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N° 2111

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2019

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION D’enquête

sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité,

qu’il s’agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou
de la police municipale

 

Président

M. Jean-Michel Fauvergue,

 

Rapporteur

M. Christophe NAEGELEN,

 

Députés

——

 


—  1  —

 

La commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité est composée de : M. Jean-Michel Fauvergue, président ; M. Christophe Naegelen, rapporteur ; Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Josy Poueyto, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Alice Thourot, vice-présidents ; M. Jean-Claude Bouchet, M. Joaquim Pueyo, Mme Nicole Trisse, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon secrétaires ; M. Xavier Batut, Mme Aurore Bergé, M. Ugo Bernalicis, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, M. Jean-François Eliaou, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, Mme Christine Hennion, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Kuster, M. David Lorion, M. Denis Masséglia, M. Jean-Michel Mis, M. Stéphane Peu, M. Bruno Questel

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du président de la commission d’enquête

Introduction

Synthèse des propositions

I. Une situation critique maintes fois dénoncée

A. L’immobilier et l’équipement, variables d’ajustement du budget des forces de sécurité intérieure

1. Des casernes et des commissariats abandonnés par la puissance publique

a. Un parc immobilier toujours dans une situation critique

b. Des efforts encore insuffisants par rapport aux besoins

i. Un désinvestissement immobilier massif

ii. Des besoins criants mais un chiffrage imparfait

c. Des décisions d’investissement immobilier trop peu lisibles

2. Un équipement de sécurité qui n’est pas à la hauteur des enjeux opérationnels

a. Des crédits d’équipement encore insuffisants

b. Un parc de véhicules vieillissant

c. Des agents insuffisamment protégés dans un contexte opérationnel intense et évolutif

B. Une gestion des ressources humaines coûteuse et source de frustrations

1. Des rythmes de travail atypiques

a. Le casse-tête des heures supplémentaires dans la police nationale

b. Une réforme des cycles horaires qu’il est urgent de faire aboutir

c. Un engagement opérationnel particulièrement intense dans la gendarmerie nationale

d. Des heures supplémentaires qui commencent aussi à s’accumuler dans l’administration pénitentiaire

2. Des difficultés d’attractivité et de fidélisation patentes

a. Les problèmes de fidélisation de la filière investigation

b. La faible attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire

C. Un sentiment partagé de confusion dans les missions

1. La persistance de « tâches indues »

2. Une confusion plus qu’une complémentarité dans les missions

a. Une confusion croissante entre les missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique

b. Une coordination insuffisante entre les forces contribuant à la sécurité publique

c. Des missions nouvelles pour l’administration pénitentiaire

3. Une charge procédurale qui reste insupportable en dépit des réformes successives

a. Des évolutions souvent incomprises par les agents

b. Une dématérialisation très attendue

c. Des réformes souvent inappliquées

II. Une réforme profonde et innovante des forces de sécurité est indispensable

A. Fixer des priorités claires et stables dans le temps

1. Adopter une loi de programmation de la sécurité intérieure, levier d’une profonde réforme

2. « Sincériser » le budget des forces de sécurité intérieure autour des besoins immobiliers réels

a. Prévoir un plan immobilier adapté aux besoins

b. Pour une mise en réserve de précaution pertinente

3. Augmenter les crédits en faveur du renouvellement des véhicules

a. Acquérir des véhicules plus adaptés

b. Offrir de la souplesse grâce à l’externalisation de certaines prestations

4. Engager l’investissement nécessaire à la dématérialisation de la procédure pénale

a. S’assurer du respect du calendrier fixé et évaluer le coût du programme

b. Consolider les systèmes informatiques

c. Assurer l’interopérabilité des logiciels de procédure pénale

5. Mettre en œuvre un programme volontariste en faveur des réserves opérationnelles

a. Fixer des priorités claires à la mobilisation des réserves opérationnelles

b. Faciliter les relations avec les employeurs

c. Permettre aux réservistes les plus expérimentés de conserver leur habilitation d’officier de police judiciaire

d. Ouvrir largement la réserve de la police nationale aux citoyens

B. Alléger enfin la charge procédurale

1. Tirer pleinement parti des possibilités offertes par la numérisation

2. Étendre le recours à la procédure de l’amende forfaitaire

a. Des freins juridiques et techniques qui tardent à être levés

b. Un champ d’application qui pourrait être encore étendu

3. La réduction des « tâches indues »

4. Renforcer les contrôles en prison en simplifiant les exigences pesant sur les surveillants

C. Se doter d’une organisation adaptée aux nouveaux défis

1. Faire confiance aux décideurs locaux en leur donnant plus de marges de manœuvre

a. Donner des marges de manœuvre aux responsables locaux

b. Achever les mutualisations au niveau zonal

2. Poursuivre la mutualisation des services au niveau central pour plus d’efficacité

a. Créer de grandes directions générales pour les fonctions support mutualisées

b. Renforcer l’autorité des directions centrales de la direction générale de la police nationale sur les services de la préfecture de police

c. Créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale

D. Revoir l’organisation du maintien de l’ordre

1. Un nouveau schéma national du maintien de l’ordre

a. Prendre en compte les nouvelles formes de mobilisation sociale

b. Poursuivre la réflexion sur les interpellations en cours de manifestation

c. Faciliter la mise en cause pénale des manifestants violents

2. Pour un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité.

a. Renforcer les compagnies républicaines de sécurité

b. Rendre aux escadrons de gendarmerie mobile leurs effectifs initiaux

3. Pour un plan d’équipement « maintien de l’ordre »

a. Tirer profit des innovations dans l’imagerie et la communication

b. Renouveler les véhicules des escadrons de gendarmerie mobile

E. Moderniser la gestion des ressources humaines

1. Prendre des mesures innovantes pour attirer et fidéliser

2. Faire évoluer la formation des policiers

a. Créer une académie de police commune aux trois corps de la police nationale

b. Remédier aux lacunes de la formation continue

3. Mieux valoriser l’engagement au service de la sécurité des Français

F. Asseoir le rôle et la place des polices municipales

1. Constituer une école nationale de police municipale sous l’égide du ministère de l’intérieur

2. Définir un équipement minimal obligatoire

3. Aménager un accès adapté aux fichiers de police

4. Harmoniser les statuts entre police municipale et gardes champêtres

Examen en commission

Contributions des groupes politiques

Liste des personnes auditionnées par lA COMMISSION d’ENQUÊTE

Déplacements effectués par la commission d’enquête

annexes

I. notes

Annexe 1 : L’évolution de la structure des dépenses des forces de l’ordre

Annexe 2 : Des avancées significatives dans le domaine indemnitaire  en 2016 et 2018

Annexe 3 : La protection fonctionnelle des forces de sécurité intérieure

Annexe 4 : Le recours à des agents de sécurité privée

Annexe 5 : La coopération entre les forces de sécurité de l’État et les polices municipales

II. Analyse par le rapporteur des Résultats de la consultation des membres des forces de sécurité intérieure

III. comptes rendus des auditions

Audition du 6 mars 2019

Audition du 7 mars 2019

Audition du 21 mars 2019

Audition du 21 mars 2019

Audition du 27 mars 2019

Audition du 28 mars 2019

Audition du 2 avril 2019

Audition du 4 avril 2019

Audition du 9 avril 2019

Audition du 10 avril 2019

Audition du 10 avril 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 14 mai 2019

Audition du 15 mai 2019

Audition du 16 mai 2019

Audition du 16 mai 2019

Audition du 21 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 23 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 4 juin 2019

Audition du 4 juin 2019

Audition du 5 juin 2019

Audition du 19 juin 2019


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   Avant-propos
du président de la commission d’enquête

Avant d’être élu député, j’ai consacré la majeure partie de ma vie
– quarante ans – à la sécurité des Français, en les servant au sein de la police nationale.

Au fil des années, j’ai vu la situation des forces de sécurité se dégrader, leur efficacité diminuer, à l’image de leur présence sur la voie publique. Nombreux parmi les femmes et les hommes qui servent dans la police ou la gendarmerie travaillent dans des conditions déplorables, générées notamment par la vétusté des bâtiments et un manque de moyens logistiques et techniques.

Pourtant la situation dégradée des conditions de travail de nos forces de sécurité ne saurait être réduite à des arbitrages budgétaires, dont la mise en œuvre se fait souvent attendre, ou de nouvelles vagues de recrutements, d’autant que certains concours ne font plus recette. La filière « police judiciaire » en est une bonne illustration.

Cette commission d’enquête formule des propositions à l’élaboration desquelles ont contribué chacun de ses membres, mais aussi les services de l’Assemblée nationale : qu’ils soient tous ici remerciés pour leur engagement. Plusieurs de ces propositions sont déjà présentes dans le rapport parlementaire sur la sécurité globale remis au Premier ministre avec Alice Thourot en septembre 2018.

Nos rapports se suivent et se ressemblent : qu’ils soient préparés à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances, commandés par l’exécutif dans le cadre d’une mission parlementaire, ou fruit des travaux d’une commission d’enquête, leurs conclusions convergent vers une nécessaire réorganisation, une meilleure coordination de la sécurité en France : certains services coexistent parfois jusqu’en triple, au sein de la police, de la gendarmerie et de la préfecture de police de Paris par exemple (police judiciaire, renseignement, police technique et scientifique…). La restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métier permettrait de redéployer des effectifs sur le terrain, au service de la sécurité du quotidien des Français appelée de ses vœux par le Président de la République.

Les Français le méritent, comme celles et ceux qui veillent sur eux chaque jour, souvent au péril de leur vie. Cette commission d’enquête nous a permis une nouvelle fois d’aller à leur rencontre, d’entendre leurs représentants dans le cadre d’auditions enrichissantes pour l’ensemble des députés. Au nom de mes collègues, je tiens à les remercier du temps qu’ils ont bien voulu nous consacrer en plus de leurs missions quotidiennes, de la sincérité de leurs témoignages, de leur passion pour le métier qu’ils exercent avec courage et dévouement.

 


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   Introduction

Les forces de sécurité intérieure sont confrontées depuis des années à une pression opérationnelle inédite, qui a trois causes principales :

– le maintien de la menace terroriste à un niveau élevé, qui justifie une sécurisation accrue des grands événements sportifs ou culturels ainsi que des gardes statiques ;

– une poussée migratoire historique, avec l’entrée de deux millions de personnes dans l’espace Schengen en 2015, et l’interpellation de plus de 80 000 personnes entrées irrégulièrement sur le territoire entre 2017 et 2018 ;

– la radicalisation de la contestation sociale, qui s’est traduite par des manifestations d’ampleur attirant des groupes violents, présents aussi bien à Notre-Dame-des-Landes, Bure et Kolbsheim qu’à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, du fait d’un regain de tensions, qu’à Paris, et dans d’autres grandes villes, enfin, à l’occasion des manifestations des « Gilets Jaunes ».

En plus du nombre croissant de sollicitations sur un nombre toujours plus important de théâtres de crise, ce sont véritablement les conditions dans lesquelles les agents des forces de sécurité intérieure, qu’ils soient policiers ou gendarmes, policiers municipaux ou agents pénitentiaires, vivent et travaillent, qui provoquent un sentiment d’abandon. À cela s’ajoute le manque de moyens et l’inadéquation de ceux-ci pour la conduite de leurs missions, qui génère une forme d’exaspération.

Enfin leur frustration grandit aussi, du fait de la multiplication de tâches administratives toujours plus chronophages et complexes les empêchant de se consacrer à leurs missions premières et ce, malgré des réformes qui, bien qu’inspirées par les meilleures intentions ne sont pas appliquées. Il est nécessaire d’ajouter à cela non seulement une procédure judiciaire toujours plus complexe mais aussi une réponse pénale parfois décourageante et démotivante.

La Nation doit enfin donner aux forces de sécurité intérieure les moyens d’accomplir les missions qu’elle leur confie.

La première réponse due aux forces de sécurité intérieure est un cadre d’action clair et des réformes effectives. Une programmation budgétaire est plus que jamais nécessaire, afin de consacrer un ambitieux plan d’investissement immobilier et de renouvellement des équipements.

 

 

L’allégement de la charge procédurale et administrative peine à se concrétiser ; elle pèse sur les agents et les détourne de leur cœur de métier. La simplification de la procédure pénale, plusieurs fois annoncée, doit enfin se mettre en place, en élargissant notamment le recours à l’amende forfaitaire. Afin de remettre les policiers et gendarmes sur le terrain, il est urgent de supprimer les « tâches indues » qui leur sont imposées, en les transférant vers d’autres services de l’État ou vers les collectivités territoriales.

Au-delà des moyens, l’organisation doit être revue pour donner aux décideurs locaux des marges de manœuvre plus importantes, notamment en matière budgétaire. Les responsables d’unités doivent disposer des moyens d’adapter leur fonctionnement aux enjeux de terrain.

Au niveau central, il est nécessaire de poursuivre les mutualisations pour plus d’efficience. Cette réorganisation doit permettre de bénéficier pleinement des possibilités ouvertes par le numérique, mais également de développer la recherche et le développement au profit des deux forces. La réforme serait enfin l’occasion de mettre fin au fonctionnement « en tuyaux d’orgue » de la police nationale. En particulier, la création d’une direction des ressources humaines au sein de la police serait une simplification bienvenue qui permettrait de renforcer le pilotage stratégique de cette fonction.

La question du maintien de l’ordre a beaucoup mobilisé la commission d’enquête car l’intensité opérationnelle des derniers mois a crûment mis en lumière les limites des moyens des unités mobiles. La baisse de leurs effectifs et la vétusté de leurs véhicules, couplées à l’évolution des formes de la contestation sociale et au développement du phénomène des « casseurs » ont fait apparaître des lacunes qu’il faut rapidement combler. Il faut aujourd’hui accorder une priorité budgétaire claire à cette ambition, avec de nouveaux recrutements et un équipement renouvelé qui tirerait pleinement parti des évolutions technologiques. L’exercice croissant de missions relevant du maintien de l’ordre par des unités normalement dédiées à la sécurité publique est un autre point d’attention, qui justifie un programme de formation et d’équipement spécifique.

Le sursaut observé dans le nombre de candidats aux concours de recrutement des forces de sécurité intérieure après les attentats qui ont frappé notre pays ces quatre dernières années témoigne de la vivacité du besoin d’engagement parmi les jeunes Français. Afin de conforter cet élan et pour répondre aux besoins de recrutement, il est essentiel de renforcer l’attractivité des métiers concourant à la sécurité intérieure, en organisant des concours au niveau territorial ou en ouvrant le recrutement de certaines spécialités aux contractuels. La formation initiale et continue doivent être profondément revues, l’une pour développer un véritable esprit de cohésion entre les corps et favoriser une gestion plus souple des ressources humaines ; l’autre pour véritablement entretenir et accroître les compétences, plutôt que de créer les conditions de leur attrition par des contraintes insurmontables.

Dernier sujet d’importance, l’émergence des polices municipales impose des évolutions du cadre légal et de l’organisation des forces de sécurité. Une première étape serait la constitution d’une école nationale de police municipale, afin d’harmoniser les formations reçues par les agents municipaux. L’harmonisation de leur cadre d’emploi avec celui des gardes champêtres permettra de faire émerger une catégorie unifiée d’agents municipaux de sécurité publique chargés de l’exécution des arrêtés du maire. Enfin, étendre l’accès des policiers municipaux aux fichiers de police leur permettrait de remplir leurs missions de police de la route avec plus d’efficacité et dans de meilleures conditions de sécurité.

Après avoir dressé le constat d’une situation critique, maintes fois analysée et dénoncée, des forces de sécurité intérieure, le rapporteur formule des propositions pour une réforme profonde et durable.


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Synthèse des propositions

A.   Des priorités claires et stables dans le temps

Proposition n° 1 : mettre en place une loi de programmation de la sécurité intérieure permettant d’offrir de la visibilité aux futurs investissements indispensables ainsi qu’aux réorganisations nécessaires.

Proposition n° 2 : chiffrer précisément les besoins immobiliers des deux forces qui serviront de base à une programmation cohérente de la remise à niveau du parc, en garantissant un investissement annuel minimal supplémentaire de 50 millions d’euros pour chacune des deux forces.

Proposition n° 3 : calculer le montant de la réserve de précaution uniquement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de leur calcul les budgets alloués aux loyers de la gendarmerie représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

Proposition n° 4 : poursuivre le renouvellement des parcs de véhicules en élargissant le recours à la location ou leasing.

Proposition n° 5 : développer le recours à l’externalisation, et donc l’enveloppe de financement allant avec, pour les petites opérations d’entretien de véhicules afin de donner plus de souplesse aux responsables d’unités.

Proposition n° 6 : investir dans la dématérialisation de la procédure pénale puis veiller à sa bonne mise en application :

– en déterminant les responsabilités respectives entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice ;

– en veillant à la sécurisation des systèmes d’information ;

– en assurant l’interopérabilité des logiciels.

Proposition n° 7 : garantir le potentiel d’emploi des réserves des deux forces et développer la réserve opérationnelle de la police en :

– sanctuarisant les crédits dédiés à la réserve à hauteur de 100 millions d’euros ;

– facilitant les relations entre les réservistes et leurs employeurs ;

– étudiant la possibilité de conserver au réserviste               retraité de la police et de la gendarmerie son habilitation OPJ ;

– permettant à des citoyens volontaires d’exercer des missions opérationnelles au sein de la police nationale, sur le modèle de la réserve citoyenne de la gendarmerie ;

B.   ALLÉGER ENFIN LA CHARGE PROCÉDURALE ET ADMINISTRATIVE

Proposition n° 8 : utiliser pleinement les possibilités offertes par le numérique en développant et en imposant l’utilisation de la vidéo-audience, en particulier dans les centres de rétention administrative.

Proposition n° 9 : conforter et étendre le recours à l’amende-forfaitaire en matière délictuelle pour garantir une réponse pénale effective et plus systématique.

– résoudre les difficultés techniques et juridiques qui empêchent l’application de la réforme relative aux amendes forfaitaires dans le champ délictuel ;

– demander un rapport au Gouvernement ou conduire une mission d’information parlementaire sur les causes du faible taux de recouvrement des amendes pénales et sur la part des amendes non recouvrées en application des dispositions relatives à la quotité insaisissable ;

– engager une réflexion sur l’amélioration du taux de recouvrement des amendes pénales, en permettant par exemple de procéder à des saisies sur les ressources financières et/ou sur les biens personnels ;

– ensuite, étendre le champ de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits.

Proposition n° 10 : accélérer la réduction des missions périphériques :

– transférer aux services de l’État l’établissement des procurations pour les élections ;

– transférer, aux municipalités ou aux services de l’État, la gestion de la perte de documents officiels ;

– achever le transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire ;

– externaliser les fonctions de greffe, d’accueil, de transport, ainsi que la sécurité incendie et la gestion administrative des centres de rétention administrative ;

– accélérer la conclusion de conventions entre les agences régionales de santé et les directions départementales de la sécurité publique pour permettre l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police.

Proposition n° 11 : créer les conditions d’une réponse éducative et pénale efficace aux actes de délinquance commis par des mineurs ; expérimenter notamment de permettre au juge de prononcer des peines citoyennes destinées aux majeurs civilement responsables après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

Proposition n° 12 : alléger les procédures administratives imposées aux agents de l’administration pénitentiaire.

C.   SE DOTER D’UNE ORGANISATION ADAPTÉE AUX NOUVEAUX DÉFIS

Proposition n° 13 : donner davantage de marges de manœuvre aux responsables locaux :

– développer le système des cartes d’achat ;

– augmenter les dotations financières aux mains des décideurs locaux.

              Proposition n° 14 : déconcentrer des enveloppes de crédits pour les achats d’équipements spécifiques en urgence dans les SGAMI.

Proposition n° 15 : Poursuivre la création de grandes directions générales sous l’autorité directe du ministre pour les fonctions support mutualisées :

– un service ministériel des achats ;

– une direction générale du numérique ;

– une direction de la recherche et du développement ;

– un service de la communication.

Proposition n° 16 : renforcer l’autorité des directions centrales sur certains services de la préfecture de police pour opérer les mutualisations indispensables et fluidifier les carrières.

Proposition n° 17 : réfléchir à l’opportunité de créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale chargée de mettre en œuvre une gestion cohérente des emplois et des compétences dans les services actifs.

D.   REVOIR L’ORGANISATION DU MAINTIEN DE L’ORDRE

Proposition n° 18 : élaborer un schéma national du maintien de l’ordre permettant de répondre aux nouvelles formes de mobilisation sociale, en consacrant le rôle des unités de sécurité publique.

 

Proposition n° 19 : poursuivre un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité

– renforcer les compagnies républicaines de sécurité pour revenir à un fonctionnement à quatre sections ;

– monter les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile pour porter leur nombre à 125 ce qui représenterait un coût supplémentaire de 32 millions d’euros.

Proposition n° 20 : développer le recours aux techniques d’imagerie modernes et de marqueurs :

– généraliser le recours à la vidéo lors des opérations de maintien de l’ordre à des fins judiciaires mais également opérationnelles et de formation ;

– généraliser l’utilisation de la captation vidéo et des drones par les unités de forces mobiles ainsi que la formation des pilotes ;

– après expérimentation, généraliser le recours aux marqueurs individuels dans la perspective de la mise en cause pénale des manifestants violents.

Proposition n° 21 : prévoir le renouvellement des véhicules de la gendarmerie et de la police dans la loi de programmation de la sécurité intérieure, notamment les VBRG et Irisbus sachant que le remplacement des seuls VBRG par des véhicules nouveaux nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Proposition n° 22 : prévoir des stocks mutualisés de matériel de maintien de l’ordre au niveau des brigades et des commissariats.

E.   MODERNISER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

Proposition n° 23 : expérimenter des dispositifs de recrutement innovants pour attirer ou fidéliser certaines compétences-clés :

– expérimenter des concours territorialisés pour certains emplois ;

– faciliter l’emploi de contractuels, notamment dans les métiers du numérique, pour certaines spécialités en tension ou dans certaines zones géographiques en utilisant les nouvelles possibilités offertes par la loi de transformation de la fonction publique.

Proposition n° 24 : créer une « académie de police » destinée à :

– revaloriser le temps de la formation initiale des policiers de tous les corps ;

– unifier la formation initiale des policiers nationaux, tout en organisant des filières ;

– organiser la formation continue ;

– développer la formation sous la forme d’exercices pratiques et de simulations ;

– favoriser l’intervention d’experts et d’associations sur des enjeux précis.

Proposition n° 25 : renforcer l’autorité de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) sur les directions opérationnelles pour mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente et prévisible.

Proposition n° 26 : supprimer certaines obligations réglementaires excessivement rigides comme le régime de renouvellement de l’habilitation à l’usage des « trois bâtons ».

F.   ASSEOIR LE RÔLE ET LA PLACE DES POLICES MUNICIPALES

Proposition n° 27 : faire des polices municipales des acteurs à part entière de la sécurité intérieure :

– créer une école nationale de formation des policiers municipaux sous l’égide du ministère de l’intérieur ;

– élargir les possibilités d’accès des policiers municipaux aux fichiers de police en leur garantissant, pour le fichier des personnes recherchées, l’accès au motif de la recherche ;

– harmoniser les statuts des policiers municipaux et gardes champêtres.

 


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I.   Une situation critique maintes fois dénoncée

Les moyens matériels dont bénéficient les forces de l’ordre n’ont cessé de se dégrader, au point de porter atteinte à l’exercice de leurs missions.

A.   L’immobilier et l’équipement, variables d’ajustement du budget des forces de sécurité intérieure

Le constat de ne plus avoir les moyens de faire leur travail correctement est partagé par de nombreux gendarmes et policiers, tant l’équipement des forces et l’investissement immobilier ont été des variables d’ajustement dans un contexte de rationalisation budgétaire.

Les dix dernières années ont été marquées par une forme de désarmement budgétaire des forces de sécurité intérieure. Face aux contraintes, les dépenses d’équipement et d’investissement ont souvent servi à couvrir les besoins de masse salariale. Les recrutements supplémentaires et les mesures indemnitaires récemment accordées aux forces risquent d’aggraver encore ce phénomène. Les dépenses de personnel occupent ainsi de plus en plus de place dans le budget des forces de sécurité intérieur (87,4 % en 2019 contre 85 % en 2009), ce qui réduit davantage les marges de manœuvre des gestionnaires pour programmer des investissements stratégiques (cf. Annexe 1).

La structure de la dépense publique, retracée sur les programmes budgétaires 152 et 176, très déséquilibrée en faveur des dépenses de personnel (environ 85 %) et au détriment des dépenses de fonctionnement et d’investissement, en témoigne.

 


1.   Des casernes et des commissariats abandonnés par la puissance publique

L’état du parc immobilier est un véritable point noir pour beaucoup de policiers et gendarmes de terrain et constitue un facteur majeur de dégradation de leur moral et d’aggravation des risques psycho-sociaux liés à leur métier.

a.   Un parc immobilier toujours dans une situation critique

L’immobilier des forces de sécurité intérieure est dégradé, au point parfois de nuire à leur capacité opérationnelle et d’offrir des conditions indignes d’accueil pour les victimes ou pour les gardes à vue. Dans certains cas, heureusement rares, ces conditions peuvent même avoir une influence néfaste sur la santé des agents.

Souvent dénoncé, le problème se pose avec une acuité particulière pour les gendarmes, soumis à une obligation de résider en caserne, le plus souvent avec leur famille. Les résultats de la consultation réalisée à l’initiative du rapporteur de la commission d’enquête soulignent l’insatisfaction des personnels vis-à-vis de leurs lieux de travail et de leur logement.

État de satisfaction vis-à-vis des lieux de travail

Source : Consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur (cf. Annexes-II).

État de satisfaction vis-à-vis du logement en caserne

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur (cf. Annexes-II).

Les gendarmes entendus par la commission d’enquête s’accordent pour souligner que la concession de logement pour nécessité absolue de service (CLNAS) constitue, à côté du statut militaire, l’un des deux piliers du « système d’arme » que forme la gendarmerie. Le logement en caserne doit en effet permettre une montée en charge opérationnelle rapide, ce qui est déterminant pour une force qui couvre 95 % du territoire métropolitain.

La concession de logement par nécessité absolue de service (CLNAS)

La concession de logement par nécessité absolue de service (CLNAS) est une spécificité de la gendarmerie nationale qui s’explique par le statut militaire de ses personnels. Elle se fonde sur l’article L. 4145-2 du code de la défense, qui dispose que « les officiers et sous-officiers de gendarmerie, du fait de la nature et des conditions d’exécution de leurs missions, sont soumis à des sujétions et des obligations particulières en matière d’emploi et de logement en caserne ». Cette obligation ne porte que sur les officiers et sous-officiers de gendarmerie, à l’exclusion des personnels civils et des militaires des corps de soutien.

La CLNAS est régie par l’article D. 2124‑75 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que « les personnels de tous grades de la gendarmerie nationale en activité de service et logés dans des casernements ou des locaux annexés aux casernements bénéficient d'une concession de logement par nécessité absolue de service ». Ce logement est gratuit, les occupants devant néanmoins régler les charges locatives, à l’exception de la consommation d’eau. Or, dans un contexte budgétaire contraint, la gendarmerie a été amenée à diversifier les modes de gestion de son parc pour répondre aux besoins de construction de casernes nouvelles. En plus du parc « domanial » géré directement par l’État, plusieurs dispositifs de location ont été mis en œuvre qui associent collectivités territoriales et bailleurs publics ou privés.

Ces dispositifs de location ont permis de construire l’essentiel des casernes les plus récentes. On constate donc des différences significatives dans l’âge moyen des logements selon qu’ils sont gérés par l’État ou loués à des collectivités ou à des bailleurs.

Répartition par âge et par type de parc (domanial ou privé)
des logements concédés aux gendarmes

Âge

Domaniaux

Locatifs

Global

Moins de 10 ans

1,97 %

30,59 %

17,09 %

10 à 25 ans

16,28 %

23,28 %

19,98 %

26 à 50 ans

59,04 %

40,86 %

49,43 %

51 à 100 ans

20,39 %

3,68 %

11,56 %

Plus de 100 ans

2,32 %

1,59 %

1,94 %

Source : commission d’enquête, à partir des réponses du ministère de l’intérieur.

Environ 80 % des casernes domaniales de la gendarmerie ont ainsi plus de 25 ans, contre 44 % des casernes locatives. L’âge moyen du parc locatif atteint ainsi 30 ans, contre 48 ans pour le parc domanial. Ce parc domanial, faute d’entretien ou d’investissement régulier, est aujourd’hui celui dont l’état est le plus critique.

Répartition par âge et par type de parc (domanial ou privé)
des logements concédés aux gendarmes

Source : graphique élaboré à partir des données fournies par le ministère de l’intérieur.

Les gendarmes auditionnés par la commission d’enquête s’accordent généralement sur le fait que le logement domanial constitue le « parent pauvre » du parc immobilier de la gendarmerie nationale, alors même qu’il représente près de la moitié de ce parc en surface. Ce constat s’explique à la fois par un âge moyen plus élevé et par une forte baisse des crédits alloués à la maintenance, la rénovation et la réhabilitation.

L’enjeu est d’autant plus important pour les gendarmes qu’ils habitent, la plupart du temps, avec leur famille. Le risque est, dès lors, de faire du logement en caserne non plus un avantage mais une charge, voire, pour reprendre les mots de Mme Virginie Rodriguez, vice-présidente de l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG), un véritable « sacerdoce » ([1]). Ce problème retentit sur l’organisation opérationnelle de la gendarmerie et nuit aujourd’hui à l’attractivité de certaines régions, voire de la force elle-même.

La consultation directe des gendarmes, dont les résultats sont présentés plus haut, donne d’ailleurs une idée de l’appréciation portée sur l’état du parc. Parmi les réponses obtenues, environ 60 % indiquaient que le logement fourni par l’administration était « insatisfaisant » ou « peu satisfaisant ».

Le parc immobilier de la police nationale, qui comprend très peu de lieux d’habitation, présente des difficultés similaires. Une étude présentée dans le cadre de la stratégie immobilière de la police nationale de 2017 a permis de classer ces emprises selon leur état, de « mauvais état » à « très satisfaisant ».

Les résultats indiquent que, hors préfecture de police de Paris (PP), plus de la moitié du parc immobilier en métropole est dans un état allant de « moyen » à « mauvais ». Pour la préfecture de police, la situation est plus dégradée encore, puisque cette part atteint 66 %.

État de satisfaction vis-à-vis du parc immobilier de la police nationale

(en %)

Source : direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN).

Selon les critères retenus par l’étude, les catégories « très moyen » et « mauvais état » regroupent des immeubles considérés comme vétustes. On compte donc 22 % d’immeubles vétustes pour la direction générale de la police nationale et 28 % pour la préfecture de police.

Le rapporteur ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle un commissariat sur quatre est considéré comme vétuste. La commission d’enquête, en se rendant dans plusieurs commissariats, a d’ailleurs pu constater l’état de délabrement de certains de ces lieux.

L’état calamiteux du commissariat de Fontainebleau

La commission d’enquête s’est rendue au commissariat de Fontainebleau, qui compte sans doute parmi les plus dégradés du parc immobilier de la police nationale. Un mur mitoyen de la zone de stationnement des véhicules personnels des agents s’est effondré, un autre menace de le faire. Le risque de chutes de pierres a imposé la condamnation des vestiaires.

De nombreuses infiltrations ont conduit à condamner certains bureaux, dans l’attente de l’expertise sur le risque d’effondrement du plafond. Les serveurs informatiques sont temporairement installés dans un espace dont le plafond s’émiette et qui était encore couvert de moisissures il y a peu. Un local pour ces serveurs a en effet été aménagé, conformément aux normes en vigueur, mais il a dû être désaffecté immédiatement après sa construction, après une inondation qui a par ailleurs endommagé plusieurs cartons d’archives l’hiver dernier. L’exiguïté des locaux rend les conditions de travail des agents difficiles, en particulier lorsqu’il s’agit d’accueillir des victimes.

Les données transmises par l’administration indiquent que le bâtiment du commissariat est considéré en « bon état », ce qui laisse songeur quant à la pertinence des critères d’évaluation retenus.

L’enjeu est aujourd’hui d’investir de façon résolue dans la rénovation et la réhabilitation du parc immobilier des forces de sécurité intérieure, afin d’offrir des conditions de travail normales à tous les agents, mais également un lieu adapté à l’accueil des victimes et à même d’assurer la dignité des gardés à vue.

Les efforts financiers supplémentaires restent pourtant insuffisants.

b.   Des efforts encore insuffisants par rapport aux besoins

L’état actuel du parc immobilier s’explique pour partie par la baisse importante des crédits alloués à l’investissement immobilier au sein de la police et de la gendarmerie ces dix dernières années.

i.   Un désinvestissement immobilier massif

Les crédits immobiliers au sein de la police et de la gendarmerie sont répartis entre dépenses d’investissement (titre 5), qui financent les opérations les plus lourdes et dépenses de fonctionnement (titre 3), destinées à l’entretien courant.

Les crédits alloués à l’investissement immobilier ont connu une baisse conséquente ces dix dernières années, que ce soit au sein de la police ou de la gendarmerie. En 2018, malgré les efforts initiés depuis 2015, ils restent toujours inférieurs de 32 % à leur niveau de 2009.

Évolution des crédits d’investissement immobilier

(en millions d’euros de crédits de paiement exécutés)

Source : commission d’enquête à partir des réponses transmises par le ministère de l’intérieur.

 

En particulier, comme le soulignait le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, la gendarmerie nationale a connu « un effondrement des investissements immobiliers puisque le budget d’investissement qui s’élevait à 618 millions d’euros en autorisations d’engagement en 2007, a connu un point historiquement bas à 6 millions d’euros en 2013, soit un centième du budget de 2007 » ([2]).

Les crédits alloués à l’investissement dans l’immobilier

Les crédits               alloués par les forces de sécurité intérieures à l’immobilier peuvent être lus de différentes façons.

Les crédits sont d’abord répartis entre autorisations d’engagement (AE) et crédits de paiement. Les AE représentent le potentiel d’investissements nouveaux que les responsables peuvent réaliser une année donnée. Les CP permettent de couvrir les engagements passés, les décaissements étant en général réalisés sur plusieurs années.

Les crédits sont également répartis entre crédits votés et crédits exécutés. Les crédits votés en loi de finances en AE correspondent donc à l’effort supplémentaire auquel le législateur consent sur une année donnée. Ce montant peut différer des AE exécutées du fait de choix de gestion, qu’il s’agisse d’un report de crédits d’une année sur l’autre ou du transfert de crédits, par exemple entre dépenses de fonctionnement et d’investissement. Le schéma est similaire pour les crédits de paiement. Les AE et CP exécutés indiquent donc les sommes finalement consacrées à l’investissement immobilier sur l’année.

Le chiffre de 6 millions cité par le général Tavel correspond à un effort d’investissement en AE voté en loi de finances. Le montant finalement exécuté est plus élevé, puisqu’il atteint plus de 37 millions d’euros, en raison notamment de reports de crédits. En crédits de paiement, les crédits votés atteignent 89 millions cette année-là et les crédits exécutés 83 millions.

Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessus sont présentés en crédits de paiement exécutés, qui représentent la somme effectivement consacrée par la gendarmerie nationale pour couvrir des besoins immobiliers sur une année donnée.

Source : commission d’enquête, à partir de la documentation budgétaire.

Les crédits alloués à l’entretien courant ont, en revanche, connu une évolution à la hausse plus régulière.

Évolution des crédits d’entretien immobilier courant

(en millions d’euros)

Source : commission d’enquête à partir des réponses transmises par le ministère de l’intérieur.

Ces dépenses d’entretien représentent un enjeu très important puisqu’elles financent les dépenses du quotidien et permettent de ralentir la dégradation du parc. L’effort observé depuis 2013 reste à consolider, car les crédits d’entretien courant diminuent de nouveau depuis 2017.

ii.   Des besoins criants mais un chiffrage imparfait

Tant la gendarmerie que la police ont chiffré les besoins financiers nécessaires à une réhabilitation satisfaisante de leur parc immobilier.

Le rapporteur regrette vivement que, malgré ses demandes répétées, l’administration ne lui ait pas fait parvenir ces études, qui auraient été utiles aux travaux de la commission d’enquête. Aussi, la pertinence de la méthode retenue pour l’estimation de ces besoins n’a pas pu être évaluée.

La police nationale s’est dotée d’une stratégie immobilière pour répondre aux besoins prioritaires. Elle reprend les résultats d’une étude réalisée en 2016 par la direction générale de la police nationale (DGPN) qui a identifié 80 grands projets représentant un investissement total de près de 1,1 milliard d’euros. Pour l’essentiel, il s’agissait de réhabilitations lourdes de 35 commissariats et de 22 hôtels de police. Les constructions neuves ne représentaient qu’un quart de ces besoins, soit 20 projets.

Au regard de cette estimation des besoins prioritaires, la programmation immobilière triennale 2018-2020, qui prévoit un effort annuel de 150 millions d’euros, soit un total de 450 millions d’euros, reste insuffisante. En effet, la mise en œuvre du plan de réhabilitation identifié par la DGPN nécessiterait un investissement complémentaire de 650 millions d’euros, soit 150 millions d’euros supplémentaires sur cinq ans.

On peut craindre, de surcroît, que les besoins soient en réalité plus importants que les seules priorités arrêtées, au regard de la part du parc identifiée comme « vétuste » par la direction générale. La DGPN dispose d’un total de 3 274 bâtiments ([3]), dont 22 % peuvent être qualifiés de vétustes d’après l’étude évoquée ci-dessus. Cela permet d’estimer qu’environ 720 sites auraient besoin d’un programme de réhabilitation important, soit un investissement budgétaire probablement bien supérieur au chiffre communiqué par la DGPN.

Par ailleurs, en raison de la possibilité de transférer les crédits entre fonctionnement et investissement, les dépenses prévues initialement au titre de l’investissement immobilier ne sont pas sanctuarisées. Au cours de l’exercice 2018, le directeur général de la police nationale a été conduit à financer 52,5 millions d’euros de dépenses de fonctionnement, à partir de dépenses d’investissement prévues notamment pour la maintenance lourde et la construction, à hauteur de 20 millions d’euros ([4]). Pour partie, les besoins supplémentaires en matière de maintien de l’ordre à la fin de l’année 2018 ont donc été financés sur des crédits initialement prévus pour l’investissement immobilier.

L’effort entrepris par l’État en faveur de l’immobilier de la police nationale, insuffisant dans son ambition, est en pratique conditionné à des choix de gestion que sont conduits à effectuer les responsables de programme.

Le rapporteur souhaite en particulier attirer l’attention sur l’état du parc immobilier des compagnies républicaines de sécurité (CRS). La direction centrale gère un parc de 61 casernements et de 29 cantonnements, ainsi que différents postes autoroutiers.

L’état de ce parc suscite aujourd’hui la plus vive inquiétude. L’administration a ainsi indiqué à la commission d’enquête que le vieillissement du parc immobilier n’était pas « sans conséquence en termes de dépenses, de bien-être, voire de santé des personnels » ([5]). Des cas de légionelle seraient ainsi apparus dans certains cantonnements de région parisienne en raison des dysfonctionnements des réseaux d’eau chaude sanitaire (ECS).

Cette situation, inacceptable pour les personnels, est particulièrement coûteuse, puisqu’elle oblige à payer des nuitées d’hôtel. En 2018, 227 680 nuitées ont été prises en charge, y compris pour des raisons sanitaires et de vétusté des logements, pour un total de 15,7 millions d’euros. En comparaison, la DCCRS indique avoir consacré un peu moins de 3 millions d’euros aux travaux d’aménagement et d’entretien des sites CRS.

Le plan d’urgence pour l’immobilier domanial de la gendarmerie mis en œuvre en 2015 a prévu un effort supplémentaire de 70 millions d’euros par an jusqu’en 2017, porté à 105 millions d’euros à partir de 2018. L’effort supplémentaire représente un total de 525 millions d’euros.

Or, ce plan n’est supérieur à celui de la police que de 16 %, alors même que le parc domanial de la gendarmerie nationale est deux fois plus étendu, comme l’indique le tableau ci-dessous.

Surface du parc immobilier des forces de sécurité intérieure

(en mètres carrés)

Type de parc

Police nationale

Gendarmerie nationale

Immobilier domanial

2,5 millions

5,2 millions

Immobilier locatif (collectivités territoriales, organismes HLM, propriétaires privés…)

497 865

5,6 millions

Total

3 millions

10,8 millions

Source : Commission des finances.

À cet égard, les statistiques évoquées plus haut sur l’âge moyen de l’immobilier de la Gendarmerie sont inquiétantes, puisque 80 % du parc domanial               a plus de 25 ans et 23 % plus de 50 ans.

À la problématique de la vétusté s’ajoute celle de la sécurisation des casernes et commissariats. Cet enjeu est devenu prioritaire, les récentes mobilisations sociales ayant été marquées par des attaques inacceptables contre ces lieux qui représentent l’autorité publique. La commission d’enquête s’est rendue à la caserne Deflandres de Dijon, attaquée à l’occasion d’une manifestation de « gilets jaunes » le samedi 5 janvier 2019. Ces attaques soulèvent des inquiétudes légitimes et visibles chez pour les gendarmes et leurs familles qui vivent sur place.

Le quartier Deflandres à Dijon

Le déplacement de la commission d’enquête au siège de la région gendarmerie Bourgogne-Franche-Comté a permis de constater l’enjeu lié à la sécurisation des casernes.

En effet, le samedi 5 janvier 2019, à l’occasion d’une mobilisation de gilets jaunes, un cortège s’est attaqué à la caserne, arrachant une partie de la clôture d’enceinte et jetant des projectiles sur les gendarmes, dont deux ont été sérieusement blessés, au point d’imposer une interruption temporaire de travail (ITT).

Pour répondre à cet enjeu, un plan annuel de 15 millions d’euros doit permettre de sécuriser 238 sites de la gendarmerie en 2019. Les craintes restent fortes en raison de la faiblesse de ces montants, comme l’indiquait un membre du Conseil supérieur de la fonction militaire gendarmerie (CFMG) : « avec 15 millions par an, il faudrait plus d’une décennie pour assurer la sécurisation complète des locaux. Quand on pense aux mesures de protection que peuvent nécessiter les attaques terroristes, le décalage est flagrant » ([6]) .

La sécurisation des casernes et des commissariats est ainsi devenue une nouvelle priorité de l’investissement immobilier qui s’ajoute aux autres besoins.

c.   Des décisions d’investissement immobilier trop peu lisibles

La gouvernance de la gestion immobilière a été de nombreuses fois critiquée au cours des travaux de la commission d’enquête. Ce sujet concerne essentiellement la gestion du parc immobilier de la gendarmerie puisqu’elle est assurée à la fois par l’État, les collectivités territoriales et par d’autres bailleurs publics et privés.

À côté du parc domanial, qui appartient à l’État, la gendarmerie a développé le recours à la location sous plusieurs formes.

Les dispositifs de location immobilière de la gendarmerie nationale

Le développement du parc locatif de la gendarmerie nationale s’est opéré sous quatre formes :

– des casernes, incluant logements et locaux de service, construites et louées sur la base du décret n° 93-130 du 28 janvier 1993, le plus souvent par des collectivités territoriales ;

– des casernes construites et louées en vertu d’un bail emphytéotique administratif par des collectivités territoriales associées à des organismes privés ;

– des casernes ou des annexes de casernements selon un montage privé ;

– des logements hors caserne.

Ces différents dispositifs de location ont récemment connu des évolutions. Ainsi, le financement en vertu d’un bail emphytéotique administratif, qui devait être mis en extinction au 31 décembre 2017, a été prolongé en loi de finances pour 2018 à l’initiative du Gouvernement, afin de ne pas remettre en cause des projets immobiliers en cours.

Par ailleurs, le décret du 26 décembre 2016, a permis de faciliter l'engagement d'offices HLM dans des opérations immobilières au bénéfice de la gendarmerie nationale, les collectivités pouvant désormais leur octroyer la garantie totale de leurs emprunts.

La diversification des modes de gestion du parc immobilier de la gendarmerie témoigne, en réalité, du désengagement de l’État. Comme le souligne un membre du CFMG auditionné par la commission d’enquête, « il a fallu compléter le domanial, de façon palliative, par un recours au parc locatif ». Le recours à la location s’inscrit dans un contexte de rationalisation budgétaire dans lequel l’État n’a plus les moyens de construire et d’entretenir les casernes de gendarmerie.

La stratégie immobilière de la police nationale soulève ainsi, à juste titre, un paradoxe. Le statut très largement domanial du parc de la police confère « une plus grande marge de manœuvre quant aux arbitrages stratégiques et aux priorisations effectuées quant aux interventions à mener » ([7]), mais il est aussi celui qui nécessite les investissements les plus lourds.

Quant au parc locatif, plus récent, il est généralement considéré de bonne qualité. Ce parc locatif s’inscrit toutefois lui aussi, pour reprendre les mots du général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la Gendarmerie nationale, « dans un cycle de vieillissement ».

 

La commission d’enquête a pu constater que l’état des casernes locatives était très variable selon le propriétaire. Alors que les relations avec certains bailleurs sont bonnes et permettent d’assurer un entretien de qualité, d’autres sont plus dégradées et sources de tensions. La diversité des propriétaires et des circonstances locales rend donc difficile l’évaluation globale de l’état du parc locatif. Le rapporteur s’interroge sur les dispositifs permettant de contraindre ces propriétaires si les travaux d’entretien demandés ne sont pas réalisés.

La création des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) devait permettre de mutualiser les fonctions support des forces de police et de gendarmerie. Ainsi, en vertu d’un décret de 2014 ([8]), ces secrétariats généraux sont chargés « de la préparation de la programmation, de l'étude, de l'ingénierie et de la conduite des opérations immobilières de la police nationale […] ainsi que de l'étude, de l'ingénierie et de la conduite des opérations immobilières domaniales de la gendarmerie nationale ».

Contrairement à la police nationale, les SGAMI ne sont donc pas responsables de la programmation immobilière des opérations domaniales de la gendarmerie. Cette situation a été soulignée par le préfet Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest : « en ce qui concerne l’immobilier, nous assurons les fonctions d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la police et la gendarmerie. La programmation est réalisée par la gendarmerie et nous n’intervenons qu’au niveau de l’étude et de la conduite d’opérations. En revanche, pour la police nationale, nous sommes partie prenante de la programmation des projets immobiliers » ([9]).

La gendarmerie conserve donc une compétence de programmation immobilière en interne qui limite la compétence du SGAMI à des fonctions d’appui, en matière d’étude ou d’ingénierie alors que, pour la police nationale et pour les préfectures, cette compétence est désormais mutualisée au niveau du SGAMI.

*

En définitive, l’organisation de la gestion du parc immobilier de la gendarmerie apparaît éclatée. Le recours à la location auprès des collectivités ou d’autres bailleurs pose la question de la capacité de l’État à mener un plan de rénovation et de réhabilitation qui serait indispensable, sachant qu’il n’est propriétaire que de moins de 50 % de la surface du parc.

 

Aujourd’hui, la priorité pour les policiers et les gendarmes est l’investissement dans les lieux de vie, qui concernent les familles, mais aussi dans les lieux de travail, qui jouent sur le bien-être des personnels et sur les risques psycho-sociaux. Les conditions parfois déplorables de logement des familles sont, pour la gendarmerie, un facteur déterminant de malaise qui contribue à la perte d’attractivité de la force.

2.   Un équipement de sécurité qui n’est pas à la hauteur des enjeux opérationnels

L’équipement des forces de l’ordre a également fait les frais de la rationalisation budgétaire.

a.   Des crédits d’équipement encore insuffisants

Après plusieurs années de hausse, le ratio des dépenses d’équipement suit de nouveau une tendance à la baisse : de 1,2 % en 2012, il était remonté à 3,1 % en 2016, avant de diminuer à 2,6 % en 2018 ([10]). De fait, en 2018, aucun plan d’équipement spécifique n’a été prévu, contrairement aux années précédentes ([11]).

Évolution du ratio des dépenses d’équipement sur le total des crédits

(en %)

Source : Cour des comptes, NEB Sécurités 2018, mai 2019.

Cette baisse initiée en 2016, couplée à une augmentation des recrutements fait craindre une nouvelle fois que les dépenses d’équipement ne soient sacrifiées au bénéfice des dépenses de personnel. En 2018, en raison du dépassement des crédits effectués sur les autres titres, et notamment les dépenses de personnels, seuls 70 % des CP prévus pour l’investissement ont été consommés. Ce recul est inédit depuis 2012.

La faiblesse des dépenses d’équipement a des conséquences sur l’état du parc automobile des forces de sécurité intérieure mais aussi sur les équipements de protection et d’armement malgré les rattrapages et l’effort budgétaire réalisés depuis 2015 et poursuivi en 2017.

b.   Un parc de véhicules vieillissant

L’état du parc automobile des forces de sécurité reste préoccupant, même si les renouvellements de véhicules se sont récemment accélérés.

Le rapporteur a pu constater la vétusté de tout un pan du parc de véhicules de la gendarmerie. L’état des véhicules des escadrons de gendarmerie mobile est particulièrement préoccupant.

L’état préoccupant du parc de véhicules des EGM

Source : réponses du ministère de l’intérieur.

L’âge moyen de ces trois catégories de véhicules (VBRG, VCT et Irisbus) est significativement supérieur à celui du reste du parc.

La vétusté des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) a été régulièrement dénoncée au cours des travaux de la commission d’enquête. Les 84 VBRG, stationnés essentiellement au groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) de Versailles-Satory et en Outre-mer, sont entrés en service en 1974. Leur âge moyen élevé (environ 45 ans), rend difficile le maintien en condition opérationnelle (MCO), ce qui se reflète dans un temps d’immobilisation pour entretien élevé et un taux de disponibilité moyen.

Malgré leur état, ces véhicules sont des éléments importants de la tactique de maintien et rétablissement de l’ordre de la gendarmerie mobile. Ils sont appréciés car ils peuvent évoluer en terrain difficile et permettent de dégager des obstacles ou de libérer des axes de circulation.

Les véhicules de transport de groupe des escadrons, de type « Irisbus » sont également dans un état critique, avec un âge moyen qui atteint plus de 12 ans. Ils offrent moins de flexibilité que les véhicules équivalents des CRS, puisque leur conduite impose la qualification poids lourds.

La situation du parc automobile léger est plus encourageante, l’effort récent de renouvellement automobile ayant permis de ralentir la progression de l’âge moyen du parc de véhicules, voire de le diminuer.

âge moyen des véhicules de la gendarmerie nationale

Source : commission des finances.

Cet effort de renouvellement doit être poursuivi. Comme le soulignait le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, « nous considérons qu’un renouvellement du parc à hauteur de 3 000 véhicules permet de maintenir et rajeunir l’âge moyen. On en voit les effets concrets depuis 2018. Il faut maintenir cet effort. Si on retombait à un niveau inférieur à 2 000 véhicules, on aurait de nouveau une inversion et un vieillissement du parc » ([12]).

Le parc automobile de la police nationale est également un parc vieillissant, l’âge moyen des véhicules progressant de façon continue ces dernières années.

âge moyen des véhicules de la police nationale

Source : commission d’enquête à partir des données du ministère de l’intérieur.

Le vieillissement du parc se poursuit malgré un effort de renouvellement entrepris depuis 2015 : alors que 2 181 véhicules ont été acquis en 2013, 3 077 véhicules ont été renouvelés en 2018, ce qui représente pour cette année un budget de 67 millions d’euros.

c.   Des agents insuffisamment protégés dans un contexte opérationnel intense et évolutif

Le caractère insuffisant des équipements s’est fait sentir dans un contexte opérationnel particulièrement soutenu. Ces dernières années, les forces de l’ordre ont été confrontées à des sollicitations nouvelles et de grande ampleur. Les missions des agents affectés à la sécurité publique et au maintien de l’ordre se sont singulièrement étendues.

La menace terroriste a exigé que l’ensemble des personnels soit préparé à réagir à des tueries de masse. Le nouveau « schéma national d’intervention » fait ainsi des unités de voies publiques des « primo-intervenants », en particulier les policiers des brigades anti-criminalité (BAC) et les gendarmes des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG). Pourtant, comme le soulignait Jean-Pierre Bleuzet, vice-président de l’association GendXXI, « en cas d’attentats terroristes, les brigades territoriales ne sont équipées que de deux casques lourds et de deux gilets pare-balles lourds ; soit deux équipements pour les primo intervenants » ([13]).

La pression migratoire a également focalisé des besoins nouveaux dans certains points du territoire, en métropole et en outre-mer, en lien avec le rétablissement des contrôles aux frontières et la lutte contre les réseaux de passeurs.

L’émergence de nouvelles formes de contestation, liées notamment aux « zones à défendre » ou au phénomène des « black bloc » pose également la question de l’organisation française du maintien de l’ordre, depuis la prise en charge de la manifestation en amont jusqu’aux tactiques de rétablissement de l’ordre. Les opérations de maintien de l’ordre lors des samedis de la mobilisation dite des « Gilets jaunes » ont fortement mobilisé les effectifs sur l’ensemble du territoire.

L’évolution de ces missions s’est accompagnée d’un effort d’équipement encore trop limité. Les travaux de la commission d’enquête ont souligné que de nombreuses unités de voie publique se sont trouvées dans une situation inédite en devant participer à des opérations de maintien de l’ordre pour lesquelles elles étaient mal équipées. La visite à la brigade de gendarmerie de Chaumes-en-Brie a permis au rapporteur de constater que quinze militaires se partageaient deux casques, deux gilets lourds, un unique pistolet à impulsions électriques, un seul lanceur de balle de défense et un seul diffuseur de gaz lacrymogène de grande contenance. Depuis le début du mouvement des « gilets Jaunes », une dizaine d’interventions de niveau intermédiaire ont pourtant été nécessaires autour de cette brigade, mettant en évidence l’insuffisance de cet équipement, en particulier pour se prémunir des jets de projectiles.

Les équipements de maintien de l’ordre distribués en urgence ont été insuffisants.

En matière de maintien de l’ordre, l’effort d’équipement engagé depuis 2014 apparaît d’ailleurs inadapté. Le général Lizurey, DGGN, soulignait que « les moyens matériels tels que les casques lourds ou les boucliers ont été mis en œuvre dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Ils ont donc vocation à équiper la patrouille qui peut être la première à arriver sur les lieux d’un attentat. Ce ne sont pas des équipements destinés au maintien de l’ordre. On peut considérer que pour certains types d’unités et pour certaines zones, ces équipements sont insuffisants. Pour tenir compte des besoins réels, nous établissons une revue capacitaire chaque année afin d’évaluer les besoins et les moyens à utiliser. » ([14]).

L’intensité du contexte opérationnel participe également à l’usure plus rapide équipements. Didier Lallement, préfet de police de Paris, observait, « plus qu’un manque de matériel, une usure plus rapide de celui-ci. C’est tout à fait normal, dès lors que l’intensité est plus forte […] Or, lorsque les fonctionnaires ou les militaires sont couverts de peinture, par exemple, il n’est pas toujours possible de nettoyer les matériels et il faut donc en changer. Leur taux de rotation et leur taux d’usure sont donc bien supérieurs à ce qu’ils étaient précédemment ». Cette sollicitation opérationnelle impose un renouvellement plus rapide des matériels ([15]).

Les efforts budgétaires récents démontrent la prise en compte de cet enjeu par le gouvernement.

En particulier, les acquisitions de gilets pare-balles individuels ont été importantes depuis 2016. Les équipements destinés aux activités de maintien de l’ordre des unités de sécurité publique ont également été renforcés. La gendarmerie a fait le choix d’affecter une trentaine de lots par département pour permettre une intervention d’urgence « dans le cadre de troubles en train de se constituer » ([16]). Le directeur central de la sécurité publique présentait des orientations similaires afin que « les deux tiers des départements français puissent bénéficier d’une formation et d’un équipement en termes de maintien de l’ordre. »

Comme le soulignait Michel Vilbois, préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone de défense Est, « depuis les attentats de 2015, un véritable effort budgétaire a été consenti pour renouveler les équipements de protection et les armes. Ainsi, l’État a acquis pour la police et la gendarmerie près de 80 000 gilets pare-balles au cours des deux derniers exercices budgétaires. Les armes d’assaut ont été largement modifiées et entièrement renouvelées. En outre, nous devons renouveler chaque année 3 000 véhicules pour la police et 2 800 pour la gendarmerie. Cette jauge a été atteinte au cours des trois derniers exercices budgétaires pour ce qui concerne la police nationale. Elle ne l’est pas tout à fait pour la gendarmerie nationale, qui doit faire face à d’autres dépenses » ([17]).

La crise des « gilets jaunes » a d’ailleurs prouvé la réactivité des deux forces, comme l’indique également M. Vilbois : « nous avons été amenés à augmenter le budget de chaque direction départementale pour prendre en compte le contrecoup du mouvement des « gilets jaunes », afin de prendre en charge des équipements locaux décidés par les directeurs départementaux et les frais de déplacement des policiers qui interviennent en renfort dans un autre département que le leur. Ce sont des budgets pris sur la réserve du SGAMI en cours d’exercice ».

Malgré ces progrès, l’équipement des policiers et des gendarmes a trop souvent fait les frais des priorités des gouvernements successifs, qui ont varié au détriment d’une stratégie d’ensemble. L’effort engagé depuis 2014 est salutaire mais repose en partie sur l’accumulation de priorités thématiques sans cohérence, qui participe d’ailleurs au sentiment de confusion des missions pour les forces de l’ordre. Surtout, cet effort diminue de nouveau depuis 2018, alors même que, parallèlement, les recrutements ont progressé. Enfin, la chaîne d’approvisionnement devrait être améliorée, face aux difficultés de livraison de certains matériels qui sont remontées lors des travaux de la commission d’enquête.

Le rapporteur considère aujourd’hui que l’approche en matière d’équipement est à repenser (voir II).

B.   Une gestion des ressources humaines coûteuse et source de frustrations

L’intensité opérationnelle ainsi que, dans une moindre mesure, la faible attractivité de certains métiers, sont à l’origine d’un déséquilibre majeur dans la gestion des ressources humaines des forces de sécurité, et plus particulièrement de la police nationale. Ce déséquilibre s’autoalimente et n’est que très imparfaitement compensé par les primes et indemnités, qui représentent pourtant un coût en constante augmentation.

1.   Des rythmes de travail atypiques

Policiers et gendarmes ont en commun des rythmes de travail atypiques, bien que les règles régissant leur temps de travail soient distinctes et varient selon les spécialités ou unités. Mais quelles qu’elles soient, les missions de police imposent aux agents des sujétions particulières : dépassements horaires, permanences, astreintes, rappels.

a.   Le casse-tête des heures supplémentaires dans la police nationale

Dans la police nationale, les heures supplémentaires ouvrent droit à compensation pour le corps d’encadrement et d’application (gardiens et gradés) et, en cas d’astreinte, pour le corps de commandement (officiers). La compensation des services supplémentaires prend la forme de récupérations d’heures, majorées. Seuls les fonctionnaires de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS) bénéficient d’une indemnisation financière des heures supplémentaires, pour les seules missions réalisées en déplacement.

Du fait de l’intense activité opérationnelle, le stock d’heures supplémentaires augmente continûment. Cette situation porte en germe sa propre perpétuation puisque la majoration des heures récupérables a pour conséquence une diminution du nombre global d’agents disponibles. À l’automne dernier, le directeur général de la police nationale, cité par le sénateur Philippe Dominati ([18]), évoquait à ce propos une « véritable épée de Damoclès opérationnelle », les fonctionnaires pouvant liquider ces heures avant leur départ en retraite. Dans cette hypothèse, ils ne peuvent être remplacés à plafond d’emplois constant, puisqu’étant officiellement en congés et non en retraite.

Évolution du stock d’heures supplémentaires de la police nationale

(en millions d’heures)

 

2014

2015

2016

2017

2018

Stock au 31 décembre en millions d’heures

18,4

19,7

21,1

21,7

23,0

Moyenne d’heures par agent

138

147

155

157

164

Source : avis budgétaires relatifs à la mission « Sécurités » ; réponses du ministère de l’intérieur.

Cette question figure au cœur des discussions qui se tiennent actuellement avec les organisations représentatives des personnels de la police, en application du programme de travail faisant suite au protocole d’accord conclu en décembre 2018 avec le ministère de l’intérieur.

Pour mémoire, deux accords conclus le 11 avril 2016 avaient déjà permis de faire progresser les volumes d’avancement et comportaient plusieurs mesures de fidélisation fonctionnelle et territoriale (cf. Annexe 2). Le protocole d’accord, signé le 19 décembre 2018, après l’intensification des opérations liée aux manifestations des « Gilets jaunes », a permis une revalorisation de l’allocation de maîtrise à hauteur de 40 euros par mois et l’octroi d’un demi-point d’indemnité de sujétion spéciale de police (ISSP) supplémentaire, à partir du 1er janvier 2019. D’autres avancées étaient conditionnées à l’aboutissement d’une « négociation dédiée au chantier de l’organisation du temps de travail, aux heures supplémentaires (stock et flux) et à la fidélisation fonctionnelle ou territoriale ». Il s’agit du versement de deux tranches supplémentaires de 30 euros par mois pour l’allocation de maîtrise, les 1er juillet 2019 et 1er janvier 2020.

Un rachat complet des heures supplémentaires paraît inenvisageable, et ce, pour deux raisons évoquées par le rapport du sénateur François Grosdidier ([19]) :

– d’une part, parce que cela représenterait un coût évalué en 2018 à 272,10 millions d’euros ;

– d’autre part, parce que le système d’information de la DGPN ne permettrait pas de distinguer les heures supplémentaires ayant déjà fait l’objet d’une compensation en temps.

Outre le rachat des heures non compensées, figurent, parmi les solutions évoquées, le passage à un régime d’indemnisation, au moins partiel, des heures supplémentaires, et surtout la résorption du flux d’heures supplémentaires, par la responsabilisation des chefs de service, l’introduction d’une obligation d’utiliser les heures supplémentaires, qui n’existe pas aujourd’hui, et la réforme des cycles de travail, qui doit aboutir prochainement.

b.   Une réforme des cycles horaires qu’il est urgent de faire aboutir

En 2014, la police nationale a engagé une nouvelle réflexion sur les cycles de travail, afin de répondre aux demandes des agents de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle et de prévenir les risques psychosociaux, tout en étant compatibles avec l’activité opérationnelle.

Après une expérimentation menée entre octobre 2015 et avril 2016, six nouveaux cycles ont ainsi intégré le panel réglementaire. Le déploiement des nouveaux cycles a eu lieu de novembre 2016 à novembre 2017. Si les cycles binaires (2/2, 3/3 ou leurs variantes) ont naturellement trouvé leur public, le débat entre les organisations syndicales et le ministère s’est cristallisé sur deux cycles : la « vacation forte » et le cycle « 4/2 compressé ». C’est principalement au sein de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) que les expérimentations ont été les plus variées. Une organisation syndicale mettait particulièrement en avant les effets positifs sur la santé et la vie de famille du cycle dit de « vacation forte » quand la DCSP, anticipant un coût en effectifs de plusieurs milliers d’agents pour permettre son déploiement, a proposé le cycle « 4/2 compressé » comme alternative.

Comparaison des cycles de travail

 Caractéristiques du cycle

Cycle « 4/2 »

Cycle
« 4/2 compressé »

Cycle
« vacation forte »

Architecture

2 après-midi

2 matins

2 repos

 

3 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

4 matins - 1 repos

4 après-midi -
2 repos

 

2 après-midi -
2 repos

3 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

2 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

3 matins - 2 repos

Durée de chaque vacation

8 h 10

8 h 21

9 h 31

Congés annuels

23

23

20

Jours attribués au titre de la réduction du temps de travail

5

6,5

0

Confort de vie

1 week-end sur 6

1 week-end sur 3

1 week-end sur 2

Source : commission des finances du Sénat, in M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018.

149 unités ont adopté la « vacation forte » et 102 unités le « 4/2 compressé ». La juxtaposition soudaine de trois cycles (« 4/2 classique » ou « panaché », « 4/2 compressé » et « vacation forte ») au sein de la DCSP a suscité des tensions assez vives dans les services territoriaux, alors même que les effets de la directive européenne relative à l’aménagement du temps de travail n’étaient pas encore pleinement mesurés.

À l’issue de cette première phase, le directeur général de la police nationale a confié à l’inspection générale (IGPN) une évaluation de la réforme, assortie d’un moratoire.

Après avoir conduit ses propres travaux, la mission de l’IGPN dresse un constat sévère et, à maints égards, inquiétant pour le moral des personnels ([20]).

D’après son rapport, établi en mars 2019, « l’expérimentation des deux cycles a donné lieu à un bilan sans nuances » ([21]). L’IGPN a relevé de nombreuses faiblesses méthodologiques dans ce premier bilan fait par la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN). Elle pointe aussi les conditions délétères dans lesquelles s’est déroulé le déploiement des nouveaux cycles de travail, qui « a été marqué par l’absence – volontaire – d’une organisation nationale unique et la latitude laissée au plan local pour adapter les cycles aux contraintes et charges des services. Pour vertueux qu’il soit, ce dispositif a eu des effets très négatifs : consultation des agents mal maîtrisée, débats parfois houleux sous la pression syndicale très vive, désaveu de la hiérarchie locale par des arbitrages rendus en centrale.» ([22])

L’IGPN a ensuite repris complètement le travail d’évaluation, par une démarche exhaustive, s’appuyant sur de nouveaux indicateurs et des entretiens dans toutes les unités. En conclusion, elle souligne à nouveau les lacunes du bilan réalisé jusqu’alors : « l’expérimentation de 2015-2016 avait laissé espérer que la vacation forte n’ait que des avantages et un inconvénient, le coût des effectifs supplémentaires pour créer une quatrième brigade. Le 4/2 compressé, à l’inverse, n’avait qu’une seule qualité, pouvoir être mis en place à effectifs constants. L’état des lieux qu’en dresse la mission, et l’analyse qu’elle en fait sont tout autres. »

Après une analyse coûts-avantages beaucoup plus nuancée, l’IGPN conclut que la « vacation forte » doit être généralisée pour les unités de nuit, toutes missions confondues, compte tenu de la particulière pénibilité du travail de nuit. Ce cycle permettrait aux unités de jour qui adopteraient, elles, le cycle « 4/2 compressé », de prendre leur service plus tard le matin. Par ailleurs, la mission préconise un rééquilibrage de la dotation de jours attribués au titre la réduction du temps de travail qui pourrait être réalisée en faveur du cycle « 4/2 compressé ».

L’IGPN relève de nombreuses manifestations d’exaspération de la part des agents, de « grandes inquiétudes », un « sentiment d’injustice teinté d’amertume chez ceux qui estiment que leur choix exprimé lors des consultations n’a pas été respecté » ou encore la nécessité de « restaurer l’égalité et la confiance ». Selon les auteurs, ce sentiment d’injustice « trouve son origine dans l’absence de règle et le non-respect des processus censés encadrer le déploiement de l’un ou l’autre des nouveaux cycles. La chaîne hiérarchique en est fragilisée et la confiance des agents dans leur administration, dont ils ne comprennent pas l’action, est entamée. » Ce constat corrobore celui du rapporteur. Les inspecteurs estiment d’ailleurs que la « confiance en l’institution ne reviendra qu’à une double condition, d’une part une règle intangible régissant la mise en œuvre des nouveaux cycles, fondée sur des critères objectifs et d’autre part sur un dialogue social serein, respectant la chaîne hiérarchique, constructif et public. » Il paraît urgent d’apporter de la stabilité à ces personnels très sollicités dans des conditions difficiles.

c.   Un engagement opérationnel particulièrement intense dans la gendarmerie nationale

Les gendarmes sont également soumis à d’importantes sujétions résultant de l’obligation statutaire de disponibilité. La gendarmerie départementale n’assure pas une permanence sur l’ensemble des zones dont elle a la charge mais les gendarmes peuvent être rappelés à tout moment. À cet égard, 2018 a été une année particulièrement intense : en métropole, face aux « zones à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, de Bure et de Kolbsheim ; outre-mer, à l’occasion de fortes tensions à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie.

Depuis le début du mouvement des « Gilets jaunes », le 17 novembre 2018, les gendarmes ont pris toute leur part pour protéger les institutions et la population. Le 8 décembre, le directeur général de la gendarmerie nationale a fait appel à tous les militaires de la gendarmerie, y compris les personnels au repos et en permission : 89 000 membres des forces de sécurité intérieure ont ainsi été engagés, dont 65 500 gendarmes. Cet engagement, qui a perduré pendant près de trois mois et demi, a été très éprouvant.

Cette intensité se mesure aussi à l’aune du nombre de blessés qui connaît une dynamique inquiétante, même si la police a, elle aussi, à déplorer un nombre important de blessés. Entre le 17 novembre 2018 et le 1er juin 2019, la gendarmerie nationale a en effet dénombré 540 blessés (dont 9 réservistes). Au cours de son audition, le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi (DOEGN), a par ailleurs indiqué que le nombre des blessés suite à une agression a augmenté de 30,4 % entre 2014 et 2018 dans la gendarmerie (1 769 faits en 2014, contre 2 306 en 2018), ce qui témoigne de l’agressivité croissante à l’égard des forces de l’ordre ([23]).

d.   Des heures supplémentaires qui commencent aussi à s’accumuler dans l’administration pénitentiaire

L’organisation du service des personnels en surveillance (hors administratifs) repose aussi sur des cycles :

– le cycle avec nuit (CAN), qui présente plusieurs variantes de jours de travail et de repos, génère de la fatigue, réserve peu de week-ends libres mais permet aux planificateurs de maîtriser les heures supplémentaires ;

– le cycle sans nuit (CSN), qui conduit à effectuer de longues journées de 12 h 15, permet de dégager deux ou trois jours de repos et de réserver un week-end sur deux mais il tend à produire des heures supplémentaires.

En décembre 2015, la Cour des comptes a adressé au ministère de la Justice un référé consacré à la gestion des personnels pénitentiaires. Suivant son analyse, du fait d’une durée supérieure à celle prévue par les obligations de service fixées à la suite du passage aux 35 heures, les cycles de travail en vigueur au sein des établissements pénitentiaires génèrent mécaniquement des heures supplémentaires qui ne favorisent pas la répartition de la charge de travail entre les agents. Par ailleurs, la Cour relevait un certain absentéisme ; elle remettait en cause le caractère trop centralisé de la gestion des ressources humaines, notamment sur le plan des affectations et de l’exercice du pouvoir disciplinaire.

La première recommandation de la Cour consistait à « réduire le nombre de cycles et les postes fixes ». Elle préconisait aussi l’expérimentation de « la mise en place d’un concours à affectation régionale pour les surveillants, afin de fidéliser les personnels et déconcentrer la gestion de concours ». La Cour des comptes plaidait en outre en faveur d’une répartition des compétences renouvelées entre le secrétaire général du ministère, les services centraux de la direction de l’administration pénitentiaire, les directions interrégionales des services pénitentiaires et les établissements, afin notamment de renforcer le rôle confié aux directeurs d’établissements pénitentiaires.

D’après les éléments fournis par la direction de l’administration pénitentiaire, au mois de mars 2019, les agents affectés dans les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) ont réalisé 34 191 heures supplémentaires, soit une moyenne de 33 h 92 supplémentaires par agent. Les régions les plus en tension sont les régions de Dijon, avec une moyenne à 48 heures par agent, et Lyon, avec une moyenne d’heures supplémentaires de 40 heures.

Au-delà du déficit en effectifs, qui est en passe d’être corrigé, il importe d’adapter rapidement l’organisation du travail, et notamment les cycles horaires, sans quoi la situation évoluera vers celle que connaît actuellement la police nationale.

2.   Des difficultés d’attractivité et de fidélisation patentes

Les forces de l’ordre accomplissent un travail difficile. Mais deux métiers présentent aujourd’hui une faible attractivité qui nuit aux recrutements et donc favorisent l’accumulation des heures supplémentaires.

a.   Les problèmes de fidélisation de la filière investigation

Le métier d’officier de police judiciaire (OPJ) suscite de moins en moins de vocations du fait de la complexification de la procédure pénale (voir infra).

Si la filière reste attractive en raison des bonifications indiciaires et indemnitaires qu’elle procure, la désaffection se manifeste après quelques années d’exercice. Comme l’a confirmé Mme Brigitte Jullien, directrice de l’IGPN ([24]), les OPJ sont recrutés en nombre suffisant mais demandent rapidement à quitter les services judiciaires pour intégrer la police de la voie publique ou la police secours, lassés par un travail de bureau aux résultats incertains. La pénurie d’officiers de police judiciaire alimente la surcharge de travail restant pour ceux qui exercent cette fonction.

En visite au commissariat de Drancy, le rapporteur a rencontré des OPJ qui ont effectué jusqu’à quinze permanences au cours de l’année 2018, du fait d’une « pénurie d’OPJ » dans le département de la Seine-Saint-Denis. D’après ces fonctionnaires, il y aurait environ 22 % d’OPJ au sein des effectifs de la police nationale en France, 16 % en région parisienne et 13 % au sein de la DSPAP de la préfecture de police à laquelle appartient le commissariat de police de Drancy. Le nombre de postes ouverts dans le département serait inférieur aux besoins. La fidélisation, surtout, paraît problématique ; 80 % des gardiens de la paix sont originaires d’autres régions que l’Île-de-France mais y sont affectés à plus de 60 %. Ils cherchent donc souvent à retourner en province et la fonction d’OPJ leur permet d’obtenir des mutations plus rapidement.

Les moyens de revaloriser l’attractivité de cette filière, conformément au protocole de décembre 2018, font actuellement l’objet de négociations. Parmi eux est envisagée la refonte du dispositif indemnitaire avec la perception d’une prime OPJ revalorisée pour les seuls personnels exerçant effectivement des fonctions judiciaires. La revalorisation pourrait être financée pour partie par redéploiement de la prime versée aux agents « ayant exercé » vers ceux exerçant effectivement.

Le rapporteur considère pour sa part que les voies et moyens d’alléger la procédure pénale doivent prioritairement être examinés, ainsi que les possibilités de déléguer davantage d’actes de procédures à des adjoints de police judiciaire sous le contrôle de l’OPJ grâce aux nouvelles possibilités offertes par les technologies portables. Le rapporteur fait plusieurs propositions en ce sens dans la deuxième partie du présent rapport.

Il note également qu’une partie de la désaffection des OPJ pour leur métier est alimentée par la part croissante de missions administratives qu’ils exercent, faute de recrutements suffisants de personnels administratifs. Ainsi, en 2018, huit postes étaient ouverts et cinq contractuels ont été recrutés sur l’ensemble de la Seine-Saint-Denis. 101 fonctionnaires du service actif occupent actuellement des fonctions support, ce qui entraîne un coût supérieur à celui des personnels administratifs. Les services de la police nationale en Seine-Saint-Denis ont calculé qu’il faudrait au minimum 430 effectifs administratifs pour assurer le bon fonctionnement du service, contre 240 personnes actuellement. D’après les personnels administratifs consultés, les rémunérations et, surtout, les perspectives de carrière sont peu attractives.

b.   La faible attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire

Le recrutement de l’administration pénitentiaire pâtit depuis longtemps de l’image négative de la prison. Le travail de prévention et de réinsertion est peu connu, les seules images de la vie carcérale diffusée par les médias concernant généralement les violences, les évasions, les trafics et les agressions.

L’administration pénitentiaire doit procéder à d’importants recrutements dans les années à venir pour compenser des départs en retraite massifs et pour assurer les missions d’extractions judiciaires reprises aux policiers et gendarmes. Or, comme l’a indiqué M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire ([25]), le contexte est marqué par une forte concurrence entre les métiers de la sécurité publique et privée.

Certaines filières sont, en outre, en concurrence avec d’autres corps ministériels (police nationale, magistrature). D’après les réponses écrites fournies au rapporteur, le vivier annuel de candidats est toutefois considéré comme suffisant – en particulier pour les filières d’insertion et de probation, de direction et techniques – pour permettre la nomination d’un nombre de lauréats équivalant à la totalité des postes ouverts et présentant un profil de bon niveau.

Le début de l’année 2018 a été marqué par un important conflit social qui a paralysé le fonctionnement de plusieurs établissements pénitentiaires pendant deux semaines. Un relevé de conclusions a été signé le 29 janvier 2019 ; articulé autour de l’amélioration de la gestion des détenus radicalisés et violents, du renforcement de la sécurité des agents en détention, de l’accélération des recrutements et d’un effort de fidélisation, notamment par le renforcement des dispositifs indemnitaires.

Le rapporteur estime que ces métiers connaissent actuellement une évolution majeure qu’il convient d’accompagner (voir infra, I.D.), dans le cadre d’une réflexion globale sur un continuum de sécurité. Par ailleurs, des expérimentations de recrutements territorialisés mériteraient d’être conduites pour attirer des candidats aujourd’hui rebutés par la mobilité géographique (voir infra, II.D).

C.   Un sentiment partagé de confusion dans les missions

Le potentiel opérationnel des policiers et des gendarmes est aujourd’hui fortement réduit du fait de la conjonction de trois facteurs :

1.–  la persistance de missions périphériques (ou « tâches indues ») qui éloignent les policiers et les gendarmes de leur cœur de métier, du fait des défaillances ou des carences d’autres administrations ;

2.– une répartition des missions inefficaces, qui ne facilite ni les synergies, ni les mutualisations, tout en entretenant une confusion qui conduit à l’exercice de missions par des agents insuffisamment formés ou équipés pour celles-ci ;

3.– l’alourdissement de la charge procédurale, si disproportionnée par rapport aux moyens de la chaîne pénale qu’elle risque de favoriser l’impunité.

1.   La persistance de « tâches indues »

La question des missions périphériques ou « tâches indues » est particulièrement bien documentée, puisque, comme le soulignait un représentant de la fédération syndicale de la police nationale-CFDT, entendu au Sénat au printemps 2018, « tous les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont saisis du problème, mais rien n'a évolué à ce sujet ! » ([26]).

À l’automne 2015, à partir des travaux d’un groupe de travail et d’une consultation interne, la police nationale a engagé un plan interne de simplification, conforté par un « plan pour la sécurité publique » annoncé par le ministre de l’intérieur le 19 octobre 2016. Des progrès ont été accomplis mais ont été pour partie remis en cause par la multiplication des opérations d’assistance et de gardes engendrées par le contexte de lutte anti-terroriste et de prolongement de l’état d’urgence. Depuis, les progrès concernent essentiellement les missions de gardes de bâtiments publics.

Le volume des tâches indues est encore évalué à 8,7 % de l’activité totale de la police nationale en 2018 ([27]) contre 9 % en 2017. La situation paraît plus favorable dans la gendarmerie (3,2 % en 2018, contre 4 % en 2017) ([28]), expliquée par la réduction, logique mais conjoncturelle, du temps consacré à l’établissement de procurations électorales (– 98,3 %) en 2018.

Évolution de l’indicateur
« Recentrage des forces sur le cœur de métier » depuis 2012

Police nationale (programme 176)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Volume des missions périphériques (en heures)

7 397 834

6 807 104

7 105 853

7 620 642

8 068 931

7 757 932

7 518 095

Taux de missions périphériques dans l'activité totale (en %)

8

8

8,2

8,9

9,12

9

8,7

Gendarmerie nationale (programme 152)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Volume des missions périphériques (en heures)

5 592 563

4 572 442

4 703 617

4 427 272

4 103 529

4 349 774

3 459 047

Taux de missions périphériques dans l'activité totale (en %)

5,8

4,8

4,8

4,1

3,8

4,08

3,2

Source : rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement.

L’encadré ci-dessous, extrait du rapport pour avis de la commission des Lois sur le projet de loi de finances pour 2019, montre l’ampleur de la tâche qui reste à mener.

Les « tâches indues » : état des lieux en novembre 2018

 

Plusieurs « tâches indues » ont été effectivement transférées ou supprimées :

– la garde statique des tribunaux : depuis le mois d’avril 2017, plus aucune garde statique de tribunal n’est assurée par des policiers actifs, à l’exception du Palais de justice de Paris ;

– la participation des policiers et gendarmes aux commissions consultatives départementales de sécurité et daccessibilité, limitée aux seuls cas où les enjeux de sécurité le nécessitent par décret du 5 septembre 2016 ;

– la transmission postale des décisions de suspension administrative du permis de conduire, auparavant notifiées en personne par un gendarme ;

– le recueil des déclarations de perte de permis de conduite, transféré aux services préfectoraux ;

lescorte des étrangers en situation irrégulière, limitée aux seuls cas de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Dautres missions périphériques sont en cours de transfert :

– les transfèrements judiciaires, confiés aux services du ministère de la justice par une décision interministérielle du 30 septembre 2010. L’administration pénitentiaire s’est vue transférer les effectifs correspondant à ces missions (769 ETP « gendarmerie » et 415 ETP « police » de 2011 à 2018). Le PLF 2019 marque la dernière année de ces transferts, à hauteur de 11 ETP « gendarmerie » et 5 ETP « police » ;

– la médecine légale de proximité (167 ETP « police » en 2017) : des conventions doivent être signées entre les DDSP et les agences régionales de santé pour prévoir l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police. La situation actuelle conduit parfois les policiers et gendarmes à attendre longuement, sur place, l’examen d’une personne gardée à vue par les services d’urgence ;

– les missions de secours sur les plages, relevant des pouvoirs de police du maire, auxquelles participent traditionnellement des effectifs de police issus des CRS (297 ETP dans 63 communes en 2018). Ces effectifs pourraient être redéployés pour la sécurisation des villes touristiques côtières, et mieux répartis sur l’ensemble des côtes françaises. La gendarmerie nationale a pour sa part cessé son concours à ces missions ;

– la garde des bâtiments préfectoraux : 24 préfectures bénéficient toujours d’une présence policière, qui représentait 54 ETP au premier semestre 2018 ;

– lassistance aux opérations funéraires, qui demeure en zone « police », à hauteur de 78 ETP en 2017 ;

– le transport des scellés illicites ou dangereux, dont l’externalisation était prévue par un protocole interministériel du 6 janvier 2011, mais reste inappliquée en l’absence de garanties suffisantes de sécurité ;

– la prise en charge des ivresses publiques et manifestes (66 ETP « police » en 2017).

Des actions restent à initier dans les domaines suivants :

– la gestion des procurations électorales, y compris au sein des établissements pénitentiaires : un système dématérialisé est envisagé à horizon 2021. Le ministre de l’intérieur s’est fermement engagé à mettre fin à cette charge indue (14), mais ce projet reste pour le moment au point mort. En 2017, 1,85 million de procurations ont été établies par les gendarmes ;

– lescorte des détenus aux fins dexamen en milieu hospitalier (21 ETP en 2017), pour laquelle la DGPN est favorable à un transfert à l’administration pénitentiaire ;

– les missions daccueil des retenus et de surveillance et sécurité incendie dans les centres de rétention administrative, dont certaines pourraient être externalisées ;

– la gestion de la perte de documents officiels en l’absence de demande de renouvellement, pour laquelle la DGPN est favorable à un transfert aux services municipaux, comme dans le cas où le renouvellement est demandé.

Source : M. Jean-Michel Fauvergue, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2019, tome VIII, « Sécurités », Assemblée nationale, XVe législature, n° 1307, 12 octobre 2018, pp. 33 et 34.

Au-delà des gains d’effectifs attendus, la résorption des tâches indues contribuerait aussi à clarifier le cadre d’action des forces de sécurité intérieure et à mieux répartir les missions entre les acteurs de la sécurité.

2.   Une confusion plus qu’une complémentarité dans les missions

La problématique des « tâches indues » est révélatrice d’une confusion dans les missions des agents des forces de sécurité intérieure mais elle n’en est pas la seule manifestation.

a.   Une confusion croissante entre les missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique

S’il n’est pas aberrant que les agents de la sécurité publique et du maintien de l’ordre connaissent des pics d’activité ou participent à une grande variété de missions ; il n’est pas acceptable que des agents soient chargés de missions pour lesquels ils n’ont pas été formés et pour lesquels ils ne disposent pas de l’équipement adéquat.

En 2015, le rapport d’une commission d’enquête consacrée au maintien de l’ordre ([29]) avait déjà identifié des mutations essentielles encore à l’œuvre aujourd’hui dans le domaine du rétablissement de l’ordre :

– la part décroissante des grands acteurs traditionnels et de leurs services d’ordre dans l’organisation des manifestations et, corrélativement, la survenue de manifestations sans organisateurs, à l’origine d’une réduction des possibilités de concertation ;

– la présence récurrente de contre manifestants et de groupes structurés sans lien avec la manifestation se livrant à des actes délictuels (délinquance d’appropriation) ou cherchant explicitement à troubler l’ordre public ou la confrontation avec les forces de l’ordre (Black blocs) ;

– la confusion grandissante entre les missions de rétablissement de l’ordre et celles de la sécurité publique, en lien avec, d’une part, l’émergence du phénomène des « zones à défendre » ou « ZAD », actions hybrides entre manifestations et occupations illégales, et, d’autre part, la volonté d’interpeller les fauteurs de troubles infiltrés dans les manifestations pour apporter une réponse pénale adaptée.

Au cours des travaux de la commission d’enquête, le rapporteur a pu constater que ces mutations n’avaient pas encore donné lieu à une refonte du schéma national du maintien de l’ordre, qu’il appelle de ses vœux. Le « brouillage » de la notion de maintien de l’ordre, pressenti par le député Pascal Popelin, dans le rapport précité, est aujourd’hui avéré.

En témoigne la multiplication de blessures graves pendant le mouvement des « Gilets Jaunes » qui a été attribuée à un mauvais usage des lanceurs de balles de défense, résultant du manque de formation d’agents de la sécurité publique appelés en renfort pour procéder à l’interpellation de fauteurs de troubles. Il convient de rappeler que les effectifs des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont atteint un plancher historique en 2019. ([30])

Entendu par la commission d’enquête, le ministre de l’intérieur a lui-même admis que pendant le mouvement des « Gilets Jaunes », des policiers avaient été « obligés d’aller acheter des casques de ski pour, courageusement, faire de l’ordre public ». « Ce n’est pas normal », a-t-il affirmé ([31]).

La gendarmerie nationale a, elle aussi, connu une situation inédite, comme en a témoigné le général Richard Lizurey au cours de son audition : « Il y a six mois, je vous aurais dit que les gendarmes départementaux ont vocation à assurer la sécurité publique et non le maintien de l’ordre. De même, je vous aurais dit que les gendarmes volontaires, qui sont des jeunes recrutés sur des contrats courts d’une durée de un à six ans — chez nous ils restent en moyenne deux ans et demi — n’ont pas vocation à faire du maintien de l’ordre, pas plus que les réservistes. En réalité, dans la situation actuelle, tous sont amenés à participer au maintien de l’ordre, car tous peuvent être les premiers à arriver sur les lieux d’un trouble public. Ils doivent alors prendre les premières mesures et se protéger eux-mêmes, ce qui implique qu’ils disposent d’un certain équipement. » ([32]). La gendarmerie a immédiatement réagi par la distribution des matériels en stock et l’organisation de stages de formation des commandants de pelotons de surveillance et d’intervention (PSIG) au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier.              

b.   Une coordination insuffisante entre les forces contribuant à la sécurité publique

Comme le relevait un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur le maire et la sécurité intérieure de juillet 2017 : « le contexte de risque terroriste, qui a vocation à perdurer à moyen terme, appelle une nouvelle appréhension au plan territorial des responsabilités de chacun. L’État doit ainsi renforcer ses moyens de sécurité étatiques sur des missions prioritaires de protection de la population et de répression des formes de délinquance les plus criminogènes » ([33]).

Dans ce contexte, en application de l’article L.O. 144 du code électoral, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont été nommés parlementaires en mission par le Gouvernement et invités à présenter un rapport sur la définition d’un continuum de sécurité et sur l’articulation des interventions respectives des forces de sécurité de l’État, des polices municipales et des acteurs privés de la sécurité. Publié en septembre 2018, ce rapport dessine les contours d’un cadre qui devra permettre une meilleure articulation des forces étatiques avec les polices municipales et les forces de sécurité privée.

En tout état de cause, ce nouveau cadre devra respecter la jurisprudence constitutionnelle et administrative relative à la protection des libertés individuelles. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelle la réforme consistant à autoriser les policiers municipaux à procéder à des contrôles d’identité, au motif que la subordination des agents de police municipale aux maires fait obstacle au principe de la subordination complète à la direction de l’autorité judiciaire des agents exerçant des missions de police judiciaire ([34]).

Les auditions conduites par la commission d’enquête et la consultation publique organisée sur le site de l’Assemblée nationale durant tout le mois de juin 2019 confirment la volonté des policiers municipaux de voir leur statut revalorisé et leur complémentarité avec les forces étatiques reconnue.

Leurs revendications sont d’ordre :

– statutaire et indemnitaire, avec le souhait d’une revalorisation des retraites, jugées trop modestes (une majorité de répondants à la consultation du rapporteur demande l’intégration des primes dans le calcul de la retraite), une reconnaissance du travail réalisé par une revalorisation des grades et des titres (de catégorie C à catégorie B, de catégorie B à catégorie A, etc.) ;

– fonctionnel, avec la revendication de davantage de prérogatives, notamment pour cesser d’être « les souffre-douleur des quartiers difficiles », un meilleur accès aux fichiers et aux réseaux radio de la police et de la gendarmerie nationales, justifié par le fait que les policiers municipaux sont souvent des primo-intervenants ;

– matériel, avec la demande d’un équipement plus adapté et d’un port d’armes systématique, sauf volonté contraire du maire, justifié notamment par la menace terroriste.

En somme, nombreux sont les policiers municipaux qui souhaitent une harmonisation de leur statut, de leur formation, de leurs prérogatives, de leurs uniformes et de leur équipement. Dans cette optique, la compétence du maire se bornerait à fixer leur nombre par catégorie (policiers municipaux, gardes champêtres, ASVP, brigade cynophile…), leur doctrine d’emploi et à moduler leur équipement en fonction du contexte local. L’homogénéisation de la formation des policiers municipaux avec celle de leurs homologues des forces étatiques paraît souhaitable, de même qu’une réflexion sur le contrôle déontologique dont ils devraient faire l’objet.

c.   Des missions nouvelles pour l’administration pénitentiaire

Les missions de l’administration pénitentiaire évoluent de manière significative sous l’influence deux phénomènes :

– la reprise des extractions judiciaires ;

– l’augmentation de la radicalisation et de la violence en milieu carcéral.

La reprise des transfèrements des détenus aux forces de sécurité intérieure est revendiquée certaines organisations représentatives du personnel, sous réserve de disposer d’effectifs suffisants. Ainsi, M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction, soulignait l’intérêt d’assurer une continuité dans le suivi et la prise en charge d’une personne détenue : « on constate déjà que les gendarmes ou les policiers qui prennent en charge un détenu dans le cadre d’une extraction judiciaire ou médicale ne le connaissent pas et peuvent lui appliquer un cadre plus coercitif que celui que nous lui appliquons dans l’établissement, ce qui a pour conséquence de faire monter des tensions entre l’équipe d’escorte et le détenu, et ne sera constructif ni pour elle, ni pour lui, ni pour le personnel pénitentiaire à qui celui-ci sera de nouveau confié. » ([35])

Dans un premier temps, la reprise de ces missions, prévue pour se réaliser entre 2011 et 2013, a donné lieu à l’octroi de 800 équivalents temps plein (ETP), un effectif manifestement insuffisant. D’après M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire, « cela a engendré de grandes difficultés ; ainsi, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes est à l’origine de défauts de présentation de détenus devant les magistrats, et donc des vices de procédure qui ont abouti à la libération de ces détenus. » ([36])

D’après les réponses écrites fournies par la direction de l’administration pénitentiaire, une inspection interministérielle a ensuite été menée de juillet à septembre 2012 avec, pour objet, de contrôler les modalités de mise en œuvre de la réforme et de questionner sa pertinence. Sur la base de son rapport, le nombre d’effectifs à transférer a été réévalué à 1 200 ETP hors outre-mer en décembre 2013. Ce chiffre correspondait à l’hypothèse médiane de transfert de charge figurant dans le rapport d’audit, l’hypothèse haute évaluant le nombre total d’emplois à transférer à 1 700 ETP.

Enfin, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement a présenté un amendement pour augmenter de 450 ETP les effectifs de surveillants pour atteindre 1 650 ETP en charge des extractions judiciaires. 150 emplois doivent en plus être créés sur la période 2018-2020 pour porter à 1 800 ETP l’effectif des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ).

D’autres carences sont apparues depuis, avec :

● Des besoins de financement mal anticipés pour l’aménagement de locaux accueillant les PREJ ou l’achat de véhicules. Les crédits de fonctionnement transférés (6,7 millions d’euros par an prévus entre 2011 et 2019) se révèleraient ainsi inférieurs aux besoins (12 millions d’euros en 2018, dont 6 millions pour l’acquisition de véhicules).

● Des gains d’efficience à réaliser grâce à une meilleure organisation et une meilleure formation. Pour ce faire, la Garde des Sceaux a décidé de déployer des équipes de sécurité pénitentiaire sur l’ensemble du territoire. Ces équipes sont composées :

– d’équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP), nouvellement créées ;

– des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), des équipes exerçant en unités hospitalières (UH) et des équipes nationales de transfèrement (ENT), déjà existants, mais dont les modalités d’intervention sont redéfinies ;

– des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), qui conservent leur doctrine d’emploi.

Il s’agit de répondre au plus près du terrain aux demandes d’extractions, d’harmoniser les conditions de réalisation de ces missions, et d’augmenter leur niveau de sécurisation en formant, habilitant et armant les personnels qui les réalisent. Comme l’a souligné M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, il s’agit d’une « mission entièrement nouvelle pour l’administration pénitentiaire. Le travail habituel de l’administration pénitentiaire, c’est de surveiller des détenus dans des établissements. Des missions sur la voie publique présentent pour nos hommes et nos femmes des risques spécifiques et nouveaux, et surtout, c’est un métier complètement différent. La création des équipes locales de sécurité pénitentiaire a supposé le développement de missions nouvelles, donc de formations nouvelles pour nos agents, qu’il s’agisse de la sécurisation périmétrique des établissements ou de la sécurisation intérieure de nos prisons. » ([37])

L’augmentation du nombre d’actes de violence physique sur le personnel et les intervenants, et la problématique de la radicalisation des détenus, est aussi à l’origine d’une mutation du métier de surveillant pénitentiaire, qui doit être prise en compte.

À partir du 29 janvier 2018, la direction de l’administration pénitentiaire a augmenté les moyens matériels et techniques concourant à la sécurisation des personnels (gilets pare-lame, gants anti-coupure, trappes passe-menottes, etc.). Certaines organisations syndicales réclament toutefois encore des pistolets à impulsion électrique et des diffuseurs de gaz lacrymogène ou des caméras-piétons.

Comme l’a fait observer M. Stéphane Bredin, la radicalisation islamiste présente des risques entièrement nouveaux : « On a l’impression que l’administration pénitentiaire gère des terroristes depuis plusieurs décennies, puisqu’elle a connu les mouvements d’extrême gauche, les terroristes basques et corses. Elle a aussi connu, depuis le début des années 1990, plusieurs vagues de détenus en raison des attentats terroristes islamistes. Mais que je sache, par le passé, on n’avait jamais observé des détenus en détention tenter de convertir leurs codétenus à leur cause politique et on n’a jamais connu d’attentat commis en détention par des détenus corses ou des militants d’extrême gauche dans les années 1970. Le terrorisme islamiste induit, en matière de sécurité pénitentiaire, des risques totalement nouveaux, directs et majeurs pour l’équilibre de nos détentions. » ([38])

Ainsi, les organisations syndicales de l’administration pénitentiaire ont déploré que la formation initiale à l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) ne comprenne que neuf heures sur la radicalisation. Le caractère trop théorique de cette formation a par ailleurs été souligné. Une classification des établissements en fonction de la dangerosité des détenus paraît à certains nécessaire, tout comme la modification du volet « gestion de la détention » du code de procédure pénale pour empêcher les détenus radicalisés de communiquer entre eux, la systématisation des fouilles et le développement du recours aux « brouilleurs » de communications, notamment.

Si l’objet de la commission d’enquête n’invite pas à formuler des propositions sur l’administration pénitentiaire, le rapporteur considère toutefois que l’amélioration de la situation des forces de sécurité intérieure dépend aussi des gains d’efficience qui pourront être réalisés dans l’administration pénitentiaire, de l’efficacité de la lutte contre le phénomène de surpopulation carcérale et d’une meilleure prise en compte de la radicalisation islamiste.

3.   Une charge procédurale qui reste insupportable en dépit des réformes successives

Les forces de sécurité intérieure déplorent de longue date l’alourdissement de la charge procédurale alors que la réponse pénale, elle, ne leur paraît pas à la hauteur. Ce double ressenti est particulièrement démobilisateur. Comme l’a indiqué M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, qui préconisait d’ailleurs de remettre notre système juridique à plat ([39]), « notre droit est aujourd’hui de plus en plus “percuté” par la norme anglo-saxonne ; cette sédimentation a complexifié la procédure. »

a.   Des évolutions souvent incomprises par les agents

La durée des procédures dans les directions locales de sécurité publique aurait augmenté considérablement en quelques années, passant de 22 à 28 heures en moyenne, comme l’a rappelé le sénateur François Grosdidier en juin 2018 ([40]).

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice comporte plusieurs mesures bienvenues de simplification de la procédure pénale : possibilité de déposer une plainte en ligne, suppression de formalités administratives comme les prestations de serment et les demandes d’habilitation renouvelées à chaque mutation pour les personnels de la police judiciaire, simplification des règles relatives aux scellés, accroissement des tâches confiées aux agents de police judiciaire pour décharger les officiers de police judiciaire.

Ce projet de loi a donné lieu à une large consultation dans les forces de sécurité, pendant plusieurs mois. C’est pourquoi les policiers et les gendarmes ont été particulièrement déçus de n’y retrouver que certaines de leurs revendications, même si, comme l’a montré le débat parlementaire, des raisons objectives peuvent expliquer les choix opérés. Par exemple, quelque 300 propositions avaient été présentées par la gendarmerie dans ce cadre, et une trentaine seulement a été retenue.

 

Une procédure utile pour améliorer la réponse pénale

La procédure de l’amende forfaitaire contraventionnelle est ancienne puisqu’elle remonte à un décret-loi de 1926 ([41]). Elle a permis d’apporter une réponse simple et rapide à un contentieux de masse, celui afférent au code de la route, par une verbalisation immédiate et automatique de certaines infractions, que le contrevenant peut ensuite contester devant le juge. Initialement prévue pour les contraventions des quatre premières classes, la procédure a été étendue aux contraventions de cinquième classe en 2011 ([42]) mais le décret qui devait fixer le montant de l’amende forfaitaire encourue n’a jamais paru. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle de 2016 a innové en instaurant une amende forfaitaire applicable à certains délits : la conduite sans permis et la conduite sans assurance, hors réitération. La loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites a étendu cette procédure au délit d’occupation illicite du terrain d’autrui (article 322‑4‑1 du code pénal). Enfin, l’article 58 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([43]) a étendu cette procédure à six nouveaux délits, le 23 mars 2019.

Extension de la procédure de l’amende forfaitaire à six délits
par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Délits

Référence

Peine prévue antérieurement

Dispositions prévues par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Amende forfaitaire*

Amende minorée*

Amende majorée*

Vente illégale de boissons dans les foires

Art. L. 3352­‑5 du code de la santé publique

3 750 €

200 €

150 €

450 €

Vente et offre d’alcool à un mineur

Art. L. 3353‑3 du code de la santé publique

7 500 €

300 €

250 €

600 €

Usage illicite de stupéfiants

Art. L. 3421‑1 du code de la santé publique

Un an d’emprisonnement et 3 750 €

200 €

150 €

450 €

Vente à la sauvette

Art. 446-1 du code pénal

6 mois d’emprisonnement et 3 750 €

300 €

250 €

600 €

Transport routier en violation des règles relatives au chronotachygraphe

Art. L. 3315-5 du code des transports

6 mois d’emprisonnement et 3 750 €

800 €

640 €

1 600 €

Délit d’occupation illicite des parties communes d’un immeuble

Art. L. 126‑3 du code de la construction et de l’habitation

2 mois d’emprisonnement et 3 750 €

200 €

150 €

450 €

(*) Ces peines sont quintuplées pour les personnes morales (article 495‑24‑1 du code de procédure pénale).

Source : codes en vigueur.

Le recours à l’amende forfaitaire n’est qu’une faculté. En fonction des circonstances de l’espèce et de la politique pénale locale, le ministère public conserve la possibilité d’engager des poursuites devant le tribunal correctionnel.

À la suite des députés Éric Poulliat et Robin Reda, et des conclusions de leur rapport sur l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants ([44]), le législateur a estimé que cette procédure serait parfois plus dissuasive que les mesures alternatives aux poursuites majoritairement imposées par les magistrats aux auteurs d’usage illicite de stupéfiants et qu’il convenait donc d’ajouter cette procédure à l’éventail des réponses pénales à la disposition de la justice.

Les cinq autres amendes délictuelles concernent des infractions dont l’auteur est aisément identifiable et qui sont souvent peu sanctionnées du fait de la lourdeur de la procédure correctionnelle. Pour ces délits, la procédure de l’amende-forfaitaire devrait apporter la simplicité nécessaire à une réponse plus systématique.

L’allègement du régime de la garde à vue n’a ainsi pas été retenu, puisqu’il est en grande partie issu d’une transposition du droit européen. L’équilibre entre le renforcement des pouvoirs des enquêteurs et les libertés individuelles a fait l’objet de vifs débats au Sénat, notamment. L’oralisation générale des procédures, introduite par voie d’amendement au Sénat, a finalement été abandonnée au profit d’une automatisation de la production de certaines pièces, dans le cadre du chantier de dématérialisation de la procédure pénale. La faculté de recourir à la procédure de l’amende forfaitaire pour de nouveaux délits a d’abord été étendue, par le Sénat, à tous les délits du code pénal réprimés d’une simple peine d’amende avant d’être à nouveau limitée à l’Assemblée nationale, qui a néanmoins retenu un champ plus large que celui du Gouvernement.

L’article 94 de la loi du 23 mars 2019 a par ailleurs transposé en droit français la directive européenne de 2016, dite « directive E » ([45]), qui devait l’être avant le 11 juin 2019. Ces nouvelles dispositions contribuent à accroître la charge procédurale dès qu’une affaire concerne un mineur. Elles prévoient notamment un droit à l’information des parents, du tuteur, de la personne ou du service auquel le mineur est confié, la possibilité pour le mineur d’être assisté par son représentant légal tout au long de la procédure, l’assistance obligatoire d’un avocat et le droit d’être examiné par un médecin. Les auditions doivent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel obligatoire. Face à cette multiplication des garanties accordées aux mineurs et à la charge procédurale qui en résulte, les policiers comme les gendarmes ont le sentiment que la réponse pénale n’est pas à la hauteur (cf. II. F. 1).

b.   Une dématérialisation très attendue

La dématérialisation a certainement un rôle majeur à jouer dans l’acceptabilité de la charge procédurale. Considérant que « l’alourdissement de la procédure pénale est aussi la conséquence logique d’un accroissement des garanties des droits de la défense » ([46]) et qu’il est, à ce titre, en partie inévitable, M. Jérôme Bonet recommande de s’appuyer sur les nouvelles technologies : « des outils qui permettront aux agents d’alléger leur charge de travail. Des outils d’intelligence artificielle ; l’oralisation de certaines procédures pénales, notamment les plus simples. Nous travaillons également sur l’utilisation d’un logiciel de reconnaissance vocale – pour éviter des tâches extrêmement chronophages. » ([47]) Selon Mme Brigitte Jullien, directrice de l’inspection générale de la police nationale, « un groupe de travail a été créé pour étudier cette question, et deux expérimentations sont menées au parquet de Blois, sur la dématérialisation totale de la procédure ; tous les services de police et la justice ont le même numéro de dossier. […] Supprimer le papier qui encombre les services de police contribuera à alléger la procédure. » ([48]) La dématérialisation pourrait également permettre d’améliorer les relations entre les différents acteurs de la chaîne pénale en permettant aux enquêteurs de voir les conséquences de leur travail : « si nous parvenons, dans la dématérialisation des procédures, à constituer une chaîne complète allant jusqu’à la justice, les services de police auront accès à la suite donnée aux enquêtes. Ce sera un grand progrès, également pour les victimes, avec qui nous avons une proximité qui n’existe pas dans les autres services, et qui demandent régulièrement aux policiers où en est leur affaire. » ([49])

Encore faut-il que cette dématérialisation advienne effectivement. La dématérialisation de la procédure pénale, chantier majeur promu par la loi du 23 mars 2019 précitée, est en réalité une antienne depuis le « plan de numérisation » lancé en 2006. Bien que le législateur ait autorisé la signature électronique et numérique des procédures en 2009 et la transmission électronique des procédures en 2016, le recours aux outils numériques reste inégal, selon les services et les régions. Un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires de 2016 identifiait les mauvaises relations entre les services d’enquête et les autorités judiciaires parmi les causes de ce retard.

c.   Des réformes souvent inappliquées

Surtout, les policiers comme les gendarmes constatent que des mesures de simplification ayant déjà trouvé une concrétisation juridique ne sont pas véritablement appliquées :

– soit parce que les textes d’application n’ont pas été pris, souvent en raison de freins techniques sous-tendus par des difficultés budgétaires ;

– soit parce qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une diffusion aux personnels.

Il existe ainsi maints exemples de retard dans l’adoption des textes réglementaires d’application (les mesures simplifiant la restitution procédurale des gardes à vue de la loi du 3 juin 2016, le procès-verbal unique, pourtant prévu par le décret n° 2016-1202 du 7 septembre 2016, etc.).

Pour ne citer qu’un exemple, le rapporteur note que la portée des dispositions de la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, qui prévoyait déjà que deux délits puissent être sanctionnés par des amendes forfaitaires, a été singulièrement limitée, du fait d’« obstacles techniques, et notamment informatiques » ([50]). Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, leur entrée en vigueur est en effet « suspendue jusquà la publication dun arrêté précisant les modalités selon lesquelles les requêtes et les réclamations peuvent être adressées de façon dématérialisée sur le site de lAgence nationale de traitement automatisé des infractions ». L’entrée en vigueur de la procédure s’est heurtée à l’incompatibilité des applicatifs des acteurs de la chaîne de traitement que sont le centre national de traitement (CNT), piloté et géré par l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), le ministère de la Justice, celui de l’Intérieur et celui de l’Économie et des finances. En d’autres termes, la faculté de recourir aux amendes forfaitaires a été étendue alors même que la procédure n’était pas encore applicable.

Certaines réformes se heurtent aussi au manque de moyens patent de la justice. Un gendarme entendu par la commission d’enquête affirmait ainsi que « le traitement en temps réel est, suivant les parquets, problématique. En Gironde, par exemple, pour obtenir une décision relative à une enquête préliminaire – je ne parle pas d’une enquête de flagrant délit, où une ligne téléphonique est dédiée –, il m’est déjà arrivé de rester 45 minutes au téléphone à attendre qu’un magistrat me réponde. Si nous n’avons pas le temps d’attendre, nous envoyons un courrier et la décision nous revient trois mois après » ([51]).

II.   Une réforme profonde et innovante des forces de sécurité est indispensable

À l’issue des travaux de la commission d’enquête, le rapporteur ne peut que constater que les forces de sécurité font le maximum avec les moyens mis à leur disposition mais que la réponse judiciaire, la contrainte administrative et plus largement l’organisation ne sont pas au niveau et nécessitent une réforme d’ampleur. L’organisation des forces de sécurité est manifestement mal adaptée aux nouveaux défis qui sont survenus ces dernières années et à la mise en œuvre des réformes ambitieuses attendues par les agents et leurs concitoyens.

A.   Fixer des priorités claires et stables dans le temps

Les forces de sécurité intérieure ont besoin qu’on leur donne les moyens d’accomplir leurs missions et d’être appuyées par des réserves opérationnelles performantes et en nombre suffisant. Les besoins immobiliers et d’équipement, une fois déterminés, devront faire l’objet de priorités claires et pluriannuelles. L’état des forces de sécurité impose, en effet, de sanctuariser les crédits qui y seront dédiés, afin d’éviter qu’elles ne servent une nouvelle fois de variables d’ajustement.

1.   Adopter une loi de programmation de la sécurité intérieure, levier d’une profonde réforme

Les forces de sécurité intérieure méritent d’être dotées d’une vision stratégique à long terme qui permettrait de fixer des priorités et de mieux responsabiliser les gestionnaires.

Plusieurs mutations à l’œuvre (radicalisation de la contestation sociale, évolution de la délinquance des mineurs, hausse du niveau de violence, radicalité islamiste, cybercriminalité etc.) sont encore insuffisamment prises en compte. En témoignent les lacunes observées en matière de formation ou d’équipement. Un nouveau Livre blanc et une loi de programmation n’auront de valeur que s’ils permettent d’y remédier.

Une telle loi de programmation devrait fixer des objectifs et définir des indicateurs, notamment pour :

– favoriser le rééquilibrage de la structure de dépense, en faveur de davantage d’investissement et d’équipement ;

– « sincériser » les budgets ;

– repositionner les différents corps de fonctionnaires et les militaires sur des missions cohérentes ;

– résorber le flux annuel d’heures supplémentaires et mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ;

– définir une politique de formation cohérente ;

– poser les jalons des grands chantiers de modernisation que sont la dématérialisation de la procédure pénale et le recours aux techniques d’imagerie moderne à des fins tactiques (drones, caméras) ;

– fixer une norme de dépense stable pour la rénovation des locaux de travail et des logements, renouveler le parc de véhicules ;

– gagner en efficience par l’achèvement de la mutualisation des fonctions support et par des réorganisations de structure pour une action des forces de l’ordre plus efficace ;

– veiller à déconcentrer la dépense en conférant des marges de manœuvre suffisantes aux gestionnaires locaux.

Cette feuille de route devrait être coordonnée avec la loi de programmation pour la justice. À terme, le rapporteur considère d’ailleurs que les deux exercices devraient aller de pair, tant les faiblesses de la réponse judiciaire démobilisent ceux qui tous les jours luttent contre la délinquance et suscitent une perte de confiance au sein de la population en général.

Le rapporteur se réjouit de l’annonce, par le Premier ministre, de la préparation d’un Livre blanc et d’une loi de programmation sur la sécurité intérieure dès l’été 2019.

Proposition n° 1 : Mettre en place une loi de programmation de la sécurité intérieure permettant d’offrir de la visibilité pour les futurs investissements indispensables ainsi qu’aux réorganisations nécessaires.

2.   « Sincériser » le budget des forces de sécurité intérieure autour des besoins immobiliers réels

À partir d’une meilleure évaluation des besoins, un plan ambitieux en faveur de l’immobilier doit être mené, dont les crédits seraient préservés par l’application d’une mise en réserve pertinente.

a.   Prévoir un plan immobilier adapté aux besoins

L’évaluation précise et complète de l’état du parc immobilier de la police et de la gendarmerie des besoins est primordiale afin de juger la pertinence des plans d’investissement qui ont été mis en œuvre jusqu’à présent.

La police nationale s’est dotée d’un outil de suivi de l’état du parc immobilier, à la suite d’observations de la Cour des comptes, qui classe les bâtiments selon leur état estimé. Comme exposé plus haut, la commission d’enquête a néanmoins pu se rendre compte que ce classement ne correspondait pas toujours à la réalité. À Fontainebleau, un commissariat considéré en « bon état » selon l’outil de gestion immobilière est en réalité dans un état calamiteux, un mur s’étant effondré peu avant la visite. De façon similaire, les cellules du commissariat de Remiremont, également classé en « bon état », offrent des conditions de détention déplorables.

Les besoins en investissement du parc immobilier de la gendarmerie sont également mal connus. En 2015, la Cour des comptes relevait que « les incertitudes sur l’état du parc sont préoccupantes et ne permettent d’estimer les besoins de crédits nécessaires à la conservation de ce patrimoine immobilier ». ([52])

Le rapporteur s’interroge dès lors sur la capacité du ministère de l’intérieur à programmer des investissements qui répondent aux besoins alors que l’état réel des locaux est mal évalué. Le ministre lui-même a reconnu cette situation devant la commission d’enquête : « Je ne suis pas en mesure de vous dire : voilà la dotation dont nous avons besoin – nous n’avons même pas de référence » ([53]).

Face à cette situation dégradée, les plans d’urgence successifs ne sont que des pis-aller qui ne permettent pas d’offrir à tous les policiers et gendarmes des lieux de travail et de vie dans un état convenable. Les choix de gestion exposés plus haut, consistant à transférer des crédits alloués à l’investissement immobilier vers le fonctionnement courant, illustrent d’ailleurs un manque de vision stratégique des moyens des forces de sécurité intérieur auquel il importe aujourd’hui de mettre fin.

Le rapporteur considère qu’il est nécessaire d’établir une stratégie immobilière volontaire pour les prochaines années, à l’occasion de la loi de programmation pour la sécurité annoncée par le ministre de l’intérieur. Ce document chiffrerait clairement les besoins et programmerait les investissements à réaliser, en fixant des objectifs stratégiques de moyen terme aux gestionnaires.

À titre indicatif, le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, considère que « pour l’immobilier, 50 millions d’euros supplémentaires chaque année seraient un effort déjà très conséquent au-delà duquel notre capacité à le traiter ne serait pas garantie. Mais c’est vrai que cet effort nous permettrait d’accélérer la remise en état de nos casernes domaniales ».

La commission d’enquête sénatoriale de 2018 dressait un constat similaire et réclamait déjà l'établissement d'une planification « crédible et sincère » afin de « garantir non seulement le “ moral des troupes , mais aussi de contribuer à l'amélioration réelle de la situation matérielle des forces » ([54]). Le rapporteur considère que cette proposition est plus que jamais d’actualité et qu’il faut passer d’une logique de plans d’urgence parant au plus pressé à une logique de programmation sur le long terme.

Proposition n° 2 : Chiffrer précisément les besoins immobiliers des deux forces qui serviront de base à une programmation cohérente de la remise à niveau du parc, en garantissant un investissement annuel minimal supplémentaire de 50 millions d’euros pour chacune des deux forces

b.   Pour une mise en réserve de précaution pertinente

La baisse de 8 à 3 % du taux de mise en réserve sur les crédits hors masse salariale ([55]) a constitué une avancée majeure dans la sincérisation du budget des forces de sécurité intérieure, en rapprochant le montant des crédits effectivement disponibles pour les gestionnaires de celui des crédits votés en loi de finances.

Cette baisse du taux de la réserve de précaution, en diminuant le montant global des crédits gelés, a permis d’imputer son montant en priorité sur des dépenses dites « pilotables », comme les moyens mobiles, les équipements et les systèmes d’information et de communication et non plus sur le fonctionnement courant, qui constitue une dépense obligatoire. En particulier, il n’y a pas eu de gel des crédits dédiés à la gestion de l’immobilier en 2018.

Néanmoins, cela a eu pour effet mécanique d’accroître la pression sur les crédits considérés comme manœuvrables. Comme l’a indiqué le général Laurent Tavel lors de son audition, « le taux de mise en réserve de 3 % qui s’applique à l’ensemble des crédits hors titre 2, devant être positionné sur les seules dépenses manœuvrables, le pourcentage appliqué à ces dernières peut en réalité représenter beaucoup plus. Parmi les dépenses manœuvrables, figurent par exemple, l’[entretien et l’investissement] immobilier, les achats de véhicules ou le budget de fonctionnement des unités élémentaires » ([56]).

En effet, la gendarmerie, du fait du poids des loyers, supporte des charges fixes plus importantes. Comme le souligne le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, la réserve de précaution « se calcule sur la totalité du budget de la gendarmerie nationale, y compris les dépenses obligatoires, notamment l’immobilier dont les crédits s’élèvent à 500 millions d’euros. Le dispositif est donc asymétrique et conduit à une « double peine » : les dépenses obligatoires produisent de la mise en réserve, laquelle, à juste titre, ne peut pas être prise sur les dépenses obligatoires, de sorte que le reste du budget supporte deux fois la mise en réserve. Il est certain que cela crée des contraintes et conduit à décaler des programmes immobiliers, car l’entretien de l’immobilier et les véhicules constituent des variables d’ajustement ».

En raison des tensions ainsi créées, en particulier pour la gendarmerie, il conviendrait donc de revoir le mode de calcul de la mise en réserve pour qu’elle soit calculée seulement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de son calcul le montant des crédits destinés aux loyers de la gendarmerie (508 millions d'euros en 2018) représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

Proposition n° 3 : Calculer le montant de la réserve de précaution uniquement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de son calcul le montant des crédits destinés aux loyers de la gendarmerie représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

3.   Augmenter les crédits en faveur du renouvellement des véhicules

L’équipement des forces doit faire l’objet d’une priorité similaire à celle de l’immobilier. Le parc de véhicules des forces de sécurité intérieure a vieilli, même si l’effort d’acquisition de nouveaux véhicules qui a été réalisé au sein des deux forces s’est traduit par une baisse de l’âge moyen du parc de véhicules de gendarmerie. Cet effort doit être consolidé pour les véhicules de la police dont l’âge moyen a continué d’augmenter et atteint 7,35 années en 2018, contre 5,47 en 2012.

a.   Acquérir des véhicules plus adaptés

Au cours des travaux de la commission d’enquête, le caractère inadapté de certains véhicules a souvent été souligné. En particulier, les brigades anti-criminalité (BAC), décrites comme le « couteau suisse » de la police nationale, ne disposent souvent pas d’un véhicule qui leur permette d’emporter l’ensemble du matériel réglementaire, notamment les équipements lourds liés aux interventions antiterroristes.

Les expérimentations de recours à la location récemment mises en œuvre sont une piste intéressante pour élargir le parc de véhicules disponibles et l’adapter aux besoins. M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint du SGAMI Sud, indiquait ainsi que « dans la zone Sud, le SGAMI a été sollicité par la direction générale de la police nationale (DGPN) afin de louer des véhicules pour les services d’investigation qui ne sont pas disponibles sur le “Catachat” [catalogue des équipements qui peuvent être commandés par les forces de sécurité intérieure]. La sûreté départementale de Marseille et la police judiciaire procèdent de temps en temps à ces achats sur leur budget propre, mais à la marge. Nous serions intéressés par un marché national avec un loueur ».

Le recours à la location doit être facilité afin de disposer d’un parc de véhicules plus étendu pour les deux forces au bénéfice des services spécialisés ou pour des besoins ponctuels.

Proposition n° 4 : Poursuivre le renouvellement des parcs de véhicules en élargissant le recours à la location ou leasing.

b.   Offrir de la souplesse grâce à l’externalisation de certaines prestations

Les pistes d’externalisation de l’entretien courant des véhicules sont intéressantes. La préfecture de police de Paris (PP) a ainsi passé un marché d’externalisation au profit de ses effectifs policiers et de la Brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP). Comme l’a indiqué M. Stéphane Jarlégand, secrétaire général pour l’administration de la PP, aux membres de la commission d’enquête, ce marché « permet d’effectuer immédiatement de petites réparations sur les véhicules dans 360 centres autour de Paris. Cette externalisation est couplée à une décentralisation de la décision, puisque les agents payent avec une carte d’achat qui simplifie le système de paiement ».

Le rapporteur est particulièrement favorable au développement de cette externalisation pour des réparations limitées, lorsqu’elle est possible. Elle offre en effet plus de souplesse aux responsables d’unités afin de mener leurs petits travaux d’entretien et évite d’envoyer le véhicule au garage mutualisé au niveau du département.

Le secrétaire général pour l’administration de la préfecture de police de Paris dresse d’ailleurs un bilan enthousiaste de cette externalisation qui aurait permis de faire baisser le taux d’indisponibilité des véhicules. Les services apprécieraient également la réactivité du nouveau système ([57]).

Proposition n° 5 : Développer le recours à l’externalisation, et donc l’enveloppe de financement allant avec, pour les petites opérations d’entretien afin de donner plus de souplesse aux responsables d’unités.

4.   Engager l’investissement nécessaire à la dématérialisation de la procédure pénale

La dématérialisation est devenue un enjeu essentiel de simplification de la procédure pénale. Les ministères de la justice et de l’intérieur ont amorcé une démarche commune afin de faire aboutir le projet de « procédure pénale numérique » (PPN), qui doit dématérialiser les échanges entre les acteurs de la chaîne pénale.

a.   S’assurer du respect du calendrier fixé et évaluer le coût du programme

La commission d’enquête a pu constater que des progrès dans ce sens avaient d’ailleurs été réalisés. Jean-Marc Salanova, DCSP, soulignait ainsi que « sous l’autorité du directeur général de la police nationale (DGPN), et du service des technologies et des systèmes d’information (STSI2), en particulier, nous nous engageons résolument dans la dématérialisation et la modernisation : main courante informatisée ; nouveau logiciel de rédaction des procédures ; nouveaux logiciels pour gérer les PC radio ; centres d’information et de commandement (CIC) ; portabilité, avec le système NEO, déployée depuis deux ans maintenant ».

Le programme NEO a effectivement permis d’améliorer l’équipement à la disposition des forces de sécurité intérieure, au bénéfice de la dématérialisation de la procédure.

Le programme NEO pour la police et la gendarmerie

NEO est un programme commun à la police et à la gendarmerie, développé par les deux directions générales en lien avec le STSI², qui constitue une étape importante de la dématérialisation de la procédure pénale.

Le programme est décliné en « Néopol » et « Néogend » mais s’est traduit par un marché unique d’acquisition de terminaux numériques. Par principe, les applications développées sont communes, à l’exception de celles spécifiques à une direction générale ou à une direction centrale de la police nationale.

La sécurisation de ces dispositifs a constitué un enjeu majeur, la solution Néo ayant été bâtie avec des systèmes d’exploitation fournis et mis à niveau par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Source : ministère de l’intérieur.

L’article 50 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié plusieurs dispositions du code de procédure pénale, dont principalement l’article 801-1, afin de sécuriser et de faciliter l’essor d’une procédure pénale totalement numérique de l’enquête de police jusqu’au jugement par la juridiction, puis, le cas échéant, l’exécution de la peine. Ces dispositions ont été précisées par décret ([58]) et doivent faire l’objet très prochainement d’un arrêté commun des ministres de la Justice et de l’Intérieur.

Comme l’ont affirmé plusieurs personnes entendues par la commission d’enquête, la dématérialisation de la procédure pénale nécessite un saut technologique majeur. Le rapporteur juge pour le moins ambitieux le calendrier retenu pour la mise en œuvre du programme, qui prévoit le déploiement de la première version de la procédure pénale numérique en 2022.

D’après les réponses écrites du ministère de l’intérieur, une direction conjointe aux deux ministères a bien été constituée et chargée de coordonner les chantiers techniques, juridiques et organisationnels. Des sites d’expérimentation ont été sélectionnés et des « briques applicatives » sont élaborées depuis janvier 2018 pour faire évoluer les logiciels de rédaction des procédures, créer de nouvelles plateformes collaboratives, des solutions de stockage et d’archivage des contenus multimédias ou encore des outils de génération de l’identifiant unique de procédure.

Programme de déploiement de la procédure pénale numérique

La conception et la mise en œuvre du programme procédure pénale numérique s’inscrivent dans le calendrier prévisionnel suivant :

2018

1° Définition des contours du programme par une mission de préfiguration conjointe aux deux ministères.

2° Constitution de la direction de programme conjointe aux deux ministères chargée de coordonner les chantiers techniques, juridiques et organisationnels de la mise en œuvre des orientations de la mission de préfiguration.

3° Préparation des sites expérimentaux.

4° Développements des « briques applicatives » de la cible 2022.

2019-2021

1° Premières expérimentations de procédures dématérialisées.

2° Poursuite des développements et premières livraisons des briques applicatives de la cible 2022.

2022

Déploiement de la première version de la procédure pénale numérique.

 

Source : réponse du ministère de l’intérieur au questionnaire de la commission d’enquête.

D’après les réponses écrites du ministère de la Justice, une expérimentation a débuté le 30 avril 2019 dans le ressort du tribunal de grande instance (TGI) d’Amiens et le 7 juin 2019 au TGI de Blois, conformément au calendrier prévu. Depuis, une vingtaine de procédures contre auteur inconnu, intégralement numériques, auraient été transmise de manière dématérialisée. Une deuxième phase de test a commencé le 14 juin 2019 à Amiens et doit débuter le 16 septembre à Blois, cette fois pour tester la transmission de procédures concernant un ou plusieurs mis en cause pour des faits de nature délictuelle. Enfin, une troisième phase doit commencer à l’automne 2019 pour permettre progressivement le passage au nativement numérique pour l’ensemble des nouvelles procédures ouvertes dans les ressorts expérimentaux et la gestion intégralement dématérialisée de celles-ci. L’objectif est de tester l’organisation et les outils permettant de parvenir à la constitution d’une brigade, d’un commissariat et d’un tribunal numérique. En fonction des premiers enseignements qui seront tirés de l’expérimentation sur les sites pilotes, l’extension de celle-ci à de nouveaux ressorts territoriaux sera envisagée dans le courant de l’année 2020.

Le coût complet du programme est encore en cours d’évaluation. Ce coût recouvre à la fois un volet expérimental correspondant aux projets de dématérialisation sur les sites pilotes, un volet applicatif correspondant aux travaux de construction des nouveaux systèmes d’information et un volet matériel correspondant aux infrastructures, scanners, écrans et autres équipements nécessaires à la mise en place de la dématérialisation. Les premières étapes des volets expérimental et applicatif avaient été partiellement anticipées dans la programmation budgétaire quinquennale de 2017. Pour la totalité du programme, le ministère de la Justice précise qu’en fonction de l’avancée des travaux « et des ambitions pour la construction de la cible 2022, une réévaluation budgétaire pourrait être réalisée d’ici une à deux années, s’il est constaté qu’un budget complémentaire est nécessaire pour atteindre la totalité des objectifs ».

Le rapporteur estime que la plus grande vigilance est de mise pour éviter un dérapage du coût budgétaire de ce programme ou son ralentissement, faute des crédits nécessaires. Le Parlement a vocation à exercer pleinement son rôle de contrôle en la matière.

b.   Consolider les systèmes informatiques

En parallèle de l’investissement dans la dématérialisation, des problèmes techniques devront être réglés. Comme le soulignait Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces « plutôt que de se livrer à une course sans fin aux nouveaux outils, il […] paraît indispensable de consolider les infrastructures : le câblage doit être modernisé dans les commissariats, et les moyens de transmission doivent être actualisés. Les dispositifs de stockage de l’information doivent en outre être chiffrés et sécurisés de façon renforcée, pour résister à de potentielles attaques informatiques ».

Le rapporteur considère qu’il s’agit d’un complément indispensable à toute dématéralisation de la procédure pénale. Il a pu constater, à l’occasion des déplacements de la commission d’enquête, la vétusté et le caractère inadapté des locaux et moyens dédiés à l’informatique, notamment dans le cas du commissariat de Fontainebleau évoqué plus haut. En parallèle d’un programme de dématérialisation, il est indispensable de prévoir une mise à niveau des infrastructures informatiques.

c.   Assurer l’interopérabilité des logiciels de procédure pénale

Le renouvellement des logiciels de rédaction de la procédure pénale est l’occasion de progresser vers la dématérialisation. Le ministère de l’Intérieur s’est engagé dans le développement d’un logiciel commun aux deux forces, qui disposeraient néanmoins de leur interface propre : « Scribe » pour la police nationale et « logiciel de rédaction de procédure de la gendarmerie nationale – nouvelle génération » (LRPGN-NG). Une procédure initiée sur Scribe par un policier pourra directement être poursuivie par un gendarme sur sa propre interface. L’importance de l’interopérabilité des systèmes d’information a été soulignée par le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale (DOEGN) : « aujourd’hui, les outils informatiques sont de plus en plus vastes et les logiciels, auxquels on demande de prendre en compte une multitude d’éléments, conduisent parfois à l’échec. Il me semble donc préférable de travailler sur l’interopérabilité entre les systèmes, afin qu’ils soient adaptés à chacun des intervenants et donc plus performants ».

Or, l’interopérabilité avec le logiciel de rédaction de procédure pénale du ministère de la Justice n’est pas encore acquise, ce qui limite l’intérêt de la mutualisation en cours. La plus-value espérée de la dématérialisation ne pourra pas se concrétiser si les logiciels restent cloisonnés. Les propos de la directrice de l’IGPN laissent présager de telles difficultés : « des problèmes techniques sont à prévoir, puisque Scribe, notre futur logiciel de rédaction de procédures, est en cours de déploiement et qu’il conviendra de le connecter avec celui de la justice, Cassiopée. »

L’enjeu de la dématérialisation est à la fois d’alléger la procédure pénale et d’améliorer la coordination et le suivi des différents acteurs de la chaîne.

Proposition n° 6 : Investir puis veiller à la bonne mise en application de la dématérialisation de la procédure pénale

– en déterminant les responsabilités respectives entre le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice ;

– en veillant à la sécurisation des systèmes d’information ;

– en assurant l’interopérabilité des logiciels.

5.   Mettre en œuvre un programme volontariste en faveur des réserves opérationnelles

Les réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie ont toute leur place dans la protection de la sécurité des Français. Elles jouent un rôle fondamental dans l’appui aux forces d’active, en particulier au sein de la gendarmerie nationale qui dispose des forces de réserve les plus importantes.

a.   Fixer des priorités claires à la mobilisation des réserves opérationnelles

La création de la Garde nationale en 2016 avait donné une impulsion importante aux réserves opérationnelles, qui s’est traduite par une augmentation des budgets alloués. Pourtant, cet effort n’a pas résisté aux nouvelles priorités en matière de sécurité, et les crédits destinés à financer la mobilisation des réservistes ont été utilisés pour rémunérer les forces d’active dans un contexte opérationnel tendu.

En effet, comme le souligne la Cour des comptes, malgré une multiplication par près de 2,5 des budgets des réserves entre 2015 et 2018, le décalage est certain entre les besoins réels et les budgets votés. Cela avait conduit pour 2017 à porter le montant exécuté du T2 de la réserve de la gendarmerie à près de 100 millions d’euros pour répondre aux besoins opérationnels.

À partir de juillet 2018, en revanche faute de crédits budgétés, la gendarmerie a dû suspendre le versement des indemnités des réservistes et réduire le nombre de réservistes mobilisés. Alors que la dotation initiale lui permettait d’en déployer 2 800 simultanément, elle a dû réduire leur « empreinte au sol » à 1 800 seulement.

Cette situation est préjudiciable pour les engagés comme pour leurs chefs, qui n’ont plus de visibilité sur les possibilités de mobilisation. Comme l’indiquait le capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) lors de son audition par la commission d’enquête, « ce frein budgétaire est aujourd'hui problématique, alors même que le directeur général souhaite consolider notre modèle de réserve […]. Il nuit également à nos chefs opérationnels, puisque le manque de visibilité budgétaire ne leur permet pas de concevoir une manœuvre globale sur l'année ».

Il en va de même pour la réserve de la police nationale : à partir de 2018, les crédits initialement alloués à la réserve ont été redéployés de façon importante afin de financer la rémunération des forces d’active.

Le rapporteur considère que les réserves doivent faire l’objet de priorités budgétaires claires en fonction d’objectifs chiffrés d’emploi de réservistes chaque année et que le montant des crédits consacrés à la réserve en 2017, d’un ordre de grandeur de 100 millions d’euros, devrait constituer une référence.

b.   Faciliter les relations avec les employeurs

Le cumul entre activité professionnelle et engagement dans la réserve est un frein, fréquemment évoqué, au développement de la réserve. Pour des raisons d’organisation du travail, l’employeur peut en effet être réticent à libérer son employé pour qu’il accomplisse ses missions de réserviste. La période de formation initiale est un enjeu particulier, qui pousse certains réservistes, comme l’indiquait le capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, à suivre cette formation pendant leurs congés ou les obligent à solliciter un congé sans solde.

Le rapporteur considère que des progrès peuvent être accomplis sur ce point en comptabilisant les périodes de réserve au titre des obligations de l’employeur de participer à la formation continue. L’article L. 4221-5 du code de la défense prévoit en effet que « lorsque l'employeur maintient tout ou partie de la rémunération du réserviste pendant son absence pour formation suivie dans le cadre de la réserve opérationnelle, la rémunération et les prélèvements sociaux afférents à cette absence sont admis au titre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue prévue à l'article L. 6331-1 du code du travail ».

Cette disposition, qui bénéficie aux réservistes de la gendarmerie, n’est pas reprise dans le code de la sécurité intérieure, et n’est donc pas ouverte pour les réservistes de la police nationale. Dans la perspective d’un élargissement de la réserve de la police nationale, cette disposition devrait être étendue à cette dernière.

Un travail plus en profondeur avec les représentants des employeurs doit également être engagé. À cet égard, des progrès sont à souligner concernant le développement des réserves opérationnelles des armées, avec le développement de conventions entre les associations d’employeurs et le ministère de la Défense afin de faciliter l’engagement de réserviste en parallèle de son activité professionnelle. Le MEDEF a ainsi renouvelé son accord avec le ministère de la Défense en septembre 2016 ([59]). Ces conventions pourraient servir de modèle pour le développement des réserves opérationnelles du ministère de l’intérieur.

Des aides ont déjà été mises en place dans le cadre de la création de la Garde nationale, notamment une incitation financière et des réductions d’impôt. En effet, l’entreprise qui favorise l’activité de ses salariés réservistes peut rentrer dans le champ des mesures fiscales prévues en faveur du mécénat ([60]). Ces dispositions ne concernent pas les réservistes de la police nationale.

Les modèles étrangers offrent des pistes de réflexion pour étendre ces aides.

L’incitation à l’emploi de réservistes au Royaume-Uni

Le ministère des armées britannique met en œuvre une politique volontariste d’incitation des employeurs à l’emploi de réservistes, fondée sur le principe de la prise en charge publique des dépenses exposées et la compensation des écarts entre les revenus salariaux et les soldes de réserve.

Ainsi, l’employeur du réserviste n’est pas tenu de maintenir son salaire, qui est pris en charge par le ministère, de même que ses cotisations retraite, maladie et d’assurance vie. En particulier, les PME peuvent demander la compensation de la perte de chiffre d’affaires ou de résultat net et des salaires versés s’ils sont maintenus par l’entreprise.

Source : Cour des comptes, Les réserves opérationnelles dans la police et la gendarmerie, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, avril 2019.

L’extension des aides attribuées aux entreprises qui embauchent des réservistes contribuerait à faciliter leur engagement et leur formation.

c.   Permettre aux réservistes les plus expérimentés de conserver leur habilitation d’officier de police judiciaire

Le départ en retraite d’un gendarme ou policier qui dispose de l’habilitation d’officier de police judiciaire constitue une perte de ressource précieuse, alors même que l’on constate une désaffection pour ces fonctions. Actuellement, les réservistes opérationnels des deux forces ne peuvent qu’être d’agents de police judiciaire, ce qui limite leurs prérogatives dans le cadre de la procédure pénale.

Comme le soulignait devant la commission Thierry Guerrero, président de l’association Gendarmes et Citoyens, permettre à ces réservistes retraités des deux forces de conserver leur habilitation permettrait de suppléer plus efficacement encore les gendarmes d’actives et « de garder une capacité opérationnelle dans les brigades territoriales », à l’occasion notamment de la sécurisation des sites touristiques.

Cette ressource complémentaire serait, en particulier, bienvenue pour réaliser des opérations dont les délais sont contraints, comme dans le cadre des enquêtes de flagrance. Les réservistes pourraient alors suppléer les forces d’actives sur des tâches chronophages.

Le rapporteur considère qu’il s’agit d’une piste intéressante afin de faire de la réserve opérationnelle une force d’appui encore plus efficace aux forces d’active. La qualification d’OPJ pourrait ainsi être maintenue pour les retraités de la police et de la gendarmerie qui bénéficient de suffisamment d’expérience.

d.   Ouvrir largement la réserve de la police nationale aux citoyens

La police nationale doit se donner les moyens de faire de sa réserve opérationnelle une véritable force d’appoint.

La réserve opérationnelle de la police nationale n’a pas connu le succès de celle de la gendarmerie. Elle compte aujourd’hui environ 6 000 personnels, contre cinq fois plus en gendarmerie. Comme l’a souligné le directeur général de la police nationale, ce vivier « repose essentiellement sur de jeunes retraités de la police nationale. Ce n’est pas une réserve citoyenne, comme peut l’avoir constitué la gendarmerie ».

Or, dans un contexte budgétaire contraint, la mobilisation de la réserve opérationnelle offre une ressource complémentaire appréciée, notamment en cas d’activité opérationnelle intense. Le DGPN l’a d’ailleurs reconnu, en soulignant que « dans le mouvement de contestation sociale qui a lieu actuellement chaque samedi, si les réservistes n’ont pas le droit de participer à l’ordre public, en revanche ils sont utilisés au sein des services de police pour faire de l’accueil, ce qui libère des personnels d’active » ([61]).

Le rapporteur considère donc que la police doit aujourd’hui s’engager fortement sur le développement de sa réserve civile et citoyenne. La souplesse de cet outil le rend particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit de faire face à une sollicitation opérationnelle accrue.

Cela étant, la Cour des comptes s’est montrée très critique à l’égard de la gestion informatique des réservistes de la police nationale dans la mesure où il n’existerait pas de système d’information permettant une gestion harmonisée des réservistes, mais plutôt une multitude de fichiers créés à différents niveaux de gestion, que ce soit la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) ou le SGAMI. Ainsi, « chaque DDSP coordinatrice et chaque direction zonale de police aux frontières (DZPAF) crée ses propres tableaux de bord qu’elle transmet aux SGAMI et, en parallèle, à sa direction métier » ([62]).

L’absence de système d’information permettant de gérer les réservistes de façon simple et harmonisée est un frein réel à une montée en puissance de la réserve de la police qui permettrait de répondre à une activité opérationnelle toujours plus soutenue. Le rapporteur appelle donc, avant tout élargissement du recrutement des réservistes de la police nationale, à prévoir la constitution d’un outil de gestion approprié.

Proposition n° 7 : Garantir le potentiel d’emploi des réserves des deux forces et développer la réserve opérationnelle de la police :

– en sanctuarisant les crédits dédiés à la réserve ;

– en facilitant les relations entre les réservistes et leurs employeurs ;

– en étudiant la possibilité de conserver au réserviste               retraité de la police et de la gendarmerie son habilitation OPJ ;

– en permettant à des citoyens volontaires d’exercer des missions opérationnelles au sein de la police nationale, sur le modèle de la RO1 de la gendarmerie.


B.   Alléger enfin la charge procédurale

Le président de la République s’est engagé à créer 10 000 emplois dans la police et dans la gendarmerie au cours du quinquennat. Au-delà de la lutte contre le terrorisme, l’objectif est de renforcer la sécurité du quotidien qui préoccupe légitimement les Français. Mais une augmentation des effectifs ne sera jamais suffisante si le potentiel opérationnel des policiers et des gendarmes n’est pas optimisé en dégageant des marges d’action – notamment par la réduction des tâches indues, l’allégement de la charge procédurale, le regroupement des unités assignées à la même mission – et en leur donnant les moyens d’être plus efficaces sur le terrain – par exemple en leur permettant de sanctionner immédiatement les infractions les plus simples par des amendes forfaitaires.

1.    Tirer pleinement parti des possibilités offertes par la numérisation

La loi de réforme pour la justice du 23 mars 2019 a conforté la démarche des ministères de la justice et de l’intérieur de s’engager sur la voie d’une dématérialisation de la procédure pénale, un chantier qu’il convient d’appuyer par un effort aussi bien financier que culturel.

Plus particulièrement, le rapporteur est attaché à la poursuite du développement de la visioconférence.

Les débats au sein de la commission d’enquête ont d’ailleurs fait apparaître que la visioconférence permettait aussi aux enquêteurs d’assister à des autopsies à plusieurs centaines de kilomètres de distance, ce qui procure économies financières et gain de temps aux forces de police et réduit également les délais de prise en charge en offrant la possibilité de solliciter des experts éloignés. Une première expérience de ce type a eu lieu le 6 novembre 2017, à l’institut médico-légal de Montpellier. L’autopsie a pu être suivie par cinq structures géographiquement séparées et impliquées dans l’enquête, dont le parquet général de Montpellier et des enquêteurs (policiers et gendarmes) localisés à Rodez.

Bien que déjà possible dans de nombreux établissements pénitentiaires, la vidéoaudience se développe, mais de manière inégale. Comme l’a indiqué Mme Aurélie Jammes, représentant le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP CFDT) : « il est en effet possible pour les magistrats de solliciter, non pas l’extraction d’une personne détenue pour une présentation physique, mais la présentation de cette personne, depuis l’établissement, via la visioconférence. Ce dispositif existe depuis des années au sein des établissements pénitentiaires, mais il ne s’agissait pas du moyen de communication privilégié par les magistrats. Il le devient avec l’augmentation des impossibilités d’effectuer des extractions judiciaires par l’administration pénitentiaire. À la direction interrégionale des services pénitentiaires (DRSP) de Lyon, les visioconférences ont augmenté de 65 %. […] Tous les établissements pénitentiaires de France sont équipés, a minima, d’une salle de visioconférence. Depuis quelques années, l’administration a la volonté de doubler ces salles dans certains établissements » ([63]).

Encadrées par l’article 706‑71 du code de procédure pénale, les possibilités de vidéoconférence ([64]) ont été élargies par l’article 54 de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Il convient de rappeler que la jurisprudence administrative, constitutionnelle ([65]) et européenne a validé le principe du recours à la visioconférence. Le Conseil d’État a estimé que le recours élargi à la vidéoaudience, même sans le consentement du demandeur, ne lui paraissait pas se heurter à un obstacle de principe, de nature constitutionnelle ou conventionnelle.

L’étude d’impact annexée au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice précitée souligne en revanche que la visioconférence « nécessitera davantage de diligences du greffe avant les auditions pour ce qui est de l’installation du matériel et de la préparation de l’audition, qu’au cours des auditions pour effectuer l'enregistrement sonore, et qu'à l’issue des auditions pour procéder au scellement, à l’archivage et à la tenue du registre des visio-conférences. » En matière informatique, « la visioconférence devra être intégrée au sein des événements de Cassiopée auxquels le dispositif est étendu. »

Le rapporteur note qu’en dépit d’un équipement apparemment suffisant, la visioconférence ne connaît pas le même succès dans les centres de rétention administratives (CRA), pour des retenus dont les transferts restent à la charge de la police aux frontières, que pour les détenus des établissements pénitentiaires, dont les transferts sont à la charge de l’administration pénitentiaire. M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, l’a noté au cours de son audition par la commission d’enquête : « la plupart des CRA sont aujourd’hui dotés de vidéo-audiences. Ces dispositifs sont prévus par la loi du 10 septembre 2018, mais ne sont que très peu utilisés pour les présentations de nature judiciaire, que ce soit devant les juges des libertés et de la détention, les cours d’appel (CA) ou devant les tribunaux administratifs (TA). Pourtant, l’utilisation de ces vidéoaudiences nous éviterait de dédier 30 % du personnel de la PAF aux escortes et transferts » ([66]).

Le rapporteur a pu faire lui-même ce constat au CRA de Coquelles dans le Calaisis. Une salle annexe du tribunal de grande instance de Boulogne y est installée qui permet de tenir des audiences délocalisées. Pour des audiences plus lointaines, à la cour d’appel de Douai ou au tribunal administratif de Lille, la visioconférence pourrait être une solution qui n’est pas mise en œuvre par les magistrats, parfois en raison de l’opposition du barreau.

Le rapporteur souhaite donc que le développement de la visioconférence soit poursuivi, tout particulièrement dans les CRA.

Proposition n° 8 : Utiliser pleinement les possibilités offertes par le numérique en développant et en imposant l’utilisation de la vidéo-audience, en particulier dans les centres de rétention administrative.

2.    Étendre le recours à la procédure de l’amende forfaitaire

Afin de garantir une réponse pénale rapide et plus systématique, le législateur a permis, depuis 2016, que certains délits dont la preuve est simple à apporter soient sanctionnés d’une amende forfaitaire (« forfaitisation »). Cette procédure s’appuie sur des technologies portables, qui permettent un traitement rapide du contentieux en question, tout en garantissant au justiciable la possibilité de contester la sanction devant un juge.

a.   Des freins juridiques et techniques qui tardent à être levés

L’application de ces nouvelles dispositions a pris un retard important en raison de difficultés informatiques et juridiques.

Comme l’indiquaient les rapporteurs désignés par la commission des Lois sur le projet de loi de réforme pour la justice précité ([67]), la portée des dispositions de la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, qui prévoyait déjà une amende forfaitaire pour deux délits (la conduite sans permis et la conduite sans assurance, hors réitération), a été limitée, du fait d’« obstacles techniques, et notamment informatiques ».

Un autre frein, relevé par nos collègues Éric Pouillat et Robin Reda dans leur rapport précité, tenait à la nécessité d’adapter les moyens du parquet de Rennes, chargé de traiter les procès-verbaux et les réclamations afférentes à ces contentieux. Le ministère de l’Intérieur interrogé par le rapporteur précise que la forfaitisation a d’abord fait l’objet d’une expérimentation, à partir du 5 novembre 2018, avant une généralisation à l’ensemble du territoire national (hors Polynésie et Nouvelle-Calédonie) à partir du 14 janvier 2019. Au 13 mai 2019, 17 000 amendes forfaitaires avaient été dressées, avec un rythme moyen de 140 verbalisations quotidiennes en semaine et jusqu’à 250 par jour, le week-end, en zone police. En zone gendarmerie, 5 517 amendes forfaitaires délictuelles ont été infligées dans le même temps.

En revanche, la verbalisation du défaut d’assurance à partir du contrôle automatisé ne commencera véritablement qu’en 2020, lorsque le fichier des véhicules assurés, récemment créé et expérimenté à partir du 27 mai 2019, sera pleinement utilisable. À ce jour, l’utilisation du fichier se heurterait à une dotation encore insuffisante en « outils de mobilité » (tablettes et téléphones portables équipés du système NEO) et à « l’immaturité » du fichier. De même, la sanction du délit de violation des règles au chronotachygraphe en matière de transport routier nécessite le remplacement du logiciel mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire, incompatible avec les technologies portables NEO de la gendarmerie et de la police nationales. L’installation d’une nouvelle application est programmée pour fin 2020.

Le ministère souligne que d’autres difficultés d’ordre juridique doivent également être surmontées :

– certains textes réglementaires doivent être adaptés et soumis à l’avis de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce qui suppose le respect de délais incompressibles ;

– la caractérisation des éléments constitutifs de certains délits, comme l’occupation illicite des parties communes d’un immeuble, pose des difficultés.

Le ministère pointe par ailleurs que les forces de sécurité intérieure et les magistrats pourraient se montrer réticents à utiliser la nouvelle procédure, au motif de la souveraineté du parquet dans l’appréciation de l’opportunité des poursuites.

En outre, la question de la destruction et/ou de l’analyse de l’origine des produits saisis dans le cadre de la procédure n’est pas encore éclaircie et supposera sans doute aussi un matériel adapté.

Par ailleurs, comme l’ont soulevé plusieurs parlementaires au cours de la discussion du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, le développement de la procédure de l’amende-forfaitaire risque de se heurter à l’insolvabilité de certains usagers. C’est d’ailleurs pourquoi, à l’initiative du député Éric Pouillat, le législateur a diminué le montant de l’amende forfaitaire pour consommation de stupéfiants de 300 à 200 euros.

Le recouvrement des amendes pénales est aujourd’hui trop faible

D’après le sénateur Antoine Lefèvre, dans son rapport d’information consacré au recouvrement des amendes pénales (Sénat, session ordinaire 2018-2019, n° 330, du 20 février 2019), l’enjeu du recouvrement des amendes pénales est mal documenté. En effet, « le Trésor public recouvre, sans les distinguer, les amendes pénales et les droits fixes de procédure dus par toute personne majeure condamnée. » Seule information relative aux amendes forfaitaires : « le taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées des “radars” est de l'ordre de 30 %. » Le rapport note également : « En 2007, votre commission des finances soulignait déjà qu’“entre ministère de la justice et Trésor public, comme entre police, gendarmerie et justice, les interfaces informatiques apparaissent déficientes.” Plus de dix ans après, c'est le même constat qui s'impose à votre rapporteur spécial. »

Le rapporteur souhaite que la réflexion se poursuive. Premièrement, s’agissant de la politique de lutte contre les stupéfiants, il considère qu’il faut sortir d’une approche dogmatique qui ne dissuade pas la consommation – les Français sont ainsi les premiers consommateurs de stupéfiants en Europe – ni ne réduit l’économie souterraine. Deuxièmement, à l’instar de M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique ([68]), il estime nécessaire d’étudier les voies et moyens de procéder à des saisies sur les biens personnels, à l’exception des biens de première nécessité, et de mieux lutter contre l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité, qui prive trop souvent d’effets les sanctions pécuniaires. En particulier, il serait souhaitable de mener une étude approfondie pour comprendre quels sont les justiciables concernés par le non-recouvrement et si les dispositions protégeant une quotité insaisissable du revenu sont fréquemment invoquées.

Le taux de recouvrement des amendes prononcées par le ministère de la Justice (aujourd’hui inférieur à 48 %) doit impérativement être amélioré pour donner une pleine effectivité à la procédure de l’amende forfaitaire en matière délictuelle et garantir le principe d’égalité des citoyens devant la loi.

b.   Un champ d’application qui pourrait être encore étendu

En dépit de ces limites, la procédure de l’amende-forfaitaire reste une solution valable pour alléger la charge procédurale tout en infligeant une sanction dissuasive. La certitude qu’une peine sera prononcée importe en effet davantage que l’éventualité d’une peine plus sévère mais simplement encourue ou, a fortiori, que de simples rappels à la loi.

Au cours de son audition par la commission d’enquête, M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, s’est dit favorable à l’extension à d’autres délits de la procédure de l’amende forfaitaire : « nous y sommes totalement favorables. Et la technologie – NEO, la portabilité – nous permet de l’envisager. D’ailleurs, dès le mois de septembre, ce sera le cas pour l’infraction d’usage de stupéfiants – et c’est déjà le cas pour les ventes à la sauvette et les occupations illicites de parties communes. Nous pourrions ajouter le vol à l’étalage et d’autres d’infractions dont la preuve est simple à apporter. On peut encore imaginer que certaines infractions puissent, à la première constatation, faire l’objet d’un procès-verbal simplifié, et se transformer, si le dossier venait à se complexifier – pluralité d’auteurs, récidives, etc. –, en procédure traditionnelle, l’auteur étant déféré devant un magistrat » ([69]).

Proposition n° 9 : Conforter et étendre le recours à l’amende-forfaitaire en matière délictuelle pour garantir une réponse pénale plus systématique et effective :

– résoudre les difficultés techniques et juridiques qui empêchent l’application de la réforme relative aux amendes forfaitaires dans le champ délictuel ;

– demander au Gouvernement un rapport ou conduire une mission d’information parlementaire sur les causes du faible taux de recouvrement des amendes pénales et sur la part des amendes non recouvrées en application des dispositions relatives à la quotité insaisissable ;

– engager une réflexion sur l’amélioration du taux de recouvrement des amendes pénales, en permettant par exemple de procéder à des saisies sur les ressources financières et/ou sur les biens personnels ;

– ensuite, étendre le champ de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits.

3.   La réduction des « tâches indues »

Bien que reconnue comme un chantier prioritaire, la réduction des missions périphériques ou « tâches indues » ne progresse que trop lentement. Ce constat émaille l’ensemble des rapports parlementaires consacrés aux forces de sécurité.

En juin 2018, le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat consacrée au « malaise des forces de sécurité » ([70]) avait proposé qu’un groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie soit mis en place afin d’établir un inventaire précis des missions périphériques non rattachables à une mission de sécurité publique, d’évaluer la charge opérationnelle induite et de définir une feuille de route pour leur transfert à d’autres administrations ou leur abandon.

En novembre 2018, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, Jean-Michel Fauvergue ([71]) constatait qu’aucune évolution significative n’était intervenue depuis 2017, à l’instar des sénateurs Henri Leroy ([72]) et Philippe Dominati ([73]) ainsi que des députés Nadia Hai et Romain Grau ([74]). Les « tâches indues » mobilisaient alors annuellement plus de 6 000 équivalents temps plein (ETP) par an, selon le sénateur Philippe Dominati.

La consultation publique organisée à l’initiative du rapporteur via le site internet de l’Assemblée nationale témoigne de l’exaspération des forces de sécurité à l’égard de ces tâches indues (cf. ANNEXES – II : résultats de la consultation). Interrogés, les policiers nationaux citent prioritairement la garde des détenus en milieu hospitalier, les gardes statiques et les transfèrements judiciaires parmi les tâches indûes dont ils souhaiteraient être déchargés.

Le rapporteur recommande d’accélérer la mise en œuvre de ces chantiers de réduction des missions périphériques en fixant des priorités.

● La dématérialisation de l’établissement des procurations ou leur transfert aux services de l’État paraît particulièrement urgente, compte tenu des échéances électorales des années à venir. Elle représente près d’un quart des tâches indues des gendarmes et mobilise les commissariats au détriment d’autres missions.

● La poursuite du transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire contribuera à assurer une continuité dans la gestion des détenus, source d’efficacité et de sécurité. Sous l’impulsion de la Garde des Sceaux, il semble que cette réforme soit enfin considérée, non comme un simple transfert de crédits budgétaires mais comme l’attribution d’une nouvelle mission qui suppose une organisation nouvelle et la formation des agents. Par ailleurs, il serait souhaitable d’étudier l’opportunité d’étendre au contrôle des visiteurs les missions des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) et de s’appuyer sur des dispositifs techniques et d’autres agents pour les palpations de sécurité de ceux-ci.

● L’externalisation de certaines fonctions afférentes à la gestion des centres de rétention administrative doit être favorisée, en lien avec la professionnalisation du secteur de la sécurité privée, déjà entamée. Si, en vertu de la jurisprudence constitutionnelle, les missions de gardiennage ne peuvent être entièrement assurées par des partenaires privés ([75]), il en va autrement des prestations de restauration et d’entretien. Sachant que les CRA manquent de personnel en raison de tableaux d’effectifs incomplets ou d’un fort absentéisme et qu’alors il doit être fait appel à des renforts externes de policiers, dégager des ressources supplémentaires tout en optimisant les dépenses devrait être un objectif.

Les propositions que le rapporteur formule par ailleurs, à propos de la réserve opérationnelle ou du renforcement des prérogatives des policiers municipaux, contribueront aussi à recentrer les forces de sécurité intérieure sur leur cœur de métier.

Proposition n° 10 : Accélérer la réduction des missions périphériques :

– transférer aux services de l’État l’établissement des procurations pour les élections ;

– transférer, aux municipalités ou aux services de l’État, la gestion de la perte de documents officiels ;

– achever le transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire ;

– externaliser les fonctions de greffe, d’accueil, de transport, ainsi que la sécurité incendie et la gestion administrative des centres de rétention administrative ;

– accélérer la conclusion de conventions entre les agences régionales de santé et les directions départementales de la sécurité publique pour permettre l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police.

Comme l’ont mis en évidence nos collègues Jean Terlier et Cécile Untermaier dans un rapport récent ([76]), on constate une tendance à l’aggravation des infractions commises par les mineurs et au rajeunissement de leurs auteurs. Certaines bandes organisées n’hésitent pas à utiliser des mineurs de moins de treize ans – qui ne peuvent être placés en garde à vue – pour des atteintes aux biens (cambriolage, vol à l’étalage) et pour le trafic de stupéfiants.

Il en résulte un accroissement des audiences devant le tribunal pour enfants, qui allonge les délais de jugement, tout comme le manque de place dans les structures éducatives ou dans les centres fermés allonge le délai d’application des peines. Ces délais contribuent à donner aux jeunes les plus engagés dans la délinquance, comme aux primo-délinquants et aux forces de l’ordre qui les appréhendent, un sentiment d’impunité. C’est pourquoi il est essentiel d’accélérer la réponse éducative et pénale à l’égard des mineurs délinquants si on veut qu’elle soit efficace.

Au cours des débats en séance publique sur le projet de loi de programmation et de réforme de la justice ([77]), Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a souligné « la nécessité d’ouvrir ce chantier qui a trop attendu », alors que les dispositions applicables à la justice pénale des mineurs, qui résultent à la fois de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, modifiée à trente-neuf reprises, mais aussi, dans le silence de celle-ci, du code de procédure pénale, se sont complexifiées, ont perdu de leur cohérence et sont devenues « peu compréhensible[s] pour les mineurs et leurs familles », « difficilement utilisable[s] par les professionnels du droit » et « en décalage avec l’évolution de la délinquance des mineurs ».

L’article 93 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, issu de l’adoption en séance par l’Assemblée nationale, en première lecture, d’un amendement du Gouvernement sous-amendé par M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Maïna Sage (UDI, Agir et Indépendants), avec l’avis favorable des rapporteurs au fond, autorise le Gouvernement à « prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier et compléter les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs, dans le respect des principes constitutionnels qui lui sont applicables et des conventions internationales », afin de :

– simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants ;

– accélérer leur jugement pour qu’il soit statué rapidement sur leur culpabilité ;

– renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de la peine, notamment pour les mineurs récidivistes ou en état de réitération, ainsi que l’ont souhaité, par voie de sous-amendement, M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Maïna Sage ;

– mieux prendre en compte leurs victimes.

Dans ce contexte, le rapporteur préconise d’avoir comme objectif une réponse pénale plus immédiate et significative pour les mineurs. Il préconise de faire de la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants une priorité absolue en matière de dématérialisation de la procédure.

D’après le ministère de la Justice, le texte de l’ordonnance est en cours d’élaboration. Il devrait être soumis à l’avis du Conseil d’État au mois de juillet 2019 et présenté en conseil des ministres en septembre. Le projet prévoit à ce stade de simplifier les modes de saisine et de rendre la gamme des réponses (mesures éducatives, peines…) plus lisible, en supprimant certaines mesures jugées obsolètes, comme l’admonestation (incomprise par la plupart des mineurs et de leurs parents).

Le rapporteur estime que cette réforme serait aussi l’occasion de réfléchir à des peines plus innovantes, comme des peines citoyennes applicables aux personnes majeures civilement responsables des mineurs délinquants. Cette idée est actuellement proposée par certains élus de Nouvelle-Calédonie et pourrait faire l’objet d’une expérimentation. En tout état de cause, il s’agirait d’une possibilité laissée au juge après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

Proposition n° 11 : Créer les conditions d’une réponse éducative et pénale efficace aux actes de délinquance commis par des mineurs :

– expérimenter notamment de permettre au juge de prononcer des peines citoyennes destinées aux majeurs civilement responsables après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

4.   Renforcer les contrôles en prison en simplifiant les exigences pesant sur les surveillants

Les personnels pénitentiaires réclament un renforcement des règles applicables aux contrôles d’accès des visiteurs se rendant au parloir des établissements pénitentiaires, pour des raisons de sécurité qui sont, encore récemment, apparues de façon dramatique lors de l’attaque de deux surveillants à Condé-sur-Sarthe.

Aujourd’hui, les contrôles d’accès sont opérés par des moyens de détection électronique ou au moyen de palpations de sécurité. Ces dernières peuvent être systématiques, dans certaines conditions, mais sans que l’on puisse y contraindre un visiteur. Si un visiteur refuse le contrôle par palpation ou ne présente pas, par exemple, le certificat médical qui le dispense de passer sous le portique, il ne peut alors entrer dans l’établissement.

Le droit existant, code de procédure pénale et circulaires, ouvre déjà des mesures de contrôle des visiteurs mais qui ne sont pas toujours mises en œuvre, en raison de directives locales ou des pratiques professionnelles suivies par les agents de surveillance, notamment par crainte d’être par la suite mis en cause par le détenu ou sa famille.

Pour renforcer la sécurité des établissements pénitentiaire, une réflexion est en cours sur l’élargissement de la réalisation des palpations de sécurité. Comme l’a indiqué le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin « Le caractère plus ou moins systématique des palpations de sécurité doit être lié au niveau de sûreté des établissements.(…) Il faut adapter le caractère systématique des palpations au niveau de risque réel de la population pénale hébergée ». ([78])

Ces contrôles devraient être possibles, sur décision du chef d’établissement, de façon systématique dans certains établissements, ou à l’égard des visiteurs de détenus dangereux, de manière inopinée à chaque fois qu’il existe une raison sérieuse de soupçonner l’introduction d’un objet prohibé par un visiteur, mais également de manière aléatoire.

Leur efficacité implique cependant que l’action des surveillants ne donne pas lieu à des justifications a posteriori qui dans les faits freinent leur mise en œuvre, à l’image de ce que le rapporteur a pu constater à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en matière de fouille des détenus.

En effet, si les possibilités de fouille des détenus ont été assouplies par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il reste que les justifications nécessaires pour prouver que les personnels de surveillance se sont bien conformés aux règles applicables sont un frein à leur utilisation, comme l’a souligné la directrice de l’établissement

Cette simplification est d’autant plus nécessaire que les nouvelles techniques de contrôle n’apportent pas une solution miracle. Le directeur de l’administration pénitentiaire a indiqué qu’une réflexion était en cours sur l’installation de portails à ondes millimétriques à l’entrée des établissements, à l’image de ce qui se fait dans les aéroports. S’ils constituent une garantie supplémentaire, leur installation peut toutefois poser des difficultés pratiques dans les établissements qui reçoivent un grand nombre de visiteurs. Le rapporteur a pu constater cette situation à Fleury-Mérogis, où l’installation de tels portiques générerait, selon sa directrice, des temps de passage et des besoins en personnel formé difficilement compatibles avec l’organisation des lieux et la gestion du flux des 750 visites quotidiennes au parloir.

Proposition n° 12 : Alléger les procédures administratives imposées aux agents de la pénitentiaire.

C.   Se doter d’une organisation adaptée aux nouveaux défis

À côté des moyens budgétaires et juridiques, le rapporteur considère qu’il est indispensable de faire enfin confiance aux décideurs locaux, en leur accordant plus de marges de manœuvre budgétaire et opérationnelle. Cette organisation permettra de mieux répondre aux besoins des forces avec, à la clé, un meilleur service rendu au citoyen.

Par ailleurs, il considère que l’autorité des directions centrales chargées des fonctions support, en particulier au sein de la police nationale, est aujourd’hui insuffisante pour mener les réformes rendues nécessaires par l’évolution des métiers et les nouvelles attentes des personnels. Le travail de mutualisation et de déconcentration doit aussi se poursuivre pour permettre des gains d’efficience.

1.    Faire confiance aux décideurs locaux en leur donnant plus de marges de manœuvre

Les policiers et gendarmes de terrain ont trop souvent l’impression d’une hiérarchie distante qui n’est pas à l’écoute de leurs besoins. Or, dans toute organisation, l’intelligence est avant tout locale et ce sont les policiers et gendarmes qui, chaque jour, sont confrontées aux réalités difficiles de leur métier qui connaissent le mieux leurs besoins.

La gendarmerie fait d’ailleurs de cette exigence une priorité. Comme l’indique le général Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie : « la primauté pour nous c’est l’intelligence territoriale, c’est-à-dire l’adaptation locale à l’ensemble de ces missions » ([79]) . Le général Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, a pu souligner pour sa part que parmi les marqueurs sociologiques du gendarme figuraient l’esprit de corps et la cohésion, l’autonomie et l’intelligence locales.

Le rapporteur considère que cette organisation est un véritable atout qu’il faut renforcer et diffuser afin, aujourd’hui, de faire enfin confiance au terrain. Pour cela, deux réformes sont à mener : l’une au niveau des décideurs locaux et l’autre au niveau zonal des SGAMI.

a.   Donner des marges de manœuvre aux responsables locaux

Bien qu’une mutualisation au niveau central soit souhaitable, il est surtout nécessaire que la marge de manœuvre des décideurs locaux soit augmentée.

Le ministre de l’Intérieur lui-même a reconnu cette nécessité : « la centrale d’achat, vous avez raison, peut avoir comme conséquence que tout soit décidé à Paris et que cela ne corresponde pas aux besoins territoriaux ; c’est une évidence. Il convient donc de déconcentrer des budgets et pour la première fois depuis 2018, 45 millions d’euros de crédits ont été alloués aux chefs locaux de la police. Nous avons un système assez proche pour la gendarmerie nationale, avec une déconcentration de moyens de maintenance. Refaire la peinture d’un commissariat, par exemple, change l’ambiance ». Ces orientations vont dans le bon sens.

Comme l’indiquait le DGPN, « il faut réserver au niveau local la possibilité de faire de “menus achats”, “menus” mais tout à fait importants – il peut être un peu pénible, dans une circonscription à l’autre bout du département, de devoir demander à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de bien vouloir procéder au remplacement d’un fauteuil de bureau ou d’une ampoule électrique… » ([80]).

Suivant cette logique, le rapporteur préconise de s’appuyer davantage sur les dispositifs de cartes d’achat et d’augmenter le montant des dotations financières des unités élémentaires (DFUE) de la gendarmerie.

Pour mémoire, la DFUE a été mise en place pour améliorer la qualité de vie des gendarmes dans les casernes. Elle n’est pas destinée à assurer l’entretien des casernes qui relève du programme immobilier. Elle est composée de deux enveloppes : l’une est consacrée à l’achat de matériel, l’autre à l’entretien ménager des locaux. Jusqu’en 2013 environ, chaque commandant d’unité décidait de l’affectation de la DFUE concernant l’entretien. Depuis lors, une application rigoureuse du code des marchés publics impose de recourir à un marché national, tant pour les prestations d’entretien que pour les achats de fournitures. Comme le confirmait le général Lizurey, « le résultat est que l’entretien des casernes est beaucoup moins bien fait, comme le confirment les gendarmes, et qu’il coûte plus cher. » ([81]) Le rapporteur recommande de réfléchir à une amélioration des contrats publics pour offrir davantage de souplesse au niveau local. Il préconise toutefois d’augmenter le montant des DFUE, qui dépend du nombre de gendarmes mais reste à un niveau très faible et permet à peine de couvrir la consommation de papier dans certaines brigades.

Les cartes d’achat permettent de simplifier les tâches administratives de gestion tout en payant les entreprises plus rapidement. Dans la région Île-de-France, qui regroupe la préfecture de police, la direction départementale de sécurité publique de la grande couronne et les services associés tels que la PAF ou les CRS, le SGAMI a déployé 538 cartes d’achat essentiellement dans le domaine de l’entretien automobile ou pour l’achat des fluides, autrement dit pour des achats qui peuvent être réalisés localement. À ce jour, la somme des montants réglés par carte d’achat s’élève à moins de 4 % du budget global mais le SGAMI s’est fixé un objectif de 20 %. Un tiers environ des crédits de proximité sont réglés par ce moyen, tandis que certaines dépenses font l’objet d’un mandat administratif classique.

Le rapporteur préconise de développer ce système en déconcentrant davantage la dépense, en passant des marchés nationaux qui permettent cette proximité (ou la rapidité de livraison) et le paiement par des cartes achat. Il ne s’agit pas de remettre en cause le principe des marchés nationaux pour les biens qui s’y prêtent mais plutôt de chercher à retrouver de la souplesse dans leur exécution.

Proposition n° 13 : Donner davantage de marges de manœuvre aux responsables locaux :

– en développant le système des cartes d’achat ;

– en augmentant les dotations financières aux mains des décideurs locaux.

b.   Achever les mutualisations au niveau zonal

Créés en 2014, les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) sont dirigés par les préfets délégués pour la défense et la sécurité, placés auprès des préfets de zone. Leur rôle est d’assurer localement les fonctions support des services du ministère de l’Intérieur, c'est-à-dire non seulement de la police et de la gendarmerie nationales mais aussi des préfectures, des sous-préfectures et de certains services de sécurité civile.

Dans la réalité, les SGAMI n’assurent pas l’intégralité des fonctions support de l’ensemble des forces de sécurité intérieure :

– pour la police nationale, ils n’assurent la gestion des carrières des personnels que pour les corps d’encadrement et d’application, des adjoints de sécurité jusqu’aux majors, et pour les personnels civils : la gestion des carrières des personnels appartenant aux corps de conception et de commandement est organisée au niveau national ;

– pour la gendarmerie nationale, ils n’assurent que la gestion des personnels civils, et non celle des personnels militaires ; la gendarmerie assure elle-même l’entretien de ses armes, sa programmation budgétaire et immobilière et conserve la maîtrise de son informatique et de ses radiocommunications.

La mutualisation des fonctions support n’est donc pas complète. Il convient de la poursuivre avec pragmatisme. Par exemple, il ne paraît pas particulièrement choquant que les carrières des personnels appartenant aux corps de conception et de commandement soit gérées au niveau national.

Dans le cas de la mutualisation de l’entretien automobile, considérée unanimement comme une réussite, la situation actuelle reste perfectible, du fait que les « garages automobiles sont constitués en partie par des personnels de la gendarmerie, sur lesquels [les SGAMI n’ont] pas d’autorité hiérarchique » ([82]). Bien qu’ayant la responsabilité fonctionnelle d’un garage, les secrétaires généraux n’ont pas de responsabilité hiérarchique sur une partie des personnels — un même garage pouvant réunir jusqu’à cinq statuts différents. Ils seraient ainsi pénalement responsables d’un accident alors qu’une partie du budget échappe encore à leur responsabilité. Un effort supplémentaire devrait pouvoir être consenti pour achever la démarche de mutualisation dans ce domaine.

La poursuite des démarches de mutualisation doit s’accompagner d’une gouvernance susceptible de répondre efficacement et rapidement aux besoins opérationnels et de susciter de la confiance. Elle doit répondre à un principe de concentration des efforts pour raccourcir au maximum le temps de la transition et ainsi limiter l’insatisfaction des agents.

Sans remettre en cause le principe des achats au niveau national, les SGAMI pourraient être davantage associés à l’expression des besoins et les marchés publics passés au niveau national devraient permettre davantage de souplesse au niveau local. Par exemple, comme l’indiquait Mme Valérie Hatsch, « lorsqu’un éthylomètre utilisé pendant huit ans tombe en panne, il semble inefficient de le réparer si la réparation coûte 2 000 euros alors que l’éthylomètre neuf coûte 2 800 euros ». Pourtant, « les éthylomètres ne sont commandés qu’une fois par an. Ils sont renouvelés au bout de dix ans » ([83]). Il revient aux administrations centrales chargées de l’élaboration des cahiers des charges d’y inclure des clauses offrant de telles souplesses.

 

Autre exemple cité par un des secrétaires généraux : celui des achats de véhicules. « Le SGAMI n’a pas la possibilité d’acquérir en urgence, pas même sur le marché privé, des véhicules neufs ou d’occasion qui correspondraient parfaitement à l’attente des services. […] Dans la zone Nord, nous pouvons être confrontés au trafic d’êtres humains. Le phénomène small boat, c'est-à-dire la traversée de la Manche sur des petites embarcations de 5 à 6 mètres sur lesquelles se trouvent une douzaine de personnes, nécessite de surveiller les plages avec des véhicules spécialisés » ([84]), en l’occurrence des motos légères qui ne sont pas disponibles sur le catalogue d’achat (Catachat). Il serait souhaitable que les SGAMI disposent d’enveloppes permettant, sous réserve des contrôles nécessaires, de répondre aux commandes urgentes et spécifiques des services.

Proposition n° 14 : Déconcentrer des enveloppes de crédits pour les achats d’équipements spécifiques en urgence dans les SGAMI

2.   Poursuivre la mutualisation des services au niveau central pour plus d’efficacité

Certains grands chantiers, comme la numérisation des ministères de l’intérieur et de la justice, la lutte contre la criminalité internationale (trafic de stupéfiants, d’êtres humains, prostitution, terrorisme…) et la cybercriminalité nécessiteraient une organisation mieux coordonnée et, à certains égards, plus centralisée, sans pour autant priver les responsables locaux de marges de manœuvre. Le rapporteur partage ainsi le point de vue des députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, qui, dans leur rapport, précité, affirmaient que « la déclinaison territoriale des politiques partenariales en matière de sécurité sera d’autant plus efficace que, à l’échelon national, les grands acteurs seront organisés de manière à ne parler que d’une seule voix » ([85]). Cela implique néanmoins de maintenir les spécificités statutaires et culturelles des deux forces, indispensables à l’exercice de leurs missions respectives.

L’organisation en « tuyaux d’orgue » de la police nationale est dénoncée depuis si longtemps qu’elle en est devenue une expression consacrée. On ne peut se contenter de le regretter.

Le rapporteur est profondément attaché à la dualité des forces de sécurité intérieure. Il constate néanmoins que les opportunités de mutualisation, créées en 2009 par le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur, n’ont pas été suffisamment exploitées.

En somme, il faut repenser l’organisation des forces de sécurité intérieure en termes de subsidiarité.

a.   Créer de grandes directions générales pour les fonctions support mutualisées

Deux directions centrales seront prochainement créées :

– le service ministériel des achats (SMA), le 1er septembre 2019 ;

– la direction générale du numérique (DGNUM).

Le ministère de l’intérieur a besoin d’une grande direction générale du numérique, tant pour sa propre transformation que dans le cadre de ses relations avec d’autres acteurs interministériels tels que la direction générale de l’armement, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ou le ministère de la Justice. Comme l’a suggéré, M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, « une grande direction du numérique du ministère de l’intérieur, si elle voyait le jour, ne devrait pas être éloignée des enjeux d’équipement des forces » ([86]).

Ces créations suscitent des inquiétudes, les directeurs généraux ayant peur de perdre la main sur leur équipement. C’est pourquoi la mise en place de ces directions doit faire l’objet de contrats clairs avec les directions opérationnelles. M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, a démontré tous les gains qui pouvaient en résulter ([87]).

Le rapporteur invite également à réfléchir sur l’opportunité de créer une direction de la recherche et du développement (DGR&D) aux côtés du nouveau SMA. Une telle direction permettrait de développer en commun des innovations et leurs doctrines d’emploi, en prenant dès le départ en compte les spécificités de chaque force, évitant ainsi de fastidieux efforts de mutualisation a posteriori.

Le rapporteur s’interroge aussi sur l’opportunité de créer une direction générale de la communication commune à l’ensemble des forces de sécurité intérieure, incluant l’administration pénitentiaire.

Ce sujet n’a guère été évoqué au cours des auditions, alors même que l’avènement des réseaux sociaux et la généralisation du recours aux smartphones modifient considérablement le rapport des citoyens avec les forces de l’ordre. La demande de « redevabilité » (ou accountability) est croissante et les agents souffrent de l’absence d’une réponse pédagogique, apaisée et unifiée en cas de crise. On peut regretter ainsi que la police nationale n’ait pas de porte-parole unique, clairement identifié, qui contribuerait à expliquer ses modes d’action, ses contraintes et les règles applicables, notamment lors des manifestations. Il n’existe pas d’entité chargée de communiquer autour des missions des policiers municipaux, alors même qu’un consensus semble se dessiner en faveur d’une meilleure reconnaissance de leur contribution à la sécurité globale.

Proposition n° 15 : Poursuivre la création de grandes directions générales sous l’autorité directe du ministre pour les fonctions support mutualisées :

– un service ministériel des achats ;

– une direction générale du numérique ;

– une direction de la recherche et développement ;

– un service de la communication.

b.   Renforcer l’autorité des directions centrales de la direction générale de la police nationale sur les services de la préfecture de police

Le rapporteur juge nécessaire de renforcer l’autorité des directions centrales de la police nationale sur certaines composantes de la préfecture de police.

Ni administration centrale, ni totalement service déconcentré, la préfecture de police de Paris a été créée en 1800, c’est-à-dire avant la police nationale. Elle répondait alors à la volonté du gouvernement du Premier empire d’avoir auprès de lui une autorité de police permettant de maîtriser l’ordre public dans toutes ses dimensions. Forte de 43 000 agents, la préfecture de police se compose aujourd’hui de cinq directions de services actifs de police :

– la police judiciaire (2 200 fonctionnaires) ;

– la direction du renseignement (1 800 fonctionnaires) ;

– la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP, 20 000 effectifs), qu’on peut comparer, en termes d’activité, aux directions départementales de la sécurité publique (DDSP) en province ;

– la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC, 5 500 effectifs) ;

– la direction opérationnelle des services techniques et logistiques, qui assure les fonctions support.

S’y adjoignent deux directions plus administratives, la police générale (950 personnes) et la direction des transports et de la protection des populations (600 personnes), ainsi que des organisations plus anciennes, comme l’Institut médico-légal et l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, son laboratoire central, ou encore sa brigade de sapeurs-pompiers (8 000 militaires) qui intervient sur Paris et la petite couronne.

Un secrétariat général pour l’administration assure la gestion des ressources humaines, des finances, de la commande publique, des affaires immobilières et des affaires juridiques.

 

Les ressources de la préfecture de police s’élèvent ainsi à 4 milliards d’euros, dont 3 milliards financés par l’État et 630 millions au titre du budget spécial, pour lequel la ville de Paris contribue à hauteur de 230 millions et l’État à hauteur de 130 millions, la différence étant comblée par les contributions d’autres collectivités locales – conseils généraux de la petite couronne et intercommunalités.

Le préfet de police Didier Lallement a reçu des instructions de la part du ministre de l’intérieur l’invitant à proposer une réforme pour mieux articuler la préfecture de police avec les administrations centrales. Il a indiqué à la commission que sa feuille de route consistait avant tout à ce que « entre la DGPN et la préfecture de police, mais aussi entre la préfecture de police et les autres grandes directions d’administration centrale – je pense à la direction générale des étrangers en France (DGEF) ou à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) – il n’y ait pas de contradiction dans la doctrine, à la fois opérationnelle et organique. Ce que je proposerai sera d’abord sous cette égide-là » ([88]).

Cette réforme, sera ainsi l’occasion :

– d’une part, créer des opportunités de carrière pour tous les policiers nationaux et contribuer à améliorer la formation des personnels ;

– d’autre part, limiter les doublons et favoriser les achats mutualisés pour les équipements.

Proposition n° 16 : Renforcer l’autorité des directions centrales sur certains services de la préfecture de police pour favoriser les mutualisations et fluidifier les carrières

c.   Créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale

Au sein de la direction générale de la police nationale, le rapporteur jugerait opportun de réfléchir à la constitution d’une grande direction centrale des ressources humaines de la police nationale, chargée de pallier les lacunes de la gestion actuelle, qui paraît coûteuse et inefficace.

La création de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN), en 2010 ([89]), a été une première étape qui a été suivie d’une réforme, en août 2017 ([90]). Le recrutement et la formation initiale sont, en effet, depuis janvier 2017, gérés par la nouvelle direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN).

Cette direction pourrait, selon le rapporteur, préfigurer une « académie de police » et devrait permettre d’aller plus loin. Une direction centrale, fruit d’une fusion de la direction du recrutement et de la formation, d’une part, et de la direction des ressources et des compétences, d’autre part, serait en effet mieux à même de remédier aux insuffisances de la formation initiale et continue de la police nationale (voir infra II. D.) et de répondre à la problématique d’un exercice plus fréquent des missions de maintien de l’ordre par des policiers chargés de la sécurité publique.

À l’instar de la direction du personnel militaire de la gendarmerie nationale (DPMGN), une telle direction se concentrerait sur le recrutement, la formation et la gestion du personnel des services actifs, ainsi que sur l’aide sociale, tandis qu’une réflexion pourrait être conduite sur l’opportunité de rattacher la gestion des personnels administratifs à une direction centrale du ministère de l’intérieur pour favoriser la mobilité et ainsi créer des opportunités de carrière.

Proposition n° 17 : Réfléchir à l’opportunité de créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale chargée de mettre en œuvre une gestion cohérente des emplois et des compétences dans les services actifs

D.   Revoir l’organisation du maintien de l’ordre

L’intensification des mouvements sociaux et l’émergence de nouvelles formes de mobilisation, parfois radicales et violentes, invitent à renforcer les effectifs et les moyens des forces mobiles mais aussi à revoir l’organisation des opérations de maintien de l’ordre.

1.   Un nouveau schéma national du maintien de l’ordre

La progression considérable de la sollicitation opérationnelle, les mutations des formes de mobilisations sociales et le développement du phénomène des « casseurs », rendent une révision de l’organisation du maintien de l’ordre indispensable. Le ministre de l’intérieur a ainsi annoncé le 16 juin 2019 l’élaboration d’un nouveau schéma national de maintien de l’ordre pour répondre à ces enjeux.

a.   Prendre en compte les nouvelles formes de mobilisation sociale

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale rappelait, lors de son audition par la commission d’enquête, que la tactique actuelle se fondait très largement sur la déclaration préalable des manifestations : « Nous avions donc en quelque sorte des organisateurs identifiés, des services d’ordre interne constitués, une temporalité et un calendrier qui nous permettaient d’anticiper, notamment d’anticiper le positionnement de forces mobiles au bon endroit au bon moment. Aujourd’hui, l’instantanéité des réseaux sociaux met à mal ce modèle tactique, notamment en termes d’anticipation. […] Tout cela vole en éclats aujourd’hui puisque n’importe quel personnage […] est capable, désormais, grâce aux réseaux sociaux, de convoquer 3 000, 4 000, 5 000 personnes en tout point du territoire, et, pire, de convoquer des manifestations de manière virale sur l’ensemble du territoire » ([91]).

Or, le caractère inédit des mobilisations récentes et leurs effets sur l’emploi des forces de sécurité intérieure ont été soulignés avec force par le directeur général de la gendarmerie nationale : « Il y a six mois, je vous aurais dit que les gendarmes départementaux ont vocation à assurer la sécurité publique et non le maintien de l’ordre. De même, je vous aurais dit que les gendarmes volontaires […] n’ont pas vocation à faire du maintien de l’ordre, pas plus que les réservistes. En réalité, dans la situation actuelle, tous sont amenés à participer au maintien de l’ordre, car tous peuvent être les premiers à arriver sur les lieux d’un trouble public. Ils doivent alors prendre les premières mesures et se protéger eux-mêmes, ce qui implique qu’ils disposent d’un certain équipement » ([92]).

Face au caractère spontané et parfois massif de ces nouvelles formes de manifestation, la mobilisation des unités de sécurité publique sur les opérations de maintien de l’ordre de basse intensité doit être renforcée. Leur rôle de primo-intervenant serait conforté afin de « figer » la situation, dans l’attente d’une éventuelle intervention des forces mobiles.

Proposition n° 18 : Élaborer un schéma national du maintien de l’ordre permettant de répondre aux nouvelles formes de mobilisation sociale et clarifiant le rôle des unités de sécurité publique dans les opérations de maintien de l’ordre.

b.   Poursuivre la réflexion sur les interpellations en cours de manifestation

La doctrine française du maintien de l’ordre, reposant sur le recours à des unités constituées et spécialisées dont l’empreinte au sol est forte et qui sont appuyées par des moyens matériels importants, permet à la fois de protéger les agents et de tenir en respect les manifestants. Comme l’a souligné M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité, ce format répond à « la nécessité de présenter un grand nombre de fonctionnaires, de ne pas les mettre en danger et d’assurer l’efficacité des schémas tactiques ».

Cependant, cette doctrine qui se concentre sur la protection des personnes augmente le risque de dégradations matérielles et limite la sanction pénale des manifestants violents puisque les interpellations, qui immobilisent et exposent les unités, n’y sont pas la priorité. Pour y répondre, des unités de sécurité publique chargées de procéder à des interpellations ont été mobilisées afin de permettre la mise en cause pénale des manifestants violents. Or, ces unités sont généralement peu nombreuses et disposent d’un équipement et d’une formation au maintien de l’ordre limités, ce qui augmente leur vulnérabilité. Ce problème se posait en particulier pour les « détachements d’action rapide » (DAR) de la préfecture de police de Paris.

Face à ce problème, M. Didier Lallement, préfet de police, a modifié le schéma qui reposait sur l’intervention des DAR se déplaçant par petits groupes d’une vingtaine de fonctionnaires en expliquant que « la propre sécurité de ces groupes mobiles n’est pas assurée s’ils ne comptent qu’une vingtaine de fonctionnaires. Nous avons donc changé la taille de ce dispositif pour qu’il compte soixante personnes […]. Les groupes conservent donc leur mobilité tout en étant adossés à une structure d’ordre public plus classique. Ce sera, à mon avis, beaucoup plus pertinent : les unités conservent leur mobilité, tout en ayant une taille critique et une structure professionnelle appuyée sur des moyens éprouvés en matière d’ordre public. C’est un véritable changement de conception de la mobilité du dispositif ».

Le rapporteur s'interroge sur le rôle de ces unités chargées de l'interpellation des manifestants violents pendant les opérations de maintien de l'ordre. La réflexion sur la forme d'intervention la plus appropriée, conciliant efficacité opérationnelle et protection des agents doit être poursuivie. En parallèle, il est essentiel de leur apporter une formation adaptée et de leur fournir un équipement de protection approprié.

c.   Faciliter la mise en cause pénale des manifestants violents

Pour faciliter la mise en cause des manifestants violents, le recours à des marqueurs individuels devrait être développé. Le colonel Jean-Jacques Vichery, coprésident de la Confédération française d’associations de retraités et de pensionnés de la gendarmerie (CFARPG)  soulignait que « ils permettent de marquer les visages et surtout les vêtements, durant une dizaine de jours. Il me semble donc qu’un effort devrait être réalisé pour leur diffusion ». Le rapporteur considère qu’il s’agit en effet de moyens efficaces pour organiser la réponse pénale en cours de manifestations, qui permettent de moins exposer les unités chargées de l’interpellation. Une expérimentation devrait être conduite, sur la base de l’utilisation qui est faite de ces techniques à l’étranger, pour déterminer la forme la plus efficace de marquage.

2.   Pour un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité.

Les forces mobiles ont été particulièrement concernées par les baisses d’effectifs au sein des forces de sécurité ces dix dernières années.

a.   Renforcer les compagnies républicaines de sécurité

Entre 2007 et 2019, le nombre de policiers exerçant en CRS est passé de 13 621 à 10 728, soit une diminution de plus de 20 %.

Cette baisse des effectifs a été réalisée sous la forme d’une réduction du nombre de policiers par compagnie. Pour une unité de service général, l’effectif est passé de 150 à une moyenne actuelle de 125, alors même que la direction centrale se fixe un objectif de référence de 136 pour un fonctionnement normal. Aujourd’hui, 53 des 60 compagnies comptent pourtant moins de 136 hommes, ce qui implique que l’essentiel des CRS est aujourd’hui engagé sous un format « trois sections », alors même que les schémas tactiques restent fondés sur une organisation en quatre sections.

Or, comme le précisait M. Philippe Klayman, directeur central des CRS, « moins les effectifs sont nombreux, plus la compagnie est en difficulté. Nous comptons, depuis le 17 novembre 2018, 293 policiers de CRS blessés. Plus la compagnie est faible en termes d’effectifs, plus la perte de fonctionnaires, même temporairement, est durement ressentie, puisque je n’ai plus la capacité à assurer des relèves ».

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, considère qu’« il faudrait revenir à quatre sections, c’est clair, et nous y travaillons, mais cela prendra évidemment du temps ». ([93])  

Le rapporteur considère que le recrutement en CRS est une priorité et que l’effort conséquent que cela représente doit être planifié. Afin de retrouver le fonctionnement initial des CRS (format de compagnie de 145 hommes), il faudrait, en effet, recruter 1 054 effectifs supplémentaires.

À cette fin, les nouveaux effectifs issus du plan de recrutement 2017-2022 devraient être orientés de façon prioritaire vers ces compagnies.

Parallèlement à la baisse des effectifs, les compagnies républicaines de sécurité ont vieilli : l’âge moyen atteint aujourd’hui 43 ans, hors commandement. « Il est évident qu’il existe un problème entre l’âge des fonctionnaires et les missions qui leur sont demandées. Au mois de novembre et décembre, par exemple, certaines unités ont effectué, durant plus de 22 heures d’affilée, du maintien de l’ordre, un combat, avec beaucoup de violence et d’engagement » ([94]).

Dans le cadre de la réflexion sur l’évolution du maintien de l’ordre, il est impératif de s’attacher au renforcement et au rajeunissement des effectifs des CRS. Pour cela, il est possible de s’inspirer du modèle retenu en gendarmerie, où les affectations de sous-officiers en sortie d’école en escadron de gendarmerie mobile sont nombreuses, ce qui permet de bénéficier d’effectifs jeunes qui basculent généralement en gendarmerie départementale après quelques années. Il s’agit d’ailleurs d’une piste retenue par le directeur central des CRS, qui cherche à « orienter l’effectif nécessaire de jeunes gardiens vers les CRS, ce qui leur permettra de se former, d’apprendre à travailler en unités constituées, d’apprendre le maintien de l’ordre, à s’adapter aux nombreuses missions de police, d’être habilités à la plupart des équipements, de recevoir des formations les plus complètes possibles. » ([95])  Les jeunes gardiens qui ne resteront pas feront bénéficier les services de la police nationale de leur expérience et de leur capacité à pouvoir affronter des événements d’ordre public avec une expérience éprouvée.

Le rapporteur considère ainsi que l’affectation en CRS en sortie d’école de police doit être développée afin de renouveler les effectifs des compagnies.

b.   Rendre aux escadrons de gendarmerie mobile leurs effectifs initiaux

Les escadrons de gendarmerie mobile ont également subi des baisses importantes d’effectifs, qui réduisent aujourd’hui leur capacité opérationnelle. Alors qu’il y avait encore 123 pelotons en 2008, ils ne sont plus que 109 dix ans plus tard, soit une suppression nette de 14 escadrons, étant donné qu’un seul a été recréé depuis.

Cette évolution est préoccupante dans un contexte exceptionnel de mobilisation sur l’ensemble du territoire. Certes, des plans de renforcement successifs ont permis d’augmenter les effectifs de 22 escadrons, pour lesquels un cinquième peloton a été créé. Néanmoins, le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale a indiqué à la commission d’enquête qu’une augmentation des effectifs des autres escadrons donnerait de la souplesse au commandant de l’unité et lui permettrait « de faire tourner les effectifs ». À cet égard, le DGGN a évoqué une réflexion visant à augmenter les effectifs des unités de gendarmerie mobile « dans le cadre des effectifs qui [lui] sont alloués. Il s’agit donc de créer des postes dans les escadrons de gendarmerie mobile, dans la limite des effectifs globaux de la gendarmerie, lesquels progresseront de 2 500 postes d’ici 2022, sur les 10 000 prévus pour les forces de sécurités intérieures ». ([96])  

À cet égard, des décisions récentes ont été prises, comme l’indiquait le général Laurent Tavel : « le directeur général a décidé non pas d’augmenter le nombre d’escadron […] mais d’augmenter le nombre de gendarmes par escadron. Aujourd’hui, un escadron est composé de 110 gendarmes et cet été on va passer à 115. Nous avons 109 escadrons, cela représente donc un effectif supplémentaire de 500 gendarmes dont la majorité proviendra de la marge supplémentaire offerte par les vingt-deux pelotons créés il y a trois ans. Ce projet s’inscrit dans une démarche d’autonomisation plus grande des escadrons afin de les rendre plus disponibles ». ([97])


Le rapporteur considère que l’augmentation des effectifs des escadrons de gendarmerie mobile est une priorité absolue pour redonner des marges de manœuvre aux escadrons. Les orientations récentes vont dans le bon sens, mais il faudrait aller plus loin. Les travaux de la commission d’enquête ont fait apparaître qu’un escadron de 125 hommes permettrait de l’engager systématiquement en formation « alpha » qui, en maximisant l’empreinte au sol, est la plus efficace.

