 et la mise en œuvre du premier plan chlordécone, il s’écoulera encore neuf ans. Soit quinze ans après son interdiction. Le scandale du chlordécone doit donner lieu à indemnisation et reconnaissance de la responsabilité de l’État. En la matière, l’État ne peut se défausser sur l’employeur : c’est lui qui a autorisé et permis l’usage prolongé du chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.
Une économie anti-écologique, néocoloniale et injuste pour nos concitoyens
Le crime ne porte pas uniquement sur les êtres humains. C’est également un crime contre la nature : un quart de la surface utile des deux îles est contaminé, sur les terres analysées. Les zones de baignade, les sources d’eau, le bétail et les aliments sont pollués. Le désastre est majeur, et il est essentiellement lié à la monoculture de la banane, structure économique typiquement coloniale.
Par ailleurs, il n’est pas inutile de rappeler que le dirigeant de l’entreprise française de fabrication du Chlordécone, Yves Hayot, était également le président du groupement des producteurs antillais de bananes. L’étude des conditions de prolongation de l’autorisation du chlordécone mériterait de ce fait d’être plus poussée. En effet, il serait absolument nécessaire de regarder de près l’influence exercée par le lobby de la banane sur les décideurs politiques.
L’usage massif du chlordécone est donc un désastre environnemental qui repose sur une organisation économique héritée de la situation coloniale. En effet, c’est la poursuite acharnée et absurde, du point de vue des intérêts des Martiniquais et des Guadeloupéens, de la monoculture de la banane qui a rendu possible la continuation de l’usage massif du chlordécone.
Débattre des conditions qui ont rendu possible le scandale du chlordécone revient donc à poser la question du développement endogène des Antilles françaises comme une question centrale. La monoculture vouée à l’exportation est non seulement une absurdité du point de vue des habitants, et des possibilités d’emploi pour eux, mais elle est également une aberration écologique : elle revient à fonder le développement de la Martinique et de la Guadeloupe sur l’exportation massive de bananes dangereuses pour la santé.
La commission d’enquête autour du chlordécone doit donc également nous pousser à interroger la cohérence générale de ce modèle économique, que nous devons qualifier dans toutes ses dimensions : néocolonial, anti-écologique et injuste, tant il instaure l’hétéronomie radicale de ces îles comme principe permanent.
Il faut défendre un développement autonome de la Guadeloupe et de la Martinique, fondé sur la justice sociale, l’économie circulaire, la production locale et les emplois locaux. Voici une des leçons qu’il nous faut également tirer du scandale du chlordécone.
De la nécessité d’une planification de la sortie du Chlordécone
Aux côtés du président de la commission, Serge Letchimy, la France Insoumise déplore le manque d’ambition des plans qui se sont depuis succédé et leur financement insuffisant. Devant la commission, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, a promis un quatrième plan « plus ambitieux » en 2020, avec un objectif prioritaire : « le zéro chlordécone dans l’alimentation ». Fixer des objectifs sans planifier la bifurcation et la sortie de tout un modèle est nécessairement inopérant. Il s’agit de tirer les leçons de la gestion défaillante des stocks à partir de 1993, illustrée par le rapport. En effet, aucun dispositif n’avait été prévu pour retirer de la circulation et détruire les stocks non utilisés de chlordécone. Il convient donc, au-delà des déclarations d’intentions, de planifier la sortie du Chlordécone aux Antilles.
Ainsi, le Groupe la France Insoumise soutient les conclusions du rapport, et notamment celle d’une loi d’orientation et de programmation de cette sortie, par la nomination d’un délégué interministériel dédié au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique ainsi que la mise en place d’un suivi sanitaire systématique pour les publics les plus exposés, la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone ainsi que l’accompagnement des pêcheurs et des agriculteurs.
Enfin, cette commission d’enquête doit nous interpeller sur la capacité de mobilisation de certains lobbys à l’encontre de l’intérêt général. Le travail mené a permis de reconstituer l’intense lobbying des groupements de planteurs et des industriels, ainsi que les interventions de certains élus et le soutien explicite des services locaux du ministère de l’agriculture en faveur d’une molécule jugée indispensable à l’économie antillaise. A l’aune de ces révélations, le principe constitutionnel de précaution doit être renforcé, afin d’empêcher, selon les termes de la sociologue Annie Thébaud-Mony, de ne plus octroyer de « permis de tuer » aux industriels, avec le silence et l’inaction complices des pouvoirs publics.
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annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées
(Par ordre chronologique)
– Santé publique France – M. Jacques Rosine, responsable Santé publique France aux Antilles, et Mme Mounia El Yamani, préfiguratrice adjointe au directeur – Direction santé environnement et travail
– Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – M. Luc Multigner, directeur de recherche, coordinateur des recherches épidémiologiques conduites par l’Inserm sur le chlordécone
– Office de développement de l’économie agricole des départements d’Outre-mer (ODEADOM) – M. Hervé Deperrois, directeur, et Mme Valérie Gourvennec, cheffe de service Production de diversification, Mme Laurence Grassart, cheffe de service Grandes cultures
– Ministère de l’agriculture et de l’alimentation – Direction générale de l’alimentation (DGAL) – M. Bruno Ferreira, directeur général, - M. Pierre Claquin, adjoint à la Sous-directrice de la qualité, de la santé et de la protection des végétaux, M. Olivier Prunaux, chef du bureau des intrants et du biocontrôle, M. Cédric Prévost, sous-directeur de la politique de l’alimentation, Mme Isabelle Tison, directrice-adjointe du service des affaires juridiques
– Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) – M. Henri Vannière, ancien chercheur
– Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) – M. Thierry Caquet, directeur scientifique « Environnement » et M. Jean-Pierre Cravedi, chef du département adjoint « Alimentation Humaine »
– Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) – Mme Pascale Michel, correspondante environnement pour l’appui aux politiques publiques de la direction Eau, Environnement et Ecotechnologies, et Mme Nathalie Dörfliger, directrice de programme scientifique concernant les eaux souterraines
– Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) – M. Patrick Vincent, directeur général délégué
– Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Dr Gilles Bloch, président-directeur général, M. Robert Barouki, directeur de l’Unité Inserm 1124 « Toxicologie, pharmacologie et signalisation cellulaire », M. Laurent Fleury, directeur du pôle Expertises collectives, et Mme Anne-Sophie Etzol, chargée des relations institutionnelles
– Ministère des outre-mer – Direction générale des Outre-Mer (DGOM) – M. Emmanuel Berthier, directeur général, M. Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur des politiques publiques, et M. Olivier Junot, adjoint au chef du bureau des politiques agricoles, rurales et maritimes
– Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) – Dr Elisabeth Marcotullio, médecin du travail, conseillère technique nationale, Dr Gérard Bernadac, médecin du travail, Mme Pascale Barroso, responsable du département santé, et M. Christophe Simon, chargé des relations parlementaires
– Institut national du Cancer (INCa) – Pr Norbert Ifrah, président, et M. Thierry Breton, directeur général
– Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) – M. Roger Genet, directeur général, M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué, Pôle sciences pour l’expertise, M. Jean-Luc Volatier, directeur adjoint à la direction de l’évaluation des risques, méthodologie et observatoires, et Mme Sarah Aubertie, chargée des relations institutionnelles, Pr Cyril Feidt, professeur à l’Université de Lorraine, président du Comité d’experts spécialisés en évaluation du risque chimique dans les aliments au sein de l’ANSES
– M. Thierry Woignier, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique / Institut de recherche et de développement (CNRS/IRD), responsable du Laboratoire « Physique des sols et milieux poreux » de l’Institut méditerranéen de la biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE‑CAEC-Le Lamentin Martinique), et M. Hervé Macarie, microbiologiste à l’IRD Marseille (IMBE), spécialiste de bioremédiation
– Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – Ministère de l’Économie – Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale, Mme Annick Biolley-Coornaert, sous-directrice « Produits alimentaires et marchés agricoles et alimentaires », M. Loïc Tanguy, directeur de cabinet de la DGCCRF, M. Benoît Ginestet, rédacteur au bureau « Marchés des produits d’origine végétale et des boissons », et M. Emmanuel Large, chef du bureau « Marchés des produits d’origine végétales et des boissons »
