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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance,
Présidente
Mme Laure MILLER
Rapporteure
Mme Isabelle SANTIAGO
Députées
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TOME I
RAPPORT
Voir les numéros : 190 et 304
La commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance est composée de : Mme Laure Miller, présidente ; Mme Isabelle Santiago, rapporteure ; Mme Ségolène Amiot, M. Édouard Bénard, Mme Anne Bergantz, Mme Anne‑Laure Blin, M. Frédéric Boccaletti, M. Philippe Bonnecarrère, M. Arnaud Bonnet, Mme Nathalie Colin-Oesterlé, Mme Julie Delpech, M. Philippe Fait, M. Olivier Fayssat, M. Denis Fégné, M. Perceval Gaillard, Mme Géraldine Grangier, Mme Ayda Hadizadeh, Mme Marine Hamelet, Mme Tiffany Joncour, Mme Christine Le Nabour, Mme Katiana Levavasseur, Mme Alexandra Martin, Mme Marianne Maximi, Mme Marie Mesmeur, Mme Sophie Mette, Mme Julie Ozenne, Mme Béatrice Piron, Mme Béatrice Roullaud, M. Arnaud Sanvert, Mme Liliana Tanguy, M. Stéphane Viry
SOMMAIRE
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Pages
Première partie : un système qui craque de toutes parts
A. Un système issu de la charité
2. Les associations continuent de jouer un rôle prépondérant en protection de l’enfance
1. La consécration de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit international
a. La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
b. La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant
c. La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants
C. Une législation qui demeure largement inappliquée
1. Les mesures réglementaires d’application manquantes ou prises tardivement
2. Des mesures législatives ou réglementaires qui tardent à être appliquées sur le terrain
II. Une politique publique en situation d’échec
A. panorama de la diversité des mesures de la protection de l’enfance
1. Les mesures en milieu ouvert
a. Les mesures administratives
B. des chiffres extrêmement préoccupants
a. Une tendance marquée depuis les années 1990, aux facteurs d’explication multiples
b. De plus en plus d’enfants placés en établissement
3. Qui sont les enfants bénéficiant de mesures de protection de l’enfance ?
III. Des répercussions graves pour les enfants et la société dans son ensemble
B. un coût humain et économique majeur
Deuxième partie : Une gouvernance défaillante faute d’implication de l’État
I. Une politique publique interministérielle par nature
A. une multiplicité d’acteurs impliqués dans la politique publique de protection de l’enfance
1. Le ministère chargé de la protection de l’enfance
4. Les associations représentant les usagers et les anciens usagers de la protection de l’enfance
6. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
B. Un pilotage national instable et insuffisamment identifié
3. Le GIP France Enfance protégée et le CNPE peinent à s’affirmer dans le jeu institutionnel
a. Le GIP France Enfance protégée
b. Le Conseil national de la protection de l’enfance
II. L’État, premier parent défaillant de france
A. Une politique déléguée aux départements sans moyens pour l’assumer
2. Un transfert sans les moyens correspondants
B. Une implication inégale des départements qui conduit à une inégalité de chances et de traitement
1. Un dialogue difficile au sein des départements et entre les départements
2. L’application de la loi par les départements n’est pas optionnelle !
C. la décentralisation ne peut pas justifier l’absence d’implication de l’État
1. L’État est historiquement désinvesti de la protection de l’enfance
2. Une contractualisation qui ne peut pallier l’absence de l’État
A. Une recherche insuffisante et insuffisamment prise en compte
1. Quelques travaux de recherche existent en protection de l’enfance
2. Ces travaux demeurent insuffisants et insuffisamment utilisés
B. Un manque criant de données sur la protection de l’enfance
b. Le rôle de l’ONPE et des ODPE
2. Olinpe, un outil prometteur mais qui tarde à faire ses preuves
4. Des progrès conséquents à effectuer sur l’appariement des bases de données
A. La recentralisation n’est pas le remède miracle aux dysfonctionnements actuels
B. renforcer le rôle de l’État en protection de l’enfance en y allouant les moyens nécessaires
2. La question de la réparation due aux enfants de l’ASE victimes de maltraitances
C. La nécessité d’une vision pluriannuelle sur cette politique publique
1. Élaborer une loi de programmation pluriannuelle pour la protection de l’enfance
2. Généraliser la logique pluriannuelle aux enjeux financiers
D. Renforcer le dialogue et la coordination
1. Renforcer et harmoniser les outils de gouvernance au niveau local
2. Une politique publique qui doit être co-construite avec les premiers concernés : les enfants
Troisième partie : Le repérage et la prévention des situations de mise en danger de l’enfant
I. La prévention, grande oubliée des politiques publiques de protection de l’enfance
A. une culture de la prévention impensée en France
1. L’absence de cadre de pensée
2. Une approche cloisonnée qui empêche la mise en œuvre de politiques de prévention efficace
B. La lutte contre la pauvreté et l’amélioration de la prévention sont Étroitement liées
1. Les liens entre pauvreté et protection de l’enfance
a. Un lien complexe, peu documenté mais constaté sur le terrain
b. Des conditions matérielles dégradées peuvent favoriser des décisions de placement
C. Apporter un soutien ciblé aux populations en situation de grande vulnérabilité
1. La lutte contre la pauvreté et l’accès aux dispositifs de droit commun doit être une priorité
2. Développer les centres parentaux et maternels
D. considérer le soutien à la parentalité comme un levier majeur de la prévention
1. Renforcer les moyens de la PMI
2. Développer les instituts de la parentalité
3. Mettre en œuvre des dispositifs d’accompagnement à la parentalité en lien avec le handicap
II. Le repérage des enfants en danger doit encore être amélioré
A. Trop de situations de danger sont encore mal évaluées par les crip
1. La difficile structuration et harmonisation du fonctionnement des CRIP
B. le 119, un numéro d’appel saturé qui peine à recruter
Quatrième partie : La prise en charge au titre de la protection de l’enfance
I. une embolie généralisée : des délais de mise en exécution inacceptables
A. des délais d’exécution des décisions de justice en augmentation, pouvant atteindre plusieurs mois
C. des délais révélateurs des carences et de l’inadaptation de l’offre
II. une justice débordée, des procédures en mode dégradé
A. Des évolutions législatives qui peinent à se traduire sur le terrain
B. Un besoin criant d’augmentation des moyens de la justice des mineurs
C. placer les besoins fondamentaux de l’enfant au cœur de la formation des juges des enfants
D. Des évolutions souhaitables dans le cadre de la procédure judiciaire
III. DES CONDITIONS de prise en charge DÉFAILLANTES QUI PEUVENT METTRE EN DANGER L’ENFANT
A. Des conditions qui peuvent être indignes et inadaptées
1. Des structures d’accueil collectives qui fonctionnent parfois en dehors de tout cadre légal
2. Des placements à l’hôtel qui perdurent en pratique, malgré leur interdiction
a. L’interdiction par la loi Taquet de 2022
b. En pratique, cette interdiction n’est pas toujours respectée
a. Des structures d’accueil saturées
b. Un parc immobilier à agrandir et à rénover
c. Les solutions de financement proposées par la Banque des territoires
4. Une situation particulièrement problématique dans les territoires ultramarins
a. Des difficultés sociales exacerbées
b. Des moyens qui ne sont pas au rendez-vous
1. Une réglementation qui n’a pas été revue depuis les années 1970
2. Des tout-petits qui subissent des conditions d’accueil inadaptées
3. L’inertie des pouvoirs publics sur cette question doit cesser immédiatement
a. L’absence de véritable prise de conscience de la situation en pouponnière jusqu’à la mi-2024
b. Le travail en cours pour réviser la réglementation de 1974
C. LES DÉFAILLANCES DU CONTRÔLE DE PROBITÉ DES PERSONNES chargées de PROTÉGER LES ENFANTS
1. Des défaillances nombreuses, au mépris du droit et de la sécurité des enfants
a. Des contrôles des antécédents judiciaires difficiles à conduire en pratique
b. L’absence de contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance
c. Le contrôle des agréments des assistantes familiales présente des limites
3. Une base de données nationale des agréments des assistants familiaux toujours inexistante
1. Le recours croissant à l’intérim s’accompagne d’une dégradation qualitative de l’accompagnement
3. Le cas des liens troubles entre Domino RH et Liberi
a. Domino RH : un leader de l’intérim sollicité pour la prise en charge des « cas complexes »
b. La création de Liberi : une confusion des genres
4. La nécessité d’interdire le secteur privé lucratif en protection de l’enfance
E. l’existence d’une violence institutionnelle au sein de l’ase
1. Les violences exercées par les personnes en contact avec les enfants
2. Les violences entre les enfants et des enfants envers eux-mêmes
a. Les enfants de l’ASE sont des proies bien identifiées des réseaux de proxénétisme
b. Des professionnels démunis et une réponse institutionnelle encore trop désorganisée
F. Les mineurs non accompagnés : les oubliés des oubliés
1. La mise à l’abri et l’évaluation de la minorité et de l’isolement doivent être fiabilisées
b. Une procédure d’évaluation qui repose sur des méthodes trop fragiles
2. Les MNA, victimes d’une protection de l’enfance à deux vitesses
4. Mieux protéger les MNA en renforçant leurs droits
A. REPENSER LES ACTIONS À DOMICILE : intensifier et diversifier
2. Des mesures d’intervention à domicile peu concluantes, faute de moyens adéquats
3. Des mesures pertinentes pourtant peu utilisées
a. Créer un référentiel national et renforcer l’intensité des mesures
c. Construire avec les familles
B. Établir des normes minimales pour garantir la sécurité et la qualité de l’accueil
1. Des normes d’encadrement absentes
b. Un décret bloqué depuis cinq ans
c. Un encadrement indispensable
2. Clarifier le décret interdisant l’hébergement à l’hôtel
a. Un décret transitoire jamais paru
C. les contrôles des lieux d’accueil doivent être renforcés et rendus plus indépendants
2. Insuffisants, les contrôles doivent être immédiatement renforcés en impliquant davantage l’État
a. Les contrôles sont insuffisamment nombreux, en particulier ceux qui sont diligentés par l’État
3. Le renforcement indispensable du contrôle des accueils hors département
b. L’instauration d’un droit de visite parlementaire
V. placer les besoins de l’enfant au cœur des décisions
A. Le méta-besoin de sécurité de l’enfant mis à mal
B. mieux prendre en compte la parole de l’enfant
2. Renforcer la prise en compte de la parole des enfants pour les droits de visite
3. Garantir aux enfants des « droits du quotidien »
C. reconnaître la pluralité des liens d’attachement
2. Améliorer le travail autour du lien parents-enfant dans le cadre du placement
3. Entourer davantage les enfants protégés en développant le parrainage
D. adapter les modalités d’accueil aux besoins des enfants
1. L’accueil par un tiers digne de confiance
2. L’accueil et le maintien des liens des fratries
3. Privilégier l’accueil à dimension familiale
E. la protection de l’enfance doit garantir à l’enfant un parcours adapté à ses besoins
2. Garantir la mise en place pour chaque enfant du projet pour l’enfant
3. Faire évoluer le statut de l’enfant
b. Des évolutions soutenues par le législateur mais peu mises en œuvre
c. Une nouvelle réflexion sur ces questions s’avère nécessaire
A. REPENSER L’ACCOMPAGNEMENT EN SANTé mentale et physique des enfants
1. Le suivi de la santé des enfants relevant de la protection de l’enfance est très insuffisant
b. Une prise en charge de la santé mentale des enfants particulièrement lacunaire
2. Faire de la santé des enfants protégés une politique publique nationale prioritaire
a. Mettre en place des parcours de soins coordonnés et gradués
B. Un accompagnement du handicap structurellement inadapté
1. Une prise en charge globalement inadéquate
2. Des enfants envoyés en Belgique faute de solutions adaptées en France
a. Un phénomène méconnu et mal renseigné
3. Une prise en charge à repenser entièrement
C. revoir les modalités d’accompagnement scolaire
1. Des difficultés scolaires marquées
2. Mobiliser pleinement l’Éducation nationale
A. un accompagnement jusqu’aux vingt et un ans qui est loin de respecter la loi
1. La loi oblige à accompagner les jeunes majeurs jusqu’à leurs vingt et un ans
3. Des dysfonctionnements multiples
b. Les « contrats jeunes majeurs » : un outil mal nommé, au contenu insuffisant
2. Assurer à tous les jeunes majeurs une garantie de ressources
a. Mieux prendre en compte les aspirations scolaires et professionnelles des jeunes majeurs protégés
Cinquième partie : l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance
I. une crise profonde d’attractivité
A. des difficultés de recrutement généralisées
B. Une crise multidimensionnelle
1. Le décrochage des rémunérations
2. Des conditions de travail qui se dégradent et un manque global de reconnaissance
II. agir en urgence pour revaloriser les métiers du secteur
A. une réforme souhaitable de la formation
1. Sortir les métiers du social de la plateforme Parcoursup
2. Réformer la formation initiale
a. Une formation initiale aujourd’hui généraliste et inadaptée
b. Une formation initiale spécialisée indispensable
c. Communiquer autour des métiers
3. Renforcer la formation continue
B. revaloriser les conditions de travail et le niveau de rémunération des professionnels
1. Une application tardive, partielle et inégale de la prime Ségur
2. Un besoin d’harmonisation et de revalorisation
C. une vision d’avenir pour les assistants familiaux
1. Poursuivre les efforts pour la revalorisation du métier
2. Une évolution de la formation en suspens
3. Une réflexion nécessaire sur le cumul d’emplois
4. Un besoin de reconnaissance et d’accompagnement
Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES
Contributions des groupes politiques et des députés
contribution du groupe écologiste et social
CONTRIBUTION DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE - NOUVEAU FRONT POPULAIRE
CONTRIBUTION DU GROUPE Rassemblement national
contribution des groupes Ensemble pour la République, Les Démocrates et Horizons & Indépendants
contribution de M. Philippe Bonnecarrère, député du Tarn
Contribution de Mme Anne-Laure BLIN, Députée de Maine-et-Loire
Contribution de M. Denis Fégné, député des Hautes-Pyrénées
Annexe n° 4 : Courrier d’alerte sur la pouponnière du puy‑de‑dôme
Annexe n° 5 : Courrier d’alerte de la rapporteure sur la situation des pouponnières en France
Annexe n° 6 : Les difficultés rencontrées en fin de parcours ASE : deux exemples de note d’arlerte
L’aide sociale à l’enfance en France connaît une crise grave qui appelle une action urgente et forte. Ce constat, les membres de la commission d’enquête sur les manquements des politiques de protection de l’enfance en étaient conscients dès nos premières réunions. Après presque un an de travaux, il importe plus que jamais que les conclusions du présent rapport, quelles que soient les nuances que les uns et les autres pourront y apporter, soient mises en œuvre dans les plus brefs délais, de façon méthodique et volontaire.
Comme beaucoup d’autres actions de contrôle de l’Assemblée nationale, les travaux de la commission d’enquête ont été quelque peu affectés par l’instabilité politique de l’année 2024.
La commission d’enquête a été créée sous la XVIe législature, en avril 2024, dans le cadre du droit de tirage du groupe Socialiste et apparentés ([1]). Elle a commencé à procéder à des auditions et à des déplacements, avant que la dissolution du 9 juin 2024 ne mette fin à ses travaux.
Sous l’actuelle législature, c’est par un vote unanime en séance publique, quelques jours après l’ouverture de la session ordinaire, qu’une nouvelle proposition de résolution de Mme Isabelle Santiago a été adoptée pour créer à nouveau une commission d’enquête consacrée au même objet. Le choix fait par la Conférence des présidents d’inscrire très tôt cette proposition de résolution à notre ordre du jour, ainsi que ce vote unanime, souligne la volonté de l’ensemble de la représentation nationale de prendre ce sujet à bras-le-corps.
La première commission d’enquête a procédé à vingt et une auditions du 14 mai au 5 juin 2024 ; la seconde à trente-huit auditions du 12 novembre 2024 au 19 février 2025. Au total, les deux commissions d’enquête ont consacré 83 heures à ces auditions, au cours desquelles 126 personnes ont été entendues ([2]).
Il faut également rappeler que la première commission d’enquête a effectué deux déplacements, l’un dans le Nord et l’autre dans le Puy-de-Dôme ; la seconde s’est déplacée à cinq reprises : en Meurthe-et-Moselle, à Argenteuil, dans la Mayenne, en Belgique et en Seine-Saint-Denis.
En tant que présidente, je tiens à remercier l’ensemble des membres de la commission d’enquête qui se sont impliqués dans nos travaux tout comme les administrateurs de l’Assemblée Nationale qui nous ont accompagnés avec beaucoup de professionnalisme.
Compte tenu du consensus sur le fond qui a prévalu tout au long de nos travaux et de l’adoption du rapport lors de la dernière réunion de la commission d’enquête le 1er avril 2025, je formule le vœu que le législateur, le Gouvernement, les départements et l’ensemble des acteurs se mettent dès à présent au travail pour apporter des solutions concrètes et durables aux enfants les plus vulnérables de notre pays. Il est essentiel que ce rapport ne s’ajoute pas aux nombreux déjà rédigés et constitue un véritable levier d’action.
Recommandation n° 1 : Créer un code de l’enfance, comportant un chapitre spécifiquement consacré à la protection de l’enfance, et un manuel de référence sur la protection de l’enfance, qui permettront de disposer d’une vision clarifiée et consolidée des droits des enfants et de la politique publique de protection de l’enfance.
Recommandation n° 2 : Sur le modèle de ce qui se pratique déjà dans d’autres pays, systématiser l’étude des expériences négatives survenues pendant l’enfance (adverse childhood events ou ACE) dans le cadre des diagnostics en santé des enfants protégés et plus globalement en faire un nouvel outil d’analyse en population générale. Inclure l’étude des ACE dans le cadre de la formation des médecins.
RÉNOVER LA GOUVERNANCE DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE
Recommandation n° 3 : Développer la recherche en santé publique sur les enfants protégés en lien avec les universités scientifiques et à l’international.
Recommandation n° 4 : Faciliter l’accès des laboratoires de recherche aux bases de données de la DREES.
Recommandation n° 5 : Imposer un éditeur de logiciel unique et obligatoire de gestion de l’ASE pour tous les départements. Celui-ci devra être déployé en lien avec la création, à terme, d’un data hub de la protection de l’enfance, sur le modèle de ce qui est proposé par la Banque des territoires. Les départements, les associations et les différents services de l’État (dont la justice, l’éducation nationale et les ARS) devront avoir accès à cet outil unique et partagé. Celui-ci devra permettre de connaître en temps réel la situation des enfants et les places disponibles sur l’ensemble du territoire.
Recommandation n° 6 : Nommer un ministre de plein exercice chargé de l’enfance et lui adjoindre le concours d’un conseil scientifique.
Recommandation n° 7 : Créer immédiatement un comité de pilotage composé de représentants de l’État, des départements et des associations, chargé de relancer immédiatement une stratégie interministérielle de protection de l’enfance et d’en assurer le suivi et l’évaluation. Cette stratégie devra reprendre les recommandations de la présente commission d’enquête et les derniers rapports publiés en la matière, notamment celles du « plan Marshall pour la protection de l’enfance », du CNPE, du rapport du COJ et du CNPE sur l’insertion des jeunes majeurs et du Livre blanc du travail social. Ce comité de pilotage travaillera en lien avec le conseil scientifique, particulièrement concernant les besoins fondamentaux des enfants en santé.
Recommandation n° 8 : Renforcer considérablement les moyens humains et financiers :
– de la sous-direction Enfance et famille de la DGCS, et plus spécifiquement du bureau Protection de l’enfance et de l’adolescence ;
– des équipes de la DREES chargées de la production et de l’analyse des statistiques relatives à la protection de l’enfance.
Recommandation n° 9 : Comme cela a déjà été fait dans de nombreux pays, dont la Suisse, créer une commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions. Elle mettrait notamment en œuvre les préconisations formulées par le Conseil de l’Europe à l’attention des États membres dans sa résolution de 2024 sur le sujet.
Recommandation n° 10 : En cas de manquements manifestes du département sur ses missions en matière de protection de l’enfance, renforcer l’action du préfet de département :
– systématiser le contrôle de légalité des décisions relatives à la protection de l’enfance et déférer celles qui sont illégales au tribunal administratif ;
– étudier un mécanisme de mandatement d’office des dépenses de protection de l’enfance par le préfet en cas de sous-investissement manifeste.
Recommandation n° 11 : Généraliser les délégués départementaux à la protection de l’enfance, en réarmant les préfectures en personnel expert en protection de l’enfance.
Recommandation n° 12 : Améliorer la coordination entre les ARS et leurs délégations départementales en matière de protection de l’enfance, en lien avec le préfet de département.
Recommandation n° 13 : Élaborer une loi de programmation pluriannuelle quinquennale relative à la protection de l’enfance.
Recommandation n° 14 : Créer un fonds pluriannuel pour le financement de la protection de l’enfance. Les crédits budgétaires alimentant ce fonds ne devront pas être fongibles avec ceux alloués à d’autres politiques publiques. Ce fonds sera financé par une contribution de la branche Famille de la sécurité sociale et par une fraction de la CSG.
Plus généralement, l’État ne doit plus pouvoir prendre de mesure en protection de l’enfance sans penser la compensation budgétaire afférente des charges induites pour les collectivités.
Recommandation n° 15 : Augmenter le budget alloué à la contractualisation, l’inscrire dans une logique pluriannuelle et renforcer son évaluation.
Recommandation n° 16 : Accroître le recours aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) pour la délégation de l’exécution des mesures de protection de l’enfance aux associations. À terme, rendre le recours aux CPOM obligatoire.
Recommandation n° 17 : Généraliser les comités départementaux de la protection de l’enfance dès le 1er janvier 2026.
Recommandation n° 18 : Mieux communiquer auprès des professionnels de l’ASE et du secteur associatif sur les instances locales de gouvernance et mieux les associer à celles-ci (voir la recommandation n° 17 de la décision-cadre du Défenseur des droits).
Recommandation n° 19 : Inclure des représentants des enfants placés et des anciens enfants placés parmi les membres des comités départementaux pour la protection de l’enfance (CDPE).
REPENSER LES POLITIQUES DE PRÉVENTION
Recommandation n° 20 : Financer des recherches-actions visant à mieux étudier les liens entre la pauvreté et le placement, objectiver et rendre publiques les causes des placements et chiffrer la population de l’ASE vivant en situation de pauvreté ou de grande pauvreté.
Recommandation n° 21 : Financer et développer les centres maternels ainsi que les centres parentaux, afin de prévenir le placement des très jeunes enfants et d’améliorer la prévention précoce en direction des publics vulnérables.
Recommandation n° 22 : Renforcer les moyens de la prévention précoce à travers un soutien accru aux politiques d’accompagnement à la parentalité :
– mettre en place un plan d’accompagnement à la périnatalité et à la petite enfance 2026-2030 dans l’Hexagone ainsi que dans les territoires ultramarins ;
– accroître les moyens de la PMI pour soutenir les actions de soutien à la parentalité, notamment envers les publics les plus vulnérables ;
– soutenir le programme de promotion de la santé et de l’attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents (PANJO) ;
– développer de nouveaux outils de sensibilisation du grand public aux enjeux de la parentalité, à travers de grandes campagnes nationales pédagogiques sur l’enfance, la petite enfance et le développement de l’enfant ;
– développer et financer les instituts de la parentalité pour assurer la présence d’un institut par département, afin de favoriser une approche écosystémique et le développement des bonnes pratiques en réseau ;
– mener des actions ciblées d’accompagnement à la parentalité pour les parents en situation de handicap ;
– mener des actions ciblées d’accompagnement à la parentalité pour les parents d’enfants en situation de handicap ;
– développer un programme sur le modèle du programme québécois « Agir tôt », qui permet notamment d’apporter des réponses pour le repérage et la prise en charge des troubles autistiques.
AMÉLIORER LE REPÉRAGE DES SITUATIONS DE DANGER
Recommandation n° 23 : Prévoir une formation en ligne sur les enjeux du repérage des enfants en situation de danger à l’intention des personnels au contact régulier des enfants, en particulier dans les milieux associatifs et sportifs ;
Recommandation n° 24 : Lancer une campagne nationale sensibilisant sur les conséquences des traumatismes subis par l’enfant sur son développement.
Recommandation n° 25 : Généraliser la présence d’un professionnel de la PJJ au sein des CRIP.
Recommandation n° 26 : Donner suite à la recommandation n° 25 de la décision-cadre du Défenseur des droits sur la protection de l’enfance, qui préconise :
– de veiller à la production de rapports d’activité annuels par les CRIP ;
– de mettre en place un protocole permettant d’identifier les personnes extérieures à la CRIP pouvant venir en soutien de celle-ci pour l’évaluation ;
– de conclure des conventions bilatérales avec chacun des organismes susceptibles de transmettre des IP lorsque cela n’a pas été fait et identifier en leur sein un interlocuteur référent ; renforcer à leur intention les sessions de formation sur l’enfance en danger.
Recommandation n° 27 : Comme préconisé par la CIIVISE dans son rapport de novembre 2023 (préconisation n° 14), systématiser les retours du parquet sur les signalements émis par les administrations et les professionnels.
RENFORCER LES MOYENS DE LA JUSTICE ET GARANTIR LA BONNE EXÉCUTION DES DÉCISIONS D’ASSISTANCE ÉDUCATIVE
Recommandation n° 28 : Lancer immédiatement un audit territorial de la protection de l’enfance, pour établir une cartographie des besoins par territoire, comprendre les facteurs de vulnérabilité par territoire et y apporter les réponses nécessaires.
Prévoir immédiatement un plan d’urgence pour apporter une solution face aux décisions de justice non exécutées.
Recommandation n° 29 : Garantir aux juges des enfants les moyens d’exercer leurs missions en matière d’assistance éducative, en augmentant le nombre de juges des enfants et en veillant à leur attribuer des greffiers. Cibler particulièrement les ressorts judiciaires où le nombre de mesures d’assistance éducative par juge des enfants est le plus élevé.
Recommandation n° 30 : Renforcer la formation des juges des enfants en y intégrant de façon systématique des modules relatifs aux recherches cliniques sur le développement de l’enfant, les ACE (adverse childhood events) et les avancées en neurosciences sur l’enfant :
– renforcer la formation initiale et veiller à la présence de modules cliniques, en particulier sur les impacts des psycho-traumatismes et sur les apports de la théorie de l’attachement ;
– intégrer dans le cadre de la formation continue obligatoire des juges des enfants des formations communes avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance.
Recommandation n° 31 : Garantir le droit à la consultation du rapport des services de l’aide sociale à l’enfance aux parents avant l’audience.
AGIR FACE AUX CONDITIONS D’ACCUEIL INDIGNES ET INADAPTÉES
Recommandation n° 32 : Étudier tous les leviers d’allègement des formalités d’urbanisme applicables à la construction de structures d’accueils de mineurs et jeunes majeurs en protection de l’enfance, en particulier la possibilité de transférer au préfet le pouvoir de délivrer le permis de construire en cas de carence du maire ou de refus injustifié.
Recommandation n° 33 : Donner à la Banque des territoires un rôle central dans le soutien aux départements pour construire et réhabiliter des structures d’accueil :
– en donnant suite à sa proposition de soutenir la constitution de foncières départementales ou interdépartementales ;
– en donnant suite à sa proposition d’établir une plate-forme de mutualisation des bonnes pratiques ;
– en donnant suite à la proposition, formulée par la Délégation aux droits des enfants, de mettre en place un dispositif de soutien financier par la Banque des territoires à la construction de villages d’enfants ;
– en augmentant dès à présent la nouvelle enveloppe de prêts bonifiés proposée par la Banque des territoires, de 350 à 500 millions d’euros.
Recommandation n° 34 : Réaliser, immédiatement, à la charge de l’État, un audit du bâti en protection de l’enfance et une cartographie des besoins afférents, sur l’ensemble du territoire.
Recommandation n° 35 : Publier immédiatement l’ensemble de la nouvelle réglementation relative aux pouponnières. Associer des médecins et des chercheurs en protection de l’enfance aux travaux relatifs à cette révision. Les taux d’encadrement fixés devront s’approcher de un adulte pour trois enfants le jour de un pour cinq la nuit. Les accueils en sureffectif doivent être interdits.
Recommandation n° 36 : Dès la publication du présent rapport, l’État devra immédiatement conduire une évaluation de la situation de chaque enfant confié de moins de trois ans, afin de déterminer si son placement est adapté à ses besoins ; dans le cas contraire, une solution alternative au placement devra être envisagée.
Recommandation n° 37 : À l’horizon 2030, généraliser les accueils de type familial pour les enfants de zéro à trois ans et n’autoriser leur placement en accueil collectif qu’à titre exceptionnel.
Plus généralement, pour les enfants de zéro à cinq ans, envisager des critères dérogatoires au régime d’adoption afin de faciliter celle-ci, notamment en permettant aux personnes souhaitant adopter d’accueillir un très jeune enfant en mesure de placement.
Recommandation n° 38 : Interdire tout transport en taxi non accompagné pour les enfants placés de moins de huit ans et prévoir des sanctions en cas de non-respect de cette interdiction.
Recommandation n° 39 : Garantir et systématiser le contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance ainsi que des accueillants bénévoles et des personnes de plus de treize ans vivant à leur domicile.
Recommandation n° 40 : Publier sans délai le décret devant préciser les modalités de mise en œuvre de la base nationale recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux et maternels.
Recommandation n° 41 : Inscrire dans le code de l’action sociale et des familles l’interdiction pour les structures privées à but lucratif d’être gestionnaire d’une structure d’accueil de la protection de l’enfance.
Recommandation n° 42 : Dans chaque département, sous l’autorité du préfet, établir d’ici à fin juin 2025 la liste des autorités extérieures aux ESMS auxquelles les personnes accueillies peuvent faire appel en cas de difficulté (article L. 311-8 du CASF).
Recommandation n° 43 : Conformément à la recommandation de l’UNICEF, mettre en place un groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur l’exploitation criminelle des mineurs.
Recommandation n° 44 : Améliorer la lutte contre la prostitution des enfants et des jeunes confiés à l’ASE en mettant en place dans les meilleurs délais la formation prévue par la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel.
Recommandation n° 45 : Renforcer le rôle de la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle dans la prise en charge des jeunes victimes de prostitution en protection de l’enfance, en prévoyant un protocole d’action spécifique.
Recommandation n° 46 : Actualiser le référentiel d’évaluation de la minorité.
Recommandation n° 47 : Garantir la présomption de minorité d’une personne se présentant comme mineur non accompagné (MNA) jusqu’à la décision de justice le concernant, lorsqu’il conteste la décision du département sur l’évaluation de sa minorité.
Recommandation n° 48 : Renforcer l’égalité de traitement entre les jeunes MNA et les autres enfants et jeunes majeurs pris en charge par la protection de l’enfance :
– en évaluant le niveau scolaire du jeune dès son accueil ;
– en renforçant son suivi en santé, notamment en santé mentale, grâce à du personnel spécialement qualifié ;
– en permettant aux MNA ou aux MNA devenus jeunes majeurs pris en charge par l’ASE de bénéficier d’un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale ;
– en lui assurant une prise en charge identique à celle des autres jeunes dans le cadre du projet d’accès à l’autonomie.
Recommandation n° 49 : Renforcer l’implication de l’État dans le cadre des missions qui lui sont déjà confiées par la loi s’agissant de la prise en charge des personnes se présentant comme MNA et des MNA :
– en créant une instance de gouvernance dédiée au niveau national (par exemple, en nommant un délégué interministériel ou en relançant le comité créé à ce sujet en 2016). Elle devra impliquer le ministère des affaires étrangères ;
– en dématérialisant la procédure de demande de la contribution forfaitaire versée par l’État au département pour la mise à l’abri et l’évaluation de la minorité et de l’isolement des jeunes se présentant comme MNA.
CHANGER DE PARADIGME : FAVORISER LES ACTIONS À DOMICILE, INSTAURER UN ENCADREMENT NORMATIF ET DONNER UNE NOUVELLE DIMENSION AUX CONTRÔLES
Recommandation n° 50 : Repenser le cadre des interventions à domicile, en garantissant un accompagnement gradué en fonction des besoins et globalement renforcé ; établir un référentiel national en ce sens :
– instaurer un nombre maximal de mesures suivies par chaque professionnel en milieu ouvert ;
– développer les AEMO renforcées et supprimer les AEMO simples dans leur forme actuelle ;
– veiller à la bonne organisation des services pour garantir une fluidité entre mesure AED et mesures AEMO ;
– encourager la mobilisation de l’ensemble de la palette des interventions, en développant l’intervention des TISF ainsi que les aides à la gestion budgétaire et financière ;
– garantir la formation initiale et continue des professionnels (voir recommandation n° 86) et structurer les interventions à domicile de façon à promouvoir leur pluridisciplinarité.
Recommandation n° 51 : Instaurer des ratios d’encadrement minimaux dans les structures de la protection de l’enfance. Garantir la compensation des charges afférentes par l’État.
Recommandation n° 52 : Saisir immédiatement le CNPE d’une étude sur le contenu d’une base qualitative commune de prise en charge en protection de l’enfance.
Recommandation n° 53 :
– Réviser le décret du 16 février 2024 afin de garantir le niveau de formation des professionnels en charge de l’accompagnement des jeunes dans les structures dérogatoires (structures relevant du régime « jeunesse et sport » et structures relevant du régime de la déclaration).
– À moyen terme, interdire toute forme de placement dans des structures ne relevant pas de la protection de l’enfance.
Recommandation n° 54 : Renforcer immédiatement le contrôle des établissements, services et lieux de vie et d’accueil, d’une part, et celui des assistants familiaux, d’autre part :
– en augmentant le nombre de contrôles qualité, incluant un temps d’échange avec les jeunes et les professionnels, planifiés comme inopinés, afin que chaque lieu d’accueil soit inspecté a minima tous les deux ans ;
– en augmentant les contrôles conjoints entre les services de l’État et ceux du département, ainsi que les contrôles diligentés par le préfet de département ;
– lorsque cela n’a pas déjà été fait, en créant d’ici à l’été 2025, au sein de chaque département, une cellule unique consacrée au recensement et à la gestion des incidents déclarés par les accueillants et les travailleurs sociaux ;
– en faisant usage des sanctions administratives et pénales prévues par le CASF en cas de manquement constaté.
Recommandation n° 55 : Systématiser un retour écrit aux structures d’accueil contrôlées, quelle que soit l’issue du contrôle.
Recommandation n° 56 : Renforcer spécifiquement le contrôle des établissements, des lieux de vie et d’accueil (LVA) et des assistants familiaux situés hors du département responsable des enfants ou des jeunes majeurs confiés à cette structure :
– s’assurer systématiquement auprès du département territorialement compétent que la structure d’accueil dispose d’une autorisation ou, pour les assistants familiaux, d’un agrément ;
– communiquer la liste des enfants hébergés hors du département au département qui les accueille, comme le recommande la Défenseure des droits dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance (recommandation n° 35) ;
– centraliser auprès de la DGCS la liste de l’ensemble des enfants placés hors du département d’origine, afin de contrôler leur situation ;
– comme cela est préconisé par l’IGAS dans son rapport de 2012, « identifier, au sein du service d’ASE, une fonction chargée du suivi socio-éducatif des structures d’accueil situées hors département ».
Recommandation n° 57 : Créer une autorité de contrôle indépendante pour les structures d’accueil en protection de l’enfance, dont la composition devra inclure des représentants des enfants placés et des anciens enfants placés. Comme le préconise le CESE, les enfants et jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de protection devront pouvoir saisir cette autorité.
Recommandation n° 58 : Créer un droit de visite parlementaire au sein des établissements et lieux d’accueil et de vie dans le secteur de la protection de l’enfance.
PLACER LES BESOINS DE L’ENFANT AU CŒUR DES DÉCISIONS
Recommandation n° 59 : Prévoir la désignation systématique d’un avocat dans le cadre des procédures d’assistance éducative pour chaque enfant, en capacité de discernement ou non, en veillant à ce que l’avocat en question soit spécialisé sur les questions relatives aux droits de l’enfant.
Recommandation n° 60 : Garantir la présence de l’enfant à l’audience et rendre effective l’obligation d’entretien individuel.
Recommandation n° 61 : Renforcer la prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre des droits de visite. Prévoir que, lorsque des faits de maltraitance ont été reconnus par la justice, les droits de visite ne peuvent intervenir qu’avec l’accord de l’enfant.
Recommandation n° 62 : Mieux garantir le droit et l’accès aux loisirs :
– désigner systématiquement des référents loisirs, jeunesse et sport dans les établissements ;
– garantir l’accès à des activités extra-scolaires en milieu ordinaire en prenant en compte les appétences des enfants ;
– harmoniser par le haut l’indemnité d’entretien versée aux assistants familiaux ainsi que les sommes versées au titre de l’argent de poche ou des anniversaires.
Recommandation n° 63 : Garantir la bonne mise en œuvre des droits de visite pour garantir le maintien du lien parents-enfant, dès lors que celui-ci ne constitue pas un risque pour l’enfant. Soutenir et développer les espaces de rencontre.
Recommandation n° 64 : Supprimer l’obligation alimentaire à l’égard des parents qui peut peser sur des enfants ayant fait l’objet d’un placement dans leur enfance en renforçant les dispositions de l’article L. 132-6 du code de l’action sociale et des familles.
Recommandation n° 65 : Développer les indicateurs de suivi pour mesurer le nombre de parrains et de mentors, soutenir les associations existantes et développer des campagnes de sensibilisation pour engager un mouvement citoyen en faveur du parrainage de proximité.
Recommandation n° 66 : Approfondir le statut des tiers dignes de confiance en renforçant leurs droits et les moyens prévus pour leur accompagnement.
Recommandation n° 67 : Engager une réflexion afin de permettre et de développer l’accueil durable par des bénévoles dans le cadre de l’assistance éducative.
Recommandation n° 68 : Garantir sans délai la généralisation des PPE à tous les enfants en en faisant une condition préalable à l’obtention des financements pouvant être obtenus dans le cadre de la contractualisation. Établir un référentiel facilement appropriable par les travailleurs sociaux pour s’assurer de sa bonne mise en œuvre.
Recommandation n° 69 : Engager une réflexion pour instaurer une durée maximale des placements en fonction de l’âge de l’enfant, au-delà de laquelle une solution durable doit obligatoirement être trouvée.
SANTÉ, HANDICAP, ÉDUCATION : DÉCLOISONNER LES POLITIQUES PUBLIQUES POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DES ENFANTS
Recommandation n° 70 : Instaurer la mise en place de parcours de soins coordonnés et gradués pour assurer la prise en charge de la santé physique et mentale des enfants relevant de la protection de l’enfance, en garantissant un financement forfaitaire d’au moins 1 500 euros par enfant et par an.
Recommandation n° 71 : Permettre le remboursement sans conditions des consultations de psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes de ville pour les enfants faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance, sans limite d’un nombre prédéfini de consultations annuelles.
Recommandation n° 72 : Garantir et financer à l’horizon 2030 la création d’un centre d’appui à l’enfance par région. Garantir et financer dès 2026 la création de trois nouveaux centres d’appui à l’enfance.
Recommandation n° 73 : Assurer le recensement de l’ensemble des enfants relevant de l’ASE accueillis dans des structures belges. À moyen terme, mettre fin à cette pratique en développant l’offre nécessaire sur le territoire français.
Recommandation n° 74 : Construire un accompagnement adapté pour les enfants de la protection de la protection de l’enfance en situation de handicap :
– systématiser les conventions ASE, MDPH et ARS et nommer des référents enfants protégés en situation de handicap au sein de chaque service d’aide sociale à l’enfance et de chaque ARS ;
– déployer des modalités d’intervention innovantes dans les lieux d’accueil de droit commun (établissements et familles d’accueil), telles que les équipes mobiles de soins, qui doivent faire l’objet d’un financement par les ARS ;
– développer des lieux d’accueil pluridisciplinaires à travers des appels à projets communs entre ARS et départements ;
– garantir l’accès aux établissements médico-sociaux aux enfants de la protection de l’enfance qui en ont besoin ;
– développer l’accueil familial thérapeutique ;
– mieux former les professionnels.
Agir en prévention en :
– développant un programme inspiré du programme québécois Agir tôt, qui cible les enfants de zéro à cinq ans et leurs familles pour détecter précocement les indices de difficultés dans le développement d’un enfant afin d’orienter rapidement sa famille vers les services appropriés ;
– ouvrant des accueils de jour adaptés et des lieux de répit pour les familles d’enfants porteurs de handicap.
Recommandation n° 75 : Mettre en œuvre sans délai la feuille de route « Scolarité protégée », en généralisant la signature de conventions à l’échelle des académies et en procédant à la nomination des référents ASE dans chacune des académies et chacun des établissements pour la rentrée scolaire 2025-2026. Développer dans ce cadre la fête des diplômés des enfants de l’ASE pour valoriser toutes les réussites scolaires.
Recommandation n° 76 : Dans l’objectif de renforcer l’accompagnement à l’école des enfants relevant de la protection de l’enfance et le repérage des situations de danger, revaloriser et repenser le modèle de la santé scolaire et garantir davantage la présence d’assistants sociaux et du personnel médical et paramédical dans les établissements du premier et du second degré.
GARANTIR UN ACCOMPAGNEMENT INCONDITIONNEL VERS L’AUTONOMIE
Recommandation n° 77 : Accompagner les jeunes majeurs protégés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, en sortant d’une logique de contractualisation – et en cessant d’utiliser le terme de « contrat jeune majeur » – pour construire un soutien adapté à son degré d’autonomie, dans une logique de suppléance parentale.
Recommandation n° 78 : Mettre en place sans délai la commission départementale d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs dans chaque département lorsque cela n’a pas été fait et garantir la présence du préfet et de ses services à chaque réunion de celle-ci.
Recommandation n° 79 : Porter une attention particulière aux mesures de suivi en sortie d’ASE pour les jeunes à double vulnérabilité, en particulier dans le cadre des commissions départementales d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs.
Recommandation n° 80 : Saisir le CNPE d’une étude sur les évolutions juridiques nécessaires afin de résoudre le problème d’absence de pécule pour certains jeunes, notamment les pupilles de l’État. Cette étude devra être conduite dans un délai de six mois.
Recommandation n° 81 : Renforcer l’accès au pécule pour les jeunes majeurs :
– finaliser et publier le décret permettant à la Banque des territoires de transmettre aux départements la liste des jeunes majeurs n’ayant pas sollicité leur pécule ;
– harmoniser les pratiques des CAF afin de fiabiliser les montants versés par celles-ci à la Banque des territoires, grâce à la publication d’une circulaire leur rappelant les dispositions applicables en la matière ;
– renforcer la communication autour de la restitution du pécule ;
– ouvrir un compte bancaire à chaque jeune de l’ASE âgé de douze ans ou plus ;
– à plus long terme, rendre automatique la restitution du pécule au jeune à sa majorité.
Recommandation n° 82 : Comme le préconise le rapport du COJ et du CNPE de 2023, verser systématiquement aux jeunes majeurs protégés sans soutien familial une allocation mensuelle financée par l’État.
Recommandation n° 83 : Mettre en œuvre la recommandation n° 45 de la décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance, qui recommande « aux départements et au secteur associatif habilité d’élaborer et de diffuser des guides à l’attention des jeunes majeurs, les informant sur l’ensemble de leurs droits lorsqu’ils accèdent à la majorité, y compris leur droit à saisir le juge administratif en cas de refus d’un accompagnement jeune majeur ».
RÉPONDRE A LA GRAVE CRISE D’ATTRACTIVITÉ DU SECTEUR
Recommandation n° 84 : Sortir les métiers du social de la plateforme Parcoursup.
Recommandation n° 85 : Instaurer une formation spécialisée pour les professionnels de la protection de l’enfance.
Recommandation n° 86 :
– Rendre obligatoire une formation continue annuelle thématique des professionnels ;
– Renforcer la visibilité des formations continues disponibles à l’échelle d’un territoire ;
– Développer les formations continues en encourageant de nouveaux formats – notamment en ligne lorsque le présentiel n’est pas possible – et en renforçant les liens avec le monde de la recherche et universitaire ;
– Mettre en place un plan de formation pour les territoires ultramarins afin de leur garantir l’accessibilité des formations continues proposées.
Recommandation n° 87 : Appliquer les recommandations du Livre blanc du travail social produit par le Haut Conseil du travail social pour revaloriser et harmoniser les salaires ainsi que les conditions de travail du secteur social, à travers un engagement de l’État et la reprise du dialogue social.
Mettre en place un comité de suivi de la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations formulées dans le Livre blanc.
Recommandation n° 88 : Garantir la pleine application du Ségur pour l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance, avec une compensation des charges afférentes par l’État.
Recommandation n° 89 : Renforcer l’accompagnement des professionnels de la protection de l’enfance en développant la supervision et l’analyse des pratiques, dans un cadre qui ne nuise pas à la liberté de parole et avec des professionnels dédiés. Établir en ce sens un référentiel commun.
Recommandation n° 90 : Harmoniser par le haut les montants des rémunérations perçues par les assistants familiaux.
Recommandation n° 91 : Faire évoluer les règles relatives au cumul de l’emploi des assistants familiaux, tout en veillant aux garde-fous nécessaires pour assurer un accompagnement de l’enfant à la hauteur de ses besoins.
Recommandation n° 92 : Veiller à la pleine intégration des assistants familiaux dans les collectifs de travail pluridisciplinaire. Créer des relais pour les assistants familiaux et développer la supervision et les échanges de pratiques. Prévoir dans ce cadre des ateliers spécifiques pour les enfants de zéro à cinq ans.
L’enfance est le socle sur lequel repose toute une vie. Pourtant, notre société échoue encore trop souvent à assurer aux enfants vulnérables la protection et l’accompagnement dont ils ont besoin.
Ce rapport est le fruit d’un travail rigoureux mené pendant près d’un an par deux commissions d’enquête. La première fut interrompue en juin 2024 en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale. La seconde a été créée en octobre 2024 à la suite d’un vote unanime en séance publique, pour lequel la rapporteure tient à remercier ses collègues parlementaires. Au total, ces deux commissions ont réalisé cinquante-neuf auditions et sept déplacements.
Le présent rapport met en lumière de graves insuffisances et l’impensé des politiques de l’enfance en France.
Face à cette réalité, il ne s’agit plus seulement de constater, mais d’agir vite. Ce rapport n’a pas vocation à être un simple état des lieux, mais un levier pour des réformes urgentes et nécessaires. Protéger l’enfance, c’est garantir à chaque enfant, quelles que soient ses difficultés, la possibilité de grandir dans un environnement bienveillant, sécurisé et adapté à ses besoins. C’est une responsabilité collective que nous devons pleinement assumer.
À l’occasion de son intervention en séance publique le 9 octobre 2024, en sa qualité de rapporteure de la proposition de résolution créant à nouveau la commission d’enquête, la rapporteure a rappelé les graves conséquences de l’effondrement du système de la protection de l’enfance en France :
« 400 000, 38 milliards et 20 ans.
« 400 000, c’est le nombre d’enfants en danger qui sont confiés à notre République au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
« 38 milliards d’euros, c’est ce que nous coûte indirectement chaque année la prise en charge des psychotraumatismes subis dans l’enfance – un point mis en lumière en 2021 par une étude de la revue The Lancet sur l’impact de dix ACE (Adverse Childhood Experiences, ou expériences traumatiques de l’enfance) sur la santé à l’âge adulte.
« Et 20, enfin, pour les vingt ans d’espérance de vie en moins des jeunes pris en charge par l’ASE par rapport au reste de la population ([3]). »
La protection de l’enfance « vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation dans le respect de ses droits », aux termes de l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles. Elle doit permettre de repérer et de prévenir les dangers qui pourraient survenir pour l’enfant et y répondre de manière adaptée. Elle recouvre des mesures variées, de nature administrative ou judiciaire, qui peuvent être des mesures éducatives à domicile, s’inscrivant dans une démarche de prévention, ou des mesures de placement en famille d’accueil, dans une structure d’accueil collectif ou chez un tiers digne de confiance.
Il existe autant de différences de traitement possibles pour les enfants qu’il existe de départements, la protection de l’enfance ayant été confiée à ces derniers lors des grandes lois de décentralisation, en 1983. Or, force est de constater que l’État est trop souvent absent pour rétablir l’égalité, pour soutenir les départements dans leur mission, pour contrôler et pour rappeler à l’ordre en cas de dérives et pour impulser une gouvernance holistique et une vision stratégique de long terme sur le sujet.
Le secteur associatif est quant à lui un acteur historique de la protection de l’enfance. Cette politique publique trouve en effet ses racines dans l’action des œuvres de charité. L’État a en ce sens toujours délégué cette politique de protection des enfants, y compris antérieurement aux lois de décentralisation.
La protection de l’enfance est traversée par une crise profonde de son écosystème qui hier était à bout de souffle et aujourd’hui dans le gouffre, révélatrice de l’ensemble des manquements des politiques publiques et de l’impensé de cette politique.
Le modèle français se caractérise par un recours trop fréquent au placement, historiquement institutionnalisé. Cette faute originelle a empêché de penser un nouveau modèle tourné vers une véritable politique de prévention auprès des familles, en particulier concernant la lutte contre la pauvreté et l’accompagnement à la parentalité. Les mutations et les attentes de la société n’ont pas été anticipées. En conséquence, le placement en établissement continue de progresser, au détriment du placement en famille d’accueil et aux dépens des besoins de sécurité affective des enfants.
Au 31 décembre 2023, on recensait au total 396 900 mesures d’aide sociale à l’enfance, réparties entre 56 % mesures de placement et 44 % de mesures éducatives ([4]). Ces chiffres confirment la dynamique à la hausse observée depuis plusieurs décennies désormais. Depuis 1998, le nombre total des mesures d’aide sociale à l’enfance a crû de 44 %, alors que dans le même temps la population des moins de vingt et un ans n’augmentait que de 1,6 % ([5]). Les chiffres montrent également la persistance de la forte judiciarisation des mesures et une stabilité du taux de placement par rapport aux mesures éducatives, à rebours de la volonté émise par le législateur depuis au moins deux décennies. Au total, la protection de l’enfance représente un coût de 9,9 milliards d’euros pour les départements.
Des mesures d’aide éducative et des placements sont exécutés avec plusieurs mois de retard faute de place, au mépris du droit et de la sécurité des enfants. Des lois sont votées mais ne sont pas appliquées. Dans plusieurs départements, des enfants continuent d’être mis à la rue à leur majorité, quand d’autres sont placés dans des hôtels.
Les premières victimes de cette situation, ce sont bien évidemment les enfants et les jeunes majeurs de l’aide sociale à l’enfance. La prise en compte de leurs besoins fondamentaux et la préservation de leur intérêt supérieur sont bien trop fréquemment négligées. Ils subissent au contraire un continuum de violences, depuis celles du foyer familial jusqu’à celles qui interviennent trop souvent dans le cadre du placement. Leur santé physique et mentale est moins bonne et moins suivie que celle des autres enfants. Ils représentent jusqu’à la moitié des adolescents hospitalisés à temps complet en psychiatrie, en particulier pour des troubles du comportement et des syndromes dépressifs ([6]). Les violences qu’ils subissent peuvent réduire de vingt ans leur espérance de vie. Lorsqu’ils sont en situation de handicap, ce qui est le cas pour au moins 25 % d’entre eux ([7]), leur prise en charge est entièrement inadaptée et ils se retrouvent ballottés entre différentes modalités d’accueil sans qu’une solution stable ne soit trouvée, ce qui souvent aggrave leurs troubles. Preuve ultime de notre incapacité à accompagner correctement ces enfants en « double vulnérabilité ([8]) », certains sont envoyés en Belgique – un scandale de plus, révélateur d’un écosystème qui ne sait pas prendre en charge les enfants présentant des troubles du neuro-développement.
Les enfants relevant de la protection de l’enfance connaissent davantage l’échec scolaire et ne sont pas incités à faire des études longues ; 43 % d’entre eux ont redoublé une fois, 24 % au moins deux fois ([9]). Les lieux dans lesquels ils vivent sont loin d’être propices à un développement serein, sans parler de la construction de liens affectifs, dont ils manquent souvent cruellement. Les enfants de la protection de l’enfance sont en conséquence davantage vulnérables face au chômage et à la pauvreté. Ainsi, 23 % des adultes nés en France et hébergés par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas ont été placés dans leur enfance ([10]).
Les drames témoignant des graves manquements du système sont malheureusement trop nombreux. Des enfants se suicident, à l’image de Lily, quinze ans, dans la chambre d’un hôtel du Puy-de-Dôme où elle a été placée. D’autres subissent les pires maltraitances de la part d’un service public dont l’objectif est pourtant de les protéger de celles-ci. C’est le cas de ces enfants qui avaient été confiés à l’aide sociale à l’enfance du département du Nord, qui ont été placés hors du département et qui ont subi les pires violences et les pires humiliations de la part de personnes qui exerçaient illégalement leur activité d’accueil. Mais le mal est parfois aussi plus insidieux : des pouponnières en sureffectif accueillent des bébés dans des conditions inadaptées et parfois même indignes, dont les conséquences sont dramatiques pour le développement de l’enfant. C’est dans ces conditions qu’est réapparu le syndrome de l’hospitalisme en France, que l’on croyait éliminé depuis longtemps, avec des bébés qui développent des formes de dépression. C’est comme si nous revenions cinquante ans en arrière.
Mme Rania Kissi, ancienne enfant placée, co-fondatrice du Comité de vigilance des enfants placés, a rappelé avec force à quel point les enfants relevant de la protection de l’enfance sont aujourd’hui délaissés par nos politiques publiques : « Nous sommes les oubliés de la République, nous sommes dans les ténèbres de la société, là où l’ascenseur est en panne, sans numéro d’urgence à appeler, car il n’existe pas de numéro d’urgence pour appeler Marianne ([11]). »
Les professionnels souffrent de cet effondrement de la politique publique de protection de l’enfance. Ils sont épuisés, trop peu nombreux auprès des enfants pour pouvoir exercer leur métier dans des conditions satisfaisantes. Face aux difficultés majeures de recrutement dans le secteur, l’intérim se développe, alors qu’il est contraire aux besoins de stabilité de l’enfant et entraîne une dégradation de la qualité de l’accueil. Dans ces conditions, le travail quotidien des professionnels perd son sens : les défaillances institutionnelles les conduisent même parfois à exercer malgré eux une forme de maltraitance. Il n’est donc pas surprenant que le secteur subisse un problème majeur d’attractivité et que l’on peine à recruter, alors même qu’il s’agit de métiers essentiels pour notre cohésion sociale et prendre soin des plus fragiles.
Comment faire pour sortir de la crise ? Car cette crise est, à bien des égards, structurelle. Depuis des années, les rapports se multiplient pour alerter sur la situation. Il existe donc un manque de volonté politique de se saisir du sujet, mais aussi de se doter des bons outils pour comprendre et agir.
La difficulté à établir des données et des statistiques agrégées en protection de l’enfance et à s’appuyer sur la recherche témoigne de l’impensé que constitue la politique publique de protection de l’enfance. Ce manque de vision stratégique fait que la France est l’un des pays où l’on place le plus d’enfants, sans se demander véritablement pourquoi, sans étudier suffisamment les options alternatives, sans penser le retour en famille lorsqu’il est possible, sans construire de véritables parcours pour les enfants.
La protection de l’enfance est aussi le réceptacle des graves insuffisances observées dans les politiques publiques connexes, qu’il s’agisse de la santé, du handicap, de l’éducation nationale ou de la protection judiciaire de la jeunesse. L’État est responsable de ces carences multiples, qui ont contribué à l’effondrement de la protection de l’enfance.
En raison de ces défaillances, les enfants et les jeunes majeurs protégés sont les moins armés pour affronter les obstacles de la vie et ce sont souvent ceux qu’on aide le moins, alors qu’ils sont notre avenir. Il faut donc cesser de raisonner en termes de coûts et de palliatifs et penser à investir l’enfance pour investir l’avenir.
La prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant doit être placée au cœur de la conception des politiques publiques. Des évolutions sont aujourd’hui indispensables pour leur garantir une prise en charge et des parcours adaptés, ce qui doit passer par un changement de modèle et la promotion d’une approche globale et pluridisciplinaire. Dans cet esprit, la commission d’enquête a auditionné à deux reprises le Comité de vigilance des enfants placés, au début et à la fin de ses travaux. Il est en effet fondamental de remettre l’enfant au centre de la politique publique de protection de l’enfance, de fonder les décisions qui le concernent sur son intérêt supérieur, d’écouter sa parole et d’en faire un acteur de son parcours. Les enfants placés et anciens enfants placés ont aussi un rôle à jouer dans la gouvernance de cette politique publique car ils ont une parole expérientielle à apporter sur le fonctionnement des organismes et institutions qui la mettent en œuvre.
À l’étranger, d’autres commissions, telle que la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse au Québec, dite « commission Laurent », ont permis des avancées significatives sur la protection de l’enfance ([12]). Créée en 2019 à la suite du décès d’une fillette de sept ans pour cause de maltraitances, la commission Laurent a permis des progrès considérables, et s’est accompagnée d’un travail de suivi et de planification par les pouvoirs publics. La province canadienne rencontre bien évidemment des difficultés, mais elle se donne les moyens de penser une politique en prévention pour mieux accompagner les familles et les enfants. La rapporteure veut croire que cela pourra se produire en France et qu’il sera enfin possible de parvenir à mobiliser l’ensemble de l’écosystème pour véritablement protéger les enfants. Ce changement de paradigme nécessite de penser pour les enfants un modèle holistique exigeant mais nécessaire pour une transformation systémique, avec des moyens renforcés et une vision plus globale de la protection de l’enfance, intégrant pleinement le bien-être et les droits des enfants dans toutes les décisions.
La mise en œuvre des recommandations formulées dans le présent rapport nécessitera un comité de pilotage, qui sera également chargé de l’évaluation de celles-ci. Cette mise en œuvre nécessite aussi de nouveaux moyens financiers, qui doivent être perçus comme un investissement et non comme une charge budgétaire. C’est en ce sens que le présent rapport propose une loi de programmation pluriannuelle quinquennale, essentielle pour porter cette ambition.
Que ce travail soit un appel à l’action, afin d’enclencher de véritables réformes de fond, urgentes et primordiales pour que plus aucun enfant ne soit laissé sans soutien, sans protection et sans avenir. Pour reprendre les mots attribués à Victor Hugo, « sauver un enfant, c’est sauver l’humanité ». Nous avons rendez‑vous avec l’humanité.
Première partie : un système qui craque de toutes parts
Pour mieux appréhender les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, il est proposé d’en retracer tout d’abord l’historique, car celui‑ci permet d’expliquer les causes à la fois structurelles et politiques de tels manquements. La présente partie vise également à donner un aperçu chiffré de la situation actuelle, qui est la résultante d’une crise à tous les niveaux : accroissement inquiétant des populations concernées, inadaptation ou non-application des dispositifs légaux, insuffisance des moyens matériels et humains, données lacunaires, diffusion insuffisante des travaux de recherche et des avancées scientifiques récentes, des travaux d’évaluation et de prospective et des bonnes pratiques.
I. La construction du droit de la protection de l’enfance : d’un système caritatif à une législation étoffée mais largement inappliquée
La protection de l’enfance commence à s’organiser à partir du XVIIe siècle, essentiellement autour d’œuvres caritatives, notamment religieuses. La législation s’est progressivement structurée au cours des siècles suivants. Les dernières lois majeures spécifiquement consacrées à ce sujet datent de 2007, 2016 et 2022. Mais la législation sur la protection de l’enfance, trop souvent décidée dans l’urgence, demeure peu appliquée, tant dans sa déclinaison réglementaire que sur le terrain.
A. Un système issu de la charité
« Née pour résoudre le problème que posent à partir du XVIIe siècle les abandons massifs d’enfants dans les centres urbains, [l’aide sociale à l’enfance] va progressivement […] changer d’objet : il s’agit de moins en moins d’enfants abandonnés […] et de plus en plus des cas où l’élevage et l’éducation des enfants sont, pour de multiples raisons, déficients. » C’est ainsi que le rapport de Jean-Louis Bianco et Pascal Lamy « L’aide à l’enfance demain », paru en 1980, explique la construction progressive de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
1. La protection de l’enfance naît du recueil des enfants abandonnés et des orphelins par des institutions de charité
Les racines de la protection de l’enfance sont essentiellement caritatives. Cette caractéristique marque encore l’organisation actuelle de cette politique publique, qui repose largement sur le secteur associatif ([13]).
C’est d’abord le recueil des enfants abandonnés et des orphelins par des congrégations religieuses qui a constitué le cœur de la protection de l’enfance. Au XVIIe siècle, Vincent de Paul donne un essor à ces institutions charitables et œuvre à l’implication du pouvoir temporel. L’Hôpital des Enfants trouvés, qu’il crée en 1638, sera rattaché en 1670 à l’Hôpital général de Paris, administré par le Parlement de Paris.
La période de la Révolution française s’accompagne de la formalisation de l’assistance publique et de la prise en charge de ces enfants par l’État. Le décret-loi du 28 juin 1793 relatif à l’organisation des secours à accorder aux enfants, aux vieillards et aux indigents rend obligatoire la prise en charge les enfants abandonnés. Le décret du 19 janvier 1811 concernant les enfants trouvés ou abandonnés et les orphelins pauvres distingue les enfants abandonnés des autres catégories de personnes en errance. C’est aussi ce décret qui consacre l’existence des « tours », sortes de cylindres pivotants creusés dans les murs des hospices où l’on pouvait déposer l’enfant à abandonner afin qu’il soit pris en charge.
Des politiques de prévention se mettent également en place au cours du XIXe siècle, sous forme de « secours ». Elles visent particulièrement les filles‑mères. Le nombre d’enfants abandonnés diminue de manière importante à partir des années 1870 ; parallèlement, de nouvelles catégories d’enfants sont progressivement recueillies au titre de la protection de l’enfance. La loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés permet par ailleurs à la justice de prononcer « la déchéance de la puissance paternelle ». Des enfants plus âgés sont notamment accueillis, ce qui nécessite d’adapter des institutions qui, à leurs débuts, se révèlent très rigides. Cependant, comme le relève Constance de Alaya dans son article sur l’histoire de la protection de l’enfance ([14]), « à la fin du XIXe siècle, l’interventionnisme autoritaire évolue progressivement vers un contrôle social négocié, tendance qui s’affirmera dans le courant du XXe siècle ».
Les débuts du XXe siècle marquent la poursuite de l’institutionnalisation de la protection de l’enfance. La rapporteure observe à ce sujet que la protection de l’enfance en France est marquée par un choix historique en faveur de l’institutionnalisation, un modèle qui a persisté durant plus d’un siècle sans être remis en question, malgré les avancées et les connaissances scientifiques démontrant ses limites.
La loi du 27 juin 1904 sur le service des enfants assistés crée des services départementaux d’aide à l’enfance. Le décret n° 59-100 du 7 janvier 1959 relatif à la protection sociale de l’enfance en danger confie au directeur départemental de la population et de l’aide sociale la politique d’action sociale préventive en matière de protection de l’enfance. En 1964 sont créées les directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DDASS). Elles sont censées faciliter la coordination entre les différents services chargés d’intervenir au titre de la protection de l’enfance. La rapporteure fait observer que la protection de l’enfance est donc départementalisée depuis plus d’un siècle. Du reste, le rapport Bianco-Lamy, antérieur à la décentralisation, mettait déjà en exergue le caractère inégalitaire de cette politique publique (voir, infra, la seconde partie du rapport relative à la gouvernance).
Parallèlement, la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée, complétée par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante et par l’ordonnance du 23 décembre 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger, consacre l’existence d’une justice spécialisée pour les mineurs, qui doit favoriser une logique éducative plutôt que répressive.
2. Les associations continuent de jouer un rôle prépondérant en protection de l’enfance
La protection de l’enfance s’est donc historiquement fondée sur les institutions religieuses, de charité et associatives. Avec la Révolution française, l’État avait commencé à prendre en charge certaines missions sociales, tout en laissant la gestion des enfants en danger aux œuvres caritatives. La loi de 1904 qui a organisé la laïcisation des établissements de protection de l’enfance n’a pour autant pas créé un véritable système public et a délégué la prise en charge des enfants aux associations, tout en instaurant un contrôle judiciaire et administratif. Par la suite, les associations ont continué à jouer un rôle prépondérant dans la prise en charge effective des enfants. Aujourd’hui encore, l’exécution des mesures de protection de l’enfance est largement déléguée aux associations. Le fait que cette politique publique a été historiquement gérée par la charité et les associations explique pourquoi elle est encore aujourd’hui partagée entre des décisions de justice au civil et des structures départementales et associatives. Les réformes à engager impliquent de remettre en question un système hybride, vieux de plusieurs siècles, dont la France reste dépendante et qui peine à évoluer malgré les lois et l’avancée des connaissances sur le développement de l’enfant.
Comme cela a été évoqué plusieurs fois lors des auditions, par exemple par M. Pineau, vice‑président de l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS), au sujet des formations dans ce secteur, « il est vrai qu’avant la création du diplôme, en 1970, le secteur était historiquement une affaire de vocation ([15]) ». Cela explique aussi pourquoi le changement de pratiques dans le secteur est un processus de transformation de long terme, résumé ainsi par Mme Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) : « Dans le secteur particulier de la protection de l’enfance, la simple promulgation de la loi ne suffit pas à provoquer des changements immédiats. Nous héritons d’un système fondé sur des approches caritatives très anciennes, datant du XIXe siècle, et un modèle très paternaliste. Il faudra donc des années pour instaurer de nouvelles pratiques professionnelles ([16]). » Cet historique de la protection de l’enfance fortement marqué par le bénévolat contribue aussi, comme en a convenu Mme la ministre Catherine Vautrin en audition à la suite d’un échange avec la rapporteure, à expliquer l’absence de vision mais aussi de normes d’encadrement pour la protection de l’enfance ([17]).
La rapporteure n’a eu de cesse de rappeler durant les auditions de la commission d’enquête le rôle central de l’historique de la protection de l’enfance, qui éclaire la structuration actuelle de cette politique publique, ses réussites mais aussi ses manques : rôle central de la justice et des associations ; modèle hybride, progressivement devenu la norme de fonctionnement, avec un État en gestion déléguée puis un département financeur d’un côté et des associations gestionnaires de l’autre – ce qui, au fond, ne change pas beaucoup le paysage historique – ; absence de structuration d’un véritable service public ; absence de vision nationale permettant de définir une base socle de prise en charge applicable à l’ensemble des départements ; existence d’un réseau d’associations habilitées financées par des fonds publics mais fonctionnant avec une grande autonomie durant des décennies.
Les associations possèdent en héritage une histoire particulière, qui peut avoir des conséquences très concrètes sur les modalités de prise en charge des enfants. L’association SOS Villages d’Enfants, spécialisée dans l’accueil des fratries, a été créée en 1956 dans le nord de la France, où elle est encore très implantée, et le soutien de Charbonnages de France lui a ensuite permis de s’étendre vers l’est du pays ([18]). D’autres associations très présentes dans le paysage de la protection de l’enfance disposent d’un fort ancrage historique, par exemple les Apprentis d’Auteuil, dont les racines remontent à 1866, l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), fondée en 1912 ou encore les associations de sauvegarde de l’enfance.
En outre, le bâti de ces associations est un marqueur fort des conditions d’accueil actuelles en protection de l’enfance, avec des maisons d’enfants à caractère social (MECS) dont les bâtiments datent parfois du milieu du siècle dernier et qui sont destinés à accueillir les enfants en nombre, là où l’intérêt de l’enfant plaide plutôt pour des placements au sein de petites unités de vie. Ce bâti historique est une charge importante pour les associations, qui doivent l’entretenir et le réhabiliter.
B. Le droit international et national place désormais l’intérêt de l’enfant au centre de cette politique publique
Le droit international, en particulier la Convention internationale des droits de l’enfant, pose des principes fondateurs s’agissant de la protection de l’enfance. En France, les trois dernières lois sur la protection de l’enfance, votées en 2007, et 2016 et en 2022, complètent cet arsenal juridique.
1. La consécration de l’intérêt supérieur de l’enfant en droit international
Plusieurs textes internationaux fixent des principes et des obligations en matière de protection de l’enfance.
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1989. Ratifiée par la France le 26 janvier 1990, elle est juridiquement contraignante. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies veille à sa mise en œuvre.
La CIDE affirme quatre grands principes : la non-discrimination, l’intérêt supérieur de l’enfant, le droit de vivre, survivre et se développer et le respect des opinions de l’enfant. Elle comporte 54 articles, parmi lesquels certains sont particulièrement importants pour la protection de l’enfance :
– l’article 3 dispose que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, […] l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » ;
– l’article 9 prévoit le droit de l’enfant à vivre avec ses parents, sauf si la séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, « par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant » ;
– l’article 12 prévoit, pour tout enfant capable de discernement, « le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant » ;
– l’article 18 dispose que « les États parties accordent l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant et assurent la mise en place d’institutions, d’établissements et de services chargés de veiller au bien-être des enfants » ;
– l’article 19 stipule que les États doivent prendre toutes mesures appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence ;
– l’article 20 prévoit le droit à une protection et une aide spéciales de l’État pour l’enfant privé de son milieu familial ;
– l’article 25 consacre le droit à une révision périodique du placement.
La CIDE a été complétée par des lignes directrices relatives à la protection de remplacement pour les enfants, adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies en 2009.
Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU peut également produire des observations finales à l’endroit d’un État, ce qu’il a fait pour la protection des enfants en France en juin 2023.
Au niveau européen, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, aussi appelée Convention de Lanzarote (2010), contient des dispositions relatives à la protection des enfants, de même que les lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants ou encore la Stratégie 2022-2027 du Conseil de l’Europe pour les droits de l’enfant.
Au niveau de l’Union européenne, si la protection de l’enfance demeure avant tout une compétence des États membres, on peut toutefois noter la publication récente, en avril 2024, d’une recommandation de la Commission sur les systèmes intégrés de la protection de l’enfance ([19]).
En France, la politique de la protection de l’enfance est décentralisée depuis les années 1980, le chef de file étant le département. Cependant, l’État est aussi responsable de cette politique publique aux côtés des départements, comme l’atteste l’engagement de sa responsabilité en cas de manquements à des dispositions de droit international et européen. Il ne s’est pourtant, jusqu’à présent, que peu impliqué (voir infra). Plusieurs décisions ayant conduit à une condamnation de la France méritent d’être mentionnées :
– dans l’affaire du meurtre de Marina Sabatier, 8 ans, en 2009, qui a subi des sévices infligés par ses parents, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu en 2020 à une violation par la France de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) ([20]), article qui dispose de « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». La Défenseure des droits a évoqué sa perplexité face à la clôture du suivi de l’exécution de cet arrêt : « S’agissant de l’exécution de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamnant la France dans l’affaire Marina, je suis perplexe. Le service de l’exécution des arrêts de la CEDH (Servex) a considéré que le cadre légal avait changé en France depuis le drame. Certes, il s’est particulièrement étoffé mais je gage que la France pourrait de nouveau se retrouver devant la CEDH pour avoir failli à sa responsabilité en matière de protection des enfants ([21]). »
– dans l’arrêt Loste contre France, en 2022, la France a été condamnée pour violation des articles 3, 9 et 13 de la CEDH. La requérante se plaignait de l’incapacité des services de l’ASE à la protéger contre les abus sexuels qu’elle avait subis dans sa famille d’accueil, ainsi que de l’absence de neutralité religieuse de cette même famille, membre des Témoins de Jéhovah. Elle remettait également en cause l’absence de droit au recours effectif contre une décision de l’ASE du fait de l’application de la prescription quadriennale ;
– la France a été condamnée à plusieurs reprises dans des affaires concernant la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), qui seront évoquées dans la partie du présent rapport spécifiquement consacrée à ce sujet.
2. En France, les récentes évolutions législatives témoignent de la volonté du législateur de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant
Après les premières bases posées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs lois sont venues enrichir le droit de la protection de l’enfance. La loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale remplace la notion de « puissance paternelle » par celle d’autorité parentale et comporte plusieurs dispositions sur la délégation de cette autorité ou encore sur l’assistance éducative. Alors que l’aide sociale à l’enfance est déjà départementalisée depuis les années 1960, les lois de décentralisation des années 1980 font de l’ASE une compétence du département. Les années 1970 ont déjà marqué la séparation entre les politiques sanitaires, d’une part, et sociales, d’autre part, ce que la rapporteure considère comme une erreur majeure (voir, infra, la deuxième partie du rapport relative à la gouvernance). Des droits sont peu à peu reconnus aux usagers de la protection de l’enfance, en particulier par la loi du 6 juin 1984 relative aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection de la famille et de l’enfance et au statut des pupilles de l’État et par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale.
Aujourd’hui, les missions principales de la protection de l’enfance figurent à la fois dans le code de l’action sociale et des familles (CASF) et dans le code civil. De nombreux autres codes comportent également des dispositions sur le sujet (code de la santé publique, code pénal, code de l’éducation, code du travail, etc.). Certains acteurs plaident depuis longtemps pour la création d’un code de l’enfance regroupant l’ensemble des dispositions relatives aux droits des enfants. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a formulé une préconisation à ce sujet dans son récent rapport sur la protection de l’enfance en danger ([22]). La rapporteure souligne l’exemple inspirant du Québec, qui dispose à la fois d’une grande loi sur la protection de la jeunesse ([23]) et d’un manuel de référence sur la protection de la jeunesse, ce dernier consistant en un outil très détaillé et opérationnel sur le fonctionnement de la protection de l’enfance ([24]). À la lumière de cette organisation qu’elle juge particulièrement pertinente, la rapporteure soutient la création d’un code de l’enfance incluant un chapitre spécifique sur la protection de l’enfance, complété par un manuel de référence sur la protection de l’enfance qui permettra d’en détailler les différentes dispositions. Des ajouts réguliers devront être effectués en fonction de l’avancée des travaux cliniques sur l’enfance à protéger.
Recommandation n° 1 : Créer un code de l’enfance, comportant un chapitre spécifiquement consacré à la protection de l’enfance, et un manuel de référence sur la protection de l’enfance, qui permettront de disposer d’une vision clarifiée et consolidée des droits des enfants et de la politique publique de protection de l’enfance.
a. La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance
La loi du 5 mars 2007 a conforté le département comme le chef de file des politiques de protection de l’enfance. Elle vise à mieux articuler les mesures administratives et les mesures judiciaires d’assistance éducative, en prévoyant la subsidiarité de l’intervention judiciaire par rapport à l’intervention administrative. On verra que cette subsidiarité a été peu effective sur le terrain, tant en raison des pratiques des acteurs historiques (justice, associations) que du manque de formation de l’ensemble de l’écosystème et de l’accent insuffisamment mis sur la prévention, conduisant à conserver un système très institutionnalisé. La loi de 2007 crée les cellules départementales de recueil des informations préoccupantes (CRIP) afin de repérer et de traiter les situations de danger. Outre le renforcement des missions de prévention et la coordination accrue de l’ensemble des acteurs institutionnels et sociaux opérés par les observatoires départementaux de protection de l’enfance (ODPE), nouvellement créés et qui ont mis beaucoup de temps à être installés dans les départements, voire n’existent toujours pas, ce texte a favorisé la diversification des modes de prise en charge des mineurs bénéficiant de l’ASE, entre le maintien à domicile et le placement dans une famille d’accueil.
Innovation majeure, la loi de 2007 prévoit l’obligation d’établir un projet pour l’enfant (PPE) pour chaque bénéficiaire de l’ASE, dans le but d’identifier les objectifs et les moyens d’accompagnement de sa prise en charge – comme on le verra plus loin, il s’agit là aussi d’une obligation légale encore largement inappliquée.
Enfin, l’article 27 de la loi instaure un fonds national de financement de la protection de l’enfance pour compenser les charges, pour les départements, résultant des nouvelles dispositions de la loi. Ce fonds est désormais sans objet. Auparavant, il avait été manifestement été détourné de sa raison d’être, puisqu’il n’a financé que des dépenses relatives aux mineurs non accompagnés au lieu de compenser l’ensemble des nouvelles charges incombant aux départements en raison de leur rôle de chef de file en protection de l’enfance (voir infra). La rapporteure propose dans le présent rapport la création d’un nouveau fonds de financement de la protection de l’enfance, qui devra s’inscrire dans une logique pluriannuelle sur dix ans et s’articuler avec une loi de programmation sur l’enfance (voir, infra, la deuxième partie du présent rapport).
b. La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant
La loi de 2007 avait pu être jugée par certains trop « familialiste ». Sans jamais considérer le placement comme une solution unique et systématique à tous les maux, la loi de 2016 remet l’enfant au centre des préoccupations afin de lui construire un parcours sécurisé en tant que sujet de droit et en prenant en compte ses besoins fondamentaux. Ce recentrage est fondamental mais tardif au regard des connaissances issues de la recherche en protection de l’enfance, qui faisaient déjà consensus à l’étranger. Le juge Édouard Durand, ancien président de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE), rappelle que « lorsqu’un enfant naît, le risque qu’il soit victime de violences extrêmes – physiques, sexuelles, psychologiques –, qu’il soit négligé, que ses besoins fondamentaux ne soient pas pris en compte, donc qu’il ne puisse pas exister, ou exister conformément à ce que son épanouissement lui aurait permis, est extrêmement élevé ([25]) ».
La loi de 2016 procède par ailleurs à un recentrage de la gouvernance de la protection de l’enfance, notamment par la mise en place d’un Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) dont la mission consiste à garantir la cohérence à l’échelle nationale des politiques départementales. Le CNPE n’a malheureusement jamais eu les moyens d’agir ni la possibilité de mener véritablement à bien ses missions (voir infra). La loi crée aussi, dans chaque département, une commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC) qui doit évaluer la situation des enfants placés depuis plus d’un an en cas de délaissement parental ou de statut juridique de l’enfant inadapté à ses besoins. Les CESSEC sont aujourd’hui mises en place de manière très inégale dans les départements, ce qui est constitutif d’un grave manquement vis-à-vis des enfants protégés. Le statut de l’enfant devra évoluer : il n’est plus envisageable qu’un enfant puisse grandir en foyer, de la pouponnière à l’âge adulte, sans que son statut soit revu dans les premières années de sa vie pour qu’il puisse bénéficier d’un projet de vie stable et sécurisé. Les modalités d’adoption doivent être révisées, afin de faciliter l’accueil des enfants en bas âge au sein d’une famille (voir infra).
Consacrant la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, la loi de 2016 prévoit la réalisation d’un bilan de santé, la désignation d’un médecin référent au niveau du département, la définition d’un référentiel national déterminant le contenu du PPE. Elle instaure une meilleure anticipation de la sortie de l’ASE ainsi qu’un meilleur accompagnement des jeunes majeurs. Elle permet également de confier l’enfant à un tiers bénévole.
Lors de son audition, le Dr Marie-Paule Martin-Blachais, directrice scientifique de l’École de protection de l’enfance, ancienne directrice du groupement d’intérêt public (GIP) Enfance en danger et rapporteure de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance ([26]) qui a suivi la loi de 2016, a rappelé l’importance de l’article premier de cette loi, « qui a véritablement posé le cadre d’une doctrine de la politique publique de protection de l’enfance, en cohérence avec les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant ([27]) ». La rapporteure souligne l’apport fondamental du rapport issu de cette démarche de consensus : il permet de sortir d’une approche de la protection de l’enfance construite autour de logiques juridiques et administratives au profit d’une approche plus scientifique, fondée sur les travaux en psychologie, en neurosciences ou encore en sociologie.
c. La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants
Tout comme la loi de 2016 s’inscrivait dans une stratégie gouvernementale plus large définie dans la Feuille de route 2015-2017 pour la protection de l’enfance, la loi du 7 février 2022 s’inscrit dans le cadre plus global de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022.
Cette loi, ci-après appelée « loi Taquet », vise à améliorer les conditions de prise en charge des bénéficiaires de l’ASE grâce au renforcement des conditions d’accueil chez un membre de la famille ou un tiers digne de confiance, à l’interdiction des hébergements hôteliers, à la création d’un droit au retour à l’ASE pour les jeunes majeurs et à l’obligation de leur prise en charge jusqu’à leurs vingt et un ans, à la présence de l’avocat pour l’enfant discernant et à la revalorisation de la rémunération des assistants familiaux.
Elle prolonge également les efforts de rationalisation de la gouvernance en protection de l’enfance, avec la création du groupement d’intérêt public pour la protection de l’enfance, l’adoption et l’accès aux origines personnelles, ou GIP France Enfance protégée, qui se substitue au GIP Enfance en danger (GIPED). Enfin, cette loi a pour objectif d’améliorer la collecte d’un certain nombre de données, en particulier grâce à la consécration d’un référentiel d’évaluation des informations préoccupantes établi par la Haute Autorité de santé (HAS) et à la création d’une base nationale recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux et maternels.
C. Une législation qui demeure largement inappliquée
Les défauts d’application des lois relatives à la protection de l’enfance recouvrent deux aspects : d’une part, les mesures réglementaires d’application de la loi en attente de publication ou qui ont été prises tardivement ; d’autre part, les dispositions législatives ou réglementaires qui ne sont toujours pas mises en œuvre sur le terrain. Un état des lieux synthétique en est dressé ici, mais ces manquements à l’application de la loi seront ensuite détaillés dans les différentes parties thématiques du présent rapport, de même que l’absence de suivi des réformes et d’évaluation des lois et stratégies mises en place.
1. Les mesures réglementaires d’application manquantes ou prises tardivement
Pour que la loi soit correctement appliquée, encore faut-il que les décrets d’application correspondants soient publiés et ce dans les délais impartis, c’est‑à‑dire dans les six mois suivant la publication de la loi (sauf entrée en vigueur différée).
Lors de son audition par la commission d’enquête le 19 février 2025, Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, a indiqué que sur les vingt décrets d’application de la loi Taquet, cinq étaient toujours en attente de publication, soit 25 % de ces mesures réglementaires :
● Un décret en Conseil d’État devait définir les modalités selon lesquelles une personne s’étant fait retirer son agrément d’assistant familial ou maternel pour des faits de violences sur mineurs ne peut se voir délivrer un nouvel agrément avant un certain délai. La ministre a indiqué que ce décret pourrait possiblement être publié dès la fin du mois de février 2025, ayant été examiné lors d’un second et dernier passage en Conseil d’État le 18 février. Il a finalement été publié le 5 mars 2025 ([28]).
● Doivent également être définies par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), les modalités de constitution et de gestion de la nouvelle base nationale recensant les agréments délivrés pour l’exercice de la profession d’assistant familial et d’assistant maternel. Cette base de données doit être gérée par le GIP France Enfance protégée. L’élaboration du cahier des charges a commencé début 2025, sous l’égide du GIP. La ministre a indiqué à la commission d’enquête le 19 février 2025 que la publication du décret était prévue pour le mois de novembre 2025, ajoutant que « les développements informatiques préalables sont lourds et, en tout état de cause, il n’est pas raisonnable d’espérer une publication avant le début de l’automne ([29]) ».
● En lien direct avec la disposition précédente, un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, doit fixer les modalités de constitution et de gestion de la nouvelle base nationale d’agréments en vue de l’adoption. Il devrait être publié fin avril 2025.
● Les priorités pluriannuelles d’action en matière de protection et de promotion de la santé maternelle et infantile doivent être fixées par voie réglementaire. L’objectif est de publier ce décret d’ici à fin avril 2025.
● Les normes minimales organisant les activités de la protection maternelle et infantile (PMI) doivent également être fixées par voie réglementaire ([30]). Ce décret devrait lui aussi être publié d’ici à fin avril 2025.
Outre ces quatre décrets attendus, la rapporteure relève que l’article 36 de la loi Taquet prévoit l’élaboration, par le GIP France Enfance protégée, du référentiel détaillant le contenu du projet pour l’enfant (PPE), non encore paru et ce alors même que le PPE existe depuis la loi de 2007 ([31]). De plus, il manque toujours une disposition d’application sur le statut du personnel du GIP France enfance protégée au même article 36, qui dispose que « le régime juridique des personnels du groupement […] est fixé par décret en Conseil d’État ([32]). »
Sur les raisons justifiant les délais de publication des décrets relatifs aux agréments :
– lors de son audition, en mai 2024, le directeur général de la cohésion sociale (DGCS) a indiqué que le décret sur les modalités de retrait d’un agrément d’assistant familial ou maternel était en cours de concertation. Il a reçu un avis favorable du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) le 25 juin 2024, avis qui a été transmis à la rapporteure dans le cadre de ses travaux. Le décret a finalement été publié début mars 2025. Votre rapporteure ne peut accepter cette inertie des services de l’État ;
– concernant l’élaboration de la base de données recensant les agréments des assistants familiaux et maternels, le rapport du sénateur Bernard Bonne sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance ([33]) soulignait que cette question n’avait manifestement pas fait l’objet d’un chantier juridique dès la promulgation de la loi. La DGCS évoque des travaux en 2025 sur ce décret, car « au regard des multiples projets de traitement automatisé et des ressources internes du GIP, la base de données des agréments en vue d’adoption a été priorisée avant celle relative aux agréments des assistants familiaux et maternels ([34]) ». Par ailleurs, compte tenu des déploiements informatiques nécessaires une fois le décret sorti, l’effectivité de la base de données relative aux agréments pour l’adoption est annoncée par la DGCS pour le 1er janvier 2026 seulement, soit presque quatre ans après l’adoption de la loi. La rapporteure ne peut accepter qu’un décret soit priorisé par rapport à l’autre, alors que la création de la base nationale des agréments des assistants familiaux est indispensable pour éviter que certains assistants s’étant fait retirer leur agrément dans un département ne puissent en obtenir un nouveau dans un autre.
Certains décrets ont par ailleurs été publiés dans des délais particulièrement longs. Le rapport du sénateur Bonne soulignait ainsi qu’au 31 mars 2023, soit un peu plus d’un an après la promulgation de la loi, seules 37 % des mesures réglementaires d’application avaient été prises.
Concernant le décret d’application de l’article 7 de la loi Taquet, visant à interdire l’hébergement d’enfants pris en charge par l’ASE dans des hôtels ou des structures dites « jeunesse et sport », il disposait certes d’une date d’entrée en vigueur différée, deux ans après la publication de la loi. Mais un décret transitoire devait réglementer les modalités d’accueil dans ce type d’hébergements dans l’intervalle. Ce décret transitoire n’a jamais été publié, avec des conséquences dramatiques pour les enfants concernés – cela sera largement abordé dans la suite des développements du présent rapport. L’État porte une lourde responsabilité en la matière, la rapporteure rappelant que sa responsabilité peut notamment être engagée devant les instances internationales, en particulier en cas de non-respect de la CIDE. Quant au décret définitif, il a été publié au Journal officiel du 18 février 2024, plus de deux ans après la publication de la loi.
Concernant les dispositions de la loi de 2022 relatives à la gouvernance, le nouveau GIP a été mis en place au 1er janvier 2023. Le CNPE relève avoir « souffert de la prise tardive du décret le réformant (30 décembre 2022) ainsi que de la prise tardive des arrêtés prévoyant la nomination de ses membres (23 juin 2023 et 7 juin 2023) ([35]) » : il n’a pu se réunir pour la première fois que le 23 juin 2023. De tels délais sont inconciliables avec l’esprit de la loi de 2016, qui devait faire du CNPE la colonne vertébrale de la protection de l’enfance à l’échelle nationale.
D’autres mesures réglementaires ont également été publiées tardivement, par exemple le décret permettant au juge des enfants de proposer une mesure de médiation familiale (publié le 4 octobre 2023), celui précisant les modalités de mise à l’abri des personnes se présentant comme MNA et de la contribution forfaitaire de l’État pour l’évaluation de leur minorité (publié le 24 décembre 2023) ou encore le décret relatif au contenu du projet d’établissement ou de service des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) en matière de lutte contre la maltraitance (publié le 29 février 2024).
Dans le rapport du sénateur Bonne précité, plusieurs raisons sont évoquées par la secrétaire d’État chargée de l’enfance de l’époque, Charlotte Caubel, pour justifier les retards pris pour publier les décrets d’application de la loi :
– l’irruption de la période électorale au printemps 2022 ;
– Mme Caubel a expliqué aux sénateurs que plusieurs dispositions de la loi « avaient fait l’objet d’études d’impact un peu rapides, y compris du point de vue financier pour les départements. [Elle a] donc repris des discussions approfondies avec les conseils départementaux, dans un contexte tendu pour la protection de l’enfance. » Mme Caubel a précisé dans une réponse écrite à la rapporteure quelles dispositions de la loi étaient particulièrement concernées par ces conséquences financières : l’interdiction d’hébergement en hôtel, la mise en place du parrainage et du mentorat ou encore la prise en charge des jeunes majeurs jusqu’à leurs vingt et un ans ;
– la consultation de certaines instances obligatoires, telles que le CNPE, qui était lui-même soumis à des modifications de fonctionnement par la loi de 2022.
Ces retards illustrent en réalité que la protection de l’enfance n’a jamais été une priorité des gouvernements successifs – et ce malgré l’engagement de l’actuel Président de la République, en 2022, de mettre la protection de l’enfance au cœur de son quinquennat. Dans son rapport public thématique de novembre 2020 sur la protection de l’enfance, la Cour des comptes avançait déjà, parmi les facteurs expliquant la non-application des réformes de 2007 et de 2016, « l’absence de priorité donnée à la protection de l’enfance parmi les politiques publiques ([36]) ». La rapporteure précise à ce sujet qu’aucun ministre ou secrétaire d’État n’aura bénéficié d’un véritable budget dédié pour mener à bien cette politique publique, exemple flagrant du manque d’engagement de l’État sur ce sujet (voir la deuxième partie du présent rapport).
2. Des mesures législatives ou réglementaires qui tardent à être appliquées sur le terrain
L’arsenal législatif relatif à la protection de l’enfance n’est que partiellement mis en œuvre, comme le présent rapport le démontrera à de multiples reprises. Seuls quels exemples saillants sont présentés ci-dessous.
Le projet pour l’enfant (PPE) est encore trop peu mis en place, l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels (UFNAFAAM) évoquant une « véritable arlésienne, attendue depuis 2007 ([37]) ». La Défenseure des droits a mentionné lors de son audition que le PPE n’était pas déployé dans de nombreux départements faute de personnel et de disponibilité de celui-ci. De la même manière, Mme Bigot (CESE) a également recommandé de rendre effective cette disposition datant de 2007.
On peut aussi penser au principe de non-séparation des fratries, qui peine à être respecté, ou encore au fait de privilégier l’accueil dans l’entourage de l’enfant.
Les dispositions relatives à l’accompagnement des jeunes majeurs ont été régulièrement dénoncées au cours des auditions, comme non mises en œuvre, notamment en ce qui concerne l’accompagnement obligatoire jusqu’à vingt et un ans.
Le décalage entre la volonté du législateur et la mise en pratique de certaines dispositions législatives et réglementaires sur le terrain, auprès des enfants, est donc manifeste, ce qui est un manquement majeur. L’application effective du droit de la protection de l’enfance devrait pourtant être une priorité. De surcroît, le caractère décentralisé de la politique de protection de l’enfance ajoute des distorsions de mise en œuvre des lois entre les départements ou encore entre les différentes associations ou établissements d’accueil, ce qui se traduit par une inégalité des chances pour les enfants concernés – autre manquement capital de cette politique publique, déjà constaté du temps des DDASS (voir, infra, la deuxième partie du rapport).
Face à l’absence de mise en œuvre effective de plusieurs dispositions des lois de 2007, de 2016 et de 2022, certains, comme le sénateur Bonne ou encore Départements de France, appellent à la stabilité de l’édifice législatif. D’autres soulignent le temps nécessaire à l’adaptation des pratiques, arguant qu’il convient de prendre en compte les changements parfois considérables que de nouvelles dispositions législatives peuvent occasionner pour les professionnels et de l’inscrire dans le récit de la loi afin qu’ils soient bien pris en compte.
La rapporteure souhaite porter à l’attention de tous qu’à aucun moment la question de l’enfance n’est citée comme un enjeu majeur de réforme. Pourtant, chacun doit mesurer l’urgence des réformes à engager pour apporter de la stabilité affective aux enfants confiés. Le temps de l’enfant n’est pas le temps de l’adulte. Comment accepter qu’une loi votée il y a dix-huit ans, imposant le projet pour l’enfant, ne soit pas toujours mise en œuvre et que nous en soyons encore à rédiger certaines dispositions encadrant ce PPE ?
