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N° 3220 |
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N° 646 |
ASSEMBLÉE NATIONALE |
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SÉNAT |
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 QUINZIÈME LÉGISLATURE |
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SESSION ORDINAIRE 2019 - 2020 |
Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale |
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Enregistré à la présidence du Sénat |
Le 16 juillet 2020 |
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Le 16 juillet 2020 |
RAPPORT
au nom de
L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
L’AGRICULTURE FACE AU DÉFI DE LA PRODUCTION D’ÉNERGIE
par
M. Jean-Luc FUGIT, député, et M. Roland COURTEAU, sénateur
Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale par M. Cédric VILLANI, Premier vice-président de l’Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Gérard LONGUET, Président de l’Office |
« Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau »
Anaxagore de Clazomènes (philosophe grec), De la nature, 430 av. J.-C.
«Rien ne se crée, dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature, et l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération ; que la qualité et la quantité des principes est la même, et il n’y a que des changements, des modifications »
Antoine Lavoisier (chimiste français), Traité élémentaire de chimie, 1789
« Au cours d’une transformation quelconque d’un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d’énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail) »
Julius Robert von Mayer (physicien allemand), Premier principe de la thermodynamique, dans un article[1] de 1842
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SOMMAIRE
Pages
L’essentiel : Principales observations et propositions
I. La démarche de vos rapporteurs
A. De la procédure de saisine à l’adoption d’une méthode et d’un calendrier de travail
2. La méthode et le calendrier de travail
B. Le champ des investigations de l’étude
1. L’étude de faisabilité du rapport
2. Un ciblage sur certaines pistes d’investigation
1. Une méthode de travail fondée sur des auditions
2. Rapports, ouvrages, articles et statistiques
A. Le champ de l’énergie et ses dimensions
1. Comprendre les notions d’énergie et de « production d’énergie »
3. Le mix énergétique français
B. Les politiques énergétiques et la Programmation de l’énergie
1. Un cadre international et européen
2. Les instruments de programmation en France
3. Les scénarios de prospective
C. Le secteur agricole en perspective
1. Historique des politiques agricoles
2. L’impact des transitions agroécologique et énergétique sur le secteur agricole
3. La consommation énergétique des exploitations agricoles
III. Les enjeux de la production d’énergie dans le secteur agricole
1. État des lieux et données générales sur le secteur agricole comme producteur d’énergies
3. Les enjeux économiques et financiers pour les agriculteurs
4. L’accès au foncier agricole
B. Le cadre juridique et les incitations à cette production
1. Le cadre juridique de la production d’énergie comme activité agricole
1. De la biomasse au biogaz : la méthanisation
b) Les problèmes d’acceptabilité sociale
a) Un conflit de générations ?
b) Les problèmes d’acceptabilité sociale
c) Les biocarburants aéronautiques
a) Une énergie de moins en moins dans le vent
c) Les problèmes d’acceptabilité sociale
4. Le photovoltaïque et le solaire thermique
a) Histoire de la technologie photovoltaïque
b) L’amélioration progressive des panneaux photovoltaïques
c) L’énergie photovoltaïque en agriculture et l’agrivoltaïsme
d) Les problèmes d’acceptabilité sociale
5. Les autres sources d’énergie dans le secteur agricole
a) L’énergie hydraulique et l’hydroélectricité
c) Les questions d’acceptabilité sociale
D. Les perspectives technologiques des énergies renouvelables dans les terres agricoles
1. L’enjeu du stockage de l’énergie, décisif pour les sources d’énergie intermittentes
2. Le couplage de la méthanation avec la méthanisation
4. D’autres démarches innovantes
IV. Des impacts environnementaux inégaux et des rendements contrastés
A. Les Bilans environnementaux
1. Généralités sur les taux d’émission de GES et les analyses ACV
2. Présentation par source d’énergie
B. L’enjeu transversal du stockage du carbone dans les sols
1. Le rôle des sols dans le stockage du carbone
2. Le jeu complexe de variables multiples
3. Les perspectives politiques et de recherche
1. Comprendre la notion de taux de retour énergétique (TRE)
2. Les difficultés à déterminer les écarts de TRE par source d’énergie
V. Des Freins de nature variée
A. Des énergies coûteuses et peu rentables qui nécessitent de gros investissements
1. Un coût macroéconomique défavorable sauf à considérer toutes les externalités
2. Des coûts microéconomiques paralysants
B. L’accès au foncier agricole et les conflits d’usage
1. La faible disponibilité du foncier agricole
2. Les risques de conflits d’usage
C. L’intermittence et le défi technologique de stockage de l’électricité
1. L’intermittence de certaines énergies renouvelables telles que l’éolien et le photovoltaïque
2. Le défi technologique du stockage de l’énergie
D. Les freins politiques, administratifs et juridiques
1. Les freins liés à l’acceptabilité sociale
2. Des programmations peu ambitieuses
3. Une complexité administrative
E. Un manque de formations dédiées
2. Les formations à la méthanisation agricole
3. L’éolien et les autres filières
VI. Comparaisons internationales
A. Les situations au niveau européen et dans quelques états membres
1. Les analyses des institutions européennes
b) La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
d) Quelques freins au développement de ces productions d’énergie
e) Les perspectives technologiques
b) La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
d) Quelques freins au développement de ces productions d’énergie
b) La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
d) Quelques freins au développement de ces productions d’énergie
e) Les perspectives technologiques
b) La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
d) Quelques freins au développement de ces productions d’énergie
b) La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
d) Les perspectives technologiques
2. La production d’énergie dans le secteur agricole par filière
4. Quelques freins au développement de ces productions d’énergie
5. Les perspectives technologiques
C. Synthèse Comparée de sept pays
1. Comparaison des mixs énergétiques
2. Comparaison de la production d’énergie d’origine agricole
VII. Les Propositions du rapport
9. Protéger le foncier agricole à travers un nouveau cadre législatif
B. Les Propositions sectorielles
C. Rappel des propositions pour le stockage du Carbone dans les sols
1. Poursuivre et amplifier, au niveau international, l’initiative « 4 pour 1 000 »
2. Construire une PAC incitative au stockage de carbone dans les sols
Examen du rapport par l’Office
III. Syndicats et Associations
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LES OBSERVATIONS
L’énergie ne se produit pas, elle se transforme. La production d’énergie revient à transformer une forme d’énergie en une autre.
À la croisée des enjeux climatiques et énergétiques, au moment où la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique appellent à renforcer le développement des énergies renouvelables et où l’agroécologie permet de penser les productions agricoles à la lumière des fonctionnalités offertes par les écosystèmes, l’agriculture joue plus que jamais un rôle pivot, par l’intermédiaire de la production végétale et animale nécessaire à notre alimentation, de la moindre émission de gaz à effet de serre, du stockage du carbone dans les sols, du maintien voire de la reconquête de la biodiversité, de la récupération des déchets mais aussi de la production d’énergies renouvelables, car elle permet de mobiliser des terres et des matières premières nécessaires à la production d’électricité, de gaz, ou de carburants.
La production d’énergie dans le secteur agricole ne doit pas être considérée comme une question secondaire ou un enjeu conjoncturel, c’est un sujet majeur aux implications multiples pour l’environnement et le climat, pour ses conséquences en matière d’aménagement des territoires, d’organisation des filières et des exploitations agricoles, y compris sur un plan économique. Pour autant, les productions d’énergies renouvelables issues de notre agriculture ne suffiront pas à redessiner le mix énergétique national ou international.
Les cultures alimentaires doivent toujours primer sur les cultures strictement énergétiques et lorsqu’une même production peut avoir les deux usages, sa vocation alimentaire doit primer sur sa valorisation énergétique. La première fonction de l’agriculture doit demeurer celle de produire notre alimentation : l’énergie ne peut pas entrer en compétition avec cette dernière. Les solutions de développement conjoint des deux activités de production, alimentaire et énergétique, sont à développer.