– Mme Laurence Eslous, inspectrice générale des affaires sociales, et M. Jean-Bernard Castet, inspecteur des finances, co-auteurs du rapport « La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques » (janvier 2018), de la mission Inspection générale des Finances (IGF)/Inspection générale des affaires sociales (IGAS)/Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)
– M. Pierre-Loïc Saaidi, maître de conférences à l’Université d’Évry‑Val-Essonne, et M. Denis Le Paslier, chercheur en biologie au CNRS
– Ministère des Solidarités et de la Santé – Direction générale de la santé (DGS) – Pr Jérôme Salomon, directeur général, Mme Joëlle Carmes, Sous-directrice de la Sous-direction Prévention des risques liés à l’environnement et à l’alimentation, Mme Barbara Lefèvre, Chargée de dossier au Bureau Alimentation et nutrition – en charge du plan chlordécone et des produits phytosanitaires, et M. François Klein, Chef de la Mission Outre-Mer
– M. Armand Renucci, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, Mme Catherine Mir, inspectrice générale de santé publique vétérinaire Section milieux ressources risques, Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), M. Henri‑Luc Thibault, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) co-auteurs du Rapport d’évaluation des plans d’action Chlordécone aux Antilles
– Société d’exploitation de produits pour les industries chimiques (SEPPIC) – M. Jean-Baptiste Dellon, président-directeur général, et M. Alain Milius, directeur des Affaires réglementaires et extérieures de Seppic
– Agence nationale de la recherche (ANR) – M. Frédéric Monot, responsable du Département scientifique EERB (Environnements, écosystèmes, ressources biologiques)
– M. Éric Godard, chargé de mission interministériel et interrégional sur le chlordécone
– Union des Groupements de Producteurs de Banane de Guadeloupe et Martinique (UGPBAN) – M. Pierre Monteux, directeur général, M. Sébastien Zanoletti, directeur Recherche et Innovation, et M. David Dural, directeur de l’Institut Technique Tropical
– Mme Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, M. Lloyd Cerqueira, conseiller parlementaire, et M. Didier Hoffschir, haut fonctionnaire au développement durable
– Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, Mme Margaux Bonneau, conseillère parlementaire, Mme Clotilde Durand, conseillère, M. Mickaël Benzaqui, conseiller, Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé
– Mme Annick Girardin, ministre des Outre-mer, M. Emmanuel Berthier, directeur général des Outre-mer, M. Arnaud Martrenchar, sous‑directeur à la direction générale des Outre‑mer (DGOM), Mme Gaëlle Nerbard, conseillère santé au cabinet et Mme Sandra-Elise Reviriego, conseillère en charge des relations avec les élus, des associations, jeunesse et sport au cabinet de la ministre des Outre-mer
– M. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, accompagné de :
– Mme Bénédicte Bergeaud, conseillère en charge des relations avec le parlement, les élus et les territoires
– Mme Anne Bronner, conseillère en charge de la qualité, de la performance et de la sécurité sanitaire de l’alimentation, du suivi du plan de sortie des produits phytosanitaires, du bien-être animal et de la lutte contre la maltraitance animale
– M. Thomas Roche, conseiller en charge de la pêche, de l’outre-mer, du budget et du financement de l’Agriculture
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annexe n° 2 :
Déplacement aux antilles
Lundi 16 septembre 2019
– Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique – M. Jerôme Viguier, directeur, M. Alain Blateau, directeur de la veille et de la sécurité sanitaire, Mme Marie-Françoise Emonide, directrice adjointe de la Santé Publique, et M. Gérard Thalmensi, ingénieur jardin familiaux
– Cellule d’Intervention en Région (Cire) Antilles – M. Jacques Rosine, directeur
– Dr Charles Quist, gynécologue, spécialiste de l’endométriose
– Mme Nataly Dabon, enseignante
Mardi 17 septembre 2019
– Baie de Fort de France – Mme Mirella Meraut
– Baie du Robert – M. Olivier Marie Reine
Mercredi 18 septembre 2019
– Collectif Zéro Chlordécone – Mme Sophia Sabine
– Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Martiniquais (ASSAUPAMAR) – M. Henri Louis-Regis, M. Pascal Tourbillon, et Mme Claudette Duhamel
– Collectif Lyannaj Pou Dépolyé Matinik – M. Philippe Pierre-Charles, président
– CODEMA-MODEF (Comité Défense des Métiers Agricoles – Mouvement de Défense des Exploitants Familiaux) – M. Juvénal Remir, président
– Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles de la Martinique (FDSEA) – M. Ulysse Mudard, président
– Organisation Patriotique des Agriculteurs de Martinique (OPAM) – M. Oliver Palcy, président, M. Gratien Glaucus, et M. Alain Fitte-Duval
Jeudi 19 septembre 2019
– Dr Florelle Bradamantis, directrice générale adjointe de l’Agence régionale de santé (ARS), M. Patrick Saint-Martin, directeur de la veille et sécurité sanitaire, et M. Guillaume Pompougnac, responsable de la mise en œuvre opérationnelle du programme JAFA de l’IREPS
– Cellule d’Intervention en Région (Cire) Antilles Mme Delumeau, responsable
– M. Gérard Cotellon, directeur général du CHU de la Guadeloupe
– Dr Antoine Talarmin, directeur de l’Institut Pasteur de la Guadeloupe
– Mme Nadia Bougrer, directrice du Laboratoire d’Hygiène de l’Environnement de l’Institut Pasteur de la Guadeloupe
– M. Éric Eberstein, chef du pôle C de la Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DiECCTE)
– M. Sylvain Vedel, directeur de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF) et Mme Catherine Jassaud, cheffe du service de l’alimentation
– M. Arnaud Le Mentec, directeur adjoint de la mer
– M. Nicolas Rougier, directeur adjoint Transports – Risques – Ressources naturelles de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL Guadeloupe), et M. Daniel Sergent, chef du service ressources naturelles
– Comité régional pêches maritimes et élevages marins (CRPMEM) – M. Charly Vincent, président, et M. Bruno Marcel, premier vice-président
– Interprofession guadeloupéenne viande et élevage (IGUAVIE) – M. Gérard Blombou, président, et M. Elie Shitalou, secrétaire général
– Interprofession guadeloupéenne des Fruits, des Légumes et de l’Horticulture (IGUAFLHOR) – M. Bernard Sinitambirivoutin, président, et M. Manuel Gerard
– Groupement de développement de l’agriculture écologique et biologique de la Guadeloupe (GDA EcoBio) – M. Christophe Latchman, président
Vendredi 20 septembre 2019
– Société d’aménagement rural et d’établissement foncier (SAFER) – M. Rodrigue Trèfle, président
– Chambre d’Agriculture de la Guadeloupe – M. Joël Pédurand, directeur général, M. Pascal Casalan, premier secrétaire adjoint, M. Pascal Jean‑Charles, chef de service du pôle Développement et Environnement, M. Michel Celanie, chef de service du pôle Élevage
– M. Maurice Mahieu, ingénieur à l’Unité de Recherches Zootechniques/Animal Production Research
– Mme Magalie Jannoyer, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), directrice scientifique adjointe
– Union des producteurs de la Guadeloupe (UPG) – M. Bandou Alex, secrétaire général, et M. Rotin Philippe
– Syndicat des Jeunes agriculteurs – Mme Jemmina Martino, membre du conseil d’administration
– Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) – M. Elie Domota, secrétaire général, M. Christian Blonbbu et M. Nestorius Favel
Samedi 21 septembre 2019
● Conseil départemental
– M. Jacques Anselme, premier vice-président et M. Olivier Nicolas, directeur de cabinet
● Association Vivre
– Dr Jean-Marie Flower, membre de l’Union départementale Consommation, logement et cadre de vie (CLCV) et vice-président de l’association Vivre
– Mme Patricia Chatenay-Rivauday, présidente, Me Christophe Lèguevaques, conseil de l’Association Vivre
– M. Dominique Laban, directeur de l’Office de l’eau, M. Hugues Delannay, directeur adjoint de l’Office de l’eau technique et scientifique, et Mme Isabelle Nasso, directrice des milieux aquatiques
– M. Marcel Sigiscar, premier adjoint au maire de Pointe-à-Pitre, vice‑président du conseil départemental, président délégué de l’office de l’eau
– Mme Sylvie Gustave-Dit-Duflot, 8ème vice-présidente du Conseil régional, présidente de la Commission régionale environnement et cadre de vie et vice-présidente de la Commission développement économique, présidente du Comité de l’eau et de la biodiversité
– M. Denis Celeste directeur général adjoint chargé de l’économie au Conseil régional et Mme Jessica Julan Aubourg, directrice de la croissance bleue au Conseil régional
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annexe n° 3 :
historique de l’autorisation du chlordécone
Pièce n° 1 : 19 mars 1969 – Demande d’homologation
Pièce n° 2 : 10 novembre 1971 – Demande d’homologation
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Pièce n° 12 : 1er février 1990 – retrait
6 mars 1992
Service de la protection des végétaux, Ministère de l’Agriculture et de la Forêt
Curlone : délai dérogatoire pour l’utilisation du produit, prenant fin le 28 février 1993.