Cela nécessiterait un effort de recrutement de 1 090 personnels supplémentaires. Le chiffrage approximatif de cette mesure peut être fait à partir de la rémunération moyenne versée à un sous-officier et du coût de son équipement individuel. Hors contributions sociales et au CAS Pensions, ce sont environ 32 millions d’euros supplémentaires qui seraient consacrés à ces recrutements ([98])

Proposition n° 19 : Poursuivre un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité

– renforcer les compagnies républicaines de sécurité pour revenir à un fonctionnement à quatre sections ;

– monter les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile pour porter leur nombre à 125, ce qui représente un coût supplémentaire d’environ 32 millions d’euros.

3.   Pour un plan d’équipement « maintien de l’ordre »

L’élaboration d’un schéma national de maintien de l’ordre doit être l’occasion de renouveler les moyens matériels alloués aux unités de forces mobiles par un plan d’équipement ambitieux.

a.   Tirer profit des innovations dans l’imagerie et la communication

Les escadrons de gendarmerie mobile disposent déjà de tels moyens, grâce notamment à l’acquisition de caméras-piétons. Néanmoins, comme le souligne le DGGN, « ces images sont souvent inexploitables, parce que ces caméras étant portées sur l’épaule ou sur la poitrine ce qui est filmé n’est pas cadré. Et d’autre part parce que ces images ne peuvent être utilisées que dans un cadre judiciaire ». Les gendarmes se sont ainsi, de plus en plus, équipés de caméras à titre personnel, afin de pouvoir visionner les images. Les escadrons se sont également dotés d’une cellule d’imagerie opérationnelle (CIOP), dont les images sont complétées par celles des drones et des hélicoptères.

Les manifestations liées au mouvement des « gilets jaunes » ont conduit la DGPN à imposer le port de caméras-piéton aux utilisateurs de lanceurs de balles de défense. Si ces caméras n’apportent pas de plus-value en matière de maintien de l’ordre, du fait du port sur la poitrine et d’un champ visuel réduit, elles permettent néanmoins de s’assurer de la légitimité du tir de LBD lorsqu’il existe une contestation.

La consultation des policiers et gendarmes réalisées à l’initiative du rapporteur (cf. ANNEXE – II résultats de la consultation) indique un fort attachement des gendarmes à la généralisation des caméras-piétons : 72 % des répondants y sont favorables. Cette proportion est plus faible au sein de la police, puisque les réponses sont pour moitié seulement favorables. On retrouve des proportions similaires au sein des unités mobiles : alors que les gendarmes mobiles participants y sont favorables à 70 %, la part pour les CRS atteint seulement 55 %.

Le rapporteur y voit néanmoins une tendance clairement en faveur de la généralisation des caméras-piétons, qui fait écho aux échanges qu’il a pu avoir avec les policiers et gendarmes de terrain.

Pour compléter ces moyens vidéo, les unités de forces mobiles doivent également bénéficier pleinement des innovations technologiques. En particulier, les travaux de la commission d’enquête ont fait apparaître l’utilité tactique des drones, qui permettent d’élargir la vision du terrain et des mouvements de la foule.

Le préfet de police de Paris a souligné l’intérêt de ces nouveaux moyens. Les drones et les moyens de marquage permettent en effet « de mieux voir et mieux identifier. […] Le drone est surtout précieux dans le cadre d’une utilisation tactique, lorsqu’il permet à une unité de voir ce qu’il y a au bout ou au coin de la rue. En effet, on ne peut pas avoir d’autonomie tactique sans bénéficier d’une vision de proximité. Or, le dispositif de caméras actuel, qui nécessite que la salle de commandement relaie l’information auprès de l’unité, n’est pas adapté à la souplesse et à la mobilité souhaitées. Des escadrons de gendarmerie l’utilisent déjà de cette manière, et c’est une pratique que je souhaiterais généraliser, même si, pour le moment, notre organisation ne s’y prête pas encore tout à fait ».

Sachant que doter l’ensemble des escadrons de gendarmerie de deux drones revient à un budget total d’environ 300 000 euros pour un coût unitaire de 1 500 euros.

La police allemande a développé, à cet égard, un système plus abouti de captation vidéo des opérations de maintien de l’ordre. Les forces spécialisées disposent de moyens vidéo posés sur des perches télescopiques permettant de couvrir l’ensemble du théâtre des opérations. Des véhicules d’assistance technique leur permettent également d’extraire directement des photographies à partir de la captation vidéo, qui peuvent ensuite être diffusées sur le réseau numérique de la police.

Proposition n° 20 : Développer le recours aux techniques d’imagerie modernes et aux marqueurs :

– généraliser le recours à la vidéo lors des opérations de maintien de l’ordre à des fins judiciaires mais également opérationnelles et de formation ;

– généraliser l’utilisation de la captation vidéo et des drones par les unités de forces mobiles ainsi que la formation des pilotes ;

– après expérimentation, généraliser le recours aux marqueurs individuels dans la perspective de la mise en cause pénale des manifestants violents.

b.   Renouveler les véhicules des escadrons de gendarmerie mobile

M. Michel Labbé, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), a bien résumé le défi que représente le renouvellement des VBRG : « Nous avons besoin de ces véhicules pour la protection de nos gendarmes, pour qu’ils ne soient pas exposés à des tirs d’armes ; ce qui arrive encore sur notre territoire national. Mais nous avons besoin de véhicules blindés de transports équipés d’une lame, afin de pouvoir percuter ou dégager. » Or, ce type de véhicule blindé doté d’une lame à l’avant, qui suppose un moteur à l’arrière, ne se trouve pas sur le marché.

L’administration a indiqué à la commission d’enquête que des discussions étaient en cours avec les industriels concernant le renouvellement de la flotte de VBRG. La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) s’oriente vers un principe de réaménagement ou « rétrofitage » plutôt que vers des achats de matériel neuf, plus chers. L’objectif serait de disposer de 80 véhicules blindés réaménagés, dont 36 véhicules en outre-mer.

Le rapporteur considère que la nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure doit intégrer pleinement le défi que représente le réaménagement des VBRG et programmer les investissements nécessaires sachant que leur remplacement nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Les véhicules de transport de groupe des escadrons, également dans un état critique, doivent eux aussi faire l’objet d’un renouvellement ambitieux. Les 934 véhicules de type « Irisbus » atteignent aujourd’hui un âge moyen de plus de 12 ans et arrivent, selon le directeur général de la gendarmerie nationale, « en fin de vie ».

Des expérimentations sur une nouvelle gamme de véhicules, évoquées plus haut, sont en cours afin de déterminer un modèle de remplacement adapté. Selon le général Richard Lizurey, « l’objectif est de trouver un véhicule qui corresponde à nos besoins opérationnels mais qui n’oblige pas à avoir le permis poids lourd comme c’est le cas pour les Irisbus. Nos camarades des compagnies républicaines de sécurité (CRS) disposent de véhicules que l’on peut conduire sans ce permis ».

Le renouvellement des véhicules de transports des escadrons de gendarmerie mobile s’impose également comme une priorité.

Proposition n° 21 : Prévoir le renouvellement des véhicules de la gendarmerie et de la police dans la loi de programmation de la sécurité intérieure, notamment les VBRG et Irisbus sachant que le remplacement des seuls VBRG par des véhicules nouveaux nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Le troisième axe du plan consiste à équiper les unités de sécurité publique en fonction des orientations du futur schéma national de maintien de l’ordre.

La contrepartie nécessaire à l’implication croissante des unités de voie publique dans les opérations de maintien de l’ordre est de leur assurer une formation et un équipement adaptés. En effet, comme le soulignait le général Richard Lizurey, « un individu qui n’a pas reçu la formation adéquate peut présenter un danger pour la sécurité des personnes, aussi bien celle des manifestants que celle des forces de l’ordre ».

Ce problème se pose en particulier pour les départements les moins urbanisés où les personnels affectés à la sécurité publique, peu confrontés à des problématiques d’ordre public, y disposent rarement de l’équipement et de la formation appropriés pour faire face, en cas d’urgence, à une mobilisation soudaine.

M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP), a ainsi présenté à la commission d’enquête le plan élaboré pour que les effectifs des « petits départements, c’est-à-dire les deux tiers des départements français, puissent bénéficier d’une formation et d’un équipement en termes de maintien de l’ordre ». Ainsi, les unités des compagnies départementales d’intervention (CDI) ou des brigades anticriminalité (BAC) sont régulièrement invitées aux formations des CRS, même si « cela nécessiterait plus de formalisme et un caractère systématique » ([99]).

Près de deux millions d’euros ont été dégagés au début de l’année 2019 pour acheter des effets de protection individuelle pour les gendarmes départementaux. Ont ainsi été déployés trente lots de protection individuelle (casques, jambières, boucliers) dans chaque groupement de gendarmerie départementale qui sont ensuite répartis au niveau des compagnies ou des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG).

Le directeur général de la gendarmerie national indique qu’un stage de formation des commandants de peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) à Saint-Astier a été engagé pour acquérir le socle des connaissances leur donnant les réflexes qui permettent d’intervenir avec discernement et fermeté face à un trouble de l’ordre public ([100]).

Les réflexions actuelles sur l’évolution du dispositif de maintien de l’ordre doivent être l’occasion de prévoir un plan d’équipement et de formation adapté pour les unités de sécurité publiques.

Proposition n° 22 : Prévoir des stocks mutualisés de matériel de maintien de l’ordre au niveau des brigades et des commissariats.

E.   Moderniser la gestion des ressources humaines

Les métiers de la sécurité sont des métiers difficiles, qui confrontent les agents à la violence, à la détresse et à l’injustice. Cette pénibilité doit être d’autant mieux prise en compte que l’activité opérationnelle est soutenue et qu’un climat de violence exacerbée conduit à une hausse continue du nombre de blessés parmi les forces de sécurité. Mais les missions des forces de sécurité sont aussi des missions essentielles, au service de l’État et des citoyens, et les personnels qui les exercent sont animés d’un engagement en ce sens qui mérite d’être salué.

Les recrutements qui ont été opérés depuis 2015 ont apporté des moyens humains supplémentaires indispensables. Ils seront poursuivis comme cela a été annoncé par le président de la République qui a pris l’engagement de faire recruter 7 500 policiers et 2 500 gendarmes supplémentaires d’ici à 2022. Pour 2018, le schéma des créations de 1 500 postes dans la police et 500 postes dans la gendarmerie, soit 1 870 équivalents temps plein travaillé (ETPT), a été globalement atteint.

Cet apport en moyens humains n’épuise pas, pour autant, la question de la gestion des ressources humaines. Celle du temps de travail des forces de sécurité est, en effet, étroitement liée, depuis plusieurs années, à l’enjeu du recrutement et de la fidélisation, à celui des compétences et de la formation, ainsi qu’à celui des conditions de travail du personnel.

1.   Prendre des mesures innovantes pour attirer et fidéliser

Les forces de sécurité intérieure font face à des besoins de recrutement en pleine évolution, dans un contexte de redéfinition de leurs missions et de concurrence entre les différents corps. Trois catégories de personnels paraissent particulièrement concernées par des innovations en termes de recrutement et/ou de fidélisation :

– le personnel de l’administration pénitentiaire ;

– les personnels administratifs de la police nationale ;

– les spécialistes très qualifiés.

L’administration pénitentiaire tente actuellement de répondre aux défis qui lui sont propres en termes d’attractivité et de fidélisation par des mesures indemnitaires et par la création d’un premier concours national à affectation locale, pour lutter contre l’effet parfois dissuasif de la mobilité. Selon le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, « en contrepartie d’un engagement à servir pendant six ans dans ces établissements peu attractifs, [ce concours] entraînera le versement d’une prime de 8 000 euros échelonné sur six ans, dont la moitié dans l’année d’installation. C’est un début de réponse à la vie chère et aux coûts d’installation peu attractifs dans [certaines] régions. » ([101])

Il existe aussi un problème d’attractivité et de recrutement dans des métiers spécialisés comme ceux de la réparation automobile. Selon Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité pour la zone de défense Sud-Est, « les personnes qui possèdent ces compétences techniques très spécialisées trouvent des emplois plus attractifs ailleurs que dans la fonction publique. L’État ne parvient pas à offrir des conditions suffisamment attractives pour recruter ou fidéliser des personnels mécaniciens » ([102]).

Le rapporteur note que ce sont des contraintes et des réflexions analogues qui ont amené le législateur à adopter, dans la loi de programmation militaire
2019-2025 ([103]), la possibilité d’expérimenter des modes de recrutements innovants, rigoureusement encadrés, dans des spécialités en tension et des régions où il est particulièrement difficile de recruter. Une expérimentation de ce type pourrait permettre d’attirer et de fidéliser des candidats sur des postes administratifs dans la police nationale. Il conviendra d’être attentif aux perspectives d’évolution de ces personnels et à maintenir un régime indemnitaire adapté dans certaines zones géographiques.

Pour d’autres spécialités techniques, typiquement dans les nouvelles technologies de l’information et la lutte contre la cybercriminalité, la volatilité des besoins, liée à l’évolution rapide des techniques, et la concurrence de l’emploi privé rendent le recours à des recrutements de contractuels particulièrement adapté.

Ces défis sont au cœur des discussions du projet de loi de transformation de la fonction publique ([104]) qui prévoit, à ce stade de la discussion parlementaire, un élargissement du recours aux agents contractuels.

Proposition n° 23 : Expérimenter des dispositifs de recrutement innovants pour attirer ou fidéliser certaines compétences-clés :

– expérimenter des concours territorialisés pour certains emplois ;

– faciliter l’emploi de contractuels, notamment dans les métiers du numérique, pour certaines spécialités en tension ou dans certaines zones géographiques en utilisant les nouvelles possibilités offertes par la loi de transformation de la fonction publique.

2.   Faire évoluer la formation des policiers

La police comme la gendarmerie doivent pouvoir compter sur des forces parfaitement formées à l’exercice de leur métier. Ce sujet a constamment été abordé par les interlocuteurs du rapporteur :

– d’abord, parce que la question de la formation au maintien de l’ordre des personnels affectés normalement à des missions de sécurité publique a été posée avec acuité pendant la crise des « Gilets Jaunes » ;

– ensuite, parce que nombreux sont les policiers qui se plaignent de leur formation, aussi bien initiale que continue ;

– enfin, parce qu’une formation initiale renforcée et unifiée est perçue, à juste titre, comme le gage d’un esprit de corps renforcé, susceptible de prévenir les risques psychosociaux et d’améliorer la coordination opérationnelle.

a.   Créer une académie de police commune aux trois corps de la police nationale

L’organisation unifiée de la gendarmerie nationale est fréquemment montrée en exemple. Dans la gendarmerie, la direction des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN) « connaît de toutes les questions touchant au personnel militaire de la gendarmerie. Elle recrute, forme et gère l’ensemble des militaires servant dans la Gendarmerie nationale. » ([105]) La formation est unifiée, de sorte que les militaires partagent un socle de pratiques et de savoirs communs, ce qui confère de la souplesse dans l’emploi des forces, souplesse qui a encore récemment montré toute son utilité.

Dans la police, le recrutement, la formation et la gestion des personnels ont été confiés à une direction centrale, la direction des ressources et des compétences de la Police nationale (DRCPN) en janvier 2017 ([106]), après une évaluation de l’IGPN de décembre 2015 qui a conclu à une « balkanisation de la formation », tant était grand le nombre de structures qui y contribuaient. Comme l’a rappelé M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, « il n’y avait pas de stratégie claire de formation pour la police nationale puisqu’il n’y avait pas de pilote véritable, chacun s’occupant de son pré carré » ([107]).

La gestion distincte de la formation des élèves gardiens de la paix, d’une part, et des élèves officiers et commissaires de police d’autre part, a été considérée par la commission d’enquête du Sénat ([108]), comme ne favorisant pas le développement d’un esprit de corps et d’une culture commune. La commission préconisait donc de réformer la formation, le cas échéant, par la création d’une « académie de police » rapprochant les formations initiales des trois corps de la police nationale, reprenant ainsi une piste déjà évoquée en 2014 par une mission de l’inspection générale pour l’administration (IGA) et de l’IGPN.

De toute évidence, la police nationale est réticente à investir dans un tronc commun de formation trop substantiel, plus coûteux à court terme, compte tenu de la spécialisation observée de facto en sortie d’école. Ainsi, M. Lutz a-t-il exclu d’inclure des modules du bloc OPJ dans la formation initiale des gardiens de la paix : « cela revient à ajouter quatorze semaines de formation supplémentaires à des élèves gardiens de la paix qui sortent de douze mois de formation […] Sur la voie publique, cette formation peut servir mais sa durée est beaucoup trop importante par rapport à l'usage qui en sera fait au quotidien » . Il invite plutôt à recourir aux « modules d'adaptation au premier emploi d’une durée de trois semaines, qui permettent aux fonctionnaires de se spécialiser en fonction de leur premier poste. Le module sur l'ordre public est piloté par les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Un autre est piloté par la DGPAF ».

La recherche légitime d’une spécialisation ne doit pas s’opposer à la mise en place d’un tronc commun significatif de formation initiale. La spécialisation est en effet aussi induite par le fonctionnement en silos de la police nationale. Cette spécialisation serait acceptable si la formation continue remplissait ses promesses. Or, tout semble indiquer que ce n’est pas le cas (voir infra).

Le rapporteur estime que la création de la DCRFPN va dans le bon sens, de même que la rénovation de la formation initiale des gardiens de la paix. Il salue les projets de réforme annoncés qui prévoient davantage de modules d’apprentissages partagés entre les corps, notamment dans le domaine du maintien de l’ordre, et le projet esquissé par M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité, d’orienter davantage de jeunes gardiens sortis d’école vers les CRS pour les former sur de nombreux équipements, leur apprendre à travailler en unités constituées, à réaliser des missions de maintien de l’ordre, le tout pendant deux ou trois ans, avant de laisser ceux qui le souhaitent rejoindre une autre affectation, où cette expérience leur sera profitable ([109]) .

Toutefois la création d’une académie de police, facteur de cohésion, de cohérence, de continuité opérationnelle et d’économies à long terme semble aujourd’hui incontournable pour s’engager sur la voie d’un véritable changement.

L’académie de police devrait devenir un centre de référence, à l’instar du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, et développer les échanges avec ce dernier. D’ailleurs, des entraînements communs police gendarmerie permettraient de développer l’interopérabilité et de partager de bonnes pratiques, en particulier pour certaines spécialités peu différenciées au niveau territorial et pour lesquelles la coordination serait une source d’efficacité, comme la police scientifique et technique ou la lutte contre la cybercriminalité.

Comme l’ont suggéré de nombreux policiers au rapporteur, les gardiens de la paix devraient en outre être mieux préparés aux situations difficiles par des exercices concrets. Il existe déjà certaines bonnes pratiques à développer, comme des simulations sur le thème des violences intrafamiliales. Mais davantage d’interventions de policiers de terrain expérimentés, de représentants d’associations, de visites d’instituts médico-légaux et de simulations de manifestations seraient nécessaires, toutes choses que la gendarmerie nationale pratique déjà.

Pour toutes ces raisons, le rapporteur s’interroge sur les effets de la réduction du temps de formation initiale, de douze à huit mois, les quatre derniers mois de formation étant effectués sous forme de stage dans les services. En l’état actuel des effectifs, des contraintes opérationnelles et de la formation continue, il y a fort à craindre que cette réforme ne produise pas les effets escomptés.

Proposition n° 24 : Créer une « académie de police » destinée à :

– revaloriser le temps de la formation initiale des policiers de tous les corps ;

– unifier la formation initiale des policiers nationaux, tout en organisant des filières ;

– organiser la formation continue ;

– développer la formation sous la forme d’exercices pratiques et de simulations ;

– favoriser l’intervention d’experts et d’associations sur des enjeux précis.

b.   Remédier aux lacunes de la formation continue

La formation continue reste la variable d’ajustement des forces de sécurité, même si des progrès importants ont été réalisés dans la gendarmerie depuis 2013.

L’organisation des compagnies républicaines de sécurité semble les préserver d’une dégradation trop importante de leur temps de formation, puisque 75 % des effectifs des unités de service général avaient effectué trois tirs réglementaires et 95 % des effectifs au moins un tir, au 31 décembre 2018. Plus récemment, au 1er mai 2019, plus de 90 % des personnels étaient habilités à l’usage du fusil HKG 36 et plus de 80 % étaient « recyclés » au secourisme opérationnel de premier niveau.

Les résultats de la consultation organisée à l’initiative du rapporteur sur le site internet de l’Assemblée nationale suggèrent que la formation continue est moindre dans la police nationale que dans la gendarmerie nationale.

Nombre de jours de formation déclarés en 2018 dans la police
et la gendarmerie nationales

(en pourcentage du nombre total des réponses à cette question par force)

Note : 5 171 policiers et gendarmes ont répondu à cette question sur le nombre de jours de formation en 2018.

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur. (Cf. Annexes II).

Les gendarmes mobiles et les CRS apparaissent par ailleurs mieux formés que leurs collègues chargés de la sécurité publique.

Nombre de jours de formation déclarés en 2018 selon deux spécialités

(en pourcentage du nombre total des réponses à cette question par appartenance)

Nota : 4 560 répondants relevant des quatre catégories ci-dessus ont répondu à cette question sur le nombre de jours de formation en 2018.

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur.

Les insuffisances de la formation continue dans les services chargés de la sécurité publique sont connues mais le rapporteur a été particulièrement étonné de la situation du commissariat de Drancy, en Seine-Saint-Denis. Ce département dispose de moins de formateurs que les Hauts-de-Seine, pour des besoins infiniment supérieurs.

Commissariat de Drancy : un cercle vicieux d’attrition de la formation

Du fait du manque de formateurs, le nombre de stages de formation disponibles pour les fonctionnaires du commissariat de Drancy est particulièrement limité. Les fonctionnaires jugent aussi que les stages sont mal répartis dans l’année. Pour certains, en particulier les OPJ, la charge de travail est telle qu’elle rend difficile le suivi d’un stage de plusieurs jours. Dans ces conditions, ces personnels sont enclins à laisser leurs collègues opérant sur la voie publique bénéficier en priorité des formations obligatoires pour le renouvellement de l’habilitation à certaines armes. Une fois l’habilitation perdue, faute de recyclage en temps utile, il faut reprendre une formation longue pour l’obtenir à nouveau, formation pour laquelle peu de fonctionnaires parviennent à se libérer. Dans ces conditions, une part importante des personnels du commissariat de Drancy n’est plus habilitée à l’usage des moyens de force intermédiaire, « d’autant que ces habilitations sont délivrées pour des durées différentes ! Parfois un an, parfois deux, ou trois ! Je défie quiconque de savoir où il en est en matière d’habilitations ! »

Dans le cadre du Grand Paris, par ailleurs, plusieurs formations sont désormais organisées à Paris même. Les fonctionnaires de police de la Seine-Saint-Denis ne sont alors pas particulièrement prioritaires.

Certaines obligations réglementaires sont jugées excessivement rigides par les policiers de terrain, en particulier, le « recyclage » obligatoire de l’habilitation pour l’usage des « trois bâtons ». Les gendarmes n’y sont d’ailleurs pas soumis : l’habilitation obtenue en formation initiale est valable durant toute leur carrière, même si des entraînements sont régulièrement organisés.

M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, revendique cette différence ([110]). Il considère que ce cadre ne peut être remis en cause et qu’il doit inciter la police nationale à organiser davantage de formations. Le rapporteur préconise pour sa part la suppression de cette obligation trop rigide, en l’accompagnant d’un effort réel en faveur de la formation continue des personnels. Une direction centrale à l’autorité renforcée sur les directions opérationnelles devrait y veiller.

Enfin, les consignes nationales ne sont pas toujours appliquées sur le terrain. Face à des obligations opérationnelles prioritaires, les commandants d’unités, en effet, peuvent avoir des difficultés à profiter des déplacements des CRS pour programmer des formations au tir, entre autres, comme le préconisent les directions centrales. C’est à nouveau une raison pour laquelle la direction chargée des ressources humaines et de la formation continue doit avoir une autorité renforcée sur les directions opérationnelles, de façon à mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente, prévisible et surtout incontestable.

Proposition n° 25 : Renforcer l’autorité de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) sur les directions opérationnelles pour mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente et prévisible.

Proposition n° 26 : Supprimer certaines obligations réglementaires excessivement rigides comme le régime de renouvellement de l’habilitation à l’usage des « trois bâtons ».

3.   Mieux valoriser l’engagement au service de la sécurité des Français

Le nombre de blessés en mission de police ou en opération augmente de manière inquiétante, comme en témoignent les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur ci-dessous.

Évolution du nombre de blessés dans les forces de sécurité depuis 2014

Gendarmerie nationale

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

3 941

3 789

4 079

4 222

4 788

Blessés en service2

2 496

2 870

2 688

2 990

2 665

Total des blessés

6 437

6 659

6 767

7 212

7 453

Police nationale

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

5 834

5 674

5 767

5 164

6 002

Blessés en service2

  6 616

6 714

6 187

5 940

6 851

Total des blessés

12 450

12 388

11 954

11 104

12 853

Adjoints de sécurité

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

694

497

575

667

694

Blessés en service2

892

922

674

792

892

Total des blessés

1 586

1 419

1 249

1 459

1 586

Personnels administratifs techniques et scientifiques (PATS)

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

nd

71

33

29

38

Blessés en service2

nd

449

405

400

431

Total des blessés

nd

762

599

638

724

(1) Les dommages physiques en mission surviennent lors de l’exécution d’une opération ou mission de police (au cours d’une intervention, lors d’une interpellation, en service de police de la route, en enquête judiciaire, au maintien de l'ordre, au cours d’un service de prévention de proximité, lors d’un transfèrement, etc.).

(2) Les dommages physiques en service ont lieu durant les heures de travail, de permanence, ou d’astreinte, ou sur le trajet domicile-travail, mais en dehors d’une opération ou d’une mission de police.

Source : réponses du ministère de l’intérieur.

Dans ce contexte, la question de leur protection juridique s’est posée avec acuité.

Le rapporteur est particulièrement soucieux que l’engagement des policiers et des gendarmes soit reconnu à sa juste valeur, ce qui implique justement que la solidarité de la Nation se manifeste sans failles en cas de décès ou de blessure. Il a déposé, le 22 mai 2019, avec une quarantaine de ses collègues de tous horizons politiques, une proposition de loi visant à octroyer le statut de « mort pour le service de la Nation » aux militaires décédés en exercice (et non pas uniquement en opérations ou en mission).

Suivant la même logique, le rapporteur invite à examiner la demande des militaires de la gendarmerie d’élargir le champ de la protection fonctionnelle aux fautes non-intentionnelles.

Aujourd’hui, les dispositions législatives régissant la protection fonctionnelle (cf. Annexe 3) conditionnent son octroi, dans le cas où le militaire est victime en raison de ses fonctions, à l'existence d'un fait générateur intentionnel. Ainsi, les ayants-droits de plusieurs militaires de la gendarmerie ayant trouvé la mort dans des accidents de la circulation, alors qu’ils effectuaient un contrôle ou intervenaient pour porter secours, n’ont pu bénéficier de la prise en charge des frais d’avocat, notamment. Ces règles paraissent en décalage avec la protection dont bénéficient leurs collègues ayant souffert de violences légères ou même d’outrages et nourrissent un fort sentiment d’injustice. Elles sont en décalage aussi avec les mesures récemment mises en œuvre par la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour les ayants droit de militaires décédés dans l’accomplissement de leur mission ou victime de blessures reçues dans les mêmes circonstances, cités à l'ordre de la Nation qui, depuis la loi de finances rectificative pour 2015 et la loi de finances pour 2017 bénéficient d'une exonération des droits de succession et donc d’une reconnaissance de l’État. Le rapporteur préconise d’étudier les moyens de remédier à ces insuffisances. Il salue bien évidemment le travail exceptionnel des associations de blessés ou de solidarité des forces de l’ordre pour accompagner les familles dans leurs démarches ou leur deuil. Il n’estime pas pour autant que cette situation soit satisfaisante et souhaite que l’engagement des forces de l’ordre soit reconnu par une protection adaptée.

Par ailleurs, comme le soulignait Mme Virginie Rodriguez, « la gendarmerie n’est plus en mesure de proposer de postes sédentaires – des emplois administratifs – aux gendarmes blessés et déclarés inaptes ». Avec la transformation des postes administratifs en postes civils, elle n’a plus de marge de manœuvre pour placer les gendarmes qui ont sacrifié leur santé ou qui ont été blessés en service. L’enjeu de l’efficacité des dispositifs de reconversion s’en trouve renforcé.

F.   Asseoir le rôle et la place des polices municipales

À la question relative aux raisons pour lesquels les répondants à la consultation menée par le rapporteur s’étaient engagés dans la police municipale, le cas échéant, 33 % ont invoqué le sens du service public et près de la moitié (47 %) la vocation, le sens du respect de la loi ou le contact avec la population.

Or, ces mêmes policiers municipaux dénoncent souvent des situations où ils se sentent de simples supplétifs de l’insuffisance locale des forces de police ou de gendarmerie nationale. M. Pascal Ratel, chef de service de police municipale, CGT Police municipale expliquait à la commission qu’il n’existait pas « de complémentarité systématique, sur le terrain, entre les policiers municipaux et les forces de sécurité de l’État. Les conventions de coordination ou les conventions de coordination renforcées ne sont, globalement, guère satisfaisantes. La plupart du temps, elles ne sont pas appliquées, ou très insuffisamment ».

Les élus locaux eux-mêmes ressentent la nécessité de compléter au moyen de leur police municipale, un service que les forces de sécurité peinent par manque de moyens ou d’équipements à remplir.

Cette situation n’est pas satisfaisante : à partir du moment où une municipalité a décidé de se doter d’une police municipale, celle-ci devrait être confortée comme troisième force de sécurité intérieure, suffisamment équipée et formée et son action articulée avec celle des autres forces.

1.   Constituer une école nationale de police municipale sous l’égide du ministère de l’intérieur

Afin de faire des policiers municipaux la troisième force de sécurité intérieure (cf. Annexes 4 et 5), mais aussi de garantir l’efficacité de leur intervention sur la voie publique et leur propre sécurité, tous les policiers municipaux doivent disposer d’un socle de formation commun et de cursus de formations harmonisés.

Depuis 1999 et la loi relative aux polices municipales, une obligation de formation a été instituée qui est assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). La création d’une école nationale des polices municipales permettrait néanmoins d’aller plus loin dans l’homogénéisation des formations et donc dans la consolidation des compétences des agents. Elle contribuerait également à l’acculturation commune avec les forces de sécurité de l’État en favorisant les échanges.

Cette école qui relèverait du ministère de l’Intérieur, pourrait être constituée à partir des structures actuelles du CNFPT, qui serait associé à son pilotage et à sa gestion. Les services du ministère de l’Intérieur seraient chargés de l’élaboration des différents modules de formation initiale et continue, ce qui contribuerait à les rapprocher de ceux des policiers et gendarmes nationaux. L’association indispensable du CNFPT aux structures de pilotage et de gestion de l’école nationale permettrait de capitaliser sur l’expérience accumulée.

Dans le cadre de la création d’un cadre d’emploi commun (voir infra), cette école prendrait également en charge la formation initiale des gardes champêtres et le développement de leurs modules de formation continue obligatoire.

2.   Définir un équipement minimal obligatoire

Même si les situations locales sont très différentes d’une police municipale à l’autre et si être policier municipal dans un village ou dans une grande ville implique un mode d’exercice du métier différent, les agents sont, ou peuvent être, dorénavant, partout sur le territoire, confrontés au même niveau de violence que les autres forces de sécurité. « Les agressions commises à l’encontre de nos collègues se multiplient. Ces violences peuvent survenir lors d’opérations d’encadrement périphérique des mouvements de contestation ou d’interventions de répression et de prévention de la délinquance quotidienne » ([111]).

Or, les policiers municipaux ne sont pas tous équipés pour y faire face.

La décision de constituer une police municipale pourrait ainsi s’accompagner de l’obligation pour le maire de doter ses agents d’un minimum d’équipement de protection et de défense. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC), souhaitait ainsi « qu’un minimum non négociable soit imposé, […] à savoir un générateur de gaz incapacitant, un bâton de défense et un gilet pare-balles ». M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndical Interco 21, CFDT Interco, considérait quant à lui que ces équipements de protection devaient intégrer les éléments suivants : « gilets protégeant des balles et des lames, casques de protection et boucliers ».

Le format des équipements à attribuer aux policiers municipaux reste à déterminer, mais il devrait, en tout état de cause, s’approcher au maximum des matériels équipant les unités de voie publique.

La décision d’armer ou pas sa police municipale repose aujourd’hui sur une initiative du maire qui doit être approuvée par le préfet, sous réserve que les agents concernés bénéficient d’une formation suffisante. 84 % des effectifs de police municipale étaient dotés d’une arme, létale ou non, en 2016, et 44 % avaient accès à une arme à feu ([112]). Ces chiffres témoignent de la souplesse laissée au maire en matière d’armement de sa police municipale.

Le rapporteur considère que le régime juridique actuel de l’armement des polices municipales est équilibré et n’appelle pas d’élargissement.

En revanche, afin d’assurer la sécurité des agents, il considère essentiel de prévoir un standard d’équipements de protection adaptés à l’exercice des missions des policiers municipaux sur la voie publique.

Dans ce but, les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance peuvent être mobilisés. Ce fonds créé en 2007 est destiné à « financer la réalisation d’actions dans le cadre des plans de prévention de la délinquance et dans le cadre de la contractualisation mise en œuvre par l’État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville » ([113]). Il contribue ainsi au financement des acquisitions de gilets pare-balles de protection, de radio et de caméras-piétons au profit des polices municipales ([114]). Le fonds a permis de financer 600 000 euros d’équipements en 2017.

3.   Aménager un accès adapté aux fichiers de police

Le décret du 24 mai 2018 a permis aux policiers municipaux et gardes champêtres d’accéder directement à certaines données du système national des permis de conduire (SNPC) et du système d’immatriculation des véhicules (SIV) ([115]) afin d’identifier les auteurs des infractions au code de la route qu’ils sont habilités à constater.

Cette ouverture permet aux policiers municipaux de ne plus être obligés de solliciter la consultation de ces fichiers par un policier ou un gendarme national. Étant donné l’importance des compétences dorénavant confiées aux policiers municipaux en matière de circulation et de code de la route, l’ouverture d’un accès limité à ces fichiers est un véritable progrès qui participe d’une meilleure répartition des rôles.

Accès des policiers municipaux au SNPC et SIV

Concernant le SNPC, l’article L. 225-5 du code de la route prévoit que les agents de police judiciaire adjoints et les gardes champêtres peuvent accéder « aux informations relatives à l’existence, la catégorie et la validité du permis de conduite ». Ces consultations prennent la forme d’un relevé d’information restreint.

Concernant le SIV, l’article L. 330-2 du code de la route prévoit que les informations qu’il contient relatives aux immatriculations peuvent être communiquées aux APJA et gardes champêtres « aux seules fins d’identifier les auteurs des infractions au présent code qu’ils sont habilités à constater ».

Ces consultations ne peuvent être faites que par des APJA et des gardes champêtres individuellement désignés et habilités par le préfet de département sur proposition du maire.

De nouvelles pistes devraient cependant être étudiées. Selon Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS), il est envisageable, en particulier, « d’ouvrir un accès à des modes dégradés du fichier des objets et des véhicules signalés (FOVéS) et du fichier des personnes recherchées (FPR) ».

Le rapporteur considère qu’étendre l’accès des policiers municipaux aux fichiers de police, dans le cadre de leurs prérogatives en matière routière, leur permettrait de remplir leurs missions plus efficacement. Concernant l’accès dégradé au fichier des personnes recherchées, il lui semble que, a minima, le motif de la recherche devrait leur être accessible ne serait-ce que pour garantir leur propre sécurité en leur permettant de savoir à qui ils ont à faire. Les modalités techniques d’accès devraient néanmoins être précisées, afin de leur permettre d’accéder à ces fichiers à distance.

4.   Harmoniser les statuts entre police municipale et gardes champêtres

Les gardes champêtres constituent une force ancienne et originale de la sécurité en milieu rural, qui dépend également du maire. Ils disposent d’ailleurs de pouvoirs de police judiciaire plus étendus que les policiers municipaux. Comme le soulignait Hervé Bénazéra, garde champêtre, devant la commission : « la seule lecture de l'article 24 du code de procédure pénale démontre à elle seule la qualité judiciaire assez exceptionnelle de ce fonctionnaire territorial ». Dans son champ de mission, celui-ci peut en effet procéder à des auditions, à des saisies, à des vérifications d’identités et à des dépistages d’alcoolémie ; il peut aussi accéder aux lieux clos ([116]).

Pourtant, les réformes des dernières décennies qui ont accompagné l’émergence des polices municipales ne se sont pas traduites par un mouvement similaire pour les gardes champêtres. Le rapport des députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot souligne pourtant qu’ils constituent une force de sécurité territoriale, qui doit être intégrée au concept de « sécurité globale » et méritent à ce titre « de voir leur statut et leurs conditions de travail évoluer et se moderniser » ([117]).

Le rapporteur reprend à son compte leur proposition de fusionner le cadre d’emploi spécifique que constituent les gardes champêtres au sein de la fonction publique territoriale avec celui des policiers municipaux. Cette mesure permettrait de faire bénéficier les gardes champêtres des évolutions du cadre juridique des polices municipales et de moderniser leur statut.

La fusion des cadres d’emploi suppose de régler certaines questions de prérogatives et de statut. En effet, les gardes champêtres ne sont ni officiers de police judiciaire, ni agent de police judiciaire ou APJA ([118]) mais relèvent de la catégorie des fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire ([119]). Comme exposé plus haut, ils disposent de pouvoirs de police judiciaire plus étendus, dans leur champ de compétence, que ceux auxquels les policiers municipaux peuvent prétendre.

Établir un cadre commun permettrait d’élargir les perspectives d’emploi pour les agents des deux forces. Dans cette perspective, la formation initiale et continue des gardes champêtres devra être renforcée. En particulier, ils bénéficieraient d’un socle commun de formation initiale avec les policiers municipaux, avant de suivre des enseignements complémentaires liés aux spécificités de leurs missions. La formation continue des gardes champêtres en poste devrait alors être adaptée aux nouvelles conditions d’emploi.

Proposition n° 27 : Faire des polices municipales des acteurs à part entière de la sécurité intérieure :

– créer une école nationale de formation des policiers municipaux sous l’égide du ministère de l’intérieur ;

– élargir les possibilités d’accès des policiers municipaux aux fichiers de police en leur garantissant, pour le fichier des personnes recherchées, l’accès au motif de la recherche ;

– harmoniser les statuts des policiers municipaux et gardes champêtres.


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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 3 juillet 2019, la commission d’enquête a examiné le présent rapport.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Chers collègues, je tiens d’abord à vous remercier d’avoir participé aux auditions dans un esprit consensuel et positif. J’ai, pour ma part, pris un grand plaisir à présider cette commission.

Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur lors de son audition, depuis sa création, le calendrier a évolué : un livre blanc et une loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) ont été officiellement annoncés par le Premier ministre, dans son discours de politique générale. Nos travaux participent désormais au débat, et les constats dressés ensemble le nourriront. Nous ne comprendrions pas qu’il en soit autrement.

Cette commission d’enquête nous a permis d’aller à la rencontre des personnels des forces de sécurité et d’entendre leurs représentants. En votre nom à tous, je tiens à les remercier du temps qu’ils nous ont consacré et de leurs témoignages illustrant leur passion pour un métier qu’ils exercent dans des conditions difficiles, avec courage et dévouement, et, parfois, au péril de leur vie.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, pour ce travail accompli ensemble, qui aura bénéficié de votre expérience professionnelle dans la police nationale. Je tiens également à remercier les députés, pour leur fidélité, qui a prouvé leur intérêt pour ce sujet. Ces travaux ont commencé il y a environ cinq mois, au cours desquels nous aurons effectué plus d’une trentaine d’auditions et plusieurs déplacements, à Calais, Remiremont, Drancy, Dijon ou encore en Seine-et-Marne, avec des rendez-vous qui nous ont permis d’entendre plus d’une centaine de responsables administratifs et de terrain. J’ai aujourd’hui l’honneur de vous présenter les conclusions de ce travail, qui a largement associé les membres de la commission d’enquête.

À mon initiative, une consultation des forces de sécurité a été ouverte sur le site internet de l’Assemblée nationale. Elle  a recueilli plus de 13 700 contributions de gendarmes, de policiers nationaux, de policiers municipaux et de réservistes. Il s’agit de la troisième consultation publique la plus populaire sur le site de l’Assemblée nationale, depuis que cet exercice existe, alors même que son public était par nature restreint. Je tiens à remercier sincèrement les agents des forces de sécurité qui se sont mobilisés pour partager leur analyse. La diffusion de ce questionnaire avait pourtant mal commencé.

Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, nous ayant expliqué qu’il ne pouvait donner l’ordre aux directions générales de la gendarmerie et de la police de transmettre la consultation, nous nous sommes adressés aux syndicats de police, aux associations représentatives de la gendarmerie qui l’ont diffusé. Les résultats de cette consultation fera l’objet d’une annexe au rapport et les données – anonymes – seront rendues publiques sur le portail open data de l’Assemblée nationale. Les résultats corroborent, en les précisant parfois, les ressentis et les analyses recueillis pendant nos travaux.

Le rapport commence par un constat : celui d’une situation critique maintes fois dénoncée. Le Sénat ayant présenté un rapport complet sur le malaise des forces de sécurité l’année dernière, j’ai voulu concentrer mes efforts sur une analyse de ses causes structurelles et sur les moyens pragmatiques d’y remédier. Je crois fermement que la nation doit d’abord et avant tout donner aux forces de sécurité intérieure les moyens d’accomplir les missions qu’elle leur confie.

La première réponse due aux forces de sécurité intérieure est un cadre d’action clair et des réformes effectives. La situation est aujourd’hui insatisfaisante. Nous l’avons assez vu au cours de nos déplacements : certaines casernes et certains commissariats offrent des conditions de travail et d’accueil indignes. Les personnels qui y travaillent et y vivent ont le sentiment d’avoir été abandonnés par la puissance publique. C’est un facteur majeur de dégradation du moral et de risques psycho-sociaux.

Les dépenses d’équipement servent aussi depuis trop longtemps de variable d’ajustement. En témoignent l’âge moyen des véhicules, qui commence seulement à diminuer en 2018, mais aussi les lacunes criantes dans l’équipement de protection pour le maintien de l’ordre, particulièrement mises en lumière pendant le mouvement des Gilets jaunes.

La gestion des ressources humaines est, quant à elle, rigidifiée par la multitude des corps et des directions qui ne favorisent pas la complémentarité et n’offrent aucune souplesse. Il en résulte un nombre toujours croissant d’heures supplémentaires, que l’on voit d’ailleurs aussi augmenter dans l’administration pénitentiaire depuis peu. Le rapport rend compte des conclusions alarmantes de plusieurs missions d’inspections, notamment celles de l’Inspection générale de la police nationale sur l’expérimentation de nouveaux cycles de travail dans la police nationale. Cette mission juge sévèrement les conditions méthodologiques dans lesquelles ont été conduites ces expérimentations, qui ont abouti à l’exaspération et à l’épuisement des personnels.

Les réformes que nous votons tardent à être appliquées. En 2019, nous avons élargi le champ d’application de l’amende forfaitaire en matière délictuelle, pour simplifier la procédure pour les forces de sécurité intérieure. Mais la précédente réforme, celle de 2016, n’est même pas encore applicable à ce jour en raison de difficultés techniques, notamment informatiques ! La dématérialisation prend du retard, à cause d’un fonctionnement en silos qui conduit à avoir deux logiciels différents de rédaction des procédures dans la police et la gendarmerie et d’un pilotage bien trop faible entre les ministères de l’intérieur et de la justice.

Pour toutes ces raisons, je propose que nous adoptions une programmation budgétaire pluriannuelle pour la sécurité intérieure, afin de consacrer un ambitieux plan d’investissement immobilier et de renouvellement des équipements.

La simplification de la procédure pénale doit enfin se concrétiser et un effort doit être fait pour rendre la réponse pénale plus effective, en particulier lorsque la charge procédurale est élevée – il faudrait également s’interroger sur la question de la quotité insaisissable. La procédure pénale applicable aux mineurs, encore alourdie par la loi du 23 mars 2019, est tout à fait exemplaire à cet égard. C’est aussi l’occasion d’améliorer la palette des réponses éducatives et pénales à l’endroit de ces derniers et de leurs familles. Pourquoi ne pas expérimenter des peines citoyennes de réparation à l’encontre des parents défaillants, qui sont actuellement à l’étude en Nouvelle-Calédonie ?

Au-delà des moyens, l’organisation doit être revue pour donner aux décideurs locaux des marges de manœuvre plus importantes, notamment en matière budgétaire. Les responsables d’unités doivent disposer de moyens pour adapter leur fonctionnement aux enjeux de terrain. Je crois fermement qu’il faut faire confiance à l’intelligence locale.

Au niveau central, il est nécessaire de poursuivre les mutualisations pour améliorer l’efficience. Cette réorganisation doit permettre de bénéficier pleinement des possibilités ouvertes par le numérique, mais également de développer la recherche et le développement au profit des deux forces. La réforme serait également l’occasion de mettre fin au fonctionnement en tuyaux d’orgue de la police nationale. En particulier, la création d’une direction des ressources humaines au sein de la police serait une simplification bienvenue qui permettrait de renforcer le pilotage stratégique de cette fonction. J’ai reproduit dans le rapport le résultat de la consultation sur la question de la formation. Il est édifiant ! Le nombre de jours de formation déclarés est significativement plus faible dans la police nationale que dans la gendarmerie, et parmi les agents affectés à la sécurité publique par rapport aux forces mobiles.

Les formations initiale et continue doivent être profondément revues, l’une pour développer un véritable esprit de cohésion entre les corps et favoriser une gestion plus souple des ressources humaines ; l’autre pour véritablement entretenir et accroître les compétences. C’est pourquoi je propose aussi de revoir le régime actuellement en vigueur dans la police de recyclage obligatoire de l’habilitation aux trois bâtons, qui n’a pas d’équivalent dans la gendarmerie, tout en garantissant aux policiers une formation continue suffisante.

Dans le domaine du maintien de l’ordre, qui a retenu toute notre attention ces derniers mois, la baisse des effectifs des unités mobiles et la vétusté de leurs véhicules, couplées à l’évolution des formes de la contestation sociale et au développement du phénomène des casseurs, ont fait apparaître des lacunes qu’il faut rapidement combler. Il faut aujourd’hui lui accorder une priorité budgétaire claire, avec de nouveaux recrutements et un équipement renouvelé qui tirerait pleinement parti des évolutions technologiques – les drones, par exemple. L’exercice croissant de missions relevant du maintien de l’ordre par des unités normalement dédiées à la sécurité publique est un autre point d’attention, qui justifie un programme de formation et d’équipement spécifique.

Dernier sujet d’importance : la contribution des polices municipales à la sécurité intérieure. Les résultats de notre consultation le confirment : les policiers municipaux se sentent déconsidérés et leur action mal articulée avec celle des forces nationales. Pour y remédier, une première étape serait de constituer une école nationale de police municipale, afin d’harmoniser les formations reçues par les agents municipaux. L’harmonisation de leur cadre d’emploi avec celui des gardes champêtres permettra de faire émerger une catégorie unifiée d’agents municipaux de sécurité publique chargés de l’exécution des arrêtés du maire. Enfin, étendre l’accès des policiers municipaux aux fichiers de police leur permettrait de remplir leurs missions de police de la route avec plus d’efficacité et dans de meilleures conditions. 

Mes chers collègues, voilà, brossé à grands traits, le rapport que je soumets à votre approbation, avec le sentiment d’avoir travaillé dans un état d’esprit pragmatique, constructif et, il me semble, plutôt consensuel.

M. Rémi Delatte. À mon tour, je veux saluer le travail collectif, particulièrement dense, réalisé dans le cadre de notre commission d’enquête. Le rapport reprend bien les éléments abordés durant nos travaux, du rappel utile des grands enjeux, avec un constat souvent alarmant de la situation réelle, aux vingt-sept propositions qui ont émergé. Il sera essentiel de s’assurer que le Parlement et le Gouvernement s’empareront bien de nos réflexions. La situation actuelle fait apparaître un besoin criant en termes de moyens humains et matériels ainsi que d’immobilier, qui impose une programmation urgente. Les logements, les casernes, les commissariats sont parfois dans un état très obsolète. Les équipements doivent être renouvelés. Il n’est pas acceptable que des interventions soient empêchées pour des raisons matérielles. Le terme de « remise à niveau » que vous employez, monsieur le rapporteur, me semble tout à fait approprié, eu égard aux retards constatés depuis plusieurs années. On ne peut pas occulter non plus la question des heures supplémentaires, qui nous a souvent été rappelée, ni celle de la formation.

Les professionnels de sécurité attendent aussi un soutien moral et politique. Nos travaux ont permis de rappeler le soutien de la représentation nationale aux forces de l’ordre. Nous avons également été témoins de l’attachement, affectif, des Français aux policiers et aux gendarmes qui assurent leur sécurité. Si les élus soutiennent les forces de l’ordre, il faudra le leur prouver dans les prochaines décisions. Il faut aussi conforter les personnels et engager un travail de soutien psychologique et de prévention des risques psycho-sociaux, une dimension nouvelle mais essentielle.

Enfin, il faudra veiller à faire appliquer l’arsenal législatif et réglementaire, voire à le renforcer – je pense particulièrement à la sécurisation des interventions des agents. Nous devrons clarifier le cadre juridique global au service de l’interopérabilité des forces entre la gendarmerie et les polices, mais aussi entre les forces de l’ordre et les acteurs de la sécurité privée – un point qui n’apparaît pas dans votre rapport, monsieur le rapporteur. Nous avions pu constater, lors de notre déplacement à Dijon, qu’au-delà de la complémentarité fonctionnelle, la sécurité privée disposant de moyens considérables avait accès à des produits innovants qui permettraient de renforcer l’action de la police et de la gendarmerie.

Bravo pour ce travail ! J’ai beaucoup apprécié l’atmosphère de notre commission et la qualité de la réflexion qui y a été menée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Une annexe est entièrement consacrée à la sécurité privée. La proposition numéro 10 la mentionne d’ailleurs directement, dans le cadre de l’externalisation qui est envisagée pour les centres de rétention administrative.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Par ailleurs, dans le cadre du rapport Thourot-Fauvergue, des propositions relatives à la sécurité privée ont été faites, qui contribueront à alimenter le débat, a minima sur le livre blanc

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ce travail collectif et intéressant m’a beaucoup appris. Tout le monde s’accorde sur la nécessité de renouveler les équipements. La proposition numéro 27, relative à la police municipale, m’a particulièrement intéressé. L’idée d’une école nationale permettant d’harmoniser les différentes polices municipales me semble excellente ; tout comme l’extension de l’accès aux fichiers de la police nationale ; ainsi que la mutualisation des services, notamment en ce qui concerne l’entretien des véhicules. La proposition numéro 7 visant à garantir le potentiel d’emploi des réserves me paraît aussi très intéressante. Nous sommes d’ailleurs en train de mener une opération auprès du Président de l’Assemblée nationale et des questeurs pour évaluer le nombre de réservistes au sein de l’Assemblée. Nous allons lancer une opération auprès des salariés de l’Assemblée, dans le but d’y augmenter le nombre des réservistes. Les députés, quant à eux, devraient se faire les ambassadeurs de la réserve nationale. Enfin, la proposition numéro 10 aborde le problème des procurations, sans dire toutefois à qui elles seraient confiées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il y est proposé d’«accélérer la réduction des missions périphériques », aussi bien pour l’établissement de procurations qu’en cas de perte de documents officiels. Nous renvoyons aux services de l’État ou aux municipalités et aux services de l’État dans le deuxième cas. 

M. Jean-Pierre Cubertafon. Comme vous l’avez dit, j’espère que ces propositions seront exploitées et appliquées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’aurais souhaité vous soumettre deux points, que je n’ai pas intégrés au rapport. Dans la proposition numéro 11, nous demandons de créer les conditions d’une réponse éducative et pénale efficace aux actes de délinquance commis par les mineurs. Ne pourrait-on étudier la possibilité d’instaurer une peine citoyenne de réparation à l’encontre des parents, qui sont civilement responsables de leur enfant, nous nous inspirant ainsi de propositions de députés de Nouvelle-Calédonie. Quant à la question du recouvrement des amendes et de la quotité insaisissable, il ne s’agirait pas de revenir sur son principe, mais de disposer d’éléments statistiques permettant de connaître le nombre de personnes qui ont évité l paiement d’une amende en raison de ce motif. Avoir des chiffres pourrait dissiper certains fantasmes. Seriez-vous favorables à ce que nous inscrivions ces deux points dans le rapport ?

M. Rémi Delatte. Sur le fond, je n’ai aucune objection, mais pourquoi avez-vous fait allusion à la Nouvelle-Calédonie au sujet de votre première proposition ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Parce qu’elle émane de députés de Nouvelle-Calédonie. L’ancienne majorité au congrès de la Nouvelle-Calédonie proposait de l’adopter.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Pourrions-nous avoir quelques précisions sur la proposition 24, relative à la création d’une académie de police ?

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Actuellement, la police est organisée par corps et chacun des trois corps – gradés et gardiens, officiers, commissaires – a sa propre école. La création d’une académie de police, réclamée notamment par nombre d’organisations syndicales, permettrait de rassembler ces trois corps, en particulier dans le cadre de la formation continue. Au demeurant, il me semble que cette proposition figurait dans le programme présidentiel ou qu’elle a été évoquée durant la campagne.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. S’agissant de ma première proposition, on peut m’objecter qu’elle conduirait à instaurer une sorte de double peine, par exemple si des travaux d’intérêt général sont imposés à une mère célibataire qui élève seule ses enfants. Mais une telle mesure a vocation à s’appliquer au cas par cas et, dans la situation que je viens d’évoquer, ce ne serait pas la première solution envisagée. Il s’agit d’ouvrir une possibilité. Si l’on constate une carence éducative, il peut être nécessaire de responsabiliser les parents. Par ailleurs, parents et enfants pourraient effectuer cette peine ensemble. Enfin, je le rappelle, les parents sont civilement responsables de leurs enfants.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Tout d’abord, je rappelle qu’actuellement, en cas d’incivilités, les maires peuvent convoquer les mineurs et leurs parents ou leurs représentants légaux. Cela n’a rien à voir avec votre proposition, monsieur le rapporteur, mais c’est un point important. Ensuite, pourquoi ne pas préciser dans le rapport qu’une expérimentation qu’une expérimentation pourrait être menée et qu’elle pourrait être étendue si ses résultats sont positifs ?

M. Christophe Naegelen. Il s’agit d’une proposition de certains membres du congrès de la Nouvelle-Calédonie. Peut-être pourrions-nous en effet évoquer plutôt une expérimentation.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Si personne ne s’y oppose, cela me semble préférable. Quant à votre seconde proposition, monsieur le rapporteur, il faut être prudent  afin de ne stigmatiser personne.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il s’agit uniquement de demander une évaluation afin de comprendre pourquoi 70 % des amendes forfaitaires ne sont pas payées et de savoir quelle est la part de celles qui ne sont pas recouvrées du fait de la quotité insaisissable.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Qui réaliserait cette évaluation ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Elle peut être réalisée par le Gouvernement ou par une mission parlementaire. 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Il me semble intéressant de comprendre pourquoi les amendes ne sont pas recouvrées : est-ce-dû à un manque de moyens matériels, à des applications qui ne fonctionnent pas ? Quant à la seconde partie de la proposition, elle me paraît marginale, mais pourquoi pas.

Mme Marietta Karamanli. Dans le cas des amendes infligées par la SNCF, par exemple, le non-recouvrement s’explique, dans la majorité des cas, parce qu’on ne retrouve pas l’auteur de l’infraction. C’est en tout cas la raison qui m’a été donnée par les services de la DGFIP.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En tout état de cause, nous devons nous interroger, dans le cadre de notre mission de contrôle de l’action du Gouvernement, sur le fait scandaleux que 30 % seulement des amendes forfaitaires sont recouvrées. Moins d’une sur trois, c’est considérable !

M. le président Jean-Michel Fauvergue. À titre personnel, j’estime que cette proposition est intéressante. Je vous propose donc, mes chers collègues, si vous êtes d’accord, de l’inscrire dans le rapport.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Je souhaiterais revenir sur la proposition 27, qui a trait à l’extension des possibilités d’accès des policiers municipaux aux fichiers de police. Ne devrait-on pas plutôt préconiser que l’ensemble des forces de sécurité – police municipale, police nationale et gendarmerie – soient autorisées à consulter l’ensemble des fichiers qui sont à leur disposition ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le problème est que les policiers municipaux ne sont pas des Officiers de police judiciaire (OPJ).

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Certes, mais tous les policiers nationaux ne sont pas OPJ. Pourtant, ils peuvent consulter une très grande majorité des fichiers.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En l’espèce, les policiers municipaux demandent surtout d’avoir accès au Fichier des objets et des véhicules volés (FOVES) et au Fichier des personnes recherchées (FPR).

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Précisément, ces fichiers peuvent être consultés par n’importe quel APJ (Agent de police judiciaire) de la police nationale.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. En leur qualité d’adjoints de police judiciaire adjoints (APJA), les policiers municipaux pourraient consulter des fichiers au même titre que les Adjoints de sécurité (ADS) des forces de sécurité nationale, par exemple. Cette préconisation a déjà été faite dans le cadre d’un précédent rapport et elle devrait être également abordée, me semble-t-il, lors de la discussion du Livre blanc. Peut-être même fera-t-elle l’objet d’une proposition de loi – nous verrons.

Cependant, il peut être problématique que les policiers municipaux, qui relèvent de l’autorité du maire, et non de celle de l’État, aient accès au Fichier des personnes recherchées, car celui-ci comporte les antécédents des personnes concernées. C’est, en tout cas, une préoccupation du ministère de l’intérieur. Néanmoins, on réfléchit actuellement à la manière dont le fichier pourrait signaler par un simple « bip » qu’une personne est recherchée. Prenons l’exemple d’une remise volontaire du permis de conduire à des policiers municipaux, lesquels, rappelons-le, n’ont pas le droit de procéder à des contrôles d’identité. Actuellement, ceux-ci transmettent le nom de la personne à un correspondant de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, ce qui peut prendre du temps. Or, l’individu qu’ils ont arrêté peut être dangereux. Il faudrait donc qu’ils puissent soumettre ce nom au fichier et savoir, par un simple « bip », si l’individu est dangereux ou recherché, sans avoir accès à l’ensemble des informations le concernant. Ainsi ils peuvent au moins prendre les précautions nécessaires.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Une fiche de recherche peut être émise pour un mineur en fugue comme pour une personne qui a commis un vol à main armée, par exemple. Or, le comportement du policier ne sera pas le même dans un cas et dans l’autre. En somme, il s’agit surtout de sécuriser les policiers municipaux, qui sont souvent les premières forces de sécurité à être en contact avec la population.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous sommes bien d’accord. C’est l’objet de cette proposition.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. N’oublions pas que le champ d’intervention des policiers municipaux est principalement limité à la sécurité routière. C’est pourquoi il est important qu’ils aient accès au fichier des véhicules volés, voire à celui des personnes recherchées. Leur donner accès à d’autres fichiers peut présenter un intérêt du point de vue de la collaboration entre les différentes polices, mais cela ne me paraît pas nécessaire dans le cadre de l’exercice de leurs compétences.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Pour un policier municipal qui n’est pas armé, il peut être préférable de laisser partir un individu qui fait l’objet d’une fiche de recherche pour vol à main armée, par exemple, plutôt que de le retenir sans savoir pour quel motif il est recherché.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est pourquoi nous proposons que les policiers municipaux aient accès au FOVES et au FPR. À quel autre fichier souhaiteriez-vous qu’ils aient accès ?

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Ces deux fichiers suffiraient, en effet. Mais, tout à l’heure, M. le président a indiqué qu’un « bip » leur permettrait de savoir qu’une personne est recherchée. Or, il me semble qu’ils devraient au moins pouvoir connaître le motif de la recherche.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je me faisais l’écho des arguments que le ministère de l’intérieur, notamment la DLPAJ (Direction des libertés publiques et des affaires juridiques), a opposés à cette proposition, qui figurait dans le rapport Thourot-Fauvergue.

M. Christophe Naegelen. L’objectif initial était d’obtenir que les policiers municipaux aient accès à ces fichiers mais nous pourrons préciser, pour tenir compte de votre remarque que cet accès doit leur permettre de connaître le motif de la recherche.

Mme Marietta Karamanli. J’ai consulté le rapport et, si je souscris entièrement à certaines propositions, il me semble que certaines questions qui ne sont pas abordées mériteraient de l’être. Je n’en citerai que deux : celle de la formation et celle de la doctrine d’intervention.

Souvenez-vous, lors de l’examen du projet de loi « anticasseurs », déposé suite au mouvement des « gilets jaunes », le ministre de l’intérieur s’est dit d’accord pour réfléchir au mode d’intervention de la police dans ce type de manifestations. De fait, lors des auditions, nous avons estimé qu’il convenait de se pencher sur les moyens matériels et humains de la police et de s’inspirer des pratiques en cours dans d’autres pays, notamment en Allemagne, où il est fait usage de produits marquants, par exemple, et où des interventions ont lieu en amont pour désamorcer la violence. Je n’ai pas retrouvé ces éléments dans les propositions du rapporteur. Or, je me demande si nous n’aurions pas intérêt à envoyer un message à ce sujet, afin que cette question soit abordée dans le cadre du prochain texte sur la sécurité. En tout état de cause, je souhaiterais que nous ayons un échange à ce sujet.

Le second élément a trait à la formation. Lors de l’audition des CRS, des policiers et des gendarmes, on s’est aperçu que le maintien de l’ordre souffrait d’un manque de moyens humains, ce qu’a reconnu, du reste, M. le ministre. Par ailleurs, on a constaté que, parfois, les policiers mobilisés lors de manifestations n’avaient pas suivi de formation pour intervenir dans ce cadre. Or, sachant qu’il manque actuellement 1 000 postes dans les CRS, il avait été envisagé que, dans le cadre de leur formation, les policiers y servent pendant un certain temps avant d’être affectés dans un autre corps.

Pourrions-nous, monsieur le président, monsieur le rapporteur, aborder ces deux points qui ont été évoqués par les différentes personnes que nous avons auditionnées ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. S’agissant du maintien de l’ordre, je vous renvoie aux propositions formulées dans le rapport. La proposition 18 porte sur une nouvelle doctrine du schéma national du maintien de l’ordre. La proposition 19 préconise des solutions pour remédier aux pénuries de personnel. Il s’agit, d’une part, de revenir à quatre pelotons pour les compagnies républicaines de sécurité et d’autre part, de porter à 125 militaires les effectifs de chaque escadron de gendarmerie mobile. Pour parvenir à cette augmentation, il faudrait procéder par redéploiement. Les 109 escadrons existants comptent 105 à 110 militaires mais 22 d’entre eux comprennent un cinquième peloton dont les effectifs seraient redistribués dans les autres escadrons. Cela ne serait toutefois pas suffisant et il faudrait aussi recourir au recrutement de 900 à 1000 gendarmes supplémentaires pour un coût évalué à environ 32 millions d’euros par an.

Quant aux marqueurs individuels, j’y suis favorable.

La formation fait l’objet de plusieurs développements dans le rapport. Nous préconisons la création d’une académie de police pour assurer une formation commune et éviter la fracture entre chacune des directions de la police nationale.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. L’académie de police, qui permet le mélange des grades et des personnels, semble le lieu idéal pour travailler sur des techniques de maintien de l’ordre élaborées, du sommet jusqu’en bas et du bas jusqu’au sommet.

J’ai été désigné par la présidente de la commission des lois pour participer à un séminaire organisé par le ministère de l’intérieur autour du schéma national du maintien de l’ordre. Parmi les experts invités, il y avait des représentants de la police allemande, espagnole et néerlandaise venus présenter leur doctrine du maintien de l’ordre, vidéos à l’appui. Il faut se garder de penser que tout est mieux ailleurs. Face à des manifestants très violents, les techniques de désescalade ne sont plus opérantes. Les Espagnols nous ont montré des images de manifestations en Catalogne qui ressemblaient fortement à ce que nous avons connu en France. Tout le monde dit que les lanceurs de balles de défense (LBD) ne sont utilisés qu’en France alors que les Allemands et les Espagnols y ont recours.

Mme Marietta Karamanli. Mais pas en première portée !

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La police allemande a employé des canons à eau avec une puissance de jet qui a entraîné la perte d’un œil chez plusieurs manifestants. Cela montre que le maintien de l’ordre n’est pas sans danger. Ce sujet n’est pas au cœur de notre commission mais je tenais à vous apporter ce témoignage.

M. Rémi Delatte. Monsieur le rapporteur, je n’ai pas retrouvé dans le rapport les propositions concernant l’interopérabilité avec les sociétés privées. Il serait bon qu’elles puissent renseigner les forces de sécurité. Pourquoi ne pas suggérer dans le rapport de faire une expérimentation en ce sens, à l’échelle d’un département, par exemple, avant d’envisager sa généralisation ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le recours aux agents privés recouvre diverses situations. La seule proposition que nous avons formulée à ce sujet est la proposition 10 qui porte sur les centres de rétention administrative. Une annexe expose les possibilités en matière de recours aux agents privés.

M. Rémi Delatte. Imaginons une zone d’activité économique où des vols se produiraient très régulièrement. Pourquoi ne pas permettre à la société de sécurité privée chargée de sa surveillance de fournir des renseignements à la police ou à la gendarmerie, en se fondant par exemple sur des dispositifs de lecture de plaques d’immatriculation ou l’usage de drones ? C’est une procédure qui n’est pas autorisée aujourd’hui.

A Dijon, une base nautique nécessiterait ce genre de collaboration pour sa surveillance mais il faudrait pour cela que les obstacles soient levés.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Encore une fois, veuillez m’en excuser, je ferai référence au rapport d’information sur le continuum de sécurité dans lequel cette question est abordée. Le rapport que nous allons publier viendra le compléter et nous pourrons nous appuyer sur ces deux documents pour élaborer des contributions pour le Livre blanc.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il faudrait expertiser plus avant votre proposition, monsieur Delatte. Il existe une jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État sur les missions de police administrative et de surveillance : la présence d’un officier de police judiciaire est nécessaire pour les collaborations avec les sociétés de sécurité privée.

M. Rémi Delatte. Je pourrai peut-être intégrer cette proposition dans la contribution de mon groupe.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Pour favoriser l’allégement de la charge procédurale et administrative, j’insisterai sur la nécessité de développer la visio-conférence pour les autopsies. J’ai moi-même pu constater que cela permettait de faire des économies non négligeables de temps, d’effectifs et de moyens. Une loi récente a permis aux médecins légistes de placer eux-mêmes sous scellés tandis que les policiers assistent à l’autopsie depuis un commissariat.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Toute solution permettant d’alléger la charge procédurale et administrative est la bienvenue. Aucune des personnes auditionnées ne nous a toutefois parlé des autopsies par visioconférences.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. La visioconférence est expérimentée à Montpellier. Si cette procédure était généralisée, cela éviterait de faire se déplacer quatre policiers dans une voiture.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous pouvons ajouter une mention des autopsies par visioconférence dans le rapport, cela ne pose pas de problème de principe selon moi.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. J’aimerais revenir sur la formation initiale.

Lors de son audition, le directeur général de la police nationale s’est montré favorable au passage de la durée de la formation des gardiens de la paix de douze à huit mois. Or la lecture du rapport montre clairement qu’il y a un déficit de formation. Pourquoi supprimer un quart de la formation ? On peut se demander si cette décision d’accélérer les recrutements n’est pas avant tout une réaction aux manifestations des Gilets jaunes. Le directeur la justifiait en soulignant le fait que la formation est suivie d’un an de stage mais nous savons que celui-ci peut être écourté. Dans les années quatre-vingt-dix, du fait des émeutes urbaines, certains gardiens de la paix ont été affectés immédiatement à leur sortie d’école. Réduire la formation initiale me semble mettre en danger les gardiens de la paix, qui sont un peu les couteaux suisses de la police nationale. Ne pourrait-on faire figurer dans le rapport la nécessité de conserver la durée de la formation initiale à douze mois ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de vous répondre en citant la page 106 du rapport : « Pour toutes ces raisons, le rapporteur s’interroge sur les effets de la réduction du temps de formation initiale de douze à huit mois, les quatre derniers mois de formation étant effectués sous forme de stage dans les services. En l’état actuel des effectifs, des contraintes opérationnelles et de la formation continue, il y a fort à craindre que cette réforme ne produise pas les effets escomptés. ».

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Cet extrait me satisfait pleinement, monsieur le rapporteur !

 

Le rapport est adopté à l’unanimité.

 


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   Contributions des groupes politiques

Contribution du Groupe Les RÉpublicains (M. RÉmi DELATTE)

Alors que les forces de sécurité en France font l’objet d’une mobilisation intense depuis le mois de novembre, la commission d’enquête qui remet le présent rapport apporte ici un travail nécessaire : celui de remettre en perspective les enjeux indépendamment de l’actualité. Car au-delà de la contestation sociale pour laquelle les forces de l’ordre sont amenées à assurer ou rétablir l’ordre public, elles connaissent un changement plus large de leur cadre de mobilisation. Installation durable de la menace terroriste depuis 2012 et surtout depuis 2015, adaptation aux nouvelles formes de délinquance et à l’imbrication des réseaux criminels, rétablissement du lien avec la population... Des sujets que la commission a pu aborder au cours de ses travaux, enrichis par une quantité considérable de déplacements et d’auditions. Ceux-ci aboutissent à un rapport dense, fidèle aux éléments recueillis. Les nombreuses propositions que recense le rapport sont à cet égard révélatrices de la complexité des sujets et de l’interconnexion des enjeux. Cela plaide d’ailleurs pour que le législateur comme l’exécutif se saisissent pleinement des travaux de la commission et engagent le travail de réflexion autour d’une véritable loi d’Orientation et de Programmation Pour la Sécurité Intérieure. Dans le prolongement des précédentes LOPPSI, celle-ci permettrait de fixer un calendrier clair, ambitieux si possible, de nature à mener les chantiers indispensables à l’évolution des politiques publiques de sécurité comme à rassurer les femmes et hommes qui, sur le terrain, font état d’un malaise profond. Aussi, cette contribution se veut une pierre supplémentaire aux travaux retracés dans le présent rapport.

I.               Des missions qui, à l’épreuve de notre société, évoluent et s’entremêlent.

Trop longtemps préemptée par le débat autour d’une éventuelle « culture de l’excuse », la question sociale a trop longtemps été négligée comme l’une des causes, sinon de la délinquance, de son évolution. Ajoutée à des changements plus profonds dans la structure et les interactions dans notre société, elle est pourtant une composante à part entière des situations rencontrées par les agents des forces de l’ordre, particulièrement en matière de récidive. Indépendamment des moyens qui seront évoqués plus loin, cela vient conforter l’importance de la coordination des forces de sécurité avec d’autres acteurs, intervenant dans le champ médico-social notamment. Cette prévalence de situations sociales complexes dans les faits de délinquance confère une véritable légitimité aux Conseils Locaux de Sécurité et de Prévention de la Délinquance, particulièrement lorsqu’ils sont maintenus à l’échelon communal. Cela souligne également le rôle essentiel, malgré le manque d’effectifs en la matière, des assistants et travailleurs sociaux détachés par les Conseils Départementaux et qui, au sein des commissariats et casernes de gendarmerie, assurent un suivi social des situations signalées lors d’intervention.

En matière de sécurité, l’attente des Français pour eux et leur famille fait fi des subtilités de notre droit en vigueur. De fait, certains délais ou défauts de compétences ne sont plus compris par nos concitoyens ; de même  les organisations professionnelles soulignent depuis longtemps leur obsolescence. Il conviendrait ainsi utilement de travailler à l’extension des compétences des Policiers municipaux en matière de relevés et contrôles d’identité, ainsi qu’à l’accès des agents de police municipale à différents fichiers utiles à leurs missions, comme celui des Personnes Recherchées ou des Véhicules volés. De même, des élus locaux font état d’une véritable incompréhension quant à la formation des agents de police municipale lorsque les aspirants ont déjà servi dans la Gendarmerie ou proviennent d’entreprises de sécurité privée. Malgré des compétences évidentes en la matière, la formation initiale actuelle ne prévoit pas la possibilité de tenir compte des expériences et connaissances préalablement acquises. Cela aboutit de fait à maintenir l’impétrant dans une formation incompressible de 120 jours ouvrés, soit six mois durant lesquels ce dernier ne peut être opérationnel au service de la commune d’accueil. Votre contributeur suggère d’enrichir la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, afin d’y intégrer une prise en compte des expériences passées pour réduire en partie la durée de formation, mais aussi des besoins de présence sur le terrain exprimés par la commune d’accueil. Une obligation de servir dans la commune ayant financé la formation initiale pendant une durée minimale de deux ans semble par ailleurs être une proposition à verser au débat.

La multiplication des missions et tâches confiées aux agents est par ailleurs à prendre en compte dans l’aggravation des difficultés psychologiques à assumer des fonctions par nature contraignantes. Si l’intensité de l’activité opérationnelle redonne temporairement sens aux métiers de policier et gendarme et renforce assurément un esprit de cohésion, elle aggrave en toile de fond un malaise et un mal-être qui laissent craindre une augmentation du nombre déjà particulièrement élevé de suicides parmi les forces de l’ordre. Un vaste plan de soutien psychologique et de prévention des risques psycho-sociaux, dont l’impérieuse nécessité n’est plus à démontrer, devra à cet égard intégrer la réflexion sur la diminution des tâches indues qui accaparent les agents avec des activités dévalorisantes ou répétitives.

On ne peut dès lors occulter la question des moyens affectés à nos forces de sécurité.

II.   Un profond besoin de moyens humains et matériels.

Il est acquis que les forces de sécurité ont aujourd’hui besoin de voir poursuivie et amplifiée la trajectoire de recrutements et d’accroissement des moyens matériels. Cela donne toute son utilité à la loi de programmation mentionnée en introduction. À l’image de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025, une telle loi permettrait de fixer une progression pérenne des moyens financiers consacrés aux ressources humaines et à l’équipement.

Le manque de moyens humains concerne en effet autant les forces d’intervention que celles en appui sur les tâches administratives. Les membres de la commission d’enquête ont ainsi eu à connaître, durant leurs travaux, de capacités opérationnelles particulièrement réduites sur certaines périodes de la semaine, notamment dans des grands centres urbains, qui ne sont plus à même de garantir l’ordre public malgré le dévouement et le professionnalisme des agents. De la même manière, des opérations de surveillance particulièrement efficaces des espaces naturels avec des « motos tout-terrain » ne peuvent parfois être reconduites par manque de personnel formé et disponible.

Il peut d’ailleurs être envisagé d’adosser cette hausse des effectifs à des organisations innovantes du travail, à l’image du département de Sécurité Publique en Côte-d’Or qui a expérimenté avec succès le dispositif du « vendredi fort », permettant une rotation des congés et jours de repos de manière à disposer du maximum d’agents en service sur le jour recensé comme le plus chargé en activité.

On ne peut, par ailleurs, éluder la question des heures supplémentaires non payées, particulièrement après plusieurs mois de mobilisation intensive et alors que la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure estimait, en juin 2018 déjà, ce stock à près de 158 heures par agent en moyenne, pour un total qui a atteint 24 millions d’heures.

Les besoins matériels sont, eux, dus à la double évolution que sont d’une part les progrès techniques considérables dans les moyens d’enquête, et d’autre part par l’usure des équipements actuels pour laquelle les mesures budgétaires (250 millions d’euros) votées dans la Loi de Finances pour 2017 s’étaient révélées utiles bien qu’insuffisantes. Ce renouvellement nécessaire s’applique d’ailleurs autant à l’armement, aux matériels roulants qu’aux tenues individuelles des agents.

D’autres mesures peuvent également concerner la dignité même des forces de l’ordre.

III.   Une dignité des fonctions au service de la sécurité des Français et de la permanence de l’État de droit à réaffirmer.

Votre contributeur insiste sur la nécessité de mieux sanctionner, et donc dissuader, les atteintes à la dignité des policiers et gendarmes. Il convient pour cela de revoir la qualification du délit d’outrage en supprimant, dans l’article 433-5 du code pénal, la condition de non-publicité qui paraît moins adaptée aux enjeux actuels, particulièrement à l’heure de la loi contre la cyber haine. Cette disposition, qui protégerait l’ensemble des forces de sécurité, policiers, gendarmes comme surveillants pénitentiaires, pourrait d’ailleurs être corrélativement appliquée aux magistrats, par une adaptation similaire de l’article 434-24 du même code.

Au-delà même du quantum de la sanction, cette disposition apporterait des facilités de procédure de nature à mieux sanctionner l’atteinte à la dignité des personnes dépositaires de l’autorité publique, que ne permet pas l’actuel régime de l’injure publique.

Le soutien aux forces de l’ordre et à la charge symbolique de leurs missions s’exprime aussi par le soutien des responsables politiques aux femmes et hommes engagés. Les travaux et le rapport de cette commission d’enquête témoignent, à cet égard, de toute la gratitude de la représentation nationale envers eux. Mais ce soutien doit également passer, ainsi que l’ont signalé certains responsables auditionnés, par le refus de mesures jetant le discrédit ou une « présomption de culpabilité » sur les forces de l’ordre, comme ont pu le laisser penser, en leur temps, certains projets de récépissés.

Enfin, il est impératif de loger dignement les militaires en caserne, dont de nombreux exemples témoignent de la particulière vétusté des locaux. Cela s’applique également aux bureaux et commissariats, dont l’état rend indispensable une remise à niveau de la programmation immobilière de l’État en la matière. Un effort d’investissement, certes considérable, doit permettre de rénover ou de construire les infrastructures nécessaires aux services, de sorte que nos forces de l’ordre bénéficient d’équipements et de logements modernes et fonctionnels.

IV.   L’inter-opérabilité des forces au service d'une plus grande efficacité.

L’inter-opérabilité des différentes forces est une manière d’assurer le passage d’un continuum de sécurité vers une sécurité globale évoqué dans un précédent rapport « Fauvergue - Thourot ».

À cet égard, il est proposé de travailler à une modification de l’article L.252-3 du code de la sécurité intérieure afin que les dispositifs de vidéo-protection des gares SNCF puissent être raccordés aux centres de supervision municipaux. Si ce type de déports est possible lors de circonstances faisant redouter la commission imminente d’une atteinte grave aux biens ou aux personnes, le cadre légal actuel ne l’autorise pas de manière permanente. Il conviendrait d’assouplir ce mode opératoire afin de faciliter la surveillance des gares et la sécurité des usagers.

Par ailleurs, l’inclusion des acteurs privés de la sécurité dans ce continuum est à affirmer pleinement, au nom d’une évidente complémentarité fonctionnelle et matérielle.

Des expérimentations pourraient être utilement ouvertes en la matière, pour faire bénéficier l’espace public des technologies et usages modernes que proposent déjà aux particuliers et professionnels les acteurs privés en matière de surveillance. Les forces de l’ordre seraient ainsi en mesure de recevoir soutien et information d’acteurs privés dont les applications techniques permettent par exemple un premier traitement des images recueillies par les dispositifs de vidéo-protection, à l’image d’une lecture automatisée des plaques d’immatriculation.

 

 

 


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   Liste des personnes auditionnées
par lA COMMISSION d’ENQUÊTE

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces.

Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) :

– Colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général, lieutenant-colonel François Dufour, secrétaire général adjoint, et les membres du groupe de liaison : adjudant-chef Samia Bakli, lieutenant-colonel Sébastien Baudoux, chef d’escadron Frédéric Colard, adjudant Raoul Burdet, maréchal des logis-chef Gérard Dhordain, adjudant-chef Hélène L’Hôtelier, gendarme Grégory Riviere, adjudant-chef Catherine Hernandez, adjudant-chef Vincent Delaval, adjudant-chef Régis Poulet, major Patrick Boussemaere.

Représentants d'associations nationales professionnelles de militaires (ANPM) :

– GENDXXI : M. Frédéric Le Louette, président, M. Jean-Pierre Bleuzet, vice-président, M. David Ramos, membre du conseil d'administration ;

– Gendarmes & Citoyens : M. Thierry Guerrero, président, MM. Ludovic Lacipière et Cédric Bouveret, vice-présidents ;

Représentants de :

– l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI) : M. Thomas Nesle, président, M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, vice-président, Mme Audrey George, brigadier-chef, M. Dominique Brancher, gardien de la Paix ;

– France Police – Policiers en colère : M. Michel Thooris, secrétaire général, et M. Éric Roman, secrétaire national.

Table ronde de syndicats de directeurs des services pénitentiaires :

– Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP CFDT) : Mme Aurélie Jammes et M. Jean-Michel Dejenne ;

– Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction : M. Sébastien Nicolas, secrétaire général et Mme Franca Annani, secrétaire nationale.

Table ronde des associations membres de l’Entente gendarmerie :

– Trèfle (société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’École des Officiers de la Gendarmerie nationale) : Général Edmond Buchheit, président ;

– Fédération Nationale des Retraités de la Gendarmerie (FNRG) : M. Jean-Claude Fontaine, président ;

– Ailes de la Gendarmerie : colonel Patrice Gras, président ;

– Association d’Aide aux membres et familles de la Gendarmerie (AAMFG) : Mme Muriel Noël, présidente, et Mme Virginie Rodriguez, vice-présidente ;

– Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG) : colonel Jean-Pierre Virolet, premier président national adjoint et colonel Gérard Sullet, secrétaire général ;

– Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la gendarmerie nationale : Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national, chef d’escadron Laurent Huet, secrétaire général, et le Major Emmanuel Zammit, président pour le département de Loir-et-Cher ;

– Amis de la gendarmerie : Général Jean Colin, président ;

– Association nationale des réservistes et des sympathisants de la gendarmerie (RESGEND) : colonel Luc Delnord, président ;

– Société nationale d’histoire de la gendarmerie : Général Jean-Régis Vechambre, président.

Table ronde de représentants de syndicats de surveillants pénitentiaires :

– FO Pénitentiaire : M. Dominique Gombert, secrétaire général adjoint, M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint, M. Emmanuel Guimaraes, secrétaire général adjoint, M. Jean Philippe Cabal, secrétaire national du Corps de Commandement ;

– SPS non gradés : MM. Philippe Kuhn et Joseph Paoli, secrétaires nationaux adjoints ;

– CGT Pénitentiaire : M. Éric Lemoine, 1er surveillant, M. Peyrin Nico, 1er surveillant, M. Alexis Grandhaie, commandant ;

– UFAP UNSA Justice : M. David Calogine, secrétaire générale adjoint et M. Wilfried Fonck, secrétaire national.

Table ronde de représentants de syndicats de police municipale :

– FO Police Municipale : M. Patrick Lefèvre, secrétaire national et M. Christophe Léveillé, secrétaire national ;

– FA-FPT Police municipale : M. Fabien Golfier, secrétaire national en charge de la police municipale et M. Pascal Kessler, secrétaire général ;

– UNSA : M. Manuel Herrero secrétaire général adjoint UNSA territoriaux région AURA, membre de la commission consultative des polices municipales, et M. David Quevilly

– CGT-Police Municipale : M. Yves Manier, brigadier-chef principal de police municipale, membre du collectif CGT-PM, Pascal Ratel, chef de service de police municipale ;

– CFDT Interco : M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndicat interco 21 et M. Serge Haure, chargé de mission forces de sécurité publique.

Préfecture de police de Paris :

– M. Didier Lallement, préfet de police de Paris ;

– M. Thibaut Sartre, secrétaire général pour l'administration ;

– M. Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation ;

– M. Sébastien Durand, conseiller technique en charge des affaires de police.

Direction générale de la Police nationale (DGPN) :

– M. le Préfet Éric Morvan, directeur général de la police nationale ;

– M. Gérard Clerissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale à l’administration centrale ;

– M. Antoine Salmon, contrôleur général, chef d'État-major.

Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) :

– M. Cédric Renaud, président.

Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) :

– Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale ;

– Lieutenant-colonel Sébastien Thomas, chef de la synthèse budgétaire auprès de la sous-direction des affaires financières.

Direction des ressources et des compétences de la police nationale :

– M. Jean Bouverot, chef du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) ;

– M. Olivier Brun, sous-directeur des équipements.

Direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) :

– Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien.

Direction centrale de la sécurité publique :

– M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique ;

– M. Gilbert Mabecque, adjoint à la sous-directrice des ressources humaines et de la logistique ;

– M. Jean-Cyrille Reymond, sous-directeur des missions de sécurité.

Table ronde déquipementiers :

– Société Verney-Carron : M. Guillaume Verney-Carron, directeur général, M. Pierre-Henri Picard, consultant chez Calif ;

– Groupe Marck : M. Laurent Marck, directeur général, Mme Amélie Serey, chargée des relations institutionnelles.

Table ronde des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) :

 Paris : M. Stéphane Jarlégand, adjoint au préfet, secrétaire général pour l'administration, M. Philippe Castanet, directeur à la Direction des Finances de la Commande Publique et de la Performance (DFCPP) au secrétariat général pour l’administration de la préfecture de police, Mme Anne-Charlotte Jond, chargée de mission au cabinet du préfet, secrétaire général pour l'administration de la préfecture de police ;

 Zone de défense Est : M. Michel Vilbois, préfet délégué pour la défense et la sécurité sera présent ;

 Zone de défense Nord : M. Jean-Christohe Bouvier, préfet délégué pour la défense et la sécurité, Général Gilles Doremus, secrétaire général adjoint au SGAMI de Lille ;

 Zone de défense Ouest : M. Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest, préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest, Mme Isabelle Arrighi, secrétaire générale adjointe ;

 Zone de défense Sud-Est : Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité, M. Bernard Lesne, secrétaire général adjoint pour le SGAMI ;

 Zone de défense Sud : M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint pour l’administration du ministère de l’intérieur ;

 Zone de défense Sud-Ouest : Mme Valérie Hatsch, préfète déléguée pour la défense et la sécurité, M. Didier Ribeyrolle, commissaire divisionnaire et M. Stéphane Aaubert, commissaire divisionnaire ;

Inspection générale de la police nationale (IGPN)

– Mme Brigitte Jullien, directrice ;

– M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.

Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)

– Général Michel Labbé, chef de l’IGGN.

Direction Centrale recrutement et formation de la police nationale DCRFPN

– M. Philippe Lutz, inspecteur général de la police nationale.

Direction centrale de la police judiciaire

– M. Jérôme Bonet, directeur central, Mme Christine Dufau, adjoint au sous-directeur des ressources, de l'évaluation et de la stratégie.

Direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS)

– M. Philippe Klayman, directeur.

Direction centrale de la police aux frontières

– M. Fernand Gontier, directeur central, Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe.

Administration pénitentiaire

– M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire ;

– M. Pierre Azzopardi, sous-directeur du pilotage des services ;

– M. Jimmy Delliste, sous-directeur des métiers ;

– M. Benoît Fichet, adjoint au sous-directeur de la sécurité pénitentiaire.

Table ronde de représentants d’associations de soutien aux forces de l’ordre :

– Fondation « Maison de la gendarmerie » (FMG) : M. Jean-Jacques Taché, président, Mme Marie Hélène Gontaud, vice-présidente ;

– Association nationale d’action sociale (ANAS) des personnels de la police nationale et du ministère de l’intérieur : M. Pierre Cavret, président, M. Philippe Poggi, secrétaire général ;

– Association indépendante des forces de l’ordre pour la protection et la prévention (IFOPP) : Dr Didier Jammes, président, M. Serge Evdokimoff, membre fondateur,               Mme Virginie Montagu, secrétariat général,               M. Jean-Pierre Bleuzet, adhérent & gendarme ;

 

Syndicat National des Territoriaux CFE-CGC : M. Pierre Phillipe Padrines, chef de service à Roissy en Brie, M.  Matthieu Volant, chef de service responsable groupe de nuit à Nancy ;

Table ronde de gardes champêtres :

– M. Jean Luc Woyciechowski, responsable d'une brigade verte et responsable du service juridique dans une organisation syndicale généraliste de la FPT ;

– M. Romain Janson, garde champêtre chef ;

– M. Hervé Bénazéra, enquêteur environnement et urbanisme, chef de brigade ;

– M. Jacques Armesto, garde champêtre chef principal, président national de la Fédération nationale des gardes champêtres de France (FNGC).

Direction des opérations et de l'emploi :

– Général François Gieré, directeur.

Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

– Général Laurent Tavel, directeur, général de brigade Christophe Herrman, sous-directeur, colonel Sébastien Thomas, chef du bureau de la synthèse budgétaire.

Direction des personnels militaires de la gendarmerie

– Général Armando de Oliveira, directeur, colonel Sébastien Thomas, chef du bureau de la synthèse budgétaire, colonel Gwendal Durand, chargé de mission auprès du directeur.

M. Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur 

 

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   Déplacements effectués par la commission d’enquête

1. Remiremont (3 avril 2019)

 Compagnie de gendarmerie départementale : Lieutenant-colonel Brice Mangou, commandant du groupement de gendarmerie des Vosges, Chef d’escadron Julien Petit, commandant de la compagnie de gendarmerie de Remiremont

 Escadron de gendarmerie mobile : Capitaine Mathieu Johan, commandant de l’escadron 25/7 de Saint-Étienne-Lès-Remiremont

 Commissariat de Remiremont : M. Pierre Ory, préfet des Vosges, M. Cyrille Steiner, commandant de police de Remiremont

2. Drancy (11 avril 2019)

– M. François Léger, inspecteur général, directeur territorial de la sécurité de proximité de Seine-Saint-Denis, M. Martial Berne, commissaire divisionnaire, chef 1er district – Bobigny, M. Mourad Boughanda, responsable du bureau de Gestion Opérationnelle de la direction territoriale

3. Calais (16 avril 2019)

 Hôtel de police aux frontières à Coquelle

 Visite des locaux de la P              AF et du centre de rétention administrative de Coquelle

 Présentation du contexte Calaisien : M. Fabien Sudry, préfet du Pas-de-Calais, M. Michel Tournaire, sous-préfet de l’arrondissement de Calais, Mme Maryse De Moor, chef de cabinet PPDS, M. Filles Doremus, secrétaire général adjoint du SGAMI, M. Hervé Derache, directeur interdépartemental de la Police aux Frontières, M. Nicolas Jolibois, directeur départemental de la Sécurité Publique, M. Franck Toulliou, commissaire central de Calais, M. Thierry Canesson, directeur zonal CRS Nord, M. Laurent Garceau, commandant du groupement opérationnel permanent (GOP), M. Guy Cazenave-Lacroutz, commandant la région de Gendarmerie Hauts-de-France, M. Bertin Malhet, commandant du Groupement de Gendarmerie départementale du Pas-de-Calais, M. Dany van de Maele, adjoint au commandant de la compagnie de gendarmerie de Calais, M. Laurent Gadilhe, commandant la brigade de Gendarmerie maritime de Boulogne-sur-Mer, M. Thierry Merle, commandant du groupement opérationnel de maintien de l'ordre (GOMO)

 Rencontre avec les forces de sécurité présentes et visite du Commissariat de police de Calais

 Rencontre avec les forces de sécurité présentes de la Compagnie de gendarmerie départementale de Calais

 

4. Dijon (24 avril 2019)

 Rencontre avec les Gendarmes et visite de la Région de Gendarmerie de Bourgogne-Franche-Comté et du Groupement de Gendarmerie départementale de la Côte-d’Or : Général de Division Thierry Cailloz, commandant la région de Gendarmerie de Bourgogne-Franche-Comté et le groupement départemental de la Côte d'Or, Général Pascal Hurtault, commandant en second, Colonel Gaume, chef de la division des opérations, Colonel Lagrue, chef de la division de l’appui opérationnel, Colonel Heulard, commandant de la section de recherches, Colonel Capelle, commandant du groupement de gendarmerie mobile, Chef d’escadron Plisson, commandant de l’antenne GIGN,               Capitaine Meyer, commandant du peloton d’intervention et commandant en second de l’escadron 41/7 de gendarmerie de Dijon

 Rencontre avec les policiers et visite de l’Hôtel de Police de Dijon : Commissaire divisionnaire Jean-Claude Dunand, directeur départemental de la sécurité publique, Commissaire divisionnaire Bruno de Bartolo, chef du service d’inspection, d’aide et d’assistance de proximité, Commissaire Émilie Biancalana, chef de la sûreté départementale, Capitaine Philippe Moreau, chef de l’unité d’appui judiciaire, Capitaine Grégory Bouillot, adjoint au chef des unités territorialisées et d’appui

 Rencontre avec les Policiers municipaux : M. Samid El Ouahidi, directeur de la tranquillité publique, M. Michel Gueritée, chef du service de police municipale

 Rencontre avec les agents de l’entreprise SARI Sécurité : M. Alban Trocherie, co-gérant, M. Richard Gremeaux, co-gérant

5. Seine-et-Marne (21 mai 2019)

– Lieutenant-Colonel Ludovic Laporte, commandant du groupement en second de la Seine-et-Marne, et les militaires de la brigade de Chaumes-en-Brie, M. Jean Barrachin, maire de Guignes, M. James Chéron, maire de la ville de Montereau, M. Pierre Theron, directeur général des services de la ville de Montereau, M. Fabien Fournier, directeur de la prévention et de la sécurité de la ville de Montereau, M. Hervé Deydier, commandant divisionnaire fonctionnel de la direction départementale de la sécurité publique de Seine-et-Marne, M. Samuel Ruault, commissaire de police, chef de circonscription de sécurité publique de Fontainebleau et les fonctionnaires du commissariat de Fontainebleau

6. Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (26 juin 2019)

Déplacement au centre de détention homme : Mme Nadine Piquet, cheffe d’établissement, Mme Isabelle Brizard, adjointe à la cheffe d’établissement, les responsables du quartier mineur et du quartier d’évaluation de la radicalisation.

 


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   annexes


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I.   notes

Annexe 1 : L’évolution de la structure des dépenses des forces de l’ordre

Les évolutions budgétaires ont conduit à rigidifier les budgets de la police et de la gendarmerie, au détriment de la programmation stratégique de l’investissement immobilier et en faveur de l’équipement.

1.   Les dépenses de personnel ont progressé au détriment des dépenses de soutien

Si le budget alloué aux forces de sécurité intérieure n’a cessé d’augmenter ces dix dernières années, l’effort d’investissement et d’équipement a en revanche diminué au profit de dépenses de personnel dont la progression a été indispensable pour faire face aux nouveaux défis de la sécurité ([120]).

Alors que le budget des forces de sécurité intérieure a augmenté de 18 % entre 2009 et 2018, les dépenses de personnel ont progressé plus vite que le total des crédits, de plus de 23 %. En conséquence, elles représentent désormais 86,65 % des dépenses.

Le graphique ci-dessous souligne la progression de la part des dépenses de personnel dans le budget des forces de sécurité intérieure.

Évolution des dépenses de personnel des programmes 176 et 152

Source : rapports annuels de performances 2009 à 2018

Au sein de la police nationale, les récents efforts de recrutement ont contribué à accélérer l’augmentation de la masse salariale, passée de 5,12 % entre 2012 et 2015 à 8,15 % entre 2015 et 2018. Pour la gendarmerie nationale, les dépenses de rémunération ont progressé un peu moins rapidement, de 3,90 % entre 2012 et 2015 puis de 6,37 % entre 2015 et 2018.

L’évolution de la masse salariale a d’ailleurs conduit la Cour des comptes à émettre des doutes sur la soutenabilité des mesures salariales accordées aux policiers et aux gendarmes en 2016 et 2018 ([121]). En parallèle de la création de 10 000 emplois supplémentaires, ces accords contribuent à alourdir le poids des dépenses de personnel dans les deux programmes, de l’ordre de 470 millions d’euros d’ici 2022 ([122]).

Dans un contexte de rationalisation budgétaire, les dépenses de personnel étant relativement rigides, l’ajustement a principalement porté sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement. Ce phénomène est particulièrement marqué pour la gendarmerie : en dix ans, le ratio des dépenses de personnel sur le total des crédits progresse de 2,75 %, contre 1,70 % pour la police nationale. Ainsi, la part des crédits alloués aux dépenses de soutien aux forces de sécurité intérieure est passée de 15,46 % à 13,12 % en dix ans, alors même que les effectifs ont augmenté.

Cette situation joue fortement sur le moral des effectifs, qui ont parfois l’impression d’une police « au rabais », quand ils sont contraints de travailler dans des locaux dégradés ou que des véhicules en très mauvais état ne sont plus remplacés. Exemple emblématique, le directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN) a indiqué lors de son audition par la commission d’enquête que l’escadron de gendarmerie mobile (EGM) de Melun avait dû être dissous en raison de l’état de délabrement avancé de la caserne, au point que « le bâtiment menaçait ruine ».

2.   Vers un rattrapage depuis 2014

Depuis 2014, un nouvel effort en matière de dépenses d’investissement et d’équipement a été engagé.

Évolution de la part de la masse salariale dans le total des programmes

(en %)

Source : commission d’enquête à partir des rapports annuels de performances 2009 à 2018

La mise en œuvre de différents plans de sécurité intérieure ([123]) a permis de renforcer la part des crédits dédiés à l’investissement et à l’équipement. Les dépenses d’investissement des deux programmes ont ainsi plus que doublé entre 2012 et 2019, mais elles restent toutefois inférieures de 38 % au niveau atteint en 2009.

Évolution des crédits par nature entre 2009 et 2012

Nature des crédits

2009-2012

2012-2019

2009-2019

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Dépenses de personnel

7,82 %

7,82 %

14,38 %

14,38 %

23,33 %

23,33 %

Dépenses de fonctionnement

-0,36 %

3,78 %

64,89 %

5,17 %

64,30 %

9,15 %

Dépenses d’investissement

-56,62 %

-71,66 %

54,54 %

117,55 %

-32,97 %

-38,34 %

Évolution totale

4,45 %

4,00 %

20,12 %

14,49 %

25,46 %

19,07 %

Source : commission d’enquête, à partir des rapports annuels de performances de 2009 à 2018 et du projet annuel de performances pour 2019.

En dépit de cet effort, les forces de l’ordre doivent trop souvent accomplir leurs missions dans un contexte matériel fortement dégradé, en raison d’un parc immobilier vieillissant et d’un renouvellement de leurs équipements encore insuffisant.

 


Annexe 2 : Des avancées significatives dans le domaine indemnitaire
en 2016 et 2018

A.   Un report d’un an de l’application du protocole « PPCR »

Depuis le 1er janvier 2016, et jusqu’en 2021, un protocole relatif aux parcours professionnels, aux carrières et aux rémunérations, dit « PPCR » est progressivement mis en œuvre dans la fonction publique et se traduit par des mesures de revalorisation indiciaire et de réorganisation des carrières des corps des agents de catégorie A, B et C. Il implique de modifier plus de 450 textes réglementaires.

La mise en œuvre du protocole a été confirmée par le ministre de l'action et des comptes publics lors du rendez-vous salarial du 16 octobre 2017 mais dans un calendrier aménagé afin de garantir le financement de ces mesures. En particulier, la réunion interministérielle du 15 octobre 2017 a abouti au report d’un an de la mise en œuvre, au profit des policiers et des gendarmes, du protocole.

Le report sur 2019 des dépenses initialement prévues en 2018 atteint 35,10 millions d’euros pour le programme Police nationale et 31,58 millions d’euros pour le programme Gendarmerie nationale.

B.   Une dÉclinaison effective pour les protocoles de 2016

Le 11 avril 2016 ont par ailleurs été conclus deux protocoles pour la valorisation des carrières, des compétences et des métiers dans la police et la gendarmerie. Ces accords sont désormais appliqués dans une très large mesure.

1.   Dans la police nationale

En 2018, la direction générale de la police nationale (DGPN) a mobilisé 27,75 millions d’euros pour mettre en œuvre les avancées du protocole de 2016. L’échéancier a été respecté pour l’ensemble des catégories d’agents concernés.

a.   Un effort réglementaire

Le déploiement du protocole passe par la publication de 47 textes statutaires, indiciaires et indemnitaires. Au 31 mai 2019, 44 d’entre eux étaient publiés.

● Premièrement, les volumes d’avancement progressent.

Emplois faisant l’objet de nominations plus nombreuses dans la police

Catégories

Volume annuel

Brigadiers (QB)

+ 1 500

Officiers de police judiciaire (OPJ)

Majors à l’échelon exceptionnel (MEEX)

+ 90

Responsables d’unité locale de police (RULP)

+ 53

Promotions internes d’agents spécialisés de police technique
et scientifique (ASPTS) au grade de technicien (TPTS)

+ 60

Commissaires divisionnaires (CD)

+ 27

Source : commission des finances d’après les réponses fournies par la DGPN.

Deuxièmement, des progrès statutaires sont prévus : la création du grade à accès fonctionnel (GRAF) de commandant divisionnaire permettra d’effectuer 240 nominations entre 2017 et 2019 ; l’institution d’un troisième vivier d’accès au grade de commissaire général récompensera la valeur des commissaires divisionnaires ; le nouvel échelon terminal spécial à accès fonctionnel pour le grade d’ingénieur en chef et l’intégration des techniciens à la catégorie B contribuent à la reconnaissance de la police technique et scientifique (PTS) ; les emplois fonctionnels sont gérés avec davantage de transparence, grâce au recours au détachement, à la détermination des critères de nomination par décret et à une cartographie des métiers ; la limitation à cinq ans avec une prorogation possible pour trois ans des mobilités des commissaires tient compte de leur déroulement de carrière.

Troisièmement, certaines filières et sujétions sont mieux reconnues.

D’une part, plusieurs indemnités sont majorées : prime de fidélisation, complément pour les adjoints de sécurité (ADS) résidant en Île-de-France, allocation d’études pour les cadets de la République, indemnité de responsabilité et de performance (IRP) pour les fonctions sensibles, etc.

D’autre part, certains postes difficiles sont soutenus, avec par exemple l’augmentation du nombre de chefs de circonscription de sécurité publique ou de certains services ou unités organiques, qui est passé de 505 en 2017 à 570 en 2018, ou bien la localisation de 122 postes supplémentaires auprès des CRS.

b.   Des dépenses programmées avec précision

L’enveloppe consacrée par la police au protocole de 2016 s’élève à 265 millions d’euros, dont 4,5 en 2016, 71,2 en 2017, 27,75 en 2018, 60,7 en 2019 (cf. tableau infra) et 101,5 de 2020 à 2022.

CoÛt de la dÉclinaison en 2019 du protocole de 2016 dans la police

(en millions d’euros)

Catégories

Mesures

Crédits budgétaires

Corps de conception
et de direction (commissaires)

 

0,84

Corps de commandement (officiers)

 

4,30

Corps d’encadrement
et d’application
(gradés et gardiens)

4 leviers :

34,53

Revalorisation des grilles

27,36

Avancement
(QB, OPJ, brigadier-chef et major)

5,24

Prime d’OPJ

1,52

Emplois fonctionnels

0,41

Ensemble des corps actifs

2 leviers :

16,50

Indemnité de sujétion spéciale

14,27

Prime de fidélisation

2,23

Police technique et scientifique

Revalorisation des grilles

0,18

Personnels administratifs
et techniques

Revalorisations des grilles, notamment pour les psychologues

3,77

Adjoints de sécurité
et cadets de la République

Revalorisation du complément pour les résidents en Île-de-France

0,45

Ouvriers d’État

Création d’un 9ème échelon

0,06

Total

60,7

Source : commission des finances, d’après les réponses fournies par la DGPN.

2.   Dans la gendarmerie nationale

La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) suit quatre axes pour appliquer le protocole de 2016 :

– la rétribution de l’engagement opérationnel des officiers et sous-officiers ;

– la prise en compte de l’exercice dans des zones défavorisées grâce à des avancements d’échelon spécifiques ;

– la valorisation des efforts de formation et des qualifications détenues ;

– la reconnaissance des responsabilités exercées.

Sur ce dernier point, les rapporteurs se félicitent, d’une part, du lancement, le 1er janvier 2019, du plan d’assimilation des membres du corps de soutien technique et administratif de la gendarmerie nationale (CSTAGN) à la catégorie B de la fonction publique, entre autres via la hausse progressive du nombre de sous-officiers pouvant accéder au brevet supérieur de spécialiste et bénéficier d’une meilleure échelle de solde, ainsi que par l’augmentation des taux de promotion.

D’autre part, ils notent avec satisfaction que les fonctions d’encadrement supérieur de la gendarmerie sont mieux reconnues, avec la fixation d’une cible de 160 officiers généraux et 600 colonels, en contrepartie d’une diminution du nombre de lieutenants-colonels et de chefs d’escadron, le rapprochement de la grille indiciaire des officiers du corps technique et administratif (OCTA), l’assimilation, dès juin 2016, de l’appartenance à la haute fonction publique (catégorie dite « A + ») des officiers supérieurs, sous condition d’emploi.

Le tableau ci-dessous présente des exemples de mesures prises :

dÉclinaison du protocole de 2016 dans la gendarmerie

 

Catégories

Mesures

Montant ou volume

Ensemble des gendarmes d’active

Revalorisation de l’indemnité
de sujétion spéciale de police

+ 2 points

Prime à haute technicité

+ 700 militaires éligibles

Officiers issus du rang (OGR)

Attribution de la prime afférente au diplôme de qualification militaire
dès la nomination au grade de lieutenant

Officiers de police judiciaire (OPJ)

Revalorisation de la prime d’OPJ

+ 40 euros

Adjoints de police judiciaire (APJ)

Avancement semi-automatique au grade d’adjudant à partir 25 ans
de service dans le grade de gendarme

Gendarmes
des brigades territoriales

Allocation des missions judiciaires de la gendarmerie

+ 28,78 euros

Gendarmes adjoints volontaires

Revalorisation de l’indemnité spécifique spéciale

+ 109 euros

Membres du corps de soutien technique et administratif (CSTAGN)

Prime spéciale

+ 50 euros

Alignement de l’indemnité pour temps d’activité et d’obligation professionnelle complémentaire

+ 50 euros
+ 7 jours de congés

Source : commission des finances d’après les réponses fournies par la DGGN.

C.   Des nÉgociations en cours À la suite de l’accord de 2018

Dans le contexte de la mobilisation des forces de l’ordre pour encadrer les manifestations du mouvement social dit des « gilets jaunes », un protocole d’accord a été signé le 19 décembre 2018 avec les organisations représentatives du corps d’encadrement et d’application (gradés et gardiens) de la police nationale.

En premier lieu, deux mesures ont pris effet au 1er janvier 2019, à savoir la revalorisation de l’allocation de maîtrise à hauteur de 40 euros par mois et l’octroi d’un demi-point d’indemnité de sujétion spéciale de police (ISSP) supplémentaire.

En second lieu, d’autres avancées sont conditionnées à l’aboutissement d’une « négociation dédiée au chantier de l’organisation du temps de travail, aux heures supplémentaires (stock et flux) et à la fidélisation fonctionnelle ou territoriale ». Il s’agit du versement de deux tranches supplémentaires de 30 euros par mois pour l’allocation de maîtrise, les 1er juillet 2019 et 1er janvier 2020.

Les discussions permettront d’aborder la désaffection de la filière de l’investigation (pression opérationnelle, complexité de la procédure pénale, etc.) et les solutions aux nombreux contentieux concernant l’avantage spécifique d’ancienneté (ASA).

Les autres catégories de fonctionnaires de police ont vu ceux de leurs membres mobilisés lors des samedis du 17 novembre au 22 décembre 2018 bénéficier d’une « prime de résultats exceptionnels » (PRE).

Au total, elle a concerné 9 325 agents, pour 2,25 millions d’euros :

RÉpartition de la prime « gilets jaunes » dans la police

(en millions d’euros)

Catégories

Nombre d’agents

Prime par agent

Ensemble des primes

Adjoints de sécurité

3 194

200

0,64

CC, CCD et CRS

250

300

0,08

Autres personnels actifs

3 545

300

1,06

PTS

465

200

0,09

PATS

1 841

200

0,37

Total

9 325

 

2,25

Source : commission des finances d’après les réponses fournies par la DGPN.

La PRE a été versée au mois de mars 2019.

Les mesures de revalorisation salariale accordées aux policiers bénéficieront aussi aux gendarmes : la revalorisation de l’ISSP et de l’allocation de missions judiciaires de la gendarmerie (AMJG) suit le même schéma.

 

 

Source : Mme Nadia Hai et M. Romain Grau, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du conrôle budgétaire sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018, annexe n° 39, « Sécurités : police, gendarmerie, sécurité routière. Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », n° 1990, 5 juin 2019.


Annexe 3 :
La protection fonctionnelle des forces de sécurité intérieure

Prévue pour l’ensemble des agents publics par l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, la protection fonctionnelle est également garantie pour les policiers nationaux et municipaux par l’article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure. L’application de la protection fonctionnelle pour les gendarmes nationaux est précisée par l’article L. 4123-10 du code de la défense.

Les fonctionnaires bénéficient à l’occasion de leurs fonctions d’une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie dans deux séries de cas :

– lorsqu’ils font l’objet de poursuites civiles ou pénales à raison d’une faute qui doit être en lien avec le service ;

– lorsqu’ils sont victimes d’infractions pénales à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

Ainsi, des mesures de protection et d'assistance permettent, entre autres, la prise en charge des frais de justice, le remboursement des frais liés à la procédure ainsi que la réparation du préjudice subi.

La protection fonctionnelle fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière en raison de l’augmentation des atteintes dont sont victimes les forces de l’ordre, mais également de la recrudescence des poursuites judiciaires contre les forces de l’ordre.

I.   La protection fonctionnelle : une assistance juridique pour les agents publics

A.   Le cadre général de la protection fonctionnelle

La protection fonctionnelle est organisée par l'article 11 de la loi n° 83‑634 du 13 juillet 1983 dans les termes suivants :

« I.- À raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. […]

III.- Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. […]

IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. […] »

Le décret  2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ou ses ayants droit fixe les modalités de mise en œuvre de la protection fonctionnelle des agents.

B.   Les implications du régime de la protection fonctionnelle pour l’agent public

1.   La protection de l’agent mis en cause

La protection fonctionnelle est due lorsque l’agent est poursuivi par un tiers à raison de faits qui se rattachent à l’exercice de ses fonctions et qui peuvent, en conséquence, être qualifiés de faute de service.

Ainsi, lorsqu’un agent est poursuivi par un tiers à raison d’une faute de service, l’administration qui l’emploie est tenue :

– de l’aider à recourir au ministère d’avocat, soit en lui proposant les services de l’avocat de la collectivité, soit en prenant en charge les honoraires de l’avocat choisi par l’agent ;

– de prendre en charge le montant des condamnations civiles prononcées à son encontre ;

– de prendre en charge les frais d’avocat de la partie adverse si l’agent a été condamné à les payer.

Pour les personnels de la gendarmerie nationale, outre les mesures de droit commun prévues par la loi, la protection fonctionnelle s'inscrit dans un dispositif spécifique et complet d'accompagnement en la matière. La protection fonctionnelle des militaires de la gendarmerie prend les formes suivantes, qui peuvent se cumuler :

– protection juridictionnelle ;

– réparation du préjudice par subrogation des droits de la victime ;

– couverture des condamnations civiles ;

– assistance juridique ;

– accompagnement institutionnel ;

– soutien psychologique, médical et social ;

– actions de prévention.

2.   La protection de l’agent victime

La protection fonctionnelle est également due lorsqu’un agent est victime de faits perpétrés à son encontre à raison des fonctions qu’il exerce.

Comme le prévoit l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, ces faits peuvent être des « atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages ».

Ainsi, lorsqu’un agent est victime d’agissements qui présentent un lien suffisant avec ses fonctions, la protection fonctionnelle implique que l'administration accompagne la victime dans les actions en justice que celle-ci a pu entreprendre, en prenant notamment en charge ses frais d'avocat dans la limite des tarifs habituellement pratiqués pour le type de contentieux entrepris.

II.   Les effets et le champ du régime de la protection fonctionnelle pour les forces de sécurité intérieure font aujourd’hui l’objet de certaines critiques

A.   Les conditions requises pour bénéficier de la protection fonctionnelle

Le bénéfice du régime de protection fonctionnelle était initialement réservé aux fonctionnaires, avant que le Conseil d'État ne juge que la protection fonctionnelle constituait un principe général du droit applicable à tous les agents publics, qu'ils aient ou non la qualité de fonctionnaire (CE, sect., 8 juin 2011, no 312700). Enfin, il importe de souligner que les conjoints, enfants ou ascendants directs d’un agent public peuvent se voir accorder la protection fonctionnelle par l’administration dès lors qu’ils sont victimes de faits qui se rattachent aux fonctions exercées par l’agent.

Le Conseil d'État a dégagé les conditions suivantes pour que la protection fonctionnelle soit accordée :

– il doit y avoir un lien entre les faits visés par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et l'exercice des fonctions (CE, 6 novembre 1968, n°70282) ;

– il doit y avoir un lien direct entre les faits visés par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 et le préjudice dont il est demandé réparation (CE, 26 mars 1965).

Dès lors que les conditions énumérées ci-dessus sont remplies, l'administration ne peut refuser d'accorder la protection demandée que dans deux hypothèses (CE, 20 avril 2011, n° 332255) :

– soit l'agent demandeur de la protection a commis une faute personnelle détachable du service ;

– soit il existe un motif d'intérêt général dûment justifié.

Selon la jurisprudence administrative, la faute de service est une simple erreur ou une négligence commise par un agent à l’occasion de son service. En revanche, lorsque les faits pour lesquels l’agent est poursuivi se détachent matériellement ou intellectuellement du service, ils seront qualifiés de faute personnelle et ne pourront dès lors faire l’objet d’une protection fonctionnelle. En pratique, une faute est personnelle lorsqu’elle revêt un caractère d’exceptionnelle gravité, un excès de comportement ou encore des préoccupations d’ordre privé.

Lorsqu’un agent sollicite le bénéfice de la protection fonctionnelle, l’administration dispose d’un délai de deux mois pour y donner suite. À défaut, la demande est implicitement rejetée. Quelle que soit la forme du refus, celui-ci peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le juge administratif. En cas d’urgence, notamment dans l’hypothèse où l’agent doit exposer des frais importants pour assurer sa défense, le juge peut également être saisi d’un référé-suspension, c’est-à-dire d’un recours permettant de bloquer les effets de la décision de refus et de contraindre l’administration à mettre en œuvre la protection fonctionnelle.

B.   La protection fonctionnelle appliquée aux forces de sécurité intérieure suscite aujourd’hui des réserves en raison de son coût et de ses insuffisances

Le régime de la protection fonctionnelle appliqué aux forces de sécurité intérieure a fait l’objet d’évaluations et demeure au centre des réflexions autour de l’amélioration des conditions de travail des forces de sécurité intérieure.

Le rapport sur l’évolution et la maîtrise des dépenses de contentieux à la charge du ministère de l’Intérieur publié par l’Inspection générale de l’administration en septembre 2013 relevait que la protection fonctionnelle représentait, en 2012, dans la police nationale, plus de 20 000 dossiers annuels, pour seulement 300 refus de l’administration. Le budget de la protection fonctionnelle s’élevait ainsi à 13,2 millions d’euros par an en 2012, soit près de trente fois le montant de celui de la gendarmerie. Le rapport soulignait le caractère exceptionnel de la situation dans la police, avec notamment un nombre important de plaintes pour outrages. Ce rapport appelait à enrayer les dérives de la protection fonctionnelle, « qui font dire à de nombreux interlocuteurs rencontrés par la mission qu’il s’agit en réalité d’une rémunération accessoire supplémentaire ».

              Les organisations syndicales de la police demeurent très attachées à la protection fonctionnelle, qu’elles souhaiteraient voir systématiquement déclenchée. Le syndicat Unité SGP-Police dénonçait ainsi en mai 2016 le fait que certains secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) semblaient vouloir mettre en application un nouveau système d’octroi de la protection fonctionnelle aux policiers victimes d’outrage et de rébellion à la suite du rapport de l’IGA de 2013. Cela se traduirait par l’accord de la protection fonctionnelle à l’agent, mais sans un avocat chargé de le représenter à l’audience judiciaire. Le syndicat pointait alors la recrudescence des outrages et des rébellions à l’égard des policiers plutôt que des abus de la part des agents pour expliquer l’augmentation des dépenses liées à la protection fonctionnelle au sein de la police nationale.

Plusieurs problèmes sont aujourd’hui mis en exergue par les agents. En qualité de victime, ils sont souvent dans l'incapacité d'assurer leur défense seuls ou d'être représentés par un avocat. D'une part, le coût financier que représente le recours à un avocat et d'autre part, les difficultés liées à l'absence du service pendant l'audience, sont autant d'obstacles rencontrés par les agents. Le besoin exprimé d’un renfort des mesures d'assistance juridique applicables et de correction des dysfonctionnements en matière d'outrages souligne les efforts à fournir pour améliorer le régime de la protection fonctionnelle. Une proposition avancée par les forces de l'ordre serait la généralisation du recours obligatoire à un avocat pour les agents.

Enfin, des protections complémentaires ont été récemment apportées aux agents des forces de sécurité intérieure, en complément de la protection fonctionnelle. L’article 64 de la loi  2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice garantit que les agents publics et militaires victimes d’infractions de droit commun ou de nature terroriste puissent bénéficier du même niveau d’indemnisation que les autres citoyens devant le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) et devant la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI). En effet, les agents publics et militaires se voyaient parfois refuser une indemnisation au motif qu’ils disposent d’un autre mécanisme d’indemnisation avec la protection fonctionnelle.

 


Annexe 4 :
Le recours à des agents de sécurité privée

 

L’article L. 611‑1 code de la sécurité intérieure prévoit que certaines activités de sécurité limitativement énumérées peuvent ne pas être exercées par un service public administratif et être confiées à des sociétés privées. Il s’agit des activités :

– de surveillance ou de gardiennage de biens meubles ou immeubles ainsi que les activités ayant pour objet d’assurer la sécurité des personnes se trouvant dans ces immeubles ou dans des véhicules de transport public de personnes ;

– de transport de bijoux et de transport de fonds ;

– consistant à protéger l’intégrité physique des personnes ;

– de protection, contre les menaces extérieures, des navires battant pavillon français.

En vertu de l’article L. 613‑1 du même code, les agents de sécurité privée ne sont autorisés à exercer leurs activités que dans des zones étroitement circonscrites : à l’intérieur des bâtiments ou dans la limite des lieux dont ils ont la garde. La participation des agents de sécurité privée à la surveillance de la voie publique, qui, en application des articles L. 2212-2 et suivants du code général des collectivités territoriales, relève du pouvoir de police administrative générale dévolu au maire, est étroitement encadrée par la jurisprudence constitutionnelle. Ils peuvent néanmoins, à titre exceptionnel, être autorisés par le préfet à « exercer sur la voie publique des missions, même itinérantes, de surveillance contre les vols, dégradations et effractions visant les biens dont ils ont la garde ».

Les missions des agents de sécurité privés ont été amenées à évoluer au cours des dernières années. Ainsi, la récente loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme les autorise à exercer leur mission aux entrées ainsi qu’à l’intérieur des périmètres de protection. Comme le souligne l’étude d’impact de cette loi, « dans un contexte de coopération de plus en plus poussée entre les acteurs publics et privés, il est apparu possible d’utiliser l’ensemble des acteurs de la sécurité afin d’assurer une protection optimale des périmètres de protection, les agents de la police et de la gendarmerie nationales pouvant alors dans ce périmètre se concentrer sur d’autres tâches (contrôle d’identité, constat d’infraction...). »

Ce secteur représentant environ 150 000 agents s’est professionnalisé, notamment sous l’impulsion d’un organe de régulation, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), créé en 2011. Un code de déontologie a vu le jour en 2012 ; les formations ont été progressivement renforcées : un certificat de qualification professionnelle, délivré à l’issue d’une formation de 175 heures, est désormais exigé de chaque agent pour exercer. Une charte de bonnes pratiques d’achat entre les donneurs d’ordres et les prestataires de services a été élaborée.

 

Source : M. Jean-Michel Fauvergue, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2019, tome VIII, « Sécurités », Assemblée nationale, XVe législature, n° 1307, 12 octobre 2018.


Annexe 5 :
La coopération entre les forces de sécurité de l’État et les polices municipales

 

La coopération des forces de sécurité de l’État et des polices municipales s’exerce principalement :

● Au niveau opérationnel, par l’intermédiaire d’une convention de coordination des interventions, pierre angulaire de la coopération entre les différents services qui concourent à la sécurité d’un territoire. L’article L. 512-4 du code de la sécurité intérieure rend obligatoire la signature d’une telle convention dès lors que le service de police municipale compte au moins cinq agents. Elle est par ailleurs une condition nécessaire à l’armement des agents, à leur travail de nuit ainsi qu’à l’équipement en caméras individuelles.

Par circulaire en date du 30 janvier 2013, le ministre de l’Intérieur a demandé aux préfets de substituer progressivement des conventions de nouvelle génération aux anciennes, en effectuant un diagnostic local de sécurité. Ces conventions, d’une durée de trois ans (au lieu de cinq), devront faire l’objet d’une reconduction expresse. Elles peuvent par exemple comporter la possibilité de mettre en œuvre la vidéo protection, la communication opérationnelle ou encore la formation au profit de la police municipale. Par ailleurs, les conventions seront modifiées prochainement afin de prendre en compte la mesure A5 du Comité interministériel de la sécurité routière du 2 octobre 2015, qui prévoit de « veiller à ce que les conventions de coordination préfet/procureur/maire relatives à la police municipale fassent de la sécurité routière une de leurs priorités, notamment en vue de renforcer les contrôles d’alcoolémie » ;

● Au niveau de la formation des policiers municipaux, un partenariat a été conclu le 27 décembre 2016 pour une durée de cinq ans entre le ministère de l’Intérieur et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Il permet, d’une part, aux policiers nationaux et aux gendarmes d’avoir accès à des formations dispensées par le CNFPT et, d’autre part, aux policiers municipaux d’être formés par des instructeurs des forces de sécurité de l’État dans certains domaines (policiers municipaux moniteurs en armement, motocyclistes, équitants...).

 

 

Source : M. Jean-Michel Fauvergue, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2019, tome VIII, « Sécurités », Assemblée nationale, XVe législature, n° 1307, 12 octobre 2018.


II.   Analyse par le rapporteur des Résultats de la consultation des membres des forces de sécurité intérieure

Les données ouvertes de cette consultation sont disponibles sur : http://data.assemblee-nationale.fr/

 

*

Le 23 mai 2019, le rapporteur de la commission d’enquête a mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale un questionnaire à l’intention des agents des forces de sécurité et a demandé aux directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie, ainsi qu’au préfet de police et aux syndicats de police municipale de bien vouloir transmettre le questionnaire aux personnels. La consultation devait se terminer le 18 juin 2019.

Dans un premier temps, seuls des policiers municipaux ont répondu au questionnaire. Les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie ont fait savoir que la demande avait été transmise au cabinet du ministre de l’Intérieur, qui n’avait pas statué.

Le 14 juin 2019, le ministre de l’Intérieur a finalement indiqué au rapporteur qu’il n’avait pas à informer les personnels de cette consultation, au motif que « le droit d'obtenir la fourniture de renseignements et de se faire communiquer des documents de service, sur le fondement des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance de 58, n'impliqu[ait] pas l'obligation de renvoyer à l'ensemble des agents placés sous son autorité un questionnaire ou un sondage établi par le rapporteur de la commission d’enquête ; il n’est en effet pas prévu que les administrations mettent à disposition du Parlement ce genre d’outils dans le cadre d’une commission d’enquête. Si le II de l’article 6 de l’ordonnance de 58 précise que “tous les renseignements de nature à faciliter la mission de la commission doivent être fournis au rapporteur de la commission d’enquête, il est établi que le terme renseignement recouvre les données à caractère certain et établies par l’administration. »

Le 17 juin 2019, le rapporteur a donc transmis directement aux syndicats de la police nationale et aux associations professionnelles nationales militaires de la gendarmerie le questionnaire en espérant qu’il fasse l’objet d’une large diffusion. Le nombre de répondants a ensuite crû régulièrement de 878 au 17 juin 2019 à 13 735 le 28 juin, nouveau terme de la consultation. Cette participation en fait la troisième consultation la plus populaire sur le site de l’Assemblée nationale. Elle témoigne du besoin des policiers et des gendarmes d’être entendus. Nombreux sont en effet les répondants qui, en commentaire libre, demandent que les résultats en soient publiés. C’est pourquoi le rapporteur a souhaité que les données –anonymes – soient publiées sur le portail des données ouvertes de l’Assemblée nationale.

S’il ne conteste pas l’analyse juridique du ministre de l’Intérieur quant à l’absence d’obligation de faire procéder à une forme de sondage, il ne peut que regretter cette attitude non coopérative à l’égard du Parlement, et ce d’autant plus qu’il n’a jamais reçu la totalité des rapports qu’il a demandés et qui étaient, eux, parfaitement dus en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

A.   Les répondants

1.   Par force

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question A1. 

2.   Par corps

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question A2. 

 

 

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question A2. 

3.   Par appartenance

Le rapporteur a demandé aux répondants de préciser leur appartenance à la sécurité publique ou au maintien de l’ordre qui correspondent à des points d’attention du rapport. Ils ne résument pas à eux seuls la grande variété des corps et des métiers des forces de sécurité.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question A3.

4.   Par environnement de travail

Le rapporteur a souhaité connaître l’environnement de travail des répondants pour observer d’éventuels problématiques spécifiques qui y seraient spécifiques. Cette variable est importante et permet par exemple d’identifier des enjeux propres aux zones rurales ou aux zones urbaines sensibles.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question A5. 

B.   Les missions

1.   Peu d’améliorations constatées dans la simplification des procédures

Répondant à la question : « Quelles sont les améliorations que vous avez constatées dans la simplification des procédures ? », une large majorité de répondants (64 %) n’a constaté aucune amélioration en termes de simplification des procédures depuis de nombreuses années. Les commentaires parfois acrimonieux montrent la sensibilité du sujet.

Une analyse statistique des réponses est difficile. La question a pu être mal comprise, certains répondants ayant fait des propositions plutôt que des constats. L’apport positif des nouvelles technologiques numériques et de la portabilité est toutefois régulièrement souligné.

2.   Un soutien en faveur des amendes forfaitaires en matière délictuelle

Environ la moitié des répondants à cette question, soit 2 982 personnes, estime que l’extension de la procédure de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits pourrait être efficace. Les défauts d’application, et notamment l’inachèvement des outils informatiques, qui entourent encore cette procédure expliquent peut-être les réserves des autres répondants, à moins qu’ils n’aient voulu indiquer que cette procédure ne pouvait être l’alpha et l’oméga de la réponse pénale.

Le rapporteur a fait plusieurs propositions pour rendre la procédure plus efficace.

Réponses à la question B.2.

« Pensez-vous que la forfaitisation de la sanction de nouveaux délits pourrait être efficace ? »

Note de lecture: sur les 3 500 policiers nationaux ayant répondu à cette question, environ la moitié serait favorable à un recours accru aux amendes forfaitaires en matière délictuelle.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question B.2. 

3.   Les gardes statiques et les transfèrements judiciaires figurent parmi les « tâches indues » les plus dénoncées

Invités à lister « deux tâches [effectuées] aujourd’hui et que vous jugez indues ou qui, selon vous, devraient être effectuées par d’autres personnels », les répondants ont avant tout exprimé leur colère et leur lassitude. Les réponses sont cependant très hétérogènes.

En premier lieu, les réponses confirment le sentiment de confusion dans les missions évoqué dans le rapport. Certaines réponses correspondent en effet à des tâches qui incombent normalement aux forces de sécurité mais que l’agent juge indues compte tenu de son affectation (« police route », « police secours », « contrôle PL », « maintien de l’ordre », « renfort MO », « anticriminalité », « PSQ », « tapage nocturne », « accueil du public »).

Plusieurs réponses traduisent aussi l’exaspération des enquêteurs à l’égard de la procédure pénale telle qu’elle fonctionne actuellement: « je filme des auditions pendant les gardes à vue criminelles ou de mineurs (cela doit cesser) » ; « lourdeur des annexes à la procédure pénale » ; « actes non liés à l'enquête dans la gestion de la garde à vue (avis avocat, famille, médecin, etc...) », « je notifie et j'accorde des droits aux gardes à vue à longueur de PV (50 % d'une procédure) - cela doit cesser ».

D’autres réponses traduisent la défaillance des autres institutions ou services publics selon les forces de sécurité (« gérer les problèmes sociaux des gens », « faire du social », « aliéné », « fuites d’eau »), un répondant n’hésitant pas résumer la situation en se considérant comme le « palliatif à l'absence de toutes les autres administrations »). Certaines réponses expriment la lassitude des forces de sécurité à l’égard de la crispation des rapports sociaux et des incivilités (« réception d’appels téléphoniques pour demander des renseignements », « différends civils ») ou encore une incompréhension croissante face à des missions qui paraissent pénibles, fastidieuses ou sans fin (« vente à la sauvette », « divagations d’animaux », etc.)

Grâce à une liste de mots-clés, le rapporteur a catégorisé les autres réponses de la manière suivante.

Réponses à la question B.3.

« Listez deux tâches que vous effectuez aujourd’hui et que vous jugez indues
ou qui, selon vous, devraient être effectuées par d’autres personnels »

Réponses des fonctionnaires de la police nationale uniquement

Réponses des militaires de la gendarmerie nationale uniquement

Note de lecture : au total, 1 017 répondants (hors policiers municipaux) ont cité les gardes de détenus ou de gardés à vue dans les hôpitaux parmi les tâches indues qu’ils avaient à accomplir ; parmi eux, 991 policiers nationaux et seulement 17 gendarmes.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité, réponses à la question B.3, hors policiers municipaux. 

Les gardes statiques sont ainsi la première « tâche indue » repérable dans les réponses, au sens où l’entend le ministère de l’intérieur. Viennent ensuite les tâches administratives, les gardes en milieu hospitalier (uniquement pour les policiers nationaux), et les procurations électorales.

Le volume de réponses concernant des tâches administratives peut être compris comme reflétant le manque de personnels administratifs dont les missions sont exercées par des personnels dits d’active ou comme une lassitude à l’égard de l’organisation du travail et du contrôle, autrement dit du management. L’importance des réponses qui concernent des fonctions support (« ménage », « entretien des locaux », « chauffeur »), bien que difficile à interpréter, pourrait être une conséquence de la réduction des budgets d’entretien et de maintenance, et manifester encore une fois la confusion des missions. 

4.   Un métier à risques

Les deux tiers des policiers nationaux et des policiers municipaux ayant répondu au questionnaire ont été victimes de blessures en service, contre un peu plus d’un tiers des répondants issus de la gendarmerie nationale.

Réponses à la question B.5.

« Avez-vous été blessé au cours de vos missions ? »

Note : 7 442 personnes ont répondu à cette question.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

5.   Une protection fonctionnelle qui n’est pas systématique en cas de blessure et dont l’extension est demandée

Une part importante des répondants affirmant avoir été blessés durant leur service n’a pas bénéficié de la protection fonctionnelle. Cette dernière n’est accordée que lorsque le militaire ou le fonctionnaire est victime d’une faute intentionnelle. 

Réponses à la question B.6.
de la part des répondants ayant répondu positivement à la question B.5.

« Avez-vous bénéficié de la protection fonctionnelle ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Une part importante de répondants trouve la procédure afférente à la protection fonctionnelle inadaptée :

– 55 % parmi les 2 353 répondants de la police nationale ;

– 44 % parmi les 362 répondants de la police municipale ;

– 40 % parmi les 1 177 militaires de la gendarmerie nationale ;

– 43 % parmi les 83 réservistes ;

– 78 % parmi les 18 répondants n’appartenant à aucune des catégories précitées.

Une écrasante majorité de répondants est favorable  à son extension aux fautes non intentionnelles.

95 % des répondants considèrent qu’il faudrait étendre la protection fonctionnelle lorsque les dommages résultent de fautes non intentionnelles. Seuls 4 608 personnes ont toutefois répondu à cet item du questionnaire.

Une telle réforme appliquée aux trois fonctions publiques, en vertu du principe d’égalité, aurait un coût certain. Un bilan global de la protection fonctionnelle en France serait certainement opportun, la procédure étant généralement jugée complexe par ceux qui en ont bénéficié.

Les auditions ont également mis en lumière de fortes attentes en termes de protection, qu’elle soit physique, financière ou juridique. Un bilan devrait aussi prendre en compte l’apport des associations ou des assurances complémentaires.

C.   La formation

1.   Une formation initiale jugée largement inadaptée

Réponses à la question C.1.

« La formation initiale vous paraît-elle adéquate ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

2.   Une majorité des répondants souhaiterait être formé au maintien de l’ordre

Réponses à la question C.2.

« Pensez-vous qu’une formation aux techniques du maintien de l’ordre serait  nécessaire  pour tous les membres des forces de l’ordre indépendamment de leurs fonctions actuelles ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

 

3.   Un temps insuffisant consacré à la formation continue

Réponses à la question C.3.

« Le temps que vous consacrez à vous former vous paraît-il suffisant ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Le rapporteur a demandé de déclarer le nombre annuel de jours de formation suivis sur les trois dernières années. Il y a peu d’évolution d’une année à l’autre. Les chiffres présentés ci-dessous sont donc ceux de 2018.

Réponses à la question C.4.

« De combien de jours de formation avez-vous bénéficié en 2018 ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

 

 

Les chiffres relevant de la catégorie « plus de 25 » doivent être pris avec précaution, certains répondants ayant délibérément renseigné un nombre fantaisiste (« 666 », « 365 »).

Une analyse fine du temps consacré à la formation laisse deviner d’importants écarts selon les métiers. Les militaires de la gendarmerie nationale paraissent bénéficier de plus de jours de formation que les policiers nationaux en moyenne et les forces dédiées au maintien de l’ordre être mieux formées que leurs collègues de la sécurité publique.

Comparaison des réponses à la question C.4.
entre les gendarmes et les policiers nationaux

« De combien de jours de formation avez-vous bénéficié en 2018 ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Comparaison des réponses à la question C.4. selon certaines affectations

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

D.   L’équipement individuel

L’équipement des forces de l’ordre est encore insuffisant. Beaucoup de policiers et de gendarmes ne bénéficient pas encore du matériel essentiel pour accomplir leur mission, comme le font ressortir les résultats de la consultation. Les gilets pare-balle représentent à eux seuls environ le quart des réponses collectées.

réponse à la question D.1.

Si vous considérez que des équipements individuels vous sont nécessaires et que vous n’en disposez pas, quels sont-ils ?

Note : Les réponses à cette question étant libre, la commission d’enquête a procédé à une catégorisation des différentes demandes. Aussi, les résultats doivent être lus avec prudence, étant donné que certaines demandes peuvent avoir été intégrées à plusieurs catégories.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Beaucoup d’agents sont aujourd’hui obligés de s’auto-équiper pour compléter les matériels fournis par l’administration. Les résultats du tableau ci-dessous indiquent la part approximative de l’équipement que les répondants estiment avoir acquis eux-mêmes.

Réponse à la question D.2

« Quelle est la part approximative de votre équipement que vous avez acheté vous-même en pourcentage ? »

La principale raison, évoquée par plus de 80 % des répondants, expliquant le choix de s’auto-équiper est l’absence d’équivalent dans les équipements fournis par l’administration.

Une autre question, relative à la généralisation des caméras-piétons, permet de souligner le fort attachement des répondants à cet équipement, puisque 61 % y sont favorables. On note des disparités importantes selon les forces dans la mesure où cette part atteint 51 % pour les policiers interrogés mais 72 % pour les gendarmes et 79 % pour les policiers municipaux.

E.   L’équipement collectif

Le niveau de satisfaction vis-à-vis des véhicules est faible pour les policiers comme pour les  gendarmes, comme l’indique le tableau ci-dessous qui complète les données relatives à l’âge moyen du parc.

Réponse à la question E.1.

« Jugez-vous que les véhicules dont vous disposez pour l’exercice de vos missions sont
insatisfaisants, peu satisfaisants ou satisfaisants ? »

Il est significatif de noter que la proportion d’agents satisfaits de leurs véhicules s’inverse pour la police municipale : alors que, par exemple, 42 % des gendarmes ayant répondu considèrent que l’état de leurs véhicules est insatisfaisant, 44 % des policiers municipaux apparaissent satisfaits en la matière. 

Des critiques similaires ressortent de l’analyse des réponses collectées au sujet des équipements informatiques.

Réponse à la question E.3.

« Jugez-vous que les équipements informatiques dont vous disposer pour l’exercice de vos missions sont insatisfaisants, peu satisfaisants ou satisfaisants ? »

La frustration des agents des forces de sécurité intérieure se retrouve dans les réponses à la question concernant les manques de matériels communs et de locaux. Au sein de la police, 59,8 % des répondants indiquent être « souvent » ou « très souvent » confrontés à des manques. Cette proportion est significativement moins élevée au sein de la gendarmerie (40,1 %) ou pour les policiers municipaux (21,3 %) ayant répondu à cette question.

Réponses à la question E.4.

« Êtes-vous régulièrement confrontés à l’indisponibilité de matériels communs ou de locaux ? »

F.   L’immobilier

Les résultats de la consultation soulignent la dégradation du parc immobilier des deux forces. 65 % des répondants ont ainsi indiqué leur insatisfaction vis-à-vis des lieux de travail (catégories « insatisfaisant » et « peu satisfaisant »). 

Réponse à la question F.1.

« Comment jugez-vous l’état de votre lieu de travail ? »

              Les gendarmes répondants paraissent significativement plus satisfaits (44,5 %) de l’état de leur lieu de travail que les policiers (29,7 %).

L’état du logement est particulièrement sensible pour les gendarmes, dans la mesure où ils sont tenus de résider en caserne, souvent aux côtés de leur famille. Or, 60 % des répondants n’étaient pas satisfaits de l’état de leur logement. 

Réponse à la question F.2.

« Comment jugez-vous l’état de votre logement quand celui-ci vous est fourni par l’administration ? »

Par ailleurs, les agents ont souligné leur mécontentement vis-à-vis de la lourdeur des décisions d’entretien immobilier : puisque 80 % des répondants trouvent que la procédure à suivre pour réaliser des travaux n’est pas suffisamment décentralisée.

Cette situation joue probablement sur la volonté d’une grande partie des gendarmes ayant répondu à la consultation de ne plus être tenus, dans certains cas, de se loger en caserne, comme l’illustrent les résultats obtenus à la question : « pensez-vous que la concession de logement pour nécessité absolue de service devrait  être adaptée pour les agents qui disposent d’une résidence à proximité de leur domicile ? ».

Réponse à la question F.5.

« Pensez-vous que la concession de logement pour nécessité absolue de service devrait être adaptée pour les agents qui disposent d’une résidence à proximité de leur domicile ? »

 

G.   Temps de travail et vie professionnelle

1.   Le sentiment répandu d’être en sous-effectif

Réponses à la question G.1.

« Vous sentez-vous assez nombreux pour effectuer les missions qui vous sont confiées ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Réponses à la question G.1.

« Si non, à combien évaluez-vous le manque d’effectifs ? »

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

 

2.   Des rythmes de travail frustrants et coûteux

Réponses à la question G.2.

« À quelle fréquence avez-vous un week-end de congés ? »

Note : réponse à choisir dans un menu déroulant, entre 1 et 5 semaines.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

Réponses à la question G.6.

« Combien d’heures supplémentaires non compensées avez-vous accumulées  ce jour ? »

Note : la notion d’heures supplémentaires n’a pas d’existence légale dans la gendarmerie nationale compte tenu du statut militaire des gendarmes.

Source : extrait des résultats de la consultation des forces de sécurité. 

3.   Des attentes en termes de pouvoir d’achat et de perspectives de carrière

Le rapporteur a enfin demandé aux répondants de classer des leviers de fidélisation par priorité. Les résultats sont présentés page suivante.



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H.   commentaires libres

Les liens ci-dessous permettent d’accéder aux commentaires libres des personnels des forces de sécurité, classés par 

– police nationale :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/com_enquete/forces_securite/forcesdesecurite_reponse_police-nationale.pdf

– gendarmerie nationale :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/com_enquete/forces_securite/forcesdesecurite_reponse_gendarmerie-nationale.pdf

– police municipale :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/com_enquete/forces_securite/forcesdesecurite_reponse_police-municipale.pdf

– réserviste :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/com_enquete/forces_securite/forcesdesecurite_reponse_reserviste.pdf

– autres :

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/com_enquete/forces_securite/forcesdesecurite_reponse_autres.pdf

 

 

 

 

 


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III.   comptes rendus des auditions

Auditions du 6 mars 2019

– M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces.              185

– Colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG), du lieutenant-colonel François Dufour et des membres du groupe de liaison du CFMG : adjudant-chef Samia Bakli, lieutenant-colonel Sébastien Baudoux, chef d’escadron Frédéric Colard, adjudant Raoul Burdet, maréchal des logis-chef Gérard Dhordain, adjudant-chef Hélène L’Hôtelier, gendarme Grégory Rivière, adjudant-chef Catherine Hernandez, adjudant-chef Vincent Delaval, adjudant-chef Régis Poulet, major Patrick Boussemaere              197

Audition du 7 mars 2019

– Représentants d’associations professionnelles nationales de militaires de la gendarmerie. Pour GendXXI : MM. Frédéric Le Louette, président, Jean-Pierre Bleuzet, vice-président, et David Ramos, membre du conseil d’administration ; pour Gendarmes et Citoyens, MM. Thierry Guerrero, président, Ludovic Lacipière, vice-président, et Cédric Bouveret, vice-président              210

Auditions du 21 mars 2019

 Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), représentée par M. Thomas Nesle, président, M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de la police, vice-président, Mme Audrey George, brigadier-chef et M. Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité ; le syndicat France Police-Policiers en colère, représenté par M. Michel Thooris, secrétaire général, et M. Éric Roman, secrétaire national              229

 Représentants du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SND-CFDT) : Mme Aurélie Jammes et M. Jean-Michel Dejenne et du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction : Mme Franca Annani, secrétaire nationale, et M. Sébastien Nicolas, secrétaire général               242

 


Audition du 27 mars 2019

 Représentants des associations membres de l’Entente Gendarmerie :

  Le Trèfle, société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale : général Edmond Buchheit, président ;

  Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG) : M. Jean-Claude Fontaine, président ; Ailes de la gendarmerie : colonel Patrice Gras, président ;

  Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG) : Mmes Muriel Noël, présidente, et Virginie Rodriguez, vice-présidente ;

  Confédération française d’associations de retraités et de pensionnés de la gendarmerie (CFARPG) : colonel Jean-Jacques Vichery, coprésident ;

  Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG) : colonel Jean-Pierre Virolet, premier président national adjoint et colonel Gérard Sullet, secrétaire général ;

  Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) : capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national, chef d’escadron Laurent Huet, secrétaire général, et major Emmanuel Zammit, président pour le département de Loir-et-Cher ;

  Amis de la gendarmerie : général Jean Colin, président ;

  Association nationale des réservistes et des sympathisants de la gendarmerie (RESGEND) : colonel Luc Delnord, président ;

  Société nationale d’histoire et du patrimoine de la gendarmerie (SNHPG) : général Jean-Régis Véchambre, président.......254

Audition du 28 mars 2019

 Représentants de syndicats de surveillants pénitentiaires :

  Force ouvrière (FO) Pénitentiaire, M. Dominique Gombert, secrétaire général adjoint, M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint, et M. Jean Philippe Cabal, secrétaire national « corps de commandement » ;

  Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS), M. Philippe Kuhn, secrétaire national adjoint en charge de la direction interrégionale de Paris, et M. Joseph Paoli, secrétaire national adjoint en charge de la direction interrégionale de Bordeaux ;

  Confédération générale du travail (CGT) Pénitentiaire, M. Éric Lemoine, premier surveillant, M. Nicolas Peyrin, premier surveillant, et M. Alexis Grandhaie, commandant ;

  Union fédérale autonome pénitentiaire, affilée à l’Union nationale des syndicats autonomes (UFAP-UNSA), M. David Calogine, secrétaire général adjoint, et M. Wilfried Fonck, secrétaire national.              279

 

Audition du 2 avril 2019

 Représentants de syndicats de la police municipale :

  FO Police Municipale : M. Patrick Lefèvre, secrétaire national et M. Christophe Léveillé, secrétaire national ;

  FA-FPT Police municipale : M. Fabien Golfier, secrétaire national en charge de la police municipale et M. Pascal Kessler, secrétaire général ;

  UNSA : M. Manuel Herrero secrétaire général adjoint UNSA territoriaux région AURA, membre de la commission consultative des polices municipales, et M. David Quevilly

  CGT-Police Municipale : M. Yves Manier, brigadier-chef principal de police municipale, membre du collectif CGT-PM, Pascal Ratel, chef de service de police municipale ;

  CFDT Interco : M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndicat interco 21 et M. Serge Haure, chargé de mission forces de sécurité publique......297

Audition du 4 avril 2019

 M. Didier Lallement, préfet de police de Paris, MM. Thibaut Sartre, secrétaire général pour l’administration,  Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation et Sébastien Durand, conseiller technique en charge des affaires de police              317

Audition du 9 avril 2019

 M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, MM Gérard Clerissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale,  Antoine Salmon, contrôleur général des services actifs de la police nationale, chef d'état-major du cabinet du directeur général de la police nationale              330

Auditions du 10 avril 2019

 M. Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS).              346

 Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale et lieutenant-colonel Sébastien Thomas, chef de la synthèse budgétaire auprès de la sous-direction des affaires financières......356

Auditions du 7 mai 2019

– M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, et M. Olivier Brun, adjoint au chef de service.              370

– Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l’accompagnement et du soutien à la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN).              379

– M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, M. Gilbert Mabecque, adjoint à la sous-directrice des ressources humaines et de la logistique, et M. Jean-Cyrille Reymond, sous-directeur des missions de sécurité.              387

 

Audition du 14 mai 2019

– M. Guillaume Verney-Carron, directeur général de la société Verney-Carron, et M. Laurent Marck, directeur général du groupe Marck (huis clos)              .396

Audition du 15 mai 2019

– Secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) (huis clos) :

  Zone de défense Nord : M. Jean-Christophe Bouvier, préfet délégué pour la défense et la sécurité accompagné du général Gilles Doremus, secrétaire général adjoint au SGAMI de Lille.

  Zone de défense Ouest : M. Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest, préfet délégué pour la défense et la sécurité.

  Zone de défense Sud-Est : Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité, et M. Bernard Lesne, secrétaire général adjoint.

  Zone de défense Sud : M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint pour l’administration du ministère de l’intérieur.

  Zone de défense Sud-Ouest : Mme Valérie Hatsch, préfète déléguée pour la défense et la sécurité accompagnée de M. Didier Ribeyrolle, commissaire divisionnaire et de M. Stéphane Aubert, commissaire divisionnaire.

  Zone de défense Est : M. Michel Vilbois, préfet délégué pour la défense et la sécurité.

  Préfecture de police de Paris : M. Stéphane Jarlégand, adjoint du préfet, secrétaire général pour l’administration, M. Philippe Castanet, directeur des finances de la commande publique et de la performance, Mme Anne-Charlotte Jond, chargée de mission au cabinet du préfet de police.               406

Auditions du 16 mai 2019

– Mme Brigitte Jullien, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.              422

– Général Michel Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN)

Audition du 21 mai 2019

– M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN)              441

Auditions du 22 mai 2019

– M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, et  Mme Christine Dufau, adjointe au sous-directeur des ressources, de l’évaluation et de la stratégie.              451

– M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS).459

– M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, et Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe.              469

Auditions du 23 mai 2019

– M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, MM. Pierre Azzopardi, sous-directeur du pilotage et du soutien des services, Jilly Delliste, sous-directeur des métiers et Benoît Fichet adjoint au sous-directeur de la sécurité pénitentiaire              475

– Représentants d’associations de membres de force de l’ordre blessés pendant des opérations de maintien de l’ordre :

  Fondation maison de la gendarmerie (FMG) : M. Jean-Jacques Taché, président, Mme Marie-Hélène Gontaud, vice-présidente ;

  Association indépendante des forces de l’ordre pour la protection et la prévention : M. Didier Jammes, président, M. Serge Evdokimoff, Mme Virginie Montagu,

  Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l’Intérieur : M. Pierre Cavret, président, M. Philippe Poggi, secrétaire général.              485

Auditions du 28 mai 2019

– M. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC), et de M. Pierre-Philippe Padrines, référent professionnel pour la police municipale.              493

– MM. Jean-Luc Woyciechowski, Romain Janson et Hervé Bénazéra, gardes champêtres..499

Auditions du 4 juin 2019

– Général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale.504

– Général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale. 512

Auditions du 5 juin 2019

– Général Armando de Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale.              520

Auditions du 19 juin 2019

– M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur..................................527

 


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Auditions du 6 mars 2019

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La commission d’enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de police commence aujourd'hui ses travaux. À l’occasion de cette première audition, nous aborderons avec Thierry Delville les enjeux majeurs de technologie et de cybersécurité qui mobilisent toujours davantage les forces de sécurité intérieure.

Les auditions de notre commission sont publiques, ouvertes à la presse, diffusées en direct sur un canal de la télévision interne et consultables en vidéo sur le site Internet de l’Assemblée nationale.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

M. Thierry Delville prête serment.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Delville, notre commission souhaitait vous auditionner à plusieurs titres : en tant qu’ancien commissaire de la police nationale, mais aussi, et surtout, en tant qu’ancien chef du bureau des systèmes d’information à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP). Vous êtes notamment à l’origine de la création du service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure. Cet aspect nous intéresse tout particulièrement, d’autant qu’il est partagé entre la gendarmerie nationale et la police nationale. Notre commission d’enquête porte sur ces deux forces, et aura à cœur d’explorer des pistes de travail communes à leur égard.

En 2009, vous avez pris la direction des services techniques et logistiques de la préfecture de police de Paris. Puis vous avez été nommé délégué interministériel aux industries de sécurité, en 2014, avant de voir vos prérogatives s’étendre en 2017 à la lutte contre les cybermenaces.

Au vu des menaces qui nous guettent, nous savons l’importance que revêtent la cybersécurité et les équipements de nos forces de sécurité. Quels enseignements avez-vous tirés de vos différentes expériences, et comment envisagez-vous l’avenir des cybermenaces et de la cybertechnologie ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Je vous remercie de m’inviter à témoigner sur un sujet qui m’est particulièrement cher. En effet, si, après trente-deux ans passés au sein de la police nationale, j’ai décidé depuis peu de relever un nouveau défi dans le secteur privé, le sujet des moyens d’action et de l’organisation des forces de sécurité me tient toujours particulièrement à cœur.

Je tiens à saluer l’initiative de cette commission, tant j’ai regretté, ces dernières années, que la sécurité soit le plus souvent abordée en réponse à des événements d’actualité, sur des périmètres restreints et des thématiques précises – le terrorisme au premier chef. J’espère sincèrement qu'en témoignant devant votre commission, je contribuerai à vous convaincre de la nécessité d’engager une véritable démarche stratégique sur la sécurité intérieure, à l’image des lois de programmation militaire qui apportent de la visibilité aux orientations et à l’action du pays en matière de défense.

Mon expérience et ma carrière dans la police m’ont conduit à exercer divers métiers, dans des commissariats de la banlieue parisienne, à la direction centrale de la sécurité publique puis à la tête d’un service en charge des technologies et de la recherche dans la police nationale. Notez qu’à l’époque, le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure n'était pas encore fusionné avec la gendarmerie.

J’ai ensuite pris la tête d’une structure opérationnelle assez atypique, la direction des services techniques de la préfecture de police de Paris, qui remplit une mission essentielle de soutien traditionnel aux forces. Comme l’affirmait un de mes prédécesseurs, la logistique est le premier temps de l’action !

Enfin, j’ai été chargé d’une délégation dont le champ s’est progressivement étendu des industries de sécurité à la lutte contre les cybermenaces. L’un de nos actes importants fut la création d’une filière industrielle de sécurité, qui prend désormais la forme d’un comité stratégique – ce dont je me réjouis. Je me suis également attaché à coordonner et à animer le réseau des acteurs de la cybersécurité pour le ministère de l’intérieur : policiers, gendarmes, direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et acteurs de la protection des infrastructures du ministère, sous l’autorité du haut fonctionnaire de défense.

Cette alternance de postes revêtant des dimensions opérationnelles, managériales et stratégiques m’a permis de travailler avec l’ensemble des acteurs du ministère, dans la diversité de leurs cultures, leurs histoires et leurs organisations. J’ai pu mesurer combien ce ministère et ses personnels étaient essentiels à notre société et méritaient une attention particulière. Vous y répondez aujourd'hui fort opportunément.

Ayant quitté mes fonctions il y a plus de quatre mois, je ne saurais vous communiquer des données chiffrées actualisées. Mon témoignage sera celui d’un policier ayant commencé sa carrière il y a un peu plus de trente ans comme inspecteur de police doté de quelques compétences informatiques. J'ai suivi un parcours assez atypique, à une époque où la police ne comptait pas de filière technologique et informatique. Après avoir passé le concours des commissaires, j’ai assez rapidement pris la direction des services actifs de la police nationale. À ce titre, j’ai eu le plaisir et l’honneur de participer à des travaux qui se sont avérés importants pour la sécurité ces quinze dernières années. C’est ainsi que, pour la première fois, le ministère de l’intérieur a été associé aux travaux du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008. Nous avons reconduit l’exercice en 2013. J’ai également participé à des travaux ayant nourri le Livre blanc sur la sécurité intérieure, commandé par le ministre de l’intérieur en 2011. En 2014, j’ai piloté plus directement des travaux diligentés par le ministre dans le cadre du plan de modernisation de la sécurité intérieure, qui comportait une dimension technologique très marquée. J’ai conduit des travaux du même ordre sollicités en 2016 par M. Cazeneuve, ayant permis de recenser les besoins des forces de police et de gendarmerie, ainsi que des services de renseignement et de la sécurité civile.

Il y a treize ans, j’ai été chargé de mettre en place le service des technologies et des systèmes d'information (STSI), créé par le ministre de l’intérieur en février 2005. Il m’a été demandé, dans ce cadre, de faire passer la police d’une entreprise de main-d’œuvre à une entreprise de haute technologie – ou, en tout cas, d’aider la police à accompagner le basculement de la société dans le numérique. Beaucoup a été fait à ce titre, bien que la situation budgétaire ne soit guère propice à un travail sur les enjeux de modernisation. Un très net déséquilibre persiste en effet entre l’enveloppe couvrant la masse salariale des forces de sécurité – police et gendarmerie – et les crédits de fonctionnement et d’investissement. En 2005, sur le périmètre de la police, la masse salariale représentait 87 % du budget. Il est fort probable qu’aujourd'hui, elle en atteigne 90 %. Les moyens pouvant être alloués aux investissements s’en trouvent réduits.

Pour autant, de nombreux efforts de mutualisation et de rationalisation ont été accomplis ces dernières années. Citons en particulier le rapprochement du système de traitement des infractions constatées (STIC) et du système judiciaire de documentation et d’exploitation (JUDEX), ayant donné naissance au fichier de traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) partagé par la police et la gendarmerie. S’y sont ajoutés des travaux de modernisation en matière de police technique et scientifique.

Il reste beaucoup à accomplir. Parmi les principaux enjeux figure le remplacement des réseaux radio, qui représentera un coût majeur dans les années à venir. Déjà, la mise en place de ces réseaux il y a près de deux décennies avait nécessité un investissement considérable. Un autre sujet me tient particulièrement à cœur et mérite de progresser, au-delà des actions déjà engagées : le rapprochement des plateformes d’appel d’urgence. C’est un élément important du service rendu aux citoyens, dont ont su s’emparer une dizaine de pays européens.

Enfin, des travaux restent à conduire sur l’utilisation du numérique, en veillant à articuler les dimensions légale et réglementaire avec l’acceptabilité sociale de cette technologie. Je pense ici à l’utilisation d’informations numériques en source ouverte pour des travaux de renseignement territorial, ou encore à l’exploitation de sources vidéo. Les nombreux outils qui sont disponibles dans ces domaines ne sont pas sans soulever des interrogations légales et sociales. Ils méritent de faire l’objet d’un débat et d’être inscrits dans une démarche stratégique.

J’en viens à la montée en puissance des cybermenaces. J’ai été en charge de ces questions ces trois dernières années au ministère de l’intérieur, sous l’angle de la coordination mais sans exercer de fonction opérationnelle. En la matière, chaque direction générale gère les activités et les affaires qui lui sont propres, en relation, notamment, avec le ministère de la Justice. L’État français a réagi vite et bien à l’essor des cybermenaces. Il a su structurer un modèle qui suscite un intérêt à l’échelle internationale. En revanche, il reste à progresser dans la déclinaison concrète de ces sujets au sein des services de police et de gendarmerie au quotidien. J’y ai consacré une feuille de route, qui a d’ailleurs été mentionnée lors d’un récent forum à Lille par le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, Laurent Nuñez. Elle invite à se saisir des enjeux de cybersécurité sous l’angle de la formation des personnels, du recrutement de spécialistes ou encore du renforcement des structures d’enquête.

Je me contenterai d’une statistique pour illustrer l’ampleur que prend la cybercriminalité. Il y a deux décennies, notre pays recensait plus d’un millier de braquages de banques chaque année, et infiniment peu d’atteintes à l’espace cybernétique. Aujourd'hui, les braquages ne dépassent guère la centaine, tandis que 1,2 million de foyers font l’objet d’un usage frauduleux de leur carte bancaire. Le ministère de l’intérieur doit se dimensionner pour faire face à cette déferlante. Au-delà de l’exemple que j’ai cité se présentent d’autres enjeux, notamment d’accompagnement du tissu économique – et tout particulièrement des petites et moyennes entreprises, qui sont insuffisamment protégées contre les cybermenaces.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Bien que les ressources mobilisables à cet effet ne représentent que 10 % du budget du ministère, de grands projets technologiques ont-ils été ou sont-ils envisagés ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. À ce jour, le projet technologique le plus structurant touchant les forces de l’ordre reste le déploiement du réseau radio numérique entre le début des années 1990 et 2007. Ce réseau est en quelque sorte la « colonne vertébrale » des acteurs de terrain, pour lesquels la coupure des communications avec la salle de commandement présenterait un réel danger. Il importe désormais de moderniser et de renouveler ces technologies, en s’appuyant sur des capacités nouvelles. Les capacités de transmission de ce réseau sont insuffisantes – elles sont nettement inférieures à celles qu’offre le moindre téléphone mobile. Il faudra tirer parti de la 5G pour permettre aux forces de l’ordre de transmettre des données volumineuses, notamment des vidéos, de façon sécurisée. Ces infrastructures doivent être résilientes : elles doivent continuer à fonctionner quand tous les autres dispositifs ont été atteints ; d’où leur coût important. Tel est, à mes yeux, l’investissement prioritaire. Cet enjeu est bien identifié par le ministère, et formalisé dans le cadre du projet « réseau radio du futur ».

D’autres projets sont en cours, comme la numérisation de la procédure pénale, c'est-à-dire le stockage des informations pénales sur des durées longues, et la facilitation des recherches.

Plutôt que de se livrer à une course sans fin aux nouveaux outils, il me paraît indispensable de consolider les infrastructures : le câblage doit être modernisé dans les commissariats, et les moyens de transmission doivent être actualisés. Les dispositifs de stockage de l’information doivent en outre être chiffrés et sécurisés de façon renforcée, pour résister à de potentielles attaques informatiques. J’estime que des moyens devraient être consacrés prioritairement à ces sujets.

M.  le président Jean-Michel Fauvergue. J’invite nos administrateurs, que je remercie pour leur travail et leur disponibilité, à collecter auprès du ministère de l’intérieur l’ensemble des travaux ayant été menés dans ces domaines, en particulier par Thierry Delville.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En 2018, il avait été envisagé de créer une grande direction du numérique au sein du ministère de l’intérieur, fusionnant la direction des systèmes d’information et de communication avec les services homologues de la préfecture de police et de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises. La question s’était posée d’y intégrer ou non le STSI. Monsieur Delville, quel est votre point de vue sur le sujet ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Ces travaux se poursuivent. Ayant quitté mes fonctions il y a plusieurs mois, je ne pourrai vous informer de leurs derniers développements. Je vous livrerai néanmoins ma vision de ce projet, dont j’ai d’ailleurs fait état avant mon départ.

L’enjeu de la transformation numérique doit être porté de manière unitaire. Si le STSI a été créé en 2005, c’est parce qu’à l’époque, la police nationale était insatisfaite de la manière dont étaient gouvernés les crédits. Nous étions avant l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), dans un modèle où les directions opérationnelles – la direction générale de la police nationale (DGPN), en l’espèce – n’avaient pas de visibilité sur les projets et les programmes. Il en va autrement depuis la LOLF, et nous ne pouvons que nous en réjouir. Il serait néanmoins souhaitable que les compétences, les ressources et la vision touchant aux questions technologiques fassent l’objet d’une gouvernance unifiée et renforcée au sein du ministère, qui puisse contribuer à une transformation culturelle.

J’ai intégré cette administration il y a plus de trente ans en tant qu’inspecteur de police, après avoir passé un concours comportant une option informatique. Je doute que cette option existe encore. C’est pourtant un véritable enjeu. A contrario, la gendarmerie compte une filière technologique dans laquelle elle recrute des diplômés de niveau élevé, y compris des polytechniciens. Elle accompagne tout au long de leur carrière ces hauts potentiels, susceptibles de devenir responsables de la police technique et scientifique ou de services de cybersécurité.

Je souhaiterais que dans la conduite des projets, indépendamment des grands pôles – DGPN, direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), secrétariat général… –, il y ait toujours à la table du ministre de l’intérieur un acteur, au service de tous les autres, qui porte le sujet de la modernisation et de la transformation numérique.

Le ministère de l’intérieur a besoin d’une grande direction générale du numérique, tant pour sa propre transformation que dans le cadre de ses relations avec d’autres acteurs interministériels tels que la direction générale de l’armement ou le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Telle est ma conviction personnelle.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le STSI devrait-il, selon vous, y être inclus ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Naturellement. Il est même possible d’aller plus loin. J’ai été en charge, à Paris, d’une direction qui regroupait des compétences de la direction des systèmes d’information de la préfecture de police, des services logistiques et de divers services de support opérationnel. Dans un même esprit, une grande direction du numérique du ministère de l’intérieur, si elle voyait le jour, ne devrait pas être éloignée des enjeux d’équipement des forces. Bien souvent, ces aspects sont liés. Les dispositifs de protection des agents ou d’armement intègrent tous des technologies, à de rares exceptions. Au-delà d’une direction numérique, il conviendrait ainsi de réfléchir à une direction support de la transformation et de la modernisation.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Il s’agirait donc d’une direction support pour toutes les unités de sécurité intérieure, qui interviendrait aussi bien en matière de numérique que d’équipements. Y incluriez-vous les équipements roulants ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Oui. Comme j’ai pu en faire l’expérience à la direction des services techniques, le coût d’une voiture de police, tel qu’il est négocié avec le service des achats, double sous l’effet des technologies que l’on y intègre : rampe accueillant le dispositif de reconnaissance de plaques minéralogiques et la caméra, radio, etc. Le véhicule doit être considéré comme un outil technologique supplémentaire, mobile et extrêmement coûteux.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Quel serait le positionnement optimal de cette direction ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. J’en ferais une direction générale qui traiterait quotidiennement avec le ministre ou son directeur de cabinet, au même titre que les autres directions générales.

Mme Nicole Trisse. Vous semblerait-il nécessaire de repenser la formation dans les écoles de police afin qu’elle intègre la dimension numérique ? De nouveaux critères de recrutement s’imposent-ils ? Est-il souhaitable de former aux technologies numériques les agents en fonction depuis quelque temps ? Si oui, est-ce prévu ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Ma réponse sera parcellaire, car je ne suis pas entré dans un niveau de connaissance précis de la formation dans chaque direction générale. Je ne saurais comparer, par exemple, l’effort de formation rempli par la DGSI et la DGGN.

Cependant, la police nationale me semble devoir réaliser un effort tout particulier pour élargir le champ de compétence de ses recrues. Il est certes important de connaître le droit pénal et le droit administratif pour passer un concours, mais ces disciplines peuvent aussi s’acquérir à l’issue du recrutement. Pourquoi un candidat ayant une formation d’ingénieur ne pourrait-il pas se présenter aux épreuves ? Il arrive que de tels profils passent le concours de commissaire, mais ils intègrent ensuite rarement les services technologiques. Il me paraît donc prioritaire d’ouvrir les concours.

Par ailleurs, il est absolument essentiel de renforcer la formation à la cybersécurité, par des dispositifs qu’il appartient aux spécialistes de la pédagogie de définir : modules à distance, sessions sur site... De même que les experts-comptables se forment régulièrement aux normes IFRS, les forces de sécurité doivent se voir proposer des dispositifs de formation itératifs leur permettant de maintenir à niveau leurs connaissances et de rendre un service pertinent aux usagers.

Lors des attentats de 2015, nous avons mesuré combien il était important de rencontrer les grands acteurs de l’Internet. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, s’était rendu dans la Silicon Valley pour discuter de modalités de coopération. Ce travail a fait l’objet d’un suivi et s’est élargi à d’autres thématiques. Ainsi, des discussions sont en cours à Bruxelles sur le retrait, dans des délais extrêmement courts, de contenus terroristes publiés en ligne. Préalablement, l’une des toutes premières actions entreprises fut de former massivement des correspondants à adresser des réquisitions aux opérateurs, selon des modalités harmonisées mais en tenant compte de la spécificité de chaque acteur. Ceci nécessite un important effort de formation des enquêteurs, et plus encore d’actualisation des connaissances dans la durée, afin de faire face à des phénomènes en évolution constante.

M. Rémi Delatte. Le numérique offre des opportunités, mais présente aussi des risques en concentrant des données sensibles sur un même site. Vous évoquiez la nécessité de se doter d’outils résilients, garantissant une totale sécurité. Or le risque zéro n’existe pas, qui plus est dans un monde où la technique évolue à grande vitesse et où la cybercriminalité a souvent un temps d’avance. Le risque que j’évoque est d’autant plus prégnant que les données sont partagées sur l’ensemble du territoire français – via l’outil NeoGend notamment. Comment s’assurer de la résilience et de la sécurité d’un tel dispositif ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Le risque zéro n’existe pas, en effet, en particulier face aux cybermenaces. Il faut avoir l’humilité de reconnaître que l’expertise que l’on croit détenir est frappée d’obsolescence en quelques heures, au mieux en quelques jours. Dans les entreprises, les responsables de la sécurité des systèmes d’information sont submergés quotidiennement de failles nécessitant la mise à jour de programmes. Imaginez l’ampleur de la tâche dans de grandes banques ou organisations, où les systèmes d’information sont souvent complexes et résultent de fusions d’entités. Un travail colossal de construction et d’homogénéisation des systèmes doit être mené. Ces enjeux sont tout aussi importants au ministère de l’intérieur. Ils font l’objet d’un suivi scrupuleux, avec la collaboration et la supervision essentielles de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). La solution Neo a d’ailleurs été bâtie avec des systèmes d’exploitation fournis et mis à niveau par l’ANSSI. Les préoccupations de sécurité sont donc centrales dans tous les projets.

M. Jean-Louis Thiériot. Vous jugez nécessaire d’établir une programmation pluriannuelle de la sécurité intérieure, portée par une vision à long terme. À cet égard, vous paraîtrait-il opportun d’élaborer un livre blanc de la sécurité intérieure, qui nous permette de poser, dans la durée, les ambitions de sécurité et les moyens afférents ?

Par ailleurs, où en est la filière des entreprises technologiques de sécurité ? Si l'État n’a pas pour vocation première de la porter, il peut néanmoins participer à son développement. Comment agir en ce sens ?

Enfin, vous avez souligné la nécessité de se doter d’un numéro d’appel d’urgence unique. Ayant été président de conseil départemental, j’ai été conduit à réfléchir sur ce sujet. Je me suis notamment intéressé au projet NexSIS développé par les pompiers. Si nous nous dirigions vers un numéro d’appel unique, quelles entités devraient être réunies, et quel acteur serait le plus à même d’en être l’opérateur ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Je suis intimement convaincu qu’une programmation à long terme est nécessaire. Au cours de ma carrière au ministère de l’intérieur, j’ai eu à connaître la loi relative à la modernisation de la police nationale de 1985, puis la première loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure de 2002, qui comportait un volet technologique. De nombreux projets en ont découlé. À chaque fois, néanmoins, il s’agissait de « coups », après quoi le sujet restait en sommeil une décennie. On qualifie parfois le ministère de l’intérieur de « ministère de l’urgence ». Il lui manque une programmation de long terme. Les travaux auxquels j’ai contribué s’inscrivaient dans une temporalité de cinq ans, à l’instar de la loi de programmation militaire. Il est nécessaire qu’à leur issue soient effectués un bilan, un contrôle et une évaluation, afin de pouvoir enchaîner sur la loi suivante. Malheureusement, la France ne procède pas à cet exercice en matière de sécurité.

À l’heure où l’on parle de révision constitutionnelle, j’aimerais également que la sécurité fasse l’objet d’une commission spécifique au Parlement, afin que celui-ci bâtisse une expertise pérenne dans ce domaine et qu’il l’applique au contrôle et à l’exécution des lois. Une commission sur la sécurité intérieure, voire sur la sécurité intérieure et la justice, représenterait une avancée considérable pour développer l’expertise et le contrôle du Parlement sur ces sujets.

J’ajoute que les lois de programmation n’ont pas vocation à répondre à des événements dans l’urgence, mais à tracer une vision sur des projets au long cours. Le réseau de radio Acropol a par exemple mis quinze ans à se déployer sur le territoire. Paris accueillera les Jeux olympiques (JO) en 2024. Nous devrons être à l’heure de cet événement en matière de sécurité. Une loi pourrait viser ce terme.

Il est important que l’État s’implique dans les travaux des filières. Avec l’aide précieuse de Patrick Guyonneau, j’ai eu le plaisir de fonder en octobre 2013 le comité de la filière industrielle de sécurité (COFIS), qui a accédé il y a quelques mois au rang de comité stratégique. La sécurité est ainsi reconnue comme une filière à part entière, et est placée à ce titre sous la coordination du ministère de l’Économie et des Finances. Le ministère de l’intérieur doit absolument y jouer un rôle, comme il l’a fait ces cinq dernières années. Le premier comité de pilotage de la filière fut d’ailleurs coprésidé, en décembre 2015, par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, et le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel Macron. Malheureusement, cette instance n’a pu se réunir à nouveau, l’événement ayant été plusieurs fois reporté.

En France, la filière de la sécurité représente 130 000 à 140 000 emplois industriels directs. Si l’y on ajoute les emplois indirects dans les secteurs public et privé, elle dépasse le million d’emplois. Son chiffre d'affaires atteignant 24 milliards d’euros en 2017, et était réalisé pour plus de la moitié à l’export. Il s’agit d’un secteur extrêmement dynamique, en très forte croissance. À la différence des entreprises de sécurité privée traditionnelles, fondées sur la ressource humaine, l’industrie de sécurité produit des solutions technologiques, orientées en particulier vers la cybersécurité et la sécurité physique et logique. L’État n’en est pas le premier acheteur. Le ministère de l’intérieur ne représente que 4 % ou 5 % des ventes réalisées sur le marché domestique. A contrario, le ministère des Armées est le client exclusif de la filière de l’armement, hors exportations. Cela constitue une différence majeure. La sécurité doit être pensée, aujourd'hui, dans le cadre de partenariats avec le monde privé. La vision stratégique et l’élaboration éventuelle de lois de programmation ne sauraient éluder cette dimension.

J’en viens au projet de numéro d’appel d’urgence unique, le 112 unifié, qui est envisagé depuis une décennie. Dix à douze États membres se sont dotés d’un tel dispositif. Les départements prennent des initiatives en ce sens. Il reste à savoir comment mettre en œuvre des plateformes comparables à celles de nos voisins, et comment les harmoniser. Je ne saurais dire à qui devrait en être confié le pilotage. La délicate détermination de la gouvernance du dispositif est d’ailleurs l’un des freins du projet. Dans les départements, une autorité s’impose quoi qu’il en soit, le préfet. Il suffirait qu’une décision soit prise sur le pilotage d’une plateforme d’urgence dédiée à la réponse aux citoyens, pour que tous les acteurs se mettent en ordre de marche.

M. Jean-Claude Bouchet. Nous savons tous que pour être efficaces, les forces de sécurité, quelles qu’elles soient, ont besoin de moyens : véhicules, armement, réseaux radio, etc. Or les infrastructures de communication sont fragiles : il suffit de couper une fibre ou de faire tomber une antenne pour les mettre hors d’usage. Dans certains commissariats, les infrastructures ont quinze ans de retard. Quel budget serait nécessaire pour les mettre à niveau ?

Par ailleurs, les moyens dont nous disposons en matière de cybersécurité permettent-ils de contrer les attaques et de mener des enquêtes efficaces ? Sont-ils suffisants, sachant que, dans ce domaine, les criminels ont toujours un temps d’avance sur la technologie ? Des comparaisons internationales permettent-elles de juger si la France est au niveau en la matière ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. C’est un exercice difficile que de déterminer le budget de mise à niveau des infrastructures. Le projet de plan de modernisation de la sécurité intérieure, remis peu avant la dernière élection présidentielle, comportait plus de 70 pistes d’action, dont beaucoup portaient sur les infrastructures. Il évaluait le budget global nécessaire entre 2 et 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, la moitié environ correspondant aux infrastructures, et préconisait le renforcement des effectifs à hauteur de 300 à 400 agents techniques. Beaucoup a été entrepris, grâce aux efforts des directions générales et à un abondement budgétaire. Je ne suis pas en mesure de dire ce qu’il reste à faire. Je ne suis pas certain, toutefois, que les infrastructures soient priorisées dans ce cadre. Elles méritent pourtant une attention particulière. La modernisation et la sécurisation des infrastructures de réseau – radio et informatiques – nécessiteraient un investissement de l’ordre d’un milliard d’euros sur cinq ans.

Je n’ai pas le sentiment que la France accuse un retard en matière de cybersécurité. J’ai participé aux travaux menés il y a un an par le SGDSN avec l’ANSSI, dont a découlé la revue stratégique de cyberdéfense. Notre principal enjeu fut de convaincre les différents acteurs de la nécessité de travailler ensemble. Des avancées importantes ont été réalisées dans la gouvernance des sujets de cybersécurité. L’ANSSI, dirigée par un homme remarquable, Guillaume Poupard, assure une animation et une coordination des acteurs sous l’autorité du SGDSN. Nous disposons donc d’une organisation intégrée et interministérielle. Si les parties ont parfois des vues divergentes, elles s’accordent sur la nécessité de mener certains travaux : formation, actualisation permanente des capacités face à une cybercriminalité en évolution constante, etc.

Les pratiques de cybercriminalité se sont considérablement transformées, ne serait-ce que depuis 2015. Le darknet est devenu une terre promise pour les mafieux et cybercriminels de tous ordres. Un rapport publié il y a un peu plus d’un an faisait état de 100 000 téléchargements d’outils permettant d’accéder à ce réseau. Les forces de sécurité doivent se mettre en capacité de tracer ces outils, qui évoluent constamment, pour mener le travail d’investigation nécessaire. À ce volet judiciaire s’ajoute celui du renseignement, à une granularité toute particulière. Tout ceci a un coût considérable.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Vous avez insisté sur la mutualisation des efforts et la nécessaire co-construction des projets. La localisation sur un même site de l’ANSSI et du centre d’analyse de lutte informatique défensive doit produire ses effets. M. Poupard fait état d’une difficulté à recruter des ingénieurs spécialisés en cyberattaque ou en cyberdéfense. Quand la France développera-t-elle véritablement cette spécialité, pour se doter des compétences dont elle a besoin ?

S’agissant des infrastructures, il convient de rappeler que certains commissariats n’ont pas même une connexion Internet satisfaisante. J’ose espérer que nos futurs policiers seront formés aux technologies. Qu’en est-il de la formation continue des agents en place, qui paraît absolument nécessaire ? La cybersécurité se vit en effet au quotidien.

Enfin, monsieur Delville, vous avez enfin évoqué les jeux olympiques. Dans cette perspective, comment la France peut-elle renforcer ses capacités de cyberprévention, afin d’en faire un axe de défense et de cybersécurité ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. L’effort de modernisation des infrastructures que j’ai mentionné inclut les commissariats et les brigades de gendarmerie sur l’ensemble du territoire.

Les ingénieurs en cybersécurité sont une denrée rare et très recherchée. Je rencontrais aujourd'hui même le directeur d’une école d’ingénieurs de la région parisienne, avec lequel j’explore des pistes pour identifier des profils atypiques.

J’aime citer à ce propos une anecdote particulièrement éclairante. Elle nous renvoie en 1988, lorsque j’étais affecté aux activités micro-informatiques de la direction des transmissions et de l'informatique – devenue depuis la direction des systèmes d'information et de communication (DSIC). À l’époque, les ordinateurs commençaient à peine à se doter de disques durs. L’un de nos agents les plus brillants en développement micro-informatique était un gardien de la paix. Jusque-là chauffeur au service central automobile, il avait été repéré car il développait en hexadécimal à ses heures perdues – autant dire qu’il était capable d’entrer dans les profondeurs de la machine. Nous étions en charge du suivi des résultats lors des soirées électorales. Le système principal était confié à un important industriel, qui faisait le lien entre les préfectures et le ministère de l’intérieur. Notre gardien de la paix avait pour sa part développé un réseau de secours. Un soir d’élection où le ministre a demandé une représentation des résultats dans un format non prévu par le prestataire, celui-ci s’est montré incapable d’y répondre. Il n’a fallu qu’une demi-heure à mon collègue gardien de la paix pour concevoir une solution ad hoc.

Les acteurs de la cybersécurité ont conscience qu’ils ont intérêt à offrir une deuxième chance à des talents qui n’ont suivi les cursus traditionnels. Je pense notamment à des jeunes diplômés d’écoles de commerce, qui ne s’épanouissent pas dans les affaires mais possèdent des bases mathématiques. Je pense aussi à des personnes qui ont pris des chemins tout autres, mais qui ont une appétence particulière pour l’informatique. Des initiatives commencent à apparaître pour tirer parti de ces talents.

Au-delà de la formation, l’enjeu majeur sera de fidéliser ces professionnels. Nul doute, en effet, qu’ils seront démarchés par des acteurs privés capables de leur proposer des rémunérations alléchantes.

Une mise à niveau des personnels est de surcroît nécessaire, via la formation continue. Il faut faire l’effort d’extraire des agents de leur activité quotidienne pour les inscrire dans des cycles longs de formation. C’est d’ailleurs l’occasion de faire monter en gamme et de réorienter des personnels – sachant que quiconque entre désormais sur le marché du travail est appelé à exercer trois ou quatre métiers.

Les JO ont pour partenaire informatique un porte-drapeau de l’industrie et de l’expertise françaises. Un écosystème est en train de se mobiliser dans le cadre de la filière, dans la perspective des JO de Paris en 2024. Ces jeux devront être une réussite en termes d’innovation et de démonstration de notre savoir-faire. Selon qu’elles se sont tenues à Londres, à Rio ou ailleurs, les éditions précédentes n’ont pas suscité les mêmes enjeux d’intelligence économique et de politique industrielle. Nous devrons être capables de mettre des solutions innovantes au service de tous ceux qui prendront part aux JO de Paris.

Mme Brigitte Kuster. Vous avez mentionné à plusieurs reprises la sécurité privée. À l’occasion d’une mission flash sur la sécurité des lieux de spectacles, j’ai auditionné des syndicats d’entreprises de sécurité privée, qui sont dits dépourvus face à l’échéance olympique de 2024. Ce secteur avoue une carence de personnel et de formation. Quels conseils pourriez-vous lui donner ? Bien que ce sujet dépasse le cadre strict de notre commission, il me semble le compléter utilement.

Nous sommes, par ailleurs, à la veille des élections européennes. Si vous aviez une liste à y conduire, quelle programmation et quelles mesures préconiseriez-vous ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Une mission de coordination nationale de la sécurité des jeux olympiques de 2024 a été mise en place au ministère de l’intérieur, présidée par le préfet Lieutaud. Elle est chargée de nouer et de nourrir un dialogue avec le comité olympique ainsi qu’avec l’ensemble des acteurs, privés et publics, qui concourront à la réussite de cet événement. Les responsabilités respectives devront être définies dans ce cadre. Déjà, nous savons gérer des enjeux similaires lors des championnats de football : sécuriser la fan zone, organiser la sécurité à une certaine distance de ladite zone, identifier les responsabilités du maire et de l’État… Tous ces sujets devront être traités très en amont des JO de 2024.

J’en viens à votre question inattendue, madame la députée, sur les élections européennes. J’ai eu l’occasion de participer à des travaux de recherche européens il y a quelques années. Plus récemment, sous l’impulsion du ministère de l’intérieur et du secrétariat d’État chargé du numérique, j’ai pu défendre, à l’échelon européen, la question du retrait de contenus illicites publiés en ligne.

La France présente des différences manifestes avec ses voisins au regard des enjeux de sécurité. Même sur des sujets qui nous paraissent évidents – lutte contre le terrorisme, retrait de la propagande terroriste sur Internet… – il n’est pas aisé de parvenir à un consensus immédiat. Cela demande un investissement important. Il me paraît indispensable de considérer que la sécurité est un enjeu à définir au niveau européen, ce qui n’obère en rien le champ souverain que nous devons traiter sur notre territoire. La définition du partage des missions avec les acteurs européens doit reposer sur une vision et une connaissance des questions de sécurité dans le temps long. Aussi l’Union européenne doit-elle maintenir son effort de soutien à la recherche en matière de sécurité.

Aujourd'hui, au ministère de l’intérieur, cette recherche est principalement financée par des crédits européens. C’est là une grande différence avec le monde militaire. Une agence de l’innovation de défense vient d’être créée au sein du ministère des armées, dotée d’un budget de 1 milliard d’euros à l’horizon de 2022. Pour sa part, le ministère de l’intérieur répartit quelques crédits de recherche entre différents services, dans des proportions infiniment moindres. L’essentiel des projets ou des participations à des programmes de recherche relève de crédits sollicités auprès Bruxelles, le plus souvent avec d’autres partenaires européens. Cet effort communautaire doit être préservé et renforcé. Les États membres doivent au moins s’accorder sur les grandes priorités communes qu’ils jugent essentielles à une politique de sécurité européenne, sur le temps long. Les grands événements entrent d’ailleurs dans ce cadre, dans la mesure où ils sont organisés successivement par différents pays. Certes, des experts échangent déjà sur les questions de sécurité. Au-delà, ces enjeux pourraient se décliner dans une approche politique et une démarche stratégique de long terme.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Percevez-vous une différence notable d’équipement entre les commissariats des villes et des territoires ruraux ? Si oui, quel délai serait nécessaire pour effectuer un rattrapage ?

Pour ce qui est des programmes et logiciels communs entre la gendarmerie et la police, le fichier TAJ s’avère une vraie réussite. En revanche, le programme Neo a fait l’objet d’une déclinaison pour la police, NeoPol, et d’une autre pour la gendarmerie, NeoGend. D’autres logiciels restent spécifiques à l’une des forces. Ne serait-il pas souhaitable de centraliser et d’unifier ces outils ?

Enfin, les derniers marchés de défense ont souvent été remportés par des entreprises étrangères. Y a-t-il selon vous un risque à ce que des matériaux et des équipements relevant de la sécurité intérieure soient fabriqués dans des pays étrangers ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Je ne suis pas convaincu qu’il existe des différences considérables entre l’équipement des commissariats des villes et des zones rurales. Les systèmes d’information sont désormais unifiés. À mon arrivée à la préfecture de police, l’une de mes principales missions fut de mettre à niveau les systèmes d’information et de les aligner sur ceux de l’État. Aujourd'hui, les modalités d’accès à l’information sont homogènes. En revanche, il existe certainement des disparités en matière de parc automobile, liées aux usages. Pour m’en être occupé à Paris, je sais combien ce volet est complexe et mérite une surveillance scrupuleuse. L’usure des véhicules diffère selon qu’ils sont utilisés par les mêmes conducteurs, d’une petite unité ou par la multitude d’agents d’un grand centre de police. Les taux d’immobilisation et de disponibilité des voitures varient de surcroît selon les environnements. Pour autant, les équipements sont globalement assez proches. Je vous invite à le vérifier auprès des services en charge de ces questions.

Quant au développement de logiciels parallèles pour la police et la gendarmerie, il relève de la gouvernance et résulte de choix des directeurs généraux. Je ne saurais me prononcer sur ces arbitrages, qui sont certainement justifiés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À la lumière de votre expérience, est-il justifié d’utiliser des logiciels différenciés, ou serait-il préférable d’instaurer des programmes communs ?

M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces. Sur des périmètres fonctionnels, recouvrant des missions et des métiers globalement semblables, tout doit être fait pour unifier les solutions entre les forces. Notez toutefois que des dénominations différentes peuvent cacher des similitudes assez fortes entre les outils. Ainsi, je ne pense pas que NeoPol et NeoGend soient fondamentalement différents. En revanche, les applications qui leur sont greffées peuvent engendrer des disparités. Il reste à savoir si celles-ci sont justifiées : dresse-t-on différemment un procès-verbal d’accident en zone de gendarmerie et en zone de police, par exemple ? Ces considérations méritent d’être objectivées et analysées. Toutefois, la racine même de ces outils repose sur un socle commun, administré par le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure. Il me semble qu’une convergence grandissante des outils est souhaitable. Idéalement, la plateforme d’appels d’urgence unifiée, le 112, devrait être supportée par un seul système d’information, capable de servir les particularités de chaque service ou entité.

J’ai eu l’occasion de signer plusieurs centaines de marchés publics, notamment en tant que directeur des services techniques à la préfecture de police. Dès lors que les acheteurs entretiennent une relation étroite avec les prescripteurs, sous l'autorité des contrôleurs, le code des marchés publics offre un cadre propice à l’élaboration de solutions innovantes, sur des sujets complexes. C’est ainsi qu’à l’issue d’un dialogue compétitif avec plusieurs industriels, nous avons pu déployer en 2008 les premiers kits de détection de drogue dans la salive, fruits de dix ans de recherche. Ces marchés publics doivent intégrer pleinement les enjeux de filière et veiller à la préservation des intérêts des entreprises françaises et européennes. À ce titre, il est salutaire que le contrôle de l’État sur les investissements étrangers dans des secteurs sensibles inclue les entreprises qui travaillent au profit des forces de l’ordre.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur Delville, nous vous remercions.

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  Audition du 6 mars 2019

Colonel Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG), lieutenant-colonel François Dufour et des membres du groupe de liaison du CFMG : adjudant-chef Samia Bakli, lieutenant-colonel Sébastien Baudoux, chef d’escadron Frédéric Colard, adjudant Raoul Burdet, maréchal des logis-chef Gérard Dhordain, adjudant-chef Hélène L’Hôtelier, gendarme Grégory Rivière, adjudant-chef Catherine Hernandez, adjudant-chef Vincent Delaval, adjudant-chef Régis Poulet, major Patrick Boussemaere.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je souhaite la bienvenue au colonel Louis‑Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG et aux membres du groupe de liaison.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

Les personnes auditionnées prêtent serment.

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG). Monsieur le président, je vous remercie d’avoir convié le groupe de liaison Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) pour répondre aux questions de votre commission d’enquête.

Le CFMG est l’instance nationale de dialogue social de la gendarmerie. Créé en 1989, il compte 75 officiers et sous-officiers qui représentent la gendarmerie dans sa pluralité, statutaire, fonctionnelle et géographique. Ce modèle de dialogue interne constitue un point d’ancrage fort à la communauté militaire ; la gendarmerie a su l’adapter par touches successives depuis plus de trente ans.

Le CFMG est chargé d’étudier toutes les questions concernant les conditions de vie, d’organisation du travail ou d’exercice du métier militaire. Son action est parfaitement coordonnée avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), instance nationale de consultation et de concertation de l’ensemble des militaires.

Les onze officiers et sous-officiers du groupe de liaison ici présents ne sont que l’émanation du CFMG. Mus par la seule volonté de défendre l’intérêt général, ils portent fidèlement la voix des 100 000 gendarmes qui les ont élus. Parce qu’ils servent dans les unités opérationnelles, ils n’ignorent rien des difficultés qui existent sur le terrain ; parce qu’ils vivent au quotidien des engagements exigeants, ils ne manqueront pas de partager avec vous leurs expériences très concrètes et leur ressenti.

Pour eux, 2018 a été une année particulièrement riche, marquée par des engagements opérationnels d’ampleur : en métropole, face aux « zones à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, de Bure et de Kolbsheim ; outre-mer, à l’occasion de fortes tensions à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie. Depuis le début du mouvement des « Gilets jaunes », le 17 novembre dernier, les gendarmes ont pris toute leur part pour protéger les institutions et la population. Le 8 décembre, 89 000 membres des forces de sécurité intérieure ont été engagés, dont 65 500 gendarmes. Cette mobilisation sans précédent a été rendue possible grâce à la disponibilité, la robustesse, l’organisation et le savoir-faire militaire de notre institution.

Cet engagement qui perdure depuis près de trois mois et demi est très éprouvant. Plus de 400 gendarmes ont été blessés, parfois dans des conditions de violence inouïe – je pense à nos deux camarades de l’escadron de Grenoble violemment agressés sur la passerelle Senghor à Paris. Certaines casernes, où nous travaillons et où habitent nos familles, ont également été attaquées, comme celle qui abrite le peloton d’autoroute de Narbonne ou celle de Dijon. Au quotidien, le gendarme, au service de nos concitoyens, exerce un métier exigeant qui peut aller jusqu’au sacrifice suprême. Quatorze officiers de gendarmerie dont le colonel Beltrame, ont été tués en 2018 dans l’accomplissement de leur devoir.

Les gendarmes, et tel est l’état d’eprit des membres du groupe de liaison, sont très pragmatiques et ne demandent qu’une chose : disposer des moyens humains et matériels pour rendre le meilleur service de sécurité aux Français.

Pour terminer, je souhaite vous faire part d’une inquiétude majeure qui prévaut actuellement dans les rangs de la gendarmerie : il s’agit de la réforme des retraites.

Ce n’est pas l’idée de réforme qui est en jeu, bien au contraire. Les militaires de la gendarmerie sont pleinement conscients de la nécessité de conduire une réforme sur ce sujet. Mais ils souhaitent que le futur système universel de retraite prenne en compte leur spécificité et surtout leur « militarité ». Cette réforme ne peut être engagée en ne prenant en compte que les missions, en faisant fi du statut militaire. Au motif que policiers et gendarmes relèvent du même ministère et accomplissent nombre de missions similaires, on voudrait leur appliquer les mêmes critères pour la retraite. Or l’article 1er de la loi du 3 août 2009 dispose que la gendarmerie est une force armée. Les missions exécutées par les militaires dans une gendarmerie doivent donc absolument être considérées selon une approche statutaire dont l’équation est simple : au regard de son statut, la communauté militaire dont les gendarmes font partie, possède moins de droits, moins de liberté, plus de devoirs et de sujétions, donc l’État leur doit impérativement des garanties spécifiques, notamment dans le calcul de la retraite.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Notre commission d’enquête a décidé de se concentrer, s’agissant des moyens, sur deux aspects, les équipements et l’immobilier, soit les lieux de vie et les lieux de travail.