Le secteur agricole, avec un minimum de 50 000 exploitations concernées, assure déjà 20 % de la production d’énergies renouvelables (396 GWh d’énergies renouvelables, soit 3,5 % de la production nationale d’énergie). Certaines énergies sont davantage produites dans le secteur agricole : 96 % de la production nationale de biocarburants revient à l’agriculture, 83 % pour l’éolien, 26 % pour le biogaz, 13 % pour le solaire photovoltaïque et 8 % pour la biomasse chaleur. Selon les scénarios prospectifs de l’Ademe, de NégaWatt ou encore de Solagro, cette production est amenée à croître de manière rapide à l’horizon de la neutralité carbone en 2050 (multiplication par 3 passant de 4,6 Mtep à 15,8 Mtep).
La production d’énergies renouvelables dans le secteur agricole soulève plusieurs enjeux : économiques, financiers, technologiques, d’acceptabilité sociale, de formation ou, encore, d’usage et d’accès aux terres agricoles. Une comparaison internationale entre sept pays le confirme.
Le stockage de l’énergie est un enjeu décisif pour les sources d’énergie intermittentes telles que le photovoltaïque et l’éolien. Leur intégration et leur développement dans le monde agricole sont corrélés à diverses techniques de stockage telles que les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), les batteries et surtout l’hydrogène.
La recherche autour des énergies renouvelables est nécessaire. De récentes innovations montrent l’intérêt croissant des couplages : solaire-éolien, méthanisation-méthanation ou encore cultures agricoles et énergie photovoltaïque à travers l’agrivoltaïsme. L’usage des nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle permet d’augmenter le rendement de chaque source d’énergie.
Le monde agricole a besoin de davantage de formations et de conseil afin de préparer au mieux les agriculteurs à opérer cette transition agroécologique. Certaines productions d’énergie, telles que la méthanisation, impliquent des connaissances et des savoir-faire qui doivent être renforcés, afin d’assurer une gestion efficiente des installations de production d’énergie.
Il sera de plus en plus nécessaire, à la lumière de l’expérience de la pandémie de Covid-19, de repenser l’interdépendance entre notre microbiote intestinal, notre système immunitaire, notre alimentation, notre agriculture, notre politique de santé, les pollutions, la déforestation, l’artificialisation des terres, les atteintes à la biodiversité, le réchauffement climatique, la mondialisation et le développement des pandémies. C’est pourquoi le rapport plaide pour une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l’environnement et de l’agriculture. Le contexte actuel, avec le besoin d’accélérer la transition énergétique et de définir un plan de relance suite à la pandémie, offre une occasion à saisir. Un futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait avantageusement être déposé et être le vecteur d’une réforme du monde agricole en intégrant certaines des propositions du présent rapport, allant dans le sens des orientations générales de ce dernier et de sa vision transversale et systémique des enjeux.
De façon grandissante, notre agriculture devra se tourner vers l’agroécologie et vers l’agroforesterie, seul mode d’exploitation des terres qui prévoit l’association des arbres et des cultures, ce qui présente de nombreux avantages, pour la protection des sols mais aussi pour la biodiversité et la productivité des terres.
Tel est le bel avenir que nous souhaitons pour l’agriculture.
LES PROPOSITIONS (détaillées au chapitre VII du présent rapport)
L’ensemble de ces propositions doit permettre d’orienter le plan de relance du Gouvernement faisant suite à la pandémie de Covid-19 et d’en préciser certains aspects.
LES PROPOSITIONS GÉNÉRALES
1. Concilier la politique énergétique française et ses implications pour le monde agricole avec nos objectifs de production alimentaire, de lutte contre l’artificialisation des sols, de stockage du carbone dans les sols, de maintien de la biodiversité et de santé publique, en assurant la primauté de la production alimentaire sur les autres objectifs, afin de prévenir les conflits d’usage.
2. Clarifier notre stratégie énergétique nationale vis-à-vis du monde agricole et, plus généralement, améliorer la cohérence interne de la politique énergétique de la France en matière de développement des énergies renouvelables, en renforçant le rôle du Parlement.
3. Soutenir la recherche sur la production d’énergie dans le secteur agricole et encourager le financement de démarches innovantes, en dotant la stratégie de recherche en énergie d’un volet agricole.
4. Assurer un suivi régulier et rigoureux de la production d’énergie dans le secteur agricole, en intégrant autant que possible les approches en termes d’analyses de cycle de vie (ACV).
5. Favoriser la production d’énergie et sa consommation dans le secteur agricole, à travers des incitations, permettant d’encourager l’attractivité des modèles d’affaires pour les agriculteurs, en adaptant les tarifs réglementés, les appels d’offre et les guichets ouvert, en utilisant le levier de la fiscalité agricole (rattachement au régime des bénéfices agricoles – BA) et en levant certains freins réglementaires à la production d’énergie et à sa consommation dans le secteur agricole.
6. Déployer des projets de territoire pour la production d’énergie dans le secteur agricole, au sein de la politique d’aménagement des territoires.
7. Adopter une démarche de certification des projets conduits, par exemple sous la forme d’un label « Agroénergie ».
8. Améliorer l’offre de formation en matière de production d’énergie dans le secteur agricole, au niveau de la formation initiale (secondaire et supérieur) comme de la formation continue, certaines formations devant permettre l’apprentissage de compétences de haut niveau, y compris celles liées au montage et à la gestion des installations énergétiques.
9. Protéger le foncier agricole à travers un nouveau cadre législatif.
LES PROPOSITIONS SECTORIELLES
10. Développer de manière prioritaire la méthanisation, la coupler le plus souvent possible à la méthanation, mobiliser la biomasse au service de la bioéconomie et accroître les ambitions trop modestes de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sur le biogaz.
11. Défendre le droit à l’injection du biogaz et encourager le raccordement au réseau national de gaz des installations existantes.
12. Assurer la traçabilité des intrants dans les méthaniseurs pour garantir leur pouvoir méthanogène ainsi que la bonne qualité des digestats en vue de leur épandage.
13. Organiser une vigilance sur la qualité des installations par un suivi régulier et recourir à des contrôles de sécurité ponctuels.
14. Réduire les fuites indésirables de gaz lors de la méthanisation, notamment de méthane, de CO2 et d’ammoniac.
15. Rehausser les limites des travaux de renforcement prévus par le compte d’affectation spéciale (CAS) « Financement des aides aux collectivités pour l’électrification rurale » (Facé).
16. Pour les projets photovoltaïques, utiliser le levier des seuils des appels d’offre et des guichets ouverts et soutenir l’agrivoltaïsme, en vue d’éviter l’artificialisation des sols et recourir le plus possible aux technologies innovantes comme l’intelligence artificielle.
17. Engager une réflexion sur le soutien aux éoliennes terrestres et veiller au respect de la règle de remise en état des terres à la suite des opérations de démantèlement.
18. Tirer les conséquences de l’abandon progressif des soutiens aux biocarburants de première génération et développer des technologies innovantes, par exemple en matière de biocarburants aéronautiques.
19. Relever le défi du stockage de l’énergie, seul moyen à ce jour de résoudre le problème de l’intermittence des filières photovoltaïques et éoliennes.
20. Développer les technologies et les infrastructures de stockage d’énergie à travers le « power to gas » permettant de produire de l’hydrogène et/ou du méthane de synthèse, utilisable notamment par des piles à combustible.
RAPPEL DES PROPOSITIONS POUR LE STOCKAGE DU CARBONE DANS LES SOLS
1. Poursuivre et amplifier, au niveau international, l’initiative « 4 pour 1 000 ».
2. Construire une PAC incitative au stockage de carbone dans les sols.
3. Se doter d’une stratégie nationale sur les sols et mettre en œuvre l’initiative « 4 pour 1 000 » selon une approche territoriale, en veillant à la cohérence des actions conduites.