Pièce n° 14 : 25 février 1993 – PV
25 février 1993
Service de la protection des végétaux, Ministère de l’Agriculture et de la Forêt
Curlone : deuxième dérogation d’usage du produit, prenant fin le 30 septembre 1993.
Pièce n° 15 : 27 juin 1968 – commission des toxiques
Pièce n° 16 : 19 décembre 1968 – commission des toxiques
Pièce n° 17 : 29 novembre 1969 – commission des toxiques
Pièce n° 18 : 29 janvier 1971 – commission des Toxiques
Séance du 29 janvier 1971
Commission des Toxiques
Kepone : Proposition d’inscription au tableau C.
Pièce n° 19 : 30 novembre 1971 – commission des toxiques
Pièce n° 20 : 1er février 1972 – commission des toxiques
Pièce n° 21 : 22 juin 1989 – sous-commission des toxiques
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Pièce n° 22 : 7 septembre 1989 – commission des toxiques
Pièce n° 23 : 13 décembre 1989 – commission des toxiques
Pièce n° 24 : 19 décembre 1980
Pièce n° 25 : 19 décembre 1980
Pièce n° 26 : 19 décembre 1980 – demande d’homologation
Pièce n° 31 : 1er février 1990
annexe n° 4 :
Gestion des stocks
Pièce n° 1 : 28 juillet 1994 – Agrisol
Pièce n° 2 : 3 août 1994 – Agrisol
Pièce n° 3 : 17 août 1994 – Cottrell
Pièce n° 4 : 15 septembre 1994 – Punter
annexe n° 5 :
SAC DE CURLONE (1983)
Source : M. Henri Vannière, ancien chercheur, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
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annexe n° 6 :
Les Interventions visant à prolonger l’utilisation
du Curlone après le retrait de son homologation
Pièce n° 1 : note de la direction de l’agriculture et de la forêt de la Guadeloupe au sous-directeur de la protection des végétaux du ministère de l’agriculture, 21 novembre 1990
Pièce n° 2 : courrier de la SICABAM à la direction de l’agriculture et de la forêt de la Martinique, 11 février 1992
Pièce n° 3 : courrier du GIPAM à la direction de l’agriculture et de la forêt de Martinique, 12 février 1992
Pièce n° 4 : note de Claire Sauvaget, conseillère technique auprès du Premier ministre, au cabinet du ministre de l’Agriculture et de la forêt, 17 février 1992
Pièce n° 5 : courrier de M. Bourdin, du service d’homologation de l’INRA, à l’ASSOBAG, 13 mars 1992
Pièce n° 6 : réponse de M. Alain Doussau, sous-directeur de la protection des végétaux du ministère de l’agriculture à la SICABAM, 20 mars 1992
Pièce n° 7 : Courrier de la direction de l’agriculture et de la forêt de la Martinique à la SICABAM, 17 novembre 1992
Pièce n° 8 : décision du ministère de l’agriculture du 25 février 1993, autorisant l’utilisation des stocks de Curlone jusqu’au 30 septembre 1993
Pièce n° 9 : courrier de la SICABAM à la Direction de la protection des végétaux du ministère de l’agriculture, 25 août 1993
Pièce n° 10 : Question écrite n° 27495 de M. Guy Lordinot, député de la Martinique, le 23 avril 1990, et réponse de M. Henri Nallet, ministre de l’Agriculture et de la forêt, le 2 juillet 1990
9ème législature
Question N° : 27495 |
de M. Lordinot Guy ( Socialiste - Martinique ) |
QE |
Ministère interrogé : |
agriculture et forêt |
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Ministère attributaire : |
agriculture et forêt |
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Question publiée au JO le : 23/04/1990 page : 1914 |
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Réponse publiée au JO le : 02/07/1990 page : 3141 |
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Rubrique : |
DOM-TOM |
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Tête d’analyse : |
Martinique : produits dangereux |
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Analyse : |
Plantations de bananes. insecticide Chlordécone. retrait |
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Texte de la QUESTION : |
M Guy Lordinot attire l’attention de M le ministre de l’agriculture et de la foret sur les problèmes poses aux planteurs de bananes par le retrait d’homologation à compter du 8 février 1990 du Chlordécone à 5 p 100, insecticide utilise dans la lutte contre le charançon noir du bananier. Les produits de substitution proposés aujourd’hui ne permettent pas d’obtenir un traitement suffisant du charançon noir qui est un des problèmes parasitaires importants à la Martinique. En conséquence, il lui demande s’il lui est possible de porter à cinq ans le délai de deux ans qui court actuellement depuis la date de notification de la commission des homologations. Ce délai supplémentaire de trois ans serait mis a profit pour que le retrait de Chlordécone se fasse progressivement et qu’il ne soit effectif et total que lorsque des solutions de substitution auraient apporté la preuve d’une efficacité reconnue par les services de recherche, par les professionnels et par les agriculteurs bananiers. |
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Texte de la RÉPONSE : |
Réponse. - Deux spécialités à base de Chlordécone étaient autorisées a la vente pour lutter contre le charançon du bananier. La commission d’étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés a demandé l’interdiction d’emploi de cette matière active lors de sa séance du 7 septembre 1989. Conformément à la réglementation en vigueur, cette proposition a ente soumise à l’avis de la commission des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés, qui l’a entériné lors de sa séance du 21 décembre 1989. Le comité d’homologation des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés a donc retire en février 1990 les autorisations de vente pour les deux spécialités commerciales concernées. Réglementairement ces spécialités peuvent être encore utilisées pendant deux ans après la date du retrait de l’autorisation pour l’écoulement des stocks. Ce délai de deux ans apparait suffisant pour que des solutions de substitution soient mises au point. |
Pièce n° 11 : courrier de M. Guy Lordinot, député de la Martinique et maire de Sainte-Marie, au ministre de l’Agriculture et de la forêt, 20 avril 1990
Pièce n° 12 : courrier de M. Guy Lordinot, député de la Martinique, au ministre de l’Agriculture et de la forêt, 19 juin 1990
Pièce n° 13 : Réponse de M. Henri Nallet, ministre de l’agriculture et de la forêt, à M. Guy Lordinot, député de la Martinique, 5 juin 1990
Pièce n° 14 : courrier de M. Guy Lordinot, député de la Martinique, à M. Louis Mermaz, ministre de l’agriculture et de la forêt, 24 février 1992
Pièce n° 15 : réponse de Louis Mermaz, ministre de l’agriculture et de la forêt, à M. Guy Lordinot, 31 mars 1992
Pièce n° 16 : courrier du ministre des départements et territoires d’Outre-mer au ministre de l’agriculture et de la pêche, 27 septembre 1993
([1]) Proposition de résolution n° 1941 de M. Serge Letchimy, Mmes Hélène Vainqueur-Christophe, Josette Manin, Valérie Rabault et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’impact économique, sanitaire et environnemental de l’utilisation du Chlordécone et du Paraquat comme insecticides agricoles dans les territoires de Guadeloupe et de Martinique, sur les responsabilités publiques et privées dans la prolongation de leur autorisation et évaluant la nécessité et les modalités d’une indemnisation des préjudices des victimes et de ces territoires http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/impact_chlordecone_paraquat_guadeloupe_martinique
([2]) Rapport d’information n° 2430 de M. Joël Beaugendre sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par M. Philippe Edmond-Mariette, déposé le 30 juin 2005 http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-info/i2430.asp
([3]) Rapport n° 487 (2008-2009) de Mme Catherine Procaccia, sénateur et M. Jean-Yves Le Deaut, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 24 juin 2009 http://www.senat.fr/rap/r08-487/r08-487_mono.html.