Dans le cadre du plan triennal 2018-2020 pour la rénovation et l’entretien des casernes de gendarmerie, 85,9 millions d’euros ont été budgétés en 2019 pour la rénovation d’environ 4 000 logements. Quel est votre diagnostic sur l’état du parc immobilier de la gendarmerie nationale, qu’il s’agisse des lieux de vie, donc des appartements de fonction dans les casernes, ou des lieux de travail des brigades ?

Que pensez-vous de la proposition, abandonnée, de déconcentrer les crédits par région, voire par brigade, et dans ce cas-là, quelle serait la proportion à déconcentrer ?

M. Grégory Rivière, gendarme. J’interviendrai d’abord sur le budget consacré aux lieux de vie. Il est pour 2019 de 85 millions d’euros, mais après des années « blanches ». Il est très rare qu’un propriétaire loue un logement sans y faire aucun entretien pendant des années. Or il est arrivé qu’il n’y ait pas de crédits, ou dix millions d’euros par an pour l’entretien de l’ensemble des gendarmeries. Depuis quelques années, ce budget a augmenté de nouveau. Mais l’étude menée par des cabinets d’expertise montre que c’est à un niveau très inférieur à ce qui serait nécessaire. Pour entretenir le parc domanial, il faudrait en fait des crédits de 200 à 300 millions d’euros par an. Or, on est revenu à des budgets de 80 à 90 millions. Cela signifie qu’une bonne partie du parc domanial n’est pas entretenue comme il le faudrait et continue à vieillir.

S’agissant d’une déconcentration des crédits, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) y procède déjà en les répartissant entre les régions pour effectuer les travaux nécessaires, mais ce budget est loin de répondre à ce qu’il faudrait faire dans les différentes casernes.

Mme Hélène L’Hotelier, adjudante-cheffe. Le parc immobilier de la gendarmerie, représente 3 775 casernes et 75 608 logements. L’existence de ce parc est une composante du statut militaire et conditionne la disponibilité des gendarmes. Actuellement, l’âge moyen d’un logement dans le parc domanial est de 45 ans, et il est de 52 ans pour les locaux de services techniques. Le plan d’urgence pour l’immobilier lancé il y a quelques années n’est pas suffisant : en fait il ne permet de traiter que les vraies urgences. Pourtant, le logement constitue une maigre compensation pour les contraintes d’un métier exigeant. Et le bien-être de la famille dans le logement, c’est aussi le bien-être du militaire au travail. Au-delà même du confort, certaines casernes ne répondent simplement plus aux normes de sécurité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les 85 millions d’euros de crédits dont il est question concernent uniquement les casernes et logements gérés par l’État. Mais pouvez-vous faire le point sur le parc géré par des départements ou par des bailleurs sociaux ? Il semble difficile de peser sur ces derniers pour qu’ils remettent des appartements en état.

M. Raoul Burdet, adjudant. Vous l’avez bien compris, nous estimons que le budget global consacré à l’immobilier est si insuffisant, qu’on ne maîtrise plus vraiment la question et qu’il a fallu compléter le domanial, de façon palliative, par un recours au parc locatif, à hauteur de 45 000 logements, soit 60 % du parc utilisé, dont 9 600 logements pris à bail individuellement. La maîtrise d’ouvrage du parc locatif, en 2017, était assurée pour un peu plus de la moitié par les collectivités territoriales, grâce à une subvention de l’État, en vertu d’un décret du 28 janvier 1993 ; elle l’était à 32 % par les organismes HLM et à 15 % par d’autres partenaires privés.

Ce recours au parc locatif n’est que le résultat d’un défaut d’investissement dans le domanial. D’autre part, la Gendarmerie se doit non seulement de mettre à niveau les normes dans le domanial, mais également d’assurer la sécurité de ces emprises, lieux de travail et aussi lieux de vie des familles. Pour assurer cette sécurisation, ce sont 15 millions d’euros qui sont ponctionnés sur un budget global de 90 millions d’euros. Et cette somme est loin de suffire : avec 15 millions par an, il faudrait plus d’une décennie pour assurer la sécurisation complète des locaux. Quand on pense aux mesures de protection que peuvent nécessiter les attaques terroristes, le décalage est flagrant.

M. Grégory Rivière, gendarme. Je vais vous donner un exemple de ce qui peut se passer dans une ville de province. Une caserne est arrivée en bout de course, les huisseries et l’isolation sont à refaire à tous les niveaux. On demande à la collectivité de faire des travaux, année après année, et on finit par dire aux politiques que s’ils veulent garder une gendarmerie, il faut loger les gendarmes de façon décente. Alors, par un montage juridique, on crée une nouvelle gendarmerie, en face de l’ancienne parfois. Et peu après, cette ancienne caserne qui n’était pas aux normes, est complètement rénovée pour être transformée en logements sociaux. Le gendarme, qu’on a laissé pendant tant d’années dans un logement non conforme, se sent un peu un sous-citoyen, car c’est quand il est parti qu’on s’en aperçoit et qu’on agit. C’est choquant.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est bien parce que beaucoup de députés qui font partie de cette commission ont, en visitant des casernes, constaté dans quel état elles étaient, que nous avons décidé de nous concentrer sur l’immobilier, avec l’intention de faire ensuite des propositions concrètes.

Le logement est une compensation pour l’astreinte à laquelle sont soumis les gendarmes, et c’est une différence avec les policiers. Est-ce que des gendarmes, installés depuis longtemps dans un territoire, expriment le désir d’avoir leur propre logement ? Comment voyez-vous ce lien entre logement en caserne et logement personnel ?

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG. J’y insiste, le logement fait partie de notre système d’armes. Les gendarmes ont un statut militaire, doivent être disponibles et sont logés par nécessité absolue de service. Oter le logement, c’est mettre à mal tout notre système. De plus, cela coûtera bien plus cher. Le maillage territorial est assuré par 3 000 brigades réparties uniformément sur 95 % du territoire. Enlevez le logement, cela devient impossible. Mais ce n’est peut-être pas le sens de votre question…

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Non, il ne s’agit pas du tout de revenir sur la fourniture du logement, loin de là. Simplement, dans ma circonscription, j’ai entendu des gendarmes dire qu’ils préféreraient avoir leur logement personnel, tout en sachant bien qu’ils peuvent être appelés à tout moment. Certes, cela pose une question financière mais l’idée était de laisser le choix aux gendarmes.

M. Patrick Boussemaere, major. Je rejoins le colonel : la concession de logement par nécessité absolue de service (CNAS) est la clé de voûte de notre système. Si l’on adopte une autre logique, qu’on transforme le gendarme en policier, en abandonnant tous les logements CNAS, dont le coût, inscrit au programme 152, est de 500 millions d’euros par an…

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ce n’est pas la question.

M. Patrick Boussemaere, major. Soit, mais je veux rappeler que, sans la CNAS, le système de sécurité publique serait dégradé. L’effectif de 100 000 hommes en gendarmerie devrait être porté à 150 000, c’est-à-dire au niveau de la police nationale, pour maintenir le même dispositif de sécurité. Ces 50 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires représentent 3 milliards d’euros de masse salariale, qui sont à rapporter aux 500 millions d’euros de la CNAS.

M. Raoul Burdet, adjudant. Si l’on pense au confort du gendarme et de sa famille, la question d’accès à la propriété privée peut être pertinente. Évidemment, pour des raisons de budget, elle ne se pose pas dans les grandes villes mais en province, on peut imaginer un gendarme qui accède à la propriété privée et qui fasse très bien son travail. Cela étant, ce n’est pas prévu dans le statut et le droit qui lui serait accordé serait révocable à tout moment. En période de calme, cela peut se concevoir mais dès qu’il faut monter en force, ce qui est quand même fréquent, la présence des hommes à la brigade, où se trouve le matériel, est de bon sens. Bien sûr, on sait « exporter » le matériel de la brigade mais cela compliquerait la manœuvre. En cas de situation dégradée, je pense que mes camarades qui avaient envie de partir à l’extérieur, auraient envie de revenir à l’intérieur. C’est évidemment assez subjectif.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie de vos réponses et je vous rassure : ni pour la commission ni pour le rapporteur, il n’est question de revenir sur le logement CNAS. Nous cherchons à établir la liste des problèmes dans le cadre de votre fonctionnement actuel.

Je précise aussi que la commission d’enquête a été créée à l’initiative du groupe UDI sur son droit de tirage. Mais les députés de tous les partis sont associés à cette démarche que, pour ma part, je trouve très bonne.

Mme Marietta Karamanli. Comment les moyens sont-ils répartis entre le niveau central et les différents échelons de gestion et d’affectation : région, département, zone de compétence territoriale ? Est-ce en fonction de la démographie, de l’évolution de la délinquance, ou d’autres critères ?

Y a-t-il un recensement des besoins département par département, par type de compétences ou selon d’autres critères et à quelle fréquence ?

Enfin, de quels outils de gestion disposez-vous et quels sont les indicateurs de gestion utilisés pour évaluer les besoins ?

M. Sébastien Baudoux, lieutenant-colonel. Je commence par les effectifs car pour nous, l’homme est le premier élément de notre système d’armes. La gendarmerie, c’est 100 000 hommes et femmes et 30 000 réservistes. Quand je présente le groupement de gendarmerie du Gard dont je suis commandant en second, je dis qu’elle compte 1 350 gendarmes, dont 900 d’active et 450 de réserve.

Sur un plan général, la répartition des effectifs se fait d’abord en fonction de la notion de zone de police d’État : toutes les communes de plus de 20 000 habitants sont dites zones de police d’État et relèvent de la police nationale. En tant que gendarmes, nous ne comprenons pas trop bien cette distinction et n’avons pas le sentiment qu’elle soit justifiée. On comprend mal également ce seuil de 20 000 habitants, dont on pourrait discuter.

Dans ce cadre, la répartition des forces faite au sein du ministère de l’intérieur aboutit à ce que la police nationale compte 150 000 hommes, soit les trois cinquièmes du total et la gendarmerie 100 000 hommes, soit les deux cinquièmes. Les besoins évoluent en fonction du territoire à couvrir et en fonction de la délinquance. Or pour l’instant, le ministère de l’intérieur ne prend en compte que des critères de population. Actuellement, près de 51 % de la population réside en zone de gendarmerie, mais celle-ci couvre 95 % du territoire. Par exemple, de 2012 à 2017, la population française s’est accrue de 1,5 million de personnes, dont 72 % en zone de gendarmerie – et de 2017 à 2022, ce pourcentage sera aussi de 72 %. Selon les projections, cette zone regroupera en 2022 51,3 % de la population totale. Il me semble que ces éléments sont assez parlants. Il faudrait aussi mieux tenir compte de l’évolution de la délinquance.

Par ailleurs, la révision générale des politiques publiques (RGPP) a obligé les forces de sécurité de l’intérieur à faire des économies. Mais, alors que la répartition des forces est de trois cinquièmes pour la police et deux cinquièmes pour la gendarmerie, entre 2007 et 2012 l’effort a été réparti à égalité entre les deux, ce qui s’est traduit par une perte de 6 276 emplois de policiers et de 6 243 emplois de gendarmes : à l’évidence, l’effort a été plus douloureux pour les gendarmes. Le plan de rattrapage 2013-2017 a permis une augmentation proportionnelle cette fois, soit 5 649 policiers et 3 188 gendarmes en plus. Mais au terme des deux mouvements, par rapport à l’effectif au début de la RGPP, la police nationale a perdu un peu plus de 600 ETP, soit 0,3 % de l’effectif, et la gendarmerie 2 008 ETP, soit 3 %.

Dans le cadre du plan d’amélioration sur le quinquennat, on a annoncé une hausse de 10 000 ETP pour l’ensemble des forces de l’ordre. Nous nous attendrions à ce qu’on applique un ratio de 60 % contre 40 %. Il n’en est rien : on nous attribue 2 500 ETP environ. De ce fait, en 2022, toujours par rapport à la situation d’avant la RGPP, la police nationale se retrouvera avec 6 911 ETP en plus, et la situation de la gendarmerie, avec 555 ETP en moins, ne sera toujours pas rétablie.

En alignant ces chiffres, nous ne demandons pas si tel ou tel a droit à la plus grosse part du gâteau mais nous voudrions qu’on tienne compte une bonne fois pour toutes, de l’évolution démographique. Or, je l’ai dit, la population augmente plus en zone de gendarmerie qu’en zone dite de police d’État. Cela dit, on peut rediscuter du fameux seuil de 20 000 habitants qui est assez abstrait. Je pourrai vous en donner des illustrations sur le terrain,

M. Grégory Rivière, gendarme. S’agissant des équipements, l’outil de gestion Géaude permet de déterminer les besoins en matériel pour chaque personne et chaque unité. C’est un système déconcentré, qui permet déjà de commander le matériel nécessaire. Les régions répertorient les demandes, mais la question est ensuite celle des moyens. Actuellement, des unités ne sont pas du tout équipées pour assurer le maintien de l’ordre face au mouvement des Gilets jaunes. Nous y travaillons et avons besoin de votre soutien pour modifier le système.

Mme Marietta Karamanli. Je reviens sur les effectifs. Sur certains territoires, le nombre d’affectations reste inférieur à celui des postes à pourvoir. S’agit-il d’un problème d’attractivité, et les décisions sont-elles prises au niveau ministériel ou à un autre niveau ?

Mme Catherine Hernandez, adjudante-cheffe. C’est en effet un problème : il ne faut pas tenir compte seulement de la population et de la délinquance, mais aussi d’un seuil critique au-dessous duquel une unité territoriale ne peut pas fonctionner. Bien entendu, comme nous avons un statut militaire, nous sommes soumis à une amplitude horaire importante et les gardes s’accumulent. Si pour les équipements, il y a un tableau des matériels fixé pour chaque type d’unité en fonction des besoins, ce n’est pas le cas pour les ressources humaines. Les gendarmes ont parfois le sentiment d’être les oubliés, surtout dans les campagnes, où il y a effectivement moins de délinquance mais où il y a tout de même des victimes dont il faut s’occuper et un vaste territoire à « tenir ». Il ne faut pas employer les gendarmes au-delà du raisonnable, si l’on veut qu’ils exercent un travail efficace pour assurer la sécurité des citoyens.

M. Régis Poulet, adjudant-chef. Par exemple, je commande une unité territoriale dont l’effectif théorique est de 23 et l’effectif réel de 22, ce qui n’est pas mal, notamment en Île-de-France. Pour que mon unité fonctionne correctement, elle ne doit pas descendre en dessous de 17 personnes. D’autre part, il y a un problème d’encadrement. À 39 ans, je suis le plus vieux de ma brigade, les autres sont des jeunes sortis de l’école. Pour qu’une unité soit efficace, il faut aussi qu’il y ait des plus vieux pour former les jeunes, et il faudrait y penser dans les affectations.

M. Sébastien Baudoux, lieutenant-colonel. Je vous donne l’exemple de la brigade de Bessèges, où il y a des manques dans l’effectif. Il y a un dossier pour sa dissolution. En effet, on peut avoir un certain nombre d’ETP, mais on ne peut pas y affecter des personnels aux sorties d’école ni y nommer de gradé. C’est une zone défavorisée : le conjoint ne pourra pas travailler, les enfants seront défavorisés sur le plan scolaire, et en plus les logements sont insalubres. On ne peut pas forcer quelqu’un à venir avec sa famille travailler dans ces conditions-là.

Le logement fait donc bien partie d’un système d’armes complet, avec son coût, mais les conditions de ce logement peuvent engendrer des difficultés de recrutement. Or, pour bien fonctionner, une communauté de brigades (COB) ou une brigade territoriale autonome (BTA) doit avoir 18 à 20 personnes en poste. Évidemment, cela dépend des conditions locales : en Lozère, l’espace à surveiller est plus grand, la population moindre. De ce fait, le critère d’un gendarme pour 1 000 habitants, ou pour 700 à 800 habitants en zone de sécurité prioritaire (ZSP), n’est pas forcément pertinent. Mais en dessous du seuil que je viens d’indiquer, on a du mal à fonctionner.

Mme Aude Bono-Vandorme. Colonel, vous faisiez état de 65 500 gendarmes mobilisés le 8 décembre, dont certains ont dû revenir brutalement de permission. Avez-vous des échos sur la façon dont ils ont vécu la situation ?

J’ai bien noté votre attachement au logement par nécessité de service, en tant que partie intégrante du système d’armes. Selon vous, les 15 millions d’euros affectés à la sécurisation sont insuffisants. À combien estimez-vous le budget nécessaire, au moins pour sécuriser les casernes ? D’autre part, il semble que certaines collectivités territoriales ne font pas toujours les travaux nécessaires, ce qui donne aux gendarmes le sentiment d’être des sous-citoyens. Nous pourrions examiner quels moyens d’action utiliser auprès d’elles.

Je voudrais aussi aborder la question des suicides, trop nombreux hélas. Le directeur général de la gendarmerie nationale a mis en place des sections d’écoute et vous auriez d’autres propositions à faire. Mais avez-vous des éléments pour expliquer ce fort taux de suicides ?

S’agissant des effectifs dans le cadre du plan des 10 000 ETP, dont 2 500 pour la gendarmerie, cette année nous avons déjà gagné 57 postes. Si la zone de gendarmerie regroupe une telle proportion de la population, il faut une compensation. Nous y travaillons.

Enfin, pouvez-vous m’en dire plus sur le cas particulier des conditions de logement du soutien ?

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG. Le 8 décembre dernier, en effet, le directeur général a décidé, comme le statut l’y autorise, de faire appel à tous, même aux personnels au repos et en permission. Quelle a été la réaction à cette mobilisation sans précédent ? La gendarmerie s’est levée comme un seul homme pour se mettre au service de la sécurité des citoyens : 100 000 hommes étaient derrière le directeur général. Je connais même des cas de gendarmes qui étaient trop loin pour qu’on les rappelle, et qui ont été vexés d’être laissés à l’écart. C’est grâce à cet effort, spontané, qu’on a pu mettre 65 500 gendarmes sur le terrain. En plus, des militaires du corps de soutien et des civils qui travaillent dans les états-majors sont venus spontanément protéger les enceintes et remettre en état les casernes qui ont été attaquées sauvagement.

M. Grégory Rivière, gendarme. Pour la sécurisation des gendarmeries, le budget est en effet de 15 millions d’euros. On l’utilise depuis deux ans à peine, et on n’est pas en état d’équiper toutes les brigades d’une alarme. Pendant les patrouilles, locaux et logements ne sont pas protégés. Pour sécuriser la grande caserne de Toulouse où logent près 400 militaires, il faudrait environ 700 000 euros. Dans l’Aveyron, il y a quelque temps les occupants d’une ZAD ont envahi une gendarmerie sans difficulté. À mon avis, le budget actuel n’est même pas le quart de ce qu’il faudrait pour sécuriser les emprises. On procède à petites doses, en commençant par le plus important, mais certaines unités ne sont pas sécurisées.

M. Régis Poulet, adjudant-chef. Vous avez abordé la question des risques psychosociaux (RPS). Nous y sommes très sensibles car la perte d’un gendarme, en service ou après avoir mis fin à ses jours, c’est comme la perte d’un membre de la famille. Il existe dans presque toutes les régions des réseaux d’écoute – je fais moi-même partie, avec un camarade ici présent – de celui d’Île-de-France. Nous essayons de faire au mieux. Les mieux placés pour détecter les premiers ce qui ne va pas, ce sont les camarades de l’unité mais les gradés aussi doivent jouer leur rôle, le commandant de l’unité un peu celui de bon père de famille. Il y a également les instances de concertation – nous en faisons partie – pour apporter soutien et conseils. Nous disposons également de psychologues au niveau régional mais, au fond, chacun reste libre de parler ou non.

J’ai perdu un ami, un camarade qui s’est donné la mort en décembre dernier ; je savais qu’il rencontrait des problèmes, nous avions discuté longuement, mais quand il a pris sa décision, je suis resté impuissant : toute l’aide que l’on apporte à la personne, à la famille, se heurte à la liberté humaine. L’institution a pris la chose en main. Depuis quatre ans que je siège au CFMG, je constate que ce souci de l’homme est un fil rouge. Vous pouvez compter sur chacun des 100 000 hommes et femmes de la gendarmerie pour prendre soin de son frère d’armes, c’est cela aussi la « militarité » qui fait la force de notre institution.

Mme Samia Bakli, adjudante-cheffe. Merci d’avoir abordé la question du personnel des corps de soutien. Il a joué tout son rôle, pendant les événements liés aux Gilets jaunes, pour sécuriser des casernes puisque nos camarades gendarmes étaient sur le terrain, et pour leur apporter tout le soutien logistique possible.

Les militaires du corps de soutien ne sont pas concernés par le logement pour nécessité absolue de service. Ceux d’entre eux qui sont célibataires peuvent être hébergés dans des casernes, si elles en ont la capacité. Ils sont parfois hébergés à plusieurs dans les locaux techniques de service, en studio pour les plus favorisés, mais la situation est la même que pour les gendarmes en ce qui concerne l’entretien. Ceux qui sont chargés de famille sont dans la même situation que des civils et payent un loyer comme tout le monde.

Comme les autres militaires, les personnels du corps de soutien sont rattachés à des bureaux de garnisons qui peuvent leur proposer des logements mais ils sont de grandes difficultés à offrir des logements décents. Cela oblige à chercher d’autres bailleurs, ce qui est mon cas : je me suis adressée à un bailleur social.

M. Sébastien Baudoux, lieutenant-colonel. Pour ce qui est des évolutions possibles, un décret de décembre 2016 permet d’entreprendre de nouveaux projets avec les bailleurs sociaux. Mais les situations sont très différentes d’une région, d’un département à l’autre.

Dans le Gard, tous les projets sont faits désormais avec des bailleurs sociaux, le groupe SMI et Gard Habitat. Pour la sécurisation, les 15 millions de crédits dont on a parlé sont réservés au logement domanial mais on peut demander aux bailleurs sociaux, parfois au département ou à la municipalité, d’installer des caméras, des alarmes, des grillages plus hauts, quitte à ce qu’ils réévaluent les loyers : c’est une discussion à entamer avec eux.

Autre solution : le département du Gard a donné en sous-traitance à une société privée Batimur, la gestion locative des vingt casernes pour trente ans, à charge pour elle d’exécuter les travaux dont la liste a été dressée au départ. Il est un peu tôt pour tirer un bilan, mais il est vrai que pour l’instant les choses ne se passent pas aussi bien qu’on le voudrait. C’est en tout cas une piste.

M. Raoul Burdet, adjudant. Le budget alloué à la sécurisation est insuffisant, mais ce n’est pas la seule difficulté. Il y a celle de trouver les fournisseurs. Par exemple, nous voulons équiper de caméras le quartier des Célestins de la Garde républicaine, dans le 4e arrondissement, non loin du lieu de l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo, et aucun prestataire n’est capable de répondre à la demande dans un temps normal, ce qui retarde l’équipement de la caserne.

Mme Nicole Trisse. On offre des logements pour célibataires dans des casernes qui sont vétustes et où l’agencement des lieux entraîne aussi une certaine promiscuité. Est-ce que, compte tenu de la mixité croissante, cela pose problème ? Est-ce l’un des critères dont on tient compte lorsqu’on hiérarchise les besoins de travaux ? De même, il n’y a pas partout des équipements de sport. En zone rurale, il peut être simple pour les hommes de courir dans la forêt, mais pas forcément pour les femmes, ce qui peut compromettre leurs capacités opérationnelles.

Ensuite, lors des manifestations, nous avons été choqués par la violence et nous avons eu peur pour vous, qui étiez victimes des casseurs. Avez-vous une analyse de ces débordements, ou des propositions à faire pour améliorer l’équipement ou l’organisation des troupes ? Sans doute pour ces situations difficiles avez-vous des superviseurs. Mais dans le travail quotidien également, vous affrontez des situations traumatisantes. Bénéficiez-vous d’un suivi psychologique ?

Mme Hélène L’Hotelier, adjudante-cheffe. Sans aller jusqu’à dire que je suis choquée par vos propos sur la mixité, je ne les comprends pas bien. Je travaille en brigade territoriale, comme certains camarades ici, je fais exactement la même chose qu’eux. Non, je n’ai pas peur d’aller faire du sport toute seule, il n’y a pas de problème entre hommes et femmes, en tout cas de perception du danger plus forte chez les femmes gendarmes.

La violence, en effet, est de plus en plus importante au quotidien : les médias l’ont mise en lumière dans les récentes manifestations. Je travaille depuis plus de vingt-cinq ans dans la gendarmerie, j’ai connu des territoires très calmes en Lozère, un peu moins dans le Gard, et désormais dans l’Hérault, la violence est quasi quotidienne. Même dans les campagnes, il y a beaucoup moins de respect qu’avant.

Dès lors, en effet, on peut se demander s’il ne faudrait pas des équipements spéciaux. Puisqu’on ne se heurtait pas à une telle violence, les unités territoriales de premier niveau ne sont pas équipées – d’un simple casque, de jambières, je ne peux même pas le dire avec précision car dans ma carrière en brigade, nous n’en avions pas.

M. Grégory Rivière, gendarme. Les manifestations auxquelles nous avons dû faire face étaient atypiques. En premier lieu, en milieu rural, on se retrouvait face à des gens que l’on voit tous les jours. Ensuite, je pense par exemple à l’envahissement du péage de Millau par les Gilets jaunes, ils étaient venus en famille, avec des enfants, et il y avait même des personnes en fauteuil roulant. Pour les forces de l’ordre, cela rend l’intervention difficile, cela n’a rien à voir avec le fait de se retrouver face à une bande de casseurs en ville. Et si des casseurs se détachent du groupe, notre première tâche est de protéger les populations qui sont venues s’exprimer légitimement.

Enfin, les brigades rurales, qui n’ont jamais eu à faire face à de genre de situation n’ont pas l’équipement adéquat alors qu’il n’y a pas suffisamment d’unités de forces mobiles pour défendre tout le territoire. On paye l’erreur passée, d’avoir fermé des escadrons mobiles. Dans l’Aveyron, par exemple, les premières forces mobiles sont à deux heures de route. Avant qu’elles interviennent, on a eu le temps de se faire écharper. Nous sommes allés prêter renfort à un des rares commissariats du département : mais que pouvait-on faire, à trente gendarmes et dix policiers, face à 3 000 manifestants, surtout quand il faut protéger le reste de la population ? C’est vraiment une situation inhabituelle.

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG. Pour illustrer votre propos sur la violence, bien réelle, dans les territoires où nous exerçons nos missions de sécurité, sachez que vingt gendarmes sont blessés chaque jour dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ; pendant l’heure que nous passons avec vous, un ou deux gendarmes seront blessés. Une telle violence n’existait pas auparavant, elle est montée en puissance depuis quelques années. Nous faisons tout pour nous y adapter. La gendarmerie mobile est vraiment spécialisée dans la prévention des troubles à l’ordre public, mais pas les gendarmes départementaux d’autant qu’ils sont en contact quotidien avec des Gilets jaunes, vont acheter leur pain au même endroit et emmènent leurs enfants à la même école. C’est vraiment un contexte très nouveau.

Mme Hélène L’Hotelier, adjudante-cheffe. Il existe ce que l’on appelle la protection fonctionnelle qui assiste les militaires blessés en raison d’une faute intentionnelle. Nous souhaiterions qu’elle soit élargie en cas de blessure, voire de décès, suite à une faute non intentionnelle. C’est par exemple le cas lorsqu’un gendarme décède, en service, dans un accident de la circulation. Si cet accident est causé par une autre personne mais résulte d’une faute non intentionnelle, les ayants droit ne bénéficient pas de cette protection fonctionnelle, qui serait pourtant indispensable.

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG. Pour prendre un exemple qui date d’octobre dernier, un gendarme a été percuté en pleine nuit, de façon involontaire, sur l’autoroute A4 près de Longeville-lès-Saint-Avold. Ses ayants droit n’ont pas le droit à la protection fonctionnelle, alors même qu’il était en service, parce que la faute était involontaire.

M. Patrick Boussemaere, major. Une précision : la gendarmerie a mis en place un réseau de psychologues militaires où tout collègue qui a été confronté à des violences importantes peut consulter, de sa propre initiative ou envoyé par un de ses chefs.

M. Jean-Louis Thiériot. Je veux d’abord vous dire à quel point nous sommes reconnaissants de ce que vous faites pour notre sécurité et le maintien de l’ordre dans ces moments difficiles.

En Seine-et-Marne, dont j’ai présidé le conseil départemental, il existe un certain nombre de brigades particulièrement vétustes, comme celle de Chaumes-en-Brie qui, espérons-le, ira à Guignes, et Nangis. Or le logement est essentiel pour que la gendarmerie soit bien insérée et les gendarmes prêts à accomplir un bon service. Les collectivités locales savent bien qu’elles vont devoir investir et se substituer à l’État dans un certain nombre de cas. Selon vous, y a-t-il une différence dans l’entretien des logements selon qu’ils sont domaniaux ou confiés à un office HLM ? Il arrive aussi que des collectivités signent des baux emphytéotiques avec des sociétés privées. Au vu de l’expérience en Seine-et-Marne, je suis réservé sur cette solution qui fige la situation pour une longue durée, dont on ne peut sortir qu’à grands frais et qui permet mal de s’adapter au terrain. Avez-vous d’autres exemples ?

M. Raoul Burdet, adjudant. S’agissant de la différence de traitement, à Paris par exemple, le domanial est le parent pauvre. En revanche, les militaires logés dans des résidences qui ne sont pas sous la responsabilité budgétaire de l’employeur sont traités comme les autres locataires. Certains camarades vous diront que mieux vaut, en fin de compte, être dans un logement locatif que dans un logement domanial.

M. Grégory Rivière, gendarme. Pour connaître les quatre types de situation, le logement domanial, en HLM, de collectivité et privé, je suis d’accord sur le fait que le privé coûte très cher. Seulement, il a une obligation de résultat, et ces casernes-là sont mieux entretenues. Avec les collectivités locales, il y a souvent des tensions et il faut aller au conflit pour obtenir quelque chose, Avec les HLM, ça se passe bien. Le pire, c’est donc le domanial. C’est logique : il y a des dizaines d’années que le budget est le tiers de ce qu’il devrait être et sans même parler d’investir, les travaux d’entretien ne sont pas faits. Vous n’imaginez pas l’état de certaines casernes ! J’ai exercé dix ans en Seine-et-Marne, à la caserne de Melun – abandonnée depuis, je crois – où il n’était pas prudent d’aller sur les balcons. Pas grand monde en France n’aurait accepté de vivre dans de telles conditions.

M. Sébastien Baudoux, lieutenant-colonel. Lorsqu’un département signe un bail avec une société, pour la gendarmerie, l’interlocuteur reste le président du conseil départemental. Dans le Gard, le président Denis Bouad a signé il y a un an et demi un bail avec la société Batimur. Bien entendu, au départ, un état des lieux a été fait et les travaux à effectuer sur trente ans ont été répertoriés. Aujourd’hui, nous constatons que les petits travaux ont été rapidement faits, mais pour les plus importants, jusqu’à des restructurations de caserne, on attend encore les plans. Nous avons donc écrit au président du conseil départemental que nous allions cesser de verser les loyers à Batimur et les bloquer sur un compte auprès des services fiscaux. Il y a toujours des moyens de pression, encore faut-il ne pas hésiter à les utiliser. Nous le faisons.

M. Jean-Claude Bouchet. On l’a dit, la délinquance évolue, les populations se déplacent. Arrivez-vous à vous y adapter, en termes de moyens humains, ou cela vous pose-t-il problème ?

S’agissant de l’immobilier, à un certain moment, on avait pratiqué le regroupement de casernes pour optimiser les moyens. Est-ce toujours dans l’air du temps ?

Enfin, le CFMG est en quelque sorte un outil de proximité : vous connaissez très bien le terrain. Avez-vous l’oreille de la direction générale, lorsque vous faites remonter les problèmes, ou y a-t-il des choses à améliorer dans ce domaine ?

M. Régis Poulet, adjudant-chef. Sur ce dernier point, nous sommes en effet des gens de terrain et je peux vous assurer que nous avons l’écoute, pleine et entière, du directeur général – nous l’avons rencontré ce matin – et de ses directeurs. Par exemple, actuellement, entre le travail quotidien et les Gilets jaunes, il faudrait que les journées durent plus que vingt-quatre heures ! Le directeur général nous a bien fait comprendre qu’il fallait lui communiquer toutes les tâches indues que nous assumons. Quand on lui parle, la suite est rapide. Et pour ce qui est des moyens, il ne faut pas parler seulement des équipements, mais aussi, pour nous gendarmes territoriaux, des moyens légaux de notre action.

M. Grégory Rivière, gendarme. L’évolution de la délinquance pose un problème compliqué. La gendarmerie couvre des zones rurales et périurbaines, et nous vous avons exposé quels sont les transferts de population. Pour autant, on ne peut pas créer des déserts de sécurité au seul motif qu’il y a une densité d’habitants moindre dans des départements comme la Lozère ou l’Aveyron – cinquième département de France en superficie, avec 480 gendarmes. D’ailleurs les élus seront contre. Un autre élément à prendre en compte est qu’une unité ne peut pas fonctionner correctement en dessous d’un certain effectif. Enfin, la délinquance est plus importante en zone périurbaine, mais dans les zones rurales, on constate ce que nous appelons des parcours de délinquance, c’est-à-dire le fait de venir faire une « razzia » sur un certain nombre d’habitations. Au moins, un avantage que nous avons, c’est qu’une fois le forfait commis, il est plus difficile de disparaître en zone rurale qu’en zone urbaine. Ce sur quoi nous vous demandons d’être vigilants, c’est sur les effectifs, qui sont ce qui compte le plus pour nous.

Mme Catherine Hernandez, adjudante-cheffe. À propos d’un regroupement de casernes, je crains qu’on ne veuille le faire par souci logistique ou de facilité d’entretien. Or la logique qu’il faut suivre, n’est pas celle de l’économie, mais celle des besoins : mettons les casernes où elles doivent être, pas où on peut les financer ou loger les gendarmes dans une commune voisine qui en a les moyens. Ce ne serait rendre service à personne : ni aux victimes qui s’adressent à nous, ni aux gendarmes eux-mêmes.

M. Raoul Burdet, adjudant-chef. En effet, la gendarmerie assure un maillage territorial et de ce fait, ses emprises doivent être réparties partout. Les regrouper ne ferait d’ailleurs qu’aggraver le problème que nous avons déjà, celui des moyens de déplacement – acquisition de véhicules, et même besoins en blindés, voire en aéronef. Notre parc est obsolète.

Par ailleurs, considérer que la gendarmerie n’est qu’une police rurale est une idée fausse. La plupart des gendarmes sont en zone périurbaine où se concentre la population.

M. Jean-Marie Fiévet. Ma circonscription des Deux-Sèvres, très rurale, compte beaucoup de gendarmes et un commissariat. Je leur ai rendu visite et, lors des manifestations des Gilets jaunes, j’ai été un peu surpris de les voir, sur les ronds-points, dans leur tenue ordinaire. Je me suis dit que c’était peut-être mieux pour les relations avec la population. Renseignements pris ensuite, j’ai su qu’ils ne disposaient en fait d’aucun équipement de protection – casques, baudriers, matraques, protections– pour les opérations de maintien de l’ordre et qu’il en était de même partout en France. Les gendarmes mobiles, eux, sont équipés, mais les gendarmes territoriaux n’ont que leurs gilets pare-balles. Un officier me disait que disposer d’au moins dix casques, boucliers et matraques par compagnie serait un minimum. Qu’en pensez-vous et comment équiper au mieux, dans l’urgence, les effectifs, face à des manifestations qui ont pris une tournure nouvelle ?

M. Patrick Boussemaere, major. C’est vrai qu’avec les Gilets jaunes nous avons été confrontés à une situation hors norme et que la question du matériel de protection individuelle s’est posée. L’administration centrale a réfléchi à un plan dans ce sens. L’idéal serait que chaque gendarme dispose de son propre équipement, mais le coût est élevé. On a déjà programmé d’équiper un certain nombre de personnels. La situation n’est pas encore satisfaisante, mais la montée en charge devrait se faire mois après mois, voire d’année en année, au vu du personnel concerné.

Cela étant, la mission première de la gendarmerie départementale n’est quand même pas le maintien de l’ordre. Ce sont des escadrons de gendarmerie mobile qui sont adaptés pour ce genre de situation.

M. Jean-Marie Fiévet. Je ne pensais pas à un équipement individuel, mais au fait d’avoir un minimum d’équipements disponibles dans chaque compagnie.

M. Raoul Burdet, adjudant. La DGGN a estimé que l’idéal serait d’avoir 30 militaires pleinement équipés dans chaque département. On peut imaginer de les concentrer dans une compagnie, mais alors il faut pouvoir projeter le matériel sur les unités qui n’en seraient pas forcément bénéficiaires au moment où elles en ont besoin. Même au sein d’un département, le problème n’est pas simple. Bien entendu, la question est d’ordre budgétaire. Deux millions d’euros sont consacrés à ce matériel, c’est probablement insuffisant.

M. Sébastien Baudoux, lieutenant-colonel. En fait, c’est localement qu’on saura le mieux répartir les équipements. Dans notre département, nous venons de recevoir la dotation pour trente hommes, et ce sont le commandement local et les commandants de compagnies qui seront les mieux à même de dire où les positionner. Il faut commencer par les officiers, commandants de groupements et de compagnies et leurs seconds, auxquels le préfet a donné délégation d’autorité civile. Cela évitera de voir des images où un brillant officier reste sans casque, derrière une rangée de CRS. Quand on lui demande pourquoi il ne l’a pas mis, il ne peut que répondre : « parce que je n’en ai pas » !

La seconde priorité sera de renvoyer les commandants de pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) et leurs adjoints au centre national d’entraînement des forces de gendarmerie implanté à Saint-Astier, pour leur apprendre la culture du maintien de l’ordre. Pour l’instant, ils n’y sont pas formés. Tout cela se fait dans le cadre des moyens existants, et ensuite il faudra aller plus loin.

 M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je reviens sur certains propos, comme ceux de l’adjudante-cheffe Hernandez concernant les regroupements ou du major Boussemaere concernant l’immobilier : il n’y a rien à craindre sur le principe. Notre commission d’enquête a six mois pour faire des propositions, pragmatiques afin d’améliorer le quotidien de ceux qui s’investissent, et parfois se sacrifient, pour la sécurité des Françaises et des Français, et nous y incluons la gendarmerie nationale, la police municipale et la police nationale, et certainement pas l’un contre l’autre, même s’il existe certains éléments de comparaison. C’est pour cela que nous avons besoin de poser des questions claires pour avoir des réponses claires – je remercie l’adjudant Buret pour celles qu’il a fournies sur l’immobilier et le lieu de vie de la famille.

J’aurai encore trois questions. D’abord, dans certains départements fonctionne une plateforme unique pour les pompiers et le service d’aide médicale urgente (SAMU). Certains aimeraient y ajouter soit les gendarmes soit les policiers, soit les deux, pour orienter les appels et mobiliser les services concernés le plus rapidement possible. La proposition vous paraît-elle intéressante, réalisable et nécessite-t-elle un budget supplémentaire ?

Je sais que chacun d’entre vous vient d’un endroit bien différent, de la petite commune à la plus grande ville. Estimez-vous, à l’expérience, qu’il y a une différence dans les équipements entre des gendarmes qui travaillent dans des zones périurbaines et d’autres qui travaillent dans des territoires ruraux ?

Enfin, comment la gendarmerie se situe-t-elle par rapport au numérique et aux nouvelles technologies ? Y aurait-il intérêt à créer dans ce domaine une direction générale transversale qui vienne en soutien des autres ?

M. Vincent Delaval, adjudant-chef. Concentrer les appels vers une plateforme unique, risque de faire perdre du renseignement. Par exemple, l’opérateur qui va décrocher n’aura pas la connaissance des faits de délinquance qu’a un militaire de la gendarmerie pour faire des recoupements et pouvoir donner des indications aux patrouilles.

M. Frédéric Colard, chef d’escadron. De plus, le centre opérationnel n’est pas qu’un centre de réception et de traitement de l’appel, il sert aussi à la conduite des opérations. Par exemple en cas de cambriolage, si l’appelant nous dit que les individus sont encore dans la maison, l’opérateur va non seulement y envoyer des patrouilles, mais organiser la montée en puissance du dispositif. Nos camarades pompiers, nos camarades du SAMU et nous-mêmes avons des champs de compétences complètement différents, et chacun risque d’y perdre. Enfin le centre opérationnel s’occupe aussi de police judiciaire, et il faut respecter le secret de l’enquête et de l’instruction, la confidentialité en cas d’interpellation.

Enfin, si l’on voulait procéder à une mutualisation globale, le département ne serait plus forcément la bonne échelle, mais plutôt la région.

M. Louis-Mathieu Gaspari, secrétaire général du CFMG. Tout à fait. Nous envisageons des mutualisations entre départements d’une région car les limites départementales n’ont plus grand sens pour la délinquance désormais.

Mme Catherine Hernandez, adjudante-cheffe. S’agissant de l’équipement, il n’y a pas de différence entre les gendarmeries plus rurales et celles en zone périurbaine. Le matériel est envoyé aux unités non en fonction de leur localisation mais du type d’unité dont il s’agit, territoriale ou PSIG, ainsi que de l’effectif.

M. Grégory Rivière, gendarme. Bien entendu, une unité basée en montagne ne reçoit pas le même type de véhicule ou de matériel qu’une unité en zone périurbaine mais l’équipement individuel est identique pour chacun des gendarmes.

Pour le numérique, il faut surtout tenir compte de l’aspect budgétaire. La gendarmerie a été capable de prendre sur ses propres crédits pour arriver là où elle en est, et elle a transmis cette innovation un petit peu à tout le monde. Avant de créer une nouvelle structure qui dirigerait tout ce secteur, il faut surtout nous donner les moyens de poursuivre les évolutions.

M. Raoul Burdet, adjudant. Toujours à propos d’une hypothétique direction du numérique, la gendarmerie a son système intégré, le système NeoGend qui permet au gendarme de transporter son environnement professionnel sur le terrain, au plus près du citoyen avec tout l’équipement informatique nécessaire. Cela repose sur une chaîne intégrée de techniciens en informatique, en communication, qui fait partie de la manœuvre, pas sur un support technique décentralisé. Dans le cadre de la politique de sécurité au quotidien, ce système intégré a du sens et permet d’innover de manière assez rapide.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie de vos réponses. C’est toujours un plaisir de vous recevoir.

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  Audition du 7 mars 2019

Table ronde de représentants des associations professionnelles nationales de militaires  de la gendarmerie. Pour GendXXI : MM. Frédéric Le Louette, président, Jean-Pierre Bleuzet, vice-président, et David Ramos, membre du conseil d’administration ; pour Gendarmes et Citoyens, MM. Thierry Guerrero, président, Ludovic Lacipière, vice-président, et Cédric Bouveret, vice-président.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous continuons ce matin notre série d’auditions, en recevant les associations professionnelles nationales de miliaires de la gendarmerie (APNM). Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je vous propose avant d’engager notre échange, de vous présenter. Quelle est la représentativité de vos deux associations ?

M. Frédéric Le Louette, président de GendXXI. À ce jour, aucune ANPM n’est représentative, puisque le système mis en place veut que les associations soient composées de tous les corps – officiers, sous-officiers, hommes du rang. Or, à GENDXXI, nous ne parvenons pas à recruter des hommes du rang, qui ne restent, en moyenne, que deux ou trois ans en gendarmerie. Par ailleurs, la gendarmerie ne nous permet pas de communiquer, en interne, avec le personnel, alors même que la loi l’autorise – nous ne disposons donc pas de dispositifs internes de communication.

M. Thierry Guerrero, président de Gendarmes et Citoyens. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je souhaite débuter mon propos liminaire par une rapide présentation historique de l'association que je préside.

Constituée en 2008 en association de type « loi de 1901 », elle a pour objet depuis l'origine, la défense des conditions de vie et de travail des militaires de la gendarmerie. Le décret de 2015 relatif à la création des APNM a permis une évolution sensible des statuts et a reconnu l'aspect officiel de son existence.

Nous allons fêter, en avril prochain, son onzième anniversaire ; bien des choses ont changé depuis. Nous entretenons avec l’institution Gendarmerie nationale des relations franches et sans filtre. Nous sommes signataires de la Charte des associations, qui nous garantit une importante liberté de parole et d'action.

S’il fallait illustrer notre implication dans la défense des intérêts des gendarmes, et de la gendarmerie en général, je vous renverrais à l'actualité récente relative aux agressions de gendarmes, à Paris ou à Dijon, pour lesquelles l’association Gendarmes et Citoyens s’est constituée partie civile. Les juridictions, à travers un jugement sans ambiguïté, en ont reconnu la recevabilité et le bien-fondé, et ont condamné les auteurs à des dommages et intérêts et aux dépens.

J’aborderai maintenant la raison de notre présence devant votre commission. Je laisserai ensuite la parole aux vice-présidents pour la partie spécifique des subdivisions, qu'ils ont en charge au sein de l'association. J’y vois l'occasion de présenter aux parlementaires une situation fragile, en termes d'équipements comme de conditions d'emploi. Ces deux aspects sont indissociables des conditions de vie des gendarmes et de leur famille.

Vous ne pouvez ignorer qu'ils sont logés en caserne, par nécessité absolue de service. Il s’agit d’une disposition statutaire qui permet une montée en puissance immédiate et rapide de l'ensemble des forces disponibles, voire même indisponibles, sous certaines conditions.

Les mouvements sociaux de notre pays, qui ont débuté le 17 novembre 2018, en apportent la preuve. La gendarmerie est capable de mobiliser les trois quarts de ses effectifs sur une période plus ou moins longue, comme, par exemple, pour l'acte III de ces manifestations. À titre informatif, tous les escadrons de gendarmerie mobile étaient sur le terrain ce jour-là ; c'est dans l'ADN de notre institution.

Nous sommes au service de la nation pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Cependant, cette disponibilité conduit l’administration centrale à faire des choix, et c'est dans ces moments-là que nous devons être vigilants.

Derrière chaque gendarme, il y a un père ou une mère de famille, un être humain, dont il faut assurer la sécurité pour qu’il soit en mesure de protéger les personnes, les biens et les institutions. Sur le plan matériel, les équipements individuels dont sont dotés les gendarmes sont adaptés à des missions spécifiques. Cela devient problématique quand les gendarmes départementaux, par exemple, sont envoyés sur des missions de maintien de l'ordre. Ces missions n’étant pas le cœur de leur métier, ils ne sont pas équipés pour répondre à des situations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Par ailleurs, les équipements collectifs connaissent un vieillissement certain. Le gendarme Lacipière, vice-président de l'association, répondra aux éventuelles interrogations de votre commission sur les moyens dédiés aux unités des forces mobiles.

Les gendarmes départementaux ont donc été fortement engagés. Plus habitués à gérer des situations ponctuelles de paix publique ou d'infraction, ils se sont retrouvés, du fait d’un déploiement historique sur Paris et les grandes villes, face à des situations qu’ils n'ont pas pour habitude de rencontrer, avec les maigres moyens dont ils disposent pour de telles circonstances.

L’adjudant-chef Bouveret, vice-président, apportera l'éclairage dont votre commission aura besoin pour se faire une idée des difficultés d'intervention dont il a été lui-même acteur.

Je ne peux laisser passer l'occasion de rappeler à votre commission que les conditions d'emploi des personnels de la gendarmerie n'ont jamais été aussi délicates. Les quinze escadrons de gendarmerie mobile supprimés dans les années 2000, les déclinaisons successives des régimes d'emploi des autres unités de forces mobiles, le retard dans le renouvellement des équipements individuels et collectifs, les choix budgétaires imposés par Bercy, les conditions d'hébergement des familles et, lors des déplacements, la multiplication des missions dans des délais de plus en plus raccourcis, les renforts au pied levé dans les zones de pleine compétence de la police nationale conduisent l'institution à fixer des priorités en suspendant des périodes d'instruction ou de repos. Les personnels de la gendarmerie sont fatigués. Ils répondent encore présents, sans état d'âme, mais pour combien de temps encore ?

M. Frédéric Le Louette, président de GENDXXI. Mesdames et messieurs les députés, pour GENDXXI, la situation de la gendarmerie est préoccupante à bien des égards.

D'un point de vue budgétaire, tout d’abord. Le budget de la gendarmerie et les mises en réserve de crédit, gouvernementales et ministérielles, ne permettent pas à la gendarmerie nationale de fonctionner normalement.

Quelles autres administrations de l'État pourraient cesser de payer les déplacements de ses agents à compter du mois d'août ? Seuls le statut et la culture militaires des gendarmes – et l'engagement personnel du directeur général – ont permis aux gendarmes d'active et aux réservistes d'attendre pendant plusieurs mois leurs indemnités, tout en poursuivant, sans faille, leurs engagements.

La situation vécue en 2018 inspire de grandes inquiétudes pour le budget 2019, avec, en particulier, un engagement toujours plus grand des forces de l'ordre. L'engagement opérationnel des gendarmes n'a jamais été aussi important. Depuis quatre mois maintenant, les militaires de la gendarmerie sont présents partout en France, pour assurer l'ensemble des missions judiciaires et administratives, mais également le suivi et l'encadrement des manifestations des Gilets jaunes. Les gendarmes s’impliquent sans relâche, malgré la durée exceptionnelle de la mobilisation.

Ce déploiement sans précédent intervient alors même que la gendarmerie a perdu quinze escadrons lors de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et que les effectifs n'ont toujours pas retrouvé leur niveau initial. Par ailleurs, ce sur-engagement devient la norme, malgré l'impact évident sur les personnels et les risques qui en découlent.

Nombreux sont ceux qui ont souligné le professionnalisme des militaires engagés, leur disponibilité, leur sang-froid et leur résilience. Mais qui s'inquiète des effets à long terme ? Jugera-t-on le militaire fautif sur des images hors contexte ou au regard des semaines éprouvantes qu'il aura traversées ces quatre derniers mois ?

Très peu de responsables politiques évoquent la création d’escadrons de gendarmerie mobile, qui nous semble pourtant essentielle pour permettre d'assurer les relèves et préserver la sécurité des personnels ; nous le déplorons.

La crise des Gilets jaunes doit faire l'objet d’un véritable retour d'expérience pour les forces de l'ordre, tant sur le plan de la doctrine que sur celui des moyens humains et matériels.

Les moyens matériels sont également un sujet majeur de préoccupation. Le retard accumulé dans le renouvellement du parc automobile a entraîné un vieillissement inquiétant d'une partie des véhicules, un taux trop important d'indisponibilité et un état de vétusté problématique, aussi bien en gendarmerie départementale qu’en gendarmerie mobile.

Les moyens de protection individuelle détenus par les gendarmes départementaux se sont révélés inadaptés ou insuffisants, comme nous avons pu le constater au Puy-en-Velay.

Je ne vous citerai pas tous les matériels qui dysfonctionnent, je n’évoquerai que le cas des éthylomètres, souvent trop vieux et en panne.

Je conclurai en attirant votre attention sur un sujet qui suscite beaucoup d'inquiétude au sein de nos rangs : la réforme des retraites. Les militaires de la gendarmerie, voient, dans la communication qui est faite autour de cette réforme, une mesure qui, sous couvert de simplification et d'équité, nie tout ce qui fait la spécificité de la gendarmerie.

Pour un gendarme, la retraite est la juste récompense d'une carrière accompagnée de sacrifices et de privations de droits et de liberté. Une réforme qui porterait nos retraites vers le bas serait lourde de conséquences pour notre institution et pour les gendarmes, qui, chaque jour font preuve d'abnégation au service des autres.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avant de passer la parole à mes collègues, j’ai quelques précisions à vous demander.

D’abord, vos associations représentent-elles également les réservistes ? Certains d’entre eux en font-ils partie ?

Ensuite, vous nous dites que quinze escadrons ont été supprimés. Combien, selon vous, conviendrait-il d’en créer ?

Enfin, la réforme des retraites a été mentionnée à plusieurs reprises, lors de nos auditions. Est-ce une crainte générale que vous exprimez, ou des annonces ont-elles été faites à ce sujet ?

M. Frédéric Le Louette. Oui, les APNM peuvent compter des réservistes dans leur rang – nous en avons –, mais ce n’est pas leur objet, puisqu’il s’agit d’associations d’actifs. Un gendarme qui part en retraite est automatiquement réserviste pendant cinq ans, il est en général membre d’une association et le reste à son départ.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La réserve de la gendarmerie est un très bel outil, contrairement à celle de la police qui ne fonctionne pas. Tous les réservistes ne sont pas d’anciens gendarmes. Cette réserve compte également des anciens militaires, des anciens policiers ou des policiers, sur le temps de repos, et des civils.

M. Frédéric Le Louette. Cette réserve est indispensable, actuellement, au fonctionnement de la gendarmerie.

Concernant les escadrons de gendarmerie mobile, quinze escadrons ont été supprimés en 2010-2011 ; un seul a été recréé depuis. Nous estimons à cinq le nombre d’escadrons qu’il conviendrait de créer. En créer davantage aurait un coût important et nous sommes conscients des difficultés budgétaires.

Ces cinq escadrons seraient bien entendu engagés dans les zones police, mais ils nous permettraient aussi de tourner un peu moins en outre-mer. Il y a quelques années, nous partions tous les dix-huit mois, aujourd’hui la rotation a lieu tous les douze mois, voire moins. Il s’agit de zones compliquées, je pense notamment à Mayotte ou à la Guyane, et les gendarmes ont donc besoin de temps pour récupérer.

S’agissant des retraites, aucune annonce officielle n’a été faite, mais nous suivons l’actualité et constatons qu’une approche par mission est en train de se mettre en place au sein du ministère de l’intérieur. Nous n’avons pas peur de comparer nos missions à celles de la police nationale – certaines de nos missions sont réalisées au titre de notre statut militaire –, mais notre statut nous attribue beaucoup de devoirs qui, selon nous, justifient le niveau de nos retraites actuelles. Baisser nos retraites fragiliserait l’institution et le recrutement. En effet, quelque 40 000 gendarmes pourraient prendre leur retraite d’ici à la fin de 2019 si les choses évoluaient défavorablement pour nous.

Par ailleurs, il nous semble que l’attraction de notre métier passe aussi par la promesse d’une bonne retraite. Notre métier est compliqué, environ 11 % des gendarmes partent en retraite blessés ou en invalidité.

M. David Ramos, membre du conseil d’administration de GendXXI. Monsieur le président, GendXXI et l’Union des APNM, qui représente plusieurs associations au sein de la défense, ont demandé à être reçus par le haut-commissaire à la réforme des retraites, M. Delevoye, qui, à ce jour, n’a pas donné suite à notre requête.

Les premières informations qui ont été révélées concernaient le système par points.

Depuis 2004, la gendarmerie est concernée par la retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP). L’ensemble des gendarmes ont, depuis, pu se familiariser avec ce système. Je vous citerai un exemple très concret. Adjudant à l’échelon 4, je cotise moins de points par an que lorsque j’étais chef et à l’échelon 3. Pourquoi ? Parce que la valeur d’acquisition du point a augmenté de manière significative, notamment après la crise de 2008. Chaque année, je cotise donc moins de points, à la même période, malgré l’effet mécanique, avec les échelles de solde, d’augmentation globale du salaire. Nous devons également prendre en compte le gel du point d’indice du fonctionnaire, qui a eu un impact négatif.

Certes, aujourd’hui, aucun projet ne se dessine de manière formelle, nous n’avons pas d’information précise sur la méthodologie qui sera employée à destination du milieu militaire, mais le système de points en lui-même, mis en perspective avec les mécanismes des dix dernières années du RAFP, suscite des inquiétudes.

Bien évidemment, nous serons ravis de pouvoir lever ces inquiétudes en discutant avec le haut-commissaire. Malheureusement, ce dialogue n’a pas encore eu lieu.

M. Thierry Guerrero. Je suis totalement d’accord avec mes collègues de GendXXI, j’ajouterai simplement que le sujet des retraites devrait être abordé, de façon impérative, sous l’angle statutaire et non selon une approche par mission. Un raccourci est alors trop souvent fait avec nos collègues de la police nationale. Or, si des missions paraissent identiques – nous ne les effectuons pas de la même manière –, d’autres sont d’ordre militaire.

M. Cédric Bouveret, vice-président de Gendarmes et Citoyens. Dans le calcul de notre retraite, des bonifications, notamment outre-mer, sont prises en compte. Or M. Delevoye, lors de ses déplacements, parle non pas de bonifications outre-mer, mais de « dépaysement ». Or, l’outre-mer n’est en aucun cas un dépaysement pour la gendarmerie nationale ; nous y effectuons des missions dangereuses. Nous avons besoin de garder ce système de calcul de bonifications, qui sont liées aux risques encourus sur le terrain.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Messieurs, vous avez évoqué le manque de moyens des gendarmes départementaux, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre. Vous avez également cité la suppression de quinze escadrons.

Si un arbitrage budgétaire devait être fait, conviendrait-il d’équiper les gendarmes départementaux d’équipements plus appropriés ou de créer des escadrons, capables d’intervenir – je pense aux manifestations qui se déroulent depuis seize semaines ?

Par ailleurs, vaut-il mieux créer de nouveaux escadrons, ou de nouveaux pelotons au sein des escadrons existants ?

M. Ludovic Lacipière, vice-président de Gendarmes et Citoyens. Très clairement, nous avons besoin, aujourd’hui, d’escadrons. En effet, les cinquièmes pelotons, qui ont créé 500 équivalents temps plein (ETP), vont être réinjectés dans les escadrons à quatre pelotons. Aujourd’hui, pour les missions de maintien et de rétablissement de l’ordre, trois pelotons sont engagés. Il n’y a donc aucune utilité à créer des pelotons dans des escadrons. En revanche, nous avons besoin de plus d’escadrons.

S’agissant des moyens, la gendarmerie mobile renforce régulièrement les gendarmes départementaux. Des unités de gendarmes départementaux ont été confrontées, ces derniers mois, à du maintien de l’ordre, alors même qu’elles ne disposent pas des équipements nécessaires. Il serait donc bon d’équiper certaines unités qui doivent couvrir des points particuliers dans leur circonscription.

Cependant, les escadrons manquent cruellement de moyens, et la crise des gilets jaunes l’a démontré. Les gendarmes sont sur-employés depuis 2017 ; en 2018, les escadrons ont clairement été mis à l’épreuve avec les manifestations de Notre-Dame-des-Landes ; les outre-mer se sont enflammés à tour de rôle : crise des « 500 Frères » en Guyane, crise sociale à Mayotte, référendum en Nouvelle Calédonie – qui s’est plutôt bien passé. Mais nous manquons cruellement, à la fois d’escadrons et de moyens. Nous évoquerons certainement les lanceurs de balles de défense (LBD) ; il n’y en a que quatre par escadrons.

M. Thierry Guerrero. Nous devons trouver un équilibre entre la nécessité de mieux équiper les gendarmes départementaux et créer des escadrons – il n’est bien entendu pas question d’en créer quinze.

De nombreux gendarmes départementaux sont issus de la gendarmerie mobile et sont compétents pour assurer le maintien de l’ordre. Ils n’en font pas, car ils sont ni équipés ni structurés pour, mais ils savent le faire. Si certaines unités de gendarmerie départementales disposaient d’équipements de maintien de l’ordre, elles pourraient aider la gendarmerie mobile dans des situations d’urgence. Un équilibre est à trouver.

M. Frédéric Le Louette. Il est effectivement nécessaire de créer des escadrons, notamment pour nous permettre de tourner dans les missions et éviter un mécanisme routinier – onze semaines, par exemple, à couvrir les manifestations des gilets jaunes.

Ensuite, la création d’escadrons serait une plus-value à la fois pour la police et la gendarmerie, puisque, en outre-mer, les escadrons sont également engagés en zone de police – les compagnies républicaines de sécurité (CRS) ne se déployant pas outre-mer.

S’agissant des équipements des gendarmes départementaux, le coût ne serait pas énorme, puisqu’il ne s’agit pas d’équiper chaque gendarme départemental. De plus, nous tenons à ce que le maintien de l’ordre reste une mission spécifique, nécessitant une formation spécifique, notamment pour apprendre à faire usage de la force de façon parfaitement proportionnée.

M. Cédric Bouveret. Je suis favorable également au fait d’équiper les unités de gendarmes départementaux pour répondre, dans l’urgence, à une situation de maintien de l’ordre. Mais n’oublions pas que les véhicules de patrouille ne sont pas encore équipés pour contrer une menace terroriste – ils ne sont pas équipés, par exemple, de gilets pare-balles lourds.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous sommes bien d’accord, la mission première d’un gendarme départemental n’est pas le maintien de l’ordre.

Si nous raisonnons par compagnie, selon vous, quel pourcentage d’équipement serait nécessaire ?

 M. Frédéric Le Louette. Il est très difficile de répondre à cette question, car tout dépend du terrain, de la menace à laquelle nous devons faire face, etc. Chaque compagnie, chaque groupement de gendarmerie mobile a des besoins spécifiques en fonction de son lieu d’implantation. Avec 30 % d’équipements supplémentaires pour les militaires des unités départementales, nous serions largement dans les clous.

M. Thierry Guerrero. Je suis d’accord, équiper un peloton, soit 25-30 personnes, me semble effectivement judicieux.

M. Jean-Pierre Bleuzet, vice-président de GendXXI. En cas d’attentats terroristes, les brigades territoriales ne sont équipées que de deux casques lourds et de deux gilets pare-balles lourds ; soit deux équipements pour les primo intervenants.

M. Frédéric Le Louette. Il serait nécessaire de disposer d’un lot qui soit disponible rapidement et non éclaté dans chaque brigade.

M. Cédric Bouveret. Pour ma part, je sers en peloton motorisé – un métier de sécurité routière. Nous sommes tous les jours sur le terrain. C’est d’ailleurs un peloton motorisé qui est intervenu le premier dans le supermarché, heureusement que les gendarmes étaient équipés. Parce que les unités de sécurité routière, en temps normal, ne sont pas équipées pour contrer la menace terroriste.

M. Rémi Delatte. Messieurs, je vous remercie de votre présentation, à la fois très claire et qui nous alerte sur les moyens qui font défaut au sein de la gendarmerie. Il ne s’agit pas d’une situation nouvelle, c’est malheureusement le résultat d’un manque de financements depuis de trop longues années. Cependant, eu égard à la situation que nous traversons depuis quelque temps, nous nous devons de réagir. Je vous félicite également pour votre capacité à vous adapter, malgré le manque de moyens et de personnels.

Quelles seraient, selon vous, les priorités en matière de financement à venir, sachant que nous ne pourrons pas corriger la trajectoire très rapidement ? Devons-nous investir, en priorité, sur les moyens humains, les équipements individuels, le logement ?

Par ailleurs, le malaise que vous exprimez, et que nous sentons partout en France, a-t-il un impact délétère sur le recrutement en gendarmerie ?

M. Thierry Guerrero. La priorité, selon moi, est la suppression, chaque année, des mises en réserve de crédits ; c’est insupportable. Cela empêche toute planification de budget de manière sereine et oblige la direction générale, et notamment le directeur général, à faire des choix draconiens à des moments qui ne sont pas judicieux.

Nous avons pu constater l’effet pervers de cette mise en réserve ; le directeur général a été obligé de faire le choix d’arrêter de payer les indemnités de déplacement des gendarmes mobiles ainsi que le salaire des réservistes. C’est insupportable, d’autant que cela dure depuis des années.

S’agissant des équipements, la priorité est le logement. Hier, mes camarades du groupe de liaison ont été entendus sur ce sujet. De par notre statut, nous vivons en caserne avec nos familles ; le logement est donc primordial. Un militaire qui vit confortablement avec sa famille ira travailler dans de bonnes conditions.

Concernant l’impact des problèmes que rencontre la gendarmerie sur le recrutement, je ne puis vous répondre. Je puis simplement vous dire que les jeunes camarades qui viennent de commencer, pour être en relation avec eux, ne semblent pas inquiets.

M. Frédéric Le Louette. Pour nous, l’humain est essentiel ; l’humain est ce qui permet de faire vivre la maison Gendarmerie. Or, nous n’avons toujours pas récupéré de la RGPP – c’est-à-dire la perte de quinze escadrons. Il est indispensable d’augmenter nos effectifs.

Bien entendu, nous avons des besoins très importants en équipements, non seulement pour notre protection, mais également en ce qui concerne les véhicules, qui sont dans un état proche du pitoyable.

Par ailleurs, il est vrai que la gendarmerie rencontre aujourd’hui des difficultés à recruter. Des réflexions sont actuellement menées pour déterminer comment faire rester les gendarmes adjoints volontaires (GAV) plus longtemps au sein de la gendarmerie – et ainsi, faire des économies.

Outre le recrutement, nous devons nous poser la question de savoir comment garder nos camarades qui sont fatigués et usés par ce métier qui, même s’il est passionnant, est très prenant et perturbe beaucoup l’équilibre familial.

M. David Ramos. Concernant l’impact sur le recrutement, je ne pense pas qu’il soit important – mais je ne dispose pas de chiffres récents. Néanmoins, les jeunes ont des interrogations, nous nous en rendons compte notamment lors des salons organisés pour rencontrer les candidats. De nombreuses personnes portant un intérêt à la carrière de gendarme sont sensibles à l’évolution des conditions dans lesquelles le métier est exercé, au statut…

Même si un grand nombre de personnes sont tout à fait en phase avec l’esprit de la gendarmerie, ont envie de s’engager, de donner un sens à ce métier, elles s’interrogent sur les réformes des retraites qui se succèdent depuis de nombreuses années, sur le volume des effectifs, sur les problématiques connues s’agissant du matériel et du logement ; elles s’interrogent sur l’avenir. Le choix qu’elles feront en s’engageant ne risque-t-il pas de devenir problématique dans cinq, dix ou quinze ans ? C’est la raison pour laquelle l’impact sur le recrutement ne doit pas être uniquement mesuré à l’instant T, à l’aune de quelques mesures qui pourraient être prises, mais sur une durée beaucoup plus longue, de façon à anticiper le risque de la prise de décision.

M. Cédric Bouveret. La gendarmerie est une force humaine, l’immobilier doit être une priorité – je le répète, nous vivons en caserne avec nos familles. En Côte-d’Or, certaines zones sont non attractives et les brigades sont en sous-effectifs. Le père de famille, le gradé ne souhaite pas y habiter, les logements ne réunissant pas les conditions de confort, de salubrité et de sécurité.

M. Jean-Pierre Bleuzet. Nous devons également tenir compte du fait que les mentalités changent. Les jeunes qui rejoignent la gendarmerie ne s’engagent, parfois, que pour cinq, six ou sept ans – quinze ans au maximum – alors qu’à mon époque nous nous engagions pour trente ans. Ce changement de mentalité ne doit pas être négligé.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Il s’agit là d’une évolution sociétale. Il en va de même pour tous les métiers – c’est la mentalité de la « génération Z ».

Mme Nicole Trisse. Je vous remercie, messieurs, pour vos propos éclairants.

Je suis tout à fait d’accord avec vous, l’immobilier joue un rôle important dans le mental du gendarme. Je plaiderai pour que cette question soit traitée en urgence.

 

S’agissant de la retraite, je comprends bien que ce sujet soit anxiogène, mais je sais aussi que M. Delevoye et un groupe de réflexion sont en train de décortiquer tous les régimes de retraite, toutes les spécificités. Sachez que M. Delevoye sait parfaitement que vous bénéficiez d’un statut particulier. Cela ne veut pas dire pour autant que vous serez lésés dans la prochaine réforme.

Vous avez évoqué la nécessité de renforcer la sécurité des gendarmes. S’agit-il d’une question uniquement d’équipements ou également d’organisation, afin, par exemple, que vous ne soyez pas toujours en première ligne et donc particulièrement exposés aux violences ?

Par ailleurs, de quel ordre est le retard du renouvellement du parc automobile ?

Enfin, que pensez-vous de la polémique autour des LBD ?

M. Thierry Guerrero. Pour Gendarmes et Citoyens, le débat autour des LBD est un faux débat. Vouloir interdire les LBD est une hérésie ; c’est comme vouloir interdire les voitures parce qu’il y a des morts sur la route.

La gendarmerie est très peu concernée par les incidents causés par les LBD, notre doctrine d’emploi étant totalement différente – nous avons la même que celle de nos camarades CRS. Les incidents ont été provoqués par des policiers qui ne les utilisent jamais car ils ne sont pas formés au maintien de l’ordre ; je pense aux brigades anti-criminalité (BAC). Les CRS et les gendarmes mobiles ont une doctrine d’emploi des LBD stricte et réglementée ; aucun problème n’est à déplorer.

Mme Nicole Trisse. Il s’agit donc, selon vous, uniquement d’un problème de formation ?

M. Thierry Guerrero. Oui. En gendarmerie, nous n’avons jamais eu à déplorer un quelconque incident.

M. Frédéric Le Louette. La formation d’un gendarme est primordiale. S’agissant du LBD, il doit non seulement connaître les situations dans lesquelles il a le droit de tirer, mais il doit également s’entraîner à se servir de cette arme.

La gendarmerie a mis en place, depuis quelques années, un système de binômes. Outre la situation de légitime défense, un gendarme n’a pas le droit de tirer seul, de façon spontanée. Un superviseur accompagne toujours le tireur ; il donne le commandement de tirer. Ce système a l’avantage d’éviter les coups de sang, les coups non réglementaires. Le superviseur encadre le tireur et lui ainsi permet d’avoir une vision beaucoup plus périphérique des choses. C’est la raison pour laquelle, la gendarmerie n’est pas impactée par les incidents provoqués par les LBD.

Concernant l’intégrité physique des gendarmes, elle est bien entendu parfois menacée – d’autant que les manifestations sont de plus en plus violentes. C’est pourquoi ils doivent disposer d’un l’équipement adéquat.

D’abord, pour un bon maintien de l’ordre, l’effet de nombre est important. Plus l’impact au sol est important, mieux les gendarmes sont protégés. Ensuite, un bon équipement nous permet de ne pas utiliser la force. En effet, lorsque vous subissez un dommage, votre réaction est plus vive. Un bon équipement, non seulement nous protège, mais permet de faire redescendre l’intensité des rapports de force et nous permet de mieux justifier notre action.

Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, nous passons notre temps à justifier chaque tir, chaque décision. Si c’est le job des associations, ce n’est pas celui du gendarme de terrain. Justifier en permanence ses décisions est usant psychologiquement, pour le gendarme de terrain.

S’agissant du parc automobile, je n’ai pas le détail, mais les véhicules ont en moyenne six ans, certaines sont même au bout du bout. Nous avons dû sortir nos véhicules blindés à roues, qui sont clairement à bout de souffle. Ils sont tellement peu modernes, qu’un gendarme au sol doit les guider – ce qui va à l’encontre de l’usage même de ce véhicule qui est censé protéger ses occupants.

Il est urgent de remplacer nos véhicules qui arrivent tous en fin de course.

M. Thierry Guerrero. Il me semble que 3 000 véhicules sont censés être renouvelés tous les ans, et que seuls 1 700 le sont.

M. Frédéric Le Louette. Nous sommes obligés d’attendre le déblocage de la mise en réserve pour toucher l’argent nécessaire à la commande de véhicules. Les véhicules prévus, pour 2019, par exemple, ne seront livrés qu’en 2020.

M. David Ramos. La moyenne d’âge des véhicules de la gendarmerie s’établit à un peu plus de sept ans. Il s’agit des chiffres que nous avions pour notre audition au Sénat dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2019.

M. Jean-Louis Thiériot. Messieurs, je vous remercie pour vos réponses précises.

Ma première question concerne le statut militaire, auquel, nous le savons bien, vous êtes attachés. Cette présence militaire, et les valeurs qu’elle véhicule, notamment dans les territoires ruraux, sont très importantes.

La dimension de l’institution est-elle un facteur de motivation pour les jeunes qui s’engagent ? Vous avez évoqué le chiffre de 40 000 gendarmes qui pourraient partir en retraite. Certains d’entre eux vont certainement se reconvertir dans le secteur de la sécurité privée – au sens large. Une reconversion qui pourrait nous faire perdre un grand nombre de personnels.

Ma deuxième question est relative au logement. Nous y sommes tous sensibles, sachez-le. Constatez-vous une différence entre les logements domaniaux, des organismes publics d’habitations à loyer modéré (HLM) et ceux des collectivités locales ? Le fait de vivre en caserne est-il un frein à l’engagement des jeunes ? Cette vie en caserne pose-t-elle des problèmes dans la vie de famille ?

Troisièmement, vos collègues policiers évoquent régulièrement des problèmes de réseau radio – et s’arrangent avec des téléphones portables. Êtes-vous confrontés à ce genre de difficulté ?

Enfin, dans mon département, en zone rurale, les habitants se plaignent des conducteurs de quads qui font n’importe quoi. La gendarmerie dispose-t-elle d’équipements qui pourraient mettre un frein à ce fléau ?

M. Cédric Bouveret. Des différences de traitement existent bien suivant le gérant du parc immobilier – domanial, HLM, collectivités locales. Le logement domanial est clairement le parent pauvre de l’immobilier en gendarmerie. Durant des années, aucun budget n’était prévu pour l’entretien. Certaines collectivités locales, quant à elles, font des efforts pour construire de nouvelles casernes et pour bien les entretenir. Il s’agit vraiment d’une question de personne. Beaucoup de gendarmes, basés dans des zones non attractives ou logés dans des casernes vétustes, font le choix de loger leur famille dans une résidence, à proximité de la caserne.

Concernant les liaisons radio, alors même que j’habite dans la Nièvre, je n’ai aucun problème.

Enfin, concernant les quads, la gendarmerie dispose de motos tout-terrain, pour lesquelles la formation a été abandonnée – j’ai fait la dernière, en 2011. Nous manquons de motos autant que de véhicules.

M. Frédéric Le Louette. Nous sommes des militaires dans l’âme, nous avons foi en notre métier. Comme les anciens, les jeunes gendarmes croient en leur mission. Le statut militaire demande beaucoup de sérieux, mais impose également beaucoup de contraintes. Les jeunes l’acceptent tout en espérant une retraite qui les récompensera de cet engagement.

D’ici à cinq ans, 55 000 militaires de la gendarmerie devront être formés. Entre-temps, nous craignons que les anciens ne prennent leur retraite et que moins de jeunes que prévu ne s’engagent. Le secteur de la sécurité privée est en pleine expansion et les militaires n’ont pas de mal à se reconvertir. Nous devons absolument retenir nos anciens en leur assurant qu’ils ont encore de beaux jours devant eux.

S’agissant de la vie en caserne, elle peut être une contrainte – nous sommes parfois un peu trop les uns sur les autres – mais elle est aussi une chance. Certains préconisent de séparer la vie professionnelle de la vie privée, mais la sécurité de nos familles est primordiale. En effet, nos familles sont de plus en plus attaquées, insultées, malmenées. Vivre en caserne nous permet de les protéger.

Enfin, concernant les liaisons radio, le système Rubis est efficace, je pense même qu’il est plus efficace que le système de la police. Maintenant, pour le maintien de l’ordre, nous manquons effectivement de radios. Pour être vraiment efficaces, il conviendrait d’augmenter le nombre de radios pour que chaque gendarme, sur le terrain, entende les informations.

M. Ludovic Lacipière. Les radios portatives dont dispose un escadron sont très limitées en nombre et vieillissantes. Nous nous retrouvons souvent, en situation de maintien de l’ordre en milieu difficile, complètement sourds ; les ordres nous sont alors hurlés.

Les radios font partie du matériel qui nous manque cruellement. Tous les gendarmes devraient pouvoir entendre les ordres et les transmettre.

M. Jean-Claude Bouchet. Messieurs, je vous remercie pour vos interventions.

Je souhaiterais savoir si vos deux associations représentent les 100 000 gendarmes que compte la France ?

S’agissant des équipements, il conviendrait de distinguer ce qui est normal de ce qui ne l’est pas. Peut-on qualifier de situation normale le maintien de l’ordre que vous assurez tous les samedis, depuis le mois de novembre ? Devez-vous disposer de matériel adapté à ces mouvements, ou ceux-ci sont-ils exceptionnels ?

Permettez-moi de faire une comparaison, sans doute un peu tirée par les cheveux. Il ne tombe quasiment jamais de neige sur la commune dont j’ai été le maire ; nous n’avons donc pas de chasse-neige. Mais quand la neige tombe, nous connaissons de grosses perturbations. Devons-nous, ou non, acheter un chasse-neige pour les années exceptionnelles ? Je suis désolé de cette comparaison qui ne prend pas en compte le facteur humain et la dangerosité de votre métier. 

En ce qui vous concerne, peut-être devrions-nous déterminer, d’une part, le matériel qui vous manque pour effectuer les missions, que je qualifierais de « normales », et, d’autre part, le matériel utilisé en temps de crise.

Vous avez indiqué que les véhicules avaient, en moyenne, sept ans. J’ai travaillé, dans le transport routier. Un véhicule de sept ans était un véhicule assez récent. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Thierry Guerrero. Concernant la représentativité, nous ne sommes pas, selon la loi, représentatifs, le décret de 2015 et la loi de 2016 nous imposant des quotas dans chaque catégorie de personnels que nous n’avons pas atteints.

De la même façon que GendXXI, nous rencontrons des difficultés à recruter des gendarmes adjoints. Il s’agit de personnel tournant qui, de fait, ne voit pas la nécessité de s’investir dans une association.

Cependant, si nous ne sommes pas représentatifs légalement, nos deux associations disposent de supports numériques, de réseaux sociaux – le gendarme est connecté comme tous les citoyens. Nous pouvons ainsi constater que nombreux sont les gendarmes qui nous suivent et participent, notamment en remontant des informations en direct – que nous transmettons à la direction générale. La page Facebook de Gendarmes et Citoyens, par exemple, compte 60 000 abonnés – et tous ne sont pas gendarmes.

M. David Ramos. Contrairement à d’autres associations représentatives, et il est important de le préciser, nous ne sommes pas dans un mécanisme d’élections professionnelles.

Par ailleurs, nous avons l’obligation de fournir la liste de nos adhérents, afin de vérifier qu’ils ne sont pas adhérents à deux APNM – en raison des règles de représentativité. Or, du point de vue psychologique, cette transparence est gênante ; la liberté de parole, au sein de la défense, est un sujet délicat. Certains ne veulent pas prendre le risque de voir leur nom circuler.

M. Thierry Guerrero. S’agissant des équipements, nous devons effectivement séparer le matériel du quotidien du matériel que nous n’utilisons que dans des situations exceptionnelles.

Nous n’avons pas de poids lourds ; ce sont des véhicules légers. Or la gendarmerie départementale couvre 95 % du territoire. Non seulement nos véhicules tournent 20 heures sur 24, mais ils sont conduits par différents gendarmes. Un véhicule léger qui a roulé 350 000 kilomètres en 6 ans pose un problème. D’autant qu’il s’agit de véhicules classiques qui ne sont pas prévus spécialement pour la gendarmerie. Par exemple, l’armement que nous avons autour de la ceinture use très rapidement les sièges.

Notre force, c’est aussi l’anticipation. C’est la raison pour laquelle nous devons posséder tout un éventail de matériel pour réagir à ce qui n’est pas prévisible. Alors vous parlez de situations exceptionnelles, nous nous préférons dire « au cas où ». Posséder du matériel nécessaire pour le maintien de l’ordre – pour une trentaine de gendarmes départementaux – qui serait à disposition au niveau des compagnies, me semblerait cohérent. Détenir un équipement pour des situations exceptionnelles me semble nécessaire.

M. Frédéric Le Louette. J’ajouterai que nous avons un devoir de service public. La gendarmerie doit disposer de tous les moyens nécessaires à son bon fonctionnement, notamment en cas de crise. Alors même si certains équipements sont peu employés, je ne pense pas que l’État puisse faire l’impasse et se passer d’une capacité de réponse si cruciale dans les moments de crise.

Mme Sandrine Josso. Messieurs, je sais que votre porte-parole est une femme. Nous avons parlé de la représentativité, or aucune femme n’est présente aujourd’hui. Par ailleurs, selon mes informations, les femmes mettent fin à leur carrière, dans la gendarmerie, plus rapidement que les hommes ; pourquoi ?

Enfin, je suis élue d’une circonscription touristique, qui accueille, l’été, un grand nombre de vacanciers. Avez-vous des besoins particuliers pour cette période ?

M. Thierry Guerrero. De nombreuses femmes sont impliquées dans notre association. Ce n’est que pur hasard si aucune d’elle n’est présente ce matin. La question des femmes dans la gendarmerie ne fait plus débat depuis bien longtemps.

M. Frédéric Le Louette. Il est plus compliqué pour une femme de s’impliquer que pour un homme, simplement parce que, même si le monde a changé, les femmes portent toujours le poids de la famille et, de fait, disposent de moins de temps qu’un homme pour s’impliquer dans une activité bénévole.

Concernant les vacances et l’afflux de populations, encore une fois, ce sont les escadrons de gendarmerie mobile qui participent aux renforts saisonniers. Malheureusement, cette année, la gendarmerie ne sera peut-être pas en capacité de fournir des renforts. Elle n’en a plus les moyens, d’autant que l’année 2019 est riche en événements, puisque différents sommets, notamment des G7, auront lieu cet été.

Heureusement, nos réservistes, une fois encore, renforceront les zones estivales. J’insiste sur l’importance des réservistes. Nous en avons besoin. Malheureusement, la réserve sera, moins engagée que les années précédentes, pour des raisons budgétaires.

M. Thierry Guerrero. Je fais partie d’une brigade territoriale en Gironde, je suis donc impacté, tous les ans, par l’arrivée des vacanciers.

Il est vrai que les escadrons de gendarmerie mobile ne pourront pas, cette année, fournir autant d’hommes que les années précédentes. Nous ferons appel à des réservistes et à des gendarmes départementaux issus des brigades locales pour renforcer ces postes provisoires. Nous avons exposé le problème à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et suggéré que les postes provisoires soient occupés uniquement par des réservistes, anciens gendarmes, à qui l’on maintiendrait leur habilitation d’officier de police judiciaire (OPJ) afin de ne pas faire appel aux gendarmes départementaux et de garder une capacité opérationnelle dans les brigades territoriales.

La direction se heurte au ministère de la Justice qui est dubitatif quant à l’opportunité de laisser à des réservistes leur habilitation de police judiciaire. Pourtant, un gendarme qui part en retraite après trente-cinq ans de carrière, part avec toutes ses compétences. Et celui qui a commandé une brigade durant trente ans est tout à fait en capacité de commander un poste provisoire, armé uniquement de réservistes.

M. Frédéric Le Louette. J’y vois pour ma part un problème juridique : le port d’arme. Il me semble compliqué de poster des OPJ réservistes, qui seront contrôlés par un officier ou un sous-officier d’active.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, vos propositions sont intéressantes, il conviendra de les affiner.

Mme Brigitte Kuster. Existe-t-il des différences territoriales concernant les investissements, en particulier dans l’immobilier ? Si oui, quelles seraient vos recommandations pour établir des critères qui obligeraient toutes les collectivités, en vue d’une meilleure égalité de traitement ?

Constatez-vous une différence dans les demandes des préfets, s’agissant de vos missions – notamment pour assurer le maintien de l’ordre lors des manifestations ?

M. Cédric Bouveret. Concernant l’immobilier, je ne dis pas que la responsabilité repose uniquement sur les élus. Certes, pour le logement domanial, un budget est nécessaire, et l’entretien des casernes coûte cher. Il est vrai aussi que des organismes HLM ne font aucun effort pour mettre le parc immobilier à niveau.

Quels pourraient être les critères ? Eh bien, les critères communément acquis pour tout locataire, à savoir, par exemple, isoler le bâtiment dès lors que les locataires paient 270 euros de chauffage électrique par mois ! Le gendarme aspire, comme tout citoyen, à un peu de confort, de salubrité et de sécurité. Pourtant nos demandes se heurtent, parfois à un élu, une autre fois à un organisme ou encore à une collectivité.

Alors quel moyen de pression pourrait utiliser un gendarme sur une collectivité territoriale ou un organisme HLM pour qu’elle ou qu’il engage des travaux ? Une solution serait de geler les loyers, en les déposant à la Caisse des dépôts et consignations, jusqu’à ce que les travaux soient effectués. Personne ne l’a jamais fait, je ne sais pas si la procédure est simple.

La caserne communale dans laquelle j’habite a une trentaine d’années, et personne n’y a jamais effectué de travaux. Récemment, nos élus s’y sont engagés ; des travaux d’isolation devraient donc commencer cet été.

M. Frédéric Le Louette. Les problèmes que rencontrent les gendarmes en matière de logement sont différents selon les régions. Nous n’avons pas évoqué le logement outre-mer, mais c’est un vrai problème. Nous avons des solutions, mais elles nécessitent un budget. Les difficultés sont remontées par la hiérarchie, qui les connaît parfaitement, puisqu’ils les subissent avec nous.

S’agissant des préfets et de leurs engagements, nous n’avons, globalement, pas de problèmes avec eux, les choses se passent plutôt bien. Les procédures sont respectées et le dialogue est constant.

En revanche, en matière judiciaire, la situation est plus tendue. Les process sont différents selon les parquets, ce qui crée de grosses tensions.

M. Rémi Delatte. La réserve opérationnelle est une force émergente tout à fait intéressante. Vous nous dites, messieurs, qu’elle sera moins mobilisée cette année, ce qui, selon moi, est une erreur, puisqu’il s’agit d’une variable d’ajustement précieuse.

La formation des réservistes opérationnels vous paraît-elle suffisante, notamment pour ceux qui ne sont pas d’anciens gendarmes ?

M. Thierry Guerrero. J’ai un avis mitigé quant à la formation initiale des réservistes. Je la trouve trop courte et pas suffisamment axée sur le volet professionnel mais d’une façon générale, elle est satisfaisante.

M. David Ramos. Depuis la fin du service militaire obligatoire, la plupart des jeunes qui suivent la préparation militaire gendarmerie (PMG) n’ont aucune notion du monde militaire. Or, au cours de la formation, nous leur inculquons le savoir-faire mais également le savoir-être – point très important. Outre la formation continue et les contacts avec les unités, nous comptons aussi beaucoup sur les échanges entre réservistes.

Aujourd’hui, la formation est satisfaisante, mais elle pourrait être plus complète, aller plus loin – je pense à la formation d’agent de police judiciaire adjoint (APJA). Mais s’agissant du socle « sécurité publique générale » (SPG), les retours sont satisfaisants ; il permet effectivement de renforcer la sécurité publique générale.

M. Frédéric Le Louette. En ce qui concerne l’aspect budgétaire, l’effectif des réservistes était de quelque 2 000 réservistes jour en 2018 ; ils seront de 1 500 cette année. Nous allons donc être obligés, si nous voulons en bénéficier cet été, de bloquer leur emploi sur certaines zones et sur certains mois plus creux.

Les réservistes ont réalisé, en 2018, un effort impressionnant. Bien que sachant qu’ils ne seraient pas payés avant le mois de janvier ou février, ils ont répondu présents. Si, pour un réserviste retraité qui perçoit une retraite, c’est difficile, pour un jeune qui n’a que cette activité pour vivre, c’est un vrai sacrifice. Nous pouvons vraiment leur rendre hommage de servir la gendarmerie et les citoyens.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Aragon affirmait « la femme est l’avenir de l’homme ». Peut-être sera-t-elle également l’avenir de la police et de la gendarmerie. Nous disposons, ainsi d’une marge de manœuvre importante et intéressante, en termes de recrutement.

S’agissant de la mise en réserve, je souhaiterais vous informer, en tant que rapporteur du budget de la police et de la gendarmerie, que le gel budgétaire est passé de 8 % à 3 % ; la mise en réserve a donc, elle aussi, suivi cette baisse.

Cependant, tant au niveau de la gendarmerie que de la police, des marges de manœuvre sont gérées par les directions elles-mêmes. Ces mises en réserve sont ensuite dégelées. Une mise en réserve de la gendarmerie a été dégelée en début d’année pour acheter des véhicules.

En ce qui concerne le LBD, ils sont beaucoup moins utilisés par les gendarmes mobiles et les CRS – qui travaillent en blocs – que par les unités mobiles de la police nationale, qui vont au contact assez rapidement et qui sont en infériorité numérique. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils possèdent des LBD. Bien évidemment, cela n’écarte pas le fait qu’ils doivent suivre des formations complémentaires.

Vous n’avez pas évoqué le temps de travail et la coupure de onze heures qui n’est pas toujours respectée. Où en sommes-nous s’agissant de la directive européenne ? Est-elle appliquée, sachant qu’au niveau des armées – et non pas uniquement de la gendarmerie nationale – cette question est problématique ?

Par ailleurs, vous n’avez pas parlé de la procédure pénale. Or elle pose aujourd’hui des problèmes majeurs, avec des mouvements d’officiers de police judiciaire – en police comme en gendarmerie. Y a-t-il, en termes de procédure pénale, un problème particulier ou est-il moins prégnant que pour vos collègues de la police nationale ?

Enfin, vos associations ont-elles réfléchi, sachant que sont rattachées au ministère de l’intérieur une force de police mais aussi une force de gendarmerie, à une meilleure coordination qui permettrait de moins mobiliser des fonctionnaires ou des militaires sur des missions redondantes ou sur des unités redondantes ?

Nous avons évoqué, hier, la plateforme d’appel police-gendarmerie dans les départements. Cette idée, que nous trouvons intéressante, a été rejetée à la fois par la police et la gendarmerie. Pourquoi avons-nous un tel décalage entre ce que pensent les uns et les autres ?

M. Frédéric Le Louette. Je ne peux que saluer la baisse de la mise en réserve gouvernementale, elle va nous permettre de disposer d’un budget plus juste. Cependant, nous ne devons pas négliger le fait que, depuis cette année, s’ajoute une réserve ministérielle, soit deux mises en réserve au lieu d’une. Nous avons bon espoir, cela dit, que la mise en réserve ministérielle soit plus rapidement dégelée.

Nous ne pouvons pas reprocher à nos chefs leur gestion prudente. Nous l’avons vu avec les mouvements des Gilets jaunes qui ont fortement impacté le pays ; sans ces crédits réservés, nous aurions été encore davantage en difficulté.

Les LBD sont, en effet, moins utilisés par les gendarmes mobiles et les CRS. Mais il me semble que nous négligeons un paramètre : les pelotons d’intervention de la gendarmerie (PSIG) sont parfaitement efficaces pour interpeller les fauteurs de troubles. Or ils sont très peu mobilisés, les responsables préférant faire appel aux BAC et autres unités mobiles. Pourtant, nos pelotons d’intervention sont bien mieux équipés que les BAC – qui ne disposent pas, par ailleurs, d’uniformes leur permettant d’être distinguées.

M. Thierry Guerrero. S’agissant de l’utilisation des LBD, je rappellerai que les PSIG possèdent 665 LBD classés « violences de type urbain ». Nos PSIG sont donc bien équipés de LBD, mais cela ne veut pas dire qu’ils les utilisent de façon déraisonnable. Il me semble important de souligner, au contraire, que la culture des armes, la culture militaire – que le personnel des BAC n’a pas – permet aux gendarmes de bien gérer l’utilisation de leurs armes.

M. Frédéric Le Louette. S’agissant du temps de travail, suite aux actions menées par GendXXI, le directeur général de la gendarmerie nationale a abrogé l’instruction 1000/GEND/DOE/SDSPSR/SP, au motif qu’elle n’était pas en tout point conforme à la directive européenne sur le temps de travail. Nous avons été sévèrement critiqués, certains allant même jusqu’à affirmer que la gendarmerie se mettait en difficulté. Or, en pratique, tout se passe très bien. Je connais peu de gendarmes de terrain, aujourd’hui, qui souhaiteraient revenir à la situation antérieure.

Un gendarme, à titre individuel, ne peut être disponible 24 heures sur 24 ; c’est la Gendarmerie qui est disponible jour et nuit. Comme tout citoyen, un gendarme a droit à des repos, des congés ou des arrêts maladie. Or nous tenons à ce que ces droits soient préservés ; le statut militaire n’empêche pas la fatigue des personnels.

Les discussions sur la directive se poursuivent ; les armées vont elles aussi devoir y réfléchir. Mais la gendarmerie a eu l’occasion, avec les événements de ces derniers mois – les mouvements des Gilets jaunes et l’ouragan Irma – d’expérimenter un système de fonctionnement plus souple qui donne de très bons résultats.

M. David Ramos. Concernant la procédure pénale, la gendarmerie est impactée, au même titre que d’autres services d’enquêtes judiciaires, par la baisse de candidatures et d’attractivité de la fonction d’OPJ. Vous n’ignorez pas que cette défiance à l’égard de la fonction d’OPJ est liée à des responsabilités toujours plus importantes et à une complexité de la procédure pénale qui va grandissante.

La loi de simplification a apporté des clarifications intéressantes. Il conviendra d’en juger les effets, à long terme, sur les articles du code de procédure pénale qui ont été modifiés. Concernant l’exercice au quotidien, nous suivons avec intérêt les travaux lancés par Mme la ministre de la Justice, en janvier 2018, sur la question de la dématérialisation.

S’il était nécessaire d’alléger le code de procédure pénale pour fluidifier le déroulement des enquêtes, la gestion administrative – la « paperasse » – devrait faire l’objet de la dématérialisation. Le tout-dématérialisé permettra de fluidifier le flux de travail des enquêteurs, la liaison avec les magistrats ou d’autres services d’enquêtes, et pourrait ainsi entraîner des économies d’échelle.

Il reste encore, selon nous, des axes d’amélioration à explorer, tels que l’oralisation. Des garanties devront être prévues, notamment pour l’exercice du droit de la défense : comment évaluer la synthèse si elle est discutée par la défense ? Qui sera chargé de réécouter les bandes, de procéder à l’examen visant à s’assurer de la validité de la synthèse ?

La modification de la procédure pénale semble se dérouler dans une dynamique positive, suivant un axe d’effort qu’il convient de maintenir : en définissant les avantages réels et concrets des nouveaux textes, mais aussi des technologies qui seront incluses dans le flux de travail de la procédure pénale, à la fois du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Justice.

M. Cédric Bouveret. Concernant la charge procédurale, quelque 300 propositions ont été présentées par la gendarmerie dans le cadre de la réforme pénale ; une trentaine a été retenue.

De nouvelles mesures fonctionnent parfaitement sur le terrain, telles que le traitement en temps réel des procédures pénales – le mail nous évite de passer une demi-heure au téléphone – ou la possibilité donnée aux magistrats de se déplacer dans les unités pour traiter les procédures rapidement – les classer ou apporter une réponse pénale.

Cependant, le gendarme de terrain se heurte régulièrement à des circulaires locales allant à l’encontre des circulaires de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

M. Frédéric Le Louette. S’agissant d’une potentielle réorganisation, GendXXI n’a aucun de tabou. Nous discutons de tout avec les syndicats que nous rencontrons régulièrement. Cependant, nous devons être prudents, car ce ne sont pas aux citoyens d’en payer le prix.

Concernant une réorganisation interne de la Gendarmerie, nos pistes vont dans le sens d’une organisation territoriale qui préserve le maillage de la gendarmerie ; nous devons, par exemple, éviter un regroupement trop important des casernes qui laisserait des zones blanches ou des zones dans lesquelles nous ne pourrions pas intervenir rapidement.

La Cour des comptes a proposé, voici quelques mois, de porter de 20 000 à 50 000 habitants la limite de classement des communes en zone de gendarmerie.

Une des difficultés, concernant la mutualisation avec la police, vient de l’organisation même de la police, qui nous semble compliquée – beaucoup de directions, beaucoup de chefs. La gendarmerie est organisée sur le modèle militaire : un chef, une mission et des moyens.

Enfin, la plateforme d’appel paraît séduisante sur le papier, mais elle ne prend pas en compte la connaissance du terrain, la connaissance de la population qu’ont nos experts du Centre d’opérations et du renseignement de la gendarmerie (CORG). Nous craignons, avec une telle mutualisation, de perdre cette expertise qui nous permet de réagir de façon rapide et proportionnée – pour la sécurité de nos concitoyens.

M. Cédric Bouveret. En effet, le CORG n’est pas uniquement une plateforme. Il s’agit d’une unité spécialisée de la gendarmerie qui conduit les opérations lors d’une intervention et qui fait du renseignement. Une mutualisation avec la police ne nous paraît pas souhaitable.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je comprends ce que vous dites, le Centre d’information et de commandement (CIC) a la même fonction. Et un policier me tiendra les mêmes propos que vous : une personne spécialisée qui a une connaissance du terrain et de la population, et qui fait du renseignement. Il est cependant légitime que le législateur s’interroge sur l’opportunité de garder deux salles de commandement dans un département, alors même que nous avons un problème d’effectifs.

S’agissant des PSIG, sont-ils intervenus lors des mouvements des gilets jaunes, en milieu urbain ?

M. Thierry Guerrero. Oui, bien sûr. Ils étaient même en première ligne. La mission des PSIG est de prolonger et de renforcer la surveillance des zones sensibles. Comme ils patrouillent jour et nuit, ils arrivent très souvent les premiers.

M. David Ramos. Concernant les gilets Jaunes, s’il a pu y avoir, au début du mouvement, un flou dans la réponse à apporter, il a très vite été décidé de sécuriser les bâtiments publics en zone de police. L’ensemble des forces publiques, police et gendarmerie, ont donc été mobilisées. Sur certaines zones, où les tensions se sont manifestées rapidement, les PSIG ont dû faire usage de moyens de force intermédiaires mais la sécurisation a été efficace.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant la plateforme, nous avons bien compris que, dans un souci de confidentialité notamment, le numéro unique ne pourrait pas être celui des pompiers ou du SAMU. Nous parlons ici d’un numéro unique pour nos forces de sécurité – gendarmerie nationale, police nationale.

Quel échelon serait, selon vous, le plus cohérent : département, ancienne région ou grande région ?

Par ailleurs, comment est vécue au quotidien la pluralité des fichiers, des programmes, des logiciels ? Leur nombre est très important. N’y aurait-il pas un intérêt à les réduire et à les regrouper, en vue d’une coopération ? Je pense notamment au traitement de la procédure pénale.

Enfin, que pensez-vous de l’utilisation de marqueurs dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, afin d’appréhender plus facilement les fauteurs de troubles ?

M. Ludovic Lacipière. Effectivement, les marqueurs sont très utiles pour interpeller les fauteurs de troubles. S’agissant du mouvement des gilets jaunes, le rétablissement de l’ordre a lieu dans les grandes villes, donc en zones police. Ce qui signifie qu’un escadron qui marquerait quatre ou cinq meneurs lors une manifestation, en vue d’une interpellation et d’une remise à l’OPJ territorialement compétent, devra détacher une dizaine de ses hommes pour accompagner les personnes interpellées au commissariat. L’empreinte au sol de l’escadron sera alors nettement diminuée et il se retrouvera en situation de fragilité.

Marquer des manifestants fauteurs de troubles est une idée intéressante en zone de gendarmerie.

M. Thierry Guerrero. S’agissant de la plateforme, l’échelon départemental nous semble cohérent. Par ailleurs, cette plateforme devra être limitée à la police et à la gendarmerie, pour une raison évidente de confidentialité.

M. Jean-Pierre Bleuzet. Je souhaiterais insister sur la qualité de la connaissance du terrain qu’ont les gendarmes. D’ailleurs, les militaires qui rejoignent ensuite les renseignements généraux (RG) ont effectué leur carrière sur le terrain. Les problématiques rencontrées se gèrent différemment d’un territoire à l’autre.

Je rappellerai également que des plateformes sont parfois créées – police et gendarmerie – pour une opération spécifique. Un braquage qui a été commis en zone police, mais qui se poursuit en zone gendarmerie, pousse ces deux forces à travailler ensemble, à mutualiser leurs moyens.

M. Thierry Guerrero. Je travaille en brigade territoriale, je « subis » donc au quotidien la procédure pénale.

Si la dématérialisation fluidifiera le flux de travail et permettra au magistrat de prendre une décision plus rapidement, se posera toujours la question des tâches indues, à savoir les pièces parquet, qui sont très chronophages et qui devraient être traitées en amont, par les parquets – s’ils en avaient les moyens.

De même, nous devons gérer de nombreuses convocations auxquelles les intéressés ne se sont pas présentés. Nous devons aller les chercher, mais cela peut prendre une semaine ou deux – les gens travaillent ou sont absents… Durant tout ce temps, nous ne faisons rien d’autres.

La forfaitisation des délits simples les plus courants est une mesure qui a été bien accueillie. Nous attendons les décrets d’application.

Le traitement en temps réel est, suivant les parquets, problématique. En Gironde, par exemple, pour obtenir une décision relative à une enquête préliminaire – je ne parle pas d’une enquête de flagrant délit, où une ligne téléphonique est dédiée –, il m’est déjà arrivé de rester 45 minutes au téléphone à attendre qu’un magistrat me réponde. Si nous n’avons pas le temps d’attendre, nous envoyons un courrier et la décision nous revient trois mois après.

Des efforts doivent être réalisés par le ministère de la justice, et des moyens doivent être alloués aux parquets, notamment pour répondre rapidement aux forces de police et de gendarmerie lorsqu’elles effectuent du traitement en temps réel.

M. David Ramos. S’agissant de la pluralité des logiciels, j’imagine que vous faisiez allusion au programme d’aide à la rédaction de la procédure. Des convergences sont possibles, bien évidemment. L’objectif reste le même, mais nous disposons des modèles très différents. Je reste néanmoins attentif à des considérations plus technologiques. L’architecture entre un commissariat et une brigade de gendarmerie départementale n’est pas la même ; les contraintes techniques et les capacités de réseaux locaux, non plus.

La gendarmerie a développé un outil, le logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN), taillé pour les contraintes spécifiques à la gendarmerie, qu’il s’agisse des bases de données ou des logiciels. Depuis des années, pour des raisons d’économie, la gendarmerie a complètement abandonné les licences Windows : 12 millions d’euros par an sont économisés grâce au basculement des postes de travail sous Linux. Toute une série d’outils ont été adaptés à Linux, pour dégager de la marge de manœuvre et réaffecter ces crédits sur des postes plus importants.

Alors, oui, il existe des convergences, une plus-value peut-être apportée, la gendarmerie ayant réalisé un travail remarquable sur la numérisation depuis de nombreuses années. En revanche, faire un copier-coller me paraît difficile, en raison des contraintes liées au fonctionnement d’un commissariat et d’une gendarmerie départementale.

M. Thierry Guerrero. Pour que cela fonctionne, il conviendrait d’uniformiser la formation, ce qui me paraît très compliqué. Nous ne travaillons pas du tout de la même façon.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Et pourtant, le code pénal et le code de procédure pénale sont les mêmes pour tout le monde !

Je vous remercie, messieurs, pour votre contribution très intéressante. Je vous remercie également pour votre engagement quotidien, si précieux pour notre pays.

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  Audition du 21 mars 2019

Audition de l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), représentée par M. Thomas Nesle, président, M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de la police, vice-président, Mme Audrey George, brigadier-chef et M. Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité ; le syndicat France Police-Policiers en colère, représenté par M. Michel Thooris, secrétaire général, et M. Éric Roman, secrétaire national

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions en recevant ce matin l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI), ainsi que le syndicat France police-Policiers en colère.

Avant de commencer cette réunion, je voudrais, au nom de tous mes collègues, saluer l’engagement des forces de l’ordre, présentes sur le terrain depuis dix-huit semaines et confrontées à des faits de violence d’une extrême gravité, comme nous avons pu le déplorer samedi dernier. Nous saluons les policiers et les gendarmes qui ont été blessés durant ces mouvements. Nous avons également une pensée émue pour tous les policiers et gendarmes qui ont commis un acte désespéré en se donnant la mort.

Avant de commencer notre réunion, je rappelle que conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Madame, messieurs, je souhaiterais en savoir plus sur les élections qui se sont déroulées au mois de décembre et pour lesquelles le syndicat France Police-Policiers en colère a recueilli 3,12 % des voix, tandis que l’UPNI ne s’est pas présentée. Pouvez-vous nous parler du contexte de ces élections et en analyser les résultats ? Ensuite, mes questions porteront principalement sur les conditions de travail, l’immobilier et les équipements – notamment dans le cadre du maintien de l’ordre.

M. Michel Thooris, secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère. Mesdames et messieurs les députés, je suis le secrétaire général du syndicat France Police-Policiers en colère, et je suis accompagné d’Éric Roman, secrétaire national du syndicat, en charge, en tant que capitaine de police, de la branche « officiers ». Je suis pour ma part, brigadier de police, officier de police judiciaire.

Des élections professionnelles se sont déroulées du 30 novembre au 6 décembre 2018. Plusieurs scrutins se sont tenus, le plus important étant celui du comité technique ministériel (CTM), qui regroupe l’ensemble des personnels du ministère de l’Intérieur, qu’ils soient actifs ou sédentaires. Le corps électoral comptait quelque 185 000 électeurs et le taux de participation a été de plus de 80 %. Le syndicat France Police-Policiers en colère, organisation indépendante, non affiliée à une confédération ou une fédération, a recueilli un peu plus de 4 500 voix, soit 3,12 %.

Depuis, la validité de ces élections professionnelles a été attaquée devant le tribunal administratif (TA) par plusieurs organisations syndicales, un grand nombre d’irrégularités ayant été constatées. Je vous citerai par exemple la mise en place d’un vote électronique pour lequel les syndicats majoritaires ont récupéré les codes et votés pour leurs collègues, ou encore la distribution de chèques-cadeaux durant la campagne électorale. Tous ces faits ont été portés à la connaissance du juge administratif et nous attendons sa décision.

Notre syndicat qui est indépendant et autonome – nous ne percevons aucune subvention de l’État, alors qu’Alliance Police nationale, par exemple, touche 400 000 euros –, s’est tout de même positionné devant la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la Confédération générale du travail (CGT), la Fédération syndicale unitaire (FSU) et l’Union syndicale Solidaires SUD. Nous considérons donc, même si nous ne pensons que 3,12 %, avoir remporté un certain succès, compte tenu du contexte très particulier de la police nationale et des méthodes employées par les syndicats majoritaires, très puissants sur le plan à financier et humain. Notre syndicat ne dispose que de 3,17 équivalents temps plein (ETP) contre plusieurs centaines pour les syndicats majoritaires.

M. Thomas Nesle, président de l’Union des policiers nationaux indépendants (UPNI). Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir dans le cadre de cette commission et, ainsi, de donner la parole aux policiers de terrain que nous sommes, afin de nous permettre de contribuer à l'amélioration de l’exercice de notre profession, de manière pragmatique et constructive.

L’UPNI est une union d'associations et de collectifs informels, apolitique et hors syndicat. Je suis accompagné de Mme Audrey George, policière exerçant en investigation, de M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, policier en charge de la formation à Clermont-Ferrand et de M. Dominique Brancher, CRS en poste à Dijon. Je suis pour ma part en poste à la brigade anticriminalité (BAC) départementale de banlieue.

Nous souhaitons, tout d'abord, comme vous l’avez fait, monsieur le président, rendre hommage aux nombreux policiers qui se sont suicidés : trente-cinq policiers se sont donné la mort l’année dernière, et une vingtaine déjà depuis le 1er janvier 2018. Nous pensons également à nos camarades gendarmes, dont des collègues qui se sont également suicidés. Ce constat terrible se répète chaque année.

Nous avons, enfin, une pensée pour tous nos collègues blessés et morts en service, ainsi que pour leurs familles qui sont durement touchées.

Notre constat est clair : la police nationale doit, non plus être réformée, mais transformée, même si nous assistons, depuis quelques années, à une modernisation de certains de nos moyens, ce qui, nous l'espérons, n'est qu'un début.

Cette transformation est nécessaire, mais elle doit se faire après consultation de la base et de manière participative, afin que chacun d'entre nous retrouve ce sentiment d'appartenance, cet esprit de corps qui disparaît année après année.

Les réformes précédentes ont, pour la plupart, échoué, pour la simple raison qu’elles ont été impulsées par des carriéristes en bonne place dans les hautes sphères de notre ministère, qui avaient une vision parcellaire et court-termiste, empêchant ainsi l'évolution et l'anticipation des besoins.

Elles ont pu aussi être maladroitement orientées par une hiérarchie qui embellissait la réalité du terrain, soit lors de visites dans nos locaux, refaits la semaine précédente afin d’exposer des matériels neufs qui repartaient le lendemain, soit en vantant une efficacité accrue au vu d'une statistique en baisse, comme les cambriolages, biaisée par une adroite pirouette qui transforme, par exemple, la tentative de vol par effraction en dégradation de biens privés.

Nous avons listé différents facteurs qui nous paraissent jouer un rôle majeur dans le malaise policier que nous vivons actuellement. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive : manque d'effectifs ; moyens insuffisants ou inadaptés par manque de concertation ; cycles inadaptés rendant la vie sociale difficile ; lourdeurs et complexités procédurales dues aux réformes réalisées sans tenir compte des demandes des exécutants ; carriérisme hiérarchique et syndical oubliant l'esprit de corps et poussant à l'individualisme, que les différentes réformes internes ont accentué, notamment par l'obligation de mobilité des officiers et des patrons ; clientélisme syndical, concernant notamment les mutations et les évolutions professionnelles en interne ; perte de sens, la justice mettant parfois deux ans pour juger un individu, ou rendant des décisions remettant notre parole en cause bien que nous soyons assermentés et que nous rédigeons des procès-verbaux engageant notre responsabilité – par exemple dans le cas de cambrioleurs que nous avons interpellés – ; manque de courage de la hiérarchie qui ne veut pas de vagues ; sentiment d’abandon par le peu de retours positifs de notre action quotidienne, que ce soit en interne ou en externe ; manque d'espaces de convivialité, les cafétérias et les restaurants administratifs ferment les uns après les autres, les amicales ayant, quant à elles, disparu depuis des années ; réactions politiques contraires à la morale ; traitement médiatique à charge et souvent à sens unique.

Nous avons le sentiment d’être seuls contre tous. Nous vous demandons de sanctuariser notre profession et de nous protéger. Les individus qui portent atteinte à notre intégrité physique doivent être punis fermement, systématiquement et sans aménagement de peine. Il y a urgence, car sachez qu’après nous ils s’attaqueront à vous.

Il est temps de rétablir les valeurs qui ont fait notre force et de veiller à la logique de sanctions. Plus largement, il conviendrait de sanctuariser d’autres professions et de les protéger ; je pense aux urgentistes, aux pompiers et aux agents de l’administration pénitentiaire, que nous côtoyons régulièrement et qui sont, eux aussi, de plus en plus exposés.

Vous nous définissez comme les garants de la démocratie, le dernier rempart, alors même que personne de notre institution, même pas un responsable communication, ne nous défend lorsque nous – ou l'institution – sommes jetés en pâture et traînés dans la boue par les médias.

Certes, il s’agit aussi du rôle des syndicats. Malheureusement, lorsqu’ils interviennent, ils se présentent en civil, ce qui atténue l’impact de leur intervention. Or la symbolique est importante.

Personne ne s'intéresse concrètement à la question du suicide dans notre profession ; personne ne veut redonner du sens à ce beau métier que nous exerçons, le plus souvent, par vocation ; personne ne s'attache à régler les causes, plus complexes, plutôt que les conséquences. L’heure est grave car le temps, chez nous, c'est de l'humain.

Constamment soumis à une pression très importante, depuis plusieurs années maintenant, du fait d’attentats meurtriers et de tensions sociales inédites, ce sont de sérénité, de cohérence et surtout de respect dont les policiers de ce pays ont besoin.

Pour exercer notre métier, nous exposons nos familles et notre intégrité physique régulièrement, jusqu'à sacrifier nos vies. Nous avons choisi de servir notre pays avec les risques que ce métier comporte, et nous en sommes fiers.

Nous nous présentons devant vous, aujourd'hui, car nous voulons mieux servir notre pays, donner un avenir meilleur à nos enfants et faire en sorte que la nation des droits de l'homme devienne aussi le pays de l'homme droit, pour mieux vivre ensemble.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Messieurs, je vous remercie.

Vous avez reconnu la modernisation de certains de vos moyens ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

De même, vous avez évoqué l’échec de plusieurs réformes ; quelles sont les réformes qui ont échoué ?

Vous jugez les effectifs insuffisants – et c’est bien ce que nous entendons souvent –, alors qu’un ratio police-gendarmerie au niveau national démontre que la France est l’un des pays les plus dotés en policiers et en gendarmes : 3,7 pour 1 000 habitants, loin devant le Royaume-Uni par exemple. Devons-nous recruter ou envisager des réformes visant à supprimer les doublons et à remettre des effectifs sur la voie publique ?

S’agissant des cycles, j’imagine que vous vouliez évoquer la vacation forte ; pouvez-vous nous en dire davantage ?

Vous avez également évoqué des « réactions politiques contraires à la morale » ; à quoi pensez-vous exactement ? 

M. Thomas Nesle. S’agissant de la modernisation de nos moyens, je puis vous citer le nouvel équipement opérationnel (NEOPOL) de la police nationale, dont je suis doté, et qui est une avancée non négligeable qui nous simplifie la vie au quotidien. Certes, il est perfectible, mais il est cohérent et utile. Dans le cadre de la lutte contre les attentats, nous avons été dotés d’armes et d’équipements lourds qui ont été bien pensés, contrairement à l’aménagement des véhicules qui pourraient être mieux équipés.

Concernant les effectifs, il est vrai que nous sommes parfois nombreux mais comme nous sommes très mal utilisés, nous perdons en efficience. Je ne vous citerai qu’un exemple : l’importance des tâches administratives contraint un grand nombre d’agents à rester dans les locaux, alors que nous en aurions besoin sur la voie publique.

En évoquant des « réactions politiques contraires à la morale », je pensais à M. Guéant qui a été condamné pour avoir puisé dans une enveloppe destinée aux frais d’enquête et à la surveillance des policiers, et à notre ancien Président de la République qui s’était rendu au chevet d’un individu blessé par une action de police – nous le déplorons, bien évidemment – et pas à celui de nos collègues de Viry-Chatillon, gravement brûlés.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Tous nos collègues ne connaissent pas la notion de « vacation forte ». Pouvez-vous nous l’expliquer ?

M. Thomas Nesle. La vacation forte consiste à créer une quatrième brigade qui viendrait chevaucher les trois premières, qui tournent selon le principe des 3 fois 8 – pour assurer une présence 24 heures sur 24 sur la voie publique –, le mercredi et le vendredi, afin que les fonctionnaires puissent bénéficier d’un mercredi et d’un week-end sur deux de repos, repos nécessaire à leur vie sociale.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Les policiers nous disent qu’ils n’ont actuellement qu’un week-end de repos sur six.

M. Thomas Nesle. Oui, sur un cycle de quatre jours de travail et deux jours de repos.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Un cycle qui permet à la police d’être présente sur la voie publique 24 heures sur 24, 365 jours par an. Cette vacation forte a déjà été testée dans différents commissariats, et vous en demandez la généralisation. Elle vous permettrait d’avoir plus de week-ends libérés et donc une vie de famille.

M. Thomas Nesle. Tout à fait. Et quand je parlais « d’utiliser mieux » les agents, je pensais aux jours où l’on faisait jouer au foot la police de proximité avec des individus des quartiers, pour « acheter » la paix sociale. Cela n’a pas fonctionné. Nous souhaitons donc que les effectifs de terrain soient consultés pour élaborer des plans cohérents et efficaces.

M. Laurent Gbenoukpo Houndegla, brigadier de police, vice-président de l’UPNI. La plupart des réformes qui ont été réalisées dans la police nationale, comme la création de la police de proximité, ont été décidées par des hauts fonctionnaires et le ministre en place, en toute bonne foi. L’erreur, c’est que personne n’en attend les effets, chacun voulant faire sa propre réforme, de sorte qu’il est à craindre que, comme pour la police de proximité, on n’attende pas les effets de la vacation forte avant de passer à autre chose.

Or, la vacation forte permettrait, non seulement d’aménager des week-ends avec des cycles plus humains, mais également, grâce au chevauchement des brigades, de suivre des formations. Parce que nous le savons tous, dans la police, quand les responsables veulent plus de fonctionnaires sur la voie publique ou gagner en opérationnalité, ils prennent sur le temps de formation des agents. On se tire alors une balle dans le pied, car il n’est pas recommandé de mettre des agents sur la voie publique sans les former – aux matériels, aux techniques à employer… Sans formation, les agents sont moins efficaces.

M. Michel Thooris. Évidemment, les cycles horaires sont importants, et aujourd’hui le cycle de la vacation forte est celui qui conviendrait le mieux à nos collègues de la voie publique. Sa mise en place nécessiterait 20 % d’effectifs supplémentaires – à recruter ou à sortir des bureaux.

Cependant, les nombreux suicides ne sont pas uniquement liés au rythme de travail. La difficulté de notre métier, c’est la confrontation permanente avec la criminalité, la délinquance et la mort, mais également un sentiment d’abandon – plus personne ne soutient les policiers.

La hiérarchie de la police nationale est très carriériste. Le système qui a été mis en place, que ce soit chez les officiers ou chez les commissaires, ne fonctionne qu’avec des chiffres, des statistiques et des résultats. Or la police nationale n’est pas une entreprise qui doit produire des dividendes ; elle est là pour répondre à une situation bien précise à un instant T. La voie que la police nationale a empruntée depuis une vingtaine d’années a totalement oublié le cœur de notre métier.

Nos collègues ont le sentiment de travailler pour rien. Certains, dans les services judiciaires, ont jusqu’à 500 dossiers à traiter ! Comment voulez-vous qu’un policier gère 500 dossiers judiciaires ! Ce n’est pas possible. Alors, ils choisissent les trois ou quatre affaires qu’ils estiment être les plus importantes et laissent les autres jusqu’à leur prescription.

Par ailleurs, lorsque les services de la police judiciaire (PJ) montent de belles affaires et qu’elles sont renvoyées par la justice, aucune sanction n’est appliquée. Loin de moi l’idée de faire du « magistrat bashing » : je suis parfaitement conscient des difficultés que rencontre la justice, notamment du fait que le parc carcéral est totalement saturé. De sorte que les magistrats, qui ne peuvent plus mettre toutes les personnes jugées coupables en prison, prennent, lorsqu’ils jugent X affaires par jour, une mesure ferme uniquement à l’encontre de l’affaire qu’ils jugent être la plus grave – même si toutes les affaires sont graves.

Notre organisation syndicale porte des revendications sociales, mais surtout sociétales. Les conditions de travail des policiers ne pourront pas être améliorées sans une série de réformes sociétales. Or ces réformes passent notamment par une réponse judiciaire adaptée. Nous militons pour l’arrêt des confusions de peines et pour le passage à un cumul de peines – un individu arrêté a commis, en général, plusieurs infractions –, qui permettrait de prononcer des sanctions plus adaptées. Nous souhaitons également un accroissement important du parc carcéral pour que les réponses pénales soient adaptées.

Par ailleurs, une réforme de l’ordonnance de 1945, relative à l’enfance délinquante, est nécessaire. Aujourd’hui, nos services sont saturés par les infractions commises par les mineurs délinquants, auxquelles la justice ne peut apporter aucune réponse. Le mineur est envoyé dans un centre, qui le laisse sortir le jour même.

De plus, la réforme de la légitime défense qui a été mise en place n’en est pas une. En effet, cette réforme a maintenu deux notions qui sont sujettes à toutes les interprétations jurisprudentielles possibles : d’une part, la notion d’absolue nécessité, et d’autre part, la notion de stricte proportionnalité. Ces deux notions abstraites permettent au juge d’interpréter les faits de la façon qu’il le souhaite de sorte que les collègues sont dans une situation d’insécurité juridique. Cette insécurité les amène à prendre le risque, nous l’avons vu lors des mouvements des gilets jaunes et à Grenoble, d’y laisser leur vie plutôt que de se défendre.

Toutes ces réformes sont extrêmement importantes et urgentes. Faire du social, disposer de plus beaux véhicules et de locaux, bénéficier d’une augmentation de salaire, c’est bien. Mais ce que nous demandons en urgence, ce sont des réformes qui mettent un terme aux agressions contre nos collègues, afin qu’ils puissent rentrer chez eux en sécurité, sans craindre de se faire immoler ou assassiner.

Vous êtes des députés et vous avez la possibilité de transformer la loi ; les 130 000 policiers actifs attendent des réformes urgentes pour mieux travailler. Des réformes que vous serez obligés de conduire si vous ne souhaitez pas que le pays sombre dans le chaos. Car, comme l’avait dit M. Gérard Collomb, le ministère de l’intérieur sortant, aujourd’hui deux France s’affrontent. Dans certains quartiers la police n’a même plus accès ; 600 quartiers sont aujourd’hui perdus. Ce sont des gangs de narcotrafiquants qui en ont pris le contrôle. De même, des gangs sont en train d’infiltrer les politiques, notamment dans des petites communes, via la politique des grands frères.

Si l’État ne réagit pas, le pays va sombrer, car sera mis en place un système à la sud-américaine, avec une corruption endémique chez les politiques comme dans la police ; ce sera la loi du plus fort qui régnera. J’attire vraiment votre attention sur ces questions qui sont tout aussi essentielles que les questions budgétaires.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous n’avez pas indiqué le nombre d’adhérents que comptent vos organisations ; pouvez-vous nous le préciser ?

Monsieur Nesle, vous avez insisté sur le fait que personne ne soutenait la police. D’abord, il ne faut pas faire de généralités, et puis « tout ce qui est excessif est insignifiant ». Vous ne devez pas être sans savoir qu’un grand nombre de personnes, à commencer par les élus, soutiennent quotidiennement les forces de l’ordre – police et gendarmerie.

Concernant l’ordonnance de 1945, le Gouvernement souhaite la réformer et, effectivement, les policiers et les gendarmes que j’ai rencontrés dans ma circonscription s’interrogent sur ce texte. Selon vous, que devrons-nous modifier pour répondre au problème que posent les mineurs, dans le respect des droits de l’homme, bien entendu, et sans oublier que ce sont, justement, des mineurs ?

Monsieur Thooris, vous êtes auditionnés par la commission d’enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité qui, comme son intitulé l’indique, balaie un spectre assez large. Une commission d’enquête du Sénat a déjà rendu un rapport sur la crise constatée au sein des forces de l’ordre et le taux élevé de suicides. Notre commission d’enquête se veut pragmatique et s’intéressera aux missions et aux moyens des forces de l’ordre. En effet, quand les moyens sont satisfaisants et que les missions sont conformes au métier que vous exercez, un mieux-vivre s’installe qui est favorable à tout le monde.

Concernant les équipements, quels sont les manques que vous identifiez en matière d’équipements individuels des personnels – des CRS et des policiers de la voie publique ? Les équipements actuels sont-ils adaptés aux nouvelles menaces, notamment en matière de terrorisme et de maintien de l’ordre – je pense bien entendu aux manifestations de plus en plus violentes que nous vivons depuis plusieurs semaines ?

Par ailleurs, quel est votre avis sur l’état du parc immobilier de la police nationale – notamment pour les CRS ? Le plan d’investissement triennal annoncé par le ministre de l’Intérieur est-il à la hauteur de vos ambitions ?

Mme Audrey George, brigadier-chef, membre de l’UPNI. Mesdames et messieurs les députés, je suis officier de police judiciaire et je travaille depuis quatorze ans dans les quartiers Nord de Marseille.

L’ordonnance de 1945 protège les mineurs en les considérant comme des victimes. Dans les faits, certains mineurs sont très agressifs, voire dangereux ; ils sont un véritable fléau pour les citoyens. Or la réponse policière, face à ces mineurs, n’est plus adaptée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Que faudrait-il changer à l’ordonnance de 1945, selon vous, pour mieux sanctionner les mineurs délinquants ?

Mme Audrey George. Nous avons besoin de réponses plus fermes de la part de la justice, les mineurs n’étant pas tous des victimes. La maison d’arrêt pour mineurs de Marseille compte très peu de places, ce n’est pas suffisant, d’autant que nous avons des exemples de réinsertion réussis, car nous les accompagnons ; tout un volet social et éducatif leur est destiné.

Une action doit également être menée en amont, à l’école, et auprès des familles, afin de redonner du sens à leur vie, leur expliquer les règles de la vie en société. J’ai affaire à des jeunes de 16 ans qui ne savent ni lire ni écrire, ni même nouer leurs lacets. Il y a donc une réponse autre que policière à apporter, et ce n’est pas à nous de le faire : notre rôle est d’appliquer la loi et de les amener devant la justice.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je comprends bien pourquoi vous remettez en cause l’ordonnance de 1945, mais nous devons pouvoir apporter des propositions concrètes.

M. Michel Thooris. Nous estimons, pour notre part, que les mineurs de 16 à 18 ans doivent passer sous le régime du droit commun – les 13-15 ans restant sous le régime dérogatoire. Aujourd’hui, des jeunes de 16 ans sont de vrais adultes, déterminés et violents. Ils doivent être traités comme des adultes, car la société a évolué et il ne s’agit plus des mêmes jeunes qu’il y a trois ou quatre générations. Si la réponse pénale n’est pas adaptée à ces mineurs, ils s’endurcissent et quand ils deviennent majeurs, nous nous retrouvons face à des caïds.

Par ailleurs, nous « usons » nos gardes à vue qui ne servent à rien, car plus un jeune passe du temps entre les mains du judiciaire, plus il connaît le système et nos techniques d’investigation, et moins nous sommes efficaces. Sur des jeunes de 18-20 ans qui ont déjà fait X gardes à vue quand ils étaient mineurs, nos techniques policières pour parvenir à la « manifestation de la vérité » n’ont plus aucune efficacité. La victime ne récupère jamais ses affaires et le mineur n’est jamais sanctionné.

M. Laurent Gbenoukpo Houndegla. Une procédure engagée contre un mineur est la procédure la plus chronophage qui soit ! Un OPJ qui met un mineur en garde à vue ne commencera l’enquête, la première audition, qu’au dixième procès-verbal ; les deux premières heures de l’enquête ne sont qu’administratives. Ces deux heures de tâches administratives sont deux heures d’enquête perdues ou deux heures de voie publique en moins.

Par ailleurs, je souhaitais rappeler que la France est l’État européen qui attribue le moins d’argent à la justice. Les conséquences du manque de suivi judiciaire sont importantes.

Nous le savons, les prisons sont saturées, et nous ne pouvons pas accuser la magistrature de ne pas faire son travail, les magistrats français étant moins nombreux que leurs collègues européens.

Pour ce qui est de la police, vous l’avez indiqué, monsieur le président, il y a davantage de policiers en France que dans les autres pays européens – par rapport à la population. Mais la France est aussi le pays le plus étendu de l’Europe de l’Ouest et celui qui compte le plus de communes – 36 000. De plus, de nombreuses tâches occupent les policiers et les gendarmes alors qu’elles ne sont pas de leur ressort. Il existe une occupation structurelle du temps de la police qui est incompressible et qui est une réelle perte de temps.

S’agissant du regard que pose la société sur la police, j’ai lu dans l’excellente revue de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), qu’aujourd’hui, 60 % à 70 % de la population âgée de plus de 14 ans a une bonne image de l’action judiciaire de la police. Mais ce chiffre est inversé pour ce qui est de la justice. Il existe donc un gros problème, celui de la chaîne police-justice, qui n’est pas réglé.

M. Éric Roman, secrétaire national du syndicat France police-Policiers en colère. S’agissant des équipements, sachez que les détachements d’action rapide et de dissuasion (DARD), créés pour intervenir lors des mouvements des Gilets jaunes à Paris, n’ont reçu aucun équipement spécifique. Je suis présent tous les samedis à Paris pour soutenir les collègues et faire un retour des événements, j’ai donc pu constater que certains d’entre eux avaient leur propre casque de moto pour se protéger.

Les DARD ont été créés dans l’urgence et la plus grande majorité des personnels n’a suivi aucune formation ; seuls 10 % du personnel ont suivi une formation d’une demi-journée consistant à regarder le formateur lancer une grenade.

Concernant l’immobilier, je travaille au commissariat du 4e arrondissement de Paris, et nous avons des souris jusqu’au deuxième étage. À la troisième direction de la police judiciaire (DPJ) du 14e arrondissement de Paris, l’eau de pluie traverse l’immeuble, finissant au second sous-sol, mouillant tous les fils électriques à tous les étages.

M. Thomas Nesle. Effectivement, lorsque nous avons été envoyés en tant que DARD sur Paris, l’administration ne nous a fourni ni coquille, ni de masque de protection pour les yeux – simplement des lunettes prises au stand de tir. Nous avons dû nous équiper avec nos propres moyens. Par ailleurs, aucun panier à repas n’était prévu, malgré les seize heures de vacations continues que nous avons assurées les premiers week-ends.

Enfin, si certains de nos équipements sont adaptés aux menaces terroristes, les véhicules ne le sont pas. La BAC est le couteau suisse de la police nationale, nous devons assurer sur tous les fronts : anticriminalité, antiterrorisme… Cela nécessite beaucoup d’équipements pour nos petits véhicules. Nous avons donc besoin d’un véhicule ressource qui contiendrait tous nos équipements et nous rejoindrait sur le théâtre des opérations.

Lorsque nous sommes quatre fonctionnaires dans un véhicule, nous ne pouvons prendre que deux gilets lourds et notre fusil G36 qui est au fond du coffre, sécurisé avec un cadenas à un code – c’est-à-dire inatteignable.

M. Michel Thooris. Les policiers ne veulent plus de leur tenue de service général, qui est totalement inadaptée aux missions de police. Nous militons pour une tenue d’hiver de maintien de l’ordre traditionnelle, identique à celle des CRS – ignifugée –, et une tenue légère pour l’été, dans l’esprit de celle des gendarmes. En effet, si nous devons intervenir avec nos tenues actuelles – courir, maintenir un individu au sol –, c’est juste catastrophique.

J’attire également votre attention sur le fait que la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI), sous prétexte qu’il existe une protection fonctionnelle, rejette systématiquement les demandes des agents. Or, rien n’interdit un fonctionnaire de saisir un juge administratif pour obtenir la protection fonctionnelle et dans le même temps percevoir une indemnisation de la CIVI.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Ces problèmes sont, bien entendu, importants et ne pourront pas tous être retenus par notre commission, certains n’étant pas de sa compétence. Je vous propose donc d’en faire la liste et de nous l’envoyer, de manière à ce que nous les transmettions à qui de droit.

Mme Nicole Trisse. Monsieur Nesle, vous avez dénoncé le clientélisme en cours dans la police. Pourriez-vous être plus précis ? Et avez-vous des solutions pour l’éviter ?

Concernant le nombre de suicides et de tentatives de suicide des policiers, une manifestation était organisée le 12 mars à Paris, notamment par les femmes de policiers. Avez-vous pu vous entretenir avec le ministère depuis cet appel à manifestation ? Que préconisez-vous pour améliorer la prévention des risques psychosociaux dans votre profession ?

Enfin, en décembre dernier, le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, M. Nuñez, confirmait que les discussions avec les syndicats sur le retard de paiement des heures supplémentaires devaient aboutir à la définition d’un calendrier pour le versement de quelque 274 millions d’euros. Avez-vous des informations sur ce sujet – connaissez-vous le calendrier ?

M. Laurent Gbenoukpo Houndegla. S’agissant du clientélisme syndical, nous en revenons à une question récurrente : la somme d’intérêts particuliers peut-elle être cohérente avec l’intérêt général ? La réponse est non. Quand un délégué syndical siège en commission, il a tout intérêt à attribuer un poste à une personne qui a voté pour lui et qui a adhéré à son syndicat plutôt qu’à une personne dont la compétence serait un plus pour le service et donc pour l’administration. Le clientélisme syndical est très proche du clientélisme politique.

Concernant les risques psychosociaux, il nous a été promis que la vague de suicides dans la police nationale serait enrayée, que nous serions reçus et écoutés. Nous avons à déplorer 35 suicides en 2018, nous en sommes à une vingtaine depuis le début de l’année ; pensez-vous que cette vague de suicide ait été enrayée ? Pensez-vous que des psychologues ont été envoyés dans les commissariats pour soutenir les agents ?

Pensez-vous par ailleurs que des psychologues assistent aux concours afin de détecter les individus les plus fragiles ? Non. Les candidats étant peu nombreux – la police ne fait plus rêver –, les recruteurs ne sont pas regardants sur les individus recrutés.

Les effectifs ne sont pas renforcés, les policiers sont de plus en plus fragiles, les mouvements sociaux depuis dix-huit semaines et la couverture médiatique de toutes les supposées bavures, qui ne seront jamais démenties par les médias, contribuent à une mise sous pression de chaque fonctionnaire. Une pression qui n’a pas de soupape : aucun débriefing, aucun soutien, aucune prévention des risques psychosociaux.

M. Thomas Nesle. Et pour répondre à votre question, madame la députée, non, nous n’avons pas été reçus par le ministre depuis l’appel du 12 mars.

M. Dominique Brancher, gardien de la paix en service à la compagnie républicaine de sécurité (CRS) 40. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la question des suicides dans la police nationale me soulève le cœur. Nous devons absolument penser accompagnement et soutien en proposant des initiatives, et notamment une protection médico-psychosociale. D’autant que la police nationale dispose de professionnels – assistantes sociales, psychologues, médecins du travail, professionnels qui doivent absolument bénéficier d’une formation continue.

Je puis témoigner en tant que CRS. Ce qui nous manque, c’est bien d’être accompagnés, assistés sur le plan de la protection juridictionnelle et soutenus quand nous sommes blessés. Un collègue a eu un accident de moto, mais personne ne l’accompagne, au motif qu’il n’y avait pas d’auteur d’infraction ; il est seul pour gérer sa situation. Notre directeur est le seul à prendre de ses nouvelles et à essayer de faire avancer son dossier.

S’agissant des équipements, le gilet tactique nous sert de protection, en maintien de l’ordre. Comme vous pouvez le constater, c’est un peu juste pour faire du maintien de l’ordre – quelques poches pour les grenades, des lunettes tactiques, des petites protections pour les épaules. Voilà ce qui fait office de protection, en 2019 ! Si jamais vous pouviez faire quelque chose, mesdames et messieurs les députés, pour que l’on nous attribue de véritables gilets de protection, nous vous en serions reconnaissants.

M. Michel Thooris. Concernant le clientélisme, nous sommes les premiers à dénoncer la mainmise des syndicats de police sur la carrière des fonctionnaires. Au sein de la police nationale, c’est quasiment un système mafieux – et je pèse mes mots – qui a été mis en place par les syndicats. Vous ne pouvez plus, aujourd’hui, si vous n’êtes pas syndiqué dans un syndicat représentatif, obtenir votre grade. Même si vous réussissez vos examens pour devenir brigadier-chef, si vous n’êtes pas soutenu par un syndicat, vous pouvez attendre des années pour changer de grade.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, nous avons bien compris que vous n’étiez pas représentés et que vous en souffriez au point de qualifier le système de mafieux.

M. Rémi Delatte. Vous dressez un décor sombre et dégradé de la police. Nous avons bien compris que le moral n’y était plus et que des décisions devaient être prises de façon urgente. Pourtant, l’image que les Français – et nous aussi – ont de la police est beaucoup moins dégradée que celle que vous nous présentez. Votre comportement depuis la crise des gilets jaunes est à mettre à votre crédit.

Ma question porte sur l’évolution de la doctrine proposée par le Premier ministre : est-ce pour vous une assurance que votre sécurité et votre travail seront davantage préservés ?

M. Joaquim Pueyo. Quand M. Thooris évoque les quartiers urbains gangrénés par la délinquance, il a raison. Et il faudra bien qu’un à moment donné les pouvoirs publics prennent cette problématique à bras-le-corps, même si cette question a souvent été évoquée par les gouvernements et dans l’hémicycle.

Lors des manifestations, différents services des forces de l’ordre sont présents : CRS, gardes mobiles, policiers en civil, BAC, etc. Comment se passe, d’une part, la coordination de tous ces différents corps, et, d’autre part, la communication ? Avez-vous des recommandations à faire sur ces deux points ?

Contrairement à des manifestations plus traditionnelles, cadrées par des responsables, le maintien de l’ordre dans le cadre des mouvements des gilets jaunes est bien plus compliqué pour les forces de l’ordre. Quelles remontées pouvez-vous nous faire en vue de mieux coordonner les forces sur le terrain ?

Par ailleurs, êtes-vous formés au maintien de l’ordre pour cette meilleure coordination des services sur le terrain ?

Enfin, le Premier ministre vient de prendre des dispositions – que je soutiens, en tant qu’élu socialiste – au vu des événements qui se sont déroulés depuis des semaines. Qu’en pensez-vous ?

Madame, messieurs, vous exercez un métier extrêmement difficile. Sachez que les députés vous soutiennent, quel que soit leur courant politique.

M. Jean-Claude Bouchet. Tel le tonneau des Danaïdes, nous sommes face un puits sans fond. Or pour arrêter cette hémorragie, nous devons, selon moi, nous attaquer au problème principal qui est celui de la justice. Mais ce n’est pas le sujet.

S’agissant de la vacation forte, une estimation du coût a-t-elle été réalisée ?

Lors des événements de samedi, un motard a été pris à partie et a sorti son arme de service qu’il a pointé sur les manifestants. Aux États-Unis, dans une telle situation, peut-être aurait-il tiré ?

Enfin, avez-vous des consignes strictes pour éviter les courses-poursuites de scooters, comme nous avons pu le voir à Grenoble – ce qui arrange les affaires des délinquants ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Quel est votre sentiment concernant la police de sécurité du quotidien (PSQ) – les moyens, les espoirs que vous y mettez ?

Mme Sandrine Josso. J’ai rencontré vos collègues de Loire-Atlantique, qui ont évoqué le manque d’uniformité au sein de la police pour porter les revendications des policiers. Ils ont également proposé, s’agissant du manque de considération que certains peuvent ressentir, que des récompenses – des médailles – soient distribuées en interne ; qu’en pensez-vous ?

M. Thomas Nesle. La nouvelle doctrine annoncée par le Premier ministre concernant les gilets jaunes va, effectivement, nous faciliter la vie. Nous étions dans un immobilisme sidérant. Samedi dernier, la situation étant dite sous contrôle, les BAC territoriales sont restées dans leur département.

Le préfet de police n’a pas jugé judicieux, dès le début des mouvements, d’utiliser les drones que nous avons à disposition. Les effectifs gérant les drones ont été utilisés pour le transport des individus interpellés, ce qui n’est pas leur mission.

Les DARD sont intervenues sur le terrain de manière indépendante, et deux directions coordonnaient les forces sur place : l’une, le maintien de l’ordre – CRS et gendarmes mobiles – et l’autre, les effectifs de voie publique.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Vous parlez bien de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP) et de la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) ?

M. Thomas Nesle. C’est exact. Les ordres provenaient de la salle de commandement vers le terrain, alors qu’il conviendrait de procéder de façon inverse. Ce sont les agents sur le terrain qui doivent faire remonter les informations et dire ce qu’il convient de mettre en place. La salle de commandement nous donnait l’ordre de ne pas bouger et de tenir notre périmètre, alors même que des individus cassaient des vitrines à 100 mètres de nous ; nous n’avons jamais reçu l’ordre d’intervenir.

Concernant les courses-poursuites, effectivement, la salle de commandement nous intime l’ordre de ne pas poursuivre les délinquants, quel que soit le motif – sauf pour les vols à main armée ou autres crimes. En tout état de cause, nous ne devons pas poursuivre des individus pour refus d’obtempérer, de sorte que le sentiment d’impunité est grandissant.

M. Michel Thooris. Je n’évoquerai pas le maintien de l’ordre dans le cadre des mouvements des gilets jaunes, car ils ont varié d’un samedi sur l’autre. En revanche, je puis indiquer que le mélange entre CRS et sécurité publique est catastrophique. Aussi catastrophique que de demander à un médecin généraliste de procéder à une transplantation cardiaque !

Les agents de la sécurité publique ne sont pas formés au maintien de l’ordre ; ils n’ont rien à faire sur de tels dispositifs. Mais le ministère de l’intérieur, pour pallier au manque d’effectifs, envoie ces agents faire du maintien de l’ordre ; d’où les bavures avec les lanceurs de balles de défense (LBD). Si le ministère veut envoyer ces agents faire du maintien de l’ordre, une formation est indispensable.

Concernant le refus d’obtempérer, les délinquants sont complètement informés du fait que nous ne pouvons pas les poursuivre. Les courses-poursuites ne sont pas autorisées, car si un accident est provoqué, nous serons tenus pour responsables – sachant que personne ne veut couvrir la police. Ainsi une impunité s’est mise en place.

Alors les médailles, nous n’en voulons pas. Je pense qu’aucun de nos collègues ne souhaite une médaille. Nous voulons simplement faire notre travail de manière anonyme. L’anonymat, nous le revendiquons, car il assure notre sécurité.

S’agissant de la police de sécurité du quotidien (PSQ), il aurait fallu attendre les résultats de la mise en place de la police de proximité sous le gouvernement Jospin. Aujourd’hui, la situation dans certains quartiers est trop dégradée pour pouvoir faire de la prévention.

Concernant le collègue qui a sorti son arme, cela renvoie à la problématique que j’évoquais tout à l’heure sur la légitime défense ; les agents sont dans une insécurité juridique. Il conviendrait de préciser les textes et de définir quand nous sommes, ou pas, en état de légitime défense.

Enfin, en ce qui concerne la vacation forte, elle nécessiterait 20 % d’effectifs supplémentaires.

M. Laurent Gbenoukpo Houndegla. Je souhaiterais revenir sur la question de la coordination et des entraînements. Alors qu’une psychologue de la formation a publié des travaux visant à accroître la réactivité et la compétence collective, rien n’est fait. Et sans entraînement, sans ce que nous appelions à une époque les « grandes manœuvres », qui consiste à emmener la moitié d’une direction départementale de la sécurité publique – toute la chaîne hiérarchique, du commissaire au gardien de la paix – s’entraîner sur une base militaire, nous ne parviendrons pas à nous coordonner. Ceux qui sont envoyés faire du maintien de l’ordre sans être formés ne sauront jamais ce que cela fait de charger des manifestants au milieu des gaz lacrymogènes.

Enfin, quand nous n’avons pas le temps de faire appel aux CRS et que nous envoyons des agents de la sécurité publique faire du maintien de l’ordre, le minimum est de les équiper. Je ne sais pas combien coûte une journée d’hospitalisation, plus de 1 000 euros je suppose ; or 1 000 euros, c’est le prix d’un équipement standard pour un fonctionnaire de sécurité public pour aller faire du maintien de l’ordre.

M. Éric Roman. S’agissant de la nouvelle doctrine, il ne faut surtout pas sous-estimer la peur des collègues d’avoir affaire à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Si lors de nos interventions, il y a de la casse, ce qui va nous être reproché systématiquement, c’est : « vous n’avez pas fait preuve de discernement » ; le discernement étant le premier manquement dans le guide de l’enquête administrative disciplinaire de l’IGPN.

M. Thomas Nesle. Je souhaiterais revenir sur les images du policier qui met dans un sac à dos des maillots du Paris-Saint-Germain (PSG). Il s’agit d’une pièce à conviction après l’interpellation de deux individus. Un fait qui est devenu une fake news. Or cela arrive souvent : une partie de vidéo est postée sur les réseaux sociaux qui ne reflète pas la réalité de nos interventions.

M. Éric Roman. S’agissant de la PSQ, il ne s’agit en réalité que du changement d’une lettre dans nos intitulés ; de service de sécurité de proximité (SSP), nous sommes devenus service de sécurité du quotidien (SSQ).

M. Laurent Gbenoukpo Houndegla. Nous n’avons pas évoqué la caméra-piéton dont le rôle est très important dans le regard que portent les forces de l’ordre sur leurs interventions, et sur le regard que porte la population sur les forces de l’ordre. Elle doit être étendue, car la plupart des bavures dénoncées n’existent pas.

J’en ai fait l’expérience avec un individu, lors d’une garde-à-vue, qui m’insultait, moi et toute ma famille. Lorsque j’ai sorti mon téléphone pour le filmer, il s’est aussitôt arrêté alors que si je l’avais fermement empoigné par le col pour le plaquer au sol, j’aurais certainement fait l’objet d’une plainte,

M. Michel Thooris. Nous sommes favorables à la caméra-piéton sur la voie publique, mais pas pour le maintien de l’ordre. En effet, elle ne tourne pas de manière permanente et peut donc ne pas couvrir certains actes. Prenons l’exemple du LBD : si son usage n’est pas enregistré par la caméra, il sera reproché à l’agent de ne pas avoir actionné la caméra.

Mme Audrey George. Concernant les interpellations et les procédures liées à la voie publique, je rappellerai qu’elles sont traitées par des services judiciaires. Or l’état actuel de ces services est catastrophique : nous manquons d’OPJ, d’enquêteurs, nous sommes submergés par les dossiers que nous ne pouvons pas traiter. Nous ne disposons pas de moyens suffisants, les bureaux de plaintes ne disposent de voitures, etc.

Chaque matin, quand j’allume mon ordinateur, je me demande quelle femme je vais tenter de sauver des violences conjugales, ou quel enfant battu… Et je ne vous parle pas des flagrants délits que nous sommes censés gérer – nous n’avons pas de visioconférence, le médecin ne se déplace pas, les cellules ne sont pas adaptées, les locaux sont dans un état déplorable…

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie pour tous ces éléments. Je voudrais néanmoins rappeler, puisque j’étais, ces deux dernières années, rapporteur du budget police-gendarmerie, que nous avons voté une augmentation du budget de l’immobilier et des véhicules. Y compris à Marseille, où des véhicules ont été livrés.

M. Dominique Brancher. S’agissant de la formation, une consigne a été donnée par notre direction centrale : profiter des déplacements des CRS pour programmer des formations – tirs et autres. Or bien qu’il s’agisse d’une consigne, la grande majorité des commandants d’unité rechignent à organiser des formations, jugeant l’opérationnel prioritaire.

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  Audition du 21 mars 2019

Audition de représentants du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SND-CFDT) : Mme Aurélie Jammes et M. Jean-Michel Dejenne et du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction : Mme Franca Annani, secrétaire nationale, et M. Sébastien Nicolas, secrétaire général

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mesdames, messieurs, mes chers collègues, je voudrais d’abord dire qu’au vu des événements très graves qui se sont produits dans l’établissement de Condé-sur-Sarthe, nous nous associons à la douleur des personnels agressés et soutenons l’ensemble du personnel pénitentiaire qui, nous le savons, qui est très choqué. Nous nous réjouissons que le groupe Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ait pu mettre fin à ces événements.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction. Le syndicat FO direction est le syndicat majoritaire des directeurs des services pénitentiaires. Nous assurons le pilotage et la direction des structures, mais nous travaillons également à l'administration centrale et en direction interrégionale, sur des missions de conception et de pilotage de l'administration.

Cette commission d'enquête intervient au lendemain des événements de Condé-sur-Sarthe, où deux de nos personnels ont été gravement attaqués, et je tiens à vous remercier pour les mots de soutien que vous venez de prononcer à leur égard et à celui de l'ensemble des personnels pénitentiaires. Évidemment, ces événements posent un certain nombre de questions en matière de pratiques professionnelles et de réglementation.

D’ores et déjà, des réflexions et des groupes de travail sont mis en place pour avancer sur ces questions et nous rencontrons le directeur de l’administration pénitentiaire prochainement pour lui faire part de nos propositions.

Je m’arrêterai là dans mon propos introductif. Je suis accompagné de Mme Franca Anani, qui dirige un établissement pénitentiaire.

M. Jean-Michel Dejenne, représentant le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT). Mme Aurélie Jammes, directrice du centre pénitentiaire de La Talaudière à Saint-Étienne, et moi-même, directeur adjoint du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des Alpes-Maritimes, nous représentons le Syndicat national des directeurs pénitentiaires affilié à la CFDT.

Cette organisation professionnelle, créée il y a neuf ans, est représentative chez les deux corps de directeurs pénitentiaires : les directeurs des services pénitentiaires et les directeurs de prison avec 46 % des voix, mais également chez les directeurs des SPIP, avec 35 % des voix. Nous comptons ainsi, dans nos rangs, les personnels de direction de l'ensemble des services de l’administration pénitentiaire.

La sécurité nécessite à la fois un certain nombre de moyens de sécurité dite passive – technologies et moyens matériels – et de sécurité dite active, c’est-à-dire la prise en charge globale des criminels et des délinquants qui nous sont confiés, en vue de prévenir la récidive. Cette contribution est la mission première de l’administration pénitentiaire. Elle est rappelée très clairement dans la loi de 2014, qui donne un objectif aux missions conjointes de garde et de réinsertion ; la prévention de la récidive est un élément clé et capital de la sécurité publique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mesdames et messieurs, je tiens tout d’abord à m’associer aux propos du président concernant vos collègues de Condé-sur-Sarthe.

Notre commission d’enquête a pour vocation d’étudier la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité. Bien que vous ne soyez ni la police nationale, ni la gendarmerie, ni la police municipale, le personnel pénitentiaire est un maillon complémentaire et essentiel de la sécurité en France.

Ma première question concerne les relations qui existent entre l’administration pénitentiaire et les forces de l’ordre – gendarmerie et police nationale –, notamment lors des missions telles que le transport des détenus.

Ma seconde question est relative à l’immobilier. Les grands objectifs ont été fixés par le projet de loi de programmation 2019-2022. Quelles sont, selon vous, les faiblesses de la loi et de la programmation budgétaire en la matière ?

M. Sébastien Nicolas. Je préciserai, tout d’abord, qu’en termes d’effectifs – un peu plus de 40 000 personnels –, l’administration pénitentiaire est la troisième force de sécurité du pays.

S’agissant des relations que nous entretenons avec les forces de sécurité intérieure, elles sont globalement bonnes, malgré les crispations qui peuvent parfois exister dans l’exercice des missions d’extraction judiciaire. L’administration pénitentiaire a, depuis peu, repris à son compte ces missions, traditionnellement effectuées par la police et la gendarmerie. Cependant, les effectifs nécessaires ne lui ont pas été transférés en nombre suffisant. Nous disposons, pour les effectuer, 800 équivalents temps plein (ETP), alors que les forces de sécurité intérieure bénéficiaient de 2 500 ETP.

Il s’en est suivi que, très rapidement, les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) ont enregistré une augmentation fulgurante des heures supplémentaires de leurs agents, bien au-delà du cadre prévu par le droit du travail. Certes, les heures supplémentaires sont rémunérées, mais, à un moment, la fatigue va grandissant et les agents sont touchés moralement. Ce n’est satisfaisant ni sur le plan humain, ni pour nos relations avec les forces de sécurité intérieure et les magistrats.

Les forces de sécurité intérieure continuent d’intervenir de manière subsidiaire pour relayer l’administration pénitentiaire, mais quand ni l’administration ni les FSI ne sont en capacité d’assurer les extractions, cela génère des tensions avec l’autorité judiciaire. Les choses se sont un peu améliorées mais les FSI sont toujours extrêmement sollicitées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelles solutions proposez-vous pour améliorer la situation ?

M. Sébastien Nicolas. Il s’agit simplement d’une question d’effectifs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ce n’est pas un problème d’organisation ?

M. Sébastien Nicolas. Nous pouvons toujours réorganiser des services pour optimiser les effectifs, mais cela ne suffira pas. Nous n’avons pas de marge de manœuvre suffisante, sans effectifs supplémentaires, pour effectuer ces missions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il vous manque combien d’ETP ?

M. Sébastien Nicolas. Je n’ai pas de chiffre précis à vous donner.

Mme Aurélie Jammes, représentant le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP CFDT). La question des effectifs est majeure, mais il existe un autre moyen, pour les magistrats, d’entendre les détenus : la visioconférence. Il est en effet possible pour les magistrats de solliciter, non pas l’extraction d’une personne détenue pour une présentation physique, mais la présentation de cette personne, depuis l’établissement, via la visioconférence.

Ce dispositif existe depuis des années au sein des établissements pénitentiaires, mais il ne s’agissait pas du moyen de communication privilégié par les magistrats. Il le devient avec l’augmentation des impossibilités d’effectuer des extractions judiciaires par l’administration pénitentiaire. À la direction interrégionale des services pénitentiaires (DRSP) de Lyon, les visioconférences ont augmenté de 65 %. Cela reste un constat régional, mais il s’agit d’un moyen vers lequel il est possible de tendre, si les magistrats le souhaitent – sachant qu’il existe des situations ou des circonstances judiciaires qui exigent la présence physique du détenu.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Savez-vous comment sont équipées les prisons françaises en visioconférence ?

Mme Aurélie Jammes. Tous les établissements pénitentiaires de France sont équipés, a minima, d’une salle de visioconférence. Depuis quelques années, l’administration a la volonté de doubler ces salles dans certains établissements ; l’établissement dans lequel je travaille, qui compte 400 détenus, en possède deux.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Hormis les extractions judiciaires obligatoires, à combien évaluez-vous le besoin en salles de visioconférence pour présenter tous les autres détenus ?

Mme Aurélie Jammes. Je ne suis pas en mesure de répondre à votre question.

M. Sébastien Nicolas. C’est d’autant plus difficile à évaluer que, s’agissant des extractions judiciaires obligatoires, si certaines le sont du fait des circonstances judiciaires, la volonté du magistrat est également à prendre en compte.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous notons cependant qu’il s’agit d’un moyen économique – et écoresponsable ! Par ailleurs, avez-vous toujours un problème de recrutement ?

M. Sébastien Nicolas. Oui, il s’agit même d’un problème majeur. Par exemple, entre 20 % et 30 % seulement des candidats inscrits se présentent aux épreuves concours de surveillants. Ce problème de recrutement touche, en fait, tous les corps de l’administration pénitentiaire, des surveillants jusqu’aux directeurs des services pénitentiaires, où le taux de présentation des candidats inscrits est de 30 % ; 36 % l’année dernière, un record ! Pour les autres concours – intendance de l’administration pénitentiaire (IRA), commissaires de police ou magistrature – le ratio varie entre 45 % et 60 %.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avez-vous réfléchi à des solutions ?

M. Sébastien Nicolas. Il est difficile de répondre rapidement à cette question, car nous abordons là des problématiques de fond. L’image des métiers pénitentiaires est mauvaise ; la majeure partie des candidats passe le concours par défaut, après des échecs aux concours de la police nationale et de la gendarmerie notamment. Cette image négative d’un métier où les personnels sont exposés à la violence est alimentée par les médias.

Le manque d’effectifs entraîne un cercle vicieux : moins il y a de personnel, plus les agents sont sollicités, plus le métier devient difficile et plus ils montrent dans leur entourage l’image d’un métier difficile et compliqué.

Pour sortir de cette spirale, nous pouvons présenter des éléments statutaires et indemnitaires intéressants, mais cela ne suffira pas. Les agents ont besoin d’une reconnaissance de la société qui fait défaut aujourd’hui. Ces agents sont souvent pris dans des injonctions sociales contradictoires qui impactent le cadre de travail ; je pense aux médias, quand ils font état des conditions de détention indignes, quand ils assurent que la prison fabrique de la violence, incite à la récidive, que des portables circulent dans les prisons. Tout ce discours donne aux personnels l’image d’une administration qui ne répond pas aux attentes sociales, d’un métier peut-être inutile, vers lequel les gens n’ont pas envie d’aller.

Il s’agit donc de tout un ensemble de facteurs qui s’accumulent et expliquent cette baisse de l’engouement pour les métiers pénitentiaires

Mme Aurélie Jammes. Sachez que, dans certains territoires, un travail est mené avec l’éducation nationale pour développer les métiers de la sécurité – qui est validé par un diplôme, tel que le baccalauréat ou le brevet de technicien supérieur (BTS), etc. Ces nouvelles formations diplômantes peuvent être un levier de recrutement pour l’administration pénitentiaire.

Bien entendu, les premiers métiers auxquels les jeunes pensent sont ceux de pompier, gendarme ou policier, mais nous avons la possibilité d’intervenir dans le cadre de partenariats avec certains lycées et de leur faire ainsi découvrir l’univers carcéral.

Nous avons également des conventions avec des gendarmeries – il s’agit encore d’exemples locaux – qui peuvent faciliter l’intégration de gendarmes adjoints volontaires qui, par exemple, n’ont pas obtenu le concours de la gendarmerie mais veulent rester dans les métiers de la sécurité ; il s’agit de candidats très intéressants pour le métier de surveillant, notamment.

Toutes ces pistes méritent d’être développées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. S’agissant des établissements pénitentiaires pour mineurs, leur nombre est-il suffisant ? Les mineurs ont-ils un comportement réellement différent des détenus adultes ?

Mme Franca Annani, secrétaire nationale du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction. La prise en charge des mineurs est très complexe.

Je n’ai personnellement jamais travaillé dans un établissement pour mineurs, dans lequel l’administration pénitentiaire intervient conjointement avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). L’établissement que je dirige actuellement comporte un quartier pour mineurs. En termes de violence potentielle et de violences caractérisées, c’est de même nature mais il faut savoir que ce quartier est le dernier lieu qui les neutralise, puisque, avant d’être mis en prison, car ces mineurs ont épuisé toutes les voies de placement et tous les recours.

Assez paradoxalement, la prison contient leur violence, mais cela ne suffit pas, il faut les réinsérer. Or le nombre de détenus dans les quartiers des mineurs au sein des établissements pénitentiaires étant moindre que celui de détenus majeurs, le quartier des mineurs doit intégrer le fonctionnement de droit commun de l’établissement. Par exemple, si des formations sont ouvertes aux adultes, il faut en proposer aux mineurs. De la même manière, quand un concert est organisé pour les mineurs, les autres détenus doivent pouvoir en profiter.

Mme Aude Bono-Vandorme. Mesdames, messieurs, tout d’abord je vous confirme que vous êtes bien la troisième force de sécurité intérieure. Ensuite, j’ai pu constater après avoir visité trois prisons que la visioconférence est un outil tout à fait intéressant, qui fonctionne très bien.

Ma question concerne la présence des opérateurs privés dans le service public pénitentiaire, qui est de plus en plus importante. Bien que la France n'ait jamais accepté une privatisation totale, elle a admis, par exemple, la privatisation de l’activité de surveillance, jugée détachable des missions de souveraineté.

Que pensez-vous de cette privatisation qui va grandissant ? Pensez-vous qu'il faille continuer dans cette voie en confiant à la sécurité privée les transferts de prisonniers ou le maintien de l’ordre au sein des centres pénitentiaires ? Si vous y êtes opposés, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

M. Jean-Louis Thieriot. Je m'associe totalement au propos de ma collègue pour vous dire que nous savons à quel point vous êtes une force importante pour la sécurité intérieure. Et pour avoir été avocat, le plus souvent du côté des parties civiles d’ailleurs, je sais à quel point votre rôle est important.

Je poserai deux questions. La première est relative à votre difficulté à recruter, notamment pour des raisons de motivation. Je suis élu d'un département, la Seine-et-Marne, où sont implantés un certain nombre d'établissements pénitentiaires, dont l'un a récemment fait l’objet d’une couverture médiatique, puisqu’un détenu s’en est évadé.

Lorsque nous discutons avec les personnels de la pénitentiaire, ils nous font souvent part du problème que leur crée le fait d’habiter dans les mêmes cités que les familles des détenus dont ils ont en charge la surveillance. Ne pensez-vous pas qu’une aide au logement, afin qu’ils puissent habiter loin des familles des détenus, pourrait être un début de réponse au problème du recrutement ?

Ma seconde question est plus technique. Le bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) est le petit nouveau dans le monde du renseignement. Sa création a-t-elle modifié le mode de fonctionnement de vos établissements ? Vous apporte-t-il de l'information utile pour la gestion au quotidienne de vos établissements ? Enfin, que faudrait-il faire pour que ce BCRP soit le plus utile possible dans votre mission de service public ?

Mme Nicole Trisse. Outre l'augmentation de la rémunération des surveillants, que préconisez-vous pour améliorer l’attractivité des métiers de la pénitentiaire ? Il me semble que le concours est national. Pensez-vous que des concours régionaux aideraient à recruter davantage ? Par ailleurs, la gestion et la répartition des ressources humaines doivent-elles être repensées, et de quelle manière ?

Enfin, concernant les détenus, pouvez-vous confirmer que certains d’entre eux devraient se trouver plutôt en hôpital psychiatrique qu’en maison d'arrêt ? Si oui, dans quelle proportion ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. D’abord, par curiosité, je souhaiterais savoir si vous, les directeurs, avez organisé des grands débats, et si oui, comment cela s'est passé.

Mme Franca Annani. Merveilleusement bien.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Les médias évoquent souvent le problème des visiteurs dans les maisons d’arrêt ; sont-ils un réel problème ?

M. Joaquim Pueyo. Je voudrais tout d’abord remercier les représentants des syndicats de direction d'être présents, aujourd’hui. Mesdames, messieurs, je partage votre analyse lorsque vous dites que les métiers pénitentiaires sont en difficulté. L’image que la population a de la prison n'est pas très positive. On ne parle de la prison que lorsqu’il y a un incident, une évasion, des trafics, des agressions, et personne ne parle de tout le travail qui y est effectué par les personnels, en termes de prévention, de santé et même au niveau du droit. Je ne m’étendrai pas sur ces sujets, mais il est vrai que la question que nous devons nous poser est relative au sens de la peine.

S’agissant du personnel pénitentiaire, le recrutement national est-il un recrutement opportun ? Je n’en suis plus convaincu. De nombreux jeunes de province ne passent pas ces concours car ils ne souhaitent pas être nommés dans un établissement de la région parisienne. J’avais proposé, dans un rapport, il y a maintenant quelques années – rapport qui, je dois bien l’avouer, n’avait pas été très suivi –, d’ouvrir des concours régionaux et un concours spécifique, national, pour la région parisienne. Prenons en effet l’exemple des pompiers : si nous recrutions, pour les brigades de Paris et de sa région, uniquement parmi les Parisiens, il n’y aurait pas de pompiers à Paris !

Les médias contribuent largement à donner une mauvaise image des établissements pénitentiaires. Avez-vous des propositions à nous présenter pour éviter cela ?

Concernant les visiteurs, avez-vous réfléchi à une façon de mieux les contrôler ?

Pensez-vous qu’il faille remettre en place les fouilles intégrales, notamment pour les détenus dangereux ? Je rappelle que, depuis 2009, la France suit la recommandation du Conseil de l’Europe concernant les fouilles.

Enfin, le renseignement pénitentiaire a-t-il pris son rythme de croisière ? Est-il efficace ou rencontre-t-il encore des difficultés, par manque de personnel, par exemple ? Vous apporte-t-il des informations concrètes sur les détenus les plus dangereux, notamment ceux qui projettent de commettre des faits graves au sein de la prison ou qui ont un lien avec la radicalisation en prison ?

M. Rémi Delatte. Ma question a déjà été posée : que conviendrait-il de faire pour traiter le problème de la porosité qui existe avec l’extérieur ?

M. Sébastien Nicolas. S’agissant du recours aux opérateurs privés, nous n’y sommes pas favorables, notamment pour des missions de transfert de personnes détenues. Je ne m’étendrai pas sur le respect des missions régaliennes, ni sur le fait que la loi pénitentiaire prévoie qu’un certain nombre de missions ne peuvent être déléguées au secteur privé.

Nous y sommes aussi défavorables aussi pour des raisons plus pragmatiques. En effet, on constate déjà que les gendarmes ou les policiers qui prennent en charge un détenu dans le cadre d’une extraction judiciaire ou médicale ne le connaissent pas et peuvent lui appliquer un cadre plus coercitif que celui que nous lui appliquons dans l’établissement, ce qui a pour conséquence de faire monter des tensions entre l’équipe d’escorte et le détenu, et ne sera constructif ni pour elle, ni pour lui, ni pour le personnel pénitentiaire à qui celui-ci sera de nouveau confié. Nous pouvons donc légitimement nous demander ce qui se passerait si ces missions étaient confiées à des opérateurs privés.

Le syndicat Force ouvrière direction est favorable à la reprise de l’intégralité de ces missions par l’administration pénitentiaire – avec, bien entendu, les ETP nécessaires. Nous proposons de reprendre l’intégralité de la prise en charge d’une personne détenue dans le cadre des extractions judiciaires, des extractions médicales et des gardes statiques dans les hôpitaux des détenus. Non seulement, nous sommes en capacité de remplir ces missions, mais il s’agit d’une question de continuité dans la gestion d’une personne détenue.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. De combien d’ETP parlez-vous ?

M. Sébastien Nicolas. Le chiffre estimé par le ministère de l’intérieur est de 2 500 ETP. Il englobe les gardes statiques et l’accompagnement des équipes d’escorte de la pénitentiaire dans le cas de prêts de main-forte.

Je n’ai pas de chiffre arrêté à vous livrer, mais 3 000 ETP serait un bon chiffre – les 2 500 ETP prévus pour les extractions judiciaires étant compris dans ce chiffre.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous nous avez dit disposer actuellement de 800 ETP.

M. Sébastien Nicolas. Oui, il nous manque 1 700 ETP pour arriver à 2 500, auxquels il conviendrait d’en ajouter 500 supplémentaires.

S’agissant des personnels pénitentiaires qui habitent dans la même commune que les familles de détenus, tout dépend de l’endroit où l’on se trouve. En Bourgogne, par exemple, la problématique du logement n’est pas la même qu’en région parisienne mais il est vrai qu’il s’agit d’une question récurrente et d’une vraie difficulté pour le personnel, non seulement en termes d’image mais également de pressions qu’il est susceptible de subir. Je suis donc tout à fait d’accord avec vous : une aide au logement attribuée aux personnels pénitentiaires serait la bienvenue.

Le renseignement pénitentiaire a toujours existé dans notre administration ; simplement il se faisait « à la bonne franquette ». Aujourd’hui, le renseignement se professionnalise, s’imprègne des méthodes du renseignement territorial, de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il en résulte que, depuis deux ans et demi, le renseignement pénitentiaire monte en puissance et va devenir un service à compétence nationale.

Cependant, des interrogations demeurent – que dénonce notre syndicat – dans ce processus d’autonomisation. Le renseignement pénitentiaire est constitué d’un bureau central du renseignement pénitentiaire (BCRP) à Paris, de cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire (CIRP) et de délégués locaux du renseignement dans les établissements. Ce circuit sera plus ou moins indépendant de la hiérarchie pénitentiaire, avec une dichotomie entre le rattachement hiérarchique et le rattachement fonctionnel. Fonctionnellement, la CIRP est rattachée au directeur interrégional ; le délégué local à son chef d’établissement ; le BCRP au directeur de l’administration pénitentiaire. Mais hiérarchiquement, le délégué local est rattaché à la CIRP, qui est rattachée au BCRP.

Dès lors le problème est le suivant : l’information obtenue par un délégué local doit être remontée par la voie hiérarchique à la CIRP, qui elle-même la remonte au BCRP afin qu’elle soit traitée et analysée. Or, cette information peut appeler une réaction immédiate de l’administration pénitentiaire, et notamment du chef d’établissement.

Prenons un exemple : nous sommes informés qu’un détenu est en train de préparer une agression contre un personnel. Le chef d’établissement doit pouvoir être immédiatement saisi pour prendre des mesures préventives. Notre crainte, c’est que si l’on ajoute des maillons hiérarchiques dans le traitement de l’information, le chef d’établissement ne puisse pas réagir assez vite pour prendre les mesures adéquates.

Concernant l’attractivité des métiers pénitentiaires, la territorialité peut-elle être une solution ? Oui et non. Elle permettrait, en effet, dans un bassin d’emploi, de capter toutes les personnes en recherche d’emploi et de les fidéliser sur leur secteur géographique – et ainsi éviter la crainte de la mobilité. L’inconvénient, c’est que la territorialité peut amener la désertion de certains secteurs géographiques, notamment en région parisienne, et peut être source de difficultés pour des agents qui souhaitent, eux, s’inscrire dans une mobilité. En effet, cette solution va tarir, à un moment, les possibilités de mutation d’un agent en dehors de son secteur géographique ; elle peut ainsi générer une rupture d’égalité.

En revanche, toujours en termes d’attractivité, certaines expérimentations très intéressantes sont en cours au sein de l’administration pénitentiaire. Je pense notamment à une expérimentation de « surveillant référent » qui va se développer, après une note du directeur de l’administration pénitentiaire, sous l’appellation de « surveillant acteur ». Il s’agit, pour les agents, d’une nouvelle manière de travailler, plus dynamique et responsabilisante.

Par exemple : des agents sont responsabilisés dans la prise en charge, non plus d’un étage, mais d’un bâtiment. Ou encore : une équipe est en charge du parcours d’une personne détenue, qu’elle rencontre dans le cadre d’audience ; elle restitue ensuite une analyse sur le parcours de cette personne dans différentes instances, telles que la commission d’application des peines ou la commission pluridisciplinaire. Cette responsabilisation apporte une valorisation au métier pénitentiaire.

Enfin, vous avez raison, un grand nombre de détenus devraient être internés en hôpital psychiatrique. Le problème vient du manque de places dans les hôpitaux ou dans les unités spécialisées pour les accueillir. Par ailleurs, le désarroi du personnel des hôpitaux de proximité est profond quand il doit prendre en charge une personne détenue, car une personne détenue placée en hospitalisation d’office n’est sous la garde de personne : ni de la police, ni de la gendarmerie, ni de la pénitentiaire. Les seuls gardes sont les personnels médicaux et ils se sentent en danger.

Il n’est donc pas rare que les directeurs d’hôpitaux psychiatriques nous fassent comprendre qu’il leur est difficile de recevoir des personnes détenues – les syndicats hospitaliers se plaignant de la mise en danger des autres patients. Par ailleurs, cet internement n’est pas satisfaisant non plus pour la personne détenue, qui est placée en chambre d’isolement – sans télévision, sans le droit de fumer, sans recevoir de visites, etc. Il s’agit d’un contexte compliqué.

Le palliatif actuel ce sont les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), qui ne sont pas en nombre suffisant et dont certaines manquent de réactivité dans leur politique d’accueil. En effet, les admissions dans les UHSA passent obligatoirement par le médecin responsable du site. Or les protocoles de soin et d’accueil manquent de réactivité pour prendre en charge les personnes en décompensation dans un établissement ou un hôpital psychiatrique de proximité.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Quel est selon vous le pourcentage de personnes détenues qui devraient être placées non pas en prison mais en hôpital psychiatrique ?

Mme Franca Annani. Les dernières études épidémiologiques sur le sujet sont extrêmement anciennes. Elles indiquaient qu’environ 40 % des personnes placées en détention soit présentaient des troubles psychiatriques à leur entrée en prison, soit développaient dans ce cadre contraint des maladies liées à l’enfermement.

La maladie psychiatrique est une vraie question et pose un problème aux agents, qui nous rappellent fréquemment qu’ils ne sont pas des infirmiers ; ils sont complètement démunis pour la prise en charge de ces détenus. Alors oui, ces personnes sont neutralisées, mais nous avons beaucoup de difficulté à les gérer.

Par ailleurs, il n’y a qu’une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) par direction interrégionale et elle ne compte que 60 lits. Les personnes placées en UHSA sont gérées en interne par du personnel médical et des agents de sécurité périmétrique pénitentiaire.

Une piste consisterait, plutôt que d’ouvrir des établissements pénitentiaires classiques, d’augmenter le parc d’UHSA – pour passer, par exemple, de 60 à 300 lits.

M. Sébastien Nicolas. S’agissant des visiteurs, un dispositif réglementaire existe : il est tout à fait autorisé d’effectuer une palpation de sécurité sur un visiteur. Le problème est la pudeur de l’administration pénitentiaire à appliquer le règlement stricto sensu. Pour preuve, et cela vous fera sourire, la première fois que nous avons évoqué cette possibilité dans l’administration pénitentiaire, nous ne parlions pas de « palpation de sécurité », mais de « tapotements sommaires », afin de distinguer le contrôle que nous allions opérer sur le visiteur de celui que nous opérons sur une personne détenue. Ces termes démontrent toute la réticence de l’administration pénitentiaire à appliquer les méthodes de contrôle à des personnes en visite dans l’établissement.

Le manque d’impulsion de l’administration pour faire appliquer cette réglementation s’explique par la crainte des réactions face à une application trop poussée ; c’est un vrai problème.

Pour en revenir aux événements de Condé-sur-Sarthe, très concrètement, il n’y avait pas d’éléments justifiant cette palpation. Bien évidemment, nous devons en effet présenter des éléments objectifs pour effectuer une palpation, comme d’ailleurs pour fouiller intégralement une personne détenue.

M. Joaquim Pueyo. De nombreuses organisations s’intéressent aux conditions de détention, et il est vrai qu’il y a beaucoup de controverses sur cette question. Peut-être le rôle du Parlement serait-il de bien codifier la fouille. Je suis favorable, pour ma part, à des palpations de sécurité systématiques. En tout cas, bien codifier le protocole de fouille permettrait d’éviter les controverses.

La population pense que les visiteurs ne sont pas fouillés, ce qui, encore une fois, ne donne pas une bonne image des établissements pénitentiaires. La comparaison a même été faite avec l’entrée dans les stades : la fouille par palpation est systématique, personne ne s’y oppose, c’est naturel. Nous devrions donc recommander – et je l’ai déjà écrit dans ce fameux rapport – de mieux codifier les fouilles pratiquées sur les personnes en visite dans les établissements pénitentiaires car il y a eu trop de problèmes. Souvenez-vous des avocats, par exemple : à une époque, même le portique leur posait problème, alors qu’à l’aéroport tout le monde passe sous le portique et certaines personnes sont fouillées, de manière aléatoire, sans que personne s’y oppose.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Qu’entendez-vous par « mieux codifier », monsieur Pueyo ? Vous pensez à l’administration, ou à la loi ?

M. Joaquim Pueyo. Il me semble que nous devrions nous renseigner pour savoir si, par la loi, nous ne pourrions pas aller plus loin. Cela permettrait d’asseoir les pratiques professionnelles afin qu’elles ne soient plus contestées comme elles peuvent l’être actuellement.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nos prédécesseurs ont légiféré sur cette question. Le problème, comme l’indiquait M. Nicolas, c’est que l’application des textes est, dans la pratique, adoucie avec le consentement de l’administration pénitentiaire.

M. Joaquim Pueyo. Oui, mais il s’agit d’un vrai sujet, car il dénature l’image de la prison. L’affaire de Condé-sur-Sarthe a dénaturé le travail de l’administration pénitentiaire, nous devons donc y réfléchir sérieusement. Le Gouvernement est en train d’y réfléchir et des dispositions seront prises. Peut-être conviendrait-il de légiférer.

J’avais proposé, pour éviter les difficultés, que dans chaque établissement pénitentiaire des agents aient la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ), comme cela a été fait pour les douanes ; ainsi les douaniers peuvent pratiquer des fouilles plus poussées.

M. Jean-Louis Thiériot. L’obligation, pour un agent pénitentiaire, de déceler des indices pour justifier une fouille d’un visiteur est-elle prévue dans un texte spécifique ?

M. Sébastien Nicolas. Il s’agit d’une note de l’administration pénitentiaire, reprise dans la circulaire relative à l’accès au droit de visite des personnes détenues.

Mme Aurélie Jammes. Ce serait pour nous un changement de philosophie que d’imaginer que nous puissions contrôler des intervenants extérieurs ou les familles qui viennent au parloir. La difficulté est liée au fait que ce sont les mêmes agents qui fouillent les détenus, qui sont présents dans les parloirs et qui pourraient, potentiellement, fouiller les familles. Intellectuellement, et dans notre fonctionnement, ce serait un peu « schizophrène » pour ces agents.

La piste de réflexion doit plutôt être celle-ci : les équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP), qui tendent à se constituer pour effectuer les extractions judiciaires et les missions de sécurité périmétriques, pourraient intégrer dans leurs missions celle du contrôle effectué sur les personnes en visite dans les établissements.

La question du statut d’OPJ doit être débattue, car un tel statut ne serait pas anodin pour un agent pénitentiaire : il serait en effet sous contrôle du procureur de la République.

La spécialisation des ELSP pourrait être une solution confortable pour les agents pénitentiaires. Ils pourraient, notamment au parloir, expliquer qu’ils sont autorisés à fouiller la population pénale, et que les familles sont, quant à elles, fouillées par d’autres agents qui n’ont pas de contact avec la population pénale, puisqu’ils sont dédiés à des missions extérieures.

M. Jean-Michel Dejenne. Je souhaiterais revenir sur les propos de Mme la députée qui nous a rendu hommage en tant que troisième force de sécurité intérieure du pays. Je l’en remercie, mais cette expression, qui n’a pas d’existence légale ou réglementaire, nous fait sans doute du tort.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Elle n’a, en fait, que repris la déclaration de votre collègue, M. Nicolas.

M. Jean-Michel Dejenne. Nous sommes donc en désaccord avec nos collègues sur ce point. Car ce classement informel de prestige – les douanes pourraient d’ailleurs prétendre à cette troisième place – , donne l’impression aux personnes qui ont échoués aux concours de la gendarmerie et de la police avant de passer celui de l’administration pénitentiaire, qu’elles ne font partie que de la troisième force de sécurité – et qu’il s’agit donc bien d’un choix par défaut. Cette expression, souvent reprise depuis une dizaine d’années, n’est sans doute pas profitable à notre administration.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est la raison pour laquelle, dans mon propos liminaire, j’ai différencié la gendarmerie, la police nationale et la police municipale des services pénitentiaires.

M. Jean-Michel Dejenne. Nous sommes attachés, par principe, au concours national. Néanmoins, nous sommes face à de telles difficultés que nous pourrions effectivement assouplir cette approche et ouvrir des concours régionaux, proches des établissements pour éviter aux candidats de devoir déménager.

Votre question relative au logement des agents pénitentiaires amène à une question beaucoup plus large, et majeure, qui est celle du logement en France. Plus spécifiquement, nous sommes bien évidemment favorables à des aides, si elles ne consistent pas en la construction d’immeubles ou de cités réservés exclusivement aux personnels pénitentiaires. Les agents exercent un métier dans une administration qui est, par définition, cloîtrée, et la vie de caserne, en tout cas cette espèce d’endogamie, serait très néfaste pour eux ; les agents ont besoin d’avoir une vie sociale totalement dissociée de leur métier. C’est pourquoi nous sommes très critiques vis-à-vis des domaines pénitentiaires comme il en existe encore, et nous souhaitons leur disparition. Mais, bien évidemment, des formules de logement alternatives doivent être proposées.

Concernant toujours l’attractivité du métier, les cycles de travail devraient, selon nous, être revus. On note un certain conservatisme des syndicats de surveillants sur cette question. Or faire alterner des cycles de jour et des cycles de nuit, et éviter ainsi d’être sur un poste fixe, contribuerait, nous en sommes certains, à une vie au travail moins difficile.

Enfin, avoir plus d’effectifs permettrait de diminuer la peur que ressentent les agents. Certains viennent travailler chaque jour avec la peur au ventre, il faut le savoir. Affecter deux agents par coursive dans un certain nombre d’établissements, notamment dans les maisons d’arrêt où se trouvent des détenus condamnés aussi bien à quinze jours de détention qu’à trente ans, réduirait la sensation de peur. Tous les condamnés passent par la maison d’arrêt qui, de fait, compte une grande variété d’occupants, donc de comportements, de mentalités et de dangerosité. De fait, plus d’agents signifierait pour eux plus de sécurité.

Plus de personnels, ce serait également un regard croisé, un autocontrôle sur les pratiques professionnelles, qui les mettrait plus à l’abri des mises en cause formulées par les détenus.

Enfin, s’agissant de la délégation de missions à des opérateurs privés, ma réponse est la suivante : pourquoi ? Il s’agit d’un service public et d’une activité régalienne. Le privé a un autre objet, celui de faire du profit. Même si nous posons un cadre, il ne s’agit pas la même logique.

Le modèle qui a été trouvé jusqu’à maintenant, et qui a été malheureusement un peu dépassé avec les partenariats public-privé, celui de la gestion déléguée initiale, est un modèle à peu près satisfaisant. Mais nous ne serions pas opposés à une renationalisation, au retour dans le public de toutes ces fonctions, même si elles ne sont pas en lien direct avec la privation de liberté. Les missions d’extraction, pour lesquelles le personnel est en lien direct avec des personnes détenues, doivent rester l’affaire de fonctionnaires de l’État.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est souvent dit que des téléphones portables entrent dans les prisons. Il existe des brouilleurs ; peut-être conviendrait-il de les généraliser ?

M. Sébastien Nicolas. Les dispositifs de brouillage qui existent aujourd’hui sont très performants et permettent, dans un établissement, de définir un périmètre très précis de brouillage. Ces dispositifs coûtent cher, mais ils commencent à se développer et sont efficaces. La principale crainte est liée au principe même des brouilleurs : c’est qu’ils brouillent le proche environnement de l’établissement et les portables des personnels.

Les retours que nous avons des premiers établissements qui les ont mis en place sont très positifs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans combien d’établissements ont-ils été mis en place ?

M. Sébastien Nicolas. Je ne sais pas exactement, mais, à Paris, la Santé en a installé. La difficulté, posée par les anciens dispositifs, était celle du paramétrage de la capacité de brouillage et des potentielles conséquences sur la santé des personnels. Or aujourd’hui, les nouveaux dispositifs sont très aboutis : un dispositif capte le signal, et aussitôt le dispositif de brouillage se met en route. C’est-à-dire que si aucun signal n’est détecté, il n’y a pas de brouillage, donc pas d’ondes activées. C’est un procédé qui mérite d’être généralisé dans les établissements, car il s’agit d’un véritable outil de lutte contre les portables en détention, qui génèrent trafics et autres dommages.

Mme Aurélie Jammes. Je souhaite revenir, si vous me le permettez, sur les détenus à profil psychiatrique. Il a été indiqué par ma collègue que, selon une étude ancienne, 40 % de la population carcérale présentait des troubles psychiatriques. C’est un chiffre qu’il conviendrait d’actualiser et de relativiser, puisque la dépression, par exemple, est considérée comme un trouble psychiatrique, alors qu’elle n’est pas porteuse de dangerosité pénitentiaire.

Au-delà du trouble psychiatrique, de nombreux détenus ont des troubles de la personnalité, qui entraînent certains problèmes difficiles à gérer par nos personnels. Je veux parler d’actes de scarification, d’automutilation ou d’agression des personnels, et d’une réelle intolérance à la frustration. Ces détenus ne souffrent pas pour autant de troubles psychiatriques et ne sont pas suivis par un psychiatre. Mais ils sont, pour nous, créateurs de difficultés et d’insécurité.

Les UHSA sont complètes et les listes sont longues. Il existe également les soins psychiatriques à la demande du représentant de l’État, les hospitalisations d’office pour lesquelles le médecin décide d’hospitaliser en urgence une personne détenue dans l’hôpital psychiatrique de proximité, sous couvert d’un arrêté préfectoral. Enfin, il existe également des services médicaux psychologiques régionaux dans certains établissements, mais qui sont eux aussi saturés et pour lesquels les listes d’attente sont très longues.

Si les victimes demandent une réponse pénale – c’est-à-dire une privation de liberté –, certains délinquants ou criminels relèvent du secteur psychiatrique ; mais cette réponse n’est pas toujours satisfaisante pour la victime.

 

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  Audition du 27 mars 2019

Table ronde de représentants des associations membres de l’Entente Gendarmerie :

 Le Trèfle, société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale : général Edmond Buchheit, président ;

 Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG) : M. Jean-Claude Fontaine, président ; Ailes de la gendarmerie : colonel Patrice Gras, président ;

 Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG) : Mmes Muriel Noël, présidente, et Virginie Rodriguez, vice-présidente ;

 Confédération française d’associations de retraités et de pensionnés de la gendarmerie (CFARPG) : colonel Jean-Jacques Vichery, coprésident ;

 Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG) : colonel Jean-Pierre Virolet, premier président national adjoint et colonel Gérard Sullet, secrétaire général ;

 Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) : capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national, chef d’escadron Laurent Huet, secrétaire général, et major Emmanuel Zammit, président pour le département de Loir-et-Cher ;

 Amis de la gendarmerie : général Jean Colin, président ;

 Association nationale des réservistes et des sympathisants de la gendarmerie (RESGEND) : colonel Luc Delnord, président ;

 Société nationale d’histoire et du patrimoine de la gendarmerie (SNHPG) : général Jean-Régis Véchambre, président.

 

Mme Alice Thourot, présidente. Nous recevons aujourd’hui les associations membres de l'Entente Gendarmerie, un partenariat qui, depuis 2016, réunit les principales associations liées à la gendarmerie.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

Général Edmond Buchheit, président du Trèfle, société d’entraide des élèves et anciens élèves de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale. Mesdames et messieurs je préside le Trèfle, société d’entraide qui regroupe la majorité des officiers de la gendarmerie. Je vais vous rapporter les informations que j’ai recueillies sur le terrain, en Alsace.

Je traiterai d’abord de la question du maintien de l’ordre et les atouts et les faiblesses de la gendarmerie mobile par rapport aux autres forces de sécurité, notamment les compagnies républicaines de sécurité (CRS).

La gendarmerie mobile est la seule force de la Gendarmerie nationale spécialisée dans le maintien de l'ordre. Elle présente trois atouts principaux.

D’abord, les gendarmes mobiles sont jeunes et en excellente condition physique, puisqu’ils sont mutés, au bout de sept ou huit ans, en gendarmerie départementale – à l’exception des gradés. Ensuite, ce sont des militaires, c’est-à-dire qu’ils sont mobiles, rustiques et capables de s’adapter à tout type de missions et d’horaires. Enfin, les gendarmes mobiles sont très bien entraînés. La Gendarmerie nationale dispose à Saint-Astier d'un centre d'entraînement qui leur est principalement destiné. Créé il y a trente ans, c’est un modèle en son genre. Les escadrons s’y rendent tous les deux ans – en théorie –, se remettre à niveau, pour une durée de trois semaines. Ce centre d’entraînement est un outil majeur, qui permet à la gendarmerie mobile de garder la force opérationnelle qu’elle a su montrer ces derniers temps.

Second point, les faiblesses. La principale faiblesse de la gendarmerie mobile est liée, non pas à la force elle-même, mais à un suremploi des gendarmes, qui dure depuis maintenant près de deux ans. Toutes les unités sont actuellement engagées, ce qui entraînera inévitablement une grande fatigue du personnel. Par ailleurs, l’entraînement ne peut plus être assuré, ce qui finira par se répercuter sur les escadrons, dont la qualité opérationnelle risque de diminuer. Il est donc important de garantir du temps à la gendarmerie mobile pour qu’elle puisse continuer à s’entraîner pour assurer, non seulement sa mission de maintien de l’ordre, mais également ses missions de défense.

Au regard de l’emploi actuel de l’ensemble des forces de l’ordre – gendarmerie mobile et CRS –, il est évident que nous manquons d’escadrons. Au titre de la révision générale des politiques publiques (RGPP), le gouvernement de François Fillon a réduit l’ensemble des effectifs des forces de l’ordre, notamment en supprimant quinze escadrons de la gendarmerie mobile. Si un rétablissement des effectifs a été, en partie, effectué, il n’a pas permis la création d’escadrons, de sorte qu’aujourd’hui la Gendarmerie nationale ne dispose pratiquement plus de marges de manœuvre. Le 8 décembre 2018, par exemple, 106 des 109 escadrons étaient déployés sur le terrain ; c’est du jamais vu.

Il est donc nécessaire de recréer des escadrons de gendarmerie mobile, sachant que, s’ils ne sont pas redéployés pour le maintien de l’ordre, ils seront utilement employés en renfort de la gendarmerie départementale, comme c’est le cas depuis dix ans.

L’autre faiblesse de la gendarmerie mobile, ce sont ses équipements, notamment les véhicules, beaucoup trop anciens. Les véhicules Irisbus ont aujourd’hui douze ans et sont à bout de souffle. Les véhicules de commandement d’escadron ont vingt ans et les blindés, que vous avez pu voir récemment, quarante ans ! Il est urgent de trouver une solution pour rééquiper cette force ; j’attire particulièrement votre attention sur ce point.

Troisième faiblesse : le suremploi de la gendarmerie mobile nuit à la gendarmerie départementale, qui ne peut plus être renforcée. Les associations ici présentes évoqueront mieux que moi la question de la réserve. Je signalerai simplement qu’elle a été, ces dernières années, engagée de manière très forte. Cette année, la masse salariale destinée à son financement – en baisse de 40 % – est nettement insuffisante et ne permettra pas à la réserve de renforcer utilement la gendarmerie départementale, qui, de fait, ne pourra pas consacrer suffisamment de temps à la police de sécurité du quotidien (PSQ).

La dernière faiblesse est à la fois budgétaire et structurelle. Le budget de la Gendarmerie nationale, le programme 152, est insuffisant, notamment en termes de masse salariale ; je tiens cette information de la direction générale. La gendarmerie n’a pas été budgétée à la hauteur des effectifs qu’elle est en droit d’avoir. De sorte que le directeur général, non seulement est obligé de ralentir le recrutement, ce qui entraîne un déficit d’effectifs dans les unités mobiles, mais ne peut plus faire appel, autant de fois que nécessaire, à la réserve.

M. Jean-Claude Fontaine, président de la Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG). Mesdames et messieurs, président de la Fédération nationale des retraités de la gendarmerie (FNRG), je suis également, jusqu’à la fin du mois, secrétaire de l’Entente Gendarmerie.

Il faut donner aux forces de l'ordre les moyens de travailler plus sereinement. La France doit disposer de forces de l’ordre bien équipées et qui se sentent soutenues, pour garantir leur intégrité et mener à bien leurs missions, qui consistent essentiellement en la protection des citoyens.

L’article 431-3 du code pénal dispose que, lors d’une opération d’ordre public, en cas d’attroupement, l’usage du lanceur de balles de défense (LBD) est justifié si des violences ou des voies de fait sont commises à l'encontre des forces de l'ordre – et tout le monde sait à quel point les forces de l'ordre subissent des violences.

S’agissant des journées interminables effectuées par les forces de l’ordre – suspension des repos, temps de récupération dans les tiroirs, violences incessantes et comportements haineux à leur égard –, nous sommes en droit de nous demander jusqu’où nous allons aller. Mettons-nous à la place du gendarme ou du policier qui, avant de prendre son service le matin pour aller faire du maintien de l’ordre, embrasse son épouse et ses enfants et leur dit « à ce soir » ; il se dit probablement « ici ou à l'hôpital »…

Le Gouvernement a annoncé 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires – 7 500 policiers et 2 500 gendarmes. Pourtant, si certaines unités ont été renforcées de manière significative, notamment dans le cadre de la PSQ et des quartiers de reconquête républicaine, c’est en récupérant des personnels dans des groupements réputés plus calmes, mais dont les charges de travail ne cessent d’augmenter.

Nous avons, par ailleurs, besoin d’une réponse adaptée de la justice aux crimes et aux délits. Or, certainement par manque de moyens, mais aussi par la volonté de certains magistrats, nous déplorons aujourd'hui une forme de laxisme inquiétant dans le prononcé des peines. Les événements récents et les exactions des manifestants qui ont entraîné des dommages corporels et matériels graves ne débouchent pas sur des peines dissuasives, pourtant prévues par le code pénal. Le citoyen perd confiance.

Colonel Patrice Gras, président des Ailes de la gendarmerie. Mesdames et messieurs les députés, Président des Ailes de la gendarmerie, je suis un ancien moniteur-pilote de la gendarmerie.