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Au moment où la lutte contre le réchauffement climatique et la transition énergétique appellent à renforcer le développement des énergies renouvelables et où l’agroécologie permet de penser les productions agricoles à la lumière des fonctionnalités offertes par les écosystèmes, l’agriculture peut jouer un rôle pivot dont nous ne pouvons ni ne devons faire l’économie.
La saisine de l’Office par la commission des affaires économiques du Sénat s’inscrit directement dans cette réflexion.
L’agriculture et la forêt interagissent de façon étroite avec le climat et l’environnement : elles se situent donc depuis des millénaires à la croisée des enjeux climatiques et énergétiques. Le recours raisonné à la force musculaire humaine, l’énergie de la biomasse utilisable notamment grâce au feu, puis la traction animale et l’énergie tirée de l’eau et du vent - énergies renouvelables - ont en effet marqué les premiers jalons de nos civilisations. Depuis un siècle, nos cultures agricoles recourent de plus en plus aux énergies fossiles.
L’agriculture est par essence productrice d’énergie, tout d’abord par l’intermédiaire de la production végétale et animale nécessaire à notre alimentation et à celle des animaux d’élevage, mais son rôle va bien au‑delà.
Il est vrai que son rôle a été et demeure prioritairement de produire l’énergie qui nous permet de vivre et de nous déplacer chaque jour et non pas de produire de l’électricité ou du biogaz. La production alimentaire ne sera pas l’objet du présent rapport, qui consacrera cependant une partie des développements à la compréhension des notions d’énergie et de « production d’énergie ».
Des chercheurs ont pu souligner le parallèle entre l’alimentation et l’activité agricole comme objets de consommation et de production d’énergie. Ainsi, Etienne Van Hecke explique que « tout comme l’alimentation humaine correspond à un système énergétique, l’agriculture est également caractérisée par un input et un output d’énergie »[2]. Parmi ces outputs, la production de biogaz et de biocarburants - tous deux issus de la production de biomasse végétale -, d’énergie éolienne, ou encore d’énergie photovoltaïque - toutes deux souvent issues de l’utilisation de surfaces agricoles bâties ou non bâties - représente un poids grandissant.
Sans annoncer de manière prématurée les conclusions du présent rapport, il convient, afin de prévenir les conflits d’usage et des déséquilibres indésirables, d’affirmer la priorité de la mission de production alimentaire du secteur agricole sur la production d’autres formes d’énergie, avec le souci de limiter l’artificialisation des sols et de maintenir voire reconquérir la biodiversité.
La grande majorité de la surface terrestre ne doit pas servir à la production d’énergie, sans quoi cette dernière entrerait en concurrence de manière critique avec le processus de photosynthèse en vue de la production alimentaire, depuis les échelons les plus modestes de la chaîne alimentaire ‑ du phytoplancton aux végétaux ‑ jusqu’à l’agriculture au sens moderne.
Comme en témoignent les observations d’Anaxagore de Clazomènes, d’Antoine Lavoisier et de Julius Robert von Mayer, citées en ouverture du présent rapport et auxquelles les rapporteurs sont attachés, l’énergie se singularise par une caractéristique majeure : elle ne peut ni se créer, ni se détruire, mais juste se transformer.
Le vocabulaire courant, ainsi que celui des domaines de l’économie et des politiques publiques, évoque les concepts de « production d’énergie », de « consommation d’énergie » et de « source d’énergie », pourtant, comme il sera expliqué dans le présent rapport, l’énergie au sens de la physique n’est ni créée, ni détruite, mais seulement transformée et transférée. Par commodité, on utilisera dans le présent rapport les notions de production, de consommation et de source d’énergie, mais sans oublier que ce n’est pas strictement rigoureux d’un point de vue scientifique.
Par ailleurs, le présent rapport porte sur le secteur agricole en France et ne traite pas de la production d’énergie directe ou indirecte par la filière forêt-bois, sujet à part entière, que l’Office pourra étudier à une autre occasion. Bien sûr, la forêt et l’agriculture sont complémentaires en termes d’absorption de gaz à effet de serre (GES), en particulier de CO2.
Vouloir la neutralité carbone à l’horizon 2050 passera par la compensation des émissions liées à nos activités anthropiques par nos forêts et notre agriculture. Par exemple, le fait de stocker plus de carbone dans les sols présente l’intérêt de compenser ces émissions mais aussi de renforcer la sécurité alimentaire car le niveau de carbone des sols a des effets majeurs sur la fertilité de ceux-ci et donc sur la productivité agricole.
Cette question, qui a fait l’objet de la note scientifique n° 3 de l’Office[3], sera abordée dans la quatrième partie du présent rapport consacrée aux impacts environnementaux et aux rendements contrastés de la production d’énergie dans le secteur agricole.
Parce que nous poursuivons l’objectif de stocker de plus en plus de carbone et de consommer de moins en moins de carbone non renouvelable, il faudra penser les sols de manière plus stratégique car le cycle du carbone garantissant sa neutralité passe par les sols, dont une grande partie est agricole ou forestier, auxquels il faut ajouter la biomasse.
L’agriculture dispose donc selon Bernard Pellecuer, ingénieur agronome, d’un potentiel important permettant à la fois de réduire ses émissions de gaz à effet de serre avec la réduction des intrants, les changements d’usage des sols, l’adaptation des systèmes et la récupération des déchets, de stocker le carbone issu des autres activités, et de produire des énergies renouvelables. Ce dernier point est l’objet du présent rapport.
De manière moins liée au sujet de la production d’énergie, elle peut fournir la matière première nécessaire à la fabrication de bioproduits qui peuvent se substituer aux produits chimiques issus du pétrole, et ceci de manière avantageuse, notamment par rapport à l’environnement.
La production d’énergie dans le secteur agricole ne doit pas être considérée comme une question secondaire ou un enjeu conjoncturel, c’est un sujet majeur aux implications multiples pour l’environnement et le climat, pour ses conséquences en matière d’aménagement des territoires, d’organisation des filières et des exploitations agricoles, y compris sur un plan économique. Pour autant, les productions d’énergies renouvelables issues de notre agriculture ne suffiront pas à redessiner le mix énergétique national ou international.
Selon le rapport de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST) « Les usages énergétiques des terres agricoles : cultiver l’énergie au 21e siècle », qui s’interroge sur la transformation de l’agriculteur en « énergieculteur », il faut insister sur « la complexité des enjeux, très interdépendants », qui devrait conduire à un plus grand rôle de la collectivité dans la gouvernance des exploitations agricoles du futur.
Il sera de plus en plus nécessaire, à la lumière de l’expérience de la pandémie de Covid-19, de repenser l’interdépendance entre notre microbiote intestinal, notre système immunitaire, notre alimentation, notre agriculture, notre politique de santé, les pollutions, la déforestation, l’artificialisation des terres, les atteintes à la biodiversité, le réchauffement climatique, la mondialisation et le développement des pandémies, tout se tient :
- la mondialisation représente un facteur de risque pour la transformation des zoonoses en pandémies ;
- l’agriculture produit notre alimentation, ce qui impacte les pollutions, les sols, le réchauffement climatique et les atteintes à la biodiversité ;
- notre système alimentaire contribue à la déforestation, qui est elle‑même un facteur de risque pour les zoonoses ;
- enfin, notre alimentation conditionne notre santé au travers de ses impacts sur notre microbiote intestinal et notre système immunitaire dont la fragilité nous rend plus sensible aux maladies infectieuses et donc aux pandémies.
La biomasse est au cœur de ces enjeux : elle fournit notre alimentation et peut contribuer à la fourniture d’énergie, mais elle doit aussi en partie revenir au sol, tout autant pour réguler le climat - avec le stockage de carbone - que pour pérenniser ou améliorer la capacité des sols à la produire.