([4]) Proposition de loi n° 4647 de MM. Olivier Faure, Victorin Lurel, Mme Gabrielle Louis-Carabin, MM. Ibrahim Aboubacar, Boinali Said, Serge Letchimy et Napole Polutele et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique, déposée le 10 mai 2017 http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion4647.asp.
([5]) Proposition de loi n° 1543 de Mme Hélène Vainqueur-Christophe, M. Serge Letchimy, Mmes Josette Manin, Valérie Rabault, M. Dominique Potier et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’un fonds d’indemnisation des victimes du chlordécone et du paraquat en Guadeloupe et en Martinique déposée le 19 décembre 2018 :
http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/fonds_indemnisation_victimes_chlordecone_paraquat.
([6]) Snegaroff, J. (1977). "Les résidus d’insecticides organochlorés dans les sols et les rivières de la région bananière de Guadeloupe."
([7]) Kermarrec, A. et al. (1980) Niveau actuel de la contamination des chaînes biologiques en Guadeloupe : pesticides et métaux lourds. Petit-Bourg (Guadeloupe), INRA.
([8]) Classification 2B.
([9]) Étude Kannari – Santé Publique France (2013-2014) Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés.
([10]) Discours du Président de la République le 27 septembre 2018 à Morne-Rouge (Martinique).
([11]) Pascal Saffache et al. « Contexte de l’agriculture martiniquaise : atouts et contraintes pour l’agriculture biologique », Agriculture biologique en Martinique, chapitre 2, IRD éditions 2005.
([12]) Qui a remplacé la variété Gros Michel décimée par la maladie de Panama.
([13]) Ce point sera développé infra dans le B de la deuxième partie du présent rapport.
([14]) Audition du 14 octobre 2019.
([15]) Yves-Marie Cabidoche et al. « Pollution durable des sols par la chlordécone aux Antilles : comment la gérer ? », Innovations agronomiques 16 (2011), 117-133.
([16]) Ancien chercheur à l’INRA, pionnier des recherches sur la pollution des sols antillais.
([17]) Chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
([18]) « Paul Hermann Müller, chimiste suisse, a reçu en 1948 le prix Nobel de médecine pour sa découverte en 1939 de la grande efficacité du DDT en tant que « poison contre les arthropodes ». C’était la première fois que le prix Nobel de médecine était attribué à un non médecin, ce qui marque l’importance de la découverte pour la santé des populations. Le DDT a été utilisé au cours de la première guerre mondiale par l’armée américaine pour lutter contre les fléaux que constituaient des maladies comme la malaria et le typhus. Mis en vente, à partir de 1945, le DDT a ensuite été employé dans l’agriculture, notamment pour la lutte contre le doryphore. » Allocution d’ouverture de Gérard Tendron au colloque « Exposition des populations aux produits phytosanitaires et risques sanitaires », 14 mars 2017.
([19]) Arrêté du 2 octobre 1972 relatif à l’utilisation en agriculture de substances vénéneuses.
([21]) Déterminants institutionnels de la diminution de pesticides dans la bananeraie antillaise : nécessité d’indicateurs d’évaluations partagés - Colloque SFER février 2010 : La réduction des pesticides agricoles, enjeux, modalités et conséquences.
([22]) Comme l’indique Yves-Marie Cabidoche dans son article précité avec des apports de chlordécone (3 kg/ha/an) 100 fois moindres que de HCH (300 kg/ha/an) on obtenait le même résultat sur les charançons.
([23]) Audition du 25 septembre 2019.
([24]) Ce document est annexé au rapport. Le Curlone est le nom commercial utilisé en France à partir de 1981.
([25]) Rapport Assemblée nationale n° 1778 de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 24 juin 2009 http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-off/i1778.pdf
([26]) Institut français de recherche sur les fruits et légumes.
([27]) Audition du 9 juillet 2019.
([28]) Audition du 8 juillet 2019.
([29]) Audition du 4 juillet 2019.
([30]) Ces cinq formulations obtiennent une homologation en 1992. À l’exception du Speeder, cette homologation est possible par modification des formulations : les formulations de 1987 possédaient une concentration de 100 g/L.
([31]) Directive 2003/112/CE de la Commission du 1er décembre 2003 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire la substance active paraquat.
([32]) Audition du 2 juillet 2019
([33]) Agence française de sécurité sanitaire des aliments, Avis relatif à l’impact potentiel de la présence du paraquat dans les sols et la chaîne alimentaire et sur le risque pour la santé en Martinique et en Guadeloupe, 2 juillet 2008. https://www.anses.fr/en/system/files/DIVE2007sa0324.pdf
([34]) Rapport Assemblée nationale n° 1778 de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), déposé le 24 juin 2009.
([35]) Audition du 4 juillet 2019.
([36]) Rapport de l’OPECST n° 1778 précité.
([38]) La formule brute du Kelevan (C17H12Cl10O4) est assez proche de celle du chlordécone (C10Cl10O).
([39]) Audition du 9 juillet 2019.
([40]) Rapport de l’OPESCT n° 1778 précité.
([41]) Idem.
([42]) AFSSET, 2ème note d’étape concernant la mise en œuvre de l’action 40 du Plan d’action chlordécone 2008‑2010 « Coopérer avec les autres pays potentiellement concernés pour l’évaluation et la gestion d’une pollution par le chlordécone et de ses impacts sanitaires, agronomiques et environnementaux : Volet européen ».
([43]) Rapport de l’OPESCT précité.
([44]) Rapport de l’OPESCT précité.
([45]) Rapport de l’OPESCT précité.
([46]) . Vilardebo et al., « Chlordécone et autres insecticides dans la lutte contre le charançon du bananier », Revue Fruits, vol. 29, n° 4, pp. 267-278, avril 1974 : https://agritrop.cirad.fr/412378/1/document_412378.pdf
([47]) Rapport de l’OPESCT précité.
([48]) Audition du 1er juillet 2019.
([49]) Dose de 7,5 kg/ha contre le charançon du bananier.
([50]) Demande d’homologation de décembre 1980 (annexe 3, pièces n° 24, 25 et 26).
([51]) Annexe 3 pièces n°s 27 et 29.
([52]) Courrier du 9 mai 1988 (annexe 3, pièce n° 30).
([53]) Dose de 20 à 50 g autour du nid contre les fourmis.
([54]) Boîte d’appâts contre les fourmis.
([55]) Annexe 3, pièce n° 16.
([56]) Annexe 3, pièce n° 1.
([57]) Annexe 3, pièce n° 17.
([58]) Annexe 3, pièce n° 18.
([59]) Annexe 3, pièce n° 2.
([60]) Annexe 3, pièce n° 19.