L’analyse de la situation amène la rapporteure à recommander au Gouvernement l’élaboration d’un code de l’enfance (voir plus haut) comportant un chapitre consacré à la protection de l’enfance, ainsi qu’un manuel de référence, en s’inspirant du modèle québécois, afin de donner du sens à notre arsenal juridique en protection de l’enfance et de permettre une lecture plus compréhensible pour tous et toutes, y compris les familles. Il conviendra également d’apporter des ajustements législatifs attendus et nécessaires dans une loi-cadre de la protection de l’enfance, concernant par exemple les taux et normes d’encadrement (voir infra) ou le statut de l’enfant.
Plus généralement, la rapporteure appelle à un véritable changement de paradigme sur le rôle de l’État. L’objectif est que la France puisse rejoindre, d’ici à cinq ans, les pays les plus avancés en matière de protection de l’enfance, à savoir les pays nordiques, le Canada ou encore l’Allemagne. Cela passera par une approche résolument globale de l’enfance en France : la rapporteure prône ainsi un changement systémique et non pas des ajustements mineurs. Si la France opère ces transformations majeures en les adossant à une volonté politique et budgétaire forte, elle pourrait offrir dans cinq ans un système de protection plus efficace, plus humain et plus sûr, tout en s’inscrivant dans un horizon stratégique à dix ans. Cela permettra aussi de relancer l’attractivité des métiers du lien, si essentiels pour prendre soin des plus fragiles.
Le manque de moyens financiers et humains a également été régulièrement évoqué pour justifier l’absence d’application de la loi. M. François Sauvadet, président de Départements de France, a déclaré que « la loi Taquet est une loi d’intention. Mais elle est, dans les conditions actuelles de saturation des structures de l’ASE et de chute des recettes des départements, irréaliste et inapplicable ([38]) ». À l’inverse, la rapporteure rappelle qu’une loi votée doit être appliquée, tout en soulignant que cela implique une compensation par l’État des charges afférentes aux nouvelles missions confiées aux départements.
II. Une politique publique en situation d’échec
La protection de l’enfance recouvre des mesures variées, de nature administrative ou judiciaire, qui peuvent être des mesures en milieu ouvert, s’inscrivant dans une démarche de prévention, ou des mesures de placement. En pratique, les chiffres montrent une forte judiciarisation des mesures et une stabilité du taux de placement ces dernières années, au rebours de la volonté exprimée par le législateur depuis au moins deux décennies. Les mesures de protection de l’enfance sont en constante augmentation, un constat très préoccupant qui met en lumière les graves insuffisances des politiques publiques.
A. panorama de la diversité des mesures de la protection de l’enfance
La protection de l’enfance recouvre des mesures de nature administrative ou judiciaire, qui varient dans leur fonction et leur intensité.
Les mesures administratives relèvent du département. Elles sont prises sur le fondement du code de l’action sociale et des familles et plus particulièrement son chapitre consacré aux prestations d’aide sociale à l’enfance (articles L. 222-1 à L. 222-7 dudit code). Elles impliquent l’accord ou la demande des familles concernées.
Les mesures judiciaires sont des mesures contraignantes, ordonnées par le juge des enfants dans le cadre de ses prérogatives en matière d’assistance éducative, telles que définies dans le code civil (articles 375 à 375-9). Elles sont prises sur le fondement de l’article 375 du code civil, selon lequel « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». La durée de la mesure ne peut excéder deux ans, sauf cas particulier ([39]), et peut être renouvelée sur décision motivée. La quatrième partie du présent rapport reviendra sur ce point pour proposer de revoir les parcours de l’enfant avec des délais encadrés et des possibilités d’adaptation du statut, afin de mettre fin aux situations où les enfants entrent dans la protection de l’enfance pour ne jamais en sortir sans voir pour autant leur situation se stabiliser.
Le droit consacre un principe de subsidiarité, selon lequel les mesures judiciaires doivent être envisagées uniquement lorsque les mesures administratives ne sont pas adaptées, où ont échoué, conformément à l’article L. 226-4 du code de l’action sociale et des familles.
Qu’il s’agisse des mesures judiciaires ou des mesures administratives, celles‑ci peuvent se diviser en deux grandes catégories : les mesures en milieu ouvert d’une part et les mesures d’accueil de l’enfant d’autre part.
1. Les mesures en milieu ouvert
a. Les mesures administratives
Aux termes de l’article L. 222-2 du code de l’action sociale et des familles, « l’aide à domicile est attribuée sur sa demande, ou avec son accord, à la mère, au père ou, à défaut, à la personne qui assume la charge effective de l’enfant, lorsque la santé de celui-ci, sa sécurité, son entretien ou son éducation l’exigent et, pour les prestations financières, lorsque le demandeur ne dispose pas de ressources suffisantes ». L’aide à domicile, qui relève donc de la compétence du département, peut comporter, ensemble ou séparément, les mesures suivantes ([40]) :
– l’action d’un technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF) ou d’une aide-ménagère. Le TISF peut accompagner les parents dans des domaines variés, tels que l’alimentation, la sécurité, l’éducation, la scolarisation ou les loisirs ;
– un accompagnement en économie sociale et familiale. Cette mesure, créée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs prévoit que tout ou partie des prestations sociales peuvent ainsi être versées non plus directement à la famille, mais à un délégué aux prestations familiales, chargé d’aider à la gestion et à l’utilisation de ces aides ;
– l’intervention d’un service d’action éducative. Il s’agit là des aides éducatives à domicile (AED). Elles se traduisent généralement par l’intervention d’un éducateur spécialisé à domicile et sont ainsi proches de ce qui peut être proposé dans le cadre d’une aide éducative en milieu ouvert ordonné par le juge (AEMO, voir infra) ;
– le versement d’aides financières, effectué sous forme soit de secours exceptionnels, soit d’allocations mensuelles, à titre définitif ou sous condition de remboursement.
Les mesures judiciaires en milieu ouvert sont en grande majorité des mesures d’action éducative en milieu ouvert (AEMO), prises en application de l’article 375-2 du code civil, en vertu duquel « chaque fois qu’il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d’observation, d’éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d’apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu’elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l’enfant et d’en faire rapport au juge périodiquement. »
Avec la loi Taquet, le législateur a introduit à l’article 375-2 du code civil la notion d’AEMO renforcée ou intensifiée ([41]), qui repose sur le principe d’un accompagnement plus soutenu que celui mis en place dans le cadre des AEMO simples. Les mesures d’AEMO sont ordonnées par le juge des enfants, mais elles sont financées par les conseils départementaux, qui peuvent avoir recours à une association habilitée pour leur mise en œuvre. On peut noter qu’une pratique prétorienne s’est également développée, celle du placement éducatif à domicile (PEAD), proche d’une mesure d’AEMO renforcée à laquelle serait combiné un droit d’hébergement. La Cour de cassation a récemment requalifié ces mesures en mesures d’assistance éducative en milieu ouvert, renforcée ou intensifiée, éventuellement avec hébergement en dehors de la famille. Les PEAD représentent 7 % du total des mesures d’accueil et sont en progression sensible ces dernières années ([42]) (voir infra).
Aux côtés des AEMO, le juge peut également retenir d’autres types de mesures, telles que :
– les mesures d’aide à la gestion financière et budgétaire (MAGFB) (article 375-9-1 du code civil). Il s’agit de l’équivalent judiciaire de la mesure administrative d’accompagnement en économie sociale et familiale précédemment décrite ;
– les mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE) qui ont remplacé à compter de 2011 les enquêtes sociales et les investigations d’orientation éducatives (IOE). Elles sont ordonnées pour six mois. Elles reposent sur une démarche dynamique qui peut avoir un effet positif sur les relations familiales et participer au dénouement d’une crise, mais sa finalité n’est pas éducative. Cette mesure peut être ordonnée durant la phase d’information (procédure d’assistance éducative) ou durant la phase d’instruction (cadre pénal) par un juge ou une juridiction de jugement. Elle doit permettre de recueillir des éléments à même d’évaluer la situation du mineur afin d’éclairer le juge dans sa prise de décision ([43]). Contrairement aux AEMO, les MJIE relèvent de la compétence des services de la PJJ.
Les « doubles mesures » : une possibilité introduite pour répondre
au cas très particulier des mineurs de retour de zones occupées par
des groupements terroristes
Dans certains cas particuliers prévus pour les mineurs de retour de zones d’opération de groupements terroristes, le droit prévoit le principe d’une « double mesure » permettant une prise en charge conjointe par l’ASE et la PJJ. Introduite par la loi « sécurité publique » de 2017 ([44]) sous forme expérimentale, cette disposition a été pérennisée par loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 ([45]). L’article 375-4 du code civil prévoit ainsi que « le juge peut, à titre exceptionnel et sur réquisitions écrites du ministère public, lorsque la situation et l’intérêt de l’enfant le justifient, charger un service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse d’apporter aide et conseil au service auquel l’enfant est confié ».
Les « doubles mesures » ASE-PJJ font donc référence à ce dispositif juridique précis et doivent être bien distinguées d’un autre phénomène décrit au cours de la commission d’enquête par les départements, celui de la prise en charge de facto par l’ASE d’un certain nombre de mineurs relevant de la PJJ, en raison du manque de places en PJJ.
Dans les cas les plus graves – qui représentent en réalité environ la moitié de l’ensemble des mesures d’assistance éducative – le juge des enfants peut décider de confier l’enfant à une autre personne que celle qui en a habituellement la charge, en vertu de l’article 375‑3 du code civil. Il peut s’agir d’un autre membre de la famille, d’un tiers digne de confiance, du service départemental de l’ASE, d’un autre service habilité ou d’un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé.
Des accueils de jours ainsi que des placements peuvent également être organisés dans le cadre des mesures administratives. Au total, 20 % des placements reposent sur une décision administrative. Parmi eux, on retrouve notamment la prise en charge des pupilles de l’État ([46]), qui représentent aujourd’hui entre 2 et 3 % du total des enfants accueillis dans le cadre de la protection de l’enfance, ainsi que les femmes enceintes et mères isolées avec enfant de moins de trois ans ([47]).
Synthèse des principales mesures relevant de la protection de l’enfance
|
Mesures judiciaires prises par le juge des enfants dans le cadre de l’assistance éducative |
Mesures administratives relevant du conseil départemental |
Les mesures en milieu ouvert |
Actions éducatives en milieu ouvert (AEMO), simples ou renforcées, placements éducatifs à domicile Mesures d’aide à la gestion budgétaire et financière Mesures judiciaires d’investigation éducative |
Aide éducative à domicile (AED) Intervention sociale et familiale d’un technicien de l’intervention sociale ou d’une aide-ménagère Accompagnement en économie sociale et familiale Aides financières |
Les mesures d’accueil |
Placements ou accueil de jour |
Placements ou accueil de jour |
B. des chiffres extrêmement préoccupants
Les évolutions du nombre de mesures ASE ainsi que leurs caractéristiques mettent en avant plusieurs tendances préoccupantes : leur prévalence augmente de manière continue depuis les années 1990, en particulier pour les placements en établissement, tandis que le placement dans un cadre familial est en déclin. Les chiffres montrent également le double échec de la volonté poursuivie depuis plusieurs années par le législateur : déjudiciariser et augmenter la prévention.
1. Une augmentation continue des mesures de l’aide sociale à l’enfance, et en particulier des mesures de placements en institution
a. Une tendance marquée depuis les années 1990, aux facteurs d’explication multiples
Au 31 décembre 2023, on recense 396 900 mesures d’aide sociale à l’enfance (ASE), composées de 56 % mesures d’accueil, ce qui correspond donc aux placements, et 44 % de mesures éducatives ([48]). Ces chiffres confirment une dynamique enclenchée depuis plusieurs décennies désormais. Si la tendance au cours des années 1970 était plutôt à la réduction du nombre de mesures ASE et plus particulièrement des placements ([49]), depuis les années 1990, le nombre de mesures ASE ne cesse de croître.
Ainsi, entre 1998 et 2022, le nombre de mesures ASE a augmenté de 44 %. Dans le même temps, la population des moins de vingt et un ans augmentait de 1,6 % seulement. La prévalence des mesures de l’ASE est ainsi passée de 16,6 pour 1 000 enfants fin 1998 à 22,9 fin 2022 ([50]).
Cette tendance à la hausse est tout particulièrement marquée pour les mesures de placement, qui concernent aujourd’hui 208 000 mineurs et jeunes majeurs ([51]). La part d’enfants et de jeunes accueillis à l’ASE est ainsi passée de 8,5 pour 1 000 habitants de moins de vingt et un ans au début des années 2000 à 12,5 pour 1 000 fin 2022 ([52]).
l’évolution des mesures de l’aide sociale à l’enfance de 1996 à 2022
Entre 2015 et 2019, l’augmentation du nombre de mesures ASE a été particulièrement dynamique, avec une augmentation annuelle moyenne de 4,7 % – contre une moyenne annuelle de 1,2 % entre fin 2002 et fin 2014. Cette tendance s’explique en grande partie par la hausse importante du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) au cours de cette période (+29 % par an en moyenne), liée à la crise des réfugiés. Ainsi, le nombre de MNA et jeunes majeurs anciens MNA est passé de moins de 20 000 à plus de 40 000 entre 2015 et 2019. Fin 2023, on recense 46 200 MNA et ex-MNA pris en charge par l’ASE, soit environ 21 % du total ([53]).
Si la part croissante des MNA est un facteur d’explication important de la hausse du nombre de mesures remarquées à partir de 2014, d’autres facteurs plus structurels peuvent aussi être retenus pour expliquer les mouvements à l’œuvre depuis les années 1990. S’il est possible d’analyser cette évolution comme le fruit de la sensibilisation grandissante de la société à la souffrance des enfants et au changement de regard sur les violences familiales, elle paraît surtout être le résultat de l’échec des politiques conduites. La rapporteure partage pleinement l’analyse de Mme Katy Lemoigne, coprésidente de la commission « Enfances, familles, jeunesses » de l’UNIOPSS, pour qui « [cette évolution] démontre à la fois une évaluation beaucoup plus fine de la situation et une meilleure capacité à identifier les enfants en danger ou à risque. Cependant, cela peut aussi indiquer une aggravation des situations familiales, se traduisant par une grande précarisation des familles concernées et une difficulté accrue à les accompagner, surtout face à la faiblesse des politiques de prévention ([54]). »
b. De plus en plus d’enfants placés en établissement
Depuis 2022, l’accueil en établissement constitue la modalité d’accueil la plus fréquente (41 % des enfants accueillis), devant l’accueil familial (36 % fin 2023 contre 50 % en 2015). L’accueil selon d’autres modalités (23 %) est également en progression. Cette dernière catégorie recouvre des réalités variées, telles que les modalités d’accueil à destination d’adolescents et de jeunes majeurs autonomes, des placements auprès de tiers bénévoles, des situations d’attente de lieu d’accueil ou encore les placements à domicile ([55]).
La part de l’accueil familial diminue depuis quatorze ans ([56]). La rapporteure s’inquiète vivement de cette tendance qui est en contradiction avec les lignes directrices de l’ONU, selon lesquelles l’accueil familial constitue la forme de placement la plus protectrice des droits et des besoins fondamentaux des enfants. Cette tendance est d’autant plus préoccupante qu’elle risque de s’accélérer, dans un contexte où la moitié des assistants familiaux a atteint ou dépassé l’âge de cinquante-cinq ans. C’est pourquoi la rapporteure formule dans la cinquième partie du présent rapport plusieurs recommandations pour répondre à cette grave crise d’attractivité, dans le prolongement des premières modifications opérées dans le cadre de la loi Taquet.
Les enseignements de la DREES sur les assistants familiaux
D’après l’enquête de la DREES conduite sur les assistants familiaux, « fin 2021, 74 700 mineurs et jeunes majeurs âgés de moins de 21 ans sont accueillis par près de 38 000 assistants familiaux. Près de 9 professionnels sur 10 sont des femmes et la moitié des assistants familiaux a atteint ou dépassé l’âge de 55 ans posant ainsi la question du renouvellement des professionnels. Cependant, deux tiers d’entre eux envisagent de reculer le départ à la retraite ou de cumuler les deux. 15 % de ces professionnels sont eux‑mêmes d’anciens enfants placés (en très large majorité en famille d’accueil – 82 %). »
On observe en outre des variations territoriales importantes, comme en témoigne la carte ci-dessous.
Source : DREES « L’aide sociale à l’enfance », Les Dossiers de la DREES, n° 119, juillet 2024
Plusieurs types de lieux d’accueil et d’établissements coexistent. Il s’agit principalement :
– des maisons d’enfants à caractère social (MECS), qui constituent le principal lieu d’accueil collectif des enfants confiés. On compte au total 1 378 MECS, qui représentent les trois quarts de l’ensemble des places d’hébergement en établissement de l’ASE, avec une capacité moyenne de 44 places par MECS ;
– des foyers de l’enfance, qui sont des établissements prévus pour l’accueil d’urgence. Néanmoins, en raison du manque de place dans les autres structures, les séjours en foyer de l’enfance peuvent durer plusieurs mois. Ils constituent la deuxième catégorie d’établissements accueillant le plus d’enfants, avec 235 foyers de l’enfance au total sur le territoire ;
– des villages d’enfants, qui doivent favoriser l’accueil des fratries ; ils sont en développement bien que leur nombre reste limité (voir infra) ;
– des lieux de vie et d’accueil proposent des accueils en petit nombre pour des jeunes en grande difficulté ;
– des pouponnières à caractère social, qui sont spécialisées dans l’accueil des enfants entre zéro et trois ans (voir infra).
Répartition par mode d’accueil principal des enfants confiés à l’ASE
Ces chiffres placent la France au rang de premier pays d’Europe en termes de placements en institution. Selon M. Bruno Michon, chargé de recherche et de développement à l’École supérieure européenne de l’intervention sociale, on compte deux fois plus de placements d’enfants en France qu’en Allemagne ([57]). Surtout, la France se distingue par l’importance du placement en établissement. D’autres pays disposent de modèles très différents. Au Canada par exemple, la plupart des enfants placés hors de leur foyer familial (84,3 %) le sont en milieu familial, que ce soit en famille d’accueil ou au sein de leur famille élargie ([58]).
2. Des chiffres qui montrent le double échec de la déjudiciarisation et du développement des mesures éducatives
Ces données illustrent les limites des politiques publiques mises en œuvre pour répondre à la double volonté exprimée par le législateur : d’une part déjudiciariser les mesures de la protection de l’enfance, d’autre part développer la prévention à travers les mesures éducatives. La DGCS reconnaît ainsi que « l’ambition dès 2007 de moins placer d’une part et de moins judiciariser d’autre part est clairement un échec ([59]) ».
● Les mesures de nature judiciaire restent prédominantes. Elles représentent 70 % des mesures éducatives et 78 % des mesures d’accueil ([60]). Ces chiffres sont stables dans le temps, avec d’importantes disparités territoriales révélant des pratiques diverses ([61]), en particulier sur le volet des mesures éducatives. Ainsi, la part d’AED (mesures de nature administrative) dans le total des mesures éducatives ([62]) varie de moins de 10 % à plus de 70 % en fonction des départements.
● Les mesures d’accueil représentent 56 % des mesures ASE en 2023. En 1996, elles représentaient déjà 54 % des mesures d’ASE ([63]). Là encore, des disparités territoriales importantes tendent à montrer qu’il ne s’agit pas d’une simple fatalité mais que ces chiffres révèlent également des choix politiques et administratifs différents en fonction des territoires.
3. Qui sont les enfants bénéficiant de mesures de protection de l’enfance ?
Les études statistiques et sociologiques manquent pour dresser un portrait complet des enfants et jeunes de l’aide sociale à l’enfance. Néanmoins, il est possible d’identifier quelques grandes caractéristiques grâce aux données de la DREES ([64]), même si cela reste encore très lacunaire.
● Les garçons sont surreprésentés : 55 % des bénéficiaires d’une action éducative et 61 % des jeunes confiés.
● Au 31 décembre 2022, les enfants de moins de six ans représentent 15 % des jeunes confiés à l’ASE, soit 28 000 enfants.
● Les jeunes de onze à dix-sept ans sont surreprésentés : 51 % des bénéficiaires d’une action éducative et 48 % des jeunes confiés, alors qu’ils représentent 35 % de l’ensemble des moins de vingt et un ans.
● Les jeunes majeurs confiés à l’ASE représentent 16 % du total des prises en charge, soit une légère diminution par rapport à 2022 (17 %). Comme l’indique la DREES dans sa contribution écrite, la part des majeurs a légèrement augmenté en 2019 (+ 1 point), puis significativement en 2020 (+ 4 points), et « ce constat est à mettre en regard de la forte hausse du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) jusqu’en 2019, mais également de la prise en charge accrue des jeunes majeurs en 2019 et 2020, y compris d’anciens MNA ».
● Les mineurs non accompagnés représentent aujourd’hui 21 % du total des enfants faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance.
Les auditions conduites par la commission d’enquête ont mis en exergue certaines tendances préoccupantes concernant l’âge des enfants accueillis. Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, constate ainsi que les enfants en bas âge, globalement sous-représentés, sont néanmoins de plus en plus nombreux à faire l’objet d’une mesure ASE, et appelle à une attention particulière sur les enfants de zéro à trois ans, notamment dans le cadre des placements en urgence.
On peut également noter que les pupilles de l’État, qui constituaient autrefois le principal public de l’Assistance publique, représentent aujourd’hui entre 2 et 3 % de l’ensemble des enfants concernés.
Un point de vigilance particulièrement important pour la rapporteure est la forte surreprésentation des enfants en situation de handicap parmi les enfants concernés par une mesure ASE. Il est à ce titre particulièrement regrettable que les départements ne soient pas en mesure aujourd’hui de faire remonter à la DREES, dans le cadre de l’enquête annuelle, le nombre de jeunes bénéficiaires d’une mesure ASE qui font l’objet d’une reconnaissance administrative du handicap. Une récente enquête de la CNAPE et de l’UNAPEI de 2024 indique qu’un quart des enfants accompagnés par l’ASE, présente une double vulnérabilité ([65]). Ces chiffres sont également ceux communiqués par la Défenseure des droits, qui, dans un rapport de 2015, fait état d’un taux de prévalence de 25 à 30 % des enfants protégés disposant d’un dossier à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ([66]). Ces estimations sont probablement en deçà de la réalité, en raison des errances de diagnostic, comme l’a souligné le professeur Jean-Marc Baleyte au cours de son audition par la commission d’enquête ([67]).
III. Des répercussions graves pour les enfants et la société dans son ensemble
Les violences faites aux enfants ont des répercussions graves sur la santé physique et mentale des enfants concernés, sur leur insertion professionnelle et sociale et sur leur épanouissement général. Aux conséquences directement liées aux maltraitances peuvent s’ajouter de nouvelles violences, institutionnelles cette fois‑ci, liées aux manquements des politiques publiques en matière de protection de l’enfance. Autrement dit, alors qu’elles sont censées protéger l’enfant, les organisations institutionnelles peuvent elles-mêmes produire de la violence. Le passage par la protection de l’enfance peut ainsi s’apparenter à une perte de chances, qu’il s’agisse d’effets sur la santé, de réussite scolaire et sociale ou d’épanouissement personnel.
Il s’agit donc d’un sujet majeur qui concerne les enfants au premier chef mais aussi la société dans son ensemble, et qui conduit à profondément interroger les responsabilités de chacun, dans un écosystème complexe au sein duquel l’État doit in fine rester le garant des droits fondamentaux de l’enfant.
A. les violences subies pendant l’enfance ont un impact très lourd sur la santé PHYSIQUE ET MENTALE des enfants et des adultes en devenir
Plusieurs travaux scientifiques ont mis en évidence l’impact des violences commises sur les enfants sur le développement du cerveau à long terme et sur le développement physique. Ainsi, c’est non seulement la santé mentale des enfants qui est affectée, mais également leur santé physique. Si les chiffres varient en fonction des études et des périmètres retenus, on peut estimer qu’environ 45 % des enfants pris en charge par la protection de l’enfance sont victimes de maltraitances ([68]).
Auditionnée par la commission d’enquête, Mme Céline Greco, cheffe du service de médecine de la douleur et palliative de l’hôpital Necker-Enfants malades, a synthétisé les apports des principaux travaux de recherches reconnus par la communauté scientifique et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant l’impact des violences sur la santé des enfants. En particulier, les études relatives aux expériences négatives pendant l’enfance (ou adverse childhood events – voir l’encadré ci-dessous) montrent les conséquences graves qu’elles entraînent sur la santé à long terme. Mme Céline Greco a ainsi rappelé qu’un enfant qui n’est pas pris en charge rapidement sur le plan de leur santé somatique et psychique, risque de perdre vingt ans d’espérance de vie ([69]).
Voici la description qu’elle donne du mécanisme biologique à l’œuvre dans le cerveau d’un enfant victime de violences : « […] imaginez que vous croisez un ours dans la forêt. Votre cerveau ordonne alors à vos glandes surrénales de sécréter de l’adrénaline et du cortisol. Ces hormones provoquent une tachycardie, une augmentation de la tension artérielle et une modification de la respiration afin d’acheminer plus de sang vers les muscles, notamment les biceps et les jambes, pour vous permettre de combattre ou de fuir. Votre foie libère du glucose, source d’énergie, tandis que votre système digestif et immunitaire se met au repos. Après avoir combattu ou fui l’ours, un thermostat interne stoppe la sécrétion d’adrénaline et de cortisol, et le corps revient à son état de base. Mais que se passe-t-il lorsque l’ours rentre à la maison chaque soir ? Le thermostat ne fonctionne plus ; l’adrénaline et le cortisol sont sécrétés en permanence. Ce mécanisme explique les conséquences des violences faites aux enfants ([70]). »
Ces modifications biologiques se traduisent par « deux fois plus de maladies cardiovasculaires, deux à trois fois plus de maladies respiratoires, deux fois plus de cancers, et onze fois plus de démences ([71]) ». Elles peuvent également provoquer de l’asthme, des troubles digestifs et une affection générale du système immunitaire, provoquant de nombreuses pathologies auto-immunes ([72]).
Les études relatives aux Adverses Childhood Events : un outil au service de l’analyse du lien entre les violences subies dans l’enfance et la santé à l’âge adulte
Les expériences négatives de l’enfance, théorisées sous l’expression Adverse Childhood Events (ACE), ont fait l’objet d’un programme de recherche conduit à la fin des années 1990 à San Diego, sous l’égide du professeur Vincent Felitti. Ce programme a ensuite fait l’objet d’une étude publiée dans l’American Journal of Preventive Medicine.
Sur la base d’une enquête conduite auprès de 17 000 patients volontaires, le programme a permis de documenter les liens entre les événements traumatisants subis pendant l’enfance, classés au sein de dix catégories ([73]), et le développement de pathologies à l’âge adulte – accidents cérébrovasculaires, diabètes, cancer, maladies chroniques, alcoolisme, maladies sexuellement transmissibles, etc. L’étude montre une relation graduelle entre le nombre d’ACE, et la prévalence des pathologies. Ainsi, une personne ayant subi au moins quatre expériences traumatisantes dans son enfance risque quatre fois plus que les autres de souffrir de dépression, sept fois plus de développer une dépendance à l’alcool et douze fois plus d’avoir des tendances suicidaires.
Une nouvelle impulsion a été donnée aux recherches conduites en la matière grâce à l’élaboration par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’un questionnaire international visant à mesurer la prévalence des ACE dans l’ensemble des pays et leur impact sur la santé à long terme. Les questions portent sur les violences physiques, sexuelles et psychologiques subies pendant l’enfance ([74]).
Bien que l’OMS encourage l’ensemble des pays à mobiliser cet outil, il reste très peu utilisé en France, comme l’a regretté Mme Céline Greco à l’occasion de son audition par la commission d’enquête.
Les violences faites aux enfants ont également un impact significatif sur leur santé mentale et peuvent être à l’origine du développement de troubles. Ainsi, les mécanismes biologiques précédemment décrit « ne se [limitent] pas à la santé physique, mais touchent aussi le métabolisme et l’endocrinologie. L’architecture du cerveau se modifie, notamment avec une amygdale de taille différente, ce qui entraîne une mauvaise gestion des émotions. L’hippocampe, qui contrôle la mémoire, fonctionne mal, provoquant des troubles de la concentration ([75]). » En conséquence, les enfants concernés ont davantage de troubles de l’apprentissage que la moyenne et sept fois plus de risques de déscolarisation. Les perturbations psychologiques sont nombreuses et fréquentes (troubles du sommeil, troubles des conduites alimentaires, troubles du comportement) ainsi que les syndromes dépressifs (14 % chez les nourrissons, 20 % chez les 3-6 ans, 25 % chez les 14‑15 ans) ([76]).
Auditionné par la commission d’enquête, le professeur Jean-Marc Baleyte a lui aussi insisté sur ces difficultés. Ainsi, il a rappelé que les enfants concernés sont nombreux à souffrir d’un psychotraumatisme, souvent de nature complexe. Comme il l’explique, « chez ces enfants, il s’agit rarement de psychotraumatismes simples, de sorte que les modèles simples ne peuvent être appliqués. Ils sont en effet apparentés à des troubles de la personnalité ou de l’attachement ([77]). »
Un rapport de la Haute Autorité de santé montre que la prévalence des troubles psychiques dans la population concernée peut être estimée à 49 %, dans le cadre d’une méta-analyse incluant 3 014 enfants protégés, soit une prévalence près de quatre fois supérieure à celle observée en population générale ([78]).
Ces problèmes touchant à la santé physique et mentale des enfants peuvent s’aggraver en raison de la mauvaise prise en charge de la santé des enfants faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance. La pédiatre Nathalie Vabre rappelle que les enfants confiés à la protection de l’enfance « ont à la fois plus de besoins et sont moins bien soignés, ce qui constitue une iniquité de traitement et d’accès aux soins et à la prévention. Cette situation est non seulement éthiquement inacceptable, mais coûteuse ([79]). »
Des cohortes suivies afin de mesurer l’état de santé des enfants
relevant de la protection de l’enfance
Trois études sont régulièrement citées pour rendre compte de la santé des enfants relevant de la protection de l’enfance. Il s’agit de :
– l’étude « Saint-Exupéry » de 2011, qui porte sur le devenir à long terme de 128 enfants placés avant leurs quatre ans à l’ASE de Maine-et-Loire ;
– l’étude du centre régional d’études d’actions et d’informations (CREAI) Rhône-Alpes de 2010, qui porte sur la situation de 318 enfants et jeunes confiés en famille d’accueil et en établissement en Haute-Savoie ;
– l’étude épidémiologique POSER (Promouvoir, Observer la Santé des Enfants en Région) du CREAI et de l’observatoire régional de santé Languedoc-Roussillon de 2016, qui concerne la santé de 2 367 mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE dans les départements de l’Aude, du Gard, de l’Hérault, de Lozère et des Pyrénées-Orientales.
Ces travaux montrent notamment :
– la prévalence des taux de prématurité : 16 % dans l’étude Saint-Exupéry, soit 2,5 fois supérieur à celui de la population générale ;
– la fréquence notable d’insuffisances pondérales et de surpoids ;
– une forte morbidité psychiatrique, ainsi qu’une part importante d’antécédents psychiatriques ou d’addictions relevés chez la mère dans l’étude POSER ;
– une surreprésentation des troubles du langage : ils concernent deux enfants sur cinq dans la cohorte de l’étude POSER.
Source : « La santé des enfants protégés », rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance, juillet 2022.
La rapporteure souligne qu’il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur qui rend urgentes la mise en place d’une politique de prévention à la hauteur des besoins et l’élaboration d’une nouvelle stratégie en matière de prise en charge de la santé des enfants concernés. Elle appelle également l’Académie de médecine et le ministère de la santé à systématiser l’étude des expériences négatives survenues pendant l’enfance (adverse childhood events) dans le cadre des diagnostics en santé des enfants protégés et, plus globalement, à en faire un nouvel outil d’analyse en population générale.
Recommandation n° 2: Sur le modèle de ce qui se pratique déjà dans d’autres pays, systématiser l’étude des expériences négatives survenues pendant l’enfance (adverse childhood events ou ACE) dans le cadre des diagnostics en santé des enfants protégés et plus globalement en faire un nouvel outil d’analyse en population générale. Inclure l’étude des ACE dans le cadre de la formation des médecins.
B. un coût humain et économique majeur
Aux violences faites aux enfants – violences qui peuvent être à l’origine des placements – s’ajoutent les violences institutionnelles d’un système défaillant, avec des conséquences graves pour les personnes parvenues à l’âge adulte.
Les anciens enfants confiés entendus par la commission d’enquête ont témoigné des très nombreuses difficultés vécues. Mme Anne-Solène Taillardat, ancienne enfant placée et membre du comité de vigilance des enfants placés, a détaillé plusieurs exemples illustrant cette problématique :
« À l’âge adulte, ce sont ainsi des problématiques d’attachement, de santé physique et psychique, de confiance et d’estime de soi auxquelles nous sommes confrontés. C’est un rapport aux institutions, aux autres, au monde, teinté de cette couleur particulière qui rend tout moins évident et moins fluide. C’est Ahmed et sa phobie administrative qui lui joue des sales tours. Moussa, aimé et admiré, qui s’enfonce dans les addictions sous nos yeux impuissants. Sophie, hantée par les maltraitances qu’elle a subies et qui ne parvient plus à parler que de ça. Mia, qui s’efface tellement qu’on l’oublie, mais pas encore assez à son goût. John, qui ne demande jamais d’aide parce qu’il ne sait pas comment on fait. Carla, tellement révoltée qu’elle se consume petit à petit. Adame, qui a peur de déranger, partout, tout le temps. Malik, brillant, mais dans l’incapacité de se conformer au monde du travail. Alex, parcours de réussite montré en exemple, mais dans l’incapacité de construire une vie affective ([80]). »
L’ensemble de ces difficultés peuvent être à l’origine d’une répétition intergénérationnelle particulièrement préoccupante, évoquée par de nombreux acteurs. Selon ATD Quart Monde, à la reproduction de la pauvreté s’ajoute une forme de reproduction du placement « qui existe de génération en génération dans [les] familles ([81]) ».
Plus globalement, les enfants de la protection de l’enfance sont davantage exposés au chômage et à la pauvreté et ont un moindre accès aux études secondaires et supérieures. Ils sont également beaucoup plus nombreux à faire face au risque de sans-abrisme.
Selon une étude conduite par Isabelle Frechon et Maryse Marpsat à partir des données de l’INSEE et de l’INED, parmi les adultes nés en France et hébergés par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas, 23 % ont été placés dans leur enfance ([82]). La CNAPE fait état de taux atteignant 46 % pour ceux qui ont entre dix-huit et vingt et un ans ([83]). L’absence ou la moindre place des relations familiales, les difficultés très tôt rencontrées, l’absence de formation qui se traduit par des emplois précaires, le manque d’accompagnement vers l’autonomie, sont autant de facteurs qui conduisent à ces chiffres extrêmement préoccupants.
Rappelons qu’en plus de l’enjeu éthique évident que cela pose, ces difficultés entraînent également un coût exorbitant supporté par l’ensemble de la société : dépenses de santé, lutte contre la pauvreté, dépense en matière d’emploi, etc. Il est essentiel d’agir tôt pour corriger les inégalités de destin. La rapporteure souligne ainsi que la revue scientifique médicale britannique The Lancet, chiffre le coût économique lié aux violences faites aux enfants en France à 38 milliards de dollars par an ([84]). Le lauréat du prix Nobel d’économie James Heckman a quant à lui montré qu’un euro investi dans l’accueil de qualité des jeunes enfants génère un retour 7,30 euros d’économie en réduisant les coûts futurs liés à l’échec scolaire, à la délinquance et aux problèmes de santé à moyen et long termes.
Ces constats rendent indispensables une mobilisation beaucoup plus forte des pouvoirs publics pour engager des réformes de fond en matière de prévention et d’accompagnement des enfants en protection de l’enfance, notamment au vu des enjeux majeurs que cela pose du point de vue de la santé publique.
Deuxième partie : Une gouvernance défaillante
faute d’implication de l’État
La présente partie présentera dans un premier temps l’écosystème des acteurs de la protection de l’enfance, dans un deuxième temps de la question de la gouvernance décentralisée et de l’articulation problématique entre le rôle de l’État et celui des départements, troisièmement de la question spécifique du manque de données, pour enfin formuler une série de recommandations en matière de gouvernance.
I. Une politique publique interministérielle par nature
La protection de l’enfance est décentralisée mais aussi profondément interministérielle. Enfance, santé, justice, éducation, famille… la multiplicité des champs d’action concernés induit une gouvernance étatique nécessairement complexe, et force est de constater que le pilotage gouvernemental fait trop souvent défaut.
A. une multiplicité d’acteurs impliqués dans la politique publique de protection de l’enfance
La protection de l’enfance est un écosystème complexe, faisant intervenir de nombreux acteurs institutionnels et qui recouvre des réalités géographiques différentes (départements, ressorts judiciaires, académies, ARS…). Cela rend l’action dans ce domaine complexe et très souvent cloisonnée. Les rôles respectifs de l’État et du département feront l’objet de développements spécifiques dans le II de la présente partie. Le présent A recense, à titre liminaire, les principales institutions impliquées dans la protection de l’enfance mais sans détailler à ce stade les défaillances de chacune et les problèmes d’articulation entre elles : ces éléments seront largement développés par la suite.
1. Le ministère chargé de la protection de l’enfance
Le ministère chargé de la protection de l’enfance est avant tout celui qui dispose pour la conduite de cette politique publique d’un service d’administration centrale, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Celle-ci a un rôle clé de production des normes en protection de l’enfance. Elle possède par ailleurs deux autres leviers d’actions, rappelés par son directeur actuel, M. Jean-Benoît Dujol, lors de son audition : un soutien direct à l’action des départements et un rôle dans la gouvernance des politiques de protection de l’enfance ([85]).
La DGCS comporte en son sein un bureau « Protection de l’enfance et de l’adolescence » au sein de la sous-direction « Enfance et famille ». Ce bureau se compose « d’un chef de bureau, d’une adjointe et six chargées de mission, avec la présence régulière d’apprentis et stagiaires. Le bureau a perdu un poste en 2016, qui a amené à la fusion des portefeuilles adoption et accueil familial, et un autre en 2018, qui a conduit au transfert des sujets numériques au bureau Famille et parentalité ([86]). » Les effectifs spécifiquement consacrés à la protection de l’enfance au sein de cette direction sont donc totalement dérisoires au regard des enjeux associés.
En complément de l’administration centrale, les services déconcentrés de l’administration, directions départementales de l’emploi du travail et des solidarités (DDETS) et directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), appliquent également les politiques de protection de l’enfance. Elles peuvent notamment diligenter des contrôles dans les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS). Les DDETS sont par ailleurs tutrices des pupilles de l’État pour le compte du préfet.
La rapporteure rappelle dès à présent qu’il existe de graves lacunes dans l’action de l’État sur la politique publique de protection de l’enfance ; elles seront largement détaillées infra.
Les départements sont chefs de file en matière de politiques sociales et l’article L. 221-1 du CASF définit l’aide sociale à l’enfance comme « un service non personnalisé du département ». Le rôle central des départements en protection de l’enfance sera abordé en détail dans le II de la présente partie.
3. Les associations et les structures privées non lucratives gestionnaires de services et d’établissements de l’aide sociale à l’enfance
Les départements délèguent très largement au secteur associatif mais aussi à des structures privées non lucratives la prise en charge des enfants bénéficiant d’une mesure d’ASE. Le président de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE), M. Didier Tronche, estime que la mission de protection de l’enfance est assurée à hauteur de 75 % à 80 % par le secteur associatif ([87]). En outre, comme cela a été rappelé dans la première partie du présent rapport, le secteur associatif est une composante historique majeure de la protection de l’enfance.
Il serait donc réducteur de considérer ces associations et ces organismes comme de simple exécutants des mesures de protection de l’enfance : ils sont des acteurs à part entière de cette politique publique, aux côtés de la justice. Leur rôle majeur montre que la structuration de la protection de l’enfance n’a que peu évolué au cours de son histoire, l’absence de pilotage national par l’État demeurant une constante de celle-ci. Cela a été revendiqué par M. Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) : « Nous revendiquons d’être des co-constructeurs des politiques publiques, tant au niveau national que départemental, et non de simples opérateurs ou sous‑traitants, comme on tente parfois de nous y réduire ([88]). » M. Tronche a abondé dans le même sens, évoquant un positionnement « ambigu » du secteur associatif : « Une association doit non seulement participer au débat public, mais aussi nourrir ceux qui ont la capacité de prendre des orientations et des décisions, qu’il s’agisse de l’État ou des départements, en leur fournissant des données d’expertise. Elle doit également assumer une co-responsabilité dans son approche des situations, en tenant compte des difficultés, qu’elles soient financières ou humaines. »
Le poids historique des associations dans la protection de l’enfance a pu expliquer, pour partie, les difficultés d’organisation du secteur. Ce constat avait déjà été posé par la Cour des comptes dans son rapport de 2009 sur cette politique publique ([89]) et elle l’a rappelé à nouveau en 2020. La Cour relevait notamment que les choix d’organisation, par les départements, de leur système de protection de l’enfance ressortaient principalement de l’histoire locale et de l’importance du secteur associatif. La rapporteure relève qu’au-delà de l’histoire locale, c’est aussi l’histoire nationale qui explique de tels choix, comme cela a déjà été évoqué. Mme Christine Omam, du Groupe national des établissements sociaux et médico‑sociaux (GEPSO), a relevé qu’« avec le temps, le secteur s’est structuré et professionnalisé et les religieux bénévoles ont laissé la place à des professionnels : on a perdu cette main-d’œuvre disponible et gratuite. Mais la professionnalisation n’a pas été suivie d’une organisation des institutions ([90]). » Ces constats ne remettent évidemment pas en cause le rôle cardinal de ces associations et de leur personnel, dont le professionnalisme et le dévouement font tenir le système de protection de l’enfance au quotidien, mais doivent inciter à repenser notre modèle très institutionnalisé de l’aide sociale à l’enfance.
4. Les associations représentant les usagers et les anciens usagers de la protection de l’enfance
Les premiers concernés par le service public de la protection de l’enfance – enfants placés, anciens enfants placés – doivent être écoutés et entendus. Plusieurs associations œuvrent en ce sens.
L’ancienne ministre Laurence Rossignol a souligné l’importance de leur parole : « Lorsque j’étais ministre, j’avais coutume de dire que les enfants placés n’avaient pas de représentants, alors qu’il y a des mouvements associatifs qui défendent les personnes handicapées, les personnes âgées ou les usagers des routes. Il n’existait pas de groupe de pression des enfants placés. Ils existent aujourd’hui, ils manifestent, ils se coordonnent. Cette parole-là est déterminante ([91]). »
Les associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (ADEPAPE) et leur fédération nationale (FNADEPAPE), ainsi que le réseau d’entraide Repairs, sont bien implantés sur le territoire national. Certains textes réglementaires prévoient leur participation dans des instances de gouvernance aux niveaux national et local : par exemple, le décret n° 2016-1639 du 30 novembre 2016 prévoit qu’un représentant de la FNADEPAPE siège au sein des CESSEC. De même, Repairs, la FNADEPAPE et des ADEPAPE figurent parmi les membres du CNPE ([92]). La DGCS souligne par ailleurs que les associations d’anciens usagers ont été associées aux groupes de travail sur les textes d’application de la loi Taquet de 2022. En 2022, 70 % des ODPE comptaient parmi leurs membres des représentants des ADEPAPE, selon les informations fournies par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) ([93]).
En début d’année 2024 s’est constitué le Comité de vigilance des enfants placés, composé d’anciens enfants placés. Il a activement suivi les travaux de la présente commission d’enquête, afin de garantir que « le point de vue des premiers concernés reste, du début jusqu’à la fin, au centre du travail » de la commission d’enquête ([94]). La rapporteure salue la mise en place de ce comité, qu’elle a souhaité impliquer du mieux possible dans le cadre des travaux de la commission d’enquête parlementaire. À l’instar d’autres députés membres de celle-ci, elle a par exemple relayé les questions des membres de ce comité auprès des personnes auditionnées et pris régulièrement leur attache pour échanger et bénéficier de leur savoir expérientiel. Alors que la politique de protection de l’enfance a trop souvent été dans l’ombre au cours des dix dernières années, elle se réjouit que cette parole publique permette de poser des débats de fond et de la sortir de l’invisibilité.
5. La justice
La justice des mineurs s’articule autour de deux volets. Le volet civil, pour les mineurs en danger, se traduit par des procédures d’assistance éducative. Le volet pénal concerne les mineurs ayant commis des actes de délinquance.
La qualité et la formalisation des relations entre justice et département sont très variables d’un département à l’autre. Mme Aubeneau, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM), a même indiqué qu’il subsistait « une forme de rivalité » entre justice et département ([95]). En réalité, cette problématique est structurellement ancrée dans l’historique de la protection de l’enfance qui, comme cela a été rappelé en première partie, est une politique marquée par le rôle important de la justice et des associations.
Des magistrats ont relevé que la participation à des instances de concertation n’était pas nécessairement valorisée ou prise en compte dans l’organisation du temps de travail. L’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF) a ainsi souligné qu’« il serait pertinent de donner un vrai statut et une décharge suffisante aux coordonnateurs des tribunaux pour enfants et aux parquets mineurs pour participer à ces instances ([96]) ». La rapporteure souhaite que cette recommandation soit mise en œuvre, car elle est essentielle à la coordination sur le territoire de la protection de l’enfance.
L’élément le plus marquant des vingt dernières années est l’absence de déjudiciarisation des mesures de protection de l’enfance, alors que la loi de 2007 prévoyait la subsidiarité de l’intervention judiciaire par rapport à l’intervention administrative. La DGCS, se fondant sur des données de la DREES, rappelle que « hors placements directs, en 2022, les mesures judiciaires représentent 70 % des enfants accueillis à l’ASE (incluant les enfants directement placés par le juge), un nombre qui a progressé de 79 % depuis 1996 ([97]) ». Parmi les facteurs d’explication avancés figurent notamment le besoin d’adhésion des parents, plus aisé à obtenir auprès du juge que des services du département, ou encore un cadre d’intervention plus sécurisant pour les professionnels de l’ASE. La CNPR met également en exergue l’attention croissante portée aux violences intrafamiliales, qui conduit à des saisines plus fréquentes du parquet. Encore une fois, l’historique des politiques publiques explique pour beaucoup l’ancrage des pratiques professionnelles.
La prédominance des mesures judiciaires en matière de protection de l’enfance s’explique aussi par le caractère potentiellement attentatoire aux libertés de ces mesures. Le Syndicat de la magistrature rappelle qu’« en 2014, une étude du ministère de la justice révélait que le placement d’un enfant fait partie des décisions pour lesquelles les citoyens estiment que le recours au juge s’impose ([98]) ». Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat, estime que la confusion est souvent effectuée entre intervention subsidiaire et intervention minoritaire : « La subsidiarité ne signifie pas une minorité de mesures judiciaires, mais simplement que nous intervenons en second lieu, ce qui représente la majorité des décisions. » Elle estime qu’« il faut cesser de croire que « tout irait mieux » si la protection de l’enfance était déjudiciarisée ([99]) ». Aux yeux de la rapporteure, l’essentiel est, en réalité, de remédier à l’inexécution des décisions de justice qui mettent en danger les enfants concernés par celles-ci, mais aussi de changer résolument d’approche et de prioriser la prévention. Lorsque la justice est saisie, il convient de privilégier la recherche d’un accueil dans la famille élargie ou auprès d’un tiers digne de confiance (voir infra).
6. La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
La PJJ est pilotée par son administration centrale, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). La DPJJ est compétente en matière de justice des mineurs et la concertation entre les institutions intervenant à ce titre. Depuis le décret n° 2017-634 du 25 avril 2017, elle est chargée d’animer et de contrôler l'action du ministère public en matière de protection de l’enfance. Outre son rôle normatif, elle participe donc à de nombreuses instances de gouvernance de la protection de l’enfance. De plus, la PJJ continue d’exercer certaines mesures de protection de l’enfance, elle-même ou par délégation à son secteur associatif habilité SAH, en particulier les mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE), la prise en charge des mineurs sous main de justice ou encore, exceptionnellement, en cas de double mesure PJJ‑ASE, des mesures d’aide éducative en milieu ouvert (AEMO).
La compétence de la PJJ couvre la justice des mineurs en général, ce qui lui permet d’intervenir à la fois sur les champs civil et pénal. Toutefois, certains regrettent un recentrage progressif de la PJJ sur ses missions pénales au détriment de ses missions civiles, depuis 2007. Mme Cécile Mamelin, vice-présidente de l’USM, a rappelé que ce désinvestissement était aussi physique, avec l’éloignement géographique de la PJJ et des tribunaux : « Lorsque la PJJ, à travers les services éducatifs auprès du tribunal (SEAT), était dans nos murs, j’ai souvenir de conversations et réflexions avec les éducateurs. […] Ces personnes avaient une vision globale, à la fois sur le civil et le pénal ([100]). » Des écosystèmes qui fonctionnaient ont donc été rompus. Lors de la même audition, Mme Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l’USM, qualifie la scission entre PJJ et ASE d’« erreur majeure » ayant conduit à cloisonner assistance éducative et assistance en matière de délinquance.
Mme Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, a répondu à ces critiques en rappelant que la DPJJ promouvait « une conception large de la notion de protection de l’enfance, qui englobe à la fois le volet pénal et le volet civil, contrairement aux oppositions caricaturales qui sont parfois faites entre les deux ([101]) ». Elle revendique donc pleinement le rôle de la PJJ au sein de la protection de l’enfance et invoque des exemples démontrant la part croissante de la PJJ dans cette politique, notamment sa participation aux travaux statistiques et aux groupes de travail État‑départements qui avaient été créés par la ministre Sarah El Haïry et dont certains étaient pilotés à la fois par la DPJJ et par la DGCS.
Quant à la rapporteure, elle partage les critiques relatives au désinvestissement de la PJJ du champ civil. Cela a fortement déstabilisé les professionnels de la protection de l’enfance, qui ont dû s’adapter à des publics plus complexes alors qu’ils n’y étaient pas formés. Ce recentrage sur le champ pénal a de plus été imposé sans véritable concertation et sans accompagnement par l’État.
7. La santé
La santé des enfants protégés est une préoccupation de premier ordre mais récente dans le débat autour de la protection de l’enfance. Ceux-ci sont généralement moins bien suivis, davantage sujets à certaines pathologies et souffrent particulièrement du manque de professionnels de santé et des délais d’attente en structure spécialisée.
Les agences régionales de santé (ARS), chargées de piloter la politique nationale de santé en région, doivent être pleinement impliquées dans la politique publique de protection de l’enfance. Elles sont d’ailleurs un des acteurs principaux de la stratégie de contractualisation mise en place par le secrétaire d’État Adrien Taquet.
Comme pour la justice ou la PJJ, il existe un déficit de communication et de coopération entre l’ARS et l’ASE. Le dialogue repose trop sur les bonnes volontés locales et n’est pas systématique, alors même qu’il est indispensable pour répondre aux besoins fondamentaux des enfants. L’association Départements de France déplore notamment une absence de visibilité sur les places relevant du médico-social. Il convient également de relever le manque de dialogue, d’évaluation et de prospective concernant les besoins des enfants présentant une double vulnérabilité.
La quatrième partie du présent rapport exposera plus en détail les lourdes insuffisances de la prise en charge de la santé des enfants protégés et les nombreuses recommandations de la rapporteure sur le sujet.
L’Éducation nationale est un acteur majeur de la protection de l’enfance. Elle est l’une des principales sources d’informations préoccupantes (IP). Elle assure un rôle de vigie, fondamental pour prévenir en amont les difficultés des enfants et de leurs familles. En particulier, le service social en faveur des élèves joue un rôle particulièrement important en matière de protection de l’enfance. Le premier degré, qui joue un rôle essentiel pour repérer précocement les enfants en danger, est laissé dans une situation de misère médicale et sociale, avec des enseignants et des directions d’établissement très seuls pour signaler les situations de danger. Ceux-ci sont pourtant dévoués à cette tâche, disposant d’un poste clé d’observation de l’enfant et de dialogue avec la famille. Les médecins et infirmiers scolaires peuvent repérer des signes de maltraitance ou de mise en danger ; mais au regard de la situation de la médecine scolaire en France, il est temps de repenser ce modèle. La direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) souligne qu’« au cours des dernières années, elle s’est attachée à rappeler que la prévention et la vigilance concernent tous les personnels ([102]) ».
Les moyens globaux de l’Éducation nationale demeurent cependant largement insuffisants pour qu’elle puisse jouer ce rôle de vigie. Les mesures de soutien peinent à se mettre en place, notamment le projet « Scolarité protégée » (voir infra).
La rapporteure tient à rappeler le rôle essentiel du Défenseur des droits et du défenseur des enfants en matière de protection de l’enfance. En témoignent les décisions édifiantes que l’institution vient de rendre à ce sujet et auquel ce rapport fait référence à de nombreuses reprises. Le Défenseur des droits est chargé de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur de l’enfant, essentiellement au travers de deux de ses missions :
– l’instruction des réclamations qui sont formulées auprès de lui (les mineurs peuvent d’ailleurs directement saisir le Défenseur des droits) ;
– la promotion des droits de l’enfant.
10. Les régions
La rapporteure observe que les régions n’ont jamais été véritablement associées à la coordination des politiques de protection de l’enfance, alors qu’elles jouent un rôle important à deux titres :
– premièrement, le président du conseil régional est censé conclure un protocole avec le président du conseil départemental et le préfet de département sur l’accès à l’autonomie des jeunes majeurs de l’ASE ([103]) ;
– surtout, elles sont compétentes en matière de formation sanitaire et sociale. Elles financent notamment les instituts de formation sanitaire et les formations initiales en travail social. Elles élaborent un schéma régional des formations sociales et jouent un rôle de promotion de ces formations ([104]).
Ce manque d’implication ne peut être accepté face à la crise systémique traversée par le secteur de la protection de l’enfance. La rapporteure souhaite que les régions se mobilisent enfin sur cette politique publique, en établissant, avec l’État, un plan massif de formation et de valorisation des métiers du lien. Les préfets de région devront, aux côtés des préfets de département, coordonner de telles actions de formation et de promotion.
B. Un pilotage national instable et insuffisamment identifié
À la multiplicité des acteurs institutionnels s’ajoute un pilotage national inexistant, que ce soit au niveau gouvernemental ou au sein des instances de gouvernance de la protection de l’enfance, celles-ci peinant à imposer leur légitimité.
1. La protection de l’enfance est souvent une compétence diluée et apparaissant comme secondaire au sein du Gouvernement
La question de la compétence de tel ou tel ministre sur les sujets de protection de l’enfance est loin d’être neutre. Ne figurant jamais dans les intitulés des ministres de plein exercice qui en sont chargés, pesant peu dans les arbitrages interministériels, cette politique publique ne suscite pas l’attention qu’elle devrait de la part des gouvernements successifs. La dernière ministre de plein exercice dont l’intitulé comportait la mention de l’enfance est Mme Laurence Rossignol, dont les fonctions ministérielles ont pris fin en 2017. Depuis le changement de Président de la République, l’enfance a été, soit oubliée, soit, au mieux, incluse dans le périmètre de compétences d’un ministre délégué ou d’un secrétaire d’État, malgré les promesses du Président de la République Emmanuel Macron d’en faire l’une des priorités de son deuxième quinquennat, en 2022. Cela n’a pas permis d’impulser la prise de conscience et surtout l’action nécessaires sur ce sujet au plus haut sommet de l’État, malgré la multiplication des rapports et des alertes sur les souffrances des enfants et des professionnels du secteur, celui-ci connaissant sa plus grave crise depuis la fin de l’épidémie de Covid-19. Cela n’a pas permis non plus d’identifier les dysfonctionnements systémiques pour sortir de l’impensé de cette politique publique, afin de poser les jalons d’un réel engagement de l’État sur le sujet. Pourtant, depuis 2017, ces huit années auraient permis un profond changement s’il y avait eu une véritable dynamique en faveur de l’enfance et une compréhension des enjeux afférents, plutôt que de renvoyer sans cesse à des discussions budgétaires entre les départements et l’État. Ces renvois de responsabilité masquent les véritables problématiques sous-jacentes, en particulier la nécessité d’investir l’enfance pour investir l’avenir en France.
Les ministres chargés de la protection de l’enfance depuis 2014
Intitulé |
Nom |
Dates |
Ministère de rattachement |
Présidence d’Emmanuel Macron |
|||
Haut-commissaire à l’enfance |
Sarah El Haïry |
03/2025 – |
Travail, santé, solidarités et familles |
Ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles |
Catherine Vautrin |
12/2024 – |
– |
Ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance |
Agnès Canayer |
09/2024 – 12/2024 |
Solidarités, autonomie et égalité entre les femmes et les hommes |
Ministre déléguée chargée de l’enfance, de la jeunesse et des familles |
Sarah El Haïry |
02/2024 – 09/2024 |
– Travail, santé et solidarités ; – Éducation nationale et jeunesse ; – garde des Sceaux, ministre de la justice |
Secrétaire d’État chargée de l’enfance |
Charlotte Caubel |
05/2022 – 01/2024 |
Premier ministre |
Secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles |
Adrien Taquet |
07/2020 – 05/2022 |
Solidarités et santé |
Secrétaire d’État |
01/2019 – 07/2020 |
Solidarités et santé |
|
Ministre des solidarités et de la santé |
Agnès Buzyn |
05/2017 – 02/2020 |
– |
Présidence de François Hollande |
|||
Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes |
Laurence Rossignol |
02/2016 – 04/2017 |
– |
Secrétaire d'État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l'autonomie |
06/2015 – 02/2016 |
Affaires sociales, santé et droits des femmes |
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Secrétaire d'État chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie |
04/2014 – 06/2015 |
Affaires sociales et santé |
Il peut néanmoins y avoir une cohérence à ce que le sujet de la protection de l’enfance soit traité au sein d’un portefeuille comportant d’autres domaines. Mme Laurence Rossignol, ministre chargée de la protection de l’enfance entre 2014 et 2017, a évoqué lors de son audition la pertinence d’être à la tête d’un ministère réunissant enfants, famille et droits des femmes : « Guidée par une approche féministe de l’ensemble des questions humaines qui étaient au cœur de mon ministère, j’ai pu faire le lien entre les violences faites aux femmes, celles faites aux enfants et ce que cela signifiait dans la structure familiale patriarcale, ainsi qu’entre la condition des enfants, celle des femmes et la politique familiale ([105]). » Le constat est similaire chez M. Adrien Taquet, secrétaire d’État de 2019 à 2022 : « Il n’y a pas de protection de l’enfance sans prévention ; c’est pourquoi il était important, du point de vue symbolique, que je sois chargé “de l’enfance et des familles” dans le gouvernement Castex, car les deux vont de pair ([106]). »
Lorsque le ministère ou le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance n’est pas un ministère de plein exercice, il est généralement rattaché aux ministères sociaux, avec deux exceptions notables ces dernières années :
– le rattachement direct à la Première ministre de Mme Charlotte Caubel. C’est une évolution positive car témoignant du caractère interministériel de la protection de l’enfance ; mais en l’espèce, sans volonté politique, cela n’a manifestement pas suffi pour donner des résultats probants, bien au contraire. Comme l’a relevé le président de la CNAPE, « avec la secrétaire d’État Charlotte Caubel, nous avons progressé sur plusieurs dossiers. Toutefois, nous avons rapidement constaté que le fait qu’elle soit rattachée à la Première ministre ne garantissait pas l’efficacité de l’action interministérielle ([107]). » En témoigne l’absence de suites données au troisième comité interministériel à l’enfance, réuni en novembre 2023, tout comme l’incapacité à mobiliser suffisamment les services de l’État pour garantir la publication des décrets d’application dans les délais impartis ;
– le triple rattachement de Mme Sarah El Haïry à l’éducation nationale, à la justice et aux ministères sociaux. L’ancienne ministre indique avoir vécu cela « comme une chance, puisque cela a permis de mobiliser les administrations de manière plus directe et plus rapide ([108]) ». La rapporteure observe là encore que cela n’a pas suffi à porter une politique interministérielle ou à permettre une meilleure mobilisation des services de l’État.
En réalité, quel que soit le rattachement ministériel, le pouvoir décisionnel sur ces sujets est manifestement ailleurs, notamment à Bercy et dans certaines administrations centrales. Si l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel a souligné avoir réussi à obtenir un « jaune » budgétaire sur l’enfance ([109]), il convient de relativiser la portée d’un tel document : il améliore la lisibilité du budget a posteriori mais n’est pas gage de crédits supplémentaires. La secrétaire d’État a d’ailleurs souligné la faiblesse de ses moyens budgétaires propres : par exemple, aucun emploi supplémentaire n’a pu être débloqué pour assurer les fonctions support du comité interministériel à l’enfance, à l’inverse de la Conférence nationale du handicap ([110]). Du reste, les ministres et les secrétaires d’État chargés de la protection de l’enfance successifs n’ont jamais obtenu de mesures budgétaires à la hauteur des besoins sur cette politique publique et ne disposaient globalement eux-mêmes que de peu de moyens budgétaires dans le cadre de leurs fonctions.
La relation du ministre chargé de la protection de l’enfance avec les autres membres du Gouvernement n’est manifestement pas toujours aisée, Mme Rossignol évoquant le cas du ministère de la justice au sujet des enjeux de retrait d’autorité parentale : « Je tiens à dire que ce n’est pas facile d’être une ministre chargée de la protection de l’enfance : il n’y a pas d’argent, mais il y a la Chancellerie où l’on a tendance à se demander pourquoi une ministre sociale cherche à intervenir dans le code civil et le code pénal, qui sont quand même des ouvrages sérieux ([111]). »
En réalité, que ce soit à Bercy ou à la Chancellerie, la rapporteure relève que les ministères manquent d’une connaissance des enjeux relatifs à la protection de l’enfance et ne perçoivent pas l’intérêt d’une vision globale de l’écosystème des politiques publiques de l’enfance afin de préparer l’avenir des générations futures. Les politiques de prévention sont particulièrement sous-investies.
Au niveau des administrations, la Cour des comptes a relevé dans son rapport de 2020 sur la protection de l’enfance ([112]) les difficultés de la DGCS pour mobiliser les différentes directions ministérielles impliquées dans la protection de l’enfance. Lorsque Mme Caubel était secrétaire d’État, la DGCS se trouvait sous la tutelle de sept ministres. Cela interroge sur sa capacité à soutenir véritablement la position d’un ministre donné. Par ailleurs, Mme Caubel a indiqué que les autres directions sur lesquelles elle avait partiellement autorité « ont fait preuve de coopération, mais il n’empêche que [son] cabinet déployait une très grande énergie pour aller chercher les informations ([113]) ».
Ainsi, le poids de la protection de l’enfance au sein du Gouvernement est encore largement insuffisant et repose trop sur la personnalité du ministre et pas assez sur une position intergouvernementale structurée et légitimée. La visibilité de cette politique publique et la capacité des ministres en charge de celle-ci à soutenir et gagner des arbitrages s’en trouvent amoindries. Il est essentiel de passer d’une culture du fonctionnement en silos des différents ministères à une culture partagée des transformations à engager au service d’une vision globale du sujet. L’enfance doit devenir un ministère de même rang que ceux de la santé, la justice, l’éducation nationale, etc.
La nomination d’un haut-commissaire à l’enfance a été annoncée par le Président de la République le 28 décembre 2024, quelques jours après la nomination du gouvernement de François Bayrou, le secteur de l’enfance s’étant légitimement alarmé de ne voir l’enfance figurer parmi aucun intitulé de ministère. Ce haut-commissariat a été formellement créé par un décret du 10 février 2025 ([114]). Mme la ministre Catherine Vautrin avait indiqué lors de son audition, le 19 février 2025, qui « devrait être nommé d’ici à deux semaines ([115]) ». C’est finalement par un décret du 5 mars 2025 – soit plus de deux mois après l’annonce du Président de la République – que Mme Sarah El Haïry a été nommée haute-commissaire à l’enfance.
Sur le fond, la création d’un haut‑commissariat ne convainc pas l’ensemble des parties prenantes. Certains y voient une garantie de pérennité, indispensable pour ces sujets, au-delà de l’instabilité ministérielle. D’autres regrettent l’absence d’un ministère dédié et craignent que la haute-commissaire n’ait pas les moyens de peser dans les arbitrages. La ministre Catherine Vautrin, à qui la haute-commissaire est rattachée, a indiqué en audition vouloir conserver la « responsabilité directe » de l’ASE.
La rapporteure, après avoir rencontré l’ensemble des ministres, ministres délégués et secrétaires d’État chargés de la protection de l’enfance depuis 2017 pour les convaincre de l’enjeu de réformer la protection de l’enfance, considère que l’heure est désormais au courage politique, à l’action et à la prise de conscience quant à la nécessité d’inscrire une politique globale de l’enfance dans la durée. Sortir de l’invisibilité de cette politique publique au niveau de l’État permettra de mieux protéger les enfants victimes. Par conséquent, le portage politique de ces problématiques doit être à la hauteur des enjeux. La ministre Catherine Vautrin s’est engagée sur plusieurs axes de réforme lors de son audition ; la rapporteure insiste sur la nécessité d’agir dès la préparation et l’examen des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026. Par ailleurs, la rapporteure ne croit pas que la haute-commissaire disposera d’un poids politique suffisant au sein du Gouvernement ; en revanche, elle pourra mettre en œuvre les politiques publiques de protection de l’enfance et veiller à la bonne articulation des réformes arbitrées par la ministre Catherine Vautrin.
2. Un enchevêtrement de multiples plans et stratégies gouvernementaux qui ne sont pas assez suivis d’effets et pas évalués
Au poids insuffisant de la protection de l’enfance au sein du Gouvernement s’ajoute celui de la multiplication des plans, comités et stratégies en faveur de la protection de l’enfance, mis en place successivement par les différents gouvernements. Si certains de ces outils ont permis de réelles avancées, ils sont souvent délaissés lors d’un remaniement ou sont remplacés par d’autres, sans être suffisamment évalués. Cette absence de continuité dans la vision stratégique autour de la protection de l’enfance est nécessairement préjudiciable à une réflexion prospective pourtant indispensable.
L’exemple de ces dernières années, marquées par des remaniements ministériels fréquents, est éclairant.
En 2019, M. Adrien Taquet publie la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance (2020-2022) ([116]). Ce document avait fait l’objet d’une importante concertation avec le secteur et s’articulait autour de quatre axes principaux : agir le plus précocement possible pour répondre aux besoins des enfants et de leurs familles, sécuriser les parcours des enfants protégés et prévenir les ruptures, donner aux enfants les moyens d’agir et garantir leurs droits, préparer leur avenir et sécuriser leur vie d’adulte. Cette stratégie inclut la mise en place de la contractualisation État-département ainsi que l’adoption de la loi Taquet de 2022.
En 2022, Mme Charlotte Caubel instaure un comité interministériel à l’enfance, qui ne s’est réuni que trois fois. Dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance ([117]), la Défenseure des droits souligne qu’il « n’a pas permis d’impulser une réelle dynamique d’actions » et que « plusieurs de ses annonces, faute de portage politique, sont restées lettres mortes ». Ce comité, réuni sous l’autorité de la Première ministre, avait défini cinq priorités : la lutte contre les violences, la santé, l’égalité des chances, le service public de la petite enfance et le numérique. Mme la ministre Catherine Vautrin a indiqué en audition qu’un comité interministériel pourrait à nouveau se tenir avant l’été 2025. Pour la rapporteure, l’urgence est de prévoir des mesures ambitieuses en faveur de la protection de l’enfance dans le cadre de la préparation du budget pour l’année 2026.
En 2024, Mme Sarah El Haïry met en place sept groupes de travail entre l’État et Départements de France. Les thématiques étaient les suivantes : attractivité des métiers et fidélisation des professionnels ; prévention ; qualité et diversification des placements : accès au droit commun des enfants de l’ASE ; MNA ; accompagnement vers l’autonomie ; gouvernance et financement.
À ces initiatives se greffent d’autres plans non exclusivement centrés sur la protection de l’enfance, mais qui concernent toutefois cette politique publique. Il en va ainsi de l’initiative autour des mille premiers jours de l’enfant, lancée lorsque M. Adrien Taquet était ministre, ou du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, dont le premier (2017-2019) a été initié par l’ancienne ministre Laurence Rossignol. Un premier plan national de lutte contre la prostitution des mineurs a été mis en place en 2021.
À l’inverse, les cris d’alerte du secteur de la protection de l’enfance sont restés lettre morte.
En novembre 2021, après la remise de son rapport « À (h)auteur d’enfants ([118]) » commandé par M. Adrien Taquet, M. Gauthier Arnaud-Melchiorre propose la rédaction d’une Charte des droits des enfants protégés. Or cette charte n’a jamais vu le jour : elle a, selon les propos de M. Arnaud-Melchiorre, « disparu avec le changement de gouvernement ». Il souligne sa tristesse de constater le devenir de ce rapport, sur lequel les enfants qui y avaient participé fondaient de nombreux espoirs : « À chaque enfant qui a pris la parole, j’ai indiqué que ses propos seraient pris en compte, que des réponses seraient apportées. Les enfants ont adhéré à cette idée ; ils se sont livrés, se sont confiés. À Rouen, j’ai croisé l’ancienne ministre, Mme Charlotte Caubel, que j’ai interrogée, car je souhaitais qu’elle mette en œuvre le rapport, pour les enfants. Quand je lui ai demandé ce qu’elle comptait faire du rapport, elle m’a répondu : “Je le conserve très précieusement sur une étagère de mon bureau pour qu’il puisse m’inspirer”. Elle ne m’a jamais reçu ([119]). »
En octobre 2023, le CNPE, le Conseil national de l’adoption (CNA) et le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) proposent au Gouvernement un plan Marshall pour la protection de l’enfance ([120]) comprenant des mesures structurelles et des mesures à mettre en place de manière plus immédiate, par exemple des financements complémentaires pour l’évaluation des situations de danger et la mise en œuvre des décisions de protection des enfants, ou encore la priorisation de l’accueil en structures spécialisées pour le handicap des enfants confiés à l’ASE, en l’absence d’autres solutions. Cette proposition est restée sans suite, de même que l’appel, lancé à la rentrée 2023, du groupe de Gauche de Départements de France pour organiser des États généraux de la protection de l’enfance. Le constat est identique concernant le Livre blanc du travail social, présenté à cinq ministres en décembre 2023 mais dont les recommandations n’ont pas été suivies d’effets, malgré les alertes d’un secteur médico-social exsangue, au sein duquel manquent 30 000 postes (voir infra).
3. Le GIP France Enfance protégée et le CNPE peinent à s’affirmer dans le jeu institutionnel
La mise en place du GIP France Enfance protégée est laborieuse, à tel point que l’on peut s’interroger sur le rôle même de cette structure qui s’apparente, par bien des aspects, à une coquille vide. Le CNPE peine, quant à lui, à faire entendre sa voix dans le processus décisionnel national. Ces deux instances pâtissent également d’un manque de visibilité budgétaire pour les années à venir.
a. Le GIP France Enfance protégée
Un premier groupement d’intérêt public a été créé par la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l'égard des mineurs et à la protection de l'enfance, afin de mettre en place un service d’accueil téléphonique gratuit pour lutter contre la maltraitance des mineurs – l’actuel 119. Ce GIP incluait l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) et se dénommait, jusqu’en 2022, le GIP Enfance en danger (GIPED).
L’article 36 de la loi Taquet de 2022 refonde le GIPED, qui devient le GIP France Enfance protégée. Cette réforme fait notamment suite aux rapports de 2020 de la Cour des comptes et de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ([121]). Comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi Taquet, la Cour des comptes estimait que « l’enchevêtrement des compétences et la dispersion des moyens [faisaient] obstacle à la bonne mise en œuvre des missions confiées » aux différentes instances de pilotage national compétentes dans le champ de la protection de l’enfance.
Le GIP est qualifié de « maison commune » de la protection de l’enfance, tant par M. Jean-Benoît Dujol, DGCS, que par Mme Florence Dabin, qui en est l’actuelle présidente. Il dispose désormais d’une mission globale d’appui aux pouvoirs publics dans la mise en œuvre de la politique publique de l’enfance, de l’adoption et de l’accès aux origines personnelles. Il est censé contribuer « à l’animation, à la coordination et à la cohérence des pratiques sur l’ensemble du territoire ([122]) ». Il assure notamment les missions suivantes :
– le secrétariat général du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, (CNAOP), du CNA et du CNPE ;
– la gestion du 119 et de l’ONPE ;
– la gestion de la base nationale des agréments des assistants maternels et familiaux ;
– la prise en charge des demandes d’accès aux origines personnelles.
Il est financé à parité par l’État et les départements, chaque département contribuant selon sa population. Il se compose aujourd’hui d’environ 110 équivalents temps plein (ETP) ([123]).
La question l’adéquation du GIP aux besoins de pilotage de la protection de l’enfance peut se poser.
Premièrement, le périmètre de ses missions est très large. Dans son avis sur le projet de loi Taquet, le Conseil d’État émet déjà des doutes quant à cette future structure, notamment quant à « la complexité particulière de l’architecture envisagée, inhérente au maintien de l’ensemble des instances existantes au sein ou dans le prolongement du nouveau groupement, ainsi qu’aux options retenues quant au positionnement des trois conseils. Il constate que les objectifs poursuivis ne pourront pas être pleinement atteints par cette réforme organisationnelle. Il estime que la mise en œuvre de cette réforme devra faire l’objet d’une évaluation à brève échéance afin d’apprécier l’étendue et la nature de ses incidences. »
Les missions confiées au GIP sont en effet nombreuses et de nature très variée : gestion du 119, du recueil des bonnes pratiques des territoires via l’ONPE, de la base nationale des agréments des assistants maternels et familiaux, du fonctionnement des conseils qui lui sont rattachés, etc. Du reste, le regroupement de plusieurs instances au sein du GIP ne s’est manifestement pas toujours effectué avec simplicité : l’ancienne ministre Charlotte Caubel parle d’une démarche qui « a requis énergie et fermeté, pendant près d’un an, au regard de la résistance des acteurs ([124]) » concernant l’intégration de l’ONPE à ce groupement. Mme Florence Dabin a quant à elle évoqué le besoin de « sécuriser et rassurer l’ensemble des personnes qui travaillaient auparavant sous une autre bannière, avec des méthodes parfois différentes ([125]) ».
La construction même du GIP présente des originalités qui ne simplifient pas la compréhension de son rôle. Par exemple, le GIP est membre du CNPE et du CNA, dont le secrétariat général est assuré par le GIP. Ces deux conseils demeurent rattachés respectivement au Premier ministre et au ministre chargé de l’enfance. Le CNPE plaide d’ailleurs pour que son secrétariat général ainsi que celui du CNA soient assurés par les services du Premier ministre ([126]). Le GIP prône quant à lui, de manière plus radicale, « une simplification du paysage des instances, avec une fusion au sein du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (collège de la protection de l’enfance) ([127]) ».
Le GIP dispose de moyens insuffisants. Dès avant sa refonte en 2022, il existait déjà des tensions budgétaires entre la DGCS et l’ONPE, selon le rapport de la Cour des comptes de 2020 précité.
Évolution du budget du GIP France enfance protégée depuis 2023 (en euros)
|
2023 |
2024 |
2025 |
État |
7 076 593 |
4 915 439 |
4 915 439 |
Départements |
3 978 894 |
4 915 438 |
4 915 438 |
Ressources propres |
49 884 |
379 545 |
28 821 |
Source : GIP France Enfance protégée.
Mme Morvan-Paris, directrice générale du GIP, a fait état d’un déficit structurel du GIP de plus de 2 millions en 2025 et de marges de manœuvre financières qui se réduisent, ce qui conduira à revoir certaines dépenses, notamment en matière de personnel et de systèmes d’information. Elle indique « des difficultés à obtenir des données en matière de budget ou de ressources humaines, ainsi qu’à disposer d’une évaluation qualitative et quantitative de l’activité. Nous essayons d’y remédier pour qu’en 2025, nous soyons capables de montrer ce que nous faisons. » Mme Dabin a également mentionné des interrogations sur la participation de l’État qui demeuraient sans réponse ([128]).
La plus-value de cette nouvelle version du GIP par rapport à ce qui existait auparavant est donc incertaine. Mme Dabin l’a d’ailleurs relevé en audition : certains départements commencent à se demander à quoi sert cette structure, qu’ils financent pourtant. La rapporteure ne peut que regretter que le GIP s’apparente aujourd’hui à une coquille vide. Le pilotage de la protection de l’enfance ne s’en trouve aucunement amélioré et les synergies peinent à se construire, ce qui est dommageable, une fois de plus, pour les enfants et les professionnels qui les accompagnent quotidiennement.
b. Le Conseil national de la protection de l’enfance
Le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) a été créé par l’article premier de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Il est placé auprès du Premier ministre afin d’impulser une dynamique interministérielle sur le sujet de la protection de l’enfance, mais son secrétariat général est assuré, depuis 2022, par le GIP France Enfance protégée. Il comprend soixante-six membres, répartis en cinq collèges : institutions, collectivités et administrations ; associations d’usagers, anciens usagers ou familles ; fédérations et associations intervenant dans le champ de la prévention et de la protection de l’enfance ; membres proposés par les associations de professionnels et les organismes de formation ; personnalités qualifiées.
Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, a rappelé lors de son audition que la création de ce conseil n’allait pas de soi : « Lors de la naissance du CNPE en 2016, l’idée même d’un Conseil national était très débattue et contestée ([129]). » La Cour des comptes, dans son rapport précité de 2020, appelait à sa suppression, mais le législateur a choisi de le maintenir, témoignant de son importance dans la gouvernance de la protection de l’enfance. Le Conseil s’est d’ailleurs ouvert en 2022 à d’autres membres, en particulier grâce à la création d’un sixième collège de douze enfants, adolescents et jeunes majeurs ([130]).
Aux termes de l’article L. 147-13 du CASF, le CNPE a pour mission d’émettre des avis et de formuler toutes propositions utiles relatives à la prévention et à la protection de l’enfance. Ses missions sont détaillées dans le décret n° 2022‑1729 du 30 décembre 2022. Elles sont définies dans des termes très généraux et son champ de compétences apparaît assez large.
Les missions du CNPE selon l’article D. 147-35 du CASF
« Le Conseil national de la protection de l'enfance émet des avis et formule toutes propositions utiles relatives à la prévention et à la protection de l'enfance. À cette fin :
« 1° Il propose au Gouvernement des orientations nationales de prévention et de protection de l'enfance dans le cadre de la construction d'une stratégie nationale ;
« 2° Il assiste le Gouvernement en rendant des avis sur toutes les questions qui concernent la prévention et la protection de l'enfance et peut de sa propre initiative proposer aux pouvoirs publics, après évaluation, les mesures de nature à améliorer les interventions en protection de l'enfance ;
« 3° Il contribue à orienter les études, les travaux de prospective et d'évaluation menés dans le champ de la prévention et de la protection de l'enfance ;
« 4° Il formule des recommandations visant à promouvoir la convergence des politiques menées au niveau local en s'appuyant sur les expériences conduites au niveau territorial comme à l'étranger ;
« 5° Il formule des recommandations dans le champ de la formation initiale et continue des professionnels de la prévention et de la protection de l'enfance.
« En outre, le Conseil national de la protection de l'enfance est consulté sur les projets de texte législatif ou réglementaire portant sur la prévention et la protection des enfants ».
Le CNPE estime avoir plutôt bénéficié des apports de la loi de 2022 et des décrets afférents, « en reprenant ses missions originelles, en affirmant son indépendance (présidence autonome), en resserrant ses membres permettant ainsi un travail facilité, en améliorant la représentation des personnes concernées (création du collège dédié et du collège des enfants) et en favorisant des liens forts avec les autres conseils ([131]) ». La publication tardive des décrets d’application n’a cependant permis une première réunion du CNPE que le 23 juin 2023, soit seize mois après la publication de la loi.
Le CNPE déplore une insuffisance de moyens pour fonctionner convenablement, et ce depuis sa création. Comme évoqué supra, il souhaiterait que son secrétariat général, soit rattaché au Premier ministre et non au GIP. Le Conseil évoque une baisse de moyens liée à ce rattachement et plaide pour le maintien d’une parole indépendante par rapport au reste du GIP. Les effectifs administratifs du CNPE se composent en effet d’un cadre à mi-temps et d’un collaborateur à tiers-temps, ce qui est insuffisant et, selon les informations dont il dispose, inférieur aux dotations dont bénéficient d’autres conseils nationaux et hauts conseils ([132]).
Ce manque de moyens se double d’un manque de capacité réelle à peser sur le pilotage de la politique de protection de l’enfance. L’UNIOPSS fait observer que les avis du CNPE sur les différents textes sont essentiels mais que le Conseil « peine en parallèle à se mobiliser sur plusieurs sujets de fond nécessitant des travaux suivis ([133]) ». Mme Michèle Créoff, ancienne vice-présidente, pose également un regard particulièrement critique sur le fonctionnement du CNPE. Elle relève qu’il doit régulièrement se prononcer en urgence sur les textes dont il est saisi et que « son intégration au sein du GIP enfance protégée l’éloigne du pilotage national ministériel et renforce sa dépendance aux départements fortement représentés tant au niveau des élus que des cadres. Personnellement, [elle] n’[a] pu que constater, comme vice-présidente du CNPE de décembre 2016 à novembre 2019, la faiblesse de l’expertise juridique sur le droit de la protection de l’enfance et autres dispositifs qui devrait être apportée au conseil pour l’éclairer sur les textes à valider ainsi que sur les pratiques des départements […] ([134]) . » Elle relate également des faits surprenants, par exemple le fait que le CNPE n’ait pas été saisi pour avis sur le seuil d’âge retenu pour la définition du viol sur enfant, ce qui a conduit à une autosaisine du CNPE qu’il aurait « payé cher ([135]) ».
Si l’idée de départ du CNPE était de renforcer la dimension interministérielle de la gouvernance de la protection de l’enfance, force est de constater que son absence de moyens et le rattachement de son secrétariat général au GIP ne lui permettent pas de faire entendre sa voix.
II. L’État, premier parent défaillant de france
La décentralisation de la protection de l’enfance a fait des départements les premiers acteurs de cette politique publique. Pour autant, c’est bien à l’État que revient de définir une stratégie nationale et de garantir que les lois sont correctement appliquées. Il ne s’est cependant jamais véritablement investi sur ce sujet, alors même qu’il existe des différences de traitement inacceptables entre les enfants selon les départements.
A. Une politique déléguée aux départements sans moyens pour l’assumer
La politique de protection de l’enfance a été confiée aux départements lors des grandes lois de décentralisation des années 1980 sans que soient réunies les conditions nécessaires à la réussite de ce transfert : de moyens et de compétences suffisants. De plus, cette décentralisation s’inscrit en réalité dans une certaine continuité, puisqu’elle a transféré aux départements une compétence mais que, sur le terrain, c’est toujours la justice qui ordonne les mesures d’action éducative et les associations qui accueillent les enfants.
1. Des DDASS à l’ASE : la difficulté de rapprocher la décision du citoyen tout en maintenant une égalité de traitement
La vague de décentralisation des années 1980 visait notamment à rapprocher la décision et l’action publiques du citoyen. Le transfert de la protection de l’enfance de l’État vers les départements a été précédé de la publication de deux rapports particulièrement importants : en 1972, le rapport Dupont-Fauville, « Pour une réforme de l’aide sociale à l’enfance », et, en 1980, le rapport Bianco-Lamy déjà cité.
Ce dernier s’inscrit dans le contexte de la rationalisation des choix budgétaires (RCB). Il recommande de mieux prendre en compte l’enfant et sa famille dans cette politique publique. Il préconise également la mise en place d’un service unifié de l’enfance dans les départements, regroupant la protection maternelle et infantile, le service social polyvalent, celui de la santé scolaire, de la pédopsychiatrie, etc. Ce service avait commencé à être mis en place, mais le travail s’est interrompu avec la décentralisation.
Finalement, l’article 37 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État confie au département la responsabilité de « la protection sanitaire de la famille et de l’enfance », incluant le financement de celle-ci. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales consacre le rôle du département en tant que chef de file pour l’action sociale et médico‑sociale.
La décentralisation porte en elle une contradiction inhérente, relevée par Mme Flore Capelier, docteure en droit public, chercheuse associée au laboratoire Printemps : la volonté, d’une part, d’encourager la libre administration des collectivités, tout en garantissant d’autre part l’égalité de traitement sur le territoire national ([136]). On peut toutefois noter qu’avant la décentralisation des années 1980, la protection de l’enfance était déjà territorialisée en directions départementales et qu’il existait déjà des inégalités liées à cette territorialisation, notamment dans la prise en charge des enfants.
Une autre étape importante est la séparation des missions sanitaires et sociales. Celle-ci intervient dès la loi du 31 décembre 1970, qui recentre l’hôpital sur ses missions sanitaires, et se poursuit avec la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales. La rapporteure est convaincue que cette séparation entre sanitaire et médico-social est l’une des grandes erreurs de la décentralisation, dans la mesure où elle nuit à une vision d’ensemble des enjeux de protection de l’enfance, indissociables des enjeux de santé publique, et favorise au contraire une approche en silos, qui nuit aux enfants les plus vulnérables. Du reste, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » : il s’agit d’une approche résolument holistique de la santé qui intègre des facteurs sociaux, environnementaux ou encore psychologiques. La coordination de politiques centralisées avec d’autres qui ne le sont plus est source de graves dysfonctionnements, comme l’a souligné M. Patrick Genevaux, président de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (ANDASS) : « Le choix de ne pas décentraliser certaines compétences, notamment en matière de santé des enfants protégés en situation de handicap, va à l’encontre d’une approche globale de la vie de l’enfant et donne lieu à des discussions absurdes, pour savoir, par exemple, si l’internat d’un IME est thérapeutique ou non – car l’État paie dans un cas, le département dans l’autre ([137]). » Une telle approche souligne bien les absurdités d’une vision trop administrative et cloisonnée de la prise en charge des enfants, à rebours de la satisfaction de leurs intérêts.
2. Un transfert sans les moyens correspondants
La décentralisation des politiques de protection de l’enfance a été effectuée sans confier les moyens nécessaires au département. Cette nécessité de déléguer aux départements les moyens nécessaires mais aussi de maintenir une implication de l’État a été réaffirmée par M. Jean-Louis Bianco, l’un des deux auteurs du rapport Bianco‑Lamy, à l’occasion d’un entretien publié en 2020 : « [L’État] doit donner les moyens d'agir quand il délègue un pouvoir, et se donner aussi les moyens de contrôle et de correction des inégalités ([138]). »
Budgétairement, l’État contribue de manière résiduelle au financement de la protection de l’enfance. L’action 17 « Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables » du programme 304 regroupe l’essentiel des dépenses en la matière dans le projet de loi de finances.
Dépenses de l’État spécifiquement allouées à la protection de l’enfance au sein du programme 304 en loi de finances initiale (LFI) pour 2025
Objet du financement |
Montants alloués (en millions d’euros) |
Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance |
120 |
Prise en charge des MNA |
101,3 |
Politiques de protection de l’enfance et de soutien à la parentalité |
192,6 |
GIP « France Enfance protégée » |
4,9 |
Total |
418,8 |
Source : commission d’enquête d’après le projet annuel de performances « Solidarité, insertion et égalité des chances » (LFI 2025).
Dans le cadre de la contractualisation État-département (voir infra), des financements complémentaires sont mobilisés sur le fonds d’intervention régional (FIR) et l’objectif national de dépenses d’assurance maladie médico-social (ONDAM MS). En 2022, la contractualisation a été financée à hauteur de 133 millions d’euros sur le programme 304, de 48 millions d’euros sur le FIR et de 49,50 millions sur l’ONDAM MS ([139]).
L’article 27 de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance avait créé un fonds national de financement de la protection de l'enfance au sein de la Caisse nationale des allocations familiales, afin de compenser aux départements les charges induites par la loi et de financer des actions spécifiques relatives à la réforme de la protection de l’enfance et définies par voie conventionnelle. Les ressources de ce fonds étaient fixées par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale. La DGCS indique qu’entre 2015 et 2018, ce fonds a été entièrement alloué à la participation de l’État à la phase d’évaluation et de mise à l’abri des personnes se présentant comme MNA ([140]), puis que cette dépense a été intégrée par un décret de 2019 au budget général de l’État. Le fonds est depuis devenu sans objet étant donné, selon la DGCS, qu’il avait vocation à compenser exclusivement les actions de la loi de 2007 ([141]). Ce fonds de financement a donc été manifestement détourné de son objet initial, car fléché sur la mise à l’abri et l’évaluation des personnes se présentant comme MNA, comme cela a déjà été relevé par la Cour des comptes ou encore par le sénateur Bonne dans son rapport d’application précité.
L’absence d’investissement financier de l’État à la suite de la décentralisation est donc manifeste. M. François Sauvadet, président de Départements de France, a indiqué que l’État contribue à hauteur de 3 % seulement du financement des 10 milliards d’euros dépensés pour la protection de l’enfance chaque année ([142]), alors même que les départements sont tributaires de ressources propres totalement décorrélées de telles dépenses (voir infra).
Les enveloppes financières de l’État ont été récemment ponctionnées. Dans sa décision-cadre relative à la protection de l’enfance, la Défenseure des droits relève que les crédits de l’action 17 ne représentent que 2,2 % du total des politiques de solidarité du programme 304. En février 2024, 50 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et crédits de paiement (CP) ont été annulés sur la réserve de précaution du programme 304 ([143]). De plus, le GIP France Enfance protégée a subi une baisse de crédits de 0,6 million d’euros et la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance de 20 millions d’euros (140 millions étant budgétés au total sur cette stratégie). La DGCS souligne toutefois que « ces économies prenaient en compte d’une part le budget initial pour 2024 voté par le GIP FEP et d’autre part l’exécution 2023 de la stratégie enfance. Elles n’ont donc pas eu pour conséquence de diminuer ou d’annuler les financements prévus au titre de la protection de l’enfance ([144]). » La rapporteure dénonce vivement ces coupes budgétaires compte tenu de l’état alarmant de la protection de l’enfance.
B. Une implication inégale des départements qui conduit à une inégalité de chances et de traitement
Il existe autant de politiques de protection de l’enfance que de départements. L’investissement sur ce sujet est donc tributaire des choix politiques locaux. Il en résulte une perte de chances pour les enfants à protéger qui se trouvent dans des départements défaillants, à rebours du principe d’égalité républicaine. Force est de constater que l’actualité est émaillée de scandales sur les conditions d’accueil en protection de l’enfance dans tel ou tel département. La rapporteure rappelle que les présidents de département endossent la responsabilité pénale de cette politique, tout en ne disposant pas des moyens adéquats pour la mettre en œuvre.
1. Un dialogue difficile au sein des départements et entre les départements
Les difficultés de gouvernance et de pilotage évoquées pour le niveau national existent également dans les départements. Les instances de concertation globale sont mises en place de manière inégale et se réunissent à des fréquences disparates. Certains départements ne sont toujours pas dotés d’un schéma départemental de la protection de l’enfance (SDPE) : c’est le cas pour la Guadeloupe, qui n’en a pas depuis 2019, comme le mentionne l’Association pour la promotion des actions d’insertion (APAI) dans sa contribution écrite.
La rapporteure note particulièrement un défaut de communication récurrent entre la justice et le département, en particulier pour connaître le nombre de places disponibles, les placements effectués, ceux en attente d’exécution, etc. L’AFMJM cite un autre exemple de difficulté au sujet de la fin des mesures d’intervention décidées par le juge : « Les juges peuvent être réticents à mettre un terme à leur intervention, par crainte d’arrêter trop tôt, quand les progrès ne sont pas consolidés, et ne font pas toujours confiance au conseil départemental pour maintenir les soutiens nécessaires dans la durée […] ([145]). » Il est regrettable qu’il puisse parfois exister une relation de défiance plutôt que de confiance, faute de dialogue ; là encore, la rapporteure rappelle le poids des racines historiques de la protection de l’enfance.