Comme l’expliquait Albert Einstein, « on ne peut pas résoudre un problème avec le même niveau de pensée que celle qui l’a créé », c’est pourquoi l’expérience de la pandémie de Covid-19 appelle à articuler de manière nouvelle la santé, l’environnement, l’alimentation et l’agriculture.
Elle appelle notre vigilance sur le mode ordinaire de gestion des politiques publiques, compartimenté entre des politiques sectorielles en silo qui abordent les problèmes isolément, par domaine : politiques sanitaires, environnementales, agricoles, politiques de l’alimentation, du commerce international… Cette approche est frappée d’obsolescence alors qu’elle continue paradoxalement à régir l’action publique.
Ainsi que l’a fait valoir Michel Duru, directeur de recherche en agronomie à l’INRAE, nous devons recourir à un concept nouveau de « santé globale » ou de « santé unique » afin d’adopter une vision transversale et systémique des enjeux interdépendants de la santé, de l’environnement, de l’alimentation et de l’agriculture.
Le contexte actuel, avec le besoin d’accélérer la transition énergétique et de définir un plan de relance suite à la pandémie, nous offre une occasion à saisir. Comme il sera vu dans les propositions, un futur projet de loi sur le foncier agricole pourrait avantageusement être déposé et devenir le vecteur d’une réforme du monde agricole en intégrant certaines des propositions du présent rapport, allant dans le sens des orientations générales de ce dernier et de la vision transversale et systémique des enjeux que l’on vient de présenter.
L’ensemble de ces propositions devraient permettre de contribuer à la définition des orientations du plan de relance du Gouvernement faisant suite à la pandémie de Covid-19 et d’en préciser certains aspects.
Dans son rapport annuel pour 2020 « Redresser le cap, relancer la transition »[4], rendu public le 8 juillet 2020, le Haut conseil pour le climat identifie plusieurs mesures de sortie de crise qui sont compatibles avec les objectifs climat et la transition bas-carbone. Parmi ces mesures, le déploiement des énergies renouvelables et l’augmentation du stockage de carbone dans les sols sont évoqués. Quelques mois plus tôt, le Haut conseil avait, en avril 2020, tiré quelques enseignements de la crise liée à la pandémie en appelant à accélérer la transition vers la neutralité carbone pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques dans un rapport spécial intitulé « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir »[5]. Les rapporteurs se félicitent de cette prise de conscience progressive.
De façon grandissante, nos cultures agricoles devront s’adapter à cette vision transversale et systémique et se tourner vers l’agroécologie et l’agroforesterie, seul mode d’exploitation des terres qui prévoit l’association des arbres et des cultures, ce qui présente de nombreux avantages, pour la protection des sols mais aussi pour la biodiversité et la productivité des terres.
Tel est le bel avenir que nous souhaitons pour l’agriculture.
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L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a été saisi le 3 décembre 2018, en application de l’article 6 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, par la commission des affaires économiques du Sénat, d’une demande d’étude sur la valorisation énergétique des terres agricoles. Comme expliqué ci-après, le champ des investigations de cette étude a été élargi à la production d’énergie dans le secteur agricole.
Les rapporteurs ont préparé en 2019 une étude de faisabilité, adoptée lors de la réunion de l’Office du 17 octobre 2019, sous la forme d’une note de méthodologie pour le rapport sur la production d’énergie dans le secteur agricole. En amont de cette réunion, ils ont conduit plusieurs auditions afin d’éclairer les différentes dimensions du sujet et de mieux délimiter le champ de leurs investigations. Ils ont également adressé des questionnaires aux ministères de l’agriculture et de l’alimentation et de la transition écologique. Ils ont ensuite poursuivi leurs auditions pendant le premier semestre 2020 jusqu’au mois de juin et ont obtenu de nos services économiques à l’étranger des données pour six pays : l’Allemagne, les Pays‑Bas, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. De telles informations ont permis de constituer une synthèse comparée inédite, objet de la sixième partie du présent rapport.
Les précisions qui suivent sont importantes car le champ des investigations de l’étude a évolué d’un objet initial ‑ la valorisation énergétique des terres agricoles ‑ vers la production d’énergie dans le secteur agricole. Définie par l’Agence de l’environnement et de maîtrise de l’énergie (Ademe), la valorisation énergétique est « destinée aux déchets qui ne peuvent être recyclés ou valorisés sous forme de matière, la valorisation énergétique consiste à récupérer et valoriser l’énergie produite lors du traitement des déchets par combustion ou méthanisation. L’énergie produite est utilisée sous forme de chaleur ou d’électricité. La valorisation énergétique peut être directe : le déchet est brûlé dans une installation dédiée, construite et opérée selon des critères définis afin de minimiser les impacts environnementaux et sanitaires. C’est le mode le plus utilisé actuellement pour les déchets municipaux. Elle peut aussi être différée - pour les déchets industriels de préférence - soit par la production d’un combustible solide de récupération, soit par la production d’un gaz ou d’un coke dans des procédés de gazéification ou de pyrolyse ». Une telle définition aurait conduit à une étude trop restrictive, il a donc été décidé d’élargir le champ des investigations à la production d’énergie dans le secteur agricole.
Si cette définition stricte avait été utilisée, il aurait donc fallu inclure l’utilisation, à des fins de production d’énergie, des produits agricoles ainsi que des déchets et résidus afférents, ce qui aurait mené à la préparation d’un rapport sur les biocarburants et la valorisation de la seule biomasse, à travers par exemple la combustion ‑ biomasse chaleur ‑ et la méthanisation ‑ biogaz ‑ or élargir le champ de l’étude permet d’inclure non seulement l’utilisation des sols agricoles mais aussi des bâtiments et des sous-sols pour tout type de production d’énergie : l’énergie éolienne, l’énergie photovoltaïque, le solaire thermique, les pompes à chaleur, la petite hydroélectricité, etc.
Au moment où la transition énergétique appelle le développement des énergies renouvelables, un tel élargissement est apparu particulièrement judicieux et justifié.
L’Office a consacré ses travaux à l’énergie ou à l’agriculture à plusieurs reprises, mais il n’a jamais consacré de rapport au sujet des relations entre agriculture et production d’énergie, seul un rapport de 1997 sur les perspectives de développement des productions agricoles à usage non alimentaire, rédigé par notre ancien collègue député Robert Galley, mérite d’être mentionné ici car, sans se concentrer sur les aspects énergétiques, il les évoquait sous l’angle des biocarburants et de la valorisation de la biomasse à travers la combustion[6]. Votre rapporteur Roland Courteau avait, de son côté, établi au nom de l’Office en 2016 un rapport tiré d’une audition publique : « De la biomasse à la bioéconomie : une stratégie pour la France »[7].
Le rapport de l’Office de 1997 sur les perspectives de développement
des productions agricoles à usage non alimentaire
Ce rapport, qui traitait aussi de la filière amidon et de la biomasse chaleur, montrait que l’apparition des biocarburants et des plans gouvernementaux idoines s’inscrivait dans un contexte historique précis, les périodes de crise et/ou de surproduction entrainant un regain d’intérêt pour les utilisations non alimentaires des produits agricoles. Les biocarburants et, en particulier, l’éthanol, étaient soutenus dans une logique de « jachère énergétique ».