([61]) Loi du 2 novembre 1943 relative à l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole.
([62]) Par dérogation à l’article 1er et à l’article 1er bis, des autorisations provisoires de vente pourront être données, sur proposition du comité d’études des produits définis à l’article 1er, pour les produits en instance d’homologation. Article 6 de la loi du 2 novembre 1943 en vigueur jusqu’au 22 décembre 1972.
([63]) Par dérogation à l’article 1er et à l’article 1er bis, des autorisations provisoires de vente ou d’importation pourront être données, sur proposition du comité d’études des produits définis à l’article 1er, pour les produits en instance d’homologation. L’autorisation provisoire de vente sera annulée d’office si l’homologation n’intervient pas dans un délai maximum de quatre ans. Toutefois, cette autorisation provisoire de vente pourra être exceptionnellement reconduite par les instances compétentes pour un délai maximum de deux ans. Article 6 de la loi du 2 novembre 1943 en vigueur du 23 décembre 1972 au 10 juillet 1999.
([64]) Annexe 3, pièce n° 20.
([65]) Audition SEPPIC, le 25 septembre 2019.
([66]) Annexe 3, pièce n° 3.
([67]) Annexe 3, pièce n° 4.
([68]) Annexe 3, pièce n° 5.
([69]) Annexe 3, pièce n° 6.
([70]) Annexe 3, pièce n° 7.
([71]) Annexe 3, pièce n° 9.
([72]) Annexe 3, pièce n° 18.
([73]) Annexe 3, pièce n° 10.
([74]) Annexe 3, pièce n° 11.
([75]) Directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.
([76]) Annexe 3, pièce n° 21.
([77]) Annexe 3, pièce n° 22.
([78]) Annexe 3, pièce n° 12.
([79]) Arrêté du 1er décembre 1987 relatif à l’homologation des produits visés aux points 4 et 7 de l’article 1er de la loi du 2 novembre 1943 sur l’organisation du contrôle des produits antiparasitaires à usage agricole Lorsqu’une spécialité est l’objet d’un retrait d’homologation, la vente, la mise en vente ainsi que toute distribution à titre gratuit par le demandeur responsable de la mise sur le marché français doivent cesser un an après la notification de ce retrait. Toutefois, un délai supplémentaire d’un an est toléré dans les mêmes conditions que ci-dessus.
([80]) Annexe 3, pièces n°s 13 et 14.
([81]) Audition du 25 septembre 2019.
([82]) Audition du 2 juillet 2019.
([83]) Audition du 16 septembre 2019 en Martinique.
([84]) Audition du 16 septembre 2019 en Martinique.
([85]) Audition du 18 septembre 2019 en Martinique.
([86]) Audition du 18 septembre 2019 en Martinique.
([87]) Audition du 18 septembre 2019 en Martinique.
([88]) Maire de Capesterre-Belle-Eau, ancien député de la Guadeloupe (2002-2007) et rapporteur de la mission d’information de 2005 sur l’utilisation du chlordécone et des autres pesticides dans l’agriculture martiniquaise et guadeloupéenne.
([89]) Audition du 21 septembre 2019 en Guadeloupe.
([90]) Audition du 2 juillet 2019.
([91]) Notes et procès-verbaux transmis à la commission d’enquête.
([92]) Dont le gérant est M. Henri Damoiseau.
([93]) Annexe 4, pièce n° 1.
([94]) Annexe 4, pièce n° 2.
([95]) Procès-verbal de déclaration du 17 août 1994.
([96]) Annexe 4, pièce n° 3.
([97]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([98]) Audition du 11 juillet 2019.
([99]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([100]) Audition du 11 juillet 2019.
([101]) Idem.
([102]) Ancien chercheur à l’INRA, pionnier des recherches sur la pollution des sols antillais.
([103]) Audition du 4 juillet 2019.
([104]) Audition du 9 juillet 2019.
([105]) Audition du 4 juillet 2019.
([106]) Cf. infra au C de la deuxième partie du présent rapport.
([107]) Audition du 9 juillet 2019.
([108]) Yves-Marie Cabidoche, Magali Jannoyer et al, « Pollution durable des sols par la chlordécone aux Antilles : comment la gérer ? », Innovations agronomiques 16 (2011), 117-133.
([109]) Yves-Marie Cabidoche et al, « Pollution par les organochlorés aux Antilles » Étude INRA - CIRAD, État des lieux et perspectives de recherche, juin 2006 : http://transfaire.antilles.inra.fr/IMG/pdf/pollution_par_les_organochlores_aux_Antilles-juin2006.pdf
([110]) En réponse écrite au questionnaire de la commission d’enquête.
([111]) Audition du 11 juillet 2019.
([112]) Audition du 8 juillet 2019.
([113]) Audition du 21 septembre 2019.
([114]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([115]) Audition du 4 juillet 2019.
([116]) Un bassin versant est l’espace terrestre drainé par un cours d’eau et ses affluents.
([117]) « Contamination des bassins versants de la Guadeloupe continentale par la chlordécone », septembre 2017.
([118]) 153 analyses d’eau portant sur 466 molécules différentes ont été effectuées : des résidus de produits ont été mis en évidence pour 84 % des bassins versants analysés en Basse-Terre et pour 79 % de ceux analysés en Grande-Terre.
([119]) Audition du 4 juillet 2019.
([120]) Idem.
([121]) Audition du 5 juillet 2019.
([122]) Audition du 4 juillet 2019.
([123]) Charlotte Dromardet al, Consolidation des connaissances sur la contamination de la faune halieutique par le chlordécone autour de la Martinique et de la Guadeloupe (Projet "CHLOHAL"), rapport de contrat, 2015 https://archimer.ifremer.fr/doc/00429/54058/.
([124]) À noter qu’aucune accumulation active laissant imaginer une phytoremédiation n’a été identifiée par le CIRAD (cf. C de la deuxième partie du présent rapport).
([125]) CIRAD., Transferts de la chlordécone du sol vers la plante, novembre 2010. https://ur-hortsys.cirad.fr/content/download/4815/34365/version/1/file/fichesCLDcirad.pdf
([126]) Audition du 4 juillet 2019.
([127]) Audition du 4 juillet 2019.
([128]) Audition du 2 juillet 2019.
([129]) Audition du 5 juillet 2019.
([130]) Une espèce qui vit en étroite relation avec les fonds marins contrairement aux espèces pélagiques, les poissons, qui vivent en pleine mer.
([131]) Audition du 8 juillet 2019.
([132]) Audition du 21 septembre 2019 en Guadeloupe.
([133]) Audition du 18 septembre 2019.
([134]) Audition du 4 juillet 2019.
([135]) Audition du 4 juillet 2019.
([136]) Audition du 4 juillet 2019.
([137]) Audition du 1er juillet 2019.
([138]) Audition du 4 juillet 2019.
([139]) Audition du 1er juillet 2019.
([140]) Cf. C de la première partie du présent rapport.
([141]) Institut de recherche en santé, environnement et travail, Études destinées à identifier les dangers et risques sanitaires associés à l’exposition au chlordécone https://www.irset.org/etudes-destinees-identifier-les-dangers-et-risques-sanitaires-associes-lexposition-au-chlordecone
([142]) Organisation mondiale de la santé, IARC Monographs, octobre 1979, https://monographs.iarc.fr/fr/agents-classes-par-les-monographies-du-circ-2/
([143]) Audition du 8 juillet 2019.
([144]) Audition du 1er juillet 2019.
([145]) Audition du 4 juillet 2019.
([146]) Philippe Quénel, Étude transversale sur la santé et les comportements alimentaires en Martinique ESCAL, https://epidemiologie-france.aviesan.fr/epidemiologie-france/fiches/etude-transversale-sur-la-sante-et-les-comportements-alimentaires-en-martinique.