L’Éducation nationale peut également être concernée par ces difficultés de gouvernance départementale. À titre d’exemple, la direction académique des services de l’éducation nationale (DASEN) de la Mayenne indique que les professionnels du service social en faveur des élèves se retrouvent « à se substituer, à compenser et à regretter le “morcellement” dans le traitement des situations au détriment d’une approche globale via les services de la direction de la protection de l’enfance ([146]) ».
Le défaut d’articulation entre les différents départements conduit aussi à créer des failles que des acteurs peu vertueux ne manquent pas d’exploiter. Certains départements, par manque de places ou faute de dispositifs adaptés, font le choix d’envoyer certains enfants dans d’autres départements. Le suivi de ces placements peut se révéler insuffisamment rigoureux, et certaines structures illégales s’implantent, avec des conditions d’accueil maltraitantes et parfois dramatiques, comme l’a récemment rappelé le procès de Châteauroux (voir infra).
2. L’application de la loi par les départements n’est pas optionnelle !
D’importantes disparités dans l’application des différentes lois de protection de l’enfance subsistent au sein des départements – parfois faute de moyens et de compétences, parfois délibérément. Il n’est pourtant pas normal que l’application des lois votées par le législateur puisse être laissée à la discrétion des autorités locales. M. Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social, l’a opportunément rappelé : « Personne n’accepterait que des décisions de justice soient variables d’un territoire à l’autre : il devrait en être de même pour la protection de l’enfance ([147]). »
À la suite de plusieurs alertes, la Défenseure des droits a révélé en audition qu’elle s’est autosaisie ([148]) de la situation de la protection de l’enfance dans douze départements : le Nord, la Somme, la Loire‑Atlantique, l’Isère, la Guadeloupe, le Pas-de-Calais, les Côtes-d’Armor, le Var, le Maine-et-Loire, l’Ille-et-Vilaine, la Sarthe et la Côte-d’Or. Ces saisines ont conduit, en janvier 2025, à la publication exceptionnelle d’une décision-cadre relative à la protection de l’enfance – témoignant bien là du caractère structurel du sujet – accompagnée de sept décisions anonymisées visant chacune un département.
La rapporteure souhaite rappeler ici les propos de Défenseure en audition, témoignant de l’urgence de la situation : « Nous constatons une forte dégradation de la situation au cours des dernières années. Nous avons été alertés, pour la première fois dans l’histoire de l’institution, par des juges des enfants sur la situation catastrophique de la protection de l’enfance dans leur département : évaluations de danger non faites ou faites dans des délais déraisonnables ; absence de rapports éducatifs en prévision des audiences ; levées de placement sans que le magistrat ne les ait décidées ni même en ait été avisé ; manque de places en foyer et d’assistants familiaux ; mesures de placement non exécutées ; actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) prises en charge dans des délais pouvant excéder six mois ; absence de référents de l’ASE. La communication semblait très défaillante entre la justice et le département ([149]). »
Au fil de leurs auditions et de leurs déplacements, les députés de la commission d’enquête ont également noté des dysfonctionnements dans plusieurs départements ; ils seront abordés dans la suite du présent rapport.
La prise en charge des MNA est un autre exemple flagrant de l’absence d’implication de certains départements en matière de protection de l’enfance. M. Daniel Goldberg, président de l’UNIOPSS, évoque ainsi « des décisions récentes de certains départements visant à suspendre la mise à l’abri de personnes se présentant comme MNA, ou à développer des offres d’accueil et d’accompagnement pour les MNA à des prix de journée réduits, fondées sur un principe erroné de semi‑autonomie ([150]) ». Il dénonce aussi l’absence d’effectivité du volet de la loi Taquet relatif à l’accompagnement des jeunes majeurs.
En matière financière, le rapport du sénateur Bonne sur l’application des lois de protection de l’enfance rappelait les chiffres déjà donnés par la Cour des comptes en 2020 : des dépenses nettes de protection de l’enfance estimées à 120 euros par habitant, « avec des écarts allant de 49 euros par habitant en collectivité de Corse à 214 euros par habitant en Seine-Saint-Denis ». Si certaines différences de situation entre territoires peuvent expliquer ces écarts – le contexte socio-démographique notamment –, elles ne suffisent pas à les justifier entièrement.
3. L’étranglement financier des départements, s’il est une réalité, ne peut justifier à lui seul certains arbitrages défavorables à la protection de l’enfance
Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur la protection de l’enfance d’octobre 2024 ([151]) résume les enjeux budgétaires auxquels sont confrontés les départements et leurs conséquences en matière de protection de l’enfance : « Dans un contexte budgétaire contraint, les départements font des arbitrages. De fortes disparités existent entre les départements, sans qu’il ne soit toujours possible d’établir si elles font ou non écho à des besoins locaux différents. »
Ces difficultés de financement conduisent en effet certains départements à des situations où ils estiment nécessaire de prioriser certains pans de la protection de l’enfance au détriment d’autres. C’est ainsi que M. Christian Poiret, président du conseil départemental du Nord, a justifié le choix de son département de privilégier le placement des plus jeunes : « L'objectif est de placer plus vite les enfants plus jeunes, ce qui se fait au détriment bien sûr des plus grand qu'on ne peut pas placer ([152]). » La rapporteure tient à rappeler que tous les enfants relevant de la protection de l’enfance doivent être protégés et que c’est un choix budgétaire des départements de le faire ou non. Dans le cas d’espèce, le choix effectué est inacceptable ; reconnaître les difficultés des départements ne signifie en aucun cas les exonérer du respect de la loi.
Plusieurs facteurs sont à prendre en compte pour expliquer les difficultés des départements à financer la protection de l’enfance.
Premièrement, les départements sont les payeurs de la protection de l’enfance, mais n’en sont que partiellement les décideurs, dans la mesure où l’essentiel des décisions de protection de l’enfance sont prises par la justice.
Ensuite, il a été évoqué la faiblesse des dépenses budgétaires de l’État pour le financement de cette politique publique. Au total, l’État prévoit une réduction de 2.2 milliards d’euros des dotations aux collectivités locales. Cette mesure apparaît à la fois injuste et disproportionnée. Les départements supportent à eux seuls 40 % de cet effort, alors même qu’ils disposent de marges de manœuvre financières extrêmement limitées ([153]).
En effet, les départements sont essentiellement tributaires des recettes issues des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour financer cette politique publique. Cette ressource, qui dépend du dynamisme du marché immobilier, n’est d’une part absolument pas en lien avec les besoins financiers de la protection de l’enfance, et d’autre part en baisse. Les recettes issues des DMTO ont chuté de 3,7 milliards d’euros en 2023 par rapport à 2022 et s’élevaient pour cette même année 2023 à 13 milliards d’euros, soit 15,8 % des recettes de fonctionnement des départements ([154]). La loi de finances pour 2025 permet cependant de relever le plafond des DMTO de 4,5 % à 5 %.
Alors que les départements ne bénéficient plus de ressources fiscales directes telles que la taxe d’habitation, la taxe foncière sur le bâti et le non-bâti, ou encore l’ancienne taxe professionnelle depuis 2021, il est pour le moins scandaleux qu’une politique de l’enfance à protéger repose sur les DMTO, dont la volatilité rend les finances départementales particulièrement vulnérables. Ce chantier de la fiscalité locale, souvent repoussé, ne pourra plus attendre une réforme de fond sur les finances publiques.
Concernant la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), un mécanisme de compensation avait été mis en place en 2021 pour accompagner le transfert aux communes de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Toutefois, les défaillances dans les précisions du ministère des finances ont été très préjudiciables aux départements, dont tout le monde s’accorde à dire que la majorité de leurs dépenses sont incompressibles. En 2023 et en 2024, Bercy a procédé à des ajustements rétroactifs, réclamant par exemple au département de la Gironde des remboursements de 24 millions d’euros en 2023 et de 36 millions en 2024, en raison d’une dynamique de la TVA inférieure aux prévisions. Pour 2025, la situation, s’aggrave encore : l’évolution de la TVA pour les départements sera artificiellement plafonnée à 0 %, indépendamment de la réalité économique et de l’inflation. Cette décision entraînera une perte de pouvoir d’achat et de ressources pour les collectivités concernées, accentuant leurs difficultés financières et remettant en cause la parole de l’État.
La rapporteure insiste aussi sur le fait que le marché immobilier est sensiblement différent selon les départements, ce qui constitue un facteur d’inégalité supplémentaire entre les enfants d’un département à l’autre. Elle souligne que les budgets des collectivités territoriales doivent être votés en équilibre réel, contrairement au budget de l’État, ce qui complexifie d’autant plus la situation financière des départements. La politique de protection de l’enfance ne consiste pas au simple versement d’une prestation sociale mais est une véritable politique de l’humain, qui mérite de disposer de la latitude nécessaire pour pouvoir effectuer des choix budgétaires engagés.
En définitive, les restrictions budgétaires, prises sans considération des contraintes structurelles des départements, posent un réel problème d’équité et de soutenabilité pour les finances locales. Combinées à une fiscalité inadaptée aux besoins de financement de la protection de l’enfance, cela revient in fine à asphyxier budgétairement les départements. Pourtant, la rapporteure rappelle que la libre administration des collectivités territoriales est un principe constitutionnel ; encore faut-il que celles-ci disposent des moyens financiers adéquats pour que ce principe soit pleinement effectif.
Les départements ont, de plus, produit des efforts budgétaires pour financer la protection de l’enfance. La décision-cadre de la Défenseure des droits rappelle que, selon les données de la DREES, les dépenses totales d’ASE ont augmenté de 61 % depuis 1998 en euros constants. Selon le rapport du CESE, « en moyenne, les dépenses nettes concernant l’ASE constituent 23 % des dépenses nettes totales d’aide sociale des départements ».
Les difficultés budgétaires ne peuvent expliquer à elles seules le manque d’investissement en protection de l’enfance. Comme l’ont rappelé plusieurs personnes auditionnées, ce ne sont pas toujours les départements les plus pauvres qui financent le moins cette politique. Ce choix de financement demeure avant tout un choix politique. M. Lyès Louffok, membre du Comité de vigilance des enfants placés et ancien enfant placé, a illustré ce fait : « Il y a trois semaines, un département a retiré 250 000 euros à son service de prévention spécialisée. Simultanément, ce même département a annoncé avoir débloqué 180 000 euros pour le passage de la flamme olympique. Je m’interroge quant à la responsabilité politique des élus qui prennent de telles décisions budgétaires ([155]). »
Au sujet des conditions de rémunération des assistants familiaux par exemple, l’UFNAFAAM a rappelé qu’il existe de forts écarts, allant de 25 % à 30 % selon les départements, de même que sur les frais annexes ([156]). Ces frais annexes comprennent les sujétions pour handicap, les frais de déplacement, les indemnités pour l’habillement et les loisirs, pour Noël, etc.
Il y a par ailleurs un enjeu de bonne gestion budgétaire, au-delà du seul volume financier alloué. L’UNIOPSS regrette que des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) soient parfois conclus sans échanges préalables avec les structures d’accueil et envoyés déjà rédigés aux organismes concernés ([157]).
Plus généralement, les problématiques financières des départements se répercutent mécaniquement sur le SAH, avec parfois des retards de paiement pour les associations et des arbitrages budgétaires tardifs, contraignant celles-ci à faire de la « cavalerie budgétaire », selon les termes employés en audition par M. Didier Tronche, président de la CNAPE, et M. Daniel Goldberg, président de l’UNIOPSS.
Le financement des mesures de protection de l’enfance
déléguées au secteur associatif
Lorsque l’exécution d’une mesure de protection de l’enfance est confiée par le département à une association ou à une autre structure, cette mesure est généralement financée par l’application d’un prix de journée.
En application de l’article L. 313-1-1 du CASF, la création, l’extension et la transformation d’un ESMS sont, sauf certaines exceptions pour les plus petites extensions ou transformations, soumises à une procédure d’appel à projets lorsque le financement relève partiellement ou intégralement de financements publics.
Depuis la loi Taquet de 2022, un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) peut être mis en place, ce qui permet à chacune des parties de disposer d’une vision pluriannuelle du budget et des objectifs retenus.
La rapporteure s’étonne que, face à ces difficultés financières, l’intégralité des crédits de l’État ne soit pas consommée. Comme cela a été mentionné, 20 millions d’euros ont été annulés en début d’année 2024 sur la Stratégie de prévention et de protection de l’enfance, le DGCS ayant indiqué qu’une telle annulation avait été effectuée en fonction du niveau de consommation observé, c’est-à-dire en fonction du niveau d’exécution 2023 de ces crédits ([158]).
C. la décentralisation ne peut pas justifier l’absence d’implication de l’État
Tous les dysfonctionnements de la protection de l’enfance ne peuvent pas être imputés aux départements. En effet, la décentralisation a légitimé le manque d’investissement de l’État, alors qu’il est aussi responsable à maints égards de cette politique publique.
1. L’État est historiquement désinvesti de la protection de l’enfance
Alors même que l’État est responsable de cette politique publique, notamment au plan international (comme en attestent les condamnations répétées de la France sur le sujet), il a toujours peiné à s’y investir. La responsabilité de l’État est clairement mentionnée, depuis la loi Taquet de 2022, à l’article L. 121-10 du CASF : « L’État assure la coordination de ses missions avec celles exercées par les collectivités territoriales, notamment les départements, en matière de protection de l'enfance et veille à leur cohérence avec les autres politiques publiques, notamment en matière de santé, d'éducation, de justice et de famille […]. Il promeut la coopération entre l'ensemble des administrations et des organismes qui participent à la protection de l'enfance. »
Sur le terrain, la rapporteure constate une implication très inégale des préfectures, voire même l’étonnement de certaines d’entre elles d’être sollicitées sur ce sujet. Cette absence d’implication se ressent particulièrement sur la politique de contrôles de l’État des structures d’accueil en protection de l’enfance, en complément de celle du département. En particulier, les effectifs consacrés à ces contrôles sont dérisoires (voir infra). M. Jean-Benoît Dujol, DGCS, a observé que « les DDETS ont parfois été surprises que l’on se tourne vers elles sur ce sujet ; nous avons dû leur rappeler qu’un certain nombre d’obligations incombaient toujours à l’État. Nous avons entrepris ce travail de réarmement modeste mais réel de l’État en termes de moyens et de compétences ([159]) ».
Plus généralement, plusieurs personnes auditionnées ont rappelé que la décentralisation a affaibli l’expertise des administrations départementales en matière de protection de l’enfance, à l’instar de l’ancien secrétaire d’État Adrien Taquet, qui a aussi souligné la faiblesse des effectifs au sein des préfectures : « Comme Michèle Créoff l’a souligné, il n’y a plus grand monde dans les préfectures pour s’occuper de la protection de l’enfance – 0,5 ETP (équivalents temps plein). Cela s’assortit d’une perte de compétences. Nous devons faire attention : on parle de recentraliser mais, dans les services de l’État, plus personne ne sait faire ([160]). »
L’État a aussi un rôle de péréquation entre les départements au vu des différences de situation socio-démographique, et ce notamment pour les outre-mer. Mme Negrit, conseillère départementale de Guadeloupe, a par exemple indiqué que les coûts de fonctionnement des établissements et services sociaux et médico‑sociaux (ESSMS) de son département étaient « deux à quatre fois supérieurs à ceux de l’hexagone, avec un prix moyen de 178 euros par jour ([161]) ».
2. Une contractualisation qui ne peut pallier l’absence de l’État
La contractualisation État-département sur le sujet de la protection de l’enfance est l’une des modalités de mise en œuvre de la Stratégie de prévention et de protection de l’enfance (SPPE) 2020-2022. Elle prend la forme de contrats entre le préfet, l’ARS et le département. Les modalités de contractualisation sont détaillées par le biais d’une instruction annuelle. D’après la décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance, 91 contrats étaient en cours en 2022.
La contractualisation permet de définir des priorités conjointes entre État et département, déclinées sous la forme d’actions, assorties d’objectifs mesurables et d’indicateurs de résultats. Un rapport annuel d’exécution doit être élaboré. Parmi les mesures pouvant être financées au titre de la circulaire du 25 avril 2023 ([162]) figurent par exemple le renforcement des CRIP, le renforcement des visites à domicile et des consultations infantiles, le renforcement de la formation des professionnels, etc.
Si elle a permis de financer un certain nombre de mesures, par exemple la construction de villages d’enfants, la portée de la contractualisation doit toutefois être relativisée.
En premier lieu, le volume financier de cette contractualisation est faible : rappelons qu’au total, 120 millions d’euros seulement sont alloués à l’ensemble de la Stratégie de prévention et de protection de l’enfance sur le programme 304.
En second lieu, cette contractualisation reste pour l’essentiel incitative et peu exigeante pour les départements. Elle avait certes l’objectif louable de permettre une meilleure application des lois sur le territoire, comme le rappelle le rapport du sénateur Bonne : « Ainsi que l’a révélé l’ancien secrétaire d’État, Adrien Taquet, la démarche de contractualisation, décidée en 2019, constituait une tentative de trouver un levier pour améliorer l’application des lois de 2007 et 2016. » Pour autant, le sénateur regrette que le bilan de cette stratégie n’ait pas encore pu être dressé. Une évaluation plus rigoureuse des engagements pris par les départements via la contractualisation devrait être menée et conditionner la reconduction du contrat, ce qui semble loin d’être le cas aujourd’hui.
Ce manque d’ambition est également illustré par la publication tardive de l’instruction relative à la contractualisation pour 2024, intervenue le 14 août 2024 ([163]). De plus, selon l’instruction pour 2023, « une évolution des modalités de la contractualisation » devait intervenir à compter de janvier 2024, ainsi que l’élargissement de la contractualisation à d’autres acteurs, notamment la justice et l’éducation nationale. En réalité, les objectifs et les modalités de mise en œuvre de la contractualisation précédente ont été reconduits par l’instruction du 14 août 2024, étant précisé que « le plan d’action peut être la simple reconduction de celui transmis en 2023 ». Il n’était pas exigé de joindre le bilan des actions engagées au nouveau projet de contrat.
Cette contractualisation manque donc d’exigence et conduirait même, selon Mme Michèle Créoff, à déresponsabiliser davantage l’État : « La contractualisation mise en œuvre dans les différentes stratégies nationales n’a pas prouvé son efficacité puisque la situation a empiré. Le retrait des administrations de l’État a permis que les projets départementaux présentés dans le cadre de ces contractualisations soient peu expertisés, présentant ainsi des effets d’aubaine sans être des leviers pour résoudre la crise d’absence de réponse adaptée ([164]). »
3. Des outils de planification et de concertation qui se multiplient, au risque de perdre en lisibilité et en efficacité
Observatoires départementaux, comités départementaux, instances de concertation tripartites ou quadripartites, groupes de travail ad hoc, schémas… les outils de concertation et de pilotage locaux s’additionnent, ce qui ne permet pas, à l’instar de l’échelon national, de bénéficier d’un pilotage local clair.
Les différents schémas locaux ne s’articulent pas toujours bien entre eux, comme le faisait déjà remarquer la Cour des comptes dans son rapport précité de 2020 : « Il existe […] plusieurs schémas et contrats au niveau départemental qui peuvent traiter de mêmes sujets et réunir les mêmes acteurs, mais avoir des chefs de file et des temporalités différents. » Il existe par exemple un schéma départemental de protection de l’enfance, un schéma départemental des services aux familles, mais aussi le schéma régional de santé de l’ARS, qui « définit l’offre de soins psychiatriques ainsi que l’offre d’accueil pour les enfants en situation de handicap, sans que les besoins évalués en protection de l’enfance soient nécessairement pris en compte », selon la Cour. La rapporteure rappelle d’ailleurs que les enfants à double vulnérabilité ne sont pas accompagnés à la hauteur de leurs besoins, en particulier compte tenu de l’absence de données ou de recherches spécifiques sur le sujet. Le retard de la France sur les problématiques relatives à l’autisme est un exemple flagrant de ce manque d’ambition pour les enfants (voir infra).
S’agissant des instances de concertation, la Défenseure des droits salue la mise en place, à titre expérimental, de dix CDPE mais relève qu’ils ne sont pas encore opérationnels « en termes d’impulsion de politiques publiques de protection de l’enfance, de coordination des acteurs, et de sens pour les professionnels de terrain ([165]) ». Un constat mitigé sur les ODPE avait été posé par l’IGAS dès 2020 ([166]), relevant que leur fonctionnement ne correspondait pas toujours à celui qui avait été prévu par la loi, par exemple en ce qui concerne les acteurs impliqués, la fréquence des réunions ou leur champ d’action.
La généralisation des instances quadripartites réunissant PJJ, département, parquet et magistrat coordonnateur du tribunal pour enfants était prônée par la Stratégie nationale de protection de l’enfance. Selon la DPJJ, ces instances se systématisent : seules quatre directions territoriales de la PJJ n’étaient pas impliquées dans une telle structure, dont trois œuvrant pour qu’elle soit mise en place à brève échéance. Elles se réunissent en moyenne 1,7 fois par an, fréquence en baisse par rapport à 2022 (2,5 fois par an), avec des disparités importantes ([167]).
4. Le travail en silos conduit au désinvestissement et au renvoi de responsabilité permanent entre les différentes parties prenantes
Le cloisonnement constaté n’est pas nouveau : dès les années 1980, le rapport Bianco-Lamy évoquait la « compétition des pouvoirs » pour qualifier les rapports entretenus par les différents acteurs de la protection de l’enfance. Mme Flore Capelier évoque de son côté une « dilution des responsabilités ([168]) ».
Dans ces conditions, il est difficile pour le département d’animer cette politique publique. Que peut faire le département lorsque le suivi médical des enfants ne peut pas être réalisé faute de professionnels de santé disponibles ? Lorsqu’il peine à recruter des travailleurs sociaux faute d’attractivité de ces métiers et de revalorisation de leur rémunération ? Lorsque l’école n’arrive pas à détecter à temps les enfants qui pourraient faire l’objet d’une mesure de prévention ?
Le manque de moyens explique pour partie cet état de fait : la Conférence nationale des procureurs de la République rappelle que la mobilisation des parquets dans la lutte contre les violences intrafamiliales n’a été possible que grâce au « recrutement, dans chaque juridiction, de chargés de mission dédiés à cette politique publique prioritaire ([169]) » et qu’un véritable investissement dans la protection de l’enfance nécessiterait aussi des renforcements en moyens humains.
Le manque de culture commune et de formation renforcée autour de ces enjeux est également flagrant alors qu’il s’agit d’une obligation légale :
– l’article L. 542-1 du code de l’éducation prévoit pour un ensemble de personnels « une formation initiale et continue, en partie commune aux différentes professions et institutions, dans le domaine de la protection de l’enfance en danger » ;
– l’article L. 226-3-1 du CASF charge les ODPE de réaliser un bilan annuel des formations continues délivrées par le département à ce titre et d’élaborer un programme pluriannuel des besoins en formation. Mme Muriel Eglin, vice‑présidente de l’AFMJF, a suggéré que des formations communes, dispensées par les ODPE, « soient reconnues au titre de la formation continue des magistrats et qu’elles comptent ainsi dans les jours de formation obligatoire ([170]) ».
La rapporteure souligne l’importance que ces formations incluent des modules cliniques sur les troubles du neuro-développement de l’enfant, sur les mille premiers jours, sur les recherches en neurosciences et en épidémiologie, sur les « adverse childhood events », etc.
L’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (ANDASS) pose cependant, dans un récent manifeste, la question de la focalisation du débat public sur des questions qui lui semblent en réalité secondaires, « celles du Meccano institutionnel (qui doit exercer la compétence et comment se coordonner) ainsi qu[e] celles des moyens dévolus […] ». Sans les occulter, l’association souligne la nécessité de se pencher sur la conception même de cette politique publique, dans la mesure où l’on aurait confié à l’ASE un nombre de missions considérable, « bien au-delà de la lutte contre les maltraitances », et que celle-ci « dispose d’outils qui sont inadaptés pour répondre à la diversité des objectifs qui lui sont assignés ([171]) ».
III. Une politique publique qui avance à l’aveugle faute de données et de prise en compte de la recherche
Tant la recherche que la production de statistiques relatives à la protection de l’enfance sont insuffisamment développées. Cela n’est pas étranger à l’indifférence de l’État envers cette politique publique. Pourtant, une meilleure connaissance permettrait de mieux anticiper les besoins et de lutter contre la saturation et l’inadaptation du système actuel.
A. Une recherche insuffisante et insuffisamment prise en compte
La recherche sur les sujets de la protection de l’enfance est encore peu développée en France. Mais elle est aussi insuffisamment utilisée et valorisée par les pouvoirs publics dans le processus décisionnel.
1. Quelques travaux de recherche existent en protection de l’enfance
Les dernières années ont vu progresser les connaissances autour de la protection de l’enfance, notamment dans le domaine des neurosciences. De plus, plusieurs travaux ont porté sur les tout-petits. À titre d’exemple :
– des travaux ont été menés en 2019-2020 autour des mille premiers jours de l’enfant ([172]), par une commission de dix-huit experts autour de M. Boris Cyrulnik ;
– le programme PEGASE ([173]), pour « Protocole de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l’âge de cinq ans d’une mesure de protection de l’enfance », a vocation à garantir une prise en charge d’un parcours de soins des jeunes enfants protégés. Il se fonde sur les travaux de l’Association Saint-Exupéry pour la recherche en protection de l’enfance. Une cohorte témoin ESPER (« Étude de cohorte prospective des enfants protégés ») de 800 enfants a été lancée en 2023 qui, selon la professeure Céline Greco, cheffe du service de médecine de la douleur et palliative de l’hôpital Necker-Enfants malades, présidente de l’association Im’pactes, « sera une énorme chance de pouvoir obtenir des données fiables sur la santé des enfants confiés et sur l’efficacité des programmes de prise en charge précoce ([174]) ».
Un autre travail remarquable de recherche de ces dernières années est l’étude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes après un placement (ELAP). Elle analyse les conditions de vie, de préparation et d’accès à l’autonomie des jeunes placés à l’ASE et leur devenir après le placement. Elle s’est déroulée entre 2013 et 2019. Des questionnaires ont d’abord été adressés à 1 600 jeunes entre dix-sept et vingt ans dans sept départements ([175]). Des entretiens plus poussés ont été réalisés auprès de 107 jeunes parmi ceux-ci, puis une seconde vague d’entretiens a eu lieu avec 68 d’entre eux. L’étude ELAP a donné lieu à plusieurs travaux de recherche et a même inspiré une autre étude longitudinale sur le devenir des jeunes placés au Québec et en France ([176]).
L’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE), créé en 2004, dispose aussi d’un rôle concernant la recherche sur la protection de l’enfance : il assure les missions de « centre national de ressources et de promotion de la recherche et de l’évaluation », aux termes de l’article L. 147-14 du CASF. Il finance des projets de recherche à hauteur de 100 000 euros par an, ce qui est bien trop faible par rapport aux budgets consacrés à la recherche dans d’autres pays. Les travaux de la rapporteure ont d’ailleurs largement été irrigués par la recherche internationale. Le Dr Martin-Blachais évoque une production de l’ONPE « de près de 100 publications et plus de 70 fiches techniques de pratiques et dispositifs probants ([177]) ». Lors de son audition, Mme Florence Dabin, présidente du GIP, a indiqué qu’il était porté une attention spécifique à ce que les travaux de l’ONPE soient bien en lien avec les besoins des territoires. Elle a cité l’exemple de données relatives à la lutte contre la prostitution, qui ont permis de nourrir les cellules mises en place dans les départements ([178]). L’ONPE décerne également un prix de thèse.
D’autres institutions ou organismes soutiennent également des travaux de recherche en protection de l’enfance : PJJ, Défenseur des droits, prix de recherche du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert, etc. Les départements soutiennent eux aussi des initiatives, Mme Flore Capelier ayant souligné le cas de la Ville de Paris qui a passé des conventions industrielles de formation par la recherche (CIFRE) sur ces sujets. L’ONPE accueille également deux thèses CIFRE ([179]).
Plus généralement, Mme Capelier a rappelé que ces travaux de recherche se développent mais que certaines disciplines sont encore peu explorées, notamment l’économie ou la sociologie des organisations. Elle a évoqué en audition une centaine de thèses existant sur la protection de l’enfance, mais dont les résultats demeurent largement méconnus ([180]).
2. Ces travaux demeurent insuffisants et insuffisamment utilisés
La recherche en protection de l’enfance n’est encore pas suffisante. Mme Céline Greco a rappelé lors de son audition que l’on parvient aujourd’hui à dénombrer le nombre de femmes tuées chaque jour, ou de victimes d’accidents de la route, mais que les chiffres pour les enfants ne sont pas connus car les données et la recherche manquent. Surtout, la recherche n’irrigue pas encore assez les pratiques professionnelles et les décisions publiques.
La France ne parle pas le même langage que les autres pays s’agissant de cette recherche, ce qui la prive des retours de ces derniers ou de collaborations transnationales. Cela a été particulièrement souligné par Mme Greco, qui rappelle que la France ne raisonne pas en termes d’Adverse Childhood Events (ACE) s’agissant des violences faites aux enfants et ne mène pas d’études de cohorte sur leur prévalence. Cela exclut de fait notre pays d’un certain nombre de congrès internationaux sur le sujet des maltraitances et des violences faites aux enfants. Mme Greco souligne que « sans normes communes, nous ne pouvons pas mettre en place les mêmes recherches, ni comparer nos résultats. Le point de départ est donc le développement de la recherche pour obtenir des chiffres fiables et éviter des estimations imprécises qui diluent la réalité du problème ([181]). » Elle souligne également, dans sa contribution écrite, la faiblesse du nombre d’études de cohorte en protection de l’enfance, mise en évidence par le Dr Daniel Rousseau, fondateur du programme PEGASE.
L’interpénétration entre théorie et pratique est pourtant fondamentale pour faire progresser les connaissances et les pratiques. On manque ainsi cruellement de recherche-action ([182]). La Cour des comptes rappelait dans son rapport de 2020 sur la protection de l’enfance qu’au Québec, toutes les structures chargées de mettre en œuvre la politique de protection de l’enfance sont adossées à un centre de recherche ou à une université.
Plus généralement, il y a une difficulté à s’emparer des recherches pour irriguer les pratiques et les décisions publiques. Le travail n’est cependant pas aisé, comme l’a souligné la professeure Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn : « Il manque une articulation entre la médecine et les sciences humaines pour pouvoir conceptualiser un certain nombre de ces études. […] En France, les travailleurs sociaux ne sont certes pas assez informés, mais personne ne leur dit non plus qu’ils sont capables de mener des recherches. Par comparaison avec la Belgique ou la Suisse, pays avec lesquels nous avons beaucoup travaillé, nous ne sommes pas suffisamment collaboratifs pour conduire ce type d’études ([183]). » L’ANDASS établit un constat similaire dans son manifeste précité, soulignant que la politique de prévention des situations de danger pâtit du manque de données et de la place insuffisante accordée à la recherche, mais aussi de la difficulté à ce que les apports de la recherche nourrissent les pratiques des professionnels. Cet enjeu de transfert de connaissances vers les pratiques et la prise de décision a été beaucoup travaillé par Mme Capelier.
La rapporteure indique que, malgré les connaissances scientifiques et cliniques reconnues à l’international, la France a pris du retard et n’a pas encore intégré suffisamment ces données dans ses pratiques. Elle propose la création d’un conseil scientifique placé auprès du ministre chargé de l’enfance (voir, infra, recommandation n° 6). Elle recommande également de renforcer les moyens de la recherche en France en protection de l’enfance, dont ceux de l’ONPE. Le conseil scientifique et l’ONPE devront travailler et mener des travaux de recherche en coopération étroite avec les organismes de recherche à l’international.
L’Institut du cerveau de l’enfant a récemment été inauguré à Paris. C’est un espoir pour les familles et les enfants en matière de connaissance scientifique partagée, qui permettra de bénéficier des apports des meilleurs experts mondiaux en la matière. Il peut être rappelé qu’un enfant sur six souffre aujourd’hui d’un trouble du neuro‑développement en France ([184]).
Cette approche intégrée de la recherche permettra de répondre aux multiples défis auxquels sont confrontés les enfants d’aujourd’hui en protection de l’enfance et, plus globalement, l’enfance en France. Au total, la rapporteure souligne la nécessité d’un travail sur les enjeux de protection de l’enfance qui doit être fait en lien étroit avec les milieux hospitalier et les universitaires.
Le Québec est aussi un exemple intéressant sur le sujet. Il dispose de deux instituts universitaires dans le domaine de la protection de la jeunesse: l’Institut universitaire Jeunes en difficulté (IUJD) et le Centre de recherche sur les jeunes et leur famille (CRUJEF), qui « nourrissent les réflexions des instances politiques et de pratique », selon Mme Lesley Hill, directrice nationale de la protection de la jeunesse ([185]). Mme Hill précise de plus que « l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) joue également un rôle crucial de production de connaissances ». La rapporteure souligne à cet instant que, comme de nombreuses personnalités auditionnées, elle a régulièrement cité l’exemple du Québec durant la commission d’enquête pour donner des exemples de bonnes pratiques sur certaines actions, en particulier concernant la prévention, la prise en charge des besoins en santé de l’enfant, l’approche clinique de cette politique publique ou encore la prise en charge coordonnée des enjeux sanitaires et sociaux. Cela ne signifie pas pour autant que le Québec dispose d’un modèle de protection de l’enfant exempt de toute imperfection.
Recommandation n° 3 : Développer la recherche en santé publique sur les enfants protégés en lien avec les universités scientifiques et à l’international.
Les moyens de l’ONPE sont insuffisants : Mme Capelier, ancienne directrice de cet observatoire, indique que le budget soutient « trois à quatre projets par an, sur une durée souvent relativement courte et avec des co-financements. Ces financements ne permettent pas par ailleurs de soutenir des post-doctorants alors même que la France a besoin de chercheurs qui se spécialisent en la matière ([186]). » Elle souligne que l’éclatement des financements induit un risque de « saupoudrage », alors même qu’il est nécessaire d’impulser une dynamique cohérente pour irriguer les politiques publiques. Mme Greco rappelle quant à elle qu’« avec 10 fois plus d’enfants et 10 à 20 fois moins de budget recherche, la recherche sur la maltraitance infantile est 100 fois moins dotée que la recherche sur l’autisme ([187]) ».
B. Un manque criant de données sur la protection de l’enfance
Comment prévoir combien de structures d’accueil en protection de l’enfance construire si nous ne savons pas combien d’enfants en auront besoin dans les prochaines années ? Comment accompagner au mieux ces enfants si nous ne disposons pas de données consolidées sur les motifs de placement et leur durée ? Le manque de données quantitatives et qualitatives est un frein évident à la construction d’une stratégie de long terme en protection de l’enfance.
1. Les principales données statistiques émanent de la DREES et des observatoires de la protection de l’enfance
Au niveau national, c’est la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([188]) qui publie les statistiques de référence en protection de l’enfance et assure la collecte de données afférentes. Il existe principalement trois enquêtes sur le sujet.
Premièrement, une enquête annuelle, qui correspond au volet « bénéficiaires de l’ASE, dépenses sociales et personnel de l’action sociale et médico-sociale » de l’enquête « aide sociale des départements » ([189]). Elle permet de recueillir des informations sur les bénéficiaires de l’ASE, les personnels concernés et les dépenses des départements. Elle trouve ses racines dans l’article 25 de la loi du 7 février 1983, qui oblige les collectivités à élaborer et transmettre à l’État les statistiques liées à l’exercice des compétences transférées. La DREES travaille à des améliorations cette enquête sur deux plans :
– augmenter la fréquence de sa publication : la DREES envisage de publier, à l’été 2025, des données provisoires ;
– en attendant la montée en charge du dispositif Olinpe (voir infra), des données complémentaires sont désormais collectées dans le cadre de cette enquête, en particulier le nombre de bénéficiaires en attente de l’exécution d’une action éducative ou d’une mesure de placement, ou encore la nature des dangers et des risques de danger repérés dans les informations préoccupantes.
Deuxièmement, la DREES publie une enquête quadriennale, baptisée « Enquête auprès des établissements et services de la protection de l’enfance » (ES‑PE) ([190]). Cette enquête existe dans son format actuel depuis 2017 ([191]). Elle est réalisée auprès des établissements de l’ASE et de la PJJ. Elle récolte des données sur l’activité de ces établissements, leur personnel et le profil des enfants accueillis. La dernière collecte d’informations a été réalisée en 2022 et les premiers résultats correspondants ont été publiés en juillet 2024. La rapporteure regrette que cette enquête ne puisse être établie à échéance plus régulière.
Troisièmement, la DREES a repris à sa charge depuis 2022 le dispositif Olinpe – pour « Observation longitudinale individuelle et nationale en protection de l’enfance ». La DREES décrit celui-ci comme visant « à recueillir des données administratives individuelles issues des systèmes d’information des collectivités permettant de décrire les parcours des enfants protégés par l’intermédiaire des mesures mises en œuvre ». Il doit notamment intégrer des éléments sur les décisions, mesures et interventions de l’ASE ainsi que sur les éléments de danger auxquels les enfants sont exposés ou encore sur le cadre de vie sociale et familiale des enfants concernés. Le dispositif Olinpe sera détaillé infra.
En raison du contexte budgétaire, l’enquête ES-PE devra être reportée d’un an : le poste de chargé d’études et d’enquête consacré à celle-ci a été fermé fin 2024 et ne sera rouvert qu’en septembre de la même année. Le poste de chargé d’études relatif aux dépenses départementales (pour l’enquête aide sociale) est quant à lui vacant depuis janvier 2025.
La rapporteure remarque que les deux enquêtes les plus anciennes de la DREES sur la protection de l’enfance (bénéficiaires et ES-PE) trouvent leurs racines dans la politique de décentralisation. Celle-ci ne peut donc pas expliquer – ou, en tout cas, pas à elle seule – l’insuffisance de données statistiques en protection de l’enfance.
Mme Isabelle Frechon, sociologue et démographe, chargée de recherche du CNRS au laboratoire Printemps, note des difficultés d’accès aux données disponibles pour la recherche, relevant que « les résultats de l’enquête ES-PE, par exemple, ne sont disponibles que sur le Centre d’accès sécurisé aux données (CASD), dont l’accès est payant, y compris pour les chercheurs ! Ces quelques données vont [lui] coûter pas moins de 3 000 euros alors qu’elles devraient être mises à disposition des laboratoires de recherche ([192]). » La rapporteure ne peut que soutenir une telle préconisation.
Recommandation n° 4 : Faciliter l’accès des laboratoires de recherche aux bases de données de la DREES.
b. Le rôle de l’ONPE et des ODPE
Outre la DREES, l’ONPE et les ODPE jouent également un rôle important en matière de statistiques :
– l’ONPE, déchargé du dispositif Olinpe depuis que celui-ci a été transféré à la DREES en 2022, a néanmoins conservé une mission générale de contribuer « au recueil et à l'analyse des données et des études concernant la protection de l'enfance, en provenance de l’État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des fondations et des associations œuvrant en ce domaine ([193]) » ;
– dans chaque département, un ODPE est chargé « de recueillir, d'examiner et d'analyser les données relatives à l'enfance en danger dans le département ([194]) ».
La rapporteure observe que la France est, une fois de plus, très en retard sur l’élaboration de statistiques en protection de l’enfance. Elle rappelle que l’absence de données et d’enquête sur ce sujet a des répercussions majeures sur l’efficacité des politiques publiques, avec de lourdes conséquences sur les plans social, économique et sanitaire. Contrairement à d’autres pays qui disposent de bases de données et d’études sur le suivi des enfants protégés, la France fonctionne sans vision d’ensemble, alors que c’est précisément une telle vision globale qui permettrait de pallier les graves manquements des politiques publiques.
2. Olinpe, un outil prometteur mais qui tarde à faire ses preuves
Le dispositif Olinpe trouve ses racines dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et a commencé à être mis en œuvre en 2012. Il a été instauré pour répondre au déficit de connaissances en matière de protection de l’enfance en permettant de conduire une étude longitudinale sur les enfants placés, à partir des données administratives des départements. Concrètement, il s’agit de pouvoir extraire des données déjà saisies par les départements dans leurs systèmes d’information (SI).
La gestion du dispositif Olinpe a été transférée de l’ONPE à la DREES par l’article 36 de la loi Taquet ([195]), comme le recommandaient les rapports de la Cour des comptes et de l’IGAS de 2020. Ces derniers relevaient notamment des difficultés sur la remontée des données par les départements, ainsi que sur leur qualité et leur exploitation. La DREES apparaissait comme un pilote plus approprié dans la mesure où son cœur de métier est de produire des statistiques, notamment issues de données départementales. Ce changement devait aussi favoriser le croisement des données de protection de l’enfance avec celles issues de politiques publiques connexes.
Or le dispositif Olinpe monte progressivement en puissance mais n’est toujours pas en mesure de produire des résultats, près de vingt ans après sa création.
Les moyens humains alloués à Olinpe sont insuffisants. La DREES a créé un pôle « Protection de l’enfance » au sein du bureau « Collectivités locales » de la sous‑direction « Observation de la solidarité » le 1er septembre 2023. Alors que ce bureau suit l’ensemble des travaux menés sur cette thématique – et non uniquement ceux sur le dispositif Olinpe – il se compose de trois personnes seulement. La direction souligne que « de septembre 2021 à l’été 2023, un seul ETP était en charge d’organiser la reprise, puis de piloter le dispositif Olinpe à compter du 1er janvier 2023 ». En complément un data scientist avait été recruté spécifiquement sur Olinpe pour un an.
En 2024, le budget prévisionnel alloué à Olinpe était de 3 500 euros. Il devait notamment permettre de financer une dizaine de déplacements dans des départements. Seuls 500 euros ont finalement été consommés, le nombre de déplacements ayant été réduits ou, pour certains, pris en charge par les collectivités d’accueil.
En 2025, 500 000 euros avaient initialement été pré-budgétés, afin de financer les évolutions logicielles induites par les travaux de rationalisation effectués sur Olinpe et de cadrage sur la labellisation des logiciels. La DREES indique cependant qu’elle a été confrontée à d’importantes restrictions budgétaires. Le projet de rationalisation d’Olinpe a dès lors été intégré aux travaux d’urbanisation des SI des départements menés conjointement par la DGCS, la DNS et la DREES (voir infra), « induisant un potentiel financement des évolutions logicielles et de la procédure de labellisation par ce biais ». C’est finalement un budget de 53 500 euros qui a été alloué spécifiquement à Olinpe, finançant pour l’essentiel une prestation de cadrage de la procédure de labellisation.
Malgré des progrès récents et l’implication de la DREES, les données transmises sont lacunaires et ne correspondent pas à ce que l’État devrait produire en termes de volume et de qualité de données et d’analyses : ici encore, la rapporteure observe des manquements majeurs concernant la politique de protection de l’enfance.
Pour la première collecte Olinpe conduite par la DREES en 2023-2024, trente collectivités avaient transmis des données début juin 2024, ce qui correspondait à la meilleure collecte annuelle jamais réalisée. Dans le cadre de la collecte 2024 concernant les données 2023 et antérieures, la DREES relève que quarante-cinq départements ont déjà transmis leurs données et que treize se sont engagés à le faire d’ici la date limite de collecte, fixée au 31 mars 2025. Selon la DREES, cela permettra, « pour la première fois cette année, de réaliser des analyses de parcours en protection de l’enfance au niveau national ». Par contre, seuls vingt-huit départements ont transmis les données d’identification.
« Lorsque les collectivités sont interrogées sur les difficultés rencontrées dans le cadre de la saisie des données Olinpe, plus de 80 % des collectivités répondantes déclarent manquer de temps. Près de deux tiers indiquent une indisponibilité ou une difficulté à accéder aux informations demandées et plus de 40 % indiquent un sentiment de ne pas faire son métier ou encore disposer d’un outil informatique trop complexe. Enfin, 32 % indiquent des réticences à saisir l’information dans les systèmes d’information », souligne la DREES. Les enjeux de formation aux logiciels demeurent donc majeurs. De plus, les outils informatiques induisent des enjeux de paramétrage. À ce jour, chaque département demeure libre d’utiliser le logiciel de gestion qu’il souhaite. Cela implique autant de dialogues et de paramétrages différents selon l’éditeur de logiciel, qu’il faut adapter tant aux besoins locaux de gestion qu’aux besoins nationaux de remontée de données.
Un travail de rationalisation de la collecte des données est actuellement mené par la DREES avec les départements. Il devrait déboucher en 2026. Cela doit permettre à la fois d’améliorer la qualité des données recueillies et de revoir le périmètre de collecte.
Au premier semestre 2023, la direction a pris contact avec les départements afin de cerner les enjeux de la refonte du dispositif Olinpe. Un questionnaire leur a été ensuite diffusé, auquel 60 % d’entre eux ont répondu. Des ateliers de travail thématiques ont été mis en place. Des pistes d’évolution intéressantes ont émergé, telles que :
– la collecte d’informations supplémentaires, par exemple sur la fratrie, les changements de lieux d’accueil, les informations préoccupantes (IP), la distinction entre les jeunes se présentant MNA et ceux reconnus MNA ou encore la collecte de dates supplémentaires afin de pouvoir disposer de calculs fiabilisés des délais de mise en œuvre des mesures de protection de l’enfance ;
– à l’inverse, la suppression de la collecte de certaines données qui seront récupérées via l’appariement avec les bases de données d’autres ministères.
La DREES a aussi mis en place des comités utilisateurs pour les départements utilisateurs d’un même logiciel, ainsi qu’un projet de tutorat. Une application de data visualisation est en cours de conception pour permettre aux départements de disposer aisément du fruit des données transmises.
Ces travaux permettent de disposer de nouveaux éléments d’analyse. Le travail conduit dans le cadre des ateliers a par exemple permis de définir une nomenclature commune portant sur les mesures et les lieux d’accueil. Un important travail est également mené sur les IP, afin de bâtir des référentiels, en lien avec les travaux déjà menés par l’ONPE et le SNATED sur ce sujet (recueil des informations sur la nature du danger, l’origine de l’IP, les suites qui y sont données, etc.).
Si la rapporteure mesure les progrès accomplis depuis la reprise du dispositif Olinpe par la DREES, elle s’inquiète des délais qui pourraient encore être nécessaires pour livrer de premières analyses exhaustives. Plusieurs acteurs auditionnés ont fait part de craintes similaires et appellent à réaliser des études statistiques basées sur un échantillon de départements volontaires, pour pouvoir disposer de données plus rapidement ([196]).
3. Les modalités des remontées statistiques réalisées par les départements souffrent d’un manque de structuration par l’État
Olinpe pâtit de la difficulté des départements à fournir les données nécessaires à l’élaboration de statistiques. L’État devrait assumer un pilotage plus fort en la matière.
Selon la décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance, la Banque des territoires constate la « sous‑numérisation des outils métiers des départements et la dispersion des données de suivi, ce qui constitue “une faiblesse pour piloter cette politique publique de manière efficace” ». À l’inverse, Départements de France affirme qu’on ne « peut pas parler d’invisibilité statistique, les données sont remontées à la DREES par la totalité des départements. En revanche, le secteur manque d’analyse qualitative des parcours et de process d’évaluation de cette politique publique tant en prévention qu’en protection ([197]). » La rapporteure s’étonne de ce constat : si elle est en accord avec le second point, il est clair à ses yeux que nous sommes aujourd’hui dans une invisibilité statistique.
Les facteurs expliquant la difficulté à agréger des statistiques dans le cadre d’Olinpe ont déjà commencé à être abordés supra. Le choix des logiciels de gestion et l’interopérabilité de ceux-ci sont des enjeux de premier plan.
La DREES travaille à une procédure de labellisation des logiciels au regard des attendus du décret de protection de l’enfance dans le cadre d’Olinpe, « en vue d’améliorer la qualité des données extraites des logiciels et donc des analyses à venir ([198]) ». Cette procédure pourrait entrer en vigueur en fin d’année 2025, sous réserve de moyens – dont on a vu que la DREES manque cruellement. Dans tous les cas, une telle procédure de labellisation est purement indicative.
Départements de France ne soutient pas la mise en place d’un logiciel unique commun à tous les départements : cela serait, de son avis, source de coûts et de difficultés supplémentaires ([199]). La DREES indique également que l’ensemble des chantiers menés sur Olinpe et sur les SI des départements « ont conduit à rejeter tout scénario impliquant le recours à un système d’information unique se fondant sur une seule solution logicielle ([200]) ».
Taux d’utilisation des principaux logiciels de gestion de l’ASE
par les départements
Logiciel |
Taux d’utilisation |
Solis |
39 % |
Iodas |
36 % |
Solution interne |
11 % |
Genesis |
6 % |
Implicit |
3 % |
Autre logiciel |
5 % |
Source : commission d’enquête, d’après les données fournies par la DREES pour 2023.
La DGCS et la délégation au numérique en santé (DNS) avaient mandaté le cabinet Mazars pour mener une étude sur les SI départementaux et leur interopérabilité, la DREES étant associée à cette démarche. Il existe un fort enjeu à cet égard, afin qu’au niveau local les différents SI – par exemple, ceux de l’ASE, des ESMS et des maisons départementales des personnes handicapées – puissent communiquer entre eux. La DGCS, la DNS et la DREES poursuivent ces travaux relatifs à l’urbanisation des systèmes d’information.
De plus, ces logiciels sont onéreux et ne permettent pas toujours de produire des résultats satisfaisants. Une enquête du journal Le Monde ([201]) pointant des difficultés relationnelles des départements avec les éditeurs. Cet article relève aussi que Inetum, qui vend le logiciel, un des leaders sur le marché, est par ailleurs « contrôlé par le fonds américain Bain Capital par l’intermédiaire d’une cascade de filiales dans les paradis fiscaux (Luxembourg, Guernesey, Delaware) ». Toujours selon cet article, ces logiciels sont par ailleurs souvent facturés à des prix élevés aux départements, avec une facture nationale « qui dépasse probablement les 50 millions d’euros par an ».
M. Fabrice Lenglart, directeur de la DREES, l’a souligné : « Les prestataires de services se montrent très exigeants, même pour des évolutions qui ne représentent que l’application de la réglementation en vigueur. Il est impératif de trouver, avec les départements, un modèle économique ou une gouvernance des systèmes d’information qui nous permette d’obtenir de ces prestataires et éditeurs de logiciels un niveau de service beaucoup plus élevé qu’actuellement, à des conditions économiques plus avantageuses. Actuellement, les départements n’obtiennent pas un retour sur investissement satisfaisant. Je ne les blâme pour cette situation, mais plutôt de la faute des éditeurs de logiciels ([202]). »
Mme Julie Labarthe, sous-directrice de l’observation de la solidarité à la DREES, a rappelé qu’il n’existait pas de volonté politique de disposer d’un SI unique : « À l’heure actuelle, il n’existe pas de volonté politique d’instaurer un système d’information national unique. La priorité est donnée à la liberté de choix des logiciels. Les choses pourraient évoluer, mais pour l’instant, nous en sommes là ([203]). » La rapporteure estime que cette volonté politique doit être impulsée : elle plaide pour la mise en place, par l’État, d’un système d’information unique et obligatoire pour tous les départements. La labellisation des logiciels, non contraignante, ne suffira pas à répondre aux difficultés constatées : il y aura toujours autant de négociations à mener, d’évolutions à paramétrer, de problèmes différents à résoudre, que d’éditeurs de logiciels. La situation n’a que trop duré : il revient désormais à l’État de proposer une solution rapide pour faciliter la saisie et la remontée des données par les départements et les associations.
La rapporteure souhaite que ce logiciel unique soit déployé en lien avec l’accélération du développement d’un data hub de l’enfance protégée, tel que proposé par la Banque des territoires dans son rapport sur la protection de l’enfance ([204]).
Vers la création d’un data hub de l’enfance protégée :
une préconisation judicieuse du rapport de la Banque des territoires
En complément du déploiement d’Olinpe et des travaux en cours sur l’urbanisation des SI départementaux, le rapport de la Banque des territoires sur la protection de l’enfance préconise d’« étudier à terme la faisabilité de la création d’un datahub de l’enfance protégée ».
Le rapport souligne la nécessité de renforcer l’intérêt des outils informatiques pour les utilisateurs. Il cite l’exemple de l’Australie, où la mise en place d’une plateforme internet par l’État de Victoria, contenant des informations sécurisées sur l’enfant protégé accessibles aux professionnels habilités, a permis de mieux identifier et comprendre les besoins de l’enfant et d’y apporter des réponses plus adéquates. Cette plateforme a permis, selon le rapport, « de réduire considérablement le nombre d’enfants entrant chaque année dans le système de protection de l’enfance par une augmentation des mesures de prévention ».
La Banque des territoires, le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), la CNAPE et La Manufacture travaillent au déploiement de telles solutions numériques. 2 millions d’euros ont été alloués pour soutenir des démonstrateurs dans le cadre de France 2030. Le but est de parvenir à développer une application « compagnon » avec une triple interface :
– l’une destinée à l’enfant ou au jeune majeur, lui donnant accès à l’ensemble de ses documents et à un suivi de son parcours ;
– l’une destinée aux professionnels qui suivent l’enfant ou le jeune ;
– l’une permettant d’extraire les données de l’application pour nourrir les outils d’aide au pilotage de la politique publique de protection de l’enfance, dont Olinpe.
Plus encore, la rapporteure souhaite que, dans le cadre de la refonte globale de la politique de recueil et d’exploitation des données relatives à la protection de l’enfance, l’État, garant de l’égalité républicaine pour tous les enfants protégés, produise une base de données véritablement opérationnelle. Celle-ci devra notamment permettre de cartographier les besoins afin d’accompagner au mieux les familles et les enfants à protéger.
Recommandation n° 5 : Imposer un éditeur de logiciel unique et obligatoire de gestion de l’ASE pour tous les départements. Celui-ci devra être déployé en lien avec la création, à terme, d’un data hub de la protection de l’enfance, sur le modèle de ce qui est proposé par la Banque des territoires. Les départements, les associations et les différents services de l’État (dont la justice, l’éducation nationale et les ARS) devront avoir accès à cet outil unique et partagé. Celui-ci devra permettre de connaître en temps réel la situation des enfants et les places disponibles sur l’ensemble du territoire.
Une autre difficulté réside dans l’appropriation des outils de saisie par les travailleurs sociaux et les personnels du département. Il est nécessaire que ces outils fassent la démonstration de leur utilité pour emporter l’adhésion. La saisie des données demande du temps. Il convient également de ne pas multiplier les canaux de recueil d’informations, au risque de conduire à une perte de sens en raison de l’absence d’utilisation des données saisies. La DREES souligne que « La collecte des données nécessite la mise en œuvre d’une chaîne impliquant communication, pédagogie et travail collaboratif. Cela nécessite également une impulsion hiérarchique, des moyens humains et financiers, ainsi que l’allocation d’un temps dédié à la formation à la saisie, à la saisie, au contrôle et à l’extraction des données ([205]). »
4. Des progrès conséquents à effectuer sur l’appariement des bases de données
Pour disposer d’un panel complet de données relatives à la protection de l’enfance permettant de nourrir les politiques publiques élaborées en la matière, il est indispensable de renforcer l’appariement des bases de données existantes dans les différents ministères : enfance, justice, éducation nationale, santé, etc.
La DREES, avec la reprise du dispositif Olinpe, travaille à l’amélioration de cet appariement. Parmi les efforts fournis en ce sens, la direction a indiqué travailler avec :
– la mission MNA (MMNA) de la DPJJ, afin de comparer leurs statistiques sur les MNA et d’envisager un accès à la base de données de la cellule. Elle travaille plus généralement avec la DPJJ pour permettre un appariement des données avec celles issues de son logiciel Parcours ;
– le service statistique ministériel de la justice, pour réaliser des appariements permettant d’enrichir Olinpe avec des informations provenant des décisions judiciaires ;
– le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), afin d’avoir des informations sur les victimes prises en charge par l’ASE ;
– le service statistique ministériel de l’éducation nationale (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance – DEPP), pour intégrer des données administratives relatives à la scolarité des enfants ;
– la direction de l’animation de la recherche et des études statistiques (DARES) du ministère du travail, afin d’envisager un appariement avec les données statistiques issues des bases « Force » et « Midas », ce qui permettrait de disposer d’éléments sur l’insertion professionnelle des sortants de l’ASE ;
– le service statistique ministériel de l’enseignement et de la recherche – sous-direction des systèmes d’information et études statistiques (SIES) –, avec lequel un contact a été pris pour étudier un appariement avec les données relatives à l’enseignement supérieur.
Cependant, ces différents appariements ne sont pas encore opérationnels. La Banque des territoires relève que « l’interopérabilité technique des systèmes d’information entre institutions au niveau local et national […] demeure une cible lointaine que la DGCS ambitionne d’adresser via les travaux conduits sur l’urbanisation des systèmes d’information de l’enfance ([206]) ». Cela implique que chaque ministère soit véritablement engagé sur la politique publique de protection de l’enfance et sur la structuration des données qui s’y rapporte, ce qui est loin d’être la règle.
La Conférence nationale des procureurs de la République relève par exemple la faiblesse des outils statistiques de suivi à l’usage des parquets, qui ne disposent « ni de logiciels dédiés, ni d’outils d’enregistrement et de suivi des mesures, pour disposer de statistiques locales, autres que celles qui pourraient être faites manuellement », soulignant qu’il serait souhaitable d’intégrer dans les données du parquet les chiffres de l’assistance éducative, non pris en compte aujourd’hui ([207]). La DPJJ travaille au déploiement de son logiciel Parcours (qui recense l’ensemble des informations relatives aux jeunes suivis par la PJJ), mais indique que « son implémentation demandera plusieurs années et implique une refonte des dispositifs de remontée des données. Là encore, nous sommes dépendants des crédits qui nous sont alloués ([208]). »
Enfin, lorsque les données agrégées et les analyses correspondantes seront disponibles, il est indispensable qu’elles soient partagées avec tous. À cet égard, la rapporteure rappelle à nouveau l’importance d’un échange fluide des données entre justice et départements.
IV. Rénover la gouvernance de la protection de l’enfance pour clarifier les responsabilités de chacun
Les défaillances dans la gouvernance de la protection de l’enfance tiennent pour beaucoup à un fonctionnement en silos et de court terme, où l’État n’assume pas son rôle de coordination et d’impulsion stratégiques. La ministre Catherine Vautrin a indiqué, en audition, vouloir engager « une véritable refondation de la politique de protection de l’enfance ([209]) ». Le président de Départements de France, M. François Sauvadet, a quant à lui approuvé en audition la proposition de la rapporteure de mettre en place un « socle commun » garanti par l’État et a souligné la nécessité de « restaurer un climat de confiance » entre les différents acteurs ([210]).
A. La recentralisation n’est pas le remède miracle aux dysfonctionnements actuels
L’opportunité de recentraliser la protection de l’enfance est souvent évoquée lorsque sont abordés les enjeux de gouvernance de la protection de l’enfance. À l’instar de très nombreux acteurs auditionnés, la rapporteure ne pense pas que la recentralisation puisse guérir tous les maux de l’ASE : comme cela a été démontré plus haut, le désengagement historique de l’État et bien antérieur à la décentralisation. Il faut désormais que l’État reprenne les responsabilités qui lui incombent sur cette politique, aux côtés des départements et des associations.
L’État n’était pas nécessairement plus engagé sur cette politique publique avant la décentralisation. Il existait aussi des fonctionnements cloisonnés, relevés par le rapport Bianco-Lamy, qui date de 1980 : « La centralisation et les difficultés de coordination entravent la circulation de l’information entre services, ou entre niveaux d’action des services : la PMI reste souvent à l’écart, le contact entre le département et les circonscriptions, se fait mal. Les décisions peuvent, dès lors, être prises dans l’isolement, ce qui rejaillit sur leur qualité ([211]). » Du reste, un certain nombre de défaillances constatées proviennent de défaillances des politiques centralisées de l’État (justice, éducation nationale, santé, etc.). Et peu nombreux sont ceux qui regrettent les DDASS.
Par ailleurs, les compétences nécessaires ont disparu des services de l’État, ce qui fait de la recentralisation une question théorique selon Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, qui ajoute que « l’État n’a pas actuellement la capacité organisationnelle pour conduire cette politique publique, indépendamment des questions de financement ([212]) ». La recentralisation est un processus extrêmement lourd, qui conduirait à détricoter tout ce qui a été construit par les départements pendant des dizaines d’années sur cette politique publique, comme l’a rappelé M. Hervé Laud (SOS Villages d’Enfants) : « En réalité, pour ceux d’entre nous qui œuvrent dans la protection de l’enfance depuis longtemps, nous avons constaté qu’il a fallu au moins quarante ans pour que les départements montent en compétences […] Si demain nous revenons en arrière, il faudra encore trente ans pour que [l’État] les acquière à nouveau, et nous ne nous en sortirons pas ([213]) ». Désorganiser subitement ce système risquerait de se faire au détriment de nombreux enfants, qui subiraient les errements inhérents à un changement d’organisation d’une politique publique en crise.
Il y a par ailleurs un intérêt à pouvoir adapter la politique de protection de l’enfance aux spécificités des territoires. La Défenseure des droits soutient, outre le fait que la recentralisation ne garantirait pas la fin des défaillances constatées, qu’il « lui apparaît indispensable de mieux ajuster les politiques publiques au plus près des personnes qui en ont besoin ([214]) ».
M. Éric Woerth, ancien ministre, ancien président de la commission des finances, député de l’Oise, a quant à lui étudié la question dans son rapport « Décentralisation : Le temps de la confiance ([215]) », remis au Président de la République en mai 2024. Il y étudie deux pistes pour faire évoluer la gouvernance de la protection de l’enfance : la recentralisation d’une part, et, d’autre part, l’intégration de cette politique publique au sein d’un établissement public local, le « service départemental des solidarités », dont l’esprit se rapprocherait du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) et qui serait présidé par le président du conseil départemental. Il couvrirait l’ensemble des dépenses sociales obligatoires des départements : protection de l’enfance, autonomie, insertion.
Concernant le budget alloué à ce nouvel établissement public, le rapport Woerth propose que les dépenses afférentes aient un caractère obligatoire et non fongible avec le reste des dépenses du département, ce qui permettrait de les sanctuariser. S’agissant des recettes, elles proviendraient au moins pour moitié de financements étatiques, sous la forme d’une dotation budgétaire. Le reste du budget serait financé par le département, qui disposerait de ressources révisées. Répondant notamment au problème de la décorrélation entre évolution des DMTO et des dépenses de protection de l’enfance, ce modèle de financement rénové propose, à budget constant, de flécher à l’endroit des départements une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG), ainsi que de la contribution solidarité autonomie (CSA) et de la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (CASA). En échange, les départements ne percevraient plus les DMTO et la fraction de divers autres produits fiscaux alloués serait réduite ou supprimée. Une nouvelle dotation de solidarité serait créée.
Plutôt que de recentraliser l’ASE ou de créer un nouvel établissement public, la rapporteure préfère renforcer le rôle de l’État et des départements sur cette politique publique, tout comme celui des associations : tous doivent participer activement à la réforme de la protection de l’enfance. Pour autant, cela n’empêche pas de poursuivre les réflexions et le dialogue autour d’autres pistes d’évolution.
B. renforcer le rôle de l’État en protection de l’enfance en y allouant les moyens nécessaires
L’État doit enfin prendre toute sa place dans le pilotage de la politique publique de prévention et de protection de l’enfance.
1. La nécessité d’une stratégie intergouvernementale qui implique toutes les politiques publiques concernées
Il faut sortir de l’impensé de la politique publique de protection de l’enfance. La protection de l’enfance n’est jamais mentionnée dans les intitulés ministériels. L’enfance en général est trop souvent invisibilisée au sein des gouvernements successifs et sans budget dédié, obligeant les secrétaires d’État ou les ministres délégués qui en ont hérité à devoir se battre, souvent sans succès, pour arracher de petites avancées sur l’ASE. À l’inverse, comme l’a souligné M. Sébastien Vincini, président du département de la Haute-Garonne, « on ne se demande pas s’il faut un ministère de la santé ou de l’éducation nationale ([216]) ».
La rapporteure rappelle qu’il n’y a plus eu de ministre de plein exercice chargé de l’enfance depuis 2017, mais seulement des ministres délégués et des secrétaires d’État, trop souvent nommés en réaction à l’actualité ou à la pression des réseaux associatifs nationaux. Les feuilles de route et autres stratégies mises en place ne sont pas suivies d’effets et ne disposent pas des moyens budgétaires nécessaires. Le poids des ministres délégués ou secrétaires d’État chargés de la protection de l’enfance demeure largement insuffisant pour peser dans les arbitrages interministériels et sur les différents services de l’État concernés. Au total, trop d’années ont ainsi été perdues, alors même que les milliers d’enfants et de familles concernés par la protection de l’enfance se débattent au milieu d’une crise d’ampleur et systémique.
Il est urgent d’identifier un interlocuteur clair et disposant de réelles capacités d’action. La désignation d’un ministre chargé de l’enfance, au même titre qu’il existe un ministre de l’éducation nationale, de la justice ou encore de la santé, permettra de consacrer – enfin – l’importance de cette politique publique. Une volonté politique forte demeurera en outre indispensable pour que l’enfance devienne une véritable politique régalienne.
Renforcer la place de la protection de l’enfance au sein du Gouvernement implique de disposer des compétences et des moyens nécessaires pour agir. Cela passe en premier lieu par la création d’un conseil scientifique, placé auprès du ministre de l’enfance. Les politiques de protection de l’enfance sont encore conçues sans prendre suffisamment en considération les enjeux cliniques qui s’y rattachent, ni les apports de la recherche. Ce conseil permettrait de porter auprès du Gouvernement une approche holistique du développement de l’enfant et d’appréhender la politique de protection de l’enfance sous un angle scientifique, afin d’assurer aux générations futures un avenir plus juste et plus protecteur. Il devra particulièrement être chargé de veiller aux besoins fondamentaux des enfants en matière de santé publique.
Ce conseil scientifique se composerait d’experts de la protection de l’enfance, nommés par voie réglementaire. Il serait systématiquement consulté, en complément du CNPE, sur toutes les questions ayant trait à cette politique publique. Il pourrait s’autosaisir et rendre ses délibérations publiques. Comme indiqué supra, ce conseil scientifique devra mener ses travaux en lien avec les hôpitaux et les universités, ainsi qu’avec les instances de recherche à l’international, en particulier pour tenir compte de l’avancée des connaissances relatives à la santé, au développement et aux besoins des enfants.
À titre de comparaison, au Québec, où la protection de l’enfance est une mission de l’État, les directeurs de la protection de la jeunesse (DPJ), responsables de la protection de l’enfance dans chaque région disposent d’un rôle clinique majeur ([217]). Les DPJ relèvent d’ailleurs d’un Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux.
Recommandation n° 6 : Nommer un ministre de plein exercice chargé de l’enfance et lui adjoindre le concours d’un conseil scientifique.
Dès la fin des travaux de la commission d’enquête, la rapporteure demande qu’un comité de pilotage soit nommé et qu’il soit chargé de relancer immédiatement une stratégie interministérielle sur la protection de l’enfance. Le comité de pilotage sera composé de représentants de l’État, des départements et des associations. Il devra assurer le suivi et l’évaluation de la stratégie mise en place, en veillant particulièrement à la mise en place d’une gouvernance claire, d’une coordination intersectorielle forte et des moyens adaptés.
La stratégie devra être définie pour une durée de cinq ans renouvelable. Une telle stratégie pourra ensuite être consacrée par voie législative (voir, infra, la proposition de création d’une loi de programmation pluriannuelle sur l’enfance). Elle devra se nourrir des stratégies gouvernementales non suivies d’effet, des rapports et des propositions récemment publiés sur le sujet, dont ceux de la commission d’enquête, mais aussi du plan Marshall de la protection de l’enfance, du rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) et du CNPE sur l’insertion sociale et professionnelle des jeunes majeurs de l’ASE et du Livre blanc du travail social. Elle devra s’inscrire dans une dimension régalienne : une promesse républicaine doit être faite aux enfants, afin que la France devienne enfin un pays attractif et inspirant pour sa jeunesse.
Cette stratégie devra irriguer plus largement une pensée systémique au sein de l’ensemble des ministères concernés, accompagnée de la connaissance issue des travaux de recherche et d’une analyse en droit comparé des législations et des écosystèmes des pays les plus avancés en la matière. Les ministères de la justice, de l’éducation nationale, de la santé ou encore de l’intérieur doivent, lors de chacune de leurs initiatives, s’interroger sur les conséquences de celles-ci sur les enfants suivis en protection de l’enfance. L’exemple récent du débat autour d’un projet de décret qui autoriserait l’usage du plastique dans les cantines scolaires montre le manque d’approche transversale sur ce sujet en France et l’absence de prise en compte des travaux scientifiques, alors que 40% des enfants exposés aux perturbateurs endocriniens ont des retards de développement et que les perturbateurs endocriniens génèrent c’est 22 milliards d’euros annuels de coûts sociaux dans le pays, selon la professeure Linda Cambon ([218]).
La rapporteure, tout comme certains acteurs du secteur, à l’instar du CNPE, appellent ainsi à « prioriser les besoins et des droits des enfants dans toutes les politiques régaliennes, au sein de chaque ministère et dans une démarche interministérielle d’investissement humain, social et financier ([219]) ».
Recommandation n° 7 : Créer immédiatement un comité de pilotage composé de représentants de l’État, des départements et des associations, chargé de relancer immédiatement une stratégie interministérielle de protection de l’enfance et d’en assurer le suivi et l’évaluation. Cette stratégie devra reprendre les recommandations de la présente commission d’enquête et les derniers rapports publiés en la matière, notamment celles du « plan Marshall pour la protection de l’enfance », du CNPE, du rapport du COJ et du CNPE sur l’insertion des jeunes majeurs et du Livre blanc du travail social. Ce comité de pilotage travaillera en lien avec le conseil scientifique, particulièrement concernant les besoins fondamentaux des enfants en santé.
Le renforcement de la place de la protection de l’enfance au niveau gouvernemental et dans les arbitrages interministériels ne pourra se faire sans un renforcement des moyens des services ministériels dédiés. La rapporteure estime que l’existence d’un unique bureau de la protection de l’enfance au sein d’une sous‑direction de la DGCS est insuffisante et témoigne de l’impensé de la politique de l’enfance en France. Ces services pâtissent en outre d’un manque de formation aux enjeux de cette politique publique. Compte tenu de ces moyens bien trop maigres, la rapporteure appelle à renforcer considérablement les effectifs de la sous-direction Enfance et famille de la DGCS, en particulier ceux consacrés spécifiquement à la protection de l’enfance.
En parallèle, il convient également de renforcer les moyens alloués à la DREES pour la production et l’analyse de statistiques, sans quoi le dispositif Olinpe risque de ne pas voir le jour dans des délais raisonnables.
Recommandation n° 8 : Renforcer considérablement les moyens humains et financiers :
– de la sous-direction Enfance et famille de la DGCS, et plus spécifiquement du bureau Protection de l’enfance et de l’adolescence ;
– des équipes de la DREES chargées de la production et de l’analyse des statistiques relatives à la protection de l’enfance.
2. La question de la réparation due aux enfants de l’ASE victimes de maltraitances
Dans plusieurs pays, des commissions de réparation ont été mises en œuvre. Le Conseil de l’Europe a voté une résolution sur la maltraitance des enfants dans les institutions en Europe, en janvier 2024 en ce sens ([220]).
Extrait de le résolution 2533 (2024) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
« L’Assemblée appelle […] l’ensemble des États membres :
« 7.1. à dresser un état des lieux des violences commises en institutions publiques, privées ou religieuses sur des enfants afin d’établir les conditions permettant de libérer la parole des victimes (y compris lorsqu’elles sont devenues adultes) dans un contexte empreint de respect et d’humanité ;
« 7.2. à analyser les circonstances propices à ces actes de maltraitance: placement dans des institutions publiques, privées ou religieuses, mauvais soins, placement des enfants chez des personnes privées, séparation des enfants de leurs parents considérés comme «incompétents», adoptions forcées, etc. ;
« 7.3. à reconnaître les souffrances subies et à assurer une prise en charge complète des séquelles et conséquences de toutes natures (physiques, émotionnelles, sociales, etc.) ;
« 7.4. à présenter des excuses officielles et formelles aux victimes d’hier et d’aujourd’hui ;
« 7.5. à poursuivre et à sanctionner les auteurs de ces actes en justice sans délai de prescription ;
« 7.6. à encourager et à soutenir les institutions s’occupant d’enfants et gérées par des acteurs non étatiques ayant des activités sur le territoire national afin qu’elles assument leurs responsabilités et s’assurent que leurs réponses permettent aussi la réparation intégrale des préjudices liés à toutes les violences commises sur des enfants ;
« 7.7. à assurer un dédommagement approprié et adéquat des victimes ayant subi une forme quelconque de violence physique, sexuelle ou psychologique, quel que soit leur âge, pour compenser et réparer les préjudices subis et leurs conséquences futures, sans limitation de temps par rapport à la date de perpétration des faits, et de façon proportionnée à la gravité des préjudices subis ;
« 7.8. à soutenir la création de lieux de mémoire sur la maltraitance institutionnelle qui mettent en exergue les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe – droits humains, démocratie et État de droit – afin d’éduquer les générations futures sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la protection de son bien-être ;
« 7.9. à s’engager dans un travail de fond de prévention, d’information, de surveillance des institutions et de toutes les configurations de placement d’enfants afin d’atténuer les risques et de pouvoir réagir rapidement en cas de maltraitance. »
Des initiatives similaires ont vu le jour dans plusieurs États. En Suisse par exemple, l’État a adopté en 2017 une loi prévoyant notamment le versement d’une contribution de solidarité aux victimes et a formulé des excuses pour des violences commises envers des enfants ([221]). Des initiatives similaires ont été prises dans d’autres États, notamment en Irlande, au Canada, en Allemagne ou encore en Australie (voir encadré ci-après). Dans ces pays, des commissions qui ont mené leurs travaux durant plusieurs années ont permis de reconnaître officiellement les souffrances des enfants victimes de violences dans les institutions.
La rapporteure demande à l’État de se conformer à cet avis du Conseil de l’Europe et apporte son soutien au Comité de vigilance des enfants placés, qui souhaite qu’une commission de réparation soit mise en place.
Les différentes commissions de réparation à l’étranger
Outre la Suisse, d’autres pays ont mis en place des commissions de réparation
En Australie, la Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse (2013-2017) a été créée pour enquêter sur les abus sexuels commis sur des enfants dans un cadre institutionnel, ce qui inclut la protection de l’enfance. Plus de 42 000 appels, 25 000 courriers et e-mails et 8 000 témoignages ont été recueillis. Pour ceux qui le souhaitaient, ces témoignages ont été publiés dans un livre commémoratif. Le rappport final a recensé 189 recommandations. Cette commission a également donné lieu à la création du National Redress Scheme en 2018, un programme de soutien pour les victimes d’abus qui comporte un volet indemnitaire. Jusqu’en 2028. Ces indemnités, appelées redress payments, sont établies au cas par cas.
En Irlande, la Commission to Inquire into Child Abuse (1999-2009) a enquêté sur toutes les formes d’abus faits aux enfants dans les institutions, de nombreux établissements religieux étant notamment visés. En parallèle, un fonds d’indemnisation a été créé pour les victimes dès 2002, le Redress Board, actif de 2002 à 2005. La lenteur des suites judiciaires données aux révélations de la commission ainsi que les modalités d’indemnisation des victimes sont cependant contestées ([222]).
D’autres commissions similaires ont été créées dans d’autres pays, par exemple au Canada (Commission de vérité et de réconciliation pour les enfants autochtones), au Royaume-Uni (Independent Inquiry into Child Sexual Abuse), Allemagne (Commission indépendante sur les abus sexuels faits aux enfants).
En France, la rapporteure déplore que les 82 recommandations de la première CIIVISE aient été dans leur grande majorité dépourvue d’effets, hormis la mise en place d’une campagne de communication contre l’inceste et l’adoption de la loi qu’elle a défendue, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales ([223]). Elle demande à ce que toutes les recommandations de la CIVIISE soient mises en œuvre dans un cadre pluriannuel et ce dès le budget pour 2026. C’est un engagement important que d’avoir dit aux enfants que l’on croyait à leur parole : il faut donc le tenir. Rappelons ici que les enfants peuvent rentrer à l’ASE en ayant été victimes d’inceste ; pourtant, durant des années, ils n’ont pas été accompagnés à la hauteur de leurs besoins en santé sur cette question.
Recommandation n° 9 : Comme cela a déjà été fait dans de nombreux pays, dont la Suisse, créer une commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitance dans les institutions. Elle mettrait notamment en œuvre les préconisations formulées par le Conseil de l’Europe à l’attention des États membres dans sa résolution de 2024 sur le sujet.
3. Renforcer le rôle du préfet pour contrôler les manquements des départements et coordonner les acteurs au niveau local aux côtés du département
L’ancien secrétaire d’État Adrien Taquet ou encore le Comité de vigilance des enfants placés ont rappelé le rôle du préfet en matière de contrôle de légalité des actes administratifs des départements, regrettant qu’il ne soit pas toujours assuré. Les refus de prise en charge des MNA ou la poursuite de l’accueil de mineurs ou jeunes majeurs dans des structures non autorisées sont autant d’exemples d’illégalités manifestes qui doivent être sanctionnées.
Le préfet doit donc pleinement exercer ce contrôle de légalité, en contrôlant les décisions départementales relatives à l’ASE et en déférant au tribunal administratif celles qui sont illégales ([224]). Son rôle en matière de contrôle des structures d’accueil en protection de l’enfance doit également être renforcé (voir infra).
Il doit aussi faire usage, le cas échéant, de son pouvoir de substitution mentionné à l’article L. 313-16 du CASF. Celui-ci dispose qu’en cas de carence du président du conseil départemental, le préfet de département peut lui-même suspendre ou faire cesser l’activité d’une structure d’accueil en protection de l’enfance « lorsque la santé, la sécurité, ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ou accompagnées sont menacés ou compromis ».
Pour rappel, l’article 40 du code de procédure pénale impose à « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit » d’en avertir le procureur de la République.
En outre, le rapport de M. Éric Woerth sur la décentralisation précité propose un mécanisme de mandatement d’office des dépenses par le préfet en cas de sous-investissement manifeste du département sur la protection de l’enfance. Après une première procédure amiable, le préfet indiquerait les mesures à prendre au département, puis, si celles-ci ne sont pas prises, « le représentant de l’État pourrait prononcer par arrêté la substitution de l’État à la collectivité défaillante sur le service public en cause, pour une période définie. L’arrêté fixerait les objectifs à atteindre en termes de qualité de service public ([225]). » Dans le même ordre d’idées, l’AFMJF évoque la piste d’« une inscription d’office par le préfet au budget du département lorsque l’inexécution procède d’un sous-investissement », relevant toutefois que la preuve de la carence, ainsi que le calcul du montant à prescrire et les modalités d’exécution de la décision ne sont pas aisés à définir ([226]).
Dans tous les cas, l’exercice effectif de ces contrôles par les préfectures ne pourra pas se faire sans moyens dédiés et spécifiquement formés aux enjeux de la protection de l’enfance. Cela nécessitera une mobilisation et un investissement conséquents, alors que l’État ne dispose plus des compétences suffisantes sur cette politique publique.
Par ailleurs, l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel avait instauré des délégués départementaux à la protection de l’enfance, sur le modèle des délégués départementaux aux droits des femmes. Dans un premier temps, dix postes ont été budgétés. Huit délégués étaient en poste au 1er décembre 2024, un poste était en cours de recrutement dans le Pas-de-Calais et le dernier recrutement, dans le Cher, était gelé ([227]). Plusieurs acteurs du secteur appellent à généraliser ces délégués. La ministre Catherine Vautrin, lors de son audition, a indiqué souhaiter que chaque préfecture dispose d’un référent ASE.
La rapporteure considère qu’une généralisation de ces délégués ne pourra être bénéfique qu’à la condition, une fois de plus, de réarmer les préfectures, départementales avec du personnel compétent et formé sur le sujet.
Au regard des inégalités territoriales dans de nombreux domaines relevant des services de l’État et de la perte de compétences de ceux-ci sur les enjeux de l’enfance protégée, il est nécessaire de mobiliser le préfet de région, aux côtés des préfets de département, afin de garantir une meilleure coordination de l’ensemble de l’écosystème de la protection de l’enfance. Cela concerne particulièrement les enjeux de santé, de handicap, de justice, d’éducation nationale, d’insertion, de formation professionnelle ou supérieure et d’accompagnement vers l’autonomie des jeunes adultes. Il convient notamment de veiller à une meilleure coordination entre les ARS et leurs délégations départementales en matière de protection de l’enfance, en lien avec le département. En effet, cette déconcentration des services conduit parfois à des difficultés pour disposer de relais d’actions opérationnels au niveau départemental.
L’État, au niveau national comme en région et au niveau départemental, devra être pleinement impliqué pour garantir le succès des réformes sur la protection de l’enfance devant être menées d’ici à 2027.
Recommandation n° 10 : En cas de manquements manifestes du département sur ses missions en matière de protection de l’enfance, renforcer l’action du préfet de département :
– systématiser le contrôle de légalité des décisions relatives à la protection de l’enfance et déférer celles qui sont illégales au tribunal administratif ;
– étudier un mécanisme de mandatement d’office des dépenses de protection de l’enfance par le préfet en cas de sous-investissement manifeste.
Recommandation n° 11 : Généraliser les délégués départementaux à la protection de l’enfance, en réarmant les préfectures en personnel expert en protection de l’enfance.
Recommandation n° 12 : Améliorer la coordination entre les ARS et leurs délégations départementales en matière de protection de l’enfance, en lien avec le préfet de département.
C. La nécessité d’une vision pluriannuelle sur cette politique publique
Les départements ont besoin de visibilité pour mener à bien leur mission de service public de l’ASE. Adopter une trajectoire pluriannuelle permettra de sortir d’une logique de gestion de crise, ainsi que de penser les coûts afférents dans une logique d’investissement pour l’avenir plutôt que de dépenses palliatives.
1. Élaborer une loi de programmation pluriannuelle pour la protection de l’enfance
À l’instar de la loi de programmation militaire ou de la loi de programmation pour la recherche, il est nécessaire de disposer d’une vision de long terme en protection de l’enfance. Les politiques publiques en la matière ont trop souvent pâti des changements de gouvernement ou encore de la succession ou de l’empilement de différents plans et stratégies. Disposer d’un cap clair, fixé par le Parlement, ne peut être que bénéfique. Cela engagera aussi l’État.
C’est pourquoi la rapporteure souhaite que soit élaborée une loi de programmation pluriannuelle pour la protection de l’enfance.
Cette logique vertueuse de planification pluriannuelle devra rejaillir sur l’ensemble des outils de planification de la protection de l’enfance : schémas départementaux, contractualisation, CPOM…
La réalisation de l’étude d’impact du projet de loi de programmation devra associer étroitement le conseil scientifique proposé supra, afin de bénéficier d’une vision clinique des conséquences de la loi sur les enfants protégés. Cette loi devra déterminer des éléments de programmation à un horizon de dix ans et être révisée tous les cinq ans, ce qui permettra de tenir compte des avancées scientifiques et de la recherche sur l’enfance et particulièrement sur l’enfance protégée.
Recommandation n° 13 : Élaborer une loi de programmation pluriannuelle quinquennale relative à la protection de l’enfance.
2. Généraliser la logique pluriannuelle aux enjeux financiers
Considérant les difficultés budgétaires dont ont fait part les départements que la commission d’enquête a entendus ou visités, la rapporteure appelle à la création d’un fonds pluriannuel pour la protection de l’enfance, en s’inspirant du fonds mis en place par la loi de 2007. De la même manière que pour l’élaboration de la loi de programmation pluriannuelle, le chiffrage du montant à y allouer devra être réalisé avec l’appui du conseil scientifique. Il devra être sanctuarisé et ne pas être fongible avec les autres financements étatiques alloués aux collectivités territoriales ou à d’autres politiques publiques.
Il est nécessaire de mobiliser de nouvelles ressources financières pour alimenter ce fonds, afin de soutenir les départements dans leur mission essentielle de protection de l’enfance. Seraient notamment affectées à ce fonds :
– une contribution de la branche Famille de la sécurité sociale, qui dispose d’un excédent budgétaire. En effet, la branche Famille (CNAF) est un acteur clé du soutien aux familles et de la prévention des vulnérabilités. Son rôle se verrait ainsi renforcé en matière de protection de l’enfance, via une augmentation de sa contribution aux politiques départementales y afférent, en particulier pour financer l’accompagnement des enfants et le soutien aux familles en difficulté ;
– une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG). À l’instar de la contribution de la CSG au financement de l’autonomie (via la CNSA), une fraction de cette ressource serait affectée à la protection de l’enfance. Dans l’esprit de la proposition n° 17 du rapport Woerth précité, qui suggère de « reconfigurer le schéma de financement du département grâce à une dotation de solidarité finançant les compétences sociales obligatoires, une nouvelle fiscalité locale avec pouvoir de taux et une fraction de CSG », une dotation de solidarité au titre des compétences sociales obligatoires des départements serait créée. La recette est estimée à 1,8 milliard d’euros pour 2025, pour 0,10 point de CSG. Pour rappel, les dépenses d’ASE (hors personnel) étaient de 9,7 milliards d’euros en 2023 pour les départements.
Cette approche permettrait d’assurer un financement pérenne et équitable des missions de protection de l’enfance, indépendamment des ressources propres des départements. Cela garantirait aussi une certaine péréquation financière entre les départements. Tout comme la loi de programmation pour l’enfance, ce fonds devrait être abondé dans une logique pluriannuelle, à un horizon de dix ans.
Le rapport du CESE mentionne également l’idée d’un tel fonds. La Défenseure des droits relève qu’il s’agit d’une piste évoquée par le Comité des droits de l’enfant dans ses recommandations adressées à la France en juin 2023.
Recommandation n° 14 : Créer un fonds pluriannuel pour le financement de la protection de l’enfance. Les crédits budgétaires alimentant ce fonds ne devront pas être fongibles avec ceux alloués à d’autres politiques publiques. Ce fonds sera financé par une contribution de la branche Famille de la sécurité sociale et par une fraction de la CSG.
Plus généralement, l’État ne doit plus pouvoir prendre de mesure en protection de l’enfance sans penser la compensation budgétaire afférente des charges induites pour les collectivités.
Plus généralement, les financements alloués à la protection de l’enfance devront désormais être pensés dans une logique pluriannuelle. La rapporteure rappelle aussi que toute nouvelle compétence ou dépense mise à la charge des départements par la loi doit être financièrement compensée.
La contractualisation État-département pourrait, à ce titre, s’inscrire dans une logique pluriannuelle. Cette contractualisation doit également faire l’objet d’une véritable évaluation s’agissant des engagements respectifs de l’ensemble des parties prenantes – État, départements, ARS. Aujourd’hui, outre le montant très faible alloué à la contractualisation, la mise en œuvre de celle‑ci n’est pas suffisamment évaluée, ce qui ne permet d’en garantir ni la qualité ni l’efficience.
Recommandation n° 15 : Augmenter le budget alloué à la contractualisation, l’inscrire dans une logique pluriannuelle et renforcer son évaluation.
La rapporteure souhaite également relayer la voix de plusieurs représentants du secteur associatif, qui souhaiteraient un recours accru aux CPOM dans le cadre de la délégation de l’exécution des mesures d’ASE. Le CPOM permet en effet d’appliquer une logique pluriannuelle. La Défenseure des droits s’est également fait le relais de cette demande dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance. Elle doit permettre que chacune des parties, département comme associations, assume pleinement ses responsabilités.
L’opportunité de rendre les CPOM obligatoires et non plus facultatifs doit également être étudiée.
Recommandation n° 16 : Accroître le recours aux contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) pour la délégation de l’exécution des mesures de protection de l’enfance aux associations. À terme, rendre le recours aux CPOM obligatoire.
D. Renforcer le dialogue et la coordination
L’amélioration de la gouvernance sera rendue possible par un renforcement des outils de dialogue et de coordination, en associant mieux l’ensemble des parties prenantes.
1. Renforcer et harmoniser les outils de gouvernance au niveau local
De nombreuses voix plaident pour la généralisation des comités départementaux pour la protection de l’enfance (CDPE) et ce avant même la fin de leur expérimentation, prévue pour 2027.
Les comités départementaux pour la protection de l’enfance
Les CDPE ont été créés à titre expérimental par la loi Taquet de 2022. Réuni au moins une fois par an, il doit assurer « la coordination des politiques publiques mises en œuvre dans le département en matière de protection de l'enfance ». Le CDPE est coprésidé par le président du conseil départemental et le préfet de département. Il se compose de représentants :
– des services du département (protection de l’enfance, PMI, handicap) ;
– des services de l’État (dont ceux de la PJJ, de l’éducation nationale et de l’ARS) ;
– du procureur de la République et du président du tribunal judiciaire ;
– des organismes débiteurs des prestations familiales (caisses d’allocations familiales, mutualité sociale agricole) ;
– des professionnels de la protection de l’enfance et des gestionnaires des établissements et services de l’ASE.
Le CDPE peut, en cas de besoin, se réunir en formation restreinte pour examiner des situations individuelles complexes ou pour répondre à un grave dysfonctionnement.
Dix départements sont engagés dans l’expérimentation : les Bouches-du-Rhône, le Cher, la Drôme, l’Eure-et-Loir, le Loiret, le Maine-et-Loire, le Nord, le Pas‑de‑Calais, les Pyrénées-Atlantiques et la Somme.
Un bilan de cette expérimentation doit être effectué au plus tard six mois avant qu’elle ne prenne fin.
La DGCS estime que les premiers retours concernant les CDPE sont globalement positifs, soulignant une fonction du comité « à la fois stratégique et décisionnelle [...] mais aussi opérationnelle avec la possible mise en œuvre de commissions restreintes dédiées par exemple à l’examen conjoint de situations dites “complexes” ([228]) ».
La rapporteure constate quant à elle que la réalité est bien plus nuancée sur le terrain. De la même manière, plusieurs acteurs ont fait part de leurs réserves sur les CDPE : Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, a regretté qu’un tel comité « ne donne lieu à aucune action » et ne permette pas d’évaluer les besoins ([229]). La CNPR mais aussi Mme Florence Dabin ont souligné des résultats mitigés selon les départements. Départements de France ne souhaite pas de généralisation sans bilan préalable de l’expérimentation, mais souhaite que ce bilan puisse être réalisé plus tôt que prévu ([230]). La ministre Catherine Vautrin a précisé que celui-ci sera avancé au mois d’octobre 2025 ; s’il est concluant, les CDPE pourront être généralisés dès 2026 ([231]).
La rapporteure estime effectivement nécessaire de procéder à la généralisation des CDPE dès le 1er janvier 2026. Ceux-ci ont le mérite de garantir un modèle unique de gouvernance à l’ensemble des départements, dont le législateur et le pouvoir réglementaire peuvent définir le cadre général. Le préfet, aux côtés du département, doit veiller à la bonne mise en place de ces comités et à leur effectivité.
Recommandation n° 17 : Généraliser les comités départementaux de la protection de l’enfance dès le 1er janvier 2026.
À terme, la généralisation des CDPE posera nécessairement la question du regroupement ou de la fusion de tout ou partie des instances de gouvernance locale préalablement existantes, afin de ne pas multiplier les instances. En particulier, les les ODPE pourraient à terme être rattachés à ces comités, mais seulement lorsque ceux-ci seront parfaitement fonctionnels.
Les membres des instances de gouvernance doivent disposer du temps suffisant pour s’impliquer dans ces instances de gouvernance. Ils doivent aussi être formés à ce type de travaux.
La rapporteure rappelle combien il est important d’associer l’ensemble des acteurs du territoire, notamment les professionnels de l’ASE et les associations gestionnaires, aux enjeux de pilotage et de gouvernance. Elle fait sienne l’une des recommandations formulées par la Défenseure des droits à ce sujet dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance. Elle salue également les initiatives du secteur associatif pour améliorer leur coopération, tel que le travail effectué pour rédiger une charte de coopération interassociative, mentionné par Mme Cornaille (GEPSO) en audition ([232]). Les associations doivent en effet pleinement participer avec l’État et les départements au déploiement de l’ensemble des préconisations formulées dans le présent rapport. Par ailleurs, compte tenu de l’éclatement du secteur associatif, les associations devront être représentées par leurs groupements au sein des organismes de gouvernance.