La première manifestation de ce phénomène est apparue en France à partir de 1923 avec l’accumulation des stocks d’alcool suite à la Première Guerre mondiale. Les importateurs de pétrole ont alors été contraints d’acheter au Service des alcools des quantités d’alcool représentant 10 % du volume des produits pétroliers importés. La période de l’Occupation, où les approvisionnements en pétrole ont été naturellement très difficiles, a vu resurgir l’éthanol comme carburant. Ce dernier, produit à partir du topinambour comme matière première, a représenté jusqu’à la moitié des carburants consommés. Après-guerre, le pétrole étant revenu, l’écart de son prix et de celui de l’alcool se creusant, le Gouvernement a décidé en 1956 de supprimer la fabrication de carburants à base d’alcool et notamment du super carburant ternaire composé de 15 % d’éthanol, 10 % de benzol et 75 % d’essence, principalement réservé aux transports publics. Seule la R.A.T.P a continué à utiliser ce carburant jusqu’en 1970. En janvier 1981 était présenté le programme Carburols par le ministère de l’industrie, dans le but de diminuer la vulnérabilité stratégique des approvisionnements pétroliers. Les carburants prioritaires de ce plan étaient d’abord le méthanol et l’acétone-butanol et ensuite l’éthanol. Le méthanol devait être issu de produits agricoles alors que l’acétone-butanol devait être produit à partir de plantes saccharifères ou de sous-produits agricoles ligno-cellulosiques, paille, tiges et rafles de maïs. Quant à l’éthanol, il devait être produit à partir du topinambour et surtout des betteraves à sucre. Le contexte financier et la détente sur le marché du pétrole ont eu raison de ce programme après quelques réalisations. Il faut cependant noter que ce sont les crises affectant un produit extérieur à l’agriculture, le pétrole, qui ont entraîné des renouveaux épisodiques d’intérêt pour une utilisation non alimentaire des produits agricoles.
Ce rapport décrivait également les politiques publiques de soutien aux biocarburants, en précisant que les exonérations fiscales ne constituaient pas une perte sèche pour l’État - puisque l’émergence des biocarburants contribuait à utiliser des terres gelées et à maintenir des emplois en milieu rural - mais posaient des difficultés au regard du droit européen (discrimination entre produits nationaux et importés, aides directes et indirectes…) : les lois de finances pour 1992 et 1993 ont ainsi prévu des exonérations de taxes touchant les produits pétroliers, notamment les esters d’huile de colza et de tournesol et pour l’alcool éthylique et ses dérivés, la loi de finances rectificative pour 1993 a ajouté des garanties d’État pour l’amortissement des unités pilotes de production de biocarburants. Cette dernière disposition était fondée sur une directive européenne du 19 octobre 1992 prévoyant la possibilité pour les États membres d’appliquer des exonérations de taux d’accises dans le cadre de projets pilotes visant au développement de produits moins polluants d’origine renouvelable.
Outre les effets sur l’emploi et les revenus, les biocarburants permettaient de diminuer la dépendance extérieure aux produits pétroliers et les importations de produits fossiles.
Source : OPECST.
L’Office n’ayant jamais travaillé directement et globalement sur le sujet de la production d’énergie dans le secteur agricole, il est apparu pertinent d’approfondir ce thème à travers une étude intégrée et approfondie.
Vos rapporteurs ont entendu dresser un tableau des énergies renouvelables issues du monde agricole en France métropolitaine, en mettant l’accent sur les enjeux d’opinion, de revenu pour les agriculteurs, de cadre juridique, d’incitations, de freins et, surtout, de rendement et d’impact environnemental, ces deux derniers points correspondant particulièrement bien à la mission de l’Office d’informer le Parlement des conséquences des choix scientifiques et technologiques[8].
L’Office ayant en effet pour vocation d’anticiper les questions complexes d’ordre scientifique et technologique qui pourraient se poser au législateur, il doit pouvoir lui fournir des explications circonstanciées sur des enjeux dont les risques et les opportunités auraient été difficiles à identifier sans son éclairage.
Vos rapporteurs ont rencontré 153 personnes lors des auditions qu’ils ont organisées ainsi que lors de différentes visites, notamment sur deux journées au Salon international de l’agriculture 2020 à Paris. La liste des personnes rencontrées figure en annexe du présent rapport.
Outre le rapport précité de 1997 sur les perspectives de développement des productions agricoles à usage non alimentaire rédigé par notre ancien collègue député Robert Galley, vos rapporteurs ont utilisé l’étude de l’Ademe de février 2018 « Agriculture et énergies renouvelables : contributions et opportunités pour les exploitations agricoles »[9], un rapport du ministère de l’agriculture et de l’alimentation de janvier 2011 « Prospective Agriculture et Énergie 2030 »[10] et une « Enquête sur les consommations et les productions d’énergie dans les exploitations agricoles »[11], conduite la même année ; ces trois sources étant parmi les rares documents à se consacrer au sujet du présent rapport, mais le plus souvent en parlant davantage de consommation que de production d’énergie.
Ils ont également consulté plusieurs sites, ouvrages et articles[12] ainsi que les rares statistiques existantes. L’ouvrage de Bernard Pellecuer, Énergies renouvelables et agriculture, est celui qui se rapproche le plus de l’angle adopté par les rapporteurs.
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation établit la statistique agricole annuelle[13], relative à l’utilisation des terres et aux productions agricoles, le recensement général agricole[14], tous les dix ans, et dispose d’un bureau des statistiques sur les productions et les comptabilités agricoles et de son outil de données publiques Agreste[15]. Malheureusement les statistiques sont le plus souvent relatives à l’utilisation des terres et aux productions agricoles et ne donnent pas d’informations sur la production d’énergie en tant que telle[16]. Il s’agit d’un manque que le présent rapport entend combler dans l’avenir, comme l’indique la proposition n °4 présentée dans la septième partie du rapport.
Le ministère de la transition écologique produit régulièrement de nombreuses statistiques sur la production d’énergie, y compris par source (les biocarburants, la méthanisation, l’énergie éolienne, l’énergie photovoltaïque, l’hydroélectricité, etc.) mais la part du secteur agricole n’est pas isolée dans le processus de production de ces énergies renouvelables.
La pauvreté des données disponibles montre que la question ne fait pas l’objet d’un suivi rigoureux et régulier par les pouvoirs publics.
Employé dans son acception moderne pour la première fois par Jean Bernoulli en 1717, bien que le concept remonte à l’Antiquité, le terme d’énergie renvoie à la « capacité d’un corps ou d’un système à produire du travail mécanique ou son équivalent »[17], plus formellement elle est définie comme « la grandeur physique qui se conserve lors de tout changement d’état d’un système physique »[18]. Selon Jean-Marc Jancovici, cette définition scientifique « ne dit rien d’autre que le fait que dès que le monde qui nous entoure - un système - change, de l’énergie entre en jeu, et la mesure de cette énergie mesure le degré de transformation entre l’avant et l’après ».
Il s’agit donc de la mesure de la capacité d’un système à modifier un état, c’est-à-dire à produire un travail entraînant un mouvement, un rayonnement électromagnétique, de la chaleur ou encore du froid. Nous utilisons l’énergie à travers de multiples manières, parfois sans en être conscients, dans nos corps avec la force musculaire, comme dans le monde physique, sous la forme de solutions de mobilité, de production de chaleur ou de froid, de consommations d’électricité à des fins multiples, comme l’éclairage, la transmission et le traitement d’informations, de machines industrielles et plus rarement domestiques qui tordent, vissent, emboutissent, alèsent, écrasent, étirent, filent, râpent, découpent, etc.
L’énergie se singularise par une caractéristique majeure, bien connue des physiciens, elle ne peut ni se créer, ni se détruire, mais juste se transformer. Dans la continuité des observations d’Anaxagore de Clazomènes et d’Antoine Lavoisier, Julius Robert von Mayer formula en 1842 le premier principe de la thermodynamique, selon lequel, dans toute transformation, il existe une conservation de l’énergie. Ainsi que l’explique Julius Robert von Mayer dans un article[19] de 1842, « au cours d’une transformation quelconque d’un système fermé, la variation de son énergie est égale à la quantité d’énergie échangée avec le milieu extérieur, par transfert thermique (chaleur) et transfert mécanique (travail) ». Cette loi de conservation postulée en mécanique classique, appelée aussi mécanique newtonienne, est démontrable en mécanique lagrangienne par le biais d’un théorème de Noether[20].