([147]) INVS, Étude transversale sur les comportements alimentaires dans le sud Basse-Terre en Guadeloupe. 2004. Le volet « hygiène de vie et habitudes alimentaires » de Calbas a fait l’objet d’un rapport référencé : Cornely V, Théodore Mp Hygiène de vie et habitudes alimentaires dans une région de la Guadeloupe : le Sud Basse Terre en 2005 : Observatoire régional de la santé de Guadeloupe, 2007.
([148]) Audition du 1er juillet 2019.
([149]) Conduite sous le pilotage administratif des agences régionales de santé de Martinique et de Guadeloupe, en collaboration avec Santé publique France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et les Observatoires régionaux de santé.
([150]) Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013‑2014 : Étude Kannari https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/rapport-synthese/2018/impregnation-de-la-population-antillaise-par-la-chlordecone-et-certains-composes-organochlores-en-2013-2014-etude-kannari.
([151]) Luc Multigner, L Brureau, P. Blanchet, « Le cancer de la prostate aux Antilles françaises : état des lieux » Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2016 http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2016/39-40/pdf/2016_39-40_6.pdf
([152]) Audition du 8 juillet 2019.
([153]) Audition du 1er juillet 2019.
([154]) Inserm, Expertise collective Exposition aux pesticides et au chlordécone - Risque de survenue d’un cancer de la prostate, 2013, https://www.inserm.fr/information-en-sante/expertises-collectives/pesticides-effets-sur-sante.
([155]) Audition du 1er juillet 2019.
([156]) Audition du 2 juillet 2019.
([157]) Audition du 1er juillet 2019.
([158]) Audition du 11 juillet 2019.
([159]) Audition du 11 juillet 2019.
([160]) Audition du 1er juillet 2019.
([161]) Audition du 1er juillet 2019.
([162]) Ce point sera plus largement développé infra au C de la deuxième partie du présent rapport.
([163]) Audition du 16 septembre 2019 en Martinique.
([164]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([165]) Voir D de la première partie du présent rapport.
([166]) Unité de mesure de la quantité de travail humain fourni dans l’agriculture.
([167]) Audition du 1er juillet 2019.
([168]) Audition du 18 septembre 2019 en Martinique.
([169]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([170]) Audition précitée du 4 juillet 2019.
([171]) Capacité d’un territoire à couvrir, par sa production, les besoins de sa population.
([172]) Agreste – Graphagri 2018.
([173]) Audition du 1er juillet 2019.
([174]) Déclaration d’Emmanuel Macron a Morne Rouge le 27 septembre 2018.
([175]) Audition du 14 septembre 2019.
([176]) Audition du 15 septembre 2019.
([177]) Chloé Merlin, Recherche de la signature biologique de la dégradation du chlordécone dans le sol des Antilles françaises, INRA Dijon, Université de Bourgogne, 2015.
([178]) Audition du 1er juillet 2019 ; Samuel S. Epstein, “Kepone-Hazard evaluation”, Science of The Total Environment, January 1978 ; Michael R. Reich and Jaquelin K. Spong, Kepone : a chemical disaster in Hopewell, Virginia, Int J Health Serv. 1983.
([179]) Audition du 25 septembre 2019.
([182]) Jurisprudence Dale F. Gilbert v. Allied Chemical, 6 avril 1976 https://law.justia.com/cases/federal/district-courts/FSupp/411/505/1643840/ ; jurisprudence William P. Moore v. Allied Chemical, 17 juillet 1979 https://law.justia.com/cases/federal/district-courts/FSupp/480/364/1531604/ ; jurisprudence Charles G. Adams v. Allied Chemical, 30 décembre 1980 https://law.justia.com/cases/federal/district-courts/FSupp/503/253/1466868/.
([183]) EPA, Mitigation feasibility for the kepone-contaminated Hopewell/St-James areas, 9 juin 1978 : https://nepis.epa.gov/Exe/ZyNET.exe/9101M67X.txt?ZyActionD=ZyDocument&Client=EPA&Index=1976%20Thru%201980&Docs=&Query=&Time=&EndTime=&SearchMethod=1&TocRestrict=n&Toc=&TocEntry=&QField=&QFieldYear=&QFieldMonth=&QFieldDay=&UseQField=&IntQFieldOp=0&ExtQFieldOp=0&XmlQuery=&File=D%3A%5CZYFILES%5CINDEX%20DATA%5C76THRU80%5CTXT%5C00000032%5C9101M67X.txt&User=ANONYMOUS&Password=anonymous&SortMethod=h%7C-&MaximumDocuments=1&FuzzyDegree=0&ImageQuality=r75g8/r75g8/x150y150g16/i425&Display=hpfr&DefSeekPage=x&SearchBack=ZyActionL&Back=ZyActionS&BackDesc=Results%20page&MaximumPages=1&ZyEntry=1.
([184]) Jack Cooksey, "What’s in the Water?", Richmond Magazine, Juin 2007
http://www.richmondmagazine.com/articles/whats-in-the-water-11-09-2008.html.
([185]) https://wydaily.com/local-news/2019/04/22/is-kepone-the-biggest-health-concern-in-the-james-river-perhaps-not/.
([186]) Richard Foster, “Kepone : The ‘Flour’ Factory”, Richmond Magazine, 8 juillet 2005 https://richmondmagazine.com/news/kepone-disaster-pesticide/
([187]) Jacques Snegaroff, « Les résidus d’insecticides organochlorés dans les sols et les rivières de la région bananière de Guadeloupe », Phytiatrie-Phytopharmacie, 1977 https://www.chlordecone-infos.fr/sites/default/files/documents/23_residus_insecticides_organochlores_region_bananiere_Guadeloupe.pdf.
([188]) Alain Kermarrec et al. Niveau actuel de la contamination des chaînes biologiques en Guadeloupe : pesticides et métaux lourds. Petit-Bourg (Guadeloupe), INRA, 1980.
([189]) Audition du 1er juillet 2019.
([190]) Audition du 25 septembre 2019.
([191]) Audition en table ronde des associations en Martinique, 25 septembre 2019 ; Pierre-Benoit Joly, La saga du chlordécone aux Antilles françaises Reconstruction chronologique 1968-2008, INRA/SenS et IFRIS, juillet 2010 https://www.anses.fr/fr/system/files/SHS2010etInracol01Ra.pdf
([192]) Audition du 11 juillet 2019.
([193]) Cité in Pierre-Benoit Joly, La saga du chlordécone aux Antilles françaises Reconstruction chronologique 1968-2008, INRA/SenS et IFRIS, juillet 2010
https://www.anses.fr/fr/system/files/SHS2010etInracol01Ra.pdf
([194]) Audition du 25 septembre 2019.
([195]) Audition du 25 septembre 2019.
([196]) Pierre-Benoit Joly, La saga du chlordécone aux Antilles françaises Reconstruction chronologique 1968‑2008, INRA/SenS et IFRIS, juillet 2010 https://www.anses.fr/fr/system/files/SHS2010etInracol01Ra.pdf.
([197]) Audition du 2 juillet 2019.
([198]) Audition du 25 septembre 2019.
([199]) Audition du 17 septembre 2019.
([200]) Audition du 14 septembre 2019.
([201]) La directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE) adoptée le 23 octobre 2000 établit un cadre pour une politique globale communautaire dans le domaine de l’eau. Cette directive vise à prévenir et réduire la pollution de l’eau, promouvoir son utilisation durable, protéger l’environnement, améliorer l’état des écosystèmes aquatiques (zones humides) et atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Elle impose notamment l’adoption de « plans de gestion » et de « programmes de mesures » appropriées à chaque masse d’eau.
([202]) Décret n° 95-363 du 5 avril 1995 modifiant le décret n° 89-3 du 3 janvier 1989 modifié relatif aux eaux destinées à la consommation humaine, à l’exclusion des eaux minérales naturelles.
([203]) Décret n° 95-635 du 6 mai 1995 relatif aux rapports annuels sur le prix et la qualité des services publics de l’eau potable et de l’assainissement.