Je vous parlerai des hélicoptères que vous avez vu survoler Paris, ces derniers samedis, lors des manifestations des gilets jaunes ; des hélicoptères qui peuvent prendre des vues – lire une plaque d’immatriculation – jusqu’à trois kilomètres. Malheureusement, le parc, qui devait être rénové entièrement en 2015, ne l’a pas été pour des raisons financières, en lien direct avec la crise de 2008. Sur cinquante-six hélicoptères, vingt-six datent de 1980. Comme pour la gendarmerie mobile, quand il ne s’agit pas de véhicules conventionnels, la gendarmerie a du mal à remettre à niveau les véhicules.

Trente des cinquante-six hélicoptères possèdent des caméras adaptées, mais qui ont déjà dix ans. Si rien n’est fait dans les cinq ans à venir, cela va devenir problématique. Des « rétrofitages » doivent donc être rapidement envisagés, mais pour cela un budget doit être alloué à la gendarmerie sur plusieurs années, afin qu’elle puisse programmer ce renouvellement.

Mme Muriel Noël, présidente de l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG). Mesdames et messieurs les députés, fille et femme de gendarmes, je connais bien la Gendarmerie nationale. Je suis accompagnée de ma collaboratrice, Virginie Rodriguez.

L’AAFMG est une association, née en avril 2000 du besoin de prendre la défense de la qualité de vie de la famille. À sa création, l'association avait pour nom le Mouvement des femmes de gendarmes ; elle est devenue en 2007, l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG). Elle a pour vocation d'alerter, de mobiliser et de sensibiliser sur les problèmes quotidiens et d’intervenir aux côtés des familles lorsque cela est nécessaire.

Nos membres sont répartis sur tout le territoire français, notamment en secteur rural. Ils ont besoin d'être écoutés, soutenus et de pouvoir compter sur une organisation dédiée de leurs problèmes.

L’AAMFG intervient directement auprès des familles, pour les aider dans la gestion de dossiers, sur des sujets aussi variés que le logement, l’emploi, les difficultés familiales de la vie en caserne ou le soutien des conjoints survivants, après les drames que nous connaissons. Nous essayons de rechercher la meilleure solution, celle qui sera la plus adaptée à la situation, pour laquelle nous avons été sollicités.

Mais tenter de trouver une réponse au besoin d'aide ne veut pas dire que nous donnons satisfaction à tout le monde. Chacun ayant sa façon de voir, il nous faut être clairvoyants et vigilants dans la façon de présenter les limites de l'intervention de l'association.

Mme Virginie Rodriguez, vice-présidente de l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG). Membre du conseil d'administration de l’AAMFG, je m'occupe de la zone ouest de la France, qui regroupe les régions Bretagne, Normandie et Pays-de-la-Loire. Je développerai le thème principal qui est au cœur de nos préoccupations, je veux bien sûr parler de l'immobilier.

L’immobilier est un vaste sujet, connu de tous, et plus particulièrement des députés, des sénateurs et des différents ministres de l’intérieur qui se sont succédé, puisque les rapports et les débats sur ce sujet épineux ne manquent pas.

Je puis vous citer le rapport du député Boisserie en 2012, celui, plus récent, des sénateurs Grosdidier et Boutant, les rapporteurs des projets de loi de finances (PLF) de ces dernières années, ou encore les questions orales de plusieurs députés adressées au Gouvernement. Sans oublier, bien entendu, nos alertes et interventions récurrentes pour dénoncer le danger et les conditions de vie déplorables des casernes domaniales, auprès des différents ministres qui se suivent et se ressemblent dans leur incapacité à trouver une solution pérenne à cette tragique déliquescence.

Nous pouvons parler de « caractère urgent, alarmant, catastrophique, voire maintenant critique du parc immobilier de la gendarmerie » ; un sujet que personne ne peut plus ignorer et qui n’est pas une surprise. L'âge moyen des casernes domaniales est de quarante-deux ans ; 70 % d’entre elles ont entre vingt-six et plus de cent ans, et moins de 2 % avaient moins de dix ans en 2018, contre 7 % en 2011. Ces chiffres sont significatifs du désengagement de l'État de la construction de nouvelles casernes, laissant cette tâche au bon vouloir des collectivités.

La plupart de ces casernes sont totalement vétustes, voire insalubres, par manque de crédits d'investissement depuis plusieurs années. Certes, des moyens supplémentaires ont été alloués pour la réhabilitation des casernes les plus insalubres, par le biais des plans pluriannuels. Mais comme l’a justement souligné le rapporteur du projet de loi de finances pour 2019 au Sénat, M. Philippe Dominati, « le délabrement est tel que les crédits prévus pour les années 2018-2020 sont en réalité inférieurs de 450 millions d'euros au besoin identifié ». Je ne pense pas que nous puissions arrêter une hémorragie avec un simple pansement.

Les gouvernements successifs ont laissé, sous le prisme des récessions budgétaires, les logements tomber peu à peu en décrépitude. Ces mêmes logements, dans lesquels des familles sont encore installées au détriment de leur bien-être, et parfois même de leur santé. Or le logement, par nécessité absolue de service, constitue la contrepartie du régime de disponibilité des militaires de la gendarmerie. Il permet aussi le maillage de l'ensemble du territoire, grâce aux brigades départementales.

Aujourd’hui, le logement n’est plus un avantage, mais un véritable sacerdoce pour des familles qui ont la malchance de se voir affecter dans une de ces casernes domaniales ; il crée, de fait, un sentiment d'iniquité entre les gendarmes. Pourtant, les conditions de logement influencent directement l'existence des gendarmes, la famille étant la béquille du gendarme. Elle est une force de soutien indispensable. Notre dévotion et nos sacrifices participent à l'image honorifique de la gendarmerie. Les conditions de logement déterminent aussi notre capacité à supporter le reste. Vivre dans un taudis ne fait pas partie du contrat d'engagement des conjoints. La responsabilité de la vétusté du parc immobilier de la gendarmerie n'est pas de notre fait ; nous la subissons chaque jour.

Qui accepterait de loger sa famille dans un appartement où la moisissure et l'humidité provoquent des maladies pulmonaires ou de l'asthme chez les enfants ? Où l'isolation en papier mâché ne permet aucune intimité et provoque des infiltrations ? Où la température des chambres de nos enfants ne dépasse pas 11 degrés en hiver, alors que l’on vous assure que la chaudière fonctionne à plein régime et que les charges ne cessent d'augmenter ? Où la plomberie et les installations électriques ne répondent plus aux normes depuis bien longtemps ? Où les balcons et parements extérieurs s'effritent et deviennent un danger pour les passants ? La réponse, vous la connaissez tous : nous.

Ces mêmes gendarmes que l’on sollicite davantage chaque jour, qui ne comptent pas leurs heures et qui doivent faire face à une violence accrue – dont parfois la volonté de « tuer du bleu », comme il se dit –, aux injures quotidiennes et aux provocations, qui sacrifient souvent leur vie de famille pour honorer leur mission, qui sont représentants de l'État et que les politiciens de tout bord remercient pour leur courage et leur abnégation, sont contraints de vivre dans des conditions déplorables, indignes de leur statut.

À l'heure où le Gouvernement impose aux collectivités territoriales un quota de 25 % de logements sociaux à basse consommation, comment expliquer cette léthargie face à la détérioration de la qualité de vie des gendarmes et de leurs familles ? Comment ne pas ressentir de l'amertume lorsque les gendarmes qui patrouillent ou interviennent dans des cités reconstruites à neuf, avec digicodes, fenêtres PVC, isolation BBC et tout le confort du modernisme urbain, doivent à la fin de leur journée rentrer dans leur taudis étatique ? Nos nouvelles prisons seront bientôt plus accueillantes que certaines de nos casernes.

Au-delà des crédits d'investissement insuffisants, l'état des casernes est également impacté par le manque de techniciens, au sein des services des affaires immobilières de la gendarmerie. En effet, ces techniciens, qui sont les garants de leur entretien et du bon déroulement des travaux de rénovation et de construction, manquent cruellement, ce qui les conduit à ne traiter que les urgences. Pas assez de vérifications des travaux d'entretien, pas de visite annuelle de toutes les casernes, pas de suivi continu des chantiers : voilà qui constitue le meilleur terreau qui soit pour les abus et les malfaçons que nous constatons régulièrement. Pourtant, en remédiant à ce déficit en personnel technique, la déliquescence des casernes, qu'elles soient domaniales ou locatives, serait certainement moins rapide.

L'autre point qui accentue la détérioration des casernes, car il ampute de manière progressive les budgets alloués au fonctionnement courant, ce sont les contrats de maintenance ou les contrôles obligatoires annuels, à savoir l’entretien des chaudières et la vérification des équipements anti-incendie, des climatiseurs, des portails, qui sont gérés par les préfectures et sur lesquels la gendarmerie n'a plus de contrôle.

Le problème est que les constats effectués qui devraient déboucher sur des réparations ne sont pas honorés par manque, encore une fois, de moyens. Pour autant, un nouveau contrôle est effectué et payé l'année suivante ; et bien entendu, le constat est le même. Ces contrats représentent aujourd'hui 60 % du budget de fonctionnement courant, au détriment des travaux dont les logements ont cruellement besoin.

Pour les familles et les gendarmes, la seule solution envisageable pour répondre à cet état des lieux déplorable est d’allouer des crédits visant remettre tous les logements dans un état satisfaisant.

Colonel Jean-Jacques Vichery, coprésident de la Confédération française d’associations de retraités et de pensionnés de la gendarmerie (CFARPG). Je ne reviendrai pas sur les propos du général Buchheit, que je partage totalement, de même que ses inquiétudes sur le renouvellement du matériel, et notamment des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (BBRG) qui entourent parfois l’Arc de Triomphe et qui sont âgés de quarante ans. La gendarmerie est très inquiète.

Colonel Jean-Pierre Virolet, premier président national adjoint de l’Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG). Forte de 30 000 adhérents, notre association est la plus importante de la gendarmerie. Elle compte en son sein des actifs, des réservistes, opérationnels et citoyens, et des retraités. Elle est totalement indépendante et n'a aucune vocation syndicale. Elle est implantée sur tout le territoire national et ultramarin et elle est représentée au Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) et au Conseil permanent des retraités militaires (CPRM).

Pour répondre au mieux à vos questions, nous avons lancé une consultation nationale auprès de nos cent quatre présidents répertoriés. Nous avons étudié toutes les réponses, nous les avons classées, synthétisées selon les thèmes de l'enquête de votre commission. Elles viennent compléter les réflexions déjà émises lors de notre audition devant la commission d'enquête du Sénat, le 17 décembre dernier.

Je rejoins mes camarades dans leurs propos et j'ajouterai, concernant la gendarmerie mobile, qu’il ne faut surtout pas supprimer les LBD, qui ne sont pas des armes létales et qui sont presque obligatoires dans le cadre du rétablissement de l’ordre – et non pas du maintien de l’ordre. En effet, le gendarme ou le policier, à un moment ou un autre, peut se retrouver encerclé, situation qui risque de tourner au drame – un drame qui, jusqu’à présent, a pu être évité grâce au sang-froid de nos gendarmes et de nos policiers, notamment des gendarmes mobiles qui sont formés en la matière.

Le LBD ne doit donc pas être retiré mais, au contraire, utilisé. Pour ce faire, j’ai pris l’exemple du paintball. Pourquoi ne pas charger les LBD en munitions contenant de la peinture, afin de marquer et d’identifier les casseurs ? C’est une proposition que je vous présente.

En matière de PSQ, je suis porteur d'un projet qui a vu le jour en décembre 2017 et a été retenu par l’ancien ministre de l'intérieur, M. Gérard Collomb, qui a transmis ces observations au directeur de la Gendarmerie nationale, lequel en a pris acte et aurait souhaité un retour d’expérience.

Malheureusement, si la gendarmerie mobile est impactée, la gendarmerie départementale l’est encore davantage. Il arrive en effet que des préfets, en zone de police, demandent l’intervention des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), voire des brigades territoriales. Ce qui veut dire que la gendarmerie, actuellement, couvre 60 % des opérations qui se déroulent sur le territoire national – en zone de police, en particulier.

Je dois être reçu le 10 avril, avec le colonel de gendarmerie du ministère de l’intérieur, par le préfet Pierre N’Gahane, qui a été nommé comme référent dans le cadre du grand débat, au ministère de l'intérieur. Nous disposerons donc de plus d’informations et j’essaierai d’évoquer, à cette occasion, le problème de la PSQ – une PSQ qui n’est plus effectuée par les réservistes, par manque de moyens.

Pour les réservistes, on ne dispose que d’un budget à trois mois ; tous les trois mois, de l’argent est remis. Par ailleurs, les retraités de la gendarmerie qui effectuaient la PSQ faisaient également du renseignement sur le terrain, notamment en matière de terrorisme. Ce sont des réservistes très intéressants puisqu’ils ont tous été agents de police judiciaire (APJ) ou officiers de police judiciaire (OPJ), officiers ou sous-officiers. Il ne faut pas les confondre avec les « voisins vigilants », qui sont recrutés par les réservistes pour apporter du renseignement dans nos cellules de renseignement.

L’axe Paris-Reims-Charleville-Charleroi-Bruxelles est un axe terroriste. Les frères Coulibaly disposaient d’une base arrière à Charleville-Mézières. Et si certains présidents départementaux nous disent qu’ils n’ont pas de criminalité dans leur département, souvenez-vous que des membres du mouvement Action directe, dont Nathalie Ménigon, s’étaient réfugiés dans une ferme, à Vitry-aux-Loges ; alors pourquoi pas, aujourd’hui, dans la forêt ardennaise ?

Colonel Gérard Sullet, secrétaire général de l’Union nationale des personnels et retraités de la gendarmerie (UNPRG). L’état de notre gendarmerie mobile est très inquiétant, notamment quand on a connu un effectif de 15 000 gendarmes et 125 escadrons – des escadrons qui se déplaçaient sur le terrain avec au moins 75 gendarmes. Aujourd'hui, nous disposons de 109 escadrons qui fonctionnent, au mieux, à quatre pelotons. Quatre pelotons déployés sur les Champs-Élysées ne représentent que 64 gendarmes.

La gestion actuelle des gendarmes est infernale, étant donné leur niveau d’emploi. En ce moment, un escadron se déplace à 36 gendarmes – avec trois pelotons. Telle est la réalité. Depuis la suppression de quinze escadrons, on a joué sur les effectifs en les diminuant. Il en va de même pour les CRS.

La gendarmerie mobile compte aujourd’hui 13 000 gendarmes, chaque escadron étant doté de quatre pelotons. Vingt-deux escadrons ont bénéficié d’un cinquième peloton, qui leur permet d’étoffer un peu leurs moyens d’intervention. Mais la majorité des escadrons se déplacent, au maximum, à soixante-quatre gendarmes. Il est donc nécessaire de recréer quinze escadrons, ce qui correspond à 1 500 équivalents temps plein (ETP).

Comme le général, j’ai une totale confiance en la formation délivrée à la gendarmerie mobile, mais aussi en la jeunesse, la militarité et la disponibilité des gendarmes. Je rappelle que les gendarmes ne récupèrent pas les heures supplémentaires qu’ils ont effectuées. Ils sont disponibles 24 heures sur 24 et disposent de moyens largement insuffisants.

Tout le monde est conscient aujourd’hui, dans la période difficile que nous traversons, que les unités de maintien de l’ordre sont saturées et que, même si le mouvement des gilets jaunes devait s’arrêter, l’avenir dans le domaine de la violence urbaine nécessite une réflexion, notamment sur la remise à niveau de la gendarmerie mobile.

Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN). Mesdames et messieurs, je préside la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale, la plus ancienne association de réservistes, créée en 1996 à la demande du directeur général de l'époque, et ayant pour vocation de faire remonter au commandement un certain nombre de faits constatés sur le terrain, mais également de participer à la réflexion collective de la gendarmerie sur le statut des réservistes.

Les manifestations actuelles démontrent la fragilité du contrat social. La remise en cause de l'autorité de l'État, constatée sur l'ensemble du territoire, nous interroge. Comme l'a indiqué le géographe Christophe Guilluy, « le service public de la sécurité, auquel la gendarmerie contribue, représente, matérialise le dernier lien dans beaucoup de territoires, entre le citoyen et l'État républicain ».

Cette seconde commission d'enquête, en moins d'un an, sur les forces de l’ordre, est une bonne chose. Il nous paraît important que la réflexion sur notre politique de sécurité intérieure se fasse, comme pour les armées, dans un schéma global.

Ces dernières années, deux Livres blancs et une revue stratégique ont été consacrés aux armées. Nous pensons, après l'adoption de la loi de programmation militaire (LPM), qu’il est important que la politique de sécurité intérieure s'inscrive dans la même dynamique, notamment au vu de l’évolution de la délinquance qui impose bien souvent des évolutions budgétaires en matière de matériel et des évolutions législatives.

Ainsi l'annonce d'une possible loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI), par le ministre de l'intérieur lors de ses vœux aux forces de sécurité intérieure, est une bonne idée. Elle permettra notamment de fixer les grandes orientations de notre politique de sécurité intérieure, ainsi que les grandes orientations budgétaires, à l'heure où nous assistons à l'émergence du concept de sécurité globale, sur lequel le président de la commission d'enquête a beaucoup travaillé, et qui évoque la coproduction de sécurité, la politique partenariale et donc l'émergence d'un nouvel acteur dans le champ de la sécurité intérieure – les acteurs de sécurité privée.

 La réserve militaire de la gendarmerie, ce sont 30 000 réservistes opérationnels et 1 500 réservistes citoyens. La réserve militaire, et plus particulièrement la réserve opérationnelle, permet à la gendarmerie de disposer d’un vivier d'utilisation souple, et ainsi de bénéficier d’une manœuvre globale plus importante.

 La réserve opérationnelle est un peu l’équivalent de l'effet multiplicateur keynésien dans le domaine économique, puisqu’elle nous permet de démultiplier nos forces sur le terrain et d'avoir une empreinte au sol beaucoup plus importante, notamment quand les brigades sont très occupées par des missions de police judiciaire alors que toutes les missions de police administrative, surveillance de proximité et sécurité du quotidien, doivent être assurées.

Notre réserve militaire est un modèle pour les autres armées notamment en termes de gestion. Par ailleurs, et c'est important de le rappeler dans le cadre des réflexions actuelles sur le service national universel, la réserve militaire de la gendarmerie participe fortement au lien nécessaire entre la nation et ses forces armées.

La sociologie du réserviste démontre toute sa richesse. Nous avons, d’une part, pour un tiers, les anciens de l'arme au passé militaire, et, d’autre part, des réservistes issus du civil. Il s’agit aussi bien d’étudiants, de chômeurs, de fonctionnaires, d’artisans que de professions libérales. Et c’est justement cette richesse qui participe à la réussite de notre modèle de réserve.

Ces réservistes, malgré leur vie professionnelle et personnelle, décident de renforcer, sur une partie de leur temps libre, les forces de la gendarmerie. Quand ils signent un engagement à servir dans la réserve (ESR), ils intègrent, comme leurs camarades d'active, la notion de sacrifice ultime, c’est-à-dire qu’ils peuvent payer de leur vie leur engagement. Je vous rappelle, mesdames et messieurs les députés, que quatre-vingts réservistes ont été blessés l’année dernière.

En ce qui concerne les freins actuels, le premier est budgétaire. Le budget de la réserve de la gendarmerie est une variable d'ajustement, non seulement pour la gendarmerie, mais également, de manière plus globale, pour le ministère de l'Intérieur.

Ce frein budgétaire est aujourd'hui problématique, alors même que le directeur général souhaite consolider notre modèle de réserve – la fidélisation de nos réservistes est une priorité. Il nuit également à nos chefs opérationnels, puisque le manque de visibilité budgétaire ne leur permet pas de concevoir une manœuvre globale sur l'année. Comment, en effet, prévoir une manœuvre pour les fêtes de fin d'année, quand vous n’avez aucune visibilité sur le budget ?

Ce coup de frein budgétaire est le second en moins de dix ans. Le premier a eu lieu en 2012, avec la mise en place de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui avait entraîné le départ de nombreux cadres, de sous-officiers, de gradés de réserve ; c’est-à-dire de ceux qui constituent le squelette de notre réserve opérationnelle. Alors que, le 31 décembre 2011, nous disions aux adjudants, aux lieutenants et aux capitaines de réserve : « Vous êtes formidables », le 1er janvier 2012 le discours a été : « Vous nous coûtez trop cher, nous ne pouvons plus vous employer » ! Nous avons perdu, en 2012, un grand nombre de camarades expérimentés sur lesquels l’institution avait beaucoup investi en matière de formation. En termes de budget cumulé, je suis persuadé que nous avons perdu plus d’argent que nous en avons économisé.

L’année dernière, grâce à une action du directeur général et du ministre de l'Intérieur de l'époque, nous avions obtenu des autorisations d'engagement sur le second semestre 2018. Mais les crédits de paiement n’ont pu être libérés avant 2019. C’est-à-dire que des réservistes ont travaillé pendant six mois sans être payés, alors que le sacrifice ultime fait partie de leur contrat.

Au-delà des moyens alloués par votre assemblée dans le cadre des projets de loi de finances, cette problématique budgétaire nous pousse à réfléchir à la nécessité de rechercher de financements innovants. Notre association, à travers le programme « les cadets de la gendarmerie », avait notamment proposé à la région de gendarmerie d’Île-de-France un financement innovant : un dispositif selon lequel des réservistes opérationnels encadraient des jeunes en stage de découverte de la gendarmerie. L’encadrement de jeunes n’étant pas la mission prioritaire des réservistes – la loi du 3 août 2009 rappelle que leurs missions prioritaires sont des missions de type opérationnel –, nous avions imaginé que les crédits de personnel, dits de titre 2, puissent être remboursés à la gendarmerie. Forte de cette réflexion, la région de gendarmerie d'Île-de-France, avec le conseil régional d’Île-de-France et Île-de-France Mobilités, qui a la volonté d’employer des réservistes sur le réseau ferré francilien et de démultiplier ainsi les forces de sécurité sur les réseaux de transport publics, a imaginé un dispositif similaire pour rembourser à la gendarmerie les salaires des réservistes employés. Sachant qu’il ne s’agit pas d’une mise à disposition, l’autorité d’emploi et le donneur d’ordres restent la région de gendarmerie d'Île-de-France. Par ailleurs, je tiens à préciser que nous ne sommes pas en train de lever une armée de mercenaires au profit du conseil régional d'Île-de-France.

J’attire votre attention sur ce dispositif, car la direction générale rencontre des difficultés à mettre en place ce mécanisme de financements innovants. Mais sachez que, si cette convention se met en place, ce sont 500 000 euros qui seraient débloqués, étant donné qu’un réserviste est payé en moyenne 80 euros par jour. Je vous laisse imaginer le nombre de réservistes qui pourraient être déployés sur les réseaux de transport publics franciliens et ainsi contribuer à la sécurité publique.

Les restrictions budgétaires sont également un frein au perfectionnement de nos réservistes, puisqu’elles ne permettent pas à l’institution de leur offrir la formation continue dont ils doivent bénéficier. Cette formation se veut exigeante et approfondie, les réservistes ne travaillant pas à plein-temps. Attention, je ne dis pas que nos réservistes ne sont pas des professionnels ; je parle de perfectionnement.

S’agissant des autres freins, je citerai la relation entre les réservistes et les employeurs. Je vous l’ai dit, la réussite de notre réserve repose sur la diversité sociale des réservistes. Or, ceux-ci ont souvent un problème avec leur employeur pour se libérer et, sont parfois, obligés de puiser dans leurs réductions du temps de travail (RTT).

Plus généralement, notre modèle de réserve repose sur la loi des 35 heures. Chaque année le Conseil supérieur de la réserve militaire (CSRM) remet un prix à l’entreprise qui a libéré ses salariés pour qu’ils puissent partir en mission. Une année, j’ai proposé d’attribuer ce prix à Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn, auteurs de la loi sur les 35 heures, nos réservistes étant aujourd’hui obligés de poser des RTT pour partir en mission ; c’était une plaisanterie, bien évidemment.

Nous devons cependant sortir de cette logique et les partenaires sociaux doivent s’emparer de cette problématique. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) et le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) doivent réfléchir, avec les syndicats, à cette question pour trouver une solution « gagnant-gagnant ». Un réserviste, épanoui par les missions qu’il accomplit, est plus performant et productif au travail – des études menées par le CSRM l’ont démontré.

Une personne qui souhaite intégrer la réserve doit suivre une préparation militaire gendarmerie de quinze jours. Or, aucune disposition légale ne contraint un employeur à libérer ses salariés pour qu’ils rejoignent la réserve. Ils suivent donc cette formation pendant leurs congés ou prennent parfois des congés sans solde. Nous devons débattre de cette question avec les employeurs ; je ne pense pas que 30 000 réservistes puissent mettre à mal l’économie de notre pays quand ils s’absentent pour se former.

Des aides ont déjà été mises en place dans le cadre de la création de la Garde nationale, notamment une incitation financière et des réductions d’impôt mais ces mesures fiscales sont lourdes à mettre en œuvre, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME). Des aides plus souples seraient nécessaires.

Les conventions entreprise-Défense se développent ; c’est une bonne chose. Se pose néanmoins la question de l’effectivité des droits. Notre association milite pour que soit créé, auprès du secrétariat de la Garde nationale, un poste de médiateur, dont la vocation serait de régler les contentieux qui existent entre le salarié et son employeur, quand ce dernier refuse de le libérer.

Je terminerai sur la question de la protection des réservistes. Cette protection doit intégrer la protection fonctionnelle, la protection balistique – je pense au gilet pare-balles qui va enfin être remis aux réservistes, alors qu’il est inscrit depuis bien longtemps déjà sur la feuille de route élaborée par le général Denis Favier – et la protection du matériel.

Concernant le matériel, les réservistes étaient, jusque récemment, doté de la même arme que le personnel d’active, le SP 2022, une arme commune à la police, à la gendarmerie et aux douanes. Le recrutement de personnels d’active et la décision d’attribuer une arme au gendarme pour toute sa carrière ont changé la donne : désormais les SP 2022 prévus pour les réservistes sont utilisés dans les écoles ; la gendarmerie a donc ressorti le PA MAS G1. Les réservistes possèdent désormais une arme différente que les actifs, alors même que la force de la réserve est construite sur le postulat selon lequel il n’existe aucune différence entre un réserviste et un gendarme d’active. Il serait bon d’acheter des SP2022 et de les attribuer aux réservistes.

Dernier point, la protection sociale du réserviste – dossier que notre association porte depuis 1996. Je vous rappelle que quatre-vingts réservistes ont été blessés, et que ces blessures ont eu un impact sur leur vie professionnelle et personnelle.

La loi de 1999 a mis en place la réparation intégrale du préjudice – confirmée par la dernière loi de programmation militaire –, qui prévoit la responsabilité sans faute de l'État. Les réservistes, juridiquement parlant, bénéficient d'un régime de protection maximale.

La gendarmerie, sous l’impulsion du général Denis Favier, du général Richard Lizurey et du général Alain Coroir, a mis en place un dispositif d’accompagnement à la protection sociale du réserviste, qui vise à aider le commandement dans la gestion des dossiers des réservistes blessés en mission. Nous disposons donc, en interne, d’un système performant. Cependant, ce sont les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) qui traitent les dossiers. Or ils ne sont pas habitués à traiter un dossier de militaire de la gendarmerie – il traite plutôt des dossiers des fonctionnaires de police – et encore moins d’un réservsite ; de fait, les procédures sont longues.

Traiter un dossier de réserviste n’est pas simple. Si la réparation intégrale du préjudice et la responsabilité de l’État sans faute sont prévues, la réparation doit être calculée en fonction de la profession du réserviste – et elles sont très variées. La mise en œuvre est donc très compliquée. Nous avons besoin de fluidité et de souplesse. Un effort de formation des personnels de SGAMI doit être réalisé et une procédure devrait être élaborée pour les aider à traiter ces dossiers.

Au cours des débats relatifs à la loi de programmation militaire (LPM), l’idée avait été émise de confier les dossiers des réservistes blessés en mission aux caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Mais, les CPAM ont un fonctionnement autonome – non hiérarchisé – et ne connaissent pas le statut des réservistes. Il est par ailleurs extrêmement difficile d’intervenir pour débloquer un dossier. C’est la raison pour laquelle, il est important que le traitement des dossiers des réservistes reste de la compétence du ministère de l’intérieur et des SGAMI.

Chef d’escadron Laurent Huet, secrétaire général de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN). Je suis chef d’escadron et j’accompagne le président national de la FNROCGN. Je suis à votre disposition pour répondre à d’éventuelles questions relatives à la réserve militaire.

Major de réserve Emmanuel Zammit, président départemental de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) pour le Loir-et-Cher. Je suis major de réserve et je fais partie de la réserve opérationnelle depuis le début de l’aventure. Je participe essentiellement à des missions opérationnelles sur le terrain. Je me tiens à votre disposition pour des questions concernant notamment les remontées de terrain.

Général Jean Colin, président des Amis de la gendarmerie. Je préside l’association des Amis de la gendarmerie, qui compte quelque 15 000 adhérents, répartis en 177 comités dans toute la France, dont cinquante-six députés et une vingtaine de sénateurs. L’objet de notre association est de faire connaître la gendarmerie et de mener des actions de soutien à son profit.

La gendarmerie assure la sécurité publique sur 95 % du territoire national et pour 50 % de la population. Au-delà de ces chiffres, la gendarmerie doit également faire face aux migrations saisonnières. J’habite dans l’est du département du Var, où chaque été s’installe une population équivalente au nombre d’habitants de la ville de Toulouse.

Une communauté de brigades représente une vingtaine de gendarmes qui surveillent une vingtaine de communes, soit quelque 20 000 habitants, sur une superficie qui peut être équivalente à Paris et à sa petite couronne.

La gendarmerie repose sur deux piliers : le statut militaire du gendarme et la concession d’un logement par nécessité absolue de service. J’interviendrai sur ce second pilier, afin de prolonger les propos des représentantes de l’AAMFG, et attirer votre attention sur l’insuffisance notoire des crédits consacrés à l’entretien des casernes de gendarmerie.

Actuellement, d’aucuns ont plaisir à rappeler que 100 millions d’euros ont été consacrés à la réhabilitation du parc immobilier de la gendarmerie. Pourtant, ce chiffre est sans commune mesure avec le besoin de rénovation du parc domanial.

Mesdames et messieurs, vous êtes élus d’une circonscription, vous avez affaire à des offices d’habitation à loyer modéré (HLM). Vous pourriez peut-être leur demander quelles normes seraient à suivre pour rénover le parc immobilier de la gendarmerie.

Le parc domanial de la gendarmerie, ce sont environ 5,2 millions de mètres carrés. Si nous considérons que nous devons le réhabiliter tous les cinquante ans, avec des normes très basses, 200 millions d’euros par an seraient nécessaires. S’agissant de la maintenance de ce parc, nous estimons le coût entre quinze et vingt euros le mètre carré, soit 100 millions d’euros chaque année. À ces 300 millions d’euros, il convient d’ajouter 100 autres millions pour l’entretien locatif – qui concerne non seulement les 5,2 millions de mètres carrés du parc domanial, mais également les 5,8 millions de mètres carrés du parc locatif –, qui relèvent du titre 3, à savoir les dépenses de fonctionnement.

Les conditions très dégradées dans lesquelles vivent certaines familles de gendarmes ont été très bien évoquées par les représentantes de l’AAMFG. J’ai pu le constater, puisque j’ai été sous-directeur de l’immobilier et des équipements durant cinq ans. Avec 100 millions d’euros alloués à l’amélioration du parc immobilier, nous sommes donc très loin du compte ; le parc va donc continuer à se dégrader.

De plus, sur ces 100 millions d’euros consacrés à la réhabilitation du parc, sont compris les hébergements des unités nouvelles, des centres opérationnels, des salles d’audition de mineurs, des salles de garde à vue – ainsi que la sécurisation des casernes de gendarmerie, particulièrement utile et urgente.

Tel est le message que je souhaitais vous faire passer : 100 millions est une somme importante, il s’agit de l’argent du contribuable, mais ce chiffre est sans rapport avec les besoins du parc immobilier de la gendarmerie.

S’agissant des véhicules, en ma qualité de sous-directeur de l’équipement, j’ai suivi la mise en place des Irisbus, qui ont aujourd’hui douze ans et des véhicules de commandement qui ont, eux, vingt ans. Et lorsque j’étais jeune lieutenant, j’ai assisté à l’entrée en service des Véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG). Les VBRG ne sont pas des véhicules de collection, il est donc important de les « rétrofiter » pour pouvoir les engager dans le cadre du maintien de l’ordre.

En ce qui concerne le renouvellement du parc des véhicules, 2 800 véhicules courants, de petite et moyenne capacités, sont en principe renouvelés chaque année. Mais pour les véhicules de commandement et les blindés, un plan sur plusieurs années serait nécessaire – qu’il convient de budgéter. Ce plan doit être rapidement envisagé, il en va de la crédibilité de la gendarmerie mobile.

Colonel Luc Delnord, président de l’Association nationale des réservistes et des sympathisants de la gendarmerie (RESGEND). Mesdames et messieurs les députés, je suis président de RESGEND, mais également membre de la réserve opérationnelle et conseiller réserve du général qui commande la gendarmerie des transports aériens.

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que, dans le continuum de sécurité globale, la réserve de la gendarmerie a toute sa place et qu’elle est un modèle pour les armées et la police nationale. Le général Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, aime à rappeler qu’il dispose de 130 000 gendarmes, soit 100 000 d’active et 30 000 de réserve.

Grâce à ces 30 000 réservistes, 2 700 hommes sont sur le terrain chaque jour. C’est un renfort important, mais pour que la réserve de la gendarmerie reste efficace et opérationnelle, il convient de recruter, former, équiper, employer et solder. Or, cela a été dit à de nombreuses reprises, aujourd’hui les budgets sont insuffisants.

Le budget de la réserve opérationnelle est, en 2019, inférieur de 40 % à celui de 2018 : une baisse énorme. Avec le mouvement des Gilets jaunes, l’emploi des gendarmes mobiles est à la limite de ce qui est possible – 106 des 109 escadrons ont déjà été déployés sur le terrain, en même temps. Cette augmentation de la charge missionnelle oblige la gendarmerie à faire appel aux réservistes. Or, nous ne pouvons pas, actuellement, solder ces réservistes. Nous savons déjà que, dès fin juin, nous ne pourrons plus faire appel à eux, faute d’argent. Pourtant, en période estivale des renforts sont indispensables – des millions de gens partent en vacances. Nous allons donc être confrontés, cet été, à un réel problème si nous ne pas disposons de ces renforts.

Je ne reviendrai pas sur les missions. J’apporterai simplement une précision concernant la protection sociale des réservistes. La direction générale a créé un poste de conseiller national auprès du commandant des réserves, et chaque région dispose d’un conseiller « protection sociale du réserviste », de sorte qu’il existe une réelle continuité dans le commandement et dans l’aide que la direction générale peut apporter aux réservistes en cas de blessure en service. C’est un modèle pour les autres armées.

La réserve constitue une ressource particulièrement utile – cela a été prouvé. C’est la raison pour laquelle, elle doit être confortée. Je terminerai en citant Churchill qui disait que le réserviste avait une double citoyenneté : militaire et civile.

Général Jean-Régis Véchambre, président de la Société nationale d’histoire et du patrimoine de la gendarmerie (SNHPG). Mesdames et messieurs, je suis Président de la Société nationale d’histoire et du patrimoine de la gendarmerie.

La gendarmerie est la première force de sécurité créée en France, il est donc intéressant, pour mener des réflexions de fond relatives à la sécurité de notre pays et de nos concitoyens, de convoquer l’histoire qui éclaire l’avenir.

Dans les années 1980, la gendarmerie se voit transférer, sur une décision du ministre de la défense, la totalité des réserves consacrées à la défense opérationnelle du territoire, notamment à la défense des points sensibles et des frontières, soit 250 000 réservistes. Lui est également confiée l’inspection de la défense opérationnelle du territoire.

À l’effondrement du mur de Berlin, ces dispositifs n’avaient plus d’objet. La loi a alors fixé un nouvel objectif, équilibré, aux armées et à la gendarmerie et les a dotées, chacune, de 50 000 réservistes, la gendarmerie restant en charge d’une bonne partie de la défense opérationnelle du territoire. Cependant, parce que les moyens n’ont jamais été mis en place, ni par l’armée ni par la gendarmerie, les réservistes – deux fois 50 000, donc – n’ont pas été attribués. L’effectif a été ramené à 40 000 par la loi, et la gendarmerie en compte aujourd’hui 30 000.

La cible de 40 000 me semble atteignable et importante. La réserve a non seulement une vocation d’appui, pour la gendarmerie, mais également une vocation nationale, dans le cadre des réserves nationales et de la Garde nationale.

Je reviendrai également sur l’une des conclusions du rapport de la commission d’enquête du Sénat, rendu en juin dernier. Je cite : « De l’avis général, les dispositifs de lutte contre les risques psychosociaux (RPS) se révèlent toutefois peu efficaces si parallèlement les supérieurs hiérarchiques immédiats ne sont pas davantage à l’écoute de leurs subordonnés et si la cohésion interne n’est pas globalement améliorée. Tandis que la Gendarmerie nationale bénéficie d’une structure unifiée de commandement et d’un esprit de corps affirmé, la police nationale souffre de sa forte segmentation et d’un manque patent de cohésion au quotidien sur les agents, comme sur l’efficacité des services. Surtout, le management au sein de la police nationale, jugé trop éloigné du terrain, peu à l’écoute des réalités et des difficultés des agents, contribue à la perte de sens du travail et à la démotivation des agents. »

Je ne porterai pas de jugement sur ce constat, je souhaite simplement éclairer les aspects positifs de l’organisation de la gendarmerie. J’ai d’ailleurs écrit, l’année dernière, à l’occasion des 130 ans de la Caisse nationale du gendarme (CNG), un éditorial dans une revue spécialisée, que j’avais intitulé « Du devoir social ».

L’organisation de la gendarmerie permet de répondre aux missions qui lui sont confiées. Tout d’abord, ce devoir social est, pour le chef, une mission ; c’est ensuite un état d’esprit dans l’institution ; et enfin, une organisation.

C’est d’abord, une mission. Le code de la défense attribue au chef, à tous les échelons, la mission de veiller aux intérêts de ses subordonnées. Et le règlement poursuit : « Lorsqu’il exerce une autorité en tant que chef, le militaire porte attention aux préoccupations personnelles des subordonnés et à leurs conditions matérielles de vie. Il veille à leurs intérêts, quand il est nécessaire, en saisit l’autorité compétente. » Vous noterez que cette responsabilité n’a pas d’équivalent, ni dans la fonction publique, ni dans l’entreprise.

Ensuite, un état d’esprit. Le directeur général de la gendarmerie emploie souvent le terme de « bienveillance ». Quand il a été reçu par la commission d’enquête du Sénat, le général Lizurey exprimait également cette fraternité par le mot « camarades ». Je le cite : « Malheureusement, nous n’avons pas été mesure d’empêcher le passage à l’acte de sept de nos camarades. […] L’accompagnement du personnel est indissociable du commandement, il nourrit cet esprit de corps, propre à la gendarmerie. »

Enfin, c’est une organisation. La hiérarchie doit être issue de l’institution et disposer de leviers pour répondre aux difficultés. Tel est l’atout d’une force militaire intégrée, dans laquelle le chef est à la fois opérationnel et organique. Les articles D-1221 et suivants du code de la défense traitent de ces notions.

Dans les forces armées, la préparation des forces relève du commandement organique, et leur emploi du commandement opérationnel. L’article suivant précise que le commandement organique et le commandement opérationnel peuvent être exercés par une seule et même autorité. Dans la gendarmerie, contrairement aux armées, les deux fonctions sont assez confondues dans le quotidien des opérations.

Je poursuis la lecture des articles : « Le commandement opérationnel est responsable de l’établissement des plans d’emploi et des plans opérationnels, de l’exécution de ces plans et de la conduite des opérations, de l’attribution de leurs missions aux échelons de commandement qui lui sont subordonnés, et de la répartition entre eux des moyens qui leur sont mis à disposition. ». Le commandement organique est lui « responsable de l’organisation, de l’instruction, de l’entraînement et de la sécurité des forces. […] La définition et l’expression des besoins à satisfaire dans tous les domaines qui concourent à la mise et au maintien en condition des forces, la gestion et l’administration du personnel, ainsi que l’application de la réglementation relative aux conditions de vie » – ce qui inclut la question de la caserne pour les gendarmes, et du logement pour les familles.

Enfin, « la formation administrative est l’élément de base de l’administration au sein des forces armées. Placée sous l’autorité d’un commandant de formation administrative, elle administre le personnel qui lui est affecté, les biens qui lui sont confiés, dans la limite des délégations de pouvoirs qui lui sont consentis. »

La fusion du commandement opérationnel et du commandement organique est nécessaire ; elle a été constatée par la commission d’enquête du Sénat. Posséder tous les leviers est fondamental. Il est donc essentiel, s’agissant des réflexions relatives à l’évolution de l’organisation de la gendarmerie, que ce point soit préservé, notamment des logiques ministérielles ou étatiques, qui visent à séparer le front office du back office, à séparer et à centraliser un certain nombre de fonctions, notamment de soutien.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le sujet de l’immobilier a largement été évoqué aujourd’hui, et il est vrai qu’il s’agit de l’une de nos priorités. Comme la majorité de mes collègues, j’ai visité toutes les brigades et casernes de ma circonscription et la vétusté de l’immobilier est bien l’une des raisons pour lesquelles j’ai proposé l’ouverture de cette commission d’enquête.

Vous l’avez rappelé, quinze escadrons ont été supprimés entre 2007 et 2012. Et aujourd’hui, la gendarmerie, et notamment la gendarmerie mobile, est en sous-effectifs. Compte tenu des contraintes budgétaires, est-il plus adéquat de créer de nouveaux pelotons plutôt que de nouveaux escadrons ?

 Par ailleurs, que pensez-vous, dans le cadre du maintien de l’ordre, de l’usage de marqueurs ?

S’agissant des équipements, êtes-vous favorables à la mise en place de caméras, dans un premier temps sur la voie publique et, dans un second, dans le cadre du maintien de l’ordre ?

Madame Rodriguez, concernant la protection fonctionnelle qui ne fonctionne que sur la base de la faute intentionnelle, connaissez-vous des gendarmes qui auraient pu avoir à en bénéficier dans le cadre d’une faute non intentionnelle ? Il serait peut-être en effet intéressant d’étendre cette protection à la faute non intentionnelle. Vous avez évoqué la protection sociale des réservistes ; bénéficient-ils également de la protection fonctionnelle ?

Enfin, vous avez indiqué que le budget consacré à la réserve avait subi une coupe de 40 % ; pouvez-vous être plus précis et nous donner des exemples ?

M. Rémi Delatte. Le climat contestataire qui s’installe depuis quelques mois est inhabituel, car il s’exprime sous une forme d’expression nouvelle. Il est donc évident que des moyens supplémentaires, humains et matériels, sont nécessaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Et nous avons bien compris que le bien-être du gendarme passe par sa famille et les conditions dans lesquelles elle vit.

Au-delà des moyens nécessaires, ne devrions-nous pas également faire évoluer la doctrine de la gendarmerie nationale ? Revenir sur sa stratégie pour qu’elle puisse s’adapter et faire face, non seulement à la situation nouvelle que je viens d’évoquer, mais également à la fatigue, l’exaspération de nos gendarmes voire à l’humiliation qu’ils subissent.

Je pense à l’hypothèse d’ouvrir au secteur privé certaines missions, assurées aujourd’hui par les gendarmes ou la police, notamment la télésurveillance, qui serait interactive avec les forces de sécurité. Bien entendu, un contexte législatif devra être défini.

Mme Aude Bono-Vandorme. Face à une masse salariale sous-budgétée, une seule alternative est possible : retarder l’entrée des élèves gendarmes dans l’active ou faire appel à moins de réservistes. Confirmez-vous ce constat ? 

Concernant la vétusté du matériel et des véhicules – le véhicule blindé à roues de la gendarmerie (VBRG) a quarante ans –, pouvez-vous prioriser vos besoins ?

S’agissant de la Garde nationale, dont je suis membre du conseil d’administration, plus de 170 conventions ont été signées depuis deux mois. Que vous apportent-elles ? Quels sont les points faibles ? J’ai bien compris la nécessité d’un médiateur.

J’ai bien noté également que vous avez chiffré vos besoins en personnel à 1 500 ETP, et que le logement est un sujet à lui seul.

Enfin, une nouvelle loi d’orientation pour la sécurité intérieure (LOPSI) pourrait permettre de planifier les besoins sur le long terme. Qu’en pensez-vous ?

M. Jean-Louis Thiériot. S’agissant du logement, sachez que nous sommes tous conscients de la gravité de la situation et que nous sommes tous mobilisés. Pouvez-vous me confirmer que le logement pour nécessité absolue de service fait partie de l’ADN de la gendarmerie ? Le statut militaire peut conduire le gendarme au sacrifice ultime. Le logement est une contrepartie de ce sacrifice. Si vous partagez cet avis, je souhaiterais que vous le déclariez ici.

Vous avez évoqué l’idée d’une loi d’orientation et de programmation. Pensez-vous que nous en avons besoin ? Un livre Blanc de la sécurité intérieure pourrait prévoir une programmation pluriannuelle en termes financiers, dresser un état des menaces et la manière dont nous pouvons les anticiper, à court, moyen et long termes ?

Vous avez également évoqué l’état de nos VBRG qui, effectivement, relèvent presque du véhicule de collection. Compte tenu des contraintes budgétaires, ne pensez-vous pas qu’il existe une possibilité, consistant à « rétrofiter », pour une période intermédiaire, des véhicules de l’avant blindés (VAB) dont le service opérationnel de l’armée de terre n’aurait plus besoin ?

Enfin, s’agissant des hélicoptères, doivent-ils être remplacés les uns après les autres, ou pourrions-nous utiliser des drones endurants et ainsi réduire le parc ?

M. Joaquim Pueyo. S’agissant de l’immobilier, certains logements dépendent des départements, d’autres des communes. Parfois, une collectivité refuse de fournir des terrains pour la construction de nouveaux logements destinés aux gendarmes. Un état des lieux devrait être réalisé sur ce sujet, et une nouvelle politique mise en place, pour que les gendarmes, compte tenu de leur statut de militaire, puissent être logés dans de bonnes conditions.

D’autant que, dans certains départements, vous êtes les seuls militaires présents. L’opinion publique et les maires sont très attachés à la Gendarmerie nationale, les gendarmes étant les seuls référents et l’unique lien avec la population.

Selon vous, êtes-vous suffisamment formés ? La formation continue est-elle suffisante ?

Enfin, je tenais à vous dire que les députés que nous sommes sont très attentifs à votre travail, qui est considérable pour la sécurité intérieure.

M. Jean-Claude Bouchet. Les Français aiment « leurs » gendarmes ; il existe un réel sentiment d’appropriation. Je ne pense pas que le débat se résume aux actions de « politiciens ». Des parlementaires, de gauche comme de droite essaient de faire voter des budgets plus importants en faveur de la Gendarmerie nationale. Le logement a parfois été une variable d’ajustement dans les budgets, afin de consacrer les crédits à d’autres postes nécessaires, mais sachez que les hommes politiques ne sont pas contre vous, mais avec vous.

Le problème du logement est-il ancien, ou la détérioration des logements s’est-elle accélérée depuis quelque temps ? Par ailleurs, le logement peut-il être un frein à l’attractivité du métier ? D’autant que la mentalité des jeunes, et des couples, a évolué et que leurs demandes sont différentes ?

Enfin, concernant les caméras-piéton, celles-ci peuvent-elles être utiles sur le terrain – je ne pense pas uniquement aux mouvements actuels.

Mme Alice Thourot, présidente. Je rebondirai sur les propos de M. Bouchet – « les Français aiment leurs gendarmes » – pour dire que les parlementaires aiment également leurs gendarmes. Vous avez un peu chatouillé les élus que nous sommes, mais sachez que vous avez face à vous, aujourd’hui, des parlementaires qui sont à votre écoute et à vos côtés sur le terrain, toutes tendances politiques confondues.

Général Edmond Buchheit. La formation initiale du gendarme – qui se poursuit tout le long de sa carrière – est excellente. Les écoles de gendarmerie délivrent un excellent « produit » immédiatement employable sur le terrain. Les gendarmes ont un état d’esprit militaire, le sens de l’initiative et sont totalement adaptables.

J’ai évoqué l’excellence de l’entraînement que les gendarmes suivent à Saint-Astier, mais j’ai également indiqué que, compte tenu du suremploi actuel des hommes, ils n’avaient pas le temps de s’y rendre pour effectuer les mises à niveau nécessaires. Ce n’est pas la formation qui pose problème, mais le manque de temps des gendarmes pour la suivre.

S’agissant des 40 % de diminution du budget, j’ai deux informations, l’une provenant de la direction générale de la Gendarmerie nationale, l’autre d’Alsace. Ces 40 % concernent uniquement la masse salariale. Le reste du budget consacré aux réservistes, et qui relève du titre 3 – indemnités de déplacement et de repas – est un autre problème.

À la question de savoir s’il vaut mieux créer des escadrons ou les renforcer en créant un cinquième peloton, je vous répondrai que, quelle que soit la solution qui sera adoptée, elle ira dans le bon sens, car nous avons besoin de plus de forces sur le terrain. Un cinquième peloton dans chaque escadron permettra un emploi des hommes plus différencié. Cela n’engage que moi, mais je suis plutôt favorable à la création de nouveaux escadrons. À une certaine époque, nous ne voulions pas en créer trop pour éviter que le ministère n’en « mange » trop. La question de l’emploi des hommes fait partie d’une question plus large, relative à la création d’escadrons ou de pelotons supplémentaires.

Enfin, concernant les véhicules, le « rétrofitage » des blindés me paraît être la solution, au vu des contraintes budgétaires. 

M. Jean-Claude Fontaine. Je suis favorable à l’usage de marqueurs visant à identifier les auteurs d’actes délictueux.

Les blindés devraient être renforcés avec des « drops » c’est-à-dire des protections semblables à celle de bulldozers qui permettent de faire barrage sur la largeur. Cela évite de charger, les manifestants n’iront pas au contact des véhicules et seront ainsi évités des blessés de chaque côté.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Êtes-vous favorable à des marqueurs individuels ou indifférenciés ? Ces derniers ont pour inconvénient de marquer toutes les personnes autour.

M. Jean-Claude Fontaine. Oui, effectivement, mais si la manifestation est interdite…

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous pensons plutôt aux casseurs afin de marquer les personnes qui dégradent les biens.

Colonel Patrice Gras. Je répondrai à votre question relative aux hélicoptères. Je ne suis absolument pas favorable à l’usage des drones qui viendraient remplacer les hélicoptères, sauf s’il s’agit des drones utilisés par l’armée de l’air. Mais ceux-ci coûtent plus cher qu’un hélicoptère.

La gendarmerie possède quinze hélicoptères EC 135. Il s’agit d’un outil extrêmement perfectionné qui permet, entre autres, de lire une plaque d’immatriculation à trois kilomètres. Par ailleurs, ils sont équipés de relais qui transmettent des informations. Lors des manifestations à Notre-Dame-des-Landes, Paris pouvait suivre en temps réel ce qui se passait sur place. Un drone ne peut couvrir qu’une surface très petite. Son usage serait un support très utile à une unité locale de maintien de l’ordre, puisqu’elle pourra savoir ce qui se passe dans sa zone. En revanche, pour le commandement, un hélicoptère est nécessaire car il est beaucoup plus complet.

Vous nous avez demandé s’il était opportun de diminuer le parc hélicoptère. Cela n’engage que moi, mais il me semble que la gendarmerie devrait posséder quinze autres hélicoptères de même capacité que le EC 135. Il existe aujourd’hui des appareils aussi performants et moins chers. Ainsi, la gendarmerie pourrait garder quelques Écureuil, qu’elle pourrait « rétrofiter », et un parc identique.

Par ailleurs, j’ai été, durant quinze ans, spécialiste des caméras ; j’ai connu le passage de la caméra analogique à la caméra numérique. Les caméras sont très efficaces. Si vous choisissez de transférer cette compétence à des opérateurs civils, la législation devra être très précise. Mais si ces opérateurs la respectent, je n’y vois aucun inconvénient concernant la liberté des personnes. En effet, seules quelques personnes sont habilitées à être présentes dans la salle des caméras, les opérateurs sont tenus, tous les jours, de noter les caméras qui fonctionnent, et les vues ne peuvent être montrées que sur commission rogatoire. Enfin, le temps de garde d’une image est de trente jours.

En revanche, pour être efficaces en maintien de l’ordre, nous devons abandonner notre mentalité très française et accepter l’idée de procéder à la reconnaissance de visages dans les manifestations interdites. Les premiers systèmes numériques que j’ai connus comprenaient la reconnaissance de visages, et en 2007, j’avais assisté à une démonstration chez IBM. C’était très impressionnant : le système a reconnu, à 60 %, le visage d’une personne qui avait été maquillée pour l’expérience. Je prendrai l’exemple de l’attentat du Bataclan. Si nous avions disposé d’un tel système, nous aurions pu procéder à des reconnaissances de visages dans le métro, et certaines personnes auraient été rapidement repérées, ce qui aurait peut-être changé la suite des événements.

Ce sont les raisons pour lesquelles je suis totalement favorable à la vidéo protection – je pense même que nous devrions aller plus loin.

En revanche, la caméra individuelle a pour vocation de protéger le gendarme ou le policier. La caméra, contrairement à une photo, permet de savoir ce qui s’est passé avant et après l’événement. Je puis vous citer deux affaires dans lesquelles les personnes désignées comme fautives ont été blanchies grâce à une vidéo. Il s’agit pour moi d’un bon outil, à la fois pour repérer les délinquants et pour innocenter les personnes honnêtes.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous êtes favorable à la généralisation des caméras individuelles, sur la voie publique, mais également dans le cadre du maintien de l’ordre ?

Colonel Patrice Gras. Oui. Nous savons que le gendarme, un militaire, fait bien son métier. Avec la caméra, les images pourront en attester et elle permettra, peut-être, d’innocenter une personne honnête.

Mme Muriel Noël. Je répondrai à votre question relative à l’attractivité du logement, qui peut, effectivement, être un frein. Depuis le début de l’année, j’ai rencontré deux jeunes gendarmes, tout juste sortis de l’école, qui étaient venus, avec leurs épouses, visiter leurs logements. Elles ont refusé d’y habiter avec leurs enfants, et les maris ont tous les deux quitté la gendarmerie.

Mme Virginie Rodriguez. La protection fonctionnelle est très utile aux gendarmes, qui s’en servent de plus en plus. Il serait, évidemment, très intéressant de l’étendre à la faute non-intentionnelle.

J’aimerais, par ailleurs, attirer votre attention sur un sujet important : la gendarmerie n’est plus en mesure de proposer de postes sédentaires – des emplois administratifs – aux gendarmes blessés et déclarés inaptes – que nous surnommons les « gueules cassées ». La reconnaissance de l’État a longtemps été ainsi possible, mais aujourd’hui, avec la transformation des postes administratifs en postes civils, la gendarmerie n’a plus de marge de manœuvre pour placer les gendarmes qui ont sacrifié leur santé ou qui ont été blessés en service.

Nous pouvons élargir cette question au problème du reclassement des gendarmes déclarés inaptes – quelle que soit la raison. La circulaire n° 85 000 a été prise en 2015. En 2016, 80 gendarmes ont quitté la gendarmerie, et depuis 2017, ce sont 216 gendarmes qui quittent chaque année la gendarmerie. Je ne prétends pas que tous les gendarmes sont déclarés inaptes au titre de la circulaire n° 85 000, mais cette augmentation correspond tout de même à sa mise en place.

Il serait aussi bon que les parlementaires et les politiciens puissent permettre à la gendarmerie de réserver des postes sédentaires pour les sous-officiers de gendarmerie (SOG) ou d’élaborer une passerelle vers des postes civils qui seraient réservés aux gendarmes déclarés inaptes, et ce, afin qu’ils puissent rester dans l’institution.

Concernant mes propos, notamment l’usage du mot « politiciens », sachez qu’ils ont été choisis. Je porte la parole de toutes les familles de gendarmes qui vivent dans des casernes insalubres. Nous entendons des belles paroles depuis des années. Certes, des sommes sont investies dans l’immobilier, mais elles sont largement insuffisantes et ne changent rien à notre quotidien. Nous avons besoin, non plus de paroles, mais d’actes, car ce sont nous qui vivons dans ces casernes. À Rennes, cela fait vingt ans que des promesses nous sont faites, et nous habitons toujours dans des cages à lapins, alors que des HLM tout équipés sont construits par ailleurs.

Si j’ai heurté les sensibilités de certains, croyez-moi, ce n’était pas le but. Mais je voulais vraiment que vous compreniez que nous entendons toujours les mêmes discours depuis des années : « nous vous comprenons, mais nous ne pouvons pas faire mieux ». Alors il est vrai que la Gendarmerie nationale a fait des choix en faveur de sa capacité opérationnelle, mais c’est bien le manque de crédits qui l’a poussé à faire ce choix.

Colonel Jean-Jacques Vichery. Concernant les marqueurs individuels, je suis favorable à leur usage, et je ne dois pas être le seul parmi les gendarmes. Ils permettent de marquer les visages et surtout les vêtements, durant une dizaine de jours. Il me semble donc qu’un effort devrait être réalisé pour leur diffusion.

Je suis également favorable à l’usage de différents types de caméra, qui permettent aujourd’hui de faire de la reconnaissance faciale ; un procédé qui peut servir aux enquêtes des gendarmes et donc à la justice. 

Colonel Jean-Pierre Virolet. Je voudrais simplement vous remettre le dossier contenant les réponses des unités départementales qui ont répondu au sondage. Nous avons réalisé un travail de titan.

Colonel Gérard Sullet. Actuellement, la gendarmerie compte 109 escadrons de gendarmerie mobile. En 2016, après la suppression de quinze escadrons, vingt-deux ont été dotés d’un cinquième peloton ; c’est une bonne solution qu’il conviendrait d’élargir à tous les escadrons. Ainsi, nous pourrions déployer une unité de quatre-vingts gendarmes sur le terrain. Ce chiffre est important, car quand ce sont seulement trente-six ou quarante-deux gendarmes qui descendent des bus, ils ne sont pas très impressionnants.

Le second avantage de ce cinquième peloton, c’est qu’il pourrait contribuer à résoudre certains problèmes de casernement. Je suis natif de Niort, où l’escadron a été supprimé il y a quelques années. Si vous choisissez de recréer des escadrons, sachez que 125 logements sont disponibles, immédiatement, à Niort.

Nous avons tous évoqué les problèmes de budget ou de casernement. Et nous savons que vous votez – et nous vous en remercions – tous les ans les budgets de la Gendarmerie nationale. Nous savons aussi que Bercy, dès le mois de septembre, procède à des réserves et des sur-réserves, qui représentent cette fameuse variable d’ajustement. Est-il normal, dans notre pays, que des budgets, votés par le Parlement, ne soient pas honorés ? Je sais bien qu’il en va de même dans toutes les administrations, mais cette question est au cœur de tout le débat que nous avons – réserve, casernement, etc.

Mme Alice Thourot, présidente. Nous vous auditionnerons, colonel, dans le cadre de la révision constitutionnelle !

Capitaine Renaud Ramillon-Deffarges. Mon camarade vient de résumer parfaitement la problématique budgétaire. Néanmoins certaines régions de gendarmerie ont la volonté de mettre en place des financements innovants. J’ai cité l’exemple du conseil général d’Île-de-France et de d’Île-de-France Mobilités ; ils sont malheureusement très complexes et difficiles à mettre en œuvre.

Il n’y a pas de désert militaire en France, mais des territoires dans lesquels la présence militaire n’est assurée que par la gendarmerie. J’irai même plus loin, dans certains territoires, le seul service public encore présent, après la fermeture du centre des impôts, du tribunal et des écoles, c’est celui de la sécurité, matérialisé par la gendarmerie. Le service public de la sécurité assure aujourd’hui une égalité entre les citoyens.

Concernant la formation des réservistes, le commandement doit aujourd’hui faire face à un dilemme. Il a des contraintes opérationnelles et budgétaires. La solution est simple : il est obligé de prendre sur le temps de formation – les réservistes se forment lors des missions ! Dans les années 2000, un réserviste qui sortait de la préparation militaire gendarmerie, militaire du rang, suivait ensuite trois modules – diplôme d’aptitude à la réserve (DAR) 1, DAR 2 et DAR 3 –, d’une semaine et demie chacun. Il passait, ensuite, la qualification d’agent de police judiciaire adjoint (APJA), qui dure deux semaines. Aujourd’hui, tous les enseignements sont délivrés à distance.

Il est indispensable de nous inscrire dans un schéma de réflexion analogue à celui des armées, et je suis favorable au vote d’une nouvelle LOPSI. Notre réflexion doit être menée concomitamment à celle que mènent les armées sur l’évolution de la délinquance, les évolutions sociologiques, le continuum de sécurité intérieure, la continuité entre sécurité extérieure et sécurité intérieure…

Nous savons tous que, demain, la gendarmerie devra être en capacité, non seulement de continuer à chasser les voleurs de poules, mais aussi d’intervenir en matière d’intelligence artificielle. Il est donc indispensable de définir les missions de la gendarmerie et le coût qui devra être supporté collectivement.

J’ai évoqué les opérateurs privés, mais seront également concernées les polices municipales, les douanes et les armées – nous en avons beaucoup discuté dans le cadre de l’opération Sentinelle. Nous devons nous inscrire dans ce même schéma, concomitamment avec les armées et, pourquoi pas, aller plus loin en intégrant la justice et les services pénitentiaires.

Une LOPSI fixerait un cap et donnerait un sens. Mais elle aurait également pour avantage de définir les besoins des forces de sécurité. Les industriels pourraient ainsi commencer à préparer les commandes qui leur seront passées par l’État.

Concernant la relation employeurs et réservistes, le principal point faible est la non-application des conventions signées. C’est la raison pour laquelle, nous avons proposé la création d’un poste de médiateur justement parce que le réserviste n’est pas en position d’attaquer son employeur aux prud’hommes. Ce médiateur pourrait également assurer le suivi et le renouvellement – ou pas – des conventions.

Nous pourrions, pour cette question, nous inspirer du modèle australien, qui mène la politique de la carotte et du bâton. Si l’employeur libère ses réservistes, il bénéficie de réduction d’impôts ou de cotisations, et s’il ne les libère pas, il les paie, comme tout le monde. Certes, en France, les PME tiennent une place importante dans notre économie et il leur est plus difficile, qu’une grosse entreprise, de libérer des salariés.

S’agissant du CSRM, j’aurais espéré que sa rénovation permette de faire entrer, au-delà de la CPME et du MEDEF, les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Ils contribuent en effet de façon importante au produit intérieur brut (PIB) et interviennent dans les services à la personne – ce qui démontre une certaine communauté d’esprit.

Major Emmanuel Zammit. En 2017, j’ai effectué quatre-vingt-dix jours de réserve ; en 2018, cinquante-trois jours, malgré ma disponibilité, dont trente-cinq jours d’octobre à fin décembre ; et enfin simplement trois jours depuis le début de l’année 2019. C’est une diminution des missions liée au manque de crédits, bien évidemment.

Général Jean Colin. « Les députés aiment les gendarmes », dites-vous. Je l’atteste, puisque cinquante-six d’entre eux sont membres des Amis de la gendarmerie. Les gendarmes aiment aussi leurs députés, et apprécient énormément leurs visites dans les casernes.

De nombreux escadrons sont, en ce moment, déployés en région parisienne. Je vous recommande d’aller leur rendre visite dans vos circonscriptions ; ce sera particulièrement apprécié des gendarmes. Car nous avons beaucoup parlé de chiffres, mais le soutien personnel aux gendarmes est aussi très important. Après l’engagement du 8 décembre 2018, j’ai écrit à tous les commandants d’escadron pour leur assurer notre soutien.

Alors, création d’escadrons ou cinquième peloton ? La gendarmerie compte aujourd’hui 109 escadrons de gendarmerie mobile, et la direction de la gendarmerie estime que le besoin journalier sur le terrain est de 65 unités. Les CRS ont 61 compagnies et l’emploi maximum est de 46 unités.

Lors des manifestations de Notre-Dame-des-Landes, nous avons atteint un pic d’emploi : 85 escadrons de gendarmerie mobile étaient déployés sur toute la France, outre-mer compris. Le mouvement des gilets jaunes a aussi entraîné une mobilisation importante des forces de l’ordre, et notamment de la gendarmerie mobile. Le 8 décembre, la totalité des escadrons, excepté ceux qui rentraient d’outre-mer, ont été engagés – soit 106 escadrons.

La gendarmerie a ainsi démontré qu’elle était en capacité de mobiliser la totalité de ses unités, une fois, deux fois, trois fois s’il le faut, ce qui n’est pas le cas de la police nationale. Le directeur général est disposé, si les événements l’exigent, à mobiliser toutes les unités. La solution la plus sage serait donc de renforcer les unités afin de pouvoir réagir rapidement – et envoyer toutes les unités si nécessaire.

Concernant la formation des gendarmes, il en existe de trois sortes. D’abord, la formation de base des sous-officiers. Ensuite, la formation des cadres de haut niveau, des officiers, qui se déroule à Melun et se poursuit pas strates successives par le biais de l’enseignement militaire supérieur. Enfin, la formation continue, qui est délivrée dans des centres de formation et qui concerne toutes les spécialités de la gendarmerie.

Par ailleurs, la gendarmerie va créer, à l’école de Dijon, un centre de formation à la sécurité publique qui permettra de recycler l’ensemble des gendarmes de la gendarmerie départementale. En effet, la technique évoluant, des moyens numériques sont mis en place dans les brigades ; une évolution qui conduit les jeunes gendarmes à être mieux formés que les anciens.

Avons-nous besoin d’une LOPSI ? La dernière fois que nous en avons parlé, c’était en 2007 : élection présidentielle, nouveau gouvernement, loi de finances rectificative, et préparation de la loi de finances pour 2008. Dans cette loi de finances, tous les ministères avaient « serré les boulons », et la gendarmerie était alors rattachée au ministère de la défense. Le ministre de la défense savait que la gendarmerie allait être transférée dans le périmètre budgétaire du ministère de l’intérieur – une promesse de campagne du Président de la République. C’est la raison pour laquelle, savamment conseillé, et avec beaucoup de bon sens, le ministre de Défense a pris la décision de peu investir sur le budget de la gendarmerie pour 2008.

La ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, qui savait elle aussi que la gendarmerie serait intégrée dans son budget, espérait une deuxième LOPSI – une première LOPSI ayant considérablement renforcé les forces de sécurité – qui lui permettrait d’étoffer le budget de la gendarmerie. Or, non seulement il n’y a pas eu de LOPSI, mais le mode de préparation budgétaire a changé : il est devenu triennal – 2009-2011. Un budget triennal a donc été élaboré en se fondant sur le budget 2008. C’est la raison pour laquelle la gendarmerie subit, depuis cette date, un déficit structurel, spécifique à cette institution. Et lorsque nous devons réduire les moyens budgétaires, par extrême nécessité, nous le faisons généralement sur le titre 5, à savoir l’immobilier.

Monsieur Thiériot, vous avez souhaité nous entendre réaffirmer l’importance du logement : je l’affirme. J’ai été sous-directeur de l’immobilier de 2005 à 2010, je puis donc vous confirmer la vétusté des logements. D’aucuns disent que le logement est le système d’armes de la gendarmerie. Pour la marine, c’est le porte-avions ; pour la force stratégique, les armes nucléaires ; pour la gendarmerie, c’est l’immobilier.

Nous avons besoin de terrains pour construire. La règle veut, notamment quand le projet de construction nécessite des investissements très importants, que ce soit l’État qui construise. Les grandes emprises domaniales, les constructions pour les escadrons, les constructions pour des groupements de gendarmerie départementale sont réalisées sur des terrains appartenant à l’État.

En ce qui concerne le locatif, toutes les possibilités sont ouvertes. À mon époque, nous avions utilisé la procédure du bail emphytéotique administratif (BEA) et fait appel à des financements innovants. Les constructions peuvent être réalisées par des acteurs privés ou des collectivités territoriales. Si le projet est bien monté, et si la collectivité reçoit l’aide d’autres collectivités territoriales, les opérations peuvent être équilibrées sur une quinzaine ou une vingtaine d’années. Ensuite, bien entendu, il faudra entretenir le parc, c’est primordial.

La question de l’immobilier n’est pas spécifique à la gendarmerie. Il serait peut-être intéressant de questionner les sociétés d’HLM, qui peuvent apporter des réponses aux questions que nous nous posons sur le logement de la gendarmerie.

Je terminerai par une anecdote. Il y a une dizaine d’années, un ministre s’est rendu à Melun dans le cadre de la politique de la ville, pour assister à la rénovation d’un ensemble immobilier HLM. On lui montre un très bel immeuble, qu’il trouve effectivement très bien. Un conseiller lui dit : « attention, regardez derrière, dans quel état désastreux est cet ensemble ». Le ministre fait remarquer au maire que l’ensemble n’est pas aussi beau que celui qui venait d’être rénové. Le maire lui répond alors : « oui, mais ça, c’est de l’immobilier d’État, c’est une caserne de gendarmerie. »

M. Jean-Pierre Cubertafon. Mesdames, messieurs, je suis député de la Dordogne et je souhaitais simplement saluer le travail réalisé à Saint-Astier.

Colonel Luc Delnord. En 2018, faute de budget, le directeur général a décrété l’instauration de deux périodes blanches dans l’année : de mai à juin et de septembre à décembre. Aucun réserviste n’a été appelé en renfort durant ces périodes, ce qui constitue une baisse de 900 réservistes/jour pour l’année 2018. En 2019, 19 millions d’euros ont servi à payer les arriérés des réservistes de 2018.

Pour 2019, nous avons sollicité un budget de 99 millions d’euros pour les réservistes, uniquement pour honorer leurs soldes. Nous n’avons perçu que 40 % de cette somme, ce qui représente, sur l’année, moins de 1 000 réservistes par jour. Notre capacité, je le rappelle, est de 2 700 réservistes par jour.

La formation initiale du réserviste a été pensée pour qu’il soit, à la fin de sa préparation militaire, immédiatement employable. Elle comprend même le certificat d’agent de police judiciaire adjoint. Mais faute de moyens, les réservistes qui suivent aujourd’hui cette formation ne sortent pas avec le certificat APJA, ce qui les oblige à le passer une fois qu’ils sont affectés dans un groupement.

La formation continue est toujours délivrée sérieusement, et concerne les techniques d’intervention et le tir. Pour le tir aussi nous avons également besoin de moyens, notamment pour acheter des munitions. Malgré tous ces inconvénients, nous arrivons à maintenir une bonne capacité opérationnelle, notamment grâce à la formation continue.

Général Jean-Régis Véchambre. Nous fêtons cette année les dix ans d’une stratégie de défense et de sécurité nationale. En réalité, nous n’avons qu’une loi de programmation pour la défense. Il existe pourtant un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. C’est à partir de cette synthèse qu’il serait intéressant de réfléchir aux modalités de déclinaison d’une vraie sécurité de défense et de sécurité nationale, qui impliqueraient le territoire national où sont engagées les armées.

S’agissant du maintien de l’ordre, les annonces du Premier ministre en termes d’évolution de la doctrine constituent des pistes intéressantes pour répondre à la question suivante : à quoi sommes-nous confrontés depuis les années 1980 ? Même s’il y a déjà eu des manifestations violentes, la nouveauté, c’est ce phénomène d’imbrication incessante entre manifestants et groupes de casseurs ou black blocks, dont la doctrine est de lutter contre le capitalisme en s’en prenant notamment aux forces de sécurité et à ce qu’elles représentent. Leur action vise à détruire, puisqu’ils considèrent que cette violence est négligeable par rapport à la violence que le capitalisme fait subir à nos concitoyens.

Face à ces violences, la manœuvre de l’ordre public doit être globale. Or, elle reste une manœuvre classique – accompagnement et protection des manifestants pour faciliter le déroulement de la manifestation –, malgré le fait qu’elle doit faire face à des nouvelles difficultés découlant du non-encadrement de ces manifestations.

Au lendemain des événements de 1968, une loi de 1970 prévoyait la mise en cause des organisateurs ; elle a été abrogée en 1981, ce qui a fragilisé les conditions légales dont nous disposions.

Ce qui a fondamentalement changé aussi, c’est l’acceptation, par nos concitoyens, par notre société et par le droit, du niveau d’emploi de la force. Nous sommes aujourd’hui dans un paradoxe, puisqu’on parle de violences policières. Nous ne sommes pas chargés de commettre des violences, mais de mettre en œuvre la force légitime, c’est qui est différent.

Remettre les choses dans l’ordre est un enjeu institutionnel important. Nous parlons de zones à défendre, alors qu’il s’agit de zones occupées illégalement. Cette terminologie, qui est utilisée à dessein entraîne dans toutes les situations de violence que nous avons connues ces dernières années, une délégitimation de l’action des forces de sécurité. La question est la suivante : comment arriver à remettre, durablement, les choses dans l’ordre ? Car nous sommes allés très loin dans le désordre sémantique sur cette question.

Plus concrètement, le Premier ministre a annoncé une intégration des opérations de maintien de l’ordre dans un commandement unique intégrant l’ensemble des fonctions. L’ordre public n’a jamais été qu’une simple question de forces spécialisées ; c’est une question qui implique le renseignement, la police judiciaire, l’ensemble des moyens de la police administrative et les moyens des forces spécialisées.

Aujourd’hui, l’enjeu est le traitement de ces situations et la désimbrication des événements. La loi qui vient d’être votée apporte des solutions mais pour les déployer, pour mettre en œuvre les outils qu’elle propose et atteindre les objectifs fixés, des moyens sont nécessaires.

Pour prendre l’ascendant sur l’adversaire, il faut d’abord l’identifier : première grande difficulté. L’identifier en amont, pendant et après. Sachant que ces individus, qui se mêlent aux manifestants, sont dans une continuité d’action entre les manifestations ; ce sont ces phénomènes durables qu’il convient de traiter avec d’autres moyens que ceux employés pour maintenir l’ordre public, au sens strict du terme.

S’agissant de la reconnaissance faciale, le système existe, mais il est au stade embryonnaire. Il serait temps de déployer un plan Marshall, une manœuvre image, avec des caméras professionnelles, des hélicoptères, une intégration de la vidéoprotection dans des régies qui permettraient, en temps réel, d’identifier les incidents, de les nommer, d’identifier les personnes et de caractériser les infractions.

La justice est souvent mise en cause, mais notre capacité à établir la réalité des infractions commises peut également être remise en question. Nous avons besoin de moyens pour avancer dans cette direction.

En ce qui concerne le ciblage d’individus, le marqueur est une idée, mais il ne peut être utilisé qu’à partir du moment où l’individu est identifié. Nous devons donc trouver l’outil qui permettra ces identifications.

S’agissant du renouvellement du matériel, la solution évoquée, le « rétrofitage » des blindés, est une bonne idée, encore faut-il en avoir la capacité. Elle doit être complétée de manière très importante par des moyens qui soient davantage acceptés que le gaz que nous utilisons dans ce type de situation et qui a l’inconvénient de ne pas résoudre cette désimbrication. Le fourgon-pompe est également un moyen, mais il reste limité en volume et aurait besoin d’être démultiplié.

Concernant la création d’escadrons ou de pelotons, je vous répondrai que nous avons besoin des deux. Aujourd’hui, il serait illusoire de penser que nous pourrions rétablir la situation par la force. Nous sommes obligés de nous adapter à la diminution de l’exercice de la force et de la violence, ce qui implique de déployer un nombre important d’unités au sol – au-delà de tout l’environnement que j’évoquais –, nécessaires au traitement de ces situations.

Lorsque je suis entré en gendarmerie, il y a plus de quarante ans, en cas de situation violente, nous avions un gendarme pour un manifestant. Aujourd’hui, sur une opération comme celle de Notre-Dame-des-Landes, ce sont trois à sept gendarmes par manifestant qui sont nécessaires, car nous voulons que notre intervention et la conduite de l’opération soient comprises, et ainsi éviter d’être immédiatement stigmatisés par une action qui aurait été inadaptée.

Toutes les démocraties occidentales sont confrontées à cette problématique. C’est donc une vraie réflexion de fond qu’il convient d’engager sur ces questions.

Je profite de ma présence parmi vous, pour vous dire que, l’année prochaine, nous fêterons les 300 ans des brigades. Elles ont en effet été créées en 1720 à partir de l’expérimentation qui avait été réalisée en Île-de-France et à Paris. Ces brigades de la Maréchaussée étaient déployées à la fois sur les lieux de rassemblement et sur les lieux de passage – la police des flux. De fait, elles créaient de la proximité et de la polyvalence.

Et j’insisterai sur la question de la polyvalence. Le maintien de l’ordre est un enjeu pour l’entité renseignement, la police administrative et la police judiciaire. Et si la police administrative a vocation de faire la prévention, elle dispose également d’un volet répressif ; or ce volet répressif nous appartient, ne l’oublions pas.

Dans le dispositif territorial de la gendarmerie, nous nous sommes focalisés, et c’est normal, sur la question des polices municipales, mais la gendarmerie est présente sur l’ensemble du territoire, même dans les communes qui ne bénéficient plus de police municipale ; c’est la gendarmerie qui joue ce rôle.

Enfin, quand on parle de police de sécurité du quotidien, on pense tout de suite à la notion de proximité. Mais la tranquillité publique, l’insécurité locale, ne se séparent pas de la délinquance et la délinquance de la grande délinquance. Nous ne devons pas, dans nos réflexions, avoir des visions séparées. Il faut avoir une vision intégrée des questions, c’est essentiel. Il est important de comprendre que de nombreux problèmes d’insécurité concernent non pas un département, mais plusieurs, voire plusieurs régions.

Je suis favorable à la mise en place d’échelons intermédiaires de commandement qui pourraient apporter des réponses à ces problématiques, de plus en plus prégnantes, de lutte contre ces phénomènes de délinquance qui nous dépassent, et dépassent les échelons locaux. Des échelons qui pourraient mettre en œuvre la suppléance, qui est notre système d’organisation – alors que nous sommes dans la subsidiarité : chaque échelon joue à son niveau. En jouant la suppléance, nous pourrions mettre en œuvre les moyens au bon niveau, avec des moyens d’appui, dans une notion globale d’intégration de tous les moyens de renseignement, de police judiciaire et de police administratif – ainsi que des moyens spécialisés. C’est ce que nous devons arriver à produire, en complément des dispositifs de proximité du quotidien, qui sont essentiels, mais qui ne doivent pas faire perdre de vue tout ce qui relève du contrôle des flux.

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  Audition du 28 mars 2019

Table rond de représentants des syndicats de surveillants pénitentiaires : pour Force ouvrière (FO) Pénitentiaire, M. Dominique Gombert, secrétaire général adjoint, M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint, et M. Jean Philippe Cabal, secrétaire national « corps de commandement » ; pour le Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS), M. Philippe Kuhn, secrétaire national adjoint en charge de la direction interrégionale de Paris, et M. Joseph Paoli, secrétaire national adjoint en charge de la direction interrégionale de Bordeaux ; pour la Confédération générale du travail (CGT) Pénitentiaire, M. Éric Lemoine, premier surveillant, M. Nicolas Peyrin, premier surveillant, et M. Alexis Grandhaie, commandant ; pour l’Union fédérale autonome pénitentiaire, affilée à l’Union nationale des syndicats autonomes (UFAP-UNSA), M. David Calogine, secrétaire général adjoint, et M. Wilfried Fonck, secrétaire national.

 

Mme Alice Thourot, présidente. Mes chers collègues, nous avons souhaité entendre, dans le cadre de nos travaux, les syndicats du personnel pénitentiaire.

Messieurs, des événements très graves se sont produits récemment au sein d’un établissement pénitentiaire, et vous nous ferez certainement part de vos réactions à ce sujet. Cette table ronde nous permettra également d’aborder les nombreuses problématiques que vous rencontrez dans l’exercice de vos missions et dans le cadre de leur articulation avec celles des forces de police et de gendarmerie.

Avant de vous donner la parole, je vous informe que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

 (MM. Dominique Gombert, Yoan Karar, Jean-Philippe Cabal, Philippe Kuhn, Joseph Paoli, Éric Lemoine, Nicolas Peyrin, Alexis Grandhaie, Wilfried Fonck et David Calogine prêtent successivement serment.)

M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire. Mesdames, messieurs, nous tenons à vous remercier pour votre invitation, qui nous permet, enfin, de nous exprimer. Nous souhaitons, en effet, vous sensibiliser aux conditions de travail des personnels, notamment dans le domaine sécuritaire – le nombre des agressions augmente –, et à l’absence de reconnaissance statutaire et indemnitaire de la pénibilité de notre profession.

Le dernier mouvement des personnels est révélateur de la souffrance des agents pénitentiaires et de l’absence de prise en considération de leurs revendications légitimes. Les derniers attentats terroristes – à Osny, Vendin-le-Vieil, Borgo et, tout récemment, Condé-sur-Sarthe – sont la preuve des difficultés que nous rencontrons et de l’absence de réponse sécuritaire pour y remédier. Le protocole de 2018, signé par une seule organisation syndicale, témoigne du manque de volonté politique de s’attaquer aux phénomènes de violence et de radicalisation en détention, au-delà des dogmes idéologiques en la matière.

La vie et la sécurité des personnels doivent être une priorité. Pour le SNP-FO Personnels de surveillance, cela passe par une classification des établissements, par le déploiement de pistolets à impulsion électrique, de chiens d’appui et de bombes à gaz paralysant, par une reconnaissance statutaire et indemnitaire – c’est-à-dire par le passage des surveillants et des gradés en catégorie B et des officiers pénitentiaires en catégorie A – et par une modification du statut juridique des personnels pénitentiaires.

M. Joseph Paoli, secrétaire national adjoint en charge de la direction interrégionale de Bordeaux du SPS. Je précise que notre syndicat n’est pas multicatégoriel ; il représente exclusivement les surveillants.

Tout d’abord, j’ai une pensée pour ceux de nos collègues qui ont été blessés le 5 mars dernier. Cet événement suscite la colère et un sentiment d’échec, car la politique qui a été conduite jusqu’à présent n’a pas pris la véritable mesure des attentes que nous exprimons depuis une dizaine d’années. L’attentat du 5 mars a appelé l’attention sur la problématique des prisons et des surveillants, mais nous avons perdu une année. En effet, les surveillants avaient exprimé la même colère en janvier 2018, après la survenue de faits quasiment identiques. Nous avons alors manifesté durant quinze jours, pour rien : un an après, nous en sommes toujours au même point. Pourtant, des réunions ont été organisées. En mai 2018, nous avons été auditionnés par une commission d’enquête sénatoriale ; notre syndicat avait alors émis des propositions. Des réunions, c’est bien, mais pour quoi faire ? Pour gagner du temps ? À un moment, il va falloir prendre des décisions ! Je sais bien qu’avec la loi pénitentiaire, les règles européennes et les restrictions budgétaires, la révision générale des politiques publiques (RGPP) puis la modernisation de l’action publique (MAP), la priorité est aux économies mais, aujourd’hui, nous sommes dans l’urgence. Nous avons besoin de réponses concrètes, non pas dans six mois, dans un an ou après le prochain événement, mais tout de suite.

Il est certes difficile de prendre des mesures d’urgence en matière de construction de places de prison ou d’amélioration des conditions de travail, mais il est possible d’agir rapidement dans le domaine de la sécurité, en dotant les surveillants des matériels qui leur permettront de se sentir protégés et soutenus, et de faire face aux nouvelles menaces terroristes.

À cet égard, nous sommes dans le flou : un jour, on nous parle du retour des djihadistes sur le territoire national, le lendemain, on nous dit le contraire. S’ils reviennent, ils seront incarcérés. Or, les prisons sont déjà surpeuplées ! On nous a présenté un plan de 80 000 places il y a dix ans ; aujourd’hui, on nous en annonce 7 000 à l’horizon 2027… Il n’y a rien de concret : nos conditions de travail sont toujours aussi mauvaises et nous sommes toujours en sous-effectifs. Ainsi, les collègues d’une maison centrale que je ne nommerai pas m’ont dit : « Ce matin, on est moins six ! » Alors qu’il nous est déjà difficile de gérer la détention actuelle, on nous parle de terroristes, de djihadistes, qu’il faudrait évaluer pendant quatre mois et qu’on regrouperait éventuellement au sein de quartiers réservés aux détenus radicalisés. Mais nous n’avons ni les structures, ni les établissements adéquats.

En résumé, nos conditions de travail sont mauvaises et nous ne sommes pas à l’abri d’un nouvel attentat commis par un détenu radicalisé déterminé. Il faut que nous soyons formés et que les structures soient adaptées… Nous avons fait l’effort de mettre à jour nos propositions de mai 2018 mais, au fond, rien n’a changé, si ce n’est les nouvelles agressions – environ 4 000 par an – et le dernier attentat. N’attendons pas un nouvel attentat pour agir ! Le climat social actuel, on le connaît : avant les surveillants, il y a eu les policiers.

Certes, nous devons nous occuper de réinsertion, mais nous devons avant tout assurer la sécurité. Comment se fait-il qu’un couteau en céramique ait pu entrer en détention ? Comment se fait-il qu’un détenu fiché ait pu bénéficier d’une unité de vie ? Venez voir en détention comment cela se passe. Arrêtons de mener une politique « pro-détenus », car les menaces sont réelles et nous devrons faire face, dans les années qui viennent, à de terribles problèmes.

M. Alexis Grandhaie, représentant la CGT Pénitentiaire. La question pénitentiaire est souvent évoquée lorsque se produit un événement. Or, ce n’est pas le moment le plus propice à un débat serein. On peut donc espérer que votre commission sera le point de départ d’un débat parlementaire sur la justice et l’administration pénitentiaire, même si, je le sais, l’Assemblée nationale vient d’examiner un projet de loi de programmation.

J’ai connu – c’est le triste privilège de l’âge – l’ensemble des plans de construction depuis le ministre Alban Chalandon. À chaque fois, il s’agissait de désengorger les établissements pénitentiaires, de favoriser l’encellulement individuel, de lutter contre la récidive, etc. Mais les prisons restent surpeuplées, à un point tel que nos collègues surveillants ne peuvent pas travailler dans des conditions optimales et que leurs missions se limitent à une gestion « hôtelière » et sécuritaire des détenus – et je ne parle pas de la radicalisation ou des 30 % de détenus à profil psychiatrique… Compte tenu de la masse des personnes détenues dans un établissement pénitentiaire, il est très difficile non seulement d’assurer une bonne garde et une bonne sécurité, mais aussi de participer au projet de sortie des détenus.

En définitive, personne n’est satisfait, que l’on tienne, comme la CGT, pour une politique pénale résolument orientée pour les courtes peines vers les alternatives à l’incarcération – qui permettent, non pas de « vider » les prisons mais d’assurer un suivi alternatif des personnes, d’alléger les détentions et d’avoir ainsi un regard beaucoup plus fin et sûr sur les détenus –, ou que l’on tienne pour une politique pénale, qui consiste à créer des places de prison – c’est ce qui est fait depuis 1986. On s’aperçoit que le programme immobilier actuel n’a même pas l’ampleur de celui de Jean-Jacques Urvoas. La question de la politique pénale est donc un véritable problème.

M. Wilfried Fonck, secrétaire national de l’UFAP-UNSA. On peut affirmer qu’en 2019, les personnels pénitentiaires – je parle de l’ensemble des catégories – sont, en définitive, dans la même situation qu’en 1992, après les dramatiques événements de Clairvaux et de Rouen : ils sont épuisés et désabusés. Aujourd’hui, la population pénale n’est plus du tout la même que dans les années 1980, lorsque prévalait une philosophie carcérale selon laquelle la privation de liberté se suffisait à elle-même. De fait, cette population est devenue, à l’instar de la société extérieure, particulièrement vindicative et réfractaire à l’autorité, et elle fait de la violence un moyen de communication. Or, cette violence, ce sont les personnels qui en sont directement victimes. On dénombre ainsi, actuellement, en moyenne douze agressions personnelles par jour...

Le mouvement social historique de janvier 2018 a abouti à un relevé de conclusions, qui comportait deux volets : un volet indemnitaire, qui a été mis en œuvre, et un volet sécuritaire, dont nous attendons toujours l’application. En quinze mois, rien ne s’est passé, ou presque ! Or, si les personnels affectés à l’unité de vie familiale de Condé avaient été dotés des gilets pare-lames prévus dans ce relevé de conclusions, l’attentat n’aurait, certes, pas été évité, mais les blessures dont ils ont été victimes auraient été beaucoup moins graves. L’autorité pénitentiaire fait preuve d’une mauvaise volonté manifeste pour appliquer ce volet sécuritaire. Pourtant, il est parfaitement inenvisageable de travailler à la réinsertion des détenus si, au préalable, la sécurité des personnels et des structures n’est pas assurée.

Par ailleurs, n’oublions pas le pouvoir d’achat des personnels qui – mais c’est vrai pour l’ensemble des fonctionnaires – a baissé par rapport à celui du reste de la population. En effet, nous ne sommes même plus dans une phase de gel de la valeur du point d’indice : nous sommes dans l’ère glaciaire. Ceux qui représentent l’État, la République française, sont moins bien payés qu’auparavant, et ce n’est absolument pas logique.

Je souhaite également évoquer la situation en outre-mer. On nous parle d’égalité réelle, mais, outre-mer, les établissements pénitentiaires n’ont ni les mêmes moyens ni les mêmes structures qu’en métropole. Or, la continuité de la République doit aussi se traduire dans ce domaine. Pourquoi les territoires d’outre-mer ne sont-ils pas dotés, par exemple, d’unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) ou d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ? Pourquoi les missions d’extraction judiciaire y sont-elles toujours assurées par le ministère de l’intérieur au lieu d’être transférées au personnel pénitentiaire, comme en métropole ? Autant de questions auxquelles les personnels nous demandent, à nous, organisations professionnelles, de répondre. Or, la direction de l’administration pénitentiaire, la chancellerie, soit répond à côté, soit ne nous répond pas.

En ce qui concerne les détenus radicalisés et, plus généralement, ceux qui posent des problèmes de gestion en raison de leur comportement, l’UFAP-UNSA demande, depuis 1992, que les structures soient adaptées aux profils pénaux et carcéraux des détenus afin d’assurer une prise en charge optimale au lieu de privilégier, comme c’est le cas actuellement, le maintien des liens familiaux, qui aboutit, à l’intérieur des établissements pour peine, à un mélange de profils tel que le cocktail est explosif. Ces éléments doivent être pris en compte pour faire évoluer la politique carcérale.

J’ajoute qu’au plan législatif, il est nécessaire de modifier le volet « gestion de la détention » du code de procédure pénale, afin que les personnels bénéficient de mesures dérogatoires qui leur permettent de gérer comme il se doit les détenus terroristes islamistes. Non seulement ces individus doivent être absolument isolés des autres détenus, mais ils ne doivent pas pouvoir communiquer entre eux. C’est une urgence absolue pour les personnels pénitentiaires.

Mme Alice Thourot, présidente. Premièrement, quel est l’état d’avancement de la prise en charge des extractions judiciaires par l’administration pénitentiaire ? Quels sont les volumes de crédits et les emplois qui ont été transférés pour prendre en charge cette mission ? Estimez-vous ces transferts suffisants ?

Deuxièmement, pourriez-vous nous expliquer comment le renforcement du renseignement pénitentiaire s’est traduit au sein de vos établissements respectifs ? Quels sont les objectifs qui ont été fixés ? Les moyens consacrés à cette activité – fondamentale, on le sait – sont-ils suffisants ?

Troisièmement, que pourriez-vous nous dire des évolutions nécessaires en matière de gestion des détenus radicalisés ? Les moyens mis en œuvre en la matière vous paraissent-ils suffisants – j’ai cru comprendre que tel n’était pas le cas – et dans quelle mesure les personnels ont-ils été formés à la gestion de ce type de détenus ?

Par ailleurs, vous le savez, l’Assemblée nationale a voté, l’été dernier, une disposition qui permet aux agents de la pénitentiaire d’utiliser dans les établissements des caméras-piétons, dont on s’est aperçu qu’elles contribuaient, lorsqu’elles étaient portées par des policiers municipaux, à pacifier les relations avec la population. Je vous informe que le décret d’application devrait sortir très rapidement – c’est un sujet que j’ai évoqué encore récemment avec le Gouvernement

Nous savons qu’il est difficile, actuellement, de recruter des personnels pénitentiaires, qui, par ailleurs, font souvent l’objet d’un « débauchage » par d’autres corps. Ce sont en effet des métiers qui, parfois, ne sont pas attractifs. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ? Peut-être avez-vous des expériences à partager avec nous.

Enfin, je m’étonne qu’aucune femme ne soit présente parmi vous. Sachez que ce n'est pas le propre de la pénitentiaire : nous avons accueilli, hier, des représentants des gendarmes et les deux seules femmes qui étaient présentes représentaient une association de femmes de gendarmes… Nous sommes en 2019, et il me semble que les syndicats doivent montrer l’exemple dans ce domaine.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. J’ai rencontré, en 2014, une surveillante de prison dont le témoignage m’a profondément touchée. Elle m’avait alors fait part – avant les attentats, donc – de son sentiment d’impuissance face au développement de la radicalisation. Vous propose-t-on régulièrement des formations, une sensibilisation à ce phénomène, pour que vous puissiez réagir et, le cas échéant, détecter les détenus qui se radicaliseraient.

Ma deuxième question porte sur les prisonniers souffrant de troubles psychiatriques. Êtes-vous, là aussi, formés à leur accompagnement ? Quelles sont les relations que vous entretenez avec les médecins ? Arrive-t-il que certains détenus soient régulièrement hospitalisés ?

Enfin, on voit bien que la pénitentiaire manque de personnels, mais on sait que les candidats au recrutement ne sont pas suffisamment nombreux. Comment rendre ces métiers plus attractifs ?

Mme Nicole Trisse. Merci, messieurs, pour vos éclairages. Lors d’un entretien avec l’un de vos collègues en poste dans un centre de détention, il m’a indiqué qu’il souhaiterait, par exemple, que des maîtres-chiens soient présents dans les établissements. Il m’a également expliqué que les gilets pare-lames n’étaient pas forcément la panacée, dans la mesure où le port de ce vêtement est très contraignant et ne garantit pas contre toutes les agressions. Qu’en pensez-vous ?

Par ailleurs, votre formation au tir est-elle suffisante ? Votre licence vous est-elle remboursée ?

Enfin, je vais peut-être lancer un pavé dans la mare, mais que pensez-vous des méthodes d’évaluation des directeurs de prison, dont on dit – est-ce une rumeur ? – qu’ils doivent atteindre certains objectifs statistiques ? Ma question est volontairement un peu provocatrice, mais nous sommes là pour avoir des informations tout à fait impartiales et objectives.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Paoli, il ne s’agit pas, pour nous, de « gagner du temps ». Vous êtes dans votre rôle de syndicaliste, et je le comprends, mais cette commission d’enquête a notamment pour objectif d’élaborer des réponses et de nous permettre, demain, d’être force de proposition.

Monsieur Karar, vous appelez de vos vœux une classification des établissements. Quel type de classification serait selon vous nécessaire ?

Par ailleurs, que pensez-vous de l’ordonnance de 1945 relative à la justice des mineurs ? Ceux-ci sont-ils aussi violents que les majeurs ? On sait que certains d’entre eux sont détenus dans des prisons pour mineurs, d’autres dans des quartiers pour mineurs. Quelle est, selon vous, la meilleure solution ?

Enfin, que pensez-vous d’une éventuelle généralisation des brouilleurs de téléphone portable ?

C’est parce qu’il existe une véritable interaction entre la pénitentiaire, la gendarmerie nationale et la police nationale qu’il nous a paru très important, dans le cadre de cette commission d’enquête, d’auditionner aussi bien les directeurs que les syndicats représentatifs des personnels pénitentiaires. Votre rôle est capital, et je vous remercie d’être venus aussi nombreux. Notre objectif, encore une fois, est de faire des propositions concrètes, en tenant compte, bien entendu, de la contrainte budgétaire. Il nous faut être très pragmatique : quelles mesures faudrait-il, selon vous, prendre en priorité, compte tenu de cette contrainte, pour vous faciliter la vie au quotidien ?

M. Jean-Claude Bouchet. Si nous sommes là, c’est pour essayer de faire avancer les choses. Ma première question est toute simple : votre profession suscite-t-elle suffisamment d’attrait ? Et, si tel n’est pas le cas, à quoi cela tient-il ? Que faudrait-il faire, selon vous, pour rendre cette profession plus attractive ? Monsieur Grandhaie, vous avez évoqué les politiques pénales qui s’appliquent aux courtes peines : pouvez-vous donner des précisions sur ce point ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ma collègue Josy Poueyto, m’a transmis la question suivante, qui complète l’une de celles de Mme la présidente : comment la pénitentiaire s’implique-t-elle aujourd’hui dans la chaîne du renseignement ? Pour ma part, j’aimerais revenir sur le volet sécuritaire, et notamment sur l’agression qui a eu lieu à la prison de Condé-sur-Sarthe. Comment se passe la fouille des visiteurs ? Comment un couteau en céramique a-t-il pu franchir les contrôles ? Avez-vous des brouilleurs de portables ? Ma collègue Nicole Trisse a parlé des chiens : pensez-vous que ce serait un complément intéressant pour la détection de la drogue ? J’aimerais enfin, mais ce sera peut-être l’objet d’une autre série de questions, que vous nous donniez des informations sur le recrutement.

M. Joaquim Pueyo. Il y a effectivement un malaise dans les établissements pénitentiaires, qui est dû en grande partie à la surpopulation pénale. Il est difficile pour les surveillants de remplir leurs missions dans les grandes maisons d’arrêt, où les détenus sont parfois trois par cellule. L’un d’entre vous a indiqué à juste titre que la réinsertion est très importante, mais qu’elle est impossible sans sécurité. Il est évident qu’elle suppose une atmosphère sereine et des surveillants respectés dans leurs fonctions.

J’aimerais revenir sur quelques points.

Premièrement, quelle est votre position sur l’idée d’une classification des établissements pénitentiaires et, par exemple, sur une graduation du niveau de sécurité en fonction du profil des détenus ? Certains pays nordiques le font et cela se passe plutôt bien : on compte moins d’agressions qu’en France et on va parfois jusqu’à des prisons ouvertes. Serait-ce, selon vous, une option envisageable ?

Ma deuxième question concerne le volet sécuritaire. Estimez-vous que la réglementation actuelle vous permet de faire des fouilles suffisantes, à la fois sur les détenus et sur les visiteurs ? J’avais proposé de transposer ce qui existe dans les douanes. Il y a une vingtaine d’années, la loi a introduit, auprès des douaniers, des officiers de douane judiciaire, qui sont placés sous le contrôle du Procureur de la République et qui sont habilités à pratiquer des fouilles. Pensez-vous que, dans les établissements pénitentiaires, notamment dans ceux qui hébergent des détenus particulièrement dangereux, certains personnels pourraient avoir le même statut, pour faire des fouilles lorsque c’est nécessaire ?

Enfin, on ne peut pas réfléchir à l’organisation pénitentiaire sans prendre en compte le sens de la peine, et vice-versa : si l’on veut donner du sens à la peine, il faut que les établissements pénitentiaires soient repensés.

M. Rémi Delatte. Depuis douze ans maintenant, je me rends chaque année, et parfois même plusieurs fois par an, à la maison d’arrêt de Dijon. J’y étais, il y a quelques jours encore, dans le cadre du grand débat national. C’est une chose que je m’impose, à la fois pour rendre hommage au personnel pénitentiaire, et pour me tenir informé. Or je rencontre toujours un personnel très engagé et efficace. Vos exposés donnent le sentiment que tout va mal. Nous savons qu’il y a des difficultés et vous les avez très bien exprimées, mais ce n’est pas forcément ce que l’on ressent lorsqu’on se rend dans une maison d’arrêt. Malgré les difficultés, que je ne sous-estime pas, le personnel donne toujours une image très positive du milieu carcéral.

Monsieur Paoli, vous nous avez dit qu’il fallait arrêter de mener une « politique pro-détenus ». Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par là ?

Par ailleurs, comment peut-on, selon vous, améliorer l’étanchéité du milieu carcéral, qui est cruciale ? L’introduction d’un couteau en céramique dans la prison de Condé-sur-Sarthe ne devrait-elle pas conduire à une révision de la réglementation relative aux fouilles ?

M. David Lorion. J’aimerais dire un mot des outre-mer, qui souffrent également de la surpopulation carcérale, et où toutes les difficultés que vous avez décrites sont souvent exacerbées. À La Réunion, par exemple, les problèmes de radicalisation sont aggravés par la proximité de pays musulmans, notamment les Comores, qui nourrissent une immigration illégale. Nous sommes également confrontés aux problèmes de drogue et à toutes les difficultés que rencontrent les prisons hexagonales.

J’aimerais évoquer plus spécifiquement la question de la mobilité des personnels. Parce qu’il y a peu de postes de surveillants dans les établissements pénitentiaires en outre-mer, la cohorte des ultra-marins qui viennent travailler dans les prisons hexagonales est très importante, puisqu’ils représentent 30 % à 40 % des effectifs. Ils n’ont aucune perspective de retour et éprouvent même des difficultés à entretenir des liens avec leur famille, ce qui est une source de souffrance pour eux. Les congés bonifiés, qui constituaient une compensation, sont actuellement remis en cause, parce qu’ils posent des problèmes d’organisation. Les ultra-marins qui viennent me voir me disent tous que la situation est très tendue et très difficile à vivre : ceux qui exercent en outre-mer souffrent de la surpopulation carcérale et ceux qui travaillent en métropole souffrent de l’éloignement. Et la réforme à venir de la fonction publique ne manque pas de les inquiéter.

M. Dominique Gombert, secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire. J’évoquerai d’abord le recrutement et la formation. Il faut bien dire que l’image de notre profession n’attire pas vraiment les jeunes : l’image du policier, du pompier ou du militaire est beaucoup plus attrayante. Notre métier, nous apprenons à l’aimer, mais les gens qui s’engagent dans cette voie le font souvent, au début, pour des raisons alimentaires. À l’heure actuelle, un jeune qui entre à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ÉNAP) gagne 1 180 euros dont il faut déduire 200 euros pour les repas, soit 900 euros par mois. Autrefois, les repas étaient pris en charge, mais ce n’est plus le cas.

Lorsqu’ils quittent l’école, 60 % à 70 % des élèves sont affectés en région parisienne, où ils sont confrontés à d’importants problèmes de logement. En attendant de trouver un appartement, certains d’entre eux dorment dans leur voiture, même si, généralement, l’établissement où ils sont affectés leur paie l’hôtel. Ces situations sont très problématiques et il faudrait trouver des solutions, avec les préfectures, pour loger ces jeunes qui débutent dans la carrière. Il ne faut plus qu’au moment où ils arrivent chez nous, ils soient préoccupés par ces questions de logement, car ils ont besoin de sérénité pour aborder leur vie professionnelle.

En 2005, la direction de l’administration pénitentiaire n’a pas jugé utile d’agrandir l’ÉNAP. À l’époque, on a fait le choix politique de ne pas augmenter les recrutements, parce qu’on imaginait peut-être qu’il ne serait pas nécessaire de construire de nouvelles prisons et que le taux d’incarcération baisserait. Le résultat, c’est que l’ÉNAP, qui est la seule école à former des personnels pénitentiaires en France, ne peut plus faire face aux recrutements qui ont lieu actuellement. On a donc décidé, l’année dernière, de réduire la durée de formation des surveillants, en la faisant passer de huit à six mois. La formation initiale a été réduite dans tous les domaines, y compris le tir et le sport. Les jeunes qui sortent de l’école ont une formation initiale de plus en plus limitée, et c’est la conséquence des choix politiques passés.

Nous avons dû, je le disais, faire face à des recrutements importants l’année dernière. Mais il faut savoir que seules 25 % des personnes inscrites au concours s’y sont effectivement présentées, si bien que nous avons dû recruter des personnes qui ont eu 2 de moyenne au concours. À l’ÉNAP, nous demandons aujourd’hui aux formateurs de donner aux élèves des cours de français et de mathématiques : voilà la réalité actuelle.

Mme Alice Thourot, présidente. Permettez-moi de vous demander une précision : les abandons en cours de formation sont-ils fréquents ?

M. Dominique Gombert. Au cours de la scolarité, il arrive bien souvent que des élèves abandonnent après le premier ou le deuxième stage, parce qu’ils se rendent compte que ce travail n’est pas fait pour eux. À la sortie de l’école, la première affectation fait, elle aussi, un certain nombre de déçus. Au cours de leur formation, les élèves alternent les périodes de formation à l’école et les stages en établissement, un peu partout sur le territoire. Lorsqu’on a fait des stages dans de petites maisons d’arrêt, à Mauzac ou à Agen, et que l’on est affecté à Fleury-Mérogis ou à Fresnes à la sortie de l’école, c’est le choc carcéral. Travailler dans une petite maison d’arrêt, comme celle de Dijon dont il a été question, ce n’est pas la même chose que d’être confronté à 100 ou 120 détenus à Fresnes. Ce n’est pas le même travail. Voilà ce que je pouvais vous dire sur le recrutement et la formation initiale.

Mme  Alice Thourot, présidente. Vous nous avez donné un aperçu très précis des difficultés que pose le recrutement.

M. Nicolas Peyrin, représentant la CGT Pénitentiaire. Entre le premier jour d’entrée à l’école et la titularisation, on perd en moyenne 15 % à 20 % de collègues chaque année, soit parce qu’ils s’aperçoivent que le métier est trop difficile, soit parce qu’ils sont reçus à un autre concours. Il faut savoir que la politique de l’administration centrale pénitentiaire consiste aujourd’hui à titulariser les stagiaires. De même que l’on admet au concours des personnes qui ont des notes très basses, de même, on a tendance à titulariser des professionnels qui, il y a quelques années, ne l’auraient pas été. Nous procédons ainsi pour maintenir nos effectifs et ne pas avoir des pertes supérieures à 20 %, ce qui serait dramatique.

M. Dominique Gombert. À titre d’exemple, la dernière promotion devait compter 600 élèves et ils ne sont que 497.

Mme Nicole Trisse. La formation actuelle vous semble-t-elle adaptée à vos missions ? Est-ce la même qu’il y a vingt ans, ou bien a-t-elle évolué pour s’adapter, par exemple, à la dangerosité croissante de votre métier ?

M. Jean-Marie Fiévet. Pour faire face à la surpopulation carcérale, le Gouvernement a lancé un programme de construction de prisons. En attendant qu’elles voient le jour, que pourrait-il être fait ? S’il y avait moins de détenus, les choses seraient déjà plus simples…

M. Wilfried Fonck, secrétaire national de l’UFAP-UNSA. Pour revenir à la question du recrutement, il est clair que personne ne rêve, étant petit, de devenir surveillant pénitentiaire. Le taux de participation au concours, de l’ordre de 20 % ou 25 %, était le même l’année dernière : ce n’est pas un métier qui attire les gens a priori. J’ajoute que parmi les 15 % ou 20 % de personnes qui quittent l’administration pénitentiaire entre leur entrée à l’école et leur titularisation, un certain nombre est reçu à la gendarmerie, dans la police, à la douane ou chez les pompiers. Si les gens réussissent ailleurs, ils partent.

L’un de vous nous a dit que les personnels de la prison de Dijon sont très investis dans leur mission. Sans doute, mais on peut être à la fois très investi et désabusé. Nous avons des personnels qui croient à ce qu’ils font, c’est certain : ceux qui restent croient absolument à leur mission. Mais il est urgent de prendre des mesures pour qu’ils continuent à y croire.

M. Yoan Karar. Tout ce qui vient d’être dit met en lumière la faible attractivité de notre métier, pour des raisons statutaires et indemnitaires, d’une part, et sécuritaires, d’autre part. C’est un métier difficile, où l’on risque continuellement d’être agressé : 135 agressions graves se sont produites depuis le début de l’année et il y a eu 4 000 agressions au cours de l’année 2018. On a donc, à chaque service, une chance sur quatre de se faire agresser. Ces chiffres, ce sont ceux de notre organisation, parce qu’il faut savoir que l’administration pénitentiaire ne communique plus les chiffres officiels. Il me semble que le fait de ne pas publier ces données nous empêche d’avancer dans la bonne direction.

Vous nous avez demandé ce que nous pensions de la classification des établissements : c’est un projet que notre organisation défend depuis de nombreuses années. Nous pensons qu’il faut arrêter de mélanger les détenus qui présentent un profil pénal et un degré de dangerosité trop différents.

Nous prônons la création d’établissements très sécuritaires, où seraient incarcérés les détenus violents, voire ultraviolents, qui posent des problèmes dans des établissements classiques. Il ne s’agit pas du tout de prendre exemple sur Guantanamo, comme on a pu l’entendre ici ou là. Pour nous, un établissement très sécuritaire est un établissement qui dispose de moyens humains importants, mais aussi de moyens techniques. Nous prônons notamment le port du pistolet à impulsion électrique. Il ne s’agit pas de partir en guerre, mais de disposer d’un outil pour se défendre en cas d’agression. L’idée, du reste, n’est pas forcément de s’en servir, mais d’en faire un outil de dissuasion. Lorsqu’on doit entrer dans la cellule d’un détenu qui est en train de tout casser et qui peut éventuellement être armé d’un pic, le fait de disposer de cet outil peut contribuer à désamorcer la situation et forcer l’individu à se rendre.

Nous proposons, à l’inverse, que certains établissements soient vraiment tournés vers la réinsertion : dans ces établissements pénitentiaires, il n’y aurait pratiquement pas de murs, un service de sécurité restreint et pas de mirador. Pour le coup, le social serait au cœur de ces établissements. Cela donnerait davantage de perspectives aux détenus incarcérés : plutôt que de vivre au milieu des rats avec la crainte d’être poignardés par un autre détenu, ils pourraient vivre dans un système de détention beaucoup plus léger et axé vers la réinsertion.

Il est très difficile, à l’heure actuelle, de mener une politique de désengagement vis-à-vis de la radicalisation dans des établissements surpeuplés, qui plus est avec des professionnels qui ne sont pas formés. Nous sommes là pour assurer la garde, la sécurité et la réinsertion des détenus : c’est une mission qui, en soi, est déjà un peu schizophrène, puisqu’on nous demande de faire à la fois du sécuritaire et de la réinsertion, ce qui suppose de trouver un juste équilibre. Mais lorsqu’on est confronté à des détenus ultraviolents, il faut faire de la sécurité une priorité absolue, quitte à faire passer la réinsertion au second plan.

Les caméras-piétons, que nous réclamons, ne sont pas encore en service, car des problèmes se posent encore vis-à-vis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). J’ai déjà évoqué le pistolet à impulsion électrique, mais les personnels pourraient aussi être dotés d’une petite bombe lacrymogène. À ceux qui me diront que l’armement en détention est problématique, je répondrai que la bombe lacrymogène n’a jamais tué personne, et que c’est un moyen rapide de répondre à une agression. Actuellement, un surveillant ne dispose, pour se défendre sur une coursive, que d’un sifflet et de ses mains, en attendant l’arrivée de ses collègues. Face à des détenus ultraviolents qui, la plupart du temps, sont aussi armés, il faut que nous puissions nous défendre un minimum et préserver notre intégrité physique.

Force ouvrière ne demande pas la création d’une milice ou d’une armée au sein des établissements pénitentiaires. Nous demandons seulement d’avoir les moyens de nous défendre. Ce que nous prônons, c’est par exemple un élargissement du champ de compétence des brigades cynotechniques pénitentiaires. À l’heure actuelle, elles n’ont pas la possibilité de faire de la détection sur les familles qui viennent au parloir. En revanche, on s’en sert pour effectuer des missions de polices externes : voilà un autre paradoxe, auquel il faudrait mettre fin ! S’agissant de la fouille des visiteurs, des notes nous permettent aujourd’hui, non pas de fouiller, ni de palper, mais de « tapoter » les visiteurs – avec leur accord. Il n’existe pas d’autre disposition légale.

Il a été question aussi de nous doter de gilets pare-lames. Dans le cas de l’attentat de Condé-sur-Sarthe, cet équipement n’aurait pas permis de protéger nos collègues, compte tenu de l’emplacement des coups de couteau qu’ils ont reçus. Le relevé de conclusions de l’année dernière n’évoquait même pas une généralisation des gilets de pare-lames mais simplement une distribution dans certains secteurs, dont ne faisaient pas partie les unités de vie familiale (UVF). Ce sont en effet des quartiers qui ne sont pas censés accueillir des détenus dangereux ou susceptibles de passer à l’acte, les rencontres avec les familles étant des moments plus paisibles.

Quant à l’installation des brouilleurs, elle a pris un certain temps.

La formation au tir, on peut en penser ce qu’on veut, mais ce n’est pas avec le peu de stands que nous avons dans les centres pénitentiaires et le peu de temps dont nous disposons que nous pourrons nous améliorer. Il faut rappeler qu’un surveillant effectue trente à quarante heures supplémentaires par mois. Pour ma part, cela fait plus de dix ans que je n’ai pas effectué de tirs pour être en mirador.

Tout cela montre que la sécurité n’a pas été placée au cœur de nos missions.

Il y a aussi le volet statutaire et indemnitaire. Nous sommes en concurrence avec des métiers de catégorie B comme les gardiens de la paix ou les gendarmes. Actuellement, les surveillants de prison sont recrutés au niveau du brevet des collèges, soit en catégorie C. Nous prônons le passage en catégorie B car les rémunérations qui y sont attachées nous mettraient au même niveau que d’autres métiers de la sécurité publique. Pour rappel, un gardien de la paix au premier échelon gagne 1 900 euros quand un surveillant de prison au même niveau ne gagne que 1 400 euros. Mme la garde des Sceaux a indiqué que, selon ses calculs, un surveillant stagiaire gagnait un peu plus de 2 200 euros par mois mais elle a oublié de dire qu’il fallait compter les heures supplémentaires, le travail de nuit et le travail pendant les week-ends. Pourquoi tenir un tel discours de bashing alors que le temps de travail d’un surveillant équivaut à moitié plus que le temps plein de n’importe quel autre fonctionnaire ?

Mme Nicole Trisse. Le niveau d’études joue aussi. Le recrutement se fait au niveau du brevet des collèges et non du bac. Vous ne pouvez espérer gagner plus que les personnes recrutées à un niveau supérieur.

M. Yoan Karar. 70 % des surveillants de prison ont le bac !

M. Joaquim Pueyo. Si nous voulons rendre le métier plus attractif, il est certain que des efforts devront être faits dans le domaine financier. Je me demande si instaurer un recrutement national ne serait pas opportun. Dans ma circonscription, qui compte deux centres pénitentiaires, l’un à Argentan, l’autre à Alençon, je rencontre des jeunes qui voudraient devenir surveillants de prison. Le fait de faire leur formation à Agen ne leur pose pas de problème mais dès qu’on leur dit qu’ils devront attendre sept à huit ans avant de revenir dans leur département d’origine, cela les rebute.

Je sais qu’il y a des réflexions à ce sujet. La région parisienne risquerait d’être déficitaire mais on pourrait imaginer plusieurs types de concours : un concours spécifique pour l’Ile-de-France et un autre concours pour les régions. Dans d’autres pays européens, les concours ne sont pas organisés au niveau national mais au plus près du terrain, ce qui génère beaucoup de demandes.

M. David Calogine, secrétaire général adjoint de l’UFAP-UNSA. Monsieur Pueyo, vous avez travaillé au sein de l’administration pénitentiaire. Vous savez bien que tous les bassins d’emploi ne sont pas égaux à l’échelle du territoire national. Mettre en place des recrutements locaux, départementaux ou régionaux mettrait à mal le fonctionnement de l’institution pénitentiaire. Et je ne parle même pas des territoires d’outre-mer.

M. Joaquim Pueyo. C’est simplement une question que je me posais. La loi de 1997 avait prévu que les établissements pénitentiaires puissent devenir des établissements publics, avec des modalités de recrutement différentes, un peu comme les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) avec les pompiers, mais cette disposition n’a jamais été appliquée. Je comprends très bien vos arguments. Il faudrait une mise en œuvre progressive, sinon ceux qui attendent des postes à La Réunion ou à la Martinique depuis plus de sept ans seraient lésés.

Mme Alice Thourot, présidente. M. le rapporteur a insisté sur la réforme de l’ordonnance de 1945 sur les mineurs. Il serait très important pour nous d’avoir votre éclairage.

M. Alexis Grandhaie. Nous devons faire le constat suivant : sur l’ensemble des problématiques pénitentiaires, nous perdons aujourd’hui des batailles. La densité de la population carcérale est si élevée que nous perdons la bataille du recrutement, la bataille de la formation, la bataille des missions. On en arrive à ne plus réfléchir qu’en termes de maintien de l’ordre, y compris à l’intérieur des établissements. Et ces questionnements me semblent aussi traverser la police nationale.

Il ne faut pas oublier, au-delà de la question des équipements, qu’un pan très important du métier de la surveillance repose sur notre capacité à établir des contacts et tisser du lien social. Et sur ce point, nous ne sommes pas aidés par la structuration physique des prisons actuelles.

J’ai travaillé à l’ancienne maison d’arrêt de Nantes. Les conditions de détention y étaient indignes du fait de la vétusté du bâti, mais elle avait la particularité d’avoir un rond-point central où l’ensemble des professionnels se croisaient : l’avocat, le travailleur social, le soignant transitaient par ce lieu d’échanges et un lien se nouait au quotidien. Aujourd’hui, dans l’ensemble des nouveaux établissements, qui sont de véritables usines carcérales, ces divers intervenants ne sont plus en contact entre eux. Et dans ces monstres créés pour abriter le maximum de détenus, il y a un minimum d’agents. Il y a donc aussi une déperdition du lien entre gardiens et gardés. Les nouvelles générations de surveillants qui apprennent leur boulot dans ce cadre ont tendance à mettre la sécurité et le maintien de l’ordre au premier plan.

Vous posiez la question, madame, de la formation et de la prévention du suicide et de la radicalisation. Cette bataille-là, nous l’avons perdue aussi. La formation initiale à l’ENAP ne prévoyait que 9 heures pour la radicalisation. Ajoutons à cela que les élèves, dont les fragilités en termes de niveau de recrutement ont été rappelées par l’ensemble des collègues, ont l’essentiel de leurs cours en amphithéâtre et qu’il s’agit d’un public qui n’est pas du tout capable de bachoter comme peuvent le faire des jeunes qui se destinent à des études universitaires.

Nous avons tout essayé. Il y a eu un mouvement vers la fermeture des petites structures de proximité pour ouvrir de plus gros établissements. Bois-d’Arcy a ainsi été créé parce que la Santé devait fermer.

Il est clair qu’il y a des gens qui méritent d’aller en prison, mais il faut aussi avoir en tête qu’il y a chaque année plus de 90 000 condamnations prononcées pour des peines de six mois ou moins, qui donnent lieu à 40 000 incarcérations. Les affaires les plus graves, le terrorisme en particulier, façonnent la politique pénale sur l’ensemble de la chaîne. À côté des détenus les plus dangereux, les détenus qui purgent de petites peines viennent happer constamment le regard des collègues. Or quand votre attention doit se focaliser sur la petite délinquance, vous ne faites pas autre chose, d’autant que les personnes condamnées à de longues peines se font plus discrètes. Cela vaudrait la peine d’essayer autre chose que ce qui a été proposé jusqu’à présent.

La question des salaires a certes son importance. Il faut notamment redonner un filet de sécurité aux élèves, c’est une question de dignité, en particulier pour ceux qui ont une famille. Ils ne gagnent que 1 100 euros à l’école dont 200 euros partent en frais de cantine. En outre, l’école n’accueille plus les élèves le week-end, ce qui pose de gros problèmes à ceux qui viennent de l’outre-mer, et, lors des stages de formation initiale, ils ne sont pas non plus hébergés le week-end.

Au-delà des questions d’argent, sur lesquelles chacun ici a ses revendications, il faut penser notre métier en termes de missions. Ne l’aborder que par le prisme du maintien de l’ordre, c’est déjà avoir perdu.

M. Nicolas Peyrin. Aujourd’hui, nous réagissons beaucoup à l’affectif. Nous pensons aux collègues, c’est évident. Pendant de nombreuses années, le premier moyen pour assurer la sécurité dans l’administration pénitentiaire a été l’humain et c’est sous cet angle qu’il faut aborder les réponses. Nous aurons beau être équipés de la plus belle technologie du monde, nous serons en danger tant que nous resterons isolés. Un agent même protégé par une armure complète sera exposé à des failles de sécurité s’il reste seul. C’est l’accompagnement en nombre qui fait la différence. Le rapport de force a changé en détention, de la même façon que la population carcérale a changé. L’agent est désormais isolé sur sa coursive, ce qui est source de grandes difficultés.

La création des équipes de sécurité pénitentiaire (ESP) a entraîné un détournement des postes vacants vers les missions extérieures au détriment de la détention. Or 95 % de nos tâches sont consacrées à la détention. Un rapport d’octobre 2016 a formulé des préconisations au sujet des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ). Les équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) ont été créées car nous étions dans l’incapacité d’effectuer nos missions dans ces pôles et elles vont devenir des « sous-PREJ », auxquelles on donnera des missions de sécurité périphériques. La magistrature, dans son bras de fer avec l’administration pénitentiaire, sera la plus forte et quand on nous donnera l’ordre d’organiser un transfert ou une extraction judiciaire, on ne pourra pas assurer ces missions. Nous le savons bien.

Il faut redonner à notre administration des moyens humains suffisants pour nous permettre d’effectuer l’ensemble de nos missions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Certains d’entre vous ont souligné qu’il y avait déjà eu de multiples rapports, que leur contenu était toujours le même et que rien n’avançait, mais c’est peut-être parce que les remarques qui sont faites sont toujours les mêmes.

Des questions précises vous ont été posées – sur l’ordonnance de 1945, sur la prise en charge de l’extraction judiciaire, sur la qualification d’officier de police judiciaire – et à chaque fois que l’un d’entre vous a pris la parole, seules la rémunération et la formation ont été évoquées. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il s’agit d’enjeux importants. Toutefois, pour être en mesure d’être force de proposition dans l’intérêt des surveillants pénitentiaires, il faut que nous puissions travailler vraiment ensemble.

M. Wilfried Fonck. Comme le disait mon collègue de la CGT, les surveillants auront beau être équipés d’une armure complète, s’ils sont tout seuls, ils seront toujours en danger. Dans le volet consacré à la sécurité du relevé de conclusions de 2018, a été évoqué le travail en binôme ou en équipe. Nous attendons toujours que le directeur de l’administration pénitentiaire fasse comprendre à ses directeurs interrégionaux ou à ses chefs d’établissement qu’il est temps qu’ils appliquent ce qui leur est demandé.

Vous disiez à juste titre, monsieur le rapporteur, que nous répétions les mêmes choses. Mais si personne ne met en œuvre les décisions de la Chancellerie, les engagements pris par les ministres auprès des organisations professionnelles, comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? En face, il faut bien voir qu’il y a d’autres intérêts que ceux des personnels qui sont en jeu et nous ne nous en sortirons pas tant que cela durera.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous faites référence à la chancellerie et à l’administration. Il y a une différence entre exécutif et législatif.

Mme Alice Thourot, présidente. En effet, nous aimerions savoir ce que nous pouvons, nous, en tant que législateurs, apporter pour aider à l’accomplissement de vos missions.

M. Wilfried Fonck. Nous avons des attentes qui concernent le volet détention du code de procédure pénale. Il est urgent d’y ajouter des mesures dérogatoires pour trois catégories de détenus : les détenus terroristes, les détenus radicalisés, les détenus violents.

Par ailleurs, il est regrettable que la loi de programmation pour la justice n’ait pas permis de poser la question du temps de l’incarcération : s’agit-il simplement de placer quelqu’un entre quatre murs puis de le relâcher en se disant advienne que pourra ? S’agit-il d’avoir un impact sur le comportement social de la personne incarcérée ? Les gens qui sont en prison sont par définition des individus qui ont transgressé les normes. Que doit-on faire pour qu’ils les intègrent et qu’ils ne récidivent pas ?

Les personnels pénitentiaires ont toute leur importance en ce domaine, mais, dans la mesure où ils sont aujourd’hui contraints de se focaliser sur leur propre sécurité pour pouvoir, dans un sursaut de survie, rentrer chez eux en un seul morceau, il leur est difficile de se consacrer à ce pan de leur métier. Si la sécurité des personnels et des structures n’est pas assurée, le reste est impossible. Et il me semble que vous, législateurs, pouvez avoir un impact en ces domaines.

Il serait intéressant qu’il y ait des établissements ayant une identité propre avec des programmes spécifiques proposés aux détenus. Si nous n’avons rien à leur proposer pour engager leur chemin vers la sortie, eh bien ils vont rester devant la télé vingt-deux heures sur vingt-quatre. Quand je suis entré dans l’administration pénitentiaire en 1999, il y avait encore des centres de détention qui proposaient des formations diplômantes, par exemple, des certificats d’aptitude professionnelle (CAP) en mécanique. Et certaines personnes condamnées demandaient à être incarcérées dans ces établissements, même si elles étaient loin de chez elles, pour avoir un diplôme en sortant et éventuellement un travail. Aujourd’hui, c’est le maintien à tout prix des liens familiaux qui l’emporte. Chacun fait son temps et advienne que pourra.

M. Jean Philippe Cabal, secrétaire national « corps de commandement » de FO Pénitentiaire. Monsieur le rapporteur, si nous répétons les mêmes choses, c’est pour une raison simple : rien n’a été réglé. En trente-deux ans de carrière, j’ai connu plusieurs mouvements de personnel. Dans les années quatre-vingt-dix, à la suite du décès de certains de nos collègues, les choses ont évolué. Mais il n’y a toujours pas de solutions.

Vous parlez de l’ordonnance de 1945. J’en entendais déjà parler en 1989. Il y a eu certes une évolution dans la prise en charge des mineurs avec la création d’établissements spécialisés mais aujourd’hui ils sont surpeuplés et des gens qui ne sont pas plus mineurs que moi y sont incarcérés.

Il n’y a aucune statistique sur les violences. Cela m’inquiète car cela veut dire que l’on dissimule la vérité.

Depuis la fin de l’année dernière, il y a un mouvement des personnels. Mais quelle est la réponse ? Le rapport de forces ? Je trouve que c’est stupide. On ne se pose pas les bonnes questions. Comment fait-on pour protéger la population pénale aujourd’hui ? Voilà une question à poser car les violences en prison ne sont pas seulement dirigées contre les personnels.

La contrôleure générale des lieux de privation de liberté vient de publier son rapport annuel, où elle souligne que la loi de programmation pour la justice ne servira à rien. Cela fait deux ans qu’il est question de vider les prisons. Un programme a été élaboré par la précédente garde des Sceaux. Où en est-il ? On n’en a jamais vu le début d’application.

Vous parliez de l’évolution du statut du personnel. Bien sûr qu’il doit évoluer. Force ouvrière a son idée là-dessus et publiera une plaquette revendicative à ce sujet. Il faut rendre de l’autorité aux personnels pénitentiaires. Rappelons que plus de 60 % des personnels ont le bac alors que 36 % des policiers n’ont pas le bac. Il faut arrêter d’opposer les niveaux de recrutement. Il y a des pistes à étudier. Pour les personnels administratifs, il y a eu un recrutement sud et un recrutement nord mais je ne sais pas si cela a contribué à augmenter les embauches car visiblement cela a été abandonné.

Pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver de réponses ? Notre ministre de tutelle et le directeur de l’administration pénitentiaire sont pourtant là pour ça. Cela fait des années qu’il est question de classification des établissements en fonction du profil des détenus. Un régime extrêmement sécuritaire réclame une loi adaptée. Comment se fait-il qu’un détenu très violent condamné à une lourde peine capable de passer à l’acte ait pu se retrouver dans une unité de vie familiale à Condé-sur-Sarthe ? Désormais, les familles sont fouillées dans ce centre pénitentiaire. Mais jusqu’à quand ? La réaction de la population pénale ne va pas tarder.

Si vous voulez rendre de l’autorité au personnel, il faut qu’il ait des moyens légaux et législatifs à sa disposition. Depuis la loi de 2009, pour des raisons de conformité avec le droit européen, on ne peut plus fouiller les détenus alors que certains devraient l’être. Certes, des fouilles systématiques ne s’imposent pas sur une personne incarcérée parce qu’elle n’a pas payé sa pension alimentaire, mais il ne faut pas oublier l’existence du phénomène des « mules ». Les gens moins dangereux sont menacés par les plus dangereux qui les forcent à faire entrer des téléphones ou de la drogue en détention. Quant aux chiens, bien sûr qu’il en faut pour détecter les stupéfiants. Cela implique là encore une évolution législative.

Par ailleurs, il a été question de méthodes d’évaluation et de primes. Je dois dire que je n’en ai jamais touché alors que j’ai été chef d’établissement pendant quinze ans. La rémunération au mérite pour certaines catégories de personnel, et pas seulement les chefs d’établissement, existe depuis 2007. Des objectifs sont fixés et, à la fin de l’année, une évaluation permet de voir s’ils ont été atteints. C’est le management par objectifs qui a été institué par l’administration française au milieu des années 2000. Je ne vois donc pas en quoi cette rémunération au mérite serait quelque chose nouveau. La vraie nouveauté, ce serait d’avoir les budgets nécessaires pour la mettre en œuvre. Il y a bien des indemnités majorées mais comme il n’y a pas d’argent, il n’y a aucune majoration.

M. Nicolas Peyrin. Je vais vous donner des réponses précises à vos questions.

La CGT Pénitentiaire est défavorable à l’intégration de la qualification d’agent de police judiciaire ou d’officier de police judiciaire. Pour nous, elle ne peut être adaptée à un milieu fermé, compte tenu des conséquences juridiques qu’elle entraîne. Aujourd’hui, la cellule n’est pas considérée comme un domicile. L’agent qui travaille sur la coursive peut y aller et venir. S’il avait des pouvoirs de police judiciaire, ce n’est plus à une fouille de la cellule qu’il procéderait mais à une perquisition.

Nous avons des outils. Le tout, c’est que l’administration nous laisse les utiliser. L’article 57 de la loi pénitentiaire permet une fouille systématique à la sortie des parloirs dans certaines conditions. Dans les secteurs ou les établissements les plus sensibles, il suffit que l’officier décide de fouiller chaque sortie de parloir. Le chef d’établissement peut déjà prendre ses responsabilités et utiliser l’article 57, dans la mesure où il estime qu’il y a un risque potentiel pour ses agents ou son établissement. Il peut dès aujourd’hui décider « à partir de maintenant, jusqu’à ce qu’on me dise le contraire, je fouillerai toutes les sorties de parloir pour éviter les mules ou d’autres incidents ». Le moyen juridique existe, il doit juste accepter de jouer son rôle, même si cela doit durer six mois, un ou deux ans. Avant d’aller chercher d’autres armes, utilisons celles dont on dispose !

M. Jean-Pierre Cubertafon. Les détenus sont-ils regroupés par degré de dangerosité dans les établissements ? Certains établissements mettent-ils en place des programmes pour aider certains types de détenus, par exemple les toxicomanes ?

M. Wilfried Fonck. Effectivement, on tient compte du niveau de dangerosité des détenus pour les orienter vers des établissements dont le niveau de sécurité est plus ou moins élevé. Par exemple à Condé-sur-Sarthe ou à Vendin-le-Vieil, le niveau de sécurité est beaucoup plus élevé que dans un centre de détention classique.

Mais, du point de vue de l’administration pénitentiaire, la sécurité, c’est surtout l’impossibilité d’évasion pour le détenu ou, a minima, la mise en place d’un maximum de retardateurs de l’évasion. On ne réfléchit donc pas en termes de gestion du risque : à aucun moment, on ne se pose la question de savoir quels risques représente tel détenu. Si c’était le cas, on pourrait sûrement beaucoup mieux adapter les structures aux profils des individus et développer des prises en charge plus individualisées.

La prise en charge des individus sous dépendance de produits stupéfiants relève du ministère de la santé. Les personnels pénitentiaires ne sont pas compétents sur ce volet médical. Ce sont les services de santé qui s’en occupent. Cela existe donc, mais il faut savoir que cela fait aussi l’objet de trafics : certains vont se déclarer toxicomanes alors qu’ils ne le sont pas, pour pouvoir bénéficier d’un traitement qui va lui-même servir de monnaie d’échange pour une paire de basket, un téléphone portable, etc.

M. Yoan Karar. Je voudrais revenir sur les propos de monsieur le rapporteur. Effectivement, des travaux ont déjà été réalisés dans le passé, qui pointaient tous la problématique de l’attractivité de notre métier. Mais il faut plutôt parler de recrutement : dans une grosse maison d’arrêt, où est la sécurité quand un surveillant gère 100 à 130 détenus ? On ne pense alors qu’à l’urgence…

Un autre exemple illustrera mon propos. Une nouvelle mission nous a été confiée : les extractions judiciaires. La gendarmerie et la police effectuaient cette mission avec un maillage territorial plus local que celui de l’administration pénitentiaire – il existe un établissement pénitentiaire par département alors que la police nationale et la gendarmerie ont des antennes dans chaque ville. Ces dernières réalisaient cette mission avec plus de 2 400 équivalents temps plein (ETP). Quand la compétence nous a été transférée, nous n’avions que 800 ETP pour la remplir… Cela a engendré de grandes difficultés ; ainsi, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes est à l’origine de défauts de présentation de détenus devant les magistrats, et donc des vices de procédure qui ont abouti à la libération de ces détenus.

Les recrutements ont permis d’atteindre 1 750 emplois pour effectuer cette mission, mais nous sommes toujours bien loin des 2 400 emplois provisionnés par la gendarmerie et la police… De ce fait, nous réalisons nos missions à deux agents – au lieu de trois comme il était de coutume dans la police et la gendarmerie –, avec toute l’insécurité que cela génère – regardez ce qui s’est passé à Tarascon, même si, face à des Kalachnikov, on peut difficilement répondre avec des neuf millimètres…

Les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) pâtissent de ces problèmes de recrutement, les surveillants se retrouvent seuls au milieu des coursives, les heures supplémentaires explosent – trente ou quarante heures supplémentaires, c’est certes du pouvoir d’achat, mais surtout des personnels épuisés…En conséquence, la profession devient de moins en moins attractive : un surveillant va travailler six week-ends sur sept et six nuits par mois et prendre ses vacances d’été au mois de mai ou de septembre… La carrière ne fait plus rêver. Tous les rapports publiés l’ont déjà pointé du doigt : la problématique des effectifs est liée aux recrutements et aux salaires. Il faut que nous puissions remplir nos missions dans des conditions de sécurité minimales…

M. Jean-Louis Thiériot. Nous sommes tous conscients du problème d’attractivité de la fonction pénitentiaire. Sous ma double casquette d’avocat – qui a fréquenté des établissements pénitentiaires – et surtout d’élu de Seine-et-Marne, on m’a régulièrement fait part d’un problème de logement des agents, qui habitent souvent dans des cités, à proximité des familles des détenus avec les problèmes et les pressions que cela génère… Croyez-vous qu’un système de priorisation dans l’affectation des logements sociaux, hors proximité de l’établissement pénitentiaire, permettrait d’améliorer l’attractivité de la fonction ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les extractions judiciaires, les mêmes équipes y sont-elles toujours affectées ? 650 recrutements supplémentaires – pour passer de 1 750 à 2 400 – seraient-ils suffisants pour sécuriser les extractions mais aussi les centres pénitentiaires ?

D’après votre expérience du quotidien, un mineur de seize ans est-il aussi violent qu’un majeur de dix-huit ans et doit-il être jugé comme tel ?

M. Alexis Grandhaie. Je répondrai également à la question que vous nous avez posée sur l’ordonnance de 1945. Je ne pourrai pas vous répondre à la place des collègues de la protection judiciaire de la jeunesse, ni à la place d’autres professionnels, car chacun l’analyse en fonction de sa sensibilité personnelle, syndicale ou professionnelle, mais il faut une politique pénitentiaire spécifique pour les mineurs. Vous allez me répondre que c’est déjà le cas, mais nous régressons : à l’ouverture des établissements pénitentiaires pour mineurs, des quartiers pour mineurs ont été fermés. Certains ont rouvert depuis et il existe désormais plus de quartiers pour mineurs dans les prisons que d’établissements pénitentiaires pour mineurs. Pourtant, dans ces derniers, l’offre d’activités et de formations pour les mineurs est bien plus importante…

Pour prolonger la réponse de M. Fonck sur les personnes qui se côtoient dans les établissements pénitentiaires, j’évoquerai un sujet que nous avons encore peu abordé : la radicalisation. Je parle sous le contrôle de mes collègues, mais hormis les profils terroristes très médiatiques – à l’isolement –, les autres sont en détention classique. En conséquence, au regard de la densité en maison d’arrêt, nous avons de grandes difficultés à accueillir l’ensemble des détenus. En outre, alors que, par le passé, le repère d’un jeune qui arrivait en prison, c’était le caïd – il pouvait se mettre sous sa protection –, aujourd’hui, c’est le terroriste radical, puisqu’il le côtoie dans les maisons d’arrêt…

M. Joseph Paoli. Nous avons déjà participé à une commission d’enquête sur les quartiers et établissements pénitentiaires pour mineurs. La question du coût avait notamment été abordée : il s’élève certes à 700 euros par jour par détenu mineur. Le débat a déjà eu lieu, néanmoins, et des solutions ont été apportées. C’est un sujet problématique dont il faut se saisir, y compris sous l’angle de l’action des surveillants et des éducateurs. Nous avons formulé nos propositions pour réaliser des économies.

Dans ce débat, toutes les questions sont pertinentes, y compris celle de l’attractivité du métier de surveillant. La politique « pro-détenus » que j’évoquais ne correspond pas à un simple sentiment, mais à un constat. Les agressions sont très nombreuses – jusqu’à 4 000 par an – et les incidents quotidiens : insultes, crachats, etc. La politique de gestion des détenus décidée par le Gouvernement, qui s’impose aux directeurs d’établissement via les directeurs interrégionaux, répond à un objectif sacro-saint : l’ordre public. Lorsqu’un policier, un gendarme ou toute personne dépositaire de l’autorité publique est atteint physiquement, la réponse pénale est immédiate ; ce n’est pas le cas dans la pénitentiaire. Les réponses disciplinaires ne sont pas toujours en adéquation avec la gravité des faits commis à l’encontre des surveillants, ce qui nuit à leur travail – qu’ils exercent déjà en mode dégradé et en sous-effectif.

Au moins faut-il qu’une réponse soit apportée immédiatement lorsqu’un surveillant est agressé, afin d’éviter qu’il n’ait à ouvrir le lundi à celui qui l’a agressé le vendredi. On nous répond qu’un transfert d’urgence n’est pas toujours possible le vendredi en raison du week-end et qu’il faut attendre le lundi, mais, une fois le lundi venu, le transfert, nous dit-on, est devenu moins urgent et peut attendre le mercredi. Certes, les détenus coupables peuvent être placés au quartier disciplinaire, mais ils ont mis au point une technique pour y échapper : une fois qu’ils s’y trouvent, ils appellent le médecin en larmes et menaçant de se suicider, suite à quoi le médecin prononce l’incompatibilité de leur placement en quartier disciplinaire et leur renvoi en cellule. Là encore, sans doute faudra-t-il revoir le système.

Nous ne souhaitons pas opposer les détenus aux surveillants mais oui, nous avons le sentiment que la politique menée est plus favorable aux détenus : il est question de leur installer des cabines téléphoniques et de baisser le prix des cantines, par exemple. Voilà pourquoi nous estimons que l’on s’occupe davantage des fauteurs de trouble – je parle notamment des ingérables. Comment voulez-vous que nous conservions notre autorité si aucune réponse n’est apportée aux insultes que nous recevons ? Certes, notre métier consiste à se faire insulter toute la journée et nous l’avons choisi. Il arrive cependant un moment où il faut apporter une réponse. On nous opposera l’argument des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement à perpétuité, qui n’ont rien à perdre : n’oublions pas l’aspect pécuniaire, qui peut être une solution, les détenus étant gênés lorsque l’on touche à l’argent.

Autre exemple de cette politique pro-détenus : la contrôleure générale des lieux de privation de liberté estime qu’il serait bon d’autoriser les téléphones, notamment pour permettre les écoutes, et quitte à installer des brouilleurs. Les budgets nécessaires sont-ils prévus ?

Il faut tout revoir, tout réorganiser. La première priorité du travail des surveillants, c’est la sécurité : celle de l’établissement, mais aussi celle des détenus et de leurs co-détenus – car les agressions et règlements de comptes entre détenus sont très fréquents. Parallèlement, on nous demande de faire de la réinsertion : soit, mais donnez-nous des effectifs ! Comment faire de la réinsertion ou du renseignement avec un surveillant pour quatre-vingt-dix détenus ? Comment repérer les détenus en voie de radicalisation dans ces conditions ?

Le renseignement pénitentiaire est un problème réel. Nous avions proposé d’y consacrer des équipes spécialisées parmi les surveillants. Prenons l’exemple de Rédoine Faïd : il était suivi par le renseignement et placé sur écoutes. Son évasion met en lumière le problème de la transmission et de l’exploitation des renseignements. Pour l’instant, les choses ne fonctionnent pas. Il ne suffit pas de créer des postes d’officier de renseignement en milieu carcéral.

M. Jean-Louis Thiériot. Les outrages, crachats et autres agressions ne sont guère sanctionnés par des mesures autres qu’internes, comme le placement en quartier disciplinaire – auquel les détenus répondent par des stratégies visant à ne pas y rester, comme vous nous l’avez indiqué. Selon vous, la systématisation de la procédure pénale pour outrage à agent dépositaire de l’autorité publique – quand bien même elle alourdirait considérablement la charge de travail déjà lourde de la justice – ne pourrait-elle être un élément de dissuasion vis-à-vis des détenus, qui risqueraient quelques mois de prison supplémentaires en cas d’insulte à un surveillant, étant entendu que, dans la grande majorité des cas, leur but est de sortir de prison ? Ne faut-il pas réfléchir à cette éventualité, tout en mesurant la surcharge procédurale qu’elle représente ?

M. Yoan Karar. Oui, nous défendons cette revendication, non pas pour les pouvoirs de police qui l’accompagnent, mais pour sacraliser les écrits professionnels des personnels de surveillance. En cas d’agression ou d’insulte, en effet, les surveillants sont tenus de produire un compte rendu d’incident, lequel n’a aucune valeur, ni judiciaire ni juridique. Il faut que le surveillant se déplace au commissariat pour porter plainte, au risque de revivre une nouvelle fois l’agression déjà subie en la racontant et lors de la confrontation avec l’auteur des faits. De surcroît, la première question qui est souvent posée aux surveillants agressés, avant même de s’enquérir de leur état, est celle-ci : qu’avez-vous fait au détenu ? Nous demandons donc la création d’une qualification d’agent de police judiciaire pénitentiaire pour sacraliser une fois pour toutes nos écrits afin qu'ils puissent être pris en compte par l’autorité judiciaire sans que le passage par le commissariat soit nécessaire.

Mme Alice Thourot, présidente. Je vous remercie. Les membres de la commission d’enquête ont été très attentifs à la détresse dont vous nous avez fait part.

 

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  Audition du 2 avril 2019

Audition de représentants de syndicats de la police municipale :

 FO Police Municipale : M. Patrick Lefèvre, secrétaire national et M. Christophe Léveillé, secrétaire national ;

 FA-FPT Police municipale : M. Fabien Golfier, secrétaire national en charge de la police municipale et M. Pascal Kessler, secrétaire général ;

 UNSA : M. Manuel Herrero secrétaire général adjoint UNSA territoriaux région AURA, membre de la commission consultative des polices municipales, et M. David Quevilly

 CGT-Police Municipale : M. Yves Manier, brigadier-chef principal de police municipale, membre du collectif CGT-PM, Pascal Ratel, chef de service de police municipale ;

 CFDT Interco : M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndicat interco 21 et M. Serge Haure, chargé de mission forces de sécurité publique

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête en recevant des syndicats de police municipale représentés au sein de la commission consultative des polices municipales. Je souhaite donc la bienvenue aux représentants des fédérations FO Police municipale, FA-FPT Police municipale, UNSA, CGT Police municipale et CFDT Interco.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, je vous demanderai, messieurs, de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Messieurs, je souhaiterais vous voir aborder trois principaux points. Tout d’abord, quelle relation entretient la police municipale avec les forces de sécurité de l’État ? Ensuite, appelez-vous de vos vœux une réforme du statut des policiers municipaux ? Enfin, quelle appréciation portez-vous sur les équipements mis à votre disposition, notamment dans le cadre du maintien de l’ordre ?

M. Pascal Ratel, chef de service de police municipale, CGT Police municipale. Pour répondre à votre première question, monsieur le rapporteur, il n’existe pas de complémentarité systématique, sur le terrain, entre les policiers municipaux et les forces de sécurité de l’État. Les conventions de coordination ou les conventions de coordination renforcées ne sont, globalement, guère satisfaisantes. La plupart du temps, elles ne sont pas appliquées, ou très insuffisamment. Parfois même, elles ne sont pas connues de nos partenaires étatiques.

Nous ne ressentons pas un manque de confiance de la part des forces de sécurité de l’État, mais une méconnaissance de notre métier et de nos prérogatives, qui nourrit une certaine méfiance. En effet, nous ne partageons pas nécessairement les mêmes notions en matière de sécurité publique. En outre, l’échange d’informations est souvent unilatéral.

Pour renforcer la coordination entre les forces nationale et municipale, il me semble primordial de mieux faire connaître notre métier à nos partenaires. Dans le cadre de nos formations, nous effectuons des stages d’observation dans des commissariats ou des brigades de gendarmerie. Il serait intéressant que les forces de sécurité de l’État procèdent de même au sein de la police municipale.

Nos rapports avec le procureur de la République mériteraient également d’être renforcés, comme c’est le cas pour le commandant de brigade de gendarmerie.

En ce qui concerne le statut, la priorité serait de faire passer les policiers municipaux en catégorie B. En effet, la professionnalisation croissante de notre métier nous fait dépasser le cadre de simples agents d’exécution. Nous souhaiterions également obtenir une bonification d’une annuité tous les cinq ans pour le calcul de notre pension de retraite, à l’instar de nos collègues des forces de sécurité de l’État. En d’autres termes, nous devrions bénéficier d’un statut particulier au sein de la fonction publique territoriale.

Les équipements dont peuvent être dotés les policiers municipaux sont largement suffisants – encore faut-il que les maires aient les moyens de les acquérir. À cet égard, un financement spécifique de l’État devrait être mis en place. J’ajoute que certains équipements devraient devenir obligatoires pour les policiers municipaux, comme c’est le cas, par exemple, pour les pompiers.

Enfin, les brigades cynophiles seraient utiles à notre profession, notamment pour la recherche de personnes, d’explosifs et de stupéfiants. La présence de chien est dissuasive pour les délinquants, mais peut aussi constituer un moyen d’approche intéressant pour la police de proximité. Malheureusement, il manque un cadre légal permettant à la police municipale de recourir à des brigades canines.

M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndical Interco 21, CFDT Interco. Les trois thèmes que vous avez cités, monsieur le rapporteur, sont chers aux policiers municipaux : les conditions de travail, la situation statutaire et la situation opérationnelle.

Les conditions de travail des policiers municipaux se dégradent, la délinquance ayant changé de visage ces dernières années. Les agressions commises à l’encontre de nos collègues se multiplient. Ces violences peuvent survenir lors d’opérations d’encadrement périphérique des mouvements de contestation ou d’interventions de répression et de prévention de la délinquance quotidienne. L’assassinat d’une de nos collègues par un terroriste en janvier 2015 à Montrouge révèle que les policiers municipaux sont devenus des cibles.

Au quotidien, les policiers municipaux font preuve d’un engagement toujours plus marqué vis-à-vis des usagers. Ils sont soumis à une pression hiérarchique accrue, pour répondre aux décisions politiques. Les urgences sécuritaires, qui affectent fortement la vie de nos concitoyens, méritent bien sûr d’être traitées. Cependant, elles ne doivent plus être le fil conducteur de politiques publiques menées au coup par coup.

Depuis quelques années, les rapports des citoyens avec les policiers municipaux se sont profondément transformés. La population reconnaît et apprécie majoritairement le travail de ces agents, qui œuvrent dans la proximité et connaissent parfaitement les territoires.

Les policiers municipaux travaillent en service de jour, de nuit, ou en horaires décalés. Ils officient les week-ends et les jours fériés. Ces emplois du temps atypiques ont de nombreux effets délétères sur leur santé. Dans les grandes collectivités, les policiers municipaux sont devenus les primo-intervenants en matière de police de la route et de délinquance du quotidien. Face à un besoin de sécurité important, les effectifs croissent rapidement. Cela génère des difficultés dans certaines collectivités paraissant moins attractives en termes de moyens et de salaires. Il serait souhaitable de réfléchir à un dispositif de rémunération qui s’appliquerait de façon identique dans l’ensemble des collectivités métropolitaines et ultramarines.

À long terme, l’accès à la profession pourrait être facilité par la création d’un cursus de sécurité dans les filières éducatives technologiques et générales. Le dispositif des « cadets de la République » nous paraît en être un bon exemple.

Les prérogatives dévolues aux policiers municipaux par la loi du 15 avril 1999 ne sont plus, à notre avis, en adéquation avec la réalité des missions qu’ils exercent au quotidien. Le traitement morcelé des affaires lancées par les policiers municipaux ne permet pas de suivre efficacement les problématiques de délinquance sur le plan local. Dans un objectif d’amélioration, notre organisation a saisi le ministère de l’Intérieur afin que de nouvelles prérogatives judiciaires soient attribuées à l’ensemble des policiers municipaux. Le code de procédure pénale pourrait être modifié en ce sens, en son article 16 pour les directeurs, en excluant les crimes et délits en bande organisée, en son article 20 pour les chefs de service et brigadiers-chefs principaux, ainsi qu’en son article 21-1 pour les gardiens et brigadiers.

Dans le cadre de la police de sécurité quotidienne, certaines collectivités ont conclu avec les représentants de l’État des contrats territoriaux de sécurité. L’organisation des services de police municipale s’en trouve impactée. En effet, des effectifs sont alors quotidiennement affectés à des patrouilles pédestres mixtes commandées par les forces étatiques. Cet engagement sur des missions de sécurité publique nécessiterait une homogénéisation du niveau d’engagement de la force armée, des compétences judiciaires et des modes d’intervention. Généralement, cette situation est perçue comme gratifiante par les personnels concernés. Toutefois, cette expérimentation s’effectue sans compensation pour les collectivités ni prise en charge financière par l’État.

Les conventions de coordination qui ont été mises en place sont, de notre point de vue, plutôt déséquilibrées. Elles placent les policiers municipaux et leurs responsables en situation de subordination vis-à-vis de l’État. Celui-ci manifeste un faible engagement dans ces conventions, mais y gagne un regard sur le niveau d’activité opérationnelle des polices municipales.

La coordination entre les policiers municipaux et les forces de sécurité de l’État s’améliorerait considérablement si l’interopérabilité des réseaux radio était généralisée, sans être limitée aux fréquences d’urgence. Il serait en outre souhaitable de créer et de développer des centres de supervision urbains d’agglomération interopérables entre les forces de l’État et les polices municipales.

La confiance entre toutes les forces de sécurité existe. Pourrait-il en être autrement, étant donné les nombreux moyens de contrôle des polices municipales mis en place par le législateur ?

L’équipement de protection individuelle actuellement accessible aux policiers municipaux nous paraît conforme à la réalisation de leurs missions, telles qu’elles sont prévues par les textes législatifs et réglementaires. Pour autant, nous constatons que de nombreux policiers municipaux sont engagés sur des missions de protection des lieux de culte, par exemple. Dans ce cas particulier, il nous paraît nécessaire qu’ils soient formés et dotés d’armes longues. Quant aux agents engagés sur des grands rassemblements récréatifs ou sportifs, ils doivent être dotés de l’équipement nécessaire pour neutraliser tout acte hostile vis-à-vis de la population. L’harmonisation des équipements de protection, doublée d’une dotation obligatoire, constitue un impératif : gilets protégeant des balles et des lames, casques de protection et boucliers. L’armement de calibre 9 millimètres doit être mis en place afin de garantir la sécurité des effectifs sur le terrain.

D’un point de vue statutaire, les policiers municipaux sont en demande d’une véritable reconnaissance financière. Celle-ci pourrait être immédiatement satisfaite en faisant passer l’indemnité spéciale de fonction de 20 % à 27 % du traitement brut pour les agents de catégorie C, en rendant obligatoire le versement intégral de cette prime pour toutes les catégories, en intégrant cette prime dans le calcul des droits à pension de retraite, et enfin en supprimant les quotas de nomination pour l’accès aux catégories B et A.

En réponse à une demande forte des agents du cadre d’emploi des chefs de service, un changement d’appellation du grade est indispensable. À titre d’exemple, les appellations de nos collègues sapeurs-pompiers – lieutenant, capitaine, commandant – pourraient nous inspirer.

Les directeurs connaissent un déroulement de carrière en deux grades. Nous souhaitons attirer votre attention sur le manque d’attractivité de ce cadre d’emploi, caractérisé par une forte limitation de la grille indiciaire. Même si les promotions internes sont possibles, elles sont généralement assez difficiles à obtenir. En effet, peu de communes peuvent se permettre de recruter un titulaire de l’examen professionnel, en raison des conditions de quota nécessaires à sa nomination. Quant aux promotions à l’ancienneté, elles restent impossibles. Nous souhaitons que soient supprimés les quotas d’effectifs, ou que soit pris en considération l’ensemble de l’effectif commandé. Un changement d’appellation de grade nous paraît également nécessaire.

Une inquiétude prévaut quant au recours aux contractuels prévu dans le projet de loi de réforme du cadre statutaire des agents publics. Les collectivités territoriales pourraient ainsi recruter par contrat des agents extérieurs à la profession. Notre fédération y voit une perspective inacceptable. Rappelons que la filière de la police municipale a mis trente ans à se construire. La mise en œuvre de contractuels de catégorie A ou B ferait, de fait, régresser notre profession.

Nous pourrions aussi évoquer, lors de nos échanges, la forfaitisation de certains délits ou encore la question des agents de surveillance de la voie publique.

Quant à la formation, elle devrait être dispensée via un tronc commun à toutes les forces de sécurité. Une école pourrait être en outre dédiée à la police municipale.

Enfin, pour la fédération CFDT Interco, le développement des services de police municipale, encouragé par l’État, doit s’accompagner de la mise en place d’une structure de contrôle et d’audit desdits services.

M. David Quevilly, UNSA. Je souhaiterais, pour commencer, retracer un rapide historique de la police en France. La police municipale est la première police française qui ait existé, bien avant 1945. Elle a été quelque peu délaissée depuis l’après-guerre. Il a fallu attendre les années 1990 pour qu’une nouvelle attention et des prérogatives étendues lui soient accordées. Si nous sommes qualifiés de troisième force de sécurité du pays, ce n’est pas sans raison. Malheureusement, les moyens ne nous sont pas donnés pour remplir pleinement ce rôle.

Par « police municipale », on entend la police du maire. Or, en fonction des maires et des communes, les prérogatives et les équipements des policiers municipaux sont disparates. Il en découle une véritable inégalité sur le territoire. Aussi une priorité doit-elle être donnée à l’uniformisation du volet social, de la rémunération et des équipements, à l’image de ce qui a été réalisé pour la sérigraphie des voitures, les cartes professionnelles ou encore les tenues de travail des policiers municipaux.

J’en viens à nos relations avec la police nationale ou la gendarmerie. Des échanges d’informations ont lieu, mais à la seule condition que les policiers municipaux ou la direction de la police municipale fassent l’effort de les solliciter. Je travaille dans la quatrième ville de France, j’ai vingt et un ans d’ancienneté dans la police et j’ai été affecté précédemment dans quatre communes. Au fil de ce parcours, j’ai pu constater de vraies disparités dans la transmission des informations.

Une première piste pourrait consister dans des radios communes. Ce projet avait été évoqué il y a quelques années. Il ne s’agirait pas pour la police municipale d’être mêlée aux affaires de la police nationale, mais de pouvoir échanger avec cette dernière sur des informations urgentes, ne serait-ce que pour assurer la protection et la sécurité de ses agents.

En fonction des collectivités où ils sont affectés, les policiers municipaux n’ont pas tous les mêmes attributions. Ces disparités sont patentes face au mouvement des « gilets jaunes ». Il importe de bien différencier le rétablissement de l’ordre et le maintien de l’ordre public tel qu’ils sont définis par le code de la sécurité intérieure et le code général des collectivités territoriales. Certains maires omettent malheureusement cette nuance.

Concernant les équipements, nous pouvons regretter que l’ensemble de la police municipale ne soit pas dotée d’équipements de protection et d’armes létales. Il est vrai que l’armement de nos agents a fortement progressé ces dernières années. Aujourd’hui, plus de la moitié des policiers municipaux de France sont armés, mais cette proportion reste insuffisante. J’espère que cette audition sera l’occasion non seulement de nous entendre, mais aussi, et surtout, de nous écouter.

M. Patrick Lefèvre, secrétaire national, FO Police municipale. Mesdames et messieurs les députés, nous vous remercions pour cette audition. Malgré nos demandes répétées, nous déplorons que le ministre de l’intérieur n’ait toujours pas jugé utile de nous rencontrer depuis sa nomination. Nous identifions la cause de cette volonté évidente d’ignorer nos demandes. Nous l’avons en effet informé que, pour Force ouvrière, aucune discussion n’était envisageable sur un quelconque projet relatif à la sécurité publique tant que nous n’obtiendrons pas, au préalable, un calendrier de négociation sur le volet social des policiers municipaux et des gardes champêtres. La pugnacité est dans la culture militante de Force ouvrière. C’est pourquoi nous avons proposé à l’ensemble des organisations syndicales de constituer un front unitaire, en vue de parvenir à l’ouverture de négociations sur cette question.

Chacun reconnaît aujourd’hui la police municipale comme la troisième force de police du pays. Force ouvrière y voit la reconnaissance de la compétence de nos collègues au quotidien, ainsi que de leur capacité à se mobiliser, très souvent, en primo-intervenants. Pour Force ouvrière, la reconnaissance de la police municipale en tant que telle n’est pas de mise. En effet, dès lors que l’on considère que deux catégories professionnelles effectuent des missions similaires sur un objectif commun, l’on doit tendre vers une équité en termes de volets sociaux. Or nous sommes plus que loin du compte, et nous faisons l’objet d’une fin de non-recevoir depuis des années.

Bien entendu, nous sommes favorables à tout projet visant à améliorer l’efficience des forces de sécurité, en développant notamment la coproduction de sécurité, mais à condition que soient pris en compte l’humain et le social. Nous considérons que depuis de nombreuses années, les gouvernements successifs n’ont cessé d’augmenter les prérogatives et les domaines de compétence et d’intervention des policiers municipaux, sans leur octroyer le volet social correspondant. Sous prétexte de professionnalisation, nous n’avons cessé de voir s’accroître les contraintes et les risques liés à l’exercice de nos missions, avec notamment une hausse exponentielle des cycles de travail en 24 heures sur 24, 365 jours par an. Ces contraintes supplémentaires n’ont pas fait l’objet d’une véritable prise en compte dans les salaires ni dans les retraites.

La professionnalisation des policiers municipaux, l’extension de leurs prérogatives et de leur champ de compétence, ainsi que l’accroissement des contraintes et des risques auxquels ils sont soumis, n’ont jamais été compensés par une revalorisation salariale significative. Les revendications sociales légitimes portées depuis plus de vingt ans par Force ouvrière et par l’ensemble des organisations professionnelles n’ont pas été entendues.

Le refus d’intégrer l’indemnité mensuelle spéciale de fonction dans le calcul des droits à pension de retraite des policiers municipaux – à la différence de ce qui se pratique pour la police nationale – pèse lourdement dans le calcul de leur pension de retraite. Ceci ne leur permet pas de bénéficier d’un départ à 57 ans, alors qu’ils relèvent de la catégorie active, faute d’une pension de retraite décente. Nous ne tolérons plus cette inégalité de traitement, vécue comme une véritable discrimination, qui conduit nombre de nos collègues à percevoir une retraite bien souvent inférieure à 1 000 euros par mois. Les policiers municipaux et les gardes champêtres refusent d’être les parents pauvres des forces de sécurité.

L’État n’a de cesse de se décharger de certaines de ses missions sur les polices municipales, tout en persistant à refuser d’ouvrir des négociations sur le volet social de ces agents. D’ailleurs, monsieur Fauvergue, votre rapport rédigé conjointement avec Mme Thourot sur le continuum de sécurité laisse sous-entendre, pour le moins, que la police municipale a une implication renforcée dans la sécurité publique. Cela semble répondre à la volonté du président de la République qui, comme il l’a annoncé le 22 mai 2018, souhaite « faire mieux avec les polices municipales ». Visiblement, FO n’a pas la même vision du « mieux » que le Président de la République. Faire mieux, pour Force ouvrière, c’est tendre vers une meilleure considération des policiers municipaux en diminuant les inégalités de traitement entre les différents services de police. À titre d’exemple, à échelons équivalents, un brigadier de police municipale perçoit une rémunération brute de 1 700 euros, alors qu’un brigadier de police nationale perçoit 2 300 euros, soit une différence de 600 euros qui atteint 900 euros compte tenu de la prime de risque, de l’indemnité de sujétion spéciale de 27 % du traitement brut pour la police nationale et de l’indemnité spéciale mensuelle de fonctions de 20 % pour les policiers municipaux. Un nageur de police nationale de catégorie B perçoit une rémunération brute supérieure à celle d’un directeur de police municipale de catégorie A – sans compter que les policiers municipaux voient leur pension de retraite amputée du montant de la prime de risque.

Il importe donc que, dans une même logique que pour les policiers nationaux, le cadre d’emploi des agents de police municipale soit intégré en catégorie B dans un corps opérationnel de la police municipale. Il importe également de revaloriser les fonctions d’encadrement, de conception et de direction. Aussi, nous proposons que le cadre d’emploi des chefs de service de police municipale soit intégré en catégorie A dans un nouveau corps d’encadrement opérationnel. Il convient, en outre, de rendre attractif le cadre d’emploi des directeurs de police municipale en créant un corps de conception et de direction revalorisé, avec un indice terminal hors échelle de la catégorie A.

Aujourd’hui, les plus importantes polices municipales sont placées sous la direction de contractuels ou de cadres en détachement de la police, de la gendarmerie ou d’autres administrations. Dans certains cas, c’est illégal, puisque la police municipale ne peut être placée que sous la responsabilité d’un directeur de police municipale statutaire. Il ne peut s’agir d’un contractuel partisan qui bénéficie souvent, déjà, d’une pension de retraite confortable, que l’on affuble d’un titre ronflant de directeur de la sécurité ou de la tranquillité publique, et qui a pour seul objectif de mettre la police municipale non pas au service de la population mais, bien trop souvent, au service des ambitions électoralistes du maire. Dans d’autres cas, le recours au détachement constitue une injustice envers les lauréats du concours et les directeurs statutaires qui possèdent les compétences nécessaires pour occuper ces postes de direction.

En termes de régime indemnitaire, nous proposons que l’actuelle indemnité mensuelle spécifique de fonctions soit remplacée par une prime de risque au taux unique de 25 % du salaire indiciaire, soumise à cotisations auprès de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Son attribution deviendrait statutaire, la prime n’étant plus liée à l’exercice des missions mais aux risques liés à l’exercice de missions de sécurité publique. Bien entendu, il n’apparaît pas concevable que le coût induit de ces mesures soit supporté uniquement par les communes, celles-ci ayant déjà subi de fortes baisses de dotations ces dernières années. Ainsi, la complémentarité en matière de sécurité doit inclure une participation financière de l’État, voire des régions et des départements.

Vous avez donc compris, mesdames et messieurs les députés, que pour Force ouvrière, il ne sera pas question d’aborder d’autres sujets que le volet social des policiers municipaux devant cette commission d’enquête. Fidèles à nos habitudes, c’est la parole de nos mandants que nous porterons lors de cette audition. À ce jour, pour les policiers municipaux et gardes champêtres Force ouvrière, mais aussi pour une très forte majorité de nos collègues, la préoccupation majeure est bien la revendication du volet social.

Nous ferons un seul écart à ce principe, en réaffirmant l’urgente nécessité de recadrer le rôle, les missions, l’uniforme et les moyens techniques des agents de surveillance de la voie publique (ASVP) et des agents opérateurs de vidéoprotection. Il convient, selon nous, de légiférer pour donner à ces personnels un véritable statut et encadrer strictement leurs missions, qui doivent rester constantes par rapport à celles d’aujourd’hui. En cela, il faut veiller particulièrement à leur interdire toute immixtion dans les missions dévolues exclusivement aux forces de police. Pour la sécurité de ces agents, il importe, selon FO, que leur activité soit départie de tout aspect sécuritaire. Nous déplorons que les signalements au préfet ou au procureur de la République de recours illégaux à des ASVP pour effectuer des missions de police municipale ne soient pas ou très peu suivis d’effet.

M. Fabien Golfier, secrétaire national en charge de la police municipale, FA-FPT Police municipale. En préambule, je tenais à rappeler quelques événements passés. En effet, ce n’est pas la première fois que nous sommes auditionnés par une commission d’enquête, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. C’est même notre lot quotidien, qui fait partie de nos fonctions. En 2013, déjà, le ministre de l’intérieur nous a assuré être conscient que nous attendions depuis longtemps des avancées pour notre métier. Des rapports et des études se sont succédé depuis près de dix ans, aboutissant pour la plupart aux mêmes conclusions, mais non suivis d’effet. En 2019, nous voilà à nouveau devant une commission d’enquête, sans rien voir se concrétiser. Autant dire que nos collègues nourrissent de très fortes attentes, largement partagées par les différentes organisations syndicales en dépit de quelques nuances d’approches.

Monsieur le rapporteur, vous nous avez soumis trois interrogations principales, à commencer par les relations qu’entretiennent la police municipale et les forces de sécurité de l’État. Ce sujet est marqué par de grandes disparités.

Nous souffrons tout d’abord de disparités internes, propres à notre filière. Chaque collectivité s’administrant et organisant la police municipale librement, les moyens de protection et de défense de nos collègues ne sont pas identiques entre les services, même si ces agents remplissent les mêmes missions.

Ces dernières années, nos services ont fait preuve d’une très forte implication. La situation de sécurité intérieure a accru la difficulté d’exercice des policiers municipaux. À titre d’exemple, les importants rassemblements de personnes organisés par les collectivités demandent une mobilisation nettement renforcée de nos agents. Les moyens dont nous disposons n’ont pas évolué en conséquence, à tel point que nous sommes obligés de rappeler des collègues sur leur temps de repos.

Ces disparités de moyens ne sont plus acceptables. La Fédération autonome est depuis bien longtemps en première ligne pour demander que l’armement soit généralisé et qu’il ne relève pas uniquement du choix du maire. En effet, dès l’instant où les missions confiées aux agents sont similaires, les obligations le sont également. La politique locale de sécurité influe certes quelque peu sur les priorités, mais les obligations faites aux agents sont les mêmes quels que soient les territoires. Ils sont soumis aux mêmes codes de déontologie, aux mêmes textes et aux mêmes lois. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une action de police, dès l’instant où elle relève de nos missions et de nos fonctions. Pourtant, il est envisagé de créer une police municipale à Paris avec des agents non armés ! Sachez aussi que 96 % des services de police municipale comptent moins de 9 agents, et que 38 % disposent d’un seul agent. Nos collègues exercent pourtant des missions similaires à celles qu’endossent de grands services, notamment par leur présence sur la voie publique. Ces situations ne sont plus acceptables.

Ces disparités valent également en matière de traitement. En vertu du principe de libre administration, les collectivités peuvent instaurer des régimes indemnitaires pour leurs agents. Toutes ne le font pas. En mission, tous les policiers municipaux ne sont pas payés de la même façon, à ancienneté égale. Ces disparités de traitement se poursuivent lors de la retraite.

En outre, le traitement réservé aux policiers municipaux est sans commune mesure avec celui dont bénéficient les forces de sécurité de l’État. Sachant que nous exerçons des missions communes avec ces dernières sur la voie publique, il n’est pas tolérable que les dotations en matériel, le traitement et la reconnaissance attribués à nos agents ne soient similaires à ceux des policiers nationaux.

Ces iniquités sont vécues douloureusement par nos collègues. Ceux-ci ne remettent aucunement en question les missions qui leur sont confiées. Au contraire, ils les revendiquent et sont fiers de les mener à bien, pour la protection de leurs concitoyens. Cependant, il est normal et logique qu’ils fassent l’objet d’une égalité de traitement de la part de leurs employeurs comme de l’État. Ce dernier porte en effet une très forte responsabilité dans la situation actuelle. Nous assistons depuis des années à un jeu de dupes dans lequel l’État et l’Association des maires de France (AMF) se renvoient les responsabilités, et où rien n’avance. Ceci ne saurait durer plus longtemps.

La mise en place de la police de sécurité du quotidien porte au jour les disparités que je viens de décrire de façon toujours plus prégnante. Nous voyons ainsi des collègues exercer les mêmes missions que les forces de sécurité de l’État, dans le cadre de patrouilles communes, avec toutefois des armements différents et des modes d’engagement – d’ouverture du feu, si nécessaire – distincts. La légitime défense ne s’applique pas de la même façon pour les agents municipaux et nationaux. La police municipale a été tenue à l’écart des réformes.

Pourquoi traiter à part les policiers municipaux, alors qu’ils sont primo-intervenants et peuvent, du reste, être confrontés à des situations auxquelles ils n’ont pas été formés ? Les formations doivent évoluer pour s’adapter à leurs besoins et aux missions qu’ils exercent aujourd’hui. Des référentiels nationaux existent et sont appliqués pour nos collègues des forces de sécurité de l’État. Il serait intéressant que nous puissions en bénéficier. Prenons l’exemple des cynotechniciens. La commission consultative des polices municipales a rouvert ce dossier en 2014. Comment expliquer que cinq ans plus tard, il n’ait pas été possible d’effectuer les quelques modifications rédactionnelles permettant d’accueillir des chiens en police municipale ? Aujourd’hui, nos collègues et leurs employeurs exercent, à cet égard, dans des conditions juridiques non sécurisées.

Nous demandons de longue date une doctrine d’emploi de la police municipale, c’est-à-dire un mode d’emploi qui soit lisible par tous, qui soit annexé aux conventions de coordination et qui ne puisse pas être remis en question par une alternance de direction au sein d’une collectivité. Chaque élu a sa sensibilité. Néanmoins, ce qui relève de la loi et des obligations des policiers municipaux, de par leur assermentation, ne saurait être remis en cause.

Les problématiques de mode de recrutement ont déjà été évoquées. Nos collègues vivent comme une véritable frustration le blocage des carrières induit par des entrées de grades, par voie de détachement ou via des emplois réservés. Nous éprouvons une réelle difficulté à promouvoir nos collègues et à faire évoluer nos cadres d’emploi. Il faut agir dans ces domaines.

Nous attendons du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qu’il fasse évoluer ses pratiques et ses formations. En dépit d’un ressenti pour le moins mitigé de nos collègues à son égard, nous nous devons de reconnaître que cette structure fonctionne et sait, parfois, nous apporter satisfaction. Elle doit néanmoins améliorer certains volets de son action.

L’exercice de notre métier au quotidien est toujours plus difficile, ce qui justifie les attentes de reconnaissance exprimées par nos agents. La société qui nous environne est devenue très compliquée – nous en faisons l’expérience dans les collectivités confrontées à des manifestations tous les samedis. Cette réalité doit être prise en compte. La réponse passe notamment par le suivi psychologique de nos collègues exposés à des situations de crise et à des violences. Il n’existe pas de dispositif général et pérenne à cet égard, destiné à la police municipale. Certaines collectivités se sont emparées du sujet, d’autres pas. Il importe de mettre en œuvre un outil qui puisse facilement être sollicité par les collectivités, si nécessaire. Comme l’a souligné un rapport du Sénat, les suicides existent aussi en police municipale. Ils sont certes moins nombreux que parmi les forces de sécurité de l’État, mais tout suicide est un de trop.

Nous rencontrons aussi des difficultés managériales. C’est un domaine dans lequel nous avons besoin de progresser.

L’image de la profession se dégrade. Après l’immense moment de communion entre la police et la population que furent les manifestations du 11 janvier 2015, en réponse aux attentats qui venaient de frapper le pays, nous constatons que l’attitude de nos concitoyens peut varier du tout au tout à notre égard. Les agents le ressentent d’autant plus difficilement qu’ils donnent quotidiennement le meilleur d’eux-mêmes pour assurer la sécurité dans les villes.

Enfin, je déplore la défiance des forces de police vis-à-vis de la justice. Lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes, nos collègues ne comprennent pas toujours les peines infligées aux auteurs des faits incriminés. Ils ont aussi les plus grandes difficultés à convaincre des victimes de déposer plainte, alors que les auteurs des délits concernés ont déjà été relâchés, dans l’attente d’une procédure ultérieure.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Pas plus que les précédentes, cette commission d’enquête ne résoudra l’ensemble des problèmes très réels que vous avez soulevés. Nous tenterons d’agir, à notre mesure, sur la question spécifique des moyens. Je précise d’ailleurs que cette commission a été demandée par le groupe UDI, Agir et Indépendants.

À de nombreuses reprises, vous avez établi des comparaisons entre les polices municipale et nationale. C’est l’occasion de rappeler que la police municipale dépend du maire, et non, de prime abord, de l’État. Vous vous tournez vers l’État pour obtenir des solutions. Peut-être pourra-t-il en fournir certaines, grâce à une nomenclature générale. Soyez cependant conscients que les propositions que formule l’État suscitent traditionnellement des levées de boucliers des maires, qui revendiquent leur indépendance et tiennent à leur pouvoir, à juste titre. Alice Thourot et moi en avons fait l’expérience au sujet de l’armement de la police municipale. Aussi faudra-t-il trouver des compromis.

S’il peut être intéressant d’établir des comparaisons, il ne faut pas oublier que les situations ne sont jamais identiques. Il est vrai que dans certains cas, les policiers municipaux, tout comme les policiers nationaux, sont devenus des cibles. Néanmoins, les réalités vécues par ces agents ne sont pas de même nature.

À titre d’exemple, le recrutement des forces de sécurité de l’État s’effectue au niveau national, ce qui induit des effets défavorables pour les agents concernés : un gardien de la paix, après son recrutement va passer dix, quinze voire vingt-cinq ans en région parisienne. Un policier municipal, quant à lui, est recruté directement sur le lieu de son emploi, là où il désire travailler. Le travail des uns et des autres n’est pas non plus identique. Vous avez évoqué le besoin de doter de matériel lourd les policiers municipaux, en raison de leur qualité de primo-intervenants. Les policiers municipaux peuvent être rapidement au contact, tout comme certains gardiens de la paix ou gendarmes, sans avoir les équipements ad hoc. Je ne suis pas certain qu’il faille, pour autant, généraliser ces équipements lourds.

Dans le cadre de notre mission, Alice Thourot et moi avons proposé de ne pas intervenir sur les qualifications judiciaires, conformément aux demandes d’un certain nombre de syndicats et de policiers municipaux. Ces derniers nous ont fait valoir qu’à la différence de leurs collègues de la police nationale, ils ne souhaitaient pas passer leurs journées dans des bureaux, à travailler sur des dossiers transmis par le Parquet. Dans une ville de 70 000 habitants, les « pièces parquet » représentent un stock et un flux de quelque 5 000 dossiers. Je doute que les maires souhaitent voir la police municipale s’en emparer.

À mon tour, messieurs, de vous poser deux questions. Préconisez-vous toujours la création d’une école nationale pour la police municipale ? Par ailleurs, le problème des caméras-piétons est-il enfin résolu ?

M. Pascal Ratel. Une école de police municipale pourrait effectivement être mise en place, sous l’égide du CNFPT. Comme l’affirment tous nos collègues, des troncs communs pourraient être instaurés.

Je partage vos propos, monsieur le président, selon lesquels les policiers municipaux et nationaux ne font pas le même métier. Selon nous, la qualification d’agent de police judiciaire adjoint (APJA) suffit largement pour intervenir dans le cadre de la police du maire. J’ajoute que certaines qualifications nous ont été attribuées pour intervenir en cas d’infraction au code de la route. Ainsi, seul un officier de police judiciaire ou un chef de service de police municipale APJA peut décider de la mise en fourrière d’un véhicule.

Afin d’assurer une meilleure coordination avec les services de l’État et de soulager au mieux ces derniers, nous pourrions être autorisés à recevoir des plaintes en tant qu’APJA dans certains domaines, comme le tapage ou le dépôt sauvage d’ordures.

Nous établissons bien une distinction entre la police du maire et celle de l’État. C’est la raison pour laquelle nous ne réclamons pas un matériel démesuré. Vous observez, monsieur le président, que nous nous tournons vers l’État pour réclamer des moyens. Je rappelle que si nous sommes aujourd’hui devant vous, c’est à votre invitation. Par ailleurs, seul l’État a la possibilité de contraindre les maires à entreprendre certaines actions. Ainsi, une loi a été nécessaire pour que les policiers municipaux soient dotés d’une tenue et d’une sérigraphie uniformes sur l’ensemble du territoire. Dans ces conditions, il est normal que nous sollicitions l’État.

M. Christophe Léveillé, secrétaire national, FO Police municipale. Monsieur le président, je ne partage pas pleinement votre approche de la protection des policiers municipaux et de l’armement obligatoire. Nos collègues sont primo-intervenants dans les grandes collectivités comme en milieu rural. En de nombreux endroits, les commissariats de police sont réduits au strict minimum et les gendarmeries regroupées affichent un temps d’intervention compris entre 15 et 20 minutes. De fait, les policiers municipaux sont bien souvent les primo-intervenants, dans des collectivités ou des intercommunalités. Ils exercent des surveillances tous les week-ends, souvent 24 heures sur 24. C’est pourquoi, à l’instar de la majorité de mes collègues, j’estime que l’armement est indispensable pour les policiers municipaux.

La police municipale est un sujet politique qui ressurgit dans les débats avant chaque échéance électorale. Outre les points traditionnellement évoqués alors, que soit les caméras ou la meilleure organisation des services, nous tenons à l’armement et à la protection de nos collègues, indispensables en milieu urbain comme en milieu rural.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Notez que notre rapport propose d’armer les polices municipales, sauf avis contraire du maire. J’en viens aux caméras-piétons : fonctionnent-elles actuellement ?

M. Christophe Léveillé. À Orléans, où la police municipale en a été équipée, ces caméras fonctionnent.

M. Pascal Ratel. Ces caméras fonctionnent, mais encore faut-il que les maires en acquièrent !

M. Patrick Lefèvre. J’apporterais quelques précisions sur l’école de police car il se trouve que je siège au conseil national d’orientation du CNFPT. Sa commission consacrée à la sécurité travaille à la mise en œuvre de cinq centres de formation spécifiquement dédiés à la police municipale. Il s’agira bien d’écoles de police, gérées avec l’efficacité et la rigueur que l’on reconnaît au CNFPT. Elles comprendront notamment des centres de tir et des plateaux d’évolution. Il fut un temps où nous formions à l’îlotage dans l’arrière-salle de restaurants… Fort heureusement, la situation s’est nettement améliorée. Ces formations se déroulent désormais dans les communes, en doublon avec des agents rompus à cette technique. Nous franchirons un pas supplémentaire avec la création de ces cinq écoles de formation dédiées à la police municipale, dont certaines ouvriront leurs portes dès 2019.

M. Jean-Michel Fauvergue cède la présidence à Mme Aude Bono-Vandorme, vice-présidente de la commission d’enquête.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Beudet, vous avez évoqué la possibilité de forfaitiser certains délits. Quelles priorités identifiez-vous en la matière ?

Monsieur Ratel, vous avez observé que certaines conventions de collaboration avec la police nationale étaient mal connues et non appliquées. Pourriez-vous en citer quelques exemples concrets ? Lors de votre intervention, monsieur Quevilly, vous avez pointé des carences d’équipement. Là encore, vous serait-il possible d’en donner des illustrations ?

Monsieur Golfier, vous en avez appelé à la convergence de certaines procédures entre la police nationale et la police municipale, afin de faciliter le quotidien de cette dernière. À quelles procédures faites-vous précisément référence ?

Dans votre déclaration liminaire, monsieur Lefèvre, vous avez affirmé que vous n’entendiez évoquer ici que le volet social de la police municipale. Le spectre de notre commission d’enquête étant plus large, j’espère que nous aurons l’occasion de vous écouter sur d’autres sujets. Je ne nie pas pour autant l’importance du volet social dont il sera certainement question dans les futures réformes de la fonction publique et des retraites. C’est pourquoi notre commission a fait le choix de se concentrer sur les missions et les moyens des forces de sécurité.

M. Vincent Beudet. La forfaitisation de certains délits nous éviterait de rédiger des rapports qui encombrent véritablement les services de l’État. Elle pourrait concerner une première commission d’infraction ou de délit. Je pense notamment au squat, au tapage, à l’usage de certains stupéfiants ou encore aux dépôts sauvages d’ordures. 

M. David Quevilly. Je nuancerais les propos du président lorsqu’il affirme que les pouvoirs de la police municipale dépendent d’abord du maire, et qu’il n’y a pas lieu d’établir de comparaison directe entre les forces nationale et municipale. La situation est plus contrastée. J’en prendrai pour exemple la ville de Toulouse. En 2018, 80 % des interventions recensées dans le territoire toulousain ont été effectuées par la police municipale, en raison d’une carence cruciale de policiers nationaux. Le discours appelant à bien distinguer les polices nationale et municipale trouve donc ses limites. Dans bien des cas, il est heureux que l’on puisse s’appuyer sur la police municipale pour remplir des missions qui ne lui étaient pas a priori dévolues.

Concernant les carences d’équipement, je mentionnerais les gilets pare-balles, les boucliers, les casques, les tonfas, les bâtons télescopiques et bien d’autres. Nous souhaitons que, comme pour les gilets pare-balles et les radios, l’État contribue au financement de ces équipements via le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance. Comme chacun sait, les dotations attribuées par l’État aux collectivités territoriales connaissent une forte baisse. Les mairies en pâtissent au premier chef. Une aide supplémentaire de l’État pourrait permettre aux maires de mieux équiper leurs policiers municipaux.

Ainsi que l’a souligné le président, le maire possède des pouvoirs de police et les applique à sa guise. Toutefois, souhaite-t-il disposer d’une police municipale d’action ou une police « fantôme » ? Je n’hésite pas à affirmer que dans certaines collectivités, les policiers municipaux sont assignés au rôle de « majorettes ». Ils doivent être visibles mais surtout se garder d’intervenir en cas de problème. Les maires doivent prendre conscience que la police municipale est assermentée, agréée et semi-étatisée. Elle doit être dotée des moyens nécessaires pour exercer pleinement ses missions.

M. Fabien Golfier. Vous m’interrogez, monsieur le rapporteur, sur la possible convergence des procédures d’intervention de la police municipale et des forces de sécurité de l’État. Dès lors que nous opérons ensemble sur la voie publique, sur des missions partagées, nous avons besoin de référentiels d’intervention communs. La police municipale a une culture propre, tandis que les forces de l’État – police nationale ou gendarmerie – ont la leur. Ces cultures, dispensées dans nos écoles respectives, répondent aux besoins spécifiques auxquels nous faisons face au quotidien. Pour intervenir efficacement, encore ces forces doivent-elles bien se connaître. Longtemps, les policiers municipaux se sont vus attribuer des armes assez différentes de celles de leurs collègues nationaux. Une convergence est en cours pour les armes de poing : ainsi aurons-nous le même type d’armes de calibre 9 millimètres. En outre, les référentiels de formation sont identiques.

La question porte surtout sur les référentiels de comportement lors des interventions, par exemple. Il est demandé aux différentes forces de police de s’associer et d’intervenir régulièrement sur le terrain – c’est d’ailleurs tout l’esprit de la police de sécurité du quotidien. Cependant, ces agents n’appliquent pas tous le même référentiel, les approches diffèrent en matière de légitime défense : en cas de grande difficulté, certains agents peuvent ouvrir le feu, d’autres pas. Il y a là une incohérence. Le partage d’informations est également capital. Si l’on entend confier une mission commune à des agents issus de corps de police différents, ils doivent pouvoir intervenir à un degré égal. Sinon, chacun doit procéder à ses patrouilles isolément.

Pour autant, les formations n’ont pas nécessairement lieu d’être partagées. La police municipale reste marquée par une dimension territoriale déterminante. En tant que police du quotidien, elle possède des capacités – présence sur la voie publique, contact avec la population – que les polices d’État ont perdues car elles ont été conduites à exercer d’autres missions. Notre culture doit être préservée, sans quoi l’existence même de la police municipale pourrait être remise en cause. Nous devons tenir notre place, tout en nous adaptant aux évolutions de notre environnement en matière de délinquance, de criminalité et de terrorisme. Chacun doit être en capacité d’exercer au mieux ses missions, dans le cadre de ses prérogatives. Il serait absurde que la police municipale devienne un succédané des forces de l’État. Nous tenons à la spécificité de notre mission, dont nous connaissons l’utilité et dont nous savons combien elle apporte à nos concitoyens. Néanmoins, nous devons pouvoir intervenir, dans certaines circonstances, dans des conditions similaires à celles des forces nationales.

M. Manuel Herrero, secrétaire général adjoint, UNSA territoriaux région Auvergne-Rhône-Alpes, membre de la commission consultative des polices municipales. Je reviendrais sur les cinq centres de formation auxquels a fait référence Patrick Lefèvre. Les formations de policiers municipaux dispensées par les CNFPT sont largement perfectibles. Osons le dire : les agents s’y ennuient. C’est le cas des gardiens brigadiers, et plus encore des chefs de service. Pour une large part, les formateurs sont d’anciens gendarmes ou des policiers nationaux à la retraite, opérant pour des sociétés privées. Les directions des CNFPT ne se plient pas aux décrets imposant de suivre des cursus de formation précis. Si les futurs centres ne sont qu’une transposition des modules actuels des CNFPT, ils seront inutiles.

Nous plaçons de grands espoirs dans ces centres, à condition qu’ils aient à leur tête de véritables directeurs de police municipale, et non des individus « parachutés ». De façon générale, l’UNSA est d’ailleurs opposé à de telles passerelles, ou en appelle tout au moins à les limiter. Il faut être conscient qu’il existe aujourd’hui deux fonctions publiques territoriales, l’une qui doit se soumettre à tous les concours et examens professionnels pour évoluer, l’autre qui en est totalement dispensée. Un brigadier-chef principal qui aspire à devenir chef de service peut voir ses espoirs brisés par l’arrivée impromptue d’un policier national ou d’un gendarme. De telles situations créent inévitablement des tensions au sein des unités. Sachant que les gendarmes et les policiers nationaux doivent soumettre leurs souhaits de détachement à une commission, il faudrait s’assurer que ces mouvements ne nuisent pas à l’évolution des brigadiers-chefs principaux ou des chefs de service ayant une certaine ancienneté.

Dans les dix ans à venir, 65 % du personnel de la fonction publique territoriale fera une demande de droit à pension. Notre profession avance en âge et a besoin de sang neuf. Elle a aussi besoin de s’inscrire dans des cursus sécurisés. Pourquoi ne pas proposer aux jeunes universitaires de nous rejoindre, comme c’est le cas pour la police nationale et la gendarmerie ?

À l’instar de Vincent Beudet, j’en appelle à la généralisation des amendes forfaitaires. En particulier, l’établissement d’un procès-verbal pour défaut de permis de conduire ou défaut d’assurance est d’une immense lourdeur pour la police municipale. Malheureusement, il n’est pas suivi d’effet après sa transmission aux autorités. Pourquoi ne pas instaurer une amende forfaitaire, avec immobilisation du véhicule ?

L’intervention conjointe de policiers municipaux et nationaux doit nécessairement être précédée d’une formation. À ce sujet, nous avons transmis à votre commission un document traitant de l’emploi des policiers municipaux dans le rétablissement et le maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes ». De nombreux maires ont acheté du matériel de protection à cet effet – casques, boucliers… – et les policiers municipaux ont parfois été plus nombreux sur le terrain que leurs collègues nationaux pour assurer le maintien de l’ordre. Or ces agents municipaux n’étaient pas formés à ce type d’intervention. En outre, la légitime défense change totalement de nature lorsqu’on se trouve en unité constituée sur le terrain.

Nous espérons en outre que l’armement des policiers municipaux sera généralisé.

Enfin, pourquoi ne pas généraliser les compétences des policiers municipaux à d’autres codes ? Cela résoudrait la question de la qualification judiciaire. Je rappelle qu’autrefois, les commandants des compagnies républicaines de sécurité étaient compétents, article 1er du code de la route, pour relever les infractions telles que les conduites sous l’empire d’un état alcoolique. Nous pourrions nous en inspirer. En revanche, les policiers municipaux ne souhaitent pas prendre les plaintes.

M. Jean-Claude Bouchet. Le problème de fond de la police municipale me semble résider dans la méconnaissance de ses missions par tous les acteurs, y compris par ses propres agents.

Lorsque j’étais maire de Cavaillon, ville de 26 000 habitants, j’ai doublé les effectifs de la police municipale. La délinquance a diminué de moitié en quatre ans. Ceci a été rendu possible par un excellent partenariat avec la police nationale. Notre réussite était subordonnée à l’acceptation par cette dernière d’une telle collaboration. Souvent aussi, le commandant de police fait toute la différence. Ce constat m’amène à l’interrogation suivante : ne devrait-on pas confier à la police municipale des missions différentes selon la taille de la collectivité où elle opère ? Le rôle des policiers municipaux n’est pas nécessairement le même à Cavaillon et dans un village voisin de 5 000 habitants. L’armement lui-même dépend du type de mission exercée par les policiers municipaux ou à la taille de leur commune.

Au-delà des considérations électorales, les maires voient avant tout dans la police municipale un levier de lutte contre la délinquance. En fonction des villes, la police nationale dispose de moyens plus ou moins importants. Les missions de la police municipale s’adaptent en conséquence. À Cavaillon par exemple, nous n’avions d’abord, le dimanche, qu’un équipage de police nationale. J’ai donc dû mettre en place la police municipale ce même jour.

Par ailleurs, la ville de Cavaillon a obtenu sans difficulté l’autorisation du procureur de la République de se doter d’une brigade canine, comptant un chien destiné à la recherche de stupéfiants et un chien d’attaque. Aussi, je ne vois pas à quels problèmes de réglementation vous faites référence dans ce domaine, monsieur Golfier.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. En tant qu’adjointe au maire en charge de la sécurité, j’ai eu le bonheur de m’occuper d’une police municipale de 100 agents. Et le 11 janvier 2015 m’a laissé un souvenir indélébile.

Les missions d’une police municipale et d’une police nationale sont différentes et complémentaires. L’ensemble ne fonctionne bien que si elles entretiennent une relation de confiance. J’en suis intimement convaincue.

Vous avez préconisé un tronc commun de formation destiné à toutes les forces de sécurité. Il est évident que les interventions de la police municipale évoluent. Il lui est demandé d’être présente dans les grands rassemblements sportifs ou festifs et dans les manifestations, en appui – j’insiste sur ce terme – des forces de police. Si toutefois vos prérogatives se rapprochaient trop de celles de la police nationale, l’État pourrait avoir la tentation de diminuer les effectifs de cette dernière. Il faut être conscient de ce risque.