Comme il n’est pas possible de créer de l’énergie, nous ne pouvons donc que profiter de la transformation d’une énergie qui se trouve déjà dans la nature.
Parmi ces énergies présentes à l’état naturel, Jean-Marc Jancovici distingue les matières qui brûlent (bois, pétrole, charbon, gaz), les noyaux fissiles (uranium), les rayonnements déjà présents (soleil), les mouvements déjà présents (vent, marées, chutes d’eau), etc. Il en résulte selon lui que nous ne pouvons pas « consommer » plus d’énergie que ce qui se trouve dans la nature et que si une énergie n’existe que suite à une transformation par les hommes (électricité, hydrogène…), elle n’est pas pour autant une « source » d’énergie. Il s’agit en réalité d’une manière d’utiliser une autre énergie déjà présente dans la nature.
Le vocabulaire courant, ainsi que celui des domaines de l’économie et des politiques publiques, évoquent les concepts de « production d’énergie » et de « consommation d’énergie », mais comme il a été vu l’énergie au sens de la physique n’est ni créée, ni détruite, seulement transformée et transférée. Par commodité, on utilisera dans le présent rapport les notions de production d’énergie et de source d’énergie, mais sans oublier que ce n’est pas strictement rigoureux d’un point de vue scientifique car ni la production d’énergie ni les sources d’énergie n’existent en tant que telles[21].
Les principales énergies peuvent être distinguées selon les catégories suivantes :
- les énergies fossiles, dont le potentiel est évalué en termes de réserves (pétrole, gaz naturel, charbon) ;
- l’énergie nucléaire (uranium, plutonium…) ;
- les énergies renouvelables ou EnR (hydroélectricité, éolien, photovoltaïque, énergie solaire thermique, énergie thermique récupérée par pompe à chaleur[22] dans l’air, l’eau ou le sol appelée alors géothermie, bois-énergie, biocarburants, biogaz (issu de la biomasse, de résidus et de déchets, etc.).
On parle d’énergies renouvelables car leur renouvellement naturel est assez rapide pour qu’elles puissent être considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain. Certaines d’entre elles sont intermittentes (éolien et énergie solaire photovoltaïque ou thermique). Les installations de production d’énergie renouvelable peuvent combiner la production de chaleur et d’électricité sur une même unité, on parle alors de cogénération.
Il convient de relever que les concepts d’énergie verte et d’énergie durable restent très discutés.
Le premier concept regroupe les énergies qui peuvent être extraites, générées et/ou consommées avec de moindres conséquences sur l’environnement (outre la plupart des énergies renouvelables, certains y incluent l’énergie nucléaire, ce qui ne fait pas l’objet d’un consensus, notamment du fait des déchets nucléaires).
Le second, l’énergie durable, comprend les énergies capables de répondre aux besoins du moment présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins (outre les énergies renouvelables, certains y incluent les technologies permettant d’améliorer l’efficacité énergétique, l’énergie nucléaire et même le charbon avec stockage géologique du CO2, ces trois points faisant l’objet de polémiques).
D’un point de vue historique, la force musculaire humaine et l’énergie de la biomasse utilisable grâce au feu ont été les premiers types d’énergie mobilisés.
Ils se sont enrichis ensuite de l’utilisation de la traction animale, comme celle du cheval[23], ce qui a constitué un progrès significatif, très utile en agriculture et qui a bénéficié d’outils de plus en plus performants. L’énergie des eaux courantes et du vent pour le transport ou pour des processus agricoles ou industriels simples a ensuite été mobilisée. Le secteur agricole a ainsi recouru massivement à l’énergie hydraulique et à l’énergie éolienne avec les moulins à eau et à vent, dans le même temps que l’humanité se dotait de voiliers, qui ont permis le développement et l’accélération des échanges commerciaux dans le monde.
Les moulins à grain - qu’ils soient à eau ou à vent - appartenaient le plus souvent à de riches investisseurs et non pas aux agriculteurs, qui se contentaient de louer leurs terres pour que des moulins y soient implantés. On retrouve d’ailleurs cette organisation aujourd’hui : si la terre agricole appartient bien au monde agricole, ce n’est pas souvent le cas des installations de production d’énergie qui s’y trouvent.
D’après Didier Roux, délégué à l’information et à la communication de l’Académie des sciences, spécialiste des questions d’énergie, la source principale d’énergie sur terre est le soleil (exception faite de l’énergie nucléaire et de la géothermie- qui est cependant elle aussi d’origine nucléaire sur terre). Le soleil a toujours constitué pour le monde agricole un apport gratuit d’énergie pour faire pousser les plantes mais aussi faire sécher le foin, le tabac ou le bois. Le chauffage au bois-bûche a constitué partout la principale source de chaleur jusqu’à ce que le charbon le remplace au 19e siècle.
La bioéconomie, bien antérieure à la division sociale du travail, tout comme le recours à des ressources renouvelables faisaient auparavant figure d’évidence.
Comme l’explique Rémi Carrilon, « autrefois l’agriculture était nettement polyvalente car, on s’attachait, dans la pauvreté générale, à exploiter tout ce qu’elle pouvait fournir : les aliments d’abord, certes, et aussi les matières premières (bois d’œuvre, fibres, laine, chaumes, suif, soie, cuirs, etc.) et les produits énergétiques (bois de feu, huiles et alcool pour l’éclairage, déchets divers pour le chauffage et la cuisson, etc.) »[24].
À l’époque contemporaine, l’utilisation de la machine à vapeur, puis celle de l’électricité et des moteurs thermiques (essence ou diesel) ont été des jalons essentiels de la révolution industrielle, en s’appuyant sur les énergies fossiles, charbon, gaz et pétrole en tête. À partir de la seconde moitié du 20e siècle, la maîtrise des réactions de fission nucléaire a permis la production d’électricité dans des centrales nucléaires.
Les énergies fossiles représentent aujourd’hui dans le monde, comme l’indique le graphique ci-après basé sur les dernières données disponibles à la fin de l’année 2019 et qui dresse un bilan pour 2017, 81 % de la consommation d’énergie primaire (pétrole : 32 %, charbon : 27 %, gaz naturel : 22,2 %); le reste de cette consommation d’énergie provenait du nucléaire (4,9 %) et des énergies renouvelables (13,8 %, dont 9,5 % de la biomasse[25], 2,5 % de l’énergie hydraulique et 1,8 % d’autres énergies renouvelables[26]). Pour certains, les statistiques de l’Agence internationale de l’énergie auraient tendance à sous-évaluer la part des énergies renouvelables électriques, telles que l’hydroélectricité, l’éolien et le photovoltaïque.
Les principales énergies consommées dans le monde
Source : Agence internationale de l’énergie, 2019.
Les données de l’Agence internationale de l’énergie utilisent le million de tonnes d’équivalent pétrole (Mtep), qui est le multiple de la tonne d’équivalent pétrole (tep), le pétrole étant la source d’énergie la plus utilisée dans le monde. Si l’unité de mesure officielle de l’énergie est le joule, les sources d’énergie possèdent souvent une unité de mesure privilégiée : ainsi, le pétrole et la tonne d’équivalent pétrole (tep), le gaz naturel et le mètre cube, le charbon et la tonne équivalent charbon (tec), ou encore l’électricité et le kilowatt-heure (kWh). Pour les agréger ou les comparer, les unités de base que sont le joule et le tep ou parfois le kWh sont utilisées, toute énergie primaire étant assez souvent convertie en électricité.
Pour mémoire, la conversion entre ces unités de mesure est réalisée de la manière suivante : 1 kWh = 3,6 106 J ; 1 tep = 4,186 1010 J ; 1 tep = 11630 kWh ; 1 kWh = 8,5985 10-5 tep.
En 2018, comme l’indique le graphique ci-après basé sur les dernières données disponibles, parues à la fin de l’été 2019, la France a consommé près de 249 Mtep d’énergie primaire[27] dont 12 % d’énergies renouvelables (contre 6 % en 2006 et 11 % en 2016).