([204]) Pour les pesticides dans l’eau au robinet du consommateur, l’arrêté du 11 janvier 2007 relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine mentionnées aux articles R. 1321-2, R. 1321-3, R. 1321-7 et R. 1321-38 du code de la santé publique prévoit que les limites de qualité sont fixées à 0,10 μg/L pour chaque pesticide (à l’exception de l’aldrine, la dieldrine, l’heptachlore et de l’heptachloroépoxyde : 0,03 μg/L) et 0,50 μg/L pour le total des substances mesurées. Le code de la santé publique établit également le programme d’analyses du contrôle sanitaire des eaux mis en place par les services santé-environnement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales.
([205]) Audition du 5 juillet 2019.
([206]) Pierre Balland, Robert Mestres, Marc Fagot, Rapport sur l’utilisation de produits phytosanitaires en Guadeloupe et en Martinique, septembre 1998 https://www.chlordecone-infos.fr/sites/default/files/documents/rapport-balland-mestres-fagot-1998.pdf
([207]) Audition du 11 juillet 2019.
([208]) Audition du 8 juillet 2019.
([209]) En d’autres termes, 0,5 microgrammes par kilogramme de poids corporel par jour.
([210]) Directives 86/362/CEE, 86/363/CEE et 90/642/CEE.
([211]) Instruction technique de la DGAL, 29 janvier 2019.
([212]) Audition du 2 juillet 2019.
([213]) Audition du 20 septembre 2019 en Guadeloupe.
([214]) Audition du 25 septembre 2019.
([215]) Audition du 25 septembre 2019.
([216]) Audition du 8 juillet 2019.
([217]) Audition du 2 juillet 2019.
([218]) Audition du 5 juillet 2019.
([219]) La Rapporteure y reviendra infra au A de la deuxième partie du présent rapport.
([220]) Audition du 4 juillet 2019.
([221]) Audition du 4 juillet 2019.
([222]) Audition du 4 juillet 2019.
([223]) Audition du 1er juillet 2019.
([224]) Audition du 1er juillet 2019.
([225]) Audition du 5 juillet 2019.
([226]) Audition du 9 juillet 2019.
([227]) Audition du 5 juillet 2019.
([228]) Audition du 2 juillet 2019.
([229]) Audition du 2 juillet 2019.
([230]) Audition du 11 juillet 2019.
([231]) Audition du 25 septembre 2019.
([232]) Audition du 5 juillet 2019.
([233]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([234]) Audition du 19 septembre 2019.
([235]) Plan d’action Chlordécone en Martinique et en Guadeloupe 2008-2010, 3 juin 2008 https://www.chlordecone-infos.fr/sites/default/files/documents/chlordecone-plan-DGS-11juin2008.pdf.
([236]) Plan d’action contre la pollution par la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique https://chlordecone.anses.fr/sites/default/files/documents/plan_action_chordecone_2011.pdf.
([237]) Plan d’action contre la pollution par la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique 2014-2020, 11 mars 2015 https://chlordecone.anses.fr/sites/default/files/documents/plan_chlordecone_iii.pdf
([238]) Audition du 25 septembre 2019 en Martinique.
([239]) Réponses écrites adressées à la Rapporteure.
([240]) Audition du 11 juillet 2019.
([241]) Audition du 21 septembre 2019.
([242]) Audition du 21 septembre 2019.
([243]) Claude Gaumand, Alain. Gravaud, Xavier de Verdelon et Michel Vernerey, Évaluation des actions menées en rapport avec la présence de chlordécone et autres pesticides organochlorés en Guadeloupe et en Martinique, avril 2005 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/054000630.pdf
([244]) Rapport Assemblée nationale n° 1778 de M. Jean-Yves Le Déaut, député, et Mme Catherine Procaccia, sénateur, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé « Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », le 24 juin 2009 http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/rap-off/i1778.pdf.
([245]) Alain Féménias (CGEDD), Philippe Blanchard (IGAS), Hervé Gillet (CGAAER), Armand Renucci (IGAENR), Évaluation des plans d’action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe), octobre 2011 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/124000126.pdf.
([246]) Audition du 25 septembre 2019.
([247]) Imprégnation de la population antillaise par la chlordécone et certains composés organochlorés en 2013‑2014 : Étude Kannari https://www.santepubliquefrance.fr/regions/antilles/documents/rapport-synthese/2018/impregnation-de-la-population-antillaise-par-la-chlordecone-et-certains-composes-organochlores-en-2013-2014-etude-kannari.
([248]) Audition du 8 juillet 2019.
([249]) Audition du 25 septembre 2019.
([250]) Louis Boutrin, Raphaël Confiant, Le scandale du chlordécone aux Antilles françaises 1972-2002, Chronique d’un empoisonnement annoncé, L’harmattan, 2007.
([251]) Audition du 25 septembre 2019.
([252]) Audition du 8 juillet 2019.
([253]) https://carto.geomartinique.fr/1/layers/pref_chlordecone_analyse_sol_s_972.map et http://daaf.guadeloupe.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Guadeloupe_cle015bef.pdf.
([254]) Audition du 4 juillet 2019.
([255]) Audition du 4 juillet 2019.
([256]) Audition du 5 juillet 2019.
([257]) Voir D de la première partie du présent rapport.
([258]) Cf. encadré sur les valeurs toxicologiques de référence (VTR) et limites maximales de résidus (LMR), infra au D de la première partie du présent rapport.
([259]) Voir le rapport précité n° 1778 de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, (OPECST) « Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution », 24 juin 2009.
([260]) L’action 3 relative à la cartographie de pollution des sols par la chlordécone vise à améliorer l’information sur la pollution des terrains non agricoles et à la mettre à disposition de la population au moyen de cartes, en développant une représentation à la parcelle. Elle a démarré début 2016 : 774 et 792 lieux de prélèvements ont été sélectionnés par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en zones péri‐urbaines respectivement en Martinique et Guadeloupe et des prestataires ont réalisé les prélèvements et les analyses.
([261]) Audition du 4 juillet 2019.
([262]) Audition du 4 juillet 2019.
([263]) http://www.outre-mer.gouv.fr/sites/default/files/20190613_affiche_feuille_de_route_chlordecone.pdf.
([264]) Audition du 4 juillet 2019.
([265]) Audition du 25 septembre 2019.
([266]) Audition du 4 juillet 2019.
([267]) Audition du 4 juillet 2019.
([268]) Audition du 1er juillet 2019.
([269]) Audition du 11 juillet 2019.
([270]) http://www.outre-mer.gouv.fr/sites/default/files/20190613_affiche_feuille_de_route_chlordecone.pdf.
([271]) Audition du 1er juillet 2019.
([272]) Source : Agreste.
([273]) Source : idem.
([274]) Ses objectifs sont d’améliorer l’approvisionnement des DOM en produits agricoles essentiels, de maintenir les filières historiques d’export et d’améliorer l’auto-approvisionnement local par le soutien des productions de diversification.
([275]) Audition du 1er juillet 2019.
([276]) Idem.
([277]) Idem.
([278]) Audition du 1er juillet 2019.
([279]) Idem.
([280]) Audition du 1er juillet 2019.
([281]) Idem.
([282]) Idem.
([283]) Idem.
([284]) Réponse au questionnaire de la DGOM.
([285]) Avis budgétaire n° 2298 de M. Max Mathiasin, rapporteur pour avis sur la mission « Outre-mer », présenté au nom de la Commission des affaires économiques sur le projet de loi de finances pour 2020 (N° 2272), enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 octobre 2019. http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/budget/plf2020/a2298-tXII.pdf
([286]) Proposition de loi n° 2060 permettant des adaptations législatives visant à confirmer la compétence du département de La Réunion dans le secteur rural, agricole et forestier, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2019. http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion2060.pdf
([287]) Audition du 9 juillet 2019.
([288]) Document remis à la commission d’enquête.
([289]) Audition du 8 juillet 2019.
([290]) Document remis à la commission d’enquête.