Recommandation n° 18 : Mieux communiquer auprès des professionnels de l’ASE et du secteur associatif sur les instances locales de gouvernance et mieux les associer à celles-ci (voir la recommandation n° 17 de la décision-cadre du Défenseur des droits).
2. Une politique publique qui doit être co-construite avec les premiers concernés : les enfants
L’article 12 de la CIDE dispose que « les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité ».
Les enfants, premiers concernés par le service public de protection de l’enfance, doivent pouvoir donc logiquement pouvoir s’exprimer au sein des instances de gouvernance associées. Cela permettra ainsi de les sortir de l’invisibilité dans laquelle ils se trouvent bien trop souvent et d’accorder une place institutionnelle à leur parole et à leur expertise. Comme l’a rappelé Mme Ève Robert (ANDASS), ils permettent notamment d’identifier des problématiques insuffisamment pensées : « Quand ils sont interrogés, ils évoquent des questions très concrètes, déterminantes pour la qualité de leur prise en charge : alimentation, respect de l’intimité, vie affective et sexuelle, événements de la vie quotidienne. Par exemple, peut-on organiser un goûter d’anniversaire dans un foyer de protection de l’enfance ? Ce sujet était loin d’être identifié par les autorités publiques jusqu’à ce que les enfants nous en parlent – et ils y tiennent. La multiplication des conseils des jeunes et des conseils de la protection de l’enfance nous tire vers le haut ([233]). »
La prise de conscience est en cours sur ce sujet. Un collège des enfants, des adolescents et des jeunes majeurs a été créé au sein du CNPE. Les départements déploient également des initiatives de plus en plus nombreuses en la matière, qui sont autant d’exemples inspirants : conseil des jeunes en Seine-Saint-Denis, conseil départemental des enfants et des jeunes accueillis à l’aide sociale à l’enfance (CDEJA) en Haute-Garonne, conseil des jeunes de la protection de l’enfance (CJPE) en Gironde, etc. Il existe aussi de telles initiatives dans le secteur associatif, par exemple le Comité jeunes plaidoyer au sein de SOS Villages d’enfants.
La rapporteure souhaite donc que les enfants placés et les anciens enfants placés soient représentés au sein des CDPE. Cela a également été préconisé par le rapport du CESE.
Recommandation n° 19 : Inclure des représentants des enfants placés et des anciens enfants placés parmi les membres des comités départementaux pour la protection de l’enfance (CDPE).
Troisième partie : Le repérage et la prévention des situations de mise en danger de l’enfant
Les manquements des politiques publiques de la protection de l’enfance sont d’abord le reflet des insuffisances et des difficultés que l’on observe avant même l’intervention de la protection de l’enfance à proprement parler.
Signe d’un système profondément dysfonctionnel, la prévention constitue un impensé politique, alors qu’elle devrait être une priorité de l’action publique : seules des mesures de prévention plus solides, passant par la lutte contre la pauvreté et l’accompagnement à la parentalité, permettront d’agir à la racine pour mieux protéger les enfants.
Le repérage des enfants devant faire l’objet d’une prise en charge est également insatisfaisant, ce qui rend nécessaires des aménagements dans le fonctionnement des CRIP et le renforcement du 119.
I. La prévention, grande oubliée des politiques publiques de protection de l’enfance
Les difficultés actuelles de la protection de l’enfance, nourries par la saturation des structures d’accueil, ont pour effet de concentrer les efforts sur la gestion de l’urgence, au détriment de la réflexion de long terme sur la prévention. Pourtant, c’est en réduisant le danger à la source par des politiques de prévention précoces rehaussées que les enfants seront le mieux protégés et que le système pourra être désengorgé.
A. une culture de la prévention impensée en France
Les politiques publiques françaises déployées en matière de prévention restent balbutiantes et manquent de moyens. Un changement de paradigme est nécessaire, afin de placer la prévention au cœur de la réflexion de l’action publique.
1. L’absence de cadre de pensée
Le modèle français est façonné par une culture du placement très forte, qui reflète, en creux, la faiblesse des politiques de prévention. C’est là une spécificité héritée de l’histoire qui distingue la France d’autres pays, dont certains développent des politiques de prévention beaucoup plus ambitieuses. C’est notamment le cas de l’Allemagne, du Canada et plus particulièrement du Québec, ou encore des pays d’Europe du Nord. Ainsi que l’a expliqué le professeur M. Jean‑Marc Baleyte au cours de son audition, « en Europe du Nord, le nombre de placements diminue fortement, en particulier ceux des bébés. C’est lié à un très fort soutien à la fois social, éducatif et thérapeutique ([234]). »
La France se caractérise donc globalement par un système qui intervient trop tardivement et qui peine à apporter l’accompagnement adapté au bon moment. Le manque d’actions préventives conduit bien souvent à la dégradation des situations familiales et donc aux placements. Pour de nombreux acteurs entendus par la commission d’enquête, certains placements pourraient être évités si les politiques de prévention étaient plus efficaces et plus nombreuses.
Cet impensé politique se traduit par une absence de définition. En 2019, l’IGAS a rendu un rapport coécrit avec les corps d’inspection du ministère de l’éducation nationale et de la recherche portant évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance. Ce rapport insiste sur l’absence de cadre : « Multidimensionnelle, au croisement de plusieurs politiques, la fonction de prévention en protection de l’enfance n’est pas dotée aujourd’hui d’un cadre conceptuel suffisamment clair et partagé, en dépit des enjeux humains, économiques et sociaux qui s’y attachent ([235]) ». Des tentatives de cadrage existent, notamment en recourant à la distinction entre prévention primaire, secondaire et tertiaire, ou à la distinction entre prévention universelle et ciblée. Elles restent largement inabouties (voir l’encadré ci-après).
Prévention primaire, secondaire et tertiaire, prévention universelle et ciblée
Les politiques de prévention souffrent de l’absence d’une définition claire et partagée, comme l’a mis en évidence le rapport de IGAS-IGEN-IGAENR consacré à la question des politiques de prévention en matière de protection de l’enfance ([236]).
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) propose un cadre de définition des politiques de prévention qui repose sur une distinction entre prévention primaire, secondaire et tertiaire. Cette grille de lecture est régulièrement reprise dans le champ de la protection de l’enfance.
La prévention primaire recouvre les actions visant à agir à la source, sur les causes et déterminants d’un problème, pour empêcher son apparition. Dans le cadre de la protection de l’enfance, la prévention primaire peut recouvrir une grande variété d’actions, qu’il s’agisse de politiques publiques de lutte contre la pauvreté ou d’accompagnement à la parentalité. La prévention secondaire et la prévention tertiaire renvoient à des actions graduées, lorsque les situations sont déjà en partie dégradées. Elles pourraient ainsi faire référence aux actions « préventives » qui s’inscrivent directement dans le cadre de la protection de l’enfance (aide à domicile, assistance éducative à domicile principalement).
Le rapport des inspections générales déplore cependant un mésusage de ces concepts dans le cadre des politiques de protection de l’enfance et propose de privilégier une distinction plus simple entre prévention universelle et prévention ciblée : « La première catégorie vise les mesures de prévention propices au développement de tous les enfants, sans logique de ciblage préalable. La deuxième catégorie comprend les mesures de prévention ciblées agissant sur des familles ou sur des populations identifiées ou repérées par différents canaux comme vulnérables ou “à risque”, avérés ou probables. »
2. Une approche cloisonnée qui empêche la mise en œuvre de politiques de prévention efficace
Le modèle français souffre aujourd’hui d’un fonctionnement en silo, sans vision d’ensemble. Les corps d’inspection soulignent dans leur rapport la trop forte rigidité des cadres d’intervention de la protection de l’enfance, conçus de façon cloisonnée, tandis que les familles ont souvent besoin d’un accompagnement global face au caractère multidimensionnel des difficultés.
Il convient donc d’affirmer fortement que les politiques de prévention ne doivent absolument pas se limiter pas aux actions dites « à domicile », conduites dans le cadre de la protection de l’enfance (soit principalement les AED et les AEMO). Ces actions à domicile se situent d’ailleurs à la lisière de la prévention et de l’intervention ([237]). Peuvent être mises en place, en amont de ces actions, de très nombreuses politiques publiques susceptibles de prévenir plus précocement les dangers.
Penser les politiques publiques de prévention suppose une réflexion plus générale sur les facteurs favorisant la santé et le bien-être des enfants et des parents. La lutte contre la pauvreté, l’accès au logement, la prise en charge du handicap et de troubles de santé mentale – des parents comme des enfants –, le développement d’un service public de la petite enfance, les moyens de l’Éducation nationale, tous ces champs de l’action publique jouent un rôle clé pour agir à la source et éviter les violences ou les situations de danger.
Il a été très régulièrement souligné au cours des auditions de la commission d’enquête que l’ASE devient aujourd’hui le réceptacle des insuffisances des politiques publiques connexes. Ce point de vue est synthétisé par les propos de M. Daniel Goldberg (UNIOPSS), qui fustige globalement : « la disparition des maîtres E et des maîtres G à l’école élémentaire, qui étaient des professeurs des écoles spécialisés pour détecter et accompagner des mineurs rencontrant leurs premières difficultés […]. De même, la difficulté d’obtenir des places en centre médico-psychologique (CMP) ou en centre médico-psychologique et pédagogique (CMPP), les difficultés de la médecine scolaire, des services sociaux et de l’éducation nationale sont des obstacles majeurs. Toutes ces mesures de détection, de prévention et d’action proactive sont importantes, avant même que soient prises des mesures de protection de l’enfance au sens strict ([238]). »
Les insuffisances liées à la prise en charge du handicap et la santé mentale sont particulièrement symptomatiques de ce phénomène. Comme l’analyse Mme Ève Robert (ANDASS), « dans certains cas, [la] prise en charge est justifiée par des défaillances parentales lourdes ; dans d’autres, c’est justement l’absence de prise en charge médico-sociale adaptée qui a conduit à l’épuisement parental et au placement ». Mme Muriel Eglin, vice-présidente de l’Association française des magistrats de la famille et de la jeunesse (AFMJF), dresse un constat similaire : « Ces familles ne disposent d’aucun répit ni soutien, ce qui les épuise considérablement. Cette fatigue extrême peut conduire à des situations de maltraitance réelle, avec des blessures graves, non seulement pour les enfants en situation de handicap, mais aussi pour leurs frères et sœurs. Cela résulte d’un manque d’intervention précoce ([239]). »
Les difficultés rencontrées par le secteur sanitaire et social en milieu scolaire (médecins, infirmiers, psychologues, assistants sociaux) sont pointées comme un frein majeur à l’efficacité des politiques publiques de prévention. La Défenseure des droits a ainsi déploré devant la commission d’enquête « le délitement de la médecine scolaire et la lourdeur de la charge des assistantes sociales – souvent présentes une demi-journée seulement dans chacun des trois ou quatre collèges entre lesquelles elles doivent naviguer –, sans oublier l’absence de représentants des services sociaux dans les établissements du premier degré ([240]) ».
Comme le signalent l’IGAS, l’IGAENR et l’IGEN dans leur rapport, des dispositifs innovants en matière de prévention existent dans les territoires. Ils peuvent prendre des formes variées : « interventions intensives de la PMI en périnatalité et durant la petite enfance, en partenariat avec d’autres professionnels (travailleurs sociaux, techniciens de l’intervention sociale et familiale – TISF) ; dispositifs prenant appui sur des lieux d’accueil de jour des jeunes enfants et des structures renforcées de soutien à la parentalité, voire sur une offre d’hébergement adaptée aux familles en situation de vulnérabilité ; dispositifs construits dans une logique d’accompagnement global, souvent en amont des actions éducatives, mobilisant les travailleurs sociaux de secteur […] ([241]) ». Mais ils sont peu coordonnés et pâtissent du manque de pilotage national en la matière, ce qui renforce les inégalités territoriales.
La prévention nécessite d’adopter une approche écosystémique et multidimensionnelle, en agissant sur l’ensemble des facteurs qui peuvent fragiliser une famille et le bien-être de l’enfant. La rapporteure appelle ainsi à un investissement massif dans la prévention, qui doit permettre à terme de réorienter les dépenses des départements, grâce aux marges de manœuvre financières dégagées par le nombre de placements évités.
La France doit donc bâtir une politique publique de la prévention à la hauteur des enjeux, en prenant inspiration dans le modèle québécois, particulièrement avancé du point de vue des politiques de l'enfance, notamment en prévention primaire. Comme l’ont expliqué les autorités québécoises en réponse au questionnaire envoyé par la rapporteure, au Québec, l’ensemble de l’action publique est conçu dans le but d’éviter autant que faire se peut la fragilisation du cadre familial et l’apparition de situations de danger. Ainsi, « une des forces du Québec est dans tout ce qui est mis en œuvre AVANT une prise en charge par la protection de la jeunesse. Nous sommes convaincus que la solution réside dans la prévention et par le soutien aux familles dans leurs communautés ». Le modèle québécois repose sur « un filet social solide de services universels et de prévention, qui s’attaque à la question des inégalités sociales de santé ([242]) ».
Enfin, sur un autre plan, la rapporteure tient également à souligner les insuffisances des moyens prévus pour mettre en œuvre la prévention spécialisée. Mentionnée à l’article L. 121-2 du CASF, la prévention spécialisée correspond aux actions conduites dans les quartiers de la politique de la ville ainsi que dans les lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale. Il s’agit pour le département de conduire des actions auprès des jeunes et des familles en difficulté ou en rupture avec leur milieu. La prévention spécialisée relève de la protection de l’enfance, conformément au 2° de l’article L. 222-1 du CASF, bien qu’elle soit également mobilisée plus largement dans un objectif de prévention de la délinquance. Elle repose en pratique sur l’intervention des éducateurs de rue. Les acteurs de terrain et les syndicats déplorent des coupes budgétaires importantes en la matière et demandent à ce que la loi soit clarifiée afin de bien préciser qu’il s’agit d’une compétence obligatoire des départements ([243]). En effet, s’il découle de la lecture du CASF que cette compétence est obligatoire pour les départements ([244]), une forme de confusion semble demeurer comme en ont témoigné les syndicats auditionnés par la commission d’enquête. La diminution voire la disparition dans certains territoires de la prévention spécialisée aggrave les situations et peut se traduire par une augmentation des mesures éducatives et de placement. Ainsi, selon Mme Anne-Sophie Souchaud, du syndicat Sud Solidaires entendue en audition, « Dans le Nord, le département annonce une réduction de 3 millions d’euros du budget alloué à cette mission, entraînant la suppression de soixante postes d’éducateurs de rue. L’année dernière, dans la Vienne, 25 % du budget a été supprimé ». La rapporteure considère essentiel d’accroître le soutien à la prévention spécialisée et appelle les départements mais aussi l’État à se mobiliser en ce sens.
B. La lutte contre la pauvreté et l’amélioration de la prévention sont Étroitement liées
La réflexion sur les politiques publiques à mener en matière de prévention conduit à s’interroger sur les facteurs de vulnérabilité qui peuvent favoriser des situations à risque pour l’enfant. La rapporteure souhaite ici mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté.
1. Les liens entre pauvreté et protection de l’enfance
a. Un lien complexe, peu documenté mais constaté sur le terrain
Comme l’a rappelé Flore Capelier, docteure en droit public, lors de son audition devant la commission d’enquête, « si la majorité des familles pauvres ne sont pas maltraitantes, la majorité des enfants accompagnés au titre de l’aide sociale à l’enfance sont en situation de pauvreté ([245]) ». Malgré l’absence regrettable de chiffre officiel permettant d’objectiver ce constat, il est partagé par l’ensemble des acteurs du secteur. ATD Quart Monde estime ainsi que « l’immense majorité des enfants protégés sont nés dans des familles qui connaissent la pauvreté, voire la grande pauvreté ([246]) ».
La question du lien entre précarité et mise en danger de l’enfant est éminemment complexe et sensible. Comme le regrette le rapport inter-inspections précité, ces liens demeurent aujourd’hui peu explicités en France et les données manquent pour étayer l’analyse des relations entre contexte social et économique et risques de danger pour l’enfant. Une chose apparaît toutefois clairement : la précarité a une influence directe sur le bien-être des familles et donc sur celui des enfants. Les travaux de pédopsychatrie ont bien montré que « les effets de la précarité sur les enfants et les adolescents sont comparables à ceux de la guerre ([247]) ».
Ce constat est partagé par de nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête. La rapporteure partage ainsi pleinement les propos de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits : « Il est évident que les conditions de vie des familles jouent un rôle, en particulier s’agissant du logement : je défie quiconque d’éviter toute carence éducative en élevant quatre enfants dans une chambre de bonne ! Je suis effrayée par le lien qu’on pourrait établir entre augmentation de la pauvreté et augmentation des mesures de placements relevant de la protection de l’enfance. »
ATD Quart Monde considère en outre que la pauvreté est invisibilisée dans le cadre des rapports des familles avec la justice. Selon Mme Isabelle Toulemonde, « les rapports de l’ASE décriront les désordres familiaux causés par un logement indigne, en insistant sur le manque de sommeil de l’enfant, sur l’absence d’espace pour jouer ou faire ses devoirs, sur les conséquences sur l’atmosphère familiale d’un appartement surpeuplé bien au-delà des critères du droit au logement opposable (DALO). Mais jamais ils ne mentionneront le fait que tout cela est lié à la grande pauvreté de la famille et que celle-ci aurait besoin d’aide pour mieux se loger. C’est caricatural : comment la protection de l’enfance pourrait-elle obtenir des résultats sans reconnaître la pauvreté ou la grande pauvreté des familles ([248]) ? »
b. Des conditions matérielles dégradées peuvent favoriser des décisions de placement
Aujourd’hui les données publiques disponibles ne permettent pas de connaître les motifs principaux à l’origine des placements décidés par les juges. Si le juge se prononce dans l’intérêt du bien-être de l’enfant, les conditions matérielles peuvent devenir en tant que telles un danger pour l’enfant. ATD Quart Monde insiste ainsi sur la nécessité de ne pas réduire les familles dont les enfants sont placés « à sa frange la plus dysfonctionnelle et violente […]. Des études, bien que restreintes, montrent que, sur 809 enfants en 2009, seulement 22 % des placements étaient dus à des maltraitances. » D’autres chiffres font état d’un taux de 45 % ([249]).
Pour ATD Quart Monde, « aucun juge ne motive des décisions de placement par la situation de grande pauvreté. Pourtant, il nous parait exact de dire que dans beaucoup de dossiers, la grande pauvreté est la cause, indirecte, du placement ([250]). » Mme Céline Truong a évoqué au cours de son audition « la zone grise des interventions pour carences éducatives », au sein de laquelle « se nichent la subjectivité, les incompréhensions mutuelles, les biais de classe ou encore le simple fait de nommer “problèmes éducatifs” des aspects de la vie familiale qui sont, au fond, des conséquences de la misère. Dans cette zone grise, la pauvreté des parents apparaît comme un facteur aggravant de l’évaluation de la situation familiale comme de la réponse apportée par les pouvoirs publics, entre incompréhension réciproque, violence sociale et déni de droits. »
Ces propos font écho à ceux de la Défenseure des droits, qui considère que « le manque d’accompagnement social et la précarité croissante de la population renforcent le risque de placements motivés par les seules conditions matérielles dans lesquelles évoluent les familles, ce qui n’est pas acceptable ([251]) ». La professeure Mme Marie-Rose Moro a ainsi pris l’exemple de la maternité de Port‑Royal, qui accueille des mères en grande difficulté sociale. D’après son expérience de terrain, certains enfants peuvent être placés « parce que les conditions matérielles et les conditions de vie ne permettent pas aux parents de les prendre en charge. Il s’agit là d’une tragédie à la fois pour les parents, mais aussi pour les enfants. Dans ces situations que nous connaissons par ailleurs à l’avance, il faudrait être capable de mettre en place des systèmes de prévention. Il s’agit par exemple de trouver une chambre ou des lieux assurant un minimum de sécurité aux enfants et aux mères, afin d’éviter ces placements. Par ailleurs, un accompagnement éducatif et social est parfois, voire souvent, nécessaire ([252]). »
Face à ces différents éléments d’analyse, outre le nécessaire renforcement des actions de prévention (voir infra), il apparaît essentiel de financer des recherches‑actions afin de mieux étudier et objectiver les liens entre pauvreté et placement, et de chiffrer la population de l’ASE vivant en situation de pauvreté et de grande pauvreté. Ces recherches-actions doivent également permettre de mieux étudier et comprendre la question de la répétition intergénérationnelle observée en matière de placement, soulevée par de nombreux acteurs. À la reproduction de la pauvreté s’ajoute ainsi souvent une forme de reproduction des placements très préoccupante, soulignée au cours des auditions, en particulier par l’association ATD Quart Monde.
Recommandation n° 20 : Financer des recherches-actions visant à mieux étudier les liens entre la pauvreté et le placement, objectiver et rendre publiques les causes des placements et chiffrer la population de l’ASE vivant en situation de pauvreté ou de grande pauvreté.
2. Une prise en compte insuffisante et inadaptée des conditions sociales et économiques dans le cadre des mesures ASE
Réalité incontestable, la pauvreté reste éludée et est très insuffisamment prise en compte dans le cadre des actions de prévention conduites en matière de protection de l’enfance. Dans le cadre des actions à domicile conduites par les services de l’ASE (AED et AEMO), les travailleurs sociaux se concentrent sur la dimension éducative. Or celle-ci ne peut à elle seule résoudre les difficultés quand la famille concernée est en situation de pauvreté ou de grande pauvreté.
De surcroît, plusieurs acteurs entendus par la commission d’enquête dénoncent une approche institutionnelle parfois trop répressive. Cette approche nourrit la méfiance et la crainte des familles. Il s’agit là en tant que tel d’un frein au développement des mesures de prévention. D’après M. Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l’enfance » des Apprentis d’Auteuil, « notre société exerce une grande violence envers les plus pauvres, qui souffrent non seulement de leur précarité, mais aussi du discrédit et du mépris social. Il est inacceptable que les plus fragiles craignent l’ASE, alors que cette aide devrait les soutenir face aux difficultés éducatives et dans la reconnaissance de leurs besoins ([253]). » Cette analyse rejoint celle de Mme Céline Truong (ATD Quart Monde) : « vivre dans la terreur permanente de leur placement a des conséquences concrètes sur la façon dont [le parent] va s’efforcer d’être le meilleur parent possible. Cela conduit, par exemple, à du non‑recours, notamment aux lieux de prévention, dans le but de fuir le regard des professionnels ([254]). »
Il en résulte que l’aide proposée n’est pas toujours alignée avec les besoins des familles et des enfants. Pour Mme Truong, « ces parents attendent beaucoup des institutions, et souhaitent que celles-ci les aident à offrir à leurs enfants une vie meilleure que celle qu’ils ont menée, en particulier sur le plan de la pauvreté. Or, ces parents déclarent souvent que non seulement l’aide reçue des pouvoirs publics ne les a pas aidés, mais qu’elle a même contribué à les enfoncer ([255]). » Mme Gaëlle Le Dins, mère concernée par l’intervention de la protection de l’enfance a également pu en témoigner directement lors l’audition d’ATD Quart Monde par la commission d’enquête : « Nous, nous demandons de l’aide pour acquérir des savoir-faire utiles pour nous occuper de nos enfants et donner plus de chances pour leur avenir. L’aide apportée ne répond pas toujours à nos besoins, et n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes. La personne qui vient nous aider doit savoir privilégier l’intérêt de l’enfant tout en considérant la famille dans sa globalité ([256]). »
La rapporteure considère que l’action éducative doit nécessairement être complétée par un accès renforcé aux services publics en matière de santé, de logement et d’emploi, ce qui passe par un décloisonnement des politiques publiques. La lutte contre la pauvreté, et plus particulièrement la pauvreté des enfants, est un levier majeur pour renforcer les politiques de prévention.
C. Apporter un soutien ciblé aux populations en situation de grande vulnérabilité
1. La lutte contre la pauvreté et l’accès aux dispositifs de droit commun doit être une priorité
Pour accompagner les familles dans la pauvreté et agir en prévention, il convient de mobiliser de façon beaucoup plus importante les ressources de droit commun. Il est pour cela souhaitable de sortir du fonctionnement en silos et de favoriser les interactions entre les différents services publics en lien avec la protection de l’enfance. Comme le souligne la Défenseure des droits : « Si les enfants ont des places en crèche, l’accompagnement sera meilleur et les risques de carences éducatives seront moindres. Cela renvoie aussi à l’accompagnement pendant la scolarité, qui accroît les chances de réussite scolaire ([257]). » Ce point de vue rejoint celui de Mme Ève Robert (ANDASS) : « Nous pouvons pourtant travailler avec [les familles] et résoudre leurs problèmes en mobilisant des solutions de droit commun : une place en crèche, un accompagnement périscolaire, un projet de réussite éducatif, un relais parental, un service d’accueil de jour ou un accompagnement social de la famille, par exemple ([258]). » La rapporteure souscrit pleinement à ces orientations. Certains départements s’engagent en la matière, notamment concernant les places en crèche. Le rapport inter-inspections précité prend notamment l’exemple de l’Hérault, département au sein duquel des places en crèche sont réservées dans un objectif de prévention ([259]).
En outre, les politiques transversales de lutte contre la pauvreté et d’accès au logement restent aujourd’hui en deçà des besoins et doivent faire l’objet d’un volontarisme politique beaucoup plus appuyé. La question de l’accès à un logement décent apparaît à ce titre particulièrement cruciale. Comme l’a rappelé la Défenseure des droits au cours de son audition, « dans ses observations finales, en 2023, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies recommandait notamment à l’État d’accroître l’offre de logements sociaux pour les familles les plus précaires et d’adopter un programme pluriannuel pour le logement et l’hébergement, axé plus particulièrement sur les enfants et les familles. […] Le manque de construction de logements sociaux et très sociaux a un impact direct sur la protection des droits de l’enfant ([260]). » L’État doit également prendre ses responsabilités au vu des compétences qui sont les siennes en matière d’hébergement d’urgence, en garantissant un hébergement aux familles qui sont à la rue avec des enfants. Bien qu’il s’agisse d’une compétence de l’État, plusieurs départements mènent des actions en la matière. Mais les contraintes budgétaires qui pèsent sur les départements limitent leurs marges de manœuvre. À titre d’exemple, le département de la Gironde prend aujourd’hui en charge 85 familles dans le cadre d’hébergements dérogatoires, pour un coût de 3 millions d’euros par an. Or ce financement va cesser au 31 mars 2025 en raison des difficultés financières de la collectivité ([261]). Il est donc essentiel que l’État se mobilise pour jouer le rôle qui est le sien.
Enfin, la question de la prise en charge du handicap et de la santé mentale est centrale. Elle sera traitée dans la quatrième partie du présent rapport.
2. Développer les centres parentaux et maternels
Les lieux d’accueil de jour et les offres d’hébergement adaptées aux familles en situation de grande vulnérabilité sont aujourd’hui en nombre très insuffisant malgré leur utilité avérée.
Devant la commission d’enquête, la professeure Marie-Rose Moro a insisté sur les effets particulièrement délétères du placement des enfants avant trois mois. Or certains de ces placements pourraient être évités à condition de développer des lieux d’accueil permettant la prise en charge de la famille et de l’enfant dans un cadre pluridisciplinaire. Le Québec constitue en ce sens un modèle particulièrement pertinent et abouti, puisque le droit y interdit le placement des enfants de moins de trois ans, comme développé infra.
Les centres parentaux et les centres maternels peuvent apporter une réponse à cette problématique. Les premiers, reconnus par la loi du 14 mars 2016, peuvent accueillir et héberger les enfants de moins de trois ans accompagnés de leurs deux parents, ou les deux futurs parents pour préparer la naissance de leur enfant. Les seconds garantissent l’hébergement et l’accompagnement des femmes enceintes ou accompagnées d’enfants de moins de trois ans. Comme le précise la professeure Marie-Rose Moro, en France ces lieux existent, mais ils sont très rares. Le rapport inter‑inspections précité pointe ainsi l’insuffisance des centres maternels et parentaux, « conduisant à des placements souvent jugés trop fréquents, dès le plus jeune âge ». Une enquête menée par la DGCS en partenariat avec l’ANDASS en 2016 montre que 37 % des départements ne disposent pas de centre parental sur leur territoire.
La rapporteure considère qu’il est primordial de financer le développement de ce type de lieu pour les familles vulnérables et les grossesses précoces. Elle a pu mesurer la pertinence de ce type de réponses pour les familles fragilisées qui ont besoin d’un accompagnement adapté lors du déplacement de la commission d’enquête dans un centre parental géré par la Croix-Rouge à Argenteuil. Elle rejoint pleinement les recommandations de l’IGAS appelant les pouvoirs publics à intensifier l’effort de création de places en centres maternels et parentaux en planifiant les investissements financiers nécessaires dans les territoires.
Recommandation n° 21 : Financer et développer les centres maternels ainsi que les centres parentaux, afin de prévenir le placement des très jeunes enfants et d’améliorer la prévention précoce en direction des publics vulnérables.
D. considérer le soutien à la parentalité comme un levier majeur de la prévention
Autre impensé des politiques publiques, le soutien à la parentalité reste insuffisamment développé en France. Les moyens qui y sont consacrés sont trop faibles et les outils inappropriés. Pourtant, les missions de suivi périnatal et le rôle assuré par la PMI peuvent être des points d’appui cruciaux pour développer à temps les mesures de prévention appropriées.
La France doit ici aussi s’inspirer des modèles innovants. Le modèle québécois, qui a fait de l’accompagnement à la parentalité un axe central de ses politiques publiques en matière de protection de l’enfance, est en ce sens particulièrement pertinent. La rapporteure appelle à un changement de paradigme pour faire de l’accompagnement à la parentalité un véritable levier de prévention primaire en matière de protection de l’enfance.
Au Québec, les outils de prévention en matière de protection de l’enfance
visent à renforcer l’accompagnement à la parentalité
Dans le prolongement de la commission Laurent, le Québec a identifié l’accompagnement à la parentalité comme l’une des politiques publiques de prévention essentielle dans le domaine de la protection de l’enfance. Certains outils et programmes ont particulièrement attiré l’attention de la rapporteure :
– le Québec a mis en place un formulaire pour les femmes à douze semaines de grossesse, qui permet de détecter et accompagner les femmes les plus vulnérables. Ce questionnaire comporte notamment des questions relatives à la santé mentale et physique de la mère et aux ressources dont elle dispose. Outre le soutien qu’il peut apporter aux femmes, il s’agit aussi d’une mesure opportune pour la prévention des dangers auxquels pourrait être confronté le futur enfant ;
– le Québec développe également le programme Agir tôt, qui s’adresse aux enfants âgés de zéro à cinq ans et à leurs familles. Il vise à identifier le plus rapidement possible les indices de difficultés dans le développement d’un enfant afin d’orienter sa famille vers les bons services ;
– le Québec déploie actuellement son nouveau plan de périnatalité et petite enfance (2023-2028), avec une priorité identifiée sur les enfants de zéro à cinq ans. Ce plan repose sur deux principes fondamentaux : la collaboration interdisciplinaire et le partenariat avec les familles. L’objectif est de proposer une offre globale de soins et de services dès le début de la grossesse et jusqu’à ce que l’enfant ait cinq ans, en tenant compte de l’évolution constante des besoins des familles au cours de cette période.
Les services de PMI font face à de graves difficultés, dénoncées depuis plusieurs années. La politique des mille premiers jours, mise en œuvre dans le prolongement du rapport de la commission d’experts présidée par Boris Cyrulnik, constitue certes une avancée importante en matière de sensibilisation, mais les moyens financiers qui l’accompagnent sont indigents (1,9 million d’euros de crédits de l’État prévu pour 2025), ce qui limite sa portée.
1. Renforcer les moyens de la PMI
Les récents chiffres de la DREES montrent qu’entre fin 2010 et fin 2022 les services de PMI ont perdu près de 400 emplois en équivalents temps plein (ETP), soit – 3,5 % de leurs effectifs. Cette baisse des effectifs concerne tout particulièrement les médecins.
Les actions de la PMI globalement en diminution selon la DREES
« Les actions destinées aux enfants, notamment des consultations individuelles dédiées et des visites à domicile (VAD), demeurent la principale activité des services de PMI (58 % de l’ensemble des actions). Elles ont diminué de 4,5 % en moyenne par an entre 2016 et 2019, pour s’établir à 435 consultations et VAD pour 1 000 enfants de moins de 6 ans.
« Les consultations et entretiens de planification et d’éducation familiale constituent moins du tiers de l’activité des services de PMI (29 %). Les consultations sont également moins nombreuses qu’il y a quelques années : 43 consultations pour 1 000 femmes de 15 à 49 ans fin 2019, contre 46 fin 2016.
« Les actions en faveur des mères et des futures mères, par le biais des consultations ou de VAD, représentent, enfin, 13 % des actions individuelles ; elles diminuent elles aussi depuis 2016. »
Source : « Protection maternelle et infantile (PMI) : un recul de l’activité et une forte baisse des effectifs de médecins entre 2016 et 2019 », publication de la DREES, mars 2022.
Dans sa décision-cadre du 28 janvier 2025, la Défenseure des droits dénonce « des atteintes aux droits des enfants d’avoir des parents qui soient aidés en cas de besoin. En effet, les services de protection maternelle et infantile (PMI) sont en grande difficulté, d’une part, pour assumer leur vocation universaliste et, d’autre part, pour intensifier leurs interventions en direction des familles qui en ont le plus besoin ([262]). » Le renforcement de la PMI dans sa double vocation, ciblée et universaliste, est donc un point clé pour améliorer les politiques de prévention.
En particulier, il convient de veiller au bon déploiement du programme de promotion de la santé et de l’attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents (PANJO), qui permet de soutenir l’action de la PMI à destination des futurs parents vivant dans un contexte psychosocial défavorable. Ce programme repose sur un accompagnement s’échelonnant de la grossesse aux douze mois de l’enfant, avec six à douze visites au domicile des parents, réalisées par les services de la PMI. Il s’agit de soutenir le parent dans le développement de liens d’attachement sécures avec son enfant. Les professionnels de la PMI bénéficient d’une formation spécifique.
Ce programme fait aujourd’hui l’objet d’une expérimentation dans seize départements, coordonnée par Santé publique France. Celle-ci s’achèvera fin 2025 et une généralisation pourra être envisagée en fonction du bilan qui en sera tiré. La rapporteure observe que le programme est salué sur le terrain et considère qu’il mérite d’être davantage soutenu. Le département de la Haute-Garonne fait notamment état dans sa réponse écrite d’effets positifs sur la santé, le développement de l’enfant, la réduction des situations de maltraitances et des placements. Le département souligne toutefois certaines difficultés, en lien notamment avec la surcharge de travail pour les agents concernés.
La loi Taquet comporte un titre entier relatif à la PMI, mais les deux décrets nécessaires pour son application ne sont à ce jour toujours pas parus, ce qui témoigne aux yeux de la rapporteure du manque de volonté politique en la matière. Entendue par la commission d’enquête, Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, a fait état d’un travail en cours sur les deux décrets attendus, le premier portant sur les priorités pluriannuelles d’actions de la PMI et le second devant fixer des normes minimales d’effectifs. Selon les propos de la ministre, ces textes sont prêts, et désormais soumis à la consultation des départements, pour une publication prévue à la fin du mois d’avril 2025.
Le renforcement des moyens de la PMI doit aller de pair avec une réflexion indispensable sur le maillage de proximité, sur le modèle allemand ou québécois, en mobilisant davantage l’écosystème des acteurs : centre communaux d’action sociale (CCAS), centres de santé municipaux, infirmières en pratique avancée, etc. Ce maillage doit permettre le développement d’une prévention primaire à la hauteur des enjeux dans l’ensemble des territoires, urbains comme ruraux. Le développement de bus de proximité de la parentalité, permettant d’accompagner les familles en milieu rural, doit être encouragé.
2. Développer les instituts de la parentalité
Un certain nombre d’acteurs insistent sur la nécessité de développer des dispositifs de soutien à la parentalité, dont les accompagnements éducatifs individualisés. L’UNIOPSS alerte à ce sujet sur le développement de coach parentaux, inaccessibles financièrement et dont « les méthodes parfois très prescriptives reposent sur des fondements erronés ». La rapporteure estime qu’il est essentiel que les pouvoirs publics se saisissent davantage de ces questions de guidance parentale.
Des expérimentations intéressantes et qui font référence sont conduites en ce sens. Les instituts de la parentalité, qui ont vu le jour sous l’impulsion du Dr Anne Raynaud, doivent en ce sens être financés et développés.
Les instituts de la parentalité
Créés à l’initiative du Dr Anne Raynaud, les instituts de la parentalité entendent promouvoir une vision écosystémique et universaliste de l’accompagnement à la parentalité. Leur création résulte du constat suivant d’Anne Raynaud : « J’estimais en effet que le champ de la prévention devait être investi de manière beaucoup plus massive, les structures existantes, comme les services de protection maternelle et infantile (PMI), ne permettant pas de répondre à toutes les familles ([263]). »
Ils fonctionnent aujourd’hui en réseau et sont réunis sous l’égide de la Fédération des praticiens de la parentalité créée en 2021.
Les instituts de la parentalité s’inscrivent dans une démarche d’universalisme proportionné, avec pour objectif ouvrir les instituts à toutes les familles, tout en calibrant l’aide en fonction du profil de la famille. Pour Anne Raynaud, les politiques publiques existantes sont centrées sur des facteurs de risque et de vulnérabilité. Si ces politiques sont essentielles, il est tout aussi nécessaire d’accompagner l’ensemble des familles, qui peuvent toutes rencontrer des difficultés dans l’exercice de la parentalité. Selon elle, « la grille de lecture actuelle exclut donc de nombreuses personnes, qui passent à travers les mailles du filet ([264]) ».
Ils réunissent des équipes pluridisciplinaires d’experts médicaux et paramédicaux (psychiatres, sages-femmes, psychologues et diététiciens, etc.) et s’appuient sur la théorie de l’attachement ([265]) pour développer des interventions tant auprès des familles que dans la formation des professionnels.
Les instituts de la parentalité permettent le déploiement de programmes de recherche et de prise en charge innovants et adaptés aux besoins de l’enfant. Il faut à ce titre citer le programme de psychoéducation « Avion » ainsi que le programme BASE (besoin d’attachement et de santé pour l’enfance). Menés dans le cadre d’une expérimentation dite « article 51 ([266]) », les parcours proposés dans le cadre du programme BASE reposent sur deux premières consultations visant à évaluer le lien d’attachement entre le parent et l’enfant, suivies d’une phase de guidance parentale (entre trois et cinq consultations qui peuvent être renouvelables).
Les instituts de la parentalité participent également au programme d’analyse des politiques publiques à impact sur les enfants (APPIE), porté par le CHU de Bordeaux et la professeure Linda Cambon. La rapporteure se félicite à cet égard du lancement du programme APPIE NEST, portant sur les conditions favorables à la prévention des événements adverses dans les dispositifs de la protection de l’enfance, développé au sein du CHU de Bordeaux dans le cadre des travaux de la professeure Linda Cambon.
Aujourd’hui, le fait que les parcours proposés par les instituts de la parentalité ne fassent pas l’objet d’une prise en charge financière systématique par les pouvoirs publics est un frein à l’accès aux dispositifs pour les familles plus précaires.
3. Mettre en œuvre des dispositifs d’accompagnement à la parentalité en lien avec le handicap
La rapporteure estime également nécessaire de développer des actions d’accompagnement à la parentalité ciblée vers les parents d’enfants en situation de handicap. L’aide à la parentalité pour les parents en situation de handicap soulève des enjeux spécifiques. Comme le relève la DGCS dans les réponses écrites transmises à la rapporteure, « sur la dernière décennie, la prévalence du handicap, notamment psychique, dans la population est désormais un des enjeux majeurs de l’accompagnement à la parentalité, avec des conséquences en amont et en aval sur la protection de l’enfance ». L’UNIOPSS appelle au développement de réseaux d’aides et d’appui en la matière.
La rapporteure appelle donc à rehausser considérablement les moyens des politiques publiques de soutien de parentalité, qui sont essentielles au renforcement de la prévention précoce en matière de protection de l’enfance.
Elle appelle l’État à mettre en place un plan d’action en périnatalité et petite enfance, qui doit s’appuyer sur les recherches les plus récentes en périnatalité et prendre en compte le caractère multidimensionnel de la parentalité et de l’importance du lien d’attachement de l’enfant avec ses parents. Il faut ainsi garantir une offre globale de soins et de services dès le début de la grossesse et jusqu’à ce que l’enfant ait cinq ans, en tenant compte de l’évolution constante des besoins des familles au cours de cette période.
En ce sens, il convient de s’assurer de l’application des conclusions du rapport interministériel traitant des compétences sociales des acteurs de soutien à la parentalité en France, rendu par Mme Anne Raynaud et M. Charles Ingles ([267]). La rapporteure regrette vivement le retard pris en la matière et rappelle que ce rapport propose des évolutions indispensables pour faire évoluer les politiques publiques de soutien à la parentalité.
La rapporteure estime également nécessaire de développer de nouveaux outils de sensibilisation à destination du grand public quant aux enjeux de la parentalité, à travers de grandes campagnes nationales pédagogiques sur l’enfance, la petite enfance et le développement de l’enfant, ce qui pourrait passer notamment par des programmes dédiés diffusés sur les médias traditionnels et les réseaux sociaux.
Recommandation n° 22 : Renforcer les moyens de la prévention précoce à travers un soutien accru aux politiques d’accompagnement à la parentalité :
– mettre en place un plan d’accompagnement à la périnatalité et à la petite enfance 2026-2030 dans l’Hexagone ainsi que dans les territoires ultramarins ;
– accroître les moyens de la PMI pour soutenir les actions de soutien à la parentalité, notamment envers les publics les plus vulnérables ;
– soutenir le programme de promotion de la santé et de l’attachement des nouveau-nés et de leurs jeunes parents (PANJO) ;
– développer de nouveaux outils de sensibilisation du grand public aux enjeux de la parentalité, à travers de grandes campagnes nationales pédagogiques sur l’enfance, la petite enfance et le développement de l’enfant ;
– développer et financer les instituts de la parentalité pour assurer la présence d’un institut par département, afin de favoriser une approche écosystémique et le développement des bonnes pratiques en réseau ;
– mener des actions ciblées d’accompagnement à la parentalité pour les parents en situation de handicap ;
– mener des actions ciblées d’accompagnement à la parentalité pour les parents d’enfants en situation de handicap ;
– développer un programme sur le modèle du programme québécois « Agir tôt », qui permet notamment d’apporter des réponses pour le repérage et la prise en charge des troubles autistiques.
II. Le repérage des enfants en danger doit encore être amélioré
La transmission d’une information préoccupante ou le signalement des cas les plus graves directement à l’autorité judiciaire sont l’une des principales portes d’entrée en protection de l’enfance. Le 119 et les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) doivent donc à la fois ne pas laisser des situations de danger sans réponse et leur donner des suites adaptées. Or certaines situations manifestes de danger demeurent encore sans réponse ou avec une réponse trop tardive.
A. Trop de situations de danger sont encore mal évaluées par les crip
Le rôle des CRIP est aujourd’hui bien ancré dans le paysage de la protection de l’enfance. Les départements ont conscience de l’importance cruciale du travail de repérage qu’elles doivent mener. Toutefois, des délais importants de traitement et d’évaluation ainsi qu’un personnel insuffisamment formé mènent encore à des drames ou à des réponses inadaptées aux besoins de l’enfant.
1. La difficile structuration et harmonisation du fonctionnement des CRIP
Les CRIP ont été créées par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. L’article L. 226-3 du CASF confie au président du département la responsabilité du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes (IP) relatives aux mineurs qui sont en danger ou qui risquent de l’être. Pour ce faire, des protocoles doivent être établis avec les partenaires concernés – préfet, institutions, justice – afin de centraliser la remontée de ces IP vers la CRIP.
Il peut être relevé que la Guadeloupe envisage la mutualisation du recueil d’IP relatives aux violences conjugales et aux violences faites aux enfants : « Notre objectif est d’établir une CRIP unique et de renforcer le partage d’informations pour éviter la coexistence de deux circuits distincts pour les violences conjugales et les violences envers les enfants », indique Mme Lucie Tetahiotupa, directrice de l’enfance, de la famille et de la jeunesse de ce département ([268]).
Lorsqu’une IP est transmise à la CRIP, elle fait d’abord l’objet d’une analyse préliminaire. Puis elle est précisément évaluée par une équipe qui doit être pluridisciplinaire et formée à cet effet. Aux termes de l’article D. 226-2-5 du CASF, cette équipe doit :
– se composer de personnes relevant des services départementaux de l’ASE, de la PMI, du service social départemental ou de la CRIP ;
– être composée d’au moins deux professionnels « exerçant dans les domaines de l’action socio-éducative, de l’action sociale, de la santé ou de la psychologie » ;
– peut comprendre des membres issus d’autres services, institutions ou associations.
Cette évaluation doit être réalisée dans un délai de trois mois à compter de la réception de l’IP, ce délai pouvant être réduit en fonction du danger et de l’âge du mineur. Depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, les autres membres de la fratrie sont aussi évalués ; Mme Laurence Rossignol, ancienne ministre chargée de l’enfance, a rappelé en audition que cette disposition avait été proposée par la professeure Céline Greco.
Sauf intérêt contraire du mineur, les parents sont informés de la mise en place d’une évaluation par la CRIP. Une fois l’évaluation conduite, un rapport est effectué sur le mineur concerné et propose soit un classement, soit des propositions adaptées à la situation (prestation d’ASE, accompagnement de la famille), soit la saisine de l’autorité judiciaire, cette dernière devant être argumentée.
En cas de situation de grave danger, un signalement peut également être transmis directement à l’autorité judiciaire.
Selon le rapport de l’IGAS de 2019 sur l’évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance précité, « le dispositif des CRIP constitue, de l’avis de la grande majorité des interlocuteurs de la mission, l’un des outils les mieux “appropriés” de la loi de 2007 ».
Il n’existe pas de statistiques récentes, consolidées au niveau national, sur les IP et l’activité des CRIP. Néanmoins, la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) indique que l’Éducation nationale « est à l’origine d’environ un quart des transmissions d’informations préoccupantes aux présidents des conseils départementaux et des signalements au procureur de la République ([269]) », ce qui fait de celle-ci un acteur essentiel de la chaîne de repérage. Dans un rapport de l’ONPE datant de 2021, les principales sources d’IP sur un échantillon de quatorze départements répondants se regroupaient selon la ventilation illustrée ci‑dessous. On peut relever que, paradoxalement, une part relativement faible des signalements provient du secteur de la santé.
Les principales sources d’informations préoccupantes
Source : ONPE, « Le suivi de la mise en place des indicateurs d’activité des CRIP », juin 2021.
D’après les différentes auditions et réponses des départements, il se dégage une tendance à la hausse du nombre d’IP et de l’activité des CRIP ces dernières années. Cela doit alerter, bien que cette hausse s’explique probablement, pour partie, par un meilleur repérage des situations de danger ou de risque de danger, sans qu’il soit possible de déterminer exactement dans quelles proportions.
Face au constat de pratiques hétérogènes de la part des CRIP pour évaluer les situations de danger, un travail d’harmonisation progressive des critères d’évaluation est en cours. Un premier chantier a été mené sous l’égide de l’ONPE en 2018 pour élaborer dix indicateurs communs. Puis, à la demande de l’ancien secrétaire d’État chargé de l’enfance, M. Adrien Taquet, la Haute Autorité de santé (HAS) a élaboré un référentiel national d’évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant. L’article 6 de la loi Taquet de 2022 a rendu son utilisation obligatoire ([270]). Ce référentiel se compose de trois livrets : un premier sur les enjeux de gouvernance globale, un autre sur le circuit de recueil et de traitement proprement dit, et le dernier consistant en un guide d’accompagnement à l’évaluation, ainsi qu’une « boîte à outils » de huit documents.
Un travail de suivi conjoint sur la diffusion et l’appropriation de ce référentiel est mené par le GIP France Enfance protégée et la HAS depuis 2024 ([271]). La feuille de route 2024-2025 pour ce suivi comporte quatre axes :
– suivre l’évaluation des IP proprement dites pour soutenir les départements dans cette mission et favoriser l’harmonisation des pratiques ;
– adresser un questionnaire à l’ensemble des conseils départementaux ;
– inscrire la thématique dans l’animation du réseau des acteurs de la formation d’ici à fin 2024 ;
– mettre en place une instance de suivi du déploiement du référentiel avec les départements et la HAS.
Le déploiement de ce référentiel est une évolution positive pour unifier les pratiques des CRIP et les rendre plus expertes. Toutefois, il semble que ce déploiement ne soit pas aisé. D’après le rapport du Sénat sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance de 2023, parmi les axes qui étaient encore peu mis en œuvre en 2022 figuraient par exemple la mobilisation des professionnels de santé dans le cadre de la CRIP ou encore « l’identification et la prise de contact avec les personnes ressources identifiées dans l’entourage familial et amical de l’enfant ».
La décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance souligne que ce référentiel n’est pas toujours utilisé, citant l’exemple de CRIP qui renverraient « de manière systématique, sans évaluation, les IP concernant une famille déjà “connue” vers le service ou l’établissement déjà mobilisé, alors même que ce dernier n’est pas toujours en capacité d’évaluer du fait des délais de mise en œuvre des mesures ou qu’un regard tiers serait nécessaire sur la situation. » Mme Michèle Créoff fait état de la réticence des départements à utiliser le référentiel et indique que l’enquête menée par le GIP France enfance protégée et la HAS pourrait conduire à retarder le déploiement de celui-ci. Elle évoque aussi la circulation d’informations erronées, relayées par certains départements, sur la contradiction du référentiel de la HAS avec d’autres référentiels préexistants, comme le référentiel ESOPPE (référentiel d’évaluation participative des situations des enfants et des familles en protection de l’enfance) ([272]). Il y a donc manifestement une difficulté à faire évoluer les pratiques professionnelles au sein de certaines CRIP. Une telle situation permet d’éclairer sur le fait que, outre les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance à proprement parler, les réformes prises pour répondre à ces manquements peinent à être déployées dans les territoires et ce au détriment des familles et des enfants à protéger.
Enfin, comme cela était souligné dans le rapport de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi Taquet ([273]), la mise en place du référentiel n’est pas adossée à un mécanisme de sanctions.
2. D’autres lacunes subsistent dans le recueil et le traitement des IP, en particulier sur les délais de traitement et la formation
La réduction des délais d’évaluation au sein des CRIP tout comme le renforcement de la qualité de ces dernières ne seront rendus possibles que grâce à une formation et à une pluridisciplinarité accrues. Cela permettra également de mieux graduer les interventions.
a. La formation de tous doit être renforcée, tant pour le personnel des CRIP que pour les personnes qui peuvent être amenées à les saisir
Signaler ou faire remonter une information préoccupante à la CRIP est une lourde responsabilité. Compte tenu de l’absence de formation sur le repérage des situations de danger, cela peut désinciter à formaliser ces situations de danger auprès des autorités compétentes. Une fois l’IP transmise, la qualité de son évaluation est déterminante pour l’avenir de l’enfant.
Il a déjà été mentionné supra les dispositions de l’article L. 542-1 du code de l’éducation, qui prévoient une formation sur la protection de l’enfance en danger pour l’ensemble des professions et institutions, organisée de manière partiellement commune à celles-ci. Ces formations ne sont pas encore suffisamment mises en œuvre aujourd’hui, ou bien sans approche holistique. Il existe cependant certaines bonnes pratiques : ainsi, l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) dispensent des formations à destination des professionnels évaluateurs, en particulier sur les critères de qualification d’une IP ([274]).
À l’inverse, certains outils de formation auraient dû être largement diffusés et ont fait les frais de déboires institutionnels. Tel est le cas du livret de formation « Mélissa et les autres », rédigé par la première Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) : « le programme de formation que nous avions conçu et dont le Gouvernement a reconnu la qualité aurait permis de former 1 000 ou 2 000 professionnels depuis le mois de janvier [2024]. […] Le livret de formation “Mélissa et les autres” est consacré au repérage et au signalement des enfants victimes ; il est reconnu, jusqu’à preuve du contraire, de manière unanime comme un outil utile et performant. Nous l’aurions diffusé et nous aurions commencé à créer une doctrine de pratique professionnelle. Il n’est pas justifiable que ce ne soit pas le cas », a regretté M. le juge Édouard Durand, ancien président de cette commission ([275]).
Certains acteurs sont encore réticents à saisir les CRIP, notamment dans le monde médical. En audition, le professeur Marie-Paule Martin-Blachais a évoqué le chiffre de 3 % d’IP provenant du monde médical ([276]). La famille devant normalement être informée lorsque l’IP fait l’objet d’une évaluation, il peut y avoir une certaine crainte de perte de confiance de la part des parents de l’enfant, voire de représailles. Mme Céline Greco a abondé en ce sens lors de son audition : « Il est extrêmement difficile de repérer un enfant et de le signaler, surtout pour un médecin traitant isolé dans son cabinet, car cela représente une grande responsabilité. De nombreuses études montrent que la peur des représailles freine les signalements. C’est plus facile à l’hôpital car on travaille en équipe ([277]). » Le code pénal permet la levée du secret médical pour effectuer un signalement au procureur ou une saisine de la CRIP ([278]). Cependant, selon l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel, les médecins « ne sont pas protégés de la même façon selon qu’ils signalent des violences conjugales ou des violences faites aux enfants » en cas de passage devant l’Ordre des médecins à la suite d’une poursuite liée au signalement ([279]). La rapporteure invite à réformer ce point, en lien avec l’Ordre des médecins. Elle souhaite également :
– que la formation des médecins inclue un tronc commun sur les adverse childhood events (ACE) et sur les conséquences de ces événements adverses sur la santé de l’enfant et du futur adulte ;
– que les étudiants en médecine puissent effectuer des stages dans le secteur médico-social et en santé sociale, afin que la nouvelle génération de médecins dispose d’une approche pluridisciplinaire et holistique de la santé des enfants en France.
Le rapport de l’IGAS de 2019 précité souligne que le repérage effectué par les médecins pâtit également des conditions d’organisation des consultations, généralement plus courtes, de la baisse des visites à domicile mais aussi d’une absence de prise en compte du contexte social – on retrouve ici les travers de la séparation entre secteur sanitaire et secteur social, déjà abordés dans la partie du présent rapport consacrée à la gouvernance. La rapporteure souhaite donc que des établissements consacrés à la fois à la santé et aux problématiques sociales, tels qu’ils existent au Québec sous la forme de centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) ou de centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) ([280]), puissent être développés en France, afin de garantir une réponse conjointe à ces enjeux. Cet objectif peut être atteint en mutualisant, au sein des territoires, des structures déjà existantes.
L’article L. 221-2 du CASF prévoit qu’un médecin référent « protection de l’enfance » doit être désigné au sein des services de chaque département. Il doit garantir la coordination entre ces services et la CRIP, d’une part, et les médecins, d’autre part. Il serait également opportun que ce médecin référent puisse conseiller les professionnels de santé lorsqu’ils ont un doute sur l’opportunité de saisir la CRIP ou d’effectuer un signalement au parquet. L’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel a également mentionné l’existence du « 119 pro », « une ligne où les professionnels qui ont un doute sur leurs obligations et sur les risques qu’ils encourent peuvent joindre d’autres professionnels de leur corps pour discuter, ce qui leur permet d’une part d’étayer leurs soupçons et, d’autre part, de saisir les bonnes instances ([281]) ».
Plus généralement, il est fondamental que chacun comprenne l’importance d’agir en cas de suspicion de danger. Le témoignage de M. Matthieu Bourrette, avocat général près la cour d’appel de Paris l’a rappelé avec force ([282]). M. Bourrette était procureur de la République près le tribunal judiciaire de Reims, en 2016, lorsque Tony, trois ans, est mort sous les coups de son beau‑père. Une information judiciaire pour non‑assistance à personne en péril et non‑dénonciation de mauvais traitements sur mineurs contre tous autres avait été ouverte, des défaillances liées à des signalements non effectués et qui auraient manifestement dû l’être ayant été constatées.
La création d’une culture commune sur le repérage des situations de danger et de violences doit passer par une meilleure sensibilisation à ces enjeux auprès de l’ensemble des personnes en contact régulier avec des enfants. Plusieurs pistes pour établir des formations en la matière ont été évoquées lors des auditions. La rapporteure retient particulièrement celle proposée par Mme Greco, qui suggère de prévoir une formation en ligne à ce sujet à l’intention des personnels au contact des enfants, dans les milieux associatifs et sportifs notamment.
En complément, la rapporteure souhaite qu’une campagne nationale soit lancée pour sensibiliser l’ensemble de la population aux conséquences dévastatrices des traumatismes que subissent les enfants sur leur développement.
Recommandation n° 23 : Prévoir une formation en ligne sur les enjeux du repérage des enfants en situation de danger à l’intention des personnels au contact régulier des enfants, en particulier dans les milieux associatifs et sportifs ;
Recommandation n° 24 : Lancer une campagne nationale sensibilisant sur les conséquences des traumatismes subis par l’enfant sur son développement.
b. La réduction des délais de traitement doit être une priorité, tout en ne sacrifiant pas la qualité de l’évaluation
Les CRIP sont souvent engorgées et ne parviennent pas à traiter les IP dans le délai imparti de trois mois. Le Syndicat de la magistrature évoque ainsi un délai de plus de huit mois pouvant s’écouler avant une première évaluation pour certains signalements ou IP ([283]).
D’autres demeureront sans réponse, causant des drames, comme l’ont rappelé certains témoignages en commission d’enquête.
Mme Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, était juge d’instruction au tribunal de grande instance de Meaux lors de la mort de Bastien, trois ans, en 2011, enfermé par son père dans une machine à laver. Plusieurs IP avaient été effectuées et la famille était suivie par les services sociaux ([284]).
Mme Karine Brunet-Jambu, auteure de l’ouvrage Signalements, a vécu les pires violences durant douze ans dans sa famille, malgré de nombreux signalements réalisés dès le plus jeune âge – le premier à l’hôpital, dix jours après sa naissance. Quelques jours plus tard, une technicienne de l’intervention sociale et familiale (TISF) est intervenue et a communiqué à sa direction « un rapport qui devait être communiqué au juge des enfants, dans lequel elle indiquait que Karine était exposée à un danger immédiat tel qu’il fallait absolument prévoir son placement ([285]) ». Sa tante, Mme Laurence Brunet‑Jambu, auteure de l’ouvrage Signalements, n’a eu de cesse de dénoncer la situation auprès des autorités mais n’a obtenu le retrait de sa famille que très tardivement et après avoir été placée en garde à vue pour dénonciation calomnieuse. La rapporteure tient ici à saluer le combat de cette tante et de sa nièce. Elle rappelle que, dans cette affaire, l’État a été condamné, notamment pour déni de justice et faute lourde. La rapporteure appelle l’État à s’emparer des propositions formulées par Mme Laurence Brunet-Jambu, en particulier sur le déploiement de « Calliope », programme visant à aider les enfants victimes à libérer leur parole lorsqu’ils sont auditionnés par la justice, la gendarmerie ou la police.
Plus généralement, la décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance relève que l’afflux d’informations préoccupantes occasionne des délais d’attentes de plusieurs mois avant même leur transmission aux évaluateurs. Elle dénonce également des « circuits de traitement des IP parfois très complexes » ainsi que la « multiplication des niveaux de validation hiérarchique ». Mme Flore Capelier a quant à elle relevé que « les horaires d’ouverture ne sont pas réguliers, les permanences téléphoniques, prévues par la loi, sont plus ou moins assurées, les cellules renvoient parfois au 119, etc. ([286]) ».
La rapporteure alerte aussi sur le phénomène de saisonnalité des IP : le nombre d’IP en provenance de l’éducation nationale a tendance à augmenter juste avant les vacances scolaires, ce qui, selon Mme Ève Robert (ANDASS), « interroge sur la compréhension du dispositif par les personnels de l’éducation nationale. Nous devrons travailler avec nos partenaires pour mieux cibler les alertes et étudier les solutions alternatives. » Mme Robert explique en effet qu’un travail de prévention avec les familles est souvent bien plus efficace que la transmission d’une IP, « qui contribuera à emboliser le système de la protection de l’enfance, notamment dans ses fonctions d’évaluation ([287]) ». Cela témoigne, une fois de plus, de la nécessité de renforcer les dispositifs de prévention et de l’importance d’une bonne connaissance de ceux-ci par les personnels des différentes institutions au contact des enfants.
Le manque de moyens est un autre facteur explicatif des problématiques constatées, tant au sein des CRIP que dans les services les plus à même d’effectuer des signalements. Du côté des CRIP, selon les départements, le nombre d’IP à traiter par chaque professionnel est très variable : le rapport d’information de la députée Perrine Goulet sur l’ASE évoque un rapport de un à sept sur le nombre d’IP que chaque professionnel doit traiter (de 78 à 587 IP par professionnel) ([288]).
La qualité de l’évaluation ne doit toutefois pas pâtir de son accélération. Cette évaluation doit garantir que la réponse la plus appropriée soit donnée à la situation subie par l’enfant. Plusieurs acteurs ont insisté sur ce point :
– en audition, M. Hervé Laud (SOS Villages d’Enfants), a souligné que l’évaluation doit laisser le temps de déterminer si l’enfant a besoin d’une alternative à ses parents et si de telles alternatives existent, notamment au sein de la famille ([289]) ;
– plusieurs représentants des magistrats regrettent la faible évaluation de certaines situations. La CNPR relate une qualité variable des signalements, « la CRIP se contentant parfois de reproduire les propos qui lui sont rapportés sans véritablement procéder à une évaluation ou à des investigations pour s’assurer de leur pertinence », ce qui oblige le parquet à demander une évaluation sociale complémentaire ([290]). Le Syndicat de la magistrature souligne un phénomène de « déresponsabilisation » concernant ces signalements, avec des absences d’évaluation et une demande de saisine directe du juge des enfants pour ordonner une MJIE ([291]). Enfin, l’AFMJM a regretté dans sa contribution écrite que « les parquets n’assurent pas toujours leur rôle de filtre, se saisissant dès qu’une situation d’enfant est inquiétante, sans exiger préalablement du département qu’il rapporte la preuve que l’une des conditions prévues par l’article L. 226-4 du CASF est remplie (mesures administratives infructueuses, refus de la famille de l’intervention du service de l’ASE, enfant en danger grave et immédiat, évaluation impossible de la situation de l’enfant) ([292]) ».
La procédure d’évaluation proprement dite peut donc être améliorée. La Défenseure des droits a notamment relevé un manque de pluridisciplinarité chez certaines CRIP ([293]). Il est fondamental que les CRIP recourent en tant que de besoin à la faculté, ouverte par l’article D. 226-2-5 du CASF, de recourir à des experts ou services spécialisés externes lorsqu’une problématique spécifique se présente.
Une bonne pratique qui se développe est le détachement d’éducateurs de la PJJ au sein des CRIP, à hauteur de 0,2 ETP pour une CRIP. La DPJJ souligne que cela permet d’« harmoniser le dispositif de signalement et transmettre des informations de meilleure qualité à l’autorité judiciaire, afin qu’elle intervienne plus rapidement ([294]) ». Cela permet aussi de renforcer une approche pluridisciplinaire. À ce jour, d’après les chiffres fournis par la DPJJ, trente-trois départements ont bénéficié de ce dispositif. La rapporteure souhaite qu’il puisse être généralisé.
Recommandation n° 25 : Généraliser la présence d’un professionnel de la PJJ au sein des CRIP.
En outre, le renforcement des liens entre les CRIP et les institutions ou organismes réalisant les signalements ou susceptible d’aider à réaliser les évaluations permettrait d’améliorer la qualité du circuit de traitement des IP. De même, il est important de disposer d’éléments de bilan sur l’activité des CRIP, afin de faire évoluer les pratiques en fonction de ceux-ci. La Défenseure des droits, dans sa décision-cadre, a formulé une recommandation à ce sujet, que la rapporteure souhaite reprendre ici.
Recommandation n° 26 : Donner suite à la recommandation n° 25 de la décision-cadre du Défenseur des droits sur la protection de l’enfance, qui préconise :
– de veiller à la production de rapports d’activité annuels par les CRIP ;
– de mettre en place un protocole permettant d’identifier les personnes extérieures à la CRIP pouvant venir en soutien de celle-ci pour l’évaluation ;
– de conclure des conventions bilatérales avec chacun des organismes susceptibles de transmettre des IP lorsque cela n’a pas été fait et identifier en leur sein un interlocuteur référent ; renforcer à leur intention les sessions de formation sur l’enfance en danger.
Elle fait également sienne une des préconisations du rapport de la CIIVISE, publié en novembre 2023 ([295]), de systématiser les retours du parquet sur les signalements reçus aux différents administrations et professionnels concernés, comme l’impose l’article L. 226-4 du CASF, afin d’informer des suites qui ont été données et de disposer d’une meilleure compréhension de la situation afin d’accompagner l’enfant au mieux. Cette problématique des retours sur les signalements ou IP effectués a d’ailleurs été évoquée lors de d’audition de la DGESCO ([296]).
Recommandation n° 27 : Comme préconisé par la CIIVISE dans son rapport de novembre 2023 (préconisation n° 14), systématiser les retours du parquet sur les signalements émis par les administrations et les professionnels.
B. le 119, un numéro d’appel saturé qui peine à recruter
Intégré au GIP France enfance protégée, le Service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED), qui correspond au numéro d’appel 119, trouve son origine dans la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance. Le 119 est régi par les dispositions de l’article L. 226-6 du CASF. Il s’agit d’un service d’accueil téléphonique gratuit, national, qui doit favoriser la protection des mineurs en danger en répondant à tout moment « aux demandes d’information ou de conseil concernant les situations de mineurs en danger ou présumés l’être ». Il dispose à la fois d’une mission d’aide immédiate pour réceptionner les appels et aider les personnes appelantes, mais aussi de transmission d’une IP lorsque cela s’avère nécessaire. Le rapport de l’IGAS de 2020 sur la création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance indique que le SNATED transmet entre 0,5 % et 22 % des IP selon les départements.
Concrètement, lors d’un appel, un pré-accueil est réalisé, constituant un premier filtre. La cellule de pré-écoute transmet ensuite l’appel à un plateau d’écoutants professionnels. Ce plateau est joignable vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le pré-accueil est quant à lui joignable de huit heures à vingt-trois heures en semaine et de neuf heures à vingt-trois heures le week-end (les écoutants décrochant directement lorsque le pré-accueil est fermé) ([297]). Le service compte au total une quarantaine d’écoutants professionnels qui se relaient. Les écoutants représentent 40 % des effectifs du GIP, qui compte lui-même 120 agents ([298]).
En complément de la ligne téléphonique, le 119 propose également un système de formulaire à remplir sur son site internet et un autre de tchat, ce dernier étant réservé aux moins de vingt et un ans.
Un dispositif spécial de lutte contre la prostitution des mineurs a été mis en place depuis avril 2023, avec une plateforme dédiée, également ouverte aux parents, aux proches des victimes et aux professionnels.
Par ailleurs, des campagnes de communication ont été mises en place ces dernières années pour faire connaître ce numéro d’appel, notamment dans les lieux accueillant des mineurs de façon habituelle, où il doit obligatoirement être affiché ([299]). En audition, Mme Florence Dabin, présidente du GIP France Enfance protégée, a évoqué des problèmes de lisibilité de ce numéro qui perdurent, notamment en raison de la coexistence avec d’autres numéros. Mme Anne Morvan‑Paris, directrice générale du GIP, a cependant précisé que les appels au 119 sont en hausse de 15 % à 20 % par an, ce qui démontre malgré tout l’amélioration de la connaissance de ce service par le grand public ([300]).
Concernant les dangers évoqués lors des appels, le dernier bilan d’activité disponible du SNATED, pour l’année 2022 ([301]), rapporte que les violences psychologiques sont évoquées dans 54 % des situations, suivies des négligences envers l’enfant (48,5 %) et des violences physiques (36,2 %). Dans pratiquement une sollicitation sur dix, des violences sexuelles sont évoquées. La rapporteure rappelle que les préconisations de la CIIVISE n’ont pas été suivies d’effets à ce jour. Cela démontre que la lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants n’est pas prise en compte à la hauteur de l’enjeu qu’elle représente pour protéger les enfants. D’autres pays ont pourtant réussi à s’emparer du sujet : l’Australie a par exemple lancé, en 2022, une stratégie sur dix ans pour lutter contre les violences faites aux femmes et aux enfants ([302]).
Concernant l’activité du service, elle avait baissé de 6,6 % en 2022 par rapport à 2021, avec notamment une baisse des sollicitations traitées provenant des formulaires (– 4,4 %) et des appels téléphoniques (– 11 %).
La rapporteure déplore que les statistiques relatives à l’activité du 119 n’aient pas été mises à jour depuis 2022 et appelle à ce que cela soit effectué dans les meilleurs délais.
Le 119 est confronté à un manque chronique d’écoutants, lié notamment à des difficultés de recrutement et à un manque d’attractivité, ce qui conduit à la saturation de ce service. L’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel a évoqué ces difficultés en audition, soulignant que le 119 « peine à recruter des écoutants car le métier est difficile, malgré la revalorisation salariale décidée de concert par les départements et l’État ([303]) ». Des tensions sociales semblent exister, Mme Morvan-Paris évoquant un climat social « meilleur qu’il y a quelques mois ([304]) ». La refonte du GIP et l’intégration de nouveaux acteurs à ce dernier par la loi Taquet de 2022 sont à prendre en compte.
Le bilan d’activité 2022 du SNATED évoque « une baisse du nombre d’heures travaillées, écoute et tchat confondus (– 2,3 %) liée aux difficultés de recrutement du service ». Le nombre de pré-accueillants et d’écoutants disponibles par tranche horaire est faible.
Personnes du pré-accueil et écoutants disponibles par tranche horaire au 119 (2022)
Pré-accueil
Écoute
Source : rapport d’activité du 119, 2022.
Ces effectifs ne peuvent suffire à assurer un service de qualité. En témoignent les trop nombreuses invitations à rappeler, en hausse de quasiment 20 % entre 2023 et 2024. Le taux d’invitation à rappeler demeure lui aussi élevé, bien qu’en baisse : il était de 54,8 % en 2021 et de 45,1 % en 2022. Il atteint 42,5 % en 2023 et 42,9 % en 2024. Or la démarche d’appeler le 119 n’est pas forcément évidente et peut concerner des situations déjà très dégradées : il faut donc limiter les rappels au maximum.
Bilan des appels traités par le SNATED en 2023 et 2024 ([305])
Source : GIP France Enfance protégée.
Le GIP a conscience de cette difficulté, qu’il relie non seulement au nombre d’écoutants mais aussi « aux modalités actuelles de fonctionnement (cycles de travail, notamment la nuit…) » et à la « sous-utilisation d’outils multi-canaux (tchat, formulaires, créneaux de rappels…) ([306]) ». Mme Dabin a indiqué que deux ETP d’écoutants supplémentaires étaient en cours de recrutement, pour atteindre trente ETP au total ([307]). Il lui semble également que certaines procédures internes pourraient être améliorées, évoquant des méthodes peu efficientes : « Aujourd’hui, les écoutants notent chaque témoignage dans un carnet puis, une fois que leur interlocuteur a raccroché, enregistrent les informations dans un formulaire préexistant. Nous pouvons sans doute optimiser ces pratiques afin de répondre à un plus grand nombre d’appels ([308]). »
La qualité de service est donc réduite alors que le 119 est un dispositif essentiel pour détecter les situations de danger et les évaluer. Le bon fonctionnement de ce service est d’autant plus essentiel que les situations urgentes traitées par le 119 sont en hausse de 27 % environ entre 2023 et 2024 (voir tableau supra). En 2023, un appel au 119 pour alerter de violences subies par Lisa, trois ans, avant qu’elle ne décède sous les coups, n’aurait pas abouti – l’enquête est cependant toujours en cours ([309]).
Mme Dabin a indiqué lors de son audition que les trois dernières secrétaires d’État chargées de l’enfance, Mmes Caubel, El Haïry et Canayer, ont alerté le GIP sur les difficultés du 119. La dernière assemblée générale du GIP a fait de l’amélioration de la structuration de ce service une priorité, un chargé de mission ayant été recruté à cette fin. Doivent notamment être effectués une analyse des cycles de travail, des rappels, de l’opportunité de faire évoluer le tchat et de renforcer celui-ci sur certaines plages horaires, des modalités d’organisation entre pré-accueil et écoutants, des coûts afférents, etc. Des propositions d’amélioration de la qualité de service devraient être formulées à la mi-2025.
La rapporteure observe que, malgré les dysfonctionnements recensés rapport après rapport, le manque de volonté politique d’un pilotage national sur ces enjeux n’a pas permis de faire évoluer la situation. La France doit désormais répondre à un impératif : faire de l’enfance une priorité pour rejoindre les pays les plus avancés en matière de protection de l’enfance que sont les pays nordiques, le Canada ou encore l’Allemagne.
Quatrième partie : La prise en charge au titre de la protection de l’enfance
La prise en charge prévue dans le cadre de la protection de l’enfance est aujourd’hui profondément inadaptée aux besoins des enfants.
Les délais d’exécution des décisions de justice sont symptomatiques d’un système qui ne parvient pas à les protéger correctement. Les conditions d’accueil sont défaillantes, avec de nombreuses mises en danger, témoignant de graves manquements dans les politiques publiques mises en œuvre. L’ASE est le réceptacle des insuffisances observées dans les politiques publiques connexes, qu’il s’agisse de la santé, du handicap, de l’éducation nationale ou de la protection judiciaire et de la jeunesse.
Les professionnels de terrain et les associations dénoncent unanimement une spirale de l’urgence. Surcharge des équipes et des structures d’accueil, augmentation des « cas complexes », hausse des mesures de placement sans que les capacités d’accueil ne suivent, inefficacité des mesures d’intervention à domicile par manque de moyens et de vision, défaillances des politiques publiques directement liées à la protection de l’enfance, tous ces facteurs participent à l’embolie généralisée d’un système et à l’épuisement des professionnels. Les réponses apportées sont insuffisamment graduées : à défaut d’un mécanisme d’intervention préventive adapté, certaines situations dégénèrent et aboutissent à des placements qui auraient pu être évités. À l’inverse, faute de places disponibles pour l’accueil, certains enfants restent dans leurs familles malgré le danger encouru. Cette gestion de l’urgence s’effectue au détriment du suivi des enfants et de l’élaboration de son parcours et de son projet d’avenir. Les politiques publiques actuelles sont donc structurellement dysfonctionnelles.
Face à ce constat, plusieurs priorités d’actions sont essentielles aux yeux de la rapporteure. Il convient globalement d’initier un changement de paradigme afin de prioriser véritablement les mesures d’intervention à domicile, ce qui exige d’y consacrer les moyens adéquats. Ensuite, il est urgent de mettre en place des normes d’encadrement dans les structures d’accueil, pour répondre aux graves dysfonctionnements constatés, et de renforcer les contrôles. Au-delà, il convient de garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, ce qui nécessite de construire de véritables parcours au sein de la protection de l’enfance et d’en accompagner la sortie, tout en repensant entièrement les modalités de prise en charge, notamment du point de vue de la santé et du handicap.
Les délais de mise en exécution des décisions de justice d’assistance éducatives (placements et AEMO) sont excessivement longs et mettent en danger les enfants. Ils reflètent les insuffisances de l’offre et plus globalement les défaillances du système. Ainsi, les dysfonctionnements de la protection de l’enfance s’auto‑entretiennent : la saturation de l’accueil conduit à une prise en charge inadaptée qui ne garantit pas de sortie du dispositif et alimente donc la durée des placements, contribuant à l’embolie généralisée.
Comme le regrettait déjà le rapport établi par l’IGAS et l’Inspection générale de la justice (IGJ) de 2020 sur les délais d’exécution des décisions de justice en matière de protection de l’enfance ([310]), « il n’existe pas de données nationales, et même parfois départementales, consolidées permettant de connaître les délais d’exécution des décisions de justice ». Le travail fourni dans le cadre de ce rapport avait permis d’identifier « une augmentation générale des délais d’exécution de l’ensemble des décisions de justice en dépit d’écarts très importants entre départements, voire au sein d’un même département et selon les opérateurs ». Pour les placements, la mission IGAS-IGJ faisait état d’un délai moyen d’exécution de dix jours. Pour les mesures d’AEMO, le rapport indiquait qu’un tiers des départements présentait des délais d’exécution moyens supérieurs à quatre mois et deux tiers des délais moyens compris entre zéro et trois mois.
Les auditions conduites par la commission d’enquête laissent penser que ces délais ont eu tendance à s’aggraver depuis. La rapporteure a envoyé à l’ensemble des départements un questionnaire afin d’obtenir des données consolidées sur différentes thématiques, dont celle des délais d’exécution des décisions de justice. Si les résultats doivent être pris avec précaution, ils n’en demeurent pas moins éclairants ([311]). Ainsi, ces résultats montrent des délais moyens qui se situent autour de vingt jours pour les placements en famille d’accueil et de trente jours pour les placements établissement. Quant aux AEMO, le délai moyen de leur mise en œuvre est légèrement en dessous de quatre mois.
Délais moyens d’exécution des mesures de placements et d’actions à domicile
Source : commission d’enquête, à partir des réponses au questionnaire envoyé aux départements ([312]).
Ces moyennes masquent des disparités importantes en fonction des départements. Pour certains d’entre eux, les délais peuvent atteindre plus de six mois pour les mesures de placements et plus de 18 mois pour les AEMO.
Ces chiffres sont concordants avec ceux évoqués au cours des auditions. Mme Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), alerte sur des mesures de placement pouvant prendre deux, trois, voire six mois.
Une enquête conduite par le Syndicat de la magistrature identifie plus de 3 500 mesures de placement non exécutées sur l’ensemble du territoire. Si aucun département n’est exempt, les difficultés sont particulièrement prononcées pour certains d’entre eux (dont le Nord, la Loire-Atlantique, l’Ille-et-Vilaine), comme en témoigne la carte ci‑après.
Les placements inexécutés par département,
selon l’enquête du syndicat national de la magistrature
Source : « La Justice protège-t-elle les enfants en danger ? », enquête du Syndicat de la magistrature, mai 2024.
Les délais de mise en œuvre des mesures à domicile sont « un véritable serpent de mer ». En revanche, les retards en matière de placement semblent constituer un phénomène plus récent, comme en témoigne Mme Cécile Mamelin (USM) : « Depuis que j’ai commencé mon activité en 1992, je n’ai quasiment jamais connu une année où les mesures éducatives étaient exercées immédiatement. […] Ensuite, après m’être éloignée de ce domaine pour exercer d’autres fonctions, j’ai été stupéfaite d’apprendre que les mesures de placement étaient également mises en attente. Cela fait une dizaine d’années que cette situation perdure et personne n’en parle ([313]). »
Face à cette situation, certains magistrats demandent l’instauration d’une obligation d’exécution des décisions judiciaires. En 2009, dans un rapport sur la protection de l’enfance ([314]), la Cour des comptes recommandait déjà de définir une notion de délai raisonnable d’exécution par les départements des décisions ordonnées par les juges et d’assurer le suivi des délais effectifs.
Ces délais d’exécution sont responsables de drames et aggravent profondément les dysfonctionnements des politiques publiques de protection de l’enfance. La rapporteure souhaite ici souligner un point central : la temporalité de l’enfant n’est pas celle de l’adulte. Comme l’a rappelé Mme Michèle Créoff au cours de son audition, « pour son bon développement, [l’enfant] a besoin que le danger prenne fin rapidement et ne se renouvelle pas. Il y a des fenêtres de tir à ne pas manquer ([315]). »
Les décisions de placement ne sont jamais anodines. En attente de leur exécution, l’enfant peut se retrouver en situation de très grave danger et risquer sa vie. Mme Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l’USM, a ainsi confié avoir « connu des enfants qui se sont fait violer, alors même que la mesure de placement était ordonnée. D’autres enfants sont morts, alors même que la mesure de placement était également ordonnée, mais non exécutée ([316]). » Cette mise en danger des mineurs du fait de l’inexécution des décisions de justice a également été pointée par les magistrats du parquet du Nord, qui citent des exemples éloquents : « un mineur de trois ans placé à l’ASE dont le placement était ineffectif, qui était toujours accueilli par ses parents, et qui a été découvert sur le bord de la route […] alors que sa mère était ivre, […] ou encore un mineur faisant l’objet d’une OPP et ayant été hébergé dans un hôtel connu pour être un lieu de prostitution ([317]) ».
Concernant les interventions à domicile, les retards d’exécution les rendent inefficaces et contribuent à l’embolie du système : en l’absence d’intervention pendant plusieurs mois, les situations familiales peuvent considérablement se dégrader. Les retards d’exécution se traduisent alors, in fine, par une mesure de placement prise des mois plus tard. Comme l’a rappelé la Défenseure des droits au cours de son audition, « admettre des retards dans la prise en charge, c’est admettre l’amplification du danger pour les enfants et la dégradation de situations qui conduiront inévitablement à l’urgence d’un placement ([318]) ». Cette analyse est aussi celle de Mme Anne-Solène Taillardat (Comité de vigilance des enfants placés) : « Cela conduit à une dégradation des situations, parfois dramatique, rendant l’AEMO inutile. Lorsque le premier éducateur intervient, la situation s’est tellement détériorée que la mesure perd tout son sens ([319]). »
Ces délais d’exécution peuvent biaiser les décisions prises par les magistrats, au détriment de l’intérêt de l’enfant :
– ils peuvent décider de prescrire des mesures d’AEMO classiques à la place d’une mesure d’AEMO renforcée, si les délais d’attente pour les AEMO renforcées sont trop longs ;
– des placements peuvent également être ordonnés, alors qu’une AEMO aurait pu être plus adaptée. Ainsi que le signale Mme Cécile Mamelin (USM), « [les juges] sont parfois contraints de prendre des mesures plus graves que celles qu’ils auraient initialement envisagées, simplement pour que les décisions soient appliquées plus rapidement ([320]) ».
– les juges peuvent renoncer à prendre une décision d’AEMO, en particulier pour les adolescents de quinze ou seize ans, au vu des délais de mise en œuvre ;
– plus grave encore, les juges peuvent renoncer à des mesures de placement, en raison de l’anticipation du manque de places et de structures adaptées. Selon l’enquête du Syndicat de la magistrature précitée, 77 % des juges interrogés ont déjà renoncé à une mesure de placement pour ces raisons ([321]).
Les retards d’exécution désorganisent la chaîne de la protection de l’enfance et jettent le discrédit sur la justice. Ils conduisent également à une perte de sens pour les professionnels, magistrats mais également travailleurs sociaux, largement relayée par les syndicats et organisations professionnelles entendus. Comme le résume Mme Muriel Eglin (AFMJF) : « Nous finissons par adopter des mesures en fonction de [la disponibilité des places] plutôt qu’en fonction des besoins réels de l’enfant ([322]). »
Alors que le nombre de mesures ASE augmente, les tensions sur le nombre de places et de professionnels en capacité de prendre en charge les enfants s’alourdissent.
L’insuffisance quantitative de l’offre se conjugue à un problème qualitatif bien identifié, restant à ce jour sans solution : la protection de l’enfance éprouve de grandes difficultés à prendre en charge de façon adaptée les enfants qui cumulent plusieurs vulnérabilités (protection de l’enfance, handicap, santé mentale), en raison notamment des lacunes de l’offre médico-sociale disponible et de la pédopsychiatrie (voir infra). Ces enfants sont souvent qualifiés de « cas complexes », un terme qui peut recouvrir une grande variété de situations. L’UNIOPSS l’indique bien dans sa contribution écrite : « Les professionnels de la protection de l’enfance n’ayant pas tous des connaissances dans ce domaine, ils peinent parfois à mettre des mots sur les situations. Sont ainsi souvent évoqués des situations complexes, des enfants à besoins multiples, des profils psychiatriques » sans pour autant qu’un diagnostic médical ait été posé.
L’ASE devient ainsi le réceptacle et l’amplificateur des faiblesses des politiques publiques connexes : santé mentale, handicap, éducation nationale, protection judiciaire et de la jeunesse (PJJ), qui contribuent à l’embolisation des structures et à l’épuisement généralisé.
Dans ce contexte, l’ASE ne parvient pas à proposer des solutions adaptées aux enfants. Comme le résume Mme Natacha Aubeneau (USM), « un placement réussi suppose d’adapter le lieu de placement à la problématique de l’enfant. En réalité, cet aspect n’est nullement pris en compte puisque l’on met les enfants là où on trouve de la place ([323]). »
Ces difficultés sont aussi alimentées par des problèmes de coordination et de visibilité. Les pratiques sont très disparates en fonction des territoires. Certains juges critiquent le manque de transparence des départements quant au nombre de places disponibles. À l’inverse, certains départements éprouvent des difficultés à anticiper les besoins. Pour Mme Cécile Mamelin (USM), « les juges des enfants rencontrent des difficultés pour connaître l’état exact des placements. Les réponses ne sont pas toujours fournies. Certains peinent à savoir quand les décisions seront exécutées et dans quel établissement. Cette opacité et ce manque de transparence sont unanimement décrits par les collègues, qui se retrouvent démunis face à la dégradation des situations familiales ([324]). »
Or, sans données centralisées sur la question de la protection de l’enfance, il est impossible de connaître le nombre de places dont a besoin un territoire. Ce manque d’analyse empêche toute programmation, contrairement à d’autres champs de l’action publique – le champ scolaire par exemple – où l’État et les collectivités territoriales déploient les moyens nécessaires pour anticiper les besoins. La rapporteure juge indispensable la mise en place sans délai d’analyses précises conduites territoire par territoire, dès la publication du présent rapport, pour identifier les besoins.
Elle souhaite ainsi le lancement par l’État d’un audit territorial de la protection de l’enfance. Cet audit devra se concentrer prioritairement sur les départements où la situation est la plus critique. Pour cela il est nécessaire d’établir une cartographie des besoins visant à mieux comprendre les facteurs de vulnérabilité, notamment en :
– analysant les facteurs socio-économiques (précarité, logement, chômage…) influençant le nombre d’enfants placés ;
– identifiant les pratiques des services de protection de l’enfance et leur éventuelle hétérogénéité entre départements ;
– vérifiant la qualité et la disponibilité des dispositifs de soutien aux familles pour prévenir les placements.
Un tel diagnostic est essentiel pour comprendre pourquoi certains territoires connaissent une surreprésentation des enfants confiés à l’ASE et pour identifier les leviers d’amélioration.
Il convient d’assortir ce diagnostic d’un plan d’urgence visant à examiner dans chaque territoire les situations en attente et y apporter une réponse dans les meilleurs délais dans l’intérêt de l’enfant ou du jeune majeur à protéger, y compris à titre exceptionnel sur un département situé en proximité, s’il dispose de places habilitées disponibles.
Recommandation n° 28 : Lancer immédiatement un audit territorial de la protection de l’enfance, pour établir une cartographie des besoins par territoire, comprendre les facteurs de vulnérabilité par territoire et y apporter les réponses nécessaires.
Prévoir immédiatement un plan d’urgence pour apporter une solution face aux décisions de justice non exécutées.
Le manque de moyens de la justice des mineurs influe sur la qualité des procédures d’assistance éducative. Un rehaussement des moyens est indispensable et doit aller de pair avec une réflexion sur la formation des magistrats.
Les évolutions concernant la procédure judiciaire en matière d’assistance éducative sont aujourd’hui peu effectives, faute de moyens suffisants pour les mettre en œuvre.
Ainsi, les jugements collégiaux, rendus possibles en matière d’assistance éducative par la loi Taquet pour les affaires d’une particulière complexité (article L. 252-6 du code de l’organisation judiciaire), sont très peu mis en œuvre. Certains tribunaux se sont saisis de cette possibilité, à l’image de celui de Bobigny, ce qu’il faut saluer. Mais ces bonnes pratiques semblent à ce stade rester des exceptions. Comme l’indique le Syndicat de la magistrature dans sa contribution écrite, « faute de moyens, il est en pratique impossible pour les tribunaux pour enfants de prévoir des audiences d’assistance éducative collégiales autrement que de façon très exceptionnelle ». Les réponses écrites du tribunal pour enfants de la Mayenne vont dans le même sens : « Il n’a pas été procédé à un jugement collégial en assistance éducative au tribunal pour enfants de Laval depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions. Au regard de la charge de travail habituelle des magistrats, ce dispositif est lourd à mettre en œuvre et chronophage. »
La loi a voulu renforcer la place de l’enfant dans la procédure. Mais le manque de moyens de la justice peine à traduire cette volonté en actes. En particulier, le principe de l’audition séparée du mineur en capacité de discernement, renforcé par la loi Taquet, n’est pas toujours respecté. D’après le Syndicat de la magistrature, en raison d’une trop lourde charge de travail, les juges des enfants ne peuvent pas consacrer suffisamment de temps à l’audition des enfants. De ce fait 34 % des juges des enfants ne procèdent pas systématiquement à l’audition séparée des enfants capables de discernement. Selon Mme Cécile Mamelin (USM), « l’enfant discernant est entendu quasiment systématiquement. Néanmoins, parfois, par manque de temps, lorsque les fratries sont nombreuses, les collègues n’entendent pas toujours l’enfant seul. En effet, cela rallonge le temps d’audience, tout comme la présence de l’avocat. En définitive, nous avons l’impression de courir après le temps. Les collègues posent la question suivante à l’enfant : “Veux‑tu être entendu seul ?” Il arrive que l’enfant réponde positivement, mais parfois il n’ose pas le faire. Il est regrettable de devoir poser cette question, car le principe inscrit dans la loi est que l’enfant doit être entendu seul lors de son audition ([325]). »
L’ensemble des acteurs entendus par la commission d’enquête s’accorde sur le besoin de recruter davantage de juges des enfants. Les conditions dégradées actuelles d’exercice de la justice des mineurs conduisent à des difficultés d’attractivité importantes. Selon Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat de la magistrature, un nombre croissant de juges des enfants demande à se déspécialiser.
En 2023, les juges des enfants ont été saisis de 124 100 nouveaux cas de mineurs en danger, un chiffre en hausse de 10 % par rapport à 2022, après une augmentation de 3,5 % par an en moyenne entre 2013 et 2022. L’accompagnement éducatif pouvant durer plusieurs années, le stock s’élevait à 302 838 mesures au 31 décembre 2023 ([326]), pour 522 juges des enfants. Les acteurs soulignent également de fortes inégalités entre juridictions, en fonction notamment de l’intensité de l’activité pénale, les juges des enfants ayant la double compétence civile et pénale. D’après l’USM, encore trop de juges des enfants ont en charge 600, voire 700 ou 800 mesures, ce qui rend impossible le fonctionnement d’une justice des mineurs de qualité.
Le nombre excessif de mesures suivies par juge entrave le bon fonctionnement de la justice. Mme Muriel Eglin (AFMJF) a eu l’occasion de rappeler devant la commission d’enquête que, dès 2012, « un groupe de travail de magistrats coordonnateurs des tribunaux pour enfants a réfléchi à la charge raisonnable d’intervention pour un juge des enfants. Les travaux ont conduit à proposer qu’un juge des enfants à temps plein puisse suivre 350 dossiers d’assistance éducative pour les cabinets dont l’activité pénale est inférieure à 40 %, donc minoritaire. Si l’activité pénale représente 40 % ou plus de l’activité juridictionnelle, les juges des enfants ne devraient pas gérer plus de 290 dossiers d’assistance éducative [...]. En 2022, une conférence nationale des présidents de tribunaux judiciaires a proposé un référentiel selon lequel un juge des enfants à temps plein, se consacrant uniquement à l’assistance éducative, devrait gérer 450 dossiers ([327]). » L’USM considère que la charge de travail normale d’un juge des enfants s’élève à environ 350 dossiers d’assistance éducative, avec une activité pénale de l’ordre de 25 à 30 % de la charge du cabinet. Le Syndicat de la magistrature estime quant à lui qu’un juge des enfants devrait suivre en moyenne 325 situations (soit un enfant ou une fratrie).
Comme indiqué au cours des auditions, le ministère de la justice élabore un référentiel de la charge des juges des enfants, dans le cadre d’un travail plus large ayant pour objectif d’établir des référentiels de charge de travail pour les différentes missions judiciaires. Force est de constater que ces référentiels ne sont toujours pas parus et entravent l’identification des besoins exacts pour garantir le bon fonctionnement de la justice des mineurs.