J’affirme avec force que les collectivités, quelle que soit leur taille, ont besoin d’une bonne police municipale. Celle-ci ne peut fonctionner efficacement que si ses missions sont bien identifiées, sont complémentaires à celles de la police nationale, et si ces deux forces s’inscrivent dans une relation de confiance.

Mme Josy Poueyto. J’ai été adjointe au maire de Pau, auprès d’André Labarrère qui a créé une police municipale au terme de son mandat. Ses effectifs se sont ensuite considérablement développés sous la mandature de François Bayrou. L’approche du maire a d’ailleurs évolué vis-à-vis de la police municipale, sous l’effet des événements tragiques qu’a connus notre pays. La police de sécurité du quotidien est venue compléter le dispositif.

Tout comme Mme Firmin Le Bodo, j’estime que les polices municipale et nationale sont éminemment complémentaires, et qu’il est indispensable qu’elles travaillent ensemble. La ville de Pau a fait le choix de doter sa police d’une brigade canine, et non la police nationale. Nous avons également développé la police municipale de nuit, pour apporter un soutien et un appui à la police nationale qui avait moins les moyens de se rendre dans les quartiers. Une question cependant : que se passerait-il si, à l’avenir, un maire voulait réduire ses forces de police municipale ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. La police municipale souffre d’un manque de reconnaissance, malgré son rôle essentiel de police de proximité. Comment pourrions-nous y remédier ? Par ailleurs, messieurs, quelle est votre position sur la qualification judiciaire des policiers municipaux ?

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Les policiers municipaux pourront bientôt accéder aux fichiers du système national des permis de conduire (SNPC) et du système d’immatriculation des véhicules (SIV). Une expérimentation de ce dispositif s’achève dans onze communes. Auriez-vous besoin d’accéder à d’autres bases de données afin d’accroître votre efficacité opérationnelle ?

Par ailleurs, messieurs, quels atouts et quels points d’amélioration présente selon vous la police de sécurité du quotidien, un an après sa mise en œuvre ? Comment en faire un outil de prévention de la délinquance ?

M. Patrick Lefèvre. L’article L. 211-18 du code rural prévoit que l’usage des chiens pour effectuer des missions de sécurité est réservé à la police nationale, à la gendarmerie, aux douanes, à l’armée et aux services publics de secours. Il suffirait d’ajouter la police municipale à cette liste pour que le problème soit résolu.

M. Jean-Claude Bouchet. La ville de Cavaillon a acquis deux chiens, qui opèrent quotidiennement dans la recherche de stupéfiants avec la police nationale. C’est cette dernière, il est vrai, qui en a déposé la demande auprès du procureur de la République. Qu’importe : c’est un moyen supplémentaire d’efficacité pour tous les habitants.

M. Patrick Lefèvre. Il n’en reste pas moins que la loi ne prévoit pas l’usage de chiens en police municipale. La situation que vous décrivez est le fruit d’un consensus. Un précédent ministre de l’Intérieur nous avait d’ailleurs confirmé que l’on ne pouvait remettre en cause l’existence de brigades canines en police municipale. Légalement, toutefois, celles-ci n’existent pas. Dans un même ordre d’idées, je pourrais citer de nombreux endroits où des agents de surveillance de la voie publique effectuent des missions qui leur sont formellement interdites, sans que les autorités ne s’en émeuvent.

M. Jean-Claude Bouchet. Le préfet ne pourrait être garant de cette pratique si elle outrepassait la loi.

M. Patrick Lefèvre. J’aimerais revenir sur les propos du président Jean-Michel Fauvergue relatifs à la libre administration des communes. Cette libre administration peut-elle permettre à un maire d’envoyer des agents de police municipale sans arme ni moyen de réplique ou de défense, la nuit, dans des quartiers réputés hautement sensibles, là où même la police nationale ne se rend que rarement ou à grand renfort de personnel ? Des obligations minimales d’équipement ne pourraient-elles pas être imposées aux maires qui souhaitent recruter des policiers municipaux ?

M. Serge Haure, chargé de mission forces de sécurité publique, CFDT Interco. Monsieur Bouchet, vous préconisez une gradation des missions et des moyens de police municipale en fonction de divers critères, dont le nombre d’habitants. L’idée me paraît intéressante. La Suisse a d’ailleurs mis en place un dispositif de ce type. Peut-être faudrait-il réfléchir à un règlement d’emploi de la police municipale qui se déclinerait selon des critères fixés par l’État. Aujourd’hui, personne ne conteste la libre administration des collectivités territoriales. Elle s’exerce dans le cadre des lois de la République, lesquelles sont fixées par le Parlement. À ce titre, les parlementaires sont fondés à instaurer un certain nombre de critères. Ils l’ont fait pour d’autres cadres d’emploi, en matière de prise de charge de la petite enfance par exemple. Ainsi, un maire qui crée une crèche est soumis à un certain nombre d’obligations.

Madame Poueyto, j’ai eu l’occasion de dialoguer avec le maire de Pau, notamment sur la question de l’armement. Je crois pouvoir dire qu’il a été sensible à notre discours, ainsi qu’aux événements malheureux qui ont frappé notre territoire. Je me réjouis qu’il ait décidé de développer son service de police. Il se dirige, en outre, vers une solution qui intéresse particulièrement notre fédération : la police municipale intercommunale. La délinquance, en effet, ne s’arrête pas aux portes des communes. Il me semble important d’encourager les maires à développer des polices municipales intercommunales. Il ne s’agit pas là de retirer du pouvoir aux maires, mais de les inciter à adopter une vision territoriale des problématiques de sécurité.

Quant au redéploiement des effectifs de police nationale, l’État a franchi depuis bien longtemps le stade de la tentation que vous évoquez, madame Firmin-Le Bodo. C’est d’ailleurs fort compréhensible. L’État redéploie ses forces sur des missions qu’il juge prioritaires : la grande police judiciaire, le renseignement, le maintien de l’ordre, la police de l’air et des frontières. Le parent pauvre est la sécurité publique de proximité, essentiellement assurée par des policiers municipaux.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Si le maire possède des pouvoirs de police, l’intercommunalité n’en détient pas forcément. Il importerait donc de trouver une solution juridique permettant la mise en place de polices municipales intercommunales.

M. Serge Haure. La solution est dans les mains des parlementaires.

Mme Josy Poueyto. Une police intercommunale a été mise en place à Pau, de même qu’un centre de supervision urbain assurant une vidéoprotection, en complément et en appui de la police nationale. Cette mutualisation des services et des moyens n’empêche pas les maires de garder leurs prérogatives.

M. Jean-Claude Bouchet. Chaque village peut s’équiper d’une ou deux caméras, tandis que le centre de supervision urbain peut être commun et financé par l’intercommunalité.

M. Pascal Ratel. De notre point de vue, la police municipale n’a pas d’autre mission que de mettre en œuvre la police du maire. Ses missions sont clairement définies, indépendamment de la taille des communes. Qu’il soit à la tête d’une grande ville ou d’une petite commune, un maire a les mêmes pouvoirs et les mêmes devoirs. Pour lever une confusion, je précise d’ailleurs que je n’évoquais pas le recours à des chiens en appui des unités de police nationale, mais pour concourir aux missions de la police municipale.

Pour ce qui est des conventions de coordination, il est indéniable que le travail en commun repose sur des relations de confiance. Sur le terrain, les rapports humains sont plus ou moins harmonieux. Les conventions de coordination ont le mérite de mettre ces sujets au clair.

Je travaille dans un département rural, l’Eure, dans une commune classée en zone de sécurité prioritaire bien qu’elle ne compte que 5 600 habitants. Notre équipement équivaut largement à celui d’une grande police municipale. Il fut même un temps où nous disposions d’un chien. Pour autant, la convention de coordination, garante d’une action stable et pérenne au-delà des changements de direction, n’était pas connue du commandant de brigade. Plus étonnant encore, celui-ci n’a pas été destinataire de la nouvelle convention de coordination renforcée ayant été signée. Elle est pourtant primordiale, notamment en ce qu’elle institue des échanges d’informations et la communication d’éléments en temps réel en cas de danger. À notre demande, nous recevons une synthèse des travaux menés dans le cadre de cette convention. En effet, nous avons besoin d’une vision d’ensemble de la sécurité publique pour organiser nos patrouilles et servir l’État au mieux.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Ratel, voyez-vous un intérêt à l’uniformisation des conventions de coordination à l’échelle nationale ?

M. Pascal Ratel. Je n’y vois pas d’intérêt, car ces conventions se définissent au niveau local, en tenant compte des spécificités des territoires.

M. Fabien Golfier. Le ministère de l’Intérieur s’est emparé du dossier des brigades canines en 2014 et devrait proposer un texte à ce sujet. Cela permettra de mettre en place des référentiels de formation, qui font défaut aujourd’hui.

Je relève d’une collectivité des Hauts-de-Seine qui expérimente l’accès aux fichiers auxquels vous avez fait référence, madame Bono-Vandorme. Nous en sommes très satisfaits, au-delà de quelques ajustements qui s’avèrent nécessaires, comme la possibilité pour plusieurs agents – et non un seul – de consulter les données. Demain, nous espérons accéder au fichier des personnes recherchées ainsi qu’au fichier des objets et des véhicules signalés, qui présentent pour nous un intérêt au quotidien. Maintenant que nous pouvons identifier le propriétaire d’un véhicule, nous devons savoir si son conducteur est recherché. Les contrôles routiers sont des opérations très dangereuses, susceptibles de dégénérer sans préavis. De nombreux actes de violence sont commis à l’occasion de ces contrôles, pour des infractions a priori banales. Nos collègues de l’État en font également les frais.

M. Jean-Claude Bouchet. J’ai fait une proposition de loi sur l’accès au fichier des objets et des véhicules signalés. Peut-être faudra-t-il la reprendre.

M. Fabien Golfier. Aujourd’hui, nous avons essentiellement besoin de moyens qui facilitent notre travail au quotidien. Nous ne cherchons aucunement à prendre la place de l’État. Nous sommes au contraire attachés à la spécificité de notre mission et au service que nous rendons à nos concitoyens. Nos conditions d’exercice peuvent être améliorées. Nous ne souhaitons pas consacrer plus de temps que nécessaire à la rédaction de procédures. La forfaitisation de certains délits peut constituer une piste de simplification en la matière, entre autres exemples. Plus nous serons accaparés par des tâches procédurales, moins nous serons présents sur la voie publique. Or ce sont bien les policiers municipaux que nos concitoyens côtoient dans les rues de nos villes, et non les policiers nationaux ou les gendarmes, qui sont occupés à d’autres activités.

M. David Quevilly. Monsieur Bouchet, vous préconisez que l’armement et les moyens des policiers municipaux soient fonction de la taille de la commune où ils opèrent. Considérez-vous qu’une petite commune soit moins affectée qu’une grande par l’insécurité ? L’actualité le dément malheureusement : pensons, par exemple, aux actes terroristes qui ont frappé Saint-Étienne-du-Rouvray. Il n’y a pas de petite ou de grande commune au regard de l’insécurité et du terrorisme, pas plus qu’il n’y a de petits ou de grands policiers municipaux au gré de la taille des communes.

Madame Poueyto, vous vous interrogez sur la proportion des effectifs de police nationale et de police municipale dans certaines communes. Les maires ont amplement recruté des policiers municipaux ces derniers temps. En dix ans, le nombre de ces agents est passé de 19 000 à près de 23 000. Cette croissance témoigne d’un véritablement besoin, pour pallier le désengagement dont fait preuve l’État en matière de sécurité dans les communes. Les maires sont obligés de compenser le manque d’effectifs de la police nationale par un recours accru aux policiers municipaux, bien que les moyens et les prérogatives des uns et des autres ne soient pas identiques.

Gardons-nous de croire que l’État a toujours rempli parfaitement son rôle à l’égard de la sécurité publique, mission pourtant régalienne. Certes, les maires disposent de pouvoirs de police municipale, mentionnés dans le code général des collectivités territoriales. Ils recourent aux policiers municipaux pour les faire appliquer, dans un cadre précis : l’ordre, la tranquillité et la salubrité publics. Les forces peuvent être complémentaires, mais à aucun moment la police municipale n’a vocation à se substituer à la police nationale, dans quelque condition que ce soit, et quelle que soit la taille des communes.

Je regrette que le rapport sur les polices municipales remis par Jean Ambroggiani en 2009 n’ait pas eu de suite. Il pointait déjà les difficultés dont nous faisons état aujourd’hui. Du reste, la plupart des revendications que nous relayons sont portées par nos collègues depuis deux voire trois décennies. Durant toutes ces années, les gouvernements se sont succédé et le Parlement s’est renouvelé, sans que la situation ait progressé. Il est temps d’agir.

M. Fabien Golfier. Les problématiques autrefois propres aux grandes villes se retrouvent aujourd’hui sur l’ensemble du territoire. Je pourrais citer, en guise d’illustration, un village de 300 habitants de la Côte-d’Or qui est en proie à des trafics de stupéfiants.

M. Manuel Herrero. La ville de Portes-lès-Valence, où j’exerce, expérimente l’accès direct des policiers municipaux aux fichiers des permis de conduire et des immatriculations de véhicules. Nous attendions ces fichiers depuis une quinzaine d’années. Ils nous ont été ouverts en août ou septembre, mais le dispositif ne fonctionne que depuis une semaine. J’ai constaté, à ma grande surprise, que nous n’avions accès qu’à un fichier restreint mentionnant l’identité du propriétaire d’un véhicule et les caractéristiques de ce dernier, sans historique. Il nous est donc impossible de savoir, par exemple, si le véhicule est en règle au regard du contrôle technique. Par ailleurs, l’utilisation du fichier des permis de conduire est très complexe. La requête échoue, par exemple, si l’on omet de mentionner l’un des prénoms d’un individu. Nous espérons que ces freins techniques seront levés. Plus encore, nous souhaitons accéder très rapidement aux fichiers des personnes recherchées ainsi que des objets et véhicules signalés.

M. Vincent Beudet. Dans mon exposé liminaire, j’ai évoqué la nécessité de doter d’armes longues les policiers municipaux participant à la protection des lieux de culte. Ce propos semble avoir surpris certains d’entre vous. Sachez que, dans une grande ville du Nord, cette mission n’est pas remplie par la police nationale. La police municipale doit donc s’en charger, ce qui pose un réel problème de sécurité et interroge plus largement sur les missions attribuées à nos collègues. Nul ne saurait nier qu’aujourd’hui, les synagogues, les églises et les mosquées sont des cibles potentielles d’actes terroristes.

Madame Firmin Le Bodo, je précise que le tronc commun de formation que je préconise ne serait pas une formation complète dispensée à l’ensemble des policiers, nationaux et municipaux. Il s’agirait plutôt d’un module partagé grâce auquel les uns et les autres adopteraient le même discours lorsqu’ils interviennent sur une situation.

M. Serge Haure, chargé de mission forces de sécurité publique, CFDT Interco. Je ne nie aucunement qu’il existe des problématiques délinquantes dans les zones rurales comme dans les secteurs urbains et périurbains. La délinquance a de multiples visages, y compris dans les communes rurales : vignes vendangées illégalement, vergers vidés de leurs fruits, vols de matériel agricole... S’y ajoute une petite délinquance du quotidien, dont les auteurs ont préféré quitter des zones urbaines surveillées au profit de secteurs ruraux plus éloignés des regards. Pour autant, des critères pourraient aider à graduer les effectifs de policiers devant être engagés sur les différents territoires. La taille de la population ne serait qu’un indicateur parmi d’autres, aux côtés, notamment, de la situation de délinquance de la commune.

Mme Josy Poueyto. L’intercommunalité vient justement en aide aux petites communes, sans retirer aux maires leurs prérogatives en matière de police.

Monsieur Quevilly, je ne méconnais pas le désengagement de l’État que vous pointez. Néanmoins, même si la police nationale se développait de manière conséquente, elle ne remplirait pas les mêmes missions que la police municipale au quotidien, dans les quartiers, au plus près des citoyens. La délinquance se transforme et investit les territoires de façon nouvelle. La police doit se mettre au diapason de ces évolutions de la société. De ce point de vue, le rôle de la police municipale est incontournable.

M. Jean-Claude Bouchet. En réponse à David Quevilly, je précise que la ville de Saint-Étienne-du-Rouvray compte 28 000 habitants. Elle ne peut donc être considérée comme une petite commune.

Dans la mesure où la police municipale intervient en complément d’une police nationale parfois déficiente, nous devons nous interroger sur les moyens que déploie l’État pour assurer la sécurité. Autant le maire d’une ville de 28 000 habitants a les moyens d’agir, autant son homologue d’une commune de 300 habitants peut se trouver démuni face à l’apparition de trafics de stupéfiants. Toutes les mairies n’ont pas la même capacité à traiter des situations dont devrait, en toute logique, s’emparer la police nationale ou la gendarmerie.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Golfier, vous avez recommandé l’adoption de référentiels comportementaux communs aux policiers municipaux et nationaux pour certaines interventions. Arrive-t-il que des stages ou des formations soient organisés en commun ? Serait-il intéressant de les systématiser ?

M. Pascal Ratel. Madame Poueyto, je reconnais que le développement des polices intercommunales peut être une solution intéressante pour aider les petites communes.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, les policiers municipaux effectuent des stages d’observation en brigades de gendarmerie ou dans les commissariats. Ils peuvent également prendre part à des stages en école de police nationale.

Il existera toujours une police des maires et une police de l’État, et les policiers municipaux resteront toujours complémentaires aux forces de sécurité nationales. Un tronc commun de formation permettrait justement de consolider cette complémentarité. Par exemple, qu’attend de nous un officier de police judiciaire dans l’identification d’un individu ? Il arrive que deux unités interviennent ensemble après un accident de la route. Elles doivent avoir appris à se comprendre, jusque dans leurs gestes. Nous devons aussi savoir neutraliser l’arme d’un collègue qui serait tombée au sol. Sur ce type de sujets, des petites formations communes seraient utiles.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Serait-il souhaitable qu’en zone de police ou en zone de gendarmerie, les policiers municipaux et nationaux effectuent régulièrement une formation ou un exercice d’intervention en commun ?

M. Pascal Ratel. Je ne pense pas que cela se pratique aujourd’hui, mais ce serait intéressant.

M. Serge Haure. Vous nous avez interrogés sur la qualification judiciaire des policiers municipaux. Aujourd’hui, la même qualification est appliquée à l’ensemble des agents de police municipale, depuis les directeurs jusqu’aux gardiens. Tous sont des agents de police judiciaire adjoints, en vertu de l’article 21-1 du code de procédure pénale.

Nous ne demandons pas à obtenir la qualification d’officiers de police judiciaire pour collecter des « pièces parquet » ou prendre des plaintes, au détriment de notre présence sur la voie publique. En revanche, nous en appelons à un dispositif plus hiérarchisé. La logique de forfaitisation des délits va en ce sens. Prenons une problématique simple, le dépôt sauvage. Aujourd’hui, cette infraction donne lieu à des rapports ou à des procès-verbaux que la police municipale transmet à l’État – et qui, reconnaissons-le, encombrent les services nationaux. La police municipale devrait pouvoir traiter ce type de situation. Les directeurs de police municipale pourraient ainsi être officiers de police judiciaire, tandis que les chefs de service seraient agents de police judiciaire au titre de l’article 20 du code de procédure pénale, et ce, dans un cadre bien délimité. Notez que ce sujet ne fait plus débat parmi les syndicats de police de l’État qui relèvent de notre fédération.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Messieurs, nous vous remercions.


  Audition du 4 avril 2019

M. Didier Lallement, préfet de police de Paris, M. Thibaut Sartre, secrétaire général pour l’administration, M. Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation, et M. Sébastien Durand, conseiller technique en charge des affaires de police

Mme Alice Thourot, présidente. Monsieur le préfet, vous avez été entendu hier par la commission des lois du Sénat sur le dispositif du maintien de l’ordre à Paris pendant les manifestations, à la fois celle du 16 mars, avant votre nomination puisque vous êtes entré en fonction le 21 mars, et sur le dispositif que vous avez mis en place depuis cette date, et en particulier sur les conséquences que vous en avez tirées en matière d’organisation du commandement. Nous reviendrons sur ces questions mais aussi sur d’autres sujets, sur lesquels mes collègues ne manqueront pas de vous interroger.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Didier Lallement ainsi que MM. Thibaut Sartre, Jérôme Foucaud et Sébastien Durand prêtent serment.)

M. Didier Lallement, préfet de police. Mesdames et messieurs les députés, je m’exprime devant vous avec une ancienneté relative puisque, comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, je ne suis à la préfecture de police de Paris que depuis quinze jours. Je ne parlerai évidemment que de ce que je fais depuis le 21, au moins en matière d’ordre public, et pas de ce qui s’est passé avant ma prise de fonctions.

Puisque votre commission a un objet beaucoup plus large que celui de l’ordre public, je donnerai quelques éléments de contexte sur le fonctionnement budgétaire de la préfecture de police, avec un préambule sur sa spécificité.

La préfecture de police est en effet un objet particulier, sui generis, dans le paysage administratif français : ni administration centrale ni totalement service déconcentré, elle date de 1800, c’est-à-dire avant la création de la police nationale. Le préfet de police est une autorité déconcentrée mais a en même temps des compétences municipales en matière de police générale. Même si des évolutions législatives récentes ont eu lieu avec la loi du 28 février 2017 sur, entre autres, les compétences du maire en matière de circulation et de stationnement, il n’en reste pas moins que j’exerce l’autorité de police générale de droit commun qui est dans les autres communes exercée par le maire. Cela remonte au Premier Empire et à la nécessité pour un gouvernement d’avoir dans une autorité de police auprès de lui l’ensemble des fonctions permettant de maîtriser l’ordre public dans toutes ses facettes. Cela explique la structure administrative de la préfecture de police ainsi que sa structure budgétaire.

Les compétences du préfet de police ne se limitent pas seulement à Paris : elle s’étend également aux trois départements de la petite couronne, Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine et Val-de-Marne, ainsi qu’aux deux aéroports de Roissy et d’Orly. Des modifications récentes, à partir de 2009, sont intervenues en ce sens.

Je dispose d’un ensemble de services assez large puisque, au-delà des compétences de police que j’évoque, je suis également le préfet de zone d’Île-de-France, ce qui inclut la grande couronne. J’ai à ce titre les mêmes compétences que tout autre préfet de zone. Il faut toujours avoir en mémoire cette approche spécifique de la préfecture de police pour en comprendre véritablement l’organisation et le fonctionnement.

Ces activités sont à l’image de la zone d’intervention de mes compétences. La préfecture de police, c’est chaque année près de 2,3 millions d’appels « police-secours », 515 000 interventions des services de police, 450 000 interventions pour la seule brigade des sapeurs-pompiers, qui est également une spécificité puisqu’elle est militaire et financée sur un budget spécial de la ville de Paris, comme, d’ailleurs, les autres compétences de police générale du préfet de police. Nous devons chaque année assurer la sécurité de 7 500 événements organisés sur la voie publique, qui rassemblent à peu près dix millions de personnes. Par exemple, s’ouvre aujourd’hui la foire du Trône, un événement que nous devons sécuriser.

La préfecture de police, c’est environ 21 % des effectifs de la police nationale et 26 % des faits de délinquance constatés chaque année en zone de police. La préfecture délivre également 100 000 titres de séjour. Nous avons instruit l’année dernière 9 500 demandes de naturalisation. C’est également la police des transports. C’est ainsi une administration qui doit faire face à des défis lourds et à des sollicitations qui ne sont pas uniquement celles de l’ordre public, j’y insiste particulièrement. Il est bien naturel que l’ordre public focalise les interrogations, voire, dans un certain nombre de cas, les inquiétudes, mais ce n’est pas la seule facette de notre activité.

La préfecture de police se compose de cinq directions dites actives, pour reprendre la terminologie policière de « services actifs de la police » : la police judiciaire, 2 200 fonctionnaires, la direction du renseignement, 1 800 fonctionnaires, la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), 20 000 effectifs, qu’on peut comparer, en termes d’activité, aux directions départementales de la sécurité publique (DDSP) en province, la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC), dont le directeur est ici présent, 5 500 effectifs, qui, comme son nom l’indique, vise à intervenir en matière d’ordre public dès lors qu’on sort de l’activité de police traditionnelle qu’exerce la DSPAP, enfin la direction opérationnelle des services techniques et logistiques, qui assure les supports.

Nous avons également deux directions plus administratives, la police générale, 950 personnes, et la direction des transports et de la protection des populations, 600 personnes, ainsi que des organisations plus anciennes, l’Institut médico-légal bien connu et l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, son laboratoire central, ou encore sa brigade de sapeurs-pompiers que j’évoquais à l’instant : 8 000 militaires qui interviennent sur Paris et la petite couronne.

Tout cela forme un ensemble assez important puisque la préfecture de police regroupe 43 000 agents. C’est ce qui explique les montants budgétaires afférents au bon fonctionnement de ce dispositif.

Deux budgets distincts financent la préfecture de police : le budget de l’État, pour les actions relatives à la sécurité et à l’ordre public, et le budget spécial, qui fait partie du budget de la ville de Paris mais qui n’est pas alimenté seulement par cette dernière puisqu’il l’est également par l’État et d’autres contributeurs. Ce budget spécial finance la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et les directions administratives générales que j’ai citées. Au total, les ressources de la préfecture de police s’élèvent à 4 milliards d’euros, dont quelque 3 milliards financés par l’État et 630 millions au titre du budget spécial, pour lequel la ville de Paris contribue à hauteur de 230 millions et l’État à hauteur de 130 millions, la différence étant comblée par les contributions d’autres collectivités locales – conseils généraux de la petite couronne, intercommunalités. C’est ce qui fait la particularité de ce budget spécial.

Au titre de mes compétences État, donc pour la partie d’un peu plus de 3 milliards, je suis, comme tous les préfets de zone, le responsable du budget opérationnel de programme (RBOP) à la fois du programme 176 « Police nationale » et du programme 152 « Gendarmerie nationale ». C’est là un mode de fonctionnement qu’on retrouve sur l’ensemble des zones de défense de France.

Voilà très rapidement, mesdames et messieurs les députés, les spécificités de la préfecture de police dans son fonctionnement, ses compétences et son mode de financement.

Mme Alice Thourot, présidente. Considérez-vous qu’il faille repenser la préfecture de police, sinon totalement, au moins en partie, pour plus d’efficacité et parce que c’est une institution qui mérite d’évoluer ? Avez-vous d’ores et déjà des pistes de réflexion ou des axes de travail ?

S’agissant de questions plus précises, dans ses deux avis sur les budgets police et gendarmerie 2018 et 2019, Jean-Michel Fauvergue préconisait un rattachement de certains services de la préfecture de police de Paris à la direction générale de la police nationale (DGPN), à savoir, premièrement la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), deuxièmement la direction du renseignement (DR-PP) à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), troisièmement la sous-direction de l’immigration clandestine à la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF). Ces rattachements sont-ils prévus dans votre feuille de route ?

M. Didier Lallement, préfet de police. Le Gouvernement m’a en effet mandaté pour réfléchir à une réforme. Celle-ci n’est pas prédéfinie ; les pistes que vous évoquez sont des pistes parmi d’autres. Le cadrage qui m’est donné par le Gouvernement est de mieux articuler la préfecture de police avec les administrations centrales. Je précise toutefois que j’ai une compétence opérationnelle que n’a pas le directeur général de la police nationale. À quelques exceptions près, ce dernier est une autorité organique, tandis que je suis une autorité opérationnelle mais qui, du fait de l’histoire, a en même temps des compétences organiques, c’est-à-dire que je dispose de services en support de mes compétences opérationnelles. Ce qui est discuté en ce moment, c’est l’efficacité opérationnelle de ces compétences. La réflexion sur la meilleure articulation des autorités organiques doit venir après que sera confirmée la réussite de la maîtrise du maintien de l’ordre.

Les pistes que vous évoquez relèvent du cadrage qui m’a été fixé par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, à savoir cette meilleure articulation, mais je ne peux pas dire si elles seront reprises ou non. Je pense que l’important c’est qu’à tout moment entre la DGPN et la préfecture de police, mais aussi entre la préfecture de police et les autres grandes directions d’administration centrale, je pense à la direction générale des étrangers en France (DGEF) ou à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), il n’y ait pas de contradiction dans la doctrine, à la fois opérationnelle et organique. Ce que je proposerai sera d’abord sous cette égide-là.

En tout état de cause, il ne s’agit pas d’un simple jeu de go où l’on déplace des pions. C’est avant tout une démarche de management qui permet une intégration et une réussite du dispositif. L’ambition n’est pas simplement de réformer la préfecture de police mais de parvenir à une réforme globale de l’ensemble des forces de sécurité intérieure qui permette à chaque échelon d’être totalement pertinent.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En préambule, monsieur le préfet, je tiens à souligner que le rapport de cette commission d’enquête ne porte pas principalement sur les manifestations qui ont lieu depuis maintenant trois mois à Paris. Ces manifestations ont néanmoins contribué à pointer plusieurs choses, à commencer par le très clair manque de moyens de nos forces de sécurité, principalement dans le cadre du maintien de l’ordre, ainsi que des lacunes en termes de communication entre les différents services et d’organisation.

Le directeur de l’ordre public et de la circulation m’a indiqué que l’organisation de la préfecture de police de Paris était un véritable atout car elle évoluait en permanence. Pouvez-vous nous expliquer en quoi la préfecture de police évolue « mieux » que les autres ?

Lors de votre audition par le Sénat, vous avez indiqué avoir constaté le dépit de l’ensemble des fonctionnaires et militaires. Ne pensez-vous pas que ce dépit est dû aux problèmes d’articulation entre vos services, non spécialisés dans le maintien de l’ordre, et des unités spécialisées, chacun étant prévenu à la dernière minute, avec une articulation nécessairement compliquée entre unités qui n’ont ni les mêmes chefs ni les mêmes habitudes de travail ? La spécificité parisienne ne pose-t-elle pas, dans ce cas précis, de vrais problèmes ?

M. Didier Lallement, préfet de police. Vous avez sans doute noté que j’ai indiqué devant le Sénat. que je ne pensais pas que les difficultés que nous avons rencontrées étaient dues à un manque de moyens. Je crois même avoir dit le contraire et je le redis devant votre commission : nous avons largement suffisamment de moyens en matière de maintien de l’ordre. En revanche, nous avons connu, et cela a été dit par le Premier ministre et le ministre de l’intérieur, des carences en matière d’organisation. Ce n’est pas un simple problème de management mais un véritable problème d’organisation. C’est pour cela que, dès mon arrivée, j’ai pris des mesures.

Avant de les évoquer, je reviens sur la notion de dépit. Les fonctionnaires et militaires sont évidemment dépités du résultat que nous avons tous constaté, des images de destructions et de violences. Notre objectif est de parvenir à l’effet inverse. Il est normal qu’un tel dépit, qui est un dépit administratif. Les fonctionnaires et les militaires qui sont sous mes ordres sont certes fatigués physiquement mais ils ne le sont pas moralement. Ils sont très déterminés et ont l’intention de montrer leur détermination lors des prochaines semaines car ils ont la certitude d’agir pour protéger la République. Ce sont, en effet, les principes républicains eux-mêmes qui sont en cause. Or leur engagement, qui fait leur vie puisqu’ils exercent ce métier, comme moi, c’est avant tout la défense des principes républicains. Et cet engagement ne fait de leur part l’objet d’aucun doute ni d’aucune fatigue.

Puisque vous souhaitez que je revienne sur les sujets d’ordre public, je commencerai en soulignant qu’il était nécessaire d’unifier la chaîne de commandement. C’est une chose simple à dire mais plus compliquée à réaliser. Il y a deux grands systèmes : la DSPAP et la DOPC. C’est une spécificité parisienne que l’on ne retrouve pas en province. À Bordeaux, où j’étais en fonction, il n’y a qu’une seule salle d’information et de commandement et elle sert à la fois pour la sécurité publique et l’ordre public, mais, du fait de sa taille, dans l’agglomération parisienne il y a plusieurs chaînes de commandement. Par exemple, il y a plusieurs salles de commandement à la préfecture de police. On retrouve cela dans d’autres grandes organisations, comme le ministère de la défense.

Ce qu’il faut, c’est que les choses soient parfaitement claires pour les fonctionnaires de terrain. L’instruction que j’ai donnée et qui est suivie depuis quinze jours est que, dès lors qu’un fonctionnaire agit en matière d’ordre public, il passe sous la chaîne de commandement dite DOPC. C’est une chaîne car le commandement, c’est moi : que je sois en commandement « sécurité publique » ou en commandement « ordre public », c’est toujours le même préfet de police. J’ai d’ailleurs décidé d’être présent du début à la fin des manifestations en salle de commandement DOPC. Pendant une manifestation, nous avons plusieurs types d’action. Nous avons par exemple des actions d’anticipation des manifestations, qui sont des actions de contrôle. Nous contrôlons aux péages, en gare d’arrivée…, avec des réquisitions des procureurs de la République qui permettent d’ouvrir les sacs de certaines personnes dont nous pensons qu’elles peuvent être des manifestants, pour nous assurer qu’elles viennent sans armes offensives. Les fonctionnaires de la DSPAP qui agissent dans ce cadre sont à ce moment-là sous commandement DSPAP puisqu’ils mènent des actions de sécurité publique. On leur a expliqué que, quand il était fait appel à eux pour agir en matière d’ordre public, par exemple parce que l’on assistait à des regroupements, ils basculaient alors dans la chaîne de commandement DOPC. C’était une chose importante à faire. Je le vérifie moi-même par ma présence dans la salle de commandement DOPC.

Ce n’est pas la seule action que j’ai mise en place. J’ai également revu assez profondément le dispositif d’intervention en matière d’ordre public, en l’axant sur la mobilité. Nous sommes en effet confrontés à des manifestants beaucoup plus mobiles qu’auparavant. J’ai connu un temps où les manifestations avaient lieu dans des endroits très précis – souvent dans l’est parisien – étaient assez structurées, avec des services d’ordre conséquents qui intervenaient tant à l’intérieur de la manifestation qu’en périphérie. La tradition de la préfecture de police en matière de maintien de l’ordre était donc, comme en province, de se placer au niveau d’un certain nombre de points de protection, les grandes institutions gouvernementales, l’Assemblée nationale, les centres républicains. Nous savions que la manifestation suivrait tel trajet, dont nous connaissions les points à risque. Nous sommes depuis quelques années confrontés à un bouleversement des pratiques, d’abord du fait de l’émergence du phénomène black bloc, apparu au moment où s’affaiblissaient ces grands cortèges parce que les grandes organisations qui les sous-tendaient ont moins d’influence dans le débat public. Nous sommes aujourd’hui confrontés à ces logiques de mobilité ; cela a été particulièrement explicite le 1er mai de l’année dernière à Paris.

Les « gilets jaunes » ont accéléré la décomposition des grands cortèges. Des manifestants pacifiques, et d’autres qui ne le sont pas, défilent ainsi la plupart du temps sans déclaration et, quand bien même y a-t-il eu déclaration, avec des tentatives de certains de changer le trajet du cortège par rapport au trajet déposé.

Comme chaque administration, nous devons nous adapter à ce qu’est la réalité de la société, et donc être beaucoup plus mobiles car le cortège est devenu imprévisible, à la fois dans son comportement et dans son cheminement. D’où l’absolue mobilité, à quoi nous avons travaillé depuis une quinzaine de jours. Cette rapidité repose sur le concept de l’autonomie tactique des unités engagées. Cela signifie que j’assigne aux unités engagées une zone d’intervention à l’intérieur de laquelle s’applique un cadrage d’instruction : être actif, réactif, dissoudre les groupes de casseurs, empêcher les dégradations. Les fonctionnaires et militaires interviennent désormais sans attendre les instructions de la salle de commandement. J’ai inversé la logique : ils agissent à présent dans le cadre de ces secteurs prédéfinis pour faire cesser les troubles.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vous avez bien dit, monsieur le préfet de police, que l’ordre public n’était pas la seule facette de votre activité. Je vous interrogerai donc plutôt sur le souhait exprimé par Mme la maire de Paris Anne Hidalgo de créer une police municipale sous son autorité. Votre prédécesseur Michel Delpuech y semblait plutôt défavorable. Quelle est votre position ? La création d’une police municipale à Paris est-elle de nature à faciliter le travail des forces de l’ordre et de la préfecture de police, notamment en matière d’enquêtes et de maintien de l’ordre ?

Mme Nicole Trisse. Monsieur le préfet de police, comment les effectifs ont-ils pris le changement de stratégie face aux manifestations que nous connaissons depuis trois mois ? Sa mise en œuvre a-t-elle posé des difficultés particulières ?

Par ailleurs, vous avez dit avoir rencontré en prenant vos nouvelles fonctions non des problèmes de moyens mais un problème d’organisation. Pensez-vous qu’il en aille de même dans l’administration pénitentiaire, dont vous avez été le directeur ? Le malaise y est réel.

M. Jean-Claude Bouchet. Vous avez parlé de la nécessité de disposer de forces plus moins statiques mais il semblerait aussi que les forces mobiles n’étaient pas assez nombreuses pour protéger le Fouquet’s, pour pouvoir se déployer tout en se protégeant. Avez-vous le moyen de faire en sorte que les forces qui vous sont allouées soient suffisamment nombreuses pour se déployer de manière mieux organisée ?

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le Préfet vous avez créé les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) pour renforcer la sécurité dans les établissements pénitentiaires. Cela fonctionne très bien, je tiens à le dire.

Il y a quelques semaines, le Gouvernement a décidé de déployer différemment le dispositif Sentinelle, les militaires – également mobiles – qui participent à la lutte contre le terrorisme. Comment cela s’est-il passé ? Est-ce positif de redéployer Sentinelle les jours de manifestation pour garder certains édifices emblématiques de la République habituellement gardés par des policiers ?

M. Jean-Louis Thiériot. En amont des opérations de maintien de l’ordre, il y a le renseignement. La préfecture de police dispose de sa propre direction du renseignement (DR-PP), mais il existe au niveau national un service central du renseignement territorial (SCRT). Qu’en est-il de leurs relations ? La circulation de l’information est-elle fluide entre ces deux services ? Faut-il mieux les coordonner ? Et quid de la dimension transfrontalière des black blocs ? Je suppose que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) est aussi « dans la boucle ». Par ailleurs, les moyens du renseignement sont-ils suffisants ?

M. Didier Lallement, préfet de police. Les changements qui concernent la police municipale sont intervenus en application de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique, et je n’ai pas à commenter un choix législatif.

L’application de cette loi a entraîné le transfert à la ville de Paris de 1 800 agents de sécurité de Paris, jusqu’alors rattachés à la préfecture de police tout en étant agents municipaux. Il semble que la maire de Paris souhaite changer l’appellation de ce regroupement en « police municipale ». Cela n’appelle pas de commentaire de ma part.

Ce qui me paraît essentiel, c’est qu’il y ait une très bonne coordination entre ces effectifs municipaux et la préfecture de police. Ces agents étaient des agents municipaux, ils le sont toujours mais sous une hiérarchie municipale. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il y ait une pertinence dans l’action, et une coordination qui fasse que la mise en œuvre par l’État des mesures de sécurité puisse s’harmoniser à tout moment, quels que soient les acteurs qui interviennent. J’en ai parlé avec la maire de Paris, et j’ai noté que c’était plutôt un état d’esprit partagé.

Quant au changement de stratégie, je m’emploie à aller voir les effectifs de police et de gendarmerie sur le terrain pour le leur expliquer. Mon sentiment – mais peut-être ne suis-je pas le mieux placé – est qu’il est plutôt favorablement accueilli. Ce qui est mis en place sur instruction du Gouvernement avait aussi été réclamé par les organisations syndicales ou les organisations représentatives. Avec ce que j’appelle l’autonomie tactique, je redonne aux uns et aux autres la capacité d’agir, ce qu’ils souhaitent.

Sachant qu’il y a toujours de petits problèmes de susceptibilité, je veille à un strict équilibre entre police et gendarmerie. Par exemple, je veille à ce qu’il y ait autant de policiers et de gendarmes dans les dispositifs que je déploie depuis quinze jours sur les Champs-Élysées, et que des tâches plus statiques, par exemple la protection des institutions, la protection du palais de l’Élysée, ne soient pas réservées aux uns ou aux autres, de manière que chacun puisse être dans le mouvement. Je pèse cela au trébuchet. J’alterne ainsi un escadron, une compagnie, etc., et je pense que chacun s’y retrouve.

Je suis assez d’accord pour considérer qu’il faut que les fonctionnaires et les militaires se retrouvent dans cette stratégie. J’ai veillé à faire un certain nombre de débriefings, je suis allé aux entraînements des nouveaux dispositifs, pour discuter avec les fonctionnaires de choses très prosaïques qui font le quotidien, par exemple les moyens de transmission et leur amélioration. Nous avons ainsi discuté d’un sujet qui, jusqu’à présent, m’avait échappé : les mégaphones, ces porte-voix employés au moment de la dispersion des manifestations. On m’a fait observer son utilisation reposait sur une autorité civile, un commissaire de police, arborant son écharpe tricolore. Ce n’est pas forcément très parlant. Les gens pensent spontanément que c’est un élu – ou pas, d’ailleurs, car je ne sais pas ce qu’ils pensent. Or le voici qui annonce avec son petit porte-voix la première sommation. Il faut y réfléchir. Aujourd’hui, tout le monde est sur son smartphone, et ce que dit un individu muni d’un porte-voix et portant une écharpe tricolore n’est pas forcément compris. Je ne dis pas que les sommations seront faites par voie de smartphone, mais il y a un décalage culturel complet entre des manifestants ancrés dans cette ère du numérique et nous-mêmes, bardés de nos certitudes sur l’autorité de l’État. La première mesure que nous avons prise, par exemple, c’est de changer la puissance des mégaphones, parce que les manifestants ne nous entendaient pas forcément ! Il y a toute une série de choses qui partent du terrain et sur lesquelles il nous faut travailler, qui font partie de ce changement de stratégie.

Je n’ai pas d’avis sur les agents pénitentiaires. Le remarquable directeur de l’administration pénitentiaire, M. Stéphane Bredin, à mon avis un des meilleurs directeurs de l’administration pénitentiaire que notre pays ait pu connaître, est, à mon avis, tout à fait en mesure de vous répondre.

Quant à la mobilité, je répète ce que je disais : les forces sont assez nombreuses, c’est la conception tactique que nous devons améliorer. Peut-être n’ai-je pas été assez précis mais, jusqu’à présent, le mode d’intervention reposait, outre les forces mobiles, sur des dispositifs légers, les détachements d’action rapide (DAR). J’ai changé la nature des forces légères qui interviennent. Aujourd’hui, ce sont des brigades de répression de l’action violente (BRAV), à la composition différente – ce n’est pas qu’un changement de nom ou d’acronyme. Les DAR se déplaçaient par petits groupes d’une vingtaine de fonctionnaires. Or, nous l’avons observé, des fonctionnaires en petit nombre peuvent aujourd’hui être attaqués. C’est assez nouveau car jusqu’à présent, lorsque des fonctionnaires de police ou des militaires de la gendarmerie avançaient, les manifestants s’en prenaient assez rarement à eux. Maintenant, la propre sécurité de ces groupes mobiles n’est pas assurée s’ils ne comptent qu’une vingtaine de fonctionnaires. Nous avons donc changé la taille de ce dispositif pour qu’il compte soixante personnes, dont les deux tiers viennent des compagnies d’intervention de la préfecture de police ; le tiers restant est celui des anciens DAR, la plupart du temps des fonctionnaires des brigades anti-criminalité (BAC). Les groupes conservent donc leur mobilité tout en étant adossés à une structure d’ordre public plus classique. Ce sera, à mon avis, beaucoup plus pertinent : les unités conservent leur mobilité, tout en ayant une taille critique et une structure professionnelle appuyée sur des moyens éprouvés en matière d’ordre public. C’est un véritable changement de conception de la mobilité du dispositif.

La mobilité est un sujet extrêmement important : oui, elle passe par le transport d’une partie des fonctionnaires de ces BRAV sur des motos. Je sais que l’on craint le rétablissement des voltigeurs. J’ai expliqué au Sénat pourquoi ce n’était pas possible techniquement ou matériellement – en tout état de cause, nous n’avons pas l’intention de les rétablir. La moto est utilisée comme un vecteur de transport. Nous faisons comme des milliers de Parisiens, nous nous déplaçons sur deux roues – le samedi après-midi, nos cars mettent en effet un certain temps pour aller de la place de l’Étoile à la place de la République, même si la maire de Paris m’a autorisé à emprunter les voies réservées aux bus. Les deux-roues ne sont donc pas utilisés comme moyens de maintien de l’ordre ; les fonctionnaires se déplacent en moto et, ensuite, sont débarqués et remplissent leur mission à pied.

M. Pueyo m’a interrogé sur Sentinelle, mais j’en profite pour le remercier de son appréciation sur les ERIS – il se souvient également qu’il y est pour quelque chose. Je veux être parfaitement clair : la doctrine de Sentinelle n’a pas changé par rapport à ce qu’elle est depuis 2015. Il est totalement exclu que les militaires de Sentinelle s’occupent de l’ordre public. Cela n’a jamais été envisagé, cela ne l’est pas et cela ne le sera pas.

Cependant, certaines personnes particulièrement mal intentionnées peuvent avoir l’idée de commettre des actes terroristes lors des manifestations, parce que cela crée du désordre. Notre vigilance antiterroriste est donc renforcée lors des manifestations, en augmentant le nombre de sections Sentinelle, ce qui permet de redéployer des effectifs de police et de gendarmerie, mais dans le cadre de missions de lutte contre le terrorisme. Je le dis d’autant plus facilement qu’en tant que préfet de zone c’est moi qui réquisitionne les forces militaires. J’augmente donc, lors des manifestations, le volume de réquisition pour que notre niveau de protection antiterroriste soit suffisant, mais en m’en tenant exactement à la doctrine arrêtée par le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) depuis 2015 en matière d’intervention des forces armées : les patrouilles Sentinelle ne doivent en aucun moment être confrontées à des manifestants, elles en sont éloignées. Par exemple, la semaine dernière, deux manifestations ont convergé au Trocadéro ; j’avais demandé à l’autorité militaire de retirer la patrouille Sentinelle habituellement sous la tour Eiffel, de manière qu’effectivement, conformément à la doctrine du SGDSN, aucun militaire de Sentinelle ne se trouve le long du parcours des manifestations. Je souhaite être parfaitement clair avec la représentation nationale. Cela n’a jamais été et ce n’est pas envisagé.

Cependant, notre premier métier – on l’oublie quelquefois, car l’ordre public focalise l’attention – est la lutte contre le terrorisme, car ce combat n’est pas gagné. Je ne voudrais pas que nous baissions la garde pendant des manifestations et donnions ainsi des idées. Nous faisons donc précisément le contraire.

En matière de renseignement, je considère effectivement qu’entre la DR-PP, la DGSI et le SCRT, qui dépend de la direction centrale de la sécurité publique, c’est assez fluide, et assez efficace. Le renseignement qui avait un peu perdu cette pratique des mouvements sociaux, que ce soit la DR-PP à Paris ou même en province – je l’ai observé en poste en Nouvelle-Aquitaine –, s’est effectivement intéressé à ce mouvement des « gilets jaunes », de manière tout à fait régulière dans le cadre de ses missions. Nous assistons à une très utile réappropriation de ce qu’est l’observation de la contestation sociale, et cela se passe de manière assez fluide entre les différents niveaux de renseignements, chacun dans son métier.

La spécificité de la DR-PP ne tient pas à son seul caractère territorial, elle tient aussi à son articulation avec la DGSI sur les objectifs de haut niveau, la DGSI étant toujours chef de file. La spécificité de la DR-PP tient à ses deux « casquettes » en quelque sorte. En ce qui concerne la casquette du renseignement territorial, c’est efficace, dans les limites de ce qui est envisageable face à un tel mouvement : quelle que soit l’efficacité du dispositif de renseignement, un mouvement qui s’organise la veille des manifestations nous contraindra toujours à nous organiser nous-mêmes quelques heures avant son déroulement. Nous ne sommes plus dans les schémas anciens, où tout était connu trois mois à l’avance. Par exemple, aujourd’hui, j’ai encore des incertitudes quant au cheminement exact des manifestations de samedi et aux déclarations envisagées – ou pas. Sans doute le saurai-je dans la journée de demain.

Cela renvoie à une autre question qui m’a été posée. La préparation opérationnelle est très importante. C’est pourquoi je fais moi-même le briefing des forces le vendredi après-midi. Je réunis l’ensemble des commandants de compagnie, l’ensemble des autorités civiles, les commissaires de police, tous ceux qui vont concourir à l’action le samedi pour faire un briefing qui se fonde sur les dernières informations portées à notre connaissance par le renseignement ou par les acteurs eux-mêmes. Des phénomènes sont aujourd’hui difficiles à comprendre, avec une concurrence entre les manifestants, entre ceux qui déclarent leur manifestation et ceux qui ne le font pas ou entre déclarants, certains voulant attirer plus de monde que les autres. Ce sont des choses qui se formulent au dernier moment.

Je me réjouis d’observer, depuis quinze jours, un premier début d’organisation dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes », qui commence à se structurer, avec des déclarations ce qui nous permet quelques dialogues avec les uns et avec les autres. Cela n’empêche pas que certains veuillent manifester sans faire de déclaration. Il ne faut pas oublier que, le samedi, à Paris, il n’y a pas que des manifestations de « gilets jaunes ». Ainsi, samedi dernier, une manifestation des enseignants a attiré plus de monde que celle des « gilets jaunes ». Se sont également déroulées deux manifestations pro-palestiniennes, dont l’une se dirigeait vers la place de l’Opéra. Toute une série d’événements sont concomitants.

Mme Christine Hennion. Monsieur le préfet de police, ma circonscription de Courbevoie, Bois-Colombes et La Garenne-Colombes est située sur le territoire dont la préfecture de police a la responsabilité en matière de sécurité intérieure.

Vous nous avez indiqué qu’il n’y avait pas de manque de moyens. Tant mieux, mais n’est-il pas nécessaire de repenser le déploiement de ces moyens en fonction des évolutions technologiques ? On a parlé de drones, de marquage des manifestants à la peinture. Quant aux fichiers et aux données, les textes me donnent l’impression que c’est assez confus. Se pose aussi la question des moyens téléphoniques et du numérique. Ne faudrait-il pas une réflexion de fond sur ces sujets pour être, dans le respect des libertés individuelles, plus opérationnel dans notre monde qui évolue ?

M. Rémi Delatte. Monsieur le préfet, nous sommes rassurés de vous entendre dire que les moyens sont suffisants mais, si le mouvement devait, hélas ! perdurer, il faudrait assurer une rotation plus soutenue pour permettre aux effectifs des forces de sécurité de prendre un peu de repos. Je ne vous cache pas que, lors de nos différentes auditions, ceux-ci ont exprimé une véritable inquiétude à ce sujet. Par ailleurs, nous avons perçu leur incompréhension face à ce que certains pourraient appeler un désarmement. Celui-ci n’est pas très bien vécu dès lors que les forces de sécurité rencontrent des difficultés pour assurer leur propre sécurité. Enfin, je souhaiterais connaître votre réaction à la polémique suscitée par l’usage du Lanceur de balles de défense (LBD).

M. Xavier Batut. Monsieur le préfet, vous avez indiqué que vous affectiez à chaque escadron des zones d’intervention bien définies dans lesquelles celui-ci est « libre » d’agir, dans le respect des instructions. Serait-il, selon vous, opportun de doter ces escadrons et ces pelotons de drones qui leur permettraient d’anticiper leurs mouvements ? Enfin, faut-il équiper chaque chef d’escadron ou de peloton d’une caméra-piéton pour filmer l’intervention ?

Mme Josy Poueyto. Je souhaiterais compléter l’intervention de M. Delatte. Il est vrai que, face à des manifestants, notamment des casseurs, beaucoup plus armés qu’auparavant, les forces de sécurité se sentent démunies et vulnérables non seulement parce qu’elles ont été privées de certaines armes mais aussi et surtout parce qu’elles manquent de matériels pour se protéger physiquement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Tout d’abord, le directeur de l’ordre public pourrait-il répondre à la question que j’ai posée sur la spécificité parisienne ? Quelles sont les différences entre une organisation traditionnelle et celle de la préfecture de police de Paris ?

Ensuite, monsieur le préfet, je suis un peu étonné, voire choqué, lorsque je vous entends dire qu’il n’y a pas de manque de moyens. En effet, les CRS, les escadrons de gendarmerie mobile sont mis en danger du fait d’une carence d’effectifs qui fragilise le dispositif. Nous avons rencontré des personnes extrêmement fatiguées d’être mobilisées chaque week-end depuis de nombreux mois. Le fait d’affirmer que les moyens humains sont suffisants suscite de véritables interrogations quant à la connaissance des hommes qui, tous les jours, assurent notre sécurité. En outre, les forces de sécurité, qui sont régulièrement la cible d’armes par destination – boules de pétanque, pavés… –, ne sont même pas équipées de chaussures de sécurité, pourtant obligatoires dans certaines entreprises privées. Regardons les choses en face : il existe un véritable problème de moyens, qu’il convient de souligner et auquel il faudra remédier rapidement.

Enfin, vous évoquez un changement de nature et de taille des Détachements d’action rapide (DAR), mais qu’en est-il de la formation des hommes et des femmes qui les composent ? Sont-ils formés au maintien de l’ordre ou leur mission consiste-t-elle uniquement à procéder à des interpellations ? Comment sont-ils équipés ?

M. Didier Lallement, préfet de police. En ce qui concerne le rehaussement des dispositifs technologiques, nous utilisons, le Premier ministre l’a indiqué le 18 mars dernier, des drones et des moyens de marquage pour mieux voir et mieux identifier. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit sur la nécessité de déployer les drones dans les unités, car je ne crois pas qu’ils soient utiles à la salle de commandement : à Paris, par exemple, nous disposons de caméras en nombre suffisant. Certes, une vision supplémentaire peut être utile à certains endroits, dans des angles morts, mais le drone est surtout précieux dans le cadre d’une utilisation tactique, lorsqu’il permet à une unité de voir ce qu’il y a au bout ou au coin de la rue. En effet, on ne peut pas avoir d’autonomie tactique sans bénéficier d’une vision de proximité. Or, le dispositif de caméras actuel, qui nécessite que la salle de commandement relaie l’information auprès de l’unité, n’est pas adapté à la souplesse et à la mobilité souhaitées. C’est pourquoi l’utilisation tactique du drone me paraît assez essentielle. Des escadrons de gendarmerie l’utilisent d’ores et déjà de cette manière, et c’est une pratique que je souhaiterais généraliser, même si, pour le moment, notre organisation ne s’y prête pas encore tout à fait.

Par ailleurs, oui, nous utilisons certains moyens de marquage. Pour d’autres une brève phase de test est nécessaire, afin que nous puissions étudier la manière dont ils peuvent être pertinents et véritablement efficaces. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons.

Monsieur le rapporteur, je ne veux pas vous choquer mais, je vous le redis, nous n’avons pas de problème de moyens au sens où le nombre de fonctionnaires et de militaires présents lors des manifestations nous permet d’assurer un rapport de force tout à fait suffisant face à 5 000, 10 000 ou 15 000 manifestants. Ces manifestations ne présentent pas une spécificité telle que nous serions submergés par le nombre des participants. Si nous sommes submergés, c’est à cause de pratiques et de difficultés de mouvement. C’est pourquoi nous devons faire évoluer notre conception tactique du dispositif et moderniser nos moyens autres qu’humains. Il nous faut, en effet, bien entendu, du matériel plus pertinent, plus efficace, plus moderne mais j’évoquais, tout à l’heure, les moyens humains, c’est-à-dire le nombre de fonctionnaires et de militaires déployés. Leur utilisation doit assez profondément changer ; c’est ce à quoi a appelé le Gouvernement mais lorsqu’on compte un fonctionnaire pour deux manifestants, la situation, en matière de maintien de l’ordre, n’est pas particulièrement difficile. C’est lorsque le rapport est de un à quinze qu’il y a un problème, mais, à ma connaissance, ce n’est jamais arrivé. En revanche, encore une fois, nous devons être plus mobiles, plus réactifs, plus imprévisibles, si vous me permettez l’expression. De fait, nous sommes encore trop prévisibles, trop statiques et nos conceptions tactiques sont, hélas ! trop datées.

Cela me conduit à évoquer la question de l’armement non létal. Sur ce point, l’expression du Gouvernement et les instructions que j’ai reçues, et que j’ai appliquées, ont été très claires. S’agissant du LBD, j’ai rétabli, pour peu qu’elle n’ait pas été utilisée, pour l’ensemble des unités agissant dans le cadre du maintien de l’ordre, qu’elles proviennent de la DOPC ou de la DSPAP – peu importe, dès lors qu’elles sont intégrées dans la chaîne de commandement DOPC –, la munition dite CTS (Combined tactical systems), c’est-à-dire la munition de maintien de l’ordre des LBD 40, de préférence à une autre munition, qualifiée parfois, je crois, par les syndicats, de « munition Chamallow ». Il est en effet nécessaire que la même munition soit utilisée, car chaque fonctionnaire ou chaque militaire susceptible d’utiliser le LBD doit savoir très précisément quelle est la portée de l’arme qu’il utilise, de manière à éviter les accidents, et quelle zone est couverte par chacun. L’unification des moyens de LBD est donc absolument nécessaire.

Ce disant, je réponds à la question qui m’a été posée à ce sujet : oui, les LBD sont, bien évidemment, absolument nécessaires. Cette arme, dont je vois bien qu’elle est très contestée, a une vocation extrêmement simple : elle vise à éviter l’utilisation des armes de service. Rien ne serait pire, en effet, que de se retrouver avec des fonctionnaires qui feraient usage de leur arme de service parce qu’ils penseraient que leur vie est menacée et qu’ils se trouveraient en situation de légitime défense. Mon rôle est d’éviter ce type de situation en recourant à des moyens non létaux qui visent à protéger non seulement les fonctionnaires mais aussi, et c’est tout aussi important pour moi, les manifestants des situations d’extrême violence que vous avez vues. On parle, hélas ! des blessés, et il y en a tant parmi les forces de police que parmi les manifestants. Il faut tout faire pour éviter qu’il y en ait davantage, et c’est vraiment l’option que je prends, mais il faut diminuer la vulnérabilité des uns et des autres.

Sans doute peut-on également équiper les fonctionnaires – sur ce point, je vous rejoins, monsieur le rapporteur – de moyens de protection passifs plus pertinents. Il y a sans doute des améliorations à apporter dans ce domaine – les drones en font partie. Mais ce que l’on observe dans les manifestations auxquelles on est confronté depuis vingt semaines, c’est, plus qu’un manque de matériel, une usure plus rapide de celui-ci. C’est tout à fait normal, dès lors que l’intensité est plus forte. Nous sommes confrontés, depuis peu, à des modes d’action assez nouveaux : on nous projette désormais toute une série de choses sur la figure – je n’entrerai pas dans le détail, car cela deviendrait scatologique. Or, lorsque les fonctionnaires ou les militaires sont couverts de peinture, par exemple, il n’est pas toujours possible de nettoyer les matériels et il faut donc en changer. Leur taux de rotation et leur taux d’usure sont donc bien supérieurs à ce qu’ils étaient précédemment.

En ce qui concerne les repos, là encore, la fatigue physique existe ; je ne la nie pas. Moi-même, je suis mobilisé depuis vingt semaines, à Paris et, auparavant, à Bordeaux – où, qui plus est, le premier de l’an a été également un peu agité. Je ne dis donc pas que nous ne sommes pas fatigués mais il ne s’agit pas d’une fatigue morale, de désespoir. Les fonctionnaires et les militaires ont l’absolue certitude de faire leur devoir, et ils le font avec enthousiasme et l’envie de défendre la République et ses institutions. La difficulté pratique que nous rencontrons, vous avez raison de le souligner, est liée aux repos. Non pas parce qu’ils ne sont pas accordés – ils le sont, j’y veille –, mais parce qu’ils sont pris en semaine, et non plus le samedi. Lorsque, chaque samedi, vous avez manifestation, vous n’êtes pas avec votre famille, et le mardi ou le mercredi, ce n’est pas la même chose – je n’ai jamais dit le contraire. Les repos sont respectés au plan réglementaire, mais je sais très bien que cela ne suffit pas.

Il y a quinze jours, un fonctionnaire de la 31e compagnie d’intervention de la DOPC a été victime d’un accident cardiaque sur la place de la République. Je suis heureux de savoir qu’il va mieux même s’il n’est pas sorti d’affaire. J’espère qu’il va continuer de se rétablir ; j’en forme le souhait publiquement, devant vous. Le lendemain de cet accident, le dimanche, le ministre de l’intérieur et moi-même avons rendu visite à son épouse, qui était à son chevet. Cette femme nous a raconté la vie de cet homme, dans laquelle je me suis retrouvée : une présence permanente pour le service public, un engagement sans faille. On y retourne tous les samedis parce que c’est notre métier, notre honneur de fonctionnaire et de militaire et parce qu’on fait passer cela avant tout. J’utilise peut-être des termes grandiloquents, mais c’est notre devoir, et nous l’accomplissons pour ce pays, pour vous aussi, mesdames, messieurs les représentants de la nation, et pour le Gouvernement. Nous faisons notre métier, comme d’autres font le leur en dehors des frontières, pour la République et pour défendre ce pays.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le préfet, vous me parlez de tactique alors que je vous parle de gestion des ressources humaines. Le vase clos de l’organisation parisienne ne vous occulte-t-il pas la problématique nationale ? Peut-être méconnaissez-vous l’état de fatigue des unités que vous réquisitionnez et qui ne dépendent pas de la préfecture de police. Au demeurant, vous ne pouvez pas veiller vous-même à l’attribution de jours de congé à ces effectifs.

Par ailleurs, la majorité des tirs problématiques de LBD ont été le fait d’unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, notamment de DAR. Dans le cadre du changement de nature des unités, avez-vous revu l’utilisation des LBD et la formation à leur utilisation ?

M. Didier Lallement, préfet de police. Monsieur le rapporteur, le préfet de police n’est pas dans une situation fondamentalement différente de celle d’un préfet de zone en province. Lorsque j’étais préfet de la zone de défense sud-ouest, les Unités de forces mobiles (UFM) qui m’étaient attribuées par le ministère de l’intérieur ne composaient qu’une partie des effectifs de maintien de l’ordre que je déployais. De même, dans le cadre de mes responsabilités de préfet de police, les unités de forces mobiles qui me sont attribuées par l’administration centrale représentent à peu près la moitié des effectifs engagés ; elles ne forment donc pas l’essentiel du dispositif. Ainsi, vous avez parfaitement raison, je ne veille à l’attribution des congés que de la moitié des effectifs engagés. Mais je suis convaincu que le Directeur général de la police nationale et le Directeur général de la gendarmerie nationale veillent au repos des unités de force mobile qu’ils mettent à ma disposition. Je suis absolument certain de ce que je vous dis, pour en avoir discuté avec les fonctionnaires et les militaires. Encore une fois, ce n’est pas le nombre des jours de repos qui pose problème, c’est le moment où ils sont pris. C’est, du reste, une difficulté que rencontrent également, toutes choses égales par ailleurs, les militaires en OPEX : dans les moments difficiles, la situation familiale n’est pas très agréable. À cet égard, je suis comme les autres. Je veux vraiment insister sur ce point : les UFM sont un élément fondamental, mais elles ne forment pas l’essentiel du dispositif.

S’agissant de la formation à l’utilisation du LBD, il faut être très clair : la qualification est la même pour les forces mobiles et pour les fonctionnaires de la sécurité publique. Les uns et les autres doivent suivre une formation de six heures. Soit ils obtiennent la qualification, et ils ont le droit d’utiliser un LBD, soit ils ne l’obtiennent pas et ils n’en ont pas le droit.

Ensuite, vous avez raison – c’est pourquoi j’ai transformé les DAR en BRAV –, la qualification doit s’intégrer dans une utilisation opérationnelle davantage maîtrisée dans le cadre du maintien de l’ordre. C’est pourquoi j’ai souhaité que les fonctionnaires venant des BAC soient moins autonomes qu’ils n’étaient dans le dispositif des DAR. La création des BRAV a un double objectif : avoir des groupes plus puissants et assurer une articulation entre les personnels spécialisés dans le maintien de l’ordre et ceux qui le sont moins, afin que l’ensemble des gestes professionnels soient mieux maîtrisés. C’est ainsi, je l’espère, que nous obtiendrons des résultats. Les situations doivent être correctement appréciées, or, s’il y a une chose que la qualification LBD ne confère pas, c’est l’expérience. Vous avez parfaitement raison, à cet égard : le métier du maintien de l’ordre n’est pas le même que celui d’une BAC. Mais la question s’est posée de la même façon ailleurs ; elle n’est pas propre à la préfecture de police. Lorsqu’il y a une manifestation, l’ensemble des fonctionnaires de la sécurité publique, voire de la Police judiciaire (PJ), participe au maintien de l’ordre. À Bordeaux – pour prendre l’exemple que je connais le mieux –, je faisais ainsi intervenir la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) dans le cadre du contrôle judiciaire des interpellés. Tous les fonctionnaires sont équipés d’un casque et d’un bouclier, ils ont suivi des formations, mais, effectivement, ils n’ont pas le même niveau d’expérience. La responsabilité du commandement est de les utiliser en fonction de leur expérience. Mais, je tiens à vous rassurer, la formation à l’utilisation des LBD est sérieuse et identique pour tous les fonctionnaires.

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  Audition du 9 avril 2019

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, accompagné de M. Gérard Clerissi, directeur des ressources et des compétences de la police nationale, et de M. Antoine Salmon, contrôleur général des services actifs de la police nationale, chef d'état-major du cabinet du directeur général de la police nationale.

 

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Monsieur le directeur général, vous êtes en charge, depuis le 28 août 2017, du commandement de la police nationale. La direction générale de la police nationale comporte plusieurs directions, qui remplissent des missions spécifiques. Notre commission entendra également les directeurs de la sécurité publique, de la police judiciaire, des compagnies républicaines de sécurité, ainsi que de la police aux frontières.

Nous avons de multiples sujets à aborder avec vous, sur les effectifs et les moyens des forces de police, sur leur organisation et leurs modes d’intervention, en particulier en matière de maintien de l’ordre, mais aussi bien d’autres sur lesquels le rapporteur de notre commission et nos collègues ne manqueront pas de vous interroger.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, M. Éric Morvan, M. Gérard Clerissi et M. Antoine Salmon prêtent successivement serment.

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale. Je suis accompagné par M. Gérard Clerissi, l’homme des ressources et des compétences de la police nationale – son « Monsieur finances, effectifs et social » – et de M. Antoine Salmon, mon chef d’état-major, qui représente la sphère opérationnelle de la police nationale. Nous espérons que, sous cette forme, nous pourrons contribuer à vos travaux.

En guise de propos liminaire, je préciserai de quelle façon les réflexions que nous menons sur notre environnement et ses évolutions nous conduisent à imaginer les axes d’une réforme opérationnelle structurante de la police nationale.

Plusieurs évolutions très importantes sont en cours, qui nous paraissent déterminantes pour mener notre réflexion stratégique. La population, qui est en pleine croissance, se concentre de plus en plus dans les agglomérations et leurs banlieues – ce phénomène démographique n’est pas spécifiquement français mais mondial.

Par ailleurs, notre société est marquée par les violences contre les personnes, qui sont en augmentation, comme nous pouvons tristement le voir à l’occasion des manifestations sur la voie publique.

Autre évolution : la mutation de la grande criminalité, fortement marquée par le trafic des produits stupéfiants à une échelle internationale, laquelle irrigue la criminalité et la délinquance locales, marquées par le deal de proximité et l’économie souterraine associée, qui déstabilisent profondément des quartiers déjà touchés par une fracture sociale, enracinée de longue date, et suscitent une concurrence territoriale sanglante. J’ai coutume de dire que, sur une période de moyen terme, le trafic de stupéfiants a plus tué que le terrorisme. Aussi surprenants qu’ils paraissent, ces chiffres doivent nous rappeler qu’il faut lutter avec la plus grande énergie contre ce phénomène ravageur. Une criminalité économique et financière rémunératrice se développe également, à l’échelle internationale, tandis que l’opinion et les instances internationales s’élèvent de plus en plus contre la corruption.

Nous faisons aussi face à une pression migratoire irrégulière inédite, qui soulève des difficultés d’intégration et d’acceptation sociale, et tend au développement des phénomènes de communautarisation d’ores et déjà existants, pouvant, à terme, déstabiliser les valeurs fondatrices de la République – il n’est que de voir ce qui se passe dans un certain nombre de pays qui nous entourent.

La menace terroriste islamique est prégnante, dotée désormais d’une forte composante endogène et généralisée à l’ensemble du territoire. Les actes de terrorisme ne sont pas réservés à Paris ni à l’agglomération parisienne.

Le développement exponentiel du numérique offre un nouveau terrain lucratif aux faits criminels de toute intensité et impose aux forces de sécurité une adaptation permanente de leurs outils et de leur pratique.

Cette mondialisation de la criminalité exige que l’analyse des faits, comme la réponse opérationnelle, relèvent d’une stratégie définie au niveau national, en étroite association avec nos partenaires européens et internationaux.

Par ailleurs, la judiciarisation croissante de la société et la construction d’un cadre juridique de plus en plus contraignant, fruit de la conjugaison des règles nationales et européennes, complexifient l’investigation et embolisent les services. Le droit pénal européen, d’inspiration anglo-saxonne, est assez radicalement différent du nôtre, ce qui ne fait qu’ajouter à la complexité.

Nous assistons également à une évolution des rapports sociaux au sein de la société tout entière et, partant, de la police nationale, qui appelle une modernisation des organisations, des méthodes et du management des équipes : les policiers d’il y a trente ans ne sont pas ceux que nous recrutons aujourd’hui.

Autre changement : la défiance d’une fraction de la population vis-à-vis des forces de sécurité en général, et de la police en particulier. Elle ne doit pas masquer la confiance que lui accordent régulièrement plus des trois quarts de la population, lorsqu’elle est sondée. Cette opinion très largement favorable et cette confiance largement accordée à la police nationale et à la gendarmerie nationale ne doivent cependant pas nous faire oublier les critiques émises par ceux qui ne nous aiment pas, mais aussi par ceux qui apprécient notre travail : une qualité d’accueil perfectible ; une disponibilité aléatoire ; une connaissance imparfaite du terrain et de ses habitants en raison de mutations trop rapides ; une agressivité ou encore des contrôles parfois jugés discriminatoires.

Face à ces défis, la police nationale doit s’adapter, réformer ses structures et ses méthodes. L’utilisation et la mise en œuvre de ses ressources dans un cadre budgétaire par définition contraint doivent nous conduire à rechercher non seulement plus d’efficacité, qui fait l’objet de notre quête de chaque jour, mais aussi une plus grande efficience dans l’utilisation des moyens à notre disposition – la logique du toujours plus ne saurait en effet constituer un motif de satisfaction, encore moins une demande récurrente, sans que nous ne nous interrogions sur la manière dont ces moyens sont utilisés.

Nous devons nous rendre plus disponibles pour la population ; mieux adapter la couverture géographique du territoire à la démographie ; repenser l’organisation de la police nationale, en valorisant ses missions opérationnelles. Telles sont les grandes lignes de notre réflexion. Quand vous rencontrerez les directeurs centraux de la police nationale, vous aurez l’occasion de vous faire préciser, pour chacune des spécialités, les éléments qui vous sont nécessaires.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Les effectifs de police ont retrouvé en 2017 leurs niveaux de 2009. Dans quels métiers les baisses et les créations de postes ont‑elles été les plus importantes ? Combien de compagnies républicaines de sécurité (CRS) et d’unités ont disparu et ont été créées depuis 2009 ?

Étant donné la sollicitation opérationnelle des unités, est-il possible d’accorder tous les repos réglementaires aux personnels ? Pendant combien de week-ends chaque membre des CRS a‑t‑il été mobilisé depuis le 17 novembre ?

Quelles difficultés rencontrez-vous dans l’application de la réforme du temps de travail ? Peut-on estimer la part de l’effort de recrutement mené depuis 2015, qui sera absorbée par cette réforme ?

M. Éric Morvan. Les effectifs des forces de sécurité ont diminué, de manière assumée, entre 2007 et le début de l’année 2014, qui a représenté le point d’étiage. Il existe toujours, après la prise d’une décision, une part d’inertie dans les phénomènes en matière de ressources humaines, et la traduction concrète des décisions politiques prend du temps. Recruter un policier, c’est organiser un concours et le corriger, ce qui prend déjà neuf mois ; la scolarité d’un gardien de la paix dure une année. La traduction sur le terrain d’une décision prend au moins plusieurs mois. Des sorties d’école importantes sont prévues cette année : 500 gardiens de la paix au mois de juin, le reste entre septembre et décembre. À la fin de l’année, nous aurons retrouvé nos effectifs de 2007.

Néanmoins, il faut bien comprendre que la cartographie des effectifs ne sera pas la même, pour des raisons assumées qui ne sont pas critiquables. Le recrutement a d’abord été mis au service du renseignement ou de certains services spécialisés – groupes de soutien et d’intervention (GSI), service central du renseignement territorial (SCRT), police judiciaire et police aux frontières. Deux directions sont en effectifs très tendus : la direction centrale de la sécurité publique, hors SCRT, qui ne retrouvera pas ses effectifs de 2007, et la direction centrale des CRS, qui a perdu près de 2 000 effectifs, ce qui a conduit à restreindre le format des compagnies. Gendarmerie et police nationales n’ont pas eu la même stratégie : la gendarmerie a supprimé des escadrons, alors que la police a gardé le même nombre de compagnies – à une et demie près, soit soixante –, dont elle a réduit le volume, ce qui pose plusieurs problèmes.

Les compagnies sont passées, dans leur écrasante majorité, de quatre à trois sections, ce qui les rend moins manœuvrables en matière d’ordre public. À quatre sections, les compagnies peuvent travailler avec deux sections de chaque côté, l’une étant appuyée par l’autre ; à trois, ce mode opératoire est risqué. Autre problème : ayant été peu renforcée ou peu renouvelée, la direction centrale des CRS est la direction dont la moyenne d’âge est parmi les plus élevées, ce qui est un peu contre-intuitif, au regard de ses missions. Nos camarades de la gendarmerie ont engagé une stratégie différente de la nôtre, puisqu’une très grande partie des sous-officiers qui sortent des écoles de gendarmerie sont affectés dans les escadrons de gendarmerie mobile pour une période déterminée, avant de rejoindre la gendarmerie départementale. Ce n’est pas la manière de gérer de la police nationale, qui fidélisait et spécialisait ses personnels. Mais, dans le contexte actuel, cette pratique a conduit aux tensions que je viens de décrire, aussi bien en matière d’effectifs que d’âge. Une part significative des sorties d’école, qui seront massives cette année, comme elles l’ont été l’année dernière, à la suite du plan des 10 000 lancé par le Président de la République, bénéficiera donc aux compagnies républicaines de sécurité.

Au-delà de cette décision conjoncturelle, nous pensons également affecter une part de plus en plus importante des sorties d’école aux compagnies républicaines de sécurité pour une période déterminée, avant qu’elles ne rejoignent d’autres services de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Deux vertus à cela : la possibilité de faire rapidement baisser la moyenne d’âge des CRS ; un aspect pédagogique puisque passer par ces compagnies peut parfaire la formation en école en matière de discipline, de gestes techniques et, bien évidemment, de service d’ordre, puisque c’est leur premier métier – mais elles s’occupent aussi de lutte contre l’immigration clandestine, aux côtés de la police de l’air et des frontières, ou de sécurisation dans les quartiers.

En moyenne, chaque jour, quarante-deux compagnies républicaines de sécurité sur soixante sont mobilisées. Ce chiffre s’explique par des raisons liées à l’opérationnel, à la nécessité de mettre des unités au repos, à celle d’en former, d’en évaluer ou d’en habiliter, mais aussi pour des raisons budgétaires. Nous ne respectons plus ce taux depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, le 17 novembre 2018. Lors des pics d’emploi, qui ont été atteints le 8 décembre 2018 et le 12 janvier 2019, cinquante-sept compagnies étaient mobilisées. Chez nos camarades de la gendarmerie, le taux d’emploi est également extrêmement élevé. Il est donc arrivé à des CRS d’être mobilisés dix week-ends de suite, particulièrement ceux qui sont responsables des lanceurs d’eau. La pression opérationnelle qui pèse sur les compagnies républicaines de sécurité est très intense.

Je voudrais compléter mon propos. Certes, les CRS sont extrêmement mobilisés, mais il ne faut surtout pas oublier le reste des personnels de la police nationale, en particulier celui de la sécurité publique. Les CRS et les escadrons de gendarmerie mobile sont mobilisés sur les points de cristallisation de la contestation sociale mais cette contestation s’exprime un peu partout en France, y compris dans les petites et moyennes villes, même si elle n’y prend évidemment pas les mêmes proportions qu’à Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Rennes, Nantes ou Paris. Nous ne pouvons pas envoyer de forces mobiles partout : nous n’en aurions pas assez, et cela n’aurait pas beaucoup de sens. Ce sont donc les personnels de la sécurité publique qui sont en première ligne, parfois renforcés par nos camarades de la gendarmerie, des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) en particulier. Tout le monde a en tête les images du Puy-en-Velay. Ces forces sont elles aussi mobilisées week-end après week-end, comme les CRS et les escadrons de gendarmerie mobiles, notamment dans les petites et moyennes circonscriptions où les effectifs ne sont pas très nombreux. De ce fait, ce sont toujours un peu les mêmes en première ligne.

Les cycles horaires, dans la police nationale, ont été arrêtés en 2016 et sont tous conformes à la directive européenne de 2003 relative à la santé et la sécurité au travail. La question a été de monter différents cycles et de voir dans quelle mesure ils pouvaient être appliqués dans les différents services de la police nationale. La direction qui utilise le plus les cycles horaires est évidemment celle de la sécurité publique, en raison de ses effectifs : avec 67 000 personnes à elle seule, c’est, de ce point de vue, le vaisseau amiral de la police nationale. Il faut tout d’abord souligner que le travail cyclique est, par définition, pénible.

Parmi les cycles proposés, il y a la « vacation forte », cycle auquel les organisations syndicales sont assez naturellement attachées, car il permet de passer chez soi un nombre de week-ends, en proportion, beaucoup plus important que les autres. C’est important pour la vie sociale et familiale des fonctionnaires, pour leur vie tout court, mais il présente l’inconvénient majeur d’être extrêmement consommateur d’effectifs. Nous cherchons une solution qui assure un équilibre entre le bien-être des policiers, évidemment d’importance majeure, et cette politique publique essentielle dont nous sommes chargés, ce pour quoi nous sommes faits : assurer la sécurité de nos compatriotes. Il est nécessaire, à cet égard, d’occuper le terrain.

L’un des inconvénients majeurs de la vacation forte est que sa généralisation à l’ensemble des services qui pourraient y prétendre requerrait l’injection de 3 000 à 4 000 équivalents temps plein – je peux en parler de manière un peu plus précise car l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) vient de rendre un rapport très complet sur la question, après avoir fait une évaluation de ces cycles tout au long de l’année 2018 sur une année opérationnelle. Ce ne seraient pas 3 000 ou 4 000 personnes supplémentaires sur le terrain – ce que les gendarmes appellent « l’empreinte au sol » –, ce serait une injection pour faire tourner le système. Je ne dis pas que ce cycle n’a pas de vertus, il est moins pénible que d’autres, mais il présente l’inconvénient majeur de mobiliser une ressource humaine et donc budgétaire très importante sans bénéfice opérationnel immédiat. Il faut donc regarder cela.

J’ai partagé avec l’ensemble des organisations syndicales de la police nationale l’entièreté du rapport que l’IGPN m’a rendu il y a à peu près une dizaine de jours – j’ai d’ailleurs ce soir une nouvelle réunion sur ce sujet. Je veux pouvoir discuter avec elles, au cours des prochaines semaines, de ce que nous ferons de ces conclusions pour parvenir ensemble à cet équilibre entre bien-être au travail et exigences opérationnelles. Je ne doute pas que nous puissions y parvenir mais ce sera un point délicat de notre feuille de route sociale au cours des prochaines semaines.

Dans ce dossier des cycles horaires, le travail de nuit requiert une attention particulière. Il ajoute aux cycles pénibles une dose supplémentaire de pénibilité. En nous remettant ce rapport, l’IGPN a souligné à quel point il était nécessaire d’accorder une attention toute particulière aux cycles nocturnes. C’est l’un des points majeurs des conclusions et des recommandations qui nous sont faites, auxquelles j’accorderai la plus grande importance, comme le font naturellement les organisations syndicales. Si les cycles horaires de la police nationale devaient évoluer, les cycles de nuit devraient être l’objet d’un traitement tout particulier.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Avant d’en venir à mes questions, j’aurai une pensée, monsieur le directeur général, pour les vingt-cinq fonctionnaires de police qui se sont donné la mort depuis le début d’année, les deux derniers ce week-end, et je vous présente, pour ces hommes et ces femmes, toutes mes condoléances.

Il me paraît possible, après un certain nombre d’auditions, d’établir un parallèle entre la police nationale et notre politique nationale, notamment du point de vue de la centralisation des décisions. Les personnels, notamment ceux de la sécurité publique, dans les commissariats, décident de très peu de chose, particulièrement en termes budgétaires. Vous évoquiez tout à l’heure la nécessité de repenser l’organisation de la police nationale. Ne pensez-vous pas qu’il faille laisser plus d’autonomie au niveau des départements, voire celui des commissariats ? J’aime à dire que l’intelligence est locale, et il est vrai que ce sont souvent ces fonctionnaires de police et ces agents qui sont au plus près du terrain qui savent le mieux ce dont ils auraient besoin, ce qui mérite un effort d’investissement. Tout ne doit pas forcément être décidé au niveau central.

Par ailleurs, nous connaissons l’engorgement des tribunaux et la longueur des délais de jugement. Nous savons quelle est, dans ces conditions, la difficulté de la réponse pénale. Pensez-vous qu’il faudrait que plus de délits soient forfaitisés, de manière à permettre une réponse pénale beaucoup plus rapide et beaucoup plus claire et à désengorger un peu les tribunaux ?

Enfin, si les effectifs étaient restés les mêmes qu’en 2010 – 61,5 compagnies de quatre sections –, la même pression se serait-elle exercée sur les CRS ? Ou auriez-vous pu vous organiser différemment et apporter une réponse plus cohérente, tant du point de vue du maintien de l’ordre que du bien-être de ces fonctionnaires ?

M. Éric Morvan. J’ai quelques années d’administration derrière moi, et je remarque que, tout au long de ma vie administrative, le pendule aura oscillé entre décentralisation, reconcentration, déconcentration… De réforme en réforme, on glorifie les vertus d’une certaine forme intelligente ou éclairée de centralisation, pour redécouvrir ensuite que l’intelligence est locale. Si vous me le permettez, je préfère penser qu’elle est partout, mais peut-être suis-je un peu naïf.

Lorsqu’elle est décidée, la centralisation ne procède pas d’une volonté de confisquer des responsabilités exercées au plan local. Je suppose que vous-même avez entendu ce que j’entends souvent quand je rencontre les fonctionnaires de police, que ce soit à Paris ou dans leurs propres locaux.

Quel que soit le niveau où elle est organisée – ce peut être le niveau national mais aussi le niveau zonal, un certain nombre de dépenses importantes étant exécutées au niveau des zones de défense –, la centralisation a des vertus évidentes pour les dépenses sur lesquelles l’échelon local ne peut avoir une marge de manœuvre. Lorsqu’il s’agit de loyers ou de marchés de fluides, la négociation risque d’être plus efficace à l’échelon zonal, voire national. Décentraliser cela au niveau d’une direction départementale de la sécurité publique, voire d’une circonscription de sécurité publique, non seulement n’aurait aucun intérêt d’un point de vue économique en termes de gains achats, mais aurait un coût, car cela obligerait les services de police à organiser des échelons gestionnaires au plus près du territoire. Il s’agit plutôt de raisonner en termes de subsidiarité et de se demander quel est le bon niveau pour éviter de multiplier des cellules de gestion sources de coûts qui rapporteraient peu en termes d’efficience de l’exécution de la dépense publique ou d’efficience de la commande publique. Et il faut réserver au niveau local la possibilité de faire de « menus achats », « menus » mais tout à fait importants – il peut être un peu pénible, dans une circonscription à l’autre bout du département, de devoir demander à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de bien vouloir procéder au remplacement d’un fauteuil de bureau ou d’une ampoule électrique… Nous avons des systèmes, comme la carte achat – une sorte de carte bleue –, qui permettent de déconcentrer des actes de gestion mais gardons-nous de penser que l’hyper-déconcentration soit un mode de gestion à la fois rigoureux et efficient. C’est bien sûr efficace : quand on dispose d’une caisse pour acheter tout ce dont on a besoin au supermarché le plus proche, c’est efficace et rapide, mais ce n’est pas efficient, et c’est parfois contraire aux règles de la commande publique et des marchés publics. Il ne s’agit pas de centraliser ou de déconcentrer, il s’agit d’appliquer un principe intelligent de subsidiarité, pour que la dépense soit exécutée au niveau pertinent en visant un double objectif d’efficacité opérationnelle et d’utilisation efficiente des fonds publics, que ce soit grâce à une massification des achats ou à la limitation des équipes nécessaires.

La loi de réforme de la justice, qui vient d’être promulguée, prévoit la forfaitisation d’un certain nombre de délits. Je suis favorable à cette forfaitisation pour les mêmes raisons que vous, monsieur le rapporteur : efficacité, rapidité, désengorgement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour être pragmatique, pouvez-vous nous dire quels délits devraient être forfaitisés ?

M. Éric Morvan. Précisément par pragmatisme, je serais plutôt partisan de ne pas étendre le champ des délits forfaitisés tant que nous n’aurons pas démontré ce que nous sommes capables de faire avec les outils aujourd’hui à notre disposition. La forfaitisation, cela ne veut pas dire la possibilité de manier nous-mêmes de l’argent sur la voie publique. Cela implique un certain nombre de procédures, même très allégées. Je voudrais être complètement persuadé que nous saurons gérer avec toute l’efficience requise la forfaitisation des délits telle que la loi la permet aujourd’hui avant d’étendre le champ d’application de cette forfaitisation.

Avec les effectifs de 2010, la face de l’ordre public aurait-elle été changée ? La réponse est affirmative en ce qui concerne la fatigue et la capacité de mieux utiliser les forces. La diminution des effectifs des CRS a conduit non pas à diminuer le nombre de compagnies mais à en réduire le format interne. Cela a conduit à abaisser de quatre à trois le nombre de sections qui composent une compagnie – qui ne sont donc pas sécables.

Dans ces conditions, pour obtenir un résultat comparable, un préfet confronté à un problème d’ordre public n’hésitera pas aujourd’hui, compte tenu de la configuration des lieux, des cortèges déclarés qu’il devra gérer, à demander deux compagnies quand une compagnie de quatre sections comme antérieurement aurait suffi. Nous perdons donc en agilité opérationnelle sur le terrain, et cela entraîne une sorte de surconsommation en nombre de compagnies. La baisse des effectifs, en ce qu’elle a diminué le nombre de sections par compagnie, n’est donc pas neutre. Cela étant, compte tenu de ce que nous avons vu, entre déferlement de violences et « instantanéité » des manifestations, le taux d’emploi aurait de toute manière été très élevé – sans doute avec une agilité opérationnelle plus importante.

Je me permets une petite parenthèse. Le Premier ministre a annoncé, dès le début du mois de janvier, un schéma national de maintien de l’ordre, et nous y travaillons d’arrache-pied avec nos camarades de la gendarmerie, avec la préfecture de police et, évidemment, avec le cabinet du ministre. J’insiste bien : nous travaillons sur un « schéma national ».

Il y a parfois des confusions de vocabulaire, et j’entends souvent que nous allons faire changer ou évoluer la doctrine du maintien de l’ordre à la française, mais, à ce stade, il n’est pas question de la changer. Le principe cardinal, arrêté depuis longtemps, d’une distanciation entre les manifestants et les forces de l’ordre ne me paraît pas remis en cause. D’ailleurs, beaucoup de polices étrangères sont intéressées par la position qui est la nôtre, par rapport à d’autres techniques de maintien de l’ordre. Certains ne répugnent pas du tout à pratiquer le contact direct, y compris dans des pays très proches, et – puisque tout passe par les images – cela ne fait pas de belles images. Les images du maintien de l’ordre sont rarement belles, mais je peux vous dire que les images de maintien de l’ordre avec du contact systématique et direct sont vraiment pénibles.

Se poser la question en termes de schéma national par rapport à l’évolution des troubles à l’ordre public tels qu’on les connaît en France et ailleurs présente une vertu. En France, notre tactique se fonde très largement sur le fait que les manifestations sont déclarées – par des organismes, syndicats, partis politiques, associations de droit ou de fait qui ont pignon sur rue et dont les responsables sont connus. Il est de tradition, dans certaines villes, de ne pas déclarer les manifestations – je parle non pas de Paris, où la tradition est au contraire de déclarer, mais de Marseille –. C’est ainsi, et l’absence de déclaration formelle ne signifie pas qu’il n’y a pas de contacts informels entre les autorités et les organisateurs. Nous avions donc en quelque sorte des organisateurs identifiés, des services d’ordre interne constitués, une temporalité et un calendrier qui nous permettaient d’anticiper, notamment d’anticiper le positionnement de forces mobiles au bon endroit au bon moment. Tout cela vole en éclats aujourd’hui puisque n’importe quel personnage dont la popularité peut-être « boostée » par des émissions de télévision avides de sensationnel est capable, désormais, grâce aux réseaux sociaux, de convoquer 3 000, 4 000, 5 000 personnes en tout point du territoire, et, pire, de convoquer des manifestations de manière virale sur l’ensemble du territoire. C’est notre difficulté actuelle. Nous avons des manifestations au même moment, au même endroit, sur l’ensemble du territoire. L’instantanéité des réseaux sociaux met à mal notre modèle, notamment en termes d’anticipation.

Le schéma national du maintien de l’ordre aura donc une immense vertu car il prendra en compte la mutation que constituent ces faits pouvant causer des troubles graves à l’ordre public.

Nous ne nous situons plus du tout dans les schémas traditionnels dont je parlais tout à l’heure, mais dans des chemins nouveaux qu’il faut prendre en compte. À cette fin, on ne va certainement pas décider de multiplier par deux le nombre de compagnies républicaines de sécurité et d’escadrons de gendarmerie mobile ; cela n’aurait aucun sens.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Précisément, selon vous, vaudrait-il mieux revenir à quatre sections ou augmenter le nombre de compagnies  ?

M. Éric Morvan. Il faudrait revenir à quatre sections, c’est clair, et nous nous y travaillons, mais cela prendra évidemment du temps. En tout état de cause, je pense qu’il va falloir – et il peut y avoir là une petite divergence non pas d’analyse, mais de tradition, de doctrine, entre police nationale et gendarmerie nationale – réfléchir au fait que les forces territoriales, c’est-à-dire les forces de police et de gendarmerie installées sur le territoire à titre principal, donc hors force mobiles, devront prendre une part de la problématique de l’ordre public.

C’est complètement le cas dans la police nationale. N’importe quel policier de sécurité publique sait que l’ordre public entre dans le champ de ses missions, qu’il aura, à un moment ou à un autre de sa carrière, à faire de l’ordre public dans son commissariat. C’est moins vrai pour les gendarmes, mais je peux le comprendre, car nous n’avons pas le même terrain d’action, et il est normal que les postures opérationnelles ne soient pas les mêmes. Ils considèrent pour leur part que l’ordre public relève d’une grande spécialisation, et que ces missions reviennent à la gendarmerie mobile ou, pour nous policiers, aux CRS, et que les forces territoriales n’ont pas vocation à faire de l’ordre public.

Je pense que ce que nous vivons aujourd’hui va sans doute nous obliger à faire bouger les lignes et à faire en sorte que la puissance publique – je ne parle pas de police et de gendarmerie, mais de l’autorité publique – puisse s’exprimer sur l’ensemble du territoire, le temps que des forces plus puissantes ou plus constituées arrivent. Mais il nous faut prendre en compte le fait que désormais nous ne disposerons peut-être pas toujours du temps des trois jours de la déclaration qui permettent de programmer un déplacement de gendarmes mobiles ou de CRS, et qu’il faudra répondre vite et de manière évidemment proportionnée, au moins pour figer une situation avant que des renforts arrivent.

C’est là, à mon sens, un élément fondamental que le schéma national du maintien de l’ordre devra aborder. Ce sont des travaux que nous menons actuellement au sein du ministère de l’intérieur, au-delà de la question de l’armement, des lanceurs d’eau, de la manière de mieux faire comprendre les sommations, etc.

Tout cela relève du schéma national du maintien de l’ordre, de la même façon que nous avons établi un schéma national d’intervention (SNI) en cas d’attaques terroristes ou de périples meurtriers, qui là aussi déterminent le rôle de chacun depuis le plus haut du spectre, c’est-à-dire le RAID ou le GIGN, jusqu’aux policiers et aux gendarmes de terrain, en passant par des unités dont ce n’est pas complètement le métier mais qui peuvent se spécialiser, comme les CRS, les BRI, les PSIG, etc.

Chacun a un rôle, et chacun peut avoir dans la chaîne une partie de la compétence pour mettre un terme à un fait terroriste ou à un périple meurtrier. Je considère que cette façon de concevoir les choses doit être adaptée à l’ordre public ; en tout cas ce que nous voyons aujourd’hui nous contraint à raisonner ainsi.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je suis en désaccord avec vous sur un point : les personnels de la sécurité publique et les gendarmes départementaux ont tous conscience que le maintien de l’ordre peut entrer dans leurs missions. Ils sont toutefois tous confrontés au même problème ; ils ne disposent pas des moyens ni de l’équipement pour le faire.

M. Éric Morvan. Vous avez parfaitement raison, monsieur le rapporteur.

Ce que j’ai posé comme principe implique effectivement de concevoir un plan d’équipement et un plan de formation adaptés. Il est évident qu’il ne suffira pas de décréter que les personnels territoriaux feront du maintien de l’ordre. Ce que je dis, c’est qu’ils seront amenés à en faire de plus en plus, compte tenu de ce que sont aujourd’hui les réseaux sociaux, les chaînes d’information en continu, etc., et que cela suppose effectivement de notre part une vision différente en termes d’équipement et de formation de ces personnels, à la fois pour la protection des manifestants et pour leur propre protection. C’est clair, vous avez raison.

Le directeur central de la sécurité publique (DCSP), que vous allez recevoir prochainement, vous indiquera le plan qu’il a d’ores et déjà mis en œuvre sur l’année 2018 pour équiper et former des personnels dans les départements dépourvus de compagnies départementales d’intervention. Il s’agit de faire en sorte que des départements voisins puissent travailler ensemble autour d’une compagnie d’intervention, et de faire manœuvrer ensemble des effectifs issus de commandements et de départements différents.

M. Jean-Claude Bouchet. Je souhaite revenir sur le rôle de la police nationale, dont vous avez dit qu’elle devait savoir s’adapter, réformer ses méthodes etc. ; cela doit-il passer par des moyens financiers nouveaux ?

Vous avez souligné que la concentration des populations dans les villes était de plus en plus importante. Certaines banlieues sont devenues des zones de non-droit, et offrent un terreau propice à la radicalisation ainsi qu’aux stupéfiants. Comment gagner cette guerre ?

On a constaté que, quels que soient les gouvernements, la politique de la ville ne constituait pas une panacée. Ce n’est pas avec elle que l’on gagnera une guerre, elle ne constitue qu’un des moyens susceptibles de faire évoluer les choses. La police de proximité, inventée il y a quelques années, et dont on reparle aujourd’hui, représente plus une volonté qu’une réalité effective. Je repose donc la question : comment gagner cette guerre ? Quelles sont vos préconisations pour que nous atteignions cet objectif ?

Enfin, de façon quelque peu provocatrice, n’aurions-nous pas intérêt à laisser ces zones de non-droit là où elles sont ; ce qui pourrait satisfaire de nombreuses personnes, car elles seraient géographiquement fixées.

M. Joaquim Pueyo. Vous avez commencé votre intervention en considérant que les conséquences du trafic de stupéfiants étaient parfois plus importantes que celles des attentats.

M. Éric Morvan. Cela vaut sur une longue période…

M. Joaquim Pueyo. Pour avoir été maire d’une ville, je connais les difficultés que rencontrent certains quartiers à cause de ces trafics et de l’économie souterraine qui en résulte.

Pensez-vous que les renseignements territoriaux sont suffisants depuis la réforme de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG), survenue en 2005 ? Il semble en effet que des difficultés pour repérer ces trafics ont été rencontrées par la suite.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas que la réglementation en vigueur devrait évoluer ? Le rapporteur a évoqué la contravention dont est passible la consommation de drogue ; à vos yeux cette mesure produit-elle ses effets sur le terrain ou faut-il aller plus loin ? Cela fait très longtemps que nous parlons de la lutte contre les trafics de stupéfiants. Or ils augmentent et causent des dégâts considérables sur tous les plans, particulièrement sur le plan social. Contrairement à l’affirmation provocatrice de mon collègue, je pense qu’il ne faut pas laisser les choses en l’état, qu’il faut au contraire se battre pour que l’État de droit soit respecté dans tous les quartiers. Pensez-vous qu’il faille accroître la répression, ou, pour certains consommateurs, changer la donne ?

M. Jean-Pierre Cubertafon. Vous avez évoqué, monsieur le directeur général, l’avènement des réseaux sociaux et des nouveaux moyens de communication qui ont fait évoluer les menaces contre l’ordre et la sécurité publique et rendent possible la diffusion en direct de crimes ou d’attentats. La réactivité et la capacité d’organisation de fauteurs de troubles se sont ainsi accrues, de quels moyens dispose la police nationale pour répondre à ces évolutions ?

M. Olivier Gaillard. Un rapport de la Cour des comptes portant sur les réserves de la gendarmerie et de la police nationale est en cours de rédaction.

Pour des raisons historiques, la gendarmerie compte 30 000 réservistes contre environ 3 000 dans la police nationale. Comment comptez-vous améliorer cette réserve et cet apport qui peut constituer un véritable « plus » pour les hommes ?

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Monsieur le directeur général, dans votre propos liminaire vous avez abordé la question de la formation, qui est actuellement de douze mois. Il semblerait que ce temps serait appelé à diminuer pour passer à neuf ou huit mois.

Si tel devait être le cas, il serait intéressant de savoir à partir de quand cette mesure interviendrait. On comprend bien qu’elle permettra de disposer plus rapidement de gardiens de la paix sur la voie publique. Mais servira-t-elle à alimenter prioritairement la police de sécurité du quotidien (PSQ)  ? Dans la mesure où vous avez indiqué que la majorité des nouveaux arrivants seraient versés dans les compagnies républicaines de sécurité, s’agit-il d’une réponse au mouvement des Gilets jaunes ?

Si la formation est réduite d’un quart, de quelle partie fera-t-on l’économie ? S’agira-t-il des « gestes métier », de l’accueil du public ou du versant judiciaire ? Et dans la mesure où beaucoup des intéressés sont versés dans les CRS, la formation ne se bornera-t-elle pas à préparer des spécialistes en intervention, au détriment des généralistes, ce qui remettrait en cause l’équilibre observé jusqu’à présent ?

Mme Josy Poueyto. Votre expérience de préfet, monsieur le directeur général, a dû vous servir d’expérience, et vous permettre de vérifier s’il existe une différence entre « la théorie et la pratique ». Vous avez tout d’abord connu la pratique, et maintenant vous élaborez un schéma national du maintien de l’ordre. Dans ce contexte, comment vous reviennent les retours d’expérience de vos collègues qui sont sur le terrain ?

La question de la répartition des effectifs se pose. Fort de votre expérience, comment vous déterminez-vous pour prendre les décisions nécessaires  ?

M. Éric Morvan. En premier lieu, je répondrai à la question de M. Bouchet sur les zones de non-droit et la façon dont on peut « gagner la guerre ».

Ma conviction profonde est que la politique de la ville, appelons-la ainsi, ne sera pas gagnée par la police nationale. J’enfonce une porte ouverte en disant cela, mais ne mettons pas sur le seul dos de la police nationale la responsabilité du succès ou du moindre succès de ces politiques complexes, qui interrogent aussi la sphère de l’éducation, du logement et tout simplement du travail.

Cela étant, lorsqu’une économie souterraine se développe, sous-tendue par un trafic de stupéfiants, et qu’il est bien plus rémunérateur et moins fatigant, quoique bien plus dangereux, de s’y livrer que d’aller travailler, on est au début de la déstructuration du tissu social. C’est en cela que je disais que le trafic de stupéfiants était une gangrène aussi puissante que le terrorisme ou le communautarisme fondamentaliste, qui eux aussi déstructurent des sociétés entières. Gagner cette guerre appelle un travail interministériel puissant, et la police nationale a sa part dans cette œuvre, et fait preuve d’un engagement très fort quartier par quartier.

S’agissant de la police de sécurité du quotidien, elle représente un sigle de moins en moins apprécié à la DGPN, précisément pour les raisons que je viens d’évoquer. Il ne s’agit pas des termes « sécurité du quotidien », que nous adorons, mais de l’expression « police de sécurité du quotidien » qui sous-tendrait que la sécurité du quotidien n’est qu’une affaire de police. Or, ce n’est hélas pas le cas. Pour conserver l’acronyme PSQ, désormais installé dans les esprits, je préfère parler de politique de sécurité du quotidien, au sein de laquelle la police a évidemment toute sa place. Ce en quoi nous croyons, c’est un partenariat opérationnel contractualisé. Le partenariat entre l’État, les bailleurs sociaux, l’éducation nationale, les transporteurs, les élus locaux, les associations de commerçants et les travailleurs sociaux est très important, et n’est pas une découverte récente. Mais il avait tendance à s’institutionnaliser et à entrer dans une sorte de ritualisation qui lui faisait perdre en efficacité.

Ce que nous souhaitons, à travers la politique de sécurité du quotidien, c’est que ce partenariat soit à l’aune de la circonscription de sécurité publique : pas à celle du département, mais du quartier ou des quartiers, formant une même circonscription de sécurité publique.

Il faut travailler sur la base d’objectifs contractualisés. Nous nous réunissons souvent, tous les quinze jours ou trois semaines, au bon niveau de décision, c’est-à-dire celui du chef de circonscription ou du responsable « police nationale » chargé du quartier, donc pas forcément son patron, avec tous ceux qui interviennent dans le quartier. Nous nous fixons des objectifs extrêmement précis, qui peuvent paraître simplistes : l’éclairage public qui ne fonctionne pas, les poubelles qui sont mal ramassées, les voitures « ventouses » ou les épaves, les garages de trottoir, les rodéos, les appartements servant de « nourrice » au trafic de stupéfiant et le rôle des bailleurs sociaux, même s’ils n’osent pas toujours déclencher des procédures d’expulsion.

C’est tout cela qui fait que nous devons tous travailler ensemble au même moment et tirer dans le même sens – mais, encore une fois, sur la base de contrats opérationnels, dans lesquels la police a sa part, certes, mais tous les autres aussi. Lorsque je dis « opérationnel », cela signifie que nous nous revoyons dans quinze jours, et que tel ou tel problème aura été réglé ; et surtout, nous étudions ceux qui n’ont pas pu l’être et qu’elle a été la raison de ces échecs.

Il y a une autre dimension, des secteurs où nous n’en sommes déjà plus là, ce que vous avez appelé des zones de non-droit, terme avec lequel la police nationale a toujours du mal. Dans ces endroits où l’on a déjà basculé, nous n’y arriverons pas avec de la contractualisation opérationnelle telle que je l’ai décrite. Comme pour une tôle corrodée, il faut les remettre à nu et passer la sableuse, si vous m’autorisez ce terme de mécanique. Nous n’y arriverons pas sans intervention puissante de la force publique ; de ce point de vue, nous allons reparler des compagnies républicaines de sécurité CRS. Bien entendu, leur cœur de métier est et restera l’ordre public, mais elles ne font pas que cela, elles ont su s’adapter à la menace terroriste ainsi qu’aux missions d’intervention et de sécurisation des quartiers difficiles en appui des forces de sécurité publique.

Nous ne parviendrons pas à faire du bon travail dans certains quartiers sans l’appui des compagnies républicaines de sécurité, car elles interviennent de manière plus offensive. Et je me dois de vous dire que la charge opérationnelle qui pèse depuis quelque temps sur elles, sans compter ce que nous appelons les missions permanentes de lutte contre l’immigration clandestine qui mobilisent des effectifs à Calais, Vintimille ou Biriatou, font que nous notons, pour le regretter, que les forces qui sont consacrées à l’ordre public ne sont plus mobilisables pour le plan national de sécurisation renforcée (PNSR) qui nous permet d’envoyer des compagnies républicaines de sécurité dans des quartiers difficiles pour qu’elles puissent y imprimer leur marque. Or, sans leur appui, nous aurons des difficultés à être vraiment efficaces dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Il faut que l’on travaille, et c’est heureusement déjà le cas en matière de stupéfiants, à réduire le phénomène de « tuyaux d’orgue » qui a pu exister par le passé – c’est moins le cas aujourd’hui – entre sécurité publique et police judiciaire. C’est la coordination renforcée de la lutte contre les stupéfiants qui a permis de faire collaborer de manière opérationnelle et efficace ces deux directions, mais sans les compagnies républicaines de sécurité, on aura vraiment des difficultés à avancer lorsque la situation est dégradée.

Monsieur Bouchet, vous dites que les zones de non-droit sont un peu comme des quartiers perdus pour la République et qu’il faut les laisser à leur néant. Je ne partage pas votre vision des choses. Je n’imagine pas que la République puisse admettre l’existence de territoires perdus. De plus, n’oublions pas que si la plaie n’est pas soignée, elle finira par gangrener le membre tout entier. Il est donc nécessaire de reprendre pied, y compris dans les zones de non-droit, que nous n’abandonnons pas puisque les policiers y entrent, parfois au péril de leur vie car les confrontations peuvent être violentes. Il y a de nombreux blessés, y compris à l’occasion de guet-apens qui leur sont tendus. Nous veillons à ce qu’aucun territoire ne soit perdu, mais nous ne gagnerons pas tout seuls ce combat, terme que j’utilise à dessein.

Monsieur Pueyo, vous me demandez si le renseignement territorial est suffisamment efficace pour lutter contre le trafic de stupéfiants au regard des mutations successives qui ont eu lieu. Vous avez raison, le renseignement territorial a été profondément chahuté, à la suite de la réforme de 2008 qui avait prévu la disparition de la direction des renseignements généraux. Tout ce qui concernait la sécurité intérieure, le terrorisme a été transféré à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue depuis la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Il est resté la sous-direction de l’information générale (SDIG), dont le champ de compétences était extrêmement réduit – phénomènes sociaux et hooliganisme notamment. Cette sous-direction n’avait même pas accès aux fichiers de police, car elle n’avait pas d’autorisation légale pour accéder à des traitements informatisés. Elle faisait tout de même son travail, mais dans un champ missionnel extrêmement réduit. S’agissant des phénomènes sociaux et de tout ce qui concourait aux violences urbaines, qui étaient quand même dans le champ de compétences de la SDIG, il y avait et il y a toujours une compétence en matière d’économie souterraine, pas au sens judiciaire du terme mais du renseignement.

Même s’il n’a pas encore atteint son altitude de croisière, le service central du renseignement territorial (SCRT) ne ressemble pas du tout à ce qu’était la SDIG. Des évolutions très importantes ont eu lieu, notamment en 2013 et 2014, et en 2015 avec la loi relative au renseignement, ce qui fait qu’aujourd’hui le SCRT est un service de renseignement de la communauté française du renseignement à part entière. Il a accès, grâce aux lois qui ont été votées, à des techniques de renseignement. C’est donc un service tout à fait armé tout en continuant sa mue. S’il n’est pas encore totalement adulte, on peut dire que c’est un grand adolescent et qu’il est de grande qualité.

L’économie souterraine fait bien partie, sous l’angle du renseignement, des missions du SCRT, s’agissant de la surveillance et de l’analyse des phénomènes dans les quartiers et des violences urbaines qui sont souvent sous-tendues.

Vous avez souligné que le trafic de stupéfiants ne concernait pas uniquement les grandes agglomérations, mais qu’il atteignait aussi les villes petites et moyennes. Vous avez parfaitement raison. On pense que le trafic de stupéfiants n’existe qu’à Marseille et en Seine-Saint-Denis, alors que des villes ou des quartiers entiers ont complètement basculé en une quinzaine d’années. Je prendrai l’exemple de quartiers de la ville de Nantes qui, il y a quinze ans, respiraient la douceur de vivre des grandes villes de l’ouest, mais dont la physionomie ressemble aujourd’hui à ce qui se passait dans les quartiers compliqués du Mirail, à Toulouse. C’est pourquoi j’ai répondu tout à l’heure qu’on ne pouvait pas laisser les zones de non-droit à leur triste sort. Ce ne serait pas en effet une bonne solution, puisque les trafiquants, en grands et bons entrepreneurs qu’ils sont, n’ont qu’une envie : augmenter leurs parts de marché. Aussi ne peut-on pas imaginer un seul instant que les choses resteraient cantonnées là où elles le sont.

Je pense que votre question sur la contraventionnalisation sous-tendait celle de la dépénalisation ou de la non-dépénalisation. Je suis un peu embarrassé pour vous répondre, car il y a des sommités et des gens très sérieux dans les deux camps. Je comprends d’ailleurs à quel point il est difficile pour ceux qui font la loi d’avoir un avis tranché sur la question.

À titre personnel, je ne suis pas un fervent défenseur de la dépénalisation, tout en ayant bien conscience de toutes les limites des politiques de prohibition au cours de l’histoire. Dans les pays qui ont dépénalisé, y compris ceux qui sont proches de nous ou qui ont un rapport un peu plus permissif avec les produits stupéfiants – je pense aux Pays-Bas –, la situation n’est pas très différente de la nôtre en termes de dégâts sur la santé publique ou la criminalité organisée.

Sur les réseaux sociaux, ce que je peux dire, c’est qu’une très grande attention est portée sur tout ce que l’on peut y voir. Il existe, au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) – M. Jérôme Bonet vous en donnera le détail – une sous-direction chargée de la cybercriminalité qui abrite notamment la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (PHAROS), à partir de laquelle nous tentons d’identifier les adresses émettrices, quand c’est possible. Il y a, là aussi, une partie souterraine et il est difficile d’identifier des adresses émettrices, soit parce qu’elles sont abritées à l’étranger, soit à cause de rebonds techniques, et lorsqu’on les a localisées d’avoir une coopération technique avec certains pays.

S’agissant notamment des déferlements de haine ou des menaces qui sont proférés sur les réseaux sociaux, nous parvenons à identifier un certain nombre d’auteurs qui doivent ensuite rendre des comptes à la justice.

Vous m’avez interrogé également sur la réserve civile. La police et la gendarmerie n’ont pas la même histoire. La gendarmerie tire son avance évidente en matière de réserve de son histoire militaire, et elle n’aurait sans doute pas le même visage sans la réserve.

Dans la police nationale, le vivier qui est de 6 000 et non de 3 000 personnes comme cela a été dit, repose essentiellement sur de jeunes retraités de la police nationale. Ce n’est pas une réserve citoyenne, comme peut l’avoir constitué la gendarmerie, qui compte plus de 30 000 réservistes. Pour autant, la réserve de la police nationale, aussi modeste soit-elle, est un élément important dans le contrôle aux frontières ou la lutte contre l’immigration clandestine, ce qui n’est pas neutre actuellement, ou encore dans les centres de rétention administrative. Les réservistes n’ont pas le droit de participer à l’ordre public, dans le contexte actuel de contestation sociale qui a lieu chaque samedi. En revanche, ils sont utilisés au sein des services de police pour faire de l’accueil, ce qui libère des personnels d’active qui, eux, sont autorisés à faire de l’ordre public.

Les contraintes budgétaires qui sont les nôtres nous permettent d’avoir une réserve civile, de continuer à la faire vivre dans les limites que je viens d’indiquer, mais sans perspective d’augmentation massive du nombre de réservistes. J’ai même dit que nous avions des contraintes budgétaires, liées à la surconsommation de nos ressources les samedis, qui a un coût direct sur la masse salariale et les heures supplémentaires. Il faut en effet payer les indemnités de déplacement des compagnies républicaines de sécurité et leurs heures supplémentaires. Dans la police nationale seules les heures des compagnies républicaines de sécurité sont défrayées, les autres fonctionnaires voyant ces heures compensées ou pas. Si l’on était amené à réguler les dépenses du fait que c’est de l’argent public et que la planche à billets ne fonctionne plus depuis bien longtemps, voilà le type de levier qui serait à ma disposition, le reste étant essentiellement constitué d’indemnités statutaires sur lesquelles je n’ai pas de prise. C’est le cas aussi de mes amis gendarmes qui n’ont pas non plus tant de leviers de régulation de leurs dépenses. La réserve en est un pour eux, comme elle en est un pour moi. J’espère que nous n’en arriverons pas là et que nous pourrons mobiliser les réserves comme nous le faisons habituellement.

Il sera indispensable de développer la réserve citoyenne dans la police nationale parce que je suis intimement convaincu qu’on ne pourra pas s’inscrire dans une logique du « toujours plus ». On est dans une dynamique de ressources humaines plutôt positive avec ce plan des 10 000 dont je parlais tout à l’heure, qui fait que nous recrutons beaucoup. Mais il ne sera pas soutenable budgétairement de faire continuellement ce type d’effort. La réserve citoyenne est sans doute un bon moyen de réguler les pics saisonniers, certains événements ou des fonctions particulières. En tout cas, c’est comme cela que l’utilise la gendarmerie, et il n’y a aucune raison que nous n’en fassions pas autant. En ce qui concerne la politique de la sécurité du quotidien, nos délégués à la cohésion police-population dans les quartiers sont essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, des réservistes.

Nous ne pourrons pas continuer à augmenter indéfiniment nos emplois de titulaires. En revanche, une fois que nous aurons atteint le palier dans nos effectifs, la réserve civile constituera assurément, et plus encore si nous développons la réserve citoyenne, l’élément de souplesse dont nous aurons forcément besoin.

Madame Vanceunebrock-Mialon, vous m’avez interrogé sur la réduction des temps de formation. Actuellement, un gardien de la paix est formé en présentiel à l’école en un an, auquel s’ajoute un an de stage avant d’être titularisé. Sa formation est donc au total de deux ans. C’est dans cette même enveloppe de deux ans que nous nous inscrivons, et que la durée de présentiel à l’école serait raccourcie. Les chiffres que vous avez donnés tout à l’heure sont conformes à la réalité. La durée en présentiel pourrait être de l’ordre de huit mois et demi, et nous continuons à travailler, y compris sur les contenus. C’est la période de stage professionnalisante, si je puis dire, qui serait plus longue, puisque l’on reste bien dans une enveloppe totale de deux ans, avec le développement parallèle du tutorat au sein de la police nationale, notion que nous allons organiser par les textes, y compris dans son contenu.

Nous avons fait ce choix parce que, quand vous interrogez les élèves sur le contenu de la formation, ils formulent beaucoup de critiques. Actuellement, comme les candidats dans les écoles de gardien de la paix sont recrutés au niveau du baccalauréat – c’est un corps de catégorie B –, il n’est pas complètement stupide de reconsidérer la formation en présentiel et de densifier la formation professionnalisante dans les services eux-mêmes avec du tutorat, toujours dans la même période de deux ans qui ne sera pas modifiée. Ce changement a un petit coût budgétaire – assez marginal – puisqu’à l’école ils sont payés en tant qu’élèves, mais que l’indice budgétaire est un peu supérieur lorsqu’ils deviennent stagiaires. Il ne s’agit donc pas de réaliser des économies.

Par ailleurs, nous sommes dans une phase opérationnelle de définition avant mise en œuvre de ce que l’on appelle des apprentissages partagés, sujet qui n’est pas totalement consensuel, mais assez majoritairement partagé. Il s’agirait de rassembler, en début de scolarité, des élèves gardiens de la paix, des élèves commissaires et des élèves officiers pendant quatre semaines, quels que soient ensuite leur destin professionnel et la scolarité que chacun suivra, afin qu’ils apprennent ensemble les valeurs de la police nationale et de la République et certains gestes techniques de base qui seront évidemment développés ensuite au cours de la scolarité. Il n’est pas facile de concrétiser ce projet, car les durées de scolarité et les calendriers d’entrée à l’école ne sont pas les mêmes. Nous réfléchissons actuellement à faire converger toutes les entrées à l’école, quel que soit le grade, au 1er septembre, afin que les élèves gardiens de la paix, les élèves commissaires et les élèves officiers puissent partager pendant un mois ce que les militaires appelleraient une période de classes. Cela nous semble important pour la cohésion, avec une arrière-pensée en termes de management des cadres en particulier.

Mme Poueyto m’a interrogé sur la pratique et la théorie. J’ai été effectivement en administration territoriale dans le très beau département des Pyrénées-Atlantiques. Je suis même venu à deux reprises dans les Pyrénées-Atlantiques, d’abord comme sous-préfet de Bayonne puis comme préfet à Pau. Il est important pour un directeur général de la police nationale d’avoir été au contact des réalités opérationnelles du terrain. J’ai eu la double chance de le faire en administration territoriale et à la préfecture de police qui est une grande et belle maison dont nous aurions pu parler, notamment en termes de réforme de la police nationale incluant la préfecture de police. Et j’ai également été en cabinet ministériel. Tous ces éléments font que je parle de ce que je commence à connaître un peu.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite revenir sur la question des heures supplémentaires, sujet extrêmement important pour tous les fonctionnaires de police. À combien estimez-vous le stock d’heures supplémentaires accumulées, et comment comptez-vous le résorber, tout en limitant la perte opérationnelle liée aux récupérations ?

M. Éric Morvan. C’est un vaste et coûteux sujet.

Le stock d’heures supplémentaires dans la police nationale est de 23 à 24 millions. Si nous devions les défrayer instantanément et dans leur globalité, cela représenterait un coût de 280 millions d’euros environ, ce qui est budgétairement insupportable. En tout cas, nous n’avons pas les ressources inscrites pour le faire.

L’idée n’est pas de défrayer toutes ces heures supplémentaires, pour deux raisons. D’abord, elles doivent donner lieu à une prise en temps pour des questions de repos ou de respiration physiologique. Ensuite, parce que les fonctionnaires de police souhaitent conserver un petit matelas de sécurité, d’une centaine d’heures au moins, et de puiser dans ce stock pour régler des problèmes liés à leur vie personnelle, ce que tout un chacun peut comprendre tant ce métier est mobilisateur et la charge opérationnelle rude – sans compter qu’ils font souvent l’objet de rappels dans les temps que nous connaissons.

C’est un sujet d’actualité puisque, comme vous le savez, le ministre de l’intérieur a signé, avec les trois organisations représentatives du corps d’encadrement et d’application, c’est-à-dire les syndicats de gardiens et de gradés, un protocole d’accord qui inscrit noir sur blanc, pour la première fois, le terme d’heures supplémentaires, et ouvre la possibilité d’un défraiement de ces heures, sous la condition de parvenir, d’ici à la fin du premier semestre, à un accord global sur le temps de travail, les cycles horaires etc. Nous y travaillons, éclairés par le rapport de l’IGPN, avec l’idée de déterminer les conditions de défraiement de ces heures en termes de valeur budgétaire et d’indiquer ou de poser les règles qui permettront aux fonctionnaires de conserver un matelas d’heures pour les raisons d’organisation de leur vie personnelle que je viens d’évoquer. Cet élément doit être réglé dans le cadre d’un dialogue social, certains fonctionnaires de la police nationale ayant pu accumuler au cours de leur carrière – les cas sont rares mais ils existent – jusqu’à deux, trois ou quatre ans d’heures supplémentaires. Autrement dit, ces personnels peuvent quitter leur service quatre ans avant leur retraite tout en étant rémunérés comme s’ils étaient en activité et en occupant leur poste budgétaire. Ce sont des excès auxquels il faut mettre un terme, tout en acceptant la possibilité qu’ils conservent ce petit matelas dont je parlais à l’instant.

L’autre question à régler, dans le cadre du dialogue, c’est la manière dont nous allons gérer le flux dans les années futures. Si nous revenons devant votre commission dans dix ans parce que nous n’aurons pas mis en place un mécanisme qui aura permis d’éviter de reconstituer ce stock dans le temps, cela signifiera que nous aurons fait une politique de gribouille. Nous sommes en train de réfléchir aux mécanismes que nous devrons financer chaque année pour éviter la reconstitution progressive de ce stock. Les grandes options devront aboutir à une convergence entre les organisations syndicales et l’administration à la fin du semestre. Si l’on peut parvenir, au-delà de la convergence, à une identité de vues, le directeur général de la police nationale en sera encore plus satisfait.

 

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  Audition du 10 avril 2019

M. Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS).

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête avec l’audition de M. Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS).

(Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d’enquête, M. Cédric Renaud prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous évoquer les conditions de travail des policiers municipaux, leurs différentes missions, ainsi que la complémentarité entre les polices municipales et les forces de sécurité de l’État ?

M. Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS). L’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS) est originale en ce qu’elle rassemble ses membres non pas sur la base de leur statut administratif mais sur leur fonction. Cette diversité nous a permis de définir des axes de travail qui n’avaient pas été exploités jusqu’à présent.

Votre commission d'enquête a la tâche d'évoquer la situation des forces de sécurité. 

Nous constatons une fatigue physique et psychologique. La fatigue physique est due à notre travail quotidien, mais elle s’est accrue depuis vingt-deux semaines, avec le mouvement des Gilets jaunes qui nous occupe aux côtés de nos collègues de l’État. Comme j’ai juré de dire toute la vérité, je dois affirmer qu’elle est due également au désengagement de l’État à l’égard de nombre de ses missions, comme en témoigne par exemple la mise en fourrière confiée au secteur privé.

Les polices municipales recouvrent des réalités tellement différentes que les généralisations ne seraient pas justifiables. Au sein de l’ANCTS, qui existe depuis trois ans, nous considérons que les élus et les agents, s’ils sont écoutés, ne sont pas entendus. Je développerai notre constat et nos propositions selon trois axes : l’autonomie des agents des collectivités territoriales, l’approfondissement des compétences existantes, et enfin la façon de renforcer la cohérence du dispositif.

Premièrement, nous demandons davantage d’autonomie. Il faut définir des compétences et des champs d’intervention nouveaux pour les agents des collectivités territoriales, qu’ils soient policiers municipaux, gardes-champêtres ou mêmes agents de surveillance de la voie publique.

Prenons l’exemple du délit de détention de stupéfiants récemment modifié par les parlementaires, qui l’ont sanctionné d’une amende pouvant aller jusqu’à 1 000 euros. La communication faite dans les médias sur ce point a pu laisser croire à une contraventionnalisation de la détention de stupéfiant, alors que ce n’est pas le cas puisque celle-ci reste un délit et que ce délit, même s’il est puni par une simple amende, n’est pas sanctionnable par les policiers municipaux. Cela pose un vrai problème sur le terrain, car les policiers municipaux constatent très fréquemment qu’une personne détient des stupéfiants — en très faible quantité, certes, mais c’est le cas pour l’immense majorité des dealers des villes et des villages de France, car heureusement peu de gens consomment des stupéfiants en grosse quantité. Nous nous interrogeons donc sur l’intérêt de maintenir un délit peu réprimé par les parquets. Il serait souhaitable, pour des quantités inférieures à 5 ou 10 grammes, d’en venir à la contraventionnalisation, en définissant une amende forfaitaire majorée. La verbalisation par procès-verbal électronique (PVE) reposerait sur des moyens de constatation très simples : un test pour vérifier s’il s’agit bien d’une matière stupéfiante, une pesée et une photographie. Une verbalisation immédiate et traitée informatiquement, qui s’élèverait par exemple à 10 euros le gramme de haschisch, aurait plus d’efficacité qu’un rappel à la loi ou une ordonnance pénale rendue trois mois plus tard.

Plus largement, nous nous sommes interrogés sur la qualification judiciaire des agents des collectivités. Comme vous le savez, le système pénal actuel distingue les officiers de police judiciaire (OPJ), les agents de police judiciaire (APJ) et les agents de police judiciaire adjoints (APJA) dont font partie les policiers municipaux et, dans une certaine mesure, les gardes-champêtres. Si cette classification tripartite convient aux agents de l’État, elle n’est pas adaptée aux collectivités territoriales. Le ministère de l’intérieur passe son temps à faire de la chirurgie de précision pour distinguer, parmi les fonctions des APJA octroyées aux agents de l’État, celles qui seront octroyées aux gardes-champêtres, aux agents de police municipale, ou aux agents de surveillance de la voie publique (ASVP), qui deviennent en raison de ces distinctions des APJA incomplets, comme l’explique un article intéressant de la Gazette des communes.

Il serait plus simple de faire des agents de police municipale une qualification à part entière, qui s’ajouterait à la tripartition que j’ai mentionnée. Cela permettrait de les inclure dans l’évolution législative sans avoir à distinguer, parmi les APJA, ceux qui sont concernés par chaque mesure. Permettez-moi de faire le lien avec les contrôles d’identité : le Conseil constitutionnel a censuré la disposition législative qui ouvrait le contrôle d’identité aux agents de police municipale, au motif qu’on ne peut octroyer des pouvoirs d'enquête criminelle et délictuelle à des agents non mis à la disposition des officiers de police judiciaire, ce qui est effectivement le cas des agents de police municipale.

Une fois la nouvelle qualification judiciaire d’agents de police municipale instituée, on pourrait y distinguer deux grades : les agents et les chefs. Cette distinction existe déjà dans les faits, puisque le chef de la police municipale est responsable de la vidéoprotection, de la gestion des procès-verbaux et de l’armement. Une telle qualification judiciaire présenterait l'intérêt de placer les chefs de police municipale sous la direction des parquets, dans une mission de police judiciaire contraventionnelle. Nous resterions alors dans le cadre rappelé par le Conseil constitutionnel, puisqu’il n’y aurait pas d’actes d’enquêtes en matière délictuelle et criminelle, mais seulement en matière contraventionnelle. Le parquet serait garant des libertés publiques. Les agents de la police municipale ne procéderaient ni à des auditions ni à des perquisitions, mais ils pourraient procéder à des contrôles d’identité en matière contraventionnelle. Si une personne résiste au contrôle, les agents de police municipale constateront le délit de non-respect d’un contrôle d’identité, qui peut occasionner une présentation sur le fondement de l’article 73 du code de procédure pénale (CPP). On ouvrirait ainsi le contrôle d’identité aux agents de police municipale et éventuellement aux gardes-champêtres.

Enfin, cette nouvelle qualification présenterait l'intérêt de permettre l’ouverture de l'ensemble des fichiers de police aux agents de police municipale et aux gardes-champêtres. L’expérimentation actuelle d'accès au fichier des immatriculations et au fichier des permis de conduire pourrait se poursuivre et l’on pourrait ouvrir un accès à des modes dégradés du fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS) et du fichier des personnes recherchées (FPR). Ces modes dégradés existent et sont utilisés par les administrations préfectorales. Ouvrir leur accès ne poserait pas de difficulté dès lors que les APM sont placés sous contrôle juridictionnel.

L’expérimentation en cours montre qu’il est nécessaire d’améliorer les modalités de l’accès aux fichiers : alors que les agents de la police nationale et les gendarmes ont un accès instantané à ces fichiers sur leurs smartphones ou leurs tablettes, cet accès à distance n’est pas autorisé pour les policiers municipaux.

Deuxièmement, il faut approfondir les compétences existantes. Monsieur Fauvergue, vous avez évoqué dans le rapport que vous avez rédigé avec Mme Thourot, le dépistage de l’imprégnation alcoolique. Celui-ci a été ouvert aux agents de police municipale sans autorisation d’un officier de police judiciaire jusqu’en 2008. Après cette date, il est devenu nécessaire de constater une infraction, par exemple le non-port de la ceinture de sécurité, pour demander l’autorisation à un OPJ compétent sur ce territoire de dépister le taux d’alcoolémie. Cette décision est étrange, puisque l’acte de dépistage n’est pas devenu plus instrusif en 2008, et que le simple dépistage n’entraîne que la possibilité de présenter l’individu à un OPJ pour chiffrer ce taux d’alcoolémie.

Plus largement, nous souhaiterions voir reconnaître le savoir-faire des collectivités en matière de vidéoprotection. En effet, après la préfecture de police de Paris, qui dispose du plus grand dispositif de vidéoprotection, ce sont les collectivités qui assurent la tranquillité publique et les enquêtes en faisant appel aux différents développeurs de vidéo-protection. Or nous n’avons pas la possibilité de relire nos propres images, qui font l’objet d’une réquisition administrative ou judiciaire, ce qui pose d’énormes difficultés. Les agents de la police municipale, pas plus que les agents de la police nationale et les gendarmes, n’ont la possibilité d’utiliser ces images à des fins de formation, alors qu’il serait très utile de visionner une intervention pour l’évaluer a posteriori, comme nous le faisons pour les caméras-piétons. La nouvelle qualification juridique d’agents de police municipale ouvrirait la possibilité de revenir a posteriori sur des images filmées dans le cadre d’actes d’enquête n’impliquant pas de contrainte sur les personnes ni de perquisition, d’audition ou de placement en garde à vue.

Le pouvoir de mise sous séquestre qui existe déjà pour les gardes-champêtres pourrait être étendu aux policiers municipaux. Il leur permettrait de confisquer des objets découverts sur la voie publique, sans faire de saisie, et de les présenter à l’officier de police judiciaire, améliorant ainsi la garantie de l’intégrité des preuves.

Enfin, comme vous l’avez noté, monsieur Fauvergue, toutes les personnes qui sont à la tête d’une police intercommunale font observer que soumettre chacune des demandes relatives aux agents à chacun des maires des communes membres de l’intercommunalité crée une charge administrative insupportable. Permettez-moi de prendre l’exemple de Saint-Étienne, où j’exerce mon métier. Il y a 53 communes dans l’intercommunalité Saint-Étienne Métropole, de sorte que si celle-ci décide un jour de créer une police intercommunale, l’agrément, la demande d’assermentation et la demande d’armement de chaque agent devra être signé par chacun des maires des 53 communes. Encore s’agit-il d’une collectivité de taille moyenne ; les difficultés sont encore plus graves dans les collectivités plus importantes. Sans parler de transfert de compétences du pouvoir de police, il conviendrait au moins d’envisager une délégation du pouvoir de signature. Il serait très souhaitable que le président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou le vice-président en charge puissent signer les documents administratifs.

Les renforts temporaires mis en place par la police municipale, notamment pour la prise en charge d’événements particuliers, se font aujourd'hui avec des ASVP, ce qui n’est pas sans poser problème, car ils ne peuvent pas régler la circulation ni être armés, par exemple. Nous proposons, à l’image de ce qui existe dans l’armée et dans la police nationale, d’instaurer un système de réservistes composé d’anciens policiers municipaux, qui auront déjà bénéficié d’une formation, d’une assermentation et d’un armement, dispositions qu’il faudrait simplement prolonger de manière temporaire, dans certaines circonstances particulières. Cela n’entraînerait pas de modifications considérables en termes de masse salariale ou d’autorisation administrative.

Troisièmement, la cohérence nous fait cruellement défaut, aussi bien au sein des collectivités qu’en ce qui concerne l’articulation des polices municipales avec nos collègues de la police nationale et nos camarades de la gendarmerie.

Comme mes collègues des syndicats vous l’ont sans doute expliqué, les policiers municipaux ne bénéficient d’aucune formation à l’armement pendant leur formation initiale. Une fois celle-ci achevée, ils doivent suivre des formations préalables à l’armement (FPA) organisées par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) qui comportent un module juridique et des modules techniques différents en fonction des armes qu’ils comptent porter. Leur équipement dépend bien évidemment de la commune qui les emploie : si tous les policiers municipaux ne sont pas équipés d’armes à feu, en revanche, plus de 93 % d’entre eux portent un armement de catégorie B, C ou D. Il serait donc cohérent que cette formation préalable à l’armement, en particulier le module juridique, qui est valable durant toute la carrière de l’agent, ainsi que le module technique relatif au bâton et aux bombes lacrymogènes de petite contenance, qui constituent l’armement de catégorie D, soient intégrés à la formation initiale.

Ensuite, le port d’arme des agents territoriaux est communal, ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés. Par exemple, un agent de police municipale d’une autre commune ne peut porter son arme pour se rendre à une réunion à la préfecture, alors que le port de l’uniforme est obligatoire et qu’il se déplace alors en véhicule sérigraphié. Cette disposition est en contradiction totale avec les règles de sécurité qui s’appliquent dans sa commune. Un port d’arme national nous paraîtrait tout à fait justifié dans la mesure où, bien évidemment, la collectivité d’emploi est tenue de délivrer des ordres de mission à chaque fois qu’un agent sort de la commune. Le maire et le directeur du service seraient donc les garants du port d’arme en tenue sur un territoire extérieur à celui de la commune.

En outre, les séances d’entraînement au tir organisées exclusivement sous la tutelle du CNFPT n’offrent aucune souplesse aux directeurs et aux maires qui désireraient que certains de leurs agents bénéficient d’un entraînement plus important. En effet, le CNFPT, dans la plupart des délégations, limite à six par an le nombre de séances ouvertes aux agents, ce qui est insuffisant pour entraîner un agent en difficulté ou pour passer à des armes techniquement supérieures. Les collectivités qui le souhaitent devraient pouvoir envoyer leurs agents s’entraîner sur le territoire d’une autre commune, ce qui est aujourd'hui impossible sans une convocation du CNFPT.

De même, le nombre de cartouches détenues par les communes est limité à 50 par arme à feu. Avant l’octroi de pistolets semi-automatiques, cela pouvait paraître suffisant, puisqu’un revolver ne contient que six cartouches, ce qui fait monter à 12 cartouches la dotation par agent avec un dispositif de rechargement. En revanche, un pistolet semi-automatique comme le Glock 17 comprend deux chargeurs de 17 cartouches, de sorte que ne sont disponibles pour l’entraînement que 25 cartouches par arme, ce qui, dans les gros services, pose de réelles difficultés. Nous nous interrogeons donc sur la pertinence de cette limitation, alors même que les forces de sécurité étatiques contrôlent régulièrement, au moment de la demande d’acquisition et de détention auprès des préfectures, la capacité des communes à stocker en sécurité ces munitions et cet armement. Pourquoi ne pas imaginer une convention avec le CNFPT qui permettrait aux communes ou aux intercommunalités qui le souhaitent d’être autonomes en matière de formation ?

Au chapitre social, nous avons constaté que les agents de police municipale étaient considérés comme une catégorie active au sens de l’article L. 24 du code des pensions civiles et militaires, ce qui leur permet de partir à la retraite à 57 ans. En revanche, les agents de catégorie B en police municipale, c'est-à-dire les chefs de service et les directeurs de police municipale, sont considérés comme sédentaires, alors que la plupart d’entre eux accompagnent leurs agents sur le terrain. Là encore, il est indispensable de constituer une catégorie cohérente, ce que l’on peut faire par un simple arrêté.

L’appellation des grades et les galons ont été maintes fois évoqués. Ce sont des mesures symboliques, mais dans les corps en uniforme, les symboles sont extrêmement importants, et c’est encore plus vrai dans un contexte morose. L’appellation « agent de police municipale » ne pose pas de difficulté, mais « chef de service » et « directeur de police municipale » sonnent comme une fonction plutôt que comme un grade. Il suffit de comparer ces appellations avec celles de sapeurs-pompiers, qui sont aussi des fonctionnaires territoriaux, pour voir que la situation actuelle n’est pas cohérente.

La composition des tenues est définie de manière extrêmement stricte par décret. À partir du moment où l’on a décidé qu’elle ne doit pas ressembler à la tenue des policiers nationaux ni à celle des gendarmes, pourquoi limiter les effets ? Certains agents ou certains membres de l’encadrement exercent des recours devant les tribunaux parce que tel ou tel effet d’uniforme n’est pas conforme au décret. Nous avons tous beaucoup mieux à faire que nous préoccuper de cela.

Le port de la tenue est théoriquement obligatoire. Le port de la tenue civile devrait être possible pour les missions administratives et non pour les missions de police, sans port d’arme, bien évidemment. Mais cette disposition risque elle aussi de mettre les cadres de la sécurité en difficulté vis-à-vis d’agents qui ont parfois d’autres motivations que le bon comportement dans la profession.

La sérigraphie des véhicules pose des problèmes similaires. Je pense avec émotion à mes collègues assurant des astreintes dans des secteurs urbains difficiles qui se déplaçant en tenue et en véhicule sérigraphié avec gyrophare, doivent se montrer très imaginatifs pour le garer dans un lieu sûr afin d’éviter qu’il ne soit détruit. L’utilisation de véhicules civils ou avec une sérigraphie allégée devrait être possible pour certaines catégories de personnels.

Ensuite, le cadre d’emploi de catégorie A, c'est-à-dire de directeur de la police municipale, n’est pas attractif. Je vous ai fait parvenir les propositions de notre association. Nous ne sollicitons pas un régime d’exception : nous demandons seulement que la filière de la police municipale bénéficie de la même organisation que la filière technique, la filière administrative ou celle des sapeurs-pompiers, avec un cadre d’emploi de catégorie A d’encadrement qui ouvre l’accès à la fonction par un concours de niveau « bac + 3 » ou « bac + 5 » et un cadre de direction et de coordination, comme les contrôleurs généraux des sapeurs-pompiers. Enfin, la filière des agents de police municipale de catégorie C ne distingue que deux grades, alors que la filière des sapeurs-pompiers en comporte trois. Cette différence ne nous paraît pas justifiée ; elle limite l’attractivité de la police municipale pour les jeunes agents.

Monsieur le rapporteur, vous m’avez interrogé sur les échanges entre la police municipale, les cadres territoriaux et l’État. Ces échanges ne sont pas assez réguliers ; ils génèrent des frustrations et de l’incompréhension. Au niveau national, il existe une commission consultative des polices municipales (CCPM) qui est très peu consultée — j’en parle avec d’autant plus d’objectivité que l’ANCTS n’en est pas membre. Depuis le changement de législature, elle n’a été convoquée qu’une fois, mais elle n’est pas consultée sur les sujets importants, comme les caméras-piétons, les bombes lacrymogènes, ou sur votre rapport, monsieur Fauvergue. 

Pour résumer, nous avons le sentiment que si nous ne hurlons pas, nous ne sommes pas entendus. L’État méconnaît les compétences des policiers municipaux et des collectivités territoriales. Nombre des contrôleurs généraux des délégations de service public (DSP) nous ont demandé pourquoi nous ne réquisitionnions pas nos agents pour les manifestations des Gilets jaunes, alors que le pouvoir de réquisition des policiers municipaux par les collectivités territoriales n’existe pas. L’État doit s’organiser de manière à contrôler plutôt qu’à agir lui-même. Il doit tenir compte des nouveaux acteurs que sont les communautés urbaines, les métropoles, les départements, les régions ? Le Sénat pourrait être un interlocuteur, en tant qu’il représente les collectivités

Les réponses que nous apporte le ministère de l’intérieur sont parfois affligeantes. À une question parlementaire sur la création de nouveaux cadres d’emploi, il a répondu qu’il fallait appliquer les règles définies par le protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR). Le ministère de l’intérieur se préoccupe des Gilets jaunes et du terrorisme, mais il n’a pas le temps de s’occuper des policiers municipaux. Quand on sait que le ministère de l’intérieur disposait en 2017 de 294 700 équivalents temps plein et de 75 préfets hors cadre, nous nous interrogeons très respectueusement sur la manière dont ces moyens sont utilisés.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Vous voudriez instituer une nouvelle qualification judiciaire d’agent de police municipale, alors qu’actuellement ils font partie de la catégorie des agents de police judiciaire adjoints. La grande majorité des syndicats de la police municipale, que nous avons interrogés au moment de rédiger le rapport avec Alice Thourot, ne revendiquaient pas de qualification judiciaire supérieure. Sachant que la qualification judiciaire est une qualification nationale qui s’applique aux corps de la police et de la gendarmerie, et qui n’est pas restreinte à un territoire particulier, comment s’intégrerait-elle dans le code de procédure pénale ?

Par ailleurs, que pensez-vous de la création d’une école nationale de police municipale ?

M. Cédric Renaud. Les syndicats de police municipale ont répondu à la question de savoir s’ils demandaient d’autres compétences judiciaires, en particulier s’ils sollicitaient d’intervenir dans le champ délictuel, ce qui impliquerait d’octroyer la qualification d’agent de police judiciaire aux policiers municipaux.

Notre réflexion est un peu différente, car elle prend sa source dans une synthèse des besoins des services, à savoir la verbalisation, l’exploitation de la vidéo-protection et la question des contrôles d’identité. Nous répondons à ces besoins par la création d’une nouvelle qualification qui rendrait les agents de police municipale compétents pour l’ensemble du champ contraventionnel et pour le contrôle d’identité. Il ne s’agit donc pas d’inclure les agents de police municipale (APM) dans le triptyque constitué par les APJA, les APJ et les OPJ, mais, comme cela a été fait pour les officiers des douanes judiciaires, de créer une qualification à part. Cela permet de tenir compte du fait que les agents des collectivités territoriales, par leur formation, leur emploi et leurs compétences, ne sont pas des agents de l’État et ont par conséquent beaucoup de difficulté à entrer dans le triptyque que j’ai exposé.

Nous n’avons pas parlé d’une école nationale de police municipale, parce que sa définition nous paraît poser de nombreuses questions. Nous n’avons pas de réserves sur le concept d’école, qui désigne un lieu unique de formation. En revanche, qui assurera la formation et la tutelle de cette école ? La confier au CNFPT permettrait de stabiliser des équipes pédagogiques et de ne plus avoir recours à des cabinets qui dispensent une formation de qualité variable dans des centres multiples, ce qui est inefficace. En revanche, nous sommes réticents à confier cette tutelle à la direction générale de la police nationale (DGPN) et à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), comme certains syndicats l’ont proposé. Notre position à l’égard d’une école nationale de la police municipale dépend de la manière dont ces questions seront résolues.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut renforcer la collaboration entre les polices municipales et les forces de sécurité intérieure. Néanmoins, ne pensez-vous pas qu’il faut distinguer entre les polices municipales en ce qui concerne le partage de fichiers ? En effet, la situation est différente dans un petit village où n’exerce qu’une seule personne, qui est plutôt garde-champêtre que policier municipal, et dans la métropole de Saint-Étienne, que vous avez évoquée : le niveau de qualification, l’expérience sur le terrain et les possibilités d’adaptation aux informations que les agents reçoivent ne sont pas les mêmes. 

Par ailleurs, la réserve de la police nationale compte actuellement 6 000 personnes et celle de la gendarmerie nationale 35 000. Cela constitue une force véritable. Quel effectif envisageriez-vous pour une réserve de la police municipale ? Comment le budget serait-il calculé ?

Enfin, êtes-vous favorable au pouvoir de réquisition des policiers municipaux par les collectivités territoriales ?

M. Cédric Renaud. Les mesures que nous proposons peuvent s’appliquer à toutes les polices municipales sans surcoût particulier. Nous proposons ainsi d’ouvrir le champ des possibles. Il en va des policiers municipaux comme des OPJ de la police ou de la gendarmerie, qui exercent différemment leurs missions suivant leur territoire d’affectation. On peut décider qu’un agent de police municipale a la capacité de relire des images de vidéo-protection, de faire un contrôle d’identité et de dépister l’alcoolémie. Toutefois, si le maire de sa commune ne le lui demande pas et qu’il n’a pas à le faire, il y sera formé mais il n’exercera pas ces fonctions. Ouvrir des possibilités ne revient pas à créer des obligations : les petites polices municipales, les gardes-champêtres, ne seront pas contraintes d’utiliser ces compétences. Il ne s’agit pas de forcer la main aux élus.

S’agissant de la réserve, nous pensons qu’il serait souhaitable de s’assurer de la disponibilité d’agents ayant l’âge de la retraite ou ayant choisi avant l’âge de la retraite d’exercer un autre métier. On leur proposerait de revenir de manière ponctuelle, au moment de la fête de la musique ou du passage du Tour de France, en les payant à la vacation. Aujourd'hui, la fonction publique territoriale ne peut pas employer ce type d’agents de manière ponctuelle. Il ne s’agit pas, au rebours de ce que font la gendarmerie et la police nationale, de recruter des personnes qui n’ont jamais été gendarmes ou policiers, de les former et de les employer comme appoint. Ce serait effectivement difficile pour les collectivités territoriales puisqu’il n’existe pas d’organisme de formation unique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Si l’on crée une école de la police municipale, elle pourra tout à fait comporter une spécialité consistant à former les réservistes.

M. Cédric Renaud. Sans doute, mais la doctrine de l’ANCTS est la suivante : nous n’avons pas vocation à remplacer les élus. Ce sont nos patrons et ils bénéficient de la légitimité électorale. Nous n’avons pas le sentiment cependant que les élus locaux ont besoin d’une force à disposition, mais ils ont besoin de forces d’appoint, pour remplacer des agents en arrêt maladie ou en congé maternité, par exemple, d’autant plus que le mécanisme de recrutement et de formation d’un agent de police municipale est relativement long, puisqu’il dure un an et demi en moyenne. Nous avons donc besoin de forces d’appoint, mais il n’est pas nécessaire qu’elles soient très nombreuses.

Enfin, mesdames et messieurs les députés, c’est à vous de juger s’il faut instituer un pouvoir de réquisition. Si l’on considère que la police municipale est une fonction indispensable des collectivités territoriales, alors ce pouvoir est nécessaire. En revanche, si l’on considère que la police municipale est une fonction accessoire, il ne faut pas instituer de pouvoir de réquisition. Vous devez en débattre avec les élus locaux plutôt qu’avec nous.

M. Rémi Delatte. Je remarque que les policiers municipaux expriment à travers vous un fort besoin de valorisation et de reconnaissance. Permettez-moi de vous poser trois questions.

Faut-il étendre le port d’arme hors de la commune d’exercice ?

Est-il souhaitable de développer les polices intercommunales ?

Enfin, lorsque des gendarmes ou des policiers nationaux veulent intégrer la police municipale, ils doivent suivre une formation très longue assurée par le CNFPT. Cela vous paraît-il justifié ?

M. Cédric Renaud. Le besoin de valorisation des policiers municipaux vient du décalage entre notre expérience sur le terrain, où nous sommes très employés et où on nous fait sentir que nous sommes indispensables, et l’écoute que nous rencontrons de la part des autorités lorsque nous exprimons nos revendications.

En ce qui concerne l’armement, notre position est nuancée. Nous ne sommes pas favorables à la généralisation de l’armement mais nous nous employons à convaincre l’ensemble des élus. Armer un agent implique de prendre en compte la possibilité qu’il fasse un mauvais usage de son arme, envers lui-même ou envers les autres. Or rien ne serait plus dévastateur que de voir un agent abandonné par son élu, qui se retrancherait derrière l’argument d’après lequel c’est l’État qui lui a imposé le port d’arme. En revanche, nous sommes persuadés qu’aujourd'hui l’armement est indispensable à la sécurité des agents. Auparavant, l’armement était un marqueur des missions, tandis qu’aujourd'hui, il est lié à la fonction. Pensons à notre collègue de Montrouge assassinée en 2015 parce qu’elle portait un uniforme de la police municipale.

En ce qui concerne l’intercommunalité, notre position est également nuancée. Les effectifs de terrain ne doivent pas être mis en commun au niveau de l’intercommunalité. En effet, ce qui fait la force des polices municipales, c’est la proximité, ce qui implique un territoire réduit. En général, les intercommunalités sont centrées autour d’une ville plus grande que les autres et comprennent de nombreuses villes satellites. Si l’on augmente l’effectif de la ville-centre et qu’on étend son action à l’ensemble de l’intercommunalité, on court le risque de diluer l’action de proximité. En revanche, certaines fonctions peuvent être gérées au niveau de l’intercommunalité, par exemple la police des transports, la formation, le centre de supervision urbain (CSU) et les fonctions qui lui sont associées. Tirons les leçons de l’expérience de la communauté d’agglomération Roissy-Pays-de-France, qui a été la première à créer une police intercommunale, mais où on a ensuite vu renaître des polices municipales, pour corriger le fait que la proximité avait disparu.

Quand je recrute des policiers ou des gendarmes – j’ai moi-même reçu une formation de gendarme –, je leur tiens le discours suivant : « Bienvenue dans la police municipale. Partez du principe que vous apprenez un nouveau métier, par exemple celui de menuisier. Il ne s’agit pas d’oublier ce que vous avez fait, mais de prendre conscience que vous exercez désormais un métier radicalement différent ». En effet, au-delà de la question de l’équipement et de celle des prérogatives, l’état d’esprit de la police municipale est radicalement différent de celui de la police nationale et de la gendarmerie. Je ne me prononce pas sur la question de savoir s’il est meilleur ou pire, mais je constate qu’il est différent. La formation initiale constitue un passage. Un policier ou un gendarme, qui a bénéficié d’une formation initiale de qualité, va exercer un autre métier, dans lequel il réemploiera sans doute certaines des compétences qu’il a préalablement développées, mais qui demeure différent. Par conséquent, la formation peut sans doute être adaptée ou accélérée pour les policiers nationaux ou les gendarmes, mais elle ne saurait être supprimée.

M. Jean-Claude Bouchet. Quelle est la représentativité de l’ANCTS ?

Y a-t-il une véritable volonté d’autonomie de la part de toutes les polices municipales ?

Enfin, le partenariat entre les polices municipales et la police nationale peut-il être remis en cause si les polices municipales prennent davantage d’autonomie ?

M. Jean-Louis Thiériot. Permettez-moi, en tant qu’élu rural de Seine-et-Marne, de poser une question sur les évolutions actuelles. A-t-on encore besoin de gardes-champêtres ? Est-il légitime de conserver ce statut ou devraient-ils être intégrés à la police municipale ?

Mme Marietta Karamanli. L’armement est-il le seul moyen de protéger les citoyens sur le terrain, ou cette protection passe-t-elle par d’autres moyens, par exemple des moyens humains ou une redéfinition du mode opérationnel ?

M. Joaquim Pueyo. Vous savez très bien que les syndicats de police municipale réclament tous l’armement des agents. Des pressions s’exercent sur les maires qui n’ont pas fait le choix de l’armement létal. Pensez-vous qu’il faut laisser à chaque maire, qui est officier de police judiciaire, le soin de faire ce choix, alors même qu’il peut subir des pressions ? Ne faudrait-il pas légiférer afin que toutes les polices municipales soient logées à la même enseigne ?

M. Cédric Renaud. L’ANCTS regroupe une centaine de membres répartis sur l’ensemble du territoire, y compris les outre-mer, ce qui représente à peu près 5 000 policiers municipaux. Notre association est jeune : elle a été créée il y a trois ans.

Les policiers municipaux veulent remplir jusqu’au bout les missions qu’ils accomplissent déjà. Mes collègues des syndicats ont évoqué l’exemple des dépôts d’immondices : il est très difficile de motiver les policiers et les gendarmes pour enquêter sur ce sujet. C’est pourquoi il faut autoriser les actes d’enquête menés par les policiers municipaux.

Nos collègues de la police et nos camarades de la gendarmerie sont généralement contents de travailler avec nous. Ils seraient disposés à nous confier davantage de missions que celles que j’ai évoquées, comme les fourrières sur les terrains privés ou les fermetures des débits de boisson qui sont aujourd'hui assurées par les préfectures. Néanmoins, notre souci de la cohérence de nos missions nous pousse à nous concentrer sur les revendications que je vous ai exposées.

Je suis un grand défenseur de gardes champêtres, ayant rédigé mon mémoire de master 2 sur cet emploi. Néanmoins, comme le reconnaît Jacques Armesto, le président de la Fédération nationale des gardes champêtres communaux et intercommunaux de France, ils rencontrent actuellement un vrai problème de progression des carrières. Je pense qu’il faut conserver le statut de garde-champêtre afin qu’existe un représentant de l’ordre rattaché à la commune dans le monde rural. En revanche, la fusion des cadres d’emploi proposée par M. Fauvergue et Mme Thourot me paraît inéluctable, d’autant plus qu’elle ouvre paradoxalement des possibilités à ces agents.

L’armement est un moyen de défense des agents. Nous faisons de la police de proximité et nous le revendiquons. Pour certaines de nos fonctions, en effet, nous n’avons pas besoin d’un pistolet mais nous devons être en mesure de réagir lorsque, dans un petit village, on braque la boulangerie avec un couteau, un fusil de chasse ou même une arme de guerre. Nous ne pouvons pas dire aux policiers municipaux d’intervenir avec un bâton de protection télescopique, car ce serait extrêmement dangereux. L’insuffisance de notre armement pose également problème dans la coopération avec les forces étatiques.

Nous savons que certains maires subissent des pressions. Quant à nous, nous avons pour credo de convaincre les élus. Les obliger serait contre-productif, car un certain nombre de maires supprimeraient la police municipale et emploieraient des gardes urbains, des ASVP ou des médiateurs pour faire le travail de la police municipale. C’est précisément ce que nous voulons éviter. Il faut amener les élus à parler avec leurs agents, à prendre conscience de la nécessité d’armer les policiers municipaux et à s’en expliquer devant leurs électeurs, à travers une justification publiée au moment du vote par le conseil municipal. Rendre l’armement obligatoire pourrait donc avoir des effets extrêmement contre-productifs.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous vous remercions pour l’ensemble des précisions que vous nous avez apportées.

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  Audition du 10 avril 2019

Le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale et  lieutenant-colonel Sébastien Thomas, chef de la synthèse budgétaire auprès de la sous-direction des affaires financières.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous poursuivons nos travaux par l’audition du général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, accompagné par le lieutenant-colonel Sébastien Thomas, chef de la synthèse budgétaire auprès de la sous-direction des affaires financières. Je souhaite d’abord vous remercier tous les deux pour votre présence. Nous souhaitons aborder avec vous de multiples sujets : les effectifs et les moyens des forces de gendarmerie, leur organisation et leurs modes d’intervention, en particulier en matière de maintien de l’ordre.

Je rappelle que conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

(Le général Richard Lizurey et le lieutenant-colonel Sébastien Thomas prêtent successivement serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le rapport examinera principalement les questions relatives aux effectifs et au maintien de l’ordre en ce qui concerne la gendarmerie mobile, à l’immobilier ainsi qu’à l’équipement en ce qui concerne la gendarmerie départementale. La diminution des escadrons de gendarmerie en 2011 pose aujourd’hui de réels problèmes d’effectifs, qui ont conduit à demander aux gendarmes départementaux d’accomplir des missions qui ne relevaient pas de leur compétence.

Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. Mesdames et messieurs, je suis ravi d’intervenir devant vous au sujet de l’évolution du maintien de l’ordre, laquelle a commencé bien avant le 17 novembre dernier. En effet, nous avons tiré des enseignements d’opérations conduites dans l’Ouest de la France en 2018, notamment à Notre-Dame-des-Landes.

Permettez-moi de commencer mon intervention en rendant hommage à l’ensemble des personnels de la gendarmerie nationale pour leur engagement au quotidien. Les gendarmes ont été confrontés à des événements exceptionnels par leur intensité et leur durée. C’est la gendarmerie départementale qui a reçu le premier choc. La gendarmerie mobile est sous tension depuis le 17 novembre au moins, car les engagements opérationnels sont constants, en particulier le week-end. Le 8 décembre, 6 000 réservistes sur les 30 000 que comprend la réserve étaient présents sur le terrain, ce qui est une performance exceptionnelle. Les réservistes s’engagent également de manière constante et déterminée, malgré des difficultés en matière de moyens et un certain nombre de blessés. On compte actuellement plus de 460 blessés dans le rang, principalement en lien avec la crise des « Gilets jaunes ».

Je souhaite également rendre hommage aux fonctionnaires de la police nationale, dont l’engagement est tout aussi remarquable et constant. Les deux forces méritent le respect, d’autant plus qu’elles sont souvent injustement attaquées, parfois sur la base de documents tronqués, d’allégations ou de fake news. Les deux forces vivent toujours difficilement les attaques qu’elles subissent alors qu’elles sont engagées au quotidien, avec abnégation, sens du sacrifice et du service public. L’ensemble des forces de sécurité intérieure, y compris le corps préfectoral, est engagé face à ce mouvement d’une ampleur et d’une durée inédites.

Comme vous l’avez rappelé, en 2011,15 escadrons de gendarmerie mobile ont été dissous. Depuis, un autre a été recréé, de sorte que la situation actuelle présente un déficit de 14 escadrons par rapport à la situation antérieure à 2011. En outre, la gendarmerie mobile accomplit des missions qu’elle n’assumait pas antérieurement. Ainsi, un grand nombre d’escadrons sont engagés dans la lutte contre l’immigration clandestine, à la frontière italienne ou dans le Calaisis. Cette mission nouvelle engage dans la durée des effectifs qui auparavant étaient consacrés au maintien de l’ordre.

La conjonction de la diminution du nombre d’escadrons et de leur engagement dans des missions nouvelles conduit à une situation sous contrainte. Depuis trois ans, un effort a été consenti : plusieurs plans de renforcement des forces de sécurité ont augmenté les effectifs en créant un cinquième peloton dans 22 escadrons, ce qui leur augmente leur marge de manœuvre. Compte tenu de la durée du mouvement des « gilets jaunes » et de l’intensité de l’engagement, il me paraît raisonnable d’envisager une augmentation des effectifs des autres escadrons pour donner de la souplesse au commandant de l’unité et lui permettre de faire tourner les effectifs, tandis qu’à l’heure actuelle, certains gendarmes mobiles sont engagés tous les week-ends et rencontrent par conséquent des difficultés dans leur vie personnelle et familiale. Nous réfléchissons donc à une augmentation des effectifs des unités de gendarmerie mobile dans le cadre des effectifs qui nous sont alloués. Il s’agit donc de créer des postes dans les escadrons de gendarmerie mobile, dans la limite des effectifs globaux de la gendarmerie, lesquels progresseront de 2 500 postes d’ici 2022, sur les 10 000 prévus pour les forces de sécurités intérieures. Certains d’entre eux sont partis pour trois mois outre-mer au début du mois de février alors que, depuis le 17 novembre, ils n’avaient pas eu un jour de repos à l’exception de Noël ou du Nouvel an. Nous devons tenir compte des difficultés des militaires à mener leur vie personnelle, tout en continuant de remplir nos missions, car tel est notre devoir.

La situation de la gendarmerie départementale est totalement inédite. Il y a six mois, je vous aurais dit que les gendarmes départementaux ont vocation à assurer la sécurité publique et non le maintien de l’ordre. De même, je vous aurais dit que les gendarmes volontaires, qui sont des jeunes recrutés sur des contrats courts d’une durée de un à six ans — chez nous ils restent en moyenne deux ans et demi — n’ont pas vocation à faire du maintien de l’ordre, pas plus que les réservistes. En réalité, dans la situation actuelle, tous sont amenés à participer au maintien de l’ordre, car tous peuvent être les premiers à arriver sur les lieux d’un trouble public. Ils doivent alors prendre les premières mesures et se protéger eux-mêmes, ce qui implique qu’ils disposent d’un certain équipement.

Nous avons distribué tout le matériel que nous avions en stock dès le début du mois de décembre 2018. Nous travaillons à doter les groupements d’un volant de 30 à 40 équipements, tels que des casques, des jambières ou des boucliers, qui seront octroyés aux gendarmes départementaux dans les zones les plus sensibles. Les gendarmes départementaux doivent être correctement équipés lorsqu’ils arrivent sur le site et être capables de prendre les bonnes décisions. Pour ce faire, nous avons engagé depuis trois semaines un stage de formation des commandants de peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) à Saint-Astier. Au cours de cette formation d’une semaine, ils acquièrent le socle des connaissances en matière de maintien de l’ordre, de manière à développer des réflexes qui leur permettent d’intervenir avec discernement et fermeté face à un trouble de l’ordre public. Cette situation inédite nous conduit donc à former les gendarmes départementaux afin qu’ils viennent en renfort des forces de police dans leur zone, comme c’est arrivé lorsque la préfecture du Puy-en-Velay a fait l’objet d’une agression caractérisée.

Cependant, il ne faut pas considérer que les gendarmes départementaux changent de métier et qu’ils se transformant en gendarmes mobiles. En effet, le maintien de l’ordre est un métier pour lequel il faut être formé. Un individu qui n’a pas reçu la formation adéquate peut présenter un danger pour la sécurité des personnes, aussi bien celle des manifestants que celle des forces de l’ordre. Toutefois, il nous appartient en tant qu’autorité hiérarchique de former nos personnels pour qu’ils puissent intervenir lorsque la situation l’exige.

Le mouvement des « Gilets jaunes », qui fait suite à d’autres opérations majeures de maintien de l’ordre, met notre modèle à l’épreuve. Le ministre a donc souhaité que nous réfléchissions à un schéma national du maintien de l’ordre afin d’anticiper les évolutions et de nous y adapter, en procédant à une analyse comparative de ce qui se fait à l’étranger. En effet, si le maintien de l’ordre est un métier, ce n’est pas non plus une science exacte. Il évolue beaucoup selon le contexte géographique, selon les manifestants et selon le moment. Si on observe la cinétique du mouvement des « gilets jaunes », on constate que la situation est calme le matin, mais qu’elle se dégrade le midi et dégénère le soir, alors que ce sont souvent les mêmes personnes qui sont en face de nous. Le spectre de la violence évolue alors même que les populations ne changent pas. Nous avons déjà connu cette situation, mais aujourd’hui l’échelle est différente.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. De plus en plus de femmes sont chargées du maintien de l’ordre, aussi bien dans les escadrons et dans les compagnies de sécurisation et d’intervention que dans la police nationale. Avez-vous l’intention de poursuivre cette évolution ?

Plus généralement, les femmes représentent environ 40 % des effectifs de la police nationale, un peu moins dans la gendarmerie. Or on sait que la police et, dans une moindre mesure, la gendarmerie, rencontrent des difficultés de recrutement. Avez-vous une politique de recrutement spécifique en direction des femmes pour contrer cette baisse de vocation ?

Général Richard Lizurey. Les femmes représentent 20 % des effectifs de la gendarmerie toutes catégories confondues, pourcentage qui tend à augmenter de 1 % par an. Jusqu’en 1998, le ministère de la défense avait établi un quota interdisant de recruter plus de 7 % de personnel féminin dans le rang. Depuis que ce quota a été supprimé, un certain nombre de postes ont été ouverts. Si le corps des officiers de la gendarmerie mobile était ouvert aux femmes, le dernier bastion de la masculinité, si je puis dire, était constitué par les sous-officiers de la gendarmerie mobile. Depuis trois ans, nous avons été amenés à ouvrir ce corps aux personnels féminins, de sorte qu’aujourd’hui tous les métiers et tous les postes de la gendarmerie leur sont accessibles.

La féminisation a été progressive : elle a d’abord concerné trois escadrons, puis nous l’étendons en faisant en sorte que plusieurs femmes arrivent ensemble dans chaque nouvel escadron. Actuellement, environ 400 femmes exercent dans la gendarmerie mobile. S’il y a eu quelques questionnements au départ, aujourd’hui elles sont très bien intégrées. Les femmes font le même travail que leurs collègues masculins, avec le même engagement. Vous avez peut-être vu en décembre dernier dans les journaux la photographie d’une Marianne face à une gendarme mobile. J’ai félicité cette dernière pour son action et pour l’image qu’elle donne des jeunes femmes dans la gendarmerie mobile, pour son regard ferme et bienveillant. Ce qui définit en effet la gendarmerie mobile, c’est la fermeté et la bienveillance, avec le souci permanent de la désescalade. Force est de reconnaître que les jeunes femmes ont la capacité de tempérer les ardeurs et d’apporter de la sérénité, de sorte que la situation se calme un peu plus facilement. En somme, le nombre de jeunes femmes est en augmentation.

Je n’ai pas connaissance de difficultés de recrutement, ni au niveau global, ni au niveau local. À la sortie du stage, les femmes comme les hommes choisissent la gendarmerie mobile ou la gendarmerie départementale, en fonction de leur classement. On ouvre toujours des places supplémentaires de manière à ce que personne ne soit choisi par une subdivision d’arme par défaut.

Nous avons aménagé les infrastructures immobilières pour tenir compte de la féminisation. Nous ne rencontrons qu’un problème d’équipement mineur, à savoir l’adaptation des protections du torse à la morphologie féminine.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. J’ajouterai que les femmes n’ont pas été épargnées par les événements récents.

Général Richard Lizurey. Effectivement, elles sont en première ligne, comme les hommes.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. D’après les personnes que nous avons auditionnées, on assiste à un désarmement de la gendarmerie départementale, marquée par exemple par le retrait des fusils à pompe, qui étaient l’une des seules armes capables de stopper un véhicule. Ces fusils ont été remplacés par des HK UMP 9 millimètres qui n’ont pas la même efficacité. Ne serait-il pas nécessaire de rétablir l’usage de ces fusils à pompe pour les PSIG ?

De même, dans la gendarmerie départementale, un effectif de 16 gendarmes dispose environ de deux casques lourds et de deux boucliers, ce qui paraît peu. Même en admettant que le maintien de l’ordre ne soit pas le rôle premier de la gendarmerie départementale, ne serait-il pas nécessaire d’augmenter le ratio d’équipement ?

Que pensez-vous de la mise en place de caméras-piétons sur la voie publique et dans le cadre du maintien de l’ordre ?

Dans la gendarmerie mobile, je crois avoir compris que le cinquième peloton n’est pas la solution idéale. Comme vous l’avez dit vous-même, il paraît préférable de répartir ces effectifs de 300 personnes dans les 22 pelotons. Élever le nombre de gendarmes par escadron de 115 à 130 personnes requiert 1 600 personnes, dont les 300 gendarmes des cinquièmes pelotons qui seraient redistribués. Il faudrait donc recruter environ 1 300 gendarmes mobiles. Pensez-vous que cela est envisageable ? Avez-vous le budget pour le faire ? Quelle durée vous paraît nécessaire ?

Les drones ou les caméras sur les Irisbus vous paraissent-ils utiles au maintien de l’ordre ? Comme les « Gilets jaunes » nous l’ont montré, des vidéos tournées par des amateurs peuvent parfois mettre les gendarmes ou les policiers en porte-à-faux. Équiper les escadrons et former un ou deux gendarmes mobiles dans chaque escadron ne coûterait pas très cher.

Nous constatons un manque de gendarmes ayant le permis poids lourd. Pensez-vous qu’il faut augmenter les quotas de permis poids lourd passés chaque année ?

La plupart des actes de mécanique sont actuellement sous-traités. Ne pensez-vous pas qu’il serait souhaitable de former de nouveau des gendarmes spécialisés en mécanique de manière à réaliser ces actes ? Les compétences seraient disponibles sur place, ce qui éviterait d’envoyer les véhicules relativement loin et coûterait moins cher.

Que pensez-vous d’une loi de programmation sur la sécurité intérieure pluriannuelle ? Elle permettrait d’envisager des investissements immobiliers à court terme. Que pensez-vous de la mise en réserve de 3 % prise systématiquement sur le budget, étant donné l’état actuel de l’immobilier ? La moyenne d’âge des bâtiments domaniaux est de quarante-deux ans, et les moyens sont insuffisants pour les entretenir correctement.

Le montant de la dotation financière des unités élémentaires (DFUE) est très faible : elle s’élève à environ 2 000 euros pour l’entretien et la réception des personnes d’une brigade de 19 gendarmes. Ne pensez pas qu’il faut revoir le mode d’attribution de la DFUE ?

Général Richard Lizurey. Je ne me souviens pas qu’un fusil à pompe ait arrêté un véhicule, surtout avec les cartouches dont on dispose ; ce n’est pas sa fonction. Il a été mis en place à une époque où on ne disposait ni de HK UMP ni de FAMAS et il avait une fonction dissuasive, car il correspondait à l’image du chasseur.

Nous rencontrons une difficulté qui m’a conduit à limiter le nombre d’armes différentes dans les unités : à force de mettre en place des moyens divers, on alourdit l’ergonomie de ce qu’emporte le gendarme en service. Cela pose problème pour entrer dans les véhicules, dans lesquels les gendarmes passent souvent plusieurs heures harnachés. J’ai pu constater dans un PSIG que j’ai visité il y a deux ans, que les personnels se déséquipaient pour entrer dans la voiture et se rééquipaient en en sortant, ce qui diminue évidemment la réactivité. Or lorsqu’on est confronté à une situation opérationnelle, on dispose de très peu de temps pour réagir. Il ne faut pas complexifier cette réaction en multipliant les armes entre lesquelles il faut choisir. En outre, cela crée un problème juridique, puisque le choix d’une arme plutôt que d’une autre engage la responsabilité du gendarme. Les personnels sont parfois mis en cause, alors qu’il est plus facile de choisir a posteriori l’arme adéquate sur la base de la liste des armes emportées que de choisir son arme en une demi-seconde, au cours d’une opération.

Pour être efficace, il faut revenir aux choses simples : un armement habituel et opérationnel. Or il me semble que le fusil à pompe n’est pas l’arme la plus adaptée aux missions exercées. En revanche, nous menons un travail de réflexion appuyé sur la modernisation et l’innovation scientifique pour trouver les moyens d’arrêter techniquement les véhicules, puisque les véhicules actuels sont des ordinateurs ambulants. Cela améliorerait la sécurité de nos personnels et celle des usagers. Nous constatons en moyenne un refus d’obtempérer par heure. Ces refus ne sont pas seulement le fait de délinquants, mais aussi de personnes qui, pour des raisons diverses, n’ont pas vu le barrage ou ne veulent pas s’arrêter.

Les moyens matériels tels que les casques lourds ou les boucliers ont été mis en œuvre dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Ils ont donc vocation à équiper la patrouille qui peut être la première à arriver sur les lieux d’un attentat. Ce ne sont pas des équipements destinés au maintien de l’ordre. On peut considérer que pour certains types d’unités et pour certaines zones, ces équipements sont insuffisants. Pour tenir compte des besoins réels, nous établissons une revue capacitaire chaque année afin d’évaluer les besoins et les moyens à utiliser. Mon rôle est aussi de gérer en bon père de famille, si vous me permettez cette expression, le budget que l’on m’accorde.

Nous avons acquis des caméras-piétons il y a quelques années. Cependant ces images sont souvent inexploitables, parce que ces caméras étant portées sur l’épaule ou sur la poitrine ce qui est filmé n’est pas cadré. Et d’autre part parce que ces images ne peuvent être utilisées que dans un cadre judiciaire. Aussi les gendarmes sont de plus en plus nombreux à utiliser des caméras GoPro à titre personnel, parce qu’ils peuvent alors cadrer puis visionner les images. Par ailleurs, les escadrons sont équipés d’une cellule d’imagerie opérationnelle (CIOP) qui permet aussi de cadrer et de visionner les images. Nous disposons donc de ces images, de celles enregistrées par les gendarmes ainsi que de celles des drones et des hélicoptères. Les hélicoptères sont d’ailleurs souvent mis à disposition des autorités préfectorales pour contribuer à l’enregistrement des actions de maintien de l’ordre.

Un drone sert à se renseigner sur les intentions et les mouvements de l’adversaire derrière la ligne de contact. Il est donc utile dans certaines situations : le drone est indispensable sur un terrain de grande envergure, mais pas pour une opération de petite importance, comme la protection d’une préfecture ou de l’Assemblée nationale. Je n’envisage donc pas à ce stade d’équiper chaque escadron avec un drone, mais plutôt de sectoriser les drones par groupement tactique. Pour des opérations importantes, le commandant du groupement tactique de la gendarmerie (GTG) qui regroupe trois escadrons doit estimer l’endroit où le drone est le plus utile.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de reformuler ma question : combien de drones sont actuellement à la disposition de la gendarmerie mobile ? Combien de personnes sont formées pour les utiliser ? Est-ce suffisant ?

Général Richard Lizurey. Nous vous ferons parvenir les chiffres exacts, cependant je peux vous indiquer les ordres de grandeur : la gendarmerie dispose d’une centaine de drones et de plus de 200 pilotes. Jusqu’à présent, nous avons acheté des drones, en partie grâce aux fonds européens. Toutefois, l’évolution technologique étant extrêmement rapide, il est désormais plus intéressant de disposer de drones de type civil, qui permettent, grâce à un renvoi d’images au sol, d’apprécier la situation et les mouvements des manifestants. L’équipement actuel n’est pas suffisant, pour autant il ne paraît pas souhaitable d’aller jusqu’à équiper chaque escadron d’un drone.

Par ailleurs, les Irisbus sont en fin de vie. Nous expérimentons, d’abord à Saint-Astier et actuellement dans l’escadron de Grenoble, une nouvelle gamme de véhicules. Ils n’emportent pas les suffrages pour l’instant cependant. Selon moi, l’objectif est de trouver un véhicule qui corresponde à nos besoins opérationnels mais qui n’oblige pas à avoir le permis poids lourd comme c’est le cas pour les Irisbus. Nos camarades des compagnies républicaines de sécurité (CRS) disposent de véhicules que l’on peut conduire sans ce permis.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Ne pourrait-on pas avoir les mêmes véhicules que les CRS ?

Général Richard Lizurey. C’est ce que j’ai envisagé. Les véhicules qui sont en cours d’expérimentation à Grenoble sont très proches de ceux des CRS.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Cela permettrait de faire des achats groupés et donc des économies d’échelle.

Général Richard Lizurey. La totalité des achats effectués actuellement par le service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), demain par le service ministériel des achats, sont déjà des achats groupés dans le cadre de mêmes marchés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Toutefois, la négociation des prix n’est pas la même lorsque l’on achète un élément de matériel en 100 exemplaires ou lorsqu’on en achète deux fois 50.

Général Richard Lizurey. Je suis d’accord avec vous, mais il faut veiller à ce que le matériel corresponde exactement aux besoins de chaque corps. Ainsi, juste avant les événements de Notre-Dame-des-Landes, nous avons travaillé avec le matériel des CRS ; sur les chemins ces véhicules ne passaient pas. Nous avons donc besoin à la fois de véhicules semblables à ceux des CRS et de véhicules adaptés au maintien de l’ordre rural, quitte à ce que certains matériels soient sectorisés.

Les instructeurs ne sont pas en nombre suffisant pour permettre de faire passer davantage de permis poids lourd. Du reste, je préfère chercher un nouveau type de matériel plutôt que d’augmenter le nombre de permis poids lourd.

Je partage votre analyse du problème de la sous-traitance mécanique. Lorsqu’on a supprimé les spécialistes de l’automobile dans les escadrons, on les a regroupés dans des ateliers au niveau départemental. Bien entendu, ces spécialistes ne sont pas déployés en opération. Par conséquent, quand on a une difficulté au cours d’une opération, aucun gendarme mobile, à moins qu’il ne possède cette compétence à titre personnel, n’est capable de réparer le véhicule, de sorte que l’on doit appeler le secrétariat général pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) local pour faire dépanner le véhicule. Nos camarades des CRS ont été plus avisés que nous puisqu’ils ont gardé dans les compagnies républicaines de sécurité cette capacité de soutien automobile. Le regroupement des mécaniciens dans les ateliers était une mesure de mutualisation et rationalisation sensée, mais elle s’est avérée néfaste à l’efficacité opérationnelle des EGM.

Le ministre a annoncé une loi de programmation de la sécurité intérieure, qui me paraît utile de manière à anticiper les évolutions.

Il ne m’appartient pas de décider de l’opportunité de la mise en place de la réserve en matière de crédits budgétaires. Je constate simplement qu’elle se calcule sur la totalité du budget de la gendarmerie nationale, y compris les dépenses obligatoires, notamment l’immobilier dont les crédits s’élèvent à 500 millions d’euros. Le dispositif est donc asymétrique et conduit à une « double peine » : les dépenses obligatoires produisent de la mise en réserve, laquelle, à juste titre, ne peut pas être prise sur les dépenses obligatoires, de sorte que le reste du budget supporte deux fois la mise en réserve. Il est certain que cela crée des contraintes et conduit à décaler des programmes immobiliers, car l’entretien de l’immobilier et les véhicules constituent des variables d’ajustement.

La DFUE a été mise en place pour améliorer la qualité de vie des gendarmes dans les casernes. Elle n’est pas destinée à assurer l’entretien des casernes qui relève du programme immobilier. Effectivement, elle est souvent utilisée pour acheter du matériel de bureau ou du matériel d’entretien. Plutôt que d’augmenter la DFUE, il est préférable de regrouper les achats au niveau d’une formation administrative qui passe des marchés publics, en raison des économies d’échelle que vous avez évoquées. À ce stade, il n’est donc pas envisagé d’augmenter les DFUE.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Ancien maire d’une commune rurale choisie pour expérimenter les brigades de contact de la gendarmerie, je souhaiterais connaître votre avis sur cette expérimentation qui a été fortement appréciée sur le terrain, aussi bien par les élus que par les habitants. Quelle articulation a été mise en place avec la police de sécurité du quotidien ? Quelle évolution prévoyez-vous ?

Général Richard Lizurey. Le contact est pour moi la matrice de la mission de la gendarmerie nationale, car il permet de construire tout le reste : la proximité, la prévention, la tranquillité publique, le renseignement, la capacité d’intervention et la connaissance du milieu. C’est la raison pour laquelle j’ai lancé cette expérimentation dès septembre 2016, au moment où j’ai pris mes fonctions. Elle me semblait nécessaire, au moment où l’on constate un éloignement progressif du gendarme de la population. Or la gendarmerie n’existe pas pour elle-même ; elle existe pour la population qu’elle est chargée de protéger. Pour accomplir sa mission, le gendarme doit connaître sa population, ses élus, ainsi que les vulnérabilités et les difficultés de sa circonscription.

J’ai donc lancé cette expérimentation en septembre 2016, en accord avec le ministre de l’Intérieur, avec les préfets et avec l’Association des maires de France (AMF). Sur la base du volontariat, j’ai recruté des gendarmes pour former des brigades de contact dont la seule mission est d’aller au contact de la population. Ces unités sont donc déchargées de toutes les autres missions qui sont assurées par les unités avoisinantes ou concourantes. Le bilan positif de l’expérimentation a conduit à porter les brigades de contact au-delà de la phase expérimentale : les élus et la population constatent un retour des gendarmes parmi eux et les gendarmes eux-mêmes retrouvent le sens de leur mission et de leur action. Ces brigades de contact sont pour moi un élément déterminant de l’efficacité de notre service, qui s’inscrit dans la police de sécurité du quotidien (PSQ) qui repose sur les principes de la proximité et de l’adaptation sur mesure.

Néanmoins, on ne peut pas en créer partout. Il en existe aujourd’hui une quarantaine, ce qui peut paraître peu par rapport aux 3 100 brigades territoriales, mais il faut tenir compte du fait que dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, nous avons développé d’autres formes de contact : dans d’autres brigades existent des groupes de contact, c’est-à-dire que certains gendarmes sont particulièrement chargés d’aller au contact de la population ; certains réservistes assument également cette mission. Dans tous les cas, nous plaçons le contact au sommet de l’ensemble des missions, au lieu de le considérer comme une mission qui viendrait après toutes les autres. En effet, cela a un effet positif sur toutes les autres missions : la tranquillité publique s’accroît, on constate moins de plaintes et moins de délinquance.

Ces dispositifs sont organisés de telle sorte que chaque maire rencontre un gendarme référent, qui l’informe de ce qui se passe dans sa commune et avec qui il échange régulièrement. Cette directive n’est pas encore mise en place partout, mais ce dispositif existe déjà dans de nombreuses communes. En outre, une fois par semestre, chaque compagnie départementale tient une réunion qui regroupe pendant une demi-journée le commandant de compagnie, les commandants de brigade et tous les maires de la circonscription pour que les gendarmes rendent compte de leur activité auprès des élus, puis échangent avec eux sur les manières d’améliorer la situation. Je dis bien « rendre compte », car la gendarmerie est un service public qui rend compte à la population et aux élus de son travail.

Nous envisageons d’autres formes de contact, par exemple dans les centres commerciaux, de manière à être dans le biotope de la population — nous l’expérimenterons prochainement en Franche-Comté. L’idée est de ne pas obliger la population à venir nous voir, mais d’aller à sa rencontre.

Même si cela peut paraître paradoxal, c’est aussi le sens de la brigade numérique. En effet, une partie de la population n’a pas le temps, dans la journée ou le week-end, de venir voir les gendarmes, alors même qu’elle a besoin de les rencontrer. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place il y a un peu plus d’un an une brigade numérique, qui est physiquement installée à Rennes, et qui, 24 heures sur 24, tous les jours de l’année, répond à la totalité des sollicitations de nos concitoyens en matière de renseignements. Il s’agit bien de renseignements et non d’urgences, lesquelles sont toujours gérées par le centre opérationnel à travers le 17. Ce complément d’un service public est appelé à se développer, dans le cadre de la police sécurité du quotidien : cette brigade reçoit à peu près 200 sollicitations par jour et ce chiffre est en augmentation.

Cette brigade est également chargée du portail pour les violences sexuelles et sexistes lancé il y a quelques moins par le ministère de l’intérieur : elle traite en première intention les violences qui lui sont indiquées.

M. Jean-Louis Thiériot. En Seine-et-Marne, le contact avec les élus locaux s’est mis en place immédiatement, de manière extrêmement efficace, ce qui a été justement apprécié.

Permettez-moi de revenir sur le sentiment de désarmement. Un certain nombre de brigades, qui sont isolées et qui seraient susceptibles d’être attaquées, ont le sentiment d’être sous-armées. Les brigades sont-elles suffisamment sécurisées ? Si elles étaient attaquées, disposent-elles de moyens pour se défendre jusqu’à l’arrivée de renforts ?

On nous a parlé d’une baisse de 40 % des moyens alloués à la réserve, alors que l’on connaît l’importance des réservistes dans les interventions actuelles. Comment améliorer leur utilisation ?

La plupart des personnels ont évoqué la dégradation de l’immobilier. Indépendamment des mesures budgétaires, quels outils juridiques faudrait-il adopter pour améliorer la qualité de l’immobilier ? Nous savons tous que le logement pour nécessité absolue de service est un élément essentiel de la gendarmerie, qui doit être préservé.

Général Richard Lizurey. Je peux comprendre le sentiment de désarmement, néanmoins je suis dubitatif.

Nous constatons sur les barrages un refus d’obtempérer par heure. Ce n’est pas toujours le fait de délinquants chevronnés mais, par exemple, de jeunes qui ont trop bu ou qui n’ont pas leur permis. Est-il raisonnable de tirer sur un véhicule qui ne s’arrête pas, de travailler sur l’aspect offensif ? Certes, ils sont en infraction, mais peut-être ne méritent-ils pas qu’on leur tire dessus – c’est mon sentiment. J’ai donc demandé aux personnels de réfléchir plutôt à l’ergonomie des postes de contrôle, car c’est un élément déterminant pour la sécurité des personnels et des usagers. Quand on installe un poste de contrôle dans l’axe d’une ligne droite, cela présente un danger majeur pour tout le monde, mais si on met en place une chicane ou si on profite d’un obstacle naturel, on casse la vitesse et on peut contrôler le véhicule avec plus de sécurité. C’est la solution que je privilégie. Je rappelle souvent aux gendarmes que, quand un véhicule leur fonce dessus, la consigne n’est pas de tirer, mais de se mettre sur le côté – c’est le réflexe de base. Ma conviction est que les unités, quelles qu’elles soient, sont dotées de l’armement indispensable à la réussite de leur mission.

Les brigades isolées disposent d’un armement individuel et collectif. Il faut cependant se souvenir que la défense d’une brigade repose d’abord sur l’alerte. C’est le principe même de la modularité de la gendarmerie nationale : toute patrouille qui est en difficulté doit en rendre compte immédiatement. Nous disposons actuellement d’un système performant, qui permet à n’importe quelle unité territoriale d’avertir la totalité de la chaîne hiérarchique jusqu’au niveau national.

Dès la fin de l’année 2016, j’ai donné des directives pour que chaque gendarme ait mon numéro de téléphone portable, de manière à ce que s’il se produit un événement de type terroriste, il puisse me joindre immédiatement pour que l’on puisse déclencher l’ensemble du dispositif. Cela ne veut pas dire que c’est moi qui gérerai cette situation, mais je disposerai de l’information immédiatement.

Grâce aux moyens radio et téléphoniques actuels, les personnels attaqués doivent pouvoir appeler immédiatement des renforts. Comme je le disais, les unités ont un certain nombre de moyens individuels et collectifs pour faire face aux agressions constatées. Heureusement, nos unités ne subissent pas d’attaques militaires massives. Si c’était le cas, mon discours serait entièrement différent. Il est important d’adapter les moyens à la menace que l’on constate.

La question des réserves me préoccupe effectivement, car il n’y a pas beaucoup de marge de manœuvre budgétaire pour gérer le T2. Les deux seuls leviers à ma disposition pour rester dans le cadre des crédits votés en la loi de finances initiale sont les réservistes et le décalage des entrées en école. En tant que responsable de programme, je ne dois jamais dépasser les crédits qui me sont octroyés en loi de finances initiale. Pour ce faire, j’ai donc mis en place une modulation budgétaire : au début de l’année, j’ai notifié aux formations administratives les crédits consacrés aux réserves pour les trois premiers mois ; récemment, nous avons notifié les crédits jusqu’à la fin du mois d’août.

La diminution des crédits affectés aux réservistes dépend de la période considérée. Si on la compare avec le début de l’année 2018, elle est forcément inférieure à 40 %, mais si on compare avec la fin de l’année de 2018, la différence est plus importante. Une partie de cette différence entre dans la logique de mise en réserve de crédits sur le T2 qui pourrait être levée au fil de l’année.

Notre ambition est que les réservistes soient fidélisés et qu’ils soient engagés. C’est la raison pour laquelle nous avons aussi cherché d’autres types de mission. Certains sont financés par la SNCF, dans le cadre de missions qu’ils effectuent à son profit, d’autres par les collectivités locales, dans le cadre de missions qu’ils effectuent au profit de ces collectivités. Nous travaillons avec le ministère de la Justice pour mettre à sa disposition des réservistes. Nous avons des forces disponibles, des gens qui sont engagés dans le service public ; trouvons d’autres moyens et d’autres modes de financement pour leur permettre de continuer à exercer leurs talents sur la voie publique.

Il est vrai que l’immobilier est un sujet majeur pour l’institution, parce que, au-delà de la disponibilité et de la réactivité, c’est ce qui permet aux gendarmes de vivre dans la cité qu’ils sont chargés de protéger. Ce logement au cœur de la cité est un élément déterminant du lien affectif que le gendarme noue avec la population qu’il protège. Ce modèle particulier s’est construit avec le temps : la création du maillage territorial date de 1720.

Il est vrai que les infrastructures immobilières ont été la variable d’ajustement budgétaire. C’est moins le cas aujourd’hui, car le plan d’urgence immobilier nous permet de procéder à la réfection de 4 000 logements par an et de mener un certain nombre d’opérations immobilières. Le patrimoine locatif est de meilleure qualité que le patrimoine domanial. Le problème principal porte sur le patrimoine domanial, car on a trop longtemps différé des travaux nécessaires. Certaines situations sont très dégradées : à Melun, nous avons été obligés de dissoudre un escadron parce que le bâtiment menaçait ruine ; nous sommes en grande difficulté à Nanterre. Nous avons procédé à une évaluation de l’état de l’immobilier : 1 à 2 % du parc immobilier est très dégradé, mais il y a aussi des casernes neuves et entre les deux existe toute une palette de situations. Notre travail consiste à identifier les difficultés les plus graves pour rétablir la situation. Depuis trois ans, le plan d’urgence immobilier nous permet de pallier ce besoin de travaux.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir sur l’évolution des crédits d’investissement dans l’immobilier depuis une douzaine d’années, telle qu’on peut l’observer sur un graphique que je vous transmets. Ces crédits s’élevaient à 618 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) en 2007, à 525 millions d’euros en 2008 ; en 2009 ils sont tombés à 163 millions d’euros ; puis ils se sont effondrés pour atteindre, en 2013, 6 millions d’euros et en 2014, 12 millions d’euros — c’est évidemment insuffisant étant donné l’ampleur de notre parc immobilier. En 2015, ce chiffre est remonté à 80 millions d’euros puis à 105 millions d’euros, son montant actuel. Le fait est qu’il faut rattraper un déficit. Une partie du problème immobilier actuel est héritée de l’histoire.

En regardant le décrochage du budget depuis 2009 — pas seulement en ce qui concerne l’immobilier — au moment où la gendarmerie n’a plus été rattachée au ministère de la défense, on comprend une grande partie des problèmes actuels. Nous avons été désoclés de manière un peu brutale et nous sommes arrivés avec un bagage un peu allégé au ministère de l’Intérieur. Ce bagage continue d’être relativement léger parce que le contexte ne permet pas de l’alourdir, mais la situation s’améliore, notamment grâce au plan d’urgence. Il faut continuer dans cette voie.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Précisons que « T2 » désigne le budget consacré aux rémunérations. Dans la gendarmerie, le T2 représente environ 82 % du budget ; dans la police nationale, il correspond à 87 % du budget ; dans les deux cas, cela ne laisse pas grand-chose pour le reste, alors même que le budget des infrastructures et du matériel roulant a été augmenté.

M. Rémi Delatte. Merci, mon général, pour votre propos, qui illustre les deux grandes forces de la gendarmerie. Premièrement, elle possède une grande capacité d’adaptation, qui lui permet de recourir aux techniques modernes et qui est liée à la proximité, laquelle donne une bonne connaissance du terrain et permet un travail en commun avec les élus. Deuxièmement, le fait que la gendarmerie soit militaire contribue à sa résilience ; elle fait preuve d’une grande disponibilité et d’un engagement permanent. Néanmoins, cette disponibilité et cet engagement ont tout de même des limites, notamment celles qu’impose la vie de famille. Si la situation actuelle devait se pérenniser, comment faire face à ces difficultés ? Quelles priorités identifiez-vous ? Ne craignez-vous pas que les temps de repos aient lieu au détriment de la formation ?

Général Richard Lizurey. En fait, le problème de la formation se pose déjà. Depuis le début du mouvement des « Gilets jaunes », nous avons été amenés à supprimer un certain nombre de stages de recyclage au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) à Saint-Astier : alors que ces stages avaient lieu tous les deux ans, certains escadrons n’ont pas été recyclés depuis trois ans. C’est préoccupant parce que la formation est indispensable à la capacité opérationnelle ; c’est grâce à elle que les unités sont entraînées et efficaces.

Pour la gendarmerie mobile, la mission de maintien de l’ordre s’impose. Ma priorité actuelle est d’octroyer aux gendarmes mobiles des périodes de repos et de permission, pour leur permettre d’avoir une vie personnelle, notamment en augmentant les effectifs des escadrons de manière à pouvoir les faire tourner. Ce n’est pas toujours possible – j’ai rencontré samedi dernier des gradés qui n’ont disposé que d’un seul week-end depuis le 17 novembre. Ces temps de repos sont déterminants pour le moral et l’état d’esprit des forces.

La deuxième priorité est la formation. Nous sommes en train d’envisager un aménagement de la formation à Saint-Astier qui reposerait sur des modules plus courts. Une partie de la formation pourrait être faite dans d’autres centres, par exemple à Beynes.