([291]) Cf ; A de la deuxième partie du présent rapport.
([292]) Audition du 25 septembre 2019.
([293]) Les organisations interprofessionnelles agricoles intègrent en un seul organisme l’ensemble des maillons d’une filière du producteur au distributeur. Elle est le lieu privilégié pour la définition des démarches de qualité des filières.
([294]) Tous services confondus.
([295]) Audition du 2 juillet 2019.
([296]) Audition du 2 juillet 2019.
([297]) Audition du 2 juillet 2019.
([298]) Audition du 11 juillet 2019.
([299]) Note écrite transmise à la commission d’enquête.
([300]) Note de la DGCCRF transmise à la commission d’enquête.
([301]) Cf. D de la première partie du présent rapport.
([302]) Site du programme : https://titiri.ireps.gp/
([303]) Réponse écrite au questionnaire de la commission d’enquête
([304]) Audition du 25 septembre 2019.
([305]) Audition du 14 octobre 2019.
([306]) Audition du 25 septembre 2019.
([307]) Audition du 25 septembre 2019.
([308]) À titre d’exemple, l’audition de Sarra Gaspard en Guadeloupe, porteuse d’un projet estimé à environ un million d’euros pour réaliser des essais de dépollution microbiologique des sols pollués.
([309]) Audition du 11 juillet 2019.
([310]) Audition du 4 juillet 2019.
([311]) Audition du 1er juillet 2019.
([312]) Audition du 11 juillet 2019.
([313]) Rapport de l’OPECST n° 1778 précité, présenté par M. Jean-Yves Le Déaut et Mme Catherine Procaccia, Impacts de l’utilisation de la chlordécone et des pesticides aux Antilles : bilan et perspectives d’évolution, 24 juin 2009.
([314]) Thierry Woignier, et al. The pesticide chlordecone is trapped in the tortuous mesoporosity of allophane clays, 2 Mai 2018.
([315]) Yves-Marie Cabidoche, Pollution durable des sols par la chlordécone aux Antilles : comment la gérer ?, 2011.
([316]) Audition du 11 juillet 2019.
([317]) Florence Clostre, Magalie Lesueur Jannoyer, Conclusions de l’atelier « Remédiation à la pollution par la chlordécone aux Antilles », 17-19 mai 2010 et 20-22 mai 2010.
([318]) Yves-Marie Cabidoche, ouvrage précité.
([319]) Audition du 9 juillet 2019.
([320]) Audition du 4 juillet 2019.
([321]) Hervé Macarie, Approche théorique de la biodégradation de la chlordécone In Lesueur Jannoyer et al. Crisis Management of Chronic Pollution : Contaminated Soil and Human Health. Boca Raton : CRC Press, 2016.
([322]) Audition du 9 juillet 2019.
([323]) Thierry Woignier et al. , « Une innovation agroécologique : la séquestration des pesticides. » Sciences Eaux & Territoires, 2015.
([324]) Audition du 9 juillet 2019.
([325]) Audition du 9 juillet 2019.
([326]) Audition du 11 juillet 2019.
([327]) Déclaration d’Emmanuel Macron a Morne Rouge le 27 septembre 2018.
([328]) Audition du 11 juillet 2019.
([329]) Audition du 4 juillet 2019.
([330]) Audition du 25 septembre 2019.
([331]) Loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.
([332]) Point presse du Président Emmanuel Macron dans une exploitation agricole en Martinique, 27 septembre 2018 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/09/27/point-presse-du-president-emmanuel-macron-dans-une-exploitation-agricole-en-martinique
([333]) Audition du 14 septembre 2019.
([334]) Audition du 15 septembre 2019.
([335]) Santé publique France, Évaluation des expositions professionnelles aux pesticides utilisés dans la culture de la banane aux Antilles et description de leurs effets sanitaires : Projet Matphyto DOM https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/pesticides/documents/rapport-synthese/evaluation-des-expositions-professionnelles-aux-pesticides-utilises-dans-la-culture-de-la-banane-aux-antilles-et-description-de-leurs-effets-sanita
([336]) Article L. 461-1 du code de la sécurité sociale et articles L. 751-7 (salariés agricoles) et L. 752-2 (non‑salariés agricoles) du code rural et de la pêche maritime.
([337]) Audition du 5 juillet 2019.
([338]) Audition du 4 juillet 2019.
([339]) Ce comité est composé de trois médecins (un médecin-conseil régional, un médecin inspecteur régional du travail et un professeur des universités-praticien hospitalier ou praticien-hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle).
([340]) Audition du 8 juillet 2019.
([341]) Laurence Eslous (IGAS), Pierre Deprost (IGF), Jean-Bernard Castet (IGF) et Xavier Toussaint (CGAAER), La création d’un fonds d’aide aux victimes de produits phytopharmaceutiques, rapport de la mission de l’inspection générale des affaires sociales, de l’inspection générale des finances et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, janvier 2018 (http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2017-M-043-03-DEF.pdf).
([342]) Audition du 5 juillet 2019.
([343]) Assemblée nationale, rapport (n° 852) de la mission d’information commune sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, 4 avril 2018 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/rap-info/i0852.pdf).
([344]) Proposition de loi (n° 630) rapportée par M. Dominique Potier et enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 janvier 2019.
([345]) Audition du 25 septembre 2019.
([346]) Voir l’encadré sur les valeurs toxicologiques de référence (VTR) et limites maximales de résidus (LMR) au D de la première partie du présent rapport.
([347]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([348]) Arrêté du 23 mai 2019 modifiant l’arrêté du 25 janvier 2019 relatif aux limites maximales applicables aux résidus de chlordécone que ne doivent pas dépasser certaines denrées alimentaires d’origine végétale et animale pour être reconnues propres à la consommation humaine.
([349]) Audition en Martinique du 18 septembre 2019.
([350]) Audition en Martinique du 18 septembre 2019.
([351]) Audition en Martinique du 18 septembre 2019.
([352]) Audition en Martinique du 18 septembre 2019.
([353]) Audition en Guadeloupe du 19 septembre 2019.
([354]) Rapport d’information n° 2263 du 9 octobre 2019.
([355]) « L’économie bleue dans l’Outre-mer », Les notes de l’Institut d’émission, IEDOM, janvier 2018.
([356]) Arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnées, aux traitements et mentions d’étiquetage particuliers des eaux minérales naturelles et de source conditionnées ainsi que de l’eau minérale naturelle distribuée en buvette publique.
([357]) Audition du 5 juillet 2019.
([358]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([359]) Audition de du 11 juillet 2019.
([360]) Audition du 21 septembre 2019.
([361]) Rapport d’information n° 2263 du 9 octobre 2019.
([362]) Audition du 20 septembre 2019 en Guadeloupe.
([363]) Audition du 20 septembre 2019 en Guadeloupe.
([364]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([365]) Audition du 17 octobre 2019.
([366]) Alain Féménias (CGEDD), Philippe Blanchard (IGAS), Hervé Gillet (CGAAER), Armand Renucci (IGAENR), Évaluation des plans d’action Chlordécone aux Antilles (Martinique, Guadeloupe), octobre 2011 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/124000126.pdf
([367]) Audition du 5 juillet 2019.
([368]) Audition du 19 septembre 2019 en Guadeloupe.
([369]) Toutes cultures hors canne à sucre et banane.
([370]) Audition du 18 septembre 2019 en Martinique.
([371]) Rapport d’information n° 2263 du 9 octobre 2019.
([372]) Ce rapport précise : « En Guadeloupe, une structure de formation aux métiers de la mer devrait voir le jour dans le collège de Terre-de-Bas dans l’archipel des Saintes. En Martinique, le futur Institut de l’économie bleue et de la mer (IEBM) devrait être multisectoriel avec une ouverture sur la Caraïbe [...]. ».
([373]) Désormais refondu dans le cadre du règlement (UE) 2019/1021 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019.
([374]) Cf. C. de la deuxième partie.