Quoi qu’il en soit, et malgré une légère augmentation ces dernières années, les moyens de la justice des mineurs restent très insuffisants et nécessitent un investissement nouveau.
L’évolution du nombre de postes de juge des enfants
Au cours des dix dernières années, le nombre des emplois localisés de magistrats du siège chargés des enfants au sein des tribunaux judiciaires a augmenté de 13,97 % (de 458 en 2013 à 522 en 2024) ([328]).
Néanmoins, selon les retours des syndicats, un certain nombre de ces postes correspondent à des créations pour l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs. Selon Mme Kim Reuflet (Syndicat de la magistrature) : « Depuis 2021, aucun effectif supplémentaire n’a été alloué à la justice civile des mineurs. Entre 2017 et 2021, nous sommes passés de 466 à 500 juges des enfants. Les créations de postes, réelles, restent très insuffisantes ([329]). »
Le ministre de la justice M. Gérard Darmanin a annoncé 100 magistrats de plus d’ici à 2027 pour les mineurs, dont 50 juges des enfants désignés dès 2025 ([330]). Il est essentiel qu’une partie de ces moyens soit orientée vers l’assistance éducative et non uniquement vers le volet pénal.
La rapporteure relève que ces nouvelles créations restent du reste en deçà des besoins identifiés par les acteurs. L’USM indique ainsi que les juges des enfants devraient être 87 de plus pour l’activité civile pure (hors décisions concernant les MNA et enfants de retour de zone). Pour le Syndicat de la magistrature, « il faudrait aujourd’hui 235 juges des enfants supplémentaires uniquement pour l’assistance éducative, en prenant en compte la norme ministérielle de 350 mesures par juge. Il en faudrait presque autant pour le pénal. Nous sommes donc très loin du compte ([331]). »
La pénurie de greffiers constitue un autre problème majeur. Bien que sa présence soit obligatoire en vertu du code de procédure civile, les juges des enfants en sont souvent privés. Mme Natacha Aubeneau (USM) le déplore : « il serait impensable de tenir n’importe quelle autre audience sans greffier. Malheureusement, en matière de protection des enfants, cette absence est tolérée. » Le constat est partagé par le syndicat de la magistrature, selon qui « le juge des enfants est le seul à être traité de la sorte » et qui indique que 30 % des juges des enfants tiennent leurs audiences sans greffier ([332]). Or la présence du greffier garantit les droits des justiciables et assure au juge une assistance nécessaire pour la prise de notes qui plus est dans des affaires complexes qui exigent une écoute attentive. Comme l’a précisé la présidente du tribunal des enfants de Bobigny Mme Muriel Eglin, la présence du greffier est une des conditions du bon déroulement des procédures et participe in fine à la meilleure protection des enfants ([333]).
Dans une décision rendue en 2020, le Défenseur des droits soulignait l’absence de greffiers dans les audiences d’assistance éducative, le nombre insuffisant de juges des enfants ainsi que l’allongement des délais de procédure devant les cours d’appel.
Tous ces éléments rendent tout cela rend urgent un renforcement des moyens de la justice pour que les missions d’assistance éducative puissent effectivement protéger les enfants, ce qui nécessite d’identifier les tribunaux les plus en difficultés – ceux où le nombre de mesures d’assistances éducatives par juge des enfants est le plus élevé – pour leur attribuer en priorité les moyens nécessaires.
Recommandation n° 29 : Garantir aux juges des enfants les moyens d’exercer leurs missions en matière d’assistance éducative, en augmentant le nombre de juges des enfants et en veillant à leur attribuer des greffiers. Cibler particulièrement les ressorts judiciaires où le nombre de mesures d’assistance éducative par juge des enfants est le plus élevé.
La rapporteure souhaite enfin insister sur un point qui lui paraît tout particulièrement primordial : le renforcement de la formation des magistrats.
Comme l’a rappelé Mme Muriel Eglin (AFMJF), « les magistrats sont initialement formés comme des généralistes, couvrant toutes les fonctions ». Or l’office du juge des enfants implique des décisions majeures pour la vie de l’enfant et des familles, qui rendent indispensable une formation dédiée, permettant notamment de comprendre les fonctionnements du psycho-trauma ainsi que les apports de la théorie de l’attachement. Aujourd’hui, « avant leur première prise de fonction en tant que juges des enfants, [ces derniers] suivent une formation spécifique d’environ cinq mois, comprenant un mois de formation théorique et quatre mois de formation pratique dans un cabinet de juges des enfants. Ils y exercent aux côtés d’un autre juge pour développer leur spécialisation ([334]). » La rapporteure souligne l’importance de veiller à ce que ces formations comprennent des modules cliniques, en particulier sur les psycho‑traumatismes.
Il est en outre opportun d’orienter davantage la formation continue obligatoire des juges des enfants – une semaine par an, comme l’ensemble des magistrats – vers des formations relatives à la protection de l’enfance. Dans ce cadre, la construction de formations communes avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance pourrait être encouragée, comme le suggère l’AFMJF. La rapporteure partage en outre pleinement la remarque formulée par Mme Muriel Eglin (AFMJF) : « Il est […] essentiel que cette formation soit, notamment pour les jeunes professionnels, axée sur l’exercice concret des fonctions actuelles, plutôt que sur des projections dans des fonctions futures. Il est pertinent de se former aux besoins fondamentaux de l’enfant lorsqu’on est juge des enfants, plutôt que de se préparer à la tenue des audiences correctionnelles qui auront lieu dans deux ans ([335]). »
La rapporteure note également avec intérêt l’existence du cycle approfondi d’études de la justice des mineurs proposé par l’ENM, une formation de deux ans comprenant des modules de deux à trois jours, qui aborde des questions spécifiques telles que le développement et la prise en charge des enfants, avec un accent particulier sur les sciences humaines. Il convient de développer largement ces formations, ce qui implique également de dégager du temps dans l’emploi du temps des juges des enfants.
En complément, une réflexion sur les politiques de ressources humaines et la durée des fonctions pourrait utilement être engagée au ministère de la justice. L’USM le rappelle ainsi dans sa contribution écrite : « Il est certain que la qualité de la prise en charge des mineurs est plus importante si le juge des enfants est le même pendant plusieurs années, surtout pour le mineur qui a besoin de repères. Toutefois, la politique des ressources humaines dans la magistrature et le statut actuel rendent inévitable le turn-over, lié à la nécessité de progresser dans la carrière en changeant de juridiction régulièrement […]. Il n’est donc pas rare qu’un enfant connaisse plusieurs juges des enfants au cours de son suivi (un enfant placé a exposé avoir connu sept juges des enfants alors qu’il n’avait que quinze ans !). » Mme Muriel Eglin considère également qu’« un juge des enfants doit pouvoir rester quatre ou cinq ans sur un poste pour mettre en place des partenariats, se former, connaître les secteurs et les familles, et être identifié. La continuité d’intervention du juge des enfants est importante pour les familles, les enfants et les travailleurs sociaux ([336]). »
Recommandation n° 30 : Renforcer la formation des juges des enfants en y intégrant de façon systématique des modules relatifs aux recherches cliniques sur le développement de l’enfant, les ACE (adverse childhood events) et les avancées en neurosciences sur l’enfant :
– renforcer la formation initiale et veiller à la présence de modules cliniques, en particulier sur les impacts des psycho-traumatismes et sur les apports de la théorie de l’attachement ;
– intégrer dans le cadre de la formation continue obligatoire des juges des enfants des formations communes avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance.
L’amélioration des procédures passe par l’association des parties prenantes et le respect du principe du contradictoire.
Il est essentiel de veiller à la meilleure prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre de la procédure judiciaire, en lui attribuant un avocat systématiquement, comme cela sera détaillé plus loin. La rapporteure partage aussi pleinement la préoccupation de la Défenseure des droits qui estime nécessaire que les rapports transmis au juge des enfants relatent systématiquement le point de vue de l’enfant – y compris lorsque ce point de vue n’est pas conforme à celui défendu par les services – et décrivent de manière étayée la manière dont il a été recueilli ([337]).
Les familles doivent également être davantage informées des processus de décision. Pour reprendre les mots de Mme Michèle Créoff, avec la protection de l’enfance, « nous entrons dans l’intimité des familles en contrôlant comment des parents élèvent leurs enfants. Ces gens ont le droit à la transparence et à des outils objectifs ([338]). » Dans ce cadre, une des revendications fortes d’ATD Quart Monde est la transmission du rapport de l’ASE sous un délai minimum en amont de l’audience, afin de laisser le temps aux familles d’en prendre connaissance avant l’entretien avec le juge.
En vertu de l’article 1187 du code de procédure civile, le dossier d’assistance éducative peut être consulté, sur leur demande et aux jours et heures fixés par le juge, par les parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié et par le mineur capable de discernement, jusqu’à la veille de l’audition ou de l’audience. En cas de décision motivée, le juge peut exclure tout ou partie des pièces de la consultation dès lors que cela peut faire courir un danger physique ou moral grave au mineur, à une partie ou à un tiers.
Mais, selon les témoignages recueillis par la commission d’enquête, il est aujourd’hui fréquent que les parents prennent connaissance le matin même du contenu du rapport de l’ASE. Comme en témoigne Mme Gaëlle Le Dins, « on [ne parle que très peu aux parents] avant l’audience, et on ne […] leur transmet pas [le rapport]. Les parents peuvent prendre rendez-vous avec la greffière au tribunal et y avoir accès, mais ils n’ont le droit ni d’en faire des copies ni d’en prendre des photos. Pendant l’audience, sous le coup de l’émotion, et en découvrant les éléments négatifs que contiennent les rapports des professionnels, c’est difficile de s’exprimer. Nous nous sentons désespérés, dévalorisés ou révoltés, sans oser le montrer, car nous avons bien compris que tout pouvait se retourner contre nous ([339]). » La Défenseure des droits constate même parfois l’absence de rapports éducatifs en prévision des audiences ([340]). Plusieurs magistrats signalent des difficultés pour obtenir ces rapports dans des délais raisonnables.
La rapporteure estime nécessaire de s’assurer que le droit à la consultation du rapport de l’ASE, point fondamental du respect du principe du contradictoire, est bien effectif dans l’ensemble des juridictions. Une réflexion portant sur le passage d’une simple consultation à la transmission du rapport pourrait être opportune.
Recommandation n° 31 : Garantir le droit à la consultation du rapport des services de l’aide sociale à l’enfance aux parents avant l’audience.
Concernant les parties devant être présentes à l’audience, deux remarques complémentaires ressortent du travail de la commission d’enquête. En premier lieu, il convient d’y associer, lorsque cela est possible les familles d’accueil. En second lieu, il faut garantir la présence à l’audience du travailleur social qui suit effectivement l’enfant, ce qui paraît loin d’être toujours le cas.
III. DES CONDITIONS de prise en charge DÉFAILLANTES QUI PEUVENT METTRE EN DANGER L’ENFANT
Qu’ils soient placés dans des structures d’accueil collectives ou dans un accueil de type familial, les enfants protégés subissent trop souvent des conditions de vie et d’hébergement inadaptées à leurs besoins fondamentaux. Elles peuvent en devenir dangereuses. Certains types d’hébergement, tels que les hôtels, ont été interdits mais les départements continuent d’y avoir recours. D’autres ne sont pas suffisamment réglementés : les conditions d’accueil en pouponnière n’ont pas été revues depuis les années 1970, le contrôle des antécédents judiciaires du personnel au contact des enfants est encore loin d’être pleinement effectif et l’intérim s’engouffre dans les brèches d’un système qui manque de places et de personnels.
A. Des conditions qui peuvent être indignes et inadaptées
Alors que la loi Taquet de 2022 a interdit le placement à l’hôtel au titre de l’ASE, ces pratiques perdurent dans certains départements en toute illégalité. D’autres structures d’accueil, bien que légales, sont également facteur de risque, en particulier lorsqu’elles sont situées en dehors du département auquel l’enfant a été confié. Au sein des structures autorisées, l’architecture vieillissante des lieux ou la saturation de ceux-ci peut conduire à des prises en charges inadaptées aux besoins de l’enfant.
1. Des structures d’accueil collectives qui fonctionnent parfois en dehors de tout cadre légal
Différents établissements opèrent un accueil collectif d’enfants ou de jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. L’article L. 312‑1 du CASF distingue entre :
– les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS), qui comprennent notamment les MECS, les foyers de l’enfance ou encore les villages d’enfants ;
– les lieux de vie et d’accueil (LVA), qui proposent une prise en charge de type familial, dans des structures de petite taille : ils accueillent généralement entre trois et sept enfants ou jeunes majeurs.
Ces deux types de structure sont soumis à autorisation, en application de l’article L. 313-1-1 du CASF. Cette autorisation est généralement délivrée par le président du conseil départemental. Les structures d’accueil doivent également être habilitées à recevoir des bénéficiaires de l’ASE, l’autorisation valant habilitation sauf mention contraire ([341]).
En parallèle de ces structures d’accueil « autorisées », il existe des structures de placement « non autorisées », ce qui recouvre plusieurs réalités.
La structure peut être « non autorisée » au sens où elle ne bénéficie pas de l’autorisation prévue à l’article L. 313-1-1 du CASF. Elle peut cependant s’inscrire dans autre régime légal lui permettant d’accueillir ponctuellement des enfants ou des jeunes dans le cadre de l’ASE. Cet accueil ne peut excéder deux mois et il est possible uniquement en cas d’urgence ou pour assurer la mise à l’abri de mineurs (voir infra) ([342]). Cela recouvre deux catégories de structures :
– les structures soumises à déclaration au titre de l’article L. 321-1 du CASF. Il s’agit en pratique d’une catégorie résiduelle d’établissements qui réalisent de manière habituelle de l’accueil d’enfants pour des séjours de type « séjour de rupture » ou des séjours à la ferme, par exemple pour accueillir les enfants placés chez un assistant familial ou en foyer et qui ne retournent pas dans leur famille ([343]) ;
– les hébergements soumis à déclaration au titre des articles L. 227-4 et L. 227-5 du CASF. Il s’agit de structures d’accueil collectif de mineurs (ACM) à caractère éducatif. Ces structures bénéficient souvent d’un agrément « Jeunesse et sport » ; cependant, l’octroi d’un tel agrément ne doit pas être confondu avec l’obligation de déclarer l’organisation d’un ACM auprès des services de l’État. Autrement dit, revendiquer le simple octroi de cet agrément pour une prise en charge au titre de l’ASE, sans déclaration, ne peut suffire pour satisfaire les obligations légales.
Mais la notion de structure « non autorisée » peut aussi recouvrir des structures qui ne bénéficient pas de l’autorisation mentionnée supra et qui ne rentrent pas dans l’une ces deux catégories d’accueil dérogatoires et ponctuelles. Elles fonctionnent alors en toute illégalité si elles accueillent des enfants de l’ASE de manière habituelle. Les structures soumises à déclaration ou dites « jeunesse et sports » qui accueillent des enfants sur de longues durées sont elles aussi dans l’illégalité. Une récente instruction ministérielle relève que des structures accueillant de manière durable des mineurs ou de jeunes majeurs de l’ASE, fonctionnant sans autorisation, « ont fait l’objet de signalements pour des prises en charge socio‑éducatives défaillantes et des actes de maltraitance à l’encontre des personnes accueillies ([344]) ».
Parmi les structures autorisées, il est nécessaire d’être attentif au recours croissant aux LVA. Ceux-ci se développent sous des statuts juridiques variés et sont moins réglementés que les ESMS. Par exemple, ils ne sont pas obligatoirement soumis à une procédure d’appel à projets ([345]). Bien que le développement de l’accueil sous la forme de petites unités de vie soit mieux adapté aux besoins des enfants, les LVA accueillent fréquemment des enfants cumulant les vulnérabilités et les difficultés, pour lesquels de précédents placements ont échoué et qui sont alors très vulnérables. Ces structures sont aussi plus fréquemment implantées dans des lieux isolés ([346]). Ces différents éléments justifient que l’on y porte une attention particulière, en particulier lors des contrôles.
La rapporteure s’inquiète particulièrement des risques associés à la pratique des placements hors du département d’origine. Un département envoie parfois un enfant dans une structure ou une famille d’accueil située dans un autre département, qui peut être géographiquement proche ou non. Cela peut être lié en particulier au manque de places d’accueil dans le département d’origine ou à l’inadéquation des places disponibles à la situation de l’enfant.
Le placement d’un enfant hors du département conduit à un partage des rôles sur le contrôle et le suivi éducatif qui équivaut à une dilution des responsabilités. Un rapport de l’IGAS de 2012 sur le sujet relevait déjà que « ce partage des rôles est facteur de complexité mais aussi de risques ([347]) ». La situation de certains départements auditionnés par la commission d’enquête a illustré les risques de telles pratiques. Le département du Nord en est un exemple particulièrement flagrant, celui-ci ayant placé plusieurs dizaines d’enfants auprès de personnes exerçant leur activité en toute illégalité, entre 2010 et 2017, dans l’Indre, la Haute‑Vienne et la Creuse ([348]). Ces enfants ont subi des conditions d’accueil totalement indignes et de multiples faits de violences, comme l’a rappelé Mme Romane Brisard, journaliste : « Ils ont subi des coups, des strangulations, ont été menacés à l’aide de couteaux et de tasers, se sont fait enfoncer la tête dans la cuvette des toilettes ou uriner dessus. On leur a imposé des conditions de vie indignes, en les obligeant à passer la nuit sous la tente ou dans des caravanes sans eau ni électricité, en leur administrant des surdoses de médicaments ou en les soumettant à divers travaux forcés tels que la rénovation d’une maison. Enfin, quatre petites filles ont dit avoir été témoins ou victimes de violences et de dressage sexuel : obligation de se maquiller, de revêtir des minijupes, des décolletés, interdiction de porter des sous-vêtements ([349])… » La rapporteure a demandé, lors d’un contrôle sur pièces, plusieurs documents au département concernant cette affaire (voir, infra, les développements spécifiquement consacrés aux contrôles hors département).
2. Des placements à l’hôtel qui perdurent en pratique, malgré leur interdiction
Alors que la loi Taquet de 2022 a interdit le placement à l’hôtel, des pratiques illégales de recours à ce mode d’hébergement perdurent.
a. L’interdiction par la loi Taquet de 2022
L’article 7 de la loi Taquet de 2022 interdit de placer des enfants ou des jeunes majeurs confiés à l’ASE dans des structures ne disposant pas d’une autorisation. Il interdit également le placement dans des structures soumises à déclaration ou de type « jeunesse et sports ». Celles-ci peuvent néanmoins continuer à prendre en charge des enfants ou des jeunes majeurs de l’ASE à titre exceptionnel, uniquement « pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs » et pour une durée maximale de deux mois. L’exception permise par la loi Taquet n’est pas applicable aux enfants et aux jeunes en situation de handicap.
Il est donc désormais interdit de placer des enfants ou des jeunes majeurs à l’hôtel.
Le décret d’application de l’article 7 de la loi Taquet a été publié le 16 février 2024 ([350]). Il précise :
– que seuls les jeunes âgés de seize à vingt et un ans peuvent être pris en charge dans des structures déclarées ou relevant du régime « jeunesse et sports » ;
– qu’une surveillance de jour comme de nuit doit être mise en place, par la présence d’au moins un professionnel « formé à cet effet ». Les jeunes hébergés doivent disposer d’un accompagnement socio-éducatif et sanitaire « adapté », étant précisé que les personnes chargées de cet accompagnement doivent être titulaires d’un diplôme « dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l’animation socio-éducative » ;
– que le président du département doit s’assurer que la structure est adaptée à l’âge et aux besoins fondamentaux du mineur et que la prise en charge reste adaptée à la personne concernée.
b. En pratique, cette interdiction n’est pas toujours respectée
L’interdiction des placements à l’hôtel et dans des structures « jeunesse et sport » est une évidence tant les conditions d’accueil proposées y sont inadaptées. Un rapport de l’IGAS de 2020 avait amplement démontré les problèmes liés à de telles structures ([351]).
Quelques enseignements du rapport de l’IGAS sur les placements
en structures non autorisées (2020)
Selon ce rapport, 5 % des mineurs de l’ASE étaient accueillis à l’hôtel (vingt départements ayant répondu au questionnaire envoyé par l’IGAS), « pourcentage estimé par la mission comme un minimum ». Les accueils étaient concentrés dans les départements franciliens et du sud de la France. Des départements interrogés par la mission déclaraient une durée moyenne d’accueil de 3 mois. Par ailleurs, 95 % des mineurs hébergés à l’hôtel seraient des MNA. Le coût unitaire de ce type de prise en charge demeure très inférieur aux autres structures, à 77 euros par jour en moyenne, soit « un peu moins de la moitié du prix de journée moyen observé en MECS ». Cela s’explique aussi par le fait que les enfants y sont très peu encadrés.
Ce type de placement est généralement un placement par défaut et d’exception pour le département, faute d’autres places disponibles. Il s’agit d’un mode de prise en charge particulièrement inadapté, et ce d’autant plus que les enfants accueillis à l’hôtel présentent souvent de grandes fragilités. L’IGAS relevait ainsi que « plus le parcours est sinueux et instable, plus la probabilité d’être placé à l’hôtel augmente ».
Les témoignages du Comité de vigilance des enfants placés ont été édifiants sur ce sujet. Ses différents membres ont rappelé à quel point les placements en hôtel faisaient des enfants concernés des proies faciles pour les réseaux criminels. L’immense solitude de ces enfants, très peu accompagnés, est aussi un fait, comme l’a rappelé Mme Diodio Metro, membre du comité et ancienne enfant placée : « Que se passe-t-il à l’hôtel ? J’ai des jeunes qui sont arrivés à l’association après y avoir passé trois ans. Vous rendez-vous compte ? Une journée sans voir personne. Rien que le vide et l’angoisse. Cela conduit à des suicides ([352]). »
Mme Anne-Solène Taillardat, autre membre du Comité et ancienne enfant placée, a rappelé les conditions de vie déplorables et insalubres existant dans les hôtels : « Lorsqu’on évoque les hôtels, il est essentiel de comprendre que ce sont des établissements où les couvertures présentent des taches de sang, de sperme ou de matière fécale, au choix. Les draps y sont changés au bon vouloir de l’hôtelier, parfois une seule fois par mois, dans le meilleur des cas. Ce sont des lieux où il est impossible de se préparer à manger. Les résidents doivent se contenter de sandwiches ou, pour les plus chanceux, de tickets restaurant pour des kebabs. En termes de nutrition, c’est un véritable scandale. Je ne mentionne même pas la gale, les cafards, les souris, ou encore les hôteliers qui voient des billets à la place des jeunes qu’ils accueillent. Certains peuvent même se montrer violents ou harceler sexuellement les jeunes femmes ([353]). »
Les placements à l’hôtel donnent lieu à des drames. C’est d’ailleurs une agression mortelle entre deux jeunes de l’ASE dans un hôtel, ayant conduit au décès de l’un d’entre eux, qui avait conduit à la commande du rapport de l’IGAS mentionné supra, en complément d’un contrôle réalisé par l’inspection dans le département concerné (Hauts-de-Seine). Lily, quinze ans, s’est suicidée au mois de janvier 2024, alors qu’elle était placée dans un hôtel du Puy-de-Dôme. Le décret d’application de l’article 7 de la loi Taquet était toujours en attente de publication au moment des faits.
Pourtant, certains départements continuent à recourir à des modalités d’accueil illégales, en particulier pour le placement de MNA, en invoquant la situation intenable dans laquelle ils se trouvent ([354]).
Les jeunes du Comité de vigilance des enfants placés ont également souligné un phénomène croissant : le report des placements en hôtels vers des campings ou des gîtes : « Actuellement, le département du Nord, parmi d’autres comme la Loire‑Atlantique, tente d’être créatif en remplaçant parfois les hôtels par des campings ou des gîtes », a ainsi indiqué Mme Taillardat ([355]). Le département du Nord a confirmé que certains accueils étaient effectués en gîtes : « À la demande de l’ASE, certaines associations gestionnaires d’établissements habilités peuvent être amenées, pour des situations précises et de manière encadrée, à accueillir des jeunes dans des gîtes, avec un accompagnement éducatif relevant de l’établissement. Ces situations sont très isolées et concernent des jeunes pour lesquels les solutions d’hébergement collectif existantes ne sont pas adaptées, et pour lesquels les places dans les établissements médico-sociaux ne sont pas possibles ([356]). »
Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle « Droits de l’enfant » auprès du Défenseur des droits, a exprimé sa préoccupation face au développement de placements dans des gîtes hors département, ces gîtes figurant en outre « sur des listes très officiellement communiquées au ministère concerné ([357]) ».
Le recours à des structures « jeunesse et sports » pour une durée supérieure à deux mois est aussi constaté. La DDETS de la Mayenne a ainsi été alertée par le service départemental à la jeunesse, à l’enfance et aux sports sur « un nombre croissant d’organismes (une dizaine depuis 2023) sollicitant un récépissé de déclaration “jeunesse et sports” pour organiser des séjours dans une famille sans respecter la condition de durée de ce séjour (deux mois), ni son caractère exceptionnel et dérogatoire », ce qui s’assimile à du placement illégal. Il n’est dès lors pas fait droit à leur demande par le service et ils sont « systématiquement réorientés vers le conseil départemental, afin de solliciter un agrément lié à leur seule activité d’hébergement de mineurs placés ». La DDETS évoque aussi un contrôle inopiné d’un organisme agrémenté « jeunesse et sports » en novembre 2024, qui a conduit à sa fermeture « puisque cet organisme accueillait, en réalité, depuis de nombreux mois, des mineurs placés, dans des conditions d’hygiène, de salubrité, de sécurité et de surveillance inadaptées ([358]) ».
3. Même lorsqu’elles sont légales, les structures d’accueil ne répondent pas toujours aux besoins des enfants
En raison notamment de la saturation des dispositifs d’accueil et d’un parc immobilier vieillissant, les enfants ne sont pas toujours accueillis de la manière la plus adaptée à leurs besoins. Il peut être rappelé que l’article L. 311-3 du CASF accorde à l’usager des ESSMS des droits, en particulier le respect de sa dignité, de son intégrité, de son intimité et de sa sécurité.
a. Des structures d’accueil saturées
L’augmentation du nombre de placements entraîne une saturation des dispositifs.
Le rapport de la Banque des territoires sur l’enfance protégée précité rappelle qu’en 2022, pour une place en structure de protection de l’enfance, il y a 1,8 enfant confié à l’ASE, selon les données de la DREES. Mme Anne Devreese, présidente du CNPE a rappelé que les taux d’occupation des structures d’accueil, qu’elles soient institutionnelles ou familiales, atteignent parfois 120 %, 130 %, 140 %, voire 150 % ([359]). De même, une enquête conduite par l’UNIOPSS‑URIOPSS auprès de leur réseau d’adhérents indique que 60 % des établissements ont été contraints de dépasser leur capacité d’accueil ([360]). En audition, Mme Diodio Metro a témoigné de l’impossibilité d’accueillir des enfants autrement que dans des conditions dégradées du fait de cette saturation : « Nous devions souvent les accueillir en improvisant des couchages, faute de place. Par exemple, à trois heures du matin, on m’a informée de l’arrivée d’une petite fille de huit ans. J’ai dû installer un matelas dans le couloir pour pouvoir l’accueillir. Cela ne constitue pas un véritable accueil ([361]). »
Les difficultés d’anticipation dans les territoires, liées au manque de dialogue entre les juges et les départements, peuvent amplifier ces problématiques. La fermeture de structures d’hébergement dans le secteur médico-social et sanitaire a également pu aggraver la situation (voir infra). Plusieurs acteurs rapportent également des stratégies d’économies budgétaires court-termistes de certains départements. Ainsi, l’UNIOPSS dénonce la stratégie mise en œuvre par certains départements qui, à la suite de baisses temporaires du nombre d’accueils, « ont procédé à des fermetures de places d’accueil voire de structures entières pour se retrouver quelque temps plus tard avec un nombre de mesures d’accueil prononcées par des magistrats supérieur aux capacités d’accueil réduites avec trop d’empressement ([362]) ».
b. Un parc immobilier à agrandir et à rénover
Le rapport de la Banque des territoires précité fait état des résultats d’une étude menée pour son compte par KPMG, en 2022, auprès de 24 départements issus de 11 régions métropolitaines. Cette étude estime les besoins financiers de remise à niveau du parc immobilier du secteur de la protection de l’enfance entre 1,4 milliard d’euros et 2,4 milliards d’euros, ce qui inclut les besoins en réhabilitation d’établissement et ceux en développement et en internalisation de places.
Besoins en réhabilitation d’établissements et en développement et internalisation de places
|
Places correspondantes |
Prix moyen par place |
Total |
Réhabilitation d’établissements |
11 000 à 19 000 |
45 000 à 100 000 euros |
800 millions à 1,3 milliard d’euros |
Développement et internalisation de places |
5 000 à 9 000 |
120 000 euros |
600 millions à 1,1 milliard d’euros |
Source : commission d’enquête, d’après les données de la Banque des territoires.
Par ailleurs, le bâti de ce secteur n’est pas nécessairement adapté aux besoins des enfants. Les plus anciennes structures d’accueil sont des structures de grande taille héritées du modèle de l’orphelinat. M. Didier Tronche, président de la CNAPE, a d’ailleurs rappelé qu’« il est désormais évident que l’accompagnement des familles en difficulté et des enfants en situation de danger ne peut plus se faire par une simple mise au vert à la campagne, avec des établissements de quatre‑vingts lits. Aujourd’hui, les associations constatent que leur patrimoine historique n’est plus adapté ([363]). »
La Banque des territoires souligne les enjeux de rénovation énergétique et d’adaptation aux besoins des enfants des structures d’accueil. Il faut des espaces communs sécurisés et adaptés aux âges et aux besoins, notamment pour les enfants les plus complexes ou en situation de handicap, mais aussi « des espaces pour garantir le suivi de leur scolarité et l’accès à leurs loisirs, et surtout une certaine intimité, offerte notamment par des chambres individuelles et espaces de vie personnels ».
En audition, M. Alain Vinciarelli, président de l’ANMECS, a évoqué les difficultés de financement et d’évolution des normes d’accueil : « L’intention est forte, mais tout est question des crédits accordés et des financeurs. Ces enjeux sont ainsi rattachés aux dépenses départementales d’investissement pour l’amélioration des bâtiments. Les normes évoluent de manière fréquente et exponentielle ([364]). » Les délais de construction peuvent aussi constituer un frein, le département de la Loire‑Atlantique évoquant un délai de cinq ans pour livrer une MECS ([365]). M. Michel Ménard, président de ce département, l’a rappelé en audition : « Malgré notre volonté affichée de création de places, nous sommes confrontés aux difficultés liées à la recherche du foncier, aux marchés publics et aux travaux de mise en conformité. » Il a appelé à un plan d’urgence sur le sujet, soulignant que de telles initiatives avaient eu lieu pour des chantiers liés au sport ou au patrimoine national ([366]).
Certains élus locaux sont par ailleurs réfractaires à l’implantation d’établissements de l’ASE sur leur territoire. Mme Ève Robert (ANDASS) l’a souligné : « Certaines communes s’opposent […] – ou menacent de le faire – à la construction d’établissements de protection de l’enfance, quelle qu’en soit la nature. Les publics accueillis sont souvent perçus comme indésirables ou sources de nuisances pour les riverains. Ils présentent aussi un risque de surcharge pour les écoles ([367]). » Pour la rapporteure, il n’est pas tolérable que la construction de structures d’un tel intérêt public puisse être entravée par des formalités d’urbanisme. Elle souhaite donc que soit étudiée la possibilité de transférer le pouvoir de délivrer le permis de construire au préfet de département en cas de carence du maire ou de refus injustifié (par exemple, lorsqu’est invoqué le risque de nuisances supposées pour les riverains).
Recommandation n° 32 : Étudier tous les leviers d’allègement des formalités d’urbanisme applicables à la construction de structures d’accueils de mineurs et jeunes majeurs en protection de l’enfance, en particulier la possibilité de transférer au préfet le pouvoir de délivrer le permis de construire en cas de carence du maire ou de refus injustifié.
c. Les solutions de financement proposées par la Banque des territoires
La réhabilitation des structures d’accueil existantes et le développement de nouvelles capacités d’accueil ne pourront se faire sans volonté politique. Mais leur financement est aussi au cœur des préoccupations. Le rapport de la Banque des territoires propose des solutions qui méritent d’être évoquées ici.
La Banque a déjà proposé en 2024 des prêts de long terme à taux bonifié pour financer des projets immobiliers dans le secteur de la protection de l’enfance. Quelque 67,50 millions d’euros de prêts ont été alloués en trois semaines seulement, qui ont permis de financer quinze projets. À la suite du succès de cette première enveloppe, la Banque des territoires souhaite ouvrir une nouvelle enveloppe de 350 millions d’euros. En complément, la rapporteure approuve l’idée de la Banque d’étudier la mise en place « d’un dispositif pérenne de prêts concessifs sur maturités longues contribuant à soutenir un vaste programme d’investissement et offrant une visibilité accrue aux acteurs, indispensable au montage d’opérations immobilières de long terme ». En attendant, elle appelle à augmenter le montant de la prochaine enveloppe allouée aux prêts bonifiés de 350 à 500 millions d’euros.
Le rapport de la Banque des territoires évoque d’autres modalités de financement qui pourraient être développées. En particulier, la création d’une foncière départementale ou interdépartementale « permettrait de limiter l’endettement des collectivités tout en permettant l’acquisition ou la rénovation de biens dont le département deviendrait propriétaire dans les limites prévues par la loi ». Au besoin, cette solution pourrait être étendue à d’autres types d’établissements dans le champ social et médico-social. La Banque des territoires étudie déjà un projet de foncière médico-sociale avec le département de la Mayenne.
Les collectivités peuvent également mobiliser des crédits d’ingénierie auprès de la Banque des territoires, notamment pour des études de besoin. La Banque évoque ainsi 1,5 milliard d’euros de crédits d’ingénierie mobilisés dans le cadre d’un partenariat établi avec Départements de France en mai 2022 ([368]), pour « notamment prendre en charge la réalisation d’audits énergétiques, ou le schéma directeur immobilier des départements ([369]) ». La rapporteure souhaite quant à elle que l’État finance et conduise un audit du bâti en protection de l’enfance sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’une cartographie des besoins afférents.
Plus généralement, la rapporteure ne peut qu’approuver les travaux en cours pour mutualiser les bonnes pratiques au travers d’un dispositif physique et numérique dédié ([370]), adossé à un centre de ressources. Cela devrait notamment permettre d’identifier toutes les aides financières disponibles et un service d’assistance d’experts sectoriels.
Enfin, la rapporteure souscrit à la proposition, formulée par la délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale, d’établir avec la Banque des territoires un dispositif financier d’appui à la construction de villages d’enfants dans les territoires ([371]). Interrogée sur celle-ci, la Banque indique y être favorable et relève avoir déjà signé une convention avec SOS Villages d’Enfants, afin de prendre en charge, « à hauteur de 50 %, les audits énergétiques de l’essentiel de leurs villages d’enfants en France ([372]) ».
Recommandation n° 33 : Donner à la Banque des territoires un rôle central dans le soutien aux départements pour construire et réhabiliter des structures d’accueil :
– en donnant suite à sa proposition de soutenir la constitution de foncières départementales ou interdépartementales ;
– en donnant suite à sa proposition d’établir une plate-forme de mutualisation des bonnes pratiques ;
– en donnant suite à la proposition, formulée par la Délégation aux droits des enfants, de mettre en place un dispositif de soutien financier par la Banque des territoires à la construction de villages d’enfants ;
– en augmentant dès à présent la nouvelle enveloppe de prêts bonifiés proposée par la Banque des territoires, de 350 à 500 millions d’euros.
Recommandation n° 34 : Réaliser, immédiatement, à la charge de l’État, un audit du bâti en protection de l’enfance et une cartographie des besoins afférents, sur l’ensemble du territoire.
4. Une situation particulièrement problématique dans les territoires ultramarins
La situation dans les territoires ultramarins est particulièrement préoccupante. Alors que les difficultés sociales y sont exacerbées, la réponse au niveau de la prévention et de la prise en charge est très en deçà des besoins.
a. Des difficultés sociales exacerbées
En novembre 2020, la CNAPE a publié un rapport intitulé « La protection de l’enfance en Outre-mer : état des lieux et phénomènes émergents » qui dressait un constat encore largement d’actualité, montrant comment les problèmes économiques, démographiques et d’accès aux services publics des territoires ultramarins aggravaient les difficultés de la protection de l’enfance. En 2023, l’UNICEF a publié un rapport dressant un état des lieux des droits de l’enfant dans les outre-mer, constatant un « écart frappant » en la matière avec l’Hexagone ([373]). La rapporteure a pu échanger sur ce point lors d’un entretien avec Mme Adeline Hazan, présidente d’UNICEF France.
En réalité, les atteintes aux droits des enfants en outre-mer ne sont pas récentes : entre 1962 et 1982, plus de 2 000 enfants réunionnais, souvent appelés les « enfants de la Creuse », ont été déplacés vers plusieurs départements de la France hexagonale. Ces déplacements d’enfants se sont inscrits dans le cadre de la politique migratoire de l’État de l’époque, le Gouvernement craignant alors les conséquences économiques et sociales d’une natalité très élevée à La Réunion. Des parents ont dû abandonner tout droit sur leurs enfants, devenus pupilles de l’État. Certains de ces enfants accueillis en France y ont subi des maltraitances. Une résolution relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970 a été adoptée à l’Assemblée nationale en 2014, rappelant notamment que « l’État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles ([374]) ».
Les chiffres de l’INSEE rappellent que la grande pauvreté est cinq à quinze fois plus fréquente dans les départements d’outre-mer qu’en France métropolitaine ([375]). Les familles monoparentales sont très largement surreprésentées. À titre d’illustration, une famille sur deux en Martinique est monoparentale, contre 21 % en France hexagonale ([376]). Les grossesses et naissances précoces sont aussi significativement plus nombreuses, en comparaison de la moyenne nationale.
Cette situation de vulnérabilité économique et sociale en outre-mer a bien été rappelée par les personnes auditionnées par la commission d’enquête. Ainsi, selon Mme Mery-Gladys Barret directrice générale de l’association Fekler à La Réunion, les difficultés rencontrées en matière de protection de l’enfance dans ce territoire sont intimement liées au « contexte socio-économique fragile du territoire : fort taux de chômage, problèmes de logement, pauvreté élevée, vie chère et insularité ([377]) », dans un contexte où 36 % de la population réunionnaise vit en dessous du seuil de pauvreté ([378]).
Mme Nadia Negrit, conseillère départementale de la Guadeloupe, présidente de la commission enfance, famille, jeunesse, a pointé le fait que près de 20 % de la population guadeloupéenne vit sous le seuil de pauvreté et qu’environ 52 % des mineurs vivent dans des familles monoparentales. Comme elle le souligne, « ces indicateurs socio-démographiques, parmi les plus alarmants au niveau national, se traduisent par des vulnérabilités accrues pour les enfants et les familles ([379]). »
Les violences intrafamiliales sont également un sujet de préoccupation majeur. Selon M. Cyrille Melchior, président du conseil départemental de La Réunion, entendu par la commission d’enquête, les chiffres liés aux violences intrafamiliales sur les femmes et les enfants se dégradent au sein de ce territoire. La CNAPE, dans le rapport précité, relevait également une surreprésentation des violences éducatives dans les territoires ultramarins.
Les territoires ultramarins connaissent ainsi des fragilités sociales plus marquées que dans l’Hexagone, ce qui peut favoriser l’émergence de situations de vulnérabilité importantes pour les familles et les enfants. Le rapport de la CNAPE montre que la précarité, le manque de soins, les violences, nourrissent des difficultés telles que le décrochage scolaire ou la consommation de produits stupéfiants.
b. Des moyens qui ne sont pas au rendez-vous
Face à l’ensemble de ces difficultés, il conviendrait de redoubler d’efforts dans les territoires ultramarins du point de vue des politiques de prévention et de prise en charge en matière de protection de l’enfance. Or, les services publics sont très loin d’être à la hauteur et la situation paraît même encore plus dégradée que dans l’Hexagone.
Au stade de la prévention, la CNAPE notait dans le rapport précité que « l’insuffisance des dispositifs de soin et de PMI ne permet pas de garantir le suivi de santé des enfants et de répondre à leurs besoins. De la même manière, l’accompagnement des enfants en situation de handicap n’est pas adapté ». La rapporteure partage ce constat. Elle souligne également la nécessité de construire des dispositifs adaptés en fonction des territoires. Concernant plus spécifiquement la Guyane, l’UNICEF appelle ainsi à promouvoir les programmes d’accompagnement à la parentalité adaptés au contexte plurilingue du territoire guyanais afin de favoriser la compréhension, l’adhésion et la libération de la parole au sein des familles.
Malgré la mobilisation des acteurs de terrain que la rapporteure a pu noter au cours des auditions, la prise en charge des enfants faisant l’objet d’une mesure d’assistance éducative est dans l’ensemble très loin d’être satisfaisante. Les acteurs de terrain entendus dans le cadre des auditions font globalement part d’une saturation des dispositifs de placements en MECS, du manque de solutions d’accueil alternatives, des limites des accueils dans le secteur du sanitaire et du médico-social, des défaillances dans la sécurisation des parcours d’insertion des jeunes sortant de l’ASE et des difficultés d’accès aux droits communs. Si l’accueil par des assistantes familiales y est traditionnellement plus développé qu’ailleurs, les territoires ultramarins font aussi face à la grave crise d’attractivité qui touche la profession. Les personnes entendues par la commission d’enquête ont également fait part de difficultés en matière de scolarisation des enfants protégés – difficultés particulièrement prononcées en Guyane et à Mayotte. De surcroît, dans ces deux collectivités, les MNA constituent un sujet à part entière. On peut également noter qu’un rapport du Défenseur des droits de 2023 sur les services publics aux Antilles soulignait de graves dysfonctionnements des services de l’ASE en Guadeloupe ([380]).
Les difficultés en matière d’accès aux soins sont tout aussi préoccupantes. Mme Malissa de la Cruz directrice de la maison d’accueil, d’éducation et d’insertion (MAEI) en Guadeloupe, déplore l’engorgement des centres médico-psychologiques (CMP), alors qu’elle estime « qu’au minimum 80 % des enfants que [la MAEI accueille] présentent des problèmes psychiatriques ou psychologiques ([381]) » que les structures d’accueil dédiées aux problématiques de maladie mentale font défaut en Guadeloupe. Pour La Réunion, Mme Mery-Gladys Barret déplore les délais de prise en charge au sein des structures médico-psychologiques pour enfants et adolescents et regrette une coordination insuffisante entre acteurs.
Les sorties sèches sont aussi un problème bien identifié. Mme Audrey Thaly-Bardol, conseillère exécutive chargée des solidarités et de la santé au sein de la collectivité territoriale de Martinique, a ainsi fait part de ses préoccupations concernant des jeunes « qui se retrouvent souvent en situation d’errance, notamment à Fort-de-France, et rencontrent des problèmes sociaux et d’addiction. [Les] moyens humains et financiers [de la collectivité territoriale] sont insuffisants pour accompagner efficacement les familles de la petite enfance jusqu’à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ([382]). »
B. des pouponnières surchargées aux conséquences délétères pour les tout-petits : il y a urgence à agir
Le placement des tout-petits dans des pouponnières qui ne répondent pas à leurs besoins fondamentaux les met en danger et provoque des problèmes de santé qui affectent gravement leur développement. Malgré une première alerte de la rapporteure sur la situation en mai 2024, le travail tardivement mis en place par le Gouvernement pour réviser la réglementation obsolète de ce type d’accueil n’a toujours pas abouti. Il y a pourtant urgence à agir.
1. Une réglementation qui n’a pas été revue depuis les années 1970
Lorsqu’elle était ministre de la santé, Simone Veil avait lancé en urgence l’opération « Pouponnières », en 1977, après avoir été alertée par l’état préoccupant de bébés souffrant de carences affectives manifestes dans une pouponnière à Paris ([383]). Le comité de pilotage de cette opération a continué de se réunir régulièrement jusqu’en 1998. Mme Michèle Créoff a rappelé le succès de cette opération, qui a « conduit à l’éradication totale de l’hospitalisme par le ministère » et qui est dû « à la prise en compte de l’évolution des connaissances, à un budget affecté, à l’existence d’un contrôle et à la mobilisation du champ professionnel, avec une auxiliaire de puériculture référente dans chaque pouponnière ». Elle déplore l’arrêt de cette opération non pas en raison de son absence d’utilité mais « parce qu’il a été mis fin à de tels pilotages étatiques au nom de la décentralisation et de la réduction des dépenses ([384]) ».
Les pouponnières sont des structures qui accueillent des enfants confiés à l’ASE de zéro à trois ans. L’encadré ci-après présente, d’après les données de la DREES et du GEPSO, les principales statistiques sur le placement en pouponnière.
Quelques chiffres sur le placement en pouponnière
L’édition 2024 de l’enquête « Aide sociale à l’enfance » de la DREES ainsi qu’une récente enquête du GEPSO (voir infra) fournissent des données sur les enfants placés en pouponnière à caractère social :
– le nombre de places dans les pouponnières à caractère social est relativement stable depuis dix ans (34 établissements en 2021 pour 840 places, ces chiffres ne semblant pas inclure les pouponnières intégrées à d’autres structures, par exemple un foyer de l’enfance) ;
– seules 80 % des places sont de véritables places en pouponnière, ce qui signifie que certains enfants y sont encore placés alors qu’ils ont plus de trois ans ;
– le taux d’encadrement est plus élevé que dans les autres structures d’accueil, eu égard aux besoins particuliers des tout-petits : 169 %, contre 79 % en moyenne (chiffres 2021) ;
– le séjour en pouponnière est de huit mois en moyenne ;
– l’enquête du GEPSO relève des placements judiciaires en pouponnière à hauteur de 85 %, ce qui traduit bien l’urgence de telles situations ;
– le nombre d’enfants placés de zéro à six ans a augmenté de 45 % entre 2011 et 2022, selon un rapport de l’ONPE ([385]) ;
– au 31 décembre 2022, 23 % des enfants de zéro à deux ans sont accueillis en établissement et 19 % des trois à cinq ans (contre respectivement 61 % et 66 % en familles d’accueil) ;
– selon le GEPSO, seulement 32 % des enfants qui sortent de la pouponnière retournent chez leurs parents ou en famille, y compris en centre parental.
Il existe deux types de pouponnières, qui peuvent être réunies au sein d’un même établissement :
– les pouponnières à caractère sanitaire, qui accueillent les enfants dont l’état de santé exige des soins que leur famille ne peut leur donner. Interrogée par la rapporteure, la DGCS a indiqué ne pas disposer de données quantitatives et qualitatives sur ces établissements ;
– les pouponnières à caractère social, qui reçoivent des enfants dont l’état de santé ne nécessite pas de soins médicaux particuliers et qui relèvent de l’ASE.
La réglementation applicable aux pouponnières est prévue aux articles R. 2324-1 à R. 2324-9 du code de la santé publique (pouponnières à caractère sanitaire) et par les articles D. 312-123 à D. 312-152 et D. 341-1 à D. 341-7 du CASF (pouponnières à caractère social). Elle est issue de textes datant de 1974 : l’arrêté du 28 janvier 1974 relatif à la réglementation des pouponnières (encore en vigueur ou, à tout le moins, non explicitement abrogé) et le décret n° 74-58 du 15 janvier 1974 relatif à la réglementation des pouponnières, des crèches, des consultations de protection infantile et des gouttes de lait (abrogé). Cette réglementation porte en particulier sur les locaux, l’admission et la surveillance des enfants ainsi que le personnel. Pour les pouponnières à caractère social, elle prévoit par exemple :
– des surfaces minimales pour les lieux de couchage (écart d’un mètre au moins entre deux lits ou berceaux, chambres devant mesurer au minimum 3 m² et 9 m3 et contenir six couchages maximum) ;
– une limite d’âge de sortie de l’enfant fixée à trois ans, qui ne peut être reculée qu’à titre exceptionnel ;
– que, dans la mesure du possible, ce sont les mêmes personnes qui doivent prendre soin de l’enfant ;
– que les pouponnières ne peuvent pas accueillir plus de cinquante enfants, sauf à titre exceptionnel ;
– des taux d’encadrement, récapitulés ci-dessous.
Taux d’encadrement en pouponnière à caractère social
Diplôme |
Taux |
Puéricultrice, assistée d’une ou plusieurs autres puéricultrices ou, à défaut, d’infirmières, qui doivent assurer une surveillance sanitaire continue |
1 pour 30 lits |
Auxiliaires de puériculture ; possibilité, à titre exceptionnel, de compléter par du personnel non diplômé, qui doit être formé par l’établissement |
1 pour 6 enfants le jour, 30 enfants de nuit |
Un ou plusieurs éducateurs ou éducatrices de jeunes enfants pour les enfants de plus de dix-huit mois |
1 pour 12 enfants le jour |
Psychologue et, en tant que de besoin, personnels spécialisés et rééducateurs |
1 psychologue |
Personnel de service |
Pas de précisions |
Les pouponnières disposent donc de taux d’encadrement et de normes spécifiques, contrairement aux autres structures d’accueil de protection de l’enfance. Ces taux n’ont cependant pas été révisés depuis cinquante ans. À l’inverse, les normes d’accueil dans les crèches ont été révisées récemment, en août 2021 ([386]).
Certaines dispositions sont manifestement obsolètes, par exemple le premier alinéa de l’article D. 312-149 : « Le personnel de l’établissement doit être indemne de toute affection tuberculeuse, à l’exception des séquelles anciennes et cicatricielles dont l’épreuve du temps a montré l’innocuité. » D’autres posent des problèmes de cohérence entre les textes en vigueur : l’article 19 de l’arrêté de 1974 prévoit par exemple que la prolongation du placement en pouponnière au-delà des trois ans de l’enfant ne peut dépasser dix mois, alors que cette limite de dix mois n’est pas reprise dans les dispositions du code de l’action sociale et des familles ([387]).
Mme Christine Omam, membre de la commission « Parcours prévention et protection de l’enfant » du GEPSO, a souligné qu’il fallait également faire évoluer les normes architecturales de ces établissements : « Vous ne pouvez pas fonctionner de la même façon dans une pièce et dans un couloir où, pendant la nuit, vous devez surveiller vingt-cinq bébés. Pendant que vous donnez le biberon à l’un, comment, seul, surveiller les vingt‑quatre autres ? Or l’arrêté de 1974 permet encore ce genre de situation ([388]). »
2. Des tout-petits qui subissent des conditions d’accueil inadaptées
La saturation des pouponnières et le manque de personnel conduit à enfreindre la réglementation en vigueur. Mais celle-ci n’est également plus adaptée aux besoins fondamentaux des tout-petits.
a. Des pouponnières suroccupées, des placements trop longs et de jeunes enfants en proie à des problèmes de santé préoccupants
Les pouponnières sont fréquemment saturées et les placements trop longs. La Défenseure des droits a posé en ce sens un constat sans appel dans sa décision‑cadre sur la protection de l’enfance : « Concernant les plus jeunes enfants, les pouponnières, bien souvent saturées, accueillent des enfants en surcapacité à la demande des départements et durant des périodes trop longues, néfastes pour le développement du jeune enfant qui est alors confronté en permanence à la vie en collectivité. » Entre 2021 et 2023, la durée moyenne des séjours en pouponnière a augmenté de 2,3 mois, selon le GEPSO.
Il y a des situations dans lesquelles les nouveau-nés restent à l’hôpital faute de pouponnière disponible pour les accueillir. La Défenseure des droits mentionne également ces situations : « Certains nourrissons, faute de places d’accueil, restent hospitalisés pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, dans les services de pédiatrie, où des TISF ou des assistantes familles ont pour mission d’aller régulièrement les bercer. » En Loire-Atlantique par exemple, en 2021, la presse se faisait l’écho de nourrissons protégés restant trop longtemps à l’hôpital faute de place en pouponnière ([389]). Interrogé sur ce sujet par la rapporteure, le département indique avoir doublé le nombre de places en pouponnière depuis. Un protocole a également été mis en place entre l’hôpital et l’ASE. Des TISF sont mandatées pour intervenir auprès de l’enfant lorsque celui-ci reste à l’hôpital dans l’attente d’un placement ([390]). En audition, Mme Claire Tramier, vice-présidente Familles et protection de l’enfance du département, a indiqué que six bébés étaient toujours en attente de prise en charge au CHU de Nantes.
L’état des lieux des pouponnières réalisé par le GEPSO
Les résultats de cette enquête ([391]) sont issus d’une consultation menée entre juillet et septembre 2024 par le GEPSO, avec le soutien de la DGCS. Les résultats de l’étude portent sur vingt-huit pouponnières représentant, en estimation basse, 50 % des enfants concernés en France. Il en ressort quelques grands enseignements.
Le taux d’occupation moyen des pouponnières est de 108 %. Selon la totalité des répondants, les effectifs ne sont pas suffisants au regard de la réglementation en vigueur. Par ailleurs, 82 % des établissements se situent au-delà du seuil réglementaire de six berceaux par chambre.
Le suivi éducatif et médical n’est pas satisfaisant : seules 35 % des pouponnières disposent d’un PPE pour plus de 75 % des effectifs. En revanche, 79 % des établissements mettent en place un projet personnalisé pour au moins pour 50 % des enfants. Les enfants disposent de plusieurs référents dans 70 % des établissements, alors qu’ils ont pourtant besoin de liens d’attachement sécures.
L’architecture et la disposition des lieux ne sont pas toujours optimales : seulement 29 % disposent de chambres de vie individuelles ; 36 % ne disposent pas de salle de jeux séparée de l’espace de vie ; 39 % ne disposent pas d’un espace spécifique et différencié pour manger.
Les défaillances de la gouvernance rejaillissent sur l’activité : 32 % des répondants considèrent que leur action n’est pas suffisamment inscrite dans une analyse des besoins du territoire. Les partenariats avec les autres acteurs du soin et de l’éducation nationale doivent être améliorés pour une majorité de répondants.
Ces situations de saturation peuvent aussi s’expliquer par la faiblesse des dispositifs de prévention en amont. Mme Alice Grunewald (AFMJF) a évoqué une situation où elle a ordonné des interventions de travailleuses à domicile, qui ont malgré tout échoué à prévenir le placement : « Ces dernières ne sont intervenues qu’aux quatre mois de l’enfant, et seulement pour deux heures. Comme ce travail en milieu ouvert peine parfois à se mettre en place, on privilégie souvent la sécurité du bébé en le plaçant, bien que ce placement ne soit pas toujours sécurisé ([392]). »
Ces conditions d’accueil sont aussi intenables pour le personnel. Les difficultés de recrutement sont bien présentes : l’enquête du GEPSO relève que « 68 % des établissements relèvent des difficultés pour recruter des médecins ; 54 % pour recruter des infirmières puéricultrices ; 29 % pour recruter des auxiliaires de puériculture ; et un quart des structures relèvent des difficultés de recrutement pour les éducatrices jeunes enfants et pour les psychologues ». Un tiers des structures ont recours à de l’intérim ; 46 % des répondants estiment par ailleurs qu’il faut faire évoluer les qualifications, notamment en clinique de la protection de l’enfance.
Les répercussions des placements en pouponnière, en particulier lorsqu’ils sont longs et effectués sans le personnel adéquat, ont des conséquences délétères sur la santé et le développement des enfants, y compris à long terme. À preuve, la résurgence inquiétante du syndrome de l’hospitalisme chez ces jeunes enfants. « L’hospitalisme, découvert après la guerre, concerne des enfants accueillis pendant de longues années. C’est ainsi que la pédopsychiatrie a presque vu le jour, en découvrant la dépression chez les nourrissons, forme de dépression dans laquelle l’enfant se laissait mourir faute de relations », explique le professeur Jean‑Marc Baleyte ([393]). Ce syndrome se manifeste chez des enfants en manque de lien affectif. Il peut conduire à ce que des enfants s’automutilent, soient aphasiques, ne jouent plus, fassent preuve d’hétéroagressivité, etc.
Les professionnels de santé auditionnés et interrogés sur le sujet ont unanimement fait part de leur inquiétude sur la santé des bébés placés en pouponnière. Le Dr Anne Raynaud a alerté les membres de la commission d’enquête : « J’ai récemment rencontré l’équipe d’un centre d’action médico-sociale précoce dont les membres étaient effondrés après avoir vu dans une pouponnière des enfants présentant des syndromes d’hospitalisme, à tel point qu’ils auraient voulu les ramener chez eux. La puéricultrice, chargée de sept ou huit berceaux, était démunie et incapable de répondre aux besoins fondamentaux de tous les enfants. Avec le temps, certains professionnels en viennent à dire devant la CESSEC : “Cet enfant est trop adhésif, il a besoin de trop de proximité”, alors qu’un bébé de quatre ou cinq mois a précisément besoin de cette proximité ([394]). »
Le GEPSO recense par ailleurs, parmi les principales évolutions du profil des enfants accueillis, une hausse du nombre d’enfants porteurs de handicaps ou de troubles, une situation de santé globalement dégradée avec des besoins de prise en charge importants, une augmentation de situations de maltraitance, d’enfants accueillis en sortie de maternité, des retours en famille plus rares, etc. ([395]). Cela justifie une attention d’autant plus forte à la prise en charge de ces nourrissons, qui arrivent dans les pouponnières avec une santé qui peut déjà être très dégradée.
b. Une illustration de l’état alarmant des enfants placés en pouponnière : la pouponnière du Puy-de-Dôme
Une délégation de la première commission d’enquête s’est rendue à la pouponnière du centre départemental et de la famille (CDEF) du Puy-de-Dôme, à Chamalières, en mai 2024. Les députées présentes ont été profondément marquées par la situation alarmante des bébés et des jeunes enfants qui y sont placés et par le travail difficile et l’épuisement du personnel face à cette situation.
La dégradation des conditions d’accueil et les sureffectifs de la pouponnière font pourtant l’objet d’alertes répétées depuis bientôt trois ans.
Des professionnelles de santé ont alerté le département au printemps 2023 sur l’état de santé dégradé des enfants (voir annexe n° 4). Selon un article du quotidien régional La Montagne ([396]), l’ancienne directrice de l’établissement a également alerté le département. Un audit du CDEF dans son ensemble a alors été réalisé, à la demande de ce dernier.
Avant même ce signalement, la préfecture du Puy-de-Dôme indique que l’inspection du travail avait déjà effectué un contrôle au sein de la pouponnière, à la suite d’une alerte de la médecine du travail, dès le 10 juin 2022. Cela a permis de constater « une inadaptation et une vétusté des locaux, un sureffectif d’enfants dans les chambres, dans les espaces de jeux, les espaces salle de bains, des nuisances sonores impactant l’état émotionnel tant des enfants que des adultes ([397]) ». De plus, « l’inspection du travail a considéré que cette situation de travail engendrait pour le personnel stress, fatigue, souffrance, impact sur la santé, et arrêt de travail ». Un rappel à la loi a alors été adressé à la direction du CDEF. La situation a pourtant continué à se dégrader : en décembre 2023, l’inspection du travail a de nouveau été alertée par les représentants du personnel. Le département a alors communiqué à la préfecture une copie d’un courrier de réponse envoyé à la Défenseure des droits, en septembre 2023, qui avait elle aussi été interpellée par les médecins de l’établissement.
La préfecture indique que « compte tenu […] des signalements réalisés par les salariés auprès des services de l’État, l’inspection du travail a été amenée à rédiger un signalement sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale ». Les pouvoirs de contrainte et de sanction de l’inspection du travail étaient restreints en l’espèce, le CDEF disposant du statut d’établissement public autonome relevant de la fonction publique hospitalière ([398]). Dans ce cas, l’inspection du travail ne peut que faire un courrier d’observations ou adresser un courrier au parquet. Étant donné la gravité de la situation, un signalement a été réalisé auprès du procureur de la République par le directeur adjoint du travail.
Lors du déplacement de la commission d’enquête ([399]), la pouponnière était en sureffectif, avec une soixantaine d’enfants accueillis environ pour une quarantaine de places. Certaines unités de la pouponnière étaient particulièrement touchées, avec des lits très à l’étroit dans de petites chambres. Le bâtiment, vieillissant, comporte un étage, ce qui ne facilite pas l’organisation du personnel et des surveillances, notamment la nuit.
La rapporteure a elle aussi été alertée par le personnel médical sur l’état de détresse psychique de ces jeunes enfants et sur les conséquences de leur état de santé sur leur développement. Les députées ont également pu rencontrer les membres du personnel de la pouponnière, dont il faut saluer le dévouement, qui ont témoigné de leur inquiétude et font ce qu’ils peuvent pour prendre en charge au mieux ces enfants.
Enfin, il a été dit à la rapporteure que certains enfants de la pouponnière se rendaient à des rendez-vous seuls, en taxi, faute de personnel en nombre suffisant pour les accompagner, et que le département était au courant de la situation. Interrogé, le département a précisé que le recours à cette solution était très contrôlé, avec des chauffeurs formés à cet effet. La rapporteure ne peut que dénoncer de telles pratiques, quel que soit le contrôle ou la formation mis en place. Qui ferait cela pour son propre enfant ?
La situation inacceptable dans laquelle se trouvent les enfants de cette pouponnière est constitutive, aux yeux de la rapporteure, de maltraitance institutionnelle. Des enfants en situation de danger sont laissés en situation de grande détresse et alors même que les alertes se sont multipliées depuis plus bientôt trois ans ! Elle fait part de son incompréhension face au temps nécessaire aux différentes autorités locales pour prendre conscience de la situation et déclencher contrôles et signalements.
Elle estime que la situation de ces enfants placés en pouponnière témoigne d’une faillite morale collective. C’est pourquoi, à la suite de ce déplacement, elle a écrit à la ministre chargée de l’enfance de l’époque, Mme Sarah El Haïry, le 30 mai 2024 ([400]), pour demander la mise en place immédiate d’un plan Pouponnières et la révision des taux d’encadrement réglementaires, afin de se rapprocher d’un taux d’encadrement d’un adulte pour trois enfants le jour et cinq la nuit.
3. L’inertie des pouvoirs publics sur cette question doit cesser immédiatement
Malgré la multiplication des alertes, dont celle de la rapporteure à la ministre fin mai 2024, aucune initiative n’a été prise pour améliorer la situation des enfants placés en pouponnière jusque très récemment. Lors de son audition, la ministre Catherine Vautrin s’est en effet engagée à réviser la réglementation relative aux pouponnières d’ici à fin juin 2025.
La rapporteure souligne le caractère très tardif de cette prise de conscience qui témoigne, encore une fois, du manque de volonté politique qui a trop longtemps duré sur la question. La responsabilité de l’État est engagée sur le devenir de ces enfants en matière de santé et de développement : ne pas le comprendre illustre l’aberration d’un système au bord du gouffre !
a. L’absence de véritable prise de conscience de la situation en pouponnière jusqu’à la mi-2024
La rapporteure a réalisé deux contrôles sur pièces auprès du ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles, concernant les travaux sur la mise en place de taux et normes d’encadrement en structures d’accueil de protection de l’enfance, d’une part, et spécifiquement sur les pouponnières, d’autre part.
Elle a pu constater que ces sujets sont sur la table depuis un certain temps. Une note explicative de la DGCS, datée de novembre 2021, fait état des normes d’encadrement proposées dans le cadre d’une étude confiée à CGI Business Consulting. S’agissant des plus petits :
– la note fait état de dysfonctionnements concernant les pouponnières : « un grand nombre de pouponnières assurent un accueil jusqu’à l’âge de six ans, faute de place en MECS » ;
– elle souligne la nécessité de se concentrer sur les besoins spécifiques des moins de six ans, évoquant cette période comme étant « charnière ». « Le futur adulte se dessine par son développement émotionnel, psychologique et physique avant l’âge de six ans » ; « il convient d’accorder un investissement supplémentaire pour ce public » : une norme distincte est donc proposée pour cette tranche d’âge ;
– ladite norme, selon cette note, se distinguerait, par l’absence de critères de majoration, ainsi que sur les points suivants : « Les différences avec la norme à destination du public général sont la taille des unités de vie, le nombre de professionnels par unité de vie et le temps de nuit. Ces chiffres prennent en compte le besoin de portage pour les enfants qui ne marchent pas encore. Les huit ETPT par unité de vie permettent d’assurer des temps de doublures en permanence. Deux veilleurs de nuit par établissement sont à prévoir pour aider les auxiliaires de puériculture sur ce moment critique du temps de vie du jeune enfant. Ils sont également indispensables au titre de professionnels de la sécurité en cas d’obligation d’évacuation pendant la nuit (par exemple dans le cas d’un incendie). »
Finalement, un projet de décret daté d’avril 2022 porte sur les taux et normes d’encadrement pour les seuls enfants âgés de plus de trois ans. Une note sur les normes et taux d’encadrement de la DGCS datée du 28 mars 2022 et adressée à l’ancien secrétaire d’État Adrien Taquet explique notamment que les pouponnières ne sont pas incluses dans le champ du projet de décret « car il est nécessaire de prévoir un temps de travail spécifique pour étudier l’opportunité de définir des normes d’encadrement dans des accueils de type familial tels que les villages d’enfants ou les LVA ou de modifier les textes réglementaires déjà existants pour les pouponnières ».
M. Adrien Taquet a affirmé ne pas avoir eu d’alerte spécifique sur les pouponnières pour réécrire le décret de 1974 lorsqu’il était en fonctions, tout en reconnaissant que « cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de problèmes, ni qu’ils ne se sont pas aggravés depuis ([401]) ». Pourtant, M. Arnaud-Melchiorre, à qui M. Adrien Taquet avait commandé un rapport sur l’ASE, relatait lors d’une précédente audition : « Dès le début de la mission, j’ai informé la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) que lorsque je me rendais dans les pouponnières, les professionnelles m’indiquaient être en grande difficulté. Elles sont confrontées à une augmentation du nombre de bébés accueillis qu’elles n’arrivaient pas toujours à prendre en charge dans de bonnes conditions ([402]). »
b. Le travail en cours pour réviser la réglementation de 1974
D’après les pièces transmises par le ministère à la rapporteure, des travaux ont été initiés à compter du mois de juin 2024 pour réviser la réglementation relative aux pouponnières. Il est d’ailleurs mentionné que ces travaux ont été incités par le travail de la commission d’enquête et qu’il était prévu que la ministre Sarah El Haïry fasse des annonces à ce sujet lors de son audition par celle-ci, initialement prévue le 9 juillet 2024. Cette audition n’a pas pu avoir lieu en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Trois réunions de travail réunissant la DGCS et le GEPSO se sont tenues en juin 2024, avec des directeurs d’établissement. Des études ont été menées sur la réglementation à modifier, notamment par comparaison avec les dispositions applicables aux établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE). Une réunion avec la direction générale de la santé s’est également tenue.
Le travail semble s’être véritablement accéléré depuis le début de l’année 2025 seulement. Une première réunion a été organisée le 29 janvier pour présenter le chantier de la révision. Celui-ci s’articule en deux phases :
– trois réunions, prévues entre début février et début mars, portent sur l’admission, les missions et la prise en charge (1), la prise en charge en santé (2) et les locaux (3). Après consultation de la liste des personnes participantes, la rapporteure ne peut que déplorer l’absence de professionnels de santé et de chercheurs parmi celle-ci, alors que leur expertise est fondamentale compte tenu des enjeux cliniques qui se rattachent à la prise en charge des tout-petits pour répondre à leurs besoins en santé et en neuro-développement ;
– une seconde phase sur les enjeux relatifs au personnel (qualifications, missions, taux d’encadrement). Sur ce sujet, le GEPSO avait indiqué lors de son audition, en novembre 2024, qu’un travail d’évaluation des besoins était en cours avec la DGCS pour passer d’un taux d’encadrement de un pour six à un pour cinq. Mme Omam avait alerté à cette occasion sur la nécessité de prendre en compte le besoin d’une prise en charge véritablement individualisée : « Le taux de un pour cinq concerne la personne qui materne l’enfant ; il ne doit pas permettre de mettre deux ou trois fois cinq enfants dans la même pièce en augmentant d’autant le nombre d’adultes qui les encadrent ([403]). »
Ces travaux doivent déboucher sur la rédaction d’un nouveau décret. Certaines dispositions seront renvoyées à un arrêté. Un référentiel de bonnes pratiques est également prévu, selon les documents consultés. La date prévisionnelle de publication du décret est le 30 juin 2025. Aucun projet de décret n’avait été rédigé lors de la transmission des documents à la rapporteure, fin février 2025.
Sur le fond, les principales modifications envisagées sont les suivantes :
– poser le principe d’une subsidiarité de l’accueil en établissement par rapport au placement auprès d’un assistant familial pour les enfants âgés de zéro à trois ans ;
– abaisser le nombre maximal d’enfants pouvant être accueillis au sein d’une même structure de cinquante à trente. Cette mesure serait mise en œuvre « de manière progressive et pluriannuelle ». D’après le compte rendu de la première réunion de travail, il a été relevé par les acteurs présents que cet abaissement pouvait être source de difficultés. Outre les enjeux de capacité suffisante, notamment lorsqu’il n’y a pas assez d’assistants familiaux sur le territoire pour assurer la substitution, les pouponnières doivent aussi accueillir des enfants en urgence ou encore nés sous le secret. L’augmentation des ordonnances de placement provisoire (OPP) et du nombre d’enfants confiés nécessiterait, selon le compte rendu, d’avoir un échange avec le ministère de la justice sur le projet de décret ;
– prévoir des dispositions sur la capacité d’accueil en sureffectif, comme cela existe pour les EAJE ;
– limiter l’accueil en pouponnière à trois mois, renouvelables trois fois. Le compte rendu précité évoque une alternative de quatre mois renouvelables une fois, notamment pour ne pas multiplier les temps d’évaluation et d’écriture des rapports afférents, qui mobilisent les équipes. La ministre Catherine Vautrin a par ailleurs indiqué, lors de son audition, vouloir progressivement ramener cette durée maximale à six semaines ;
– créer un service d’appui aux assistants familiaux accueillant des enfants âgés de zéro à trois ans, sous la forme d’un « plateau technique » pluridisciplinaire. Des places de répit à la pouponnière seraient prévues pour ces mêmes assistants ;
– préciser les modalités d’intervention de certains personnels de santé spécialisés au sein de la pouponnière (psychomotriciens par exemple) ou encore sur le rôle des puéricultrices.
La rapporteure constate que la prise de conscience de l’urgence de la situation a été trop tardive mais que le travail est désormais amorcé. Il est impératif que celui-ci aboutisse au plus vite et ce pour l’ensemble des documents attendus (décret, arrêté, référentiel). Les nouveaux taux d’encadrement devront se rapprocher de ceux qui avaient été préconisés par la rapporteure dans son courrier de mai 2024 à la ministre Sarah El Haïry (voir annexe n° 5). Elle souhaite par ailleurs que les capacités d’accueil en sureffectif dans les pouponnières soient interdites.
Recommandation n° 35 : Publier immédiatement l’ensemble de la nouvelle réglementation relative aux pouponnières. Associer des médecins et des chercheurs en protection de l’enfance aux travaux relatifs à cette révision. Les taux d’encadrement fixés devront s’approcher de un adulte pour trois enfants le jour de un pour cinq la nuit. Les accueils en sureffectif doivent être interdits.
La rapporteure demande également à l’État de mener une évaluation de la situation de chacun des enfants confiés de moins de trois ans dès la publication du présent rapport, en impliquant tous les ministères concernés. Cette évaluation devra déboucher dans les meilleurs délais sur des prises de décisions partagées entre les ministères de la justice, de la santé, de l’enfance et les départements pour garantir une réponse adéquate aux besoins des enfants confiés. Enfin, l’audit du bâti en protection de l’enfance mentionné supra (voir recommandation n° 34) devra s’intéresser spécifiquement au cas des pouponnières et comporter des préconisations d’adaptation en termes d’organisation des espaces, de luminosité, d’aménagements extérieurs, etc.
Recommandation n° 36 : Dès la publication du présent rapport, l’État devra immédiatement conduire une évaluation de la situation de chaque enfant confié de moins de trois ans, afin de déterminer si son placement est adapté à ses besoins ; dans le cas contraire, une solution alternative au placement devra être envisagée.
À plus long terme, la rapporteure souhaite que le placement en accueil collectif des enfants de zéro à trois ans soit exceptionnel, et que lui soit substitués des accueils de type familial, qui doivent être privilégiés pour les tout-petits. Les lignes directrices de l’ONU de 2009 soulignent que « de l’avis de la plupart des spécialistes, pour les jeunes enfants, en particulier les enfants de moins de trois ans, la protection de remplacement devrait s’inscrire dans un cadre familial ». Un placement en structure collective, qui plus est sur des durées prolongées, n’est pas adapté au méta-besoin de sécurité de l’enfant et à son développement. Mme Lesley Hill, directrice nationale de la protection de la jeunesse du Québec, rappelle qu’« au Québec aucun enfant de 0-3 ans n’est placé dans un contexte institutionnel de groupe. Le placement de petits se fait automatiquement en milieu familial lorsqu’un maintien dans son milieu de vie n’est pas possible ([404]). »
Le modèle québécois, s’il n’est pas transposable dans tous les domaines, est particulièrement intéressant concernant la prise en charge des très jeunes enfants par l’ASE. Mme Hill indique qu’au Québec, il est d’abord fait appel au milieu communautaire et familial de l’enfant pour en assurer la protection. Si le très jeune enfant doit être placé, en particulier lorsque le retour en famille biologique est peu probable, il est fait appel à des « familles d’accueil de banque mixte ». Ce sont des familles qui souhaitent adopter un enfant. Cela permet par la suite de prononcer l’adoption de l’enfant dans les meilleures conditions, lorsque celle-ci est rendue possible. Sur ce même sujet de l’adoption des plus jeunes enfants, la ministre Catherine Vautrin a indiqué en audition engager « une refondation des conditions et critères d’adoption des enfants en pouponnière, qui sont encore trop nombreux à ne pouvoir prétendre retourner dans leur famille dans des conditions sécurisées. Il faut alors en tirer des conséquences dans le projet de vie de l’enfant ([405]). » La rapporteure juge fondamental d’étudier cette question au prisme de l’exemple québécois.
Ce changement de paradigme ne pourra avoir lieu sans un effort particulier de recrutement d’assistants familiaux spécifiquement formés à l’accueil des enfants de zéro à trois ans. Comme cela a déjà été exposé supra, un renforcement des dispositifs de prévention est également indispensable pour diminuer le placement des nourrissons.
Recommandation n° 37 : À l’horizon 2030, généraliser les accueils de type familial pour les enfants de zéro à trois ans et n’autoriser leur placement en accueil collectif qu’à titre exceptionnel.
Plus généralement, pour les enfants de zéro à cinq ans, envisager des critères dérogatoires au régime d’adoption afin de faciliter celle-ci, notamment en permettant aux personnes souhaitant adopter d’accueillir un très jeune enfant en mesure de placement.
Enfin, il faut interdire le transport des plus jeunes enfants seuls en taxi. De telles pratiques sont choquantes. Elles sont inadaptées aux besoins de sécurité de l’enfant et questionnent aussi le partage des responsabilités en cas d’incident. De plus, il est nécessaire que la personne accompagnant le tout-petit dans ses rendez‑vous à l’extérieur (visites médicales, visites médiatisées, etc.) soit quelqu’un qu’il connaisse, qui fasse partie du personnel de l’établissement, comme l’a très justement souligné Mme Omam (GEPSO) : « Si l’enfant a des besoins en santé, il faut l’accompagner à l’extérieur pour des consultations. Est-ce la personne qui le materne qui va le faire ou une autre personne ? Dans cette dernière hypothèse, il faut que l’enfant puisse la repérer. C’est donc une personne de plus qui va entrer dans le cercle et dans le ratio d’encadrement de l’établissement ([406]). »
Recommandation n° 38 : Interdire tout transport en taxi non accompagné pour les enfants placés de moins de huit ans et prévoir des sanctions en cas de non-respect de cette interdiction.
C. LES DÉFAILLANCES DU CONTRÔLE DE PROBITÉ DES PERSONNES chargées de PROTÉGER LES ENFANTS
La protection de l’enfance comprend de nombreux professionnels engagés et compétents, au service de l’enfant et de ses besoins fondamentaux.
Mais les pouvoirs publics ne garantissent pas aujourd’hui des conditions satisfaisantes de contrôle des antécédents judiciaires des personnes au contact quotidien de l’enfant dans le cadre de la protection de l’enfance, ce qui constitue un manquement d’une gravité particulière aux yeux de la rapporteure.
1. Des défaillances nombreuses, au mépris du droit et de la sécurité des enfants
Aux termes de l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles, nul ne peut exploiter ni diriger un établissement social et médico-social, ni un lieu de vie et d’accueil, y intervenir ou y exercer une fonction permanente ou occasionnelle, à quelque titre que ce soit, ou être agréé, dès lors qu’une condamnation définitive a été prononcée, pour un certain nombre de crimes et de délits dont la liste est précisée audit article. Entrent ainsi dans le champ de l’article L. 133-6 les crimes et délits en lien avec des agressions sexuelles, des infractions sexuelles sur mineur ou du recel de contenus pédopornographiques, de même que l’ensemble des peines d’au moins deux mois prononcées pour des délits tels que des atteintes volontaires à la vie, des mises en danger, atteintes aux libertés ou à la dignité des personnes ainsi que des atteintes aux mineurs.
a. Des contrôles des antécédents judiciaires difficiles à conduire en pratique
En l’absence de moyens de contrôle adéquat, l’interdiction prévue à l’article L. 133-6 du CASF est très difficile à contrôler. La pratique a montré une application très disparate et parfois impossible des vérifications nécessaires pour les recruteurs. En l’absence de logiciel automatisé et disponible nationalement, les vérifications sont nominatives et manuelles et nécessitent d’effectuer des demandes auprès des autorités compétentes, un système complètement inadapté au contrôle de masse, comme l’admet la DGCS dans sa réponse écrite envoyée à la rapporteure. Pendant des décennies, et c’est toujours le cas à l’heure actuelle pour la très grande majorité des départements en attente du déploiement sur l’ensemble du territoire de la plateforme de contrôle des attestations d’honorabilité (voir infra), les employeurs se sont retrouvés dans l’impossibilité d’assurer les obligations de contrôle qui leur incombent.
Cette difficulté s’est amplifiée à mesure que le recours aux recrutements en urgence et à l’intérim s’est développé. Comme l’explique M. Didier Tronche, président de la CNAPE, « lorsqu’il y a des remplacements, par exemple pour un poste de surveillant de nuit, ou lorsqu’un éducateur qui doit assurer une garde nocturne ne se présente pas à cause d’un accident, nous activons le dispositif d’astreinte. Cependant, si toutes les astreintes ont déjà été utilisées, nous devons parfois recourir à un emploi de très courte durée. Dans ce cas, nous n’avons pas la capacité de vérifier certains éléments […] ([407]). » Pour l’intérim, les difficultés sont d’autant plus marquées que les entreprises d’intérim ne sont pas en droit de demander un extrait de casier judiciaire n° 2, ce qui transfère la responsabilité du contrôle à la structure employeuse.
b. L’absence de contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance
Le droit ne garantit pas aujourd’hui le contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance, alors même que le législateur souhaite développer ce type d’accueil. Il s’agit là également d’une carence très préoccupante et incompréhensible de notre droit, mise en lumière par une récente affaire dévoilée par le journal Mediapart, concernant un enfant placé chez un tiers « digne de confiance », en l’espèce, un voisin déjà condamné pour viol sur mineur ([408]).
Le ministère de la justice indique manquer de bases légales pour garantir ce contrôle. D’une part, le contrôle du casier judiciaire n° 2 par le juge n’est pas prévu dans le cadre de l’assistance éducative – il n’est possible que dans le cadre d’une procédure judiciaire. Néanmoins, selon Mediapart, certains juges des enfants consultent déjà, de façon informelle, le casier des tiers dignes de confiance. D’autre part, les tiers dignes de confiance ne sont pas mentionnés à l’article L. 133‑6 du CASF, ce qui introduit un flou sur le droit applicable. Ainsi, les tiers dignes de confiance n’ont pas été inclus dans le travail mis en place de la plateforme de contrôle des attestations d’honorabilité, dont le fonctionnement est détaillé plus loin. Il est absolument essentiel de généraliser le contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance, des membres de leur foyer ainsi que des accueillants bénévoles.
Recommandation n° 39 : Garantir et systématiser le contrôle des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance ainsi que des accueillants bénévoles et des personnes de plus de treize ans vivant à leur domicile.
c. Le contrôle des agréments des assistantes familiales présente des limites
Comme le prévoit l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, l’agrément nécessaire pour exercer la profession d’assistant maternel ou d’assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. Un référentiel approuvé par décret en Conseil d’État fixe les critères d’agrément. Ce dernier est accordé après vérification que « les conditions d’accueil garantissent la sécurité, la santé et l’épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne » (article L. 421-3 du CASF). Un premier contrôle est réalisé au moment de l’agrément, délivré pour cinq ans. Un contrôle à l’issue de cette période est prévu, mais ensuite, l’agrément est acquis à vie dès lors que l’assistant familial possède le diplôme d’État des assistants familiaux – soit un peu plus de la moitié des assistants familiaux aujourd’hui. Cet octroi d’agrément sans limitation de durée pose question. La Défenseure des droits, dans sa décision‑cadre, recommande la mise en place d’un contrôle régulier de l’agrément par la PMI.
De surcroît, en l’état actuel du droit et des pratiques, les départements peinent à communiquer efficacement entre eux sur les retraits d’agréments des assistantes familiales. Une famille d’accueil qui se serait vue retirer l’agrément peut changer de département, demander un agrément ailleurs et l’obtenir. Cette difficulté a notamment été soulignée dans le rapport de la députée Perrine Goulet présenté en 2019 ([409]). La loi Taquet a essayé de répondre à cette difficulté, sans succès (voir infra).
L’affaire dite « de Châteauroux » et les graves manquements
en termes de contrôle des antécédents judiciaires
L’affaire dite « de Châteauroux » a mis en exergue de très graves manquements en matière de contrôle des antécédents judiciaires. Le département du Nord a ainsi confié des enfants à des structures non autorisées situées dans d’autres départements, dont l’une fut créée par une ancienne assistante familiale à qui l’agrément avait été retiré, comme le montre le rapport de l’inspection générale des services (IGS) du département du Nord que la rapporteure a pu consulter dans le cadre de son contrôle sur pièce. Cette affaire, qui montre de nombreux dysfonctionnements à chaque étape du parcours des enfants, illustre aussi l’insuffisance des contrôles et le défaut de communication entre départements. Selon la journaliste Romane Brisard auditionnée par la commission d’enquête, « à l’époque des faits, lorsque l’aide sociale à l’enfance du Nord confie ces enfants à ces individus, deux des accueillants avaient déjà un casier judiciaire pour violences sexuelles sur mineur ([410]). » Le rapport de l’IGS montre que des enfants ont été confiés par l’intermédiaire d’une association à une personne déjà condamnée pour des faits d’agression sexuelle sur mineur, ce qui est évidemment intolérable. (Voir les développements consacrés à cette affaire dans le IV de la présente partie.)
2. Le décret du 28 juin 2024 n° 2024-643 sur le contrôle des antécédents judiciaires : une publication très tardive, une mise en œuvre qui n’est toujours pas généralisée
En 2022, le législateur a voulu renforcer le contrôle des antécédents judiciaires. L’article 20 de la loi Taquet a rendu obligatoire le contrôle systématique du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) pour l’ensemble des personnes mentionnées à l’article L. 133‑6 du CASF, ce qui doit en pratique se traduire par la mise en place d’une plateforme permettant de délivrer automatiquement des attestations d’honorabilité. Il a fallu près de deux ans au Gouvernement pour publier le décret d’application de ces dispositions ([411]) dont la mise en œuvre est encore loin d’être pleinement effective. Entre-temps, les dispositions introduites par la loi Taquet ont été consolidées par la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, qui a apporté des précisions sur le mécanisme de fonctionnement de la plateforme d’obtention des attestations d’honorabilité.
Le mécanisme de contrôle proposé par le décret du 28 juin 2024 n° 2024-643
relatif au contrôle des antécédents judiciaires
Le décret précise les modalités du contrôle des antécédents judiciaires pour les personnes exploitant, dirigeant, intervenant ou exerçant une activité au sein des établissements, services ou lieux de vie et d’accueil, les assistants maternels ou familiaux et les majeurs et mineurs d’au moins treize ans vivant à leur domicile, dans les champs de la protection de l’enfance et des modes d’accueil du jeune enfant.
Les personnes concernées devront solliciter une attestation d’honorabilité qui sera délivrée après vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire et du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violente.
La logique est ainsi renversée : il revient désormais à la personne concernée de fournir une attestation d’honorabilité. Cette attestation s’obtient sur une plateforme dédiée. Il s’agit là d’une simplification importante puisque les vérifications ne seront plus manuelles.
En cas d’inscription au FIJAISV ou au bulletin n° 2, le système ne génère pas d’attestation et les documents en question sont transmis aux départements pour analyse. Si une incapacité au sens de l’article L. 133-6 ou de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles est détectée, l’attestation n’est pas délivrée. Si une condamnation non définitive ou une mise en examen apparaît, l’attestation est délivrée avec la mention : « fait l’objet de condamnation ou mise en examen devant être portée à la connaissance de l’employeur ». L’attestation devient caduque en cas de condamnation définitive.
La possession et l’authenticité de l’attestation doivent être vérifiées par l’employeur avant le début de l’exercice de l’activité puis à intervalle régulier, un QR code devant faciliter cette vérification.
Le décret prévoit une procédure subsidiaire en cas d’impossibilité pour les intéressés de produire l’attestation.
Pour l’accueil en établissement, l’intéressé doit présenter son attestation avant sa prise de poste et celle-ci doit dater de moins de six mois. Il doit présenter une nouvelle attestation tous les trois ans.
Pour les assistants familiaux, le président du conseil départemental doit vérifier que le demandeur ainsi que les personnes majeures ou mineures âgées d’au moins treize ans vivant à son domicile disposent d’une attestation datant de moins de six mois. Lors du renouvellement, y compris tacite, de son agrément, l’assistant maternel ou familial présente au président du conseil départemental une nouvelle attestation datant de moins de six mois.
Le décret du 28 juin 2024 doit donc permettre une avancée considérable, après des décennies d’un fonctionnement artisanal inadapté pour assurer la bonne protection des enfants.
Aujourd’hui, la plateforme est effective dans six départements seulement. Elle est étendue à vingt-trois départements depuis le 31 mars 2025 avant une généralisation pour le second semestre 2025. La date prévue de pleine application du décret est fixée au 1er janvier 2026 au plus tard, soit près de trois ans après le délai fixé par le législateur dans le cadre de la loi Taquet, qui prévoyait une entrée en vigueur des dispositions afférentes pour le mois de novembre 2023 (conformément au II. de l’article 20 de la loi).
Les premiers résultats de la mise en œuvre
de la plateforme de délivrance des attestations d’honorabilité
Ce système est ouvert depuis le 23 septembre 2024 sur 6 territoires pilotes et les résultats sont, selon l’administration centrale, concluant. Selon les données communiquées par la DGCS, au 18 décembre 2024, le système a déjà traité 53 425 demandes d’attestation d’honorabilité, 190 personnes ont pu être bloquées après analyse de leurs condamnations inscrites au casier judiciaire n° 2 et 12 personnes ont été bloquées en raison d’un FIJAISV positif.
Source : réponse écrite de la DGCS.
Au total, environ 2 millions de personnes devront demander une attestation d’honorabilité (à noter qu’il concerne également les professionnels de la petite enfance). Le défi technique que représente la mise en œuvre de la plateforme explique, selon l’administration, le retard pris pour la publication du décret. Du point de vue de l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel, « très peu de choses étaient prêtes, et tout était à construire ». De surcroît, le financement et la conception du système d’information ont fait l’objet de négociations interministérielles apparemment difficiles, puisque Mme Caubel indique : « Il a fallu par exemple aller jusqu’en réunion interministérielle (RIM) pour valider le principe de quelques ETP (dix maximum) dédiés à la constitution de l’équipe‑projet ([412]). »
Si la rapporteure salue le travail en cours, elle déplore l’inertie des pouvoirs publics qui a longtemps prévalu sur ce sujet et le retard pris pour le déploiement de la plateforme. Dans le même temps, des situations très graves continuent d’exister, exposant les enfants à des risques inadmissibles.
Le fait que les tiers dignes de confiance ne soient pas inclus dans ce dispositif constitue également un point particulièrement problématique. Pour les inclure, il convient au préalable de modifier la loi afin de prévoir le contrôle de leurs antécédents judiciaires, comme préconisé supra.
La rapporteure rappelle en outre que le CNPE a émis un certain nombre de réserves sur le projet de décret. Elle considère qu’il aurait pu être opportun, comme le suggère le CNPE, d’écarter des missions au contact de mineurs, au moins provisoirement, des personnes mises en cause pénalement, même en amont d’une condamnation définitive, ce qui pourrait ne pas être systématiquement le cas à la lecture du décret.
Le bon déploiement de la plateforme exige de surcroît un accompagnement des structures employeuses. Celles-ci disposent, conformément au décret, d’un délai de six mois à compter de la mise en œuvre de la plateforme pour obtenir les attestations d’honorabilité.
3. Une base de données nationale des agréments des assistants familiaux toujours inexistante
La consultation du bulletin n° 2 et du FIJAIS, qui devrait être simplifiée dans le cadre de l’entrée en vigueur de la plateforme de délivrance des attestations d’honorabilité, permettra d’avoir connaissance des condamnations pour des faits de violences physiques ou sexuelles sur un mineur confié. Les assistants familiaux entrent bien dans le champ de la plateforme. Mais, comme l’indiquait l’étude d’impact annexée au projet de loi Taquet, « en l’absence de condamnation, le conseil départemental peut ne pas avoir connaissance de l’existence d’un retrait ni de ses motifs. Les motifs de retrait peuvent être variés : refus de suivre la formation, manquement grave dont suspicion de maltraitance, dépassement du nombre d’enfants mentionné dans l’agrément, incompatibilité du bâti à l’accueil d’enfant. »
Pour répondre à cette difficulté, la loi Taquet comporte un article prévoyant la création d’un fichier national des agréments des assistants familiaux et maternels. L’article 30 de la loi confie ainsi au GIP France Enfance protégée le soin d’élaborer une base nationale recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux et maternels, dont celles relatives aux suspensions et retraits d’agréments. Ces informations « font l’objet d’un traitement automatisé […] pour permettre l’opposabilité des retraits d’agrément en cas de changement de département et, s’agissant des assistants familiaux, pour permettre aux employeurs de s’assurer de la validité de l’agrément de la personne qu’ils emploient » (article L. 421-7-1 du CASF). Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la CNIL, devait préciser les modalités de mise en œuvre de ces dispositions.
La loi a également complété l’article L. 421-6 du CASF, afin de prévoir qu’en cas de retrait d’un agrément motivé notamment par la commission de faits de violences à l’encontre des mineurs accueillis, il ne peut être délivré de nouvel agrément à la personne à qui l’agrément a été retiré avant l’expiration d’un délai approprié précisé par décret.
Le décret devant être pris au titre de l’article L. 421-6 du CASF a fait l’objet d’une publication au Journal officiel le 5 mars 2025 ([413]). Il précise le délai à respecter pour déposer une nouvelle demande d’agrément pour l’exercice de la profession d’assistant maternel ou familial, quel que soit le département dans lequel cette demande est présentée, lorsque l’agrément précédent a été retiré pour des faits de violences – sauf en cas de condamnation définitive, où, conformément à l’article L. l33-6 du CASF précité, l’agrément n’est plus valable. Un nouvel article R. 421‑26-1 est donc inséré dans le CASF. Celui-ci prévoit qu’en cas de retrait d’agrément motivé par des faits de violences résultant d’atteintes à l’intégrité physique ou psychique des mineurs accueillis, la personne ne peut déposer une nouvelle demande d’agrément qu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la date de notification de la décision de retrait, quel que soit le département concerné. En cas de poursuites pénales, le délai est fixé à deux ans, sauf en cas de non-lieu ou de décision définitive de relaxe ou d’acquittement. La rapporteure critique fortement les dispositions de ce décret qui ne garantissent pas une protection suffisante des enfants.