La troisième priorité est le renfort, en termes de sécurité publique, à apporter à la gendarmerie départementale, dans le cadre de la surveillance quotidienne. Depuis deux ans, plus aucun escadron de gendarmerie mobile n’est engagé en renfort des unités territoriales, en particulier en zone de sécurité prioritaire (ZSP), car la totalité des efforts se concentrent sur le maintien de l’ordre et sur la lutte contre l’immigration clandestine. Dans certains endroits, cette absence de renfort a un impact direct sur la délinquance, notamment sur les cambriolages.

Nous nous efforçons donc de remplir nos missions tout en dégageant une partie des personnels pour le repos et la formation. Cet objectif ressemble à la quadrature du cercle, mais c’est notre travail et nous trouverons une solution.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez évoqué l’âge des Irisbus et annoncé que vous alliez investir dans de nouveaux véhicules.

Général Richard Lizurey. Il n’est pas question d’investir pour le moment ; nous en sommes au stade de la réflexion. Une fois que cette réflexion sera aboutie, je proposerai un plan budgétaire.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Si on réfléchit, c’est que l’on vise une action.

Général Richard Lizurey. La réflexion est gratuite, l’investissement ne l’est pas.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) arrivent eux aussi à un âge canonique. Que pensez-vous faire à ce sujet ?

Les brigades de la gendarmerie départementale sont des acteurs très importants de l’économie locale. Il me semble donc qu’il faut maintenir des budgets locaux et non centraliser toutes les commandes dans le but de faire des économies d’échelle. La DFUE, qui sert à l’amélioration de la qualité de vie et du travail, peut participer à la stimulation de l’économie locale. C’est à nous de trouver des solutions de financement innovantes pour en accroître le montant.

Général Richard Lizurey. Monsieur le rapporteur, je partage votre analyse de l’intérêt de la dotation de fonctionnement des unités élémentaires (DFUE), qui permet aussi d’améliorer la qualité de l’accueil. La DFUE comprend deux parties : l’une est consacrée à l’achat de matériel, l’autre à l’entretien ménager des locaux. Jusqu’en 2013 environ, chaque commandant d’unité décidait de l’affectation de la DFUE concernant l’entretien. L’impact sur l’économie locale était alors direct : une personne était employée pour l’entretien des locaux et cela se passait très bien. On nous a expliqué, avec une certaine légitimité, qu’il fallait recourir à un marché public et mutualiser les prestations à un niveau qui permette de les payer moins cher. Le résultat est que l’entretien des casernes est beaucoup moins bien fait, comme le confirment les gendarmes, et qu’il coûte plus cher. L’entretien représente 40 % de la DFUE et l’achat de matériel de bureau obéit aux mêmes règles : on est obligé de passer par le marché national, même si c’est parfois plus cher. Si vous trouvez un moyen d’aménager les règles, nous en serons heureux. Cependant je suis responsable de l’administration, et ce n’est pas moi qui dérogerai à la règle du marché public. Je partage votre analyse, le problème est de savoir comment la traduire dans la pratique, car cette contrainte légale s’impose à tous. Cette réglementation a sa légitimité, mais elle peut localement susciter de l’incompréhension. Néanmoins, j’insiste sur le fait que nous sommes chargés de faire respecter la loi et que nous ne dérogerons pas aux règles du marché public.

Je voudrais sincèrement rendre hommage aux collectivités locales dans leur ensemble pour leur engagement permanent et efficace auprès de la gendarmerie, aussi bien pour l’entretien du parc immobilier que pour l’amélioration de la vie quotidienne. Nombre de municipalités, de communautés de communes et de conseils départementaux, participent à la réflexion ou aux travaux. Sans l’investissement financier et psychologique, affectif, des collectivités locales, nous ne pourrions pas avoir un parc immobilier d’une telle qualité.

Les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) sont nés avec le modèle R12. Début décembre, je craignais qu’ils ne tombent en panne sur les Champs-Élysées. Cela ne s’est pas produit, parce que nous disposons à Satory d’équipes de mécaniciens exceptionnels, qui fabriquent des pièces, puisque l’industriel qui produisait les VBRG ne les fabrique plus, et réparent les véhicules, y compris sur leur temps libre.

Il est vrai que ces véhicules sont en fin de parcours. Nous avons donc engagé avec quelques industriels un principe de « rétrofitage » des VBRG pour leur donner une seconde vie. Nous testons actuellement les prototypes, puis nous passerons un marché public, si tant est qu’on dispose des moyens budgétaires pluriannuels. L’objectif serait de disposer de 80 véhicules blindés, dont 36 véhicules en outre-mer, où ils sont très utilisés. Il me paraît important de rénover cette flotte de véhicule, plutôt sur le principe d’un rétrofitage que sur celui d’un achat neuf, qui serait beaucoup plus cher.

M. Denis Masséglia. Je voudrais moi aussi rendre hommage à l’ensemble des forces de l’ordre, pour leur travail considérable depuis les attentats et plus encore depuis le 17 novembre. Des violences très graves ont été perpétrées à l’encontre des forces de l’ordre. Dans le même temps, 209 enquêtes ont été ouvertes liées à des suspicions de violences de leur part : 199 ont été ouvertes par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et dix par l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN). Quelle interprétation faites-vous de ces chiffres et de cette différence ?

Général Richard Lizurey. Il est vrai que, depuis le 17 novembre, nous constatons une violence exacerbée de la part d’un certain nombre de « manifestants » qui ne cherchent qu’à blesser ou à tuer les représentants des forces de l’ordre, toutes catégories confondues. L’ensemble des forces de l’ordre est soumis à un déchaînement de violences constant et brutal. Même pendant les semaines les plus calmes, nous constatons encore des agressions. On compte 460 blessés dans la gendarmerie nationale depuis le début du mouvement des « gilets jaunes ». Le 16 mars, devant l’Arc de Triomphe, un gendarme a reçu un pavé qui lui a cassé la mâchoire, de sorte qu’il aura toute sa vie une plaque sur le visage. Dans son escadron, treize personnes ont été blessées, néanmoins l’escadron est resté en fonction. Ce qui est vrai pour la gendarmerie mobile l’est aussi pour les CRS, pour l’ensemble des fonctionnaires et des militaires. Je leur rends hommage, car leur travail n’est pas facile.

Un membre des forces de l’ordre ne prend pas l’initiative de la violence ; il répond de manière proportionnée et graduée à une agression exercée contre lui. Souvent, les agresseurs viennent accuser celui qui se défend. Des enquêtes sont faites pour déterminer la réalité et le contexte, car il faut toujours contextualiser. Il existe actuellement un tribunal médiatique permanent : on appelle la population à juger sur la base d’une vidéo de 3 ou 15 secondes, sans que l’on connaisse le contexte et l’histoire dans leur ensemble et sans que les gendarmes aient droit à la défense. Le traitement des événements est en effet asymétrique. Lorsqu’un membre des forces de l’ordre est mis en cause, par construction, certains estiment qu’il a tort, et lorsque c’est un manifestant, certains vont jusqu’à le défendre en prétendant que ce sont les manifestants qui sont agressés. Cette asymétrie de traitement médiatique est mal vécue par l’ensemble des forces de l’ordre, parce qu’elle est injuste.

Il ne faut pas tirer de conclusions hâtives du nombre de saisines. L’important n’est pas leur nombre mais leur résultat. Il me paraît indispensable d’inviter tout le monde à attendre le résultat des investigations, des enquêtes judiciaires et le jugement prononcé par l’autorité judiciaire. J’ai la plus grande réticence à tirer des conclusions sur des faits dans leur qualification initiale.

L’ensemble des forces de l’ordre a un comportement courageux, déterminé, et fait preuve de discernement en ne répondant qu’aux attaques directes qui sont exercées contre eux.

Permettez-moi de rendre hommage à nos camarades des unités motorisées qui ont été agressés lâchement et avec une grande violence. Les locaux des gendarmes de l’escadron de l’autoroute de Narbonne ont vu leurs locaux incendiés par des personnes avec qui ils buvaient un café la veille ; les gendarmes ont failli brûler. La légitime défense pouvait leur permettre de réagir avec leur armement ; ils ne l’ont pas fait et ils ont bien fait. En effet, notre objectif n’est pas d’entrer dans une logique de confrontation croissante mais au contraire de mettre en œuvre la désescalade. Face à ce déchaînement de violence exceptionnel, leur réaction était la bonne. Cela se travaille : c’est le principe de la résilience, de la résistance, de la formation et de la déontologie.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. C’est avec ce mot de déontologie que nous concluons cette discussion fort instructive. Monsieur le directeur général, transmettez à tous les militaires de la gendarmerie nos félicitations et nos encouragements les plus vifs, ainsi que nos vœux de rétablissement à ceux qui sont blessés et à leurs familles.

Général Richard Lizurey. Je ne manquerai pas de transmettre ces messages. Je vous remercie de votre soutien constant dans le travail difficile qu’accomplissent aujourd’hui les forces de l’ordre.

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  Audition du 7 mai 2019

M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, et M. Olivier Brun, adjoint au chef de service.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête avec l’audition de M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) et son adjoint, M. Olivier Brun.

Monsieur, vous êtes responsable du service créé en janvier 2014, par le rapprochement de trois directions logistiques. Le SAELSI assure désormais le recueil des besoins, la conception, l’achat et la mise à disposition des équipements et des moyens nécessaires à l’exercice des missions de la sécurité civile, de la gendarmerie et de la police.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Messieurs, je souhaiterais que vous nous expliquiez l’organisation de la remontée des besoins et de la chaîne logistique ainsi que votre vision de la concentration ou de la déconcentration de la gestion des budgets.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Pouvez-vous également nous décrire la réforme en cours qui doit vous rattacher auprès du secrétariat général, à la direction des évaluations de la performance et des affaires financières (DEPAFI) ?

M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure. Monsieur le président, mesdames et messieurs, j’ai pris mes fonctions au ministère de l’intérieur comme chef de service du SAELSI et également de préfigurateur du service ministériel des achats (SMA), le 10 décembre 2018. J’étais jusqu’alors responsable ministériel des achats du ministère des Armées.

Le SAELSI est le service de la prescription, de l’achat et de la logistique pour les forces de sécurité intérieure. Il a été créé en 2014 avec un positionnement particulier puisque, hiérarchiquement et fonctionnellement, il est rattaché à trois directions générales : direction générale de la police nationale (DGPN), direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).

Le SAELSI compte 460 agents qui sont répartis sur Paris, sur le site Garance, rue des Pyrénées, et dans différents établissements : le Centre national de soutien logistique (CNSL) au Blanc dans l’Indre, l’Établissement central logistique de la police nationale (ECLPN) à Limoges, un établissement logistique à Jarnac en Charente, et le Centre de recherche d’expertise et de la logistique (CREL) au Chesnay.

Le SAELSI a plusieurs objectifs : la rationalisation de la fonction achat, afin de mieux répondre aux besoins des utilisateurs ; la réalisation de gains à l’achat ; une meilleure participation des forces à la définition des besoins en matériel ; l’amélioration des relations avec les fournisseurs ; la création de partenariats stratégiques ; enfin l’organisation et le développement de la supply chain, la chaîne logistique globale.

Les dépenses d’équipement exécutées par le SAELSI depuis 2014 au profit des trois forces sont un peu supérieures à 1,3 milliard d’euros.

La remontée des besoins se fait d’abord, au niveau central, par un dialogue avec chaque direction. Nous organisons des revues de projets, un comité des équipements, notamment pour la police nationale, qui est présidé par le DGPN ainsi que des groupes de travail à vocation technique et thématique.

Ensuite, nous avons un lien direct avec les unités. Récemment, plus de 400 policiers et gendarmes ont été associés à la campagne d’essais pour un véhicule « subcompact » avant de lancer le marché public, de façon à bien définir le cahier des charges fonctionnel.

Les organisations syndicales ont également un rôle important dans les remontées d’information, tout comme pour la gendarmerie le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) ; nous organisons des rencontres avec les organisations syndicales et le CFMG.

Concernant la concentration ou la déconcentration des budgets – et je ferai le lien avec la question du président sur la réforme actuelle de création du service ministériel des achats –, ce n’est pas la concentration du budget, mais la mutualisation des besoins qui est recherchée. Laisser les budgets à ceux qui les dirigent dans les programmes n’est pas une concentration des budgets, mais une mutualisation des besoins, et chaque fois que cela est possible, une standardisation.

Par exemple, les gendarmes et les policiers ont le même gilet pare-balles. Nous avons adopté un système de scratch afin de les identifier. Dans certains cas, les tenues d’intervention peuvent également être les mêmes – pour l’unité Recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) et le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) –, mais de couleur différente. Nous parlons bien de mutualisation de besoins et non pas de concentration des budgets.

Le ministère de l’intérieur s’est effectivement engagé dans la création d’un service ministériel des achats, à partir de l’effort de mutualisation que constitue pour les forces de sécurité intérieure, le SAELSI, en vue de l’élargir à l’ensemble du ministère. Aujourd’hui le SAELSI représente une mutualisation importante, mais uniquement sur le périmètre de la sécurité intérieure. L’objectif est de l’élargir à tous les achats, que ce soit dans le domaine de l’immobilier, des prestations de services à la personne ou autres… Nous envisageons même, lorsque cela sera possible, de “l’interministérialiser”. Nous pouvons très bien travailler avec certains services. Nous l’avions fait dans les années 2000 avec les douanes - il s’agissait d’une première mutualisation - pour l’achat du pistolet Sig Sauer. Nous pouvons l’envisager pour d’autres matériels comme les pièces détachées automobiles ; le ministère de l’intérieur, gros consommateur de ces pièces, a même porté un marché interministériel. Mais je pense que nous pouvons aussi le faire avec les forces armées puisque nous avons des sujets communs. Je suis bien placé pour en parler, j’ai été plus dix ans responsable des achats au ministère des armées.

Nous avons choisi de travailler à cette réforme selon trois grands processus. Le premier est d’acheter mieux. Cela veut dire travailler sur la prescription – M. Brun connaît le sujet mieux que moi, puisqu’il est un expert de la prescription – , à savoir l’analyse de la valeur, l’analyse des coûts, pour définir des cahiers des charges plus fonctionnels qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais aussi innover et s’ouvrir davantage à la concurrence. « Acheter mieux » est un processus que nous avons choisi d’appeler dans notre organisation, le processus de la prescription.

Le second processus, c’est acheter moins cher. Il s’agit d’abord de disposer d’une sous-direction de l’achat organisée selon des thématiques car acheter des travaux n’est pas la même chose que d’acheter des armes ou des fournitures. Le code de la commande publique (CCP) traite différemment les prestations intellectuelles, les travaux, les fournitures.

Par ailleurs, acheteur est un métier très compliqué. Il faut, à la fois être juriste, connaître le CCP, et technicien, mais également savoir parler avec un architecte, quand nous avons besoin d’acheter des projets de travaux. Être un technicien de l’achat, cela veut dire connaître la négociation et toutes les techniques d’achat délivrées dans les écoles.

Le troisième processus est « acheter moins » et traiter de la logistique. C’est-à-dire que nous organisons, pour ce futur service ministériel des achats, une optimisation de la logistique – qui a déjà démarré –, avec le déploiement d’un système d’information, le Log-SI qui conduit à la refonte et à une imagination nouvelle des processus logistiques.

Par exemple, les gilets pare-balles sont maintenant stockés en un lieu unique, au Blanc. Les établissements que je vous ai cités ne sont plus des établissements police nationale (PN) ou gendarmerie nationale (GN), ce sont des établissements spécialisés. À l’ECLPN, sont stockés les kits ADN pour l’ensemble des forces. L’agence centrale automobile est basée à l’ECLPN, d’où sortent aussi bien du matériel gendarmerie que du matériel police.

Optimiser la logistique est un effort qui va nous permettre de réaliser des gains. Les gilets pare-balles ont des dates de péremption. Nous saurons désormais, quand nous referons les stockages, exactement qui porte quoi, et nous serons capables d’appliquer cette fameuse méthode first in first out, c’est-à-dire de sortir en priorité les gilets plus anciens, de façon à ce que la rotation des stocks soit totalement optimisée. D’ailleurs, cette rationalisation de la logistique avait été mise en exergue par la Cour des comptes, qui recommandait, dans son rapport de l’an dernier, de travailler sur cette question.

Enfin, le quatrième processus, qui lui aussi a fait l’objet d’une recommandation de la Cour des comptes, est le processus stratégique. Nous aurons des acheteurs familles. Inspirés par le monde de l’entreprise, les acheteurs familles sont des experts en stratégie d’achat. Ils travailleront sur la stratégie d’achat, de façon à ce que nous puissions avoir une vision sur trois à cinq ans. Un expert en immobilier devra connaître les besoins immobiliers du ministère pour les cinq prochaines années, mais il devra également être un expert de la maintenance des ascenseurs, des portails, des portes automatiques, des revêtements de façade, des fenêtres, etc.

Le SMA sera mis en place le 1er septembre prochain.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Dans le cadre de vos achats, une préférence légale aux produits français ou européens est-elle envisageable ? En termes d’habillement, par exemple, nous avons en France de très bons fabricants.

Selon vous, pourquoi ne pas avoir privilégié la création d’une direction générale de la logistique, du numérique, de la recherche-développement, etc. ? D’autant que la création du SMA n’a pas emporté l’approbation des directions générales actives – DGPN, DGGN…

Enfin, il est un peu surprenant que ce service ait également récupéré l’aspect stratégie. J’ai bien compris que des opérationnels feront partie de votre service, mais la stratégie que vous aurez à déployer ira-t-elle jusque sur le terrain ?

M. Jean Bouverot. J’imagine, monsieur le président, que derrière votre première question se cache la problématique des petites et moyennes entreprises (PME), c’est-à-dire les grandes entreprises de demain. Il s’agit en effet d’un sujet important, vous l’avez illustré à travers l’habillement.

Je m’interroge également sur le sujet de l’habillement. J’ai rencontré le président de la Fédération nationale des fabricants de fournitures administratives, civiles et militaires (FACIM). Nous sommes convenus que les entreprises françaises – ainsi que leurs donneurs d’ordres – ne devaient pas se comporter comme si, chacune allait être le dernier des Mohicans ; car je sens bien la peur chez chacune d’elle. Je ressens aussi un besoin de dialogue et de concertation entre les donneurs d’ordres – le ministère de l’intérieur, la SNCF, Air France, etc. –, toutes ces grandes entreprises qui achètent de l’habillement.

J’ai demandé à Olivier Brun, en concertation avec le président de la FACIM, d’intervenir lors de leur prochaine assemblée générale. Et j’ai conseillé au président de la FACIM de considérer le ministère de l’Intérieur et les forces de sécurité intérieure comme devant bénéficier des innovations – je crois beaucoup en l’innovation. Les PME, notamment les entreprises de textile françaises, disposent de cette capacité à innover. Et elles doivent nous proposer leurs innovations en priorité. D’ailleurs, nous aurons certainement une sous-direction de l’innovation, qui s’occupera de la prescription ; l’idée n’est pas encore validée, mais c’est mon souhait.

S’agissant de la préférence donnée aux entreprises nationales, nous devons respecter le code de la commande publique – un code qui a été revu, notamment pour offrir la possibilité aux start-up, très sensibles aux problèmes de trésorerie, de travailler pour nous si elles apportent une innovation à nos forces de sécurité intérieure – à hauteur de 100 000 euros ; Et ce sans la lourdeur de la procédure de consultation, qui prend du temps.

Le code de la commande publique est la déclinaison en droit français des directives européennes. Nous ne pouvons renoncer à la performance économique et nous devons donc avoir des entreprises françaises compétitives.

Concernant votre deuxième question, monsieur le président, à savoir la création d’une direction générale de la logistique, du numérique et de la recherche-développement, vous avez souligné le retrait du projet de SMA des différents directeurs généraux. Ce retrait traduit une inquiétude, celle de perdre la main sur la prescription mais aussi que l’installation du SMA soit consommateur de temps et d’énergie. Le SAELSI ne travaille pas uniquement pour la police et la gendarmerie, il travaille aussi pour la sécurité civile. Et le ministère de l’intérieur a fait le choix du secrétariat général. Il me semble que la désapprobation des directeurs est davantage liée à la peur de perdre la main – et donc à ce rattachement au secrétariat général.

Nous en avons discuté avec les directeurs généraux et mis en place le contrat de service des engagements réciproques. Le SMA aura des engagements à l’égard des forces de sécurité intérieure, celles-ci devront également en avoir à l’égard du service, de façon à garantir la qualité. Ces contrats de service sont plutôt bien vécus.

Les objectifs de rationalisation, d’harmonisation, de standardisation seront remplis par des professionnels de chaque sujet – le SMA, c’est aussi la spécialisation.

Concernant la stratégie, je souhaite préciser qu’il existe une différence entre la doctrine d’emploi et la stratégie. Le travail du service ministériel des achats s’arrêtera à la doctrine d’emploi qui relève des directions générales.

Néanmoins, à partir du moment où, sur chaque segment d’achat, nous aurons identifié un besoin à couvrir via un recours à un fournisseur, nous devrons être capables de faire du sourcing, à savoir aller voir ce que font les différents fournisseurs, notamment en France. Si M. Brun ne va pas dialoguer avec la FACIM, avec les fabricants de textile, il risque de passer à côté de fabricants français et de ne pas acheter la meilleure innovation, le meilleur produit pour nos forces de sécurité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ma première question concerne la spécificité et la temporalité. Vous avez évoqué les consultations des syndicats, des différentes forces de sécurité pour les achats groupés ; quid des besoins spécifiques des brigades ou des commissariats ? Quid du délai ? Des gendarmes nous ont expliqué que pour une paire de chaussures, le délai était de dix mois.

M. Jean Bouverot. Votre question est très pertinente. Nous savons, par les directions départementales de la sécurité publique (DDSP), que la livraison de vêtements ou d’autres équipements pose problème et que nous devons l’améliorer en permanence.

Mais les tenues que nous achetons doivent être testées, et les prescripteurs doivent se prononcer sur la qualité du textile, sur sa qualité non-feu, sur la bonne adéquation entre le cahier des charges et le produit livré. Ensuite, l’acheteur se doit de bien connaître les fédérations de professionnels et les entreprises. C’est ce que vous avez appelé la spécificité.

Ensuite, la temporalité. Avec l’outil Log-Si que nous sommes en train de déployer dans les escadrons, nous tendons vers les achats en ligne. Déjà, deux applications, pour les vêtements, ont été mises en place en janvier – Vetigend et Vetipol – sur lesquelles le gendarme et le policier peuvent commander ce dont ils ont besoin.

En ce qui concerne l’outre-mer, nous ne pouvons pas expédier des produits chaque semaine. Avec ces deux applications, nous allons doubler les livraisons.

La proximité, c’est faciliter, c’est informer. Nous nous interrogeons sur les avantages d’installer une hotline dans le futur service et sur l’intérêt de travailler avec les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI), qui ont cette capacité à être au plus près du terrain. Le service centralisé ne pourra pas répondre à tout, et ce n’est pas son objectif. Son objectif est de tester les textiles, de faire des marchés, de faire la prescription, de rationaliser, d’harmoniser, et donc de dégager des marges de manœuvre.

M. Ugo Bernalicis. J’ai été attaché d’administration au SGAMI Nord, en charge de la facturation, notamment d’un certain nombre de marchés déclinés par le SAELSI.

J’aurai plusieurs questions.

Comment avez-vous prévu de résorber le déficit d’image dont jouit aujourd’hui le SAELSI ? Quid, pour les achats, des autorisations d’engagement (AE) pluriannuelles, qui sont le nerf de la guerre ? Avez-vous des engagements de Bercy sur le sujet ? Le rapprochement avec le secrétariat général vous permettra-t-il d’obtenir plus facilement les AE pluriannuelles nécessaires et ainsi de ne pas générer de déconvenues au niveau déconcentré ?

Par ailleurs, afin de regrouper les achats vous basez-vous sur ce qui est disponible dans Chorus, avec des analyses par groupes ministériels, par exemple ?

Dans la fusion, auprès du secrétariat général, reprenez-vous également les marchés du service des technologies et des systèmes d’information, le ST(SI)2. Nous connaissons tous l’exemple des photocopieuses et savons qu’il est compliqué, pour les services déconcentrés, d’avoir plusieurs interlocuteurs.

Où en êtes-vous de la question des immobilisations et des achats stockés dans Chorus ? Les comptables publics sont de plus en plus regardants sur ce sujet et les services déconcentrés sont démunis.

Concernant l’achat des véhicules, comment gérez-vous la trajectoire qui est prévue au niveau interministériel de diminution de la flotte diesel ? Finalement, restez-vous sur la doctrine de la gestion en flux tendu – puisqu’on essaie d’évacuer les stocks ? Quand je me suis rendu à la police judiciaire (PJ) de Lille, les policiers m’ont expliqué que, lors des achats de véhicules, ils ne prenaient pas l’option « cache gyrophare », qui coûte entre 60 et 80 euros. Ils les fabriquent avec une imprimante 3D, à un coût unitaire de un ou deux euros ?

Avez-vous réalisé des prospectives de ce que nous pourrions réinternaliser ?

Enfin, travaillez-vous en lien avec la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) ? C’est une façon de diminuer les coûts et de fournir du travail en détention, qui n’est pas si évident.

M. Jean Bouverot. Ma conviction, par rapport au déficit d’image, c’est le travail. Nous devons écouter, travailler et produire ce qui est attendu. J’ai vécu ce problème lorsque j’étais chargé de la création de la direction des achats de la SNCF, au début des années 2000, et nous avons apporté la réponse en travaillant. Je ne crois pas aux grandes campagnes de communication, je crois aux résultats.

Quid des achats sur AE pluriannuelles et de leurs déconvenues ? Vous avez évoqué le rapprochement avec le secrétariat général et la direction des évaluations de la performance et des affaires financières (DEPAFI). C’est un peu compliqué, car nous devons tenir compte de la problématique des aléas budgétaires et je vous mentirai si je vous disais que j’ai trouvé la solution. Nous faisons de la mise en réserve. C’est un véritable sujet, sur lequel je ne peux vous apporter de réponses ici.

M. Ugo Bernalicis. Bercy ne vous accompagne pas sur ce sujet ?

M. Jean Bouverot. Je ne sais pas, et je ne veux pas dire quelque chose de faux.

S’agissant de Chorus, j’ai bien l’intention de l’exploiter davantage, d’autant qu’il comporte un outil décisionnel. Depuis 2014, des groupes de marchandises dans Chorus correspondent à des segments d’achat interministériels ; 360 segments regroupés en familles. Cela nous permet d’avoir une vision catégorielle par groupe de marchandises de ce que nous dépensons.

Et cela nous permet aussi de faire de l’interministériel. Sur certains sujets, la direction des achats de l’État nous aide. Par exemple, aujourd’hui, c’est le ministère des armées qui achète le carburant et c’est le ministère de l’Intérieur qui s’occupe des pièces détachées. Cela permet de réduire le nombre de procédures et de gagner, par la mutualisation, en performance.

Vous avez évoqué les marchés du ST(SI)2. Nous sommes convenus que la prescription restait chez eux, ainsi que les ingénieurs ; en revanche, la procédure d’achat ira au SMA.

M. Ugo Bernalicis. Vous serez donc l’interlocuteur des services ?

M. Jean Bouverot. Uniquement sur la partie « achats ».

Concernant la question des immobilisations et des achats stockés dans Chorus, je ne comprends pas votre question.

M. Ugo Bernalicis. Je pensais notamment aux véhicules. Toute dépense unitaire supérieure à 5 000 euros doit être immobilisée dans Chorus. En 2016, une procédure de fiabilisation des immobilisations a été installée au sein du parc du ministère de l’intérieur et le SAELSI était censé être à la manœuvre. Or ce sont les SGAMI qui ont été interrogés par le comptable public pour fiabiliser ces immobilisations.

S’agissant des achats stockés, vous êtes obligés, en fin de gestion, de les rendre. Or il y a une distorsion au sein du ministère de l’intérieur, puisque les achats sont centralisés et les stocks parfois décentralisés. Les comptables publics ne savent pas si leur interlocuteur est en administration centrale ou déconcentrée, et le comptable en central n’a pas obligatoirement les retours d’information.

M. Jean Bouverot. Je suis désolé, je ne maîtrise pas ce sujet.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Il n’y a pas de problème, vous nous répondrez par écrit.

M. Jean Bouverot. S’agissant de l’achat d’un véhicule, les directives interministérielles préconisent les véhicules à essence. En ce qui nous concerne, nous nous intéressons aux capacités d’emport des véhicules, ce qui nous amène à des véhicules parfois un peu gros, qui sont moins chers en diesel du fait de l’écotaxe. De fait, le prescripteur choisit le diesel.

Nous travaillons également sur la question du bioéthanol. Nous pouvons aussi utiliser l’électrique ou l’hybride dans des zones urbaines et péri-urbaines.

M. Olivier Brun. Nous prenons bien évidemment en compte tous ces éléments et, selon les besoins et la capacité d’emport, nous adaptons le catalogue des achats, année après année. Cette année, il a déjà évolué par rapport à l’année dernière, pour prendre en compte notamment les véhicules hybrides et électriques. Nous avançons en partenariat étroit avec les constructeurs pour faire évoluer notre propre gamme de véhicules, au plus près de ce que les constructeurs seront à même de produire sur leurs chaînes. Bien entendu, nous devons appliquer les directives ministérielles sur le verdissement du parc.

M. Jean Bouverot. Nous travaillons sur la question de la gestion des stocks à flux tendu, y compris avec nos fournisseurs. Nous leur demandons de mettre en place des stocks de sécurité, ce qui nous a bien aidés pour les événements récents.

L’exemple du gyrophare, à la police judiciaire de Lille, est intéressant – le sujet de l’internalisation m’intéresse. Pour procéder ainsi, il faut justement avoir une stratégie et une vraie vision des coûts.

À la fin des années 2000, il nous a été demandé d’externaliser. Dans certains cas, nous constations que la régie rationalisée optimisée pouvait être plus efficace. Mais tout cela ne peut se faire que sur la base d’une analyse des coûts, et il est dommage d’obliger la PJ de Lille de bricoler pour gagner 80 euros.

Concernant la pénitentiaire, nous travaillons avec elle. À Bordeaux, elle produit du mobilier. Là encore, il s’agit d’une question de stratégie. Si l’acheteur m’informe que la pénitentiaire produit des tenues, nous nous y intéresserons, sans oublier de tenir compte de la dimension « responsabilité sociétale des entreprises » (RSE). Nous avons besoin de définir comment favoriser le retour à l’emploi des personnes qui en sont éloignées.

M. Rémi Delatte. Acheter mieux, vous l’avez dit, c’est acheter moins cher. Avons-nous les moyens d’apprécier la performance de la commande publique ? Avons-nous une idée du niveau de rabais accordé ?

Enfin, pouvons-nous imaginer que les collectivités territoriales auront accès au SMA ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez évoqué la nécessité d’entretenir des relations locales et vous avez cité les SGAMI. Or, ils ne sont pas locaux. Bien au contraire, il est difficile de les joindre. Et lorsqu’on parle de durée, selon vous, où le bât blesse ? Les professionnels, sur le terrain, nous disent que c’est au moment de la communication avec les SGAMI que les difficultés commencent.

Ne conviendrait-il pas justement de faire plus local ? Pour la police, un contact direct avec la direction départementale et pour la gendarmerie, avec le groupement de compagnie ?

Enfin, concernant la mise en réserve de crédits, « imposée par Bercy », sur quoi porte-t-elle exactement ?

M. Jean Bouverot. Acheter mieux, ce n’est pas uniquement acheter moins cher, même si cela peut conduire à de la performance économique ; nous devons aussi tenir compte de l’intégration des politiques publiques, de la RSE, des PME, de l’innovation…

Pour apprécier le niveau de rabais, nous disposons de techniques de mesure de la performance, inspirées des techniques du privé – L’Oréal, SNCF... Nous utilisons des benchmarks. En tant que président d’un club de directeurs des achats, je connais bien mes homologues ; et sans être transparents sur les prix, nous nous communiquons des ordres de grandeur.

S’agissant des collectivités territoriales, il serait compliqué de travailler avec elles, nos budgets sont différents et il faudrait probablement créer des centrales d’achat, des structures idoines ; mais nous ne devons rien nous interdire.

Je recevais hier la responsable achat du Grand Lyon, qui souhaitait confronter des idées sur un projet de réorganisation des achats qui lui est confié. Donc nous communiquons, nous partageons, nous nous aidons.

M. Rémi Delatte. De quel ordre sont les rabais ?

M. Jean Bouverot. Pour des achats récurrents, il s’agit de la différence entre le prix d’aujourd’hui et celui de l’ancien marché, sous réserve que la volumétrie soit équivalente et le produit exactement le même.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour des vêtements, par exemple, vous n’êtes donc pas impacté par une hausse du prix du coton ?

M. Jean Bouverot. Vous m’obligez à entrer dans le détail ! Quand nous mesurons la performance, la comparaison se fait en neutralisant le coût des facteurs. C’est la raison pour laquelle, en achat, nous avons toujours des gains budgétaires et des gains « achats » : donc deux indicateurs. Le gain « achats » est supérieur au gain budgétaire, le premier intégrant la neutralisation du coût des facteurs.

S’agissant de la difficulté à joindre les SGAMI et la problématique de la durée, je crois à l’organisation et à la communication. Si dans certains escadrons, il y aurait avantage à acheter, pourquoi pas. Mais cela doit être démontré car c’est aussi une charge d’acheter et cela ne se fait pas n’importe comment.

Il faut peut-être aussi des parcours professionnalisants qui intègrent les contraintes de tout le monde, car il existe beaucoup d’a priori. Au SAELSI, nous avons des a priori sur celui qui est dans son commissariat ou dans son escadron, et ce dernier trouve inadmissible de ne pas recevoir son pantalon en quinze jours.

Des parcours personnalisants qui passent par le soutien de la supply chain. Il peut être intéressant pour un DDSP de venir au SAELSI voir ce qu’est la supply chain et comprendre que tout n’est pas si simple, que derrière un achat il y a aussi des problématiques de sécurisation. Et n’oublions pas qu’il s’agit de l’argent public, il ne doit pas être dépensé n’importe comment.

Néanmoins, il existe des places de marché, des cartes achat, des outils permettant de donner des marges de manœuvre et de la souplesse aux escadrons.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous n’avez pas répondu sur la mise en réserve.

Pouvez-vous nous donner des informations sur des futurs investissements – les Irisbus, les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG), ou les motos pour les brigades motorisées (BMO) ?

M. Jean Bouverot. Les événements ont poussé les gendarmes à ressortir les VBRG. Nous n’avons encore rien décidé. Nous devons travailler avec l’armée, qui en dispose ; nous pourrions donc peut-être en récupérer et les « rétrofiter » pour le maintien de l’ordre – mais cette décision appartient à la direction des opérations.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Un budget est néanmoins nécessaire, un rétrofitage coûte quelque 250 000 ou 300 000 euros. Cette solution est-elle envisagée ?

M. Jean Bouverot. Je ne peux vous répondre, ce n’est pas moi qui alloue les budgets et aucune décision n’est encore prise. Je puis juste vous dire que nous travaillons sur cette question avec le DGGN.

M. Olivier Brun. Notre métier est aussi de travailler sur les véhicules du futur. Pour cela nous mettons en place des groupes de travail avec les directions d’emploi. Nous effectuons une tête de série, conformément à des prescriptions, qui est utilisée quelque temps, puis nous procédons à des retours d’expérience. Si les besoins sont couverts, nous lançons une production massive de véhicules aménagés.

Nous expérimentons en ce moment un véhicule de commandement du futur.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Messieurs, je vous remercie.

 

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  Audition du 7 mai 2019

Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l’accompagnement et du soutien à la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN).

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête avec l’audition de Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l’accompagnement et du soutien à la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN).

Nous avons souhaité aborder plus en profondeur, après l’audition du directeur général de la police nationale (DGPN), la question du soutien aux forces de police. Un métier difficile, des conditions de travail éprouvantes se répercutent sur les hommes et les femmes de la police parfois, malheureusement, de façon dramatique. Nous voudrions mieux savoir comment l’administration répond à ces difficultés et, en particulier, comment va se traduire concrètement l’accélération du plan de lutte contre le suicide, annoncé par le ministre de l’intérieur.

Avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(La personne auditionnée prête serment)

Mme Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l’accompagnement et du soutien à la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN). J’ai en charge, au titre de la DRCPN, l’accompagnement des personnes. Cette sous-direction s’est profondément réformée depuis deux ans, pour mieux répondre à la problématique de l’accompagnement individualisé des policiers et de leur soutien. J’encadre, par ailleurs, le service de soutien psychologique et opérationnel.

La sous-direction a plusieurs missions. D’abord, celle de l’accompagnement des blessés en service, avec la création récente d’une mission d’accompagnement des blessés et un guichet unique, au niveau zonal du secrétariat général de l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI). Ensuite, celle de l’accompagnement et du suivi individualisé des policiers et de leur famille, tant du point de vue social que professionnel – par exemple, les mutations dérogatoires, au titre de la santé ou de raisons sociales.

Est également rattachée à ma sous-direction la mission de reconversion et de reclassement de la police nationale. Elle a, par ailleurs, en charge la prévention et la qualité de vie au travail ; c’est à ce titre qu’intervient le programme de prévention du suicide. Enfin, elle comprend une dimension d’action sociale, au sens plus traditionnel du terme, avec deux problématiques dont j’ai la charge, que sont le logement et la petite enfance – les crèches.

Je vous présenterai maintenant le programme de mobilisation contre le suicide.

Vous le savez, le suicide frappe très durement la communauté policière, notamment depuis le début de l’année, puisqu’on dénombre vingt-huit suicides parmi les forces de l’ordre. Étroitement liées aux trajectoires de vies individuelles, professionnelles, familiales, les raisons d’un suicide sont par nature complexes. Par définition, elles nous échappent toujours un peu, même si nous pouvons, dans le cadre de la police nationale, sérier un certain nombre de facteurs de risque spécifiques.

Au contact de la souffrance, de la violence et de la détresse humaine, le métier de policier comporte une charge émotionnelle forte qui peut éprouver la stabilité de chacun. Par ailleurs, le policier a accès à un moyen létal dont l’utilisation lui est familière.

Depuis les années 2000, l'administration policière s'est attaquée à cette délicate problématique de la prévention du suicide, sans véritablement aboutir à une culture partagée de la prévention, une structure transversale qui serait capable de prendre en compte les différentes dimensions de la police, les différentes cultures métiers, allant des compagnies républicaines de sécurité (CRS) à la sécurité publique (SP) ou à la police aux frontières (PAF). Et, surtout, sans véritablement parvenir à ce que les instructions pensées au niveau central puissent se décliner très concrètement au niveau territorial ; des territoires plus ruraux sont aussi parfois concernés par la problématique du suicide – je pense à la Dordogne, il y a quelques années.

Le programme de mobilisation contre le suicide a été adopté à la suite d’une large concertation syndicale et a été pensé comme une boîte à outils, très pragmatique. Il vise, à l'aune des expériences précédentes et du bilan des actions menées, à renforcer la prévention, tout en restant humble devant la complexité de ces passages à l'acte.

Il se veut avant tout un cadre pratique, à finalité opérationnelle, permettant d’une part une mobilisation générale autour de ce sujet sensible, d’autre part une déclinaison territoriale.

Il a pour ambition de déstigmatiser le recours à l’aide. Si le suicide n’est plus un tabou dans la police nationale, il est encore difficile, pour un policier, fort dans sa représentation, de recourir au dispositif de soutien et d’aide.

L’enjeu de ce plan est aussi de mieux cibler les facteurs de risque spécifiques au métier de policier, jusqu’à présent insuffisamment appréhendés. Je pense notamment aux psychotraumatismes liés à la confrontation à la mort et à la violence – les blessures invisibles, les blessures psychiques, qui peuvent, lorsqu’elles ne sont pas traitées, aboutir à des passages à l’acte. Cela peut être des événements graves, tel un attentat, mais également un professionnel qui, régulièrement, confronté à la mort a développé des facteurs de protection, et qui, subitement, passe à l’acte.

Le programme de mobilisation contre le suicide est structuré autour de trois axes.

Le premier axe vise à mieux répondre à l’urgence et à améliorer la prise en charge. Il s’agit, dans un premier temps, de permettre à l’entourage professionnel de mieux repérer au sein d’un collectif de travail, les agents traversant une crise suicidaire. Comment ? En donnant des clés de compréhension de ce qu’est une personne vulnérable et une personne susceptible de traverser une crise suicidaire.

Dès le mois prochain, nous organiserons des séminaires zonaux, à destination des encadrants, avec un véritable programme de formation, de compréhension du phénomène suicidaire, dans lesquels sera diffusé un mémento pratique sur la prévention du suicide, et des fiches réflexes.

Nous sommes également en train de concevoir une e-formation – un MOOC, en anglais – sur la prévention du suicide, qui sera téléchargeable, et qui permettra, grâce à de petites vidéos très courtes, à un chef de service ou un gradé qui s’interrogerait sur le comportement de son collègue, si oui ou non il doit alerter.

Afin de faciliter l’alerte et de garantir l’échange d’informations entre professionnels, un nouveau service d’accès téléphonique permettra au policier d’être mis en relation, en journée, avec un psychologue territorialement compétent, et, la nuit, avec un psychologue d’astreinte. Nous avons également créé une boîte mail de signalement et repensé le réseau de « sentinelles ». Une « sentinelle » est un pair qui a suivi une formation spécialisée de prévention du suicide qui peut lui permettre d’aller vers son collègue pour lui indiquer les ressources à sa disposition. Ressources internes à l’institution, mais également externes – nous devons être en capacité d’orienter les policiers vers des ressources extérieures, notamment le secteur psychiatrique.

Dans un second temps, il s’agit d’améliorer la prise en charge à court terme des agents, avec la volonté de déstigmatiser le recours à l’aide. Nous sommes sur le point de lancer une grande campagne de communication sur le thème « être fort, c’est aussi savoir demander de l’aide ». Trop souvent, les personnes qui passent à l’acte étaient parfaitement inconnues des réseaux de soutien ; d’où l’importance de ce message.

Nous travaillons également sur une orientation plus systématique vers le secteur psychiatrique, avec un conventionnement, territoire par territoire, avec des hôpitaux de référence. D’ores et déjà, deux conventions ont été signées avec Psy Sud et l’Institution nationale des invalides, sur la thématique spécifique du psycho-trauma et de l’état de stress post-traumatique.

Le dernier volet de ce premier axe porte sur le soutien, après une tentative de suicide (TS). Comme dans toutes les institutions, les TS sont les plus complexes à connaître, car il est encore tabou de dire que l’on a déjà attenté à ses jours ; pourtant, les risques de récidive sont importants. La direction générale de la police nationale (DGPN) s’est rapprochée du dispositif Vigilans, qui vise à prévenir les récidives en gardant le contact avec les personnes ayant attenté à leur jour – l’un des facteurs les plus importants du passage à l’acte étant l’isolement. Une expérimentation au sein de la police nationale va être conduite en ce sens dans le Nord, où des « vigilanceurs », des personnes qui appellent, seront spécialement formés au sein de la police nationale.

Le plan définit en outre un dispositif de « postvention », qui consiste à déterminer les modalités communes de prise en charge de la hiérarchie et des agents directement au contact du défunt et de sa famille, après passage à l’acte. La contagion peut toucher une équipe, mais également un service ou même un territoire du fait de la surmédiatisation du drame – un sujet qui est documenté, y compris par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les mots qui sont choisis sont importants. Il ne faut ne pas donner une vision positive du suicide, ne pas anoblir le geste, ne pas faire de décomptes morbides qui conduiraient à présenter le suicide comme une fatalité. Dans ce cadre, nous avons élaboré un guide de communication et prévu l’intervention systématique de psychologues du service de soutien psychologique opérationnel (SSPO), pour débriefer et suivre les équipes.

Nous préparons une nouvelle formation visant à approfondir cette thématique de la contagion suicidaire, qui sera un axe fort du plan suicide du ministère de la Santé, qui paraîtra le mois prochain.

Le deuxième axe du programme de mobilisation contre le suicide vise à prévenir plus efficacement les situations de fragilité. Je pense aux agents qui ont pris un congé longue maladie ; la reprise du travail est une période délicate qui peut se traduire par un passage à l’acte. D’autres agents sont fragilisés dans leur vie privée – endettement, séparation –, d’autres encore sont blessés psychiquement. Nous avons pensé à des dispositifs spécifiques pour mieux les accompagner et prévenir les risques de passage à l’acte.

La question du retrait de l’arme aux personnes fragilisées fait l’objet d’une attention particulière, avec le développement d’un meilleur suivi informatique des armes et l’élaboration de fiches réflexes pour les encadrants. Nous avons deux médecines dans la police nationale : la médecine dite de prévention, semblable à la médecine du travail, et la médecine statutaire qui existe dans toutes les forces de sécurité. Une médecine qui agit dans l’intérêt de l’administration, qui décide de l’aptitude à l’exercice de la fonction et à qui revient la difficile décision du retrait ou non de l’arme.

L’axe numéro trois consiste à agir sur le collectif de travail. Il peut et doit constituer un facteur de protection important. Quand la vie privée d’un agent va mal, s’il se sent intégré au travail et soutenu, ce sentiment peut l’aider.

Le plan favorise dès lors toutes les initiatives qui visent à rompre l’isolement du policier en favorisant la cohésion par la pratique du sport, par exemple. Nous avons conclu un partenariat avec la fédération sportive de la police nationale, pour lui donner des objectifs spécifiques, en lien avec la prévention du suicide. Par ailleurs, un budget est dédié à l’organisation plus fréquente de moments de convivialité, et la promotion des amicales associatives.

Une instruction va être prochainement diffusée par le directeur général, qui rappellera ce qu’il est possible de faire pour animer la cohésion et la convivialité. Nous avons également, dans le cadre des séminaires zonaux, à destination des encadrants, un temps sur ce sujet, où des expériences simples sont présentées. Récemment, une commissaire de police de la petite couronne m’expliquait comment elle faisait vivre l’amicale de la police nationale – organisation de barbecues ou de courses avec ses équipes.

L’objectif est aussi d’améliorer les conditions quotidiennes d’exercice du travail, qui participent de la qualité de vie globale. Nous sommes en ce moment particulièrement attentifs à la question du travail de nuit, sur laquelle nous allons initier une réflexion avec les organisations syndicales. Par ailleurs, la réforme en cours sur le temps de travail devrait permettre une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie privée.

Agir sur le collectif de travail passe aussi par les formations inter-corps, qui facilitent la cohésion. La question du management dit « bienveillant » - je préfère « bienfaisant » - sera également au cœur des séminaires zonaux. Sept séminaires sont prévus.

Comment déployer efficacement le plan et à quoi servira la cellule « alerte, prévention, suicide », installée voilà quelques jours par le ministre ?

Le programme sera décliné territorialement. Nous demanderons à chaque comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de chaque territoire de présenter un bilan concret des actions qu’il a menées durant l’année écoulée, et de la façon dont il s’est saisi du plan.

Nous allons également former tous les conseillers prévention police – plus d’une centaine de personnes – à cette thématique, pour qu’ils soient en capacité d’animer le sujet. Je vous l’ai indiqué, des séminaires zonaux vont être organisés.

Enfin, la cellule « alerte, prévention, suicide » a pour but d’orchestrer ce programme ambitieux, d’accélérer sa mise en œuvre, d’interroger son efficience, de s’assurer de la pleine implication de tous les acteurs, et de proposer rapidement un échéancier des actions avec une priorité donnée aux mesures les plus fortes et les plus rapides, qui pourront juguler la progression des suicides dans notre institution.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Vous avez évoqué les formations inter-corps ; j’imagine qu’il s’agit des trois corps actifs de la police nationale. Comment vont se dérouler ces formations et sur quels sujets l’accent sera-t-il mis ?

Vous avez également évoqué le management bienfaisant ; j’imagine que l’idée n’est pas d’insinuer qu’il puisse y avoir un management malfaisant. Nous comprenons néanmoins le concept : des chefs plus à l’écoute, plus empathiques, etc. Mais auront-ils réellement les moyens de travailler sur ce management bienfaisant, à savoir de récompenser mieux ceux qui le méritent et de disposer de pouvoirs, d’outils pour aider les agents ? L’avis du chef sera-t-il pris en compte – concernant une mutation, par exemple ?

Par ailleurs, et je ne fais pas ici le lien avec les suicides, la question du rapprochement d’époux est-elle mieux appréhendée, car elle est souvent un échec ? De nombreux policiers sont en couple, et quand l’époux ou l’épouse ne peut pas suivre, la situation peut s’aggraver rapidement, financièrement et psychologiquement…

Enfin, une réflexion est-elle menée au sein de la police nationale sur une reconnaissance qui serait accordée aux policiers, telle qu’un statut d’anciens combattants, comme dans l’armée ? Des policiers, et pas uniquement dans les unités spéciales, comme l’unité Recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID) ou la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), ont dû monter au feu et n’obtiennent jamais cette reconnaissance.

Mme Noémie Angel. Concernant la formation, peut-être entendrez-vous le directeur central de la formation, M. Philippe Lutz. Je n’ai, pour ma part, qu’un rôle de coordinatrice. Cependant, à ma connaissance, une formation inter-corps a été délivrée dans les Bouches-du-Rhône et à Paris. Un stage avait ensuite été organisé dans les Bouches-du-Rhône, sur « Communiquer efficacement avec ses collaborateurs ».

Des projets importants sont prévus sur cette thématique. Je me propose, si vous le souhaitez, de faire parvenir à la commission la liste de ces projets. L’expérience dans les Bouches-du-Rhône a en tout cas été extrêmement positive.

Par ailleurs, le module de formation que nous sommes en train de concevoir sur la prévention du suicide – en partenariat avec l’École nationale supérieure de la police (ENSP) – était initialement prévu pour les commissaires et officiers. Nous avons décidé de l'élargir avec différents modules parce qu'il nous semble important que tout le monde dispose des mêmes clés.

S’agissant du management bienveillant, il n’est, en effet, pas question de parler de management malfaisant, mais plutôt de donner des clés de compréhension. Dans le cadre des séminaires zonaux, qui seront animés sur cette question par la direction centrale de la formation, nous souhaitons expliquer comment, dans un collectif, il convient de gérer un agent fragilisé, de l'orienter…Mais vous avez raison, nous nous interrogeons sur la façon pour la direction de gérer des questions « ressources humaines ». C’est actuellement l'objet d'un groupe de travail, regroupant le service déconcentré d’appui à la recherche (SDAR), qui est le volet RH de la DRCPN, les services actifs et la direction de la formation, laquelle réfléchit aux modalités concrètes et à ses traductions.

Des efforts importants ont été réalisés ces dernières années, dans les formations, sur cette notion de management. Je vous l’ai dit, une partie du mémento pratique est relative à la question du management, notamment du management des personnels en difficulté. Mais l’enjeu est aussi celui des capacités de l'institution à répondre, en termes de carrière et de mutation.

Aujourd'hui, dans le cadre du département de l'accompagnement, qui a été constitué dans ma sous-direction, nous sommes particulièrement attentifs aux situations individuelles qui nous sont remontées. Nous allons essayer, de manière transversale, lorsqu'une réelle difficulté a été détectée, de faire avancer le dossier.

Cela passe aussi par un dispositif que nous gérons, les mutations dérogatoires qui cependant répondent à un certain nombre de critères.

Ceci me permet de faire le parallèle avec votre question sur le rapprochement des époux. Les demandes de rapprochement trop souvent passent par le dispositif des mutations dérogatoires, car il est difficile de muter deux personnes à la fois. Ceci engendre des situations extrêmement complexes d'un point de vue familial, avec une personne qui gère les enfants d'un côté du territoire, et l'autre qui est parfois à des kilomètres. J'ai tout de même le sentiment que, grâce aux mutations dérogatoires, les deux tiers des demandes obtiennent satisfactions, et que l’on arrive à résoudre un certain nombre de situations, dès lors qu’elles répondent aux critères de l'instruction de 2012. Certains services ou lieux sont extrêmement sollicités, je pense notamment à l’outre-mer.

S’agissant du statut d’anciens combattants, nous ne disposons pas d’un tel dispositif. Nous avons un accompagnement, une forme d’out placement, via la mission de reconversion et de reclassement, pour accompagner les policiers qui souhaitent effectuer une nouvelle carrière, mais pas de statut d'anciens policiers.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite aborder trois points qui, suite aux différentes auditions que nous avons effectuées, me semblent contribuer au malaise des policiers. Le premier est le lieu de travail, certains commissariats se trouvant dans un état de grande vétusté. Le deuxième point, ce sont les conditions de travail. Les syndicats de policiers souhaitent la création d’une inspection du travail. Ce pourrait être une bonne idée, puisque, aujourd’hui, quand un policier veut se plaindre, il doit saisir directement le tribunal administratif (TA). Troisièmement, je sais que cette question ne vous concerne pas, mais les policiers ont parfois un sentiment d’impunité, en raison d’une réponse pénale insatisfaisante. Des personnes qui ont commis une infraction ou un délit ne font l’objet que d’un simple rappel à la loi, du fait de l’encombrement des tribunaux et des prisons.

Il nous a été rapporté l’exemple d’un jeune de quinze ans – arrêté la première fois à douze ans –, qui, du fait de l’ordonnance de 1945, repart après chaque arrestation avec un rappel à la loi en se moquant ouvertement des policiers qui ont fait leur travail.

Quelles mesures pourrait-on envisager pour changer cet état de fait et donner un peu plus de valeur au travail de nos policiers ?

Mme Noémie Angel. Je répondrai à vos questions dans la limite de mes compétences.

Concernant les lieux de travail, ma sous-direction a en effet la charge de cette question, mais elle n’entre pas dans mon champ de compétence. Je puis néanmoins vous indiquer que des efforts importants ont été réalisés sur les petits travaux et que des enveloppes ont été allouées pour tenter de régler cette question.

Les situations les plus détériorées font en général l’objet d’un suivi, voire de visites de sites, au titre du décret de 1982, des membres du CHSCT – dont je fais partie – qui jouent souvent un rôle de catalyseur. En effet, nous sommes accompagnés d’un certain nombre de professionnels, notamment par les inspecteurs de santé et de sécurité au travail (ISST), ce qui permet de relever les situations les plus critiques et d’accélérer la prise en compte des travaux nécessaires.

Tous les CHSCT départementaux procèdent à des visites de sites, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années. Il s’agit d’un axe que nous avons développé. Nous avons formé les secrétaires de CHSCT, des représentants du personnel, lors des journées nationales, il y a deux ans, à la problématique de la visite de site. Nous avons par ailleurs produit un guide pour les accompagner.

J’ai bien conscience que je ne réponds pas en totalité à votre question, mais je peux me rapprocher de mon collègue de la sous-direction des finances et vous apporter un éclairage financier plus précis.

Sur cette même thématique, nous disposons de crédits destinés à la création d’espaces sociaux de restauration, de lieux de convivialité qui favorisent la qualité de vie au travail.

S’agissant de l’inspection du travail, une instance existe qui n’est pas évoquée par les organisations syndicales : les inspecteurs santé et sécurité au travail (ISST). Ces inspecteurs ne dépendent pas du directeur général de la police nationale, mais du secrétariat général. Ils sont formés durant plusieurs mois sur l’ensemble des risques, et se déplacent sur le territoire.

Le corps des ISST est composé d’un tiers de gendarmes, d’un tiers de policiers et d’un tiers de personnels issus du secrétariat général. Ils sont formés à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (INTEFP) et ont vocation à effectuer des inspections relatives au respect des règles du code du travail, puisqu’une partie s’applique dans à la fonction publique – celle relative aux conditions de sécurité – et à produire des rapports. Il me semble qu’ils disposent également de prérogatives de saisine de l’inspection du travail en cas de non-conformité – la santé et la sécurité faisant l’objet d’une obligation, non pas de moyens, mais de résultats.

L’inspection du travail joue également un rôle en matière de harcèlement. Mais là encore, il existe une inspection générale de la police nationale qui, en interne, peut être saisie via Signal-Discri, une plateforme de signalements qui diligente des enquêtes sur tous les signalements relatifs au harcèlement et à la discrimination.

Toutefois, il est vrai que nous sommes dans une culture très orientée vers le pénal. Je le constate avec la médecine statutaire. Un policier qui n’est pas satisfait de l’avis d’aptitude a la possibilité de saisir le comité médical, mais il saisira directement le tribunal administratif.

Enfin, concernant la réponse pénale non satisfaisante, je ne suis pas compétente pour vous répondre. Je travaille sur l’accompagnement individualisé et le suivi social.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Justement, dans l’accompagnement individualisé, cette question fait-elle partie des remontées de la part de policiers ?

Mme Noémie Angel. Non, ils vont me parler de leur fatigue, de leur volonté de mobilité, mais pas des conditions d’exercice du métier.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Cela contribue néanmoins à la perte de sens et à la fatigue morale du policier.

Vous avez indiqué vous occuper également de la petite enfance. C’est une question importante, étant donné le nombre élevé de couples de policiers. Progressons-nous sur la question des crèches sur les lieux de travail comme cela se fait à l’étranger ?

Par ailleurs, le logement pose un vrai problème. Notamment en régions parisienne et niçoise, particulièrement sous tension, où les problèmes de logement sont importants. Nous avons tous entendu l’histoire de ces policiers qui, soit cohabitent, et retournent en province lors de leur repos, soit, dorment dans leurs voitures.

La politique de logement de la police nationale compte-t-elle davantage de logements qu’auparavant ?

Mme Noémie Angel. Concernant les crèches, nous en avons aux directions centrales, à Beauvau, à Lumière, à Nanterre et près de l’immeuble Garance. En ouvrir davantage sur le territoire poserait des questions de sécurité. La question a été évoquée après l’agression du couple de policiers à Magnanville. L’effet Magnanville sur la psychologie individuelle et sur la crainte des policiers pour leur famille a été très fort. Des épouses de policiers, assistantes familiales, se sont même interrogées sur le fait de continuer à accueillir à leur domicile les enfants dont elles avaient la garde.

Cependant, la police nationale dispose de très nombreuses places en crèches, notamment 580 en Ile-de-France. Nous fonctionnons par des marchés publics que nous conventionnons par arrondissement. Nous disposons également de places de crèche dans la majorité des grandes aires urbaines.

Nous faisons également en sorte de prendre en compte le rythme de travail des policiers, et nous disposons ainsi de places en horaires décalés, qui intéressent particulièrement les agents de la police de l’air et des frontières (PAF) à Roissy. Nous complétons cette politique par des chèques emploi service universel, spécifiques au ministère de l’Intérieur, pour favoriser l’aide à la garde d’enfants. Nous disposons notamment d’un dispositif propre aux familles monoparentales, particulièrement en difficulté sur cette question de la garde d’enfants et d’un dispositif spécifique à l’Ile-de-France, pour les enfants de plus de six ans.

Concernant le logement, le ministère dispose d’un parc important de 15 579 logements sociaux. La politique de logement se concentre essentiellement sur l’Ile-de-France, mais nous sommes en train de l’étendre au-delà de la grande couronne, les agents habitant de plus en plus vers Orléans ou en Normandie.

Je tiens à préciser que le chiffre de 15 579 est un chiffre commun à l’ensemble du ministère c’est-à-dire les policiers et les personnels administratifs. Plus spécifiquement, au niveau de la préfecture de police, nous disposons de 13 250 logements. Et chaque année, nous réservons un certain nombre de logements. Le nombre d’agents nouvellement logés en 2018 est de 1 670 agents. S’agissant de logements sociaux, les agents doivent répondre aux critères d’attribution auprès du bailleur social.

Concernant les situations particulièrement difficiles que vous avez évoquées, et que je ne nierai certainement pas, sachez tout de même que certains agents affectés en Ile-de-France font le choix de conserver leur logement en province et refusent un logement fixe près de leur lieu de travail. C’est pourquoi la préfecture de police tend vers de plus en plus de petits logements ou de places en foyers qui répondent davantage à la demande des primo-arrivants à Paris, qui cherchent à se loger à moindre coût, car ils ont des traites à payer pour leur maison en province.

Nous nous adaptons donc aux changements sociologiques, tout en ayant la volonté de fidéliser les policiers en Île-de-France. C’est d’ailleurs l’objet du prêt à taux zéro du ministère de l’Intérieur, qui se concentre sur les départements au-delà de la grande couronne, mais aussi dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône, la Gironde, le Nord, le Bas-Rhin et le Rhône ; autant de départements sous tension.

Nous travaillons actuellement sur un nouveau dispositif intéressant : le prêt social de location-accession – les loyers se transforment et traites et permettent une accession à la propriété.

 

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  Audition du 7 mai 2019

M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, M. Gilbert Mabecque, adjoint à la sous-directrice des ressources humaines et de la logistique, et M. Jean-Cyrille Reymond, sous-directeur des missions de sécurité.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête avec l’audition de M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP), accompagné de M. Gilbert Mabecque, adjoint à la sous-directrice des ressources humaines et de la logistique, et de M. Jean-Cyrille Reymond, sous-directeur des missions de sécurité.

Monsieur le directeur, vous êtes à la tête de la première direction active de la police nationale en termes d’effectifs – effectifs qui sont en première ligne dans la lutte contre la délinquance et l’insécurité. Nous souhaitons donc aborder avec vous les problématiques, voire les difficultés, souvent évoquées que rencontrent les agents de la sécurité publique dans l’exercice de leurs missions quotidiennes et les perspectives qui pourraient améliorer cet état de fait. Je sais que, dans ce domaine, vous avez de nombreux projets.

Messieurs, avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Salanova, je souhaiterais que vous abordiez plusieurs questions : l’immobilier, qui est un sujet phare de notre travail ; les équipements, principalement dans le cadre du maintien de l’ordre, mais également le matériel comme les véhicules ; le temps de travail, avec la question de la « vacation forte » et les heures supplémentaires ; enfin, le recrutement, notamment d’officiers de police judiciaire (OPJ). Comment expliquez-vous le manque d’OPJ : est-ce une question de rémunération ou bien de tâches qui ne sont pas assez motivantes ?

M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique. Avant de répondre à vos questions, monsieur le rapporteur, je souhaiterais dire quelques mots sur ce qu’est aujourd’hui la direction centrale de la sécurité publique, qui est composée de 67 000 personnes et que j’ai l’honneur de diriger.

Depuis le 2 janvier dernier, l’intégralité des cadres supérieurs de la direction centrale ont été changés – le directeur central, le directeur central adjoint, les sous-directeurs, les sous-directeurs adjoints… Et en quatre mois, les quinze plus importantes directions départementales de la sécurité publique (DDSP) ont changé de directeurs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Que sont devenus les précédents ?

M. Jean-Marie Salanova. Les directeurs et sous-directeurs de la direction centrale ont été nommés à des postes importants, sur le terrain ; personne n’a été passé à la trappe. Deux ou trois directeurs départementaux de la sécurité publique (DDSP) sont partis à la retraite, et d’autres sont venus travailler avec moi – je suis moi-même ancien DDSP de Marseille. Il y a donc eu un turnover important, qui vise à créer une dynamique nouvelle, au bénéfice de la collectivité.

Nous sommes en train d’installer un nouveau type de pilotage des services, dont les organisations syndicales ont dû vous parler : un management plus transversal et plus collaboratif, c’est-à-dire une plus grande ouverture à l’ensemble des cadres de la maison, une maison qui compte 600 commissaires, plus de 3 000 officiers et quelque 1 200 majors de police. Tous ces cadres, mais également l’ensemble du personnel, ont des idées, une vision, une expérience que nous devons mettre à profit. D’où un management plus transversal, plus déconcentré, avec une délégation de responsabilités aux DDSP. Et un pilotage fondé sur le principe de subsidiarité, afin d’éviter les doublons et d’adapter les décisions à chaque échelon.

Parce que cette maison est sous la pression permanente de l’actualité, elle s’est fortement réorganisée ces dernières années, mais il reste du travail, notamment pour supprimer un certain nombre de doublons. Ce nouveau pilotage vise aussi à une plus grande réactivité et une plus grande proactivité. Aujourd’hui, le temps s’accélère : les événements se multiplient sous l’œil permanent, outre des médias, des smartphones des citoyens, dans un monde complètement ouvert. Il est donc nécessaire, pour être plus proactifs et réactifs, de déconcentrer et de simplifier la structuration des services pour arriver à un pilotage plus direct – c’est-à-dire moins d’échelons de commandement.

Sous l’autorité du directeur général de la police nationale (DGPN), et du service des technologies et des systèmes d’information (STSI), en particulier, nous nous engageons résolument dans la dématérialisation et la modernisation : main courante informatisée ; nouveau logiciel de rédaction des procédures ; nouveaux logiciels pour gérer les PC radio ; centres d’information et de commandement (CIC) ; portabilité, avec le système NEO, déployée depuis deux ans maintenant.

Toutes ces réformes concernant le pilotage et la gestion de notre maison se font au bénéfice de l’opérationnalité. Je rappellerai la réforme très structurante de la police de sécurité du quotidien (PSQ), que le Gouvernement et le ministre de l’intérieur nous ont demandé de déployer depuis le printemps dernier.

Le schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) est une autre grande réforme opérationnelle, pour laquelle la sécurité publique a déjà aménagé, depuis un mois, des évolutions pour que les petits départements, c’est-à-dire les deux tiers des départements français, puissent bénéficier d’une formation et d’un équipement en termes de maintien de l’ordre. En effet, depuis le mouvement des Gilets jaunes, l’ordre public s’exprime, dans ces départements, de manière différente ; il s’apparente de plus en plus à ce que nous appelons, dans les grands départements, les violences urbaines. Je prendrai pour exemple, les événements qui se sont déroulés au mois de décembre au Puy-en-Velay.

Une réorganisation, donc, au bénéfice de l’opérationnalité, mais également du management des policiers : des services mieux structurés, des personnels mieux formés et à qui nous expliquons les réformes afin de donner du sens à leurs missions. Il n’est, en effet, plus possible, aujourd’hui, de demander à un policier de travailler sans lui expliquer le sens de ses missions. Un management également plus proche des personnels et qui préserve au mieux leur vie personnelle.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La sécurité publique de la police nationale est assurée 24 heures sur 24, toute l’année, ce qui n’est pas le cas de la gendarmerie – qui fonctionne autrement. Cette façon de fonctionner est-elle toujours valable, partout ?

S’agissant du temps de travail, la « vacation forte » est souvent évoquée par les policiers, puisqu’elle leur permettrait de bénéficier d’un week-end sur deux, contre un sur six actuellement. Ils préfèrent, pour le bien-être de leur famille, être plus présents chez eux le week-end. Cette formule va-t-elle être suivie sur tout le territoire ?

Ma troisième question est relative aux rapports police-gendarmerie. Est-il envisagé, dans certains départements où sont présentes, à la fois les forces de police et de la gendarmerie, de supprimer l’une des deux forces ? Par exemple, de supprimer une petite DDSP au profit des gendarmes départementaux ou de supprimer la présence des gendarmes dans une DDSP plus importante ? Je connais une partie de la réponse : les élus, locaux et nationaux, s’y sont toujours opposés.

De même, est-il envisagé de réaliser des économies en ne gardant qu’une salle de commandement par département qui rassemblerait police et gendarmerie et en redéployant le personnel sur la sécurité publique ?

M. Jean-Marie Salanova. La police et la gendarmerie ont des rythmes de travail différent avec, effectivement, pour la police, l’obligation d’être présente jour et nuit, contrairement aux gendarmes qui n’interviennent qu’en cas d’incident – pour le dire de manière un peu caricaturale. Pourquoi ? Parce que plus le centre urbain est important, plus il y a d’activité délinquante la nuit.

Il se trouve que la composition sociologique de nos territoires a évolué, depuis que la police a été structurée en police nationale dans les années 1940. Des territoires ont vu leur population régresser, voire s’effondrer, et d’autres ont connu des concentrations de populations.

Depuis une quinzaine d’années, un certain nombre de redistributions de territoires de compétence entre la police et la gendarmerie ont été réalisées, de manière à adapter les spécificités et le rythme de travail de chacune des forces aux spécificités de la vie des territoires. Sommes-nous au bout de ce que nous pourrions faire ? Je ne le pense pas. Des propositions sont-elles à l’ordre du jour ? Oui.

Les possibilités de redistribution des territoires sont connues du directeur central que je suis, mais surtout du directeur général de la police nationale qui, me semble-t-il – mais je ne m’autoriserai pas à m’exprimer à sa place –, tout comme moi, est disposé à travailler sur les différentes options, lorsque le feu vert sera donné.

S’agissant de la vacation forte, elle a été créée il y a deux ou trois ans, pour permettre aux policiers qui travaillent en « trois huit » de bénéficier de plus de week-ends. En effet, le cycle traditionnel étant de quatre jours de travail pour deux jours de repos, les policiers ne bénéficient d’un week-end en famille que toutes les six semaines. Ce qui, aujourd’hui, en termes d’équilibre personnel mais aussi d’acceptabilité, est intenable.

L’ensemble des policiers et des cadres policiers, dont je fais partie, s’accorde à dire qu’il convient de trouver un rythme de travail permettant de concilier à la fois les intérêts du service public de la sécurité, le coût du travail et la vie personnelle et familiale du policier, nécessaire à son équilibre. Or le système de la vacation forte a été créé en privilégiant le personnel et en mettant au second plan l’intérêt du service public. La vacation forte a contrarié les rythmes de travail et a coûté cher à l’administration.

En effet, pour tenir ce rythme de trois fois huit heures, nous avons organisé trois vacations de neuf heures et demie ; soit une heure et demie de plus que nécessaire pour réaliser le travail. Par ailleurs, pour que les repos coïncident, tous les quinze jours, avec un week-end, les plages de succession de travail et de repos ont été compressées pour qu’il y ait un chevauchement entre deux équipes ; soit deux fois plus de personnels pendant une heure et demie, alors qu’il n’y a pas de plus de travail. Il en résulte une augmentation de 33 % du coût unitaire du travail.

Pouvons-nous continuer sur cette ligne-là ? Ce n’est pas au directeur central de la sécurité publique que reviendra l’arbitrage final, bien évidemment. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a remis une étude, il y a quelques semaines, mettant en exergue le coût important de la vacation forte. Elle a formulé une proposition du directeur général, dont les syndicats ont été informés, qui consisterait à garder la vacation forte pour les nuits, et à aménager autrement le temps de travail en journée. Nous en sommes là, le travail d’échange avec les syndicats ayant à peine démarré.

Néanmoins, nous pouvons imaginer des rythmes de travail avec le cycle quatre-deux compressé qui apportent un plus, puisque le policier bénéficiera d’un week-end sur trois, et non plus sur six. Mais là, aussi le coût est important.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous parlons de combien ?

M. Jean-Marie Salanova. Pour la sécurité publique, de quelque 3 300 policiers supplémentaires, sans compter le surcoût pour la police de l’air et des frontières (PAF) et la préfecture de police. Ce coût est-il supportable ? C’est une question d’arbitrage.

S’agissant de la redistribution des territoires entre la police et la gendarmerie, je n’ai pas répondu à votre question concernant l’opposition des élus. Ce que nous constatons, c’est que, quand il s’agit de transférer un secteur de la gendarmerie vers la police, les élus souhaitent garder la gendarmerie, et quand il s’agit de transférer un secteur de la police vers la gendarmerie, ils souhaitent garder la police. Une explication doit donc avoir lieu. J’ai, par le passé, eu à gérer des transferts. Quand la communication est forte et que l’argumentation est poussée, la compréhension est au rendez-vous la majeure partie du temps, la volonté de bien faire, chez les policiers et les gendarmes, étant toujours là, bien évidemment.

Alors pouvons-nous imaginer, dans des circonscriptions où l’activité de nuit est réduite, que les policiers ne soient pas nécessairement au travail, mais, comme les gendarmes, qu’ils soient appelés en cas d’intervention ? Se pose alors une question technique, celle du retour au service qui doit pouvoir se faire dans un délai rapide. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les gendarmes vivent en caserne.

Quid également du coût ? Car il faudrait fixer une obligation de résidence, qui suppose un parc locatif disponible, ce qui n’est pas toujours le cas dans les circonscriptions les moins urbanisées, ou les faire vivre en caserne ; tout peut être envisagé.

S’agissant des salles de commandement, un rapprochement entre la police et la gendarmerie permettrait, selon moi, non seulement de réaliser des économies, mais également d’être plus efficaces. J’y suis donc totalement favorable.

Des réflexions ont été menées sur cette question, il y a une quinzaine d’années, lorsque j’étais sous-directeur des ressources humaines et des moyens à la DCSP. Nous avions élaboré un projet de mise en commun de salles de commandement entre plusieurs petites DDSP car c’est le plus simple à réaliser. En effet, la mise en commun d’une salle de commandement suppose qu’il y ait des réseaux radio interopérables et que les process d’intervention des forces qui vont être pilotées soient proches. Le plus simple et le plus rapidement faisable était donc de travailler en interdépartemental, entre forces de même nature.

Le DGPN et la DCSP étaient, à l’époque, prêts à lancer ce projet qui, in fine, a été abandonné au motif que l’organisation constitutionnelle du pays est fondée sur le département – et sur un représentant de l’État par département. Le copilotage posait un problème au préfet qui estimait qu’il n’avait plus de poste de commandement (PC) radio et ne pouvait plus, par conséquent, exercer la responsabilité qui lui était confiée par la Constitution.

D’autres réflexions ont été lancées au début des années 2010, cette fois-ci sur la constitution, dans un même département, d’une salle commune police-gendarmerie – la police y était favorable – avec la possibilité éventuelle d’y faire entrer les pompiers. J’étais à l’époque le DDSP des Yvelines, et le colonel commandant le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) était d’accord avec cette proposition. Une proposition qui ne s’est pas concrétisée pour des raisons financières.

Aujourd’hui, pour des raisons de maîtrise des coûts et d’efficacité – les délinquants sont extrêmement mobiles et se jouent des barrières administratives –, la question revient à l’ordre du jour. Et, comme je vous l’ai indiqué, je suis totalement partant. Il existe deux scénarios possibles. D’une part, rassembler des forces aux procédés d’intervention et aux réseaux radio différents, que sont la police et la gendarmerie, dans un département. D’autre part, constituer des salles interdépartementales, une solution plus simple et plus rapide.

Aujourd’hui, la moitié des départements de France et l’intégralité des plus grands départements sont gérées par un PC radio départemental. Une quinzaine de circonscriptions de police sont éloignées du siège de ce PC départemental, ce qui revient à gérer deux départements différents. Cela permet de suivre des mouvements de délinquants, de réagir plus vite, de faire appel à des forces supplémentaires, ou encore de mettre en place, en cas de braquage ou d’intervention violente, des points de surveillance et d’interception par différents services de police.

Par ailleurs, depuis une bonne quinzaine d’années, les PC radio de la police nationale sont interopérables, de sorte que, comme cela a été fait lors des attentats de Nice et du Bataclan, nous pouvons déployer des recherches massives de fugitifs dans plusieurs départements.

Enfin, un projet interne à la sécurité publique, un projet d’interdépartementalisation de la gestion des appels au 17 – police-secours – sera déployé dès que nous aurons le feu vert, certainement dans les mois qui viennent pour les premiers PC radio, puis selon un plan pluriannuel.

Dans les petits départements, comme les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, qui jouxtent le département des Alpes-Maritimes, les appels au 17 pourraient être repris par les policiers qui gèrent les appels depuis Nice. Cette gestion donnerait une plus grande fluidité au pilotage, mais libérerait en outre de cette tâche un policier de Digne-les-Bains et un de Gap.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’ai été très intéressé par votre projet managérial, visant à un pilotage plus direct – donc à la réduction du nombre des échelons.

 Avez-vous la même vision pour la gestion des budgets ? Il nous a été souvent rapporté la difficulté, pour un commissariat, d’obtenir un budget pour acheter ne serait-ce qu’une poubelle métallique. Il existe bien les cartes achat, mais le crédit accordé est relativement faible par rapport au nombre de policiers dans un commissariat. Ne serait-il pas nécessaire de repenser les dépenses du quotidien, en augmentant le budget directement mobilisable, soit de la direction départementale, soit des commissariats ?

Vous avez évoqué la question de la présence policière et de la gendarmerie dans un département. Aujourd’hui, les communes nouvellement créées en zone police relèvent automatiquement de cette dernière. Qu’en pensez-vous ? Avoir à gérer, de nouvelles communes pose-t-il un problème ? Des effectifs sont-ils aussitôt déployés ?

Concernant le rapprochement des salles de commandement entre DDSP, je n’adhère pas à cette idée, qui aurait tendance à éloigner la salle de commandement d’un point précis. Dans une vision de rationalisation et de collaboration entre la police et la gendarmerie, ne pensez-vous pas que cette salle de commandement devrait réunir non seulement la police et la gendarmerie mais aussi le service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et le service d’aide médicale urgente (SAMU) ? Le département des Vosges, par exemple, a été innovant en la matière, puisque le SDIS et le SAMU ont un numéro d’appel commun, ce qui leur permet une plus grande réactivité.

Enfin, vous n’avez pas répondu à ma question relative à la démotivation des personnels à l’égard du métier d’OPJ ? Comment augmenter l’attractivité de ce métier, et le nombre de possibilités de se présenter au concours ?

M. Jean-Marie Salanova. Nous comptabilisons aujourd’hui 11 490 OPJ du corps des gradés et gardiens de la paix, quelque 3 200 OPJ du corps des officiers – puisque tous les officiers sont OPJ – et 600 OPJ commissaires de police, puisque tous les commissaires sont officiers ; soit 23,6 % des effectifs de la direction centrale de la sécurité publique.

Avons-nous suffisamment d’OPJ ? Nous pouvons aborder la question de deux façons. À droit constant, un nombre un peu plus important d’OPJ serait utile car le code de procédure pénale prévoit, nonobstant les lois votées dernièrement, un nombre important d’actes qui doivent être nécessairement effectués par un OPJ. Pourrions-nous envisager qu’un certain nombre de ces actes puissent être effectués par un agent de police judiciaire (APJ) ?

La seconde façon d’aborder la question est de maintenir la qualité d’OPJ pour réaliser ces actes, et donc d’en augmenter le nombre.

S’agissant de l’attractivité, contre toute attente, et contre ce que pensent le personnel et les syndicats, d’une façon générale, nous ne notons aucune baisse du nombre de candidats à suivre la formation d’OPJ – qui a lieu deux fois par an.

La qualité d’OPJ permet d’acquérir le grade de brigadier et, de fait, un supplément de salaire. De sorte qu’il s’agit, pour un certain nombre de policiers, d’un moyen d’acquérir un grade qu’ils n’obtiendront, sinon, qu’après un nombre plus important d’années. C’est une motivation que nous ne pouvons pas connaître lorsqu’ils suivent la formation. Mais, de fait, certains policiers ne sont pas vraiment intéressés, une fois l’examen obtenu, par l’exercice de cette fonction et, quand nous les y contraignons, sont moins motivés.

La réflexion, aujourd’hui, en cours dans la police, est de poser la règle selon laquelle les policiers qui sont devenus OPJ se doivent d’exercer réellement cette fonction durant un certain nombre d’années – à déterminer.

Par ailleurs, étant donné que le niveau de recrutement des policiers est plus élevé – le baccalauréat est maintenant exigé –, il serait peut-être envisageable qu’un certain nombre d’actes puissent être effectués par un policier qui aurait été formé, dès l’école, à réaliser des actes de procédure pénale.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le directeur, vous avez évoqué un avantage financier pour les policiers devenant OPJ. S’agit-il de la prime de 90 euros, sur laquelle, d’ailleurs, ils ne cotisent pas pour leur retraite ? Je ne suis pas certain que seul l’aspect pécuniaire explique leur manque de motivation.

M. Jean-Marie Salanova. À la prime s’ajoute l’obtention du grade de brigadier – qui n’aurait été possible que six ou huit ans plus tard – qui entraîne une augmentation de salaire. Un OPJ ne perçoit pas cette prime s’il n’exerce pas la fonction, mais conserve le grade de brigadier ainsi obtenu et bénéficie donc d’une augmentation de salaire, quoi qu’il arrive.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous pourrions imaginer d’inclure dans le tronc commun des APJ, certains modules de la formation d’OPJ. Qui pourrait prendre cette décision ? Par ailleurs, un certain nombre d’infractions – comme le vol à l’étalage – pourraient être sanctionnées par une amende forfaitaire, et ne plus faire l’objet d’une procédure.

M. Jean-Marie Salanova. Nous y sommes totalement favorables. Et la technologie – NEO, la portabilité – nous permet de l’envisager. D’ailleurs, dès le mois de septembre, ce sera le cas pour l’infraction d’usage de stupéfiants – et c’est déjà le cas pour les ventes à la sauvette et les occupations illicites de parties communes.

Nous pourrions ajouter le vol à l’étalage et d’autres d’infractions dont la preuve est simple à apporter. On peut encore imaginer certaines infractions puissent, à la première constatation, faire l’objet d’un procès-verbal simplifié, et se transformer, si le dossier venait à se complexifier – pluralité d’auteurs, récidives, etc. –, en procédure traditionnelle, l’auteur étant déféré devant un magistrat.

Nous pourrions, en complément de cette audition, vous transmettre une liste des infractions qu’il serait facile de traiter de cette façon. Ce sont essentiellement des infractions pour lesquelles la preuve est facile à apporter et le doute sur l’identité de leur auteur inexistant.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous n’y voyez aucune difficulté technique ?

M. Jean-Marie Salanova. Non, il convient juste de régler nos terminaux NEO, afin que la constatation de l’infraction et la procédure puissent être effectuées sur le lieu même où elle a été commise. Il s’agit d’une question de programmation de nos terminaux et du système. La technique ne sera pas un frein au développement de ce type de procédures.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous nous sommes rendus dans différents commissariats, notamment en province, où les policiers nous ont rapporté que, régulièrement, les auteurs d’infraction n’avaient pas les moyens de payer les amendes qui leur étaient infligées. Êtes-vous favorable à un prélèvement direct sur les prestations sociales pour honorer ces amendes ?

M. Jean-Marie Salanova. Il est important de bien distinguer les biens d’une personne de ses moyens de subsistance. Les allocations sociales sont, sauf s’il y a fraude, réservées à des personnes qui sont dans le besoin. Il s’agit d’une aide à la vie et à la subsistance au quotidien. Doit-on, pour punir un délinquant ou une délinquante, mettre en difficulté sa vie personnelle et celle de sa famille – dont peut-être des enfants – parce qu’il a commis une faute à un moment donné ? Ma réponse se trouve dans la question.

En revanche, certaines personnes disposent d’un minimum de biens et, pour eux, se pose une question de justice sociale. Certains vivent avec les minima sociaux, mais sont propriétaires de leur appartement, de leur voiture ou de leur télévision grand écran. Il est alors possible d’imputer le paiement de l’amende sur ces biens, à l’exception des biens de première nécessité. Mais il s’agit là du droit commun : quelle que soit l’infraction, on ne saisit jamais le lit, la gazinière ou le réfrigérateur, qui sont des moyens de subsistance élémentaires.

En matière d’exécution budgétaire, il convient de maintenir l’équilibre budgétaire – de ne pas dépenser plus que ce qui est alloué – et de s’assurer, lorsqu’on est directeur central ou directeur départemental que les dépenses prioritaires et obligatoires sont exécutées et que des moyens sont dégagés pour mettre en œuvre les stratégies définies par le Parlement et le Gouvernement. Et il serait antidémocratique de ne pas nous allouer le budget nécessaire pour mettre en place les objectifs qui nous sont fixés. Par ailleurs, il est nécessaire de satisfaire, au plus près du terrain, les besoins, souvent limités mais urgents, qui facilitent le quotidien des policiers ; que ce soit par la mise à disposition d’un droit de tirage ou d’une carte achat, je n’y vois que des avantages.

Lorsque j’étais responsable territorial, cette possibilité n’existait pas, je m’étais donc organisé pour allouer une enveloppe à mes responsables locaux, destinée aux besoins urgents.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En plus de la carte achat ?

M. Jean-Marie Salanova. Non, la carte achat est attribuée à un nombre de personnes limité : aux directeurs, aux chefs de service gestion opérationnelle… En tant que responsable du budget départementalisé, je passais des contrats avec des fournisseurs, et les responsables locaux, dans la limite de l’enveloppe allouée, pouvaient directement se fournir auprès d’eux.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pensez-vous nécessaire de généraliser ce fonctionnement ?

M. Jean-Marie Salanova. Je vais tenter de le faire. Pour ce type de dépenses, cela peut être fait à droit constant. Par ailleurs, un tel fonctionnement peut être appliqué très facilement dans les très grands départements dans lesquels les fournisseurs sont nombreux. Mais tout cela s’organise. Voilà quatre mois que je suis en poste, et ce n’est pas la priorité des priorités. Mais j’y pense.

J’en viens à votre question relative aux nouvelles communes. Le texte précise, en effet, que, sauf action des élus des communes rattachées, le rattachement des nouvelles communes à la commune centrale est automatique – cette dernière étant en principe plus importante que les communes périphériques. Mais si les maires ne souhaitent pas être en zone de police, ils peuvent, après délibération en conseil municipal, demander au ministre de l’intérieur d’inverser la règle, ce qui a été fait dans un certain nombre de cas, notamment à Annecy et Thouars.

Il y a environ deux ans, les maires des communes périphériques d’Annecy ont demandé à rester en secteur gendarmerie. De même, en début d’année, quatre communes proches de Thouars ont fusionné avec celle-ci, mais les maires ont demandé à rester en secteur gendarmerie. Je précise au demeurant, que le directeur général de la police nationale propose depuis plusieurs années que Thouars passe en secteur gendarmerie.

S’agissant des PC commun qui seraient éloignées du terrain si nous créions une salle interdépartementale, sachez que les salles, de police comme de gendarmerie, sont déjà éloignées du terrain. En effet, il n’y a qu’un PC par département, soit au siège du groupement de la gendarmerie si le secteur est en gendarmerie, soit à la DDSP. De fait, les circonscriptions de police ou les brigades territoriales de gendarmerie en sont inévitablement éloignées.

Nous fonctionnons de cette façon depuis une quinzaine d’années ; qu’elles soient éloignées de cinq ou de cinquante kilomètres ne change rien. J’ajoute que le responsable local, le chef de la circonscription de police ou de la brigade territoriale de gendarmerie, est en permanence à l’écoute du réseau radio et peut à tout moment prendre la main et donner des instructions contraires. Cette manière de procéder serait maintenue si un pilotage commun était installé.

J’ai évoqué la proposition que nous avions élaborée lorsque j’étais DDSP des Yvelines : une salle commune police-SDIS. La gendarmerie avait refusé de se joindre à ce projet et le SAMU, avant de s’engager, souhaitait voir comment cela allait se passer. Alors oui, ce qui a été fait dans les Vosges peut être réalisé ailleurs, sans problème.

Créer des salles avec des intervenants de différents corps est cependant plus complexe, pour la simple raison qu’il convient de mettre en interopérabilité des systèmes radio différents. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, la meilleure solution, et la moins coûteuse, est une salle interdépartementale de forces de même nature. Mais il est bien évident que si l’intégralité des services de sécurité d’un territoire pouvait travailler ensemble, ce serait un plus. Et, sur ce sujet, la police est non seulement partante, mais proactive.

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  Audition du 14 mai 2019

M. Guillaume Verney-Carron, directeur général de la société Verney-Carron, et M. Laurent Marck, directeur général du groupe Marck (huis clos).

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mesdames, messieurs, mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une réunion consacrée l’audition de sociétés d’équipementiers travaillant, notamment, pour les forces de sécurité. Il s’agit de M. Guillaume Verney-Carron, directeur général de la société Verney-Carron, accompagné de M. Pierre-Henri Picard, ainsi que M. Laurent Marck, directeur général du groupe Marck, accompagné de Mme Amélie Serey, chargée des relations institutionnelles.

Cette réunion va nous permettre d’aborder, sous un autre angle, la question de l’équipement de nos forces, soulevée à de multiples reprises lors de nos auditions du point de vue des utilisateurs.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Laurent Marck et M. Guillaume Verney-Carron prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous avons souhaité recueillir votre point de vue sur les sujets sont importants que sont la fabrication française et les différentes normes applicables aux équipements des forces de sécurité.

M. Laurent Marck, directeur général du groupe Marck. Le groupe Marck est un groupe industriel français familial. Notre activité s’inscrit dans le continuum de la sécurité puisque nous habillons les forces de police municipales, la police nationale, la gendarmerie et l’armée.

Nous réalisons la moitié de notre chiffre d’affaires à l’exportation, ce qui signifie que nos deux marchés – national et international – sont extrêmement importants pour l'équilibre du groupe. Nous nous battons pour continuer à fabriquer en France, ce qui n’est pas ce qu’il y a de plus simple.

Nous avons des sites à Calais, Châteauroux, Sainte-Pazanne en Loire Atlantique, la Chartre-sur-le-Loir dans la Sarthe, et Taninges en Haute-Savoie, et l’un d’entre eux est labellisé entreprise du patrimoine vivant. Notre chiffre d'affaires est de 100 millions d'euros, la masse salariale de 22 millions d'euros pour un effectif de 450 personnes en France, dont 280 travaillent derrière des machines à coudre. Faisant partie des industries légères, notre métier génère beaucoup d'emplois, notamment dans la confection.

Au quotidien, nous avons à affronter des questions de recrutement et de transmission de savoir-faire. Nous devons nous battre pour gagner des marchés, notamment des marchés publics, dans un contexte de très forte concurrence internationale dans le monde de la confection.

M. Guillaume Verney-Carron, directeur général de la société Verney-Carron. Entreprise française à capitaux entièrement familiaux, Verney-Carron va fêter ses deux cents ans en 2020. Nous concevons, fabriquons et distribuons des armes. Du fait de notre histoire, nous sommes spécialisés dans les armes de chasse dont nous sommes le premier fabricant français. Nous nous sommes diversifiés dans le secteur de la sécurité au cours des années 1990 et, plus récemment, dans le secteur de la défense.

L’entreprise emploie 85 personnes et réalise un chiffre d'affaires moyen de 13 millions d'euros dont 50 % à l’international. Verney-Carron est également labellisée entreprise du patrimoine vivant.

Nous avons à relever des défis en matière d’innovation, de maintien et de transmission de notre savoir-faire, notamment de la compétence armurière puisque nous sommes le dernier grand fabricant français, ce qui explique notre positionnement plus récent sur les marchés de la défense et les fusils de précision semi-automatique (FPSA).

Verney-Carron est également le concepteur et fabricant du lanceur de balles de défense (LDB) de marque Flash-Ball.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Peut-être avez-vous quelques problématiques à soulever avant que nous passions aux questions, je pense notamment à la mise en concurrence sur vos marchés respectifs.

M. Laurent Marck. Un dossier a été assez douloureux, celui de l'appel d'offres concernant l'habillement de la totalité des effectifs de police et de gendarmerie, c'est-à-dire de 250 000 personnes. Nous étions titulaires du lot de la police et un confrère était titulaire du lot de la gendarmerie.

En 2012, lorsque nous avons gagné le marché, nous avions trouvé intelligent de nous regrouper avec plusieurs industriels français : Eminence qui est implanté à Aimargues, Saint James qui fait des tricots dans la Manche, Tismail qui fabrique des chaussettes à Troyes, TDV qui produit 100 % de ses tissus à Laval, SOFILETA qui confectionne aussi intégralement en France des tissus très techniques, et un fabricant de chaussures.

Nous avions donc un ensemble industriel très fort, et il nous semblait que la démarche allait dans le sens de la préservation et du développement d’une filière très abîmée. Ces entreprises emploient 2 500 personnes en France où elles fabriquent tout ou partie de leur production et où elles ont leurs activités d’étude et de commercialisation, respectant ainsi le principe de base de notre groupement.

Cet appel d’offres a été lancé par le service de l'achat, de l’équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), commun à la police, à la gendarmerie et à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises.

Lorsque nous avons emporté le marché de l’habillement de la police, nous avions des contrôles de qualité assez renforcés dans nos ateliers. Au cours des trois dernières années, il n’y a plus eu de contrôles que ce soit au niveau social – le lieu de fabrication – ou sur le plan de la qualité. Cela nous a paru surprenant, voire inquiétant puisque nos habillements sont conçus pour des personnes qui courent un risque mortel. Je ne comprenais pas que le ministère de l’intérieur ne se préoccupait pas davantage du contrôle de la fabrication de ces vêtements.

Contrairement au bâtiment dont les chantiers sont en France et donc contrôlables, la confection subit une concurrence mondiale car il s’agit d’une industrie très légère et très facile à délocaliser. C’est la course au prix le moins cher. Après la Chine et le Bangladesh, c’est l’Éthiopie qui est le pays à la mode. L’absence de contrôle d’ateliers qui pourraient fabriquer des vêtements portés par les policiers ou les gendarmes français nous paraît très dangereuse.

Nous avons été assez étonnés de l’attribution de ce marché. Les deux lots ont été attribués à une seule et même entreprise qui n’a aucune alliance industrielle en France et qui a la réputation de délocaliser l’intégralité de sa production. En outre, ce marché représente près des deux tiers de son chiffre d’affaires. En termes de sécurité des approvisionnements pour les forces de sécurité, cela me paraît risqué.

Le système de notation est assez complexe mais, grosso modo, une partie de la note est fondée sur le prix et l'autre sur la qualité. Pour juger de la qualité, on ne nous a pas demandé d'échantillon mais de remplir des dossiers. Nous l’avons donc fait et nous avons rempli des cahiers absolument énormes. L’affaire revenait à une course aux prix.

Pour le lot de la police, notre note de qualité était meilleure que celle de notre confrère mais nous étions plus chers de 3 % et le marché ne nous a pas été attribué. Pour le lot de la gendarmerie, nous étions un peu moins chers, de 0,5 %, mais la note de qualité était moins bonne, alors que nous avions remis exactement le même dossier technique pour les deux marchés, et notre confrère a gagné. Nous n’avons pas compris.

Voilà ce qui nous a choqués. Nous sommes habitués à gagner et à perdre des marchés publics mais, dans ce dossier, nous avons été étonnés de la façon dont cela s’est passé et de la vision de l’acheteur.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. L’acheteur était le SAELSI. À quel moment le marché a-t-il été attribué ?

M. Laurent Marck. Le marché a été attribué il y a environ un an et les premières livraisons devaient commencer le 1er janvier dernier. Précisons que le SAELSI nous a racheté nos anciens stocks.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Comment s’appelle la société qui a emporté le marché ?

M. Laurent Marck. C’est la société Paul Boyé qui est à Toulouse.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. C’est une société française mais, selon vous, elle délocalise sa production.

M. Laurent Marck. C’est une société française qui fabrique beaucoup à l’étranger mais je ne sais pas vraiment où. Elle a des ateliers à Madagascar et elle a probablement un tout petit atelier en France. Mais je ne cible pas tellement mon confrère car chacun développe sa stratégie d’entreprise. Ce qui nous a semblé très étonnant, c’est la gestion de l’appel d’offres, le choix effectué, et la façon dont nous avons vécu le marché par le passé.

M. Guillaume Verney-Carron. Je voulais parler de nos relations avec le SAELSI et de la genèse du Flash-Ball. Souvent décrié à tort, ce produit a hélas été retiré des dotations depuis quelques années. Le premier marché que nous avons gagné avec le Flash-Ball pour équiper la police nationale et la gendarmerie date des années 2000-2002. Au fur et à mesure, un parc de Flash-Ball de 4 500 lanceurs a été créé. Ces Flash-Ball sont ce que l’on appelle désormais des moyens de force intermédiaire.

À l'époque où nous nous sommes intéressés à la création du produit, c'est-à-dire dans les années 1990, il existait la matraque et l'arme de poing et rien entre les deux. Pour faire face à la montée des violences urbaines, nous avons cherché à développer une arme dite à létalité atténuée. Nous avons créé cette arme de toutes pièces avec un expert auprès des tribunaux, et nous l’avons dotée d’un calibre propre : le 44 millimètres. Le Flash-Ball est un lanceur de balles de défense dont la munition ressemble maintenant à une mini-balle de tennis car nous avons fait évoluer le lanceur et sa munition.

Pourquoi avons-nous été sortis du marché national ? À mon sens, c’est parce que les doctrines d'emploi ont légèrement évolué. À un moment donné, des scientifiques de la police ont trouvé que les munitions de Flash-Ball étaient trop fortes. On nous a fait baisser les énergies. En baissant les énergies, le Flash-Ball a perdu en précision, ce qui lui a été reproché.

La doctrine a évolué quand les forces de l'ordre ont eu affaire à des situations du type des émeutes de Villiers-le-Bel en 2007. Les personnes étaient plus loin, plus difficiles à toucher et à maintenir à distance. C’est ainsi que la distance s'est allongée. Dans le cahier des charges initial, le Flash-Ball était destiné à mettre deux munitions dans un diamètre de 30 centimètres, à une distance moyenne de 10 mètres. Au départ, le lanceur remplissait très bien cette mission. Quand nous avons baissé les énergies, nous avons perdu en précision. Ensuite, après les émeutes que j’évoquais, on a commencé à vouloir tirer à 20 ou 40 mètres. Or le Flash-Ball n’a pas du tout été conçu pour cela. C’est un non-sens de comparer le Flash-Ball et le LBD 40, car ces armes ne répondent pas aux mêmes attentes.

Entre-temps, nous avons revu la question et nous avons développé de nouvelles munitions et un nouveau mode de propulsion. Nous avons même créé un nouveau lanceur. Actuellement, 4 500 Flash-Ball ne sont pas utilisés alors qu’ils ont été payés par le contribuable français.

Dans l’intervalle, des marchés ont été passés. La demande s'est portée sur du calibre de 40 millimètres. Rappelons que le calibre 40 x 46 millimètres est un calibre de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN). C'est un calibre militaire. Le Flash-Ball a un calibre de 44 millimètres que nous avons créé de toutes pièces. Or, le calibre de 40 millimètres a pris le pas sur le marché.

Jusqu'à présent, nous ne nous sommes jamais positionnés sur ce marché parce que nous nous sommes toujours battus pour défendre notre produit. À courte distance, le Flash-Ball est le meilleur produit sur le marché, celui qui causerait le moins de dégâts. Depuis le début de la crise des gilets jaunes, on a voulu tout faire avec le LDB 40 : tirer à courte distance, à 5 mètres, 10 mètres, 20 mètres et à 40 mètres. On constate des incidents et des enquêtes sont ouvertes par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Il serait peut-être opportun de s’intéresser de nouveau au Flash-Ball et à ses dernières évolutions, notamment en matière de projectile et de munition. La distance de tir va désormais de 3 mètres jusqu'à 15 mètres, point visé, point touché. À plusieurs reprises, j’ai envoyé des échantillons au SAELSI et je n'ai jamais eu un seul retour. D'où mes interrogations.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Y a-t-il eu de nouveaux marchés ouverts concernant les lanceurs de balles de défense ?

M. Guillaume Verney-Carron. Un marché est en cours d'appel d'offres, encore une fois pour des armes de calibre de 40 millimètres. Les dossiers doivent être rendus d’ici à la fin du mois de mai. Pour le coup, Verney-Carron va se positionner puisque, a priori, il est acté que le calibre de 44 millimètres est indésirable. En tant qu'entrepreneurs qui souhaitent continuer à progresser, à faire des affaires et à fabriquer, en France, nous allons répondre à cet appel d’offres. Nous souhaiterions aussi que le calibre de 44 millimètres du Flash-Ball suscite à nouveau de l’intérêt.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. À l’occasion de ce nouveau marché, vous allez sans doute avoir des contacts avec le SAELSI.

M. Guillaume Verney-Carron. Bien sûr. Les contacts avec le SAELSI n’ont jamais été complètement coupés. Au cours des dernières années, à la suite du retrait du Flash Ball des dotations nationales, nous avons cherché à démontrer au SAELSI que nous avions redéveloppé une munition, un projectile et un lanceur, en suggérant qu’il serait peut-être opportun de s’y intéresser car 4 500 lanceurs vont peut-être finir à la poubelle alors qu’ils ont été payés et qu’ils auraient pu rendre de fiers services lors des récentes émeutes.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Où sont stockés ces 4 500 Flash-Ball ?

M. Guillaume Verney-Carron. Je n’ai pas de réponse.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Votre produit lance-t-il uniquement des balles, ou aussi d’autres types de projectiles ?

M. Guillaume Verney-Carron. Le Flash-Ball a fortement évolué et il permet de lancer aussi du gaz lacrymogène dans une perspective de maintien de l’ordre. À l’exportation, nous vendons souvent du gaz lacrymogène.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Vous faites aussi des grenades offensives ?

M. Guillaume Verney-Carron. Non, des palets au même titre que les grenades de 56 millimètres, destinées au maintien de l’ordre.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous fabriquez donc des Flash Ball mais pas de LBD 40. Quels étaient les critères de fabrication et quels étaient les tests qui vous étaient demandés ? Savez-vous s’ils diffèrent de ce qui est demandé pour le LBD 40 ?

Monsieur Marck, lors de l’appel d’offres que vous avez perdu aviez-vous affaire au même acheteur pour la police et la gendarmerie, ou s’agissait-il d’interlocuteurs différents ? Vous dites en effet que les deux notes de qualité que vous avez obtenues divergeaient, alors que les dossiers techniques étaient les mêmes. Pensez-vous que cela s’explique par le fait que votre concurrent présentait, lui, deux produits différents ?

M. Guillaume Verney-Carron. Il existait auparavant, auprès du SAELSI un bureau des armements et des matériels techniques (BAMT), avec lequel nous avons beaucoup échangé avant de remporter les premiers marchés.

 C’est ainsi que le Flash Ball est devenu ce qu’il est devenu. Le problème est que ce type de produit est conçu pour une certaine utilisation et que, quand le contexte change, il faut l’adapter, ce qui prend un certain temps.

On a mis en avant le manque de précision du Flash Ball et de son projectile, en l’opposant à des armes rayées qui produisent un effet gyroscopique sur le projectile et le stabilisent, ce qui évidemment le rend plus précis sur une plus longue distance. En revanche, un projectile de 40 millimètres, fait bien plus mal et cause beaucoup plus de dégâts qu’une simple petite balle de tennis lancée à courte distance.

Pour ce qui est des tests, nous les connaissions – on demandait du H+L60 sur dix mètres ‑ et, avec notre nouvelle munition, nous pouvions les passer.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous nous avez dit avoir fait évoluer votre produit pour le rendre opérationnel pour des tirs de trois à quinze mètres. Qu’en est-il pour les distances supérieures ?

M. Guillaume Verney-Carron. Notre lanceur n’y est pas adapté.

M. Laurent Marck. C’est le SAELSI qui s’occupe de l’habillement de la police et la gendarmerie. Il n’y avait qu’un seul appel d’offres alloti, et l’on pouvait remporter soit un lot, soit les deux.

Concernant la différence d’appréciation, la qualité n’a pas été analysée techniquement par le SAELSI, puisqu’on ne nous a pas demandé d’échantillons mais simplement un dossier de conformité par rapport au cahier des charges, sur des points comme le déploiement d’un système d’information permettant aux policiers et aux gendarmes de commander leurs tenues et d’être livrés dans les commissariats ou les gendarmeries, la description de nos flux de fabrication et de nos process de qualité. Sachant que tous les concurrents étaient des professionnels, nous avons quasiment tous eu la même note, et en définitive le choix s’est fait sur les prix.

Cela étant, nous n’avons pas réussi à obtenir d’explication sur le fait que notre concurrent a obtenu une meilleure note technique pour le lot gendarmerie que pour le lot police alors que le dossier technique était identique dans les deux cas.

Pour avoir une réponse nette, il aurait fallu aller devant le tribunal administratif, mais nous ne l’avons pas fait car, dans 99 % des cas, il est pratiquement impossible de faire annuler le marché. Lorsqu’on perd un appel d’offres, il faut savoir passer à autre chose.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur Verney-Carron, je vous sens amer au sujet du Flash Ball… N’est-ce pas une question d’évolution du produit ? Je voulais savoir si, dans le cadre du suivi qui accompagne généralement l’obtention d’un marché, vous aviez eu des retours d’expérience qui vous auraient permis de le faire évoluer ?

M. Guillaume Verney-Carron. Nous avons eu des retours d’expérience, et c’est ce qui nous a conduits à développer le nouveau projectile, le nouveau mode de propulsion et le nouveau lanceur de type Flash Ball Super Pro 2. Mais, entretemps, ont été lancés les appels d’offres de lanceurs de calibre 40 et, progressivement, ce lanceur a pris la place du Flash Ball.

Je voudrais insister ici sur la question de la formation à ce type d’armes. Aujourd’hui, il suffit de tirer trois munitions tous les deux ans pour obtenir l’habilitation : est-ce vraiment suffisant pour être apte à se servir de ce type de lanceur, sachant le contexte de plus en plus violent dans lequel les forces de l’ordre sont amenées à se projeter ? Je pense qu’il y a là une vraie question.

Mme Aude Bono-Vandorme. Monsieur Marck, vous avez dénoncé la raréfaction des contrôles. Avez-vous une idée de ce qui l’a provoquée ? En quoi consistaient-ils exactement ? Que faudrait-il faire pour que ça change ? Il me semble que si le SAELSI ne demande pas d’échantillons, il doit être difficile de vérifier que les entreprises tiennent leurs engagements.

M. Laurent Marck. Le contrôle est important pour deux raisons. D’abord pour s’assurer de la qualité du produit. Nous sommes une industrie très légère, avec un matériau de base, le tissu souple, travaillé par des opérateurs. À l’origine, les contrôles incluaient la traçabilité du tissu, dont on connaissait pour chaque uniforme la provenance et le processus de fabrication, et dont on testait , par exemple, les propriétés oléofuges, essentielles pour les tenues des CRS.

Le SAELSI dispose d’un bureau habillement et de techniciens capables d’opérer ces contrôles. Ont-ils eu un problème d’effectifs ou de moyens, toujours est-il qu’on est passé d’une période de contrôles incessants à plus rien ! Je trouve cela d’autant plus étonnant que le ministère de l’intérieur dispose également d’un laboratoire – peut-être est-il sous-dimensionné – qui peut vérifier si les tissus non feu sont conformes à la protection demandée.

Notre groupe a des clients privés, qui déclenchent des audits sociaux avec de très hauts degrés d’exigence, par exemple sur les lieux de fabrication. Au contraire, le blouson de la police nationale fabriqué pour le ministère de l’intérieur pourrait, lui, être réalisé n’importe où et par n’importe qui, personne ne le saurait.

Nous sommes pourtant une entreprise française et citoyenne, très investie dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et dans le développement durable, raison pour laquelle nous faisons tout pour faire de la fabrication de proximité et travaillons avec des entreprises comme « 1083 », un nouveau fabricant de jeans français, ou « Le Slip français », l’idée étant de réduire les stocks. Je précise qu’en matière d’évaluation, c’est évidemment une démarche qui exige des analyses de coût beaucoup plus poussées que pour un produit ordinaire.

En ce qui concerne les échantillons – quatre cents références pour la police, un peu plus pour la gendarmerie – il peut arriver qu’on nous demande une vingtaine de produits stratégiques pour les analyser et leur donner une vraie note technique. Si bien que, lorsqu’il a été question que soit lancé un appel d’offres sans échantillon, notre syndicat professionnel s’en est alarmé au point d’avertir les commanditaires que c’était une aberration, qui ouvrirait la porte à n’importe qui. Manifestement, nous n’avons pas été entendus.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Vous parlez d’une époque où les contrôles étaient très importants. De quelle époque s’agit-il ? Était-ce avant la mise en place du SAELSI ? Et qui opérait ces contrôles ? Y avait-il d’un côté les contrôles de la gendarmerie et, de l’autre, ceux de la police ?

M. Laurent Marck. J’espère ne pas me tromper dans les dates, mais la création du SAELSI doit remonter à 2012. Avant cette date, les marchés étaient passés d’une part avec le ministère de l’intérieur et, d’autre part, avec la gendarmerie. Après le regroupement au sein du SAELSI, nous avons connu, pendant un an ou dix-huit mois, une période de contrôles assez poussés, qui allaient jusqu’à nos ateliers de fabrication, en France et en Tunisie. De même, lors de la livraison, des contrôles statistiques aléatoires avec prélèvements étaient effectués pour vérifier la conformité des produits. Puis ces procédures, qui permettaient de savoir avec quel lot de tissu avait été fabriqué chaque vêtement et assurait une traçabilité complète, ont été progressivement abandonnées. On est ainsi passés d’une surveillance presque excessive – mais nécessaire – à rien.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Et cela n’est donc pas lié à la création du SAELSI, puisqu’après sa création les contrôles ont continué pendant un temps ?

M. Laurent Marck. Absolument pas.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Selon vous, la passation des marchés s’est effectuée dans des conditions problématiques. Quelles seraient vos recommandations, à l’un et à l’autre, pour que la procédure d’appel d’offres soit plus juste et corresponde mieux à ce qu’exigent les métiers de la police et de la gendarmerie ?

Quels sont les éléments qui ne figurent pas dans les cahiers des charges et devraient y figurer pour garantir que les équipements répondent aux exigences de sécurité permettant d’assurer la protection des forces de l’ordre, et donc de nos concitoyens ?

M. Guillaume Verney-Carron. C’est une question d’autant plus cruciale qu’il semble qu’un nouvel appel d’offres doive être lancé pour un nouveau marché de LBD 40.

Jusqu’à présent, le matériel devait répondre aux critères « CIP », c’est-à-dire aux normes imposées par la Commission internationale permanente pour l’épreuve des armes à feu portatives. Celles-ci sont en général établies selon une épreuve faite à partir de munitions dont les performances sont de 30 % supérieures à celles du marché, de manière à garantir que l’arme est bien conforme.

Or il semblerait que ce critère CIP, qui figurait dans la première version de l’appel d’offres, n’y figure plus, ce qui pose un vrai problème car le marché est ouvert à tous. On peut fort bien avoir demain des sociétés brésiliennes ou de Corée du Sud qui remportent le marché avec des armes étrangères qui n’auront pas été testées selon ce critère, pourtant irréfutable pour évaluer une arme. Cela revient d’ailleurs à se mettre hors la loi, car on ne peut aujourd’hui, en France, mettre une arme sur le marché, si elle n’a pas été éprouvée par le Banc national d’épreuve.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous demande-t-on un bilan carbone ?

M. Guillaume Verney-Carron. Le cahier des charges ne comporte aucune exigence en matière de bilan carbone ou d’écoconception. Seule la norme ISO est obligatoire, ce qui est un minimum, mais je me permets d’insister à nouveau sur l’épreuve d’arme, qui devrait être obligatoire pour tout achat d’arme.

M. Laurent Marck. La RSE n’implique pas la même chose pour tous les métiers. Au plan social, l’enjeu, dans la confection, est que le vêtement fabriqué ne l’ait pas été dans un pays peu recommandable, sachant que, dans le cas qui nous concerne, se posent également des questions de sécurité puisqu’il s’agit d’équipements destinés à nos forces.

Au plan environnemental, inutile de vous expliquer qu’un tissu envoyé à l’autre bout du monde pour de la confection, avant de revenir, ne contribue pas à un bon bilan carbone. Rien de tel n’est donc demandé.

Le fond du problème en matière d’achat public, c’est que la RSE n’est examinée qu’au stade de la candidature, chacun ayant tout loisir de la mettre en avant dans son dossier. Ensuite, les critères d’attribution qui comptent, ce sont le prix et la qualité.

Selon moi, il faudrait véritablement pondérer les offres selon des critères RSE car, bien qu’aujourd’hui tous les cahiers des charges les affichent, une entreprise vertueuse n’a pas plus de points qu’une entreprise qui ne l’est pas - même si j’ai bien conscience que, pour un acheteur public, il peut être plus difficile de définir et de contrôler les normes RSE pour de l’habillement que pour du bâtiment. D’où, sans doute, la nécessité de mieux former les acheteurs publics, sachant que cette formation se justifierait également pour les rassurer, car ils sont souvent très sensibles au risque de sanction s’ils échangent avec un fournisseur avant un appel d’offres, ce qui ne leur permet pas d’être aussi créatifs qu’ils le devraient dans leurs demandes.

Enfin, dans la mesure où nous travaillons dans un domaine qui ressortit à la sécurité nationale, je ne comprends pas que la sécurité des approvisionnements ne soit pas un critère mieux pris en compte. Une entreprise qui effectue, totalement ou partiellement, sa fabrication en France – nous produisons, pour notre part, en partie en France, en partie en Tunisie –, peut, en cas de crise extérieure, poursuivre localement sa fabrication. Si l’ensemble de la production est délocalisé, la continuité des approvisionnements est, au contraire, clairement menacée. Or je n’ai jamais vu ce critère pris en considération concernant les appels d’offres destinés à équiper la police, la gendarmerie ou les armées, à l’exception toutefois de l’appel d’offres lancé pour le nouveau treillis de l’armée française, qui exigeait une fabrication européenne.

M. Guillaume Verney-Carron. Alors que nous sommes en train de créer un véritable comité stratégique de la filière sécurité, il est d’autant plus étrange de ne pas se poser la question de la sécurisation des approvisionnements.

M. Rémi Delatte. Vous portez un message inquiétant. D’une part, on pourrait penser qu’il n’y a pas eu de respect complet de la réglementation des marchés publics. D’autre part, il semble qu’on puisse se dire qu’à vouloir se déterminer uniquement sur le critère du prix, on risque de ne pas faire le bon choix et de mettre quelquefois en difficulté la sécurité de nos forces de l’ordre, mais aussi celle de nos concitoyens.

Ma question porte sur l’innovation. On imagine que, dans les deux secteurs d’activité que vous représentez, l’innovation et la recherche sont quelque chose de tout à fait essentiel. Est-ce que vous arrivez à développer des partenariats avec les « utilisateurs » que sont les forces de l’ordre, qu’il s’agisse de la gendarmerie ou de la police nationale ? Dans mon idée, il s’agirait de travailler en amont sur l’arme ou sur l’habillement qui convient le mieux pour ces deux corps de sécurité.

M. Guillaume Verney-Carron. En ce qui concerne le retour d’expérience des usagers, nous observons que, lorsque nous envoyons des échantillons pour montrer les dernières évolutions du produit, nous n’obtenons pas de réponse…

M. Laurent Marck. Si j’avais été certain qu’on était sorti du cadre du code des marchés publics, je serais allé devant le tribunal administratif. Mais je n’en ai pas la démonstration. J’ai seulement fait part de mon étonnement et la réponse que j’ai obtenue m’a semblé floue.

En ce qui concerne l’innovation, nous avons des ingénieurs textiles. J’en profite pour vous dire que le textile français est en train de renaître : de nombreuses start-up se lancent dans ce domaine, où il y a énormément à faire. Pour qu’une relocalisation se produise, il faut cependant aider le secteur ; la commande publique peut y contribuer.

Les grandes entreprises textiles que le Nord de la France a connues constituent un terreau sur lequel repousse l’activité de recherche et développement de nouvelles fibres. C’est un domaine passionnant. Aujourd’hui, nous participons au pôle de compétitivité Techtera. On y travaille sur la future tenue des pompiers, pour y installer notamment des capteurs qui les alertent sur le niveau de la chaleur ambiante. Des spécialistes du textile collaborent avec des électroniciens, tandis que nous nous occupons de la partie ingénierie de la confection. Des ateliers rouvrent. Des sociétés frappent même à notre porte pour demander à fabriquer de nouveau en France. Ainsi, il se passe beaucoup de choses dans le domaine de l’innovation textile et dans la confection.

Quant à un travail d’innovation en lien avec la police et la gendarmerie, je pense que je peux dire qu’on n’est pas loin de zéro… Côté armées, à l’inverse, nous trouvons en face de nous des services techniques beaucoup plus développés. Cela montre que c’est peut-être un problème de moyens qui affecte les utilisateurs avec lesquels nous regrettons de ne pas pouvoir travailler. Mais nous nous heurtons aussi souvent aux dispositions du code des marchés publics, car si l’on veut travailler sur une innovation avec un client public, il ne pourra pas lancer ensuite un appel d’offres sans tomber sous le coup de l’accusation de favoritisme. Certes, il y a de nouveaux appels d’offres innovants qui permettent de tourner la difficulté, mais peu d’acheteurs publics les connaissent et les utilisent.

M. Guillaume Verney-Carron. Du côté du ministère des armées, la direction générale de l’armement (DGA) propose aujourd’hui des processus comme le régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID), qui permettent précisément de développer rapidement des innovations en lien direct avec les forces armées. Peut-être que le ministère de l’intérieur va s’intéresser à ce genre de pratique pour les développer en son sein ? Ce serait intéressant pour les industriels à qui l’existence d’un bureau chargé de la recherche ouvrirait des perspectives.

M. Jean-Louis Thiériot. Je voulais vous interroger sur l’innovation et le rôle des PME. On a bien compris les difficultés que pouvait parfois causer l’application stricte du code des marchés publics, tel qu’il est aujourd’hui.

Cette observation fait écho à des travaux menés il y a deux ans à l’Institut des hautes études et de la sécurité intérieure sur l’innovation des entreprises privées dans les questions de sécurité. Qu’est-ce qui pourrait être fait en ce domaine pour améliorer la compétitivité des PME françaises et pour améliorer l’innovation ? Qu’est-ce que vous penseriez d’une « direction générale de l’armement » (DGA) du ministère de l’intérieur qui fonctionne sur le modèle de la DGA des armées, possibilité que vous esquissiez ? Elle permettrait de prévoir, dès la conception, une programmation des projets placée sous le régime des marchés de la défense nationale, ce qui la mettrait à l’abri de l’application générale du code des marchés publics.

M. Guillaume Verney-Carron. Je pense que c’est une très bonne idée. On pourrait parler aussi des études amont qui financent toute la recherche-développement des grands groupes de défense français. Il serait temps aussi que cela bénéficie aussi aux PME. Nous nous y intéresserions très volontiers.

J’ajoute qu’il existe dans notre pays un crédit d’impôt recherche (CIR) et un crédit d’impôt innovation (CII). Est-ce que, demain, au sein de ces dispositifs, on pourrait prendre en compte de manière substantielle le fait que l’entreprise concernée développe une technologie bénéficiant aux forces de sécurité intérieure ou aux forces armées ?

M. Laurent Marck. Contrairement à la production de monsieur Verney-Carron, l’habillement ne fait pas partie de l’industrie de la défense. Cela peut sembler curieux, puisqu’elle concerne tous nos soldats. Le syndicat textile milite pour que les produits techniques et les produits de protection des hommes rentrent dans le cadre de ces programmes. La seule exception est l’habillement protégeant contre les risques nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques.

Comme l’a dit monsieur Verney-Carron, il importe pour nous d’être capable de faire de la prospective. Pour ce faire, nous avons besoin de savoir dans quelle direction vont les politiques publiques et quel type d’aides peut être apporté aux entreprises. Nous ne pourrons qu’en être ensuite plus utile aux forces de sécurité.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous avons bien entendu et bien compris l’envie qui vous anime, de même que la nécessité de se recentrer sur les entreprises, au moins a minima, françaises. Vos observations sont précieuses, gageons que mettre les choses noir sur blanc permettra de trouver des solutions dans ce domaine.

 

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  Audition du 15 mai 2019

Secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) (huis clos) :

– Zone de défense Nord : M. Jean-Christophe Bouvier, préfet délégué pour la défense et la sécurité accompagné du général Gilles Doremus, secrétaire général adjoint au SGAMI de Lille.

– Zone de défense Ouest : M. Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest, préfet délégué pour la défense et la sécurité.

– Zone de défense Sud-Est : Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité, et M. Bernard Lesne, secrétaire général adjoint.

– Zone de défense Sud : M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint pour l’administration du ministère de l’intérieur.

– Zone de défense Sud-Ouest : Mme Valérie Hatsch, préfète déléguée pour la défense et la sécurité accompagnée de M. Didier Ribeyrolle, commissaire divisionnaire et de M. Stéphane Aubert, commissaire divisionnaire.

– Zone de défense Est : M. Michel Vilbois, préfet délégué pour la défense et la sécurité.

– Préfecture de police de Paris : M. Stéphane Jarlégand, adjoint du préfet, secrétaire général pour l’administration, M. Philippe Castanet, directeur des finances de la commande publique et de la performance, Mme Anne-Charlotte Jond, chargée de mission au cabinet du préfet de police.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous poursuivons nos travaux par une table ronde réunissant les secrétaires généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur.

Je rappelle à nos collègues que, depuis 2014, les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) mutualisent, au niveau des zones de défense et de sécurité, les fonctions support de la police et de la gendarmerie. Ils sont dirigés par les préfets délégués pour la défense et la sécurité, placés auprès des préfets de zone.

Conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc, mesdames et messieurs, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest, préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Ouest. Je dresserai un tableau rapide de la situation, que vous pourrez compléter en interrogeant mes collègues afin d’obtenir des précisions sur l’organisation particulière de chaque entité.

La structure générale des SGAMI a été définie lors de leur création par le décret du 6 mars 2014 puis précisée par un certain nombre de textes. Ils sont organisés de manière similaire : nous sommes préfets délégués pour la défense et la sécurité et secrétaires généraux des SGAMI. Nous avons donc des fonctions relevant de la sécurité civile qui ne constituent pas à proprement parler le métier du SGAMI mais auxquelles nous consacrons une large partie de notre temps. Certains de mes collègues exercent des missions d’ordre public et de sécurité publique dans le département où se trouve le SGAMI, tandis que, pour ma part, comme d’autres collègues, je n’exerce que des fonctions de nature zonale.

Le rôle des SGAMI est d’assurer les fonctions support des services du ministère, c'est-à-dire non seulement de la police et de la gendarmerie nationales mais aussi des préfectures, des sous-préfectures et de certains services de sécurité civile. Historiquement, ils s’inscrivent dans la continuité des centres administratifs et techniques interdépartementaux (CATI) et des secrétariats généraux pour l’administration de la police (SGAP). Le champ d’action des SGAMI est plus large que celui des structures antérieures, puisqu’ils sont chargés du soutien de l’ensemble des services du ministère de l'Intérieur.

Les fonctions de chaque SGAMI sont rassemblées en cinq directions : les ressources humaines ; l’équipement et la logistique ; les finances et le contentieux ; l’immobilier ; l’informatique et les radiocommunications.

Dans la réalité, les SGAMI n’assurent pas l’intégralité des fonctions support pour l’ensemble des services que j’ai mentionnés. Je parlerai seulement de la police et la gendarmerie, car c’est l’objet de cette commission d’enquête.

Nous réalisons avec ces cinq directions l’intégralité des fonctions support pour la police nationale, ce qui est lié à la constitution des SGAMI à partir des SGAP. Remarquons que le nombre actuel de SGAMI est inférieur à celui des SGAP qui existaient auparavant. En effet, on a créé un SGAMI dans chacune des sept zones de défense, même si cela ne signifie pas que tous les services sont regroupés en un seul lieu, car nous disposons de plusieurs antennes au niveau régional et parfois infrarégional, afin d’assurer la proximité avec les services.

Nous assurons la gestion des carrières des personnels uniquement pour les corps d’encadrement et d’application, des adjoints de sécurité jusqu’aux majors. La gestion des carrières des personnels appartenant aux corps de conception et de commandement est organisée au niveau national. Nous gérons également les personnels civils de la police nationale.

Pour la gendarmerie nationale, en revanche, nous n’assurons pas la totalité des fonctions support. Ainsi, en ce qui concerne les ressources humaines, nous sommes chargés de la gestion les personnels civils mais non de celle des personnels militaires. En ce qui concerne l’équipement et la logistique, l’entretien des véhicules automobiles est mutualisé et donc relève du SGAMI, mais la gendarmerie assure elle-même les autres fonctions logistiques, notamment ce qui relève de l’entretien des armes. En ce qui concerne l’immobilier, nous assurons les fonctions d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la police et la gendarmerie. La programmation est réalisée par la gendarmerie et nous intervenons qu’au niveau de l’étude et de la conduite d’opérations. En revanche, pour la police nationale, nous sommes partie prenante de la programmation des projets immobiliers.

Il en va de même en ce qui concerne les finances. Nous exécutons les dépenses de la police et de la gendarmerie, mais en matière de programmation budgétaire, les généraux commandant les zones de gendarmerie ont une délégation du préfet de zone. Nous intervenons donc moins dans la programmation budgétaire de la gendarmerie que dans celle de la police.

Il faut savoir que les personnels et les moyens du SGAMI sont fournis par le programme 176 « Police nationale ». Il existe donc un lien naturel fort avec la direction générale de la police nationale, notamment la direction des ressources et des compétences. Néanmoins, nous exécutons les dépenses de la gendarmerie comme nous celles de la police nationale.

Enfin, en ce qui concerne l’informatique et les radiocommunication, nous n’intervenons que pour la police nationale, tandis que la gendarmerie fonctionne de manière autonome. La mutualisation dans ce domaine n’est donc pas complète.

Les SGAMI sont des organismes assez jeunes, qui poursuivent leur marche en avant. Si nous n’assurons pas l’ensemble des fonctions support de la gendarmerie, nous travaillons étroitement avec elle au plan local. Nous rencontrons un certain nombre de difficultés du fait de la coexistence de différents systèmes, de différents logiciels, de différentes procédures, mais nous passons des conventions, nous nous efforçons d’élaborer des procédures et des protocoles communs, et nous sommes en relation quotidienne avec les services de la gendarmerie.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Dans les outre-mer, il n’y a pas de SGAMI, mais un service administratif et technique de la police nationale (SATPN) ou un SGAP.

M. Stéphane Jarlégand, adjoint du préfet de Paris, secrétaire général pour l’administration. Je vous le confirme, monsieur le président.

M. Patrick Dallennes. La mutualisation de l’entretien automobile est une belle réussite, malgré des différences de niveau d’intégration selon les zones. Dans la zone Ouest, elle est presque complète : dans 18 des 20 départements que compte cette zone, l’entretien des véhicules de la police et de la gendarmerie est centralisé dans un seul garage automobile. Plus de 9 850 véhicules sont ainsi entretenus, dont 9 500 pour la police et la gendarmerie — le reste relève des préfectures, de la sécurité civile et de quelques autres services pour lesquels nous assurons cette mission.

L’entretien a donc été mutualisé sous l’autorité des SGAMI, soit dans un centre de soutien automobile de la gendarmerie (CSAG), soit dans un ancien garage de la police nationale. Nous rencontrons quelques difficultés matérielles pour mettre en œuvre cette centralisation dans le Finistère, où l’on compte trois garages, et dans le Loiret, où l’on en compte deux.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Certains gendarmes se plaignent de la mutualisation. En effet, la distance entre certaines casernes et le garage peut poser un problème de réactivité.

M. Patrick Dallennes. Historiquement, la gendarmerie n’avait pas plus d’un garage par département ; par conséquent ce n’est pas la mutualisation qui a créé le problème de l’éloignement.

Dans la zone Ouest, pour 95 % des forces, c'est-à-dire pour les 18 départements qui disposent d’un unique garage, les unités sur le terrain n’ont pas soulevé le problème de l’éloignement. Nous externalisons une partie des opérations les plus légères, afin de ne pas bloquer les véhicules pour des opérations simples comme le changement d’un pneumatique ou la vidange. En revanche, toutes les opérations lourdes sont réalisées dans le garage qui centralise de grandes compétences, en carrosserie comme en mécanique. Les services de police et de gendarmerie acceptent bien ce service, d’après les informations dont je dispose. Nous n’avons pas rencontré de difficultés pour faire prendre en charge les véhicules d’une force par un garage qui jusqu’ici relevait de l’autre force.

Comme ces véhicules sont soutenus par deux programmes différents, le programme 152 pour la gendarmerie et le programme 176 pour la police, il existait un système de remboursements croisés qui produisait un nombre de factures assez important entre les cinq régions de gendarmerie d’un côté et les unités opérationnelles des directions départementales de la sécurité publique (DDSP). Nous avons passé localement un protocole qui a ensuite été étendu au plan national pour simplifier ce système de facturations croisées et le limiter à cinq par an au lieu de 25 à 30. Ainsi, nous avons supprimé nombre de difficultés de trésorerie et nous évitons de générer une activité inutile et coûteuse.

Néanmoins, il existe une difficulté qui réside dans le fait que ces garages automobiles sont constitués en partie par des personnels de la gendarmerie, sur lesquels nous n’avons pas d’autorité hiérarchique : nous ne sommes pas maîtres de leurs mouvements d’affectation et de mutation et nous ne les notons pas. Ainsi, nous avons la responsabilité fonctionnelle sur une entité, mais nous n’avons pas la responsabilité hiérarchique sur une partie des personnels — un même garage peut réunir jusqu’à cinq statuts différents. Nous sommes pénalement responsables d’un accident qui relève de l’hygiène et de la sécurité, mais une partie du budget affecté à ces garages ne relève pas de notre responsabilité. C’est une difficulté résiduelle de ce système mixte, qui ne remet pas en cause le fait que le bilan de la mutualisation est globalement satisfaisant.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Souhaiteriez-vous avoir autorité sur ces personnels de la gendarmerie ?

M. Patrick Dallennes. Oui, car cela permettrait de maîtriser l’ensemble du pouvoir hiérarchique et fonctionnel, dont je dois rendre compte si le travail n’est pas fait correctement.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avez-vous aussi la charge des véhicules des services spécialisés, tels que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la police judiciaire (PJ) ? Concernant les véhicules utilisés par les services suite à une saisie-attribution, avez-vous la possibilité de les réparer et de les entretenir et, le cas échéant, jusqu’à quel point ?

Mme Valérie Hatsch, préfète déléguée pour la défense et la sécurité pour la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest. Il est tout à fait compréhensible que les véhicules retiennent l’attention des forces de sécurité, car ils en font une utilisation particulière.

Permettez-moi de revenir à la question posée par le rapporteur sur le mode de gestion de la maintenance automobile. Il existe deux modes de gestion de la maintenance automobile : gestion interne ou externe.

Dans le premier cas, la maintenance est effectuée par le service assuré par le SGAMI ou le CSAG sur lequel nous n’avons effectivement pas d’autorité directe — dans le Sud-Ouest, nous ne rencontrons pas de difficulté particulière à travailler ensemble et la fusion s’est bien passée. Le responsable de la logistique, qui est un officier de gendarmerie, m’expliquait hier que, dans les premiers temps après la fusion, les gendarmes qui venaient faire réparer un véhicule essayaient de reconnaître le mécanicien qui appartenait à la même force qu’eux, tandis qu’aujourd'hui, ils ne font plus de différence.

Il fut un temps où certains services étaient intégralement externalisés. Ce n’est plus du tout le cas, du moins dans la zone Sud-Ouest. En 2008, une réforme a permis de réparer les véhicules de la police ou de la gendarmerie indifféremment dans l’un ou l’autre service du département. Depuis la création du SGAMI, il est possible de se raccrocher au service le plus proche, même quand celui-ci se trouve dans un autre département de sorte que la couverture actuelle est tout à fait satisfaisante.

On s’est également rendu compte que le coût d’entretien en interne était moins élevé en raison de la non-facturation de la main-d’œuvre et de la négociation du prix des pièces dans le cadre de marchés publics. En outre, le personnel du ministère qui réalise cet entretien est conscient de l’utilisation particulière de certains véhicules, par exemple des véhicules de la brigade anticriminalité (BAC). L’entretien en interne permet également d’assurer la sécurité des véhicules pendant la phase de réparation. Les délais d’immobilisation sont maîtrisés, ce qui permet de maintenir la disponibilité opérationnelle. Le garage prête des véhicules volants, y compris des véhicules sérigraphiés.

Il faut savoir que l’on ne raccroche pas un service à un garage sans l’accord du chef de service ; il n’y a pas de tension, car chacun comprend qu’il est plus pratique de se rendre dans le garage le plus proche. Comme nous pilotons l’ensemble, nous avons la possibilité de faire des déports d’un garage à l’autre lorsqu’il y a une surcharge de travail afin de ne pas immobiliser trop longtemps le véhicule.

Nous avons toujours recours au privé dans certains cas, lorsque le véhicule est sous garantie du constructeur, quand le concessionnaire dispose de compétences techniques plus avancées ou lorsque la réparation nécessite peu de main-d’œuvre et que le recours à un garagiste local permet de gagner du temps. Ainsi, 10 % des dépenses de réparations pour la zone Sud-Ouest sont consacrées au privé.

Le taux de disponibilité des véhicules est supérieur à notre objectif : pour la police nationale, il est de 95,9 % et pour la gendarmerie, il est de 93,9 %. En somme, depuis 2008, nous sommes arrivés à un point d’équilibre qui me paraît satisfaisant, en tout cas pour la zone Sud-Ouest.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avez-vous aussi la charge des véhicules des services spécialisés, tels que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la police judiciaire (PJ) ?

Mme Valérie Hatsch. Nous réparons des véhicules de types très divers : des scooters, des motos, des bateaux, des véhicules spécialisés ou des véhicules saisis. Nous avons même en régie un véhicule blindé récupéré auprès de la Brink’s qui est devenu le véhicule d’intervention de la BRI, ainsi qu’un bus mis à disposition par une collectivité locale dans le cadre des quartiers de reconquête républicaine (QRR) qui sert aujourd'hui à l’enregistrement des plaintes et au recrutement pour le département de la Charente-Maritime. Dans la Gironde, nous avons fusionné un garage et deux CSAG et, dans ce très grand garage, nous avons la possibilité de réparer l’intégralité de la gamme.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. La vétusté des véhicules, qu’il s’agisse des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) ou des Irisbus, pose effectivement problème, cependant c’est une question de budget plutôt que d’organisation des SGAMI. 

Lors des auditions que nous avons conduites, on nous a signalé qu’à Calais, seule une moto de la brigade motorisée fonctionne ; à Dijon, seules trois motos fonctionnent. Ce problème vient-il de l’absence d’un budget pour en racheter de nouvelles ou des délais de réparation ? Le même problème se pose pour les vélos.

Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité pour la zone de défense Sud-Est. Les difficultés rencontrées dans les garages relèvent plutôt des ressources humaines que de problèmes de mutualisation. Les personnes qui possèdent ces compétences techniques très spécialisées trouvent des emplois plus attractifs ailleurs que dans la fonction publique. L’État ne parvient pas à offrir des conditions suffisamment attractives pour recruter ou fidéliser des personnels mécaniciens.

Les délais ne s’expliquent généralement pas par des questions d’organisation ou de distance d’ateliers, mais ils sont liés au fait que le personnel compétent n’est pas disponible. Nous avons essayé de spécialiser certains ateliers pour répondre aux demandes de réparation sur des véhicules particuliers comme les motos. Cependant cette spécialisation accroît les délais de réparation quand on rencontre des difficultés de recrutement dans cette spécialité particulière.

Ce problème d’attractivité et de recrutement dans le domaine de la réparation automobile est un problème de fond.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Ne peut-on pas augmenter le taux d’externalisation pour les véhicules très spécialisés, afin d’éviter de recruter des personnes compétentes dans un domaine très spécifique qui resteraient sans travail quand il n’y a pas de problème dans ce domaine ?

Par ailleurs, existe-t-il une politique de location de véhicules pour la police et la gendarmerie ?

Ensuite, la préfecture de police de Paris pourrait-elle faire le bilan de l’intégration du SGAP de Versailles ?

Mme Emmanuelle Dubée. L’externalisation coûte plus cher pour les véhicules spécialisés que pour les véhicules courants, de sorte que nous gardons les véhicules spécialisés dans nos ateliers.

M. Jean-Christophe Bouvier, préfet délégué pour la défense et la sécurité pour la zone de défense Nord. Le SGAMI fournit des services à des forces de sécurité intérieure qui ont besoin d’être opérationnelles.

Dans la zone Nord, l’externalisation concerne environ 10 % des véhicules. Elle est principalement destinée aux forces de sécurité de l’Aisne et de la Somme, où il y a moins de garages. L’externalisation est efficace mais rencontre des limites. Ainsi, nos véhicules ont beau avoir la carte « prioritaire », ils ne sont jamais traités prioritairement par les garages, tandis que lorsque la réparation est faite au SGAMI nous avons la possibilité de définir des priorités et de mettre à disposition des véhicules. En outre, lorsque nous apportons un véhicule technique, les garages refusent souvent la réparation parce qu’ils ne veulent pas prendre de risque.

Par ailleurs, les garages des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont toujours refusé la mutualisation, du moins en ce qui concerne la zone Nord. Or, s’ils nous avaient rejoints, les garages auraient été plus nombreux sur le territoire et donc plus proches des unités. Dans l’Aisne, par exemple, les garages des CRS refusent même de réparer les motos des services de sécurité publique.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La gendarmerie mobile répare-t-elle elle-même ses véhicules ou sont-ils pris en charge par le SGAMI ?

M. Jean-Christophe Bouvier. Le SGAMI prend en charge tous les véhicules de la gendarmerie mobile.

Les garages du SGAMI ont la possibilité de traiter les véhicules banalisés en les armant de manière spécifique à la commande des services. Cependant, comme le préfet de zone, M. Michel Lalande, a eu l’occasion de le signaler lors de la réunion du comité de gouvernance des SGAMI en janvier dernier, il est nécessaire d’enrichir le « Catachat », c'est-à-dire le catalogue des véhicules, par lequel passent toutes les commandes de véhicules neufs. En effet, les services de renseignement ou de la PJ ne trouvent pas les véhicules dont ils ont besoin dans ce catalogue qui propose des véhicules très vite identifiés dans les quartiers, comme la 205 blanche.

En outre, nous avons parfois besoin de répondre à une commande urgente, or commander sur le Catachat demande environ quatre à six mois. Le SGAMI n’a pas la possibilité d’acquérir en urgence, pas même sur le marché privé, des véhicules neufs ou d’occasion qui correspondraient parfaitement à l’attente des services. Nous avons besoin de disposer d’une enveloppe qui permettrait, sous réserve des contrôles nécessaires, de répondre aux commandes urgentes des services. Dans la zone Nord, nous pouvons être confrontés au trafic d’êtres humains. Le phénomène small boat, c'est-à-dire la traversée de la Manche sur des petites embarcations de 5 à 6 mètres sur lesquelles se trouvent une douzaine de personnes, nécessite de surveiller les plages avec des véhicules spécialisés, par exemple des motos légères qui ne sont pas disponibles sur Catachat. Nous avons pu répondre à cette demande uniquement parce que les Britanniques ont dédié une enveloppe de 740 000 euros à cet usage.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Cela leur coûterait sans doute plus cher de contrôler eux-mêmes les flux migratoires.

M. Jean-Christophe Bouvier. Je ne cherche pas à établir l’intérêt du Royaume-Uni ; mon propos est simplement factuel : c’est grâce à cet argent que nous avons pu répondre aux commandes spécifiques des services de sécurité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Madame la préfète Hatsch, monsieur Bouvier, vous avez tous les deux relevé que le taux d’externalisation dans votre zone était d’environ 10 %. S’agit-il d’un objectif que vous fixez ou d’un constat factuel ?

M. Jean-Christophe Bouvier. Il s’agit d’un constat.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Existe-t-il une politique de location de véhicules pour la police et la gendarmerie ?

M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint du SGAMI Sud. Dans la zone Sud, nous louons des véhicules de 9 places pour la police aux frontières. Ce dispositif existe depuis trois ans, et il est soutenu par le programme 176 depuis un an.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Lors de la discussion budgétaire, on a évoqué des expériences de location de véhicules pour les services actifs et les services d’enquête.

M. Hugues Codaccioni. Dans la zone Sud, le SGAMI a été sollicité par la Direction générale de la police nationale (DGPN) afin de louer des véhicules pour les services d’investigation qui ne sont pas disponibles sur le Catachat. La Sûreté départementale de Marseille et la police judiciaire procèdent de temps en temps à ces achats sur leur budget propre, mais à la marge. Nous serions intéressés par un marché national avec un loueur.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Permettez-moi de rappeler à mes collègues que lorsque l’on parle d’un véhicule armé, cela ne signifie pas qu’il y a des armes à l’intérieur, mais qu’il est câblé de manière particulière, ce qui permet de brancher un gyrophare à deux tons et de recevoir certaines fréquences radio. Il est vrai que les garages privés refusent certains véhicules armés.

M. Stéphane Jarlégand. Je voudrais préciser que les missions et l’environnement de la préfecture de police (PP) étant différents, cela rend nécessaire une organisation différente.

Pour le SGAMI de Paris, c’est l’attractivité qui est problématique, pour les jeunes gardiens de la paix mais aussi pour les techniciens et adjoints techniques susceptibles de travailler dans nos garages. Constatant des vacances de poste qui commençaient à obérer la capacité de réaction des ateliers de nos garages, qui travaillent au bénéfice de plus de 9 000 véhicules de la petite et de la grande couronne, il a été décidé en 2017 d’étudier les modèles de maintien en condition opérationnelle de véhicules dans les grandes métropoles. Nous avons donc observé la situation à Londres et à Berlin afin de trouver des solutions pratiques pour diminuer le taux d’immobilisation des véhicules. Nos véhicules étant vétustes et extrêmement sollicités, nous avions atteint un taux d’immobilisation de plus de 20 %. Non seulement nous avons revu le programme d’achat pluriannuel de véhicules, mais nous avons également établi un programme d’externalisation.

Depuis le 1er janvier 2019, la préfecture de police a passé un marché d’externalisation au bénéfice non seulement de la police mais aussi de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Ce marché qui porte sur 40 lots permet d’effectuer immédiatement de petites réparations sur les véhicules dans 360 centres autour de Paris. Cette externalisation est couplée à une décentralisation de la décision, puisque les agents payent avec une carte d’achat qui simplifie le système de paiement. Depuis le 1er janvier, plus de 1 900 prestations ont été effectuées, ce qui a permis de baisser le taux d’indisponibilité des véhicules, qui aujourd'hui concerne 13 % des véhicules. Nous effectuerons un bilan à la fin de l’année, mais nous constatons dès à présent que les services de police actifs sont satisfaits de la réactivité permise par ce nouveau système. L’externalisation est une nécessité et, pour le moment, elle satisfait les utilisateurs, qui évaluent les différents garages.

La préfecture de police a lancé une expérimentation de location de « pies » Volkswagen. Ce sont des véhicules blancs et noirs hybrides et électriques : 33 véhicules sont actuellement en circulation et nous allons augmenter le volume des véhicules en location. Nous avons noué un partenariat bénéfique aux deux parties avec Volkswagen.

Le SGAP de Versailles et celui de Paris ont fusionné au 1er janvier 2016 pour devenir le SGAMI d’Île-de-France. Certaines emprises du SGAP existent toujours : l’armurerie de la préfecture de police et son garage sont toujours situés au Chesnay, par exemple. La fusion des deux SGAP a permis une mutualisation importante, puisque nous avons désormais un site unique qui regroupe quatre plateformes Chorus. Au niveau financier, il y a encore un service à Versailles mais les fonctions support financières ont été mutualisées. Certains services pourront être regroupés plus tard, lorsque les agents seront partis à la retraite ou auront changé de service. Les moyens du service des affaires immobilières ont également été mutualisés.

M. Jean-Christophe Bouvier. Les crédits britanniques nous ont permis d’acquérir un certain nombre d’équipements rares, tels que des drones ou des véhicules spécialisés. Ces moyens sont fortement sollicités par la police aux frontières (PAF), les services de la gendarmerie ou les services de police spécialisés. Ces équipements n’ont pas été affectés à un service particulier, mais ils sont gérés par le SGAMI, ce qui permet de les mettre à disposition des forces qui en ont besoin.

Mme Marietta Karamanli. Comment résoudre au niveau national les problèmes de non-renouvellement et de coût du matériel dont nous font part les policiers et les gendarmes sur le terrain ?

Par ailleurs, certains équipements autres que les véhicules posent parfois des problèmes d’utilisation. Ainsi, les caméras sont utiles pour assurer le suivi des manifestations, mais leurs batteries sont parfois insuffisantes. Avez-vous les moyens de prendre en compte l’appréciation des usagers afin de commander de meilleurs équipements, pour les caméras comme pour les armes, par exemple ?

M. Michel Vilbois. Je vous répondrai au titre de mes précédentes fonctions de chef du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), car je sais que la méthode n’a pas changé. Depuis trois ans, tous les nouveaux matériels sont d’abord testés par un groupe de policiers ou de gendarmes, qui définit les besoins fonctionnels. Cela n’empêche pas que certains soient insatisfaits, puisque chacun des 120 000 policiers et des 85 000 gendarmes a une opinion personnelle à ce sujet. Nos achats résultent toujours d’un compromis entre l’expression des besoins fonctionnels et le meilleur prix obtenu dans le cadre d’un marché public.

Depuis les attentats de 2015, un véritable effort budgétaire a été consenti pour renouveler les équipements de protection et les armes. Ainsi, l’État a acquis pour la police et la gendarmerie près de 80 000 gilets pare-balles au cours des deux derniers exercices budgétaires. Les armes d’assaut ont été largement modifiées et entièrement renouvelées. En outre, nous devons renouveler chaque année 3 000 véhicules pour la police et 2 800 pour la gendarmerie. Cette jauge a été atteinte au cours des trois derniers exercices budgétaires pour ce qui concerne la police nationale. Elle ne l’est pas tout à fait pour la gendarmerie nationale, qui doit faire face à d’autres dépenses.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Depuis deux ans, les budgets consacrés aux bâtiments et aux véhicules ont augmenté. L’avez-vous constaté sur le terrain ? Est-ce la mise en réserve qui a obéré le renouvellement total des véhicules de la gendarmerie ? 

En tant que SGAMI, avez-vous la possibilité de vous opposer à des achats qui ne seraient pas pertinents ?

M. Patrick Dallennes. Ce n’est pas nous qui décidons de l’opportunité de l’achat d’un matériel.

En revanche, s’agissant des véhicules saisis qu’on peut mettre à la disposition des services, nous donnons toujours un avis technique sur l’opportunité de les conserver.

M. Michel Vilbois. Heureusement, il y a peu de fantaisie dans les achats opérés localement par les chefs de service de police, parce que leur budget est limité et parce qu’ils sont dotés par l’administration centrale. En outre, si nous n’avons pas la possibilité de nous y opposer, toutefois nous sommes informés de ces achats puisqu’ils sont effectués sur la plateforme Chorus. Si le directeur des finances me signalait une facture portant sur une arme non réglementaire, je m’expliquerais avec le chef de service concerné et je bloquerais l’achat. Cependant nous n’avons pas rencontré ce problème. 

Mme Emmanuelle Dubée. La réponse à votre question dépend de ce qu’on appelle bloquer. Les services ne peuvent tout simplement pas acheter certains équipements parce qu’ils coûteraient trop cher. C’est le SGAMI qui accorde les crédits, de sorte qu’il dispose d’un instrument de contrôle en amont. En aval, il dispose de deux autres outils. Une commande passée hors marché, sans support, ne sera pas payée par le comptable. Un achat supérieur à 25 000 euros doit donner lieu à une mise en concurrence, sans quoi il n’a pas de base juridique. En dessous de ce montant, nous avons également des moyens de contrôle qui nous permettent au moins d’avoir un échange a posteriori avec le chef de service de manière à ce que cet écart ne se reproduise pas. Ce sont les directions actives qui tiennent ce dialogue de gestion avec le SAELSI.

Mme Valérie Hatsch. Je souscris à ce qu’ont dit mes collèges sur le contrôle des achats.

L’action du SGAMI me paraît se situer à la bonne échelle : il dispose d’un certain niveau d’expertise et cependant il colle à la réalité d’un territoire. Les policiers et les gendarmes se tournent naturellement vers nous pour exprimer leurs besoins et leurs difficultés. Lors des manifestations liées aux « gilets jaunes », les policiers nous ont demandé des masques de protection contre les gaz lacrymogènes ; nous avons pu procéder à des achats pour les leur fournir. Je ne remets pas en cause le principe d’achats groupés au niveau national.

Cependant il faut davantage associer les SGAMI au processus d’expression des besoins. Par exemple, les éthylomètres ne sont commandés qu’une fois par an. Ils sont renouvelés au bout de dix ans. Lorsqu’un éthylomètre utilisé pendant huit ans tombe en panne, il semble inefficient de le réparer si la réparation coûte 2 000 euros alors que l’éthylomètre neuf coûte 2 800 euros, cependant nous n’avons pas de marge de manœuvre pour en commander un neuf. Il est nécessaire de gagner en souplesse pour décliner les marchés nationaux afin de répondre à l’attente des policiers et des gendarmes. Dans la situation actuelle, nous sommes obligés à un choix qui ne satisfait ni les SGAMI ni les utilisateurs.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avez-vous vu arriver des véhicules nouveaux ?

M. Michel Vilbois. Comme vous l’avez suggéré tout à l’heure, c’est la mise en réserve qui empêche la gendarmerie d’atteindre l’objection de renouvellement des véhicules. La gendarmerie a d’autres contraintes d’équilibre budgétaire que la police nationale, notamment en raison de la charge des loyers. Ceci dit, nous avons heureusement vu de nouveaux véhicules dans les services de police et de gendarmerie.

M. Rémi Delatte. Madame la préfète, je pense comme vous que le niveau zonal est le niveau pertinent. Pensez-vous que les marchés puissent être organisés au niveau des zones de défense ?

Mme Valérie Hatsch. Je crois sincèrement que le niveau central est pertinent lui aussi, car le dialogue avec les directions centrales est nécessaire. Je regrette simplement que l’organisation choisie au moment de la création du SAELSI ait mis à l’écart les SGAMI, même s’ils sont de plus en plus associés à la décision, notamment à travers le plan zonal. Le niveau zonal, particulièrement dans les zones Sud-Ouest et Sud-Est, me paraît pertinent, parce que dans ces deux cas la région et la zone sont identiques.

Le SGAMI récupère le matériel usagé dans les différents services, tandis que les services logistiques se préoccupent souvent uniquement de la fourniture et non du retour. Grâce à un logiciel, nous indiquons chaque mois le nombre de mètres cubes dont nous disposons et notre circuit aux gendarmes et aux policiers. Ce lien permanent nous assure une véritable connaissance du terrain. Tous les niveaux sont utiles, cependant la particularité du niveau zonal est qu’il allie proximité et expertise.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Au sujet du matériel rapporté, où sont stockés les 4 500 Flash-Ball ? Ces lanceurs de balles de défense ont été remplacés par des LBD 40.

M. Michel Vilbois. De mémoire, les Flash-Ball ont été en dotation dans la police nationale à la fin des années 1990. Ils ont été retirés très rapidement à mesure où on a mis en place les lanceurs de balles de défense et, par l’intermédiaire des SGAMI, ils sont remontés au magasin central de la police nationale qui se trouve à Limoges. Ils y sont stockés en attendant d’être remis aux collectivités locales ou détruits.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Comment le budget des cartes d’achats des commissariats est-il défini ?

M. Jean-Christophe Bouvier. C’est un moyen de paiement, qui n’est pas nécessairement lié à un budget.

M. Hugues Codaccioni. La carte d’achat permet de régler des dépenses de niveau 3, tels que les fluides. En fait, les budgets sont assez conséquents, mais le pouvoir discrétionnaire du chef de service est limité, car la plupart des dépenses sont imposées par sa direction centrale et par le contrôleur budgétaire régional. 

M. Patrick Dallennes. La direction centrale fixe une dotation globale pour la zone et une dotation calculée en fonction des effectifs. On prélève ensuite des sommes concentrées sur le budget du SGAMI pour des achats groupés, par exemple dans le domaine de l'informatique ou la maintenance automobile, ce qui réduit la marge de manœuvre du chef de service, même si ces sommes sont en fait consacrées à son service. Dans le cadre du dialogue de gestion zonal, les SGAMI ont la capacité d’ajuster à la marge, c'est-à-dire d’augmenter le montant du budget de l’année d’un service en fonction d’un montant moyen d’augmentation pour l’ensemble de la zone. Pour la police nationale, il s’agit d’un budget départemental, mais le même dispositif existe pour les services spécialisés.

M. Michel Vilbois. Nous avons été amenés à augmenter le budget de chaque direction départementale pour prendre en compte le contrecoup du mouvement des « gilets jaunes », afin de prendre en charge des équipements locaux décidés par les directeurs départementaux et les frais de déplacement des policiers qui interviennent en renfort dans un autre département que le leur. Ce sont des budgets pris sur la réserve du SGAMI en cours d’exercice.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans la gendarmerie, la dotation de fonctionnement des unités élémentaires (DFUE) est elle aussi liée aux effectifs. Les budgets sont répartis par département et par brigade.

M. Patrick Dallennes. Il existe également une gestion par région de la gendarmerie.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez parlé de partenariat avec des grandes marques pour la location de véhicules. Tenez-vous compte pour établir ces partenariats de l’écologie et de la responsabilité sociétale des entreprises ?

M. Stéphane Jarlégand. Je souhaiterais donner quelques chiffres pour répondre à une question du président. Le préfet de police a souhaité améliorer l’environnement dans lequel évoluent les policiers. Les crédits consacrés à l’entretien pour l’ensemble de l’Île-de-France sont passés de 9 millions d’euros en 2014 à près de 20 millions d’euros cette année. Les crédits relatifs à la maintenance, c'est-à-dire le programme zonal de maintenance immobilière (PZMI) est passé de 3 millions d’euros en 2015 à 9 millions d’euros en 2019 ; les crédits de nettoyage sont passés de 9 millions en 2016 à 11 millions en 2019.

L’amélioration de la situation dans les commissariats passe également par la déconcentration de la décision de gestion au niveau du chef de circonscription, avec des crédits délégués et une carte d’achat, qui lui permettent de répondre aux besoins de base des policiers, comme déboucher les toilettes ou réparer un portail. Dans certains commissariats, ces crédits ne sont pas utilisés, parce que la déconcentration de la gestion n’a pas encore été intériorisée. Nous menons donc un travail pédagogique d’appropriation par les chefs de service de ces questions.

Cette dynamique d’amélioration se marque aussi dans le renouvellement du parc automobile : près de 400 véhicules renforcent notre flotte cette année.

M. Philippe Castanet, directeur des finances de la commande publique et de la performance de la préfecture de police de Paris. Tout d’abord, le partenariat avec Volkswagen a bien sûr été mis en place après un appel public à concurrence auquel ont répondu Nissan, Renault et de nombreux autres fabricants. Après avoir analysé rigoureusement les offres, nous avons conclu le marché avec celui qui nous a présenté la meilleure.

L’expérimentation de la location de véhicules électriques est très intéressante. Elle a été conduite en relation avec le SAELSI qui a passé un marché d’acquisition de véhicules électriques. Les prix finaux de revient étaient comparables, mais la différence entre les offres dépendait de la cession des véhicules à la fin d’un bail, car les véhicules de la police et de la gendarmerie sont beaucoup plus sollicités que les véhicules de sociétés privées.

En ce qui concerne l’achat, il faut dissocier la question des crédits de proximité et celle des modalités de paiement. Au SGAMI Île-de-France, qui regroupe la préfecture de police, la direction départementale de sécurité publique de la grande couronne et les services associés tels que la PAF ou les CRS, nous avons déployé 538 cartes d’achats à ce jour. Ce sont des modes de paiement qui permettent, par exemple, de payer des réparations dans un garage Renault ou un film occultant pour des vitres orientées plein Sud dans un commissariat. Nous voulons développer le système des cartes d’achat, parce qu’il simplifie considérablement les tâches administratives de gestion et permet aux entreprises d’être payées immédiatement. À ce jour, la somme des montants réglés par carte d’achat s’élève à moins de 4 % de notre budget global et nous entendons monter à 20 %. Nous avons obtenu de Renault puis de Michelin la possibilité de régler par carte d’achat.

Un tiers environ des crédits de proximité sont réglés par ce moyen, tandis que certaines dépenses font l’objet d’un mandat administratif classique. Les crédits de proximité en Île-de-France s’élèvent environ à 4,5 % du « budget manœuvrable » du budget opérationnel de programme (BOP). J’appelle « budget manœuvrable » le budget global auquel j’ai ôté deux dépenses spécifiques à l’Île-de-France sur lesquelles nous n’avons pas de marge de manœuvre : le plan de vidéoprotection pour Paris et la carte de circulation des policiers.

Le SGAMI d’Île-de-France a accordé une priorité absolue à l’exécution de marchés nationaux, par force quand il s’agit de fournitures données en dotation physique, comme les armes, les fournitures et les uniformes, mais également parce que c’est beaucoup plus simple d’actionner un marché national conclu par le SAELSI ou une autre institution que de passer nous-mêmes des marchés. Pour autant, nous avons 500 marchés vivants de proximité, dont 41 marchés de réparation des véhicules. Certains marchés ne peuvent être gérés qu’au niveau local, comme les marchés de ménage ou d’alimentation des chevaux de la Garde républicaine. 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Les SGAMI sont principalement chargés de la gestion des ressources humaines de la police, tandis que la gendarmerie garde la maîtrise de ses ressources humaines, comme elle garde la maîtrise de son budget. Vous avez la responsabilité des ressources humaines administratives et du corps d’encadrement et d’application de la police, c'est-à-dire du premier corps de la police nationale. Vous gérez donc les mutations internes, l’avancement et les questions disciplinaires.

Certains bureaux de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) ainsi que des directions métier, telles que la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) ou la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) gêrent également leurs ressources humaines. De nombreux services s’occupent donc de cette question. Ne serait-il possible de simplifier cette organisation ?

Mme Emmanuelle Dubée. Il faut distinguer selon le statut. Recruter l’ensemble des contractuels au niveau central me semble impossible, car cela ne permettrait pas une réponse rapide et adaptée. Pour des profils recherchés, tels les informaticiens ou les spécialistes de l’immobilier, nous avons déjà des délais de recrutement, qui seraient aggravés par la centralisation.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous parlons bien des contractuels de la police et non de ceux de la gendarmerie, qui sont recrutés de manière centrale.

Mme Emmanuelle Dubée. Oui, mais la police recrute beaucoup plus de contractuels que la gendarmerie. Dans le domaine de l’informatique, par exemple, les gendarmes rencontrent eux aussi des difficultés.

M. Patrick Dallennes. C’est une demande récurrente, notamment de la part de la préfecture de police. Des évolutions se profilent : on nous a annoncé que nous devrions pouvoir décentraliser le recrutement des contractuels jusqu’à l’indice 600. Certaines avancées se mettent en place en matière de recrutement des personnels techniques, avec des concours « flash » au calendrier très rapproché.

En réalité, notre rôle n’est pas le même que celui de l’administration centrale en matière de ressources humaines. Nous sommes chargés de la gestion décentralisée de proximité avec des effectifs qui ne sont pas très nombreux : 159 personnes travaillent à la direction des ressources humaines (DRH) du SGAMI Ouest pour gérer environ 16 000 personnels actifs, techniques, scientifiques et ouvriers d’État. Nous organisons le dialogue social qui se tient à deux niveaux : nous faisons des propositions, tandis que la décision finale est prise dans les instances nationales. Nous gérons les carrières localement et nous établissons 21 500 payes par mois, qui représentent un milliard d’euros. L’administration centrale fait un autre travail, qui relève de la conception, des arbitrages et de l’encadrement réglementaire.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Il faut tout de même reconnaître que le système actuel est lourd. Par exemple, il faut réunir une commission administrative paritaire (CAP) locale pour la mutation d’un gardien de la paix, qui doit être avalisée ensuite en CAP nationale.

Mme Emmanuelle Dubée. Cela tient au fait que la réglementation est elle-même lourde : on pourrait envisager de diminuer le nombre de CAP.

Mme Marietta Karamanli. C’est ce dont nous débattons actuellement dans le cadre du projet de loi sur la fonction publique.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je ne suppose pas qu’il faut nécessairement diminuer les compétences du niveau local, mais je vous demande quelles sont vos idées pour simplifier ce système, à quelque niveau que ce soit, de manière à diminuer le nombre de postes dans l’administration des RH, pour pouvoir augmenter le nombre de fonctionnaires sur la voie publique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Combien de personnes travaillent dans les différents services du SGAMI ?

M. Patrick Dallennes. Environ 900 personnes travaillent au SGAMI Ouest pour gérer 16 000 personnes.

M. Jean-Christophe Bouvier. Environ 600 personnes travaillent au SGAMI Nord et ils gèrent environ 15 000 personnes.

M. Michel Vilbois. Dans la zone Est, nous sommes 881 agents pour gérer 20 079 personnes. 

M. Stéphane Jarlégand. La préfecture de police effectue environ 52 000 payes par mois, et gère 45 000 personnes ; 41 335 personnes étaient employées au 1er mars, mais il y a un certain nombre d’emplois vacants, notamment dans la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). La DRH emploie environ 1 000 personnes pour gérer un budget de 4 milliards d’euros.

La préfecture de police de Paris soutient la possibilité de recruter des contractuels. Nous avons bon espoir, au vu de nos échanges avec la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) où je travaillais précédemment, de recruter plus facilement les contractuels de catégorie B. Nous espérons que les évolutions législatives permettront ce changement à court terme.

Nous souhaitons alléger un certain nombre d’instances paritaires qui mobilisent énormément de ressources. Le droit de la fonction publique a été simplifié au cours des dernières années — vous vous souvenez des réductions d’ancienneté qui demandaient des heures de travail pour un résultat de très faible importance, qui ont heureusement été supprimées. Cette évolution doit se poursuivre.

Néanmoins, on aura toujours besoin d’un échelon de ressources humaines de proximité : les agents ne doivent pas être gérés par un monstre froid. Il existe une complémentarité au niveau disciplinaire : le niveau de la sanction détermine l’instance qui délibère. Il est juste que les sanctions les plus graves soient prises au niveau national, car c’est un gage d’équité entre les fonctionnaires. Il faut donc trouver un juste équilibre entre national et local en appliquant le principe de subsidiarité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pensez-vous qu’il soit utile de mettre en place une programmation pluriannuelle des moyens ?

Une organisation qui ferait du général de zone le vrai patron de la zone vous paraît-elle souhaitable ? Les DDSP pourraient continuer d’exister. Le général de zone pourrait s’appuyer sur un directeur des ressources humaines et un directeur des achats.

M. Michel Vilbois. Ils ont aujourd'hui ce directeur des ressources humaines et ce directeur des achats au SGAMI. C’est à ce niveau qu’il faut opérer la mutualisation. Il faut continuer l’intégration des fonctions support de la gendarmerie qui aujourd'hui est incomplète. Par exemple, nous apportons notre concours en matière d’immobilier de manière différente selon les régions. La mutualisation est pertinente quand on vise à économiser les moyens.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mon objectif serait de donner plus de latitude aux gendarmes et aux policiers pour travailler dans les meilleures conditions.

M. Michel Vilbois. Ce n’est pas en recréant des services qui sont aujourd'hui mutualisés que vous leur donnerez cette latitude. Les SGAMI fonctionnent dans une logique de contrats de service. Par exemple, dans le SGAMI de l’Est, nous signons avec chaque commandant de groupement des 18 départements un contrat de service qui fixe les moyens et les délais de réparation. Nous procédons de la même façon en ce qui concerne la gestion des ressources humaines ou la gestion budgétaire avec la plateforme Chorus. La mutualisation est donc déjà réalisée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de reformuler ma question. Qui a le dernier mot en cas de désaccord entre le général de zone et le SGAMI ?

M. Jean-Christophe Bouvier. Nous tenons un dialogue permanent avec les responsables de zone et avec les services centraux, aussi bien les services financeurs que les directions opérationnelles centrales.

M. Patrick Dallennes. Les SGAMI sont un service exécutant qui apporte une expertise et permet d’améliorer les performances. Si on revenait en arrière, on perdrait l’intérêt d’avoir créé les SGAMI, c'est-à-dire la rationalisation et les économies d’échelle.

M. Hugues Codaccioni. En cas de désaccord entre un directeur départemental de la sécurité publique et un préfet délégué, un arbitrage est rendu à l’échelon central.

Mme Emmanuelle Dubée. Le DDSP ne pourrait pas jouer le même rôle que le SGAMI vis-à-vis de la PAF et de la PJ. En effet, le SGAMI ne s’occupe pas seulement de la sécurité publique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’évoquais non un DDSP mais  un responsable de la police au niveau zonal.

M. Michel Vilbois. Permettez-moi de vous donner un exemple très concret en matière de décision d’investissement immobilier et de gendarmerie. Le général commandant la zone conserve les crédits de maintenance et d’investissement sur les CSAG. Les investissements dans les CSAG font donc l’objet d’un dialogue entre le général de zone et le préfet délégué, puis le général de zone prend la décision. Nous ne sommes donc pas dans une logique de confrontation. Nous prenons les décisions en intelligence. C’est le général de zone qui rend l’arbitrage final, mais nous lui apportons notre expertise technique.

M. Jean-Christophe Bouvier. Je ne crois pas que la DDSP désire récupérer la charge de gestion qui est aujourd'hui déléguée au SGAMI. La situation actuelle est bénéfique à tous. Comme nous l’avons dit, nous sommes dans une logique de prestation de service.

La zone Nord a réalisé un schéma directeur immobilier des centres de tir sur quatre ans, soit de 2017 à 2021, en fixant des objectifs d’amélioration de la sécurité et d’accessibilité territoriale. Ce schéma directeur a été transmis à l’administration centrale et nous donne le seuil d’investissement nécessaire : la programmation pluriannuelle nous donne une cible lors des négociations budgétaires annuelles.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Que pensez-vous de la mise en réserve sur les dépenses obligatoires ?

M. Patrick Dallennes. Pour un gestionnaire, il est toujours désagréable de se voir annoncer un budget alors qu’en réalité il ne peut en maîtriser la totalité. Nous nous efforçons de gérer les crédits en bon père de famille, mais il est certain que la mise en réserve nous enlève une partie de notre marge de manœuvre.

M. Philippe Castanet. La pratique est un peu différente dans la police et dans la gendarmerie. Pour le programme 176, il y a trois niveaux de réserve : la réserve républicaine de 3 % opérée par la DGPN sur ses crédits, qui ne nous sont donc pas alloués ; une seconde mise en réserve de 2,2 % opérée par la DGPN elle-même ; enfin les SGAMI doivent mettre en réserve 1 % des crédits. Mais dans ces deux cas, la réserve est « locale » : les crédits nous sont alloués. Pour Paris, cela représente 2 millions d’euros. Pour nous, l’impact des mises en réserve nationales se limite au fait d’avoir un espoir de complément de crédit plus faible. Cependant nous construisons notre budget sans prendre en compte un éventuel complément. Il est certain que les coûts directs des manifestations hebdomadaires des « Gilets jaunes » vont nous amener à solliciter des compléments de crédits ciblés. 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Si l’on additionne les différentes mises en réserve, elles obèrent plus de 6 % du budget. Quand la réserve est levée, avez-vous le temps d’engager les crédits ?

M. Philippe Castanet. Lors des deux dernières clôtures budgétaires, il y avait largement le temps d’engager des crédits et il me semble que nous n’avons pas rendu un centime. Étant donné qu’il n’y a que sept SGAMI, auxquels s’ajoutent les SATPN et les SGAP d’outre-mer, nous avons une discussion très étroite avec la DRCPN. Nous discutons jusqu’au dernier jour de dépenses qui sont absolument impératives et que nous prévoyons par avance. Nous pouvons faire des choix d’opportunité : le SGAMI Île-de-France a payé fin 2018 par anticipation un protocole qui permettait de nous dégager plus rapidement de l’immeuble de la rue du Château-des-Rentiers, ancien site de la PJ. Bien nous en a pris, puisque l’immeuble a été occupé quelques jours après que nous l’ayons restitué par l’association Droit au logement (DAL). Nous pouvons donc ajuster des dépenses de fin d’année pour utiliser correctement la mise en réserve.

Dans la police nationale, la mise en réserve est opérée par des spécialistes au niveau de la DGPN. En revanche, dans la gendarmerie, elle est partagée avec les équipes ; une partie de la réserve est placée dans les BOP, ce qui fait qu’ils peuvent perdre quelques crédits dont ils pensaient qu’ils seraient disponibles.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Cette mise en réserve ne génère-t-elle pas de la frustration ?

M. Philippe Castanet. Les SGAMI ont en gestion une somme, dont ils savent que 99 % est à leur disposition. Une amélioration importante a déjà été réalisée, car auparavant la mise ne réserve était de 8 %. Il est normal que le ministre puisse décider en fin d’année d’acheter 100 véhicules de plus ou de distribuer des crédits selon les priorités du moment. Nous ne considérons pas que ces crédits nous appartiennent : ils sont destinés à optimiser les décisions. Il est nécessaire de faire un arbitrage entre des dépenses locales à caractère impératif ou immédiat, comme la libération de l’immeuble de la rue du Château-des-Rentiers, et l’achat de véhicules ou d’un objet coûteux.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. J’ai le souvenir de demandes d’achats sen fin d’année pour utiliser précipitamment l’argent mis en réserve. Ce système me paraît pouvoir être amélioré.

 

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  Audition du 16 mai 2019

Mme Brigitte Jullien, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.

 

Mme Josy Poueyto, présidente. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l’audition de Mme Brigitte Jullien, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de M. Bertrand Michelin, directeur adjoint.

L’IGPN mène les enquêtes qui lui sont confiées par les autorités administratives ou judiciaires, mais elle a aussi un rôle d’audit et d’évaluation dans l’objectif d’améliorer le fonctionnement des services de police. C’est ainsi que, récemment, un travail important a été mené sur l’organisation du temps de travail dans la police. Nous souhaiterions que vous puissiez éclairer de votre expérience et de votre connaissance très poussées des services les travaux de la commission d’enquête.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Diverses questions se sont révélées importantes, au fur et à mesure de nos travaux, concernant notamment la formation et le nombre insuffisant d’officiers de police judiciaire (OPJ). S’agissant de la procédure pénale, alors que nous cherchons à la simplifier, elle a tendance à s’alourdir, à se complexifier. Un certain nombre de policiers considèrent que leur travail administratif a pris le pas sur leur travail de terrain.

Je souhaiterais connaître votre position sur ces questions et savoir si les nombreux audits que vous menez aboutissent aux mêmes conclusions. Quelles mesures pourrions-nous apporter pour simplifier réellement la procédure pénale ? Quelle une solution pour pallier cette carence d’OPJ ?

Mme Brigitte Jullien, cheffe de l’Inspection générale de la police nationale. Je débuterai mon propos par la présentation de l’IGPN, une direction méconnue, même si nous en parlons beaucoup ces derniers temps. Rares sont ceux, en effet, qui connaissent la diversité des missions et le fonctionnement de cette inspection.

Lorsque nous prononçons les quatre lettres « IGPN », viennent immédiatement à l’esprit deux expressions qui collent à l’inspection générale de manière quasi indélébile : « le cimetière des éléphants » et « les bœufs-carottes ». Il en existe même une troisième, mais je vous en parlerai plus tard.

Ces deux expressions mettent en avant deux types de mission qui ont longtemps caractérisé l’IGPN et l’Inspection générale des services de la préfecture de police (IGS). D’une part, les inspections conduites par les anciens, qui forts de leur longue expérience professionnelle, sont venus finir leur carrière à l’IGPN. L’IGPN a été créée en 1969, il s’agit donc d’une direction bien ancrée dans la police nationale. À ces anciens, étaient confiées les missions d’inspecter les services et de réaliser des études de fond.

D’autre part, l’activité d’enquête attribuée à des policiers, auxquels on prêtait volontiers l’art de faire mijoter ceux de leurs collègues qui se trouvaient placés sur la sellette ; d’où les termes de « bœufs-carottes ». J’ouvre là une parenthèse pour vous préciser l’origine de ce terme. Même s’il est vrai que les inspecteurs font mijoter leurs collègues lors des interrogatoires, il s’agissait en réalité du plat du jour qui était offert aux gardés à vue à la préfecture de police, après la Seconde Guerre mondiale. Pour mémoire, l’IGS a été créée en 1914 par Célestin Hennion, et les policiers de cette inspection avaient une culture de la garde à vue.

Voilà la genèse de cette expression un peu folklorique qui a même inspiré une série télévisée. L’IGPN est par ailleurs souvent stigmatisée comme la police des polices par les médias, alors même qu’elle n’a pas vocation à prononcer des sanctions, conformément aux textes fondateurs.

En 2013, l’IGPN a fait l’objet d’une refonte initiée par ma prédécesseuse. Elle exerce le contrôle des directions et des services de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police ; elle a compétence sur l’ensemble du territoire de la police nationale. Elle exerce une mission générale d’inspection, d’études, d’audits et de conseil. Elle est chargée, par délégation du directeur général et du préfet de police, du pilotage du contrôle interne et de la maîtrise des risques de la police nationale. Elle contrôle le suivi de la mise en œuvre des sanctions prononcées par l’autorité disciplinaire. Elle diligente des enquêtes judiciaires, d’initiative ou sur instruction de l’autorité judiciaire. Elle diligente des enquêtes administratives sur l’ensemble des agents relevant de l’autorité du directeur général de la police nationale, du directeur général de la sécurité intérieure et du préfet de police. Elle analyse, propose et évalue les règles et les pratiques professionnelles relatives à la déontologie. Elle apporte un service de conseil juridique dans ces domaines en matière de procédure d’enquête, et elle porte une mission de conseil en management et en organisation. Elle participe à des missions conjointes avec l’Inspection générale de l’administration (IGA) ou d’autres services de l’inspection. Le champ d’action de l’IGPN est donc large et ne peut être réduit à sa seule fonction d’enquête.

Fin 2018, 293 agents étaient affectés à l’IGPN, dont 118 enquêteurs répartis au sein de l’unité centrale de coordination des enquêtes et des huit délégations de l’IGPN couvrant l’ensemble du territoire national.

L’IGPN n’est pas composée uniquement de policiers : 219 policiers, 66 agents administratifs, 7 agents contractuels et consultants, un conseiller du tribunal administratif détaché et 6 apprentis.

Il s’agit d’une instance au service de l’institution et de l’ensemble de ceux qui la composent, dont la vocation est d’améliorer le fonctionnement des services et de faire de la déontologie un facteur de performance. Il s’agit donc bien d’une direction qui sert l’intérêt général, et singulièrement celui des usagers ; elle n’est pas le bras armé de la DGPN, qui n’interfère en aucune façon dans la manière dont nous conduisons nos enquêtes. Nous jouons un rôle d’accompagnateur, de facilitateur, mais également de régulateur au service de chaque policier. Nous contribuons à fortifier le lien police-population, dans la mesure où notre activité est à la fois transparente et accessible à chaque citoyen.

Nous formons une communauté dynamique d’hommes et de femmes réunis autour de valeurs communes et d’objectifs partagés. Ces valeurs sont, d’ailleurs, consignées dans une charte – que je vous remettrai. Il s’agit de l’exemplarité, de l’expertise, de l’éthique, de la responsabilité et de l’objectivité ; valeurs choisies par l’ensemble des personnes qui composent l’IGPN, après une réflexion commune. Quant aux objectifs, ils figurent dans une feuille de route et ont également fait l’objet d’un travail collectif.

Il ne suffit pas d’avoir des idées, des projets, de l’ambition, il faut aussi agir concrètement. À cet égard, l’IGPN a considérablement élargi le panel de ses activités, et a développé de nouveaux outils qui faisaient défaut à la police nationale.

En 2013, lors de la fusion de l’IGPN et l’IGS, nous avons créé une unité de coordination des enquêtes, en ouvrant des délégations au sein des territoires – la dernière étant située à Pointe-à-Pitre concerne la Guyane et les Antilles. Nous avons ainsi démontré notre souci de proposer un traitement égal à chacun de nos agents et d’harmoniser les pratiques en matière disciplinaire.

Dans ce but, nous avons développé un outil informatique, OSADIS. C’est un outil partagé de suivi de l’activité disciplinaire, actuellement en cours de déploiement, qui nous permettra d’avoir une vision globale de l’ensemble des sanctions et des suivis disciplinaires – du droit disciplinaire appliqué au sein de la police nationale.

Nous avons créé, en 2013, une mission appui-conseil (MAC) dans le domaine du management, qui procède de la même volonté d’améliorer le fonctionnement des services et les conditions de travail des agents. Nous accompagnons le chef de service dans l’analyse et la résolution des difficultés de nature managériale et organisationnelle, nous proposons des appuis méthodologiques à la conduite de projets, afin d’aider les collègues, porteurs de projets, à concevoir et mettre en œuvre des réformes lourdes ou complexes, tout en organisant une conduite du changement et, surtout, en tenant compte du bien-être des agents dans leur quotidien.

La mission appui-conseil tire sa compétence du savoir-faire des consultants, puisque nous avons recruté des consultants issus de cabinets privés dont le domaine de compétence est le management et le changement. Nous avons mis en place deux dispositifs expérimentaux qui sont en dialogue opérationnel à la direction départementale de sécurité publique (DDSP) 78, et nous travaillons sur du management innovant pour trouver de nouveaux outils pouvant améliorer le management des services de police.

Cette réflexion est issue des problématiques que nous avons rencontrées en 2016, dans les services territoriaux. Tout le monde se souvient de la grogne des policiers, de leur malaise. C’est pour répondre à ces difficultés que nous avons proposé des outils de management innovants ; ils sont en cours de développement – le changement prend du temps.

En 2016, a été créé le dispositif « Améliorer la maîtrise des activités et des risques » (AMARIS), en vue d’aider les directions à améliorer le contrôle interne et à sécuriser davantage les policiers dans l’exercice de leur fonction. Nous diffusons, à partir des expériences réalisées sur le territoire, des fiches mémo ou des fiches alerte.

Les services de police font remonter les problématiques, les difficultés rencontrées au quotidien, comme, par exemple une garde à vue qui a dépassé la durée légale. Nous avons été alertés à plusieurs reprises sur cette question. Nous avons donc élaboré une fiche mémo pour rappeler à tous les policiers, de manière simple et facile à retenir, qu’il y a des cases à cocher lorsqu’une personne est en garde à vue et qu’il ne faut surtout pas passer à côté. Ces fiches mémo, qui ne font pas doublon avec les notes de service, permettent aux policiers de revoir, en une page, tout le processus qu’il convient de respecter afin de travailler en sécurité.

Le renforcement du contrôle interne a conduit à développer une autre activité, celle de l’audit interne (IFACI), qui a pour objectif de s’assurer de la robustesse des dispositifs de contrôle interne mis en place. C’est ainsi qu’a été créé, en 2016, le cabinet des inspections et des audits. Nous travaillons avec l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) ou sous le pilotage de l’IGA, sur demande du ministre, sur des études les plus diverses, et le rapport final fait l’objet de recommandations, avant restitution au commanditaire.

Le directeur général souhaite que nous accompagnions la direction ou le service concerné dans la réalisation des préconisations – ce que nous avons fait pour la création de la direction centrale de la formation et du recrutement de la police nationale (DCFRPN). Nous contrôlons également, de manière inopinée, les services d’accueil des commissariats, sur tout le territoire. C’est ainsi que, une centaine de fois par an, nos auditeurs se présentent, de façon anonyme, au motif de déposer plainte, et contrôlent ces services.

Nous assurons également une mission d’audits internes, réalisée par des agents qui ont suivi une formation de haut niveau à l’IFACI. Ils mènent des audits métiers ou des audits comptables et budgétaires. La plateforme de signalement, l’une des mesures phares de la réforme de 2013, est destinée aux usagers. Sa création fait suite à une réflexion que nous avons menée sur la façon de faire remonter les réclamations des citoyens aux services de police, et d’établir une relation police-population. Ouverte sur le site internet du ministère de l’intérieur, la plateforme permet à tout citoyen de déposer une réclamation aux services de police sur le comportement d’un policier ou, d’une manière plus générale, sur la police nationale. En 2018, 3 916 signalements ont été déposés, en augmentation, bien entendu, depuis novembre 2018 et le mouvement des Gilets jaunes.

Un autre dispositif de signalements a été déployé sous l’appellation de SIGNAL-DISCRI, cette fois à l’usage des policiers. Ce dispositif a vu le jour de part la volonté du directeur général et du préfet de police de placer la prévention de la lutte contre les discriminations et le harcèlement au sein des services de police, au premier plan. Tout policier estimant vivre une situation de harcèlement ou discriminatoire peut déposer sur cette plateforme ses remarques et ses questions. Près de 450 signalements ont été déposés cette année. Nous devons protection et aide à nos agents. Ainsi, par le biais de cette plateforme, nous pouvons les orienter vers un service de police compétent, diligenter des enquêtes administratives, et dans les cas les plus graves de harcèlement ou de discrimination avéré, l’IGPN se saisit directement des enquêtes.

Nous disposons, au titre de la transparence et de l’obligation de rendre compte, de deux outils, que sont, d’une part, le traitement du suivi de l’usage de l’arme (TSUA), qui est déployé depuis 2012 dans les services de police, et qui nous permet de connaître exactement le nombre de tirs qui ont été effectués à partir des cinq catégories d’armes suivantes : les armes de poing, les armes longues, les lanceurs de balles de défense (LBD), les grenades de désencerclement et les pistolets à impulsion électrique. Chaque policier qui utilise son arme, au travail ou durant son trajet domicile-travail – il doit avoir, bien entendu, un lien avec le service – est tenu de faire une déclaration sur cette application. Même si ce n’est que déclaratif, cela nous permet de collecter des données fiables sur l’usage qui est fait des armes dans les services de police.

Plus récemment, en 2018, nous avons installé, fondée sur la méthode du TSUA, une application visant à recenser les particuliers blessés – ceux qui ont plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) – ou décédés lors d’une mission de police. Je citerai l’exemple, qui malheureusement arrive parfois, de l’individu qui se jette par la fenêtre lors d’une perquisition.

Enfin, l’IGPN s’adonne à une activité importante de conseils, qui correspond à une posture orientée vers les bénéficiaires. Le cabinet de l’analyse, de la déontologie et de la règle est le cadre prédisposé à cette fonction pour laquelle un magistrat de l’ordre administratif est détaché – les sollicitations étant de plus en plus nombreuses. Nous sommes à la disposition de tout agent et service de police qui se posent des questions de déontologie, qu’elles soient relatives au port de tatouage, de la barbe, ou autre. Les questions sont posées de manière très naturelle et nous y répondons de manière très directe.

L’IGPN est une direction moderne. Nous avons réalisé un sondage auprès du personnel, en vue de mesurer le degré de bien-être de nos agents, et 91 % des policiers se disent satisfaits, voire fiers d’avoir été affectés et de travailler à l’IGPN. Ce sondage va être à nouveau réalisé cette année. Ces chiffres nous permettent d’affirmer que, malgré la difficulté du métier, nos personnels l’exercent dans de bonnes conditions.

L’IGPN est une direction moderne qui a vocation à satisfaire le droit des usagers, en mettant tout en œuvre pour améliorer le fonctionnement de l’institution police nationale avec une logique d’accompagnement, d’aide et de soutien, d’études et de propositions, d’analyses et de préconisations, dans le respect de l’éthique, de la déontologie et de la règle.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous avons demandé au ministère de l’intérieur, voilà deux mois, de nous transmettre différents rapports de l’IGPN : celui sur la formation, de 2015, et ceux qui ont été élaborés depuis. Le ministère a répondu favorablement, mais nous ne les avons pas encore reçus. Pourriez-vous nous les transmettre ?

Mme Brigitte Jullien. Nous vous les transmettrons dès notre retour dans les services. Vous souhaitez donc les rapports sur la formation et les cycles horaires – car vous m’avez interrogée sur le temps de travail ? Nous avons en effet travaillé durant dix-huit mois sur le sujet du temps de travail et des cycles horaires dans la police nationale.

En 2016, le malaise des policiers s’exprime, nous recevons leurs doléances relatives à leur travail au quotidien, à leurs missions et à l’immobilier, notamment. Des réponses ont été apportées et une étude a été lancée sur la vacation forte et le changement des cycles de travail, la fatigue des cycles horaires et le travail de nuit pouvant être l’une des raisons du malaise des policiers.

Nous avons répondu partiellement à ce malaise en accordant, dans un certain nombre de services de police, la « vacation forte », qui est une modification du cycle de travail 4X2 : quatre jours de travail, deux jours de repos. Ce nouveau cycle horaire a été mis en place de manière empirique par les services de police, malgré une modification générale d’emploi qui accorde le principe de ce dispositif à tous les services de police qui le souhaitent.

Il est certain que, dans la volonté d’apporter des solutions aux policiers, nous n’avions pas mesuré l’impact de cette organisation du travail. Or, si elle améliore le confort des policiers, et notamment leur situation personnelle, elle a nécessité un renfort important des services.

Fin 2017, le directeur général, après consultation des organisations syndicales, a proposé un moratoire, et a confié à l’IGPN une étude sur l’impact de la vacation forte. Nous avons rendu nos travaux en mars 2019. Pour mener cette étude, nous avons mobilisé douze auditeurs de l’IGPN durant dix-huit mois, qui ont rendu un travail de qualité, qui aidera certainement le directeur général à prendre des décisions.

Le cycle de travail 4X2, actuellement en place dans les services de police (4 jours de travail, 2 jours de repos ou 2 jours de travail, 2 après-midi, 2 matinées, 2 jours de repos), ne permet au policier que de bénéficier d’un week-end sur six – pour huit heures de travail journalier –, soit seize week-ends par an. La vacation forte instaure un cycle de vingt et un jours, le policier bénéficiera donc d’un week-end sur deux – et travaillera neuf heures et demie lors du changement d’équipe au lieu de huit heures pour le 4X2.

Pour limiter le dispositif de la vacation forte, préconisée par les organisations syndicales et validé par l’administration, celle-ci a proposé un cycle 4X2 compressé, moins coûteux en personnels et permettant aux policiers de bénéficier d’un week-end sur trois. On est ainsi passé à deux possibilités notamment pour police secours et les brigades de nuit.

En effet, la vacation forte nécessite + 8,66 % d’effectifs supplémentaires pour avoir le même nombre d’agents patrouillent sur la voie publique. Je prends un exemple : une circonscription où quatre patrouilles de police secours sont nécessaires le matin, perd, avec la vacation forte, entre une et deux patrouilles par vacation, par jour, si les effectifs ne sont pas renforcés. Bon nombre de chefs de service ont dû faire appel à des policiers d’autres unités pour compléter les effectifs passant en vacation forte. Alors que, pour le dispositif 4X2 compressé, aucun policier supplémentaire n’est nécessaire.

De sorte que nous sommes assez critiques sur la vacation forte, pour des raisons opérationnelles. En revanche, tous les indicateurs du bien-être au travail, de qualité de vie des policiers passent au vert. Nous avons envoyé un questionnaire à tous les policiers passés en vacation forte. 60 % ont répondu et tous sont en faveur de la vacation forte – nous avons d’ailleurs constaté une baisse des arrêts maladies. Malheureusement, la perte du potentiel opérationnel et la nécessité d’effectifs supplémentaires ne plaident pas en faveur de la vacation forte. C’est la raison pour laquelle nous avons préconisé, dans notre rapport, l’arrêt de la vacation forte dans les unités de jour, pour la remplacer par un cycle 4X2 compressé. S’agissant des unités de nuit, les études ont démontré que les policiers qui travaillaient quatre nuits d’affilée étaient totalement inefficaces la quatrième nuit. Nous préconisons alors la vacation forte qui est tout à fait adaptée au travail de nuit car elle permet de travailler trois nuits.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Depuis le début de la crise sans précédent que nous connaissons, combien de plaintes ont été déposées contre la police ? Combien sont en cours d’instruction ? Combien ont abouti ? Combien ont été abandonnées ?

Mme Brigitte Jullien. Voici les chiffres, mis à jour hier soir : 249 enquêtes judiciaires ont été ouvertes depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, auxquelles s’ajoutent 20 enquêtes liées au mouvement des lycéens. Sur ces 249 enquêtes, 72 ont été clôturées et transmises à l’autorité judiciaire et quatre informations judiciaires ont été ouvertes. Il en reste donc environ 170 qui font encore l’objet d’enquête des services.

Nous ne disposons peu de retour de la justice quant aux suites données à ces enquêtes. La seule information que nous ayons vient du Parquet de Toulouse, qui nous a indiqué qu’il classait une affaire.

Dans 108 dossiers, toujours liées au mouvement des gilets jaunes, des blessures graves – plus de huit jours d’incapacité totale de travail (ITT) – ont été constatées et 8 enquêtes administratives sont en cours.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Savez-vous combien de policiers ont été blessés au cours des manifestations ?

Mme Brigitte Jullien. Entre 1 300 et 1 400. C’est le directeur général qui a la responsabilité de comptabiliser les policiers blessés

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Lorsque nous interrogeons les policiers sur les difficultés qu’ils rencontrent, notamment en matière pénale, ils nous disent que les réformes du code pénal de 1994 et de 2011 ont complexifié les procédures, notamment du fait des droits grandissants de la défense et de la question de la preuve ; elles ont diminué les pouvoirs des policiers et augmenté ceux des prévenus. Avez-vous mené des audits sur ce sujet et quelle solution pourrait être apportée ?

Mme Brigitte Jullien. Il est vrai que la désaffection du métier d’OPJ est liée à la complexification des procédures pénales. Nous avons suffisamment d’OPJ, simplement ils n’ont plus envie de faire du judiciaire. Ils demandent même à quitter les services judiciaires pour intégrer la police de la voie publique ou police secours, estimant qu’il est plus gratifiant de secourir les citoyens que d’être derrière un bureau à diligenter des procédures.

En effet, pour une garde à vue, une dizaine de procès-verbaux doivent être dressés, que personne ne lit, sauf les avocats qui vérifient que tout a été effectué conformément à la loi. Les réformes successives ont empilé un certain nombre d’obligations dans le cadre de la procédure. En fait, nous sommes à la croisée des chemins de deux systèmes juridiques : le droit anglo-saxon, avec ses procédures orales, et le droit français se percutent, mais nous ne décidons pas de quel côté basculer, de sorte que les obligations exigées empêchent les policiers d’exercer correctement leur métier.

La solution serait, dans un premier temps, de dématérialiser la procédure. Un groupe de travail a été créé pour étudier cette question, et deux expérimentations sont menées au parquet de Blois, sur la dématérialisation totale de la procédure ; tous les services de police et la justice ont le même numéro de dossier. Des problèmes techniques sont à prévoir, puisque Scribe, notre futur logiciel de rédaction de procédures, est en cours de déploiement et qu’il conviendra de le connecter avec celui de la justice, Cassiopée. Supprimer le papier qui encombre les services de police contribuera à alléger la procédure.

Les commissions d’enquête et les auditions ont débouché sur la loi du 23 mars 2019 sur la justice. Nous avançons, mais doucement, et les services de police ne ressentent pas encore un allégement de leurs conditions de travail dans le domaine procédural. Une garde à vue demande dix heures de travail à un policier.

Je vous l’ai dit, un jeune policier souhaite soutenir les citoyens, trouver des solutions, mettre fin à des situations injustes, une gratification qu’il ne trouve pas dans « le papier » qu’il a à traiter pour une procédure pénale.

M. Jean-Louis Thiériot. Je vous confirme, madame la directrice, que les avocats lisent toutes les procédures. Je n’étais cependant pas pénaliste, je n’en ai donc, pour ma part, jamais lu. En revanche, j’ai constaté, en échangeant avec les policiers, que l’une de leurs frustrations était de ne pas connaître les suites données par l’institution judiciaire aux procédures qu’ils ont diligentées. Par ailleurs, lorsqu’ils retrouvent en liberté une personne qu’ils ont interpelée pour la dixième fois – une problématique que je rencontre avec les gens du voyage, dans mon territoire –, ils finissent par être démotivés.

Les remontées de terrain que vous avez font-elle mention de ces deux questions ? Si oui, quelle solution pourrions-nous mettre en place pour que les services de police soient le mieux informés possible des suites données procédures qu’ils ont diligentées ?