Les principales énergies consommées en France
Source : Service des statistiques du ministère de la transition écologique, 2019.
En dépit de cette part croissante des énergies renouvelables, le nucléaire, les produits pétroliers et le gaz restent, de loin, les sources principales d’énergie. Environ la moitié de ces énergies consommées en France ont été produites sur le territoire national et il en découle des importations considérables qui pèsent sur notre balance commerciale. Environ 40 % de l’énergie primaire est absorbée dans des opérations de conversion, comme la transformation de combustibles fossiles en électricité, ou le transport de l’énergie, à travers des pertes par effet Joule[28]. Aussi, la quantité d’énergie finale restante consommée en France s’est élevée à 142 Mtep. Sur ce total, près de 13 Mtep ne sont pas utilisés en réalité à des fins énergétiques mais pour leurs propriétés chimiques : plastiques, bitumes, etc.
La part des énergies renouvelables est ainsi portée à 16,3 % si elle est rapportée non à l’énergie primaire mais à la consommation finale brute d’énergie (sur une période de 30 ans la croissance des énergies renouvelables est dans ce cadre de 70 %). C’est ce pourcentage qui est utilisé pour mesurer l’atteinte (ou la non atteinte dans le cas de notre pays) des objectifs de développement des énergies renouvelables.
Le mix énergétique français concernant les seules énergies renouvelables se décompose de la manière suivante : bois-énergie 39,6 %, hydraulique 16,7 %, biocarburants 10,2 %, pompes à chaleur 8,9 %, éolien 8,2 %, déchets renouvelables 5,4 %, biogaz 3,5 %, solaire photovoltaïque 3,2 % et 4,4 % d’autres énergies, telles que la géothermie, les résidus de l’agriculture, le solaire thermique, les énergies marines, etc.
Les énergies renouvelables en France
Source : Service des statistiques du ministère de la transition écologique, 2019.
La production d’électricité, distincte de la production et la consommation d’énergie, représente 537,7 TWh en 2019 et continue de reposer en France à plus de 70 % sur l’énergie nucléaire[29]. Au sein de cette production, les énergies renouvelables se répartissent entre l’hydroélectricité (11,2 %), l’éolien (6,3 %), le solaire photovoltaïque (2,2 %) et les bioénergies dont le biogaz (1,8 %).
La production d’électricité en France
Source : Bilan électrique 2019, RTE, 2020.
Les sommets de la Terre, et en particulier le premier sommet à Stockholm, en 1972, ont placé les questions écologiques au cœur des préoccupations internationales. C’est le sommet de 1992, à Rio de Janeiro, qui demeure la plus grande réussite avec la signature de la Déclaration de Rio, visant à assurer une meilleure gestion de la planète. Le sommet de Johannesbourg de 2002 s’est particulièrement intéressé à l’énergie et à l’agriculture, notamment à l’utilisation des énergies renouvelables et à la dégradation des sols.
Le sommet de Rio a engagé un processus d’adoption de protocoles contraignants auprès des États. Le protocole de Kyoto, traité international signé en décembre 1997, a pour objectif la réduction des émissions de gaz à effet de serre des parties signataires : 195 États et l’Union européenne sont concernés. Ce protocole contient un volet agricole, avec un objectif d’augmentation des puits de carbone.
L’Accord de Paris du 12 décembre 2015 qui vise à limiter le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre est entré en vigueur en novembre 2016. Bien que peu contraignant juridiquement (aucune sanction), cet accord a pour ambition de contenir d’ici 2100 le réchauffement climatique en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, à poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C et à atteindre la neutralité carbone, de manière ambitieuse, dans la deuxième moitié du siècle.
Au niveau européen, les programmations se font autour des différents paquets consécutifs sur le climat et l’énergie. Dès 1996, la Commission européenne publie un livre vert afin de lancer un débat sur les différentes mesures urgentes relatives aux énergies renouvelables tout en fixant les objectifs (12 % de la consommation intérieure brute de sources d’énergie à partir des sources d’énergies renouvelables), cernant les obstacles et les moyens à mettre en œuvre. Par la directive 2001/77/CE (abrogée au 1er janvier 2012 par la directive 2009/28/CE du 23 avril 2009), l’objectif d’une contribution de 21 % des sources d’énergies renouvelables a été fixé.
Le paquet climat-énergie de 2009 prévoit à l’horizon 2020 un objectif dit « 3 X 20 » : une réduction de 20 % des émissions de GES de l’Union européenne par rapport à 1990, une réduction de 20 % de la consommation énergétique européenne par rapport à l’augmentation tendancielle et, enfin, une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie totale. La directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 pour la promotion des énergies renouvelables définit ainsi un cadre commun pour la promotion de la production d’énergie à partir de sources renouvelables. Elle fixe des objectifs nationaux contraignants concernant la part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie et dans la consommation d’énergie pour les transports. Ces objectifs contribuent à réaliser l’objectif global de 20 % d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de l’UE d’ici à 2020. Les objectifs évoluent entre 10 % d’énergie renouvelable pour Malte et 49 % pour la Suède, notre pays étant à un niveau intermédiaire avec un objectif de 23 %.
En 2014, un nouveau paquet climat-énergie pour 2030 a porté l’objectif de réduction des émissions de GES à 40 % par rapport aux niveaux de 1990, la réduction de la consommation énergétique européenne à 27 % (l’amélioration de l’efficacité énergétique ayant ensuite été portée à au moins 32,5 %) et, enfin, la part des énergies renouvelables à 27 % de la consommation d’énergie totale. La directive 2009/28/CE sera ainsi abrogée avec effet au 1er juillet 2021 par la directive (UE) 2018/2001 du 11 décembre 2018 qui définit un nouvel objectif contraignant encore plus ambitieux de 32 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2030, assorti d’une clause de réexamen d’ici à 2023 pour une révision à la hausse de l’objectif. Les réexamens prévus pourront donc conduire, le cas échéant, à augmenter encore ces objectifs. Cette directive n’attribue aucun objectif aux États, ce sont eux qui fixent leurs contributions nationales afin d’atteindre collectivement l’objectif européen mais ils devront, à compter du 1er janvier 2021, se situer chacun à une part d’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie de chaque État membre supérieure à la part de référence figurant en annexe de la directive 2009/28/CE, soit 23 % pour la France.
Il convient de relever que selon le dernier rapport d’Eurostat sur le mix énergétique européen 18 % des énergies consommées dans l’Union européenne en 2018 étaient renouvelables (pour mémoire cette part représentait 16,3 % en France).
Enfin, le règlement européen sur l’utilisation des terres et la foresterie pour la période 2021-2030 dit « LULUCF » place le stockage du carbone dans les sols parmi les objectifs de l’Union européenne en matière climatique.
Parmi les mesures sectorielles, la directive 2003/30/EC sur la promotion de l’usage des biocarburants peut être citée : elle a fixé en 2003 des objectifs d’incorporation de 2 % en 2005, 5,75 % en 2010 et 10 % en 2020. En 2009, la directive « RED I » a fixé un objectif d’incorporation de 10 % d’EnR dans les transports à l’horizon 2020. Elle a été remplacée en 2018 par la directive « RED II », avec un objectif d’incorporation de 14 % d’EnR dans les transports à l’horizon 2030. Cette directive plafonne l’incorporation des biocarburants de première génération à 7 % et fixe un plancher pour les biocarburants de deuxième génération de 3,5 %.
Selon les dernières données disponibles (2017), les carburants alternatifs à l’essence et au gazole pétroliers représentent 7,7 % des carburants consommés.