Plus de deux ans après la promulgation de la loi Taquet, les contours de la base de données nationale attendue sont encore flous. Auditionné par la commission d’enquête, M. Bertrand Dujol, directeur général de la cohésion sociale a reconnu : « Nous avons voulu attendre, ce qui fut une erreur, car nous aurions dû avancer techniquement sur la base de données des agréments ([414]). »
La rapporteure fait part de sa vive inquiétude quant aux travaux effectivement en cours pour la constitution de cette base. L’administration indique que les travaux relatifs à l’élaboration du cahier des charges de la base ont démarré au premier trimestre 2025. La DGCS entend s’appuyer sur le GIP, conformément à ce qui est prévu dans la loi, en raison de son rôle d’ensemblier qui réunit à la fois les services de l’État et les départements. Or le GIP signale manquer de moyens. Au printemps 2023, Mme Florence Dabin, sa présidente, avait indiqué dans une réponse écrite au Sénat que le projet devrait démarrer fin 2023 sous réserve de « la structuration d’une équipe renforcée », ainsi que d’une « étude permettant d’affiner les attentes et les besoins autour de cette base de données ([415]) ». Dans sa réponse écrite faite à la rapporteure, le GIP réitère ce point de vue et indique ne pas avoir de compétence particulière ni d’expertise sur ces agréments, contrairement aux compétences relatives aux agréments pour les familles candidates à l’adoption. Le GIP indique être en attente d’arbitrages et de moyens dédiés : « Désormais, il s’agit de pouvoir arbitrer sous quelles modalités le développement de cette base pourra être réalisé, avec des moyens dédiés (notamment avec ETP de chargés de projet) et un planning établi en lien avec les départements. […] Le directeur général de la cohésion sociale m’a proposé de mettre à disposition des moyens supplémentaires, des agents, pour aller plus vite sur la base de données. J’attends confirmation de mise à disposition de l’État. Sans ces apports, ce sujet ne pourra pas être priorisé ([416]). »
La rapporteure souligne l’absence de portage politique de ce projet, qui semble liée à l’insuffisance des moyens conférés au GIP. Elle insiste sur la nécessité de publier sans délai le décret afférent et de prévoir les moyens appropriés pour que cette base puisse être effective dès la fin de l’année 2025, afin de garantir la sécurité des enfants accueillis par les assistants familiaux. Un mécanisme d’attestation sur l’honneur, qui semblerait être envisagé par le Gouvernement selon les documents consultés par la rapporteure n’est absolument pas satisfaisant et serait contraire à l’intention du législateur.
Recommandation n° 40 : Publier sans délai le décret devant préciser les modalités de mise en œuvre de la base nationale recensant les informations relatives aux agréments des assistants familiaux et maternels.
D. Une dérive particulièrement inquiétante : le recours croissant à l’intérim et l’irruption de gestionnaires de structures liés à des sociétés privées lucratives
Le recours à l’intérim est une pratique en essor dans le secteur médico‑social et la protection de l’enfance n’y fait pas exception. Or, par de nombreux aspects, l’intérim est incompatible avec les besoins fondamentaux de l’enfant. Il est de surcroît très préoccupant de constater que l’intérim est mobilisé pour la prise en charge d’enfants qualifiés de « cas complexes ». Dans un contexte où l’intérim se normalise et prend une part croissante dans le domaine de la protection de l’enfance, de nombreux acteurs redoutent la progression insidieuse du secteur privé lucratif.
1. Le recours croissant à l’intérim s’accompagne d’une dégradation qualitative de l’accompagnement
Conséquence du manque d’attractivité des métiers, mais également de la précarisation et des évolutions sociétales dans le rapport au travail, l’intérim se développe dans le secteur de la protection de l’enfance. Ainsi, 40 % des répondants à l’enquête de l’UNIOPSS de 2023 sur la pénurie de professionnels en protection de l’enfance ([417]) déclarent y recourir. Ce phénomène soulève de nombreuses difficultés :
● Il crée par définition du turn-over, qui nuit à la continuité de l’accompagnement des enfants et des familles et à la stabilité des liens. Mme Ève Robert (ANDASS) résume ainsi la contradiction inhérente du recours à l’intérim en protection de l’enfance : « Le travail éducatif doit être mené sur le long terme, alors que l’intérimaire, par définition, n’est que de passage ([418]). ». En conséquence, l’intérim suscite l’inquiétude des professionnels de la santé des enfants. Selon la docteure Mme Marie-Paule Blachais, l’intérim « pose un problème de stabilité et de continuité, éléments essentiels pour les enfants en lien avec les adultes qui s’occupent d’eux ([419]) ».
● Il s’agit d’un système très coûteux, qui conduit donc à un mauvais usage de l’argent public. Selon l’enquête de l’UNIOPSS précitée, l’intérim représente un surcoût pour les établissements, de l’ordre de 67 % par rapport à un CDD classique.
● L’intérim pose un problème du point de vue des contrôles de sécurité (voir supra), ainsi qu’en termes de qualification des personnels recrutés.
● L’intérim affecte également la qualité du travail et de la cohésion des équipes en place. Comme le décrit l’UNIOPSS, « le recours à l’intérim peut déstabiliser les équipes en place et contribuer à la fatigue des professionnels « permanents » devant intégrer régulièrement de nouveaux membres. Au sein d’une même structure se côtoient des professionnels exerçant des fonctions similaires mais ne bénéficiant pas du même statut, provoquant la fuite de certains salariés épuisés par des conditions de travail difficiles vers l’intérim où la rémunération est plus avantageuse. Un cercle vicieux déjà bien connu dans le secteur hospitalier et qu’il faut enrayer ([420]). »
Il devient aujourd’hui impératif d’encadrer et de réguler le recours à l’intérim, ce qui doit s’inscrire dans la réflexion plus globale portant sur l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance, développée dans la dernière partie du présent rapport.
Dans le cadre de la loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins et des dispositions prises pour son application, le législateur a interdit à certains ESSMS dont des établissements de protection de l’enfance, d’embaucher, dans le cadre des contrats de mise à disposition qu’ils concluent avec des entreprises de travail temporaire, des professionnels de santé et des personnels socio-éducatifs sans expérience professionnelle. À noter que cette interdiction concerne uniquement les établissements sociaux et médico-sociaux et que certains lieux d’accueil de la protection de l’enfance sont donc a priori exclus du champ du décret. Si la rapporteure salue cette avancée, elle considère que celle-ci reste bien insuffisante face à l’ampleur du problème. Il est en tout état de cause souhaitable d’étendre les dispositions de ce décret aux structures de la protection de l’enfance qui ne sont pas des établissements sociaux et médico‑sociaux.
2. Une réponse particulièrement inadaptée à l’urgence et à la prise en charge des enfants présentant des vulnérabilités multiples
Si l’intérim est aujourd’hui une forme d’emploi que l’on rencontre dans l’ensemble des structures de la protection de l’enfance, il faut noter qu’elle semble en outre privilégier pour deux cas de figure, qui peuvent se combiner : la prise en charge des enfants cumulant les vulnérabilités et la gestion de l’urgence.
Faute d’une réponse pouvant être apportée par les acteurs traditionnels de la protection de l’enfance et par ceux du médico-social, l’intérim apparaît parfois comme la solution de dernier recours. L’Assemblée des départements de France affirme ainsi dans sa contribution écrite : « Le recours à l’intérim et au privé lucratif répond aussi à certaines situations dites “complexes”, par exemple : des enfants présentant un autisme sévère laissé sans solution par le médico-social et pour qui les familles d’accueil et les maisons d’enfants ne sont pas adaptées, des enfants présentant des comportements sexuels problématiques qui ne peuvent vivre en collectif sans faire courir de risques aux autres mineurs, des jeunes présentant des comportements violents avec des passages à l’acte qui mettent en danger les autres, des profils que la pédopsychiatrie renvoie vers l’ASE en préconisant du 1 pour 1… » La rapporteure déplore ce phénomène, également identifié par la Défenseure des droits, qui dénonce en particulier l’accueil de ces enfants dans des structures pouvant être non autorisées (gîtes, hôtels, appartements), avec des éducateurs intérimaires.
De l’avis de la rapporteure, la prise en charge des enfants cumulant les vulnérabilités nécessite au contraire des compétences précises et pointues. Le recours à l’intérim pour la prise en charge des « cas complexes » paraît donc parfaitement contradictoire avec la défense de l’intérêt supérieur de l’enfant et souligne en creux l’insuffisance de la prise en charge médico-sociale des enfants concernés.
3. Le cas des liens troubles entre Domino RH et Liberi
L’exemple du fonctionnement du groupe Domino RH en lien avec l’association Liberi illustre l’inquiétante délégation de la prise en charge des « cas complexes » à des acteurs peu contrôlés.
a. Domino RH : un leader de l’intérim sollicité pour la prise en charge des « cas complexes »
Domino RH est un acteur du secteur de l’intérim dont environ 50 % de l’activité se concentre sur le secteur médico-social, à travers sa filiale Domino Care. Domino Care représente environ « 2 500 équivalents temps plein (ETP), répartis entre 15 000, 16 000 ou 17 000 salariés selon les années ». L’agence, ouverte sept jours sur sept et vingt-quatre heure sur vingt-quatre, garantit une exécution des commandes « dans un délai inférieur à douze heures ([421]) ».
Plusieurs départements d’Île‑de‑France ont commencé à faire appel à Domino Care en 2008 pour l’accompagnement ou la mise à l’abri de certains jeunes placés. Comme l’a décrit M. Manaf El Hebil, directeur général du groupe, au cours de son audition : « Concrètement, faute de solution d’accueil d’un jeune auprès des opérateurs classiques, un agent du département, après avoir réservé un hébergement à l’hôtel, demandait à l’agence d’intérim de proximité de monter une équipe éducative. […] Ce recours à l’intérim concernait d’abord les cas très complexes. Conçus pour durer quelques semaines, certaines prises en charge se sont étalées sur plusieurs années. […] Notre groupe mettait à la disposition de son client, le département, des équipes de cinq éducateurs se relayant auprès du jeune sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans un hôtel. […] Progressivement, nous nous sommes rendu compte que les éducateurs étaient souvent livrés à eux‑mêmes, sans contrôle de la part du client. Au vu du volume d’activité, les agences [d’intérim] ont commencé à créer des postes de chef de service pour coordonner le travail des éducateurs, en lien avec l’aide sociale à l’enfance, qui est le service gardien. Certains départements sont allés jusqu’à déléguer les tâches consistant à réserver les chambres et fournir les pécules du quotidien ([422]). » Ces modalités de prises en charge aboutissent à des coûts très élevés pour les départements, pouvant être de l’ordre de 1 000 à 1 200 euros par jour et par jeune.
D’un simple prestataire de services d’intérim, Domino RH a donc progressivement endossé un rôle pouvant s’apparenter à celui d’un opérateur. Cette dynamique peut faire craindre un risque de privatisation au moins partielle du secteur et entretient une forme d’ambiguïté entre l’intérim et le développement du secteur privé lucratif.
b. La création de Liberi : une confusion des genres
Cette frontière poreuse entre la prestation d’intérim d’une part et le rôle d’un opérateur gestionnaire d’autre part s’est particulièrement illustrée en 2021, avec la création de l’association Domino Assist’M, chargée par les départements de Mayenne et du Calvados de la gestion de structures d’accueil d’urgence, fonctionnant alors essentiellement avec des intérimaires.
Domino Assist’M – qui s’appelle désormais Liberi ([423]) – est bien une structure dont le statut est associatif, mais les éléments qui la lient à la société d’intérim Domino RH et sa filiale Domino Care sont nombreux. Domino Assis’M a ainsi été créée en 2021 à l’initiative du directeur général de Domino Care, M. Manaf El Hebil, vraisemblablement dans l’objectif de répondre aux besoins des départements pour la prise en charge des « cas complexes » : « Puisqu’aucun opérateur ne traitait ces situations d’urgence, j’ai créé une association pour répondre aux appels à projets des départements, signer des conventions avec eux et manager des structures dans le domaine de la protection de l’enfance. L’association a recruté des équipes en CDI, en CDD ou en intérim ([424]). » L’association s’est spécialisée dans la prise en charge des « cas complexes » : « Les jeunes que nous accueillons ont souvent mis en échec au moins sept solutions de placement ; parfois vingt-six ou vingt-sept ([425]). » Au moment de sa création en 2021, l’association Domino Assist’M (devenue Liberi) recourt donc de façon importante à l’intérim et fait pour cela principalement appel aux services du groupe Domino RH.
Domino Assist’M, dont les missions sont assurées grâce aux deniers publics versés par les départements, en reverse donc une partie à Domino RH pour recruter des intérimaires. Au cours de son audition, M. El Hebil a ainsi indiqué : « À l’instar d’autres associations […], il lui arrive de faire appel à Domino RH pour répondre à ses besoins ; s’il ne peut pas y répondre, elle a évidemment toute latitude pour s’adresser à d’autres cabinets de recrutement ou agences de travail temporaire ». Néanmoins ce dernier cas de figure est de l’aveu même de M. Manaf El Hebil « anecdotique ».
À l’époque, plusieurs articles de presse ont dénoncé des conditions d’accueil dégradées dans les structures gérées par Domino Assist’M. Ainsi, une enquête du journal Mediapart dénonçait dans le Calvados une MECS éphémère dans un logement insalubre (humidité, murs troués, rambarde cassée, extincteur vide, toilettes bouchées), faisant intervenir des professionnels très peu diplômés ([426]). La prise en charge par l’association Liberi coûte entre 280 et 600 euros par jour, en fonction de la complexité des cas.
Aujourd’hui, l’association Liberi est présente dans plusieurs départements ([427]) et accueille au total 160 enfants dans des lieux de vie et d’accueil, des structures expérimentales d’hébergement et d’accompagnement et des structures de séjour de répit et de rupture.
Concernant le nombre d’intérimaires toujours en poste dans le cadre des structures gérées par Liberi, en audition devant la commission d’enquête M. Manaf El Hebil a fait état des chiffres suivants : « Fin novembre, l’association Liberi employait 150 collaborateurs en CDI, auxquels s’ajoutent 80 ETP en intérim. » À la suite de demande de précisions par écrit, Liberi a ensuite indiqué disposer de 278 salariés en CDI (261 ETP) et de 109 salariés en intérim (71 ETP) via Domino RH.
Au terme de cette analyse, la rapporteure souhaite formuler plusieurs observations :
– l’association Liberi, n’a pas, par définition, de but lucratif, mais les liens qui la rapprochent du groupe Domino RH entretiennent une forte confusion et continuent de poser de nombreuses questions ;
– les départements confient à une structure associative au fonctionnement contestable la gestion de cas particulièrement complexes et de cas d’urgence (notamment des cas de mineurs sous l’emprise de réseaux de prostitutions), sans garantie apparente sur la qualité de la prise en charge, dans le cadre de structures qui disposent d’un encadrement normatif moindre en raison de leur statut (lieux de vie et d’accueil, structures « expérimentales ») et qui emploient une part importante d’intérimaires ;
– ce cas d’espèce illustre l’incapacité des pouvoirs publics à penser une prise en charge adaptée pour les enfants présentant des vulnérabilités multiples.
4. La nécessité d’interdire le secteur privé lucratif en protection de l’enfance
Le droit n’interdit pas aujourd’hui le fait que des structures de la protection de l’enfance soient gérées par des acteurs privés à but lucratif, comme la DGCS l’a confirmé par écrit à la rapporteure.
De nombreux acteurs traditionnels craignent aujourd’hui une marchandisation du secteur et des prix tirés vers le bas, au détriment de la qualité de l’accompagnement. Selon M. Didier Tronche (CNAPE), les prix fixés dans le cadre des appels d’offres peuvent aujourd’hui être trop faibles pour garantir une offre de qualité et tendent à favoriser le développement d’acteurs du secteur privé lucratif en mesure de pratiquer des prix plus bas : « Je tiens à souligner les problèmes liés à l’encadrement budgétaire des appels d’offres. Lorsqu’un appel d’offres pour la création de MECS fixe un prix de journée à 175 euros, il devient impossible de répondre, sauf peut-être pour le secteur privé lucratif qui pourrait respecter ces contraintes budgétaires. Nous ne répondons pas par manque d’intérêt pour ces structures, mais parce que notre proposition à 220 euros, déjà très modeste, dépasse l’encadrement budgétaire fixé. Ce montant de 175 euros ne permet même pas de respecter le code du travail et la convention collective. Ce point […] est essentiel pour comprendre les risques de marchandisation et d’ubérisation du secteur ([428]). »
L’UNIOPSS fait également état d’« appels à projets départementaux sur lesquels aucun acteur associatif de la protection de l’enfance ne souhaite se positionner en raison de prix de journée et de conditions de mise en œuvre là aussi jugés incompatibles avec le respect des droits et des besoins des enfants ([429]) ».
L’ancienne ministre Mme Laurence Rossignol a alerté les parlementaires lors de son audition par la commission d’enquête : « Je tiens à vous avertir que nous aurons le même problème que dans les crèches. Je ne vois pas, en effet, ce que le secteur privé à but lucratif peut faire de mieux en termes de prise en charge, tout en étant moins disant, que les associations à but non lucratif ([430]). »
Une source d’inquiétude majeure réside dans le fait que certaines structures éloignées du modèle associatif classique se spécialisent dans la prise en charge de « cas complexes ». Comme l’a indiqué la DGCS dans une réponse écrite : « Plusieurs départements ont alerté au sujet d’établissements de protection de l’enfance, de type maison d’enfants à caractère social (MECS), de lieux de vie et d’accueil (LVA), de structures proposant des séjours de rupture et des services de placement familial, gérés par des associations ou des sociétés privées, fonctionnant en dehors du cadre légal prévu par le code de l’action sociale et des familles (CASF). De surcroît, des problèmes de prise en charge des mineurs et jeunes accueillis sont constatés en leur sein, ce qui a pu conduire à des fermetures. »
La Défenseure des droits « relève dans ses instructions que de nouveaux acteurs associatifs se présentent comme la solution pour accueillir des mineurs en situation de ruptures et à problématiques complexes et multiplient les demandes d’autorisations sur plusieurs départements. Or, les modalités d’accueil qu’elles offrent en réalité ne sont pas toujours adaptées. À ce titre, le partage d’information entre les différents départements d’implantation et la mise en œuvre de contrôles réguliers représentent des enjeux majeurs ([431]). »
La rapporteure appelle l’État à une grande vigilance et à prendre ses responsabilités en la matière.
Il paraît à ce titre opportun d’inscrire dans le code de l’action sociale et des familles l’interdiction pour les structures privées à but lucratif d’être gestionnaire d’une structure d’accueil de la protection de l’enfance. En outre, une régulation beaucoup plus forte des structures qui ne sont pas dans le cadre des établissements médico-sociaux (lieux de vie et d’accueil, séjours de ruptures, etc.) est indispensable.
Recommandation n° 41 : Inscrire dans le code de l’action sociale et des familles l’interdiction pour les structures privées à but lucratif d’être gestionnaire d’une structure d’accueil de la protection de l’enfance.
La prise en charge des enfants confiés à l’ASE peut générer des situations de violence. C’est une défaillance profonde de ce service public, dont l’un des objectifs est précisément de protéger ces enfants de situations de violence.
Le Comité de vigilance des enfants placés a rappelé cette défaillance avec force à la commission d’enquête, à l’instar de M. Louffok : « Notre système actuel, loin de protéger ses enfants, les expose à des risques, à des abus, à des traumatismes qui marquent leur vie à jamais », de Mme Metro : « Si un parent traitait son enfant comme l’État traite les enfants de la protection de l’enfance, il lui serait retiré », ou encore de Mme Taillardat, qui a insisté sur le caractère systémique des violences subies pendant le placement : « Ces violences sont encore trop souvent considérées comme un phénomène marginal à traiter au cas par cas, là où elles constituent un phénomène systémique dans un secteur en souffrance et en manque de moyens qui s’effondre de l’intérieur ([432]). »
Il existe donc une violence institutionnelle, nourrissant un continuum des violences. Dans le champ de la protection de l’enfance, cette notion de violence institutionnelle a été explicitée par Mmes Isabelle Lacroix, Sarra Chaïeb, Pascale Dietrich‑Ragon et Isabelle Frechon dans un article de juillet 2023 ([433]). Elle se définit comme « les événements douloureux vécus par les jeunes au sein de l’institution et qui sont liés à son fonctionnement ou aux agissements des acteurs qui la représentent ([434]) ». Sont identifiées :
– les violences de première ligne, directement exercées par les acteurs institutionnels en contact avec les enfants ;
– les violences entre pairs ;
– les violences organisationnelles, qui résultent, selon Mme Frechon, « des décisions prises par des acteurs de “seconde ligne” tels que les décideurs politiques, les juges ou les professionnels de service ASE. Ces violences sont souvent indirectes et liées à des défauts dans l’organisation ou l’allocation des ressources ([435]). »
1. Les violences exercées par les personnes en contact avec les enfants
Les violences sont parfois exercées directement par les professionnels au contact des enfants dans les établissements ou par les familles d’accueil.
Il convient cependant de distinguer les violences délibérément commises de celles commises en raison de l’impossibilité de pouvoir exercer son travail comme il le faudrait, faute de moyens. La Défenseure des droits rappelle ainsi que la maltraitance qui peut intervenir résulte notamment de l’absence de taux et de normes d’encadrement : « La bientraitance et la lutte contre la maltraitance dépendent d’abord du nombre de personnels mis à disposition. Il est très injuste de mettre en difficulté à ce sujet des travailleurs sociaux qui le sont déjà faute de moyens ([436]). » M. Christian Haag, éducateur spécialisé et ancien enfant placé, a pu témoigner de situations où un personnel insuffisamment nombreux conduit à des situations néfastes pour les enfants, gérant dans ce cas « plus souvent des groupes au détriment des individualités qui les composent. Les effets psychologiques de cette situation sont parfois dévastateurs […] ([437]). »
Lorsqu’ils subissent les violences, ces enfants ne sont pas forcément écoutés faute de culture du recueil de leur parole, le pire étant lorsque l’enfant parle, mais que rien ne se passe. De plus, les enfants peuvent mettre du temps à se rendre compte qu’ils sont maltraités, comme M. Hakan Marty, éducateur spécialisé et ancien enfant placé, l’a décrit : « J’ai compris par la suite que la situation dans laquelle je me trouvais, censée être protectrice, ne l’était pas réellement. La famille d’accueil à qui j’avais été confié s’est révélée maltraitante, tant physiquement que psychiquement. Ces expériences ont laissé des séquelles et influencé ma vision de l’institution ([438]). »
Si le placement en famille d’accueil est a priori la modalité d’accueil la plus souhaitable pour les enfants, il n’est pas exempt de risques de violences. L’article d’Isabelle Lacroix et al. précité observe ainsi que « même s’il existe de nombreuses expériences heureuses, les jeunes ayant vécu dans des familles d’accueil, notamment quand elles sont peu en contact avec les services centraux de l’ASE, semblent les plus exposés aux violences psychologiques ». M. Gautier Arnaud‑Melchiorre, auteur du rapport « À (h)auteur d’enfants », a lui aussi noté que « les enfants qui ont le plus évoqué les violences institutionnelles n’étaient pas dans des lieux d’accueil collectif, mais le plus souvent dans des familles d’accueil », appelant toutefois à ne pas généraliser : « De nombreux jeunes majeurs ont témoigné de violences liées à des différences de traitement par rapport aux propres enfants de la famille d’accueil. Cela ne signifie pas que les violences n’existent pas dans les structures collectives, mais celles-ci permettent néanmoins une circulation des acteurs et donc une détection plus rapide des situations de violence. D’autres enfants sont capables de me parler de leur “prix de journée”, c’est-à-dire de ce qu’ils coûtent aux familles d’accueil, ce qui signifie qu’on leur en parle ([439]). »
L’article 22 de la loi Taquet a permis d’améliorer le cadre juridique de prévention des violences. Il complète l’article L. 311-8 du CASF, relatif au projet d’établissement ou de service que doivent élaborer les ESSMS, en ajoutant que ce projet précise la politique de prévention et de lutte contre la maltraitance mise en œuvre par l’établissement. Une autorité extérieure à l’établissement ou au service et indépendante du conseil départemental doit être désignée parmi une liste arrêtée par le président du département, le préfet et l’ARS, à laquelle les personnes accueillies peuvent faire appel en cas de difficulté. Cette personne est autorisée à visiter l’établissement à tout moment. La loi Taquet prévoit également que le schéma départemental de protection de l’enfance définit la stratégie de prévention des risques de maltraitance dans les établissements, services et lieux de vie de protection de l’enfance ([440]). À ce stade, l’article 22 n’est pas encore mis en œuvre de manière satisfaisante par les départements ni dans les organisations associatives habilitées, au vu des réponses au questionnaire adressé par la rapporteure à l’ensemble des départements (voir annexe n° 1). La rapporteure demande que, dans chaque département, le préfet vérifie si cette liste a été mise en place. Si tel n’est pas le cas, il devra s’assurer qu’elle soit dressée d’ici à fin juin 2025.
Recommandation n° 42 : Dans chaque département, sous l’autorité du préfet, établir d’ici à fin juin 2025 la liste des autorités extérieures aux ESMS auxquelles les personnes accueillies peuvent faire appel en cas de difficulté (article L. 311-8 du CASF).
2. Les violences entre les enfants et des enfants envers eux-mêmes
Les violences concernent tant les enfants entre eux que les enfants contre eux-mêmes. Ces enfants connaissent parfois un environnement qui ne cesse d’être violent, depuis leur naissance jusqu’à leur placement, puis au cours de celui‑ci : ce continuum de violence est évidemment néfaste pour leur bien-être et leur développement.
Les témoignages apportés par les anciens enfants placés en commission d’enquête ont permis de rappeler la violence qui peut régner entre les jeunes. Cette violence peut s’expliquer par le fait qu’ils aient eux-mêmes subi des violences, des conditions d’accueil parfois dégradées, leur absence de repères… La rapporteure estime que le mélange des âges favorise également les violences des plus âgés envers les plus jeunes. Mme Metro, ancienne enfant placée et membre du Comité de vigilance des enfants placés, a expliqué qu’il faut parfois contenir un enfant pour qu’il ne blesse pas lui-même ou les autres. M. Lucas Cortella, membre du même comité, a témoigné des violences que les enfants s’infligent à eux-mêmes : « Cette douleur, on finit par la contrôler de la seule manière que l’on connaît, parce qu’elle détourne l’attention de celle qu’on ne peut pas fuir. Pour moi, ce furent des scarifications. Pour d’autres, ce furent des addictions ([441]). »
M. Arnaud-Melchiorre a insisté, en audition, sur les agressions sexuelles ayant lieu au sein des établissements et sur la difficulté qu’ont parfois les professionnels à identifier ces comportements comme étant problématiques : « Il est parfois difficile pour les professionnels d’établir une frontière entre ce qui relève du “touche-pipi” et ce qui appartient au registre de l’agression sexuelle. Dans un établissement qui a ensuite fait l’objet d’un signalement à la suite de mon passage et du témoignage de nombreux petits garçons, la directrice atténuait les faits en parlant précisément de simple “touche-pipi”. Pire encore, le directeur général de cette association “la Sauvegarde”, devant mon indignation face à la situation de l’établissement, m’a répondu que je n’étais choqué que parce que j’avais dû être moi-même un enfant confié à l’ASE ([442]). »
Les établissements ont une lourde responsabilité lorsqu’ils ont connaissance de violences entre mineurs : il faut éviter de placer des enfants violents avec d’autres enfants dans les mêmes lieux de vie. Cela nécessite d’avoir de la marge de manœuvre pour trouver une place adaptée à chaque enfant. Comme le relève Mme Spinas-Beydon, directrice de la MECS Saint‑Jean à Sannois (Apprentis d’Auteuil), « il faut assumer qu’une place reste vacante si nécessaire, pour le bien du groupe ([443]) », ce qui n’est pas chose aisée du fait de la saturation des lieux d’accueil. Même écho du côté de la FNADEPAPE, qui a souligné que l’accueil inconditionnel, même complet ou en sureffectif, peut « abîmer » l’enfant, notamment en cas de « dynamiques de groupe délétères » ou de violences ([444]). M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne, a évoqué le cas d’un jeune de quatorze ans qui a été à l’origine d’un départ de feu dans un établissement mais que le juge a maintenu dans ce même lieu, alors que le substitut du procureur demandait le placement en centre éducatif fermé (CEF) mais qu’il n’y avait pas de place disponible ([445]).
3. Les enfants subissent des violences systémiques liées aux dysfonctionnements de l’ASE dans son ensemble
En sus des violences physiques et psychologiques qui viennent d’être décrites, les enfants subissent des violences liées aux défaillances du système de la protection de l’enfance. Elles peuvent, pour certaines d’entre elles, être moins évidentes de prime abord ; elles n’en sont pas moins extrêmement sérieuses, car elles conduisent à un cumul des violences et à des violences systémiques. Elles peuvent avoir des répercussions sur toutes les facettes de la vie de l’enfant.
Les ruptures de placement sont des sources de telles violences. Plusieurs témoignages ont évoqué des enfants ayant connu de multiples lieux de placement en très peu de temps. Par exemple, M. Olivier Treneul, membre du bureau fédéral de SUD Collectivités territoriales et travailleur social à l’ASE, a évoqué en audition un garçon de quatre ans à Valenciennes qui a connu douze lieux de placement en six mois ([446]). La sortie du dispositif de l’ASE lorsque les enfants atteignent la majorité peut également être violente (voir infra).
Les modalités de placement et les conditions d’accueil en elles-mêmes peuvent être violentes. En particulier, la vie en collectivité est souvent synonyme d’environnement bruyant, de cris, d’une architecture pas toujours adaptée et ne favorisant pas le respect de l’intimité. M. Mads Suaibu Jalo, président de Repairs75, a témoigné de sa visite dans un foyer : « Je vous assure que l’environnement à l’intérieur du foyer (disposition des tables, des lits, organisation des repas et activités, etc.) y est violent. Après ces deux heures, j’ai réalisé que je préférerais vivre n’importe où ailleurs que dans un foyer ([447]). »
La surmédicamentation des enfants est une autre de ces formes de violence. La professeure Marie-Rose Moro, pédopsychiatre, cheffe de service de la Maison de Solenn, a souligné que « les soins pédopsychiatriques sont complexes et le médicament peut parfois être utilisé comme une sorte de petite camisole ([448]) ».
Elle a également évoqué, de manière plus spécifique, le cas des enfants qui n’ont pas pour langue maternelle le français. Sans prise en compte de cet enjeu par la structure d’accueil, cela peut contribuer à augmenter la violence du placement.
L’individualité de l’enfant, ainsi que ses émotions, ne font pas encore l’objet d’une attention suffisante. M. Arnaud-Melchiorre parle ainsi de « droit à la colère » des enfants, pour lequel il est important d’outiller les professionnels afin qu’ils puissent accompagner celle-ci. Plus généralement, il regrette que perdure la forte stigmatisation de ces enfants comme « enfants de l’ASE » : « En stigmatisant leur vie, en ne leur permettant pas d’aller à l’anniversaire d’un camarade, en les enfermant dans un langage, l’institution ne crée-t-elle pas elle-même un trouble, ou plutôt ne renforce-t-elle pas des troubles qui préexistent ([449]) ? » La prise en compte de l’individualité et la lutte contre la maltraitance doivent aussi se traduire par l’attention portée au parcours de l’enfance sur le long terme. M. Marty considère ainsi qu’« il est maltraitant de ne pas réfléchir à l’accompagnement de l’enfant, à son parcours, dans le cadre d’une politique de long terme, c’est-à-dire sur dix ou quinze ans au lieu d’un an maximum ([450]) ».
La rapporteure constate que le système de la protection de l’enfance n’est pas encore suffisamment capable d’accueillir la parole de l’enfant victime de violences liées à sa prise en charge par l’ASE et d’y répondre. L’article précité d’Isabelle Lacroix et al. abonde en ce sens : « Les violences subies par [les jeunes], qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles, restent encore minimisées et invisibilisées. L’absence de reconnaissance des violences émanant des institutions et de leurs représentants entretient le continuum de la violence. » M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS, a souligné qu’il est « absolument nécessaire de travailler sur la formation des professionnels, mais aussi la sensibilisation des enfants. Dans ce cadre, une éducation particulière doit pouvoir être mise en place, pour pouvoir parler de ces questions. Il faut également rendre possible le témoignage des enfants, dans les institutions. Les enfants doivent pouvoir parler ([451]). »
4. La prostitution, une violence particulière face à laquelle les professionnels sont trop souvent démunis
La loi Taquet de 2022 a complété les missions de l’ASE, énumérées à l’article L. 221-1 du CASF, par celle d’« apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique au mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, réputé en danger ». La réalité est cependant bien éloignée de cet objectif, les enfants confiés à l’ASE demeurant une cible de choix pour les réseaux prostitutionnels. Les professionnels ne sont pas toujours outillés pour enrayer le phénomène.
a. Les enfants de l’ASE sont des proies bien identifiées des réseaux de proxénétisme
Le phénomène de prostitution chez les enfants et jeunes de la protection de l’enfance est connu mais difficile à chiffrer. Le Dr Aziz Essadek, maître de conférences en psychologie clinique et sociale à l’Université de Lorraine, a estimé à 15 000 le nombre de mineurs victimes de prostitution au sein de l’ASE ([452]). Il existe également certaines données locales démontrant l’ampleur du phénomène. Ainsi :
– la CNPR a évoqué le diagnostic effectué par l’association « Agir pour le lien social et la citoyenneté » dans les Alpes-Maritimes, qui a permis de montrer que « dans 80 % des situations détectées, les activités prostitutionnelles ont débuté au cours de la mesure de protection. Précisément, pour 75 % des mineurs, il s’agissait d’un placement dans un foyer de l’enfance ([453]) » ;
– le rapport du CESE sur la protection de l’enfance reprend les chiffres d’une enquête menée en 2021 par l’ODPE du Nord, qui indique que, sur un total de 145 cas de mineurs victimes de prostitution, 71 % des jeunes étaient suivis par l’ASE, dont 40 % faisant l’objet d’une mesure de placement ;
– en Loire-Atlantique, un rapport de 2022 de l’Observatoire des violences faites aux femmes relève qu’un mineur sur deux victime de prostitution vit dans un foyer de protection de l’enfance ([454]) ;
– l’association Nos Ados oubliés, présente principalement à Marseille et à Toulouse, a indiqué en audition que les trois quarts des filles qu’elle accompagne viennent de l’ASE. Cette association lutte contre la prostitution des mineurs, en offrant notamment un soutien aux victimes et à leurs proches.
L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est estimé autour de onze à quatorze ans. Nos Ados oubliés constate que la proportion de mineurs concernés qu’elle suit se répartit de manière à peu près égale entre ceux faisant l’objet d’une AEMO et ceux placés en établissement. L’association souligne par ailleurs que l’un des motifs d’entrée en protection de l’enfance peut être la prostitution de l’enfant, les parents, démunis, se tournant vers l’ASE, notamment pour protéger leurs autres enfants.
Les raisons pour lesquelles les jeunes filles tombent dans la prostitution sont variées, comme l’a souligné Mme Sarah Bemrah, vice-présidente de l’association Nos Ados oubliés : « L’une des plus dévastatrices est sans doute le lover boy, mais il y a aussi la “bonne copine” qu’elles accompagnent deux ou trois fois avant de glisser progressivement, ou encore le revenge porn, pratique qui consiste à menacer les victimes de diffuser sur les réseaux sociaux des vidéos d’elles en train de se faire violer ou agresser sexuellement ([455]). » Le lover boy est souvent le petit ami de la victime, qui va exercer une emprise sur celle-ci pour la faire basculer dans la prostitution.
Les réseaux de prostitution recrutent au sein même des structures d’accueil. Les interlocuteurs auditionnés par la commission d’enquête n’ont pas mâché leurs mots pour qualifier le phénomène, à l’image de Mme Jennifer Pailhé, présidente de Nos Ados oubliés, qui a qualifié les foyers de « viviers à prostitution », ou encore du Défenseur des enfants, M. Éric Delemar : « Des Audi A8 noires sont garées devant les établissements de la protection de l’enfance : on est dans le domaine du grand banditisme ([456]). » Un rapport de l’ONPE de 2021 souligne le risque de contamination entre les mineurs d’un même établissement une fois que l’un d’entre eux est happé par ces réseaux, évoquant « des phénomènes de “recrutement” ou d’“influence” entre mineurs accueillis – par exemple au retour en structure d’hébergement d’une adolescente après une fugue au cours de laquelle elle a découvert ou repris une pratique prostitutionnelle ([457]) ».
Il est parfois difficile d’aider ces jeunes filles parce qu’elles n’ont pas conscience qu’elles sont en danger ou victimes d’exploitation. C’est le témoignage qu’a livré Mme Pailhé au sujet de sa fille, tombée dans le piège du proxénétisme alors qu’elle était sous AEMO renforcée et préalablement victime d’un inceste qui n’a jamais été reconnu : « Elle faisait partie de ces jeunes filles qui se disent amoureuses. Dans son esprit, elle n’était absolument pas une prostituée, mot qu’elle n’a jamais employé. Elle procurait le revenu du couple en faisant, selon elle, du michetonnage ou de l’escorting. La difficulté première fut donc de lui faire prendre conscience de son statut de victime, ce qui a pris énormément de temps ([458]). »
Le danger vient parfois malheureusement de professionnels défaillants de l’ASE : dans le Tarn-et-Garonne, la presse a fait état d’une employée de l’ASE du département soupçonnée d’avoir fourni des informations confidentielles sur trois jeunes filles à son mari, proxénète ([459]). Mme Benmrah a aussi évoqué le cas de certains veilleurs de nuit qui, « dans les foyers, sont les seuls à même de connaître les allées et venues des gamines ([460]) ».
Enfin, les jeunes filles MNA sont particulièrement touchées par la prostitution.
b. Des professionnels démunis et une réponse institutionnelle encore trop désorganisée
Les professionnels sont conscients de l’ampleur du phénomène prostitutionnel au sein de la protection de l’enfance, ils se mobilisent pour l’endiguer mais sont trop souvent démunis « dans les réponses juridiques, éducatives, sociales et sanitaires à apporter à cette problématique », comme le souligne la décision‑cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance.
Il n’est en effet pas toujours simple de détecter les signes précurseurs de la prostitution. La CNPR relève trois types de conduite qui doivent alerter : le changement vestimentaire, en particulier le port de vêtements onéreux ou ne correspondant pas à l’âge de l’enfant ; la possession de plusieurs téléphones portables ; la multiplication des sorties ou des fugues ([461]).
Quant aux réponses institutionnelles, elles sont nécessairement variables selon les départements. On rappellera tout de même que la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées a créé une instance présidée par le préfet, dans chaque département, qui doit organiser et coordonner l’action en faveur des victimes de la prostitution ([462]).
Au niveau national, plusieurs initiatives ont été prises, parmi lesquelles :
– plusieurs plans successifs, en particulier le plan de lutte contre la prostitution des mineurs, lancé en novembre 2021. Une nouvelle stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel a été initiée le 2 mai 2024. La DGCS a lancé plusieurs appels à projets dans le cadre de celle‑ci : l’association Koutcha a été retenue pour « développer et structurer un réseau national de lieux d’accueil et de prise en charge des mineurs victimes d’exploitation ([463]) ». Il est en effet fondamental de disposer de tels lieux d’accueil afin de garantir à ces enfants une prise en charge adaptée et éviter que les réseaux ne puissent les localiser ;
– le 119 a créé un dispositif dédié, le dispositif de lutte contre la prostitution des mineurs (DLPM), depuis le mois d’avril 2023. Selon la décision‑cadre de la Défenseure des droits, le premier bilan après un an de dispositif a établi que « dans 62 % des cas portés à sa connaissance, les mineurs signalés au 119 pour des conduites prostitutionnelles étaient déjà identifiés et confiés aux services de l’ASE par décision judiciaire, rendant indispensables la formation et l’outillage des professionnels ».
Ces initiatives sont louables mais ne doivent pas occulter les témoignages du milieu associatif d’avoir parfois le sentiment de pallier les carences du système. « Si nous en sommes là, c’est en raison des manquements institutionnels des départements et de l’aide sociale à l’enfance, qui ne pallient pas les difficultés rencontrées par les victimes et leurs familles », a témoigné Mme Pailhé ([464]). En cas de fugue, elle note également de longs délais pour le traitement des signalements ou des IP et un lien entre l’ASE et les forces de l’ordre « pas toujours très efficace ». Certains réseaux opèrent aussi d’un département à l’autre, ce qui peut démultiplier les enjeux de coordination afférents.
Il est important de renforcer le travail transversal sur le sujet. L’UNICEF recommande que soit créé un groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur l’exploitation criminelle des mineurs. L’organisme international rappelle que « de nombreux enfants victimes sont encore invisibilisés et que les systèmes d’exploitation demeurent mal appréhendés en France ([465]) » et que le placement en institution est un facteur de vulnérabilité. L’activité de ce groupe de travail s’étendrait sur six à huit mois et s’articulerait autour de trois axes :
– la prévention des recrutements et des infractions commises par les mineurs liées aux dynamiques d’exploitation ;
– une meilleure identification des victimes potentielles ;
– une prise en charge adaptée en protection de l’enfance sur cette problématique, avec l’appui de l’État.
Concernant plus spécifiquement les actions à mener pour la protection de l’enfance, l’UNICEF évoque notamment le développement de lieux d’accueil de jour et de dispositifs d’accueil provisoire adaptés, d’outils de soutien à la parentalité ou encore la possibilité d’inscrire dans le CASF des dispositions relatives à la prise en charge des mineurs victimes de traite des êtres humains en protection de l’enfance. L’UNICEF souligne également qu’il faudra clarifier les relations entre l’État et le département concernant la protection des victimes d’exploitation criminelle, afin « d’éviter tout vide juridique ou opérationnel ».
La rapporteure soutient la mise en place de ce groupe de travail interministériel sur l’exploitation criminelle des mineurs. Les enjeux spécifiques à la protection de l’enfance devront y être traités. Comme cela est précisé par l’UNICEF, ce groupe de travail devra concerner à la fois l’Hexagone et les territoires ultramarins.
Recommandation n° 43 : Conformément à la recommandation de l’UNICEF, mettre en place un groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire sur l’exploitation criminelle des mineurs.
La stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel de 2024 prévoit de « poursuivre la formation des professionnels de la protection de l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse et de la prévention spécialisée afin de mieux repérer, prévenir et accompagner », en construisant un module de formation spécifique à destination des professionnels de l’enfance. Il serait élaboré par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), le GIP France Enfance protégée, la DPJJ et l’ENM. La rapporteure insiste sur l’importance de mettre cette formation à disposition dans les meilleurs délais.
Recommandation n° 44 : Améliorer la lutte contre la prostitution des enfants et des jeunes confiés à l’ASE en mettant en place dans les meilleurs délais la formation prévue par la stratégie nationale de lutte contre le système prostitutionnel.
La rapporteure observe que les actions proposées par l’État ne répondent pas à cet enjeu majeur de protection sur le terrain. Il est primordial de décliner ce plan d’action avec un protocole spécifique à la protection de l’enfance dans le cadre de la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, afin de mettre en place des actions permettant d’identifier les partenaires référents. Cela demande une mobilisation et une coordination des acteurs au sein de chaque territoire : État, justice, parquet, éducation nationale, police ou la gendarmerie, services de la protection de l’enfance, associations spécialisées, etc. Le lien avec les CHU doit également être fait, afin d’assurer la meilleure prise en charge possible pour les jeunes victimes. Le préfet de département joue un rôle indispensable pour garantir une telle coordination, en tant que président de cette instance.
Recommandation n° 45 : Renforcer le rôle de la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle dans la prise en charge des jeunes victimes de prostitution en protection de l’enfance, en prévoyant un protocole d’action spécifique.
F. Les mineurs non accompagnés : les oubliés des oubliés
La Défenseure des droits, dans la synthèse de son rapport de 2022 sur les mineurs non accompagnés (MNA) ([466]), dénonçait déjà leur « relégation aux frontières de la protection de l’enfance, discriminante par rapport aux autres enfants en danger, alimentant l’idée d’un droit d’exception qui leur serait applicable ». Les MNA sont avant tout des enfants protégés et devraient être traités comme tels, sans discrimination. Pourtant, une suspicion est entretenue à leur encontre. Ils subissent trop souvent une prise en charge low cost. L’État et les départements se renvoient trop fréquemment la balle sur leurs responsabilités en la matière. Il est nécessaire de renforcer la protection de ces mineurs en leur garantissant un traitement de droit commun, sans renier les difficultés propres à leurs parcours.
1. La mise à l’abri et l’évaluation de la minorité et de l’isolement doivent être fiabilisées
« Ces enfants qui, arrivés en France, se retrouvent brutalement face à la vie, sans famille, sans filet de sécurité, avec pour seule richesse un sac à dos souvent trop léger et un passé trop lourd ([467]). » C’est ainsi que M. Madiba Guirassy, co‑fondateur du Comité de vigilance des enfants placés, rappelle la situation de détresse dans laquelle se retrouvent les mineurs étrangers isolés arrivant sur le territoire français. La procédure de mise à l’abri et d’évaluation de leur minorité est régulièrement condamnée par les juridictions internationales.
a. Les principaux dispositifs juridiques encadrant la mise à l’abri et l’évaluation des personnes se présentant comme MNA
L’article L. 221-2-4 du CASF fixe les grandes lignes de la procédure de mise à l’abri et d’évaluation de la minorité et de l’isolement des personnes se présentant comme MNA par les départements. Pour pouvoir être reconnue mineure et bénéficier de l’ASE, toute personne « se déclarant comme mineure privée temporairement ou définitivement de sa famille » fait d’abord l’objet d’un accueil provisoire d’urgence (APU) et d’une évaluation de sa minorité et de son isolement par le conseil départemental. La durée de l’APU est fixée à cinq jours, renouvelables deux fois ([468]). L’évaluation ne peut avoir lieu qu’après l’organisation d’un temps de répit. Cette évaluation peut être déléguée par le département à un organisme public ou à une association.
Mineurs non accompagnés : de qui parle-t-on ?
Une personne se présentant comme MNA est une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Elle est provisoirement prise en charge par le département.
Dès lors que sa minorité est établie, cette personne est reconnue MNA et prise en charge par l’ASE.
Le rapport des sénateurs Hussein Bourgi, Laurent Burgoa, Xavier Iacovelli et Henri Leroy, « Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale ([469]) », avait souligné l’importance de distinguer les MNA pris en charge par l’ASE, d’une part, et les jeunes en errance, d’autre part. La rapporteure approuve une telle distinction. Elle récuse l’assimilation effectuée par certains entre MNA et délinquance. Lors de son audition, Mme Marie‑Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les MNA à la DPJJ, a exposé qu’en 2023, très peu de MNA pris en charge par l’ASE « sont délinquants et mettent en tension les services de la justice, de l’ASE et de la PJJ ». Une baisse du nombre de MNA délinquants est constatée en 2024 et, « la proportion de MNA détenus dans les lieux d’incarcération pour mineurs a fortement baissé, passant de 22 % à 7 % ([470]) ».
Sauf si la minorité de la personne est manifeste, celle-ci doit être présentée à la préfecture pour enregistrement de ses données d’état civil et biométriques dans le fichier national d’appui à l’évaluation de la minorité ([471]). Le préfet communique en retour au département les informations utiles pour déterminer l’identité et la situation de la personne. Une convention doit être établie entre la préfecture et le département pour coordonner ces actions ([472]).
Le président du conseil départemental doit statuer sur la minorité et la situation d’isolement de la personne « en s’appuyant sur les entretiens réalisés avec celle-ci, sur les informations transmises par le représentant de l’État dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l’éclairer ([473]) ».
L’État doit verser aux départements une contribution forfaitaire pour l’évaluation et la mise à l’abri des personnes se déclarant MNA. Elle comprend :
– une enveloppe de 500 euros par personne évaluée pour réaliser l’évaluation sociale et la première identification des besoins en santé ;
– un forfait de 90 euros par jeune et par jour, dans la limite de 14 jours, pour la mise à l’abri, puis un forfait de 20 euros dans la limite de neuf jours complémentaires.
Exceptionnellement, un financement supplémentaire peut être alloué aux départements connaissant une forte croissance du nombre de MNA confiés sur décision de justice ([474]).
Le projet de loi de finances initiale pour 2025 prévoyait 101,3 millions d’euros pour soutenir les départements dans leurs missions relatives aux personnes se présentant comme MNA et aux MNA : 66,2 millions d’euros pour la mise à l’abri et l’évaluation de la minorité et 35,1 millions d’euros pour financer la prise en charge des MNA confiés à l’ASE.
Par contre, la contribution forfaitaire de l’État pour la mise à l’abri et l’évaluation du jeune n’est pas versée pour tout ou partie si le département ne conclut pas la convention avec le préfet mentionnée supra ou s’il n’en respecte pas les termes.
Si la personne est évaluée comme étant mineure, le département doit saisir le procureur de la République afin qu’il prenne une ordonnance de placement provisoire (OPP). L’autorité judiciaire sollicite ensuite la mission nationale mineurs non accompagnés (MMNA), organe de la DPJJ, pour savoir si le jeune est placé dans ce même département ou dans un autre. Le choix du département d’accueil est effectué en fonction d’une clé de répartition. Depuis la loi Taquet de 2022, celle-ci tient compte du nombre de jeunes majeurs de moins de vingt et un ans pris en charge par l’ASE dans le département, ainsi que de critères socio-économiques (nombre de bénéficiaires du RSA et de leurs ayants droit). Mmes Elsa Faucillon, députée, et Michèle Peyron, ancienne députée, rapporteures d’une mission d’information sur les MNA lors de la XVIe législature qui n’a pas pu aboutir en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale, font observer que cette clé de répartition ne prend pas en compte le nombre de places disponibles en temps réel dans les départements ([475]).
b. Une procédure d’évaluation qui repose sur des méthodes trop fragiles
Dans les faits, l’évaluation de la minorité repose sur un ensemble d’indices pas toujours objectifs. Dans la synthèse de son rapport de 2022 sur les MNA, la Défenseure des droits dénonçait que ceux-ci soient « confrontés à des processus d’évaluation peu respectueux de leurs droits, à la remise en question de leur état civil, de leur identité, de leurs parcours et leur histoire, et à des réévaluations multiples de leur situation ». Cette procédure se fonde sur la réalisation d’entretiens d’évaluation sociale de qualité variable. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a noté qu’ils « étaient souvent extrêmement lapidaires, voire expéditifs », selon le rapport du CESE sur la protection de l’enfance. Des tests osseux peuvent être réalisés mais ils ne peuvent pas suffire en eux-mêmes à établir la minorité de la personne en raison de leur manque de fiabilité.
Deux outils existent pour aider à garantir la qualité de la procédure d’évaluation et à l’harmoniser entre départements :
– un référentiel national pour l’évaluation de la minorité a été fixé par arrêté en 2019 ([476]). Celui-ci impose en particulier que l’évaluation sociale soit menée selon une approche pluridisciplinaire, dans une langue comprise par l’intéressé. Malgré ce référentiel, la qualité de l’évaluation demeure variable selon les départements et selon le degré de formation des évaluateurs. Mmes Faucillon et Peyron rapportent que l’UNICEF regrette des évaluateurs plutôt spécialisés en géopolitique qu’en sciences sociales. La CNAPE a souligné auprès d’elles que le caractère pluridisciplinaire était considéré comme satisfait dès lors que deux évaluateurs étaient présents ([477]) ;
– la loi Taquet de 2022 interdit de procéder à une nouvelle évaluation du mineur si celui-ci a déjà été évalué comme tel par un autre département ([478]).
Il en est de même pour évaluer la situation d’isolement. Le rapport du CESE relève que « la notion d’isolement est elle-même source d’interprétations diverses, et il peut être reproché à un jeune d’entretenir des relations avec une personne rencontrée lors de son processus migratoire pour refuser de le qualifier d’isolé ».
Au cours de l’ensemble de cette procédure, le jeune est souvent très seul et mal outillé juridiquement, alors même que l’évaluation peut être un moment très difficile pour lui, comme l’a rappelé Mme Diodio Metro, membre du Comité de vigilance des enfants placés et ancienne enfant placée : « L’évaluation de ma minorité a été un traumatisme que j’ai réussi à dépasser aujourd’hui, mais cela m’a demandé un long travail ([479]). »
Par ailleurs, Mme Faucillon, lors de son audition, a relevé que l’identification des besoins en santé durant le temps de répit, qui doit être effectuée en application de l’article R. 222-11 du CASF, était réalisée de manière très hétérogène. Or la contribution forfaitaire de 500 euros versée par l’État est censée couvrir à la fois les dépenses liées à l’évaluation du jeune et cette première identification des besoins en santé. Cette contribution peut être réduite à 100 euros lorsque le département ne conclut pas la convention avec le préfet pour organiser le concours de celui-ci à la procédure d’évaluation, notamment pour la consultation du fichier AEM. Mais aucune modulation de la contribution n’est prévue en fonction de la réalisation ou non du bilan de santé, ni selon sa qualité. Le président du département doit simplement attester que cette identification des besoins a été réalisée et la condition est considérée comme remplie si la personne a refusé la démarche.
La France a été condamnée à de multiples reprises en raison de carences dans sa procédure de mise à l’abri et d’évaluation des MNA. L’article 20 de la CIDE dispose que « tout enfant temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’État ».
La France a été condamnée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU en janvier 2023 ([480]). Les observations finales du comité des droits de l’enfant des Nations unies de mai 2023 dressent un constat très critique à l’encontre de la France, notamment concernant sa procédure d’évaluation. En mai 2024, vingt‑sept organisations ont saisi le Conseil d’État pour demander la mise en conformité du dispositif d’évaluation et de mise à l’abri des MNA avec le droit international sur divers points ([481]). En janvier 2025, la France a de nouveau été condamnée par la CEDH pour des carences dans son dispositif de protection d’un MNA. L’absence de protection de la personne dans l’intervalle se déroulant entre la décision du département sur sa minorité et la décision finale rendue par le juge en cas de contestation est régulièrement dénoncée.
2. Les MNA, victimes d’une protection de l’enfance à deux vitesses
Les départements sont plus ou moins enclins à prendre en charge les MNA, ce qui conduit à des inégalités de traitement entre départements. Mais globalement, les MNA bénéficient souvent de conditions de prise en charge dégradées par rapport aux autres enfants et jeunes bénéficiaires de l’ASE. M. Madiba Guirassy l’a rappelé : « Dans le foyer où j’ai été placé, j’ai vu tant de mineurs non accompagnés avec en poche une seule certitude, celle de l’incertitude ([482]). » Les travailleurs sociaux essaient pourtant de les accompagner au mieux et souffrent aussi de cette situation, comme le souligne Force ouvrière : « Les enfants et jeunes MNA sont traités différemment des autres jeunes […] ; ce tri humain est difficilement supportable pour des professionnels du social et contrevient manifestement au principe d’égalité qui devrait s’appliquer ([483]). »
Les conditions d’hébergement des MNA sont souvent parmi les plus précaires qui existent en protection de l’enfance. Le CESE relève ainsi que « les structures d’accueil des MNA sont aujourd’hui spécifiques pour la plupart, avec un prix de journée apparaissant comme inférieur à celui alloué habituellement pour la protection d’enfants du même âge, entraînant de facto un encadrement éducatif insuffisant. » Dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, la Défenseure des droits évoque des prix de journée parfois inférieurs à 50 euros pour ces jeunes, ce qui ne peut en aucun cas permettre un accueil de qualité. Les départements invoquent un besoin d’accompagnement qui serait moindre, selon cette même décision. Or la Défenseure des droits rappelle à juste titre que « le choix de la prise en charge d’un adolescent au titre de l’ASE doit être dicté par son seul intérêt supérieur […], et non du seul fait de son “statut” de mineur non accompagné. »
Lorsque ce type d’hébergement était encore autorisé par la loi, les MNA étaient surreprésentés parmi les jeunes placés à l’hôtel. Certains départements continuent d’ailleurs à les y héberger, en toute illégalité. Le placement à l’hôtel a parfois donné lieu à des situations absurdes. Mme Faucillon a ainsi indiqué que leur avait été révélée, au cours des travaux sur leur mission d’information sur les MNA, « la situation d’une mineure non accompagnée placée dans un hôtel à Pigalle ([484]) », ce qui est manifestement constitutif d’une mise en danger… M. Hussein Bourgi, sénateur, a lui aussi éclairé la commission sans détour sur le sujet : non seulement les MNA se retrouvent dans les pires hôtels qui soient, mais ils y sont victimes des réseaux de délinquance : « Les enfants étant tenus de libérer leurs chambres durant la journée – soi-disant pour y faire le ménage, même s’il est en réalité des plus sommaires –, ils se retrouvent à la rue, désœuvrés, livrés à eux-mêmes, et tombent sous la coupe d’autres, plus aguerris. C’est ainsi qu’ils deviennent vulnérables, se transforment en petites frappes et finissent par consommer des produits addictifs qui les conduisent à chaparder mais aussi, de plus en plus souvent, à commettre des actes de délinquance plus graves […] ([485]). » Ces jeunes sont en effet particulièrement exposés aux réseaux de délinquance et de prostitution, compte tenu de leur vulnérabilité et de la protection défaillante des adultes.
D’autres types d’hébergement précaire ou indigne sont mobilisés par les départements, qui arguent du manque de places dans leurs autres structures d’accueil. M. Guirassy a ainsi indiqué lors de son audition, le 28 janvier 2025, que « dans les Yvelines et dans le Val-d’Oise, le conseil départemental est en train d’installer vingt-cinq algécos sur un terrain non viabilisé dans la commune de Chapet, pour y mettre cent mineurs non accompagnés ([486]) ».
Les besoins en santé et en éducation des MNA sont souvent négligés. Le Syndicat de la magistrature souligne qu’ils n’ont souvent pas d’éducateur référent. Le dernier comité interministériel pour l’enfance recommandait d’ailleurs de raccourcir les délais d’inscription scolaire des enfants et des jeunes faisant l’objet d’un accueil provisoire d’urgence ou d’un accueil provisoire. La Défenseure des droits déplore, dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, que le projet scolaire et professionnel des MNA pris en charge par l’ASE soit travaillé bien souvent sous le seul angle de la régularisation : « Nombre de travailleurs sociaux s’inscrivent dans une logique d’en faire des jeunes “régularisables” et aptes à entrer sur le marché du travail, au détriment des souhaits et capacités des mineurs concernés. L’orientation scolaire est travaillée dans cet objectif unique, ce qui peut conduire, à terme, à un abandon total des études par les jeunes. »
Concernant les besoins en santé, le Dr Marie-Paule Martin-Blachais a souligné qu’un rapport ([487]) « note que 50 % des jeunes [MNA] souffrent de troubles psychiques réactionnels aux stress auxquels ils ont été exposés. Ils présentent souvent une sur-adaptation aux événements adverses vécus, pouvant masquer un risque d’effondrement dépressif anxieux. Cela justifie pleinement la nécessité d’un temps de présence d’un psychologue formé à l’ethnopsychiatrie ([488]). »
Il en est de même pour les dispositifs d’accompagnement vers l’autonomie. Selon la dernière enquête de Cause Majeur ! ([489]), 49 % des répondants accueillant des MNA estiment que les anciens MNA ne bénéficient pas de la même qualité d’accompagnement que les autres jeunes dans leur département. De très nombreux acteurs associatifs auditionnés ont par ailleurs fait part de leur opposition aux dispositions de l’article 44 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Cet article exclut les jeunes majeurs sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) et ayant bénéficié de l’ASE durant leur minorité d’une prise en charge au titre de la protection de l’enfance.
Déjà fortement fragilisés par leurs parcours et affrontant les mêmes difficultés d’autonomisation éprouvées par tous les jeunes majeurs sortant de l’ASE (voir infra), les jeunes étrangers majeurs font également face à la question centrale du titre de séjour. Son obtention représente souvent une grande difficulté et un facteur majeur d’incertitude, les empêchant d’envisager sereinement leur avenir. La loi Taquet de 2022 a pourtant complété le contenu de l’entretien obligatoire devant avoir lieu avant la majorité du jeune par une obligation d’information relative à l’accompagnement que l’ASE offre au MNA pour ses démarches d’obtention d’une carte de séjour ou de dépôt d’une demande d’asile.
À ces difficultés liées au titre de séjour s’ajoute celle du choix fait par certains départements de conditionner l’accès à un « contrat jeune majeur » à une prise en charge préalable par les services de l’ASE de quelques années. Le rapport sénatorial sur les MNA précité évoque le choix de certains départements « de conditionner l’octroi d’un contrat jeune majeur à une prise en charge préalable au sein de l’ASE de deux ans minimum. Une telle condition a pour conséquence directe de refuser le contrat jeune majeur à la plupart des MNA, lesquels entrent majoritairement dans les dispositifs de protection de l’enfance après seize ans. » Cette condition conduit à exclure beaucoup de MNA du « contrat jeune majeur » car ceux‑ci entrent souvent sous protection de l’ASE à un âge plus avancé.
3. Un renvoi de balle entre État et départements sur leurs responsabilités respectives concernant la prise en charge des MNA
Les départements sont les premiers responsables de la prise en charge des MNA. L’État doit cependant leur apporter un soutien financier, un soutien pour l’évaluation de la minorité et joue un rôle dans l’orientation des MNA vers les différents départements. État comme départements n’assument cependant pas toujours leurs responsabilités.
Des départements n’appliquent pas la loi en refusant de prendre en charge des MNA. La Défenseure des droits évoque dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance des saisines dont elle a fait l’objet, à l’été 2023, concernant la fermeture de dispositifs d’accueil provisoire d’urgence (APU) dans certains départements.
Un chiffre circule régulièrement pour tenter de justifier les refus de prise en charge, ou les prises en charge dans des conditions dégradées, par les départements : sept personnes sur dix se présentant comme MNA seraient finalement reconnues majeures. Mme Elsa Faucillon a fait observer que ce chiffre « se fonde sur les chiffres des départements et ne prend donc pas en compte les décisions rendues à la suite d’un recours, qui, dans certains départements, aboutit dans 60 % des cas à une remise en cause de la première évaluation ([490]) ». Du reste, la Défenseure des droits a souligné en audition que l’afflux de MNA parfois invoqué ne se vérifie pas pour tous les départements ayant mis fin à l’APU, d’après les instructions menées.
Quant à la nouvelle interdiction de réévaluer la situation d’un mineur si sa minorité a déjà été attestée par un autre département, elle n’est pas non plus toujours respectée : « La mission nationale mineurs non accompagnés constate que certains conseils départementaux contournent cette interdiction en transmettant à l’autorité judiciaire de nouvelles investigations, telles que l’interrogation du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) – pourtant prévue pendant le seul temps de l’évaluation – ou des notes sociales pour solliciter la fin de ces prises en charge », souligne la DPJJ ([491]).
Les départements justifient bien souvent leurs défaillances par l’implication insuffisante de l’État. Départements de France souhaite que la compétence de l’évaluation de la minorité et de l’isolement reste au département, mais que la mise à l’abri soit intégralement prise en charge par l’État « au titre de sa politique migratoire et dans le cadre de sa compétence en matière d’hébergement d’urgence ». L’association d’élus souhaite également la compensation « à l’euro près » des charges revenant à l’ASE pour la prise en charge des MNA ([492]). Le rapport du Sénat sur les MNA précité préconisait quant à lui de transférer à l’État tant l’évaluation de la minorité que la mise à l’abri des personnes se présentant comme MNA à l’État (recommandation n° 4).
Outre ce débat sur une recentralisation partielle ou intégrale de la prise en charge des personnes se présentant comme MNA et des MNA, des lacunes existent dans l’exercice du rôle confié à l’État en l’état actuel du droit. Dans sa décision‑cadre sur la protection de l’enfance, la Défenseure des droits regrette l’insuffisance des réponses de l’État face aux départements dysfonctionnels, rappelant qu’il est du rôle du préfet d’intervenir en cas de carence. Elle indique que lorsqu’elle a sollicité les préfets, « dans le cadre de ces instructions, sur les actions menées face à l’absence d’APU de nombreux mineurs, aucun préfet n’a indiqué avoir envisagé une intervention à ce titre ».
En réalité, on retrouve des problématiques de gouvernance similaires à celles déjà évoquées pour le reste de la protection de l’enfance :
– des organes de gouvernance manquants ou abandonnés. La députée Michèle Peyron a rappelé qu’un comité national sur les MNA avait été créé en 2016 ([493]), réunissant notamment les ministères des affaires étrangères, de la famille, de l’intérieur, de la justice et de l’éducation nationale. Il ne s’est réuni que deux fois cette même année 2016 ;
– le sénateur Hussein Bourgi a constaté un fonctionnement en silos et l’insuffisante formation des services de l’État sur le sujet des MNA : « Nous avons eu la confirmation dans le cadre de nos travaux que, comme nous le supposions, les services de l’État et des départements ne sont ni assez outillés, c’est-à-dire formés, ni assez étoffés, ni assez coordonnés, ce qui conduit à un fonctionnement en silos : chacun travaille dans son coin. » Plus grave, il dénonce l’organisation par l’État lui-même du « basculement en situation irrégulière d’étrangers en situation légale, d’adultes insérés dans la vie professionnelle et sociale, parce qu’ils n’arrivent pas à prendre rendez-vous à la préfecture » en raison du sous-effectif chronique au sein de celles-ci ([494]). Le sénateur Laurent Burgoa a également constaté cette dernière difficulté. Les préfectures doivent se mobiliser et voir leurs effectifs renforcés afin de réduire le temps nécessaire à ces jeunes pour l’obtention d’un titre de séjour ;
– les associations pallient trop souvent les manquements de l’État et du département, en particulier lors de la phase de mise à l’abri et d’évaluation de la minorité et de l’isolement.
Certaines initiatives de coopération sont toutefois à relever, en particulier au niveau de l’Union européenne. La DPJJ a notamment participé à coordonner, entre 2020 et 2023, le projet EUPROM qui a étudié les conditions de prise en charge et de protection des MNA en Europe. Cela a abouti à la publication « d’un guide pratique recensant des pratiques nationales dignes d’intérêt en septembre 2023 ». Elle participe aussi au projet financé par la Commission européenne et piloté par l’École nationale de la magistrature (ENM) baptisé « Just Child – Pour une justice adaptée pour les mineurs non accompagnés (MNA) confrontés aux réseaux criminels », qui « a pour objectif de développer des outils relatifs à la prise en charge des MNA victimes de réseaux de criminalité organisée, à destination des professionnels amenés à travailler avec le public concerné ([495]) ».
4. Mieux protéger les MNA en renforçant leurs droits
Les procédures d’accueil et d’évaluation de l’isolement et de la minorité des jeunes se présentant comme MNA disposent d’importantes marges de progrès, ne serait-ce que pour se conformer au droit international. Mmes Faucillon et Peyron rapportent que le cabinet de l’ancienne ministre Sarah El Haïry leur avait indiqué, dans le cadre de leur mission d’information, qu’un travail d’actualisation de l’arrêté sur le référentiel d’évaluation de la minorité était en cours « pour mieux définir l’organisation de l’entretien et les points devant être abordés ([496]) ». Compte tenu des lacunes demeurant dans l’organisation de cette évaluation, en particulier l’évaluation sociale, il est fondamental que ce travail soit repris et finalisé.
Recommandation n° 46 : Actualiser le référentiel d’évaluation de la minorité.
Il est également indispensable que le jeune bénéficie d’une présomption de minorité jusqu’à la décision de justice lorsqu’il saisit le juge pour contester la décision du département sur sa minorité. Cette présomption de minorité lui permettra de bénéficier d’un accueil provisoire également durant cette période. La saisine du juge doit donc être suspensive pour que le droit au recours devienne effectif.
Recommandation n° 47 : Garantir la présomption de minorité d’une personne se présentant comme mineur non accompagné (MNA) jusqu’à la décision de justice le concernant, lorsqu’il conteste la décision du département sur l’évaluation de sa minorité.
Sur le renforcement de l’égalité de traitement entre les MNA et les autres enfants ou jeunes suivis en protection de l’enfance, Mmes Faucillon et Peyron proposent de procéder à une évaluation du niveau scolaire dès l’accueil d’urgence du jeune.
Par ailleurs, la décision-cadre de la Défenseure des droits rappelle les enjeux de prise en charge de santé. Ces jeunes au parcours traumatique souffrent souvent d’importantes vulnérabilités. Ils doivent donc bénéficier d’une prise en charge adéquate en santé et particulièrement en santé mentale, grâce à du personnel formé sur « des compétences transculturelles et des savoirs en matière de migration et de traumatismes complexes liés au parcours de ces jeunes ».
L’accès à un titre de séjour doit être facilité pour les MNA pris en charge par l’ASE, car ce paramètre est déterminant pour leur permettre de construire un avenir. La rapporteure soutient la proposition, formulée par la CNAPE, de « prévoir un seul titre de séjour au titre de la vie privée et familiale pour l’ensemble des mineurs non accompagnés, soumis à des conditions homogénéisées afin de faciliter les démarches administratives ([497]) ».
La rapporteure a pu échanger, lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête en Meurthe‑et‑Moselle (voir, infra, la partie sur les jeunes majeurs), avec des jeunes MNA de différentes nationalités. Pour certains, ils avaient fait l’objet d’une OQTF lors du basculement de la minorité à la majorité, alors qu’ils étaient tous en insertion sur des métiers en tension ou engagés dans des études supérieures. Devoir renouveler ses papiers tous les trois mois ne permet pas au jeune de se projeter et complexifie toutes les autres démarches pour les éducateurs qui les accompagnent, avec une perte de sens notable dans leurs fonctions aux côtés des jeunes. Cette situation doit cesser et le droit des MNA à s’insérer devenir une réalité. Est-il besoin de rappeler les montants budgétaires engagés par les départements pour accompagner les jeunes de la protection de l’enfance, si c’est pour finir avec une OQTF sans justificatif de cette notification ? Cela reste un véritable scandale. Il est nécessaire de raisonner, une fois de plus, en termes d’investissement pour l’avenir et la réussite de l’insertion de ces jeunes.
Enfin, aucune discrimination ne doit être opérée par les départements pour l’octroi d’un « contrat jeune majeur » ou sur le contenu de celui-ci entre les MNA et les autres jeunes majeurs.
Recommandation n° 48 : Renforcer l’égalité de traitement entre les jeunes MNA et les autres enfants et jeunes majeurs pris en charge par la protection de l’enfance :
– en évaluant le niveau scolaire du jeune dès son accueil ;
– en renforçant son suivi en santé, notamment en santé mentale, grâce à du personnel spécialement qualifié ;
– en permettant aux MNA ou aux MNA devenus jeunes majeurs pris en charge par l’ASE de bénéficier d’un titre de séjour au titre de la vie privée et familiale ;
– en lui assurant une prise en charge identique à celle des autres jeunes dans le cadre du projet d’accès à l’autonomie.
L’implication de l’État et des départements et leurs relations concernant la prise en charge des personnes se présentant comme MNA et des MNA doit aussi être améliorée. La nomination d’un délégué interministériel figure parmi les préconisations du rapport du Sénat sur les MNA (recommandation n° 3). Mme Peyron a évoqué en audition le comité national créé sur le sujet en 2016. Une implication insuffisante du ministère des affaires étrangères a été relevée. La nomination d’un délégué ou la relance de ce comité permettrait de réduire la logique de silos à l’œuvre.
D’un point de vue pratique, la rapporteure ne peut que soutenir la préconisation de Mmes Faucillon et Peyron, formulée dans leur contribution écrite, de dématérialiser la procédure de demande de versement de la contribution forfaitaire de la part de l’État au département, afin de fluidifier et de simplifier les démarches d’obtention de celle-ci.
Recommandation n° 49 : Renforcer l’implication de l’État dans le cadre des missions qui lui sont déjà confiées par la loi s’agissant de la prise en charge des personnes se présentant comme MNA et des MNA :
– en créant une instance de gouvernance dédiée au niveau national (par exemple, en nommant un délégué interministériel ou en relançant le comité créé à ce sujet en 2016). Elle devra impliquer le ministère des affaires étrangères ;
– en dématérialisant la procédure de demande de la contribution forfaitaire versée par l’État au département pour la mise à l’abri et l’évaluation de la minorité et de l’isolement des jeunes se présentant comme MNA.
Un changement de paradigme doit aujourd’hui être amorcé. Outre la nécessité de repenser les actions à domicile, des normes minimales d’encadrement doivent être instaurées dans les structures d’accueil et les contrôles doivent être renforcés.
Bien que le droit fasse du maintien de l’enfant au domicile familial une priorité, en pratique, ce principe n’est pas toujours appliqué. Face à ce constat, il faut garantir la priorité des mesures d’intervention à domicile, ce qui passe par le renforcement de leur efficacité.
De très nombreuses personnes auditionnées pointent le sous-investissement dont souffrent les mesures d’accompagnement à domicile, qui constituent pourtant près d’une mesure sur deux en protection de l’enfance. Mme Alice Grunenwald (AFMJF) est ainsi revenue sur la « forte culture du placement, qui ne se manifeste pas uniformément dans tous les départements ». Elle apporte à l’appui de son propos un témoignage : « Il arrive que nous luttions, dans certaines situations, pour obtenir l’intervention de travailleuses familiales. Par exemple, j’avais refusé de placer un bébé à la naissance et avais demandé, avant celle-ci, une intervention significative de travailleuses familiales au domicile. Ces dernières ne sont intervenues qu’aux quatre mois de l’enfant, et seulement pour deux heures. Comme ce travail en milieu ouvert peine parfois à se mettre en place, on privilégie souvent la sécurité du bébé en le plaçant, bien que ce placement ne soit pas toujours sécurisé ([498]) . » Ce constat est également celui dressé par M. Patrick Genevaux (ANDASS), qui dénonce une « logique de parapluie ([499]) » : par crainte d’un accident, le placement peut être privilégié, au détriment d’une intervention à domicile.
La rapporteure estime qu’il est essentiel de changer de paradigme et de développer de façon beaucoup plus importante les méthodes alternatives au placement, ce qui nécessite un investissement dans les mesures à domicile. Si la maltraitance parentale existe et qu’il peut être indispensable d’éloigner un enfant de son foyer pour le protéger, dans d’autres cas, et pour reprendre les mots de Mme Pauline Spinas-Beydon (Apprentis d’Auteuil), « lorsque des ressources et des éléments positifs sont identifiés, nous pouvons éviter la séparation ([500]) ».
L’intensité des AEMO et des AED est aujourd’hui globalement trop faible pour permettre un travail de fond avec les familles et obtenir des améliorations. Comme l’indique Mme Diodio Metro, ancienne enfant placée et aujourd’hui cheffe de service éducatif, « les rencontres ont lieu une fois par mois, et encore, si nous avons de la chance. Parfois, ces échanges se font uniquement par téléphone, sans interaction directe ([501]). »
Cette observation s’applique également à l’intervention des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF). Si la pertinence de leur action et leur capacité à établir un dialogue fructueux avec les familles sont largement soulignées, leurs actions restent trop peu nombreuses, avec peu d’interventions le soir et le week-end ([502]).
Plusieurs acteurs pointent l’insuffisante fluidité entre les mesures éducatives judiciaires et les mesures éducatives administratives. Le fait que la mise en œuvre des mesures d’AEMO et des mesures d’AED relèvent souvent de services différents contribue à ce manque de fluidité et se traduit également par des changements d’interlocuteur pour l’enfant ([503]).
À cette trop faible intensité s’ajoute également le retard de mise en œuvre, en particulier pour les AEMO, comme évoqué supra.
Les AEMO renforcées et intensives ont été consacrées en droit par la loi Taquet ([504]). Elles constituent un progrès notable. Elles consistent à attribuer à l’éducateur référent un nombre de situations beaucoup plus restreint que dans le cadre d’une AEMO classique, afin de permettre plusieurs visites par semaine. Mais elles sont peu développées. Selon la DPJJ, si cette mesure est déjà déployée dans certains ressorts (Nantes, Saint-Étienne), elle n’est qu’en cours de mise en œuvre dans d’autres (Thionville, Troyes) voire inexistante (Nice) ([505]). Toujours selon la DPJJ, de nombreux magistrats coordonnateurs ont fait état, dans les rapports d’activité des tribunaux pour enfants de 2022, de leurs difficultés à prononcer cette mesure. Les juridictions apportent diverses explications, parmi lesquelles le manque de moyens financiers et humains du département et la nécessité de clarification de son contenu ([506]).
Les mesures d’assistance à la gestion du budget sont également très peu ordonnées. L’IGAS regrette dans le rapport précité ([507]) leur faible utilisation, « liée à la réduction des enveloppes budgétaires, à la technicité perçue des mesures, et à l’insuffisante connaissance, qui conduisent à ce que, dans certains départements, le dispositif soit devenu “confidentiel” et très peu inscrit dans les “réflexes” des assistants sociaux de secteur comme de l’ASE ». Ce constat rejoint celui de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), qui déplore, dans sa contribution écrite transmise à la rapporteure, la baisse de ces mesures « pourtant très consensuelles et vraiment utiles » et appelle à davantage les valoriser.
Il n’existe aucune norme d’intervention ni de cadre de référence établi sur le contenu et la fréquence des interventions à domicile.
Dans la lignée des recommandations formulées par la Défenseure des droits dans sa décision-cadre, la rapporteure appelle de ses vœux l’élaboration d’un référentiel national portant sur le contenu des mesures d’intervention à domicile. Dans ce cadre, et dans le prolongement des recommandations faites par le CESE, il serait opportun d’instaurer un nombre maximal de mesures suivies par chaque professionnel en milieu ouvert. Ce référentiel doit globalement permettre de favoriser des mesures d’intervention à domicile plus intenses et donc plus efficaces :
– les AEMO renforcées doivent être encouragées, ce qui exige d’y consacrer les moyens financiers appropriés ;
– les AEMO simples doivent être reconsidérées : en l’état actuel, elles sont dans la grande majorité des cas inutiles et relèvent donc un mauvais usage de l’argent public ;
– la fluidité entre AEMO et AED doit s’améliorer, afin de garantir la cohérence de l’action publique et la nécessité pour l’enfant de garder les mêmes interlocuteurs ;
– l’ensemble de la palette des actions possibles doit être mobilisé, en fonction des besoins identifiés. Il convient d’encourager davantage le recours aux aides à la gestion du budget et de développer l’intervention des TISF, qui peuvent permettre un accompagnement à la fois précoce et soutenu.
Recommandation n° 50 : Repenser le cadre des interventions à domicile, en garantissant un accompagnement gradué en fonction des besoins et globalement renforcé ; établir un référentiel national en ce sens :
– instaurer un nombre maximal de mesures suivies par chaque professionnel en milieu ouvert ;
– développer les AEMO renforcées et supprimer les AEMO simples dans leur forme actuelle ;
– veiller à la bonne organisation des services pour garantir une fluidité entre mesure AED et mesures AEMO ;
– encourager la mobilisation de l’ensemble de la palette des interventions, en développant l’intervention des TISF ainsi que les aides à la gestion budgétaire et financière ;
– garantir la formation initiale et continue des professionnels (voir recommandation n° 86) et structurer les interventions à domicile de façon à promouvoir leur pluridisciplinarité.
Création prétorienne, qualifié de « formule hybride » par la Conférence nationale des procureurs, le placement éducatif à domicile (PEAD) repose sur le principe suivant : le mineur est placé mais reste au domicile familial, avec une possibilité d’hébergement en cas de nécessité. Sur un plan juridique, le mineur placé est confié au conseil départemental, et il est accordé aux parents un droit de visite et d’hébergement quotidien. Ce placement s’accompagne d’une prise en charge éducative intensive (visites pluri-hebdomadaires, permanence éducative le soir et les week-ends). Cette formule est donc proche de l’AEMO renforcée avec option d’hébergement (possibilité d’accueil de l’enfant en dehors du foyer familial), qui existe mais n’est pas développée.
Le PEAD ne fait pas consensus. Si les représentants du monde associatif le trouvent utile en ce qu’il permet une action à domicile très soutenue, d’autres émettent de fortes critiques à son encontre. Il est alors perçu soit comme une solution alternative dans les territoires où il n’existe pas d’AEMO renforcée, soit comme « un pis-aller, faute de moyens pour placer les enfants à l’extérieur », pour reprendre les mots de Mme Cécile Mamelin (USM). Pour Mme Michèle Créoff, il s’agit d’une solution dangereuse, en particulier pour les enfants en bas âge.
Dans la continuité de son avis présenté le 14 février 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt important le 2 octobre 2024 ([508]). Elle a considéré sur le fondement des articles 375, 375-2, 375-3, 3°, et 375-7 du code civil, que lorsque le juge des enfants décide de confier le mineur à l’ASE, il ne peut pas accorder cumulativement à l’un ou aux deux parents un droit d’hébergement du mineur à temps complet. Par conséquent, les juges des enfants ne peuvent plus ordonner de mesures de placement prenant la forme d’un placement éducatif à domicile (PEAD) sans risquer de voir leur décision infirmée en cas de recours.
La rapporteure considère que le PEAD repose sur une ambiguïté à laquelle il convient de mettre fin en tirant les conclusions de l’arrêt de la Cour de cassation et en étudiant la possibilité de requalifier les PEAD en AEMO renforcées avec option d’hébergement. D’autres solutions peuvent être mobilisées, telles que les accueils de jour ou les internats.
Mettre en place des mesures à domicile plus efficaces exige également une révision des pratiques professionnelles, en favorisant le dialogue avec les familles et en valorisant les compétences parentales. Comme l’a rappelé Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, au cours de son audition, « il est possible d’avoir des parents tout à fait conciliants dont les enfants se trouvent néanmoins dans des situations de danger en raison de négligences graves. […] La nécessité de se centrer sur l’enfant ne doit pas nous faire oublier ce que vivent les parents. Si nous négligeons cet aspect, nous risquons de passer à côté des besoins impératifs des enfants ([509]). »
Il convient donc de favoriser une approche à la fois « plus bienveillante, mais également plus incisive », pour reprendre les mots de Mme Muriel Eglin (AFMJF). Cela repose sur le développement de pratiques professionnelles fondées sur le développement des capacités parentales, l’écoute et la participation des usagers, Comme le résume M. Baptiste Cohen (Apprentis d’Auteuil), « s’intéresser aux parents ne signifie pas les excuser ou les dédouaner de leurs responsabilités, mais chercher à mieux comprendre les difficultés et dysfonctionnements rencontrés dans les familles. […] Il faut donc inventer, déployer et évaluer de multiples référentiels pour mieux accompagner les familles, parents et enfants, face à la diversité des situations ([510]). »
La rapporteure considère qu’il est primordial de mieux soutenir les compétences parentales, sans exonérer les parents de leur responsabilité. La formation des travailleurs sociaux, initiale et continue, doit pouvoir évoluer afin de mieux intégrer cette dimension.
Selon le GEPSO à partir des dernières données de la DREES concernant la situation de l’ASE, en 2021, les établissements de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) comptaient 63 100 emplois en équivalent temps pleins (ETP), soit 79 ETP pour 100 places d’accueil, contre 89 % en 2012 et 85 % en 2017. Cette perte de 10 points de pourcentage en moins de dix ans est un indicateur de l’aggravation de la situation, mettant en péril la qualité de l’accompagnement des enfants protégés.
L’aide sociale à l’enfance se caractérise par une absence de normes d’encadrement qu’il est aujourd’hui urgent de pallier.
1. Des normes d’encadrement absentes
Le code de l’action sociale et des familles (CASF) ne prévoit pas de dispositions précises relatives aux modalités d’encadrement minimum nécessaires, ce qui constitue aux yeux de la rapporteure un vide juridique ancien, grave et préjudiciable.
L’article L. 312-1 du CASF dispose ainsi que les prestations délivrées par les établissements sociaux et médico-sociaux de la protection de l’enfance sont réalisées par des équipes pluridisciplinaires qualifiées, sans précision supplémentaire. Surtout, si l’article L. 312-1 du CASF prévoit, depuis la loi n° 2002‑2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, que « les conditions techniques minimales d’organisation et de fonctionnement des établissements et services relevant des catégories mentionnées au présent article […] sont définies par décret après avis de la section sociale du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale », force est de constater qu’un tel décret n’a jamais été pris concernant les conditions d’accueil au sein des structures de l’aide sociale à l’enfance.
Il n’existe donc aucune règle minimale d’encadrement des enfants de la protection de l’enfance, qu’il s’agisse du nombre de personnes par enfant ou de leur niveau minimal de qualification. Une exception existe pour les pouponnières, mais le décret en la matière est largement obsolète (voir supra). Cette situation juridique contraste avec les règles applicables pour l’accueil périscolaire, l’accueil de jeunes enfants ou l’accueil collectif de mineurs, laissant de nouveau entendre que les enfants de la protection de l’enfance font l’objet d’un traitement différencié et moins-disant.
Le droit français paraît en ce sens en contradiction avec l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, selon lequel « les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié ».
Cette absence de règle rend aujourd’hui légale des situations pourtant très préjudiciables pour les enfants et pour les professionnels et renforce les inégalités de traitement entre les territoires. Comme l’a souligné M. Thomas Brichard (les Apprentis d’Auteuil), « la situation dépend grandement des départements, des budgets alloués, des choix politiques, mais aussi du bassin de recrutement. Les candidatures et le nombre d’éducateurs diplômés varient d’un département à l’autre. En fin de compte, la qualité de l’accompagnement des enfants en dépend. Actuellement, je me trouve dans un département où les difficultés de recrutement sont minimes. En revanche, j’entends certains collègues d’autres départements se plaindre de l’absence quasi totale d’éducateurs diplômés dans les maisons d’enfants ([511]). »
Concernant l’état actuel des conditions d’encadrement au sein des établissements de la protection de l’enfance, il est difficile de disposer d’une vision d’ensemble complète, faute de données officielles exhaustives. Trois enquêtes conduites par le secteur associatif fournissent toutefois un aperçu de la situation sur le terrain ([512]) :
– les ratios d’encadrement sont de l’ordre de 5,4 ETP en moyenne par groupe d’enfants de moins de six ans, 6,1 ETP pour les enfants de sept à douze ans et 6,6 ETP par groupe d’enfants de treize à dix-huit ans ;
– la part des personnels éducatifs diplômés s’élève à 79 %, 39 % des structures disposent d’infirmières, 11 % d’un médecin (le plus souvent à moins de 0,25 ETP) ;
– autre chiffre révélateur : 11 % des professionnels se trouvent souvent en danger pendant leur exercice professionnel, 49 % le sont parfois.
Comme l’a rappelé Mme Christine Omam (GEPSO) au cours de son audition, ces chiffres ne permettent pas d’assurer une permanence éducative effective. En conséquence, les établissements s’adaptent et compensent, en mobilisant « les maîtresses de maison, des contrats CDD ou intérimaires, voire en prenant des risques quant au respect du droit du travail ou même de la sécurité des enfants et/ou des personnels ([513]) ».
Les conditions d’encadrement la nuit sont particulièrement problématiques. Les éducateurs de nuit ont été progressivement remplacés par des veilleurs de nuit, moins qualifiés. M. Gautier Arnaud-Melchiorre, auteur du rapport « À (h)auteur d’enfants », a rappelé un point fondamental aux yeux de la rapporteure : « En matière de protection de l’enfance, rien ne pourra s’améliorer tant que les enfants ne dormiront pas bien la nuit. Tant que les enfants ne se sentiront pas en sécurité, ils ne pourront pas suffisamment dormir pour bien grandir et aller à l’école. Or le moment de la nuit, où il se passe des choses parfois terribles, a, pour des motifs peut-être économiques, été désinvesti du champ éducatif ([514]).»
b. Un décret bloqué depuis cinq ans
Dans le cadre de la Stratégie nationale de la protection de l’enfance (SNPE) pour 2020-2022, le secrétaire d’État Adrien Taquet a initié en 2020 des travaux relatifs aux normes d’encadrement des structures d’accueil de la protection de l’enfance et a saisi le CNPE de cette question. À la suite de l’avis rendu par le CNPE (novembre 2020), qui faisait apparaître le besoin de dresser un état des lieux avant d’agir, la DGCS a commandé une étude conduite entre mai 2021 et décembre 2021 par le cabinet CGI Business Consulting. L’étude, conduite dans le cadre d’ateliers collectifs avec des établissements considérés comme représentatifs, a permis de définir le format des normes, la définition d’une norme spécifique pour les moins de six ans, une norme socle à destination des MECS, foyers de l’enfance et villages d’enfants et des critères majorant cette norme socle. Après un travail de concertation de deux ans avec les associations représentatives du secteur, la DGCS et les conseils départementaux, un premier projet de décret a été établi au mois d’avril 2022, légèrement remanié au mois de juin.
Celui-ci retenait le principe d’une norme d’encadrement fixée en fonction du nombre et de l’âge des enfants, avec un mécanisme de majoration pour les enfants en situation de difficultés particulières. Dès le projet de décret de 2022, le ratio de huit ETP par groupe de dix mineurs a été identifié comme un minimum nécessaire. En dessous de ce ratio, un professionnel peut se retrouver seul dans certains cas pour la prise en charge de dix mineurs, notamment le week-end. Le ratio de huit ETP est un prérequis indispensable pour assurer une « doublure » permanente, soit deux professionnels matin et soir sept jours sur sept.
Ce projet de décret n’a jamais été publié. S’il a recueilli l’assentiment d’un certain nombre d’acteurs associatifs, les départements ont en revanche émis de fortes critiques à son encontre, en raison du coût qu’il pourrait engendrer et du risque d’inapplicabilité des mesures, dans un contexte de pénurie importante de professionnels du secteur.
Dans sa réponse écrite à la rapporteure, l’ancienne secrétaire d’État Mme Charlotte Caubel indique : « Consciente de ce besoin mais aussi des écueils absolus qu’une publication d’un projet de décret élaboré dans des conditions problématiques aurait entraînés j’ai fait le choix de différer cette publication. J’ai repris avec mes équipes le projet dans son intégralité. J’ai consulté le secteur (notamment par l’intermédiaire des fédérations). Je souhaitais mandater l’IGAS. Le travail doit être poursuivi. Il n’est pas admissible que les enfants de l’aide sociale à l’enfance soient les seuls pour l’accueil desquels aucune norme d’encadrement n’est prévue. »
Dans ce contexte, le CNPE a rendu un nouvel avis en 2023 préconisant un taux socle universel pour garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de tous les enfants, assorti d’un taux majoré pour compenser les besoins spécifiques des mineurs protégés et/ou particuliers (mineurs à double vulnérabilité porteurs de handicap associé).
En 2024, la ministre Sarah El Haïry a relancé les travaux sur ce dossier.
Auditionné par la commission d’enquête au mois de mai 2024, le directeur général de la cohésion sociale a indiqué : « Nous avons un projet de décret sur les taux et normes applicables aux établissements accueillant des enfants de l’ASE. Ce projet de décret repose sur un dispositif socle et des dispositifs complémentaires en fonction des conditions et types d’accueil ([515]). »
La dernière version du projet de décret est en date du mois de juin 2024, la rapporteure a pu le consulter dans le cadre de son contrôle sur pièces. Il comporte des règles d’encadrement socles mais plus de règles de majoration contrairement à la version de 2022.
Le contenu du projet de décret portant sur les normes d’encadrement
des structures d’accueil de la protection de l’enfance
Globalement, le projet de décret fixe donc des taux d’encadrement socle en fonction de l’âge des enfants : huit ETPT en charge du suivi socio-éducatif pour six mineurs de trois à six ans et huit ETPT pour dix mineurs accueillis de plus de six ans. Il prévoit également 0,5 équivalent temps plein de professionnel de santé ou médico‑social pour trente mineurs, un équivalent temps plein de psychologue pour vingt mineurs et un professionnel présent pendant la nuit par groupe de dix et au minimum deux professionnels présents par site, pour des raisons de sécurité.
Le projet de décret comporte également des dispositions visant à s’assurer que les professionnels sont formés et diplômés du secteur social ou médico-social, avec des dérogations possibles en cas de difficultés de recrutement, moyennant une obligation de formation complémentaire.
Les enfants de moins de trois ans ne sont plus compris dans le dispositif, étant entendu qu’un texte spécifique doit leur être dédié.
En cas de difficultés de recrutement, le conseil départemental pourrait autoriser l’établissement à poursuivre son activité, y compris s’il n’atteint pas les normes socles fixées par décret.