Mme Brigitte Jullien. Si nous parvenons, dans la dématérialisation des procédures, à constituer une chaîne complète allant jusqu’à la justice, les services de police auront accès à la suite donnée aux enquêtes. Ce sera un grand progrès, également pour les victimes, avec qui nous avons une proximité qui n’existe pas dans les autres services, et qui demandent régulièrement aux policiers où en est leur affaire.

Mme Josy Poueyto, présidente. Vous avez évoqué la manifestation des lycéens. Je souhaiterais savoir comment vous analysez la scène où un policer faire mettre des lycéens de Mantes-la-Jolie à genoux ? C’est une scène qui a fait polémique. Quelles remontées avez-vous eues de cette affaire ?

Mme Brigitte Jullien. Nous devons, comme pour toute affaire polémique, replacer la scène dans son contexte. Cette affaire s’est déroulée au moment le plus fort de la contestation des lycéens. Les manifestations ont été violentes, des lycéens se sont comportés de manière très violente à l’égard des policiers, mais également à l’égard des personnels de l’éducation nationale – dont certains ont été agressés.

Le choix des policiers du 78 a été confirmé par l’IGPN, après enquête administrative qui a établi qu’aucune faute n’a été commise ; aucun comportement déviant en termes de procédure n’a été relevé. Aujourd’hui, nous sommes dans le cadre d’une information judiciaire, pour pouvoir travailler sur cette affaire. Nous allons démarrer les auditions des lycéens, dont un certain nombre n’a pas encore été entendus, à défaut de plaintes déposées au moment des faits.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les jeunes, justement, un adolescent de seize ans n’a plus rien à voir avec un jeune de cet âge il y a trente ans. Que pensez-vous de l’ordonnance de 1945 ? Un policier nous a expliqué qu’il venait d’arrêter, pour la cinquantième fois, un jeune de quinze ans pour détention de stupéfiants, et qu’il l’avait arrêté pour la première fois à douze ans. Cet adolescent a toujours été remis en liberté, avec un simple rappel à la loi. Ces décisions donnent un sentiment d’impunité à ces certains jeunes. Par ailleurs, des trafiquants majeurs utilisent les services de mineurs, sachant qu’ils ne seront pas inquiétés par la justice. Quel est votre avis sur le sujet ? Pensez-vous qu’un mineur de plus de quinze ans devrait être jugé comme un jeune majeur ?

Mme Brigitte Jullien. C’est une question philosophique à laquelle il est très difficile de répondre, l’ordonnance de 1945 ayant été adoptée dans une volonté pédagogique et de protection de l’enfant. L’ordonnance n’a jamais été réformée, alors même qu’il a été largement débattu de cette question. Je ne m’estime pas qualifiée pour dire ce qu’il conviendrait de faire.

Je pourrais également vous raconter des histoires de mineurs que nous avons vu grandir, qui ont commencé par commettre un petit délit avant de s’aguerrir. Si nous ne les arrêtons pas à un moment, si l’institution ne réagit pas, ils basculent ensuite dans le grand banditisme. Tous les policiers ont une histoire à raconter sur un gamin de douze ans qui volait des bonbons, des mobylettes, puis des voitures et qui a mal tourné – cambriolages, vols à main armée. J’ai vécu cette situation, il y a encore deux ans.

Faut-il être plus sévère avec eux ? Les personnes chargées de l’éducation des enfants le sont. Mais cela ne s’applique pas au système pénal. Il appartient, selon moi, à des personnes qualifiées de se charger de ces enfants. Malgré tout, je le sais, ces situations exaspèrent les policiers. Des policiers qui discutent avec ces jeunes, qui les voient basculer.

La brigade des mineurs effectue un travail extraordinaire avec eux. Ils ont des solutions et savent qu’ils peuvent les récupérer à un moment donné. Mais l’institution n’a peut-être ni les moyens ni le temps d’investir sur ce sujet. Il conviendrait presque de faire de l’accompagnement individuel.

La question va devoir être posée à un moment, et nous devrons nous arrêter sur la situation de ces mineurs, qui ont un parcours particulier et à qui il faut donner une chance de se réinsérer – ils en ont les capacités. Je ne sais pas s’il convient de réformer l’ordonnance de 1945, mais nous devrions, en tout cas, écouter davantage les policiers de la brigade des mineurs.

Mme Josy Poueyto, présidente. Il conviendrait peut-être d’installer une passerelle avec les éducateurs de rue. Il serait peut-être utile, pour arriver à travailler en lien avec les travailleurs sociaux et l’Éducation nationale – je n’oublie pas les parents, bien entendu –, de revoir la notion de secret professionnel. Il est indispensable de travailler collectivement – parents, éducateurs, éducation nationale, brigade des mineurs, justice – si nous voulons aider ces enfants.

Mme Brigitte Jullien. Il faut travailler sur le secret partagé – plutôt que le secret professionnel. Et, effectivement, un travail collectif est nécessaire, dans ce domaine.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En 2017, une réforme a unifié la procédure de légitime défense entre les policiers et les gendarmes, mais l’obligation des critères de simultanéité et de proportionnalité demeure. Que pensent les policiers de ces deux critères ? Ont-ils le sentiment d’être empêchés d’utiliser leurs armes, de faire leur travail ?

M. Bertrand Michelin, directeur adjoint de l’Inspection générale de la police nationale. J’ai participé à un groupe de travail, avec certains parlementaires, pour bâtir ce nouveau cadre. L’exigence de simultanéité et de proportionnalité a toujours été imposée par la jurisprudence.

Quel était le cadre préalable, pour un policier, pour faire usage d’une arme ? La légitime défense. Or la légitime défense n’est avérée que si la riposte est proportionnée et a lieu dans le même trait de temps que l’agression. Une obligation qui était prévue pour les gendarmes, dans le code de la défense. Aujourd’hui, elle est commune aux deux forces de l’ordre et encadre juridiquement l’usage des armes.

Le TSUA nous permet de savoir comment évolue l’usage des armes dans les forces de l’ordre. De sorte, que je puis vous indiquer que, au vu des chiffres dont nous disposons, cette disposition n’a aucune influence sur l’utilisation de l’arme individuelle. Elle a même baissé, en volume, en 2018.

 

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  Audition du 16 mai 2019

Général Michel Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

 

Mme Josy Poueyto, présidente. Monsieur, mes chers collègues, nous recevons le général Michel Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

Nous aimerions évoquer avec vous certaines des problématiques étudiées par la commission d’enquête : le maintien de l’ordre, la protection fonctionnelle et les risques psycho-sociaux, notamment mais je vous invite également à aborder tout autre sujet qui vous paraîtrait important.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(La personne auditionnée prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mon général, la commission a vocation à enquêter sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité et donc de la gendarmerie nationale et parmi ces missions celle du maintien de l’ordre (MO). Dans le cadre de vos missions d’audits, transversales, sur la sécurité intérieure, quel bilan pouvez-vous tirer de l’engagement des forces mobiles depuis le 17 novembre ? Mais également de celui de la gendarmerie départementale qui, si elle n’a pas vocation à faire du maintien de l’ordre, a été mobilisée pour les manifestations des Gilets jaunes. Quelles ont été les remontées de terrain sur les manques relatifs aux équipements et aux moyens, en général, et des gendarmes départementaux pour le maintien de l’ordre ? Quel est le niveau de fatigue des forces mobiles, mobilisées depuis maintenant sept mois ?

S’agissant de la protection fonctionnelle (PF), nous avons entendu le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG) et un certain nombre de gendarmes, dans différentes gendarmeries. La protection fonctionnelle, nécessaire dans ce métier, ne peut être demandée en cas de faute non intentionnelle. Pourtant, le nombre de gendarmes blessés par faute non intentionnelle étant minime, le coût supplémentaire ne serait pas important. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Michel Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale. Avant de répondre à vos deux premières questions, monsieur le rapporteur, je me permettrai de fixer le cadre d’action de l’IGGN, qui obéit à une finalité, un principe, une méthode et des outils. La finalité, c'est l'efficacité et l'efficience de l'action publique. Le principe, c'est l'indépendance. La méthode, c'est l'examen objectif des procédures et des processus. Enfin, les outils sont le plus souvent des audits et des enquêtes.

Pour en venir plus directement au sujet de votre commission d’enquête, consacrée aux missions et aux moyens de la gendarmerie, et en m’appuyant sur les audits menés au cours de ces dernières années, quels sont les constats et les enseignements que nous pouvons tirer sur l'état de la gendarmerie, l'exercice de ses missions et ses moyens ?

Malgré les limites imposées par les contraintes, notamment financières, une préoccupation réelle, voire une forme d’atavisme, existe quant à la qualité de la réponse de service apportée à nos concitoyens sur les questions de sécurité et de tranquillité publiques de la part des gendarmes.

C’est une recherche constante de performance, de modernisation et d’innovation. Mais aussi une anticipation des évolutions sociétales ; je pense notamment à un audit que nous venons de terminer sur le recrutement de gendarmes scientifiques. Il est, en effet, paradoxal d’assister à une évolution numérique globale de la société et de ne pas disposer de gendarmes scientifiques. Nous avons sur ce point formulé un certain nombre de recommandations, que le directeur général a retenues pour les mettre en œuvre.

Deuxième facteur majeur : l’importance du commandement et des valeurs professionnelles. En gendarmerie, c’est une spécificité militaire, tout officier, avant d’être général a commencé comme sous-lieutenant. Nous faisons donc l’expérience de tous les commandements.

Par ailleurs, de par notre statut militaire, la loi nous a fixé des obligations déontologiques. Elles figurent à l’article L. 4111-1 du code de la défense : esprit de sacrifice – l’actualité récente montre à quel point ce n’est pas un vain mot ; discipline, disponibilité, loyalisme – loyauté, on dirait de nos jours – et neutralité. En tant que référent déontologue et alerte, de la gendarmerie nationale, j’ai pu me rendre compte à quel point ces cinq valeurs professionnelles s’imposent à tous les militaires, depuis le premier règlement de discipline générale de 1933. Il y a eu la loi de 1946 relative au statut des fonctionnaires, celle de 1983 qui a modernisé ce statut et le règlement de 1933, le premier statut général de 1975 et le second statut général de 2005, mais ces règles sont restées inchangées et autonomes.

La nouveauté, ce sont les règles de droit commun introduites par la loi « Sapin 2 » du 20 avril 2016. L’article L. 4122-3 du code de défense établit des obligations déontologiques communes aux fonctions publiques civile et militaire : dignité, impartialité, intégrité et probité.

Troisième facteur : le gendarme et sa famille, dans les territoires, au service de la population qu’il protège. Les marqueurs sociologiques sont l’esprit de corps et la cohésion, l’autonomie et l’intelligence locales – le sens de la mission malgré la fatigue.

Dans les grandes villes, l’unité de lieu est réduite et l’information circule vite. Dans les départements, lors d’une crise, la première heure est traitée par la patrouille de la gendarmerie – et non pas par le général à Paris. Il est donc nécessaire que les gendarmes soient très bien formés et très expérimentés.

Nous tenions hier un séminaire consacré à la gendarmerie mobile, j’ai ainsi pu discuter avec un grand nombre de gendarmes. La fatigue est très présente, mais elle n’est rien à côté du sens de la mission ; je puis vous affirmer que tous les gendarmes restent mobilisés au service de la population.

Pour autant, le monde n’est pas parfait, et nos audits mettent en évidence des points d’attention : la qualité du logement, notamment le logement domanial, la qualité des mobilités, le temps de travail – avec l’application de la directive européenne qui se traduit par une diminution capacitaire qui ne sera pas compensée – et la réforme des retraites, qui préoccupe énormément les gendarmes.

Je vous propose maintenant de répondre à vos questions.

Votre première question concerne le maintien de l’ordre : le bilan de l’engagement des gendarmes mobiles depuis ces derniers mois ; le retour d’expérience s’agissant de leurs besoins en formation et en équipements ; le retour d’expérience depuis le mouvement des Gilets jaunes.

Quelles ressources pour la gendarmerie mobile ? Elle compte 109 escadrons, 15 ayant été supprimés lors de la révision générale des politiques publiques (RGPP), dont 41 font l’objet d’un emploi permanent, pour les missions suivantes : 21 sont outre-mer ou en opérations extérieures (OPEX) – un peloton est engagé au Venezuela ; un escadron est en Corse ; 8 escadrons sont à Paris, et assurent la sécurité du palais de justice, des ambassades, des aéroports de Paris, de la Banque de France, des transfèrements judiciaires, de la sécurisation des gares et de la préfecture de police en renfort, dont la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; cinq escadrons et demi luttent contre l’immigration irrégulière – à la frontière italienne, à Calais et à Ouistreham ; un escadron assure la protection à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), sur la zone de Bure ; quatre escadrons assurent les missions nucléaires, militaires et civiles c’est-à-dire la garde de sites sensibles, tels que l’Ile Longues et les escortes ; enfin, un demi-escadron assure la protection de la résidence du Président de la République au Touquet. Les 68 autres escadrons sont constamment engagés sur les missions de maintien de l’ordre, dont les journées nationales d’action des gilets jaunes.

Quel est le bilan de cet engagement de la gendarmerie mobile ? Très clairement, un suremploi durable qui nous a conduits, à plusieurs reprises, à supprimer les repos et les permissions. Je rappelle que, le 8 décembre, 65 500 gendarmes étaient engagés sur les 89 000 membres des forces de l’ordre mobilisés.

De fait, depuis fin 2018, nous vivons à crédit, les droits à repos et à permission de nos militaires n’ayant pas pu leur être accordés. Bien évidemment, cette dette s’est accrue en 2019. Au 10 mai, le retard était de 5,86 jours de repos et de 37,71 jours de permission. Aujourd’hui, si nous voulons accorder les droits à repos et à permission des escadrons, nous ne devons pas engager plus de 65 escadrons par jour. Or, depuis le 1er janvier, le taux moyen d’escadrons employés est de 74 par jour. Notre « dette » va donc s’accroître. 

Nous avons cherché des solutions pour minimiser au mieux l’impact des engagements qui nous sont demandés, notamment en décalant les relais outre-mer et en allongeant la durée de certains séjours de trois à quatre mois. Cela permet de retarder certains mouvements et de les lisser dans le temps pour éviter que tous les escadrons reviennent en même temps d’outre-mer et, de fait, soient tous indisponibles durant la même période. Toutefois, ces procédés d’ajustement et d’adaptation restent minimes par rapport aux enjeux.

Par ailleurs, vous le savez, de nombreux événements à venir vont nécessiter des ressources fortes en termes de maintien de l’ordre : le 75e anniversaire du débarquement, les renforts estivaux – des communes de 10 000 habitants passent à 60 000 habitants –, le G7, fin août à Biarritz, ainsi que le contre-G7.

Outre la gendarmerie mobile, vous l’avez évoqué, monsieur le rapporteur, il y a aussi la gendarmerie départementale. Son métier n’est pas le maintien de l’ordre, mais d’assurer et de garantir l’ordre public. Cependant, et c’est un paradoxe, hors l’épisode des gilets jaunes, les gendarmes départementaux assurent de nombreuses missions de maintien de l’ordre ; personnellement, j’ai fait davantage de MO en gendarmerie départementale qu’en gendarmerie mobile. Les troubles publics ont lieu sur tout le territoire, même s’ils ne font pas la une des journaux, nationaux ou locaux. Les brigades de gendarmerie et les pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) sont les régulateurs de ces troubles.

Les gendarmes départementaux sont formés au maintien de l’ordre de basse intensité, qui ne nécessite pas d’engagements violents. Ils sont au milieu de la population, connaissent les gens qui troublent l’ordre public, savent leur parler, faire de la médiation, de la « désescalade » – puisque ce mot est à la mode.

Quel est l’emploi des gendarmes départementaux dans la crise des gilets jaunes ?

Cet emploi a indiscutablement évolué.

D’abord, ils assurent l’ordre public sur les ronds-points – et notre pays en compte beaucoup. L’occupation des ronds-points, c’est l’occupation de l’espace. Les milliers de ronds-points qui ont été occupés ont mobilisé des milliers de gendarmes départementaux et n’ont pas nécessité l’engagement de forces mobiles constituées – ni escadrons, ni compagnies républicaines de sécurité (CRS). Très peu de violences ont été commises, même si nous dénombrons onze morts – par des accidents de la route – à la périphérie de ces ronds-points.

Le rétablissement de l’ordre et le maintien de l’ordre de basse intensité sont deux choses différentes. Le rétablissement de l’ordre, c’est ce que nous avons vu de nombreux samedis, avec, à un moment, des régulations sociales complètement éclatées, une désinhibition totale de groupes devenus extrêmement violents. Le rétablissement de l’ordre est une autre phase du maintien de l’ordre et ne peut être effectué que par des unités constituées, professionnelles et bien commandées.

Le gendarme départemental sait faire de la régulation de petits troubles à l’ordre public et du MO de basse intensité, mais nous ne pouvons pas l’engager sur du rétablissement de l’ordre : il n’est pas formé pour cela et ce n’est pas sa mission.

À votre question, faut-il engager ou former le gendarme départemental au rétablissement de l’ordre, je vous répondrai que, si nous devions en arriver là, notre pays serait dans un triste état. Cela voudrait dire que la crise serait de très haute intensité.

Quand nous devons engager des gendarmes départementaux dans une situation dont l’intensité s’accroît, non seulement nous devons les équiper, mais leur emploi doit être non pas manœuvrant, mais défensif.

Quels sont les enseignements que nous avons tirés des journées nationales d’action des Gilets jaunes, mais aussi de Notre-Dame-des-Landes, d’Irma, du contournement ouest de Strasbourg, de Bure ?

L’addition de ces troubles à l’ordre publics majeurs et des troubles liés à des événements climatiques nous a permis de constater la robustesse et la résilience de nos unités. Je parle de résilience, car lorsque les gendarmes arrivent après le passage de l’ouragan Irma, il n’y a ni hôtel, ni eau, ni aliments ; ils ne vont donc pas se coucher dès leur arrivée.

Nous avons renforcé notre capacité de gestion de crise dans la conception et la conduite, et ce à tous les échelons de commandement : au centre de planification et de gestion de crise (CPGC), à la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO), au niveau des régions, des états-majors tactiques de maintien de l’ordre mais aussi au niveau de la liberté d’action locale – l’intelligence locale.

Lorsqu’il faut agir vite et mettre un terme à des violences, il est indispensable de faire confiance à l’intelligence locale. C’est le modèle de la gendarmerie qui a été appliqué à Notre-Dame-des-Landes, pour Irma, et à Bure : des unités de lieu, de circonstances et de temps sont définies et des moyens sont engagés avec un chef à leur tête. Le chef est responsable de la bonne exécution de sa mission et du commandement qu’il exerce. La liberté d’action locale est l’un des facteurs de réussite du maintien de l’ordre, aujourd’hui plus que jamais.

Autre élément important : la subrogation de la police dans les petites villes, villes de 50 000 habitants, voire plus –, avec plus de 2 500 gendarmes en renfort.

Quand nous engageons des forces aussi massivement, nous éprouvons le matériel et les équipements. Notre préoccupation première a donc été de reconstituer le plus rapidement possible le matériel dégradé, qui n’est plus très jeune. Un seul exemple : les véhicules de commandement et de transmission des escadrons de la gendarmerie mobile, qui permettent de répercuter les ordres, ont vingt-deux ans. Si nous voulions remplacer ces véhicules et ceux qui transportent les escadrons, le coût serait de 120 à 130 millions d’euros ; Une dépense qu’il conviendra un jour d’envisager. Le coût d’une année normale d’investissement pour l’ensemble du parc automobile de la gendarmerie est de 40 millions.

La population a également pu découvrir à Paris les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG). Des blindés pourtant régulièrement engagés : en Outre-mer, quand il faut dégager des arbres abattus, des barricades, à Notre-Dame-des-Landes ou encore en Corse. J’ai servi en Corse lors des grèves de l’ancienne société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM), et il était fréquent d’engager les VBRG pour redonner de la viabilité d’action et des accès au port.

Ces VBRG, dont le nombre s’est réduit au fil des années, doivent être remplacés, car ils ne sont pas réparables ; nous les cannibalisons pour garder en état de marche ce que nous pouvons.

Nous avons besoin de ces véhicules pour la protection de nos gendarmes, pour qu’ils ne soient pas exposés à des tirs d’armes ; ce qui arrive encore sur notre territoire national. Mais nous avons besoin de véhicules blindés de transports équipés d’une lame, afin de pouvoir percuter ou dégager. Pouvons-nous trouver un véhicule blindé sur une étagère ? Peut-être. Mais dès lors que nous souhaitons un véhicule blindé équipé d’une lame pouvant pousser des objets pesant des tonnes, la réponse est non. Pourquoi ? Parce que tous les véhicules blindés que nous trouvons sur le marché ont le moteur à l’avant. Et aucun industriel ne fabrique de blindés avec un moteur à l’arrière. C’est un défi technologique qui doit être envisagé.

Votre seconde question, monsieur le rapporteur portait sur les signalements et le respect des obligations déontologiques des gendarmes. Voici quelques chiffres. D’abord, la gendarmerie, c’est une intervention toutes les vingt secondes et un refus d’obtempérer toutes les heures.

Tous les Français ont vu les images des gendarmes, à Nantes, qui ont sorti leurs armes face à un véhicule qui fonçait sur eux. Mais la réalité, c’est que toutes les heures, un individu refuse d’obtempérer, et que les gendarmes ne sortent pas leurs armes. Ils font preuve de discernement et de sagesse ; la situation critique de Nantes ne se produit quasiment jamais.

Les images diffusées sur cet incident n’ont pas montré la scène dans sa globalité, comme toujours. Les gendarmes étaient à l’arrière d’un dispositif et faisaient face à la route – par laquelle le véhicule a foncé sur eux, sans avoir l’air de vouloir s’arrêter – pour protéger d’autres gendarmes qui, eux, tournaient le dos à la route et faisaient face à des manifestants. Si les gendarmes de l’arrière s’étaient écartés au lieu de dissuader le chauffeur avec leurs armes, ce dernier aurait foncé dans les gendarmes et dans la foule. Ces gendarmes ont sans aucun doute évité le drame et sauvé des vies.

Autres chiffres : mille tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) – contre treize mille pour la police ; quatre cent cinquante blessés, dont cent quatre-vingt-dix gendarmes mobiles.

Quel est le bilan des signalements reçus par l’IGGN et des enquêtes confiées à la gendarmerie par les magistrats ? Un signalement peut se faire de deux façons : par courrier postal ou sur la plateforme de signalement du ministère de l’Intérieur.

Nous comptons depuis le 17 novembre 2018 quarante et un signalements, dont quatre retransmis à l’IGPN et quinze enquêtes judiciaires susceptibles de mettre en cause des militaires de la gendarmerie – dont cinq confiées à l’IGGN. Les dix autres ont été confiées à des unités de recherche de la gendarmerie.

Quatre enquêtes ont été ouvertes pour usage inapproprié de LBD, deux enquêtes pour usage de grenades – dont une devant l’Assemblée nationale, où un manifestant a perdu partiellement sa main en voulant la ramasser –, sept enquêtes pour usage de la force, deux enquêtes pour propos inadaptés. Une enquête concernait la police nationale et le magistrat a accepté que l’IGPN soit saisie.

Certaines enquêtes sont terminées et ont été transmises aux magistrats. S’agissant des décisions de justice, un classement sans suite a été décidé par le procureur pour l’une d’elles.

Comment expliquer ces chiffres ? Ils sont largement liés au fait que nous avons mené beaucoup d’actions en unités constituées, avec une forte implication et une solidité du commandement à tous les niveaux – escadrons de gendarmes mobiles, pelotons, groupes. Une solidité du commandement même durant la crise. Et c’est tout l’objet de la formation que nous délivrons aux escadrons dans notre centre national d’entraînement des forces de gendarmerie (CNFEG) à Saint-Astier ; nous soumettons nos escadrons aux pires difficultés. Notre force est en mesure de commander au milieu du bruit, des flammes, des explosions. J’ai moi-même suivi, lorsque j’étais jeune lieutenant ou capitaine, avec une vraie intensité et une vraie exigence, des formations visant à me former au commandement dans des situations extrêmes. Commander, ce n’est pas du management.

Nous formons également nos gendarmes à respecter le protocole avant de faire usage de leurs armes. Un gendarme qui tire une grenade ou une balle de défense, ne tire pas quand il en a envie, ni tout seul. Il tire parce qu’on lui en a donné l’ordre ; un ordre qui a été confirmé deux fois. Le commandant d’escadron donne l’ordre, un chef de groupe le reçoit et le donne au tireur, en lui indiquant l’objectif, la distance et la hausse avant de dire « feu ». Ce sont une solidité du commandement et un sens de la responsabilité que je ne cesse de rappeler lors de mes interventions dans les écoles de gendarmerie, pour les formations administratives, face aux nouveaux officiers prenant de nouveaux commandements.

Notre responsabilité est énorme. Car vous, mesdames et messieurs les députés, vous nous autorisez, en temps de paix, sur le sol national, dans certaines circonstances, à tirer sur des citoyens français. Telle est la vérité. Nous ne pouvons donc user de ce droit sans discernement, sans intelligence et sans réflexion. C’est peut-être ce qui explique le nombre faible de signalements et de tirs.

Par ailleurs, le gendarme départemental exerce son métier sur un territoire dont il connaît la population. Il côtoie les personnes qui occupent les ronds-points, leurs enfants sont ensemble à l’école, ils font leurs courses dans les mêmes magasins. Cette proximité aide à l’apaisement social, à la compréhension et à la discussion pour éviter que le pire ne se produise.

J’aborderai maintenant la question de la protection fonctionnelle. Vous avez évoqué les regrets du CFMG de ne pas voir la protection fonctionnelle accordée aux gendarmes en cas d’infraction non intentionnelle.

En 2018, quatorze gendarmes sont décédés en service et 7 500 ont été blessés. Ce chiffre je le traduis différemment : il signifie que, chaque jour, vingt gendarmes ne rentrent pas chez eux.

Devant ces chiffres, nous ne pouvions pas rester inactifs et notre directeur général a recherché des solutions pour que moins de gendarmes soient blessés ou décèdent dans l’exercice de leur fonction. Ces solutions sont relatives, tout d’abord, aux équipements qui protègent nos gendarmes ; à leur formation – apprendre à maîtriser une personne violente ; à la protection juridique et fonctionnelle ; et enfin, à la promotion d’une politique assurantielle.

Je reviendrai sur trois chiffres que je reformulerai en une question : 75 000 gendarmes blessés, 100 000 gendarmes en France et quarante ans de carrière : à quel autre agent public proposons-nous un contrat de travail dans lequel il est écrit : « Statistiquement, vous serez blessé deux fois au cours de votre carrière » ? Cette politique assurantielle est donc indispensable.

Quelle est la situation en matière de protection fonctionnelle ?

L’article 11 de la loi de 1983 sur la fonction publique – et sa transposition dans le code de la défense et le code de la sécurité intérieure – permet d’octroyer la protection fonctionnelle aux fonctionnaires et aux militaires victimes d’infraction volontaire. Il convient de démontrer l’existence d’un fait générateur intentionnel.

La loi a écarté l’octroi de la protection fonctionnelle lorsque des gendarmes sont victimes d’une infraction non intentionnelle. Or, le CFMG a dû l’évoquer, un certain nombre de gendarmes sont blessés lors d’accidents de la circulation routière.

Vingt-six demandes sur soixante-quinze ont été rejetées en 2017 au motif que les infractions étaient involontaires, et quarante-trois sur quatre-vingt-dix en 2018, dont trente-trois concernaient des accidents de la circulation routière – incapacité totale de travail (ITT) jusqu’à 90 jours et trois décès. Le fait que ni le gendarme ni ses ayants droit ne puissent bénéficier de la protection fonctionnelle interroge.

Nous avons élaboré des propositions en imaginant, la loi ayant réglé une partie du problème, qu’elle puisse régler l’autre partie.

La protection fonctionnelle s’appliquant à toute la fonction publique, soit quelque 5,5 millions de fonctionnaires, il existe indéniablement des effets multiplicateurs qui conduiraient à des sommes considérables.

La gendarmerie a évalué ce que serait le coût de la protection fonctionnelle pour nos gendarmes victimes d’une infraction non intentionnelle : à peine plus de 50 000 euros par an, au regard du 1,650 million d’euros dépensés au titre de la protection fonctionnelle en 2018. Il me semble donc, que si la loi nous autorisait à y recourir, nous ne mettrions pas en péril les finances publiques de la France. Cependant, nous savons que la loi doit être générale et ne pas exclure ; ce qui veut dire que tous les fonctionnaires devraient être concernés.

Cette protection n’étant pas accordée, nous faisons tout pour ne pas abandonner nos gendarmes. Nous les renvoyons notamment vers la protection juridique privée des militaires et de leurs ayants droit. Lorsque j’évoquais la politique assurantielle, c’était pour sensibiliser le jeune gendarme à la nécessité de prendre une assurance ; les accidents n’arrivent pas qu’aux autres. À défaut, et dans certaines circonstances, une prise en charge partielle peut intervenir grâce à une convention établie par la gendarmerie avec un partenaire privé, le service d’assurance réservé au personnel de la gendarmerie nationale (SARPGN).

Enfin, la gendarmerie, au travers de la cellule d’aide aux blessés, accompagne tous les gendarmes concernés ; ils peuvent également accéder aux services de l’action sociale.

M. Jean-Louis Thiériot. Mon général, je voudrais tout d’abord rendre hommage à la manière dont vous avez porté la densité de la mission qui est celle de la gendarmerie. Je constate au quotidien, dans ma circonscription de Seine-et-Marne, la qualité de vos hommes, la qualité du commandement et la singularité que leur confère le statut militaire.

Je vous poserai quatre questions qui ont peu de rapport entre elles, mais qui me paraissent importantes.

Premièrement, pour des raisons budgétaires, le recours aux réservistes a, cette année, été réduit. En avez-vous ressenti les effets sur le terrain ? Par ailleurs, les réservistes m’ont fait part de la baisse de crédits alloués à leur formation.

Deuxièmement, la maîtrise de l’emploi de la force par la gendarmerie mobile a permis de réduire considérablement les signalements et les difficultés dans les opérations de maintien de l’ordre. Les officiers de gendarmerie avec lesquels j’ai échangé m’ont expliqué que la singularité de la gendarmerie mobile, par rapport aux CRS tient à ce qu’ils ne font pas toute leur carrière dans la gendarmerie mobile. Ils passent, au bout de quelques années, en gendarmerie départementale. De sorte que les effectifs de gendarmes mobiles sont renouvelés régulièrement. De fait, la gendarmerie mobile est composée de jeunes, qui sont en forme physique et ont la niaque. Pensez-vous que ce modèle devrait être généralisé ?

Troisièmement, concernant les VBRG disposant d’une lame, qui n’existent pas sur étagère, j’imagine que d’autres forces de l’ordre dans d’autres pays doivent être confrontées à ce problème. Ce marché est-il à conquérir ?

Enfin, quatrième question, s’agissant de la protection fonctionnelle en cas d’infraction non intentionnelle, savez-vous si vos homologues de la police nationale ont également procédé à une évaluation ?

M. Michel Labbé. Monsieur le député, selon les échanges que nous avons avec la police nationale, je puis juste vous dire que leurs dépenses sont supérieures, mais je ne me hasarderai pas à vous donner un chiffre.

S’agissant de l’emploi et de la formation de la réserve, aujourd’hui la réserve opérationnelle de premier niveau de la gendarmerie est composée de 30 000 réservistes. Il ne s’agit pas d’une réserve d’anciens gendarmes, mais de jeunes gens. C’est notre jeunesse qui, à temps partiel, découvre ce métier et s’engage. Un engagement fidèle à celui que le Président de la République a souhaité, à travers le service national universel (SNU). J’étais à l’époque détaché à l’Inspection générale de l’administration et j’ai participé à la rédaction du premier rapport. Si notre SNU fonctionne, demain, des jeunes voudront s’engager dans la réserve, donner leur sang… Cela aura du sens. Nous pouvons nommer ce sens, « lien armée-nation », « lien armée-gendarmerie », « lien armée-police », peu importe.

La question budgétaire, je ne peux la nier. La Cour des comptes vient de sortir sa note d’exécution budgétaire pour 2018, s’agissant de la police et de la gendarmerie, et a évoqué des difficultés dans le titre II des forces de police et de gendarmerie. Quand nous n’avons pas les fonds pour rémunérer les réservistes, la prudence commande de ne pas les employer.

Cela étant, nous disposons de ressources que nous utilisons quand nous avons réellement besoin des réservistes. J’évoquais tout à l’heure les événements que nous allons devoir couvrir dans les mois qui viennent – le 75e anniversaire du débarquement, les déplacements saisonniers, le G7, le Tour de France – qui nécessiteront l’emploi de réservistes. Des réservistes qui interviendront dans des missions pour lesquelles ils sont formés. Et s’il est vrai que la formation n’a pas été délivrée avec la densité habituelle, nous faisons attention de ne pas employer des réservistes dans des missions pour lesquelles ils n’ont pas été formés.

Vous avez ensuite évoqué la gendarmerie mobile et le dispositif consistant à passer de la gendarmerie mobile à la gendarmerie départementale. Il s’agit d’un choix du système militaire. Les gendarmes qui suivent une formation militaire initiale de douze mois, assimilée à la catégorie B, ne sont pas complètement opérationnels, il ne faut pas se mentir. La formation en école, qui est académique, même si elle est ponctuée d’exercices en camps pour éprouver le moral, la volonté de s’engager – en étant privé de sommeil, en pratiquant des exercices dans le froid, etc. –, n’est pas suffisante pour acquérir résilience et robustesse. C’est la raison pour laquelle nos jeunes gendarmes sont affectés dans des escadrons de gendarmerie mobile, où ils bénéficient d’un encadrement et d’un commandement de proximité, avec des chefs qui montrent l’exemple. Lorsque j’étais lieutenant ou capitaine d’un escadron, tous les exercices que je demandais à mes gendarmes, je les avais effectués ; et il ne pouvait en être autrement.

Alors faut-il rester dans la gendarmerie mobile de vingt à soixante ans ? Non. Les anciens sont indéniablement moins véloces – mais ils possèdent d’autres qualités. Le gendarme mobile ou le CRS n’est pas habillé d’une simple chemisette. Pour bouger, courir, franchir des obstacles enflammés avec un équipement aussi lourd, il faut être jeune. D’autant que pour un gendarme mobile, un samedi de manifestation des gilets jaunes commence à 4 heures du matin et se termine à 23 heures.

S’agissant des VBRG, effectivement, aucun blindé ne possède actuellement une lame à l’avant. Cependant, avec le service de l’achat, de l’équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI), nous nous rendons dans les pays européens pour nous informer de ce qui se fait. Nous ne sommes pas complètement démunis, des expérimentations sont en cours ou vont avoir lieu, notamment avec l’armée, dont les véhicules blindés ont un moteur à l’arrière et qui pourraient peut-être être modifiés pour accepter une lame à l’avant. Par ailleurs, nous étudions la possibilité de « remotoriser » nos VBRG.

Nous étudions donc les solutions palliatives à un programme d’armement neuf et complet qui serait très onéreux, en particulier si nous voulons privilégier l’industrie française.

Mme Josy Poueyto, présidente. Vous nous avez cité les chiffres de quatre cent cinquante gendarmes blessés, de quarante et un signalements et de quinze contentieux. Ces chiffres couvrent quelle période ?

M. Michel Labbé. Les quatre cent cinquante gendarmes blessés l’ont été, pour la grande majorité, en fin d’année, lors des manifestations des Gilets jaunes de forte intensité. Il en va de même pour les signalements, qui se font rapidement, peu de temps après l’incident. La saisine d’une enquête judiciaire est un peu plus longue, de l’ordre du mois.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez indiqué que les gendarmes départementaux étaient en capacité d’effectuer du maintien de l’ordre de bonne qualité ; nous n’en avons jamais douté. Mais disposent-ils du matériel adéquat ? Lors de nos auditions et de nos déplacements, les gendarmes ont insisté sur le délai nécessaire pour obtenir le matériel.

Vous avez également évoqué l’importance, pour le gendarme, de sa famille. Un point extrêmement important pour moi. Pour qu’un gendarme soit efficace dans son engagement, il a besoin que sa famille soit bien logée. Or nous connaissons tous l’état actuel des casernes – domaniales ou autres.

Pourriez-vous nous transmettre l’audit que vous avez mené sur cette question ? L’une de nos préconisations de notre rapport sera relative à la nécessité d’améliorer les conditions de logement des gendarmes. Selon vous, comment générer des crédits supplémentaires pour qu’ils soient logés dans de bonnes conditions ?

M. Michel Labbé. S’agissant des gendarmes départementaux, j’évoquais leur capacité à assurer un maintien de l’ordre de basse intensité. Je vous remercie d’avoir souligné qu’il était aussi de bonne qualité.

Je vous l’ai dit, nous n’engageons pas de personnel sans protection. Un maintien de l’ordre de basse intensité correspond aux troubles à l’ordre public qui ont lieu dans toutes les communes de France. Une petite manifestation pour lutter contre une déviation sur une route, par exemple, ne mobilisera pas d’escadrons mobiles. Il s’agit d’une régulation sociale de basse intensité pouvant être assurée par nos brigades de gendarmerie ou des PSIG.

Cependant, il est vrai que nous les avons engagés, lors des manifestations des gilets jaunes, dans de nouvelles missions mais jamais sans être équipés et pour assurer des missions défensives et « non manœuvrantes ».

En ce qui concerne les logements, la gendarmerie dispose de 75 000 logements, dont 34 000 domaniaux. Le logement est le système d’arme de la gendarmerie. Il ne peut en être autrement. Or, aujourd’hui, la qualité n’est pas assurée, les logements, notamment les logements domaniaux, sont trop anciens et nécessitent des dépenses de restauration ou d’investissement.

L’audit que nous avons mené, et que la direction générale vous transmettra, était intitulé « budgétisation et pilotage des dépenses de loyer ». Les constats, suite à cet audit, sont les suivants : un besoin de qualité dans la gestion de l’optimisation du parc et des surfaces occupées ; une insuffisance des crédits budgétaires, notamment pour l’entretien du parc domanial.

Les recommandations de l’IGGN sont les suivantes : renforcer la formation des acteurs de la chaîne « affaires immobilières » et améliorer l’utilisation des systèmes d’information ; continuer de recourir aux dispositifs permettant de maîtriser les coûts. Enfin, nous avons formulé des réserves sur une externalisation du parc en termes de maîtrise des coûts, de complexité et d’incertitude juridiques qui peuvent peser sur ce type d’évolution de la construction immobilière à destination des gendarmes.

Nous vous transmettrons cet audit, nos audits n’étant pas frappés d’une mention de classification quelconque, ils sont, bien évidemment, à votre disposition.

 

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  Audition du 21 mai 2019

M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN)

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l’audition de M. Philippe Lutz, inspecteur général de la police nationale et directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN).

Depuis le 30 janvier 2017, la police nationale dispose d’une direction centrale du recrutement et de la formation dont vous avez la responsabilité. Cette nouvelle direction à la charge du recrutement des personnels actifs, techniques, scientifiques ainsi que du pilotage et de la mise en œuvre des formations initiale et continue de l’ensemble des agents de la police nationale.

Vous nous ferez part, si vous le voulez bien, des raisons qui ont conduit à la création d’une nouvelle direction et des objectifs que vous poursuivez.

Je rappelle que conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Lutz prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans votre propos liminaire, je souhaiterais que vous abordiez deux thèmes : la formation et l’habilitation.

Que pensez-vous de l’idée de mettre certains modules du bloc de formation d’officier de police judiciaire (OPJ) – dans la formation des agents de police judiciaire (APJ) ?

Lors de nos auditions, nous avons pu faire des comparaisons entre la police et la gendarmerie. En matière d’habilitation, nous avons constaté que les policiers devaient repasser leur formation au maniement du bâton tous les deux ans alors que dans la gendarmerie, on considère que la formation est acquise une fois pour toutes. Or ces formations prennent énormément de temps et elles sont souvent compliquées à intégrer dans le calendrier. Ne pensez-vous pas que la police devrait aussi considérer qu’une fois la formation validée, elle devrait l’être ad vitam aeternam ?

M. Philippe Lutz, inspecteur général de la police nationale et directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale. Qu’est-ce qui a motivé la création d'une direction du recrutement et de la formation de la police nationale ? C’est la première fois qu’une direction assure à la fois le recrutement et la formation. Dans les années 2000, le recrutement échappait complètement à la direction de la formation. Créée en janvier 2017, la DCRFPN a fait l'objet d'une préfiguration qui a duré six mois. Elle est née de la volonté du ministre de l'intérieur de l'époque, Bernard Cazeneuve.

À l’issue d’une mission, l'inspection générale de la police nationale – IGPN – avait conclu à une « balkanisation de la formation » tant était grand le nombre de structures qui en faisaient.

Lors de la création de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) en 2010, une sous-direction du développement des compétences assurait la formation initiale et continue des gardiens de la paix et la formation initiale et continue des officiers car, à l'époque, le site de Cannes-Écluse appartenait à la DRCPN. Elle assurait aussi une partie de la formation des personnels administratifs qui intégraient le périmètre de la police nationale.

En 2010, l'École nationale supérieure de la police (ENSP) assurait la formation initiale et continue des commissaires de police. À partir de 2014, l’ENSP a aussi repris la formation initiale et continue des officiers de police.

Toutes les directions centrales assuraient la formation métier, à des degrés plus ou moins importants. La direction centrale des compagnies républicaines de sécurité – DCCRS – est très impliquée dans ce domaine et elle a très largement internalisé la formation qui compte des phases obligatoires et impératives. Actuellement, elle travaille sous le contrôle de la DCRFPN, notamment pour ce qui concerne les habilitations.

La direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) internalisent aussi certaines formations métier, notamment les formations spécialisées, celles qui concernent la fraude documentaire et une partie de la lutte contre la cybercriminalité.

À la préfecture de police, une sous-direction rassemble toutes les structures de formation : celles de la préfecture, de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Elle souhaitait avoir le pilotage de la formation de toute l'Île-de-France, en allant au-delà du ressort de la préfecture de police.

Cette situation, qui explique le terme de balkanisation employé par l’IGPN, entraînait deux conséquences. Premièrement, il n’y avait pas de stratégie claire de formation pour la police nationale puisqu’il n’y avait pas de pilote véritable, chacun s’occupant de son pré carré. Deuxièmement, la formation initiale des gardiens de la paix subissait des mouvements de stop and go, après avoir connu une évolution majeure au cours des années 2010. Citons quelques chiffres : en 2012, 480 élèves gardiens de la paix avaient été intégrés dans les écoles de police ; en 2016, ils étaient environ 4 500. La moyenne se situe actuellement à quelque 3 500 élèves, sachant que l'année prochaine leur nombre va remonter à 4 000.

Le spectre de la formation a très largement changé au cours de cette période. La sous-direction de la formation s’est concentrée sur la formation initiale et elle a potentiellement perdu le pilotage de la formation continue. C'était aussi l’un des aspects importants de la réforme. Parallèlement, la formation initiale des gardiens de la paix évoluait un peu en fonction de l'actualité mais les référentiels du métier de gardien de la paix restaient anciens et l’IGPN critiquait, à juste titre, le manque d'évaluation véritable de la formation.

Dès le stade de la préfiguration, il a été décidé d’élaborer des outils permettant une organisation et des process communs à toutes les directions et de concevoir un plan de formation commun à toute la police nationale, c'est-à-dire incluant les directions dépendant de la DGPN mais aussi la préfecture de police et la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI. Chaque année, nous essayons d'améliorer le dispositif en couplant les demandes des directions centrales et celles qui émanent des agents et des directeurs territoriaux qui sont sur le terrain. Nous élaborons un véritable plan, connu de tous et utilisé par les chefs de service lors de l'évaluation annuelle. C’est un véritable outil de management permettant à chaque chef de service de connaître les objectifs de formation de sa direction et de la police nationale.

Dès le début de l'année 2017, nous avons travaillé avec les directions pour réfléchir avec elles sur le métier de gardien de la paix.

Qu’attend-on des élèves gardiens de la paix au moment où ils sortent de l’école et durant les cinq années suivantes ? À leur sortie de l’école, ils vont pour la plupart exercer le métier de sécurité publique à la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) mais aussi à la DSPAP de la préfecture de police.

Nous avons travaillé d’une manière empirique et la plus large possible, c'est-à-dire avec les directions centrales et aussi avec les acteurs de terrain. Que fait un jeune gardien de la paix quand il arrive, par exemple, à Bobigny ou à Créteil ? Nous avons vu les chefs de service, les gradés, les jeunes gardiens de la paix sortis de l’école depuis quelques mois. Nous leur avons demandé ce qu’ils faisaient très concrètement et nous avons comparé ces réponses avec le contenu des formations.

À l’issue de ce travail, le directeur général de la police nationale a rendu des arbitrages et fixé des limites. Pour la préfecture de police, l’investigation représentait une activité assez prégnante et elle y affectait de jeunes gardiens de la paix, dès leur sortie d’école. Or ces stagiaires avaient, par définition, une formation à l'investigation limitée. Il est aussi apparu que le renseignement était devenu l'un des sept piliers de la formation des élèves gardiens de la paix, à la suite des actes terroristes de 2015. L’idée était de créer le maillage le plus étroit possible avec les effectifs de police sur le terrain.

Une fois le référentiel métier réalisé, il faut le traduire en termes de formation. L’un des chantiers que nous avons lancé en 2019 aboutira en juin 2020 à la création d’une nouvelle formation initiale des gardiens de la paix.

Revenons sur les compétences d’OPJ. L’idée simple est de former des élèves gardiens de la paix au bloc OPJ lors de la formation initiale, à l’école. On peut répondre ainsi à la crise des vocations car tout le monde n'est pas volontaire pour faire de l'investigation, loin s'en faut. En plus, cela revient à ajouter quatorze semaines de formation supplémentaires à des élèves gardiens de la paix qui sortent de douze mois de formation.

Autre aspect du problème qui, à mon sens, est tout à fait essentiel : les élèves gardiens de la paix affectés à l’investigation dès leur sortie d'école sont peu nombreux. Même si l’exemple est un peu caricatural, une partie non négligeable des dernières promotions dédiées à la préfecture de police a été affectée à la garde du nouveau tribunal de grande instance (TGI) de Paris, aux Batignolles. Supposons que ces recrues aient été formées à l’investigation pendant quatorze semaines, cette formation est perdue puisqu’elle ne leur servira quasiment jamais. Sur la voie publique, cette formation peut servir mais sa durée est beaucoup trop importante par rapport à l'usage qui en sera fait au quotidien.

Cela étant dit, je ne nie absolument pas les difficultés rencontrées dans le ressort de la préfecture de police où le manque d’OPJ se fait sentir. La cartographie réalisée par la préfecture de police montre que le nombre d’OPJ rapporté au nombre de gardes à vue traitées ou au nombre de fonctionnaires dans ce ressort est inférieur aux mêmes ratios réalisés pour la sécurité publique et la province. Au sein des quatre départements de la préfecture de police, on constate aussi de très fortes différences. Tout le monde sait que la Seine-Saint-Denis souffre d’un véritable déficit en OPJ.

Les solutions sont multiples. À la fin de la formation initiale, il y a des modules d'adaptation au premier emploi d’une durée de trois semaines, qui permettent aux fonctionnaires de se spécialiser en fonction de leur premier poste. Le module sur l'ordre public est piloté par les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Un autre est piloté par la DGPAF.

L’an dernier, nous avons créé un module investigation qui se déroule à l’école de police de Rouen-Oissel. À chaque promotion, nous demandons à la préfecture de police de nous indiquer le nombre d'élèves gardiens de la paix qui vont être affectés en investigation. Ces élèves reçoivent une formation spécifique durant laquelle ils n’étudient que des questions judiciaires avec des magistrats et des formateurs OPJ. Une première formation de ce type a eu lieu en octobre et une autre va débuter en juin, à la sortie de la dernière promotion.

Pour évaluer ce dispositif, nous interrogeons les élèves au moment où ils sortent de la formation et après quelques mois d’exercice. Nous sommes en train d’interroger ceux qui ont été affectés, en novembre dernier, dans des services investigation du ressort de la préfecture de police. Nous comparons les réponses des recrues concernées et de leur hiérarchie à celles d’un groupe neutre qui n’a pas suivi cette formation. La préfecture de police est très favorable au développement de ce type de formation. Nous l'encourageons donc.

En dehors de la formation initiale, nous essayons de développer une sorte de discrimination positive en faveur de la formation OPJ pour la préfecture de police. Chaque année, nous formons entre 1 150 et 1 200 futurs OPJ pour l'ensemble de la police nationale. Ils ne réussissent pas tous le bloc OPJ, le taux de réussite évoluant aux alentours de 80 %. Rappelons que cette formation dure quatorze semaines. Environ 75 % des demandes de la préfecture de police sont satisfaites, ce qui nous oblige à envoyer une partie de ces stagiaires en province car la plaque parisienne ne peut pas tous les absorber.

Certains élèves ont envie de faire de l'investigation dès leur sortie de l'école ce qui, auparavant, n’était possible qu’après quelques années d’exercice. Nous voudrions créer, petit à petit, une filière investigation forte, en faisant un vrai travail sur la formation continue. Nous avons eu des retours assez positifs sur le module d'adaptation au premier emploi : sur les quarante personnes formées l'année dernière, trente-neuf occupent toujours des postes d'investigation. Un seul a quitté cette fonction, sans doute parce qu’il était déçu ou insatisfait.

J’en viens à votre question sur les habilitations. Effectivement, nous n’avons pas les mêmes pratiques que la gendarmerie nationale. Notre doctrine répond à un souhait de la DGPN. Pour ma part, je pense que c’est une bonne doctrine. Il faut revoir régulièrement les modes de fonctionnement et la qualité des agents qui détiennent des habilitations pour l’usage du bâton, du pistolet-mitrailleur HK UMP ou du fusil d’assaut HK G36. Heureusement, on utilise assez peu souvent ce pistolet-mitrailleur ou ce fusil d’assaut. Si l’on considère que la formation initiale vaut pour la vie, on prend potentiellement des risques significatifs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est pour cela que je n’ai parlé que du bâton.

M. Philippe Lutz. Je pense que c’est pareil pour le bâton. Ce sont de vraies armes. Il est important que la police puisse contrôler, de manière régulière et à travers la formation, les techniques employées par les fonctionnaires. Ce processus représente une charge et il peut sembler compliqué à gérer mais, à mon avis, il est indispensable d'évaluer régulièrement les gens qui sont autorisés à utiliser ce type d'armes.

Ces formations sont assurées par des policiers formateurs en techniques et sécurité en intervention (TSI). Ils ont eux-mêmes suivi une formation difficile de dix-huit semaines : environ 50 % des candidats sont éliminés au stade de la présélection et environ 20 % des autres ne finissent pas le stage qui comporte du tir, du secourisme, des techniques d'intervention. Même si nous cherchons à faire évoluer les choses, certains de ces formateurs vont très peu exercer. Nous avons tout intérêt à rentabiliser cette formation parce qu’elle coûte environ 5 000 euros par stagiaire. Nous devons aussi la valoriser pour les fonctionnaires eux-mêmes, des volontaires qui ont consenti un investissement à la fois physique et intellectuel.

Ils sont aussi formés sur le plan juridique à l'usage des armes. Lors des séances de tirs, que ce soit du tir simple ou avec un système d’entraînement vidéo assisté (EVA), ils rappellent le cadre d’usage des armes. Sans être des professionnels du droit, ils doivent être capables de renseigner l’équipage d’une brigade anti-criminalité (BAC) sur les cas très concrets qui peuvent se présenter à elle.

Pour eux aussi, nous pratiquons ces recyclages réguliers. L’institution doit vérifier que les fonctionnaires habilités ont toujours le savoir-faire nécessaire pour utiliser ces armes. Le maniement du bâton peut sembler assez simple mais il fait appel à des techniques. Le recyclage permet aussi d’apporter de la formation.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur l’inspecteur général, votre présentation était complète et elle a répondu à plusieurs des questions que je voulais vous poser, mais j’aimerais vous interroger sur les événements qui ont lieu tous les samedis depuis plusieurs mois et qui donnent lieu à des violences inédites. Le mouvement des Gilets jaunes a-t-il déjà entraîné des évolutions dans la formation des policiers ?

D’un pays à l’autre, la doctrine d'emploi et la gestion des manifestations diffèrent. Existe-t-il une coopération ou un dialogue sur ces pratiques avec d'autres États démocratiques, notamment de l’Union européenne, afin de dégager les meilleures pratiques ?

Suite à ces événements, vous semble-t-il important de réfléchir à des évolutions en ce qui concerne les armes et les doctrines d'emploi – au sens large du terme – utilisées ?

M. Philippe Lutz. En ce qui concerne la formation, ma direction applique et décline les doctrines qui sont établies par la DGPN. En formation initiale, les formations au maintien de l'ordre sont relativement limitées puisque tout dépend de l'affectation des fonctionnaires de police et donc des élèves gardiens de la paix.

En formation continue, nous avons commencé à travailler avec les directions les plus concernées par les manifestations de gilets jaunes et par la réflexion sur le maintien de l'ordre : la DCCRS, la DCSP, et les deux directions de la préfecture de police que sont la DOPC et la DSPAP. Nous allons vers plus de transversalité dans les formations, sans nous contenter de simples entraînements. Les CRS ont une conception – quasiment une philosophie – de la formation qui est très intéressante. Le maintien de l’ordre étant son cœur de métier, la DCCRS décide d'isoler des compagnies à certains moments de l'année pour procéder à des formations obligatoires pour tout le monde. Dès lors, tout le monde sait lire l'ensemble de la chaîne hiérarchique.

Il est, en effet, important que toute la chaîne hiérarchique puisse être formée aux doctrines de maintien de l'ordre et à l’entraînement au maintien de l'ordre. En formation initiale, nous n’avons qu’un module d’apprentissages partagés. À partir de septembre 2020, nous allons accroître le nombre de ces périodes où les élèves commissaires, les élèves officiers et les élèves gardiens de la paix sont formés ensemble.

Le module existant se déroule à Nîmes pendant une période de quinze jours. Une promotion d'élèves gardiens de la paix, la promotion d’élèves officiers et la promotion d'élèves commissaires sont formés ensemble au maintien de l’ordre. Ils sont formés à de vrais exercices, à des situations réelles où chacun prend sa part de responsabilité à sa place hiérarchique. Ce type d'exercice est réalisé avec des formateurs, c'est-à-dire qu'il ne se limite pas à l'entraînement mais comporte des analyses de retour d’expériences. Les formateurs sont présents pendant toute la durée de l’exercice et ils contrôlent ce qui est mis en place, ils évaluent ce qui aurait dû l’être et ce qu'il est possible d’améliorer.

En matière de maintien de l’ordre, c'est une voie de progression importante pour l'ensemble des forces de sécurité. Comme cela se passe en province depuis de nombreuses années, le maintien de l’ordre n'est pas réservé à quelques directions, en l'occurrence aux gendarmes mobiles et aux CRS. À Nantes, même le service général intervient en maintien de l'ordre. Toutes les unités sont impliquées, y compris celles dont ce n’est pas le cœur de métier. C’est pourquoi il faut des entraînements et des formations communes.

En ce qui concerne les comparaisons et les discussions avec d’autres pays démocratiques européens, je ne peux pas vous répondre.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. D’abord, pourriez-vous faire un point rapide sur les cadets de la République ? Le dispositif peut être considéré comme une forme d’apprentissage. Ensuite, y a-t-il une cellule ou un groupe particulier qui réfléchit, toutes directions confondues – peut-être d’ailleurs sous la férule de la vôtre –, à ce que sera la police de demain ? Dans ce cadre, quelque chose a-t-il été mis en place, en dehors de votre direction, pour le suivi de la police de sécurité du quotidien (PSQ) ?

M. Philippe Lutz. Le dispositif des cadets est effectivement important. Je partage tout à fait votre sentiment quant à la fonction d’apprentissage que revêt leur formation : pendant un an, une co-formation est assurée par la police et l’éducation nationale.

Le constat est assez clair : nous avons de plus en plus de mal à trouver des volontaires. Dans certaines zones, nous en trouvons sans difficulté, par exemple dans les Hauts-de-France et outre-mer. Ailleurs, notamment dans la région parisienne, à Lyon ou encore à Bordeaux, c’est vraiment très difficile : soit il n’y a pas de volontaires, soit leur niveau est extrêmement faible. Pour exprimer de manière un peu triviale l’analyse que nous faisons du phénomène, les considérations des postulants sont assez largement alimentaires. Ils entrent dans la police pour passer le concours de gardien de la paix et leur niveau est assez faible. À cet égard, le dispositif des cadets de la République est un véritable acte de promotion sociale : nous remettons à niveau les élèves dans un certain nombre de domaines. Ils peuvent ainsi passer le concours de gardien de la paix en même temps que les adjoints de sécurité (ADS). Toutefois, il est vrai que la rémunération qu’ils touchent pendant un an n’a rien à voir avec celle de ces derniers. Un ADS peut envisager de louer un appartement, ne serait-ce qu’un studio ; la rémunération d’un cadet ne le lui permettra pas. C’est une véritable difficulté. Nous essayons de trouver des solutions avec la DCPN et, dans les salons que nous organisons, nous valorisons beaucoup le dispositif, mais il est très clair que nous rencontrons des difficultés.

En ce qui concerne votre question sur la police de demain, il existe à la DGPN un pôle  de prospective, qui est chargé d’y travailler avec l’ensemble des directions, notamment avec la DCPN. L’objectif est notamment de s’intéresser aux métiers en tension et à ce que j’allais appeler les « métiers d’avenir » – mais ce qui touche aux sujets « cyber », par exemple, ce n’est pas l’avenir : c’est le présent. Les modalités de recrutement seront sans doute différentes, nous devrons y réfléchir. On sait très bien que, pour tout ce qui concerne le numérique, l’administration a beaucoup de mal à recruter.

Faut-il continuer à spécialiser des personnes qui ont déjà été recrutées ? Ma direction doit conduire un important travail de repérage, avant de travailler sur des modalités de concours différentes – modification que nous pourrions envisager, mais qui suppose ensuite qu’il en soit tenu compte dans les carrières. Cela peut être plus compliqué, mais c’est tout à fait envisageable. Du reste, nous avons commencé à le faire pour les gardiens de la paix. On pourrait aussi travailler sur les diplômes ou les formations rares détenus par nos 4 000 gardiens de la paix qui vont entrer en école l’année prochaine. On sait, par exemple, que certains ont des diplômes d’ingénieur – il n’y en a pas 100 ou 150, mais cela existe. Certains ont aussi des masters de nature intéressante. Il est vrai qu’ils devront avant tout faire un véritable travail de gardien de la paix, mais nous devons les repérer, nous demander comment assurer une sorte de tutorat, en liaison avec les directions, et leur permettre de s’épanouir, pour le bien de l’institution elle-même. Il me semble qu’il s’agit là d’un champ qui doit être exploré en matière de recrutement : celui-ci ne doit pas être seulement une procédure administrative.

Nous recrutons des gens ayant des profils très différents. Ce matin, nous avons fait adopter, en comité technique ministériel, un texte relatif à la création d’un deuxième concours interne de gardien de la paix. Actuellement, le concours interne est réservé aux adjoints de sécurité et aux gendarmes auxiliaires. L’expérience montre que nous n’arrivons pas à recruter les 50 % d’adjoints de sécurité prévus à l’interne : une partie des postes est reportée sur le concours externe. En effet, les adjoints de sécurité n’ont pas toujours le niveau nécessaire. Surtout, le vivier est assez limité. Une part non négligeable des adjoints de sécurité choisit ainsi d’intégrer la fonction publique territoriale, notamment les polices municipales. De fait, quand vous êtes adjoint de sécurité, que vous habitez à Périgueux et que la police municipale de cette ville – s’il y en a une – ouvre des postes, même si le salaire d’un gardien de la paix est supérieur à celui d’un policier municipal, et quand bien même le métier serait aussi plus intéressant car il présente des défis plus importants, dès lors que vous avez 80 % de chances de vous retrouver affecté en région parisienne pendant au minimum cinq ans, le calcul est assez vite fait : la majorité des candidats vont préférer la proximité géographique avec leur famille et leurs amis.

Le deuxième concours que j’évoquais sera ouvert – comme c’est la règle dans la fonction publique – à tous les agents de catégorie C. Cela va nous permettre d’obtenir des profils différents, ce qui peut être intéressant. Le concours sera aussi accessible aux fonctionnaires territoriaux, y compris à ceux venant de la sécurité – par exemple des employés des polices municipales. C’est un véritable enjeu que de travailler sur l’intégration de compétences un peu différentes. La semaine dernière, nous avons travaillé sur la composition du jury du concours de commissaire de police. Nous avons insisté sur l’importance cruciale d’avoir des profils différents, compte tenu des évolutions dans le domaine de la sécurité, de ce que sera la police de demain : les évolutions, y compris celles des compétences, sont considérables et de plus en plus rapides. Nous avons donc tout intérêt à avoir des profils aussi variés que possible, même si, de prime abord, ils peuvent apparaître comme un peu décalés.

En ce qui concerne la PSQ, nous avons beaucoup travaillé sur la formation. Nous avons intégré la PSQ à la formation initiale, en liaison avec la DCSP et la préfecture de police. Nous sommes d’ailleurs en train de revoir, avec le nouveau DCSP, cette formation qui avait démarré l’année dernière, avec une approche en partie différente. Lors du lancement de la formation à la PSQ, on s’était beaucoup appuyé sur ce qui était fait dans les Bouches-du-Rhône. L’idée était, d’abord, de proposer une formation socle de trois jours expliquant ce qu’est la PSQ, comment se déroulent les réunions de quartier, de quelle nature est le partenariat, comment on peut s’attacher à résoudre les problèmes ; ensuite, de travailler localement avec les services pour faire des formations sur mesure – même si je n’aime pas trop ce terme. Quoi qu’il en soit, nous avons travaillé, par exemple dans l’Essonne, sur une formation de quinze jours en unité, c’est-à-dire que l’ensemble de la chaîne hiérarchique – je me répète peut-être mais c’est vraiment très important – était réuni durant quinze jours pour travailler sur la PSQ et l’intervention dans les quartiers. Le simple fait d’apprendre à se connaître dans ce cadre et de comprendre les impératifs de chacun n’est pas neutre. Par exemple, intervenir aux Tarterêts peut ne pas apparaître comme très difficile aux yeux de certains, mais sembler au contraire extrêmement compliqué pour d’autres. Il est donc important, dès le départ, dans ces formations, d’avoir le point de vue de chacun et de faire en sorte qu’il soit décliné au niveau local.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je voudrais revenir sur la formation, notamment concernant l’habilitation à utiliser le bâton. Je comprends tout à fait la nécessité d’être formé. En revanche, je ne comprends pas la logique consistant à décider qu’à un moment donné le couperet tombe et que le policier perd son habilitation. Je ferai un parallèle avec la gendarmerie. Il ne me semble pas qu’on y dispense de formation régulière à l’usage du bâton. Or je ne crois pas qu’il y ait eu – en tout cas lors des dernières émeutes – plus de problèmes liés à l’utilisation de ceux-ci du côté de la gendarmerie que du côté de la police : tout a été fait dans les règles de l’art, alors que les gendarmes ne sont pas obligés de repasser une habilitation tous les deux ans.

Vous dites qu’il est nécessaire de se former. Je l’entends parfaitement. Nous avons pu constater dans plusieurs commissariats, que nos forces de sécurité – en l’occurrence, les policiers – n’ont pas le temps de faire ces formations. Écoutez vos policiers : ce sont eux qui le disent. On sent, comme c’est souvent le cas avec les administrations centrales, une déconnexion par rapport à ce que font les policiers de terrain, à leur travail de tous les jours, à leur engagement au quotidien. Certes il faut faire des formations, mais il importe également d’étudier les choses au plus près du terrain. Chaque fois que nous avons auditionné des policiers, je leur ai demandé de lever la main pour savoir s’ils étaient à jour. Eh bien, grosso modo, la moitié ne l’était pas. Cela montre bien qu’il y a un réel problème. Or cela fait partie de vos prérogatives.

Je voudrais vous poser deux autres questions concernant le recrutement. Premièrement, que pensez-vous de la possibilité d’externaliser ou de sous-traiter le travail quotidien de surveillance des centres de rétention administrative (CRA) ? Cela prend énormément de temps aux fonctionnaires de la police aux frontières (PAF). Ma seconde question est similaire, mais porte sur l’établissement de procurations. On sait que, pendant les périodes électorales cela prend énormément de temps alors que ce n’est pas le cœur de métier des policiers et des gendarmes. Ne pensez-vous pas qu’il serait opportun, par exemple, un mois avant les élections, de faire venir un fonctionnaire dans chaque commissariat pour faire cela à la place des policiers ? Avez-vous des idées ou des solutions sur ce point précis, de façon à recentrer les policiers sur leur cœur de métier ?

M. Philippe Lutz.  Quand je suis entré dans la police, il y a un certain temps, on parlait déjà du problème des procurations. En tant qu’inspecteur, j’en ai moi-même fait au moment des élections. Ce n’est absolument pas le cœur de métier des policiers, effectivement ; pendant certaines périodes électorales, la charge est extrêmement lourde. Je ne verrais que des avantages à ce que les policiers n’assurent plus l’établissement des procurations. Certains dispositifs tels que la mise en place de réservistes ont permis d’alléger la mission pour les fonctionnaires actifs de la police nationale. À titre personnel, en tant que policier, je pense qu’il faut totalement se libérer de cette mission, qui, encore une fois, est certes importante mais ne me semble pas être du ressort de la police nationale.

S’agissant de votre autre question, lorsque j’étais chef du district de Bobigny, je gérais un centre de rétention administrative. Je pense que la surveillance des CRA est une mission très particulière, et d’ailleurs assez compliquée pour un policier. L’externalisation ne me semble pas une hérésie. Je ferai toutefois une petite digression pour vous répondre.

La formation initiale que nous allons mettre en place l’année prochaine réduit le temps passé en école, de douze à huit mois. Il s’agit d’y dispenser seulement des fondamentaux. Pendant la période de seize mois qui suit, au cours de laquelle les gardiens de la paix seront stagiaires, on travaillera en se fondant sur de véritables objectifs de formation, ce qui ne se fait pas actuellement. Quand nous avons présenté à la préfecture de police le dispositif, qui comprend notamment un système de tutorat, on nous a dit qu’il n’y avait personne pour l’assurer. Toutefois, parmi les unités où sont affectés les jeunes gardiens de la paix, il y a le tribunal de grande instance (TGI) de Paris et le CRA qui s’y trouve. Nous avons donc décidé d’y expérimenter cette « formation continuée » durant la période de stage.

La question que vous posez sur le sujet est intéressante, même s’il ne m’appartient pas de dire qu’il faut se libérer de la surveillance des CRA. Cela fait naturellement partie des pistes qu’on peut explorer si l’on cherche des charges et des missions susceptibles d’être abandonnées pour affecter davantage de fonctionnaires aux missions d’ordre public. En l’espèce, nous avons travaillé avec de jeunes fonctionnaires affectés en CRA et avec leur encadrement, pour analyser des situations professionnelles et assurer des formations qui n’existent pas actuellement, dans l’objectif sinon de valoriser cette mission – car je ne suis pas sûr que le terme soit tout à fait exact –, tout au moins de montrer que, même là, on acquiert des compétences, aussi bien d’ordre juridique que relationnel, du fait que l’on côtoie des étrangers en rétention. Ce sont là des éléments importants pour les policiers qui sont affectés dans ces centres pendant deux ou trois ans et qui ne sont pas exactement intéressés par la mission. Le but est d’essayer, si ce n’est de la rendre intéressante, du moins de valoriser les compétences qu’on acquiert dans son exercice. Cela dit, si la police nationale n’assurait plus la surveillance des CRA, de manière à la fois raisonnée et sérieuse, je pense qu’il y aurait peu de monde pour vous dire qu’il ne faut pas le faire.

Pour en revenir au bâton, la sanction d’une absence de recyclage est effectivement la fin de l’habilitation. Or nos formateurs aux techniques et à la sécurité en intervention (TSI) constatent la plupart du temps, quand ils reçoivent des fonctionnaires qui sont sur la voie publique et appartiennent aux brigades anti-criminalité (BAC) ou aux compagnies d’intervention, qu’il faut revoir toutes les bases – je ne parle pas du tir, car c’est autre chose. Peu à peu, sur la voie publique, vous acquérez un certain nombre de réflexes, vous vous forgez des principes qui ne sont plus tout à fait ceux qui ont été enseignés et, avant cela, testés pour les fonctionnaires de police. Or, il est important d’y insister, sur la voie publique, le but est d’être efficace, et non pas seulement rapide. Quand les formateurs sont obligés de reprendre à zéro les techniques de base de l’interpellation, je considère que cela pose des questions.

Je connais très bien le discours consistant à expliquer qu’on apprend des choses au cours de la formation mais que, sur la voie publique, cela ne se passe pas ainsi, que les formateurs sont complètement déconnectés de la réalité. C’est pour battre en brèche ce discours que nous essayons de travailler différemment : le référentiel métier vient de là, de même que le travail avec la formation continuée. On ne peut pas établir en permanence une séparation entre la formation et le « terrain ». Ce serait s’aventurer dans une zone extrêmement dangereuse. On sait très bien que, quand les élèves sortent de l’école, on leur dit régulièrement : « Tout ce que vous avez appris à l’école, il faut l’oublier : dans la vraie vie, cela ne se passe pas comme ça. ». Or les techniques qui sont apprises au cours de la formation ne sortent pas d’un cerveau malade : elles ont été pensées, réfléchies. Je vais vous donner un exemple très précis : la conception de la formation aux tueries de masse, qui a été mise en place après les attentats, notamment celui du Bataclan, a duré des mois. La mallette pédagogique compte 1 600 pages de documents. Chaque geste y est décomposé. Il en va de même quand on a un débat avec la préfecture de police sur la question de la cartouche chambrée. Les gestes pour l’installation de la sangle d’une arme sont décomposés. On peut certes dire que chacun s’adapte, mais je pense qu’un certain nombre de techniques doivent être décomposées, apprises et réapprises régulièrement.

Vous avez établi une comparaison avec les gendarmes, ce que je peux tout à fait comprendre. Toutefois, selon moi, l’utilisation du bâton vaut surtout dans les zones urbaines, c’est-à-dire là où il y a la police, beaucoup moins dans les zones gendarmerie.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je voudrais vous poser une dernière question. On parle beaucoup des problèmes de police judiciaire, liés à une procédure pénale surajoutant des difficultés, et qu’il faudrait sans doute simplifier. En réalité, outre les flagrants délits et les arrestations faites sur la voie publique, beaucoup de travail est délégué par le procureur de la République aux commissariats de police, mais aussi aux brigades de gendarmerie : je veux parler de ce que l’on appelle les « pièces parquet ». Le commissariat d’une ville de 70 000 habitants doit faire face, en moyenne, à 5 000 pièces par an, ce qui est impossible. On attend donc qu’elles deviennent caduques du fait de la prescription légale.

Dans certaines villes, de bonnes pratiques ont été développées. J’en citerai deux, mais il en existe davantage : le recours aux délégués à la cohésion entre la police et population, d’une part, et aux maisons de la justice et du droit, d’autre part. Avez-vous des moyens, dans vos services – qu’il s’agisse d’une personne, d’une unité ou d’un système informatique –, pour faire remonter ces bonnes pratiques et les généraliser, de manière à éviter un manque d’homogénéité ?

M. Philippe Lutz. Lorsque Éric Morvan, le DGPN actuel, a travaillé sur la réforme de la procédure pénale, il a mis en place des groupes incluant des acteurs de terrain. Il s’agissait de faire remonter non seulement les difficultés, mais aussi un certain nombre de bonnes pratiques, initiées au niveau local. Ce travail ne doit évidemment pas être perdu. Parallèlement à cela, je milite – dans mon champ de compétences – en faveur de ce qu’on appelle l’innovation participative, que les gendarmes pratiquent d’ailleurs très bien. Cela consiste à faire remonter du terrain tout ce qui permet de faciliter les choses. Je la pratique dans le domaine de la formation ; c’est ainsi que nous avons adopté, il y a deux ans, le module EVA, qui permet de faire de la vidéo assistée pour le tir – dispositif très simple, adaptable partout et que nous sommes en train de déployer dans toute la France. Il permet un entraînement vidéo-assisté au tir, en équipe, avec des mises en situation filmées sur des lieux où exercent tous les jours les fonctionnaires de police. C’est un major de la préfecture de police qui en est à l’origine : il avait pris l’initiative de travailler sur le sujet.

Je souhaite vraiment, et je l’ai déjà proposé à la DGPN, que des dispositifs de ce type remontent chaque année du terrain et soient valorisés par l’institution. De fait, chaque année, les directions remontent des projets de formation extrêmement variés, certains très simples, d’autres plus complexes. Nous avons, par exemple, élaboré une formation sur les drones, avec une modélisation en trois dimensions des images, pour dispenser cette formation en interne. Nous valorisons ainsi et développons sur l’ensemble du territoire des initiatives qui viennent du terrain.

En ce qui concerne la procédure pénale et les pratiques que vous évoquiez, mises en œuvre par certains parquets, je pense qu’elles pourraient tout à fait être mutualisées au niveau de la DGPN. Cela ne me semble vraiment pas compliqué à mettre en place. Qui plus est, cela valorise à la fois les fonctionnaires qui sont sur le terrain et l’institution.

 

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  Audition du 22 mai 2019

M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, et Mme Christine Dufau, adjointe au sous-directeur des ressources, de l’évaluation et de la stratégie.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, la direction centrale de la police judiciaire est une direction active de la police nationale qui lutte contre la criminalité organisée, la délinquance spécialisée, la cybercriminalité et le terrorisme. Elle exerce des missions de police judiciaire sur l’ensemble du territoire, Paris et la petite couronne relevant toutefois de la préfecture de police de Paris.

Monsieur le directeur, nous souhaitons vous entendre notamment sur les questions relatives aux ressources humaines – effectifs, risques professionnels, temps de travail –, au matériel et à l’équipement.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Madame et monsieur, je souhaiterais que vous abordiez la question de la simplification de la procédure pénale, en particulier au regard de la loi du 23 mars 2019 et de son article 58, qui prévoit d’étendre à trois délits le champ d’application de l’amende forfaitaire. Ne serait-il pas intéressant d’étendre encore le champ de cette procédure, mais également les cas d’infractions punissables d’une amende forfaitaire, afin de simplifier le travail de nos policiers sur le terrain. Quel est votre avis sur cette proposition ?

De nombreux policiers nous ont fait part de leur questionnement sur les mineurs, un jeune de seize n’ayant plus rien à voir avec un adolescent d’il y a vingt-cinq ou trente ans. Comment pensez-vous que l’ordonnance de 1945 devrait être réformée, pour rendre le travail de notre police plus efficace ?

M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire. La direction centrale de la police judiciaire est une direction rattachée à la direction générale de la police nationale (DGPN), compétente sur l'ensemble du territoire national, sans exception, la police judiciaire étant une police à la disposition de la justice, dans le cadre de l'enquête judiciaire en vue du procès pénal.

J’ai l'habitude de dire que la police judiciaire est la police de la preuve. Sa mission fondamentale, confiée par l'article 14 du code de procédure pénale est celle de constater les infractions à la loi pénale, d'en rassembler les preuves, d'en rechercher les auteurs. De sorte que nous pouvons être saisis et intervenir sur l'ensemble du territoire national.

Nos missions sont diverses et concernent la criminalité organisée, la délinquance spécialisée, qui comprend la cybercriminalité, mais également des infractions extrêmement complexes et très spécialisés, à savoir, les infractions économiques et financières. L'essentiel du contentieux économique et financier, du « haut de spectre », sur le territoire national est pris en charge par la direction centrale de la police judiciaire. Nos missions sont également en lien avec le terrorisme, et la sous-direction antiterroriste de ma direction a été saisie de la quasi-intégralité des attentats commis sur notre sol, en cosaisine avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et parfois avec la section antiterroriste (SAT) de la brigade criminelle de Paris. Nous sommes également très engagés en matière d'infractions préventives, s’agissant des associations de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

C’est d’ailleurs pour lutter efficacement contre de terrorisme, que nos effectifs ont été augmentés ces dernières années : renforcement de nos équipes en matière de lutte contre le terrorisme, mais également de cybercriminalité et de lutte contre le trafic de stupéfiants.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. De combien d’effectifs disposez-vous ?

M. Jérôme Bonet. Notre effectif est, aujourd’hui composé de 5 981 personnes. Il était de 5 355 en 2016 et de 4 780 en 2007. Malgré des enjeux de sécurité importants, qui nécessiteraient davantage de fonctionnaires, cette direction a été plutôt bien dotée, suite, malheureusement, aux attentats terroristes.

La question de la simplification de la procédure pénale revient souvent dans les réflexions des policiers. Cependant, nous devons distinguer le service de police judiciaire dont la situation, à l’égard de la procédure pénale, est très différente de celle des services dits de premier niveau. Ceux qui, au quotidien, gèrent des milliers de procédures, de gardes à vue, doivent appliquer une procédure très simple, mais qui a été complexifiée.

Dans le domaine de la police judiciaire, notre objectif de recherche de la preuve, pour mettre en cause des groupes criminels organisés, des terroristes etc., nécessite que nous déployions des moyens en enquêteurs, mais également des moyens technologiques qui nous permettent, finalement, non pas de contourner l'alourdissement de la procédure pénale, mais d'avoir une approche de ces enquêtes marquée, en tout cas, par le facteur temps.

De fait, la police judiciaire est moins impactée par l’alourdissement de la procédure pénale que d'autres services ; je dois le reconnaître. Néanmoins, cet alourdissement, qui est le résultat, essentiellement, à mon sens, d’une sédimentation de réformes qui sont venues complexifier le droit, crée des effets de bord qui ont eu pour conséquence l'amorce d'un mouvement de désaffection de cette discipline. Alors que la police judiciaire était une discipline très prestigieuse et très prisée, il y a encore quelques années, le nombre de candidats ne cesse de baisser. Cette baisse de vocation est plus forte dans les services de premier niveau de la sécurité publique, dans les commissariats, que dans les services de la police judiciaire.

S’agissant de la réforme de la procédure pénale, les textes récemment adoptés et promulgués ont effectivement correspondu à des ajustements, à des simplifications – en partie demandées par nos services –, mais aucun chantier n’a été lancé en vue de remettre en cause l’équilibre général de la procédure pénale.

Or cette sédimentation est l’ennemi de l’équilibre général de la procédure pénale. L’aboutissement de l’enquête d’un policier est la garde à vue d’un mis en cause, auquel sont présentés les éléments de preuve que le policier aura rassemblés. Sans vouloir jouer au « vieux policier », il y a encore quelques années, la garde à vue était une sorte d'aboutissement de l'enquête. Aujourd'hui, ce moment est devenu pour nombre d'enquêteurs un moment de stress important puisque, dans un temps qui lui est compté, l’enquêteur se doit d’accumuler un nombre d'actes considérables qui peuvent mettre en péril tout son travail. D’un aboutissement professionnel, nous sommes passés à un moment de stress important, qui n’est pas étranger, à mon sens, à la désaffection de ce métier.

S’agissant des processus de forfaitisation de certains délits, la police judiciaire n'est pas directement concernée par cette question. Les infractions que nous combattons ne seront jamais concernées par la forfaitisation. Nous attendons néanmoins de connaître l’élargissement du périmètre de la forfaitisation dans le domaine qui nous concerne directement, à savoir le trafic de stupéfiants – point central de la criminalité organisée. Il n’y a pas de trafic de stupéfiants, s’il n’y a pas d’usage de stupéfiants ; c’est un continuum entre l’offre et la demande.

L’usage est sanctionné, aujourd’hui, par une sanction pénale qui a assez peu de sens et de lisibilité. Alors que l’usage de stupéfiant est condamnable d’une peine de prison – sans que soit faite une différence entre les produits, il ne me semble pas qu’une telle peine ait été prononcée ces dernières années. Je n’ai pas d’avis sur l’utilité ou pas d’une peine de prison. La question est celle de la lisibilité de la sanction par celui qui commet une infraction.

Je suis convaincu que la forfaitisation permettra d’apporter une réponse à la commission d’une infraction. Je suis donc favorable à son extension à un certain nombre de délits simples à établir et donc simples à pénaliser. L’extension doit être effectuée sur des critères de simplicité. La forfaitisation ne doit pas être une atteinte aux droits de la défense, au droit à un procès pénal, mais il s’agit là d’une voie très intéressante, dont les effets devront être mesurés.

Nous ne pouvons pas mener une lutte efficace contre le trafic de stupéfiants, si nous ne nous attaquons pas simultanément aux deux extrémités de la chaîne : l’offre et la demande. S’agissant de la demande, je suis convaincu que nous pouvons mener des actions à la fois préventives et répressives. Nous ne diffusons plus, depuis longtemps, de campagnes massives de prévention sur l’usage de stupéfiants. Or, si nous ne « mettons pas le paquet » sur la prévention de l’usage, nous ne pourrons nous attaquer à l’offre de façon efficace.

Aujourd’hui, la disponibilité des produits est quasiment historique. La production de stupéfiants dans le monde atteint un niveau record pour l’essentiel des produits. Or il nous appartient de combattre ces organisations criminelles, tout en étant efficaces sur la prévention de leur usage.

S’agissant de l'ordonnance de 1945, la part que représentent les mineurs dans nos missions, en matière de criminalité organisée, est très faible. Bien entendu, elle est toujours trop importante quand des mineurs de seize ou dix-sept ans sont impliqués dans des règlements de comptes. Elle est toujours trop importante, quand des mineurs sont impliqués dans des infractions de cybercriminalité. Pour autant, s’agissant du périmètre qui est le mien, l'ordonnance de 1945 ne représente pas un frein.

La question de l’ordonnance de 1945 se pose, à mon sens, pour des enfants plus jeunes et par rapport à certains points d’entrée dans la délinquance. Mon expérience sur ce sujet est désormais un peu ancienne, je crains de ne pas vous donner un point de vue qui soit d'actualité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je parlais du parcours d’un jeune délinquant qui, tant qu’il est mineur, ne craint ni punition, ni sanction. Savez-vous si, parmi les personnes que vous arrêtez, certaines d’entre elles ont été des mineurs délinquants ?

M. Jérôme Bonet. Oui, bien entendu. La plupart du temps, les personnes impliquées dans les trafics de stupéfiants sont jeunes – elles sont majeures depuis peu – et sont entrées dans la délinquance avant leur majorité.

Toutefois, nous observons une montée en puissance dans la délinquance beaucoup plus rapide qu’auparavant. Aujourd’hui, il n’y a pas tout un cursus d’apprentissage à suivre pendant quinze ans, avant d’arriver en haut du spectre de la délinquance. Un jeune majeur peut basculer très vite et passer de dégradations de biens communs à la participation à un convoi transportant une tonne de cannabis depuis le sud de l’Espagne.

Je ne suis pas certain que l’ordonnance de 1945 puisse jouer un quelconque rôle face à ce type de délinquance. Les mineurs basculent très vite dans une dimension plus grande de la délinquance. L’économie souterraine du trafic de stupéfiants draine des quartiers entiers – des familles entières vivent du trafic conduit par leurs enfants, alors qu’elles-mêmes ne sont pas impliquées.

Nous nous interrogeons parfois sur la question de la légalisation de produits stupéfiants. La question n’est pas de définir s’il est bon ou pas de consommer tel ou tel produit, mais de démanteler une économie criminelle ;  quelque 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Nous enquêtons également sur les moyens et les équipements de la DCPJ et de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris (DRPJ).

La DCPJ est compétente sur l’ensemble du territoire national et compte un peu moins de 6 000 fonctionnaires de police. La DRPJ, compte, quant à elle, un peu moins de 2 000 fonctionnaires, compétents sur Paris et les départements de la petite couronne. Le différentiel est important.

Par ailleurs, la DRPJ est placée sous l’autorité du préfet de police, alors que vous êtes sous l’autorité du directeur général de la police nationale (DGPN). Le DGPN n’exerce donc aucune autorité fonctionnelle sur la DRPJ de Paris, même si ces deux directions communiquent, échangent des informations, etc.

Actuellement, le nouveau préfet de police est en charge de réformer la préfecture de police (PP), une réforme qui va sans doute aussi porter sur la DRPJ. Êtes-vous en capacité de gérer l’ensemble des effectifs de la DRPJ ? Si oui, seront-ils une valeur ajoutée en termes opérationnels ?

M. Jérôme Bonet. La police judiciaire est au service de la justice. Mais elle est aussi au service des politiques publiques de sécurité. De fait, à ce titre, partout en France, la police judiciaire est à la table du préfet pour discuter des sujets de sécurité. Obéir à des instructions de l’autorité préfectorale est en soi quelque chose d’assez naturel, même si la direction des enquêtes appartient à l’autorité judiciaire.

Très clairement, aujourd’hui, le directeur central que je suis, en charge de mettre en œuvre les instructions gouvernementales en matière de lutte contre la criminalité organisée, n’a pas la main sur l’emploi stratégique des policiers qui sont affectés dans le ressort de la préfecture de police. Je précise que j’ai effectué l’essentiel de ma carrière à la police judiciaire, à la préfecture de police, une maison pour laquelle j’ai énormément de respect et d’affection.

Nous sommes là, face à deux sujets. Le premier est un sujet opérationnel. Nous disposons d’une marge de progression considérable en matière de conduite de la stratégie de lutte contre la criminalité organisée, si nous réunissons, sous une seule autorité, ces deux maisons – qui font strictement le même métier. En termes de communication, d’échanges d’information, le partage est bien moins efficace lorsqu’il y a deux autorités.

Autre aspect, en termes d’allocations des moyens, les services centraux de la police judiciaire, appelés les offices centraux, placés sous mon autorité, traitent de contentieux extrêmement spécialisés, de haut niveau de spectre, en grande majorité pour les autorités judiciaires parisiennes, mais également pour celles de Nanterre. Je pense, par exemple, à la délinquance économique et financière. L’essentiel de nos contentieux est le même, les magistrats sont les mêmes, si ce n’est que l’une ou l’autre de nos directions est saisie. Sans doute que l’allocation des moyens que la police judiciaire apporterait au service des magistrats serait plus opportune, si elle était pensée globalement. Un progrès doit être réalisé sur la question des moyens alloués à l’autorité judiciaire pour l’enquête.

Autre élément qui milite pour ce rattachement : la dimension en termes de ressources humaines (RH) et de parcours de carrière. Nous subissons une désaffection à l’égard des fonctions d’enquête. Aujourd’hui, et nous ne pouvons que le déplorer, les gestions RH de nos personnels de police judiciaire, certes ne sont pas étanches, mais manquent de fluidité. Ce rattachement aurait le mérite de permettre aux personnels de nos services de disposer de parcours de carrière qui les fidéliserait plus longtemps dans ces deux maisons, les intérêts des agents s’étant sensiblement rapprochés, ne serait-ce que sur un plan géographique.

L’intégralité de la direction régionale de la police judiciaire est hébergée au 36 rue du Bastion, dans le nord-ouest de Paris, ce qui correspond, à l’essentiel des services centraux de la DCPJ. Nous pourrions imaginer que les agents puissent faire une carrière, à tous les grades et à tous les stades entre tous ces services.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. En résumé : une vraie filière judiciaire.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Monsieur le directeur, vous avez évoqué l’augmentation de vos effectifs suite aux attentats de 2015. Parallèlement, des moyens vous ont-ils été alloués ? Je pense à des véhicules – rapides et des « sous-marins ». De même, où en êtes-vous dans vos besoins informatiques ? Lors de nos déplacements, nous avons pu constater le manque de moyens dans les commissariats – à Drancy, il n’y avait qu’une imprimante pour tout un commissariat.

Enfin, comment gérez-vous les heures supplémentaires ?

M. Jérôme Bonet. L’augmentation du nombre des agents s’est effectivement accompagnée d’un accroissement de nos budgets d’équipement – sans doute moins rapide que celui de nos personnels. Néanmoins, nous sommes une direction très correctement équipée.

L’enjeu pour nous est un enjeu d’agilité budgétaire ; nous n’avons la main que sur le budget de fonctionnement et pas forcément sur le budget d’équipement.

Par définition, la police judiciaire a été et est toujours en retard sur les délinquants. C’est normal, mais les avancées technologiques font que, parfois, les écarts peuvent s’accroître de façon insupportable. Il y a quelques années, nous étions parvenus à intercepter les conversations sur des GSM, aujourd’hui les délinquants utilisent des téléphones cryptés – ce qui est beaucoup plus compliqué. Cette course technologique nous oblige à plus d’agilité en termes budgétaire. Notamment du fait des contraintes que peuvent parfois nous imposer des règles des marchés publics pour des matériels très spécialisés.

Chaque fois que nous déjouons un nouveau stratagème, il est écrit dans nos procès-verbaux, tout comme la technique que nous avons employée. Désormais, une procédure est répertoriée sur un support informatique. Le délinquant en attendant son procès a le temps de comprendre les actions qui ont été menées pour parvenir à son arrestation et, en quelques mois, les techniques que nous avons mises en place peuvent être déjouées – en tout cas, elles le seront par lui. La course technologique est donc fondamentale.

Par ailleurs, nous profitons des dispositions législatives en matière d’utilisation et de récupération de certains bien saisis chez les délinquants, pour nous fournir – en véhicules par exemple. La police judiciaire est plutôt bien équipée en la matière. Le défi essentiel est celui de la rotation des véhicules car un véhicule de surveillance qui a été remarqué par les délinquants lors de leur interpellation doit être « dépaysé ». Pouvoir acheter des véhicules d’occasion ou en saisir, nous permet d’assurer cette rotation.

Nous avons également des besoins en matière de ressources humaines parce que l’enquête et la preuve sont compliquées à administrer. Nous sommes à une époque où l’enquêteur omnipotent est remis en cause ; celui qui, à la fois rédigeait les procès-verbaux, assurait la surveillance, la perquisition et les auditions. Aujourd’hui, pour les enquêtes d’importance, des prestataires épaulent l’enquêteur ; les brigades de recherche et d’intervention de la police judiciaire (BRIPN), par exemple, sont indispensables pour procéder aux surveillances. Nous avons également besoin d’analystes pour certaines enquêtes. Des consortiums de journalistes savent récupérer et analyser des données qui permettent ensuite de lancer des enquêtes ; nous devons avoir la même capacité d’analyse, disposer des mêmes outils et technologies, et de spécialistes sachant traiter les données de masse. Ce sont des évolutions que nous nous approprions, mais qui sont très coûteuses.

M. Jean-Claude Bouchet. Vous avez évoqué l’alourdissement de la procédure pénale ; quelles conséquences a-t-il sur les affaires ? Certaines sont-elles classées sans suite ? Par ailleurs, pouvez-vous faire un lien entre la désaffection des jeunes pour la police judiciaire et cet alourdissement de la procédure : combien faudrait-il recruter de personnel – tout personnel confondu – pour désengorger les services ?

Enfin, que faudrait-il simplifier ou à quoi faudrait-il revenir pour retrouver un fonctionnement plus efficace ?

M. Jérôme Bonet. Notre droit est aujourd’hui de plus en plus « percuté » par la norme anglo-saxonne ; cette sédimentation a complexifié la procédure. Il me semble qu’il serait temps de remettre notre système juridique à plat et d’adopter un nouveau modèle.

Par ailleurs, l’alourdissement de la procédure pénale est aussi la conséquence logique d’un accroissement des garanties des droits de la défense. Il serait absurde de ma part de dire qu’en revenant sur la présence de l’avocat au cours de la garde à vue, tout serait plus simple ; les évolutions du droit de la défense sont tout à fait normales.

Je ne crois pas à une simplification, quand bien même nous irions vers un changement de modèle juridique. La procédure pénale est une question d’équilibre : équilibre entre les pouvoirs que nous exerçons aux fins de rassembler des preuves et d’interpeller les auteurs et les droits de la défense. Cet équilibre est toujours le même, quel que soit le système. Je crois beaucoup plus aux outils, en la matière ; des outils qui permettront aux agents d’alléger leur charge de travail. Des outils d’intelligence artificielle ; l’oralisation de certaines procédures pénales, notamment les plus simples. Nous travaillons également sur l’utilisation d’un logiciel de reconnaissance vocale – pour éviter des tâches extrêmement chronophages.

L’alourdissement des procédures provoque-t-il un délaissement de certains dossiers ? Non, pas en police judiciaire, car nous n’avons pas à gérer des dossiers en masse. La DCPJ traite environ 1 % de la délinquance – c’est peu et en même temps, il s’agit du 1 % qui génère le reste. De sorte que le nombre de dossiers est tout à fait raisonnable. En revanche, ce sont des dossiers de longue haleine. Et la procédure pénale, de ce point de vue, peut alourdir le temps de traitement de nos procédures. Des commissariats sont sans aucun doute dans des situations bien plus difficiles que mes services.

Concernant la désaffection pour ce métier, clairement, moins de candidats se présentent aux ouvertures de postes. Il conviendrait peut-être d’affiner les chiffres en fonction des disciplines, mais aussi des régions.

Mme Marietta Karamanli. Vous est-il possible de mesurer les résultats que vous avez obtenus ?

Ne serait-il pas possible de présenter, régulièrement, un retour public sur des affaires résolues. La population n’en sait rien et porte parfois des jugements négatifs sur la présence de la police sur le terrain ?

Enfin, concernant la forfaitisation, le harcèlement de rue demande une approche particulière pour collecter des preuves. Quelle proposition pouvez-vous nous faire ?

M. Jérôme Bonet. Avant de prendre mes fonctions à la DCPJ, je dirigeais la communication de la police nationale.

Effectivement, la police doit rendre compte à la population. Nous ne pouvons pas parler aujourd’hui du rapport police-population, que nous aimerions améliorer, sans évoquer la notion de communication. Il est donc indispensable que nous rendions compte à la population, comme nous rendons compte à la représentation nationale, de ce que nous faisons. Le seul verrou est celui de l’article 11 du code de procédure pénale, qui octroie au seul procureur de la République une exception à la règle du secret de l’enquête et qui ne nous permet pas d’avoir une communication libre. En tout état de cause, des efforts sont à réaliser en matière de communication pour rendre mieux compte à la population, ce qui éviterait par ailleurs le problème des fuites, qui sont parfois très préjudiciables, à la fois à l’enquête, au mis en cause et aux victimes.

Vous m’avez demandé, s’il était possible de quantifier l’efficacité d’une enquête. Il s’agit d’une question qui va à l’inverse de nos habitudes et de nos traditions. Nos priorités, si nous les cumulons, correspondent à l’ensemble du champ infractionnel. Il est de tradition française de ne pas renoncer à poursuivre telle infraction au bénéfice de telle autre. De sorte que nous n’avons jamais mené de travaux sur le coût des enquêtes.

S’il devait en être ainsi, la question qui se poserait serait la suivante : comment mesurer l’efficacité ? Par le démantèlement d’une organisation criminelle ? Par le nombre d’années de prison ? Concernant le trafic de stupéfiants, par exemple, je n’ai pas la prétention de l’éradiquer – ce serait une prétention folle – mais de le contenir. Rendre plus difficile la vie de ceux qui s’y adonnent a du sens, permet d’apaiser des quartiers… mais nous savons qu’il faudra y retourner. L’évaluation de notre action se situe à ce niveau.

Par ailleurs, nous travaillons dans des domaines spécialisés et très coûteux, mais pour lesquels il est indispensable d’avancer – les grandes fraudes fiscales, par exemple, un mal qui atteint nos finances publiques. Si dans une affaire, cinq ou dix relais sont utilisés à l’étranger, l’enquête sera très coûteuse. Certes, si l’affaire aboutit, nous bénéficierons d’une rentrée fiscale, mais si n’est pas le cas, le jeu en vaut quand même la chandelle sur le plan pénal, pour avoir rendu la vie des fraudeurs plus difficile.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les trafiquants utilisent-ils les mineurs parce qu’ils sont protégés juridiquement ? Si oui, faut-il y voir une faiblesse de la réponse pénale ? L’ordonnance de 1945 serait-elle à l’origine d’une moindre protection des mineurs ?

M. Jérôme Bonet. Clairement, oui, les trafiquants utilisent les mineurs parce qu’ils sont protégés. Mais la protection qui est offerte aux mineurs est due aux mineurs, si j’ose dire, c’est-à-dire par rapport aux intérêts qui sont protégés par l’ordonnance.

S’agissant de la seconde partie de votre question, il est difficile d’apporter une appréciation sur la réponse pénale, quand on est dans une logique qui est aussi celle de la réponse éducative. La répression pénale est-elle toujours bénéfique au mineur ? De jeunes délinquants s’aguerrissent au fur à et mesure de la répression. Je ne peux donc pas dire que l’ordonnance de 1945 protège moins les mineurs qu’elle ne le devrait.

Mme Josy Poueyto. Je suis en charge de la politique de la ville et des quartiers sur la ville de Pau. Des trafics ont lieu au pied des immeubles et inquiètent les parents, de jeunes enfants se faisant enrôler. Quand ils vont en parler au commissariat, les policiers leur disent qu’ils sont au courant, qu’ils sont sur l’affaire, mais qu’ils veulent piéger le « gros poisson ». Certes, mais les parents, eux, restent avec leurs inquiétudes. Comment les rassurer ?

M. Jérôme Bonet. Administrer la preuve pour que la justice puisse se prononcer n’est pas une mission simple et peut nécessiter du temps. Face à un trafic dans un hall d’immeuble, il n’y a qu’une alternative : soit les policiers mènent une enquête pénale, qui nécessite un peu de temps ; soit ils assurent une présence renforcée dans le hall de l’immeuble, qui ne fera que déplacer le problème.

C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que la lutte contre les stupéfiants soit totalement intégrée – faire des choix et partager l’information. Les services d’investigation, y compris ceux de la police judiciaire, doivent être parfaitement informés de tout ce qui se passe, afin d’élaborer des actions coordonnées.

Néanmoins, nous sommes dans une logique d’offre et de demande, qui ne fera pas disparaître le marché. Notre but est donc de l’entraver au maximum. Et pour l’entraver, être efficace et obtenir une réponse pénale, il faut prendre du temps. Mais il appartient aussi aux services de police, et aux élus, d’expliquer ce qu’ils font – si cela est opportun.

 

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  Audition du 22 mai 2019

M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS).

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, après l’audition de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), nous poursuivons nos travaux par l’audition de M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS). Monsieur le directeur, je vous remercie de votre présence.

Les compagnies républicaines de sécurité (CRS), avec les autres forces de police, ont été particulièrement mobilisées dans les opérations de maintien de l’ordre (MO) depuis plusieurs mois, maintenant. Nous souhaiterions aborder avec vous la façon dont vous avez été amené à gérer cette situation. Comment la mobilisation, pour y faire face, s’est-elle organisée ? Quelles en ont été les conséquences pour vos hommes et quels problèmes avez-vous rencontrés ?

Je rappelle que les auditions de la commission d’enquête sont ouvertes à la presse, diffusées en direct, puis consultables en vidéo sur le site internet de l’Assemblée nationale. Cette audition fera également l’objet d’un compte rendu qui sera publié, comme les autres travaux de la commission d’enquête.

Avant de vous donner la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(La personne auditionnée prête serment.)

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le directeur, nous avons appris, aujourd’hui, qu’un CRS avait été traduit devant la cour d’assises. Nous savons qu’il vous est interdit d’évoquer l’instruction en cours, mais peut-être pourriez-vous nous indiquer si vous avez réfléchi aux suites que vous pourriez donner à ce type d’affaires.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le directeur central, je souhaiterais que vous évoquiez, dans votre propos liminaire, non seulement l’attractivité, pour les policiers, du métier de CRS, mais également l’immobilier et le temps de travail.

Les CRS ont été mis à contribution, depuis des mois, en avez-vous tiré le bilan, en termes d’heures supplémentaires et de remontées des femmes et des hommes qui composent vos compagnies ?

M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de votre invitation, qui me permet de vous présenter la maison CRS.

Avan de répondre, le plus précisément possible, à vos interrogations, je souhaiterais, en quelques minutes, vous présenter l’actualité de la maison CRS. Je rappellerai tout d’abord quelle est la mission de cette direction.

Cette mission, qui est restée inchangée depuis sa création, consiste à assurer la réserve générale, nationale et gouvernementale de la police nationale (PN), que ce soit dans des missions exceptionnelles, notamment liées au maintien de l’ordre, ou dans des missions spécialisées. Des missions spécialisées qui ont évolué au fil du temps, s’adaptant aux besoins de sécurité de la société ; le développement des moyens de transport et de la civilisation des loisirs a nécessité des mesures de protection policière spécifiques.

Je pense à la police de la route, au secours en montagne ou encore à la présence policière sur les plages durant les périodes de vacances. Mais je pense aussi à l’accroissement du besoin spécifique de sécurité au profit des hautes personnalités, auquel nous consacrons une compagnie en particulier, la CRS1 – des missions au plus proche du Président de la République, du Premier ministre et d’un certain nombre de ministres, dont le ministre de l’intérieur.

Cette réserve générale et gouvernementale permet ainsi d’apporter un concours décisif aux forces de police territorialisées, là où l’ampleur des problèmes de sécurité fait que ces mêmes forces ne se trouvent pas en état, dans l’espace ou dans le temps, de gérer les problèmes d’ordre public, le phénomène migratoire ou les problèmes de violence urbaine.

Dans ce contexte, nous sommes confrontés à une double tendance problématique. La première tendance, c’est celle de l’emploi intensif. Outre le mouvement des gilets jaunes, et de la contestation sociale, au sens large du terme, les CRS sont employées à une grande variété de missions et sont, par définition, suremployées.

Ainsi, une moyenne de quarante compagnies sont employées quotidiennement, sur les soixante consacrées au maintien de l’ordre ou à la sécurisation. Elles doivent assurer trente missions permanentes de sécurité générale dans les grands centres urbains, au premier rang desquels, évidemment, Paris. Elles participent à la lutte contre l’immigration clandestine, que ce soit à Menton, au Pays basque ou à Calais, mais aussi à Paris, à la gare du Nord, qui nécessite un volume de dix compagnies. Les CRS sont également présentes, de façon permanente en Corse et dans un certain nombre de villes, au titre de la lutte contre la délinquance.

À ce suremploi des compagnies, il faut ajouter cette nécessité impérieuse qui est celle de la formation ; formations individuelles mais aussi et surtout formations collectives, qui sont la garantie d’une prestation uniforme et de qualité, nécessaire aux opérations auxquelles nous sommes confrontés. Mais il faut aussi ajouter le repos. C’est en jonglant entre ces trois impératifs, l’emploi, la formation et le repos, que nous gérons au quotidien les unités de service général.

La seconde tendance problématique, c’est la baisse continue des effectifs. En 2007, la maison CRS comptait plus de 15 000 fonctionnaires, actifs, administratifs et techniques, aujourd’hui elle en compte 12 960, pour être précis ; cela vous donne la mesure du caractère problématique de cette seconde tendance.

Toutefois, la maison CRS développe une forte capacité à diversifier ses compétences opérationnelles pour les missions traditionnelles, le maintien de l’ordre et les polices spécialisées. Au fil du temps, notamment à partir des années 1990, au motif d’une diversification des besoins de sécurité et d’intervention majeure de la part de l’État, la maison CRS a également développé des compétences en matière de sécurisation, de lutte contre les violences urbaines, de présence active contre la délinquance, que ce soit dans la périphérie des grands centres urbains ou au cœur des villes. Une présence qui s’est traduite par la création de la police de sécurité du quotidien (PSQ), à laquelle nous apportons notre contribution – comme aux unités de service général, aux unités motocyclistes et aux compagnies autoroutières.

La fin des années 2010 a vu apparaître un terrorisme très actif et très meurtrier sur notre territoire. La maison CRS s’est mise en capacité d’ajouter, à ses compétences opérationnelles, une capacité d’intervention antiterroriste, comme primo-intervenant ou comme intervenant un petit plus spécialisé, au même rang que les brigades de recherche et d’intervention (BRI) ou que les brigades anti-criminalité (BAC), en appui des groupes d’intervention spécialisés, tels que le groupe recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) ou le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

Par ailleurs, plus de 7 500 fonctionnaires sont formés au secourisme opérationnel, les effectifs étant confrontés à des risques nouveaux, notamment de blessures graves, voire gravissime, comme la blessure par balle ou la blessure par le feu. Nous développerons également, pour le G7 à Biarritz, une capacité d’intervention nautique en complément de la capacité opérationnelle du RAID, avec lequel nous travaillons, en lien avec la marine nationale.

Cette diversification de compétences opérationnelles motive les fonctionnaires, quel que soit leur niveau de responsabilité, renforce la cohésion au sein des unités, durcit leur capacité à affronter les risques. Nous avons pu le constater lors des opérations de maintien de l’ordre, ô combien difficiles de ces sept derniers mois. La cohésion des unités due à cet accroissement des capacités opérationnelles a permis de développer des dispositifs dynamiques, offensifs et permettant d’éviter ce qui avait été annoncé, notamment pour le 1er mai, « Paris capitale de l’émeute ».

Alors quelles sont les qualités de la maison CRS qui lui permettent de faire face à ce paradoxe : un suremploi des CRS et une capacité permanente à faire face à un besoin de sécurité de plus en plus intensif et diversifié ?

D’abord, la maison CRS fait toujours preuve d’un fort sentiment d’appartenance. C’est une vraie fierté d’appartenir aux unités CRS, quelle que soit leur spécialité. Les fonctionnaires ne manquent jamais de motivation pour se mobiliser et la cohésion sur le terrain est grande.

Ensuite, l’organisation centralisée de la maison CRS. Les missions étant avant tout nationales et gouvernementales, elle ne saurait être tributaire de contingences territoriales. Les forces sont déployées sur décision du Gouvernement, du ministre de l’intérieur et du directeur général de la police nationale (DGPN), nous devons donc délivrer des prestations de haute qualité et uniforme, quelles que soient les unités engagées sur le territoire.

Enfin, un impératif de modernisation permanent que nous nous imposons, à travers les structures centrales de la DCCRS. Des réflexions prospectives sont régulièrement menées, en vue d’anticiper le besoin de formation des CRS et de développement logistique, en lien avec de nouvelles compétences.

Quelles que soient les circonstances, c’est-à-dire même au plus fort du mouvement des gilets jaunes, au moins une compagnie est en formation à éprouver les doctrines, à éprouver les différents échelons de commandement et les tactiques. Car si nous lâchons la pression en la matière, c’est la qualité de la prestation qui en pâtit, ce qui est, pour nous, inimaginable.

Je terminerai mon propos liminaire, par les perspectives et les nécessités de la maison CRS.

Premièrement, une augmentation des effectifs. S’il est déraisonnable de penser à revenir au chiffre de 2007, à savoir 15 000 fonctionnaires, en recrutant 1 000 policiers supplémentaires, nous obtiendrions, à la fois la résilience sans faille de la maison CRS, un respect absolu de ses schémas tactiques et la possibilité de mener des politiques sociales fortes – une marque de la maison. Il est important, pour un commandant de compagnie, de disposer d’un volant de policiers, qui lui donne une certaine souplesse pour permettre, notamment, à un fonctionnaire de surmonter une période difficile, en raison de problèmes familiaux, personnels ou psychologiques. Or, aujourd’hui, cette souplesse n’existe pas. L’intensité des missions de maintien de l’ordre ne le permet pas.

Deuxièmement, il est indispensable de maintenir l’effort en termes d’anticipation du risque ; risque à la fois pour nos fonctionnaires, mais aussi pour la société française. C’est grâce à cette anticipation que nous élaborons des dispositifs efficaces et adaptés au terrain, sans délai et sans permettre à ceux qui s’en prennent à nos valeurs et à notre société de pouvoir agir en toute impunité.

Troisièmement, maintenir un dialogue social constructif, ouvert et permanent, à tous les niveaux, au niveau des unités, des directions zonales et, bien sûr, au niveau de la direction centrale.

Tel est le propos que je souhaitais vous présenter, monsieur le président.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le directeur, je vous remercie.

S’agissant des effectifs que vous souhaiteriez récupérer, le mouvement est-il amorcé ? Si 1 000 policiers supplémentaires vous sont accordés, comment les répartirez-vous au sein des compagnies ? Créerez-vous une nouvelle compagnie ?

Enfin, pouvez-vous faire un commentaire sur le renvoi en Cour d’assises de l’un de vos éléments ?

M. Philippe Klayman. S’agissant d’une affaire judiciaire, il m’est difficile de me prononcer.

En ce qui concerne les effectifs, 1 000 policiers permettraient la résilience des forces, de répondre efficacement à nos schémas tactiques sur le terrain et de mener les politiques sociales.

Si le déficit d’effectifs concerne également les unités motocyclistes et les CRS autoroutières, actuellement, une unité de service général, une compagnie de maintien de l’ordre, est composée de 120 à 125 fonctionnaires, ce qui ne permet pas d’aligner quatre sections sur le terrain – sur lesquelles sont fondés tous nos schémas tactiques.

Ces schémas, non seulement permettent la sécabilité des unités, mais demandent la présence de 80 à 85 fonctionnaires ; face à des individus déterminés, violents et mobiles, il s’agit d’un étiage plus que nécessaire.

Moins les effectifs sont nombreux, plus la compagnie est en difficulté. Nous comptons, depuis le 17 novembre 2018, 293 policiers de CRS blessés. Plus la compagnie est faible en termes d’effectifs, plus la perte de fonctionnaires, même temporairement, est durement ressentie, puisque je n’ai plus la capacité à des relèves.

Une compagnie de 145 hommes permettrait d’atteindre ce triple objectif de résilience, d’efficacité et de considération sociale.

Concernant l’attractivité, monsieur le rapporteur, je ne pense pas que le sujet existe. Si nous ne disposons que de trop peu d’effectifs, c’est parce qu’il n’y a pas d’ouverture de poste, pour des raisons qu’il ne m’appartient pas d’apprécier. Il s’agit d’un choix politique. Or des choix doivent être faits, liés également à la lutte en matière de l’immigration clandestine, au maintien d’effectifs à la préfecture de police, au renforcement des services de renseignement, notamment depuis les événements que nous avons traversés, à la mise en place de la PSQ. Les ressources ne sont pas extensives. Mais j’ai bon espoir, au regard de notre prestation depuis le mois de novembre dernier, que nous aurons su convaincre qu’un déficit d’effectifs plus important pourrait mettre à mal la réaction de l’État.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Merci, monsieur le directeur ; c’est une prestation que nous saluons.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les CRS ont été fortement mobilisées durant les manifestations des Gilets jaunes, ainsi que d’autres organes de la police, à qui il a été demandé de participer à des opérations de maintien de l’ordre, alors qu’ils ne sont pas formés pour cela. Serait-il nécessaire que ces autres organes de la police suivent une formation plus approfondie du maintien de l’ordre ?

Concernant la sécabilité, les escadrons de la gendarmerie mobile (GM) comptent 72 ou 54 gendarmes, selon s’ils sont en formation alpha ou bravo, et la formation alpha peut, à un moment, être coupée en deux.

Les CRS peuvent-elles être divisées ? Ne pensez-vous pas qu’il est préjudiciable de ne présenter qu’un petit groupe de policiers, plutôt qu’un groupe soudé et plus impressionnant numériquement ?

M. Philippe Klayman. Vous avez complètement raison, monsieur le rapporteur, c’est la raison pour laquelle la sécabilité est prohibée en maintien de l’ordre. Elle permet uniquement de faire face à des besoins de sécurité, dans le cadre de la lutte contre la délinquance, par exemple, dans deux villes, même éloignées l’une de l’autre.

En maintien de l’ordre, il est prohibé de diviser une compagnie, pour les raisons que vous avez évoquées : la nécessité de présenter un grand nombre de fonctionnaires, de ne pas les mettre en danger et d’assurer l’efficacité des schémas tactiques. Bien entendu, la compagnie peut être « éclatée » autour d’une grande place, comme celle de la Nation, mais elle garde la capacité, au coup de sifflet, de se regrouper rapidement.

Concernant votre première question, il me semble que l’une des évolutions majeures de la police est de considérer que la complexité des opérations que nous assurons aujourd’hui – les événements terroristes, avec le schéma national d’intervention, le maintien de l’ordre, avec le futur schéma national du maintien de l’ordre – ne permet plus à une seule direction de s’arroger le monopole du traitement d’affaires si importantes.

Je pourrais, pour illustrer mon propos, évoquer la lutte contre l’immigration clandestine. La police aux frontières, quelles que soient sa motivation, sa technicité et ses compétences, aurait beaucoup de mal à pratiquer, seule, sans l’appui des CRS et des gendarmes mobiles le contrôle transfrontières.

Il en va de même pour le maintien de l’ordre. La réussite en MO est le résultat d’une bonne coopération entre différents services : la sécurité publique et les CRS, les gendarmes départementaux et les escadrons, la police et la gendarmerie. Le besoin de coopération est nécessaire, ce qui implique que des formations soient organisées, à froid. D’ailleurs, nous invitons régulièrement à nos formations des invités des unités des compagnies départementales d’intervention (CDI) ou des brigades anticriminalité (BAC), mais cela nécessiterait plus de formalisme et un caractère systématique.

D’autant que l’évolution de la société, avec les attentats terroristes et le maintien de l’ordre de haute intensité, exigera une coopération interdirectionnelle, assumée, organisée et éprouvée à froid, pour qu’elle soit efficace à chaud.

Mme Marietta Karamanli. S’agissant des effectifs, question que nous avons abordée dans le cadre du débat que nous avons eu dans l’hémicycle, nous savons qu’il vous manque 1 000 fonctionnaires. Je me souviens bien de la dernière formation, en septembre 2018, dont est sortie une trentaine de policiers. Nous avions abordé, dans l’hémicycle, la question d’un plan de recrutement, mais pour parvenir à 1 000 fonctionnaires, il faudrait ouvrir 750 postes par an, sur trois ans. Et puis, ne le nions pas, il y a un problème de vocation.

Ensuite, la question de la doctrine d’intervention est liée à celle des effectifs.

Pouvons-nous imaginer une évolution de la doctrine d’intervention – ce qui a été, à un moment, la volonté du Gouvernement ? Avez-vous entamé une réflexion sur une telle évolution, depuis le début des événements, en novembre 2018 ?

Cette doctrine pourrait-elle interagir avec le manque d’effectifs – la nécessité d’abonder les CRS en effectifs, en lien avec la doctrine d’intervention ?

M. Philippe Klayman. Je comprends bien votre question, qui est polyforme et met en lien des thématiques de façon intéressante, mais qui appelle un commentaire.

Pourquoi vient-on en CRS ? D’abord, pour appartenir à une maison de tradition, qui possède des repères dans le temps, qui obéit à de nombreux codes, qui ne sont pas sans rappeler le monde militaire.

Ensuite, pour appartenir à une unité constituée, un mode de vie un peu particulier, par rapport aux autres directions de la police nationale – un policier CRS est en déplacement entre 180 et 200 jours par an.

Enfin, parce que les missions varient en permanence. Sur une année, une compagnie aura circulé sur toute la France, aura fait du maintien de l’ordre, de la sécurisation, de la lutte contre l’immigration clandestine, du service d’ordre sympathique, comme pour les quatre compagnies qui sont actuellement au festival de Cannes, de la garde statique, aura suivi des formations, certains seront allés en renfort saisonnier sur les lieux de villégiature, aura participé à des grands événements internationaux – une majorité des compagnies va contribuer, au mois d’août prochain, à la sécurisation du G7 à Biarritz. Des missions auxquelles je peux ajouter des événements inattendus, comme les attentats ou les accidents environnementaux ou industriels.

Nous menons une réflexion sur l’évolution sociologique des jeunes gardiens de la paix, et notamment des élèves qui choisissent le métier de policier. Les motivations du jeune policier ne sont plus les mêmes que celles de leurs anciens. Faire partie d’une CRS est un choix de vie que nous devons accompagner.

C’est la raison pour laquelle, avec le directeur général de la police nationale (DGPN), dans la perspective d’une remontée en effectifs de la DCCRS, nous avons réfléchi à un dispositif qui ne serait pas un abondement brut des forces, une ouverture de postes sans réflexion et sans innovation, mais un dispositif aboutissant à la fidélisation des fonctionnaires dans notre maison.

La moyenne d’âge des fonctionnaires de la maison CRS est aujourd’hui élevée, quarante-trois ans – ce qui n’est pas sans lien avec l’absence de recrutement depuis des longues années. Or, il est évident qu’il existe un problème entre l’âge des fonctionnaires et les missions qui leur sont demandées. Au mois de novembre et décembre, par exemple, certaines unités ont effectué, durant plus de 22 heures d’affilée, du maintien de l’ordre, un combat, avec beaucoup de violence et d’engagement.

Vous avez raison, madame la députée, si nous voulons renforcer les effectifs de 1 000 policiers, nous devons l’envisager sur un plan triennal : un peu plus de 300 chaque année, auxquels il faut ajouter 400 fonctionnaires, pour compenser les départs en retraite.

Pour parvenir à cet objectif, nous nous devons d’innover. Notre réflexion nous a amenés à la solution suivante – rien n’est encore arrêté : orienter l’effectif nécessaire de jeunes gardiens vers les CRS, ce qui leur permettra de se former, d’apprendre le maintien de l’ordre, d’apprendre à travailler en unités constituées et à s’adapter aux nombreuses missions de police, d’être habilités à la plupart des équipements, de recevoir des formations les plus complètes possibles.

Ensuite, au bout de deux ou trois ans – le temps reste à définir –, nous donnerions à ces jeunes gardiens le choix de rester ou de partir, à la préfecture de police, à la sécurité publique, à la police aux frontières, etc.

Durant ces deux ou trois années, nous aurions, quoi qu’il arrive, bénéficié de la jeunesse et du nombre. S’ils restent, c’est qu’ils sont motivés pour rester. S’ils partent, la pompe étant amorcée, nous récupérerons de jeunes gardiens, à nouveau pour deux ou trois ans, et redonnerons aux services de la police nationale des fonctionnaires détenant une expérience très variée, des habilitations fortes et une capacité à pouvoir affronter des événements d’ordre public avec une expérience éprouvée.

M. Rémi Delatte. Monsieur le directeur, je suis très sensible à votre expression « la maison », révélateur de ce qui se passe dans les CRS. Vous mettez en valeur la cohésion qui règne dans au sein des compagnies, ce qui donne une belle image de la dimension sociale et humaine, qui est le fruit de votre tempérament et de celui de la direction générale.

Vous avez cité le chiffre de 293 policiers blessés depuis le début du mouvement des gilets jaunes, chiffre corroboré par quelques images très dures.

La sécurité de nos CRS est-elle réellement garantie ? Nous savons qu’elles sont suremployées et que, de fait, les risques sont plus grands, mais n’y a-t-il pas un problème de doctrine en matière de maintien de l’ordre ?

M. Philippe Klayman. Je vous remercie de vos propos sur la maison CRS. Commander cette maison, volontaire et motivée, est ma grande fierté. Pour preuve, malgré les problèmes d’effectifs et le suremploi, pour participer aux samedis qui avaient été identifiés comme pouvant être potentiellement très durs, de nombreux fonctionnaires ont abrégé leurs congés pour aller combattre avec leurs camarades.

La sécurité de nos fonctionnaires est un impératif, tout autant que l’efficacité. Mais nous ne ferons jamais passer l’efficacité avant la sécurité.

Nous avons ajouté, depuis deux ou trois ans, des protections, individuelles et collectives, contre le risque feu, des fonctionnaires ayant été gravement atteints par des engins incendiaires.

La plus grande garantie de sécurité, c’est la cohésion de l’unité. La discipline de l’unité. Le commandement – officiers ou gradés, chefs de section – s’assure en permanence de la bonne application des doctrines, de la bonne cohésion des groupes, des sections, des unités, et du respect scrupuleux de ce qui est enseigné. Et tout cela est garanti par l’impératif de formation, que j’évoquais plus haut.

La doctrine me semble tout à fait adaptée. Elle permet de faire face à toutes les formes d’agression, à tous les types de déploiement de la contestation – de la plus pacifique jusqu’à l’émeute.

Il s’agit plutôt d’une question de mise en œuvre et d’innovation dans la mise en commun de compétences, partagées par toutes les directions de la police nationale – parvenir à une bonne synergie.

Nous avons pu le voir le 8 décembre et le 1er mai. Nous avions proposé à la préfecture de police de travailler, en cohésion, avec les unités en civil ; cela a parfaitement fonctionné. Nos unités sont allées déstabiliser les émeutiers, protégeant ainsi les policiers en civil qui pratiquaient des interpellations.

M. Jean-Claude Bouchet. S’agissant de la formation en entreprise, un ratio minimum est défini – 1,5 % de la masse salariale. Il en va-t-il de même dans la police ? Comment les ressources sont-elles allouées ?

Au cours des derniers mois, nous avons assisté à des violences commises, y compris à l’encore des CRS. Aujourd’hui, vos fonctionnaires sont filmés en permanence. Cette nouvelle donnée peut-elle induire une suspicion latente sur le travail des policiers ? Les vidéos sont toujours diffusées sous un certain angle, selon ce que l’on veut faire dire aux images – nous l’avons vu dans l’affaire Benalla.

Ma question est simple, pensez-vous que, maintenant qu’ils sont filmés en permanence, les policiers ont modifié leur attitude et leur état d’esprit ?

M. Philippe Klayman. La formation, je l’ai dit, est un impératif. Chaque compagnie doit suivre trois fois une semaine de formation collective par an. L’une de ces trois semaines est prise en charge par la direction centrale, pour s’assurer de la bonne diffusion de l’ensemble des doctrines.

S’ajoute à ces trois semaines, un exercice d’évaluation des capacités opérationnelles, qui oblige chaque compagnie à jouer, devant une équipe d’évaluateurs, différents scénarios – du service d’ordre le plus paisible jusqu’à la tuerie de masse. Un profil opérationnel de chaque compagnie est ensuite dressé, et un programme personnel de formation élaboré.

Concernant la médiatisation des violences, il ne s’agit que d’une donnée. Ce n’est pas parce qu’il y avait moins, ou pas, de téléphones portables en mesure de filmer que les fonctionnaires se laissaient aller ou ne respectaient pas le droit et les règlements.

Aujourd’hui, cela est dit, répété et constaté, à partir du moment où ils mettent le pied sur la voie publique, les fonctionnaires sont filmés par des dizaines, voire des centaines de personnes, et leurs actions diffusées dans le monde entier. Nous le savons.

Nous surmontons cette donnée supplémentaire, par la cohésion, la qualité du commandement et par le respect strict de nos schémas tactiques et des règles de déontologie. À charge pour nous de pratiquer la vidéo, qui ne doit pas être unilatérale.

Mme Josy Poueyto. Si nous observons les CRS en place sur un site, nous pouvons en effet constater la graduation dans leurs manœuvres, selon la situation qu’ils ont à gérer. Ils sont équipés d’un équipement lourd, dont on se demande parfois s’il ne bloque pas leur mobilité.

Les policiers des compagnies se sentent-ils suffisamment protégés ? Leur équipement correspond-il aux engagements que nous leur demandons ?

Enfin, que font les policiers blessés qui ne peuvent plus faire de missions difficiles, de type maintien de l’ordre ? La DCCRS est-elle en mesure de leur proposer des emplois, au sein de la maison ?

M. Philippe Klayman. S’agissant des équipements, nous devons répondre aux deux impératifs que j’ai évoqués : efficacité et sécurité. C’est la raison pour laquelle, une réflexion logistique permanente est menée, au sein de la DCCRS, en collaboration avec d’autres directions et le service des achats, de l’équipement et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI). Les équipements doivent offrir une sécurité maximum, tout en permettant la mobilité.

J’ai évoqué les évolutions de doctrine, l’innovation nécessaire à notre dispositif pour qu’il devienne toujours plus offensif et dynamique, et qu’il puisse mettre en insécurité ceux qui souhaitent agresser les forces de l’ordre – je pense aux Black Blocs. Dans cette perspective, nous avons adapté les équipements de certaines sections des compagnies, notamment en les allégeant, de façon à être en phase avec les effectifs civils – essentiellement des fonctionnaires de la BAC. Nous avons obtenu d’excellents résultats.

Nous menons cette réflexion en permanence, car nous savons bien qu’exercer des missions avec 25 ou 30 kilos sur le dos, parfois durant 20 heures, c’est très éprouvant.

S’agissant des blessés, je vous répondrai que, heureusement, nous n’avons à déplorer que de très peu de fonctionnaires blessés de façon définitive. Je pense, par exemple, à un commandant de compagnie qui a reçu un engin incendiaire et qui a été obligé de quitter son commandement, mais aussi à d’autres fonctionnaires blessés par le feu ou qui ont subi des blessures traumatiques.

Les quelques cas, malheureusement irrémédiables, ont été résolus par la solidarité CRS. Nous n’abandonnons jamais nos blessés. Nous avons la capacité, au sein des sections de soutien, de la formation ou de groupes de réflexion, de nous servir de leurs compétences et expériences et de les mettre au profit de l’ensemble de la maison. Nous leur avons à tous trouvé une solution acceptable en interne.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le directeur, je vous remercie de votre témoignage, très intéressant, quelquefois touchant.

Je souhaite, au nom de la commission, un excellent rétablissement aux blessés et félicite l’ensemble de vos fonctionnaires pour les missions périlleuses qu’ils ont accomplies, au service de la nation.

 

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  Audition du 22 mai 2019

M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, et Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par l’audition de M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières (DCPAF), et de Mme Brigitte Lafourcade, directrice centrale adjointe.

La police aux frontières (PAF) est confrontée depuis 2015 à une pression croissante liée à l’évolution des flux migratoires, à la menace terroriste et au rétablissement des contrôles aux frontières intérieures, qui ont conduit à un renforcement et à un redéploiement des effectifs. Nous aimerions, monsieur le directeur central, avoir votre analyse de cette évolution et des principales problématiques que vous rencontrez aujourd’hui.

 Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur, madame, la commission d’enquête traite de la situation, des missions et des moyens des forces de sécurité. S’agissant des missions, nous avons fait le choix de nous concentrer sur le maintien de l’ordre (MO) et l’immigration. Que pensez-vous si, demain, l’État décidait de sous-traiter la surveillance des CRA ? Par ailleurs, selon vous, quelles améliorations conviendrait-il d’apporter à aux CRA ?

M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières. L’histoire de la police aux frontières s’est, en effet, accélérée en 2015, de manière à la fois exceptionnelle et durable. D’abord, deux millions de personnes sont entrées de manière irrégulière dans l’espace Schengen ; une crise historique. Ensuite, dans la nuit du 13 novembre 2015, à la suite des attentats commis sur notre territoire, la PAF a rétabli les contrôles aux frontières intérieures, de façon durable, puisque la France est toujours sous ce régime juridique, et ce jusqu’au 31 octobre 2019.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Le contrôle aux frontières sera-t-il prolongé ?

M. Fernand Gontier. La décision ne m’appartient pas mais le rétablissement des contrôles a déjà été renouvelé plusieurs fois pour cause de menaces terroristes et la France a décidé de le maintenir pour la bonne organisation du G7, un événement international qui suscite des menaces de toutes natures. Cinq autres pays ont rétabli les contrôles aux frontières – Allemagne, Autriche, Danemark, Norvège, Suède – et devront, eux aussi, à peu près à la même date, décider s’ils reconduisent ou non ces contrôles – s’il n’y a pas d’attentat d’ici là.

Je précise que le rétablissement des contrôles aux frontières n’a pas été décidé en France pour des raisons migratoires, contrairement à d’autres pays, mais en vue de prévenir les troubles à l’ordre public et les menaces terroristes.

Les contrôles ont donné et continuent de donner d’excellents résultats. Plus de 80 000 personnes, entre 2017 et 2018, ont été interpellées aux frontières et renvoyées vers leur pays d’origine ; c’est une activité significative. Cette activité décroît légèrement mais nous sommes toujours sur un rythme très élevé de non-admission aux frontières intérieures.

Un grand nombre de personnes étrangères interpellées aux frontières ne sont pas identifiées ; elles ne possèdent aucun document de voyage. Nous les considérons alors comme dangereuses, pouvant représenter une menace pour l’ordre public. Nous savons, en effet, par expérience, que des personnes potentiellement dangereuses ont tenté, lors de flux migratoires, d’entrer sur notre territoire.

Ces contrôles ont également permis de détecter des personnes recherchées. Jamais auparavant, la France ne s’était dotée de moyens, à la fois juridiques et techniques, pour détecter des personnes recherchées. Les chiffres sont assez exceptionnels : en 2014, la police aux frontières a détecté 30 800 personnes recherchées ; en 2018, plus de 94 000 personnes, dont 15 400 « fichés S ». Ces chiffres justifient le rétablissement des contrôles aux frontières. En 2019, la PAF aura détecté plus de 100 000 personnes recherchées.

Nous nous sommes dotés de moyens importants, notamment humains, puisqu’une grande partie de nos effectifs, entre 4 000 et 4 500 policiers sont affectés aux contrôles aux frontières. Dès le début de l’année 2016, les données des dossiers des passagers, le système passenger name record (PNR) a été instauré ; il est aujourd’hui étendu à tous les vols extra-communautaires qui arrivent sur notre territoire, qui sont contrôlés à 100 %. Nous recevons les informations préalablement, les listes des passagers sont criblées, nous savons donc quelle personne recherchée se trouve dans quel avion. Ces informations sont, bien entendu, mises à la disposition des services de renseignement – direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)...

Par ailleurs, sous l’impulsion de la France, l’Europe a durci le code frontières Schengen. En mars 2016, un article essentiel, l’article 8-2 a été modifié et désormais, la totalité des voyageurs, qu’ils soient ressortissants des pays tiers ou de l’Union européenne, entrant et sortant de l’espace Schengen, font l’objet d’un contrôle systématique et approfondi. Nous nous sommes progressivement mis en ordre de marche pour sécuriser nos frontières et participer à la lutte contre le terrorisme.

S’agissant des frontières extérieures, les mesures prises sont appelées à durer – le code frontières ayant été modifié. S’agissant du rétablissement des contrôles aux frontières internes, une analyse du risque sera effectuée par les autorités françaises, afin de définir s’il est nécessaire, ou pas, de le renouveler. Il est très difficile de se prononcer sur cette question, même s’il est vrai qu’une période de rétablissement des contrôles aussi longue peut interroger sur la pertinence de l’espace Schengen et de la libre circulation des personnes.

L’année 2015 a donc été déterminante pour la police aux frontières. J’ajouterai que depuis l’affaire Hanachi, à la gare de Marseille, en 2017, les autorités préfectorales ont radicalement modifié leurs pratiques de prise en charge des étrangers représentant un danger pour l’ordre public. De sorte que le taux d’occupation des centres de rétention est passé de 65 % à 95 % et que nous avons dû nous adapter et augmenter nos effectifs – 460 nouvelles places ont été créées entre depuis fin 2018 et plusieurs projets de création de nouveaux centres sont en cours.

Par ailleurs, la population de ces centres a changé de nature. Elle est désormais composée d’individus souvent violents, de délinquants sortant de garde à vue ou de prison. Il s’agit d’une situation nouvelle, pour la police aux frontières. Elle n’a plus affaire à des migrants ou des étrangers en situation irrégulière dociles, mais à des individus dangereux – pour eux-mêmes, les policiers et les autres retenus. En 2018, plus de 30 % de migrants ont été blessés dans les CRA.

Des renforts ont donc été affectés, afin que la PAF puisse assurer toutes ses missions, même quand 100 % des places sont occupées. Outre la surveillance, les policiers assurent l’ensemble des présentations physiques aux juridictions – administratives, judiciaires, consulaires, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – et un certain nombre d’autres charges. Ainsi, 336 personnels de la PAF sont venus renforcer leurs collègues en 2018 ; un renfort qui sera poursuivi en 2019, de façon à optimiser la gestion des centres de rétention.

Toutes les missions des personnels de la PAF sont prioritaires : les frontières – immigration et terrorisme –, les mesures d’éloignement et la lutte contre les trafiquants de migrants. Plus de 10 000 trafiquants ont été interpellés en 2018, grâce notamment aux efforts réalisés en matière d’investigation de la police aux frontières dans la lutte contre les filières. En 2019, le triste record du nombre d’organisations criminelles assurant le passage, l’emploi, le logement et l’hébergement des étrangers, sera battu.

La PAF est aujourd’hui en tension sur toutes ses missions et ses effectifs. Si les effectifs ont considérablement augmenté, passant de 8 900, en 2007, à 11 482, le trafic aérien s’est également développé – avec une croissance de 5 % par an. Or la police aux frontières affecte un nombre important de ses personnels aux aéroports, parisiens et de province.

La PAF est donc en tension sur l’ensemble du spectre de ses missions. Nous ne pouvons plus parler de crise migratoire, la situation est amenée à durer, avec des évolutions des routes migratoires. La frontière franco-espagnole est davantage sollicitée depuis quelque temps par les migrants en provenance du Maroc, et concentre l’essentiel des flux vers notre territoire.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. La PAF est la troisième direction, en termes d’effectifs, de la police nationale. Pouvez-vous en rappeler le nombre de personnels ?

S’agissant du trafic des migrants, les pénalités infligées aux migrants sont-elles dissuasives, à la hauteur des enjeux ? Les avoirs criminels confisqués et les saisies attributions sont-ils en augmentation ?

La baisse des arrivées de migrants en Italie est-elle due au travail mieux effectué par les garde-côtes libyens ?

M. Fernand Gontier. Au 1er avril, les effectifs de la PAF étaient de 11 482. Ces effectifs sont renforcés par le personnel réserviste, les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et la gendarmerie mobile (GM). Sur les frontières et sur certains points, tels que Calais ou Dunkerque, nous bénéficions de l’appui permanent de huit unités de forces mobiles (UFM). En effet, seule, la police aux frontières ne pourrait pas assurer ses missions. Nous avons besoin d’être soutenus sur des points de franchissement de frontières sensibles, tels que les Alpes-Maritimes, les Hautes-Alpes et les Pyrénées-Atlantiques, qui font l’objet d’une activité particulièrement soutenue.

Les effectifs de la PAF vont continuer à augmenter, afin de faire face notamment à l’augmentation des places en centre de rétention – le plan du ministre l’intérieur s’étalera sur plusieurs années.

S’agissant de la lutte contre les trafiquants de migrants, il s’agit d’une mission essentielle de notre service et elle est très efficace – les magistrats condamnent tous les jours des trafiquants à des peines de prison ferme. La PAF et les services spécialisés que sont l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et l’emploi d’étrangers sans titre (OCRIEST) et les brigades mobiles de recherche (BMR) trouvent une réponse de la part des magistrats, qu’il s’agisse des magistrats spécialisés dans ces domaines ou de ceux qui ont à traiter des filières d’immigration irrégulière.

Pour autant, nous ne souhaitons pas que la peine prononcée soit supérieure à dix ans d’emprisonnement – délit aggravé – sinon nous irions vers une procédure plus longue et plus complexe. Par ailleurs, il me semble nécessaire que ce soient des magistrats spécialisés, connaissant l’organisation des filières, qui traitent ces affaires, plutôt qu’une cour d’assises qui pourrait prononcer des verdicts beaucoup plus aléatoires.

Concernant les saisies, nous saisissons beaucoup de biens immobiliers et mobiliers et de nombreux véhicules sont réaffectés dans les services d’investigation. Nous avons progressé concernant la saisie d’immeubles – 3,5 millions d’euros en 2018, un chiffre en augmentation en 2019. En revanche, nous saisissons peu d’argent, les circuits financiers étant très complexes et les personnes arrêtées ayant très peu d’argent sur elles. L’argent de ces organisations circule très facilement, peut-être même ne transite-t-il pas par la France.

La mise à disposition de moyens, de garde-côtes et de vedettes, par l’Europe et par l’Italie, ainsi que la reprise en main de l’espace maritime par les autorités libyennes, ont contribué à empêcher les départs et, par conséquent, à sauver des vies. En effet, depuis que les flux de départs ont chuté, nous comptons beaucoup moins de naufrages et de décès en Méditerranée. Les actions à terre sont donc essentielles.

La situation en Libye n’est pas totalement stabilisée, ni assurée dans la durée. Les départs pourraient reprendre d’un jour à l’autre. Cependant, la situation est aujourd’hui satisfaisante, puisque moins de 5 % des entrées irrégulières concernent des migrants partant des côtes libyennes. Notre inquiétude se porte aujourd’hui sur la Grèce, les flux de la Turquie vers la Grèce ayant repris, et sur l’Espagne, avec des populations qui arrivent du Maroc. Des populations francophones, destinées à rester sur notre territoire. Cette situation nous concerne donc plus particulièrement.

Mme Josy Poueyto. Élue de Pau, je suis concernée par plusieurs événements, dont le G7, pour lequel vous allez être grandement sollicités. Vous l’avez évoqué, les migrants francophones arrivent par l’Espagne, et nous voyons en effet depuis quelque temps le nombre de migrants augmenter à Bayonne ; la situation est difficile à gérer. Par ailleurs, l’association Bizi mène un certain nombre d’actions devant le centre de rétention sur Hendaye, cherchant à protéger les migrants.

Vous n’avez pas parlé des saisies de drogues, mais je souhaite féliciter vos services pour les actions qu’ils mènent et les saisies effectuées.

Comment appréhendez-vous le sommet du G7, qui se tiendra au mois d’août à Biarritz ?

M. Fernand Gontier. Nous sommes déjà très mobilisés pour ce sommet, qui s’annonce compliqué. Nous avons pris les devants, afin qu’il ne soit pas géré uniquement par la France, mais en collaboration avec l’Espagne. La frontière fera l’objet d’une surveillance commune, avec un poste de commandement commun ; le renseignement sera totalement mutualisé. Des équipes franco-espagnoles seront mobilisées jusqu’à Perpignan, qu’elles soient fixes ou mobiles. J’ai rencontré la semaine dernière mon homologue espagnol, et l’ensemble de cette coopération fera l’objet d’une validation des deux ministres de l’intérieur.

Leur engagement sera égal au nôtre, ils renforceront également leurs effectifs, considérant, comme nous, que cet événement nous dépasse largement. Nous avons, par exemple, besoin d’informations sur les mouvements contestataires qui pourraient perturber le déroulement de ce sommet. La réponse des Espagnols a été de nous demander : « De quoi avez-vous besoin ? » Je ne peux que me féliciter de cette coopération, qui est habituelle, de la part de nos collègues espagnols. Des dispositifs vont bientôt être installés, qu’ils soient techniques ou humains. Ils seront coordonnés par le préfet des Pyrénées-Atlantiques

S’agissant de la situation migratoire, une parenthèse aura certainement lieu eu égard aux moyens qui seront développés durant le mois d’août prochain. Le vrai sujet, c’est la frontière hispano-marocaine ; c’est là que tout se passe, aux enclaves de Ceuta et Melilla. Des migrants partent quotidiennement et franchissent le détroit de Gibraltar – se mettant en danger.

Une approche européenne est nécessaire pour gérer ces enclaves. L’agence européenne des garde-frontières et des garde-côtes Frontex apporte son soutien à l’Espagne, à travers des opérations maritimes et terrestres – opérations Minerva et Indalo – visant à maîtriser les flux mais cela ne suffit pas et nous avons besoin d’améliorations tangibles. Or, je n’en vois pas pour 2019.

Il faudrait pour cela que le Maroc, comme la Libye, participe activement en limitant les départs depuis ses côtes. Une fois en Espagne, les migrants peuvent remonter vers la France par différentes voies. En outre, l’Espagne rencontre des difficultés – je pense notamment aux laissez-passer consulaires – pour renvoyer les migrants francophones dans leur pays d’origine. Nous leur avons proposé notre aide, puisque nous entretenons de bonnes relations avec un certain nombre de pays d’Afrique francophone. Nous obtenons en effet aujourd’hui de meilleurs résultats que par le passé, avec le Sénégal et la Guinée, notamment.

Le Maroc a vraiment besoin d’aide de la part l’Europe pour se doter de garde-côtes efficaces et ainsi prévenir les départs.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. En France, le nombre de demandeurs d’asile est en augmentation – notamment d’Albanais et de Géorgiens –, contrairement aux autres pays européens. Ces demandeurs viennent de pays considérés comme des pays sûrs – avec lesquels nous avons une collaboration. Leur retour est-il facilité par ces pays ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le directeur, vous avez oublié de répondre à ma question relative à la sous-traitance de la surveillance des CRA.

Ensuite, est-il vrai que l’administration a demandé d’équiper les CRA de bouquets numériques et de consoles de jeux ?

Enfin, parmi les migrants contrôlés, combien sont renvoyés dans leur pays ?

M. Fernand Gontier. Concernant les CRA, nous avons mené des études visant à définir les tâches que nous pouvions externaliser.

Les missions qui pourraient être confiées à des sociétés de sécurité privées ne doivent pas relever de la garde stricte des personnes – cela est interdit par la loi. En revanche, les policiers accomplissent d’autres tâches qui pourraient être externalisées ou effectuées par des personnels administratifs non policiers ; je pense à la sécurité incendie, l’accueil, les activités de greffe et administratives ou le transport. Nous y sommes très favorables. La police nationale a formulé des propositions en ce sens. Nous avons évalué à plus de deux cents le nombre de policiers qui pourraient être, ainsi, affectés à d’autres missions.

Vous avez ensuite évoqué les améliorations que nous pourrions apporter. La plupart des CRA sont aujourd’hui dotés de vidéo-audiences. Ces dispositifs sont prévus par la loi du 10 septembre 2018, mais ne sont que très peu utilisés pour les présentations de nature judiciaire, que ce soit devant les juges des libertés et de la détention, les cours d’appel (CA) ou devant les tribunaux administratifs (TA). Pourtant, l’utilisation de ces vidéo-audiences nous éviterait de dédier 30 % du personnel de la PAF aux escortes et transferts.

La loi a permis un allongement significatif de la durée de la rétention administrative, à 90 jours, ce qui est une bonne chose. Quelque 10 % des retenus effectuent entre 45 et 90 jours de rétention. La moyenne est de 16 jours, l’objectif étant que les retenus repartent chez eux le plus vite possible.

La direction générale des étrangers en France (DGEF) a dégagé des crédits pour améliorer les conditions de vie et occuper les retenus, avec des activités récréatives, du matériel.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel type de matériel ?

M. Fernand Gontier. Une bibliothèque, l’accès à internet, des jeux, des équipements de sport. Les centres ne sont pas tous configurés de la même façon. Certains bénéficient d’espaces importants, d’aires de promenade, mais d’autres ont peu de possibilités. Ces activités permettent de diminuer la tension qui peut régner dans les centres.

Nous suivons de très près ce qui s’y passe, nous avons des indicateurs de tension liés à l’emploi des personnels, aux congés de maladie, aux incidents, aux hospitalisations, etc. Il s’agit d’un travail extrêmement difficile, et les personnels de la PAF sont confrontés à des conflits, des situations de violence ou des évasions. La population a changé, nous avons affaire à des profils nouveaux auxquels nous n’étions pas préparés. Nous avons donc organisé des formations pour que les personnels puissent répondre à des situations de rébellion collective. Nous avons également renforcé nos moyens en équipant les CRA de cellules d’isolement, certains retenus représentant un danger pour eux-mêmes, pour les autres retenus et pour les personnels de la PAF. Il n’est pas acceptable que des retenus arrivent à introduire des armes et blessent leurs co-retenus.

S’agissant des demandes d’asile, elles ont en effet augmenté d’environ 20 % en 2018, de sorte qu’un arsenal de dispositifs destiné à réduire les délais d’instruction a été mis en place en vue de ramener l’intégralité de la procédure à un délai de six mois.

Les migrants des pays d’origine sûrs, que sont la Géorgie et l’Albanie, sont prioritaires en termes d’instruction par les officiers de protection de l’OFPRA. Les délais sont en cours de réduction et nous devons pouvoir renvoyer dans leur pays d’origine tous ceux qui sont déboutés définitivement de leurs voies de recours. Nous avons mis en place une coopération avec la Géorgie et l’Albanie, pour organiser un retour effectif des déboutés du droit d’asile. Les autorités albanaises et géorgiennes sont extrêmement disponibles et attentives, et nous délivrent facilement les autorisations de survol, les laissez-passer consulaires, elles viennent même parfois chercher leurs ressortissants sur notre territoire.

Il reste cependant, dans le dispositif national d’accueil, encore beaucoup de migrants, sans doute trop, qui occupent des hébergements sans droit ni titre. Nous avons donc prévu, dans les semaines à venir, de mener des actions afin de renvoyer les personnes définitivement déboutées, qui organisent une forme de séjour à travers des procédures qui ne sont pas adaptées à leur situation, qui est celle de migrants économiques.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Le coût des CRA et des renvois des migrants est bien pris sur le budget de la police nationale ?

M. Fernand Gontier. Les moyens mis à disposition de la PAF ne proviennent pas uniquement de la police nationale. Les CRA et les zones d’attente sont financés par le programme 303 de la direction générale des étrangers en France, « immigration et asile ».

Concernant l’effectivité des retours, si les CRA sont aujourd’hui totalement occupés, ils n’ont jamais été aussi efficaces. Le taux de retour est en augmentation importante depuis quelques mois, et nous allons dépasser les résultats obtenus en 2018 – les retours ont déjà augmenté de 25 % depuis le début de l’année.


  Audition du 23 mai 2019

M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, MM. Pierre Azzopardi, sous-directeur du pilotage et du soutien des services, Jilly Delliste, sous-directeur des métiers et Benoît Fichet adjoint au sous-directeur de la sécurité pénitentiaire.

 

M. Joaquim Pueyo, vice-président. Monsieur, vous occupez depuis près de deux ans la fonction de directeur de l’administration pénitentiaire. Nous avons reçu, les syndicats de l’administration pénitentiaire qui nous ont fait part de leurs attentes et de leurs inquiétudes au sujet des évolutions que connaît leur métier – insécurité dans les établissements, difficultés de recrutement, lacune dans la formation, parmi d’autres sujets. Nous aimerions faire le point avec vous de ces questions ainsi que des objectifs qui sont poursuivis par votre administration.

Je rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite, messieurs, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le président, je tiens tout d’abord, au nom de la commission tout entière, à exprimer notre soutien aux deux surveillants pénitentiaires blessés hier soir et à leur souhaiter un prompt rétablissement. Nous souhaitons vous entendre sur des sujets aussi importants que la protection des surveillants pénitentiaires, les brouilleurs, l’extraction judiciaire, les mineurs ou la visioconférence.

M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire. J’évoquerai d’abord les priorités d’action de l’administration pénitentiaire, notamment celles figurant dans la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, sachant que toutes ne relèvent pas d’une question de moyens, donc d’une loi de programmation.

Premièrement, mais sans ordre de priorité politique, la loi de programmation est porteuse d’un effort immobilier important prévoyant la construction de 15 000 places, en deux phases : 7 000 durant la législature en cours et 8 000 dans les cinq années qui suivront.

Ce programme immobilier vise un accroissement net de la capacité d’accueil et d’hébergement du parc immobilier pénitentiaire, puisqu’aujourd’hui, nous avons quasiment 72 000 détenus pour moins de 60 000 places. En dépit de l’effort de construction consenti par l’État depuis 1987 et le premier programme d’investissement massif, dit « programme Chalandon », l’écart entre la capacité d’accueil du parc immobilier, et une population carcérale en augmentation continue depuis quarante ans, reste important.

Derrière cet objectif de construction se profile le respect du principe de l’encellulement individuel, inscrit dans notre droit depuis un siècle et demi mais encore très loin d’être atteint. Et derrière cet objectif se profilent, outre l’amélioration des conditions de détention, l’enseignement individuel et les activités proposées aux détenus dans la perspective de leur sortie, dans le cadre de la mission primordiale de réinsertion qui est celle de l’administration pénitentiaire. À cela s’ajoute l’amélioration des conditions de travail des personnels. Elles sont difficiles dans des établissements pénitentiaires massivement surpeuplés, notamment les maisons d’arrêt, suroccupées à plus de 40 %, en particulier dans les grandes régions comme l’Ile-de-France, l’Occitanie et Auvergne-Rhône-Alpes.

Il s’agit d’un premier objectif très structurant pour l’action de l’administration pénitentiaire. Le programme immobilier de l’administration pénitentiaire, l’un des premiers budgets d’investissement civils de l’État, représente pour nous un enjeu important.

Le deuxième objectif structurant vise à se donner les moyens, pas uniquement humains et budgétaires, de recruter. Nous devons faire face à des départs en retraite massifs. Je rappelais que le premier programme immobilier d’envergure datait de 1987, époque à laquelle les recrutements ont été très nombreux. Des personnels de surveillance, au sens large, partiront massivement en retraite dans les trois à quatre années qui viennent, dans un contexte de forte concurrence entre les métiers de la sécurité publique et privée - la direction générale de la police nationale (DGPN) a besoin de recruter beaucoup. Au besoin de renouvellement de nos effectifs lié au programme immobilier – quand on ouvre des établissements, il faut des personnels pour les faire fonctionner -, s’ajoute l’accroissement qualitatif de nos missions. Les extractions judiciaires, pour reprendre l’exemple que vous évoquiez, mission nouvelle que l’administration pénitentiaire a progressivement reprise depuis 2011, représentent 1 800 emplois. Qu’ils aient été transférés ou créés, l’administration pénitentiaire a dû recruter et former des personnels de surveillance, gradés et officiers, supplémentaires pour assurer ces missions nouvelles. Ce besoin fort de recrutement s’exprime dans un contexte très concurrentiel avec des métiers qui sont légitimement perçus dans l’opinion publique comme difficiles : l’équation est périlleuse pour l’administration pénitentiaire, qui met en place des actions tous azimuts à cette fin.

La troisième priorité – de façon non hiérarchisée – est le renforcement de la sécurité de nos personnels et, plus largement, de nos établissements pénitentiaires.

Plusieurs problématiques convergent. Le renforcement de la sécurisation de nos établissements pénitentiaires renvoie aux questions des projections, des trafics, des contrôles d’accès, notamment pour les visiteurs. Un autre sujet de préoccupation majeure est la prise en charge, au sens large, des détenus terroristes et radicalisés. Nous avons aujourd’hui un peu plus de 500 détenus radicalisés – 510 ou 512, le chiffre évolue au jour le jour – et un peu plus de 900 détenus de droit commun suivis ou repérés au titre de la radicalisation. Cela suppose la montée en charge du service national du renseignement pénitentiaire. Des efforts considérables ont été accomplis depuis 2017 en termes de moyens humains, de montée en compétences techniques, de développement de liens opérationnels avec les services partenaires du premier ou du deuxième cercle. Cet élément est central depuis la création de ce service du second cercle, le 1er février 2017.

Nous devons assurer la gestion en détention de ces détenus qui présentent des risques nouveaux. On a l’impression que l’administration pénitentiaire gère des terroristes depuis plusieurs décennies, puisqu’elle a connu les mouvements d’extrême gauche, les terroristes basques et corses. Elle a aussi connu, depuis le début des années 1990, plusieurs vagues de détenus en raison des attentats terroristes islamistes. Mais que je sache, par le passé, on n’avait jamais observé des détenus en détention tenter de convertir leurs codétenus à leur cause politique et on n’a jamais connu d’attentat commis en détention par des détenus corses ou des militants d’extrême gauche dans les années 1970. Le terrorisme islamiste induit, en matière de sécurité pénitentiaire, des risques totalement nouveaux, directs et majeurs pour l’équilibre de nos détentions. Nous avons à faire face au risque prosélyte mais, contrairement à beaucoup d’autres États européens, nous ne pouvons pas nous contenter d’une simple politique de dispersion. On ne peut pas diviser 1 500 détenus radicalisés par 188 pour en mettre une dizaine par établissement, ne serait-ce que parce que tous les établissements ne présentent pas tous les capacités de prise en charge qui le permettent. Par conséquent, dans certains établissements, notamment en Ile-de-France, à proximité du parquet antiterroriste, on est contraint à une certaine concentration de ces détenus, ce qui pose des problématiques spécifiques de gestion des détenus terroristes ou de droit commun radicalisés, que je n’ose plus qualifier de nouvelles parce que nous y travaillons depuis plusieurs années.

Se pose toujours la question du développement de missions nouvelles en matière de sécurité pour l’administration pénitentiaire. J’ai évoqué la reprise des extractions judiciaires, mission entièrement nouvelle pour l’administration pénitentiaire. Le travail habituel de l’administration pénitentiaire, c’est de surveiller des détenus dans des établissements. Des missions sur la voie publique présentent pour nos hommes et nos femmes des risques spécifiques et nouveaux, et surtout, c’est un métier complètement différent. La création des équipes locales de sécurité pénitentiaire a supposé le développement de missions nouvelles, donc de formations nouvelles pour nos agents, qu’il s’agisse de la sécurisation périmétrique des établissements ou de la sécurisation intérieure de nos prisons. Dans un passé récent, ces missions n’existaient pas.

Pour conclure cette présentation, je mentionnerai que ces missions nouvelles en matière de sécurité répondent à des risques nouveaux rencontrés depuis plusieurs années dans nos établissements pénitentiaires, notamment celui par lequel vous avez entamé votre propos, monsieur le rapporteur, c’est-à-dire les violences en détention, violences contre nos personnels et violences, deux fois plus nombreuses, entre les personnes détenues.

Les causes de ce phénomène auquel nos personnels sont quotidiennement confrontés sont multiples. La principale est sans doute l’accroissement des violences dans la société en général. La prison, est souvent un concentré des maux qui accablent la société, mais dans le vase clos de nos établissements pénitentiaires, ils revêtent une importance singulière. Les violences contre les personnels, violences au sens large, c’est-à-dire aussi bien les insultes, les violences verbales, les menaces que les violences physiques, ont augmenté considérablement ces dix dernières années, passant à 4 000 ou 4 500 agressions par an, d’intensité très variable. On relève un peu moins d’un millier d’agressions physiques contre nos personnels chaque année, là encore de gravités très variables. Les événements comme celui qui s’est produit hier dans l’établissement de Pointe-à-Pitre, à Baie-Mahault, sont heureusement les plus rares, mais ils augmentent aussi en intensité, en gravité et en nombre. Cela pose une série de questions, pas au premier chef celle des détenus terroristes ou radicalisés qui ne pose pas les difficultés de gestion quotidienne les plus grandes, mais celle des violences ordinaires. Comment trouver de nouvelles réponses à ce type de comportement en détention ? Cela pose la question de la prise en charge de la santé mentale en prison, puisque l’agression de Baie-Mahault sur deux collègues surveillants, dont l’un est grièvement blessé, était le fait d’un détenu qui était repéré depuis quelque temps pour des troubles du comportement.

Au terme de ce propos introductif et avant de répondre à vos questions, je vous présenterai les collègues qui m’accompagnent. Jilly Delliste est sous-directeur des métiers, en charge notamment de l’organisation des services, des questions de recrutement et de formation au sein de l’administration pénitentiaire. Benoît Fichet est adjoint au sous-directeur de la sécurité pénitentiaire et pressenti pour être l’adjoint au chef du service national de renseignement pénitentiaire, dans quelques jours. Pierre Azzopardi est sous-directeur en charge de l’ensemble des moyens de l’administration pénitentiaire, en dehors des ressources humaines.

M. Joaquim Pueyo, président. Je m’associe au soutien des deux surveillants agressés exprimé par M. le rapporteur. Monsieur le directeur, vous avez rappelé le grand nombre d’agressions physiques dont sont victimes les agents. Des détenus sont également agressés. Le moral des surveillants est miné par les agressions qui sont commises ou les comportements contraires au règlement. Vous avez déjà pris des mesures pour renforcer la sécurité intérieure et périmétrique. Tenez-vous compte de cet aspect dans l’élaboration du programme immobilier ? De graves erreurs ont été commises dans la conception architecturale des établissements, il y a quelques années. Celle-ci peut jouer un rôle important dans le fonctionnement des établissements, notamment en termes de sécurité. Ce sujet est-il mis en avant dans le cahier des charges soumis aux architectes ? Dans certains établissements pénitentiaires, les personnels disent qu’ils ne servent qu’à ouvrir les portes ; ils sont insultés et menacés.

M. Stéphane Bredin. L’état des lieux que vous évoquez recouvre, en fait, des disparités importantes. La difficulté des conditions de travail est extrêmement variable selon les 188 établissements. Il faut distinguer entre les maisons d’arrêt surpeuplées d’Ile-de-France dans lesquelles les actes de violence sont nombreux et la surpopulation carcérale supérieure à 150 %, voire 200 % et certains établissements pour peine de province qui accueillent des populations calmes, des auteurs d’infractions à caractère sexuel ou une population pénale âgée qui ne posent absolument pas les mêmes problématiques de gestion de la détention. La situation sur le territoire est extrêmement variable suivant les établissements, de même que les niveaux d’attractivité des établissements. On ne rencontre par les mêmes problèmes de relations humaines dans toutes les structures.

Si la question de l’architecture des établissements pénitentiaires est importante, la question primordiale est, à mon sens, celle des moyens humains. C’est pourquoi j’ai ouvert mon propos sur le plan de recrutement. La loi de programmation prévoit des recrutements et des créations d’emplois pour accompagner les missions nouvelles. Pour la première fois, il est prévu un plan de création de 1 500 emplois pour combler les vacances dans les établissements pénitentiaires. Cet effort commence à porter ses fruits. En un an et demi, depuis le mois de mai 2019, nous sommes passés d’un taux de couverture, c’est-à-dire l’écart entre l’organigramme théorique dans nos établissements et les effectifs disponibles de personnels de surveillance dans les structures, de 92 % à 95,9 %.

Oui, nous incluons des exigences architecturales dans la conception des nouveaux établissements et dans la rénovation du parc existant. Nous intégrons le risque de projection dans la conception des nouveaux établissements. À la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis que vous avez dirigée, il n’y a pas de projections parce que les ateliers habillent le mur d’enceinte, ce qui crée un obstacle naturel aux projections dans les cours de promenade, lequel n’existe pas dans certains établissements construits dans les années 1990-2000, y compris assez récemment. L’accompagnement des mouvements figure parmi les moments à risque dans la gestion de la détention. C’est alors que le contact est direct, régulier, récurrent entre les personnels et la population pénale. Cela a aussi été intégré dans le programme immobilier type de nos futurs établissements. Nous en tenons compte également dans le parc existant.

Si des erreurs ont été commises par le passé, elle est notamment là. Il est politiquement plus facile d’afficher un programme immobilier d’investissement avec des inaugurations et des poses de premières pierres. Cela apporte une réponse au problème de fond de la capacité d’accueil du parc existant – quand il manque 10 000 places, il faut bien construire –, mais pour améliorer les conditions de détention des détenus et les conditions de travail de nos personnels, l’effort à réaliser dans la maintenance et les remises à niveau des établissements existants représente un enjeu essentiel, qui a été considérablement négligé dans le passé. Je prendrai un chiffre hors toute considération politique, puisqu’il porte sur les années 2007, 2012, 2017. On estime que le sous-investissement dans le parc immobilier existant s’est élevé à au moins 800 millions d’euros. Comme c’est le principal budget d’investissement du ministère de la Justice, quand il y a des arbitrages à opérer en fin de gestion, le plus simple est de tailler dans les crédits de maintenance des établissements, parce que dans l’immédiat, ça ne se voit pas. Mais l’effet cumulatif du sous-investissement a des effets importants en matière de sécurisation des établissements. C’est pourquoi nous essayons d’investir massivement dans les dispositifs de vidéosurveillance et anti-projections, sachant que les moyens prévus par la loi de programmation pour la maintenance du parc immobilier s’élèvent entre 110 et 120 millions d’euros par an dans les quatre années qui viennent.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez parlé de la hausse du niveau de violence dans la société. C’est aussi le cas pour la violence et la délinquance des mineurs. Comment voyez-vous cette évolution ? Combien d’établissements accueillent des mineurs ? Est-il prévu d’augmenter le nombre de places ? Quels sont les délits pour lesquels ils ont été incarcérés ?

Par ailleurs, pensez-vous que les équipements individuels de protection dont sont pourvus les fonctionnaires de la pénitentiaire soient suffisants ? Ne pensez-vous pas qu’il faudrait généraliser le port d’un gilet plus protecteur et équiper les surveillants pénitentiaires d’armes comme les pistolets à impulsion, pour assurer la sécurité et le contrôle ?

M. Stéphane Bredin. Les équipements nous préoccupent et nous en sommes soucieux. Beaucoup a été fait depuis un an et demi. La généralisation des gilets pare-lames a été décidée en début d’année, et l’agression d’hier à Baie-Mahault a montré à quel point ils peuvent être utiles. Mais acheter 24 000 gilets ne se fait pas en un jour, et les livraisons vont s’étaler sur les mois qui viennent. C’est un élément important du renforcement de la sécurité de nos personnels.

Concernant les armements spécifiques, le principe de base est d’avoir le moins d’armes possible en détention afin de ne pas exposer nos personnels au risque qu’elles soient détournées contre eux. La situation que d’aucuns dénoncent, notamment les organisations représentatives, ne procède pas du laisser-aller mais de l’appréciation spécifique des risques dans le milieu confiné des établissements pénitentiaires. C’est pourquoi, par principe, et conformément au code de procédure pénale, l’introduction des armes létales dans les établissements pénitentiaires, même par les forces de sécurité intérieure, est très contrôlée, y compris dans des circonstances exceptionnelles.

En contrepoint, se pose la question du renforcement de la sécurité de nos agents. Nous avons fait le choix d’ouvrir la réflexion sur la dotation en armes nouvelles pour nos personnels, que ce soit le pistolet à impulsions électriques, pour lequel les négociations sont en cours, le bâton télescopique ou l’élargissement du port des menottes. Dans le même temps, nous ciblons la dotation sur des personnels spécifiquement formés, d’où l’idée de ne pas doter 24 000 surveillants de pistolets à impulsion électrique, mais plutôt d’examiner pour quelles missions et pour quels types d’équipes cela peut être utile. Je pense notamment aux équipes locales de sécurité pénitentiaire. Pour des équipes réduites mais très formées aux interventions, renforcer spécifiquement l’armement peut avoir du sens.

Nous pourrons vous apporter des précisions par écrit, car j’ai conscience que la brièveté de ma réponse.

C’est dans les établissements pour mineurs que le nombre des agressions est de très loin le plus élevé. En maison d’arrêt, on est passé en dix ans de 7 agressions pour 1 000 détenus à 12 ou 13, soit un quasi-doublement, tandis que dans les quartiers ou établissements pour mineurs, ce chiffre est passé de 49 à 95. Le niveau a donc fortement augmenté. Ce ne sont pas les violences les plus importantes, mais, d’évidence, leur retentissement est majeur sur le moral des personnels dans ces structures.

Les établissements accueillant des mineurs sont spécifiques puisqu’y interviennent à la fois l’administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse, c’est-à-dire des personnels de surveillance et des éducateurs. Le cœur de la prise en charge étant la pluridisciplinarité et non le seul volet sécuritaire, le contenu des prises en charge avec l’Éducation nationale et la protection judiciaire de la jeunesse est essentiel.

La capacité d’accueil des mineurs au niveau national est suffisante, il n’y a pas de sur-occupation, mais elle est très inégalement répartie sur le territoire. Dans le cadre du programme immobilier, nous n’envisageons pas nécessairement la construction de dizaines de places pour mineurs mais plutôt l’amélioration de la capacité d’accueil dans les directions interrégionales où on en manque le plus, à commencer par l’Ile-de-France.

M. Rémi Delatte. Nous savons que la sécurité intérieure des personnels et des détenus dans les établissements pénitentiaires passe par une plus grande étanchéité du milieu carcéral. Les procédures mises en œuvre pour les visites sont-elles suffisantes et pertinentes ? Le fait que l’on n’ait pas le droit de faire de fouilles systématiques doit-il être reconsidéré ? Comment trouver un compromis entre une meilleure sécurité et le respect des droits de l’homme ?

Par ailleurs, vous développez d’importantes mesures de prévention des suicides. Quelles en sont les principales causes ? Quels moyens pouvez-vous mettre en œuvre pour les prévenir ?

M. Jean-Claude Bouchet. Je suis un peu interrogatif. J’ai visité récemment une maison d’arrêt où j’ai été très bien reçu et où les conditions semblaient bonnes ; j’ai écouté vos propos. Nous avons auditionné les représentants des syndicats qui ont leur rôle à jouer. Or sur certains sujets, ils ont fait état d’une situation beaucoup plus alarmiste. Nous savons qu’il existe des problèmes de salaires, de conditions de travail, d’insécurité latente. Les représentants des syndicats nous ont dit qu’à la sortie des écoles, 70 % des jeunes étaient affectés en région parisienne où le prix du logement est élevé. Ils nous ont dit que le salaire de départ était de 1 150 euros. Pouvez-vous le confirmer ou l’infirmer ? Est-ce véritablement un frein ? Parvenez-vous à attirer de nouvelles vocations ?

La radicalisation ne se manifeste pas toujours par des signes évidents. Il semble que certains, beaucoup plus « intelligents » que d’autres, font croire qu’ils ne sont pas touchés. Votre personnel est-il spécifiquement formé à ce problème ? Si oui, est-il véritablement affecté dans les prisons les plus concernées ?

Enfin, d’après les représentants des syndicats, 30 % des détenus seraient atteints de troubles mentaux. Si tel est le cas, comment pouvez-vous être plus efficace face à ce danger mis en évidence hier à Baie-Mahault ?

M. Stéphane Bredin. Pour ce qui est de l’attractivité des métiers, le champ d’examen de votre commission d’enquête, relatif aux moyens et aux missions des forces de sécurité, dépasse largement l’administration pénitentiaire. J’imagine que mes collègues de la DGPN, vous ont fait part de difficultés analogues. Les métiers de la sécurité intérieure sont des métiers difficiles, chacun dans ses spécificités. Nous avons commencé à parler des nôtres, à savoir, violences dans les établissements pénitentiaires, surpopulation, mauvais état matériel de certains établissements pénitentiaires, sous-effectif pendant de longues années, etc. Tout cela est connu non seulement de l’administration et du Parlement mais aussi de l’opinion publique, ce qui a forcément un retentissement sur l’attractivité de nos métiers.

Vous évoquiez le fait qu’une bonne partie des agents était affectée en région parisienne. Je dirai plus largement qu’à la sortie de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP), ils sont affectés dans les établissements les moins attractifs. Mais c’est une difficulté à laquelle se heurtent tous les ministères. Les professeurs commencent aussi dans les zones les plus difficiles et les policiers dans les quartiers les plus difficiles parce que les collègues installés ne sont pas suffisamment nombreux à se porter volontaires pour être affectés à Fleury-Mérogis, Fresnes et Bois-d’Arcy, ces établissements compliqués de la région parisienne, ou dans ceux de Rhône-Alpes ou de la direction interrégionale de Strasbourg, qui souffrent d’un déficit. Le sujet est moins qu’on les affecte mal mais qu’en début de carrière, on les affecte dans les établissements les moins attractifs, puisque c’est le seul moment de la carrière où on ne choisit pas son affectation.

S’ajoute, en région parisienne, la question du logement. Nous y répondons par le plan de recrutement destiné à répondre à la question du sous-effectif qui s’est longtemps concentrée dans ces établissements, ainsi que par la création de dispositifs de fidélisation, notamment par un volet indemnitaire important. On va créer, dès cette année, le premier concours national à affectation locale qui, en contrepartie d’un engagement à servir pendant six ans dans ces établissements peu attractifs, entraînera le versement d’une prime de 8 000 euros échelonné sur six ans, dont la moitié dans l’année d’installation. C’est un début de réponse à la vie chère et aux coûts d’installation peu attractifs dans ces régions.

S’agissant des détenus en souffrance psychologique dans nos établissements pénitentiaires, je n’ai pas connaissance des chiffres qui vous ont été cités. Ce sont d’autant moins des données scientifiques que les études les plus récentes remontent à 2004 sur des constats de 2002. Nous lançons une étude épidémiologique, qui est financée, pour réactualiser la connaissance sur l’état de santé mentale des personnes détenues dans nos établissements et sortir des discours un peu simplificateurs. Nous savons qu’il y a une sur-représentation de certaines maladies mentales en prison, mais cela résulte de choix sociétaux. Si des détenus se retrouvent dans cet état dans des établissements pénitentiaires, c’est peut-être parce qu’ils ne sont pas suffisamment suivis dans des établissements hospitaliers leur offrant une prise en charge adaptée.

Cela pose évidemment des difficultés spécifiques en termes de prise en charge de ces détenus. C’est pourquoi la stratégie nationale de santé élaborée l’an dernier, dont un important volet concerne les personnes placées sous main de justice, comporte un pan d’actions sur la santé mentale en prison. Nous avons rencontré, en début de semaine le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, qui vient d’être nommé. Il y aura une importante mobilisation dans les mois et les années qui viennent sur cette problématique dont on voit bien le relief qu’elle a fini par prendre au fil des années dans nos établissements pénitentiaires.

Les fouilles systématiques sont un sujet hypersensible au sein de l’administration pénitentiaire, mais il convient de distinguer la fouille des détenus et les contrôles d’accès des visiteurs. Je ne reviendrai pas sur la fouille des détenus, car j’ai cru comprendre que votre question portait plutôt sur les contrôles d’accès aux établissements pénitentiaires. Il ne s’agit pas de fouilles mais de palpations de sécurité. Au sein de la pénitentiaire, la fouille renvoie à la notion de fouille intégrale, évidemment très intrusive ; il ne s’agit pas d’imposer des fouilles intégrales à des visiteurs. Les palpations de sécurité peuvent être systématiques, dans certaines conditions, mais on ne peut jamais y contraindre un visiteur. Le visiteur qui ne veut pas s’y soumettre n’entre pas. De même, quand vous vous rendez au stade ou à la Philharmonie, vous pouvez refuser d’être palpé, mais vous n’irez pas écouter le concert ou voir le match.

Tout cela ne relève pas du domaine législatif. Le droit existant – le code de procédure pénale et les circulaires en vigueur – nécessite davantage une réactualisation qu’une refonte. Le droit permet déjà beaucoup et il faut davantage faire évoluer les directives en matière de pratique professionnelle que le droit lui-même.

Le caractère plus ou moins systématique des palpations de sécurité doit être lié au niveau de sûreté des établissements. On peut l’envisager dans une maison centrale sécuritaire qui abrite des détenus tous dangereux, mais cela n’aurait pas de sens, ni pénitentiairement ni juridiquement, de l’imposer pour les visiteurs de tel ou tel centre de détention accueillant une population sans véritable danger. Il faut adapter le caractère systématique des palpations au niveau de risque réel de la population pénale hébergée.

Les palpations de sécurité peuvent être indispensables au regard du niveau de sûreté et de risque des détenus mais des moyens techniques peuvent aussi être mis en œuvre pour éviter de recourir à ces pratiques objectivement intrusives pour les visiteurs. Je pense aux portiques et aux portails à ondes millimétriques. Une réflexion technologique est en cours au sein de l’administration pénitentiaire en vue du déploiement de dispositifs techniques à l’entrée de nos établissements. Quand vous prenez l’avion, vous trouvez dans les aéroports des dispositifs qui ne sont pas présents pas dans tous nos établissements pénitentiaires et qui sont un complément à y apporter.

Concernant la dissimulation de la radicalisation, je vous rejoins tout à fait, Monsieur le député. Il était beaucoup plus facile, il y a dix ou quinze ans, de repérer des détenus salafo-djihadistes en détention. Il suffisait de voir celui qui rendait sa télévision, qui retirait les photos au mur, qui se laissait pousser la barbe, qui faisait des appels à la prière pendant la promenade. Tout cela n’existe plus, sauf de la part de l’idiot de service. Dès le courant de l’année 2016, nous avons renforcé nos grilles de détection. Le premier enjeu relatif aux détenus radicalisés de droit commun, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas poursuivis ou condamnés pour des actes de terrorisme, c’est de les détecter. Nous avons des grilles de détection, qui ont été remises à jour et diffusées à l’ensemble de nos personnels, précisément parce que les signes extérieurs ont beaucoup évolué. La grille pour les personnels dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation n’est pas la même que celle diffusée aux personnels de surveillance qui ne sont pas confrontés aux mêmes profils et ne rencontrent pas les détenus dans les mêmes conditions, ni la même que celle dont disposent nos cadres.

Le second enjeu, c’est l’évaluation, avec le déploiement des quartiers d’évaluation de la radicalisation. Une fois qu’on a détecté, il faut être sûr du risque pénitentiaire. Nos quartiers d’évaluation de la radicalisation servent à s’assurer du niveau de risque pénitentiaire puis à prendre des dispositions de gestion de la détention : placement à l’isolement, placement dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation ou bien retour en détention ordinaire avec une vigilance particulière, notamment de la part du renseignement pénitentiaire.

Cela suppose effectivement un effort très poussé de formation des personnels qui interviennent dans ces quartiers spécifiques qui ne gèrent que des détenus radicalisés. De telles prises en charge nécessitent une formation approfondie des équipes pluridisciplinaires - surveillants, gradés, officiers, conseillers, directeurs d’insertion et de probation – affectées à ces structures. Mais nous devons aussi sensibiliser et former l’ensemble de nos personnels à ces problématiques, sachant que le besoin n’est pas aussi poussé. Nous avons donc fait évoluer la formation initiale à l’ENAP en sorte qu’environ 49 % de nos personnels ont reçu une formation générale à la problématique de la radicalisation.

Quant aux suicides, votre question porte-t-elle sur ceux de nos personnels ou sur ceux des détenus ?

M. Rémi Delatte. Les deux.

M. Stéphane Bredin. Concernant les suicides des personnels, dont on a beaucoup parlé en ce début d’année pour d’autres forces de sécurité intérieure, comme tous les métiers des forces de sécurité intérieure, nous sommes concernés. Sur les dix dernières années, environ huit à neuf agents se suicident chaque année, avec des variations d’une année sur l’autre que l’on ne sait pas toujours expliquer. Nous n’avons pas beaucoup d’études sur le sujet. Une étude datant de quelques années portait sur une cohorte de 1990 à 2008, c’est-à-dire avant la mise en œuvre de politiques en la matière pour nos agents. Cette étude certes récente mais sur une cohorte ancienne mettait au jour un taux de suicide supérieur de 21 % à la moyenne nationale, portant sur des proportions très faibles, mais surmortalité tout de même. À mon sens, cette étude devrait être fortement réactualisée.

S’agissant de l’accompagnement et de la prévention du suicide pour nos personnels, je propose de vous répondre plus précisément par écrit. Pour l’essentiel, nous avons déployé depuis cinq ans un réseau de près de 70 psychologues des personnels dans nos établissements, dont au moins un coordonnateur dans chaque inter-région. Nous avons créé une ligne téléphonique spéciale, un numéro vert accessible sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre, confidentiel et anonyme. Nous avons déployé des formations pour nos cadres sur les risques psychosociaux dans nos établissements, aussi bien dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation que dans les établissements pénitentiaires. Une réflexion est en cours sur les violences à l’encontre de nos personnels, qui participent beaucoup du moral évoqué tout à l’heure par M. le président. Le ressenti est essentiel dans ces métiers très engageants. L’engagement et la confrontation de cet engagement aux difficultés des conditions de travail participent largement de ce phénomène.

Enfin, dans le cadre de la réorganisation de l’administration pénitentiaire en cours, j’ai souhaité créer un bureau de l’amélioration de la qualité de vie au travail, afin de prendre encore plus spécifiquement en charge la question des conditions de travail et plus particulièrement du suicide parmi nos personnels.

M. Joaquim Pueyo, président. Quand l’étude relative à la psychiatrie doit-elle être publiée.

M. Stéphane Bredin. En 2020. Nous aurons des résultats intermédiaires d’ici deux à trois trimestres. C’est une étude au long cours, sur plusieurs années, puisqu’elle va suivre une cohorte.

M. Joaquim Pueyo, président. Vous avez bien fait de rappeler que les visiteurs sont contrôlés, car on a pu lire récemment qu’on ne contrôlait pas les visiteurs à l’entrée dans les prisons. Y a-t-il eu des évaluations des méthodes de contrôle ? Pourquoi ne pas mettre en place un système comme celui des aéroports : tunnel à rayons X pour tous les bagages, interdiction des liquides, passage des piétons sous un portique, à quoi s’ajoutent des contrôles aléatoires même après passage négatif sous le portique ? Peut-on envisager de le faire systématiquement ? Vous avez bien fait de rappeler qu’il faut établir précisément la manière dont les surveillants doivent contrôler. Je suis convaincu qu’il faut systématiser les contrôles, aussi bien pour les maisons centrales qui hébergent les détenus les plus dangereux qu’en maison d’arrêt. Le nombre de kilos de haschich entrant dans les prisons est énorme, y compris dans les établissements qui accueillent des détenus pour de courtes peines. Le sujet me paraît majeur.

M. Stéphane Bredin. Les contrôles d’accès posent plusieurs questions. Faut-il rendre systématiques les palpations de sécurité dans certains établissements ? Quels compléments technologiques apporter ? Nous pouvons réfléchir à la question des palpations inopinées mais aussi au renforcement de nos équipes cynotechniques. Je pense notamment aux contrôles inopinés, non par palpation mais pour recherche de stupéfiants.

J’ai répondu brièvement en raison du grand nombre de questions. Nous avons à l’esprit tous ces aspects de la problématique, aussi bien l’impact juridique que l’évolution des pratiques professionnelles, mais il faut être conscient de plusieurs contraintes. La conception architecturale de certains établissements, notamment les plus anciens, ne permettra pas d’installer des portiques à ondes millimétriques à l’entrée car la porte d’entrée principale est souvent un espace assez réduit. De plus, les contrôles par palpation de l’intégralité des visiteurs supposent des moyens humains importants, notamment dans les maisons d’arrêt où, le week-end, on doit gérer des flux très importants de familles pour les parloirs. On peut imaginer ce que supposeraient des palpations systématiques à l’entrée de Fleury ou de Fresnes, le vendredi ou le samedi ! C’est pourquoi il faut bien réfléchir à la question du contrôle systématique ou inopiné.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Combien de détenus avons-nous actuellement en France ? Quel est le pourcentage d’hommes et de femmes ? Quel est le pourcentage de mineurs et de majeurs ? Quel est le pourcentage de prisonniers de nationalité française et de prisonniers de nationalité étrangère ? Que pensez-vous de la sous-traitance ou de l’externalisation des missions telle que les extractions judiciaires, voire le contrôle des entrées, pour laisser aux surveillants pénitentiaires leur « cœur de métier » ?

M. Stéphane Bredin. Il y a environ 71 500 détenus, dont 30 % de prévenus, autour de 3 % de femmes, et moins de 900 mineurs. Il doit y avoir entre 21 % et 23 % de détenus de nationalité étrangère, avec une répartition très inégale sur le territoire. Je vous confirmerai ces chiffres par écrit.

Je comprends la question de la sous-traitance ou de l’externalisation, puisque les autres forces de sécurité intérieure évoquent fréquemment la notion de charge indue. La réponse, pour l’administration pénitentiaire, est simple. Depuis 1987, la loi permet déjà d’externaliser toutes les fonctions de l’administration pénitentiaire, sauf trois missions : la direction des établissements, les greffes pénitentiaires, mission régalienne, et la mission de sécurité et de surveillance. C’est, pour le coup, me semble-t-il, le cœur de métier des personnels pénitentiaires que d’assurer la surveillance des personnes détenues, en détention et à l’extérieur quand il faut les accompagner. Ce sont des missions armées et objectivement dangereuses. C’est d’ailleurs pour cela que les effectifs qui y sont consacrés et l’armement octroyé à ces personnels sont renforcés.

Pour les missions de sécurisation périmétrique de nos établissements, le sillon que nous avons creusé depuis quelques années vise à la fois la professionnalisation des équipes de sécurité, le renforcement des moyens techniques, notamment des armements, et le renforcement des moyens juridiques, puisque l’article 12-1 de la loi pénitentiaire, dans sa rédaction issue de la loi du 3 mars 2019, permet désormais au personnel pénitentiaire en mission de sécurisation périmétrique, à l’instar de la police ferroviaire, de retenir un individu appréhendé aux abords immédiats d’un établissement, par exemple pour lutter contre les projections, le temps que l’officier de police judiciaire arrive sur place pour procéder à l’arrestation. Nous souhaitons plutôt renforcer nos moyens pour garantir l’efficacité de ces missions. Des personnels de surveillance en sécurisation périmétrique sans armement et sans pouvoir de retenue ne serviraient à rien.

 

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  Audition du 28 mai 2019

Représentants d’associations de membres de force de l’ordre blessés pendant des opérations de maintien de l’ordre :

– Fondation maison de la gendarmerie (FMG) : M. Jean-Jacques Taché, président, Mme Marie-Hélène Gontaud, vice-présidente ;

– Association indépendante des forces de l’ordre pour la protection et la prévention : M. Didier Jammes, président, M. Serge Evdokimoff, Mme Virginie Montagu,

– Association nationale d’action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l’Intérieur : M. Pierre Cavret, président, M. Philippe Poggi, secrétaire général.

 

M. Joaquim Pueyo, président. Nous recevons aujourd’hui des représentants d’associations de soutien aux forces de l’ordre avec lesquels nous avons souhaité aborder les questions d’aide et de soutien aux membres des forces de l’ordre, notamment à ceux blessés en service.

Je rappelle qu’en application de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes auditionnées par une commission d’enquête prêtent serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, mesdames et messieurs, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous souhaiterions avoir plus particulièrement votre éclairage sur l’accompagnement et l’octroi de la protection fonctionnelle. Il pourrait être intéressant d’étendre la protection fonctionnelle aux fautes non intentionnelles. Je souhaiterais connaître votre point de vue sur ce sujet, ainsi, bien entendu que sur la chaîne d’accompagnement.

M. Jean-Jacques Taché, président de la fondation Maison de la gendarmerie (FMG). Nous avons été élus par le conseil d’administration de la fondation, le 11 décembre 2018, pour occuper ces deux fonctions auparavant exercées par le directeur et par le major de la gendarmerie. Pour faire suite aux préconisations de la Cour des comptes, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a souhaité un « désarrimage » de la direction et de la fondation.

Tous deux bénévoles, nous exerçons donc respectivement les fonctions de président et vice-présidente depuis le 11 décembre. Le désarrimage est complet, même si nous travaillons en partenariat direct avec la gendarmerie, notamment en ce qui concerne l’accompagnement des blessés, mais pas seulement. Nos propos n’engagent donc que nous et en aucune façon l’institution.

La fondation est vieille de 75 ans. Reconnue d’utilité publique, elle a pour principale vocation d’aider, assister, secourir les veuves et les orphelins de la gendarmerie nationale. Elle joue aujourd’hui un rôle de premier plan dans l’accompagnement social des personnes en activité ou à la retraite.

L’action de la fondation s’articule autour de quatre axes : les prestations sociales, avec la délivrance d’aides financières pour le décès et la maladie ; l’accompagnement des militaires lors des congés de longue durée, avec la reconstruction des blessés par le sport – nous avons mis en place cette prestation il y a deux ans pour accompagner des gendarmes lourdement blessés et atteint d’un fort handicap – ; le logement des étudiants au profit des fils de militaires en difficulté financière, et le tourisme social avec la gestion de sept établissements répartis sur l’ensemble du territoire français et l’organisation de centres de vacances.

80 % de nos ressources proviennent de souscriptions de gendarmes car 76 000 gendarmes, actifs et retraités, participent au financement de la fondation. Les 20 % restants proviennent de donateurs.

En 2018, la fondation Maison de la gendarmerie a délivré 3 millions d’euros d’aides sociales

M. Pierre Cavret, président de l’Association nationale d’action sociale (ANAS) des personnels de la police nationale et du ministère de l’intérieur. Retraité de la police, je suis bénévole au sein de l’ANAS. Philippe Poggi, secrétaire général, y occupe un poste important puisqu’il coordonne tous les réseaux, les centres et les colonies de vacances.

L’association est ouverte au ministère de l’Intérieur, à la gendarmerie, aux sapeurs-pompiers, aux polices municipales et au ministère de la Justice. Cette association qui relève de la loi 1901 et est reconnue d’utilité publique depuis 1977, est gérée par un cabinet d’experts-comptables, un commissaire aux comptes et un préfet de tutelle, Michel Cadot, préfet de la région Ile-de-France.

Nous avons 100 délégués départementaux et un maillage de 700 délégués sur toute la France. Notre mot d’ordre est : « Le social par des policiers pour des policiers ». Nous avons mis en place des réseaux : le réseau APEL, le réseau Écoute-toxicomanie et le réseau Alpha-Espoir, qui traite plus particulièrement de la maladie et de l’invalidité.

On qualifie souvent l’ANAS de « Restos du cœur de l’intérieur ». Nous attribuons plus de 80 000 euros de dons par an, 23 000 euros de prêts et il nous arrive de fournir des caddys aux policiers, dont beaucoup sont dans la détresse, ce que l’on ignore généralement. On parle beaucoup des suicides mais on devrait parler aussi des divorces. Le montant total des emprunts est de 249 000 euros.

Notre établissement de santé Le Courbat traite notamment la toxicomanie, mais les récents événements nous ont conduits à y créer le « séjour de rupture », qui consiste à retirer pendant quinze jours de leur service des fonctionnaires fragilisés pour leur permettre de récupérer.

Un service logement d’urgence aide les fonctionnaires qui ont du mal à se loger, notamment à Paris. Nous leur proposons de vivre dans des studettes pour une période de six mois renouvelables. Nous avons aussi un réseau loisirs, huit centres de vacances et deux colonies de vacances.

M. Didier Jammes, président de l’association indépendante des forces de l’ordre pour la protection et la prévention (IFOPP). Nous sommes une toute jeune association, puisque nous l’avons créé en 2017. Opérationnelle depuis peu, elle amorce son développement.

L’association est née de la réunion de trois mondes : le monde médical que je représente, puisque j’ai eu l’honneur de faire partie du groupe médical d’intervention du RAID pendant dix ans, période au cours de laquelle j’ai eu le plaisir de travailler avec le commissaire Evdokimoff, présent à mes côtés, et le monde de l’assurance, représenté par Virginie Montagu. Nous sommes partis de notre expérience de terrain, de mon expérience médicale et de ma découverte de l’univers de la police.

En tant que médecin, on est un confident et j’ai assisté à des drames psychologiques et sociaux touchant des fonctionnaires et leurs familles, particulièrement lorsqu’ils sont mis en cause. Il ne vous a pas échappé, et l’actualité récente le prouve, que ces mises en cause sont malheureusement de plus en plus fréquentes. Cette association a été créée dans le but de « protéger ceux qui nous protègent », un slogan certes un peu « choc » mais correspondant à la réalité et que nous allons pouvoir décliner sur le thème de la protection fonctionnelle.

Permettez-moi une analogie avec le monde de la médecine. Imaginez que, dans le climat de judiciarisation médiatique actuel, moi, médecin réanimateur en salle de déchocage d’urgence vitale, avant d’effectuer chacun des gestes où je peux décider de la vie ou de la mort de quelqu’un, une épée de Damoclès soit suspendue au-dessus de ma tête, que je sois filmé, soumis à la pression des familles, des amis, de témoins plus ou moins bienveillants. Imaginez que si je commettais la moindre erreur ou, a fortiori, une faute, éventualité à laquelle aucun humain ne saurait échapper, je puisse me retrouver dans les heures qui suivent dans le bureau du directeur de mon hôpital avant d’être, dès le lendemain, convoqué par un juge qui pourrait me mettre en examen, voire m’emprisonner. Si tel était le cas, nous n’aurions plus beaucoup de médecins dans les hôpitaux. Eh bien, l’association est née du constat d’une présomption de culpabilité de la part des forces de l’ordre, dans la mesure où l’instantanéité de la réponse les prive des droits de la défense les plus élémentaires, les plonge dans le drame et dans l’isolement. Si on y ajoute une grande naïveté et une grande méconnaissance par les collègues des systèmes de protection, on aboutit à des drames.

La situation dans le monde médical est bien différente puisque si je commets une faute ou une erreur professionnelle, c’est mon hôpital qui est attaqué devant le tribunal administratif, ma responsabilité individuelle ou pénale ne pouvant être mise en cause, à de rares exceptions près, s’il est avéré dès le départ qu’un crime a été commis. Parfois, le médecin n’est même pas convoqué et l’affaire se règle entre avocats. L’administration de la santé a d’ailleurs délégué la protection fonctionnelle à des assureurs privés.

L’association est donc née pour combler un vide juridique, en vue de rétablir la présomption d’innocence pour nos collègues, de leur donner tout simplement le droit de se défendre. Elle a pour membres fondateurs Ange Mancini et d’autres figures de la police. Elle est dotée d’un comité d’éthique, et est capable de donner accès à une assurance multirisque adaptée, innovante, répondant aux trois piliers dont nos collègues ont besoin dans ces situations : l’assistance juridique, normalement assurée par la protection fonctionnelle mais malheureusement très souvent absente pour de multiples raisons ; une assistance financière destinée à compenser les pertes de salaires dues aux suspensions, souvent aléatoires et pas toujours contradictoires, et un volet psycho-social, car dans mes fonctions de médecin, j’ai assisté à ces drames. J’ai vu des familles s’écrouler en quelques heures ou quelques jours autour d’un homme ou d’une femme souvent issu d’une famille de policiers ou d’une famille de gendarmes. Une assistance de gestion de crise est destinée à une interface avec les médias. Nous prévoyons également des gardes d’enfants, pour les premiers jours, et un système de nettoyage de l’e-réputation sur le web et les réseaux sociaux. C’est souvent la double peine, en effet : alors que beaucoup ne sont finalement pas condamnés après, en moyenne, 24 mois de procédure, il restera pendant des années des traces indélébiles de leur mise en cause sur le web. Nous leur proposons un produit qui est coûteux pour nettoyer le web et les réseaux sociaux et permettre à ceux qui ont quitté la police, la gendarmerie ou la police municipale, de retrouver un travail.

M. Joaquim Pueyo, président. De nombreux policiers dénoncent la difficulté d’accès à la protection fonctionnelle, en raison de procédures complexes. Certains réclament une meilleure protection en cas de faute non intentionnelle. Quelles sont vos recommandations dans ce domaine ? Estimez-vous que la protection fonctionnelle doit s’étendre à une assistance psycho-sociale ?

M. Didier Jammes. Après avoir passé du temps à comprendre le fonctionnement de la protection fonctionnelle, cela reste encore nébuleux. Elle est en tout cas aujourd’hui insuffisante. Le besoin est évalué à environ 10 millions d’euros est très sous-estimé. La méthodologie d’attribution est aléatoire, subjective et pas du tout contradictoire. Les formalités d’obtention sont très complexes. Le délai de réponse est de deux mois, le silence valant refus, ce qui est tout de même particulier. Son octroi dépend de paramètres qui échappent totalement aux fonctionnaires ; ils relèvent pour partie de la hiérarchie et pour partie d’une discussion quasi philosophique sur la notion de faute. Nous en avons longuement débattu avec le comité d’éthique ? Qu’est-ce qu’une faute intentionnelle, non intentionnelle, détachable du service, déontologiquement acceptable ?

Nous avons tranché en disant que, faute d’avoir été présents dans les premières heures et de pouvoir bénéficier de quelque élément objectif que ce soit, nous ne pouvions porter un jugement avant le jugement. Cette protection est aléatoire et la plupart du temps refusée. Elle doit donc être impérativement renforcée. Pour la renforcer, il faut y adjoindre une part de couverture privée, parce qu’il est très difficile pour l’administration, souvent prise entre deux feux, de ne pas se protéger médiatiquement de certaines accusations. Aujourd’hui, personne ne peut aider un fonctionnaire ainsi mis en cause. Oui, il faut renforcer de façon majeure et modifier considérablement la protection fonctionnelle ! Elle est aujourd’hui inadaptée.