Dans les années 1990 et 2000, les autorités françaises se sont engagées en faveur du développement des énergies renouvelables, notamment électriques, telles que l’éolien et le photovoltaïque. Le 15 février 2005, le Président de la République Jacques Chirac a annoncé l’intensification de la recherche « dans six domaines stratégiques : la séquestration du carbone, le véhicule propre, la pile à combustible hydrogène, les biocarburants, le solaire et le photovoltaïque et le bâtiment économe en énergie »[30]. Le Gouvernement a pris l’année suivante un arrêté tarifaire doublant le prix d’achat du KWh pour les installations solaires et photovoltaïques[31].
En cohérence avec les programmations européennes, la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) puis la loi relative à l’énergie et au climat (loi « Énergie-Climat ») ont été promulguées, respectivement le 17 août 2015 et le 8 novembre 2019. La LTECV, selon une logique proche de celle des programmations citées précédemment, vise la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la réduction de la consommation énergétique finale, notamment fossile, la rénovation énergétique, la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité et, pour ce qui nous intéresse ici, l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie : cette part doit représenter selon la loi « Énergie-Climat » 33 % de la consommation en 2030, dont 40 % pour l’électricité, 38 % pour la chaleur, 15 % pour le carburant et 10 % pour le gaz.
La LTECV prévoit l’élaboration d’une Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), élaborée de manière concertée mais sans vote du Parlement, fixant notamment des objectifs de production pour chaque filière énergétique et qui se veut le fondement de l’avenir énergétique de la France[32]. La PPE en vigueur, publiée le 21 avril 2020[33], fixe les objectifs suivants pour les filières d’énergies renouvelables afin de porter la capacité installée de 48,6 GW fin 2017 à 73,5 GW en 2023 et entre 101 et 113 GW en 2028[34].
Les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie
(capacité installée en GW)
|
2018 |
2023 |
2023 |
2028 |
Hydroélectricité |
25,3 |
25,8 – 26,05 |
25,7 |
26,4 – 26,7 |
Éolien terrestre |
15 |
21,8 – 26 |
24,1 |
33,2 – 34,7 |
Éolien en mer |
0,5 |
3 |
2,4 |
5,2 – 6,2 |
Photovoltaïque |
10,2 |
18,2 – 20,2 |
20,1 |
35,1 – 44 |
Biomasse solide |
0,54 |
0,79 – 1,04 |
0,9 |
0,8 |
Biogaz-Méthanisation |
0,137 |
0,237 – 0,3 |
0,27 |
0,34 – 0,41 |
Géothermie |
0,008 |
0,053 |
0,024 |
0,024 |
Total |
52 |
69,88 – 77,093 |
73,5 |
101 à 113 |
Source : OPECST d’après les décrets relatifs à la programmation pluriannuelle de l’énergie publiés le 27 octobre 2016 et le 21 avril 2020[35].
En plus de la PPE, la LTECV prévoit l’élaboration de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui décrit la feuille de route de la France pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050, à l’aide d’orientations stratégiques pour respecter les objectifs de lutte contre le changement climatique en formulant des recommandations d’actions, et de fixation de « budgets carbone », qui sont des plafonds d’émissions à ne pas dépasser.
L’État définit et met en œuvre une stratégie nationale de mobilisation de la biomasse[36] (SNMB) qui a notamment pour objectif de permettre l’approvisionnement des installations de production d’énergie, comme les appareils de chauffage domestique au bois, les chaufferies collectives industrielles et tertiaires et les unités de cogénération.
La stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (SNMB)
et les schémas régionaux biomasse (SRB)
La stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (SNMB) définit des orientations, recommandations et actions concernant les filières de production et de valorisation de la biomasse susceptible d’avoir un usage énergétique, en vue de développer la production de biomasse et d’augmenter sa mobilisation, notamment pour l’approvisionnement des installations de production d’énergie, tout en veillant à une bonne articulation de ses usages et à l’atténuation du changement climatique. Elle identifie les efforts d’amélioration des connaissances à réaliser concernant la biomasse mobilisable et le développement de ses usages non alimentaires. Ce document-cadre n’a pas de portée juridique particulière du type « compatibilité » ou « conformité » mais elle prend en compte les orientations, objectifs et indicateurs des schémas régionaux biomasse.
La stratégie précise les objectifs nationaux de mobilisation de biomasse au plan qualitatif et quantitatif. Ces objectifs chiffrés sont déclinés par région afin d’indiquer dans quelle proportion chaque région peut contribuer à l’atteinte d’une production satisfaisant le besoin national. Le dernier mot revient aux schémas régionaux de biomasse (SRB) qui fixent les objectifs régionaux opérationnels en cohérence avec les spécificités de leur territoire. Sont ainsi fixés les besoins en biomasse pour satisfaire la demande, notamment énergétique, aux horizons 2018 et 2023 puis 2030 et 2050. Parallèlement, la SNMB liste les ressources mobilisables et les objectifs de mobilisation, en bonne synergie avec les autres politiques existantes.
Chaque schéma régional biomasse (SRB), élaboré par le préfet de région et le président du conseil régional appuyés par un comité associant des représentants des élus régionaux, des acteurs économiques et des associations de protection de l’environnement, doit définir, en cohérence avec le plan régional de la forêt et du bois et les objectifs relatifs à l’énergie et au climat fixés par l’Union européenne, des objectifs de développement de l’énergie biomasse. Il détermine les orientations et actions à mettre en œuvre à l’échelle régionale ou infrarégionale pour favoriser le développement des filières de production et de valorisation de la biomasse susceptible d’avoir un usage énergétique, en veillant au respect de la multifonctionnalité des espaces naturels, notamment les espaces agricoles et forestiers. Il prend en compte les objectifs, orientations et indicateurs fixés par la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse.
Les SRB opèrent une distinction entre la biomasse qui entre en compétition avec l’usage alimentaire et la biomasse non alimentaire. Ces usages étant potentiellement en concurrence, il est nécessaire, par type de biomasse, de pouvoir les articuler au regard des enjeux environnementaux et socio-économiques, en conservant l’usage alimentaire comme priorité. Les catégories de déchets sont hiérarchisées afin de prioriser certains usages par rapport à d’autres et de prévenir les conflits d’usage.
Source : OPECST.
Selon Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat, « la SNBC, la LTECV et la SNMB sont cohérentes entre elles. Nous avons traduit en particulier le fait qu’il fallait que la vision de l’énergie de demain coïncide avec la vision carbone à moyen terme (2030) et long terme (2050) que propose la SNBC. L’objectif est de décliner la SNBC dans la PPE »[37].
La cohérence entre nos politiques agricoles, la LTECV, la PPE, la SNBC et la SNMB n’allant pas de soi, il est important de conserver une forme de vigilance à ce niveau.
La programmation de l’énergie en Europe et en France
Source : OPECST.
Il convient de relever qu’en France comme dans la plupart des pays européens, les réalisations sont en règle générale en deçà des ambitions affichées[38].
Les scénarios « NégaWatt 2011 » et « NégaWatt 2017 » sont des scénarios de transition énergétique centrés sur une révision des besoins d’énergie. Ils encouragent le recours aux leviers d’une « politique en rupture avec le dogme de la croissance continue des consommations : sobriété, efficacité énergétique, énergies renouvelables ». Il s’agirait pour la France de diviser par 2 nos consommations finales d’énergie, par 16 nos émissions de CO2 d’origine énergétique, et de réduire radicalement notre dépendance aux énergies fossiles d’ici 2050 en mobilisant fortement les énergies renouvelables, tout en abandonnant progressivement le nucléaire sur deux décennies.
Le scénario NégaWatt (2017)
Source : NégaWatt.
D’après le cabinet de conseil Solagro, qui se base sur le scénario NégaWatt de 2017, la biomasse constituera la principale ressource énergétique en France à l’horizon 2050 avec près de 380 TWh en énergie primaire. Le rapport Afterres 2050, décrit ainsi un scénario prospectif pour le développement des EnR[39], comme en témoigne le graphique ci-après.
Le scénario Afterres 2050 en matière de bioénergies