Le décret prévoit une entrée en vigueur de ces dispositions au 1er juin 2029, à l’exception des dispositions relatives à l’encadrement la nuit qui pourraient entrer en vigueur en janvier 2026.
Le champ du décret concerne les MECS et les foyers d’urgence.
Selon les propos tenus par le directeur général de la cohésion sociale auditionné par la commission d’enquête, deux principaux points bloquent aujourd’hui la publication du décret :
– les risques de responsabilité et de fermeture de lieux d’accueil en l’absence de l’atteinte des normes fixées ;
– l’éventuelle compensation par l’État des dépenses induites pour les départements.
Sur le premier point, la rapporteure note que le risque semble a priori levé au vu de la rédaction retenue dans la dernière version du projet de décret, avec la possibilité pour le conseil départemental d’autoriser l’établissement à poursuivre son activité en cas de difficultés de recrutement. Concernant le deuxième point, l’analyse de la direction générale des collectivités territoriales, que la rapporteure a pu consulter, montre en effet que le projet de décret pourrait ouvrir droit à compensation financière par l’État en raison des surcoûts induits.
Lors de son audition par la commission d’enquête, Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, de solidarités et des familles, a rappelé que l’encadrement normatif était un sujet « sensible et complexe », touchant « à la disponibilité des personnels et aux difficultés de les attirer et de les fidéliser, mais aussi au coût des placements ». Pour la ministre, « Assurer la sécurité et la qualité du parcours de chaque enfant doit être notre priorité. Cela nécessite une action à la fois ambitieuse et réaliste : à quoi bon fixer des taux d’encadrement à effet immédiat, si le manque de personnel nous empêche de les atteindre, nous contraignant à fermer des établissements ? » Elle propose un plan pluriannuel s’étendant de 2026 à 2031 pour définir les situations prioritaires et le rythme de progression et s’est fixé pour objectif de définir une trajectoire d’ici à la fin du premier semestre 2025, qui « sera déclinée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026 ([516]) ».
c. Un encadrement indispensable
La rapporteure tient à dénoncer fermement le retard pris dans la publication du décret, dont la base légale date de 2002 et pour lequel des travaux ont été entrepris dès 2020. Elle souligne que ce retard ne se rattrapera jamais pour les enfants concernés qui n’ont pas pu bénéficier de taux et de normes d’encadrement adéquats.
Il est aujourd’hui urgent d’agir pour instaurer des normes socles minimales et mettre fin à l’inertie de l’État constatée sur ce sujet. C’est en ce sens que la rapporteure a déposé une proposition de loi ([517]) travaillée avec le secteur associatif précisant que « tout établissement d’accueil collectif assure la présence auprès des enfants et au sein de l’établissement d’un effectif de professionnels qualifiés d’un diplôme reconnu des secteurs socio‑éducatif, médico‑social et de santé, conforme à des normes d’encadrement fixées par décret ». Le décret devra établir des taux socles et complémentaires de professionnels qualifiés par nombre d’enfants, tenant compte des besoins fondamentaux et spécifiques des enfants accueillis, adaptés en fonction de la taille des unités de vie et de l’âge des enfants. La rapporteure tient en outre à insister sur l’importance de prévoir la présence de personnels compétents la nuit.
Le texte propose une entrée en vigueur de ces dispositions deux ans après la publication de la loi, ce qui pourrait conduire, en cas d’adoption rapide du texte, à la fin de l’année 2027.
La rapporteure tient à souligner qu’elle est consciente du coût associé à la mise en œuvre de ces mesures. Les travaux du GEPSO menés conjointement avec l’ANMECS et la CNAPE évaluent ainsi le surcoût des mesures d’encadrement à 1,47 milliard d’euros. La rapporteure considère que cette charge financière devra être compensée par l’État aux collectivités territoriales. Il s’agit là d’un investissement essentiel pour l’avenir des enfants concernés, qui doit être mesuré à l’aune des coûts évités.
La rapporteure a également conscience que la question du coût n’est pas la seule difficulté, dans un contexte où le secteur est confronté à de très importantes difficultés de recrutement. La mise en œuvre de ce décret nécessite en parallèle un important plan pour l’attractivité des métiers et la formation. Il faut à cet égard souligner que les taux d’encadrement seront un facteur puissant d’attractivité, car ils amélioreront considérablement les conditions de travail.
Recommandation n° 51 : Instaurer des ratios d’encadrement minimaux dans les structures de la protection de l’enfance. Garantir la compensation des charges afférentes par l’État.
En parallèle de cet encadrement, la rapporteure souhaite la mise en place d’une base qualitative commune de prise en charge en protection de l’enfance. Cette base serait obligatoirement appliquée dans chaque département, afin de garantir une prise en charge équitable et cohérente des enfants et des jeunes sur tout le territoire. Cette base commune devra intégrer le principe d’un référent unique par enfant, ainsi que des éléments fondant les standards de la vie quotidienne des enfants et des jeunes. Le CNPE pourrait en élaborer les contours, puis cette première proposition serait précisée en lien avec l’ensemble des parties prenantes, notamment les enfants placés eux-mêmes, l’État et les départements. Lors de son audition, le président de Départements de France, M. François Sauvadet, a d’ailleurs souligné ce besoin d’une base commune : « La décentralisation a été un appel à la proximité mais vous avez raison : nous avons besoin d’un socle commun. »
Recommandation n° 52 : Saisir immédiatement le CNPE d’une étude sur le contenu d’une base qualitative commune de prise en charge en protection de l’enfance.
2. Clarifier le décret interdisant l’hébergement à l’hôtel
L’article 7 de la loi Taquet avait pour objectif l’interdiction de l’accueil à l’hôtel des enfants relevant de la protection de l’enfance. Ainsi, un nouvel article L. 221-2-3 du CASF dispose que, hors période de vacances scolaires, de congés ou de loisirs, la prise en charge d’une personne mineure ou âgée de moins de vingt et un ans relevant de la protection de l’enfance est assurée par un assistant familial ou par un des établissements ou services autorisés au titre du CASF.
Par dérogation, le législateur a prévu qu’à titre exceptionnel, pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs, cette prise en charge peut être réalisée, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, dans des structures relevant des articles L. 227-4 (mode d’accueil collectif à caractère éducatif, dit « jeunesse et sport ») et L. 321-1 du code de l’action sociale et des familles (hébergements et accueils collectifs de mineurs, privés et déclarés auprès du président de département). Les mineurs en situation de handicap n’entrent pas dans ce cadre.
L’article 7 renvoyait à un décret, pris après consultation des conseils départementaux, le soin de fixer les règles entourant ce cadre dérogatoire, notamment le niveau minimal d’encadrement et de suivi des mineurs.
L’entrée en vigueur de ces dispositions était prévue deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, soit le 7 février 2024.
En attendant, un décret transitoire devait être pris (II de l’article 7 de la loi Taquet) afin de préciser les conditions dans lesquelles une personne mineure ou âgée de moins de vingt et un ans pouvait être accueillie, pour une durée ne pouvant excéder deux mois, dans des structures hôtelières, des structures d’hébergement jeunesse et sport ou des structures relevant du régime de la déclaration.
Le décret transitoire n’est jamais paru. Dans le même temps, des drames sont survenus, comme l’illustre le tragique suicide de la jeune Lily dans une chambre d’hôtel le 25 janvier 2024.
a. Un décret transitoire jamais paru
Les travaux relatifs à l’élaboration de ce décret ont pourtant débuté à la suite du vote de la loi, avec une première version du texte a été arrêté au cours du mois d’avril 2022 ([518]).
Saisi le 13 juillet 2022, le CNPE a rendu un avis défavorable le 7 octobre 2022, en exprimant de vives réserves. Le CNPE percevait à l’époque un risque que le projet de décret ne contribue à légitimer des pratiques contestables et contraires à l’intérêt des enfants et jeunes concernés. Le Conseil d’évaluation des normes (CNE) a de son côté rendu un avis favorable sur le projet de décret le 3 novembre 2022. À la suite de l’avis rendu par le CNPE, le projet de décret a été retravaillé, afin notamment d’y ajouter les dispositions pour préciser que la disposition dérogatoire ne pouvait concerner les enfants mineurs atteints d’un handicap.
Le projet de décret que la rapporteure a pu consulter prévoyait les dispositions suivantes :
– le conseil départemental doit s’assurer préalablement puis pendant toute la durée de la prise en charge que les conditions d’accueil sont adaptés à l’âge de l’enfant et ses besoins fondamentaux ;
– l’accueil à l’hôtel était restreint aux enfants de plus de seize ans. En revanche, l’accueil dans les structures dites jeunesse et sport et structures relevant du régime de déclaration restait autorisé sans condition d’âge ;
– était prévue une surveillance de nuit comme de jour avec la présence d’au moins un adulte formé à cet effet.
L’absence de parution de ce décret est extrêmement regrettable. Selon la secrétaire d’État de l’époque Mme Charlotte Caubel « le décret “interdiction des placements en hôtel – période transitoire” a été préparé de longue date […] mais il a été bloqué par le contexte politique global, né de la reprise des flux migratoires en avril 2022 et la hausse significative des placements/arrivées de jeunes MNA et les difficultés auxquelles faisaient face les départements pour remplir les obligations leur incombant. Nous avons finalement décidé de sortir directement le décret définitif ([519]). » Mme Caubel a également indiqué devant la commission d’enquête : « Il fallait aller vers la fin de l’hébergement à l’hôtel. Mais vu le nombre d’enfants concernés, notamment issus de l’immigration, un temps de transition était prévu dans la loi. Or le temps que l’on discute des transitions, la loi entrait en vigueur. C’est pourquoi j’ai temporisé afin de publier directement le décret définitif ([520]). »
La rapporteure constate ici un double manquement : l’État n’a pas respecté la volonté du législateur et, ce faisant, il n’a pas permis d’assurer une forme de protection minimale aux enfants et jeunes majeurs concernés pendant cette période transitoire.
b. Le décret n° 2024-119 du 16 février 2024 : un contenu flou et un manque d’exigence au détriment de l’accompagnement des enfants
L’interdiction de l’hébergement à l’hôtel, d’application directe, est entrée en vigueur au 1er février 2024, comme prévu par l’article 7 de la loi Taquet. Un décret était toutefois nécessaire et prévu par la loi Taquet pour préciser le cadre dérogatoire d’accueil dans les structures « jeunesse et sport » et dans celles relevant du régime de la déclaration.
Ainsi, le décret n° 2024-119 du 16 février 2024 restreint l’accueil exceptionnel aux enfants et jeunes majeurs de plus de seize ans et l’exclut pour les mineurs disposant d’une reconnaissance de handicap. Le décret précise également que l’accueil de l’enfant ou du jeune majeur comprend une surveillance de jour et de nuit, assuré par la présence physique d’au moins un professionnel formé à cet effet. Les professionnels chargés de cet accompagnement doivent être titulaires d’un diplôme dans le domaine social, sanitaire, médico-social ou de l’animation socio-éducative.
Le projet de décret avait reçu un double avis défavorable du CNPE et du Conseil d’évaluation des normes. Le CNPE a salué les intentions d’encadrement des accueils dérogatoires, tout en estimant que les garanties assorties n’étaient pas suffisantes et en réaffirmant son opposition de principe aux accueils dérogatoires.
Auditionnée par la commission d’enquête, la ministre Sarah El Haïry a reconnu les insuffisances de ce décret : « Vous avez raison, le texte du décret est toutefois trop flou concernant l’encadrement de cet accueil par un adulte. Après avoir été interpellée à ce sujet, j’avais proposé d’attendre une évaluation de l’application du dispositif pour éventuellement le corriger. Le temps qui m’a été imparti ne me l’a pas permis ([521]). »
En outre, certains acteurs considèrent que le décret entretient une forme d’ambiguïté sur la conformité du placement à l’hôtel des jeunes de plus de seize ans.
Sur ce point, la position de l’administration centrale est claire et a été affirmée à plusieurs reprises, y compris devant la commission d’enquête. Les propos de M. Dujol, directeur général de la cohésion sociale, ne laissent à cet égard pas de place au doute : « Le droit commun, réaffirmé avec force par la loi, prévoit que l’accueil des mineurs doit être assuré par des assistants familiaux ou des services et établissements autorisés. Les modalités d’accueil des mineurs n’incluent jamais les hôtels et, pour des durées limitées, peuvent inclure d’autres types d’accueils réglementés, comme les accueils collectifs de mineurs. Ces accueils sont toujours temporaires et destinés à faire face à des difficultés particulières, sans concerner, je le répète, les enfants en situation de handicap ([522]). »
Certains acteurs craignent toutefois un détournement de l’esprit du législateur. Selon un article paru dans Le Media social, la Mayenne, intégrerait dans le cadre des « hébergements déclarés » des appartements, des habitats jeunes, mais aussi des hôtels touristiques. Selon l’analyse de la CNAPE dans ce même article de presse, « avec ce régime de la déclaration, il ne va pas être compliqué pour un département de continuer à faire de l’hébergement d’urgence en hôtel, notamment pour les MNA. Mais au moins cet accueil est-il, désormais, encadré ([523]). » La rapporteure note que les propos tenus par la secrétaire d’État Charlotte Caubel devant la commission d’enquête entretiennent ce flou : « Le public des jeunes MNA n’est pas moins prioritaire au regard des droits des enfants, mais n’a pas forcément besoin, compte tenu de son âge, d’une place en maison d’enfants à caractère social. […] Nous avons donc exclu des hôtels les enfants en situation de handicap et les petits, mais en laissant de la souplesse pour les plus de seize ans ([524]). » La rapporteure souligne que cette interprétation est contra legem et que la loi interdit aujourd’hui l’accueil à l’hôtel pour tous les enfants relevant de la protection de l’enfance.
L’interdiction de l’hébergement à l’hôtel a été rappelée dans le cadre de l’instruction du 10 juillet 2024 relative à l’hébergement des mineurs et jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance dans des établissements autorisés. Celle‑ci indique clairement que « les structures hôtelières, qui relèvent d’une réglementation spécifique (au titre de l’hôtellerie de tourisme ou de l’hôtellerie sociale), ne peuvent constituer une structure autorisée, ni s’inscrire dans le régime des structures dites “jeunesse” ou dans celui de la déclaration qui ont chacune leur régime spécifique. En dehors des périodes de congés ou de loisirs, elles ne peuvent donc servir à l’hébergement, même dérogatoire, de mineurs ou de majeurs de moins de vingt et un ans au titre de l’aide sociale à l’enfance. »
En définitive, il semble que si le droit interdit aujourd’hui le placement à l’hôtel, certains acteurs détournent les procédures en jouant notamment sur le flou existant autour de la notion de structures relevant du régime de déclaration. En outre, de nombreux départements « assument » de continuer de placer des jeunes à l’hôtel illégalement, comme certains présidents de département l’ont indiqué devant la commission d’enquête.
La rapporteure estime nécessaire d’apporter des clarifications au régime de la déclaration, qui paraît globalement susciter de nombreuses interrogations.
La rapporteure relève enfin que le projet de décret en date du mois de juin 2024 sur l’encadrement des taux et des normes déjà mentionné comporte des dispositions modifiant le cadre réglementaire de l’accueil dérogatoire. La rédaction propose ainsi d’aligner les modalités d’encadrement de l’accueil dérogatoire sur les nouvelles modalités proposées pour les structures d’hébergement de l’aide sociale à l’enfance, ce qui serait une avancée importante.
La rapporteure considère donc qu’une révision du décret du 16 février 2024 est souhaitable à court terme pour préciser les modalités d’accompagnement des jeunes concernés. Il est essentiel de garantir le niveau de formation des professionnels en charge de l’accompagnement ainsi que leur présence continue. À moyen terme, toute forme de placement dans des structures ne relevant pas de la protection de l’enfance doit cesser.
Recommandation n° 53 :
– Réviser le décret du 16 février 2024 afin de garantir le niveau de formation des professionnels en charge de l’accompagnement des jeunes dans les structures dérogatoires (structures relevant du régime « jeunesse et sport » et structures relevant du régime de la déclaration).
– À moyen terme, interdire toute forme de placement dans des structures ne relevant pas de la protection de l’enfance.
C. les contrôles des lieux d’accueil doivent être renforcés et rendus plus indépendants
La Défenseure des droits a dressé un constat sévère du manque de contrôles effectués dans les lieux d’accueil en protection de l’enfance : « Le contrôle des établissements et des services sociaux, des assistants familiaux, des lieux de vie et d’accueil autorisés est encore beaucoup trop lacunaire. Les procédures obligatoires de remontée des événements indésirables et des événements indésirables graves n’existent pas toujours ou sont mal connues, peu maîtrisées et n’associent pas forcément les préfets ([525]). » Lors de son audition, Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, a indiqué que le renforcement du contrôle des établissements de la protection de l’enfance était une de ses trois priorités concernant cette politique publique. C’est en effet indispensable. Pour ce faire, la rapporteure plaide tant pour un renforcement des contrôles impliquant l’État que pour la création d’une autorité indépendante et l’instauration d’un droit de visite des parlementaires.
1. Le département doit assurer le contrôle des accueils en protection de l’enfance mais le préfet dispose également d’une compétence en la matière
Le dernier alinéa de l’article L. 221-1 du CASF dispose que « Le service [de l’ASE] contrôle les personnes physiques ou morales à qui il a confié des mineurs, en vue de s’assurer des conditions matérielles et morales de leur placement ». Le département est donc responsable des conditions d’accueil des mineurs dont il a la charge au titre de l’ASE.
L’article L. 313-3 du CASF régit l’essentiel des dispositions relatives au contrôle des ESSMS et des LVA. Il précise que c’est l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation à l’établissement qui est chargée de son contrôle, soit généralement, en protection de l’enfance, le département. Il existe cependant une compétence de contrôle partagée :
– entre le préfet de département et le président du conseil départemental (PCD) pour les établissements, services et LVA conjointement autorisés par ces deux entités ([526]) ;
– entre le directeur général de l’ARS et le PCD pour les établissements avec une double autorisation ASE-handicap.
Le préfet dispose d’une compétence exclusive de contrôle pour les établissements qui mettent uniquement en œuvre des mesures pénales.
De surcroît, l’article L. 313-13 du CASF rappelle que le préfet de département dispose d’une compétence générale de contrôle qu’il peut exercer à tout moment, quelle que soit l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation. Pour effectuer les contrôles, le préfet peut notamment s’appuyer sur les personnels de l’ARS ou de la PJJ.
Enfin, ces établissements, services et lieux de vie sont également soumis au contrôle de l’IGAS et de l’IGF.
Il existe par ailleurs des obligations de signalement des événements et incidents graves (EIG) au préfet, tant pour les établissements d’accueil que pour le département :
– l’article L. 313-13 dispose que le PCD doit informer sans délai le préfet de département de tout événement intervenu dans les établissements ou services qu’il autorise, « dès lors qu’il est de nature à compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes accueillies ». Le préfet doit en informer le procureur de la République si l’établissement ou le service accueille des majeurs bénéficiant d’une mesure de protection juridique ;
– les ESSMS et les LVA doivent, d’une part, signaler sans délai au département tout événement indésirable grave (EIG), et, d’autre part, signaler les menaces et événements graves en matière sanitaire et de soins à l’ARS ([527]).
Comme cela a été précédemment évoqué, les ESSMS doivent aussi mettre en place une politique de prévention et de lutte contre la maltraitance dans l’établissement, en précisant notamment les contrôles afférents. Le schéma départemental de la protection de l’enfance doit prévoir une stratégie de prévention des risques de maltraitance, comportant des recommandations sur les modalités de contrôle de la qualité de l’accueil et de l’accompagnement.
Plusieurs outils complémentaires ont vocation à faciliter ces contrôles, en particulier une récente instruction de la DGCS, datée de juillet 2024. Il existe aussi un guide pour la préparation d’un contrôle d’établissements ou de services sociaux ou médico-sociaux, élaboré par l’IGAS ([528]).
L’instruction n° DGCS/SD2B/2024/33 du 10 juillet 2024
relative à l’inspection‑contrôle dans les établissements,
services et lieux de vie et d’accueil de la protection de l’enfance
Cette instruction rappelle le rôle du préfet en matière de contrôles des ESSMS et lieux de vie, en complément de celui des départements. Sept axes de vigilance sont listés :
1° Veiller à la mise en place, par le département, d’une stratégie de prévention des risques de maltraitance dans les établissements, services et lieux de vie ainsi que d’un plan de contrôle de ces structures. Il est recommandé que ces plans de contrôle incluent les LVA ainsi que les structures soumises au régime de la déclaration et que le périmètre des risques soit entendu de manière large. Il est demandé que tous les départements disposent du plan de contrôle, qui doit être inclus dans cette stratégie, sous douze mois.
2° Veiller à la mise en place effective de procédures de signalement conformes aux dispositions du CASF et à celles du code de la santé publique.
3° Accompagner la montée en compétences et la construction d’une culture commune en matière d’inspection-contrôle et de maîtrise des risques dans le secteur de la protection de l’enfance. Un groupe de travail national a permis de construire une offre de formation spécifique sur le sujet. L’objectif est de former 321 agents minimum, ce qui correspond à un par DREETS, un par DDETS et deux par département.
4° L’apport du concours du préfet aux contrôles décidés par le PCD.
5° En cas de carence manifeste du département, la substitution du préfet au PCD pour mettre en œuvre des contrôles.
6° Veiller, en lien avec le département territorialement compétent, à l’organisation d’une inspection systématique des structures accueillant des mineurs ou jeunes majeurs confiés à l’ASE fonctionnant en dehors du cadre légal applicable aux établissements, services et lieux de vie et d’accueil de protection de l’enfance. La DGCS a en effet été destinataire de plusieurs alertes sur « des structures proposant des séjours de rupture et des services de placement familial, gérés par des associations ou des sociétés privées, fonctionnant en dehors du cadre légal prévu par le CASF ([529]) ». Le cas des structures accueillant des enfants en dehors du département auquel ils ont été confiés semble particulièrement visé.
7° Être vigilant quant à l’intervention de cabinets de conseil privés dans les inspections-contrôles, l’IGAS et la DGCS ayant été destinataires, au premier semestre 2023, d’alertes à ce sujet.
Un paradoxe ressort de cet état du droit : c’est avant tout le département qui est chargé de contrôler son propre service public de l’ASE, se retrouvant à la fois en position de contrôleur et de payeur, ce qui n’offre pas les meilleures garanties d’indépendance. Mme Nathalie Lequeux, juriste au pôle « Droits de l’enfant » du Défenseur des droits, a rappelé que le préfet permet un regard plus neutre. Le problème, à son sens, est surtout que « le rapport de force entre contrôleur et contrôlé puisse être inversé ; en d’autres termes, que le contrôleur ait tellement besoin de la structure contrôlée qu’il ne peut pas la fermer ([530]) ».
2. Insuffisants, les contrôles doivent être immédiatement renforcés en impliquant davantage l’État
Les contrôles déployés dans les structures de protection de l’enfance sont manifestement insuffisants, tant en nombre qu’en qualité. L’État ne s’implique pas assez dans ces contrôles. M. Jean-Benoît Dujol, DGCS, a lui‑même reconnu qu’il existait une marge de progression en la matière : « En miroir de notre responsabilité en termes de normes, il existe donc une action réelle, bien que perfectible, en matière de contrôle ([531]) ».
a. Les contrôles sont insuffisamment nombreux, en particulier ceux qui sont diligentés par l’État
Les propos tenus par l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel lors de son audition montrent que le nombre de contrôles menés par les autorités n’a, aujourd’hui, pas de quoi inquiéter les établissements défaillants : « Les CDPE, qui réunissent les départements, les services de l’État et ceux de la justice, sont chargés d’élaborer des plans de contrôle. C’est, déjà, l’occasion de rappeler aux établissements qu’ils peuvent être contrôlés – alors que statistiquement, ils peuvent estimer que cela n’arrivera pas avant le siècle prochain ([532]). »
Dans son rapport de 2020 sur la création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance, l’IGAS indiquait effectuer un à deux contrôles des services de l’ASE par an.
S’agissant des assistants familiaux, la Défenseure des droits a souligné dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance que « 68 % d’entre eux déclaraient, en 2021, n’avoir jamais été contrôlés, au cours de leur carrière, par le service qui les a agréés », reprenant des chiffres de la DREES ([533]). Un premier contrôle est réalisé au moment de l’agrément, qui est ensuite délivré pour cinq ans. Un nouveau contrôle intervient à l’issue de cette période mais, ensuite, l’agrément est acquis à vie. L’ANAMAAF ([534]) a également mentionné l’inertie des pouvoirs publics parfois constatée lorsqu’un problème est signalé, évoquant le cas d’un préfet « interpellé sur des dysfonctionnements et qui n’a daigné répondre qu’au bout de six mois après l’interpellation en accusant seulement réception du courrier ([535]) ! » L’association indique que des placements dans des lieux d’accueil non agréés sont rendus possibles « car il n’y a pratiquement pas de contrôle réel de ces structures ». L’UFNAFAAM ([536]) évoque quant à elle le chiffre de 60 % d’assistants familiaux jamais contrôlés, ce chiffre s’élevant à 78 % pour ceux ayant moins de cinq ans d’expérience. La Défenseure des droits, dans sa décision-cadre, indique être favorable « à la mise en place d’un contrôle régulier de l’agrément par la PMI » chez les assistants familiaux.
Bilan des signalements et des contrôles effectués par les départements en 2022
Depuis trois ans, les préfets doivent faire remonter à la DGCS un état des lieux de la procédure de signalement mise en place par les PCD pour les informer des dysfonctionnements graves dont ils ont connaissance, ainsi qu’un état des lieux des contrôles réalisés par les départements, seuls ou conjointement avec les services de l’État. Un bilan portant sur les remontées de l’année 2022 est annexé à l’instruction du 10 juillet 2024 précitée. Sur un total de cinquante-deux préfets ayant répondu, les principaux résultats sont les suivants :
– 75 % des préfets ont connaissance de la mise en place d’une procédure de signalement par le département ;
– parmi ceux-ci, les préfets ont reçu 1 025 EIG signalés par les PCD, dans des proportions très variables (de 0 à 394 selon les départements). Cela traduit, selon l’instruction, « une appropriation hétérogène de la procédure » ;
– 61,5 % des préfets se sont vu communiquer par le département un plan de contrôle des ESSMS et LVA, généralement mis en place après un signalement. Quatorze départements ont indiqué vouloir se doter, dans un avenir proche, d’un tel plan de contrôle ;
– dix-huit préfets ont été sollicités par les départements pour des contrôles conjoints durant les deux dernières années. Un contrôle conjoint par an en moyenne a alors été réalisé.
Pour ne citer qu’un exemple des effectifs alloués à ces contrôles au sein des services de l’ASE, le département de la Loire-Atlantique indique qu’un chargé de mission réalise six contrôles par an dans le département. Il relève que « trois ETP permettraient de tripler le nombre d’inspections, contrôles et visites de conformité réalisés. Ce nombre serait ainsi une cible intéressante ([537]). » Le manque de moyens humains est indéniablement un facteur limitant du nombre de contrôles opérés.
Concernant les moyens des services de l’État, la DGCS indique que « 62,4 équivalents temps plein (ETP), soit moins d’un ETP par DDETS au niveau national, sont dédiés à des missions d’inspection-contrôle sur un champ extrêmement étendu d’ESMS et de structures », ce qui inclut les autres ESMS régis par le CASF, les EAJE, etc. Au total, ces effectifs doivent contrôler 47 000 structures et actions, soit 746 dispositifs par ETP ([538]).
b. Renforcer la qualité des contrôles grâce à la remobilisation de l’État et le recours aux contrôles inopinés
À l’insuffisance du nombre de contrôles s’ajoute l’enjeu de leur qualité. L’absence de moyens et le manque de compétences adéquates, dans les départements mais surtout dans les préfectures, expliquent pour beaucoup cette difficulté.
Les contrôles sont organisés à la suite d’alertes émises sur une structure d’accueil plutôt que de manière inopinée. Or les contrôles inopinés empêchent de dissimuler certains dysfonctionnements et permettent de mieux voir la structure d’accueil telle qu’elle fonctionne au quotidien.
Plus généralement, le sujet des visites inopinées se pose aussi pour les visites des travailleurs sociaux chez les assistants familiaux ou dans le cadre d’une AEMO. Mme Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, a ainsi relevé que « les Nations unies recommandent les visites inopinées dans tous les lieux fermés, comme celles auxquelles procède le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il faudrait s’en inspirer pour permettre aux travailleurs sociaux d’effectuer des visites non annoncées aux familles dans l’année, sans pour autant rompre le lien privilégié qu’ils ont avec elles ([539]) ». Au cours de cette même audition, Mme Karine Brunet‑Jambu, auteure de l’ouvrage Signalements et ayant elle-même fait l’objet d’une AEMO gravement dysfonctionnelle dans son enfance, a témoigné de cette nécessité de visites inopinées : « Les éducateurs spécialisés, eux, venaient tous les mois ou tous les deux mois. Ils appelaient mes géniteurs pour les prévenir du jour et de l’heure de leur passage. Le jour même, la maison était propre, nous étions dans un monde parfait, avec le café sur la table. Je ne devais rien dire […]. Il faut que les professionnels voient le quotidien des personnes. Ces visites ne devraient pas être annoncées. C’est de cette manière que l’on peut connaître la réalité ([540]). »
Il convient cependant de rappeler que le rôle du travailleur social, dans le cadre d’une AEMO ou d’une visite chez l’assistant familial, diffère de celui d’une autorité de contrôle telle que le préfet ou le département. Il exerce avant tout une mission d’accompagnement éducatif. Les missions de contrôle et d’accueil éducatif sont différentes mais ne sont pas étrangères l’une à l’autre. Elles doivent toutes deux voir leur fréquence augmentée.
En outre, il est impératif que les contrôles réalisés s’inscrivent dans un plan de contrôle élaboré par le département afin d’être véritablement qualitatifs.
Une approche qualitative des inspections-contrôles permettra en outre d’en améliorer l’acceptabilité car ils seront davantage porteurs de sens pour le personnel contrôlé, comme l’a relevé M. Arnaud-Melchiorre au sujet des inspections : « Lorsque je les ai interrogés, les professionnels m’ont répondu qu’ils ne sont pas défavorables aux inspections, à condition que celles-ci ne portent pas uniquement sur les lignes comptables ou d’autres modalités de sécurité. Bien souvent, ces inspections s’intéressent peu au travail des professionnels à proprement parler. Or ceux-ci souhaiteraient que ces inspections permettent de les valoriser. De plus, ils sont aussi en attente d’un regard extérieur qui puisse leur donner des clefs pour avancer, face aux difficultés auxquelles ils sont parfois confrontés ([541]). » Mme Ève Robert (ANDASS) cite l’exemple de son département, la Seine-Saint-Denis, qui effectue des contrôles qualitatifs : « Les équipes d’inspection ne se concentrent plus sur la seule tarification, c’est-à-dire sur le contrôle de l’usage de l’argent public, mais se rendent désormais sur place. Dans mon département par exemple, quatre ETP sont consacrés à l’inspection et au contrôle des ESMS enfance ([542]). »
Le renforcement de la qualité des contrôles passe aussi par une plus grande implication des services de l’État. Dès 2020, l’IGAS ([543]) relevait des contrôles conjoints État-département peu fréquents. Ils garantissent pourtant un contrôle plus indépendant que celui du département. Parallèlement, il existe des initiatives intéressantes de certains départements pour renforcer l’indépendance de leurs propres contrôles. M. Gautier Arnaud-Melchiorre a ainsi évoqué lors de son audition le cas de la cellule d’inspection du département de l’Isère, qui traite de l’ensemble du champ de l’action sociale et non de la seule protection de l’enfance. Elle relève, à ce titre, directement de la direction générale des services, ce qui lui confère de l’indépendance dans son fonctionnement.
Plus généralement, M. Thomas Brichard, directeur de la MECS Providence‑Miséricorde à Rouen (Apprentis d’Auteuil), a quant à lui indiqué que « dans certains départements, des cellules de gestion des événements indésirables graves sont déjà mises en place ([544]) ». La rapporteure estime que la mise en place de cellules départementales centralisant la gestion des incidents déclarés tant par les accueillants que par les travailleurs sociaux est fondamentale et doit être mise en place d’ici à l’été 2025 par l’ensemble des préfectures et des départements. Dans le cas de l’affaire dite « de Châteauroux », le rapport de l’inspection générale des services du département du Nord, que la rapporteure a obtenu grâce à son contrôle sur pièces, relève l’absence de centralisation des remontées d’incidents intervenant au sein des accueils en protection de l’enfance. Cela a conduit le département à ne pas intervenir suffisamment rapidement, alors que certains faits graves avaient pourtant fait l’objet de plusieurs déclarations d’incidents auprès de ses services.
Le renforcement des contrôles opérés par l’État est d’autant plus important compte tenu de la pratique, constatée par plusieurs interlocuteurs de la commission d’enquête, consistant à accueillir de manière durable des enfants de l’ASE au sein de structures « Jeunesse et sports ». Lorsque de telles situations sont constatées, le préfet doit se rapprocher du service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports, placé auprès du directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) ([545]).
Ce renforcement nécessite aussi de disposer des compétences et des effectifs requis. La Défenseure des droits recommande la création d’équipes dédiées à la protection de l’enfance au sein des préfectures (recommandation n° 36 de sa décision-cadre sur la protection de l’enfance). Certains ajustements au CASF mériteraient également d’être étudiés. La DDETSPP ([546]) de la Mayenne a relevé que les inspections des structures d’accueil de l’ASE doivent être réalisées par un inspecteur de l’action sanitaire et sociale ou par un médecin inspecteur de santé publique ([547]). Or, les premiers sont peu présents au sein des préfectures et en pénurie au niveau national. La direction indique ainsi, pour son département, qu’« en conséquence, aucun contrôle n’a pu être diligenté en matière de protection de l’enfance depuis plusieurs années ». Elle suggère donc une évolution des cadres habilités à diligenter des inspections, en élargissant le champ « notamment aux corps des attachés d’administration de l’État ou à d’autres corps d’inspection, dont les effectifs sont plus nombreux ([548]) ».
Enfin, il est indispensable que l’arsenal des sanctions administratives et pénales prévues par le CASF soit utilisé lorsqu’un manquement est constaté. En particulier :
– au titre des sanctions administratives, le département dispose d’un pouvoir d’injonction sous astreinte, du pouvoir de prononcer des sanctions financières, de nommer un administrateur provisoire ou, si les mesures précédentes n’ont pas permis de remédier à la situation, de suspendre ou interdire les activités de l’établissement. Cette suspension ou interdiction d’activité peut être prononcée par le préfet en cas de carence du département ([549]). Le département peut également suspendre en urgence l’activité d’un établissement, service ou lieu de vie durant six mois maximum ;
– au titre des sanctions pénales, l’accueil d’enfants ou de jeunes de l’ASE sans disposer de l’autorisation nécessaire est passible de trois mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ([550]).
Recommandation n° 54 : Renforcer immédiatement le contrôle des établissements, services et lieux de vie et d’accueil, d’une part, et celui des assistants familiaux, d’autre part :
– en augmentant le nombre de contrôles qualité, incluant un temps d’échange avec les jeunes et les professionnels, planifiés comme inopinés, afin que chaque lieu d’accueil soit inspecté a minima tous les deux ans ;
– en augmentant les contrôles conjoints entre les services de l’État et ceux du département, ainsi que les contrôles diligentés par le préfet de département ;
– lorsque cela n’a pas déjà été fait, en créant d’ici à l’été 2025, au sein de chaque département, une cellule unique consacrée au recensement et à la gestion des incidents déclarés par les accueillants et les travailleurs sociaux ;
– en faisant usage des sanctions administratives et pénales prévues par le CASF en cas de manquement constaté.
D’après les différents retours effectués par les représentants des associations, la rapporteure constate que les politiques de déclaration et de gestion des incidents dans les structures d’accueil en protection de l’enfance se développent. Des procédures internes de signalement sont mises en place, notamment via des outils informatiques dédiés. Il peut aussi être rappelé que les ESSMS sont tenus de procéder à une évaluation qualitative de leur activité sous le contrôle de la HAS, en application de l’article L. 312-8 du CASF. Cet effort doit être poursuivi.
La rapporteure souhaite insister sur la nécessité d’améliorer le dialogue entre contrôleur et contrôlé. En particulier, il serait opportun d’effectuer systématiquement un bilan de l’inspection effectuée à la structure concernée, quelle que soit l’issue du contrôle. L’UNIOPSS souligne que certains de ses adhérents ont relevé des contrôles renforcés depuis l’adoption de la loi Taquet, mais déplore « que ces contrôles ne fassent pas systématiquement l’objet de retours écrits ou oraux de la part des départements ([551]) ». Or cela peut permettre d’identifier des leviers d’amélioration pour la structure concernée. L’ANDASS plaide plus généralement « pour l’organisation de retours d’expérience interinstitutionnels sur les situations ayant généré des dysfonctionnements ou des difficultés particulières pour le système de protection de l’enfance ([552]) ».
Recommandation n° 55 : Systématiser un retour écrit aux structures d’accueil contrôlées, quelle que soit l’issue du contrôle.
3. Le renforcement indispensable du contrôle des accueils hors département
Le contrôle des structures d’accueil prenant en charge des enfants confiés à un département, mais situées en dehors de celui-ci, demeure un angle mort préoccupant des politiques de contrôle de l’ASE. Des affaires telles que celle de Châteauroux le démontrent de façon dramatique.
a. L’affaire dite « de Châteauroux », exemple dramatique de la vulnérabilité particulière des enfants placés hors département
L’affaire de Châteauroux, déjà mentionnée plus haut, illustre avec force les risques associés aux placements hors département et l’insuffisance des contrôles associés. Parmi les pièces obtenues par la rapporteure sur cette affaire figure un rapport éloquent de l’inspection générale des services (IGS) du département du Nord, daté de janvier 2019 ([553]). Il fait état de multiples défaillances du département sur le contrôle de placements qu’il a effectués auprès d’autres départements entre 2010 et 2017. La rapporteure souhaite se concentrer sur trois dysfonctionnements principaux.
Premièrement, le rapport souligne que le département du Nord a placé des enfants dans des structures non autorisées par le CASF. Deux associations se sont ainsi succédé, gérées par les mêmes personnes, organisant des séjours « de rupture » à la ferme, sur de longues durées. Le rapport souligne qu’un certain nombre d’éléments les concernant « peuvent faire penser au fonctionnement d’un lieu de vie non autorisé ».
Le rapport de l’IGS relève des « manœuvres destinées à capter la clientèle » de la part des gérants de ces deux associations. Leur forte disponibilité explique leur « notoriété » au sein des services de l’ASE du Nord, confrontés à une saturation de leurs dispositifs d’accueil.
Des contrôles très basiques auraient pourtant permis d’alerter les services : ainsi, en recherchant certains de ces lieux d’accueil sur Google Maps, il était possible de se rendre compte qu’ils ne correspondaient pas à ce que l’on est en droit d’attendre d’un séjour « à la ferme ». L’IGS cite le cas d’un lieu composé d’un pavillon individuel avec piscine et terrain de tennis ou d’un autre correspondant à un champ, remplacé ensuite par une zone d’activité commerciale.
Il existe aussi une confusion sur les personnes chargées de vérifier les habilitations des accueils en question. L’inspection relève qu’« aucun document interne ne semble préciser exactement qui est en charge de cette vérification, les travailleurs sociaux estimant qu’ils sont en charge du projet de l’enfant et non pas des démarches administratives, celles-ci incombant au Pôle Enfance Famille Jeunesse (PEFJ). De son côté, le PEFJ considère que cette démarche revient en premier lieu aux travailleurs sociaux, puisqu’ils sont en charge de la recherche du lieu d’accueil. »
Le rapport de l’IGS révèle en outre que l’une des personnes accueillant des enfants avait précédemment été condamnée à une peine d’emprisonnement pour agression sexuelle sur mineur.
Deuxièmement, la multiplication des incidents déclarés n’a pas été suivie d’effets. L’IGS évoque des séjours « émaillés de nombreuses insuffisances et défaillances dans le suivi des enfants par les services départementaux » et recense au total une vingtaine d’incidents, répartis en deux catégories :
– « des alertes minimisées par le référent du jeune confié à l’ASE », en les mettant par exemple sur le compte du caractère du jeune concerné ;
– « des alertes pour lesquelles la transmission de la note sociale, le long de la chaîne hiérarchique, n’a jamais trouvé d’aboutissement ». Dès 2011, des travailleurs sociaux évoquent des lieux maltraitants, avec des problèmes fréquents, et certains enfants qui ne souhaitent plus retourner chez l’une des accueillantes. Puis, « entre 2013 et 2017, plusieurs incidents sont relatés. Ils restent sans suite du fait de l’absence de centralisation de l’information, chaque incident étant considéré comme un fait sporadique ». Le rapport évoque, parmi les incidents recensés par les travailleurs sociaux en 2017, un coup de cravache, des coups de poing, des claques, des étranglements ou encore « de nouveaux faits inquiétants au sein de la structure d’accueil ». Mais ce n’est qu’en septembre 2017, à la suite d’un signalement du CHU de Limoges pour des suspicions de graves maltraitances, que les services de l’ASE du Nord décident de réorienter les enfants accueillis par les deux associations, avec là également des défaillances préoccupantes, marquées par l’absence de suivi centralisé du rapatriement des enfants concernés et au moins un mineur pour qui le rapatriement n’a pas été effectif avant la mi-novembre 2017.
Troisièmement, il y a un manque de suivi éducatif des enfants, totalement livrés à leurs agresseurs. Le rapport souligne notamment que « cette absence de suivi et d’attention suffisante n’a pas permis aux services départementaux de s’apercevoir que les enfants n’étaient pas uniquement placés […] dans la Creuse mais l’étaient également chez d’autres personnes et dans d’autres départements sans concertation, ni accord des services ASE ».
L’IGS n’a recensé que 27 déplacements pour des visites des lieux d’accueil concernés par l’affaire entre 2010 à 2017, pour 79 enfants concernés. Elle note que, parmi ces déplacements, « certains laissent dubitatifs », notamment :
– l’organisation d’un point entre un travailleur social et la personne accueillant les enfants à la gare et non sur le lieu d’accueil de l’enfant en raison de l’arrivée tardive du train du travailleur social ;
– « le déplacement d’un travailleur social (conduite par un chauffeur ASE) qui, bien qu’apprenant par M. […] que le jeune sera placé ailleurs, repart tout de même sans connaître le futur lieu d’accueil et les accueillants ».
Il est également relevé qu’un des accueillants a effectué plusieurs fois des allers-retours jusqu’au département du Nord afin de transporter des enfants, alors qu’il revient au département de prendre en charge ces transports. Cela montre bien le manque d’implication du département dans le suivi des enfants.
Enfin, il faut noter que ces insuffisances dans le suivi des enfants se sont aussi accompagnées d’une gabegie financière. Le rapport de l’IGS pointe ainsi des versements du département aux deux associations litigieuses s’élevant à environ 708 000 euros pour un total de 257 mandats, sur la période 2010-2018.
Au total, alors que les placements hors du département d’accueil devraient être les plus contrôlés, en raison de l’éloignement géographique ou encore du profil parfois complexe des enfants accueillis, c’est tout le contraire qui s’est passé. Cela a permis de laisser des situations de maltraitance perdurer pendant des années, pour près d’une centaine d’enfants, malgré des signaux d’alerte répétés. La rapporteure tient à faire part de son effarement, à la lecture du rapport de l’inspection générale des services du Nord, de l’accumulation des manquements relatés. Elle dénonce des défaillances intolérables de la part du département du Nord dans le suivi éducatif de ces enfants et dans les contrôles des associations les accueillant.
b. La nécessité de renforcer les procédures de contrôle des placements en dehors du département, en lien avec le département d’accueil
Lorsqu’un département fait le choix d’héberger des enfants qui lui sont confiés dans des structures ou des familles d’accueil situées sur le territoire d’un autre département, le partage des responsabilités et des contrôles se trouve complexifié. Par conséquent, comme cela vient d’être illustré, le risque de maltraitance envers les enfants concernés et de défaillances des structures d’accueil est d’autant plus important. Pour les ESSMS et les LVA :
– c’est le PCD du département d’implantation de la structure qui est compétent pour délivrer l’autorisation à l’ESSMS ou au LVA et pour la réalisation des contrôles afférents, en application de l’article L. 313-3 du CASF ;
– le département d’origine (c’est-à-dire celui à qui l’enfant a été confié) est chargé du suivi éducatif de l’enfant, tout en demeurant responsable du contrôle des conditions matérielles et morales de son placement, en application du dernier alinéa de l’article L. 221-1 du CASF.
Pour les assistants familiaux :
– le PCD du département d’implantation effectue les contrôles relatifs à la délivrance de l’agrément et dispose d’une responsabilité de protection des enfants accueillis sur le territoire (articles L. 421-3 et L. 227-1 du CASF) ;
– l’ASE du département d’origine est responsable des conditions matérielles et morales du placement, de l’évaluation de la qualité de l’accueil (articles L. 221-1 et L. 422-5 du CASF) ainsi que du suivi éducatif de l’enfant.
Or il arrive encore que le département d’implantation de la structure d’accueil ne sache même pas que celle-ci héberge des enfants d’un autre département. La DGCS relève ce phénomène notamment s’agissant de structures accueillant des enfants aux profils complexes : « Les conseils départementaux orientent les enfants confiés dans ces structures, sans vérifier auprès du conseil départemental du lieu d’implantation l’existence d’une autorisation dûment délivrée. Le conseil départemental du lieu d’implantation découvre alors l’existence de la structure sur son territoire bien souvent à l’occasion de la remontée d’un signalement et diligente alors un contrôle ([554]). »
Même lorsqu’il en est informé, le PCD du département d’implantation de l’accueil peut être moins enclin à y diligenter des contrôles, car il n’a pas la charge des enfants qui y résident. Ce constat avait été posé dès 2012 par un rapport de l’IGAS sur l’évaluation de l’accueil de mineurs relevant de l’ASE hors de leur département d’origine : « Qu’il s’agisse d’audit ou de contrôle, les structures qui accueillent une part importante d’enfants provenant d’autres départements ne font pas l’objet d’un traitement particulier. Au contraire, elles sont généralement moins contrôlées (ou auditées) que les autres, le conseil général se préoccupant en priorité des établissements auxquels il a confié des enfants ([555]). » Le suivi éducatif et le contrôle des conditions de placement réalisés par le département d’origine est lui aussi souvent très réduit, en particulier en cas d’éloignement géographique important.
Les structures revendiquant un agrément « Jeunesse et sport » alors qu’elles accueillent des enfants ou des jeunes de l’ASE de manière pérenne sont particulièrement concernées. À titre d’exemple, le département de la Mayenne indique le cas d’une structure dans son département (désormais définitivement fermée) qui accueillait de manière pérenne des enfants de l’ASE issus d’autres départements. Elle revendiquait le bénéfice d’un agrément « Jeunesse et sports » mais n’avait pas obtenu d’autorisation du département et fonctionnait donc de manière illégale ([556]).
Départements de France reconnaît qu’il existe « une marge de progression quant aux structures hors départements, nous devons nous assurer que ces lieux disposent soit d’un agrément ou d’une autorisation en amont et d’en informer le département hôte ([557]) ».
L’instruction ministérielle relative aux inspections‑contrôles du 10 juillet 2024 invite les services de l’État à « veiller, en lien avec le PCD territorialement compétent, à l’organisation d’une inspection au sein de chaque structure d’accueil de mineurs ou de jeunes majeurs confiés à l’ASE fonctionnant sans l’autorisation ou sans la déclaration précitée ». Elle rappelle aussi l’existence du fichier national des établissements sanitaires et sociaux (FINESS), qui recense les établissements dûment autorisés.
La rapporteure estime qu’il est fondamental que les départements exercent un contrôle scrupuleux et coordonné des structures dites « hors département ». Cela passera nécessairement par une meilleure circulation des informations : le département d’origine doit s’assurer que la structure d’accueil est autorisée auprès du département d’implantation de celle-ci et communiquer à celui-ci la liste des enfants qui y sont accueillis. La création d’une fonction spécifiquement consacrée au suivi socio-éducatif des structures d’accueil implantées en dehors du département, telle que recommandé par le rapport de l’IGAS de 2012 précité, permettrait de repérer plus facilement les éventuels dysfonctionnements.
Recommandation n° 56 : Renforcer spécifiquement le contrôle des établissements, des lieux de vie et d’accueil (LVA) et des assistants familiaux situés hors du département responsable des enfants ou des jeunes majeurs confiés à cette structure :
– s’assurer systématiquement auprès du département territorialement compétent que la structure d’accueil dispose d’une autorisation ou, pour les assistants familiaux, d’un agrément ;
– communiquer la liste des enfants hébergés hors du département au département qui les accueille, comme le recommande la Défenseure des droits dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance (recommandation n° 35) ;
– centraliser auprès de la DGCS la liste de l’ensemble des enfants placés hors du département d’origine, afin de contrôler leur situation ;
– comme cela est préconisé par l’IGAS dans son rapport de 2012, « identifier, au sein du service d’ASE, une fonction chargée du suivi socio-éducatif des structures d’accueil situées hors département ».
4. Créer une autorité de contrôle indépendante et un droit de visite parlementaire dans les structures de protection de l’enfance
Pour objectiver les contrôles et les renforcer, la rapporteure soutient deux propositions complémentaires : la création d’une autorité indépendante de contrôle, d’une part, et d’un droit de visite parlementaire, d’autre part.
a. La création d’une autorité de contrôle indépendante des lieux d’accueil en protection de l’enfance
De nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête soutiennent la création d’une autorité de contrôle indépendante, spécialisée dans le contrôle des accueils en protection de l’enfance. Cette proposition est notamment soutenue par le Comité de vigilance des enfants placés et par le CESE dans son rapport sur la protection de l’enfance. Mme Bigot, qui en était la rapporteure, souhaite que les enfants soient informés de l’existence de cette autorité et qu’ils puissent la saisir ([558]).
D’autres ne sont cependant pas convaincus par la création d’une telle autorité de contrôle, comme l’ancien secrétaire d’État Adrien Taquet ou la Défenseure des droits. Celle-ci estime que le préfet et le département sont les autorités « les mieux placées pour identifier localement les lieux à contrôler. Ce contrôle est en outre un levier indispensable d’élaboration d’une politique coordonnée de protection de l’enfance et il est important de maintenir préfets et départements en responsabilité dans la qualité des prises en charge ([559]). »
La rapporteure soutient cette proposition. Elle renforcerait l’indépendance des contrôles effectués. Ces contrôles seraient complémentaires de ceux effectués par les départements et les préfectures. Comme cela a été démontré plus haut, ces derniers demeurent insuffisants et tributaires du volontarisme local. Une autorité unique, compétente sur l’ensemble du territoire, permettrait également de disposer d’une stratégie nationale de contrôle, renforçant par là même l’égalité de traitement entre les différents territoires.
Cette autorité pourrait diligenter des contrôles de manière planifiée et inopinée. Son financement serait assuré par le budget de l’État. Elle serait compétente tant pour les établissements, services et LVA que pour les assistants familiaux, ainsi que pour les structures pouvant provisoirement accueillir des enfants (structures soumises à déclaration ou dites « jeunesse et sports »).
La rapporteure souhaite aussi que des représentants d’associations d’enfants placés et d’anciens enfants placés soient membres de cette autorité de contrôle. Ils sont les premiers concernés par le service public de la protection de l’enfance. Leur expérience est donc précieuse, par exemple pour mieux cibler les contrôles en fonction des pratiques répréhensibles qu’ils ont pu connaître au cours de leur propre accueil.
Recommandation n° 57 : Créer une autorité de contrôle indépendante pour les structures d’accueil en protection de l’enfance, dont la composition devra inclure des représentants des enfants placés et des anciens enfants placés. Comme le préconise le CESE, les enfants et jeunes majeurs bénéficiant d’une mesure de protection devront pouvoir saisir cette autorité.
b. L’instauration d’un droit de visite parlementaire
La création d’un droit de visite parlementaire dans les établissements de protection de l’enfance a été soutenue à plusieurs reprises par des parlementaires issus de divers bords politiques, en particulier lors des débats sur la loi Taquet de 2022. Une telle disposition avait d’ailleurs été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, mais elle avait été supprimée par le Sénat ([560]).
Les parlementaires disposent déjà d’un droit de visite de plusieurs lieux de privation de liberté :
– dans les établissements pénitentiaires, les centres éducatifs fermés (CEF), les centres de rétention, les zones d’attente et les locaux de garde à vue. À l’exception des locaux de garde à vue, les parlementaires peuvent être accompagnés de journalistes à l’occasion de ces visites. Des restrictions d’accès aux journalistes peuvent cependant être mises en place dans les CEF, afin de protéger l’intérêt des mineurs qui y résident ([561]) ;
– dans les établissements assurant des soins psychiatriques sans consentement ([562]). La loi ne prévoit pas expressément la possibilité d’y être accompagné par des journalistes.
Par ailleurs, l’article L. 113-4 du code de la justice pénale des mineurs dispose que les parlementaires « sont autorisés à visiter, à tout moment, les établissements publics ou privés accueillant des mineurs en application des dispositions du présent code ».
La rapporteure souhaite que soit créé un droit de visite parlementaire dans les établissements et lieux d’accueil et de vie de la protection de l’enfance. Cette prérogative s’inscrit pleinement dans la mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques du Parlement. Il est parfois objecté par les détracteurs de la mesure qu’un établissement de l’ASE n’est pas un lieu de privation de liberté. Cependant, la rapporteure tient à rappeler la grande spécificité de ces établissements : personne ne va visiter ces enfants, à l’inverse des personnes rendant visite à leurs proches en EHPAD ou en hôpital par exemple. Le risque de dérives à l’abri des regards est donc majeur. La réticence de certains conseils départementaux à ouvrir les portes de leurs établissements lorsque cela leur est demandé par les parlementaires ne peut pas être ignorée non plus.
Ce droit de visite ne vaudrait pas pour les enfants placés chez des assistants familiaux, en raison des enjeux de droit au respect à la vie privée et familiale inhérents à ce type d’accueil. En revanche, il s’appliquerait à l’ensemble des structures d’accueil, ainsi qu’aux structures soumises à déclaration ou de type « jeunesse et sports » et qui s’inscrivent dans la dérogation au régime d’autorisation permis par l’article 7 de la loi Taquet de 2022 (deux mois maximum, pour des situations d’urgence ou de mise à l’abri).
Le droit d’être accompagné de journalistes s’appliquerait dans les mêmes conditions que celles applicables aux CEF, dans l’intérêt des mineurs.
Recommandation n° 58 : Créer un droit de visite parlementaire au sein des établissements et lieux d’accueil et de vie dans le secteur de la protection de l’enfance.
V. placer les besoins de l’enfant au cœur des décisions
Le droit international et le droit interne garantissent tous deux un principe fondamental : l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer dans l’ensemble des décisions le concernant. L’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) dispose que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». L’article L. 112-4 du code de l’action sociale et des familles (CASF) garantit quant à lui que l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits guident l’ensemble des décisions le concernant. Un long chemin reste à parcourir pour rendre effectifs ces grands principes dans le cadre de la protection de l’enfance.
A. Le méta-besoin de sécurité de l’enfant mis à mal
Le besoin de sécurité physique et affective a été identifié comme un méta‑besoin de l’enfant dans le cadre de la démarche de consensus engagée en amont de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Cela signifie qu’il s’agit d’un besoin primaire, qui conditionne la satisfaction des autres besoins fondamentaux. Ce méta-besoin de sécurité physique et affective entretient des liens étroits avec les enseignements tirés de la théorie de l’attachement, désormais au cœur des réflexions sur la protection de l’enfance (voir l’encadré ci-dessous).
La théorie de l’attachement
Formalisée par le psychiatre John Bowlby en 1958, la théorie de l’attachement permet de conceptualiser le rôle des liens affectifs dans le développement de l’enfant. Elle est née du travail de médecins, psychanalystes et éthologues, préoccupés par le lien mère-enfant et l’impact des séparations précoces. Elle montre le besoin profond de l’enfant de forger des liens d’attachement avec des figures adultes lui apportant une forme de sécurité face aux dangers. Ces liens impliquent des relations affectives et durables, qui répondent, selon les mots du Dr Anne Raynaud, « à un besoin de sécurité émotionnelle qui nous est fondamental et vital ([563]) ».
Lorsque l’enfant ne reçoit pas une réponse adaptée à ses besoins de la part de sa figure d’attachement, il peut développer des liens d’attachement « non sécures », qualifiés d’évitants, d’ambivalents ou de désorientés, à l’origine de troubles de l’attachement.
La théorie de l’attachement montre l’importance du lien d’attachement sécure, essentiel pour le développement de l’enfant. Dès lors, elle justifie les politiques publiques de soutien à la parentalité. Mais, comme l’indique Mme Anne Raynaud, ses implications sont loin de se limiter à la relation parents-enfants. Elle permet aussi de reconstruire l’analyse des liens entre les professionnels de la protection de l’enfance et les enfants. Elle constitue donc « le socle commun sur lequel nous pouvons nous appuyer pour donner une cohérence à nos pratiques et à nos guidances ([564]) ».
Le méta-besoin de sécurité physique et surtout affective des enfants est aujourd’hui régulièrement mis à mal dans le cadre de la protection de l’enfance.
Le parcours des enfants confiés à l’ASE s’avère souvent anarchique, alors que le besoin de stabilité et de création de liens stables est central. Mme Anne‑Solène Taillardat, ancienne enfant placée et membre du comité de vigilance des enfants placés, le résume ainsi : « C’est l’histoire d’enfants et d’adolescents qui ont connu les familles d’accueil et les foyers avec des trajectoires […] disparates et aléatoires ([565]). »
Il est donc urgent de replacer les intérêts fondamentaux de l’enfant au cœur des politiques publiques de protection de l’enfance. Cela passe par une meilleure écoute de la parole de l’enfant et de ses besoins, par la stabilisation et la sécurisation de son parcours et par une reconnaissance de ses droits.
La prise en compte de la parole de l’enfant a longtemps été un sujet absent ou secondaire des politiques publiques relatives à l’enfance. Les choses évoluent toutefois, en cohérence avec les évolutions qui traversent le champ social.
La rapporteure s’associe pleinement aux recommandations de la Défenseure des droits qui, dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, appelle les conseils départementaux à favoriser, par tous moyens, la prise en compte de la parole de l’enfant dans sa prise en charge, à chaque étape de mise en œuvre des mesures administratives ou judiciaires prononcées en sa faveur. La rapporteure considère que cette observation vaut également pour le monde de la justice. Comme le souligne Michèle Créoff, « c’est toute la culture professionnelle des acteurs de la protection de l’enfance qui devrait être centrée sur le recueil et l’accueil de cette parole ([566]) ».
En cela, plusieurs évolutions sont nécessaires : il est essentiel de veiller à ce que l’intérêt de l’enfant soit défendu par la présence d’un avocat. Il convient également de mieux prendre en compte la parole de l’enfant dans le cadre du droit de visite et de répondre aux aspirations de vivre une enfance aussi normale que possible.
1. Assurer la pleine représentation de l’intérêt de l’enfant dans la procédure judiciaire en systématisant le recours à l’avocat spécialisé
La présence systématique de l’avocat ou de l’administrateur ad hoc pour défendre les intérêts de l’enfant dans le cadre de la procédure judiciaire est considérée par beaucoup d’acteurs comme une évolution indispensable pour assurer une meilleure prise en compte de la parole et de l’intérêt de l’enfant.
Le législateur est d’ores et déjà intervenu en ce sens dans le cadre de la loi Taquet. En vertu de la nouvelle rédaction votée de l’article 375-1 du code civil, dès lors que l’intérêt de l’enfant l’exige, le juge des enfants demande, d’office ou à la demande du président du conseil départemental, la désignation d’un avocat pour l’enfant capable de discernement et la désignation d’un administrateur ad hoc pour un enfant non capable de discernement.
Dans les faits, la désignation d’un avocat ou d’un administrateur ad hoc est aujourd’hui loin d’être systématique.
Dans sa réponse écrite, la DPJJ indique, notamment à partir des rapports d’activité des juridictions de mineurs, que la mise en œuvre de la mesure portant sur la désignation d’un avocat pour le mineur discernant est très inégale. Si cette désignation d’office est largement mise en œuvre dans certains tribunaux pour enfants (Bobigny, Dunkerque), notamment grâce à la signature de conventions avec le barreau, elle reste exceptionnelle voire inexistante pour de nombreux ressorts, en raison de contraintes logistiques et du manque d’avocats spécialisés (Metz, Cayenne).
La désignation d’un administrateur ad hoc se heurte également au manque de moyens et à l’insuffisante formation des personnes. Le modèle du bénévolat ne permet pas de garantir la formation de tous et, globalement, le vivier est insuffisamment important.
Le rapport du CESE préconise donc d’instaurer un véritable statut et une formation obligatoire pour les administrateurs ad hoc. Comme Mme Josiane Bigot l’a souligné au cours de son audition, « leur mission auprès des enfants est très délicate, mais aucune formation obligatoire ne s’impose à eux et ils ne font pas l’objet de contrôles, ce qui met en cause leur fiabilité. Leur rémunération, qui dépend du ministère de la justice, est également un problème. Je rappelle qu’un administrateur ad hoc ne perçoit que 200 euros pour représenter les intérêts d’un enfant, même si celui-ci se trouve dans une situation très grave et fait l’objet d’une procédure criminelle qui peut durer plusieurs années. Les départements complètent cette somme lorsque cette mission est accomplie par une association, mais pas lorsqu’il s’agit d’un administrateur individuel, qui doit en outre assurer lui-même sa formation ([567]). » Si un récent décret comporte des dispositions visant à préciser leur mandat ([568]), son contenu paraît très insuffisant, comme en témoignent les propos de Mme Bigot, qui parle de « vide abyssal », ainsi que ceux du CNPE, qui estime qu’il n’apporte aucune réponse aux attentes exprimées depuis plusieurs années.
En outre, la question du discernement fait également l’objet de débats. La loi ne fixe pas d’âge à partir duquel l’enfant serait en capacité de discernement et il appartient donc au juge de le déterminer. Les pratiques en la matière paraissent très hétérogènes selon les retours des magistrats auditionnés. Cela pose question au vu des droits qui sont reconnus au mineur discernant : audition individuelle, obligation d’être informé de ses droits, droit à un avocat, droit à faire appel, droit à se voir notifier sa décision. L’AFMJF estime qu’il est indispensable que le législateur clarifie cette notion, quitte à fixer des seuils d’âge différents en fonction des actes (audition obligatoire de l’enfant, droit à avocat ou administrateur ad hoc, droit de faire appel, de se voir notifier les décisions…).
Face à ce constat général et malgré la réticence de certains ([569]), de nombreux acteurs s’expriment en faveur de la désignation plus systématique d’un avocat spécialisé chargé de défendre l’intérêt de l’enfant dans le cadre des procédures d’assistance éducative :
– la Défenseure des droits juge indispensable qu’un enfant, même non discernant, puisse bénéficier d’un avocat s’il en fait la demande ou si le juge des enfants estime que c’est dans son intérêt. L’avocat « peut identifier des difficultés auxquelles le mineur peut être confronté dans son suivi éducatif, sa famille, en alerter le juge des enfants et l’ensemble des professionnels qui accompagnent l’enfant ([570]) » ;
– le CESE considère dans le rapport précité que seule une systématisation de la désignation d’un avocat spécialisé par le bâtonnier garantira une égalité de traitement sur tout le territoire ;
– pour M. Lyès Louffok (Comité de vigilance des enfants placés), il faut « rendre obligatoire la désignation systématique d’un avocat pour tous les enfants placés sous la protection des services de l’ASE », car « cela constitue […] le meilleur moyen de lutter contre les violences institutionnelles et de protéger les droits fondamentaux des enfants ([571]) ».
Aux yeux de la rapporteure, l’avocat est en effet un acteur essentiel pour mieux garantir la défense de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle recommande la désignation systématique d’un avocat dans le cadre des procédures d’assistance éducative pour chaque enfant, en capacité de discernement ou non, en veillant à ce que l’avocat en question soit spécialisé sur les questions relatives au droit de l’enfant. Il convient de modifier l’article 375-1 du code civil en ce sens.
Recommandation n° 59 : Prévoir la désignation systématique d’un avocat dans le cadre des procédures d’assistance éducative pour chaque enfant, en capacité de discernement ou non, en veillant à ce que l’avocat en question soit spécialisé sur les questions relatives aux droits de l’enfant.
2. Renforcer la prise en compte de la parole des enfants pour les droits de visite
L’écoute attentive de la parole de l’enfant doit être un impératif tout au long de la procédure administrative et judiciaire de la protection de l’enfance.
La prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre des procédures d’assistance éducative pose la question de la place de l’enfant à l’audience. Comme le souligne Mme Natacha Aubeneau, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM), « il est extrêmement important que l’enfant soit présent à l’audience, qu’il soit capable de discernement ou non. Pour le juge des enfants, observer le comportement de l’enfant à l’audience, ses interactions avec sa famille, avec son éducateur, ainsi que son attitude dans le bureau, même s’il s’agit d’un bébé, revêt une signification particulière. Il n’est pas nécessaire de faire venir un enfant à toutes les audiences, surtout s’il a six mois. Cependant, voir l’enfant est essentiel, tout comme lui parler seul ([572]). ». Le droit prévoit l’obligation d’un entretien individuel de l’enfant capable de discernement avec le juge des enfants lors de son audience ou de son audition. Néanmoins, la DPJJ signale que le manque de moyens et de temps des juges rend peu effective cette obligation (voir supra).
Recommandation n° 60 : Garantir la présence de l’enfant à l’audience et rendre effective l’obligation d’entretien individuel.
La question de la prise en compte de la parole de l’enfant se pose tout particulièrement dans le cadre des droits de visite. Ceux-ci sont prévus à l’article 375-7 du code civil. Ainsi, si l’enfant a été confié à une personne ou à un établissement, ses parents disposent d’un droit de correspondance, de visite et d’hébergement, que le juge peut suspendre ou encadrer en prévoyant la présence d’un tiers, si l’intérêt de l’enfant le justifie.
Selon l’analyse de M. Gautier Arnaud-Melchiorre : « L’enfant n’est malheureusement pas toujours un sujet de droit. Je pense notamment à une lettre que j’ai reçue d’un jeune garçon qui me disait : “Je voudrais que le juge m’écoute à propos des visites avec ma maman. Il me force à aller en visite avec maman.” Il ne s’agit pas d’opposer les parents aux enfants, mais de se dire que le droit de visite n’est peut-être pas prévu que dans l’intérêt des parents ([573]). » Ce constat entre en résonance avec les propos de M. Baptiste Cohen (Apprentis d’Auteuil), qui témoigne : « Nous connaissons tous des situations où l’équipe éducative ne comprend pas comment des droits de visite et d’hébergement peuvent être maintenus alors que l’enfant souffre ([574]). »
La députée Perrine Goulet avait évoqué ce point dans son rapport ([575]). Elle considérait « opportun de réinterroger les conditions dans lesquelles s’exerce le droit de visite d’un parent maltraitant (envers les enfants ou le conjoint), si toutefois le parent ne s’est pas vu retirer l’autorité parentale comme le permettent les articles 378 et suivants du code civil. Dans ce type de cas, il serait logique que, de manière systématique, le droit de visite ne puisse s’exercer qu’à la demande de l’enfant. » La rapporteure plaide pour une meilleure prise en compte de la parole des enfants sur les droits de visite. Il s’agit d’un point essentiel pour reconnaître l’enfant comme sujet de droit.
Recommandation n° 61 : Renforcer la prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre des droits de visite. Prévoir que, lorsque des faits de maltraitance ont été reconnus par la justice, les droits de visite ne peuvent intervenir qu’avec l’accord de l’enfant.
3. Garantir aux enfants des « droits du quotidien »
Les besoins de l’enfant sont aussi de pouvoir, autant que faire se peut, mener une vie quotidienne « normale ». Or, comme l’a souligné Mme Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau d’entraide « Repairs » : « Les rendez-vous au tribunal à dix heures nous font manquer l’école. Les foyers, qui sont censés être des maisons pour tous, ne deviennent finalement la maison de personne. Cette absence de normalité accentue l’insécurité et l’instabilité de nos vies ([576]). »
La rapporteure souscrit pleinement à l’analyse formulée par M. Gautier Arnaud-Melchiorre : « Ces petits droits du quotidien, de la vie de tous les jours, sont loin d’être anecdotiques. À travers eux, on fait découvrir à l’enfant qu’il est un sujet de droit ; on lui apprend à être un acteur de ses propres droits et à les exercer ([577]). » À cet égard, la pratique des conseils des jeunes, qui sont encouragés dans le cadre de la contractualisation avec l’État, est très vertueuse et doit impérativement se développer. Mme Ève Robert, représentante de l’ANDASS au sein du CNPE, souligne qu’ils permettent d’identifier des problématiques jusqu’ici passées inaperçues : « [les enfants] évoquent des questions très concrètes, déterminantes pour la qualité de leur prise en charge : alimentation, respect de l’intimité, vie affective et sexuelle, événements de la vie quotidienne. Par exemple, peut-on organiser un goûter d’anniversaire dans un foyer de protection de l’enfance ? Ce sujet était loin d’être identifié par les autorités publiques jusqu’à ce que les enfants nous en parlent – et ils y tiennent ([578]). »
La « théorie du radis », ou le besoin de souplesse au sein des établissements
de la protection de l’enfance
La « théorie de radis », mise en avant par M. Gautier Arnaud-Melchiorre, démontre le besoin de simplification de certaines normes pour garantir un quotidien le plus proche possible de celui vécu dans le contexte familial : « Quand on visite un établissement de protection de l’enfance, on vous montre un parterre où des radis sont cultivés par les enfants, mais ceux-ci n’ont pas le droit de les manger, au même titre que les œufs des poules qu’ils élèvent. Parce que la protection de l’enfance dysfonctionne, on a ainsi tendance à toujours vouloir rajouter des normes qui viennent enserrer la vie de l’enfant. Or un éducateur a besoin de souplesse pour pouvoir s’adapter à la réalité d’un enfant. […] De fait, les professionnels ont pu exprimer au cours de la mission qu’ils étaient paralysés par des organisations administratives hiérarchisées qui les empêchent finalement d’être force de proposition ([579]). »
Les droits et l’accès aux loisirs restent insuffisamment pensés dans le domaine de la protection de l’enfance, comme le montre le rapport du Défenseur des enfants de 2023 sur le droit des enfants aux loisirs au sport et à la culture. Celui-ci recommande de systématiser la désignation d’un référent loisirs, sport et culture au sein des établissements et de garantir l’accès à des activités en milieu ordinaire, en tenant compte des besoins de l’enfant et des appétences en termes de loisirs, de sport et de culture.
L’indemnité d’entretien versée aux assistants familiaux, dont le montant minimum est fixé à 14,53 euros par jour, peut également être un frein à l’accès aux loisirs. En pratique, les montants peuvent aller jusqu’à 24 euros par jour dans certains départements. Comme l’a rappelé Mme Sonia Mazel-Bourdois, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux et de la protection de l’enfance, « le montant de cette indemnité change très concrètement la vie des enfants : une fois réglés les dépenses en eau, électricité, alimentation et les frais de déplacements, il ne reste plus grand-chose pour les loisirs avec 14 euros ; avec 24 euros, on peut voir un peu plus loin et changer le quotidien. Les sommes versées au titre de l’argent de poche ou pour les anniversaires sont également très aléatoires – quand elles existent ([580]). » La rapporteure juge indispensable d’harmoniser vers le haut ce type d’aides, qui participent du droit à une vie ordinaire. Le CNPE pourrait être saisi en ce sens afin de faire des recommandations et la DGCS pourrait évaluer le coût afférent.
Recommandation n° 62 : Mieux garantir le droit et l’accès aux loisirs :
– désigner systématiquement des référents loisirs, jeunesse et sport dans les établissements ;
– garantir l’accès à des activités extra-scolaires en milieu ordinaire en prenant en compte les appétences des enfants ;
– harmoniser par le haut l’indemnité d’entretien versée aux assistants familiaux ainsi que les sommes versées au titre de l’argent de poche ou des anniversaires.
C. reconnaître la pluralité des liens d’attachement
1. Prendre en compte les liens d’attachement entre l’enfant et les professionnels de la protection de l’enfance
Les décisions prises dans l’intérêt supérieur de l’enfant nécessitent un maniement délicat de principes qui peuvent parfois entrer en contradiction, notamment entre le maintien des liens familiaux et l’attachement à la famille d’accueil. Comme l’a rappelé Mme Sonia Mazel-Bourdois, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux et de la protection de l’enfance, « pendant longtemps, on a donné aux assistants familiaux la consigne de pas s’attacher aux enfants, parce que ces derniers ne pourraient s’attacher à leur famille naturelle s’ils étaient attachés à leur famille d’accueil ([581]) ». La magistrate Natacha Aubeneau fait part de son expérience en la matière : « Le “mantra” des services éducatifs consistait à dire que si le lien entre l’enfant et la famille d’accueil devenait trop fort, il fallait changer l’enfant de famille d’accueil pour pouvoir travailler le lien avec les parents biologiques. Cette approche a causé énormément de dommage ([582]). » Cette observation vaut également pour le lien établi entre les enfants et les éducateurs dans le cadre de l’accueil collectif.
La doctrine a beaucoup évolué sur la nature et l’importance des liens d’attachement établis entre l’enfant et les professionnels de la protection de l’enfance. Mais en pratique, des décisions sont encore imprégnées de conceptions erronées. La Défenseure des droits fait état dans sa contribution écrite transmise à la rapporteure de « changements de famille d’accueil justifiés par les services par un attachement trop fort avec l’assistante familiale ou la nécessité de rapprocher géographiquement l’enfant de ses parents, sans aucune préparation de l’enfant et du professionnel ni considération pour le lien d’attachement construit entre l’enfant et sa famille d’accueil ». La Défenseure des droits a ainsi estimé, dans sa décision 2024-055 du 5 avril 2024, que l’intérêt de l’enfant confié à l’ASE devait être une considération primordiale dans l’évaluation de l’opportunité d’un changement de lieu d’accueil : « En l’espèce, une enfant était accueillie depuis toute petite dans une famille d’accueil, où les liens d’attachement étaient très forts. Lorsque la maman a changé de département, l’ASE a préconisé que l’enfant change de lieu d’accueil pour la suivre. Si cela peut paraître logique pour maintenir le lien maternel, j’ai constaté que les rapports du service de l’ASE ne faisaient état à aucun moment d’éléments relatifs à la manière dont l’enfant, alors âgée de quatre ans et accueillie depuis ses neuf mois, évoluait au sein de la famille d’accueil, aux liens d’attachement qu’elle y avait développés, ou à la qualité du lien avec sa maman. De même, aucun élément n’était rapporté sur d’éventuels moments d’échange avec l’enfant dans cette perspective ni sur ses réactions ([583]). » La Défenseure des droits recommande dans sa décision de prévoir, en cas de changement de lieu d’accueil de l’enfant, des entretiens de préparation avec celui-ci et son entourage ainsi que des temps d’échange entre l’enfant, son futur lieu d’accueil et les professionnels.
Ces constats mettent en exergue l’importance cruciale de la formation des professionnels et la nécessité de faire évoluer les pratiques, pour reconnaître l’importance de la pluralité des liens. Il faut rappeler à ce titre qu’aux termes de l’article L 221-1 6° du CASF, le service de l’aide sociale à l’enfance veille « à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur ». Comme l’a souligné Mme Anne-Solène Taillardat (comité de vigilance des anciens enfants placés), « La possibilité de créer des liens durables est tout aussi importante que la stabilité du parcours. Ces liens ne se limitent pas uniquement à l’assistante familiale, ils s’étendent à l’ensemble de la famille d’accueil, à l’environnement social global de l’enfant ([584]). »
La place de la famille d’accueil doit faire l’objet d’une réflexion plus poussée. Comme le souligne Mme Natacha Aubeneau (USM), « lorsque le placement se prolonge ou que les enfants sont placés dans des familles d’accueil où cela se passe bien, il est également important de permettre à l’enfant de s’intégrer pleinement dans cette famille ([585]) ». Elle a également rappelé que leur présence à l’audience a longtemps été refusée et qu’elle reste aujourd’hui en pratique limitée.
2. Améliorer le travail autour du lien parents-enfant dans le cadre du placement
Les apports de la théorie de l’attachement montrent également tout l’intérêt qu’il y a à travailler sur les liens entre la famille et l’enfant, y compris dans le cadre du placement, sauf quand l’intérêt supérieur de l’enfant commande de limiter ces liens. Il s’agit d’un élément clé pour sécuriser son parcours et permettre le retour dans la famille. Le droit de l’enfant séparé de ses parents à entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec eux, sauf dans le cas où cela serait contraire à son intérêt supérieur, est d’ailleurs reconnu par l’article 9 de la CIDE.
Le maintien du lien avec la famille dans le cadre du placement est considéré comme essentiel par M. Thomas Brichard (Apprentis d’Auteuil) : « Autant que l’ordonnance de placement le permet, nous devons intégrer les parents à la vie quotidienne de leurs enfants, par exemple, pour les achats de vêtements, les devoirs ou les rendez-vous médicaux. Il est primordial de les laisser accomplir ce qu’ils savent faire et de les soutenir dans leurs difficultés. Ce n’est pas en agissant à leur place qu’ils apprendront. Nous devons également les impliquer dans la vie de l’établissement, les décisions prises lors du conseil de vie sociale, ainsi que dans l’organisation et l’animation des festivités, pour renforcer les liens ([586]). » Ainsi, le placement peut et doit s’inscrire également dans la guidance parentale, sauf lorsque la présence des parents n’est pas souhaitable du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant.
ATD Quart Monde a également insisté sur ce point au cours de son audition et mis en avant dans sa contribution écrite des exemples considérés comme de bonnes pratiques, avec notamment l’organisation de week-ends et de vacances en groupe, permettant de réunir les enfants et les parents.
Aujourd’hui, trop peu de moyens sont déployés pour entretenir et développer ces liens, ce qui peut prolonger la durée de certains placements. D’après l’analyse de Mme Natacha Aubeneau (USM) : « Lorsqu’un enfant est placé, l’objectif est qu’il puisse retourner dans sa famille le plus rapidement possible. Pour cela, il est nécessaire de travailler sur le lien avec la famille, de traiter la problématique ayant conduit au placement pour que la situation puisse évoluer. Malheureusement, ce n’est pas toujours possible, faute de moyens ([587]). »
Ainsi, les droits de visite ne sont pas toujours respectés. Le rapport du CESE alerte également sur leur insuffisante mise en œuvre et souligne que leur rythme habituel de deux heures toutes les deux semaines est insuffisant. Le rapport dénonce l’absence de financement adéquat, la pénurie de professionnels et de lieux adaptés, qui conduisent à réduire la fréquence des visites voire à les supprimer temporairement. Les mêmes difficultés s’observent pour les rencontres des fratries.
L’absence de moyens matériels et humains adéquats conduit à des manquements graves pour les droits des enfants et des familles, notamment en matière de droit de visite et d’hébergement.
Se pose également la question du cadre de la visite. Ainsi, selon le témoignage de Mme Gaëlle Le Dins (ATD Quart Monde), « tant que ces visites se déroulent au sein des services gardiens, nous avons l’impression d’être dans une bulle gérée par d’autres ([588]) ». L’initiative prise par ATD Quart Monde et la CNAPE d’élaborer une fiche pratique pour les professionnels « Faire de la visite médiatisée un acte bientraitant et éducatif » doit à ce titre être saluée.
La rapporteure préconise le renforcement sur l’ensemble du territoire des moyens consacrés aux visites et à l’ensemble des mesures favorables à l’approfondissement du lien parents-enfant, dès lors que celui-ci n’est pas contraire à son intérêt supérieur.
Un équilibre doit être recherché entre le maintien et l’approfondissement du lien entre les enfants et les parents d’une part, et la sécurisation essentielle de l’enfant dans le cadre de ses rencontres d’autre part. La conciliation de ces objectifs ne va pas de soi. Elle nécessite une analyse fine au cas par cas et l’écoute de la parole de l’enfant.
En cela, il est notamment essentiel de soutenir et développer les espaces de rencontre tels que prévus à l’article D. 216-1 du CASF, qui sont des lieux permettant des visites médiatisées à même de maintenir les relations entre enfant et ses parents, notamment « en assurant la sécurité psychique et morale et la qualité d’accueil ». Il est en outre souhaitable de veiller à ce que les visites ne soient pas organisées pendant le temps scolaire, afin de respecter le droit à une vie ordinaire de l’enfant et ne pas entraver le déroulement de sa scolarité.
Recommandation n° 63 : Garantir la bonne mise en œuvre des droits de visite pour garantir le maintien du lien parents-enfant, dès lors que celui-ci ne constitue pas un risque pour l’enfant. Soutenir et développer les espaces de rencontre.
La rapporteure souhaite enfin rappeler que le maintien des liens coûte que coûte avec la famille biologique n’est évidemment pas souhaitable s’il fait courir à l’enfant un danger pour sa sécurité physique ou affective. Comme le souligne Mme Natacha Aubeneau (USM) : « Maintenir le lien à tout prix n’est pas forcément une bonne idée. Parfois, il faut admettre que ce lien est plus toxique que bénéfique ([589]). » C’est pourquoi la rapporteure recommande également de prévoir que les visites médiatisées des parents maltraitants ne puissent s’effectuer qu’à la demande de l’enfant, comme cela a été détaillé plus haut.
Lorsque le placement intervient pour des cas de maltraitance, il convient d’aller plus loin dans les exceptions prévues à l’obligation des enfants de subvenir aux besoins de leurs parents nécessiteux (article 205 du code civil). Le droit prévoit déjà une exception pour les enfants placés, récemment renforcée dans le cadre de la loi « bien vieillir ». Ainsi, l’article L. 132-6 du CASF prévoit que sont dispensés de cette obligation « les enfants qui ont été retirés de leur milieu familial par décision judiciaire durant une période d’au moins trente-six mois cumulés au cours des dix-huit premières années de leur vie, sous réserve d’une décision contraire du juge aux affaires familiales ». La rapporteure considère qu’il s’agit là d’un enjeu majeur pour éviter des situations très injustes. L’article L. 132-6 pourrait être amélioré, en supprimant le délai minimum de trois ans de placement, qui en l’état peut conduire à exclure des situations qui justifieraient pourtant une dérogation à l’article 205 du code civil.
Recommandation n° 64 : Supprimer l’obligation alimentaire à l’égard des parents qui peut peser sur des enfants ayant fait l’objet d’un placement dans leur enfance en renforçant les dispositions de l’article L. 132-6 du code de l’action sociale et des familles.
3. Entourer davantage les enfants protégés en développant le parrainage
Dans sa décision-cadre précitée ([590]), la Défenseure des droits insiste sur l’importance de garantir aux enfants, notamment ceux qui font l’objet d’un accueil institutionnel, le droit d’être davantage entourés. Cette observation fait écho à l’adage bien connu selon lequel « il faut tout un village pour élever un enfant ».
La rapporteure partage pleinement la réflexion de la Défenseure des droits dans sa décision-cadre : « Il est [...] indispensable que les enfants confiés puissent s’appuyer sur des relations affectives durables complémentaires à l’accompagnement proposé par les professionnels, avec des personnes non rémunérées. » Ces relations sont essentielles pour augmenter le capital social de l’enfant et favoriser l’estime de soi.
L’ouverture de la protection de l’enfance au parrainage de proximité est une démarche ancienne, qui remonte à l’après-guerre. En 2005, une charte du parrainage a été élaborée. La loi Taquet a introduit des dispositions nouvelles visant à reconnaître et encourager les actions de parrainage et de mentorat. Les décrets d’application correspondant sont parus. La charte nationale du parrainage a récemment été publiée au journal officiel ([591]).
Le parrainage et le mentorat – les modifications apportées par la loi Taquet
En vertu de l’article L. 221-2-6 du code de l’action sociale et de l’enfance crée par la loi Taquet : « Lorsqu’un enfant est pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil départemental propose systématiquement, avec l’accord [le cas échéant ([592])] des parents ou des autres titulaires de l’autorité parentale, si tel est l’intérêt de l’enfant et après évaluation de la situation, de désigner un ou plusieurs parrains ou marraines, dans le cadre d’une relation durable coordonnée par une association […]. L’association et le service de l’aide sociale à l’enfance […] informent, accompagnent et contrôlent le parrain ou la marraine. »
Il est également systématiquement proposé à l’enfant pris en charge par l’ASE de bénéficier d’un mentorat, dont l’objectif est de « favoriser l’autonomie et le développement de l’enfant accompagné en établissant des objectifs qui évoluent et s’adaptent en fonction de ses besoins spécifiques. Le recours au mentorat doit être proposé à l’entrée au collège. »
Il est aujourd’hui essentiel d’investir largement pour développer ces solutions. La rapporteure considère qu’il s’agit là d’un levier encore très faiblement exploité, malgré le potentiel qu’il recèle. Il reste désormais à engager une dynamique dans toute la société, tout en veillant aux garde-fous indispensables pour garantir la sécurité des enfants, ce qui fait écho au besoin de déploiement de la plateforme sur le contrôle d’honorabilité déjà évoquée.
Il paraît en ce sens important de mettre en place des indicateurs de suivi en engageant un travail commun entre les associations et l’État permettant de mesurer le nombre de parrains et de mentors, comme le suggère notamment la spécialiste Mme Flore Capelier ([593]).
Recommandation n° 65 : Développer les indicateurs de suivi pour mesurer le nombre de parrains et de mentors, soutenir les associations existantes et développer des campagnes de sensibilisation pour engager un mouvement citoyen en faveur du parrainage de proximité.
D. adapter les modalités d’accueil aux besoins des enfants
Il est aujourd’hui indispensable de développer les solutions de prise en charge autres que le placement en établissement. Dans le cadre même du placement en établissement, la dimension familiale, se caractérisant par des petites unités de vie, doit être privilégiée.
1. L’accueil par un tiers digne de confiance
L’article 1er de la loi Taquet a modifié l’article 375‑3 du code civil afin que soit systématiquement examinée, sauf en cas d’urgence, la possibilité de confier l’enfant à un membre de la famille ou à un tiers digne de confiance, avant d’envisager une autre forme de placement.
Le tiers digne de confiance n’est pas un professionnel, mais un adulte proche de l’enfant, avec qui des liens affectifs existent déjà. Malgré tout l’intérêt que cette solution comporte du point de vue du développement et du bien‑être de l’enfant et de l’obligation légale précitée, le recours aux tiers digne de confiance reste très limité en France, contrairement à la situation observée dans d’autres pays. Selon les chiffres avancés par l’AFMJF, « le placement chez un tiers ou membre de la famille est à 7 % en France alors qu’il est à près de 40 % au Québec et peut avoisiner les 70 % dans les pays pratiquant les conférences de groupe familial de manière systématique ([594]) ». Cette situation résulte de plusieurs facteurs :
– en premier lieu, elle découle de la forte culture du placement institutionnel en France et l’insuffisance des moyens des services compétents pour évaluer correctement de l’opportunité de cette solution. Les juges entendus par la commission d’enquête sont plusieurs à faire état du manque de recherche de solutions sur les possibilités de prise en charge par un tiers digne de confiance. Ainsi, Mme Natacha Aubeneau (USM) relève : « Souvent, nous voyons des mesures éducatives accompagnées de rapports alarmistes indiquant que la situation familiale n’a pas évolué. Il subsiste un manque de recherche sur les autres possibilités de prise en charge et une sorte de défiance envers les proches. En effet, on craint que confier l’enfant à un oncle, une tante ou une grand-mère ne renforce les conflits internes à la famille. Cela peut être vrai, notamment pour les enfants souffrant du conflit parental ([595]) » ;
– en deuxième lieu, le placement en foyer ou en MECS peut être perçu comme plus sécurisant pour l’enfant, et parfois malheureusement à raison du fait de l’absence de contrôle systématique des antécédents judiciaires des tiers dignes de confiance ([596]) ;
– les contraintes administratives et financières pesant sur les tiers dignes de confiance sont également un frein. Comme le relève Mme Flore Capelier, « les très fortes contraintes juridiques et administratives restent un frein au développement de l’accueil par des tiers dignes de confiance ou des proches de l’enfant : le versement des indemnités peut être très long, or les tiers se retrouvent souvent à devoir accueillir des fratries du jour au lendemain ([597]) ».
La rapporteure plaide pour que ces freins soient levés, afin de développer cette forme de placement. Pour cela, une condition sine qua non : garantir la sécurité de l’enfant dans le cadre de cet accueil. La rapporteure considère qu’il est inadmissible que le contrôle des antécédents judiciaires des tiers de confiance ne soit pas systématique, comme elle l’a recommandé supra.
Il convient ensuite d’améliorer le travail d’identification de la personne ressource dans l’entourage de l’enfant. Cela relève de la formation des professionnels et doit être rapproché des autres recommandations formulées par la rapporteure en matière d’intensification des interventions en milieu ouvert. En effet, c’est aussi dans le cadre de ces interventions qu’un travailleur social sera en mesure d’identifier une personne ressource dans l’entourage de l’enfant.
En parallèle, l’accompagnement et le statut des tiers digne de confiance doivent se consolider. Le décret du 28 août 2023 permet des avancées, mais il doit s’accompagner de moyens opérationnels pour favoriser l’accompagnement des tiers. En ce sens, la Défenseure des droits suggère dans sa décision-cadre précitée de développer les services consacrés à l’accompagnement des tiers, créés dans certains départements ([598]). L’AFMJF cite l’exemple du département de la Haute‑Savoie, qui a mis en place un dispositif d’accompagnement efficace et atteint un taux de placement chez un tiers digne de confiance de 10 %. Ces bonnes pratiques méritent d’être encouragées et développées ailleurs.
Le décret du 28 août 2023 relatif aux modalités d’accompagnement
du tiers digne de confiance, de l’accueil durable et bénévole par un tiers
et de désignation de la personne de confiance par un mineur
Un décret pris tardivement – plus d’un an après la publication de la loi Taquet – est venu préciser les modalités d’application de ces dispositions.
Le décret du 28 août 2023 ([599]) définit les modalités d’accompagnement du tiers digne de confiance et de l’accueil durable et bénévole par un tiers.
Il prévoit notamment des modalités d’accompagnement, dans le cadre de visites et d’entretiens à domicile, ainsi que le versement d’une allocation au tiers digne de confiance, qui doit permettre de couvrir les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite de l’enfant.
Il est aussi primordial d’accélérer les délais, notamment ceux qui permettent la perception de l’aide journalière, essentielle pour que le tiers digne de confiance puisse prendre en charge l’enfant. Au-delà, une réflexion pourrait être opportune pour consolider le statut et les droits des tiers dignes de confiance. Cette idée fait écho aux problèmes mis en avant par Mme Laurence Brunet-Jambu lors de son audition par la commission d’enquête : « Un enfant coûte cher, il faut pouvoir l’habiller, le nourrir, le scolariser, l’accompagner. Comme ils n’ont pas l’autorité parentale, ils n’ont droit à rien : pas d’allocations familiales, pas de prise en compte du coefficient familial pour le tarif de la cantine, pas de prise en charge des frais médicaux par la sécurité sociale, pas d’aide médicale d’État non plus si leurs revenus ne leur y donnent pas droit. J’ai vécu ce problème avec Karine. La sécurité sociale a refusé de nous rembourser pendant deux ans alors que chaque mois ses soins, notamment chez l’orthophoniste, coûtaient 500 euros ([600]). » Dans le prolongement du rapport établi par Mme Adeline Gouttenoire en 2014 ([601]), une réflexion pourrait s’engager pour permettre au tiers digne de confiance d’intervenir dans le cadre des actes dits non usuels ([602]). En effet, comme le soulignait le rapport, « lorsque l’enfant est confié à un tiers […], ce dernier ne peut accomplir que les actes usuels relatifs à la surveillance et à l’éducation de l’enfant […]. Or, cette limitation des droits du tiers à qui l’enfant est confié au quotidien peut entraîner des difficultés pour cet enfant, qui pourrait ne pas avoir accès ou trop tardivement à certains actes ou activités. »
Recommandation n° 66 : Approfondir le statut des tiers dignes de confiance en renforçant leurs droits et les moyens prévus pour leur accompagnement.