M. Joaquim Pueyo, président. L’association que vous présidez entend-elle faire intervenir une mutuelle ?

M. Didier Jammes. Tout à fait, et il est important de le préciser. Tout le monde a approuvé notre projet tout en nous mettant en garde contre la défense de l’indéfendable. L’administration se protège médiatiquement contre les rares cas qui ont dérapé mais tous ceux qui ont travaillé dans le monde de la police savent que l’immense majorité de nos collègues sont des héros qui remplissent une mission exceptionnelle pour nous protéger en mettant leur vie en jeu. Certains dérapent, mais est-ce une raison pour leur interdire la présomption d’innocence ? Nous ne le pensons pas. Pour faire accepter le principe de la prise en charge multirisque, nous l’avons adossée au garde-fou que constitue la présence d’une association qui, au travers de son comité d’éthique peut, à l’issue de la procédure, couper les droits d’un collègue qui aurait dérapé. On nous a demandé de réaliser ce montage, afin qu’un assureur ne soit pas en prise directe avec ce collègue et qu’une interface puisse verrouiller le dispositif. Aujourd’hui, personne n’est à l’aise : l’administration est très mal à l’aise, les syndicats sont très mal à l’aise et le fonctionnaire mis en cause est seul et vit un drame.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je vous félicite pour votre engagement qui vient se substituer à ce que devrait être la réponse du ministère de l’intérieur pour accompagner de nos forces de l’ordre. Précisément, quelle assistance est apportée par le ministère aux familles des membres des forces de sécurité blessés dans leurs fonctions et quelles relations directes entretenez-vous avec celui-ci ?

M. Pierre Cavret. Je rappelle que certains comparent le chemin vers le suicide à un vase qui se remplit goutte après goutte et qui déborde avec la dernière. Je ne vois donc pas comment on pourrait dissocier l’assistance juridique de l’assistance psycho-sociale.

M. Didier Jammes. Nous sommes partis du sommet pour respecter toutes les étapes. Nous avons évidemment contacté la direction générale de la police nationale (DGPN) et la direction de l’administration de la police nationale (DAPN) et nous avons obtenu un certain nombre d’accords pour diffuser l’existence de notre association. Mais nous rencontrons de réelles difficultés pour faire connaître ce produit totalement novateur au sein de la police. Nous espérons être aidés. Nous avons commencé à envoyer des communications dans les écoles, mais nous n’avons pas droit, comme certaines mutuelles, à un créneau horaire pour exercer une fonction d’éducation auprès des plus jeunes, qui sont les plus fragiles. Idéalement, il faudrait commencer par leur expliquer ce qu’est une mutuelle, une assurance professionnelle, une prévoyance. Ils se croient protégés par tout le monde et ils ne sont protégés par personne.

Mme Aude Bono-Vandorme. En tant que rapporteure du budget de la gendarmerie, je m’adresse aux représentants de la fondation Maison de la gendarmerie, que je connais bien. Bravo pour ce que vous faites ! Vous dites avoir mis en place depuis deux ans une restructuration par le sport. Pourriez-vous en dire plus et nous donner une idée des effectifs de votre association. Quel est le nombre de veuves ? Quel est le nombre de suicides ?

M. Jean-Jacques Taché. Nous travaillons en liaison avec le bureau d’action sociale et avec le ministère des armées. Nous avons mis en place, il y a deux ans et demi, des stages dits de reconstruction par le sport, d’une durée de deux semaines, pour les blessés graves de la gendarmerie. Ces stages réunissent une douzaine de gendarmes souvent lourdement handicapés. Nous essayons de répondre à leurs besoins et à leurs attentes par le sport. Ils sont accompagnés par des médecins psychiatres, des psychologues et des accompagnateurs sportifs. L’originalité, c’est que, pendant la deuxième semaine, un gendarme d’active gravement blessé est toujours accompagné par sa famille. C’est le cinquième stage cette année. Nous ne pouvons malheureusement en organiser que deux par an. Notre ambition est d’en faire profiter plus de gendarmes, puisque nous avons 7 500 blessés, de moyens à très lourds en organisant de trois ou quatre stages par an. Mais cela doit procéder aussi d’une intention volontaire du blessé. Une importante communication est faite par l’encadrement.

Je ne suis pas insensible aux propos de M. Jammes et de M. Cavret au sujet de la protection fonctionnelle, à la fois protection juridique et accompagnement psychologique, mais en raison des comparutions immédiates qui nécessitent un accompagnement immédiat et la présence d’un avocat, les délais ont été réduits. Quand j’étais commandant de la région de gendarmerie de Poitou-Charentes, nous mettions en place une protection juridique en moins de 48 heures pour répondre aux besoins des comparutions immédiates. Des améliorations peuvent être apportées. Par ailleurs, les gendarmes motocyclistes bénéficient rarement de la protection fonctionnelle, parce qu’ils sont victimes de fautes non intentionnelles.

M. Joaquim Pueyo, président. Quelles relations entretenez-vous avec le ministère de l’intérieur ? Dans quelle mesure pourraient-elles être renforcées ?

M. Pierre Cavret. Nous avons un établissement de santé d’une capacité de 82 lits qui n’en ouvre que 56. Quand j’étais policier, il existait l’hôpital des gardiens de la paix. Pourquoi ne pas créer quelques lits pour nos gendarmes et policiers blessés. Des lits inoccupés pourraient répondre à ce besoin. Nous saisissons le ministre de l’Intérieur de cette demande depuis plusieurs années.

Avec le ministère de l’intérieur, nous sommes couverts par une convention, mais nous voudrions faire plus. Récemment, notre maison de santé a signé une convention avec le ministère de la Justice pour faciliter les échanges. Nous allons enfin obtenir la signature d’une convention entre la police nationale et notre maison de santé, ce qui va peut-être permettre cette ouverture de lits.

M. Didier Jammes. Compte tenu du caractère novateur de notre projet, nous avons reçu un accueil très favorable de la DAPN et de la DGPN, mais la déclinaison opérationnelle est plus compliquée. Nous avons obtenu l’autorisation du ministère de l’Intérieur pour agir selon trois axes. Le premier, ce sont les écoles, mais nous n’avons pas l’autorisation d’y délivrer officiellement des informations, à la différence de certaines mutuelles. Le deuxième axe est le travail de terrain - lorsqu’on se déplace pour fournir des explications à nos collègues, ils comprennent, adhèrent au principe de protection et à la participation financière à cette protection. Le troisième axe vise à se faire connaître par les syndicats, mais nous nous heurtons à l’absence de déductibilité fiscale des cotisations, car notre jeune association n’est pas encore reconnue d’utilité publique.

Nous pensons que ce produit est la trousse de secours du fonctionnaire aujourd’hui. De même que l’on part en intervention avec une trousse de premier secours, de même doit-on partir avec une trousse de premier secours juridique et psycho-sociale. C’est dans cet esprit que nous avons créé ce produit. Ce n’est pas mon métier, mais il me semble que ce serait un juste retour de prévoir une participation de la nation, sous forme d’une prise en charge totale ou partielle de la cotisation. Quand on gagne 1 800 ou 2 000 euros par mois et qu’il faut ajouter, en plus de tout le reste, 17 ou 18 euros pour se protéger, il me semblerait juste que ce produit, parfaitement adapté, soit au moins partiellement pris en charge par la société.

M. Rémi Delatte. Intervenez-vous également pour la gendarmerie ?

M. Didier Jammes. Nous avons encore peu d’adhérents dans la gendarmerie. La police était notre cœur de cible initial, parce que c’est l’univers que nous connaissions le mieux, mais le produit est parfaitement adapté pour la police municipale et pour la gendarmerie. Il concerne les forces de l’ordre en général. Nous avons même commencé à réfléchir à la problématique de la force Sentinelle et à l’activité civile des forces militaires actuellement dans la rue.

M. Pierre Cavret. Il a encore été peu question des suicides. On en dénombre déjà cette année vingt-huit dans la police et cinq dans la gendarmerie, soit un niveau que nous n’avions plus atteint depuis dix ans.

Le ministère de l’intérieur, via une convention, progresse en direction de la maison de santé. On pourrait s’appuyer sur le maillage des associations existantes –700 délégués qui ont l’habitude de travailler en amont. Là aussi, il serait temps que l’ANAS participe à une table ronde à ce sujet avec le ministère de l’Intérieur. Nous pourrions apporter notre savoir-faire dans ce domaine.

M. Joaquim Pueyo, président. Le suicide a déjà été abordé à plusieurs reprises par notre commission d’enquête et c’est sans doute pourquoi la question n’a pas été posée. Nous nous préoccupons de la prévention ainsi que de l’accompagnement des familles et de nos collègues. Dans ma circonscription, un policier s’est suicidé il y a un peu plus d’un an. Je mesure donc ce que cela représente en termes de prévention et d’explication.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Notre thématique est différente de celle de la commission sénatoriale, qui portait principalement sur les risques psycho-sociaux. Cette commission d’enquête a pour thème les missions et les moyens. Néanmoins la question du suicide et du mal-être au travail revient régulièrement dans nos différentes auditions et nous l’avons posée à tous nos interlocuteurs.

M. Rémi Delatte. Face à l’augmentation du nombre de suicides dans les forces de sécurité, une analyse des causes a-t-elle été réalisée ? Est-ce qu’on sent aujourd’hui une pression beaucoup plus forte, liée à une suractivité des personnels de sécurité ?

 (Mme Aude Bono-Vandorme, vice-présidente de la commission, remplace M. Joaquim Pueyo à la présidence.)

M. Pierre Cavret. Nous savons tous que la fatigue provoquée par les services répétitifs le week-end a des retombées sur la vie familiale, ce qui n’est évidemment pas de nature à réduire le taux de suicide dans la police. De plus, nous savons tous qu’un policier n’aime pas montrer sa faiblesse à l’extérieur et se confie difficilement à sa hiérarchie ou à une personne extérieure. C’est pourquoi a été créé le « séjour de rupture » qui consiste à aller chercher quelqu’un de fragilisé pour l’admettre dans notre maison de santé. Il faut savoir s’adapter aux événements actuels.

M. Serge Evdokimoff, membre fondateur de l’Association indépendante des forces de l’ordre pour la protection et la prévention (IFOPP). Vous avez déjà entendu certains de mes collègues parler du malaise dans la police. Je connais moins la gendarmerie, mais j’ai été 41 ans dans la police nationale, dont dix ans au RAID. J’appartiens à la sécurité publique et à la police judiciaire.

Je constate la conjonction des difficultés de la vie quotidienne et celles liées aux missions. Dans la vie quotidienne, les policiers ont les mêmes contraintes que nos concitoyens, sauf qu’ils travaillent de nuit et sont souvent célibataires géographiques. Ils peuvent avoir leur famille dans le sud et venir travailler à Paris.

Quand on est policier, on est seul, on a une aide au logement mais très insuffisante. À Paris ou dans la région parisienne, on habite souvent à quelques dizaines de kilomètres de distance du lieu de travail.

Vous le savez, la police participe à des dispositifs d’insertion sociale. En tant que directeur adjoint d’une école, j’ai vu arriver des cadets de la République adjoints de sécurité. Nous adhérons entièrement à ce dispositif, mais je suis frappé par leur fragilité. Certains arrivent à passer à travers les mailles du recrutement, mais dès qu’ils deviennent apprentis, ils sont confrontés à la dureté du métier.

Il ne vous a pas échappé non plus que le métier de policier s’est dégradé. Lors du mouvement de grogne de la police, le préfet Lauga est venu à l’école de Nîmes. En présence de tous les représentants des personnels, je me suis permis de lui dire que le mal de la police résultait de trois manques. Le premier est un manque de moyens. Le deuxième est un manque de sens. Il est important de se sentir utile. Lorsque vous faites des procédures qui demandent des heures de rédaction mais dont l’aboutissement n’est pas perceptible, vous finissez par avoir une autre vision de votre métier. Durant mes 41 ans d’appartenance à la police, j’ai été frappé par la générosité des collègues, même s’il y a dans la police certains qui n’ont rien à y faire. Nous revérifions ce que l’Éducation nationale aurait dû vérifier, alors que nous devrions nous appliquer au savoir-être. Le troisième est le manque de reconnaissance. Je ne m’exprimerai pas au nom des gendarmes, même j’ai toujours essayé de construire en commun. Mais j’ai vu la souffrance des collègues, j’ai vu des pleurs, j’ai vu du sang, j’ai vu des cadavres. Je peux vous dire que le malaise est profond. En école, j’essayais modestement de faire des jeunes des fonctionnaires forts, des fonctionnaires modernes, des agents de l’État au plus haut niveau. Or un fonctionnaire efficace est un fonctionnaire responsable, soucieux peut-être d’avoir le dernier iPhone à la mode mais attentif surtout à sa boîte à outils professionnelle juridique, à sa propre protection, à la « trousse de secours », comme on l’a appelée tout à l’heure. Ainsi, il participera à l’effort de la nation et s’insérera dans un ensemble cohérent.

Le plus humble d’entre nous a besoin de reconnaissance. Dans la police, on appartient à un corps mais on attend simplement de s’entendre dire : ce que vous avez fait est bien. Cela vaut toutes les primes du monde, même si la prime fait plaisir au conjoint.

Je suis peut-être un peu sorti du débat mais le malaise est réel. Vous n’avez sans doute pas attendu ma venue pour le savoir.

J’ajoute qu’en entendant certains propos à la télévision je me sens très frustré. Le temps judiciaire n’est pas le temps des médias. Même lorsqu’un policier est réhabilité, pendant le temps d’instruction, il aura été broyé, parce qu’on l’aura vu à la télévision une image sortie du contexte. La famille ressent une frustration. Il a l’impression que sa hiérarchie ne le soutient pas, alors qu’elle le soutient dans l’ombre, compte tenu des procédures. Or l’immédiateté serait nécessaire. On ne fait pas un point de compression trois jours après un accident.

M. Pierre Cavret. J’évoquerai aussi le manque d’effectifs. Lorsqu’on a commencé à ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux, on a réduit les effectifs de police. Les compagnies de CRS intervenaient habituellement à quatre sections, soit environ 120 fonctionnaires, elles interviennent maintenant à trois sections. Il manque au moins 1 000 CRS en comparaison des effectifs précédents. Il ne faut donc pas s’étonner d’une surchauffe en matière d’emploi. Je reconnais qu’actuellement, les effectifs sont en hausse, ce qui provoque une surchauffe dans les écoles. Peut-être faudrait-il ouvrir des écoles de police.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Il y a une prise de conscience réelle et les choses vont dans le bon sens, pour la police comme pour la gendarmerie.

M. Didier Jammes. Je ne suis pas psychiatre mais urgentiste et on est souvent confronté à des cas de suicide en réanimation. Dans l’univers professionnel, le suicide présente la particularité d’être souvent réactionnel. Il peut survenir inopinément de manière brutale chez des gens qui n’avaient encore jamais manifesté aucun signe. La seule façon de le prévenir, c’est de prévoir une certaine automaticité. Dans l’univers de la police, marquée par le complexe du surhomme, surtout dans les groupes d’intervention, les personnels se voient indestructibles. Il nous revient d’agir en prévention, en synergie du travail réalisé par l’ANAS. Que l’on soit gendarme ou policier, la problématique est la même. Si l’on veut prévenir, il faut exclure l’attente d’une demande de la part des personnels. Le kit de secours, c’est l’administration qui doit leur fournir pour qu’ils l’aient à disposition dès les premiers signes et ne se retrouvent pas seuls. La plupart du temps, c’est l’isolement qui crée le passage à l’acte.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Là aussi, quelques dispositifs mis en place depuis peu font leurs preuves. On parvient à pallier un peu ces drames.

 

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  Audition du 28 mai 2019

M. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC), et M. Pierre-Philippe Padrines, référent professionnel pour la police municipale.

 

M.  Joaquim Pueyo, président. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur la question des polices municipales par l’audition de représentants du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC).

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous souhaiterions vous entendre sur votre statut, vos différentes missions – mais également celles que vous pourriez effectuer –, l’armement, la collaboration avec la police nationale et la gendarmerie nationale et la mise en place d’une école nationale de police municipale.

M. Pierre-Philippe Padrines, référent professionnel CFE-CGC pour la police municipale. Je suis chef de service d’une police municipale en région parisienne. J’ai intégré la fonction publique territoriale il y a trente-cinq ans et j’exerce des activités syndicales depuis une trentaine d’années ; j’ai ainsi suivi l’évolution de la profession sur trois décennies – pendant laquelle nous sommes passés de 5 000 à 23 000 policiers municipaux.

Nous attendons beaucoup de cette commission d’enquête, notre avenir en dépendra. Nous vous parlerons des équipements, mais ce qui nous tient le plus à cœur, c’est la formation ainsi que notre positionnement actuel dans le paysage de la sécurité intérieure. Nous ne savons pas ce que l’on attend de nous ; nous avons donc, nous aussi, des questions à vous poser.

M. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC). Je suis chef de service d’une police municipale importante. Je suis un pur produit de la police municipale. En sortant de l’université, j’ai choisi d’intégrer le corps de police qui devait se développer, la police de proximité par excellence, avec l’idée de construction, tout en restant proche des administrés. Je suis passé de la catégorie C à la catégorie B, j’ai encadré un certain nombre de structures dans le nord de Paris, et je suis maintenant basé dans l’Est de la France. J’ai également une bonne connaissance du monde de la nuit, puisque j’ai encadré des brigades de nuit durant un certain nombre d’années. Enfin, depuis une dizaine d’années, depuis l’assassinat d’Aurélie Fouquet, je me suis engagé syndicalement.

Au gré des gouvernements et des rapports, les missions de la police municipale ont été définies. Le rapport Ambroggiani, notamment, nous avait enthousiasmés, le préfet donnant l’impression de comprendre les tenants et les aboutissants de la police municipale, ainsi que ses attentes et ses enjeux. De nombreuses annonces ont été faites depuis, mais le contexte s’est précipité avec, en 2015, les attentats terroristes, et le développement par la police municipale d’un certain savoir-faire.

Si la France compte 3 600 services de police municipale, certaines villes comme Marseille ou Nice disposent de 500 ou 700 agents, alors que certaines communes n’emploient qu’un seul policier municipal – la Creuse n’en compte aucun. Le contraste est énorme. Un effort de formation a été réalisé pour ces 23 000 policiers municipaux, même la marge de progression reste évidente.

La question principale est la suivante : quel rôle vont jouer ces policiers, dans le paysage de la sécurité publique, dans les années à venir ?

La demande de notre syndicat de participer à ce débat était motivée par l’envie de vous faire part de notre ressenti, sachant que nous avons mené une enquête auprès de nos adhérents en début d’année 2019. Nous connaissons ainsi les attentes et les questionnements de la base.

M. Joaquim Pueyo, président. La police municipale intervient sur des secteurs d’intervention de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, selon les villes. Des conventions sont, en général, signées entre la collectivité et la police ou la gendarmerie ; pensez-vous que ces conventions précisent suffisamment bien le rôle de chaque force ?

Par ailleurs, que pensez-vous des équipements des policiers municipaux ? Souhaiteriez-vous qu’ils soient identiques – dans toutes les communes – ou préférez-vous que le choix soit laissé à chaque collectivité d’en décider ?

M. Pierre-Philippe Padrines. Le principe de libre administration des communes permet aux polices municipales d’être dotées d’équipements totalement différents, voire disparates, d’une commune à l’autre. Mais ce principe permet aussi à un maire de bien équiper sa police.

Récemment, les polices municipales ont été dotées de pistolets semi-automatiques 9 millimètres – des pistolets que nous n’avions plus depuis quelques années. Nous sommes également équipés de lanceurs de balles de défense (LBD), une arme qui fait polémique. Sachez que nous n’en sommes pas friands, la police municipale n’étant pas chargée de faire du maintien de l’ordre – et nous y tenons. Cette arme n’est donc pas appropriée à nos fonctions.

En revanche, je suis favorable à l’armement de toutes les polices municipales, notamment depuis les tragiques événements dont ont été victimes Aurélie Fouquet, Clarissa Jean-Philippe et d’autres collègues, qui ont été moins médiatisés. Nous devons pouvoir nous défendre légitimement, dans un cadre légal, bien entendu.

Dans ce domaine, la formation que nous avons suivie me semble appropriée. Nos moniteurs en maniement des armes (MMA) sont formés par la gendarmerie et la police nationales ; la formation est sélective et sévère. Un maire qui souhaite armer sa police peut se donner les moyens de l’entraîner au tir de façon régulière.

Concernant l’équipement, nous disposons de ce dont nous avons besoin – gilets pare-balles, armes de poing, etc. Certaines polices municipales réclament des armes d’épaule, notamment depuis l’attentat de Nice, certains prétendant que le camion aurait pu être arrêté si les policiers avaient eu ce type d’arme. Il s’agit d’un débat dans lequel je ne m’engagerai pas, d’autant que l’armement dont nous disposons me paraît suffisant. Bien entendu, les policiers doivent être formés, et ils le sont ; je ne pense pas qu’un maire serait assez « fou », si j’ose m’exprimer ainsi, pour affecter des policiers armés sur la voie publique sans formation.

Concernant les véhicules, les motos ou d’autres matériels, nous pouvons avoir à peu près tout ce que nous voulons, tout est une question de moyens. En revanche, les policiers sont insuffisamment spécialisés. Certains motocyclistes n’ont pas reçu de formation digne de ce nom, par exemple. Il existe des prémices de formation en première couronne, délivrées par nos amis de la police nationale, mais elle ne dure qu’une quinzaine de jours. De même, s’agissant des brigades cynophiles de la police municipale, je cherche encore le cadre légal ; il conviendrait de le préciser.

M. Matthieu Volant. Syndicalement parlant, notre position concernant l’armement est claire. Nous demandons que soient appliquées les dispositions du code du travail : tout employeur est censé fournir à son employé les outils de travail nécessaires à la fonction qu’il exerce ; les équipements de protection, par exemple, font partie de nos outils de travail.

Nous souhaitons qu’un minimum non négociable soit imposé, lorsqu’un maire décide de doter la commune d’une police municipale. Un agent de police municipale, avec un uniforme, qui patrouille dans sa commune, représente l’ordre ; de fait, on ne sait pas ce qui peut se passer. Or un certain nombre d’agents patrouillent encore aujourd’hui sans ce que nous pensons être le minimum, à savoir un générateur de gaz incapacitant, un bâton de défense et un gilet pare-balles – je ne parle même pas d’une arme. Nous demandons simplement le respect du code du travail, et du bon sens, pour que les agents puissent patrouiller avec le matériel nécessaire à leur fonction.

Par ailleurs, le maire doit actuellement justifier le non-armement, en catégorie B, de sa police municipale. Nous aimerions que cette question soit débattue avec des spécialistes, afin de définir le bon positionnement à adopter au sein de la commune.

Mme Nicole Trisse. Messieurs, je souhaiterais que vous développiez un peu plus la nature de vos fonctions au sein de la police municipale.

M. Pierre-Philippe Padrines. Nous sommes agents de police judiciaire adjoints, selon l’article 21 du code de procédure pénale. Nous avons en charge, sur le territoire communal, le bon ordre, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publique. J’insiste sur le terme « bon ordre », puisque nous ne faisons pas de maintien de l’ordre – même si, nous l’avons vu récemment, lors des manifestations, la frontière est fine. Certaines polices municipales ont été obligées de s’engager auprès de la police nationale, en renfort, et auraient pu connaître quelques problèmes. Heureusement, cela s’est bien passé dans l’ensemble.

La police municipale est une police républicaine, issue de la révolution française. Le maire dispose des pouvoirs de police judiciaire et nous sommes sous sa responsabilité. Le cadre légal est très strict, je ne pense pas qu’il y ait plus strict.

Nous intervenons sur différents incidents, ce qui est intéressant : un accident de la circulation, un malaise sur la voie publique – si nous avons suivi la formation – des différends familiaux, etc. Si je puis m’exprimer ainsi, je dirais que la police nationale et la gendarmerie nationale sont la mutuelle générale et les polices municipales, les mutuelles complémentaires. Nous devons harmoniser notre travail, de façon positive. Nous ne tentons pas de concurrencer nos collègues de la police nationale et de la gendarmerie ; ce n’est ni notre rôle ni notre volonté. Cependant, nous devons trouver notre place, ce qui est compliqué en ce moment ; d’où un certain malaise.

Mme Nicole Trisse. Pour quelles raisons avez-vous du mal à trouver votre place ? Est-ce par rapport à la police nationale, la gendarmerie nationale ou parce que vous n’êtes pas équipés de façon adéquate ?

M. Matthieu Volant. Non, cela se situe à l’échelon supérieur. Pierre-Philippe Padrines et moi-même faisons partie de l’encadrement des polices municipales. C’est à cet échelon que nous questionnons notre positionnement par rapport aux autres forces de sécurité publique.

La convention de coordination a le mérite d’exister. Il s’agit d’un premier outil qui permet d’établir un dialogue constructif, sachant qu’elle devait être rediscutée chaque année. Il s’agissait, dans un premier temps, d’un socle d’échanges visant à répartir les rôles, puis à faire le bilan et à les réajuster.

Mais le contexte s’est durci. Une première fois lors de la Coupe du monde, une deuxième avec les attaques terroristes et enfin une troisième fois avec le mouvement des « Gilets jaunes ». Qui fait quoi ?

Il n’est évidemment pas prévu que la police municipale fasse du maintien de l’ordre, pourtant des polices municipales se retrouvent en situation de maintien de l’ordre. L’apport de la police municipale a été déterminant dans un certain nombre de situations qui dégénéraient. Un apport dont tout le monde s’accorde à dire qu’il a été valable.

Nous avons du mal à retrouver au quotidien le « partenariat à la coproduction de sécurité publique », décidé il y a quelques années. Il nous est demandé, sans que nous puissions en discuter, d’accomplir telle ou telle tâche, non prévue dans la convention de coordination. La commune fait profil bas, accepte et rien n’est discuté. Nous souhaitons retrouver ce côté partenarial.

Depuis le mouvement des gilets jaunes, tous les samedis des ordres sont donnés ; avec cette subtilité entre le bon ordre et le maintien de l’ordre. Une fois que les manifestants ont détourné le dispositif et que nous nous retrouvons face à eux… Est-ce du bon ordre ? Du maintien de l’ordre ? La frontière est franchie et nous sommes bien obligés d’agir. En résumé, un certain nombre de théories ne résistent pas à l’expérience de la pratique.

Par ailleurs, certains circuits, dans les communes, font que M. ou Mme la commissaire s’adresse directement au cabinet du maire, qui ne sait pas obligatoirement de quoi il est question, puis cela redescend et la police municipale se retrouve sur le terrain sans savoir quoi faire. Les circuits ne sont pas encore en place dans de nombreuses communes.

Je citerai un autre exemple. Depuis les attentats de Nice, la période estivale est plus sérieusement encadrée. Or dans certains territoires, la police nationale ou la gendarmerie décide du dispositif et la police municipale doit obéir, sans pouvoir en discuter. Ce n’est pas l’esprit de la convention de coordination lorsqu’elle a été pensée.

Telles sont les raisons qui nous poussent à dire que nous sommes aujourd’hui au milieu du gué. Mais nous pensons également que nos interlocuteurs, par manque de culture, ne savent pas exactement dans quel sens aborder la question de la police municipale.

M. Olivier Gaillard. Vous nous dites que la police municipale a du mal à trouver sa place. L’évolution des territoires, et notamment les intercommunalités, a poussé certains élus à demander la création d’une police intercommunale, parfois au détriment de la police municipale. Et j’ai pu constater, par ailleurs, que la création d’une police intercommunale, avait eu pour conséquence la diminution des effectifs de la gendarmerie nationale – par exemple.

Avez-vous constaté cette situation ? Et plus généralement quelles évolutions avez-vous pu constater – positives et négatives – après la création d’une police intercommunale ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il existe, aujourd’hui, des agents de police municipale, des agents de sécurité de la voie publique (ASVP) et des gardes champêtres. Pensez-vous qu’il serait intéressant de les regrouper ?

Ensuite, pensez-vous que la création d’une école nationale de police municipale serait une bonne chose ?

Enfin, les missions de la police municipale devraient-elles être élargies – je pense notamment au contrôle d’identité ? Les agents municipaux doivent attendre plusieurs minutes que la police nationale arrive pour effectuer le contrôle d’identité et ils n’ont pas le pouvoir de retenir l’individu. Il y a là une vraie question.

M. Pierre-Philippe Padrines. Matthieu Volant et moi sommes formateurs au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et, en ce qui me concerne, il y a plus d’une vingtaine d’années que je réclame, à mon humble niveau, une formation dans une école de police municipale. Même apprendre à s’habiller est nécessaire, car nous devons être « beaux » sur la voie publique – la police nationale, les pompiers et la gendarmerie apprennent cela. La création d’une école ou d’un centre de formation est donc pour nous indispensable pour recevoir une formation digne de ce nom. Même si, six mois de formation pour des agents de police judiciaire adjoint nous paraissent être une durée correcte.

S’agissant du contrôle d’identité, je pense que, outre le maire, nous n’aurons jamais d’officier de police judiciaire (OPJ) en police municipale, et je n’en vois pas l’intérêt. Nos OPJ de tutelle sont les fonctionnaires de la gendarmerie et de la police nationale.

Le contrôle d’identité, régi par l’article 78-2 du code de procédure pénale, fait l’objet d’un vaste débat dans la police municipale. En ce qui nous concerne, pour contrôler une personne, une infraction doit avoir été commise – article 78-6 ; nous ne pouvons pas procéder à un contrôle d’identité de façon impromptue. Par ailleurs, si je ne me trompe pas, un contrôle d’identité doit être effectué sous le contrôle d’un magistrat.

Enfin, concernant les trois fonctions, l’ASVP est un employé communal – il n’est ni policier municipal, ni garde champêtre – qui peut être un agent technique, administratif, ou du patrimoine. Sur demande du maire, il doit être agréé par le procureur de la République et assermenté par le juge du tribunal d’instance.

Beaucoup de maires choisissent, par facilité, d’engager des ASVP – peut-être parce qu’ils sont moins payés, et je pèse mes mots – pour mettre du bleu marine sur la voie publique. Mais ils ne disposent pas des pouvoirs de police des policiers municipaux.

Les gardes champêtres, c’est différent. Il s’agit d’une ancienne structure, qui, me semble-t-il, sont OPJ. Ils représentent la police des campagnes et nous souhaiterions les voir intégrer le corps de la police municipale, avec leurs pouvoirs de police rurale. Ils sont peu nombreux, peut-être 1 500.

M. Matthieu Volant. L’idée de voir les polices municipales devenir des polices territoriales, à savoir un niveau de taille critique, répondrait à un certain nombre de problèmes que nous rencontrons aujourd’hui.

Les sapeurs-pompiers ont connu cette situation, il y a une trentaine d’années : ils sont passés d’agents communaux à agents départementaux. Sans aller aussi loin, nous pensons qu’une rationalisation de l’organisation de la police municipale en France doit passer par cette évolution. L’accès à la sécurité est d’ailleurs une disposition du préambule de la Constitution.

Nous pensons que les administrés ont tout à gagner à une nouvelle organisation des polices, à l’échelon territorial. Je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la majorité des polices municipales, en France, ne compte qu’un seul agent. Or, entre sa formation initiale, la formation continue et ses repos, il est très peu présent dans la commune ; cette organisation n’est pas satisfaisante. En revanche, une mutualisation des moyens et des effectifs permettrait une plus grande présence de la police de proximité, à savoir la police municipale, sur la voie publique.

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  Audition du 28 mai 2019

MM. Jean-Luc Woyciechowski, Romain Janson et Hervé Bénazéra, gardes champêtres.

 

M. Joaquim Pueyo, président. Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition consacrée aux gardes champêtres, sujet que nous n’avons pas encore abordé, en accueillant M. Jean-Luc Woyciechowski, responsable d’une brigade verte et responsable du service juridique dans une organisation syndicale généraliste de la fonction publique territoriale, de M. Romain Janson, garde champêtre chef, et de M. Hervé Bénazéra, enquêteur environnement et urbanisme, chef de brigade.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent serment)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaiterais que vous nous indiquiez d’abord l’origine du statut de garde champêtre et la façon dont vous envisagez son évolution ?

M. Hervé Bénazéra, enquêteur environnement et urbanisme, chef de brigade. Je vous remercie de donner la parole aux plus vieux policiers de France – même si nous ne faisons pas notre âge. En effet, le garde champêtre traîne son bicorne ou son képi, dans nos campagnes depuis dix siècles. Connaissez-vous d'autres représentants de la force publique qui aient atteint une telle longévité ? J'en doute. Il a traversé l'histoire plutôt discrètement, sans connaître de grandes réformes. Certes, les effectifs se sont réduits depuis l’époque où le garde champêtre était présent dans toutes les communes de France. Aujourd'hui, ils sont clairsemés, sans réelle cohérence territoriale, et sont parfois affectés à des tâches sans lien avec leurs fonctions statutaires.

Le métier est asphyxié par un concours peu sélectif, un déroulement de carrière décalé, une formation inadaptée, des textes qui tirent les fonctions  de garde champêtre tantôt, vers le haut, tantôt vers le bas, par des oublis incompréhensibles ou en introduisant des contradictions juridiques rendant alors l'exercice des prérogatives périlleux.

Il faut y ajouter la lisibilité déplorable de notre métier, qui peine à s'aligner sur celle de nos collègues municipaux, et ce malgré une assise historique et juridique incontestable. Les médias en dressent un tableau parfois déplorable, le temps des gardes champêtre serait révolu, sous-entendant la modestie de leurs capacités d'action.

Pourtant, la lecture de l'article 24 du code de procédure pénale démontre à elle seule la qualité judiciaire assez exceptionnelle de ce fonctionnaire territorial : pouvoir d'audition dans le cas d'atteinte aux propriétés, qu'elles soient publiques ou privées, pouvoirs liés au bois et forêts ou encore à l'environnement. Ces prérogatives permettent aux gardes champêtres de traiter un grand nombre de plaintes, en déchargeant les services de police et de gendarmerie.

Des auditions, mais également des saisies, des vérifications d'identité, l’accès aux lieux clos, le droit de suite, la mise sous séquestre ; tout cela place le garde champêtre en haut de la pyramide judiciaire des agents territoriaux composant les polices locales.

Le constat est bien sûr identique en ce qui concerne l'armement, dans la mesure où contrairement aux agents de police municipale, le garde champêtre peut être armé, à la seule discrétion du maire. Nous pouvons regretter, par contre, que les formations du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) n’aient pas accompagné sérieusement ces extensions de prérogatives, leur exercice demeurant limité à quelques gardes champêtres disposant des prérequis fondamentaux.

Il s’agit d’un formidable outil de travail qui a été oublié et renvoyé stupidement à la seule image du « pandore », sans doute en raison d'une appellation décalée, à l'heure où les espaces ruraux et naturels sont gangrenés peu à peu par une délinquance qui souffle depuis les zones urbaines. Cet agent de la force publique locale doit être valorisé, replacé au cœur de la police des campagnes, aux côtés de la gendarmerie nationale et des autres acteurs spécialisés, tels que l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), l'Agence française pour la biodiversité (AFB), les gardes particuliers.

Concernant le dépoussiérage du statut, le concours, la formation initiale ou encore le déroulement de carrière, tout cela doit être sérieusement adapté aux contraintes et aux prérogatives judiciaires du garde champêtre. Il en est de même pour son environnement professionnel qui doit être modernisé, afin d'identifier et de distinguer clairement ses fonctions au sein de la collectivité territoriale.

M. Jean-Luc Woyciechowski, responsable d’une brigade verte et responsable du service juridique dans une organisation syndicale généraliste de la fonction publique territoriale. Monsieur le président, mesdames et messieurs, à la lecture du rapport de Mme Alice Thourot et de M. Jean-Michel Fauvergue « D'un continuum de sécurité vers une sécurité globale », notamment de sa proposition 28 qui propose de fusionner   les   cadres d’emplois   des   policiers   municipaux   et   des   gardes  champêtres dans un cadre d’emplois unique, nous nous posons énormément de questions. 

Il y est reconnu que les gardes champêtres accomplissent des missions complexes, transversales, que notre métier doit évoluer, que nous constituons une force de la sécurité territoriale et que nous méritons de voir notre statut et nos conditions de travail évoluer. La même mission préconise une dissociation entre la fonction de ruralité et urbaine. Les grades et les appellations seront pourtant préservés. Se pose à nous une question d’évolution.

M. Romain Janson, garde champêtre chef. Les gardes champêtres interviennent très régulièrement dans nos campagnes en matière de lutte contre les dépôts sauvages d’ordures. Ce sujet revient régulièrement dans les débats relatifs à l’environnement. Des tonnes de déchets sont jetées chaque année dans des décharges sauvages, en pleine nature : des bouteilles de gaz, des meubles, des pneus, des pièces automobiles, mais aussi des plaques de fibrociment, des produits phytopharmaceutiques, des peintures, des produits consommés et jetés par l’homme, et qui sont nuisibles pour notre biodiversité.

Des week-ends sont organisés par des associations, des établissements publics intercommunaux, des régions, avec des bénévoles courageux, bravant les intempéries pour sortir des bois, des chemins, des fossés et des cours d’eau, des multitudes de déchets, déversés par des personnes qui n’ont pas eu le courage de se déplacer dans une déchetterie ou d’attendre son ouverture.

De nombreuses collectivités ne disposent pas des moyens financiers et humains suffisants pour récupérer et traiter les déchets ; surtout s’il s’agit de produits amiantés. Les lieux isolés se trouvant hors champ de couverture des caméras de vidéoprotection, des chemins ruraux, des parcs éoliens, où des espaces boisés, finissent par devenir des déchetteries à ciel ouvert.

Enfin, lorsqu’un contrevenant est identifié, les poursuites judiciaires sont très souvent classées sans suite, faute de dépôt de plainte du propriétaire du terrain ; les auteurs procèdent à un ramassage rapide de leurs déchets.

Que faire ? Appliquer le principe du retour à l’envoyeur, comme font certains maires ? C’est une action ferme et radicale contre les pollueurs qui a le mérite de fonctionner avec la facture de l’enlèvement, du transport et du coût du personnel engagé ? Ou bien faire appliquer les sanctions édictées par le code pénal et faire revenir les gardes champêtres dans nos communes rurales pour appliquer les pouvoirs de police du maire ?

Il existe trois types d’infraction contre le dépôt de déchets. Les usagers qui déposent illégalement des déchets doivent s’acquitter d’une amende de troisième classe, 68 euros ; dans le cas d’un dépôt avec un véhicule, il s’agit d’une amende de cinquième classe, 1 500 euros et une possibilité de confiscation du véhicule ; enfin, s’il s’agit de déchets professionnels, l’amende peut atteindre 75 000 euros et la peine prononcée, deux ans d’emprisonnement.

La deuxième infraction est souvent constatée dans nos communes, et pourtant la sanction pénale est très peu appliquée. Et nous croisons souvent les auteurs de ces dépôts. La proposition de loi n°12-82 prévoit une augmentation des amendes contre les pollueurs, mais aussi la facilité d’installation de vidéo-surveillances dans les zones régulièrement polluées, afin d’identifier et de verbaliser les contrevenants.

Une modification de l’article R. 638-5 du code pénal, notamment en qualifiant l’infraction de délit, permettrait de prononcer des sanctions exemplaires à l’encontre des personnes qui se débarrassent de leurs déchets dans des zones naturelles ou dans des parcelles agricoles. Les véhicules utilisés pourraient être immobilisés et saisis avec placement en fourrière et une obligation de stationnement de quinze jours aux frais du propriétaire.

La modification de l’article L. 541-44 du code de l’environnement devrait aussi intervenir pour permettre de conférer aux gardes champêtres une prérogative importante pour lutter contre ce fléau dans nos campagnes. Attribuer des gardes champêtres dans ces territoires leur permettrait de venir renforcer les inspecteurs de l’environnement dont les effectifs sont toujours en baisse dans nos départements.

Concernant la mise en fourrière de véhicules stationnant sur la voie publique, le pouvoir des gardes champêtres a été renforcé dans le cadre des missions de police de la route – par la modification de l’article R. 130-3 du code de la route.

Néanmoins, il nous est toujours impossible de prescrire une mise en fourrière pour un véhicule en stationnement gênant, voire très gênant. L’article R. 325-14 ne désigne pas les gardes champêtres comme des agents dotés de cette prérogative. Une aberration, puisque nous pouvons procéder à la mise en fourrière, lorsqu’un véhicule a commis une infraction au code de l’environnement.

Une modification de cet article, notamment par l’ajout des mots « gardes champêtres », nous désignant comme compétents pour une mise en fourrière, à l’image des policiers municipaux, serait une valeur ajoutée à notre fonction. Cette modification serait vraiment importante dans nos villages ruraux, où des véhicules en stationnement abusif se dégradent ou sont laissés à l’abandon sur les trottoirs.

M. Joaquim Pueyo, président. Souhaitez-vous le maintien de votre statut ou, au contraire, souhaitez-vous le voir évoluer ? Certains syndicats de police municipale verraient favorablement la fusion des deux corps, et l’apport de vos pouvoirs de police rurale. Qu’en pensez-vous ?

M. Hervé Bénazéra. Je suis défavorable à cette fusion. Cette idée n’est pas nouvelle, elle est régulièrement avancée. Les choses ont évolué, un garde champêtre peut devenir, très facilement, policier municipal, par le biais du détachement et même parfois par une intégration directe. Or, malgré cette possibilité, nous n’avons pas assisté à une hémorragie de gardes champêtres devenus policiers municipaux.

Cela traduit l’attachement des gardes champêtres à leur fonction, sur le plan historique et judiciaire. Je caricature, mais c’est un peu comme si vous demandiez à un gendarme s’il souhaite intégrer la police nationale. Chacun dans ses fonctions est attaché à l’histoire de son corps, sa qualification judiciaire, ses prérogatives. Nous avons des gènes communs avec la police de l’environnement et nous souhaitons nous développer dans ce sens.

M. Joaquim Pueyo, président. Votre équipement vous semble-t-il approprié pour l’exercice de vos missions ? Avez-vous des propositions à formuler pour l’améliorer ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Messieurs, les gardes champêtres bénéficient du statut d’officiers de police judiciaire (OPJ), vous pouvez ainsi procéder à des contrôles d’identité et effectuer des saisies – contrairement aux policiers municipaux. Un certain nombre de policiers municipaux revendiquent ce statut d’OPJ. Ne serait-il pas intéressant d’envisager la création d’une école de police municipale qui pourrait intégrer la formation des gardes champêtres, à des fins de fusion et bien entendu, dans l’objectif d’offrir un meilleur service à nos concitoyens ?

M.  Joaquim Pueyo, président. Que pensez-vous du nom de « garde champêtre ». Convient-il de le faire évoluer, en prenant en compte par exemple, le concept environnemental ?

M. Hervé Bénazéra. Je vous rejoins sur cette possibilité. Si « garde » nous convient, « garde champêtre » est un terme qui a vieilli, mais auquel nous sommes attachés historiquement. Et si le terme « champêtre » sous-entend l’aspect rural, il sous-entend aussi l’aspect festif et n’est pas le plus approprié pour incarner une forme de modernité au sein des zones rurales.

Des propositions ont été présentées : « policiers ruraux », mais nous sommes trop proches de la police municipale ; « gardes ruraux », « gardes territoriaux », etc. Nous tenons à garder le terme « garde », car nous sommes les gardiens des espaces ruraux.

M. Romain Janson. Une demande commune des gardes champêtres est relative à nos uniformes, ou plutôt au manque d’uniformes définis. Voyez, il se résume à cette plaque sur laquelle sont inscrits la mention « la loi », la commune et le nom du garde champêtre. Tel est notre uniforme.

Les gardes champêtres de France souhaitent avoir une identité, concrétisée par un uniforme, une sérigraphie de véhicules de service, et des cartes professionnelles ; comme les policiers municipaux. Cet uniforme nous ferait bénéficier d’une reconnaissance générale de ce métier multiséculaire.

M. Jean-Luc Woyciechowski. Si la commission nous accordait de porter un uniforme, elle ne devra néanmoins pas nous retirer la possibilité d’intervenir en civil, comme c’est le cas actuellement.

Par ailleurs, le rapport précité précise que les deux grades actuels seraient conservés. Ce qui veut dire que nous n’avons pas de possibilité d’évolution, si nous choisissons de rester gardes champêtres.

Nous préconisons l’ouverture de la catégorie B aux gardes champêtres et, s’agissant de la catégorie A, nous demandons qu’elle soit commune aux policiers municipaux et aux gardes champêtres et soumise à une formation. En effet, trop nombreux sont les policiers municipaux qui nous encadrent sans aucune connaissance de nos compétences.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Que penseriez-vous de porter le même uniforme que les policiers municipaux ?

M. Joaquim Pueyo, président. Je crois deviner votre réponse…

M. Jean-Luc Woyciechowski. Tout à fait, monsieur le président.

M. Joaquim Pueyo, président. Je vous rappelle, que la commission d’enquête ne prend pas de décision. Elle va formuler un certain nombre de propositions, dont le Gouvernement tiendra compte, ou pas.

Nous avons bien entendu vos demandes, nous comprenons votre attachement au corps des gardes champêtres, même si vous avez des suggestions à nous proposer en termes de nom, d’équipement et d’uniforme. Sachez que vos suggestions seront consignées dans le rapport.

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  Audition du 4 juin 2019

Le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mesdames, messieurs, le 10 avril dernier, la commission d’enquête a entendu le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Richard Lizurey. Nous avons souhaité compléter cette audition par celle des responsables des directions opérationnelles de la gendarmerie et, aujourd’hui, nous recevons le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(La personne auditionnée prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mon général, nous souhaiterions avoir des explications sur la doctrine d’emploi, la réglementation et la coordination que vous menez dans le cadre du maintien de l’ordre, mais aussi des attaques terroristes. Il sera aussi intéressant d’évoquer les modalités de la collaboration entre les différentes forces de sécurité.

M. François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale (DOEGN). En tant que directeur des opérations et de l’emploi, je suis chargé de toute la partie opérationnelle de la gendarmerie dans l’ensemble de ses domaines : police administrative, police judiciaire, maintien de l’ordre et renseignement. La gendarmerie déploie son action sur trois types de territoires. Tout d’abord, un territoire physique, classique : celui des brigades de gendarmerie ; ensuite, sur un territoire numérique qui est de plus en plus connu et sur lequel des infractions peuvent être également commises ; et enfin un troisième territoire qui est le territoire des mobilités, celui des 8 millions de personnes qui, tous les jours – dans des mouvements pendulaires ou saisonniers –, se déplacent sur notre territoire. La gendarmerie doit s’organiser pour répondre à ses missions sur ces trois types de territoires.

Concernant le territoire physique, 74 % des forces de gendarmerie exercent leurs missions dans des territoires urbains ou périurbains. Sur 34 000 gendarmes en brigade, seuls 12 300 servent dans des unités rurales. Notre politique principale est celle de la police de sécurité du quotidien (PSQ) avec cette notion de contact qui implique de renforcer notre présence et notre visibilité sur les territoires. Comment fait-on ?

Tout d’abord, par une organisation du service qui nous permet de bien concilier les capacités d’intervention, d’investigation et de contact avec la population. La primauté pour nous c’est l’intelligence territoriale, c’est-à-dire l’adaptation locale à l’ensemble de ces missions.

Nous appliquons également un principe de concentration des moyens. Une vingtaine de départements ont ainsi été jugés prioritaires et nous y portons un effort particulier en y renforçant nos capacités d’intervention, en densifiant les partenariats et en multipliant les contacts avec les populations. Bien entendu, et je crois que cela vous tient à cœur, les partenariats avec les polices municipales sont pour nous un objectif prioritaire. 8 000 policiers municipaux servent en zone gendarmerie et nous portons un effort particulier sur le lien avec ces polices municipales.

Le deuxième territoire est le territoire numérique. Les progrès technologiques sont un moyen pour la gendarmerie de se déployer de manière plus active sur le territoire. L’outil Néogend nous permet aujourd’hui de travailler en mobilité, d’être moins dans les bureaux, de manière à pouvoir être plus au dehors, au contact de la population. Tous les outils, toute la doctrine que nous mettons en œuvre, visent à renforcer ce travail en mobilité. Nous employons également des structures nouvelles pour entrer en contact de manière informatique ou immatériel avec la population : c’est la mise en œuvre d’une brigade numérique qui est disponible 24 heures sur 24 pour échanger avec la population. Cela doit nous permettre de mettre en place des outils dématérialisés et d’éviter les papiers et les écritures. Évidemment dans ce domaine-là, la nouvelle procédure pénale numérique sur laquelle nous travaillons avec la police nationale et le ministère de la justice doivent nous permettent de mieux travailler en mobilité. J’insiste, dans ce domaine, sur la notion d’interopérabilité. Aujourd’hui les outils informatiques sont de plus en plus vastes et les logiciels, auxquels on demande de prendre en compte une multitude d’éléments, conduisent parfois à l’échec. Il me semble donc préférable de travailler sur l’interopérabilité entre les systèmes, afin qu’ils soient adaptés à chacun des intervenants et donc plus performants.

Le troisième territoire, celui des mobilités, concerne 8,3 millions d’actifs qui effectuent chaque jour des trajets sur route, par le train, dans les airs et éventuellement sur l’eau. Nous devons être en mesure de prendre en compte tout le spectre de ce qui peut advenir sur ce territoire, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme – car les terroristes se déplacent également sur la route –, la délinquance itinérante – notre champ d’action traditionnel –, le contrôle de l’immigration irrégulière et, évidemment, la lutte contre l’insécurité routière. Pour travailler sur ce territoire, nous avons mis en place, au sein de la DOEGN, un centre national de sécurité des mobilités. Il nous permet de travailler en partenariat avec les opérateurs de transport et d’échanger de l’information, de récolter un maximum de données pour être certains de pouvoir intervenir efficacement.

Bien entendu, pour agir sur ces trois territoires, nous devons être en état de pouvoir gérer les crises, ce qui implique un outil de commandement adapté. Vous vous êtes rendus, monsieur le rapporteur, au Centre des opérations de la gendarmerie, qui procède à des opérations d’envergure sur l’ensemble du territoire. Il a vocation à être décliné aux échelons régionaux afin qu’il y ait une conduite de proximité des opérations. La gestion des crises doit conduire à travailler sur les meilleures techniques de maintien de l’ordre afin d’offrir aux escadrons de gendarmerie mobile une capacité de manœuvre sur le terrain qui soit comparable à celle dont disposent les brigades. Évidemment, nous avons besoin d’équipements adéquats, tant pour les gendarmes mobiles que pour les gendarmes départementaux.

Quant à la réserve opérationnelle, elle doit nous permettre, lorsque nous sommes en difficulté, de revenir à un rapport de forces qui nous soit favorable. Dans la situation actuelle, nous montrons que nous sommes capables de faire face à des chocs.

Je voudrais évoquer l’augmentation constante de la violence dans notre société. Le nombre des blessés entre 2014 et 2018, dans nos rangs, a augmenté de 30 %. Nous avons aujourd’hui environ une vingtaine de blessés par jour. Malgré cela, sur l’année 2018, le nombre de cas d’usage des armes a diminué de 11 % par rapport à 2017 ce qui est pour moi le signe d’une force maîtrisée. Les résultats opérationnels sont significatifs : 85 % d’armes saisies en plus, 5 % de gardes à vue en plus et une hausse de 21 % des saisies des avoirs criminels. Le rythme d’emploi de la gendarmerie mobile dans ce contexte tendu est très élevé et depuis le 1er janvier 2019, le maintien de l’ordre représente 43 % de l’activité de la gendarmerie mobile alors qu’il y a encore quelques années, la gendarmerie mobile effectuait 75 % de son temps en renfort de la gendarmerie départementale et en sécurisation de nos espaces. La gendarmerie mobile est donc fortement engagée.

Nous sommes capables de faire face à des pics d’activité. Pour la journée du 8 décembre nous avons engagé 65 500 gendarmes sur l’ensemble du territoire. Sur la séquence « Gilets jaunes », nous avons procédé à 1 809 interpellations et 1 711 gardes à vue, et près de 6 500 gendarmes sont allés renforcer nos camarades policiers dans le cadre de la coopération opérationnelle dans les agglomérations et les territoires. La gendarmerie mobile a donc une capacité de réactivité forte.

Pour faire face à cela, l’entretien de la robustesse doit être développé. Nous sommes dans une société qui a besoin de dialogue mais qui est de plus en plus violente, et nous devons démontrer la robustesse de nos gendarmes. Cette robustesse, cet esprit de corps et cette cohésion viennent bien entendu de notre organisation, de la vie en caserne, d’un encadrement de contact en permanence auprès des hommes, de cette cohésion liée à notre statut militaire et de notre organisation territoriale. Cette organisation nous permet de faire face à ces situations difficiles.

Notre capacité d’innovation doit également être développée et encouragée. Pour nous, cela se matérialise par le travail en mobilité et par la mise en place de matériels adaptés à nos besoins telle la captation d’images et l’utilisation de drones.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, mon général, de ce propos liminaire. Vous avez parlé de la brigade numérique des centres de commandement de la gendarmerie. Dans ce domaine, avez-vous pensé à mutualiser avec la police nationale ? Par exemple, la brigade numérique, dont la création est un succès, pourrait-elle être généralisée à l’ensemble des forces de sécurité intérieure et mutualisée ? Cela pourrait-il également être envisagé pour les salles de commandement au niveau départemental, puisqu’à ce jour chaque département dispose de salles de commandement différentes avec une salle police et une salle gendarmerie ? N’y aurait-il pas moyen de mutualiser pour gagner en effectifs, en temps, en moyens, en matériels et gagner surtout en opération avec des possibilités de renforts de l’un sur l’autre ?

M. François Giéré. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de mettre en place des systèmes qui communiquent entre eux et des gens travaillent à partir de plateformes virtuelles. C’est l’interopérabilité que j’ai évoquée dans mon propos liminaire. Nos institutions, la police, la gendarmerie, mais aussi les pompiers ont développé une organisation à partir de leurs missions et de leurs emprises territoriales. Nous sommes par exemple organisés pour piloter 3 200 brigades. L’articulation sur le terrain de ces 3 200 brigades ne peut se faire de manière identique à celle des systèmes policiers qui eux sont adaptés à la concentration de population dans les villes. Nous, nous gérons des espaces. La police gère une concentration. Ce qu’il faut, c’est développer harmonieusement l’interopérabilité entre ces structures afin de nous renforcer. Les 6 500 gendarmes qui ont été engagés à l’occasion de la crise des Gilets jaunes depuis le 17 novembre démontrent que nous savons dialoguer et intervenir ensemble. Mais vouloir systématiquement rassembler des gens qui ont des logiques très différentes au même endroit, je ne pense pas que ce soit un gain opérationnel. Quand on est dans une « logique pompier », par exemple, un appel implique l’envoi systématique d’un véhicule ou d’un moyen car il existe toujours une notion d’urgence. Dans nos métiers de policiers et de gendarmes en matière de sécurité publique, nous avons des espaces à gérer ou, pour les policiers, des densités potentielles d’intervention à gérer et donc il faut être économe de moyens et il faut pouvoir analyser finement la situation avant d’intervenir.

Pour moi, la mise en commun doit se faire à partir de plateformes qui vont « débruiter » très vite une situation pour l’envoyer dans un canal métier adapté : soit celui de la gendarmerie pour ce qui concerne la gestion des espaces, soit celui de la police pour la gestion de la densité et de la concentration des problèmes, soit celui des pompiers pour le volet secours. Le service d’aide médicale urgente (SAMU), lui, va réagir un peu comme nous, policiers et gendarmes, c’est-à-dire qu’il va se dire « attention, je n’ai pas les moyens d’envoyer un médecin sur chaque intervention, donc il faut que j’analyse la situation ».

Pour conclure, oui, il faut développer des outils communs, des process communs, des processus d’interopérabilité communs, mais concentrer systématiquement tout le monde au même endroit ne représente pas obligatoirement une source d’économie, en tout cas pas au début, car cela nous obligerait à créer de nouvelles structures. Aucune des structures actuelles n’est capable d’en absorber une autre. Dans une « logique pompier » on travaille sur des plateformes départementales parce que c’est la base de l’organisation. Dans notre logique police ou gendarmerie, nous travaillons en supradépartementae parce que les centres peuvent capter les problèmes au niveau métiers, puis activer soit des commissariats dans les villes, soit des compagnies et des brigades au niveau de la gendarmerie.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, mon général, mais ma question ne portait pas sur le SAMU et sur les pompiers : uniquement sur la police et la gendarmerie.

M. François Giéré. J’ai étendu, pour montrer qu’il y avait des logiques différentes et qu’il faut prendre en compte l’ensemble de ces logiques.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel est pour vous l’impact dans vos missions opérationnelles au quotidien de la baisse conséquente du budget alloué aux réservistes ?

M. François Giéré. Comme toujours quand on doit faire face à une baisse de budget, on essaie de prioriser et de porter des pointes d’effort. Très concrètement, en matière de réservistes dans la période des Gilets jaunes, nous avons favorisé l’emploi de nos réservistes le week-end plutôt qu’en semaine. À chaque fois, nous nous demandons où nous devons prioriser les moyens, à quel moment et à quel endroit dans l’espace. Nous avons favorisé l’emploi de nos réservistes les week-ends de crise plutôt qu’en contact permanent sur les circonscriptions.

M. Joaquim Pueyo. Il me semble que l’objectif était de recruter 30 000 réservistes en 2018. Avez-vous atteint ce chiffre non négligeable ? Il y a trois ou quatre ans, j’avais fait un rapport sur la réserve. Nous avions recommandé d’augmenter la réserve opérationnelle de l’armée, mais également celle de la gendarmerie et de la police nationale.

La formation des gendarmes réservistes, qui s’appelle la formation opérationnelle du réserviste territorial (FORT), dure approximativement quatre semaines. Pensez-vous que la durée de cette formation est suffisante, notamment pour les civils qui, contrairement aux anciens militaires, ont une expérience limitée à leur service militaire ?

Les réservistes qui jouent leurs rôles lors des grosses manifestations, sont-ils tous agents de police judiciaire ? Cela est important si l’on souhaite positionner ces réservistes sur les enquêtes et non pas exclusivement sur la circulation routière ou sur les grosses manifestations.

M. François Giéré. Je pense que l’objectif des 30 000 réservistes recrutés est atteint. Vous pourrez toutefois demander au directeur des ressources humaines de préciser ce chiffre.

La réserve est aujourd’hui composée de 30 % d’anciens gendarmes ou militaires et de 70 % de personnel issu du monde civil. La formation de base que nous leur donnons doit leur permettre d’effectuer, à la sortie des stages, les missions simples avant de suivre un processus de formation interne et continue qui leur permet de monter en grade et d’obtenir des qualifications supérieures. Au début, le réserviste va être employé à partir de ses connaissances de base. Selon le nombre de missions qu’il effectue chaque année, il progresse plus ou moins vite et nous l’employons en fonction de cette progression.

La réserve telle que nous l’employons dans la gendarmerie est très différente de la réserve employée dans des unités militaires. En unité militaire, les gens vont être employés dans des unités constituées qui vont se situer dans des régiments répartis sur le territoire. Nous, nous avons l’avantage de pouvoir utiliser un réserviste isolé au sein d’une brigade et, en plus, tout près, chez lui, s’il le souhaite. Nous avons donc une souplesse d’emploi qui nous permet de travailler à la carte, de ciseler finement les conditions d’emploi de manière à répondre à l’ensemble du spectre des missions qu’on pourrait confier aux réservistes. Donc les réservistes qui sont anciens, qui ont de bonnes connaissances, vont pouvoir appuyer des enquêteurs, mais ce n’est pas leur mission essentielle. Vous le savez mieux que moi, la procédure pénale est de plus en plus complexe et devient une affaire de spécialistes. Les réservistes représentent donc un appui à la manœuvre et nous n’avons pas vocation à les engager dans une voie trop professionnalisée.

M. Olivier Gaillard. Concernant la ruralité, comment vous êtes-vous organisés pour revenir à des missions qui permettent aux gendarmes d’être, comme dans le passé, plus proches des citoyens ? Quel a été l’impact sur toutes les tâches administratives ?

Prochainement, un rapport de la Cour des comptes sur les réserves de la police nationale et de la gendarmerie va sortir. Connaissez-vous déjà les orientations à envisager pour améliorer les réserves de gendarmerie ?

M. François Giéré. S’agissant de l’aspect territorial et de l’action de la gendarmerie, il y a trois grands volets : l’intervention, l’investigation et le contact avec la population. Le sujet, c’est de régler ces curseurs de la meilleure manière possible. Il y a des endroits où il y a beaucoup d’interventions. Là, nous allons donc régler le curseur vers l’intervention et dédier seulement quelques gendarmes à la notion de contact, afin de pouvoir également mettre des moyens sur la partie investigations. Nous avons demandé à nos commandants de compagnie d’établir une sorte de contrat opérationnel, c’est-à-dire de faire une analyse de leurs circonscriptions, avec une analyse de l’heure des menaces, et ensuite de dire comment ils placent le curseur entre interventions, investigations et contacts. Ils doivent bien entendu confronter ce contrat opérationnel à l’autorité administrative – leur sous-préfet –, à l’autorité judiciaire – le procureur de la République – et aux élus. Nous demandons aux commandants de compagnie de faire tous les six mois un bilan participatif avec les élus sur ce contrat opérationnel. Le changement et la nouveauté résident dans la régionalisation des modes d’action. Ce n’est donc pas moi qui impose le positionnement des curseurs. Notre rôle c’est de vérifier la cohérence de l’action par rapport au territoire.

Pour revenir à la question de l’engagement des réservistes, je les mets là où j’en ai le plus besoin. Chacun à son niveau, que ce soit au niveau du commandant de compagnie à la base, au niveau du commandant de groupement qui va faire un schéma départemental d’action, au niveau des commandants de régions où à mon niveau, nous appliquons ce principe. Nous insistons sur l’importance de rendre compte de ce contrat opérationnel comme je le fais aujourd’hui devant vous en précisant ce que nous pouvons faire, ce que nous ne pouvons pas faire, les raisons de nos empêchements et nos choix. Nous acceptons évidemment le droit à l’erreur. Actuellement, je n’ai pas de problème de fonctionnement sur la doctrine de la réserve. Le sujet aujourd’hui, c’est de savoir combien on peut payer de soldes, combien on peut en utiliser.

M. Jean-Claude Bouchet. Vous avez parlé de capacité de réactivité forte et indiqué que, depuis le début de la crise des Gilets jaunes, 6 500 gendarmes avaient été engagés au profit de la police et que l’on constatait une augmentation du nombre de blessés de plus 30 %, ce qui représente 20 blessés par jour. Les forces de l’ordre se trouvent-elles dans un état de saturation et de fatigue ?

Il n’y a pas forcément de récupération, et nous savons également qu’il existe un malaise dans les forces de l’ordre, avec un taux de suicide élevé dans la police. C’est un constat alarmant. Quel est votre sentiment ? Avez-vous constaté ce malaise dans votre corps ? Va-t-il y avoir des récupérations ? Dans quels délais ? Et comment revenir à une situation normale ?

M. François Giéré. En ce qui concerne la manière dont nous réagissions face à cette crise, nous prenons en compte le volet récupération. J’applique mon principe de curseurs. J’engage mes forces dans les périodes et aux endroits où il faut les engager. Bien évidemment, lorsque les escadrons sont engagés fortement le week-end, nous essayons de les préserver en semaine. Ce choix se fait malheureusement au détriment de la sécurisation publique telle que nous la pratiquions il y a encore quelques années.

Nous avons également pris en compte le volet saturation, avec une organisation différente de celle de la gendarmerie mobile. Lorsqu’une mission nous semble moins sensible, nous autorisons les escadrons à venir avec un effectif moindre. Le commandant de compagnie fait des choix sur son territoire, et le commandant d’escadron de gendarmerie mobile doit faire exactement les mêmes choix après avoir analysé la mission qu’il reçoit.

Nous sommes également en train de modifier le système de nos relèves outre-mer. Vingt et un escadrons, 365 jours par an, sont engagés outre-mer et ces relèves, qui avaient lieu en bloc tous les trois mois, immobilisaient des escadrons aussi bien dans la période de voyage de transition que dans celle de récupération. Nous sommes donc en train d’essayer de lisser cette mise en place des escadrons de manière à harmoniser l’attribution des repos. Nous prenons des mesures de conduite de gestion du service et de gestion des priorités afin de faire face à la crise.

Concernant la fin de la crise, les politiques sont mieux placés pour moi pour évoquer cette situation, mais nous nous organisons pour y faire face.

Nous prônons la robustesse du commandement, avec un chef au contact de ses troupes, qui commande, par opposition à un chef qui dirigerait de loin. Je demande aux commandants des écoles de mettre en œuvre dans la formation de ses élèves gendarmes le même état d’esprit. Nous l’insufflons sans difficulté auprès des réservistes qui viennent chercher cet engagement, cette proximité et cette action de contact.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Les récents débordements autour des manifestations des Gilets jaunes ont été l’occasion de mettre en avant les véhicules blindés de la gendarmerie. Ces engins datent des années 1970 et ont été particulièrement utiles pour déblayer les barricades. Leur remplacement a été plusieurs fois annoncé puis reporté. Leur renouvellement coûterait, selon une réponse faite au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2019, 45 millions d’euros. Aussi souhaiterais-je, mon général, connaître l’état d’avancement de la réflexion sur ce sujet.

M. François Giéré. Le ministre a annoncé une loi de programmation et, bien entendu, nous allons proposer ce renouvellement des blindés. Les membres de la commission de la défense le savent bien, l’une des caractéristiques du budget de la défense, c’est cette programmation qui permet de lisser les investissements dans le temps. En cas de problèmes financiers, on allonge un peu, mais on avance. Au ministère de l’intérieur, jusqu’à présent c’est le principe d’annualité qui prédomine. Par exemple, pour le plan de lutte antiterroriste, on a mis d’un coup des moyens pour pallier les déficiences. L’arrivée d’une programmation va nous permettre de travailler différemment. Aujourd’hui, nous n’avons pas besoin de renouveler immédiatement l’ensemble du parc. En revanche, nous avons besoin de rendre supportable l’investissement budgétaire que représente un renouvellement sur plusieurs années. Les blindés ont montré qu’ils étaient encore extrêmement efficaces. Aujourd’hui, il n’existe pas « sur étagères » de blindé adapté au maintien de l’ordre, car les blindés de type militaire ont le moteur et la tourelle à l’avant, et l’ajout d’une lame conduirait au déséquilibre de l’engin. Nos vieux véhicules blindés à routes de la gendarmerie (VBRG) ont, eux, un moteur central et supportent une lame à l’avant. Ce n’est donc pas parce qu’il est ancien que le VBRG n’est pas efficace. Le « rétrofitage » et l’acquisition de véhicules à partir d’une loi de programmation me semblent être des pistes intéressantes pour nos finances.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans le cadre du maintien de l’ordre, les forces de gendarmerie mobiles ont été extrêmement mobilisées. Aujourd’hui, les 109 escadrons, composés en moyenne de 110 militaires, sont insuffisants. D’après vous, combien de gendarmes supplémentaires seraient nécessaires en gendarmerie mobile ?

M. François Giéré. On estime que 110 à 115 militaires par escadron permettent d’assurer les missions et le temps de repos chaque semaine. C’est une piste qui me semble réalisable.

Mme Aude Bono-Vandorme. Général, vous nous avez parlé du 8 décembre avec cette mobilisation exceptionnelle de 65 500 gendarmes. Quels sont les éléments intrinsèques à la gendarmerie qui nous permettent d’avoir une capacité de réactivité aussi forte ? Quelles sont les spécificités ?

Vous nous avez également parlé du développement nécessaire de l’entretien de la robustesse de nos gendarmes. Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

M. François Giéré. En qui concerne la capacité de mobilisation, c’est le statut militaire qui nous a permis d’engager ce jour-là 106 escadrons sur 109. Le 109e n’est pas manœuvrable puisque c’est celui de l’Ile-Longue. Pour ces 106 escadrons, l’ensemble des repos et des permissions des gendarmes départementaux avaient été suspendus pour ce week-end-là. Des gens se sont ensuite volontairement rendus disponibles, y compris des personnels civils des états-majors qui n’étaient pas astreints à des permanences. Cela nous a permis de mener une manœuvre logistique importante. Pour rappel, au début de la crise, plus de 2 100 points étaient tenus en zone gendarmerie. Nous avons dû faire face à des bascules de moyens et notamment de munitions. Cette chaîne logistique, composée des militaires du corps de soutien de la gendarmerie appuyée par quelques civils volontaires, a permis de faire face.

Concernant la notion de robustesse, il s’agit de tenir compte de ce que dit le sociologue Thomas Sauvadet : nous avons une société qui a augmenté son capital culture et intelligence, mais qui a perdu sa capacité de résilience et de résistance aux chocs. Le volet innovation et nouvelles technologies de la gendarmerie est important, mais il n’est pas le seul à l’être. Le volet robustesse l’est également. Il s’agit de pouvoir responsabiliser les hommes, chacun à leur niveau. Ça commence avec l’entretien individuel de chaque gendarme et avec la notion de groupe. Une patrouille à moto, ce n’est pas deux gendarmes isolés qui se promènent, mais un chef de patrouille et un adjoint. Une brigade c’est un groupe de travail dans son unité, dans son casernement avec ses chefs au contact. C’est la notion d’un chef qui commande en analysant une situation, en donnant un ordre initial avec une intention de manœuvre qui doit être comprise par tous et déclinable immédiatement ou ultérieurement. Ces pratiques sont celles que j’apprenais il y a très longtemps dans certaines écoles, mais elles sont indispensables. Il faut éviter la paperasserie et être sur le terrain au contact de la population et des élus pour ressentir les vrais besoins cette société.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Merci, mon général, pour ces précisions et pour être venu répondre à ces questions. Si nous en avions d’autres, nous vous les poserions par écrit.

 

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  Audition du 4 juin 2019

Le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Mes chers collègues, nous entendons le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale. Cette direction est en charge du pilotage des crédits budgétaires alloués à la gendarmerie, c’est-à-dire le programme 152, tant pour les dépenses de personnels que pour les dépenses de fonctionnement, d’intervention ou d’investissement.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(Le général Laurent Tavel prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mon général, je voudrais que vous abordiez les questions de budget, d’effectifs, d’immobilier et d’équipement. Quel serait, selon vous, le budget supplémentaire nécessaire pour que la gendarmerie effectue ses missions de manière plus sereine, pour que ses gendarmes habitent dans de meilleures conditions et qu’ils disposent d’équipements dignes de ce nom ?

M. Laurent Tavel. Avant de répondre à vos questions, je voudrais soumettre à votre analyse quelques points que je considère comme fondamentaux. La direction des soutiens et des finances (DSF) est effectivement la direction en charge de l’économie des moyens de la gendarmerie, c’est-à-dire que ses missions s’articulent autour de la recherche de la meilleure allocation possible des ressources. Cette recherche s’applique aussi bien aux effectifs – je dispose pour cela d’une sous-direction de l’organisation et des effectifs, qui conçoit les normes d’organisation des unités et la politique des effectifs – qu’aux problématiques immobilières – traitées par la sous-direction de l’immobilier et du logement – qu’aux ressources financières qui relèvent de la sous-direction administrative et financière. Ces trois domaines sont étroitement liés entre eux. Bien que le périmètre de la DSF ait beaucoup évolué depuis une dizaine d’années, avec notamment en 2014 la création du service de l’achat des équipements et de la logistique (SAELSI) et des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI), je dispose toujours d’un ensemble de leviers cohérent pour faire fonctionner et accompagner la transformation d’un réseau territorial dense de 3 100 unités, relais puissant des politiques publiques liées à la sécurité et à la cohésion des territoires. Ce réseau s’étend en métropole, en Outre-mer, mais aussi dans des territoires urbains, suburbains et périurbains (74 % des forces de gendarmerie y exercent leur mission) ainsi que dans les périmètres ruraux.

La gendarmerie maintient ses effectifs même si des dissolutions d’unités ont pu être prononcées dans le passé. L’existence et le maillage territorial de ce réseau d’unités remonte à 1720. Il est toutefois parfaitement compatible avec l’innovation et la transformation en matière d’action territoriale.

L’enjeu pour la gendarmerie nationale est constant : maintenir dans les territoires de métropole et d’outre-mer un haut niveau de service public et de sécurité en accompagnant un environnement humain, social et administratif en mutation. Cela impose de tenir compte des évolutions démographiques, puisque la zone gendarmerie, depuis 2012, a absorbé un million d’habitants supplémentaires ce qui représente approximativement les deux tiers de l’augmentation de la croissance démographique en France. Sous l’impulsion des lois de décentralisation et de modernisation, la gendarmerie cherche à adapter son dispositif pour adhérer aux caractéristiques de sa zone de compétence. Les évolutions récentes des métropoles et des communes nouvelles impactent effectivement notre organisation territoriale.

Concernant la présence sur les territoires et la police de sécurité du quotidien (PSQ), la gendarmerie a rationalisé ces dernières années son dispositif territorial. Elle a fermé des unités aux locaux souvent vétustes et inadaptés, ou encore situés en zone de police nationale, tout en maintenant ses effectifs, y compris dans les territoires ruraux. De nouveaux dispositifs, tel l’outil NEOGEND, automatisent le travail des personnels et améliorent la présence et le contact sur le terrain. Par exemple, 227 dispositifs d’appui interdépartemental sont instaurés dans 44 groupements de gendarmeries départementales : ils concernent plus de 2 500 militaires et permettent désormais de s’affranchir du cloisonnement des limites départementales pour assurer la continuité de l’action de la gendarmerie. Autre exemple, les brigades territoriales de contact : les 41 brigades territoriales de contact dans les secteurs les plus isolés renforcent la présence visible de la gendarmerie et le lien avec la population. Dernier exemple, depuis le 1er juin dernier : l’expérimentation de brigades multimissions sur quatre sites. Cela ouvre la réflexion sur le décloisonnement opérationnel des moyens et des compétences jusque-là répartis entre les unités territoriales pour la sécurité publique générale, les unités motorisées pour la sécurité routière et les unités de recherche pour la police judiciaire.

La gendarmerie doit donc concilier les contraintes liées à ses implantations territoriales – qu’il n’est pas question de remettre en cause – avec celles résultant de la mobilité quotidienne des personnes et des biens. L’organisation du service se pense désormais en termes de décloisonnement, d’expérimentation, de déconcentration et d’intelligence locale. Un large pouvoir d’initiative est, dans ce cadre, laissé aux commandants territoriaux pour organiser leurs unités, pour renforcer leur efficacité opérationnelle et rompre avec les logiques de guichets pour aller vers le citoyen.

L’immobilier est un sujet important et la clé de voûte de ce dispositif. Le logement qui est concédé par nécessité absolue de service rend possible l’application des sujétions imposées par le statut militaire des gendarmes, notamment l’obligation de servir en tout temps et en tout lieu, c’est-à-dire une obligation de disponibilité qui emporte des contraintes supérieures à celles prévues pour des corps civils. Ce n’est pas le temps de travail des militaires qui est encadré, mais leur temps de repos, et ce dernier ne comprend pas de majoration particulière pour le travail de nuit ou le dimanche. Ce caractère structurant du logement explique les efforts consentis pour améliorer l’immobilier domanial.

Nous avons connu un effondrement des investissements immobiliers puisque le budget d’investissement qui s’élevait à 618 millions d’euros en autorisations d’engagement en 2007, a connu un point historiquement bas à 6 millions d’euros en 2013, soit un centième du budget de 2007. Le parc est composé d’environ 34 000 logements domaniaux sur 76 000 logements (le différentiel, ce sont des logements locatifs qui sont entrés dans un cycle de vieillissement). Ce retard d’entretien doit être comblé.

Les budgets d’investissement sont en hausse depuis 2015, année où un plan d’urgence de l’immobilier de la gendarmerie a été doté de 80 millions d’euros. Alors que la dotation était donc de 6 millions d’euros en 2013, puis de 12 millions en 2014, ce plan a permis de relancer une dynamique de réhabilitation que nous cherchons à préserver tout en développant la protection des casernes. Pour 2019, ce budget est de 105 millions d’euros.

Des efforts ont aussi été réalisés dans d’autres domaines. Pour les véhicules – qui représentent un point essentiel compte tenu du maillage territorial de la gendarmerie – les acquisitions de ces dernières années, oscillent entre 2 700 et 3 000 véhicules, pour un parc total de 31 000 véhicules, toutes catégories confondues. C’est un chiffre comparable à celui de la police nationale. Ces acquisitions nous ont permis d’enclencher une phase de diminution de l’âge moyen de notre parc opérationnel qui avait beaucoup vieilli entre 2012 et 2017. Depuis 2018, l’âge moyen a diminué puisqu’on est passé de 8,2 années en 2017 à 7,4 en 2018. Les efforts de ces dernières années ont ainsi permis d’inverser la tendance enregistrée depuis le début des années 2010.

Le deuxième secteur prioritaire est celui du renforcement des unités territoriales et la mise en œuvre de la police de sécurité du quotidien. Les effectifs augmentent : 2 500 effectifs entre 2018 et 2022, plus 135 effectifs fléchés pour le renseignement territorial, ce qui fait un total de 2 635 effectifs prévus sur la période du quinquennat. Ces effectifs supplémentaires vont permettre de renforcer les départements prioritaires et notamment ceux qui n’avaient pas bénéficié de renforts malgré la hausse continue de la population dans la zone de compétence de la gendarmerie. C’est un axe fort qui permet d’accompagner les départements prioritaires ou ceux qui avaient du retard par rapport à l’accroissement de la population.

L’outre-mer est également une priorité importante. Là aussi, nous avons des dynamiques démographiques qu’il faut accompagner par des effectifs supplémentaires.

Nous continuons de consacrer également des effectifs à l’outil de formation. On a créé tout récemment une nouvelle école de gendarmerie à Dijon après en avoir fermé quatre à la fin des années 2000.

Enfin, nous renforçons les soutiens qui avaient été diminués dans les années passées, notamment pendant la période de révision générale des politiques publiques, en particulier en matière d’immobilier.

Nous pouvons aussi nous appuyer sur un budget important consacré à la réserve opérationnelle puisque l’année dernière nous avons pu notifier 78 millions d’euros de crédits de réserve opérationnelle, alors qu’ils étaient de 41 millions en 2014, de 52 millions en 2015 et de 66 millions en 2016. L’effort est donc maintenu.

Il s’agit de faits significatifs qui interviennent dans un contexte où la contrainte budgétaire s’est renforcée et où la gendarmerie ne s’exonère pas des objectifs de redressement des comptes publics. Le respect de la loi de finances initiale est un impératif, et comme vous le savez, nous avons pris des mesures de pilotage pour tenir cet engagement, notamment au cours de l’année 2018. « Commander c’est choisir » et je dois admettre qu’en 2018, nous avons beaucoup choisi, en particulier pour maîtriser la trajectoire des dépenses de masse salariale.

La cause n’est pas à rechercher dans une mauvaise gestion, mais plutôt dans les limites de la construction budgétaire, qui s’appuie sur l’observation du passé, lequel ne se répète pas toujours, et sur des hypothèses prospectives, qui elles aussi ne se vérifient pas toujours. L’impact anticipé des départs en retraite ou des mesures nouvelles ne se vérifie pas forcément lors de l’exécution. Pour améliorer nos prévisions et notre modèle de construction budgétaire, des travaux importants ont été conduits ces derniers mois. Ils sont partagés avec le secrétaire général du ministère de l’Intérieur et la direction du budget. Je suis tout à fait confiant dans notre capacité collective à parvenir à davantage « sincériser » notre budget, comme en atteste d’ailleurs la démarche qui a consisté à diminuer la mise en réserve des crédits puisqu’elle est passée de 8 % en 2017 à 3 % en 2018 avant d’être reconduite à ce même niveau 2019. Je considère que tous ces points vont dans le bon sens.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Avez-vous des difficultés de recrutement ?

Par ailleurs, l’application des onze heures de repos prévus par la directive européenne de 2003 a-t-elle posé des problèmes ? Avez-vous dû, pour compenser, recruter des gendarmes ? Y a-t-il à l’étude de nouveaux plans de répartition de compétences géographiques police-gendarmerie comme cela a pu exister dans le passé ?

Concernant les véhicules, les choses s’arrangent : entre 2 700 et 3 000 véhicules sont remplacés chaque année. Est-ce suffisant pour remplacer le parc dans les délais impartis c’est-à-dire en moins de huit ans ?

M. Laurent Tavel. En 2016, il y a eu, pour l’ensemble de la gendarmerie, une baisse d’activité liée à la question des temps de repos, mais une nouvelle réorganisation du travail a permis de limiter l’impact de la baisse d’activité et sa traduction en équivalents temps plein travaillé (ETPT). Cela avait donné lieu à un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA). Aujourd’hui ceci est parfaitement intégré dans l’organisation du service. Hormis en période de pics, comme par exemple celle des manifestations de gilets jaunes pendant laquelle on peut augmenter un peu les repos physiologiques, la gendarmerie a absorbé l’application des onze heures de repos.

Des redéploiements de zones de compétence entre la police et la gendarmerie ont été opérés dans le passé. Depuis quelques années, il n’y en a pas eu de nouveaux, mais cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un arrêt définitif. Les échanges se poursuivent entre la police et la gendarmerie. Plusieurs propositions qui sont faites et à ma connaissance, on est dans les « starting-blocks » sur certaines opérations de redéploiement.

Sur la question des véhicules, nous considérons qu’un renouvellement du parc à hauteur de 3 000 véhicules par an permettrait de maintenir et rajeunir l’âge moyen. On en voit les effets concrets depuis 2018. Il faut maintenir cet effort. Si on retombait à un niveau inférieur à 2 000 véhicules, on aurait de nouveau une inversion et un vieillissement du parc. L’immobilier et les véhicules sont des priorités budgétaires. En 2019, nous expérimentons l’externalisation des transports par autocar dans deux écoles de gendarmerie. À la fin de l’année, nous verrons si nous poursuivons cette externalisation et si nous la généralisons à l’ensemble des écoles. Une expérimentation comparable sera faite à partir du mois de septembre pour les transports en autocar des gardes républicains. Selon les résultats, l’expérience pourrait être généralisée dès 2020.

Nous pensons donc à des alternatives pour renouveler notre parc sans être systématiquement propriétaires. L’externalisation peut également comprendre le soutien. Par exemple, les autocars de la garde républicaine sont soutenus à Satory près de Versailles ce qui implique des délais de transport. Une externalisation complète de la prestation pourrait être intéressante.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Aujourd’hui le budget de la gendarmerie est d’environ 8,8 milliards d’euros, dont 7,4 millions sont consacrés aux personnels et 1,1 million au fonctionnement. Vous avez parlé de la mise en réserve 3 %. Aujourd’hui, sur quels budgets porte, de fait, la mise en réserve ?

M. Laurent Tavel. Au sein du budget de la gendarmerie, la masse salariale représente un poids de dépenses très important : 85 % des crédits. Ceci rend la capacité de manœuvre très limitée. Les 15 % restants, c’est-à-dire un peu plus de 1 300 millions d’euros en 2019, sont des crédits qui couvrent les dépenses de fonctionnement et d’investissement. Dans ces crédits, il y a une part importante de dépenses obligatoires, celles sur lesquelles nous sommes contractuellement engagés. Par exemple, les loyers de la gendarmerie s’élèvent à plus de 500 millions d’euros, ce qui sur 1 300 millions d’euros représente une part importante. Or, on ne peut pas faire porter la mise en réserve des crédits sur des dépenses obligatoires. Le taux de mise en réserve de 3 % qui s’applique à l’ensemble des crédits hors titre 2, devant être positionné sur les seules dépenses manœuvrables, le pourcentage appliqué à ces dernières peut en réalité représenter beaucoup plus. Parmi les dépenses manœuvrables, figurent par exemple, l’immobilier, les achats de véhicules ou le budget de fonctionnement des unités élémentaires.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelle est la part des dépenses manœuvrables et quelle est celle des dépenses obligatoires ?

M. Laurent Tavel. On considère que la part manœuvrable représente un peu moins de 40 % de l’ensemble des dépenses du hors titre 2, pour 60 % de dépenses obligatoires. Donc effectivement, appliquer un taux de 3 % à un périmètre de 40 % du budget, conduit sur ce périmètre à un taux de mise en réserve qui « tangente » les 8 %. C’est une difficulté et je dois identifier en début d’année sur quoi va porter cette mise en réserve.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Cette mise en réserve – qui est débloquée en fin d’année puis récupérée l’année suivante – vous permet-elle d’effectuer des achats complémentaires, en particulier des véhicules ?

M. Laurent Tavel. La réserve de précaution prévue par la loi organique relative aux lois de finances a été réduite à 3 % en 2018. En 2019, une réserve ministérielle de 1,5 % est venue s’y ajouter. Nous avons donc 3 % de réserve de précaution et 1,5 % de réserve ministérielle.

La différence entre les deux, c’est que pour la réserve ministérielle le dégel est garanti puisque la décision émane du ministre de l’Intérieur. Nous avons l’assurance qu’il le fera au bon moment pour faire face aux aléas qui peuvent survenir au sein du ministère ; c’est le principe de l’autoassurance.

Ces 1,5 % représentent 20 millions d’euros et la réserve de précaution représente 40 millions d’euros.

Les échanges sur les 40 millions d’euros de réserve de précaution ont lieu en fin de gestion, à l’automne, quand on commence à avoir une idée assez précise de la fin de l’année et que l’on a identifié les aléas auxquels on a pu être confronté au cours de l’année. Nous justifions nos besoins, ou les aléas tels la crise des gilets jaunes, qui ont généré des dépenses supplémentaires imprévues. Le dégel, qui n’est pas automatique, peut être décidé par le ministère de l’action et des comptes publics. Il se fait bien sûr en liaison avec le ministre de l’intérieur. Le dégel, s’il est décidé, peut être total ou partiel. Depuis 2006, le dégel a pu être de 90 % ou se limiter à 15 % ou 20 % du total des crédits mis en réserve. Chaque année est différente et nous devons à chaque fois justifier de nos besoins.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Quand l’autorisation de dégel arrive, avez-vous le temps d’engager des dépenses avant la clôture budgétaire ?

M. Laurent Tavel. Oui. En règle générale, les autorisations de dégel sont données vers le mois de novembre. Si des crédits sont dégelés pour acheter des véhicules, par exemple, on a tout à fait le temps de passer des commandes avant la fin de l’année.

Mme Aude Bono-Vandorme. Général, vous nous avez parlé des limites de la construction budgétaire. Je voudrais parler des moyens que vous envisagez pour « sincériser » la programmation budgétaire. Quels sont les moyens que vous comptez mettre en place pour ne plus avoir de problèmes dans la planification des dépenses de l’année ?

Pourriez-vous également nous en dire plus sur les renforts des soutiens immobiliers ?

M. Laurent Tavel. La démarche de « sincérisation » du budget est un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup notamment pour améliorer la prévision de nos besoins et de notre dépense. Concernant les dépenses de titre 2, donc de masse salariale, nous avons engagé des travaux en 2018, qui se sont poursuivis en 2019, pour améliorer à la fois nos propres outils de prévision de la dépense, mais également l’outil qui sert à la construction du budget. Nous souhaitons le rendre beaucoup plus fiable afin d’avoir une maille plus fine et mieux calculer le budget de l’année en « N + 1 ». Aujourd’hui, l’outil construit le budget sur trois années, selon les budgets exécutés de l’année « N – 1 », les dépenses de l’année « N » et les prévisions de « N + 1 ». Une simple petite erreur sur des périmètres de l’ordre de 4 milliards d’euros de dépenses peut être problématique. Il y a donc un travail de fiabilisation de l’outil de construction et une amélioration de nos prévisions qui est en cours. Sur le titre 2, nous sommes donc dans une démarche de « resoclage » du budget. On essaie aussi d’améliorer nos prévisions en termes d’entrées et de sorties des effectifs. Là encore, si nous n’avons pas des données très fiables sur les prévisions de départs à la retraite pour l’année « N + 1 », cela impacte le coût de la masse salariale en plus ou en moins. La prévision est une aide précieuse pour « sincériser » l’expression des besoins et elle doit être partagée avec les services du ministère de l’Intérieur et avec la direction du budget.

Pour les soutiens immobiliers, nous renforçons la chaîne au niveau du département. Nous avons des sections des affaires immobilières qui gèrent l’ensemble du parc immobilier du département. Un travail important a été conduit il y a trois ans. Nous avons opéré un audit complet et nous renforçons les sections des affaires immobilières au niveau du département par 60 à 80 effectifs nouveaux sur quatre ans.

M. Olivier Gaillard. Mon général, il y a aujourd’hui des compagnies dans des logements insalubres et indignes. Il y a pourtant des outils performants à la disposition des collectivités, des promoteurs et des bailleurs qui leur permettent de répondre à la demande. Il est vrai que des décisions, souvent politiques, peuvent rendre difficiles des opérations d’aménagement, de réhabilitation ou de construction nouvelle. Vos représentants sur le terrain font en sorte de mobiliser les collectivités et les bailleurs, pour qu’elles réalisent enfin de nouvelles casernes. Disposez-vous de moyens suffisants pour y parvenir ? Aujourd’hui, logement est un sujet important pour le gendarme qui joue en termes de recrutement et de fidélisation. Comment luttez-vous contre la lenteur des décisions politiques ?

M. Laurent Tavel. L’immobilier c’est un sujet important. Certaines casernes ne répondent pas aux standards de normes actuels. Nous disposons d’une bonne connaissance de notre parc, nous avons des outils et les sections des affaires immobilières sont au plus près du terrain. Elles ont une connaissance parfaite de la situation du parc immobilier du département. Nous avons un travail de priorisation à faire afin de traiter d’abord les casernes qui se trouvent dans les situations les plus urgentes.

Le système est mixte. Les casernes dont nous ne sommes pas propriétaires et pour lesquelles nous payons des loyers sont généralement de petites casernes, souvent des brigades territoriales, composées de 6 à 40 gendarmes. Ces logements locatifs qui représentent la part la plus importante des logements, sont dans un état général plutôt correct. Il y a des loyers à acquitter, mais les propriétaires, les collectivités locales, entretiennent leur parc et initient un dossier de reconstruction quand les casernes deviennent vieillissantes. Le décret de 1993 permet à la fois à la collectivité locale d’apporter une subvention de 18 % à 20 % d’un coût plafond révisé trimestriellement et d’encadrer les loyers qui seront de 6 % de ce coût plafond. C’est donc un système gagnant-gagnant avec les collectivités locales. Il faut simplement disposer d’un terrain qui réponde à nos besoins. Le référentiel de construction existe et généralement les dossiers sont traités de façon fluide.

Le décret de 2016 est lui destiné aux opérations avec les offices publics d’habitation à loyer modéré. La différence avec le décret de 1993 est de deux ordres : la suppression du plafond de 40 logements et l’encadrement des loyers à 7 % du coût plafond. C’est aussi une règlementation qui fonctionne très bien. Il y a aujourd’hui presque une centaine de dossiers élaborés sous le mode du décret de 2016 et près de 1 800 unités-logement sont en cours. Il y a aussi parfois des montages mixtes.

Des difficultés peuvent exister localement. Elles sont souvent liées à un problème domanial et à des obstacles juridiques. Si le terrain appartient à l’État, celui-ci doit le déclarer inutile et il sera ensuite affecté à une force régalienne.

Pour les casernes domaniales, on est vraiment dans une logique de priorisation des interventions. On dispose d’un budget d’une centaine de millions d’euros cette année. Il faut intégrer aussi les besoins de sécurisation des casernes, mais ce budget nous permet de réaliser des travaux de maintenance lourde pour 3 500 à 4 000 logements par an. Ce qui est important, c’est d’avoir une visibilité au moins sur cinq ans, de manière à donner des perspectives à nos personnels qui habitent encore dans des casernes qui ne sont pas dignes. Il faut pérenniser ce budget dans la durée à la différence de ce qui s’est produit dans le passé et ainsi éviter l’effet « yo-yo », entre des périodes avec des budgets très élevés suivies d’un effondrement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Combien faudrait-il rajouter au budget de la gendarmerie, dans le cadre d’un plan pluriannuel, pour que d’ici la fin de la législature, nous disposions d’un parc immobilier domanial correct, d’effectifs et d’équipements suffisants pour les gendarmes départementaux et pour la gendarmerie mobile ?

M. Laurent Tavel. La question est simple mais la réponse ne l’est pas autant. Il faudrait faire un effort supplémentaire sur l’immobilier. Tripler les budgets serait irréaliste, et il faut également prendre en considération la capacité à mettre en œuvre les opérations, sinon on sera dans l’incapacité de dépenser ce budget supplémentaire. Il faut aussi être réaliste, aujourd’hui nous avons un budget qui nous permet de remplir nos missions mais nous avons besoin de visibilité. La future loi de programmation de la sécurité intérieure sera l’occasion de faire une revue de l’ensemble de nos besoins, de les exprimer et de voir s’ils peuvent être pris en compte.

Concernant le nombre de gendarmes par escadron, des décisions récentes ont été prises. Le directeur général a décidé non pas d’augmenter le nombre d’escadrons – je rappelle que 15 escadrons ont été supprimés entre 2010 et 2011 avant que ne soit recréé un escadron en 2016 – mais d’augmenter le nombre de gendarmes par escadron. Aujourd’hui, un escadron est composé de 110 gendarmes et cet été on va passer à 115. Nous avons 109 escadrons, cela représente donc un effectif supplémentaire de 500 gendarmes dont la majorité proviendra du redéploiement des effectifs affectés dans vingt-deux pelotons de gendarmerie mobile créés il y a trois ans. Ce projet s’inscrit dans une démarche d’autonomisation plus grande des escadrons afin de les rendre plus disponibles.

Malgré cette contrainte budgétaire, nous avons réussi à dégager en début d’année 2019 près de 2 millions d’euros pour acheter des effets de protection individuelle pour les gendarmes départementaux qui ont dû participer à des actes de maintien de l’ordre même si ce n’est pas leur métier. On a ainsi pu déployer trente lots de protection individuelle dans chaque groupement de gendarmerie départementale qui se charge ensuite de les répartir au niveau des compagnies ou des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) qui sont engagés face aux manifestations de gilets jaunes et aux actes de violence qui sont commis en marge de ces manifestations.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mon général, vous êtes un spécialiste du budget mais dans cette réponse vous n’avez donné aucun chiffre ! D’après vous quel serait le montant nécessaire pour la gendarmerie ?

M. Laurent Tavel. Donner un chiffre revient à figer les choses. Pour l’immobilier, 50 millions d’euros supplémentaires chaque année seraient un effort déjà très conséquent au-delà duquel notre capacité à le traiter ne serait pas garantie. Mais c’est vrai que cet effort nous permettrait d’accélérer la remise en état de nos casernes domaniales.

Pour les véhicules, l’achat de 3 000 véhicules par année représente un budget qui tangente les 65 millions d’euros. C’est ce que nous avons cette année et la reconduction de ce budget nous permet de renouveler nos véhicules.

Nous avons par ailleurs d’autres sujets à moyen terme comme le remplacement des véhicules de maintien de l’ordre de la gendarmerie mobile qu’il faudra réaliser dans les deux à trois années à venir. Nous exprimerons ce besoin dans la loi de programmation de sécurité intérieure si elle se confirme. Il s’agira de budgets importants, mais ces équipements dureront pendant quinze ans. C’est donc un rythme différent qui demandera un effort pendant trois, quatre, cinq ans et dont les effets perdureront pendant dix ans.

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  Audition du 5 juin 2019

Le général Armando de Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Nous poursuivons les auditions de la commission d’enquête avec l’audition du général Armando de Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, avec lequel nous souhaitons approfondir la question très importante des personnels et de la gestion des ressources humaines au sein de la gendarmerie nationale

Je rappelle également que conformément aux dispositions de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment.

(Le général Armando de Oliveira prête serment.)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous nous parler du recrutement, des effectifs, mais aussi des risques psycho-sociaux et des suicides ? Enfin, comment sont pris en charge les blessés dans la gendarmerie nationale ?

Général Armando de Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale. La loi du 3 août 2009, qui a rattaché organiquement la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, a expressément réaffirmé le statut de force armée de la gendarmerie et le statut militaire de ses personnels. D’emblée, il est apparu évident que la dimension humaine était l’enjeu central de l’intégration de la gendarmerie à ce ministère. Pour répondre à cet enjeu, il nous fallait agir sur trois leviers.

Le premier consistait à créer les conditions d’un traitement équitable des personnels ; à cette fin a été fixé le principe de parité globale de traitement entre police et gendarmerie. Depuis dix ans, ce principe fondamental a été respecté avec attention et pragmatisme.

Le deuxième levier était la rénovation de notre dispositif de concertation pour donner les moyens au ministre de l’Intérieur, désormais responsable au quotidien du dialogue social entre les forces, de conduire ce dialogue avec la gendarmerie.

Le troisième levier consistait à s’inscrire dans une logique de performance collective avec les autres forces du ministère, tout en préservant l’identité militaire de la gendarmerie et des gendarmes. C’est la condition de la complémentarité des forces de sécurité intérieure.

Au terme de la décennie écoulée, la gendarmerie s'est pleinement intégrée au ministère de l'Intérieur et a su s'inscrire dans cette dynamique collective, tout en préservant les fondamentaux qui conditionnent son appartenance à la communauté militaire.

Aujourd'hui, nous nous attachons à moderniser la gouvernance des ressources humaines pour tenir compte des changements sociétaux et générationnels, ainsi que de l’évolution rapide de l'identité du gendarme, à l’image de celle du reste de la société.

Cette évolution nous place devant un triple enjeu : le recrutement, la socialisation et l’emploi. Notre préoccupation est plus que jamais de conserver l'humain au centre de nos actions en matière de ressources humaines, afin de créer des parcours professionnels en phase avec les parcours de vie de nos personnels. Nous développons, par exemple, des leviers d'attractivité dans la gestion des ressources humaines pour compenser les déséquilibres géographiques entre formations administratives et nous mettons à disposition de nos personnels des informations pour les aider à définir leur parcours.

Nous mobilisons également les nouvelles technologies et nous aurons recours à l’intelligence artificielle pour mettre en œuvre une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences au service de la performance collective et individuelle. La gendarmerie dispose pour cela d’un certain nombre d’atouts. On lui reconnaît une vraie capacité d’innovation. Le calculateur de solde Agorh@, entré en service le 1er janvier dernier, en est une belle illustration. La gendarmerie compte en son sein des ingénieurs de haut niveau, qui lui ont permis de développer en interne ce type de produits.

Enfin, le corps social de la gendarmerie a confiance en sa hiérarchie, ce qui est essentiel pour conduire ce genre de transformation. La transformation donne plus de sens à ce que nous faisons tous ensemble.

Cette attention portée à l'humain se traduit aussi par l'adaptation de notre outil de formation. Le 21 mai 2019, la direction générale a tenu des assises de la formation, auxquelles nous avions conviés un certain nombre de responsables en ressources humaines (RH) du privé et du public, pour qu’ils nous apportent un regard extérieur. Cet exercice introspectif nous a permis d’identifier des axes de progrès pour apporter à nos personnels les compétences dont ils ont besoin, tant en formation initiale qu’en formation continue. Le sujet de la formation est pour nous essentiel parce qu’il conditionne la performance de l’ascenseur social auquel la gendarmerie est particulièrement attachée et qui fait pleinement partie de notre modèle de ressources humaines.  

Le dialogue social interne constitue la clef de voûte de la cohésion de la gendarmerie. Le socle de valeurs partagées entre les personnels, l’absence de césure entre les corps liée à ce phénomène d’ascenseur social, le système de formation et d’avancement qui légitime le commandement des officiers et des sous-officiers de gendarmerie, mais aussi l’exercice d’un commandement bienveillant, comme le souhaite le directeur général, ainsi que la vie en caserne cimentent la solidarité et la cohésion au sein de la gendarmerie. Cette cohésion forte joue un rôle d’amortisseur des tensions potentielles liées à un surcroît d’activité, au stress professionnel ou à d’autres facteurs.

Enfin, le modèle spécifique de dialogue interne et la légitimité des représentants de la concertation, dont je rappelle qu'ils sont élus, contribuent à des échanges réguliers, apaisés et constructifs. Notre chaîne de concertation prend ainsi toute sa part dans les évolutions de la gendarmerie, soit qu’elle les suggère, soit qu'elle participe à la réflexion qui préside à ces évolutions.

Enfin, nous accordons effectivement une attention particulière à la qualité de la vie au travail et à la prévention des risques psycho-sociaux. En dépit du contexte et des tensions d’emploi auxquelles sont confrontées les deux forces de sécurité intérieure depuis plusieurs années — l’intensité n’a pas baissé, tant s’en faut, depuis 2015 — nous n'avons pas identifié de malaise collectif au sein de la gendarmerie. Nous y sommes très vigilants à travers notre dispositif global de prévention des risques psycho-sociaux et d'amélioration de la qualité de vie au travail.

En ce qui concerne les recrutements, nous n’avons pas observé d’inflexion dans l’appétence à entrer dans la gendarmerie. De mémoire, nos taux de sélection sont de 1 pour 10 les officiers, de 1 pour 5 pour les sous-officiers, et de 1 pour 2,5 pour les gendarmes adjoints volontaires — logiquement, ces taux sont plus bas pour le recrutement interne. Ces taux de sélection sont pertinents dans un univers qui est de plus en plus concurrentiel. Nous recrutons ainsi chaque année 6 000 adjoints volontaires, 3 500 sous-officiers et une soixantaine d’officiers en recrutement externe. Ce sont des volumes extrêmement importants : on approche des 10 000 recrutements par an ; tous les cinq ans, la gendarmerie renouvelle la moitié de son volume d’effectifs. La construction d’un parcours motivant qui réponde à la volonté de nos personnels de prendre des responsabilités supérieures manifeste une appétence pour la passerelle entre les corps assez forte. Cette année, après une année de formation, pour l’essentiel à distance et en partie à l’école des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN), 310  officiers sortis du rang prennent leur service. C’est la preuve de la vitalité de cet ascenseur social.

La qualité de notre recrutement reste donc incontestablement satisfaisante. La génération des millennials vient chercher dans la gendarmerie des valeurs très fortes. Seuls 2,5 % de ceux qui commencent la formation renoncent finalement à devenir gendarmes.

Nous nous préparons à mener une double bataille : celle de la concurrence en matière de recrutement et celle de la compétence pour sélectionner tous les profils dont nous avons besoin, à tous les niveaux.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Est-il compliqué de faire appel aux réservistes actuellement, en raison de la baisse des crédits ?

Général Armando de Oliveira. Les réservistes sont très motivés. Au 31 décembre 2018, la réserve était constituée de 30 288 personnes ; nous sommes donc au-dessus de la barre des 30 000 réservistes que nous nous étions fixée dans un premier temps. Notre objectif est de recruter à terme 40 000 réservistes, mais il va de soi que nous devons réguler notre capacité à recruter en fonction des budgets que nous pouvons y accorder.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Depuis le 17 décembre, date du début de la crise des « Gilets jaunes », le niveau de violence à l’égard des gendarmes a fortement augmenté. Cette hausse a toutefois commencé bien avant, dans les « zones à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, de Bure ou de Kolbsheim ou avec le regain de tensions outre-mer. Pouvez-vous commenter l’évolution du nombre de blessés et de tués depuis 2007 ? Quel diagnostic faites-vous de l’évolution de cette violence ? Les auteurs sont-ils plus souvent sous l’emprise de produits stupéfiants ? Sont-ils plus souvent armés ? Certaines blessures auraient-elles pu être évitées grâce à des équipements supplémentaires ?

Enfin, qu’est-ce qui s’oppose à l’extension de la protection fonctionnelle suite aux événements résultant d’une faute non intentionnelle ? Avez-vous calculé le coût d’une telle mesure ?

Général Armando de Oliveira. Les blessés sont une préoccupation très forte à l’heure actuelle. Nous avons changé de mode de recensement statistique en 2013 pour adopter le même que celui de nos collègues policiers. Entre 2007 et 2012, nous n’avons pas connu d’évolution sensible du nombre de blessés. Dès 2013, nous avons constaté une très forte augmentation : on est passé de 2 292 blessés en service en 2007 à 4 715 en 2013. Entre 2014 et 2018, le nombre de blessés a augmenté de 15,8 %. En particulier, les blessures consécutives à une agression ont progressé de 32 % — ce chiffre s’élève à 111 % en outre-mer. Il faut également signaler une forte progression des agressions avec arme, de 57 % en métropole et de 186 % outre-mer. Nous constatons donc une évolution du nombre des blessés et de la nature des blessures, ainsi que des disparités territoriales : l’augmentation est très forte outre-mer.

En 2018, 2 306 gendarmes ont été blessés du fait d’agressions physiques, ce qui constitue une augmentation de 12,4 % par rapport à l’année précédente. Cette augmentation des agressions s’accompagne d’une hausse du nombre de blessés de 19,7 %, car une agression peut occasionner plusieurs blessés. Les violences avec arme, à savoir l’utilisation d’une arme à feu, d’une arme blanche ou d’un véhicule pour porter atteinte à l’intégrité physique des gendarmes, représentent aujourd'hui 44 % des agressions physiques. Entre 2017 et 2018, les agressions avec un véhicule ont augmenté de 5 % et les jets de projectile de 87 %, en particulier pendant les deux derniers mois.

On compte chaque jour 20 refus d’obtempérer dans la France entière, métropole et outre-mer. Hier, un gendarme a été percuté dans de telles circonstances.

Sur les cinq premiers mois de l’année 2019, on compte 2 736 gendarmes blessés dont 1 544 blessés en mission. Ces chiffres sont au même niveau que les cinq premiers mois de l’année 2018, comme pour le nombre de blessés à la suite d’une agression. Vous savez qu'on distingue les blessés en mission, c'est-à-dire en mission de police administrative ou de police judiciaire, et les blessés en service qui sont en liaison entre deux unités, par exemple.

Le niveau de violence important en 2018 se maintient donc en 2019.

En un mois et demi, à la fin de l’année 2018, nous avons comptabilisé 355 blessés pendant les manifestations des Gilets jaunes. Depuis le début de l’année 2019, malgré des épisodes extrêmement difficiles au mois de mars, les troubles à l’ordre public ont été moins importants : on comptabilise 172 gendarmes blessés pendant des manifestations depuis le 1er janvier.

Nous faisons tout notre possible pour faire évoluer l’équipement de nos personnels. Par exemple, en 2019, nous avons acquis 20 000 gilets pare-balles. Nous poursuivons l’effort de remise à niveau des équipements commencé en 2015 à la suite des attentats. La gendarmerie départementale n’a pas vocation à faire du maintien de l’ordre ; elle l’assure cependant en situation d’urgence ; nous avons donc besoin d’un certain volume d’équipement au niveau départemental pour permettre au peloton d’intervention d’intervenir au moment où commence une situation de trouble de l’ordre public. Nous constituons donc une trentaine de lots par département pour intervention d’urgence dans le cadre de troubles en train de se constituer. La qualité de protection et le volume des dotations ont donc été améliorés.

On peut aborder l’accompagnement des blessés sous différents aspects. D’un point de vue statutaire, les blessés obtiennent un congé de longue durée pour maladie. Le nouvel outil de suivi des blessés, développé, depuis le 1er avril 2019, raccourcit considérablement les délais de décision : nous apportons une réponse administrative sous cinq jours à toutes les questions, ce qui est un très bon résultat quand on sait la complexité des demandes à formuler par les personnels blessés. Nous disposons également d’un accompagnement hiérarchique de proximité de qualité avec le service de santé des armées, les assistants de service social, les psychologues cliniciens de la gendarmerie nationale qui accompagnent non seulement le blessé mais aussi son entourage. En effet, la particularité du gendarme réside dans le fait qu’il vit là où il travaille et il travaille là où il vit.

Nous augmentons les capacités de la cellule d’aide aux blessés créée en 2015 afin d’établir un recensement exhaustif des blessés dans la gendarmerie pour que l’échelon central puisse accélérer les procédures et aider les échelons locaux à prendre des décisions d’octroi de soutien administratif aux blessés et assurer un accompagnement exhaustif. En cas de difficultés au niveau local, cette structure envoie un délégué de l’administration centrale pour aider le blessé à résoudre les difficultés qu’il rencontre, comme c’est arrivé récemment dans le secteur de Perpignan.

La gendarmerie a intégré en 2016 le dispositif interarmées de reconstruction des blessés par le sport, qui est très apprécié. Deux programmes s’adressent spécifiquement aux familles – car toute la famille subit les conséquences d’une blessure. D’une part, la gendarmerie a mis en place des stages pour les blessés, mais aussi leur conjoint et leurs enfants, au Centre national des sports de défense. Organisés tous les deux ans, ces stages ont été labellisés par le service de santé des armées. D’autre part, depuis 2010, un protocole avec l’institution de gestion sociale des armées (IGESA)  permet d’offrir aux familles des militaires blessés un séjour dans un centre IGESA pour qu’ils puissent franchir cette étape difficile. De nombreux acteurs institutionnels contribuent à cet accompagnement des blessés, notamment la Fondation de la gendarmerie, dont le soutien est essentiel pour nous.

Mme Aude Bono-Vandorme, présidente. Pourriez-vous apporter des précisions concernant la protection fonctionnelle ?

Général Armando de Oliveira. La protection fonctionnelle concerne 5,5 millions d’agents publics. En 2012, le conseiller d’État Mattias Guyomar avait émis un certain nombre de préconisations que nous n’avons pas pu toutes suivre, car elles engageraient l’État dans des situations très complexes. Vous avez auditionné le groupe de liaison du conseil de la fonction militaire. Vous savez donc que notre corps social souhaiterait voir prises en compte au titre de la protection fonctionnelle les infractions non intentionnelles, autrement dit les accidents de la route. Nous comprenons bien que cela pose des difficultés, puisque tous les corps de la fonction publique sont potentiellement concernés. Il faudrait pouvoir distinguer entre l’accident de la route à proprement parler et l’accident qui en réalité cache une agression. Il est vrai qu’existent certains cas particuliers qui suscitent de l’incompréhension.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez parlé de plus de 30 000 réservistes au 31 décembre 2018. Combien y a-t-il actuellement de militaires en gendarmerie nationale ? Combien de gendarmes adjoints volontaires (GAV) ? Combien de sous-officiers, d’officiers, de généraux et de généraux en deuxième section ? Quelle est la part de militaires de terrain et la part de militaires en fonction support ?

Général Armando de Oliveira. Au 31 décembre 2018, il y avait 102 269 personnels dans la gendarmerie. Parmi eux, 99 004 relèvent du programme 152, tandis que 3 265 n’en relèvent pas. Nous compterons 110 généraux une fois que la liste d’aptitude 2019 aura été effectivement intégrée. Nous comptons 6 023 officiers de gendarmerie et 595 officiers du corps du soutien technique et administratif, ce qui porte le total à 6 636 ; 78 607 sous-officiers dont 74 015 sous-officiers de gendarmerie et 4 592 sous-officiers du corps du soutien technique et administratif ; 12 602 gendarmes adjoints volontaires. Au total, nous comptons donc 97 845 militaires, auxquels il faut ajouter 4 424 personnels civils.

M. Joaquim Pueyo. Je tiens à témoigner du fait que l’opinion publique a une très bonne image de la gendarmerie nationale. Les gendarmes réservistes ainsi que des associations comme les Amis de la gendarmerie contribuent à renforcer le lien entre la gendarmerie et la nation.

La ministre des armées a mis en place un plan famille pour fidéliser les militaires et améliorer leurs conditions de vie, qui pour certaines sont correctes tandis que ce n’est pas du tout le cas pour d’autres. Avez-vous un plan pour moderniser les hébergements, d’autant plus que le ministre de l’Intérieur ne construit pratiquement plus, mais demande aux collectivités d’établir des conventions ?

Général Armando de Oliveira. En 2015, 2016 et 2017, trois plans d’urgence ont été votés par la représentation nationale pour aider à la rénovation d’un certain nombre de logements qui étaient en très mauvais état. En 2018 et 2019, le montant de ce plan a été de 105 millions d’euros. Par comparaison, en 2012, le budget consacré aux logements était de 6 millions d’euros. Les montants actuels témoignent du souci que la représentation nationale a de loger les gendarmes dans de bonnes conditions. En effet, la qualité du logement conditionne la qualité de vie de l’ensemble de la famille des gendarmes.

Le modèle de la gendarmerie repose sur deux piliers : le caractère militaire de la gendarmerie et le logement en caserne. Ces deux piliers conditionnent la sécurité qu’apporte la gendarmerie à la moitié de la population française et sur 95 % du territoire national. La sécurité repose elle-même sur deux principes : la disponibilité et la proximité. La disponibilité des gendarmes est rendue possible grâce à la concession de logement par nécessité absolue de service. Cette situation a deux conséquences très concrètes : elle interdit la quantification du temps de travail : il n’y a pas d’heures supplémentaires ni de rémunération différenciée selon le moment où la mission est accomplie. Ensuite, la disponibilité en tout temps et en tout lieu propre au militaire et exorbitante par rapport au droit commun, permet de les employer dans des territoires réputés peu attractifs que d’autres services publics n’occupent plus.

M. Jean-Claude Bouchet. N’y a-t-il pas de difficultés liées à l’acceptation par le conjoint de la vie en caserne ?

Général Armando de Oliveira. La dernière enquête réalisée en 2017 montre que le célibat géographique touche 22 % des officiers et 19 % des sous-officiers. Il est vrai que la situation des nouvelles générations, dans laquelle les deux membres du couple travaillent, entraîne des changements. Le célibat géographique n’est pas lié aux conditions de logement mais à un changement dans les modes de vie.

On aurait tort de penser que la concession du logement est uniquement une charge ou un avantage. La plus récente étude cohorte effectuée sur les gendarmes nés en 1994, montre que plus d’un tiers d’entre eux pensent que la concession de logement est une sujétion extrêmement forte, parfois très difficile à assumer. De même, un tiers des tout jeunes élèves qui entrent à l’école de la gendarmerie considèrent que c’est une sujétion. Nous sommes donc au défi de faire vivre le concept de la concession de logement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans les territoires ruraux, certains gendarmes restent durant plusieurs décennies et construisent une maison. Ne pourrait-on pas aménager la concession de logement dans ces cas précis ?

Général Armando de Oliveira. La concession de logement est liée à la condition militaire. On ne peut pas affaiblir l’un de ces piliers sans affaiblir l’autre. Certes, des dérogations sont accordées à des gendarmes pour qu’ils habitent un logement personnel, mais ces cas sont en nombre extrêmement réduit et concerne principalement les familles qui comptent une personne handicapée. Pour l’instant, il n’est pas envisageable de multiplier les aménagements, étant donné l’importance de la concession de logement pour la définition même de ce qu’est la gendarmerie.

 


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  Audition du 19 juin 2019

M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.

 

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le ministre, mesdames et messieurs et chers collègues, à la demande du groupe UDI et Indépendants, il a été créé en février dernier, à l’Assemblée nationale, une commission d’enquête sur les forces de sécurité, leur situation, leurs missions et leurs moyens. La commission d’enquête a fait le point sur des problématiques importantes que nous souhaitons aborder avec vous.

Les questions posées par l’organisation, les moyens des forces de sécurité, leurs équipements, les locaux dans lesquels les policiers et les gendarmes vivent ou travaillent, les véhicules dans lesquels ils se déplacent, le recentrage des missions et la lourdeur de la procédure pénale pour le quotidien des forces de l’ordre, des officiers de police judiciaire (OPJ), des agents de police judiciaire (APJ) ne sont pas nouvelles. Elles sont d’ailleurs même bien connues, et cela ne les rend que plus importantes. Quand les constats se répètent depuis des décennies, c’est que les solutions n’ont pas été pleinement apportées.

Même si les derniers budgets font l’objet d’une hausse significative, celle-ci n’est pas suffisante pour combler le retard accumulé. Il y a des réussites tangibles dans la lutte contre le terrorisme et en matière de renseignement, en particulier, mais les défis que posent l’évolution de la délinquance, la nucléarisation des formes de manifestations, leur hyperviolence aussi, la radicalisation et bien d’autres sujets de sécurité sont énormes. Les attentes des Français sont considérables et elles sont légitimes, en même temps que l’image des forces de l’ordre, elle, s’est continuellement dégradée.

Monsieur le ministre, nous nous devons de procéder à une profonde réforme des forces de sécurité pour leur donner les moyens d’exercer efficacement leurs missions, au service de l’État et au service des citoyens. Des réorientations ont été lancées, des engagements ont été pris, avec la mise en place de la police de sécurité du quotidien (PSQ), et avec l’annonce par le Premier ministre, dans son discours de politique générale, d’une loi de programmation de la sécurité intérieure (LOPSI). Et c’est bien en soutien de cette réforme que vous portez, monsieur le ministre, que s’inscrivent, à mon sens, les travaux de cette commission. Nous avons tous intérêt à réussir cette transition.

Monsieur le ministre, tous nos collègues, représentants de la Nation, qui appartiennent à cette commission, tiennent à rendre solennellement hommage à nos policiers et gendarmes nationaux, ainsi qu’à nos policiers municipaux ; à adresser une pensée émue et respectueuse aux familles de ceux qui ont fait don de leur vie à la République. Nous pensons aussi aux blessés et à ceux, trop nombreux, qui, en grand tourment, ont quitté le chemin.

Je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

(M. Christophe Castaner prête serment)

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Depuis cinq mois environ, c’est un peu plus d’une centaine d’heures d’audition que nous avons menée pour cette commission d’enquête et une demi-douzaine de déplacements. Nous avons voulu que cette commission soit au plus près des préoccupations de nos forces de sécurité, gendarmerie nationale, police nationale, police municipale, gardes champêtres mais aussi agents de l’administration pénitentiaire.

Nous vous avons demandé, il y a environ six mois, certains documents, notamment des rapports sur la formation de la police nationale, sur la formation continue en gendarmerie nationale, sur le maire et la sécurité intérieure, également l’étude immobilière réalisée sur un échantillon de 536 bâtiments en 2017. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous transmettre ces documents assez rapidement ?

S’agissant de la consultation à laquelle j’ai souhaité procéder, j’entends tout à fait les arguments que vous m’avez opposés. Néanmoins, je souhaiterais que nous trouvions une solution pour pouvoir demander directement leur avis aux policiers et aux gendarmes sur des questions qui ne sont pas conflictuelles – c’était l’esprit d’une démarche qui a pour but d’obtenir un échantillonnage clair servant de base à des propositions concrètes.

M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. D’abord, sur la question de la méthode, nous avons fait un point, en fin de semaine dernière, sur la totalité des documents que vous nous avez demandés et qui sont en notre possession, et il conviendra évidemment que nous vous les remettions le plus rapidement possible. Cela sera fait dans les heures qui viennent.

Ensuite, concernant le questionnaire aux policiers et aux gendarmes, nous sommes bien au-delà du point 2 de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des commissions d’enquête. En effet, nous devons vous fournir la totalité des documents, mais pas forcément effectuer des sondages en interne. Nous avons sur e point consulté les juristes du Secrétariat général du Gouvernement. Il ne nous est pas possible aujourd’hui de diffuser aux 200 000 fonctionnaires concernés un document qui n’est pas placé sous l’autorité du ministère.

Je sais que vous avez pris contact avec les partenaires sociaux, qui l’ont relayé et cela me paraît une bonne méthode. Mais il s’agit d’une consultation ; elle n’est donc pas scientifique, contrairement à un sondage. La commission d’enquête pourrait avoir des moyens qui lui permettraient de faire réaliser un sondage, mais envoyer, sous le sceau du ministère, un questionnaire sur lequel le ministre n’a pas d’autorité, va bien au-delà du cadre formel qui organise les échanges avec les membres d’une commission d’enquête. N’y voyez surtout pas la volonté de cacher quoi que ce soit. Nous sommes dans une situation où nous devons fournir la totalité des documents en notre possession ; or nous ne disposons pas de telles consultations. En revanche, des études ont été effectuées, elles sont publiques, des analyses permettant, par exemple, de contredire le président Fauvergue qui vient d’indiquer que l’image des forces de l’ordre serait continuellement dégradée. Ce n’est pas le cas.

Les Français ont confiance dans la police et dans la gendarmerie ; 76 % d’entre eux se prononcent en faveur d’un soutien massif à nos forces de l’ordre, mais il s’agit d’un soutien exigeant, notamment en ce qui concerne l’ordre public ; c’est un sujet qui va nous préoccuper dans l’élaboration du schéma national, et sur lequel je reviendrai certainement.

La sécurité est le premier thème au cœur des préoccupations des Français. L’intérêt d’une commission d’enquête comme la vôtre est de réunir l’ensemble des parlementaires car s’il y a bien une chose contre laquelle, politiquement, je m’inscris en faux, c’est l’idée que la question de la sécurité appartiendrait à un camp politique ou un autre. Il s’agit du quotidien de tous les Français, et la sécurité, pour tout parlementaire ou ministre, est une priorité.

Il s’agit pour le Gouvernement d’une priorité absolue ; une priorité de la première minute, posée par le Président de la République. Les augmentations successives du budget du ministère de l’intérieur, que vous avez votées ces deux dernières années, atteignent le milliard d’euros, ce qui démontre l’importance donnée à la question sécuritaire.

Il suffit d’écouter le Premier ministre qui dans son discours de politique générale évoquait l’urgence qu’il y a à combattre les peurs – fondées – des Français en matière de sécurité. La feuille de route qui est la nôtre, avec Laurent Nuñez, est une feuille de route importante. D’ailleurs, je ne veux pas faire de différence entre l’insécurité et le sentiment d’insécurité. Quand les Français ont peur, la question n’est pas de savoir si les statistiques ont baissé ou pas. Ce sentiment d’insécurité doit être terrassé.

Cela signifie que nous devons combattre la menace terroriste, dont la propagande continue à respirer la mort ; nous l’avons vu récemment encore à Lyon, et s’il n’y a pas eu de morts, il y avait l’intention de tuer. Ce risque est permanent, le nombre de menaces qui ont été neutralisées par nos forces de sécurité le montre bien.

Assurer l’ordre républicain, c’est veiller à ce que la liberté de manifester, par exemple, puisse s’exprimer librement. Cela fait débat et le débat est parfaitement légitime, mais j’affirme comme une priorité la possibilité qu’elle s’exprime effectivement.

Assurer la sécurité du quotidien, c’est empêcher les violences gratuites, mais c’est aussi empêcher les vols et les cambriolages, combattre la drogue, les trafics, qui sont autant de plaies pour les familles, pour nos jeunes, pour nos quartiers, et qui déstructurent la société. La lutte contre le trafic de drogue est fondamentale pour l’équilibre de la société, car le risque est de perdre des quartiers entiers, des familles entières.

Tous ces enjeux impliquent d’importantes responsabilités. Il faut pour cela donner à nos forces les moyens d’agir et les accompagner dans leur travail.

La première responsabilité porte sur les moyens. Nous devons donner aux forces de l’ordre les moyens d’accomplir leur travail et de l’accomplir dignement. La deuxième responsabilité, est celle de la stratégie. Les moyens ne servent à rien si nous n’avons pas un cap et une stratégie clairs pour la sécurité des Français. Trop souvent, nous nous posons la question des moyens humains et pas forcément celle des moyens matériels qui doivent les accompagner. Trop souvent, nous empilons des structures sans forcément les moderniser. La stratégie est donc absolument essentielle.

Notre troisième responsabilité, c’est celle de l’humain. Le ministère de l’intérieur est d’abord et avant tout un ministère de femmes et d’hommes qui prennent des risques, qui acceptent de nombreuses contraintes pour nous venir en aide, nous défendre, nous protéger, nous sauver. La principale force de ce ministère n’est évidemment pas celle de l’incarnation par un ministre, mais celle de ces femmes et de ces hommes.

Ce sont ces trois responsabilités qui guident mon action et c’est autour d’elles que j’articulerai mon propos.

D’abord la question des moyens. Nous assistons, depuis le début de ce mandat à une montée en puissance importante des moyens du ministère. En 2019, elle a été de 575 millions d’euros, soit de 3,42 points. Celle de 2018 était forte aussi. Et si je prends la seule question de la sécurité, c’est une augmentation de 206 millions d’euros qui a eu lieu entre la loi de finances initiale (LFI) 2018 la LFI 2017, et une augmentation de 344 millions d’euros entre le budget voté en 2018 et le budget voté en 2019.

J’ajoute que cette croissance porte tant sur la police nationale, avec un budget de 7,3 milliards d’euros, que sur la gendarmerie, avec budget de 5,4 milliards d’euros. Il était nécessaire que nos forces puissent être régénérées.

Nous avons connu des choix politiques qui étaient ceux de la réduction forte des effectifs. À partir de 2015, il y a eu la volonté de reconstituer les forces. Quand nous avons pris nos fonctions, par rapport aux dix années de référence précédentes, nous étions à 3 682 postes en moins. Compte tenu de l’augmentation de la population, compte tenu de tendances que nous connaissons, nous voyons bien toute la difficulté que cela impliquait.

La première priorité de ce Gouvernement, sous l’autorité de mon prédécesseur, Gérard Collomb, a été d’engager un plan de recrutement de 10 000 nouveaux agents de police et gendarmes. C’est l’engagement de la mandature, un engagement que nous souhaitons tenir.

En 2018, 1 084 policiers ont été recrutés ainsi que 492 gendarmes ; 359 personnes ont été affectées au renseignement, et si nous ajoutons les 30 équivalents temps plein (ETP), créés dans les préfectures, et les 35 ETP dans la sécurité civile, ce sont bien 2 000 recrutements qui ont lieu en 2018. Je parle bien de recrutements supplémentaires, c’est-à-dire de créations nettes. En 2019, vous avez voté un budget qui permet le recrutement de 1 500 policiers et gendarmes ; ce recrutement est en cours.

Il faut évidemment aussi agir sur les équipements. En 2018, ce sont 230 millions d’euros qui ont été dévolus aux équipements de nos forces.

151 millions d’euros ont été consacrés à l’achat de 6 000 véhicules – 3 000 pour la police et 3 000 pour la gendarmerie. Ils ont été commandés. C’est le double, en nombre de véhicules, des moyens qui étaient prévus, par exemple, en 2012. Mais c’est aussi une trajectoire car si nous fonctionnons en one shot, c’est toute la dynamique du renouvellement des véhicules qui sont déjà trop anciens qui est cassée.

C’est aussi l’équipement numérique. Je pense, aux 9 400 caméras-piétons, qui assurent la protection, mais permettent aussi de faire de la prévention. Ce sont des outils quelquefois nécessaires à l’enquête mais aussi aux comportements de nos forces. Les 80 000 tablettes et smartphones Neo facilitent dans leur quotidien considérablement la tâche de nos collaborateurs, policiers et gendarmes.

L’immobilier est une attente extrêmement forte de la part de beaucoup de policiers et de gendarmes. Évidemment, nous voyons les choses les plus « pourries » qui existent, je n’ai pas peur du mot, mais il faut voir aussi les investissements qui ont été réalisés, au fil des années. Il demeure des attentes toujours très fortes. Ces attentes sont légitimes, je les comprends et je les partage.

J’étais, il y a deux jours, dans l’Aude, où nous sommes en train de réaliser un nouvel hôtel de police dans la préfecture ; 12 millions d’euros sont annoncés. J’ai visité le commissariat de Narbonne, c’est un million d’euros de travaux d’urgence qui seront réalisés dès le mois de septembre. C’était indispensable. Si ce que j’ai vu à Narbonne était encore acceptable, d’autres situations sont, elles, totalement inacceptables.

Nous avons lancé un programme d’investissement de 300 millions d’euros par an sur 2018 et 2019 ; c’est un chiffre qui n’a jamais été atteint, et qui est en cours de réalisation. Il n’y a pas de retard significatif, pas d’anomalies, en tout cas pas liées à de la régulation budgétaire ; il n’y a pas de volonté de jouer sur des retards pour gagner en trésorerie. Les projets immobiliers prennent simplement du temps.

Certains sont déjà sortis de terre, je pense à Annemasse, à Bourgoin-Jallieu à Saint-André de La Réunion, pour la police ; à Melun, Marseille, Chaumont, Dijon pour la gendarmerie. J’étais il y a deux jours à Vinassan, dans l’Aude, où j’ai inauguré une nouvelle gendarmerie réalisée grâce à ces montages sur lesquels les collectivités locales s’engagent fortement. Alors, est-ce que tout est réglé ? La réponse est non. Est-ce que 900 millions d’euros suffisent à répondre à la totalité des besoins ? La réponse est non.

Je ne suis pas en mesure de vous dire : voilà la dotation dont nous avons besoin – nous n’avons même pas de référence. Mais une chose est sûre, c’est qu’il nous faudra poursuivre en 2020, un plan d’investissement de haut niveau pour tenir cet objectif qui doit tous nous rassembler.

Ce sont des sujets très sensibles. Si les ministres sont engagés, les députés le sont aussi sur leur territoire, et quand vous constatez des dysfonctionnements, je sais que vous les faites remonter ; c’est une bonne chose.

Nous ne sommes pas dans un débat politique qui opposerait tel ou tel parti mais dans une réalité. La réalité, c’est que des choses avancent, que les moyens seront là, que nous pouvons régler dans l’urgence des situations totalement scandaleuses. Nous devons aussi lancer de nouveaux programmes mais nous faisons évoluer les choses. Les réparations structurantes avaient été abandonnées, d’où des dégradations importantes. Aujourd’hui, nous bâtissons du neuf mais nous les effectuons aussi.

La deuxième responsabilité qui est la mienne, c’est celle de fixer un cap.

D’abord, sur le terrorisme, le Gouvernement agit, personne ne peut dire le contraire. Il s’agit d’un sujet qui sera intégré dans le livre blanc. Il conviendra d’évaluer les outils en matière de renseignement, qui ont été votés notamment dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT).

La structuration doit monter en puissance en matière de moyens, humains et matériels. Cela est prévu dans notre plan de développement, d’ici à la fin du quinquennat : 1 900 fonctionnaires doivent être recrutés. Il n’y a pas de retard, mais une certaine difficulté à recruter au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), les profils recherchés étant très particuliers. Nicolas Lerner pilote ce recrutement personnellement, et un travail est réalisé au niveau de la direction des ressources humaines (DRH) pour rendre attractif la DGSI.

S’agissant de l’ordre public, nous avons engagé une réflexion sur le schéma national d’ordre public. Nous vivons, depuis vingt ans, une évolution profonde. Nous nous souvenons tous du sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), par exemple, à Strasbourg. Aux manifestations, se mêlent des individus violents, animés par le seul désir de semer le chaos, qui visent les forces de l’ordre, qui dégradent, qui incendient des bâtiments.

J’étais au péage de Narbonne, il y a deux jours, il est assez spectaculaire de voir 2 400 mètres carrés de locaux privés de Vinci ont été totalement détruits, ainsi qu’un bâtiment de gendarmerie, incendié et dont les grilles ont été arrachées. De véritables scènes de guerre.

Il s’agit de mouvements qui n’ont rien à voir avec ceux des Gilets jaunes ou avec les manifestations traditionnelles que nous connaissons. Il nous faut, après avoir géré la situation de ces derniers mois, réfléchir sur ce sujet. J’ai d’ailleurs proposé à la commission des lois de chacune des Assemblées de désigner un député pour siéger dans un groupe de réflexion. Les chefs de mon administration, à la gendarmerie, à la police et à la préfecture, ont présenté une contribution, mais j’ai souhaité que soit porté un regard extérieur qui associe le Parlement.

Nous avons voulu une évolution stratégique de court terme, que vous avez pu constater sur l’ordre public, avec des équipes plus mobiles, plus autonomes, plus réactives, avec l’urgence de stopper la violence, le plus vite possible.

Troisième point, la police de sécurité du quotidien, c’est-à-dire l’ambition de construire une police sur mesure, une police de terrain avec des moyens particuliers, notamment dans les quartiers de reconquête républicaine (QRR). Quinze quartiers avaient été choisis, quinze autres devaient être lancés. J’ai souhaité porter l’effort à trente-deux pour l’année 2019. Cela se traduit systématiquement par des équipes de dix à trente policiers supplémentaires.

Je serai vendredi matin dans les quartiers de l’Ariane et des Moulins, à Nice, où sont affectés vingt policiers avec une organisation et des moyens spécifiques.

Il s’agit maintenant d’élaborer un livre blanc pour définir ce que doit être la sécurité du XXIe siècle. Il conviendra de répondre aux bonnes questions : quelles sont les menaces de demain et quels moyens devons-nous mettre en place pour les contrer ?

Ce ministère a une capacité de réaction face à l’urgence exceptionnelle. Les femmes et les hommes de ce ministère savent faire face avec courage, avec résilience, avec efficacité. Mais ce ministère a besoin aussi de se projeter. Les militaires ont cette capacité à se projeter dans le long terme et suivent une approche méthodologique assez différente. Le livre blanc doit nous permettre de nous projeter dans le moyen et le long terme. Je souhaite que nous puissions mener des consultations le plus largement possible, à commencer par celle des citoyens. C’est la raison pour laquelle seront organisées des réunions dans tous les commissariats et dans toutes les gendarmeries de France ; les parlementaires auront un rôle particulier à jouer dans cette animation de l’écoute. Je suis convaincu que votre rapport doit être une base de travail comme l’a été le rapport parlementaire sur le continuum de sécurité, la place des polices municipales et des sociétés de sécurité privées. Ce sont des outils indispensables pour avancer.

Ma troisième responsabilité, c’est celle de l’humain. Nous devons revoir les conditions de travail, et répondre enfin à des questions comme celle du temps de travail. Les négociations avec les partenaires sociaux ont eu lieu la semaine dernière, des validations ont été faites, qui doivent maintenant être approfondies avec le soutien ou des abstentions bienveillantes – je reprends le terme des partenaires sociaux.

La fidélisation des effectifs est un problème très important dans la police ; vous êtes des élus de terrain, vous le savez. Nous devons également aborder la question de l’attractivité de filières comme la police judiciaire (PJ). Cela fait partie des questionnements que j’ai mis dans la balance de l’accord salarial négocié le 19 décembre avec les partenaires sociaux pour les corps d’encadrement et d’application, avec une augmentation de salaire de 100 euros par mois au début de l’année prochaine. C’est une augmentation non négligeable, supérieure à celle proposée par les gouvernements précédents, mais qui implique que nous puissions travailler sur les questions de gestion des heures, de temps de travail et de fidélisation.

Les heures supplémentaires constituent une dette de l’État à ses collaborateurs. Il nous faut travailler avec eux pour apurer cette dette, mais aussi pour faire en sorte de ne pas en reconstituer le stock. Le cadre de dialogue que nous avons avec les partenaires sociaux sur ce sujet est plutôt de qualité.

Je ne reviendrai pas sur les procès faits à la police, ou au ministre au sujet des « violences policières ». Je nie l’un, je nie l’autre, et je nie aussi l’expression de « violences policières », qui donne le sentiment d’une violence organisée. J’assume le fait qu’il y ait eu des blessés lors des manifestations, manifestants, membres des forces de l’ordre, commerçants et même journalistes mais j’affirme que ce n’est pas un système organisé et que nos policiers et nos gendarmes méritent mieux que ce type de procès.

Cependant, quand il y a des fautes, elles doivent être sanctionnées après avoir été démontrées, et il n’appartient à personne d’autre qu’aux autorités judiciaires de se prononcer sur ce sujet. Ce n’est ni aux commentateurs, ni aux internautes et encore moins au ministre de décider ce qui relève du judiciaire.

Défendre nos policiers et nos gendarmes, c’est agir contre un mal profond, celui du suicide dans nos effectifs. C’est un métier extrêmement difficile, un métier de tension, où les horaires de travail sont extrêmement compliqués et pas toujours compatibles avec la vie privée. De fait, mille raisons peuvent pousser à cet acte insupportable.

Dès les premiers cas de suicide, un policier m’a dit, comme il est de tradition de répondre au ministre de l’intérieur : « Il s’est suicidé pour des problèmes personnels, cela n’avait rien à voir avec le service ». Je n’accepte pas cette réponse. Chacun sait qu’il faut un facteur déclenchant pour passer à l’acte, mais que les causes sont toujours multiples : le travail, les conditions de travail, les horaires de travail, les temps de repos, la pression, le fait qu’il s’agisse d’un univers d’hommes un peu macho, où on n’assume pas une faiblesse… Tout cela contribue au passage à l’acte. Le nombre de suicides est absolument insupportable ; j’ai donc posé ce sujet comme un combat qui doit tous nous mobiliser.

Un plan d’action a été mis en œuvre. Si des mesures ont été prises, c’est surtout une mobilisation générale que je souhaite, une mobilisation de tous les jours, avec une équipe dédiée, qui fera le tour de France pour y travailler.

Nos forces sont éprouvées, mais elles sont courageuses, professionnelles et déterminées et je veux saluer leur engagement. Personne au ministère n’économisera ses efforts pour elles, comme pour la sécurité de tous les Français. Nous sommes dans un dispositif où la faiblesse de nos forces, c’est la faiblesse de la République ; une République qui serait alors menacée.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le ministre, dans le cadre du livre blanc et avant la loi de programmation pluriannuelle est-il envisagé une réforme des forces de sécurité intérieure ?

Avons-nous tiré un enseignement du rattachement de la gendarmerie nationale à votre ministère depuis 2009 et allons-nous transformer l’outil police-gendarmerie afin d’éviter les doublons, coûteux en effectifs, en budget et en énergie ? Allons-nous, par exemple, avant de programmer de nouveaux moyens, unifier le domaine très morcelé de la police technique et scientifique (PTS), comme le demande la Cour des comptes ? Allons-nous créer un commandement commun aux unités spécialisées d’intervention ? Allons-nous créer des directions métiers, rassemblant policiers et gendarmes dans des domaines de compétences identiques ? Je pense à l’investigation, au maintien de l’ordre (MO), et je rappelle que cela existe déjà dans certains domaines, notamment avec la direction centrale de la coopération internationale (DCCI). Il n’est bien évidemment pas question de parler de fusion.

Enfin, pouvez-vous nous dire quelques mots sur la transformation des services de la préfecture de police (PP) dans les domaines judiciaire, du renseignement et de la lutte contre l’immigration illégale ?

M. Christophe Castaner. Le livre blanc, c’est avant tout une méthode qui doit nous permettre de réfléchir aux enjeux de sécurité – et donc aux menaces. Je ne poserai pas d’affirmation avant la mise en œuvre de la consultation. Nous traduirons ensuite ce livre blanc de façon législative, réglementaire, opérationnelle. Il faudra certainement une loi de sécurité intérieure, mais d’autres initiatives seront peut-être nécessaires. L’enjeu, en effet, n’est pas d’adopter une grande loi, et encore moins une loi qui porterait mon nom. Le livre blanc doit être une méthode nous permettant d’associer tout le monde à une réflexion ambitieuse sur nos organisations, nos processus de travail, nos moyens et nos capacités d’anticipation et de gestion des crises complexes.

Concernant le rattachement, il y a dix ans, de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur, je suis convaincu qu’il a permis une vision de la question de la sécurité à 360 degrés. S’il y a parfois des tensions, ce qui prévaut est la complémentarité et il ne me paraît pas nécessaire de fusionner les deux forces – ce n’était d’ailleurs pas votre question.

Sous l’autorité des préfets, il y a des services communs, des plans d’interaction et des interopérabilités qui se développent – je pense au maintien de l’ordre, aux renforts croisés, au schéma national d’intervention. Dans les arbitrages que j’ai rendus ces dernières semaines, deux sont particulièrement importants. Le premier concerne la mise en place d’une direction numérique du ministère. En effet, le ministère comptait douze structures différentes qui pilotaient douze programmes numériques, et pas toujours avec la meilleure efficience. Cette restructuration représente des centaines de millions d’euros pour certaines directions, et des centaines d’emplois. Le second arbitrage concerne la mise en place d’une direction centrale des achats.

Par ailleurs, je présenterai dans quelques jours, au Président de la République et au Premier ministre, une refonte en profondeur de la lutte contre les stupéfiants pour s’appuyer sur la totalité des forces du ministère de l’intérieur, mais également sur la direction générale des douanes et droits indirects et sur l’armée.

Concernant la police technique et scientifique, son importance n’échappe à personne, l’évolution des enquêtes judiciaires voulant qu’elles s’appuient de plus en plus sur la PTS. Nous devons faire face à l’augmentation des sollicitations, la PTS étant mobilisée sur toutes les enquêtes sensibles ; de ce fait, la demande d’actes ne peut que progresser. Par ailleurs, les outils utilisés par les délinquants appellent une meilleure technicisation de nos services.

Nous ne sommes pas en sous-capacité, nous subissons des désorganisations. La fusion du service central de la PTS et de l’Institut national de police scientifique a été réalisée, et une feuille de route ministérielle a été élaborée afin de rationaliser les plateaux, de coordonner et d’adopter des méthodes scientifiques communes, d’organiser des outils opérationnels et des convergences plus fortes. L’interopérabilité est indispensable. Le ministre doit peser systématiquement sur ce sujet. Cependant, je préfère l’interopérabilité plutôt que la fusion des forces d’intervention. Notre culture, nos méthodes impliquent de progresser, mais pas de rompre.

Vous avez cité l’exemple de la DCCI, mais il s’agit par nature d’une direction qui n’est pas territorialisée. Il est donc plus facile de placer sous une seule autorité des policiers et des gendarmes, car ils ne sont pas sur un territoire de compétence. Ils sont mobilisés au Sénégal ou au Sahel, par exemple, auprès des forces armées.

Enfin, vous m’avez posé une question sur la préfecture de police. Lorsque j’ai installé le nouveau préfet de police, je lui ai confié une feuille de route pour qu’il me présente un certain nombre de préconisations visant à réorganiser la préfecture de police de Paris et à la rapprocher d’autres services. Mon objectif n’est pas de chercher à casser la préfecture de police et sa spécificité qui est nécessaire. Cependant, des synergies peuvent être opérées. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au préfet de police de me présenter des propositions, à la mi-juillet, que nous intégrerons à la discussion sur le livre blanc et la préparation de la LOPSI.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez indiqué avoir visité des lieux « pourris » ; nous en avons également visités quelques-uns, mais aussi des bâtiments récents et en bon état. À une certaine période, les investissements nécessaires dans l’immobilier de la gendarmerie n’ont pas été effectués. Si, le budget immobilier de la gendarmerie 2017-2018 atteint 105 millions d’euros, il était de 400 millions d’euros en 2009 et de 35 millions d’euros en 2014. Le retard est donc très important.

Nous allons présenter des propositions visant à améliorer le quotidien des gendarmes et des policiers. Votre ministère pourra-t-il dégager des crédits supplémentaires pour investir ? Je pense en particulier à l’immobilier pour lequel 50 millions d’euros pour les policiers et 50 millions d’euros pour la gendarmerie seraient le minimum annuel supplémentaire nécessaire jusqu’en 2022.

La centralisation des achats permet de réaliser des économies à grande échelle. Il est néanmoins important de maintenir des budgets, et donc une certaine latitude, au niveau des territoires. Les forces de sécurité sont des acteurs économiques dans les départements. La centralisation du budget est pénalisante pour les commissariats, les délais d’attente sont importants et les acteurs économiques locaux ne travaillent plus avec eux.

Enfin, allez-vous vous engager à défendre le statut de militaire des gendarmes, dans la future réforme des retraites ? Ce statut est extrêmement important, nous avons pu le constater lors de ces derniers mois.

M. Christophe Castaner. Oui, les gendarmes garderont leur statut de militaire, car il s’agit d’un métier particulier. Je m’engage à défendre la question de la durée de l’engagement et celle du cumul d’activités.

Concernant l’immobilier, il faut se méfier des comparaisons d’une année à l’autre. À la fin des années 2000, par exemple, la construction du siège de la gendarmerie a mobilisé des centaines de millions d’euros. Notre objectif est de poursuivre l’effort de 2018 jusqu’en 2020, et d’entrer en discussion pour préparer les trois années suivantes. Vous connaissez la difficulté de l’exercice budgétaire entre les ministres consommateurs et le ministre du budget qui doit veiller aux équilibres – équilibre demandé également par les parlementaires. Votre question semble donner une orientation que je partage. De nombreux retards ont été pris, mais 105 millions d’euros sont consacrés à la rénovation des logements jusqu’en 2022 ; en 2019, ce sont 4 000 logements rénovés.

La centrale d’achat, vous avez raison, peut avoir comme conséquence que tout soit décidé à Paris sans correspondre aux besoins territoriaux ; c’est une évidence. Il convient donc de déconcentrer des budgets et pour la première fois depuis 2018, 45 millions d’euros de crédits ont été alloués aux chefs locaux de la police. Nous avons un système assez proche pour la gendarmerie nationale, avec une déconcentration de moyens de maintenance. Refaire la peinture d’un commissariat, par exemple, change l’ambiance. Une adaptabilité sur les territoires est donc indispensable en même temps qu’une approche centralisée des commandes dans l’objectif de faire des économies en volumes d’achat et en moyens de personnel.

La gendarmerie nationale peut être le modèle, car elle est à la fois hypercentralisée et hyperdéconcentrée. En effet, une information essentielle remonte obligatoirement au directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN). La plupart des gendarmes ont le numéro de téléphone du DGGN mais chaque brigade est responsable localement.

La PSQ a pour vocation de faire du sur-mesure. J’aime à dire qu’il manque, en bas de la circulaire, une note que je pourrais écrire comme suit : « voici les objectifs, démerdez-vous ». J’assume la provocation de ce mot. Beauvau doit définir les orientations, mais personne ne maîtrise mieux la mise en œuvre opérationnelle que celui qui est tous les soirs confronté à la réalité sur son territoire.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le ministre, je partage votre analyse, les raisons d’un suicide sont complexes, et il convient de tenir compte également des conditions de travail des policiers. Une cellule psychologique de veille a été créée, pouvez-vous nous en présenter le bilan ?

Concernant la police de proximité, j’ai été intéressé par la proposition de votre prédécesseur visant à créer des brigades de sécurité au quotidien ; comptez-vous les renforcer – 90 % des Français y sont favorables, face au nombre d’incivilités et de délits ? Comptez-vous par ailleurs y associer davantage la police municipale, sous forme de convention ? Et peut-être en augmentant, pour les communes qui le souhaitent, le nombre de policiers municipaux.

Ma seconde question concerne la formation et les heures supplémentaires. Avec 21 millions d’heures supplémentaires, il est légitime de se demander si elles ne s’expliquent pas par un déficit de postes budgétaires dans les commissariats.

Enfin, les policiers se disent fiers de remplir leur mission – et nous savons qu’ils exercent un métier très exigeant – et il est tout à l’honneur de la République de bénéficier de policiers bien formés. Cependant, ne pouvons-nous pas renforcer la formation continue, non seulement aux exigences actuelles, mais également en vue de la création de la police du futur ?

M. Christophe Castaner. Concernant les suicides, la cellule psychologique existait déjà et des gens formidables travaillent sur cette question.

Le dispositif que j’ai créé n’a pas vocation à répondre 24 heures sur 24 aux appels. Il a pour mission d’animer la réflexion partout, dans tous les services, les commissariats, les gendarmeries ; je souhaite que la discussion soit ouverte, que tous soient attentifs à de petits indices : un collègue qui ne vient plus aux festivités alors qu’il y venait tout le temps est un indice de mal-être. Un suicide est un drame pour la famille et les proches, mais également pour les collègues de travail.

J’ai demandé que soient mis en place de nouveaux outils : une ligne téléphonique disponible jour et nuit pour celui qui a besoin de parler ; un renforcement des campagnes de formation et de sensibilisation sur le terrain ; la libération des signalements en responsabilisant le commandement sur ce sujet. Je souhaite une mobilisation générale et, surtout, je voudrais dire et répéter aux agents, qu’il n’y a aucune honte à avoir un moment de faiblesse. Ce n’est jamais une faute. Un agent a le droit d’avoir peur et de se sentir fragile.

Concernant les renforts, je citerai quelques chiffres : 1 300 renforts dans la police nationale et 500 dans les zones de gendarmerie. Mais les renforts, ce ne sont pas uniquement des moyens humains, c’est également une méthode de travail. Les conventions que vous évoquez sont essentielles ; j’ai signé quatre conventions à Narbonne avant-hier. Une avec l’hôpital public et la principale clinique privée ; une avec l’éducation nationale ; une autre avec une commune, sur la mise en place de dispositifs d’accompagnement en lien avec la police municipale ; et une dernière sur la sécurité dans les transports, avec la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) et la Surveillance générale (SUGE).

Il s’agit d’organiser un dialogue horizontal. Le choix des trente-deux quartiers de reconquête républicaine supplémentaires ne s’est pas fait en fonction des statistiques de la délinquance, mais en fonction de la capacité des acteurs locaux à se mobiliser – éducation nationale, action sociale, associations citoyennes, sportives, culturelles… De sorte, que je ne suis pas certain d’avoir choisi les trente-deux quartiers où la délinquance est la plus forte.

Enfin, la formation continue doit faire l’objet d’une réflexion permanente. En 2017 a été créé le centre national de formation de Dijon, au sein de la gendarmerie nationale qui est dédié à la formation continue des sous-officiers. La même année, nous avons créé une direction centrale de la formation dans la police nationale. L’une et l’autre ont pour fonction de présenter des offres de formation continue, pour compléter la formation initiale qui est plutôt de bon niveau – dans la police comme dans la gendarmerie.

Cependant, les premiers qui refusent de suivre une formation sont les agents eux-mêmes, au motif notamment qu’ils ont déjà effectué un grand nombre d’heures supplémentaires et qu’ils craignent de fragiliser le service en s’absentant. Quand nous serons capables de traiter la question du temps de travail parallèlement à la question des heures supplémentaires, nous serons plus performants sur la formation continue.

Mme Marietta Karamanli. Concernant les moyens, quand ils sont bien choisis et répartis entre Paris et les territoires, ils permettent de faciliter la méthode et de travailler de manière transversale.

S’agissant de la doctrine, vous avez indiqué qu’il était nécessaire de travailler sur la manière d’intervenir – en opérant des comparaisons avec les autres pays européens. Vous aviez proposé de mettre en place un groupe de travail ouvert à l’opposition et nous souhaitons y contribuer. Avez-vous avancé sur le mode opérationnel d’intervention ? Serons-nous associés à ce groupe de travail ?

Enfin, concernant les moyens et la formation, l’expérience des CRS pourraient enrichir la formation des policiers des compagnies républicaines des autres corps de la police qui doivent aujourd’hui intervenir en maintien de l’ordre. Sachant que, par ailleurs, dans les CRS, il manque 1 000 postes. Au Mans, des policiers avaient des difficultés à faire face à des manifestants hyperviolents.

M. M. Jean-Louis Thiériot. Je vous avais interrogé lors d’une question d’actualité sur la décision qui avait été prise de regrouper des commissariats de plein exercice dans le sud de la Seine-et-Marne en un seul commissariat d’agglomérations. Cette décision prise a-t-elle vocation à être élargie à l’ensemble du territoire, sachant qu’elle a créé beaucoup d’émotion sur place ? Dans quelle mesure cela vous semble compatible avec l’impératif que nous partageons tous de la PSQ ?

La Garde des Sceaux a fait part de son intention de fixer la majorité pénale à 13 ans. La quasi-totalité des personnes que nous avons auditionnées nous ont expliqué l’aggravation de la violence des mineurs – plus tôt, plus jeunes, plus violents – et indiqué qu’il y avait besoin d’un renforcement de cette ordonnance. Si cette décision va jusqu’à son terme, quelles en seront les conséquences en termes de doctrine, de moyen et d’organisation de nos forces ?

M. Christophe Castaner. M. Pueyo, si je suis capable de vous dire quelle est l’allocation moyenne des effectifs, je ne puis vous dire comment ils ont été calculés. C’est la raison pour laquelle, je souhaiterais profiter des discussions en cours pour clarifier la question des allocations des effectifs et pour prendre en compte les évolutions de populations. C’est une opération compliquée car si nous savons toujours faire « du plus », nous ne savons pas faire « du moins », or certains territoires évoluent aussi dans ce sens-là.

Madame Karamanli, je voudrais vous provoquer un peu. Certains moyens relèvent de l’intelligence artificielle. Ils peuvent permettre à nos forces de gagner du temps et de bénéficier de meilleures conditions de travail. Je pense aux personnes qui ont passé des heures et des heures à visionner des bandes vidéo à la suite de l’attentat à Lyon. Il existe des outils qui auraient peut-être permis de repérer l’auteur présumé, vingt minutes après l’attentat. Je lance ainsi le débat. Je me suis moi-même beaucoup interrogé sur ce sujet lorsque j’étais parlementaire. Nous ne pouvons pas négliger les moyens ouverts par l’intelligence artificielle, même si, bien entendu, nous devons fournir toutes les garanties de sécurité dans son exploitation.

Les caméras-piétons ont été développées au moment du débat sur le récépissé du contrôle d’identité ; il s’agissait d’une façon de contourner le débat. Or, aujourd’hui, chaque policier que je rencontre et qui en est équipé me dit que c’est formidable parce que cela crée du respect. Je rappelle que les policiers n’ont pas accès aux boîtiers, qui sont sécurisés. Il ne faut donc pas avoir peur de ces nouveaux outils.

S’agissant de la doctrine du maintien de l’ordre, nous avons organisé une journée de travail lundi, avec un certain nombre de personnalités, et j’ai demandé aux présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat de désigner chacun un parlementaire pour participer à ce débat. Je vous propose, le moment venu, de venir présenter le dispositif devant la commission des lois.

Concernant le déficit de 1 000 CRS, sachez que parmi les 12 000 emplois supprimés dans la police, 2 000 concernaient les CRS. Nos forces de maintien de l’ordre, qui ont été diminuées en nombre ne peuvent plus forcément apporter la bonne réponse. Nous avons vu ces derniers mois que nous pouvions avoir à gérer l’ordre public sur un territoire très éclaté, avec beaucoup plus de mobilités. De fait, sont mises en avant, sur le terrain, des forces qui sont ni formés, ni équipés pour le maintien de l’ordre. L’équipement devra donc faire partie de notre réflexion – les policiers du Mans n’étaient pas, par exemple, équipés pour faire de l’ordre public. Nous avons tous vu des policiers qui ont été obligés d’aller acheter des casques de ski pour, courageusement, faire de l’ordre public. Ce n’est pas normal.

Monsieur Thiérot, non, il n’y a pas de fermeture de commissariat. Il peut y avoir des mutualisations d’emplois mais l’objectif n’est pas de fermer des commissariats, notamment sur le site que nous avons évoqué. Ces mutualisations doivent nous permettre de dégager des moyens pour aller sur le terrain. Dans les Yvelines, par exemple, nous venons de renforcer le commissariat d’Élancourt, mais nous n’allons pas fermer celui de Trappes. Je ne dis pas que certains ne devraient pas être fermés, mais ce ne sera pas le cas.

S’agissant de votre question relative à l’irresponsabilité pénale, elle concerne davantage la ministre de la justice. Attention, cependant : ce n’est pas ce qu’elle a indiqué ; elle a corrigé d’ailleurs les interprétations dans une interview publiée par le journal La Croix. Aujourd’hui, les magistrats agissent au cas par cas. S’ils jugent qu’un mineur a une capacité de discernement suffisante, il peut être déclaré coupable. S’il a moins de 13 ans, le juge ne peut prononcer que des mesures éducatives, le mineur est présumé irresponsable et il est pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE).

La réforme envisagée par la garde des Sceaux – mais elle sera soumise à discussion et le Parlement aura à ratifier l’ordonnance – est la suivante : en dessous de 13 ans, même si le mineur est présumé immature, rien n’empêche le magistrat d’établir le discernement. Ce n’est pas une irresponsabilité des mineurs de moins de 13 ans. J’aurais eu la même inquiétude sur l’automaticité de la décision.

M. Jean-Claude Bouchet. Tous les fonctionnaires que nous avons auditionnés ont un sentiment fort d’appartenance à leur corps ; ils ont une fierté, une abnégation. Ce sont des personnes très volontaires, touchées par les événements qui se déroulent tous les samedis, des personnes formidables, mais fatiguées et usées. Vous avez évoqué le malaise dans les forces de l’ordre et le taux de suicide, il est urgent que nous revenions à une situation normale.

Vous avez cité des chiffres – 300 millions d’euros supplémentaires par an d’investissements – et annoncé la restauration de commissariats ; je voudrais pour ma part revenir sur les petits équipements. Vous l’avez indiqué, certains sont allés acheter des casques de ski, d’autres n’avaient pas de gilet pare-balles. Lorsque j’étais maire d’une petite commune, j’ai dû fournir des gilets fluorescents aux policiers nationaux et fournir un chien pour que les policiers puissent lutter contre le trafic de stupéfiants dans ma petite commune, car il n’y avait qu’un chien pour tout le département de Vaucluse.

Ce sont des exemples concrets pour vous dire que s’il est important de rénover les commissariats, un plan est aussi important pour qu’ils possèdent les équipements de terrain indispensables. Nos policiers ont besoin d’équipements pour, outre les événements du samedi que nous vivons depuis des mois, travailler au quotidien.

Il n’est pas normal qu’un maire soit « obligé » de prévoir une équipe de police municipale le dimanche pour venir en appui à l’équipe du commissariat qui ne compte que trois personnes – une qui reste au commissariat et deux qui patrouillent en voiture. Si ces deux personnes rencontrent une difficulté, il n’y a plus de force de l’ordre dans la rue.

J’aimerais savoir, justement, comment ne pas faire en sorte que les forces de l’ordre soient une variable d’ajustement. Comment inscrire leurs besoins dans une continuité, car c’est bien de présence policière que les Français ont besoin pour leur sécurité ?

M. David Lorion. Le territoire français va bien au-delà de l’espace continental et les départements et régions d’outre-mer (DROM) ont également connu des moments particulièrement violents ; je pense à La Réunion et à Mayotte.

Dans le cadre du livre blanc, avez-vous imaginé la projection des forces de sécurité outre-mer, car souvent, elles n’interviennent que quelques jours après le moment le plus fort de la crise car elles doivent être aéroportées.

Par ailleurs, comment, dans votre ministère, qui est un peu à la traîne sur ce sujet, mieux appliquer ce qu’on appelle le centre des intérêts matériels et moraux (CIMM) pour que les fonctionnaires ultramarins puissent, à un moment de leur carrière, rejoindre leur territoire d’origine ? En effet, et la question des suicides est au cœur de ce sujet, de trop nombreux fonctionnaires ultramarins font la totalité de leur carrière hors de leur île.

Troisième question, la transformation des villes-police et des villes-gendarmerie n’est pas complète en outre-mer, puisque nous avons des villes de plus de 100 000 habitants, notamment à La Réunion, qui sont encore des villes-gendarmerie, avec des moyens de forces de police. Enfin, les îles possèdent des ports très importants, notamment celui de la Pointe des Galets à La Réunion, dont le trafic avec Madagascar et l’île Maurice est dense. En outre, des bateaux arrivent aujourd’hui, des Comores et du Sri-Lanka. Or, nous n’avons pas de police aux frontières dans les ports. À chaque fois qu’un bateau arrive, c’est la police de l’air qui est obligée de venir de l’aéroport. Le port n’est pas du tout étanche, créant évidemment beaucoup d’incidents. Je rappelle que le port de la Pointe des Galets est le quatrième port français de l’espace continental et outre-mer.

M. Christophe Castaner. Quand je parle de sécurité, je parle évidemment de toute la France, l’outre-mer y compris, même si les dispositifs mis en place sont spécifiques. Dans le plan de recrutement de la gendarmerie, 355 postes sont prévus pour l’outre-mer.

Non seulement nous réfléchissons à la projection de forces de sécurité en outre-mer, mais nous agissons. Sur 109 escadrons de gendarmerie, 21 sont déployés en permanence dans les DROM – ramené à la population, il s’agit d’un engagement fort. Il est important que nous puissions maintenir cet effort et intégrer les spécificités réelles, notamment la question migratoire.

La question migratoire est traitée. Vous avez évoqué les deux bateaux srilankais qui sont arrivés à La Réunion ; un autre est arrivé récemment à Mayotte. Nous avons déclenché une polémique sur le prix que nous avons payé pour organiser le retour de ces personnes mais cela était indispensable. Les treize personnes qui sont arrivées à Mayotte ont demandé un statut de réfugié, or une seule d’entre elles l’a obtenu. Les autres ont été renvoyées au Sri Lanka, ce qui était absolument nécessaire pour ne pas qu’une filière s’organise. À La Réunion, un début de filière a commencé à s’organiser, sur laquelle les services travaillent actuellement.

S’agissant des CIMM pour 2019, nous travaillons actuellement sur le sujet. Cela dépend aussi des fonctions et des grades pour lesquels se présentent les candidats, mais bien entendu nous prenons en compte les CIMM. Votre question est un moyen de pression que je prends comme tel, et positivement.

En revanche, j’ai été interrogé, pendant les auditions du printemps de l’évaluation, sur l’absence de commissaire martiniquais, en Martinique, indiquant qu’il n’y avait que des commissaires africains. J’ai dénoncé ces propos, nous n’avons que des commissaires français.

Concernant les remarques de Jean-Claude Bouchet, je sais qu’elles correspondent à des réalités, même si ce n’est pas la règle. Nos policiers sont équipés, nos gendarmes sont équipés. L’achat des casques de ski est une situation exceptionnelle, due à la tenue de 50 000 manifestations ces derniers mois sur tout le territoire. C’était une situation inédite et c’est une priorité pour moi de prévoir, avec les recrutements, les petits équipements.

En 2015 et 2016, le budget lié aux équipements des policiers et des gendarmes n’a pas été prévu en parallèle des recrutements. En revanche, dans le budget 2019, que vous avez voté, ou pas, 26 millions d’euros sont prévus pour les équipements de base des policiers et des gendarmes, que nous avons recrutés – ce que nous appelons le sac à dos.

Vous avez indiqué, d’une façon un peu provocatrice, je le sais, que les forces de l’ordre étaient une variable d’ajustement pour les gouvernements. Ce n’est pas le cas, surtout quand le budget augmente d’un milliard d’euros sur deux ans. Mais il s’agit bien de l’enjeu de la loi d’orientation pour la sécurité intérieure (LOPSI), de la capacité à se projeter, en stratégie et en moyens. Je compte sur vous pour adopter des moyens raisonnables, nous sommes dans un contexte budgétaire contraint, mais ambitieux.

Vous avez raison d’évoquer la fierté d’appartenance des policiers et des gendarmes à leur corps. Nous le vivons en tant qu’élu de terrain, et je suis un élu d’une circonscription plus élevée globalement que le Vaucluse – la devise de Forcalquier, c’est « plus haut que les Alpes » !

Plus sérieusement, nous connaissons la fierté de ces femmes et de ces hommes, mais nous savons aussi que face à l’épuisement et l’incompréhension, ils peuvent être désabusés, se désengager avec pour conséquence une perte d’efficacité en matière de sécurité.

M. Rémi Delatte. Vous avez en particulier mis l’accent sur l’efficience de l’interopérabilité entre la gendarmerie et la police, qui s’appuie sur une complémentarité institutionnelle, mais également territoriale. Ma question concerne l’élargissement de cette interopérabilité avec d’autres partenaires, en particulier en matière de mobilité. Je pense notamment au code de la sécurité intérieure et au code des transports qui permettent l’interconnexion des réseaux de vidéoprotection urbains avec ceux des gares SNCF, pour des opérations de surveillance purement ponctuelles ou en cas de risques imminents. Sachant, et vous l’avez rappelé, que cela fait l’objet de conventions particulières très encadrées.

Dans le prolongement des travaux de l’excellent rapport de notre collègue président Fauvergue et de la collègue Thourot sur un continuum de sécurité, pensez-vous envisageable d’autoriser un déport permanent de ces images issues de la vidéosurveillance sur les emprises des gares SNCF vers les centres urbains de supervision ? Cela donnerait une vision beaucoup plus globale permettant d’assurer ce continuum, indispensable en matière de surveillance du domaine public.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le ministre, je commencerai par évoquer un point positif, il conviendra donc de le savourer pour ce qu’il est. Nous nous voyons le 24 juillet prochain, dans le cadre du rapport que j’ai rendu avec Jacques Maire, sur la lutte contre la délinquance financière. Parmi les missions des forces de sécurité, celui de la délinquance financière est un oublié récurrent, alors que des moyens devraient lui être alloués.

Je pendrai l’exemple de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), dont les effectifs sont à nouveau de 90 ETP comme lors de sa création en 2013, et ceux du parquet national financier (PNF). Il n’est pas satisfaisant de n’employer que 90 personnes, dont 43 à la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), pour aller chercher les 80 à 100 milliards d’euros de fraudes fiscales. Je sais que vous n’êtes pas d’accord sur ce montant qui est une estimation syndicale, mais même si nous coupons la poire en deux, 40 personnes pour 40 milliards d’euros, cela est nettement insuffisant. L’actualité récente en la matière montre que les délais d’enquête sont loin d’être satisfaisants.

Qu’avez-vous prévu de mettre en œuvre en matière de lutte contre la délinquance financière – en bas comme en haut du spectre ?

Je croyais que la plateforme pour traitement harmonisé des enquêtes et des signalements e-escroqueries (THESEE) était en cours d’expérimentation. Je ne la trouve pas sur internet ; quand sera-t-elle opérationnelle ?

Le service ministériel des achats (SMA) regroupera les fonctions du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) dans un plus gros « machin » du ministère de l’intérieur ; je dis « machin », car il existe déjà des fonctions supports. Rappelons que le ministère de l’intérieur, ce n’est pas que la police nationale, la gendarmerie nationale et la sécurité civile, mais aussi le réseau des préfectures – auparavant la direction générale des collectivités locales (DGCL).

L’objectif annoncé pour 2019-2021 est de réaliser 40 millions d’euros d’économies en trois ans, sur le programme 176 relatif aux dépenses de fonctionnement. Or, aujourd’hui il n’y a pas de certitude d’obtenir les 10 % des dernières dotations de ce programme – les dotations se faisant en trois phases, 25 %, 90 % et 100 %. Des discussions budgétaires sont en cours et si l’administration centrale libérait trop tard cet argent, l’exécution des crédits serait compliquée.

Cela ne saurait masquer qu’en 2018, pour une fois, il y a eu plus de reports de charges que d’habitude. Je pense que l’on a été plus sincère sur des factures 2018 qui n’ont pas été payées en début de l’année 2019 mais si les crédits de paiement ne sont pas mis en face, vous ne faites que reporter le problème. Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel est à peu près du même avis que moi.

Il serait peut-être opportun d’apporter des réponses sur les moyens concrets de payer nos factures au sein du ministère de l’intérieur et donc de pouvoir équiper nos forces de sécurité. Car si nous n’avons pas d’argent pour payer, nous pouvons discuter de tout ce que nous voulons ici, les bonnes volontés des uns et des autres se fracasseront sur les euros disponibles en caisse à la direction générale des finances publiques (DGFIP) et dans les directions régionales des finances publiques (DRFIP).

Il y a un problème, qui sera peut-être réglé par un prochain collectif budgétaire. Des opérations de fongibilité, asymétriques – mais cela, c’est la loi qui l’impose – sont actuellement en cours pour renforcer le titre 2, à la suite des annonces faites au milieu de la mobilisation des Gilets jaunes pour renforcer le régime indemnitaire d’un certain nombre de policiers. Or, j’ai l’impression que cela n’a pas été ajusté pour le budget 2019 et qu’il ne faudrait pas que cela dure.

S’agissant du maintien de l’ordre, vous organisez un séminaire ou un colloque. Je m’interroge sur l’ouverture dont vous faites preuve en demandant aux présidents de chacune des commissions des lois d’y nommer un parlementaire. Je crois que le président du Sénat a refusé et que le président de cette même commission d’enquête sera chargé de représenter l’Assemblée nationale. En termes de pluralisme, nous aurions pu espérer mieux. Nous mènerons nos réflexions de notre côté.

M. Christophe Castaner. Vous m’avez déjà fait ce procès.

M. Ugo Bernalicis. C’est vous qui avez abordé le sujet tout comme celui des violences policières, qui n’ont aucun lien avec les moyens des forces de l’ordre ; Mais cela vous regarde si vous pensez qu’elles n’ont pas eu lieu.

Concernant les moyens qui seront alloués à la lutte en matière de stupéfiants, un arbitrage est attendu sur la nomination d’un magistrat à la tête de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS). Je rappelle qu’un magistrat est à la tête du service national de douane judiciaire (SNDJ) ce qui a restauré la confiance envers l’autorité judiciaire. Quelle est votre position sur cette question, sachant qu’un parquet et un ministère public plus investis sur le sujet renforceraient la lutte en matière de stupéfiants ?

Où en sont les moyens du Lab’PSQ ? Nous n’en entendons plus parler.

Concernant les caméras-piétons et la vidéosurveillance, avez-vous lu l’excellent livre de Laurent Mucchielli, sociologue qui démontre, à bien des égards, que ce n’est pas la panacée ?

Enfin, pensez-vous, en termes de moyens, qu’il serait bon d’envoyer à nouveau les CRS surveiller nos plages ? Cette mission permettait aux CRS de se rapprocher de la population et de sortir du maintien de l’ordre – une mission conflictuelle ?

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Je vous remercie, monsieur le député, pour cette revue de détails, dont certains n’entrent pas dans le champ de notre commission. Monsieur le ministre, vous êtes libre de ne répondre qu’aux questions qui nous intéressent aujourd’hui.

M. Christophe Castaner. Je pourrais effectivement ne répondre qu’à certaines de vos questions, d’autant que je suis, non pas comptable, mais ministre de l’intérieur. En revanche, il y a un secrétaire général du ministère, qui a réuni, hier, les gendarmes et les policiers sur la question de la délégation de crédits aux services déconcentrés et aux responsables locaux. Aucune difficulté n’a été relevée sur cette question. Nous ferons un point d’ici au 14 juillet pour que les choses restent dans cet esprit.

Monsieur Bernalicis, la mise en cause permanente des forces de sécurité et les accusations de violences policières contribuent à une certaine démobilisation des membres des forces de l’ordre, alors qu’ils sont sollicités tous les samedis depuis des mois ; c’est la raison pour laquelle j’en ai parlé.

La plateforme THESEE est un outil qui monte en puissance. Il est dédié à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), c’est la raison pour laquelle vous n’y avez pas accès.

Concernant le SMA, l’objectif est de valoriser davantage le travail des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) qui ont un savoir-faire et sont proches du terrain. Il n’est pas question que le SMA annihile le travail des SGAMI.

S’agissant de la lutte contre la délinquance financière, nous aurons l’occasion d’en parler quand nous nous verrons pour débattre sur ce sujet. Je vous dirai simplement que nous venons de créer une sous-direction de la criminalité financière au sein de la DCPJ pour y consacrer plus de moyens. Un effort doit être fait en matière de recrutement d’enquêteurs financiers, y compris d’ailleurs dans les services territoriaux. Cela fait partie de la feuille de route que j’ai fixée au DCPJ.

Quant au Lab’PSQ, qui est un outil d’évaluation et d’échanges de bonnes pratiques, il a été installé il y a environ deux mois. Un travail a été réalisé avec l’université de Savoie, qui a été présenté lors de son installation. L’objectif est qu’il puisse s’appuyer sur des ressources les plus larges possibles.

J’ai déjà répondu à la question concernant le groupe de travail sur la gestion de l’ordre public. Il faut se rappeler qu’il y a un pouvoir exécutif, doté d’une légitimité politique qu’il tient d’une élection présidentielle et d’élections législatives. Il y a aussi un pouvoir législatif, une majorité et des oppositions. Si je suis favorable à la transparence, je ne suis pas pour inverser le résultat électoral qui fait qu’il y a aujourd’hui une majorité qui doit prendre ses responsabilités. J’assume donc parfaitement de mettre en place un groupe de travail avec des personnalités différentes. Vous auriez certainement composé ce groupe de travail de manière différente si vous étiez ministre de l’intérieur, mais chacun doit accepter cet état de fait.

Ce groupe de travail s’est réuni lundi. J’ai proposé aux présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat, s’ils le souhaitaient, de désigner un député de leur choix. La présidente de la commission des lois de l’Assemblée a proposé le président de cette commission d’enquête. Le président du Sénat, non pas par défiance, mais parce qu’il considère que son travail est non pas de coélaborer mais de contrôler l’exécution, n’a pas souhaité proposer de sénateur.

Pour ce qui est de la réflexion sur le livre blanc, j’ai annoncé qu’elle sera publique et, évidemment, tout le monde pourra y participer. Les groupes politiques pourraient parfaitement apporter leurs contributions, pour enrichir nos réflexions.

Monsieur Delatte, la jurisprudence du Conseil constitutionnel limite et encadre fortement les échanges de flux vidéo. Cependant, les possibilités techniques de renvoi existent. Elles nous ont servi, par exemple, dans l’enquête sur l’attentat de Marseille. Nous ne sommes cependant pas dans un système fluide, comme je sens que vous l’appelez de vos vœux et je suis d’accord avec vous.

Faut-il un flux continu ? Qui devra alors être le superviseur pour traiter ces images ? La police, les responsables de la sécurité de l’opérateur de transport ? Il conviendrait de mener un travail avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) sur ce sujet. Il conviendrait aussi de sécuriser les textes. Mais tout partage de l’information nous permet d’être plus efficaces dans l’alerte et dans l’enquête – en prévention et en intervention.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Monsieur le ministre, la commission d’enquête a permis de mettre en lumière un manque de moyens criant pour le parc immobilier, en moyens financiers et aussi en moyens humains. Il me semble que la première des protections que nous pouvons offrir aux fonctionnaires, c’est une formation initiale complète qui englobe toutes les facettes d’une profession exigeante, car elle nécessite de connaître, entre autres, des gestes métiers, des techniques d’interpellation, la matière judiciaire, mais aussi les modes d’accueil du public en commissariat, en gendarmerie ou même à l’extérieur.

Il s’agit d’un métier à multiples professions, si je puis le dire ainsi ; pour l’avoir pratiqué, je sais de quoi je parle. Or nous pouvons nous étonner que la durée de la formation initiale de ces fonctionnaires soit ramenée de douze à huit mois. Quelles sont les raisons qui ont motivé cette réduction d’un quart du temps de formation et quels domaines seront impactés par cette coupe ? Je vous remercie.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous avons essayé, dans cette commission, de travailler de façon équilibrée sur la police nationale et la gendarmerie nationale, et nous avons préféré l’expression « politique de sécurité du quotidien » à celle de « police de sécurité du quotidien ».

Vous avez indiqué que le sujet de la sécurité devait réunir la majorité et les oppositions, j’espère que nous trouverons un consensus et travaillerons tous ensemble pour apporter des solutions concrètes à nos policiers et gendarmes.

 Aujourd’hui, nous comptons 109 escadrons de gendarmerie mobile, or il est évident que nous avons besoin de plus de gendarmes mobiles, notamment pour assurer les missions de maintien de l’ordre. Vingt-deux escadrons disposent d’un cinquième peloton qui sera dissout et répartis sur l’ensemble des escadrons. 125 ou 130 gendarmes par escadron semblent nécessaires. Pensez-vous trouver les crédits pour permettre cette augmentation ?

Si vous souhaitez procéder à une expérimentation avant de prendre une décision, sachez que l’escadron mobile de Saint-Étienne, via Remiremont, dans les Vosges serait bien entendu volontaire.

M. Christophe Castaner. Je suis ouvert à une réflexion avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), qui bénéficie d’une dotation de 2 500 gendarmes supplémentaires, sur une ventilation différente des gendarmes au sein des escadrons. Plus généralement, la ventilation des dix mille emplois prévus pourrait en effet être revue, compte tenu des évolutions de ces derniers mois. Elle devra d’ailleurs certainement l’être, en fonction des conclusions du livre blanc et de la LOPSI, sur laquelle nous travaillons.

Dix mille emplois n’est pas un chiffre gravé dans le marbre. Il s’agissait d’un engagement électoral, qui peut varier, et dont la répartition peut être différente. Le renseignement, et les 1 900 emplois prévus, par exemple, est un sujet qui n’est pas au même niveau que celui dont nous débattons aujourd’hui. D’autant que je sais que le DGGN a intégré la question d’augmenter le nombre d’hommes par escadron dans ses réflexions.

Le niveau de formation des forces de sécurité est bon. Il pourrait cependant être mieux équilibré, entre la formation initiale et la formation continue. Je ne suis par ailleurs pas sûr que nous ayons le même rapport à la formation continue dans la police et dans la gendarmerie. Nous pouvons donc nous interroger, car il n’y a pas de raison que les fonctionnaires soient plus opérationnels dans l’une des forces. De même, nous sommes en train de revoir le partage entre le temps passé à l’école et le temps passé en stage pratique. Bien encadré, le stage pratique est aussi très important. Des réflexions sont conduites sur ce sujet, les choses n’étant pas arrêtées.

Je conclurai de façon un peu plus politique. La création de cette commission d’enquête ne s’inscrivait pas dans le calendrier tel que nous le connaissons après le discours de politique générale du Premier Ministre. Aujourd’hui, j’ai un intérêt opérationnel. Votre travail, comme d’autres outils que j’évoquais tout à l’heure, devra nous servir de base pour les réflexions à conduire sur l’animation de la discussion citoyenne que je souhaite mener partout en France.

M. le président Jean-Michel Fauvergue. Monsieur le ministre, vous m’avez volé ma conclusion ! Je souhaite que ce rapport soit l’une des contributions majeures à ce livre blanc. Vous avez évoqué votre souhait que des discussions au sein des commissariats et des gendarmeries soient organisées. Les députés de cette commission sont tout désignés, s’ils le désirent, à y participer.

*

*         *

 

 


([1])               Compte rendu n° 7 du 27 mars 2019.

([2])               Compte rendu n° 30 du 4 juin 2019.

([3])              Source : DRCPN, Stratégie immobilière de la police nationale, septembre 2017.  

([4])              Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution 2018 de la mission Sécurités, mai 2019.

([5])              Source : réponses de la DCCRS aux questions de la commission d’enquête.

([6])              Compte rendu n° 3 du 6 mars 2019.

([7])              DRCPN, Stratégie immobilière de la Police nationale, septembre 2017

([8])              Décret n° 2014-296 du 6 mars 2014 relatif aux secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur et modifiant diverses dispositions du code de la défense et du code de la sécurité intérieure

([9])               Compte rendu n° 18 du 15 mai 2019.

([10])              Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire (NEB) 2018 de la mission Sécurités, mai 2019

([11])              Romain Grau et Nadia Hai, rapport spécial sur l’exécution 2018 de la mission Sécurités, annexe n° 39 au rapport du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018. 

([12])               Compte rendu n° 30 du mardi 4 juin 2019.

([13])               Compte rendu n° 4 du 7 mars 2019.

([14])               Compte rendu n° 13 du 10 avril 2019

([15])               Compte rendu n° 10 du 4 avril 2019.

([16])              Voir le compte rendu de l’audition du général Armando de Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale, du mercredi 5 juin 2019.

([17])               Compte rendu n° 18 du 15 mai 2019.

([18])              M. Philippe Dominati, Rapport spécial fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances adopté par l’Assemblée nationale pour 2019, tome III, annexe N° 28a « Sécurités », Sénat, session ordinaire de 2018-2019, n° 147, 22 novembre 2018, page 40.

([19])              M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018, page 77.

([20])              Inspection générale de la police nationale, Évaluation de la réforme des cycles horaires de travail, mars 2019.

([21])              Ibid.

([22])              Ibid.

([23])               Compte rendu n° 29 du 4 juin 2019.

([24])              Compte rendu n° 19 du jeudi 16 mai 2019.

([25])               Compte rendu n° 25 du jeudi 23 mai 2019.

([26])              M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018, page 101.

([27])              Rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement pour 2018, mission : Sécurités, programme 176 : Police nationale, version du 13 mai 2019 à 11 h 48, page 4.

([28])               Rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement pour 2018, mission : Sécurités, programme 152 : gendarmerie nationale, version du 13 mai 2019 à 11 h 47, page 10.

([29])              M. Pascal Popelin, Rapport fait au nom de la commission d’enquête chargée d’établir un état des lieux et de faire des propositions en matière de missions et de modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens, Assemblée nationale, XIVe législature, n° 2794, 21 mai 2015.

([30])              Pour un plafond d’emploi fixé à 13 677 au titre de 2018 (la direction centrale de la police nationale n’ayant pas encore notifié le plafond d’emploi 2019), l’effectif réalisé s’établissait à 12 983 au 1er avril 2019, soit
‑ 694 ETP. Pour mémoire, au sortir de la RGPP, au 1er janvier 2013, l’effectif constaté était de 13 316 fonctionnaires.

([31])               Compte rendu n° 32 du 19 juin 2019.

([32])              Compte rendu n° 13 du mercredi 10 avril 2019.

([33])               M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018, page 104.

([34])              Décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011.

([35])              Compte rendu n° 6 : audition de syndicats des personnels pénitentiaires de direction, le jeudi 21 mars 2019:

([36])              Compte rendu n° 8 : audition de représentants des syndicats de surveillants pénitentiaires, le jeudi 28 mars 2019.

([37])               Compte rendu n° 25 du jeudi 23 mai 2019.

([38])              Ibid.

([39])               Compte rendu n° 22 du  mercredi 22 mai 2019.

([40])              M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018, page 91.

([41])              Décret-loi du 28 décembre 1926 concernant l’unification des compétences en matière de police de la circulation et de la conservation des voies publiques.

([42])              Loi n° 2011‑1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles.

([43])              Loi n° 2019–222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([44])              MM. Éric Pouillat et Robin Reda, Rapport d’information sur l’application d’une procédure d’amende-forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants, Assemblée nationale, XVe législature, n° 595, 25 janvier 2018.

([45])              Directive 2016/800/UE du 11 mai 2016 relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales.

([46])              Compte rendu n° 22 du mercredi 22 mai 2019.

([47])              Ibid.

([48])              Compte rendu n° 19 du jeudi 16 mai 2019.

([49])              Ibid.

([50])              Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur les projets de loi ordinaire et organique, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation 2019-2022 (n° 1349) et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1350), Assemblée nationale, XVe législature, nos 1396 et 1397, tome I, 9 novembre 2018, pp. 324 et suivantes.

([51])               Compte rendu n° 4 de l’audition, sous forme de table ronde, d’associations professionnelles nationales de militaires de la gendarmerie, le jeudi 7 mars 2019.

([52])              Cour des comptes, Observations définitives sur la gestion du parc immobilier de la gendarmerie, janvier 2015. 

([53])               Compte rendu n° 32 du 19 juin 2019.

([54])               M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018.

([55])              Prévue par la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Le taux de mise en réserve sur la masse salariale (titre 2) est de 0,5 %.

([56])               Compte rendu n° 30 du 4 juin 2019.

([57])               Compte rendu n° 18 du 15 mai 2019.

([58])              Décret n° 2019‑507 du 24 mai 2019 relatif à la procédure numérique, aux enquêtes et aux poursuites.

([59])              Charte d'engagements réciproques entre le ministère de la défense et le mouvement des entreprises de France (MEDEF) en faveur de la réserve opérationnelle, signée le 13 septembre 2016.

([60])              BOI-BIC-RICI-20-30-10-20, réduction d’impôts au titre des mises à disposition de salariés au profit des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ou de la réserve opérationnelle des forces armées et des formations rattachées relevant du Ministre de la Défense, ainsi que de la réserve opérationnelle de la gendarmerie nationale.

([61])               Compte rendu n° 13 du 10 avril 2019.

([62])              Cour des comptes, Les réserves opérationnelles dans la police et la gendarmerie nationales, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, avril 2019.

([63])               Compte rendu n° 6 de l’audition de syndicats des personnels pénitentiaires de direction du jeudi 21 mars 2019.

([64])              Elles sont apparues avec la loi n° 2001‑1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne. Plusieurs textes ont depuis étendu leur périmètre. 

([65])              Dans une décision n° 2011‑631 DC du 9 juin 2011 (loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité), le Conseil constitutionnel a jugé « qu’en permettant que des audiences puissent se tenir au moyen d’une communication audiovisuelle, le législateur a entendu contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics ; qu’il a prévu que la salle d’audience utilisée doit être spécialement aménagée à cet effet, ouverte au public et située dans des locaux relevant du ministère de la Justice ; que l’audience doit se dérouler en direct en assurant la confidentialité de la transmission ; que l’intéressé a le droit d’obtenir la communication de l’intégralité de son dossier ; que, s’il est assisté d’un conseil, ce dernier est physiquement présent auprès de lui ; qu’un procès-verbal ou un enregistrement audiovisuel ou sonore des opérations est réalisé ; qu’il résulte de l’ensemble de ces mesures que les dispositions contestées garantissent de façon suffisante la tenue d’un procès juste et équitable ». 

([66])               Compte rendu n° 24 du mercredi 22 mai 2019.

([67])              Mme Laetitia Avia et M. Didier Paris, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur les projets de loi ordinaire et organique, adoptés par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, de programmation 2019-2022 (n° 1349) et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (n° 1350), Assemblée nationale, XVe législature,  nos 1396 et 1397, tome I, 9 novembre 2018, pp. 324 et suivantes.

([68])              Compte rendu n° 16 du mardi 7 mai 2019.

([69])              Ibid. 

([70])              M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018.

([71])               M. Jean-Michel Fauvergue, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2019, tome VIII, « Sécurités », Assemblée nationale, XVe législature, n° 1307, 12 octobre 2018.

([72])              M. Henri Leroy, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur le projet de loi de finances, adopté par l’Assemblée nationale, pour 2019, tome XIII « Sécurités », Sénat, session ordinaire de 2018-2019, n° 153, 22 novembre 2018.

([73])              M. Philippe Dominati,  Rapport spécial fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances adopté par l’Assemblée nationale pour 2019, tome III, annexe N° 28a « Sécurités », Sénat, session ordinaire de 2018-2019, n° 147, 22 novembre 2018.

([74])              Mme Nadia Hai et M. Romain Grau, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2019, annexe 39, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1302, 11 octobre 2018.

([75])              L’extension des prérogatives des entreprises privées de sécurité est limitée par une jurisprudence ancienne et stable. Dès 1932, dans sa décision « Ville de Castelnaudary », le Conseil d’État a précisé que l’exercice de la police administrative ne peut être délégué. Dans une question prioritaire de constitutionnalité rendu le 28 mars 2018, le Conseil constitutionnel a relevé que si le législateur a permis d’associer des personnes privées à l’exercice de missions de surveillance générale de la voie publique, il a également prévu que ces personnes ne peuvent qu’assister les agents de police judiciaire et sont « placées sous l’autorité d’un officier de police judiciaire ». Dans ce cas, il appartient ainsi aux autorités publiques de prendre les dispositions afin  de s’assurer que soit continûment garantie l’effectivité du contrôle exercée sur ces personnes par les officiers  de police judiciaire. Du fait de cette garantie, le principe même de l’association des personnes privées à l’activité de surveillance de la voie publique n’a pas été censuré.

([76])               M. Jean Terlier et Mme Cécile Untermaier, Rapport d’information sur la justice des mineurs, Assemblée nationale, XVe législature, n° 1702, 20 février 2019.

([77])              Voir le compte rendu de la deuxième séance du vendredi 23 novembre 2018.

([78])               Compte rendu n° 25 du 23 mai 2019.

([79])               Compte rendu n° 29 du 4 juin 2019.

([80])              Compte rendu n° 11 du 9 avril 2019.

([81])              Compte rendu n° 13 du mercredi 10 avril 2019.

([82])              Compte rendu n° 18 du mercredi 15 mai 2019.

([83])              Ibid. 

([84])              Ibid.

([85])              Mme Alice Thourot et M. Jean-Michel Fauvergue, parlementaires en mission, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, 11 septembre 2018, page 5.

([86])              Compte rendu n° 2 du 6 mars 2019.

([87])              Compte rendu n° 14 du 7 mai 2019.

([88])               Compte rendu n° 10 du jeudi 4 avril 2019.

([89])              Arrêté du 27 août 2010 relatif aux missions et à l’organisation de la direction des ressources et des compétences de la police nationale.

([90])               Arrêté du 27 janvier 2017relatif aux missions et à l’organisation de la direction des ressources et des compétences de la police nationale.

([91])               Compte rendu n° 11 du 9 avril 2019.

([92])               Compte rendu n° 13 du 10 avril 2019.

([93])              Compte rendu n° 11 du 9 avril 2019.

([94])              Compte rendu n° 23 du 22 mai 2019.

([95])              Compte rendu n° 23 du 22 mai 2019.

([96])              Compte rendu n° 13 du 10 avril 2019.

([97])              Compte rendu n° 30 du 4 juin 2019.

([98])              Calcul à partir de la rémunération annuelle nette d'un sous-officier de gendarmerie en sortie d'école et du coût d'équipement d'un gendarme mobile, données communiquées par le ministère de l'intérieur.

([99])              Compte rendu n° 16 du 7 mai 2019.

([100])              Compte rendu n° 13 du 10 avril 2019.

([101])              Compte rendu n° 25 du jeudi 23 mai 2019.

([102])               Compte rendu n° 18 du mercredi 15 mai 2019.

([103])              Article 31 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([104])              Projet de loi de transformation de la fonction publique, n° 1802, déposé le mercredi 27 mars 2019.

([105])              Circulaire n° 300 du 16 avril 2012 relative à l’organisation de la direction  générale de la gendarmerie nationale. 

([106])              Arrêté du 27 janvier 2017 relatif aux missions et à l’organisation de la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale. 

([107])               Compte rendu n° 21 du mardi 21 mai 2019.

([108])              M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018, page 63 et suivantes. 

([109])               Compte rendu n° 23 du mercredi 22 mai 2019.

([110])              Compte rendu n° 21 du mardi 21mai 2019.

([111])               M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndical Interco 21, CFDT Interco.

([112])              Chiffres 2016 cités par Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, op. cit.

([113])              Document de politique transversale Prévention de la délinquance et de la radicalisation annexé au projet de loi de finances pour 2019.

([114])              Circulaire NOR / INT A 1906451 C du 28 février 2019.

([115])              Décret n° 2018-387 du 24 mai 2018 pris en application de la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016 relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs.

([116])              En vertu notamment des dispositions du code de procédure pénale et du code forestier.

([117])               Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, D’un continuum de sécurité vers une sécurité globale, rapport de mission parlementaire, septembre 2018.

([118])              Agent de police judiciaire adjoint.

([119])              3° de l’article 15 du code de procédure pénale, en vertu de l’article L. 522-3 du code de la sécurité intérieure.

([120])               Les dépenses sont réparties entre plusieurs titres selon leur nature : dépenses de personnel (T2), dépenses de fonctionnement (T3) et dépenses d’investissement (T5) notamment. Les crédits alloués à la Police nationale sont retracés dans le programme budgétaire 176, ceux dédiés à la Gendarmerie nationale au sein du programme 152.

([121])              Mise en œuvre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » et des protocoles d’accord d’avril 2016 et de décembre 2018.

([122])              Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire 2018 de la mission sécurité, mai 2019.

([123])               Plans successifs de lutte antiterroriste (2015-2017), Pacte de sécurité (2015-2016), plan de gestion des flux migratoires (2016), pl              an de soutien aux brigades anti-criminalité et aux pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (2016) et plan de sécurité publique 2016-2017).