On peut noter qu’en sus de l’accueil par un tiers digne de confiance, se pose également la question de l’accueil durable par des bénévoles, qui ne sont pas nécessairement connus de l’enfant avant le placement. L’article L. 221-2-1 du CASF prévoit ainsi que « lorsqu’un enfant est pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance sur un autre fondement que l’assistance éducative, le président du conseil départemental peut décider, si tel est l’intérêt de l’enfant et après évaluation de la situation, de le confier à un tiers, dans le cadre d’un accueil durable et bénévole » qui peut être permanent ou non. Sur ce point, comme l’a regretté Mme Flore Capelier lors de son audition, la loi Taquet est restée relativement silencieuse. La rapporteure considère qu’il pourrait être opportun de lancer une réflexion sur la question de l’accueil durable par des bénévoles, y compris dans le cadre de l’assistance éducative.
Recommandation n° 67 : Engager une réflexion afin de permettre et de développer l’accueil durable par des bénévoles dans le cadre de l’assistance éducative.
2. L’accueil et le maintien des liens des fratries
L’article 5 de la loi Taquet a rappelé que l’enfant est accueilli avec ses frères et sœurs, sauf si son intérêt justifie une autre solution (article 371-5 du code civil). Néanmoins, l’accueil des fratries reste limité sur le terrain en raison du manque de places et faute de structures adaptées. Là encore, l’absence de données constitue un problème bien identifié par les acteurs. M. Hervé Laud, président de l’association SOS Villages d’enfants, a ainsi rappelé devant la commission d’enquête que depuis plus de vingt ans, l’association demande d’obtenir des données pour identifier le nombre de fratries au sein de la protection de l’enfance, chiffre toujours indisponible à ce jour ([603]).
L’accueil des fratries peut prendre plusieurs formes :
– il peut s’organiser dans le cadre de l’accueil de droit commun, notamment dans des MECS et des familles d’accueil. Pour les familles d’accueil, des difficultés sont régulièrement constatées en raison du nombre limité d’enfants qu’une assistante familiale est en droit d’accueillir (trois), sauf dérogation ;
– il est facilité par le déploiement de structures prévues pour permettre l’accueil des fratries, les villages d’enfants. Le modèle des villages d’enfants permet l’accueil des frères et sœurs dans un cadre de type familial avec des éducateurs familiaux prenant en charge, chacun, une ou deux fratries, à raison de trois semaines par mois, la quatrième semaine étant une semaine de répit pour l’éducateur au cours de laquelle un relais est organisé ([604]).
Depuis quelques années, ces modalités d’accueil sont encouragées, notamment dans le cadre de la contractualisation État-départements. Le nombre de villages d’enfants a augmenté de 54 % entre 2012 et 2021, passant de 24 à 37, avec des capacités d’accueil passant de 1 300 à 2 200 places selon les chiffres de la DREES ([605]). En proportion, les places en village d’enfants restent toutefois trente fois moins nombreuses que les places disponibles en MECS, ce qui s’explique par la permanence du modèle historique de la protection de l’enfance décrit dans la première partie du présent rapport.
En dépit d’une dynamique indéniable, l’accueil des fratries reste cependant limité, ce qui nécessite de poursuivre l’effort de développement des villages d’enfants mais également d’adaptation des structures de droit commun.
Enfin, il faut préciser que, comme pour l’ensemble des décisions prises dans le cadre de la protection de l’enfance, l’accueil des fratries, s’il doit être privilégié, ne saurait faire l’économie d’une réflexion au cas par cas, en prenant en compte le fonctionnement de la fratrie. Pour M. Hervé Laud : « Il existe des fratries multicomposées, des fratries ayant vécu ensemble, des fratries réunies pour la première fois lors du placement et des fratries dysfonctionnelles dont il faut analyser les problèmes. Certains dysfonctionnements peuvent être résolus par les adultes pour remettre les choses sur la bonne voie. Dans certains cas, il est nécessaire de séparer temporairement les frères et sœurs. En tant que membre de SOS Villages d’enfants, je peux affirmer que, dans 80 % des cas, la fratrie est une ressource précieuse et il est important de partager la même enfance ([606]). »
Le maintien des liens au sein des fratries passe également par l’organisation de visites, mais celles-ci souffrent comme on l’a vu de moyens insuffisants.
3. Privilégier l’accueil à dimension familiale
Le placement en accueil familial doit être privilégié en l’absence d’un tiers digne de confiance, car il est le plus à même de répondre aux besoins fondamentaux des enfants. Le témoignage de M. Christian Haag, ancien enfant placé et éducateur spécialisé, l’illustre : « J’ai obtenu mon baccalauréat avec mention et je suis aujourd’hui travailleur social. Je mesure la chance qui a été la mienne : une famille d’accueil m’a soutenu, un peu comme des parents, même après leur départ à la retraite. Je doute que j’aurais suivi le même chemin si j’avais grandi uniquement en institution. Les chiffres et les témoignages le confirment malheureusement souvent ([607]). »
Outre le travail essentiel qui doit être conduit pour revaloriser la profession des assistants familiaux afin de favoriser des prises en charge dans le cadre de l’accueil familial (voir infra), la diversification de l’offre doit également permettre de développer des petites unités d’accueil. De nombreux acteurs mettent en avant les avantages associés à ce type de solution :
– Mme Josiane Bigot (CESE) affirme ainsi : « Tous [les enfants entendus] ont une préférence pour les petites unités voire pour les familles d’accueil qui, malheureusement, sont de moins en moins nombreuses. » Les petites unités de vie contribuent « à la continuité et à l’individualisation de l’accompagnement ([608]) » ;
– Pour M. Mads Suaibu Jalo, président du réseau d’entraide « Repairs » : « Le système des foyers, aussi modernes soient-ils, pose problème. En effet, de nombreuses personnes y vivent, chacune avec ses traumatismes et son histoire, sans qu’il y ait de place pour l’individu en tant que tel. Ce système engendre beaucoup de violence. En Italie, par exemple, il n’existe pas de système de foyers, mais un système communautaire. Récemment, à Paris, j’ai participé en tant que jury à la création de différentes communautés de trois à quatre personnes vivant ensemble dans une maison ou un appartement, accompagnées par des professionnels médico-sociaux et éducatifs. Ce modèle me semble très pertinent, car il prend en compte la personne dans son individualité ([609]). »
La rapporteure estime indispensable de poursuivre le travail de diversification de l’offre d’accueil en privilégiant les petites unités de vie, ce qui nécessite un travail important d’adaptation du bâti mais aussi des pratiques professionnelles.
E. la protection de l’enfance doit garantir à l’enfant un parcours adapté à ses besoins
1. Le modèle français ne permet pas de penser un véritable parcours pour l’enfant, contrairement à d’autres modèles
Aux termes de l’article L. 221-1 du CASF l’aide sociale à l’enfance doit « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation du statut ».
Qu’il s’agisse d’un retour progressif vers la famille ou d’une solution pérenne en dehors, la protection de l’enfance devrait en théorie permettre à l’enfant d’évoluer vers une situation stable et de ne pas rester indéfiniment dans le cadre d’un placement renouvelé tous les deux ans, jusqu’à sa sortie du dispositif. Le droit prévoit en ce sens des délais de réexamen des mesures d’assistance éducative.
Les délais de réexamen des mesures d’assistance éducative
L’article 375 du code civil prévoit que la durée de la mesure d’assistance éducative fixée par la décision du juge ne peut être supérieure à deux ans. Elle peut être renouvelée par décision motivée. Un rapport concernant la situation de l’enfant doit être transmis annuellement, ou tous les six mois pour les enfants de moins de deux ans, au juge des enfants. Ce rapport comprend notamment un bilan pédiatrique, psychique et social de l’enfant.
En parallèle, en vertu de l’article 29 de la loi du 14 mars 2016 et des mesures prises pour son application (article D. 223-28 du CASF), « tous les deux ans, le service départemental de l’aide sociale à l’enfance examine l’opportunité de mettre en œuvre d’autres mesures que le placement en assistance éducative pour tout enfant qui lui a été confié en application de l’article 375-3 du code civil depuis deux ans. Pour les enfants de moins de deux ans, cet examen doit avoir lieu chaque année. »
Dans l’intention du législateur, ces délais de réexamen des mesures avaient pour objectif d’« éviter à l’enfant un parcours chaotique, caractérisé par des changements fréquents de lieux de placements, sans qu’une situation stable ne lui soit jamais proposée ([610]) ». Force est de constater que ce cas de figure est encore bien souvent la norme. La prise en charge largement inadaptée et les faibles moyens dédiés à la prévention conduisent les enfants à des parcours souvent jalonnés de ruptures qui empêchent la constitution de liens d’attachement stables (modalités d’accueil, turn-over très fréquent des éducateurs ou prise en charge par des intérimaires, séparation des fratries, etc.).
Un changement de paradigme est souhaitable et le modèle québécois doit en ce sens constituer une source d’inspiration. Celui-ci repose sur la recherche d’une permanence du projet de vie pour l’enfant, étant entendu « qu’une vie en institution n’est pas un projet de vie possible ([611]) ». Ainsi, le droit québécois prévoit une durée maximale de placement qui ne peut être dépassée. La rapporteure propose une évolution du droit français s’inspirant de ce cadre juridique (voir infra).
Les dispositions de la loi sur la protection de la jeunesse québécoise
relatives au « projet de vie permanent ».
La loi québécoise rappelle que l’objectif premier de l’action publique doit être le maintien ou le retour de l’enfant dans sa famille. Néanmoins, les règles imposent des délais au directeur de la protection de la jeunesse ou au tribunal de la jeunesse aux termes desquels un plan de vie permanent doit être mis en place pour l’enfant dont le développement et la sécurité sont considérés comme compromis.
Les délais varient selon l’âge de l’enfant : un an si l’enfant a moins de deux ans, un an et demi si l’enfant est âgé de deux à cinq ans, deux ans si l’enfant est âgé de six ans et plus.
La notion de projet de vie permanent n’implique pas obligatoirement le retrait de l’enfant. Elle recouvre plusieurs alternatives : la réintégration familiale, le placement au sein de la famille élargie, le placement chez un tiers significatif, le placement en banque mixte, le placement permanent en famille d’accueil, la tutelle ou l’adoption.
Dans l’objectif de définir de façon globale et cohérente un projet de vie pour l’enfant, le législateur a instauré dans le cadre de la loi du 5 mars 2007 précitée le projet pour l’enfant (PPE).
Son rôle est détaillé à l’article L. 223-1-1 du code de l’action sociale et des familles. Établi pour chaque mineur bénéficiant d’une prestation d’aide sociale à l’enfance ou d’une mesure de protection judiciaire, il doit garantir le développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social de l’enfant tout au long de son parcours. Il détermine la nature et les objectifs des interventions menées et prend en compte les relations fraternelles. Le bilan de santé est intégré au projet de l’enfant. Le président du conseil départemental est garant du projet pour l’enfant, qui doit être établi en concertation avec les titulaires de l’autorité parentale et, le cas échéant, avec le tiers digne de confiance ainsi qu’avec toute personne physique ou morale qui s’implique auprès du mineur. Le mineur est associé à l’établissement de son projet, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité.
Plus de quinze ans après son instauration dans la loi, le PPE reste peu appliqué. Sa mise en œuvre est très disparate en fonction des territoires. De l’avis général, les départements et les acteurs de terrain ne se sont pas suffisamment emparés de cet outil, souvent considéré comme « un écrit de plus », comme l’indique l’ANDASS dans sa réponse écrite.
Pourtant, lorsqu’il est effectif, son utilité est saluée, tant pour l’intérêt de l’enfant que pour celui des familles et de l’ensemble des personnes susceptibles d’avoir une place dans la vie de l’enfant. Pour Mme Gaëlle Le Dins, dont les enfants ont été placés et entendue dans le cadre de l’audition d’ATD Quart Monde, le PPE « permet aux parents de gagner en confiance, notamment dans leurs échanges avec les professionnels. Il permet de construire une relation plus équilibrée entre parents et professionnels, de mieux prendre en compte l’environnement familial, de se mettre d’accord ou, au moins, de mieux se comprendre ([612]). »
La loi Taquet a complété l’article L. 223-1-1 du CASF précité afin de confier au GIP France Enfance protégée la mission d’élaborer un référentiel commun pour la mise en œuvre du PPE. Ce référentiel n’a pour l’heure pas vu le jour. Selon les informations données par la DGCS, des travaux en ce sens seraient toutefois en cours de préparation, en lien avec la fédération nationale des centres régionaux d’études, d’action et d’information.
De nombreuses voix s’élèvent pour demander la pleine application du PPE. Le CESE préconise dans son rapport de conditionner à son effectivité l’accès aux financements attribués dans le cadre de la contractualisation avec l’État. Dans le cadre de son audition par la commission d’enquête, l’ancien ministre M. Adrien Taquet a considéré qu’il s’agissait là d’une solution adéquate. La Défenseure des droits recommande quant à elle d’établir une fiche-outil, afin de permettre une meilleure appropriation du PPE par les travailleurs sociaux. La rapporteure fait sienne ces différentes propositions.
Recommandation n° 68 : Garantir sans délai la généralisation des PPE à tous les enfants en en faisant une condition préalable à l’obtention des financements pouvant être obtenus dans le cadre de la contractualisation. Établir un référentiel facilement appropriable par les travailleurs sociaux pour s’assurer de sa bonne mise en œuvre.
3. Faire évoluer le statut de l’enfant
La question du statut de l’enfant et de son évolution est particulièrement sensible. En effet, la recherche d’une solution permanente pour l’enfant, pouvant aller jusqu’à l’adoption, se heurte directement à l’enjeu du maintien du lien avec la famille biologique. La protection de l’enfance est sans cesse confrontée à cette tension, qui rend les décisions très délicates et implique une analyse au cas par cas, sans jamais perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant.
Si la loi du 14 mars 2016 a permis de premières avancées, le système reste profondément dysfonctionnel. Le problème avait déjà bien été identifié dans le cadre du rapport précité d’Adeline Gouttenoire en 2014 ([613]). Celui‑ci indiquait : « Un certain nombre d’enfants font l’objet d’un placement sur une longue durée dans le cadre de l’assistance éducative et dans un certain nombre de cas non négligeables des enfants sont placés durant toute leur minorité. Une telle situation paraît peu opportune car le statut de l’enfant en assistance éducative est empreint d’insécurité. » La rapporteure note que ce constat reste pleinement d’actualité, comme le montrent les propos de Mme Alice Grunenwald (AFMJF) : « Si nous ne pouvons plus travailler sur la parentalité, nous sortons du cadre du juge des enfants, ce qui signifie qu’à un moment donné, il faut stabiliser la situation autrement, par une adaptation du statut. Le temps du juge des enfants se situe entre les mesures administratives actuelles, le retour de l’enfant dans sa famille, la fin de la procédure et l’adaptation du statut. Cependant, pour une grande majorité des enfants relevant de la protection de l’enfance, le temps du juge des enfants ne s’achève pas. Nous ne parvenons ni à clore la procédure, ni à adapter le statut. Par conséquent, une réflexion collective s’impose sur ce sujet ([614]). »
Les outils juridiques visant à adapter le statut de l’enfant existent mais sont peu mobilisés. Le législateur a cherché à développer de nouvelles solutions en la matière, notamment dans le cadre de la loi du 14 mars 2016, mais sans grand succès au stade de leur application. La rapporteure considère que de nouvelles évolutions en la matière sont souhaitables.
Retrait, délaissement, délégation de l’autorité parentale – éléments de définition
Le retrait de l’autorité parentale peut intervenir en cas de mise en danger ou désintérêt envers l’enfant, ou en cas de condamnation pour crime et délit d’une particulière gravité, dans les conditions prévues aux articles 378 à 381 du code civil et 228-1 du code pénal. Le tribunal peut retirer l’autorité parentale aux parents mettant manifestement en danger la sécurité, la santé ou la moralité des enfants. Le retrait de l’autorité parentale est aussi possible en cas de désintérêt envers l’enfant dans le cadre d’une assistante éducative. Pour cela, il faut que les parents se soient volontairement abstenus pendant plus de deux ans d’exercer leurs droits et devoirs, malgré la mesure d’assistance. Lorsque le retrait de l’autorité est total, le parent n’a plus de droit ni de responsabilité sur l’enfant. Si le retrait de l’autorité parentale concerne les deux parents, l’enfant devient adoptable par adoption plénière. Le retrait de l’autorité parentale peut également être partiel. À noter également que le juge peut décider d’un retrait de l’exercice de l’autorité parentale, sans retirer l’autorité parentale.
Le délaissement parental est une procédure introduite par la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, en substitution à la procédure d’abandon. Comme le prévoit l’article 381-1 du code civil, « un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés par quelque cause que ce soit ». Le mineur est adoptable si le jugement a prononcé le délaissement à l’égard des deux parents ou si l’autre parent a perdu ses droits relatifs à l’autorité parentale et a consenti à l’adoption.
La délégation de l’autorité parentale forcée peut être imposée aux parents pour protéger l’enfant dans sa sécurité, santé et sa moralité. Elle peut être totale ou partielle. Une délégation totale permet au tiers délégataire de prendre toutes les décisions pour l’enfant, pour les actes usuels ou non usuels. Le droit de consentir à l’adoption ne peut pas être délégué (articles 376 à 377-3 du code civil).
La récente loi du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales a introduit plusieurs modifications, notamment pour garantir le retrait total de l’autorité parentale en cas d’inceste ou de crime et suspendre automatiquement l’exercice de l’autorité parentale au parent poursuivi ou mis en examen pour les mêmes raisons.
Un pupille de l’État est un enfant ayant perdu tout lien avec ses parents ou sa famille. Il est confié au département. Il peut faire l’objet d’une adoption. Le statut de pupille de l’État est accordé dans plusieurs cas de figure :
– enfant né de parents inconnus et recueilli par l’ASE depuis plus deux mois ;
– enfant dont le lien de parenté est connu, mais remis à l’ASE pour devenir pupille de l’État ;
– enfant orphelin recueilli par l’ASE depuis plus de deux mois, dont aucun membre de la famille ne se manifeste pour devenir tuteur ;
– enfant confié à l’ASE dont les parents se sont vus retirer totalement l’autorité parentale ;
– enfant pour lequel a été prononcée une décision de délaissement parental.
b. Des évolutions soutenues par le législateur mais peu mises en œuvre
Au cours des dernières années et en particulier dans le cadre de la réforme de la loi du 14 mars 2016, le législateur a cherché à développer des mesures visant à mieux adapter le statut de l’enfant protégé, avec notamment les mesures suivantes :
– la procédure de délaissement parental introduite en droit en 2016, s’est substituée à la procédure de déclaration d’abandon, dans l’objectif de favoriser l’évolution du statut de l’enfant ;
– la loi a également prévu des évolutions visant à faciliter le recours à l’adoption simple, qui diffère de l’adoption plénière en ce qu’elle permet le maintien du lien de filiation biologique ;
– le législateur a également été à l’initiative de la création des commissions d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC). Ces commissions doivent examiner la situation des enfants confiés à l’ASE depuis plus d’un an lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut de l’enfant est inadapté à ses besoins. La commission examine tous les six mois la situation des enfants de moins de trois ans ([615]) (article L. 223-1 du code de l’action sociale et des familles).
Les effets de ces différentes mesures sont restés limités.
La mise en place des commissions d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC) paraît disparate en fonction des départements. Selon Mme Alice Grunenwald (AFMFJ), « les adaptations du statut ont commencé de manière très différenciée selon les départements. Par exemple, la commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC) va seulement commencer ses travaux dans la Loire, huit ans après la création de ce dispositif. D’autres départements l’ont mise en place immédiatement ([616]). » Ce constat est aussi dressé dans le rapport du CESE précité, qui souligne que les CESSEC sont loin d’être généralisées et opérationnelles.
M. Bruno Roy, président de l’Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (ANAMAAF), a regretté devant la commission d’enquête que « les mesures de délaissement parental, prévues par la loi de 2016, tardent encore à s’appliquer » et appelle à leur activation. Il souligne que les acteurs de terrain rencontrent « un nombre croissant de situations où les enfants placés n’ont plus de lien avec leurs parents depuis des années. À cet égard, les pédopsychiatres demandent de tenir compte des cas de dysparentalité, afin de bâtir un projet fiable et durable pour l’enfant, dans son intérêt supérieur ([617]). »
c. Une nouvelle réflexion sur ces questions s’avère nécessaire
Il est aujourd’hui souhaitable de rouvrir le débat sur la question du statut et de son évolution. Cette idée a été formulée par l’ancienne ministre Laurence Rossignol au cours de son audition, qui appelle à « repenser l’adoption et surtout la parentalité de manière à ce que tout le monde ait une place : les parents adoptifs, qui doivent se voir octroyer des droits supérieurs à ceux de l’adoption simple ; la mère biologique, qui ne doit pas être effacée. Autant je ne suis pas pour la sacralisation des liens biologiques, autant je pense qu’il ne faut pas aller vers l’excès inverse comme le fait le système britannique. C’est tout un champ à explorer, qui n’est pas sous le feu des projecteurs parce qu’il est complexe et qu’il ne porte pas directement sur les conditions du placement ([618]). » La rapporteure partage pleinement cette réflexion.
L’ancienne ministre a indiqué au cours de son audition avoir voulu à l’époque « aller beaucoup plus loin […] pour faciliter l’adoption des enfants placés sans effacer les parents biologiques lorsque c’est nécessaire et possible ». Mais elle a, selon ses propos, fait face à des réticences importantes, notamment au ministère de la justice.
La rapporteure en est convaincue, le travail avec la famille biologique est un impératif et il doit être très considérablement intensifié. Mais lorsque ce travail n’est pas fructueux, il convient de rechercher des solutions durables pour l’enfant. Grandir en institution n’est pas une solution acceptable du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant. La recherche de solutions durables peut impliquer des solutions d’adoption. C’est pourquoi il faut poursuivre la réflexion sur ces questions, notamment dans le cadre de l’adoption simple qui permet le maintien du lien de filiation biologique. La rapporteure considère que, sur ces sujets, le modèle québécois, qui prévoit un véritable projet permanent pour l’enfant (voir plus haut), doit inspirer nos politiques publiques.
Recommandation n° 69 : Engager une réflexion pour instaurer une durée maximale des placements en fonction de l’âge de l’enfant, au-delà de laquelle une solution durable doit obligatoirement être trouvée.
VI. la santé, le handicap, l’éducation : décloisonner les politiques publiques pour répondre aux besoins des enfants protégés
L’accompagnement global des enfants relevant de la protection de l’enfance doit être revu autour de trois priorités : garantir le droit à la santé, repenser la prise en charge des enfants de la protection de l’enfance qui sont en situation de handicap – en « double vulnérabilité » selon l’expression consacrée – et mieux accompagner les enfants dans leur scolarité.
Dans ce contexte, il est essentiel de décloisonner les secteurs et que l’État prenne pleinement les responsabilités qui sont les siennes, qu’il s’agisse de la santé, du handicap, mais également de l’éducation nationale.
A. REPENSER L’ACCOMPAGNEMENT EN SANTé mentale et physique des enfants
La prise en charge des besoins spécifiques des enfants de la protection de l’enfance est aujourd’hui profondément inadaptée.
Cette situation est le reflet des défaillances de la protection de l’enfance pour prendre en charge les « cas complexes » et les enfants en « double vulnérabilité ». Cette défaillance est aussi celle de l’État à travers les difficultés des politiques publiques connexes. Ainsi, les tensions sur l’offre médicale et paramédicale affectent au premier chef les enfants de l’ASE, particulièrement touchés par les difficultés de la protection maternelle et infantile et de la pédopsychiatrie mais également par l’insuffisance de la formation des professionnels de santé aux traumatismes complexes, et enfin par un accès quasiment impossible au soin psychologique faute de prise en charge par la sécurité sociale. Le handicap, qui concerne au moins un quart des enfants pris en charge au titre de l’ASE, fait également l’objet d’une prise en charge inadaptée. Contraire aux droits de l’enfant, cette situation nourrit la crise du système et participe à l’épuisement des familles et des professionnels. Elle représente un coût financier significatif pour les départements qui, faute de solutions appropriées, recourent à l’intérim et peuvent engager des dépenses considérables.
Les départements ne peuvent répondre seuls à ces problématiques qui nécessitent l’intervention de politiques publiques relevant de la compétence de l’État et de la sécurité sociale. Se trouvent mis en lumière les insuffisances graves de l’action de l’État ainsi que les effets délétères d’un système cloisonné, qui repose sur une dichotomie entre la prise en charge sociale et la prise en charge sanitaire.
Des évolutions sont aujourd’hui indispensables pour répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant en matière de santé ([619]) et assurer une prise en charge adaptée, ce qui doit passer par un changement de paradigme et la promotion d’une approche pluridisciplinaire sur un temps long.
1. Le suivi de la santé des enfants relevant de la protection de l’enfance est très insuffisant
Malgré un cadre juridique en principe exigeant, le suivi de la santé des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance est lacunaire. Cela est d’autant plus préoccupant que, comme l’a montré la première partie du présent rapport, les problèmes de santé mentale et physique sont décuplés chez ces derniers.
Avec la loi du 14 mars 2016 précitée, le législateur a instauré une évaluation médicale et psychologique (article L. 223‑1‑1 du code de l’action sociale et des familles). Cette évaluation est devenue un bilan de santé et de prévention, rendu obligatoire par l’article 49 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 puis précisé dans son contenu par la loi Taquet. Pris en charge par l’assurance maladie, ce bilan repose sur un diagnostic de santé physique et mentale dès l’entrée du mineur dans le dispositif de la protection de l’enfance, dans l’objectif d’engager un suivi médical régulier et coordonné.
Si certains établissements se distinguent par de bonnes pratiques, le bilan de santé est très loin d’être généralisé, comme l’illustre le témoignage de Mme Anne‑Solène Taillardat (Comité de vigilance des enfants placés) : « Dans la structure où j’exerçais, nous avions instauré un bilan de santé systématique à l’arrivée des enfants, incluant des consultations avec un médecin généraliste, un ophtalmologue, un dentiste, et, pour une bonne moitié des enfants accueillis, un bilan orthophonique. Cette démarche nous faisait passer pour des extraterrestres dans le département. Pourtant, cela devrait être la norme pour tous les enfants ([620]). » En 2019, selon le Défenseur des droits, seuls 44 % des conseils départementaux l’avaient mis en œuvre et 28 % seulement l’avaient rendu systématique. Une recherche sur la santé des enfants placés commandée par le Défenseur des droits en mars 2016 montrait également que seul un tiers des enfants placés faisaient l’objet d’un bilan de santé à leur admission et que moins de 10 % des enfants bénéficiaient d’un réel suivi de leur santé ([621]).
L’absence de mise en œuvre du bilan de santé résulte des tensions plus générales sur l’offre, du manque de formation des professionnels de santé aux traumatismes complexes ainsi qu’à leurs conséquences, de l’absence de structures adaptées pour assurer un suivi somatique et psychique suffisamment long pour permettre à ces enfants d’aller mieux. Le manque d’éducateurs et l’éparpillement des consultations, visites, rendez-vous sur une semaine pour chaque enfant au sein des structures rend difficile l’observance des rendez‑vous médicaux. L’absence de médecins référents ou d’équipes médicales référentes pour les enfants complique le recueil des informations sur les antécédents médicaux des enfants, qu’illustre l’absence courante de carnets de santé, comme cela a été soulevé au cours des auditions. La lenteur, dans certains départements, de l’inscription des enfants à une complémentaire santé pénalise également l’accès aux soins.
La rapporteure ne peut que redire la nécessité absolue de généraliser le bilan de santé somatique et psychique, en principe obligatoire depuis près de dix ans.
b. Une prise en charge de la santé mentale des enfants particulièrement lacunaire
Il faut commencer par rappeler une évidence : un enfant faisant l’objet d’une prise en charge dans le cadre de la protection de l’enfance a besoin d’un suivi de sa santé somatique mais aussi d’un suivi psychologique et, dans un certain nombre de cas, d’un suivi psychiatrique. Comme l’a rappelé l’ONPE dans son rapport annuel de 2022 consacré à la santé des enfants protégés, « une partie [des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance] sont concernés par des psycho‑traumas complexes, liés à une exposition répétée et durable à des maltraitances. Les enfants protégés ont donc, pour certains, des besoins très élevés qui nécessitent un accompagnement spécifique ou encore de soins psychiques renforcés ([622]). »
Pourtant, cette prise en charge est très loin d’être généralisée. Là encore, les données manquent, mais une étude citée par l’ONPE ([623]) portant sur une cohorte d’enfants placés chez des assistants familiaux indique que près de 40 % d’entre eux n’ont jamais bénéficié d’un suivi psychologique ou psychiatrique. Dans le même temps, les professionnels indiquent accueillir des enfants dont l’état de santé mentale est de plus en plus préoccupant.
Cette situation résulte des graves difficultés de la pédopsychiatrie (fermeture de lits, pénurie de pédopsychiatres, etc.) et du manque de structures adaptées. Les délais d’attente pour obtenir un premier rendez‑vous dans un centre médico-psychologique (CMP) ou dans un centre médico‑psycho-pédagogique (CMPP) se situent entre douze et vingt-quatre mois en moyenne. Ces délais empêchent une intervention suffisamment en amont et aboutissent en conséquence à des hospitalisations en urgence. Cette analyse est largement confirmée sur le terrain, comme le montre le témoignage de Mme Anne-Solène Taillardat (Comité de vigilance des enfants placés) : « Ayant travaillé en Seine-Saint-Denis pendant onze ans, j’ai constaté que la pédopsychiatrie y est totalement ravagée. Même lorsque nous souhaitions mettre en place un suivi pour un enfant, nous étions confrontés à des listes d’attente de neuf à dix-huit mois pour des enfants déjà en grande détresse. Si nous demandions une intervention que nous estimions urgente, on nous répondait qu’il fallait qu’il y ait un passage à l’acte ([624]). » Selon un rapport de la Cour des comptes de mars 2023, les enfants faisant l’objet d’une mesure ASE représentent jusqu’à la moitié des adolescents hospitalisés à temps complet en particulier pour des troubles du comportement et des syndromes dépressifs ([625]).
En l’absence d’une prise en charge adaptée, certains acteurs auditionnés par la commission d’enquête dénoncent des pratiques particulièrement inquiétantes en matière de surmédication. Le réseau d’entraide « Repairs » rapporte ainsi de « multiples témoignages de surmédicalisation d’enfants, souvent “shootés” ([626]) ». Dans son rapport de 2022 sur la santé des enfants protégés, l’ONPE soulevait cette difficulté ([627]). Pour la professeure Marie-Rose Moro, entendue par la commission d’enquête, la pratique n’est pas généralisée mais bien réelle : « Des problèmes de surmédication peuvent effectivement exister par souci d’économie […] Les soins pédopsychiatriques sont complexes et le médicament peut parfois être utilisé comme une sorte de petite camisole. » Face à cela, il faut réaffirmer ce qui devrait aller de soi : la surmédication d’enfants est une pratique inacceptable, qui témoigne de l’incapacité à prendre en charge correctement les enfants concernés. Cette surmédication a par ailleurs des conséquences dramatiques sur le développement cognitif des enfants et obère leur capacité d’apprentissage à court, moyen et long terme.
Une réflexion de fond doit être menée pour améliorer l’offre des soins à destination des enfants protégés, dans une approche pluridisciplinaire et coordonnée. En ce sens, il convient en particulier de s’assurer de la mise en place de parcours de soins somatiques et psychiques coordonnés et de développer l’installation des centres d’appui à l’enfance sur l’ensemble du territoire.
a. Mettre en place des parcours de soins coordonnés et gradués
Sur le fondement de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018, qui ouvre la possibilité d’expérimenter de nouvelles organisations de santé, les programmes PEGASE et Santé protégée ([628]), tous deux à destination des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance, ont été autorisés par arrêté. Ces deux expérimentations ont pour objectif la réalisation de bilans de santé standardisés ainsi que la coordination de parcours de soins faisant intervenir médecine de ville et médecine hospitalière, grâce à la mise en place d’une enveloppe forfaitaire par enfant pour financer les soins nécessaires au niveau somatique et psychique, notamment grâce au remboursement des frais paramédicaux.
Santé protégée et PEGASE – Deux expérimentations conduites pour améliorer
la coordination du parcours des enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance
Dispositif expérimental initié en 2019 par l’unité d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger (UAPED) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes en partenariat avec la DGCS, « Santé protégée » a été déployé dans quatre départements (Loire-Atlantique, Haute-Vienne, Seine-Saint-Denis et Pyrénées-Atlantiques). Il propose un parcours de soins coordonné pendant une durée de quatre ou cinq ans pour des enfants et adolescents de l’ASE ou de la PJJ. Près de 8 000 mineurs en ont bénéficié.
Santé protégée repose sur deux piliers : une structure de coordination propre à chaque département et la création d’un forfait annuel de soins par enfant. L’enfant fait l’objet d’un bilan de santé personnalisé à l’entrée dans le dispositif et renouvelé annuellement. La structure de coordination permet de mobiliser l’ensemble des professionnels participant au dispositif, qui bénéficient d’une formation. Santé protégée permet également la prise en charge financière de soins habituellement non remboursés, en psychologie, psychomotricité ou ergothérapie. L’expérimentation a mis en lumière des besoins importants de prise en charge en soins somatiques : dentaire, ophtalmologie, ORL et orthophonie, vaccinations.
Le programme PEGASE déploie un protocole de santé standardisé pour les enfants relevant de l’ASE jusqu’à cinq ans. Environ 700 enfants ont été inclus dans le dispositif expérimental. Un bilan de santé initial standardisé est mis en œuvre, suivi de vingt bilans de santé réguliers. Cette méthode permet de dépister les retards de développement et de réajuster les prises en charge. Un plan de soin est proposé pour chaque enfant. Un des leviers proposés par le programme consiste à faire bénéficier les enfants d’un dossier médico-social informatisé assurant aussi la traçabilité des soins et du parcours social.
Les deux dispositifs sont financés via un financement dérogatoire et des forfaits. Pour PEGASE, un premier forfait pour les bilans médicaux et psychologiques est de 636 euros par enfant et par an. Un deuxième forfait de 630 euros peut être utilisé pour des interventions complémentaires à celles déjà délivrées par les pouponnières dans le cadre des soins courants. Dans le cadre de Santé protégée, le forfait est de 430 euros par enfant et par an.
Ces programmes ont pour objectif de constituer un maillage de professionnels compétents et de favoriser la coordination entre professionnels. Ils ont également pour objectif d’améliorer la production de données pour mieux identifier les besoins en santé des enfants.
L’avis du Comité technique d’innovation en santé (CTIS) et du Conseil stratégique en santé (CSIS) concernant le dispositif Santé protégée montre que :
« L’organisation de la coordination des parcours des enfants et adolescents relevant de l’aide sociale à l’enfance telle que testée permet de créer une collaboration effective entre les services de l’aide sociale et les acteurs sanitaires d’un territoire facilitant l’accès au bilan de santé physique et psychique annuel prévu par la loi. L’inclusion dans le dispositif conduit à des prises en charge des mineurs davantage centrées sur des soins courants (médecine générale ou pédiatrique, ORL, orthophonie) et à réduire les prises en charges hospitalières représentatives de situations cliniques dégradées (baisse des hospitalisations avec passage aux urgences) avec une économie des consommations de soins. »
L’avis signale également que « dans la perspective d’une généralisation, une structure responsable de la coordination de parcours de soins sera à identifier par territoire et interviendra d’une part, en appui aux professionnels qui accompagnent le jeune au quotidien (éducateurs, assistants familiaux, etc.) et au médecin référent en protection de l’enfance du département, et d’autre part, aux médecins, professionnels de santé afin de lever les défis persistants de la mise en œuvre du dispositif. »
Concernant le dispositif PEGASE, l’avis du Comité technique d’innovation en santé (CTIS) et du Conseil stratégique en santé (CSIS) identifie comme facteurs clés de succès « l’implication/participation des différents partenaires départementaux en soutien de l’action de la pouponnière (pour constituer une organisation socle), le cadre national structurant porté par l’équipe de coordination nationale, le financement d’un temps de coordination dédié et identifié (les coordinatrices locales), un système d’information structurant comportant des bilans protocolisés selon les âges abordés dans un fonctionnement de routine, les outils simples consensuels (les échelles ASQ), la formation des professionnels, le réseau PEGASE de partenariats et d’échanges entre les pouponnières (communautés), le financement d’un réseau de professionnels de proximité (géographique) pour la réalisation des bilans et des soins précoces. » Ainsi, « l’évaluation de l’expérimentation a montré sa faisabilité, son efficacité […], et apporte des éléments nécessaires à un ajustement pour un passage à l’échelle. La cohérence globale du programme apportée par l’équipe de coordination nationale est un élément important pour accompagner la transformation des organisations et maintenir la qualité des pratiques. »
Le CSIS a donné un avis favorable à la généralisation des expérimentations Santé protégée et PEGASE, assorti de recommandations. Le CSIS préconise la création d’un dispositif unique et gradué selon l’âge des enfants pour la coordination du parcours de soins des enfants protégés et demande, dans un souci de lisibilité et de simplification de l’action des professionnels de santé impliqués dans le suivi de la santé des enfants, de rechercher une cohérence la plus forte possible concernant le contenu des suivis en fonction de l’âge de l’enfant ainsi que concernant les outils mobilisés (examens obligatoires du carnet de santé, repérage des troubles neuro-développementaux, utilisation d’une trame bilan Santé protégée, etc.). Le CSIS précise également qu’en appui de ce dispositif, un système informatique devra être déployé afin de permettre le suivi des enfants de zéro à dix-huit ans, et cela quelle que soit leur modalité de prise en charge.
En conséquence, comme l’a indiqué la DGCS, un travail est conduit au niveau de l’administration pour structurer ces parcours de soins coordonnés, avec un déploiement du dispositif prévu pour le dernier trimestre 2025.
Les acteurs entendus par la commission d’enquête font toutefois part de leurs craintes quant au projet envisagé par le Gouvernement. Mme Anne Devreese, présidente du CNPE s’inquiète : « Bien que l’on nous assure que cette généralisation est prévue, nous soulignons que ses modalités pourraient négliger des aspects essentiels ([629]). »
Le CNPE considère qu’un engagement forfaitaire de 1 500 à 2 000 euros par an et par enfant serait adéquat. La rapporteure souhaite insister sur un point : cette somme doit être considérée comme un investissement. À terme, la prise en charge précoce de la santé des enfants relevant de l’ASE permettrait des économies très significatives, notamment en empêchant les dépenses d’hospitalisation – le coût dans un service de médecine est évalué entre 1 000 à 1 500 euros par jour, soit précisément le montant d’un forfait de soin annuel, comme le rappelle le CNPE ([630]).
L’instauration de parcours de soins coordonnés s’appuyant sur les modèles « Santé protégée » et « PEGASE » et leurs évaluations doit faire l’objet d’une volonté politique claire et affirmée, assortie des moyens adéquats.
Recommandation n° 70 : Instaurer la mise en place de parcours de soins coordonnés et gradués pour assurer la prise en charge de la santé physique et mentale des enfants relevant de la protection de l’enfance, en garantissant un financement forfaitaire d’au moins 1 500 euros par enfant et par an.
La rapporteure tient en outre à souligner que dans le cadre des réflexions sur l’élaboration et la généralisation des parcours de soins coordonnés, la santé mentale doit faire l’objet d’une attention particulière.
Il est essentiel de renforcer les coordinations entre la protection de l’enfance et la pédopsychiatrie. Il convient en ce sens de soutenir les dispositifs de droit commun en appliquant les recommandations résultant des Assises de la pédiatrie sur la santé mentale.
Les séances avec des psychologues, psychomotriciens ou ergothérapeutes exerçant dans le cadre de la médecine de ville doivent être remboursées dans le cadre d’une prise en charge financière par l’assurance maladie. Il s’agit là d’une préconisation déjà formulée par plusieurs acteurs, dont le CNPE ([631]).
Recommandation n° 71 : Permettre le remboursement sans conditions des consultations de psychologues, psychomotriciens et ergothérapeutes de ville pour les enfants faisant l’objet d’une mesure de protection de l’enfance, sans limite d’un nombre prédéfini de consultations annuelles.
La rapporteure souhaite enfin souligner que la prise en charge de la santé mentale des enfants ne peut être efficace que dans le cadre d’une approche globale. Comme le souligne l’ONPE dans le rapport sur la santé des enfants protégés, « répondre aux besoins de soins médicaux et psychiques des enfants doit s’accompagner d’une préoccupation de leur bien-être au quotidien pour prendre en compte leur santé globale ([632]) ». Ce constat rejoint d’ailleurs tout à fait celui établi par le professeur Jean-Marc Baleyte, qui insiste sur le besoin de « diagnostiquer et traiter autant que possible dans le système relationnel de l’enfant, c’est-à-dire ne pas séparer les besoins psychiatriques des besoins sociaux et éducatifs […]. Le soin psychique doit donc être intégré dans un système relationnel cohérent. Il n’y a pas de soins psychiques sans soins sociaux ([633]). »
b. Généraliser les centres d’appui à l’enfance, qui permettent une prise en charge holistique des enfants, adolescents et jeunes majeurs pris en charge en protection de l’enfance
En sus de la construction d’un parcours de soins efficace, il est souhaitable de développer des structures de prises en charge expertes, adaptées aux besoins des enfants dont les difficultés de santé sont les plus marquées, aptes à réaliser de manière exhaustive les bilans de santé somatique et psychique obligatoires à l’admission dans le dispositif de protection de l’enfance et en capacité de former l’ensemble des professionnels au contact des enfants au trauma complexe et à sa prise en charge. Inspiré par des modèles étrangers tels que le Center for Youth Wellness de San Francisco, les centres d’appui à l’enfance canadiens présents dans chaque province, ainsi que le centre Ankerland à Hambourg, le premier centre d’appui à l’enfance va voir le jour à Paris d’ici la fin de l’année 2025, sous l’impulsion de la professeure Céline Greco. Il sera accessible à l’ensemble des enfants relevant de la protection de l’enfance d’Île‑de‑France. La structure propose une « offre de soins somatiques et psychiques pluridisciplinaire, experte, coordonnée et graduée sur un temps suffisamment long pour ne pas aggraver le traumatisme d’une rupture supplémentaire ([634]) ». L’offre proposée par la structure permet de sortir d’une approche purement « psychique » ou uniquement « somatique » en intégrant les conséquences « globales » sur l’enfant et son développement des violences subies dans l’enfance. Elle permet également une approche holistique des enfants, adolescents et jeunes majeurs qui y seront pris en charge en intégrant notamment dans l’offre de prise en charge la prévention secondaire via des ateliers thérapeutiques et pédagogiques autour de la confiance en soi, de l’estime de soi, de la socio-esthétique, de la nutrition, de l’art-thérapie, de la connaissance de son corps, de séances de relaxation, etc., en individuel ou en groupe afin de prévenir la survenue de comportements à risque, particulièrement à l’adolescence.
La structure a également pour mission de former les professionnels de santé en libéral à la spécificité de la prise en charge des enfants et adolescents en protection de l’enfance ainsi qu’aux traumatismes complexes, en collaboration avec le consortium canadien sur les traumas de l’enfant et de l’adolescent.
Elle participera également à la formation et au soutien des travailleurs sociaux qui le souhaitent à la technique A.R.C (attachement, régulation, compétence) et sera chargée de faire le lien avec les lieux de scolarisation des enfants pour proposer un parcours personnalisé d'accompagnement.
Lors de son admission dans le dispositif de protection de l’enfance, l’enfant bénéficie d’un bilan de santé complet réalisé par des pédiatres, pédopsychiatres, psychologues, infirmiers et, si nécessaire, psychomotriciens et orthophonistes. En fonction du diagnostic réalisé et des conclusions de ce bilan, l’enfant se verra intégré dans un parcours de soins coordonné en ville ou au sein du centre sur un temps suffisamment long pour lui permettre de limiter au maximum les séquelles somatiques et psychiques des violences ou négligences ayant conduit à sa prise en charge en protection de l’enfance. La structure a mis en place un logiciel de planification des soins dont l’objectif est de pouvoir concentrer les rendez-vous médicaux des enfants d’une même structure sur la même demi-journée avec les mêmes professionnels référents plutôt que de les éparpiller dans la semaine, ce qui est bénéfique tant pour l’enfant que pour les travailleurs sociaux et l’organisation de la vie quotidienne au sein des maisons d’enfants.
En fonction du bilan de santé à l’admission, l’enfant pourra être orienté vers trois parcours différents :
– une prise en charge que l’on pourrait qualifier de « classique », rendue possible grâce à une meilleure coordination des soins, au plus proche du lieu de placement ;
– une prise en charge renforcée (parcours 2) ou intensive (parcours 3) au sein du centre.
Ce premier centre d’appui à l’enfance bénéficie du soutien de la Ville de Paris, qui a mis à disposition du foncier, de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), de la région Île-de-France, de l’ARS, de la caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) et de la direction générale de l’offre de soins (DGOS). Il devrait pouvoir accueillir 2 000 enfants annuellement.
La rapporteure salue ce projet innovant et plaide pour une généralisation de cette forme de prise en charge, en finançant la création d’un centre d’appui à l’enfance par région. À ces centres régionaux pourraient s’ajouter des centres départementaux, pour garantir sur l’ensemble du territoire régional l’accès aux soins proposés. À défaut, des équipes mobiles rattachées au centre d’appui régional pourraient constituer une solution intéressante, comme cela est prévu dans le cadre du centre d’appui à l’enfance d’Île‑de-France. Enfin, un maillage territorial de proximité pourrait être assuré, sous des modalités restant à déterminer, par les UAPED sous réserve d’une meilleure dotation de ces unités déjà existantes. En effet, des liens de collaboration forts pourraient se tisser entre les centres d'appui et les UAPED : les centres d’appui régionaux produiraient les bilans diagnostics et détermineraient les parcours des enfants avec une prise en charge en ville pour le niveau 1, un relais pour le niveau 2 au sein des UAPED et une prise en charge au sein des centres d’appui pour le niveau 3.
Recommandation n° 72 : Garantir et financer à l’horizon 2030 la création d’un centre d’appui à l’enfance par région. Garantir et financer dès 2026 la création de trois nouveaux centres d’appui à l’enfance.
B. Un accompagnement du handicap structurellement inadapté
Bien que les chiffres en la matière manquent pour objectiver précisément le constat ([635]), les études existantes montrent qu’entre un quart et un tiers des enfants protégés se trouvent en situation de handicap. Les handicaps psychiques, mentaux et cognitifs sont largement prédominants. Leur repérage et leur prise en charge sont aujourd’hui profondément inadéquats.
Auditionnée par la commission d’enquête, Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice d’une MECS relevant des Apprentis d’Auteuil, a délivré un témoignage particulièrement révélateur : « J’avais réalisé une petite statistique parmi les premiers enfants accueillis. Je comptais deux enfants avec des notifications pour un institut médico-éducatif (IME) ou un institut médico‑professionnel (IMPRO) sans place disponible, trois notifications pour des unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), un pour un institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (ITEP), trois pour des établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA), deux nécessitant des ateliers en établissement ou service d’aide par le travail (ESAT), un pour un institut d’éducation motrice (IEM). Pour très peu d’entre eux, j’ai pu mettre en œuvre ce à quoi ils avaient droit, selon la notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Il faut également mentionner la pénurie d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). Finalement, nous nous retrouvons dans les établissements à essayer de pallier ces manques, mais il y a des domaines, notamment les soins psychiatriques, pour lesquels je ne peux pas demander à un éducateur d’intervenir ([636]). »
Face à ce constat, il est nécessaire de repenser globalement les solutions à apporter.
1. Une prise en charge globalement inadéquate
Les politiques publiques conduites en matière d’inclusivité ont conduit à réduire l’accueil en internat dans les instituts médico-éducatifs (IME) ainsi que dans les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP). La rapporteure ne conteste pas cette orientation en tant que telle, cohérente avec le virage vers l’inclusivité qui est essentiel du point de vue des politiques publiques du handicap. Mais, dans le même temps, aucune solution alternative n’a été développée pour que ces enfants puissent être correctement accompagnés par la protection de l’enfance, ce qui aboutit à une situation catastrophique.
Les instituts médico-éducatifs (IME)
et les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP)
Les instituts médico-éducatifs accueillent des enfants et adolescents âgés de 3 à 20 ans présentant une déficience intellectuelle. Ils dispensent des soins et une éducation adaptée. Les cours peuvent avoir lieu dans l’établissement médico-social ou dans un établissement scolaire proche. La prise en charge peut se décliner en internat, en semi-internat ou en temps partagé avec le milieu ordinaire.
Les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques accueillent des enfants et adolescents dont les troubles du comportement perturbent gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages. L’enseignement peut avoir lieu au sein de l’établissement ou en intégration au sein de classes dans un établissement scolaire. La prise en charge peut se décliner en internat, en semi-internat ou en temps partagé La particularité des ITEP est de proposer à la fois un accueil de jour, des services de soins et des enseignements.
Source : site internet gouvernemental « Mon parcours handicap ».
En conséquence, de très nombreux acteurs entendus par la commission d’enquête se plaignent de la réduction des possibilités d’accueil en IME et en ITEP et des répercussions que cela entraîne sur l’aide sociale à l’enfance. En outre, il semble que les enfants de l’ASE ne soient pas prioritaires pour accéder aux IME et aux ITEP, étant considéré qu’ils bénéficient « déjà » d’une prise en charge au titre de la protection de l’enfance. Mme Kim Reuflet (Syndicat de la magistrature) signale ainsi : « Pour les enfants devant être accueillis en IME, les familles constatent que l’étiquette “protection de l’enfance” nuit à leur accès. Il y a cette idée que, parce qu’un enfant est en protection de l’enfance, il est déjà pris en charge et donc passera après les autres. Je n’affirme pas qu’il doive passer avant les autres, mais cela mérite discussion. En tout cas, il est clair qu’un enfant ne peut pas rester indéfiniment en attente sous prétexte qu’il est mineur à l’ASE ([637]). »
L’absence de familles d’accueil thérapeutique contribue à l’inadaptation de la prise en charge, alors qu’il s’agit d’un modèle qui peut être particulièrement pertinent pour prendre en compte les besoins particuliers des enfants en situation de handicap psychique dans un cadre familial formé et au sein d’une équipe pluridisciplinaire de soutien.
Faute de solutions adaptées, la prise en charge des enfants en situation de handicap se traduit concrètement de plusieurs façons. L’enfant peut être accueilli dans un établissement collectif de l’ASE, avec des difficultés importantes d’accompagnement qui pèsent sur les équipes et l’ensemble de la structure. En cas de parcours très difficile, les enfants concernés deviennent alors des « cas complexes » et sont ballottés entre différentes solutions de prises en charge et d’accueil, sans qu’une solution stable ne soit trouvée, ce qui souvent aggrave leurs troubles. Ils peuvent parfois faire l’objet d’une prise en charge « un pour un », ce qui signifie que le département met à disposition un professionnel qui sera en charge de son seul accompagnement. Cette solution est très coûteuse et souvent inadaptée, car le professionnel chargé de la prise en charge n’est pas un spécialiste de l’accompagnement d’enfant en situation de double vulnérabilité, d’autant qu’il semble que ces missions soient souvent effectuées par des intérimaires peu qualifiés.
Enfin, une autre solution mise en œuvre consiste à envoyer l’enfant en Belgique, ce qui ne va pas sans poser de nombreuses questions, tant du point de vue du contrôle que de celui de la recherche du maintien du lien familial, lorsqu’il est possible.
2. Des enfants envoyés en Belgique faute de solutions adaptées en France
a. Un phénomène méconnu et mal renseigné
L’envoi d’enfants relevant de l’ASE en Belgique s’inscrit dans la problématique plus large de l’accueil en Wallonie de Français en situation de handicap, qui a fait l’objet d’un récent rapport de la Cour des comptes aux conclusions critiques ([638]). La rapporteure a pu prendre la mesure de ce phénomène, qui traduit en creux les carences du système français, au cours du déplacement de la commission d’enquête en Wallonie au mois de janvier 2024 ([639]).
L’accueil des Français en situation de handicap en Wallonie :
un phénomène ancien et critiqué dans un récent rapport de la Cour des comptes
L’accueil des personnes en situation de handicap en Wallonie est un phénomène ancien qui s’est développé tout au long du XXe siècle. Comme le résume la Cour des comptes : « Conforté par la proximité géographique et linguistique, le développement continu de l’offre d’accueil wallonne s’explique par un cadre juridique longtemps moins contraignant que celui applicable aux opérateurs français, par une politique, répandue dans toute l’Europe, de fermeture des lits psychiatriques et par la qualité de l’accompagnement proposé. » Ce phénomène a crû régulièrement et concerne aujourd’hui un peu moins de 8 200 Français, dont environ 7 000 adultes et 1 200 enfants, adolescents et jeunes adultes, selon les données déclarées par les établissements. Son coût pour les finances publiques françaises est évalué par la Cour à 0,5 milliard d’euros par an.
Cet accueil s’inscrit dans le cadre d’un accord-cadre conclu le 21 décembre 2011 entre les autorités françaises et wallonnes. Cet accord permet des inspections communes des autorités françaises et wallonnes. Il a également permis la mise en place d’un encadrement conventionnel qui a d’abord concerné, à partir de 2015, vingt-cinq établissements wallons accueillant des enfants, adolescents et jeunes adultes en situation de handicap, représentant 1 500 places, avant d’être étendu aux adultes. Un plan de prévention des départs non souhaités vers la Belgique a ensuite été formalisé en janvier 2016.
Il faut noter toutefois que selon l’analyse fournir par l’ARS des Hauts-de-France, cet accord-cadre concerne uniquement les personnes en situation de handicap reconnues par la MDPH. Dès lors, un certain nombre d’enfants de l’ASE accueillis en Belgique mais ne bénéficiant pas d’une reconnaissance de handicap n’entrent pas dans ce cadre.
Dans son rapport, la Cour appelle « les autorités françaises à une plus grande vigilance sur la qualité et la sécurité de la prise en charge de ces résidents, qui doivent être comparables à celles qu’elles attendent des établissements placés sous leur tutelle directe. En l’état, cette condition n’est pas partout garantie. »
Parmi les enfants qui séjournent en Belgique, un certain nombre relèvent de l’ASE. Deux cas de figure se présentent :
– les enfants confiés à l’ASE qui bénéficient d’une orientation de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Pour la Cour des comptes, leur séjour devrait normalement être pris en charge par l’assurance maladie, ce qui n’est pas le cas ;
– des enfants confiés à l’ASE qui ne bénéficient pas d’une orientation de la MDPH, parce qu’ils ne sont pas, ou pas encore, reconnus en situation de handicap. Ces derniers sont accueillis dans les mêmes établissements que les enfants faisant l’objet d’une orientation MDPH – ce qui peut soulever des interrogations – dans le cadre de conventions passées avec les conseils départementaux. Leur séjour est financé par le département et n’entre pas dans le cadre de l’accord‑cadre de 2011 (voir l’encadré ci-dessus).
Selon l’ARS, fin 2023, 426 enfants en « double vulnérabilité » étaient accueillis en Wallonie ([640]) . Ce chiffre est relativement stable depuis quelques années. Il ne prend pas en considération les jeunes accueillis et financés dans le cadre de conventions propres aux conseils départementaux.
Cette pratique consistant à envoyer certains enfants de l’ASE en Belgique n’est pas limitée aux départements transfrontaliers. Si la majorité des enfants accueillis dans ce cadre sont des enfants relevant du département du Nord, plusieurs départements d’autres régions, notamment l’Île-de-France, l’Auvergne Rhône‑Alpes et la Bourgogne Franche-Comté, recourent à ce type de solution.
À la lecture du rapport de la Cour des comptes, un premier point est remarquable : aujourd’hui, le nombre total d’enfants relevant de l’ASE accueillis en Belgique n’est pas connu. Aux yeux de la rapporteure, il est inadmissible que les pouvoirs publics ne soient pas en mesure de chiffrer précisément l’ampleur de ce phénomène. Elle rejoint ici les recommandations de la Cour des comptes, qui appelle au recensement du nombre total d’enfants de l’ASE concernés, qu’ils soient accueillis ou non au titre d’un handicap reconnu par la MDPH. L’ARS des Hauts‑de-France indique pouvoir effectuer un tel recensement, mais uniquement sous réserve de la collaboration des conseils départementaux orienteurs et financeurs. L’ARS suggère dans cet objectif l’identification d’un conseil départemental pivot qui assurerait le suivi de ces orientations et serait l’interlocuteur unique de l’ARS pour ce travail. La rapporteure estime essentiel d’agir rapidement en ce sens.
Recommandation n° 73 : Assurer le recensement de l’ensemble des enfants relevant de l’ASE accueillis dans des structures belges. À moyen terme, mettre fin à cette pratique en développant l’offre nécessaire sur le territoire français.
b. Une pratique qui révèle en creux les manques de l’offre française et qui soulève de nombreuses interrogations
Cette pratique appelle plusieurs observations de la rapporteure :
– l’envoi par de nombreux départements d’enfants relevant de l’ASE dans des structures belges est un marqueur important des lacunes de l’offre française. Le modèle belge se caractérise dans l’ensemble par une offre pluridisciplinaire, souvent mieux adaptée à la prise en charge d’enfants présentant des troubles du neuro‑développement, comme la rapporteure a pu le constater au cours du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête. Dans le cadre d’échanges avec les médecins, infirmiers et éducateurs rencontrés sur place, la rapporteure a été particulièrement marquée par des exemples d’enfants arrivant de France surmédicamentés. Ainsi des exemples ont été cités d’enfants arrivant avec des ordonnances de plusieurs pages, qui, après quelques mois passés en Belgique dans le cadre d’un suivi assuré par une équipe pluridisciplinaire, ont pu voir leurs doses médicamenteuses réduites voire supprimées. La rapporteure note ici que les méthodes mises en œuvre en Belgique se rapprochent de celles qu’elle a pu observer an Québec, dans le cadre desquelles la psychoéducation occupe une place centrale. La rapporteure souscrit également à l’analyse de la Cour des comptes, selon laquelle « l’accueil des enfants dans des structures belges découle notamment du fait que très peu d’IME français sont ouverts le week-end, au contraire des établissements wallons qui offrent un accueil 365 jours par an ([641]) » ;
– comme l’ARS des Hauts-de-France l’a confirmé dans sa réponse écrite, certains enfants peuvent être accueillis dans des structures belges privées à but lucratif, dans des proportions certes limitées, puisque cela représenterait quatre places sur les 1 150 conventionnées par l’ARS. Néanmoins, la rapporteure considère que le secteur privé lucratif ne doit pas intervenir en matière de protection de l’enfance et ce type de conventionnement devrait donc être absolument évité ;
– le fait même de confier des enfants à des structures belges pose de nombreuses questions, car les établissements ne sont pas soumis à la même réglementation qu’en France et que ce choix peut impliquer une distance tant avec la famille biologique de l’enfant lorsqu’elle n’est pas contraire à l’intérêt de l’enfant qu’avec le service de l’ASE chargé du suivi.
3. Une prise en charge à repenser entièrement
L’adaptation de l’offre aux besoins spécifiques des enfants en situation de handicap représente un défi central, dans lequel l’État doit prendre toute sa responsabilité. Une nouvelle approche doit être élaborée pour proposer des réponses adaptées aux besoins spécifiques des enfants, en fonction de la gravité du handicap.
La rapporteure constate que les efforts de l’État ne sont en rien au rendez‑vous, ce qui confirme l’impensé des politiques publiques pour accompagner les familles en France. En particulier, la baisse des moyens consacrés aux IME et aux ITEP ne s’est pas traduite par une recherche de solutions alternatives pour accompagner les professionnels et les structures de l’ASE dans la prise en charge de ces enfants. Des crédits ont certes pu être engagés dans le cadre de la contractualisation – 100 millions d’euros de co-financement État du fonds d’intervention régional (FIR) et assurance maladie – et le ministère met en avant la mobilisation du plan « 50 000 solutions » qui vise à apporter 50 000 nouvelles solutions aux enfants et adultes en situation de handicap. Mais l’ampleur des besoins nécessite un plan d’action dédié qui reste pour l’heure impensé. Auditionné par la rapporteure, le directeur général de la cohésion sociale avait indiqué attendre les retours de la mission Haussoulier-Carasco ([642]) sur l’enfance et le handicap pour avancer sur ces questions. Or cette mission a cessé son travail du fait d’une affaire judiciaire concernant M. Haussoulier ([643]) et les travaux afférents n’ont pas repris. Dans le cadre des annonces du dernier comité interministériel pour le handicap (CIH) ([644]), la question de la prise en charge des enfants en « double vulnérabilité » est évoquée brièvement et sans aucune garantie de moyens.
La rapporteure formule plusieurs recommandations :
– il convient de déployer des modalités d’intervention innovantes dans les lieux d’accueil de droit commun, telles que les équipes mobiles de soins, qui doivent faire l’objet d’un financement par les ARS. Celles-ci peuvent intervenir en soutien dans les structures de droit commun de la protection de l’enfance, pour aider à la prise en charge des enfants dont la santé mentale est fragile ou qui sont en situation de double vulnérabilité. Plusieurs acteurs ont fait état d’unités mobiles efficaces, issues de partenariat entre l’aide sociale à l’enfance et les acteurs de la pédopsychiatrie, à l’image de l’unité mobile adolescents mise en œuvre dans le Val‑de-Marne. La rapporteure a également pu constater l’action efficace des équipes mobiles déployées en Seine-Saint-Denis à destination des assistants familiaux ;
– afin que l’État s’engage pleinement et pour favoriser la coordination entre acteurs, il convient de systématiser les conventions ASE, MDPH et ARS et de nommer des référents enfants protégés en situation de handicap au sein de chaque service d’aide sociale à l’enfance et de chaque ARS. Ce binôme de référents serait chargé de recenser les ressources existantes dans le département, les faire connaître aux différents services (publics comme associatifs) accompagnant des enfants et d’animer des temps d’échange ou de formation entre professionnels des différents secteurs ;
– il est souhaitable de développer des lieux d’accueil pluridisciplinaires pour les enfants qui se trouvent à l’intersection de plusieurs politiques publiques qui fonctionnent aujourd’hui en silos. Des appels à projets communs entre ARS et départements sont lancés aujourd’hui et il est essentiel de développer ce type d’initiative ;
– il est nécessaire de garantir l’accès aux établissements médico-sociaux aux enfants de la protection de l’enfance qui en ont besoin, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui comme l’ont mis en évidence les auditions ;
– une réflexion doit également être menée pour développer l’accueil familial thérapeutique, quasiment inexistant en France, comme le préconise la stratégie pour la pédiatrie et la santé de l’enfant, présentée en mai 2024 et issue des Assises de la pédiatrie, ainsi que la décision-cadre de la Défenseure des droits.
La rapporteure tient aussi à formuler une remarque : au vu du taux très important d’enfants de l’ASE qui sont reconnus en situation de handicap, il pourrait être dangereux de vouloir « institutionnaliser » leur prise en charge dans le cadre de structures spécifiques qui leur seraient uniquement dédiées. Cela rend indispensable une réflexion de fond sur la pluridisciplinarité des compétences dans l’ensemble des structures ASE ainsi que sur la formation des professionnels.
Elle rappelle enfin le retard pris par la France sur la question de l’autisme et déplore qu’une partie des enfants porteurs de troubles autistiques ne devrait pas être à l’ASE mais dans des structures adaptées à leurs besoins. Des évolutions sur ce point sont particulièrement indispensables et elles doivent s’inspirer du programme québécois « Agir tôt », évoqué plus haut dans le rapport et des formations gratuites qui y sont proposées ([645]) .
Recommandation n° 74 : Construire un accompagnement adapté pour les enfants de la protection de la protection de l’enfance en situation de handicap :
– systématiser les conventions ASE, MDPH et ARS et nommer des référents enfants protégés en situation de handicap au sein de chaque service d’aide sociale à l’enfance et de chaque ARS ;
– déployer des modalités d’intervention innovantes dans les lieux d’accueil de droit commun (établissements et familles d’accueil), telles que les équipes mobiles de soins, qui doivent faire l’objet d’un financement par les ARS ;
– développer des lieux d’accueil pluridisciplinaires à travers des appels à projets communs entre ARS et départements ;
– garantir l’accès aux établissements médico-sociaux aux enfants de la protection de l’enfance qui en ont besoin ;
– développer l’accueil familial thérapeutique ;
– mieux former les professionnels.
Agir en prévention en :
– développant un programme inspiré du programme québécois Agir tôt, qui cible les enfants de zéro à cinq ans et leurs familles pour détecter précocement les indices de difficultés dans le développement d’un enfant afin d’orienter rapidement sa famille vers les services appropriés ;
– ouvrant des accueils de jour adaptés et des lieux de répit pour les familles d’enfants porteurs de handicap.
C. revoir les modalités d’accompagnement scolaire
L’Éducation nationale doit être pleinement mobilisée dans l’accompagnement des enfants relevant de la protection de l’enfance.
1. Des difficultés scolaires marquées
Quelque 43 % des jeunes relevant de la protection de l’enfance ont redoublé une fois, et 24 % ont redoublé au moins deux fois ([646]). D’après la DREES, seuls 29 % des jeunes de dix-huit ans (donc en âge d’être reçus au baccalauréat) vivant en famille d’accueil ont un diplôme équivalent ou supérieur au bac, contre 60 % des jeunes de l’ensemble de la population du même âge. Selon Mme Isabelle Frechon, 13 % des enfants relevant de la protection de l’enfance ont leur baccalauréat. De l’avis général des personnes auditionnées, les enfants relevant de la protection de l’enfance sont généralement orientés vers des études courtes. La DREES montre ainsi que 26 % des jeunes vivant en famille d’accueil sont titulaires d’un CAP ou d’un BEP, contre 15 % dans la population générale.
Si l’école joue un rôle clé et identifié de longue date en matière de prévention et de repérage, les actions conduites en matière d’accompagnement restent un angle mort.
La scolarité des enfants relevant de la protection de l’enfance peut être troublée pour de multiples raisons. Comme on l’a vu, les troubles du comportement et de l’attention sont surreprésentés chez ces enfants. L’organisation des visites médiatisées ou des rendez-vous médicaux en pleine semaine constitue une problématique supplémentaire. En outre, le maintien du lien de scolarité peut être fragilisé lorsque le placement intervient en cours d’année, et des problèmes de transports scolaires peuvent se poser.
Des cas particulièrement préoccupants de stigmatisation des enfants relevant de la protection de l’enfance ont en outre été signalés par Mme Lucie Tetahiotupa lors de l’audition du département du conseil départemental de Guadeloupe : « Concernant l’Éducation nationale, nous faisons face à des problèmes de stigmatisation des enfants confiés à la protection de l’enfance, qui subissent parfois du harcèlement scolaire, y compris de la part des parents d’élèves. Nous avons connu récemment un cas où certains d’entre eux ont bloqué une école pour demander l’exclusion d’un enfant sous protection de l’enfance. Il arrive que le corps enseignant lui-même nous pose des difficultés. Certains établissements ont tendance à exclure ces enfants et à les renvoyer vers les structures de protection de l’enfance en cas de problème plutôt que de chercher des solutions au sein de l’école. Un professeur a été mis à disposition par l’Éducation nationale dans une maison de l’enfance mais cette solution demeure insuffisante compte tenu de la diversité des âges des enfants accueillis ([647]). » La rapporteure considère que ce type de situation est particulièrement inacceptable, alors que l’école est au cœur du pacte républicain et constitue le creuset où se forment la citoyenneté et le vivre ensemble.
2. Mobiliser pleinement l’Éducation nationale
L’accompagnement scolaire des enfants de la protection de l’enfance reste globalement appréhendé au ministère de l’éducation nationale dans le cadre des dispositifs de droit commun existant pour les élèves en difficulté ou en situation de handicap. En cela, les enfants concernés pâtissent des insuffisances en la matière, illustrées notamment par le manque d’accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH).
Prenant appui sur certaines initiatives académiques réussies, le Gouvernement a en outre souhaité apporter une réponse aux besoins spécifiques des enfants de la protection de l’enfance, dans le cadre d’une feuille de route « Scolarité protégée », annoncée par le gouvernement de Mme Élisabeth Borne au mois de novembre 2023, dans le prolongement du troisième comité interministériel à l’enfance. Cette feuille de route comportait cinq axes :
– le soutien à la réussite scolaire et au projet d’orientation, à travers notamment la systématisation d’entretiens d’orientation pour les jeunes de quinze à dix-sept ans, afin d’éviter des choix par défaut ;
– le renforcement des partenariats entre l’ASE et l’Éducation nationale à travers la nomination de référents dans chaque académie et chaque établissement scolaire, ainsi que dans les établissements de la protection de l’enfance, afin de disposer d’interlocuteurs identifiés en matière de suivi de la scolarité de l’enfant ;
– la simplification du quotidien scolaire des enfants protégés ;
– la garantie de la continuité pédagogique, à travers une adaptation des offres de services en ligne, le raccourcissement des délais d’inscription en cas d’urgence et la mise en place de dispositifs pour les enfants déscolarisés ;
– l’amélioration de l’information et de la formation du personnel scolaire sur le parcours des enfants protégés.
Cette feuille de route est très insuffisamment mise en œuvre, faute d’un pilotage approprié. À l’exception du décret n° 2024-306 du 3 avril 2024 prévoyant l’attribution du statut de boursier aux élèves de terminale confiés à l’ASE, leur permettant de bénéficier d’une bonification sur Parcoursup, aucune autre mesure d’ampleur ne paraît avoir été prise.
Concernant la nomination des référents ASE par académie et par établissement, la DGESCO n’est pas en mesure d’indiquer combien d’académies ont effectivement procédé ces nominations.
Si des dynamiques, qu’il faut saluer, existent dans certains territoires et (notamment à Lille ou dans le Val-de-Marne) et ont été rendues possibles par la signature de conventions réunissant l’ensemble des parties prenantes à l’échelle des territoires, elles sont loin d’être généralisées.
La rapporteure considère qu’il est urgent de mettre en œuvre les différentes mesures prévues dans le cadre de la feuille de route « Scolarité protégée ». Une mobilisation de l’Éducation nationale sur ces sujets est essentielle. La rapporteure appelle l’État à mettre en œuvre sans délai cette feuille de route afin de la rendre effective dans l’ensemble des académies pour la rentrée 2025-2026. Pour cela, des conventions doivent être généralisées dans chaque académie avant l’été 2025. La nomination des référents ASE doit être priorisée. Cette feuille de route pourrait également être utilement complétée par d’autres actions visant à valoriser les réussites scolaires des enfants de l’ASE, à travers l’organisation de fêtes des diplômés.
Recommandation n° 75 : Mettre en œuvre sans délai la feuille de route « Scolarité protégée », en généralisant la signature de conventions à l’échelle des académies et en procédant à la nomination des référents ASE dans chacune des académies et chacun des établissements pour la rentrée scolaire 2025-2026. Développer dans ce cadre la fête des diplômés des enfants de l’ASE pour valoriser toutes les réussites scolaires.
Dans ce cadre, il convient aussi de veiller à la bonne application des dispositions prévues à l’article 5 de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, qui vise à renforcer l’information entre directeurs d’établissements scolaires et autorités concernées pour lutter contre l’absentéisme et le décrochage scolaire. Auditionné par la commission d’enquête, le président de l’Assemblée des départements de France M. François Sauvadet a indiqué avoir demandé à plusieurs reprises et sans succès les chiffres et données relatives à la déscolarisation, afin de pouvoir agir suffisamment en amont en matière de prévention pour la protection de l’enfance. Dans sa réponse écrite à la rapporteure, la DGESCO renvoie vers la compétence des régions et des missions locales. La rapporteure estime qu’il relève des missions de l’Éducation nationale d’avoir une vision précise du décrochage scolaire et des élèves concernés.
Sur un autre plan, il est aussi primordial de réinvestir dans la santé et l’accompagnement social scolaire. Les assistants sociaux, les psychologues et les médecins scolaires peuvent jouer un rôle clé dans le repérage et l’accompagnement des enfants devant être protégés. Le rapport du CESE précité souligne que « l’éducation nationale compte désormais moins de 800 médecins, environ 7 600 infirmières et 3 100 assistantes et assistants et conseillères et conseillers techniques de service social pour plus de 12 millions d’élèves ». Il convient de revaloriser l’ensemble de ces professions pour intensifier les recrutements et garantir leur présence au sein des établissements.
Recommandation n° 76 : Dans l’objectif de renforcer l’accompagnement à l’école des enfants relevant de la protection de l’enfance et le repérage des situations de danger, revaloriser et repenser le modèle de la santé scolaire et garantir davantage la présence d’assistants sociaux et du personnel médical et paramédical dans les établissements du premier et du second degré.
VII. L’étape clé de la sortie de la protection de l’enfance : mettre fin aux sorties sèches et à la logique de contrat pour basculer vers un accompagnement inconditionnel à l’autonomie
Le passage à l’âge adulte et l’apprentissage de l’autonomie est un moment à la fois très important et très stressant pour les jeunes protégés. L’accompagnement des départements et de l’État n’est toujours pas à la hauteur de ces enjeux. « Quel parent met ses enfants dehors à dix-huit ans ? Pourquoi l’État le fait-il avec ses propres enfants ? » a questionné Mme Rania Kissi, co-fondatrice du Comité de vigilance des enfants placés ([648]). Il est nécessaire de sortir de la logique de « contrat » pour basculer vers celle d’un d’accompagnement inconditionnel vers l’autonomie du jeune.
A. un accompagnement jusqu’aux vingt et un ans qui est loin de respecter la loi
L’accompagnement des jeunes majeurs de l’ASE jusqu’à leurs vingt et un ans est souvent bien éloigné de la création d’un « nid affectif » pour le jeune, évoquée par Mme Florence Dabin, présidente du GIP France Enfance protégée, lors de son audition ([649]). Cet accompagnement sous forme de « contrat » permet trop souvent l’application discrétionnaire, par le département, de critères pour la prise en charge.
1. La loi oblige à accompagner les jeunes majeurs jusqu’à leurs vingt et un ans
Les besoins d’attachement et de repères des enfants ne cessent pas lorsque ceux‑ci atteignent la majorité. La prise en charge au titre de la protection de l’enfance doit être poursuivie au-delà des dix-huit ans. C’est pourquoi les différentes lois relatives à la protection de l’enfance ont entendu encadrer l’accompagnement des jeunes majeurs issus de l’ASE.
La loi du 5 mars 2007 a réformé le rôle de la protection de l’enfance, codifié à l’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles, en disposant que ses missions « peuvent également être destinées à des majeurs de moins de vingt et un ans connaissant des difficultés susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Les services de l’ASE sont ainsi chargés de leur fournir un soutien matériel, éducatif et psychologique.
Ces différentes dispositions trouvent leur origine dans la loi du 5 juillet 1974, qui a abaissé l’âge de la majorité de vingt et un à dix-huit ans. Le législateur souhaitait éviter que cette modification ne réduise de trois ans la durée pendant laquelle les jeunes étaient pris en charge par les services de la protection de l’enfance ([650]).
Elles ont été complétées et systématisées par la loi Taquet de 2022. Pour empêcher ce que les professionnels du secteur de la protection de l’enfance nomment les « sorties sèches », soit le fait d’être mis dehors de l’ASE du jour au lendemain à dix-huit ans, cette loi a rendu obligatoire l’accompagnement jusqu’à vingt et un ans des jeunes pris en charge par l’ASE ne bénéficiant pas de ressources ou d’un soutien familial. Ce droit repose sur un projet pour l’autonomie, plus couramment appelé « contrat jeune majeur ». Ce projet peut, à la discrétion du département, comprendre des mesures spécifiques pour faciliter l’autonomie, parmi lesquelles l’accès à un logement, à des soins, à un soutien financier ou encore à une formation professionnelle. Par ailleurs, la loi Taquet instaure un entretien six mois après la sortie de l’ASE, qui a pour but de faire un bilan de l’autonomie du jeune et de l’informer de son droit au retour à l’ASE jusqu’à ses vingt et un ans, nouveau droit également issu de cette loi. La loi du 14 mars 2016 imposait déjà un entretien obligatoire un an avant la majorité du jeune pris en charge.
Cette loi prévoit également que tous les jeunes quittant l’ASE se voient proposer systématiquement le contrat d’engagement jeune (CEJ), dispositif de droit commun visant à accompagner les jeunes éprouvant des difficultés à accéder à l’emploi. Enfin, elle crée une priorité d’accès au logement social pour les jeunes majeurs ([651]).
L’article R. 222-8 du CASF prévoit que soit instituée, dans chaque département, une commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs. Elle doit mettre en place et assurer le suivi de la mise en œuvre du protocole d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs élaboré conjointement par le préfet de département, le président du conseil départemental et le président de région. Ce protocole, instauré par la loi de 2016, doit permettre « de préparer et de mieux accompagner l’accès à l’autonomie des jeunes pris en charge ou sortant des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse ([652]) ».
Par ailleurs, depuis la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, il est prévu que l’allocation de rentrée scolaire (ARS) d’un enfant confié à l’ASE soit versée à la Caisse des dépôts et consignations, afin de lui être restituée à sa majorité ou lors de son émancipation ([653]). Cette somme est usuellement appelée le « pécule ».
Il peut être relevé que plusieurs chambres régionales des comptes ont récemment rendu des rapports d’observations définitives sur la mise en œuvre des dispositions relatives à l’accompagnement des jeunes majeurs dans le cadre de l’ASE. Le rapport public annuel 2025 de la Cour des comptes comporte un volet consacré à la prise en charge des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance. Il rappelle notamment que l’action des départements dans ce domaine doit « se construire sur un socle de base ne mettant pas en péril l’égalité des usagers devant le service public ([654]) ».
2. Les sorties sèches et les accompagnements précaires restent largement pratiqués par les départements
Selon les derniers chiffres de la DREES, fin 2022, « 31 000 jeunes majeurs bénéficient d’un accueil provisoire jeune majeur », en baisse de 3,7 % en 2022 après une hausse de 21 % par an en moyenne entre 2018 et 2021 ([655]) .
Malgré cet arsenal législatif plutôt protecteur, de nombreux jeunes majeurs pris en charge par l’ASE continuent donc de subir des sorties sèches. Les auditions ont souligné ces défaillances. M. Thomas Larrieu, membre du collectif « Cause majeur ! », qui mène une enquête chaque année sur l’effectivité de la loi Taquet, relève ainsi que « deux tiers des répondants […] indiquent que les contrats jeune majeur ne s’étendent pas jusqu’à vingt et un ans. En réalité, leur durée moyenne est d’environ onze mois, avec une médiane de neuf mois. Si l’on prend en compte les renouvellements, la durée moyenne atteint vingt mois, ce qui est bien loin des trente-six mois prévus par l’esprit du texte de loi. » Des points plus positifs sont néanmoins à souligner, notamment le fait que « 90 % des jeunes majeurs [sont] désormais accompagnés par un éducateur référent, ce qui assure une certaine stabilité et une cohérence dans le suivi ([656]) ».
Ce déficit d’accompagnement effectif jusqu’à vingt et un ans propulse les jeunes majeurs dans des situations de précarité : « Les chiffres actuels montrent que 30 % des jeunes, à la sortie des dispositifs, retournent dans des situations à risque. […] Certains jeunes sacrifient leur sécurité et leur bien-être en retournant dans leur famille, alors qu’ils avaient été placés en raison de situations délétères et de maltraitance », selon Mme Aniella Lamnaouar, bénévole du réseau d’entraide Repairs75 ([657]). Les jeunes se retrouvent parfois tout simplement sans domicile : « Près de 45 % des jeunes de dix-huit à vingt-cinq sans domicile fixe sont issus de l’aide sociale à l’enfance », a rappelé la professeure Céline Greco ([658]).
Cette surreprésentation de jeunes majeurs issus de l’ASE faisant face à une telle précarité est le signe d’un accompagnement non seulement trop court – il ne s’étend pas toujours jusqu’aux vingt et un ans, comme la loi le prévoit – mais également trop léger. Cela empêche ces jeunes de s’insérer socialement et professionnellement, alors même qu’ils ont souvent subi de nombreux traumatismes et ruptures et qu’ils manquent de capital économique et de liens sociaux. Un rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) et du CNPE paru en 2023 ([659]) fait état de difficultés d’accès aux études, au logement, aux soins et indique que les jeunes « sont nombreux à témoigner du sentiment d’abandon qu’ils ont éprouvé à leur sortie des dispositifs de protection de l’enfance ». M. Lyès Louffok a quant à lui décrit une réalité très dure : « Commencer sa vie le dos chargé et les poches vides, avec pour seul bagage un sac-poubelle qu’on nous donne à la majorité, voilà la jeunesse que nous fabriquons ([660]). »
Trop souvent, l’injonction à l’autonomisation entretenue par l’établissement de la limite de fin de l’accompagnement à vingt et un ans conduit les jeunes majeurs à se diriger vers des études courtes qui ne correspondent pas toujours à leurs aspirations. Mme Rania Kissi a témoigné qu’elle avait dû mentir pour pouvoir bénéficier d’une filière générale : « Pour aller en lycée général, j’ai fait signer le mauvais papier, ce que personne n’a su jusqu’à ce que je passe mon baccalauréat, parce qu’on voulait m’imposer la voie professionnelle ([661]). »
De nombreuses personnes auditionnées ont souligné à cet égard l’importance cruciale d’un accompagnement multidimensionnel « qui ne se limit[e] pas aux missions locales ou aux aides pour passer le permis ([662]) », comme l’a rappelé M. Hervé Laud (SOS Village d’enfants).
Plus largement, la question est celle de l’objectif que les politiques de protection de l’enfance doivent poursuivre. Dans la mesure où elles ont pour but d’assurer une suppléance parentale, il apparaît indispensable d’accompagner ces jeunes comme chacun le ferait pour son propre enfant et non de penser l’accompagnement du jeune majeur uniquement en termes d’insertion.
3. Des dysfonctionnements multiples
Les raisons de ces carences dans l’accompagnement des jeunes majeurs sont multiples. Elles semblent découler pour la plupart de manquements déjà identifiés dans le fonctionnement de la protection de l’enfance, en particulier de la carence de l’État pour décloisonner l’accompagnement entre le social, le médical et l’éducatif et pour résorber les disparités territoriales entre les départements.
a. Des carences de l’État conjuguées à des dispositions législatives insuffisamment et inégalement appliquées
Les disparités territoriales entre les départements et le rôle ambigu de l’État dans la conduite de la politique de soutien aux jeunes majeurs conduisent, ici encore, à un décalage entre l’ambition des dispositifs prévus par la loi et leur application effective.
Les acteurs auditionnés mettent tout d’abord en lumière des moyens financiers insuffisants pour permettre aux départements de garantir un accompagnement satisfaisant aux jeunes majeurs. M. Thomas Larrieu évoque à ce sujet « l’absence de financement dédié au niveau national » et Mme Florine Pruchon des « questions budgétaires » qui « empêch[e]nt la mise en œuvre effective des compétences qui leur sont attribuées ([663]) ». Rappelons que la loi de finances initiale pour 2025 prévoit seulement 50 millions pour soutenir les départements dans l’accompagnement des jeunes majeurs ([664]).
L’accompagnement jeune majeur est en effet coûteux et les départements sont nombreux à évoquer le contexte budgétaire contraint dans lequel ils se trouvent. Le département de Loire‑Atlantique indique ainsi avoir dû « mettre fin à sa politique extra-légale d’accompagnement des jeunes de vingt et un à vingt-cinq ans » en raison d’une situation financière « marquée par des contraintes budgétaires croissantes ([665]) ».
À ce manque de moyens s’ajoutent des besoins variables en fonction des territoires : d’après les données de l’ONPE, le taux de prise en charge des jeunes majeurs – c’est-à-dire « le rapport entre le nombre de mineurs ou de jeunes majeurs concernés par une prestation ou une mesure de protection de l’enfance dans le département et le nombre total de mineurs ou jeunes majeurs domiciliés dans le département » – varie entre 2,1 ‰ et 31,2 ‰ selon les départements (chiffres au 31 décembre 2022) ([666]).
Les disparités territoriales de moyens et de besoins conduisent à une des différences notables entre départements, que l’État ne parvient pas à harmoniser. Le rapport du COJ et du CNPE évoque « une multiplicité des pratiques départementales en direction des jeunes majeurs » qui « fai[t] persister des inégalités d’accès aux droits, et de fait à l’autonomie ».
Certaines dispositions législatives sont encore insuffisamment appliquées. L’entretien devant avoir lieu six mois après la sortie de l’ASE est peu mis en place par les départements, en raison d’un manque de moyens humains mais aussi de la difficulté à maintenir ou retrouver le contact avec des jeunes ayant quitté les services de l’ASE. Certains jeunes ne souhaitent pas non plus revenir pour réaliser cet entretien lorsqu’ils ont réussi à quitter l’ASE. En ce qui concerne les entretiens d’accès à l’autonomie prévus par la loi de 2016, le rapport d’information du Sénat sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance indique que « selon une enquête réalisée pour le compte de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en 2019, un tiers des départements n’auraient pas encore mis en place ces entretiens. Parmi ceux qui ont pris des dispositions, seuls 35 % parviennent à organiser un entretien pour plus de trois quarts des enfants confiés. »
Selon cette même étude, pour l’année 2018, seuls 11 % des départements répondants avaient mis en place le protocole département-région-préfet pour organiser l’accès à l’autonomie et 58 % déclaraient ne pas avoir envisagé de le mettre en place. Régions de France indique qu’il « apparaît […] que les régions ne sont pas associées à l’élaboration de ceux-ci ([667]) », ce qui est inquiétant quant à la bonne appropriation de ce protocole par les régions. Par ailleurs, la toute dernière enquête du collectif Cause Majeur !, transmise à la rapporteure en février 2025, relève que les CDAAJM sont peu déployées : 23,4 % des répondants seulement indiquent que cette commission est mise en place. Ce constat est cependant à nuancer car 63,7 % d’entre eux ignorent si elle est mise en place ou non.
Plus spécifiquement, l’accès au logement des jeunes majeurs issus de l’ASE est très difficile. M. Larrieu (Cause Majeur !) indique que « 44 % des personnes interrogées signalent que les jeunes majeurs ne sont pas prioritaires dans l’accès au logement social ([668]) ». L’Institut national d’études démographiques (INED) note que « dans la période qui suit le départ de l’ASE, les enquêtés cumulent les désavantages sur le marché immobilier : ils sont jeunes et disposent de peu de ressources (28 % sont chômeurs, 6 % inactifs et ceux qui travaillent occupent des emplois précaires et peu qualifiés). De surcroît, ils ne peuvent pas compter sur l’appui de la famille pour les aider financièrement ou se porter garant auprès d’un bailleur ([669]). »
Un certain nombre d’acteurs, parmi lesquels le GIP France Enfance protégée et Départements de France, ont cependant signé avec l’Union sociale pour l’habitat (USH), le 14 novembre 2024, une convention visant à favoriser l’accès au logement social des jeunes majeurs issus de l’ASE ([670]).
b. Les « contrats jeunes majeurs » : un outil mal nommé, au contenu insuffisant
Un autre facteur central des dysfonctionnements de l’accompagnement des jeunes majeurs concerne les modalités d’accès et le contenu du « contrat jeune majeur ». La quasi-totalité des acteurs auditionnés sur le sujet ont dénoncé un outil mal nommé. L’enjeu lexical est loin d’être symbolique. En effet, cet esprit de contractualisation entre les jeunes et le département conduit à un accompagnement sous conditions. Il convient donc de lui préférer le terme de « projet d’accès à l’autonomie », qui est utilisé dans la loi (article L. 222-5-1 du CASF).
L’ancien ministre Adrien Taquet a rappelé les seuls critères qui s’appliquent pour l’accompagnement des jeunes majeurs : « Pour bénéficier d’un accompagnement, il [faut] avoir entre dix-huit et vingt et un ans, être passé par l’ASE et ne recevoir aucun soutien financier ou familial. Donc les départements n’ont en réalité pas de marge d’interprétation sur ces éléments ([671]). » Pourtant, le refus d’accompagner certains jeunes se fonde parfois sur des raisons que la loi ne prévoit pas. La Défenseure des droits, dans sa décision-cadre sur la protection de l’enfance, rapporte « que certains départements ajoutent d’autres critères que ceux définis par la loi à leur grille d’analyse, en méconnaissance des textes précités, notamment la nature des formations suivies ou le comportement des jeunes ».
De plus, si l’octroi du contrat n’est pas automatique, son maintien ne l’est pas non plus. Les contrats sont souvent conclus pour une durée de plusieurs mois renouvelables. Il peut par exemple être reconduit de trois mois en trois mois, ce qui est évidemment inadapté à une entrée sereine et stable dans la vie d’adulte. Les jeunes doivent sans cesse prouver leur engagement dans leur projet d’autonomie pour conserver leur contrat. « Certains départements prétendent accompagner les jeunes mais, en réalité, ils exercent une pression psychologique considérable. […] Même lorsqu’un jeune obtient miraculeusement un contrat jeune majeur, il subit une pression constante et doit continuellement faire ses preuves », indique M. Mads Suaibu Jalo, président du réseau d’entraide Repairs75. Mme Aniella Lamnaouar ajoute que ce contrat représente une « atteinte à la dignité » : « Notre vie est littéralement passée au crible : cuisine et alimentation, gestion de la lessive, gestion budgétaire, études… Les disparités territoriales sont souvent évoquées. En revanche, l’utilisation de la pression psychologique est bien plus difficile à admettre. Ainsi, on s’entend parfois dire : “Tu fais des études, tu es plus maligne que les autres, tu sauras faire une demande de logement CROUS, donc laisse ta place à un autre jeune en difficulté”. Or le nombre de places ne devrait pas être restreint et aucun jeune ne devrait subir de pression pour céder sa place à qui que ce soit ([672]). »
Ce que les acteurs auditionnés décrivent comme une logique de surveillance plus que d’accompagnement conduit à ne pas prendre en compte la parole du jeune et donc à négliger ses aspirations. « La sortie de l’ASE devient alors un véritable sécateur à rêves », regrette Mme Anne-Solène Taillardat (Comité de vigilance des enfants placés) ([673]).
Les acteurs de la protection de l’enfance notent aussi des interprétations restrictives de la loi. La Défenseure des droits, dans sa décision-cadre, constate que les allocations versées au jeune sont parfois modulées en fonction de leurs revenus. Il est parfois considéré que « certains jeunes bénéficiant du dispositif CEJ disposent grâce à celui-ci de ressources financières suffisantes et n’auraient donc pas besoin d’un accompagnement provisoire pour les jeunes majeurs », selon Mme Pruchon (collectif Cause majeur !) ([674]).
Les MNA ont des difficultés encore plus importantes que les autres jeunes pour accéder aux « contrats jeune majeur », comme cela a été rappelé supra. Certains départements conditionnent l’octroi du contrat à une prise en charge suffisamment longue par l’ASE préalablement aux dix-huit ans. Cela exclut de fait certains MNA, qui peuvent avoir intégré l’ASE quelques mois avant leur majorité. Lorsqu’ils bénéficient du contrat, c’est souvent avec un contenu réduit au minimum. Mmes Faucillon et Peyron rapportent le cas d’un département où un tel contrat consistait à rembourser le passe Navigo du jeune ([675]).
L’ancien ministre Adrien Taquet a lui-même reconnu en audition l’inadéquation du « contrat jeune majeur » : « Je n’ai pas réussi à remplacer le contrat jeune majeur qui est parfois une coquille vide, dont la durée et les conditions varient – trois mois ou un an, avec ou sans aide financière, etc. C’est tout et n’importe quoi, mais nous n’avons pas réussi à le tuer ([676]). »
B. le renforcement de l’accompagnement est nécessaire dans toutes ses dimensions, et ce jusqu’à vingt-cinq ans
De toute évidence, le dispositif du « contrat jeune majeur » et, plus largement, les mesures d’accompagnement des jeunes majeurs sont perçues comme insuffisantes par les professionnels de la protection de l’enfance et les jeunes accompagnés. Si l’urgence est à l’application effective et systématique des dispositions déjà prévues par le cadre législatif, la prise en charge des jeunes majeurs doit aussi être renforcée dans toutes ses dimensions.
La rapporteure rappelle qu’elle défend depuis longtemps un renforcement de l’accompagnement des jeunes majeurs. Après le premier dépôt d’une proposition de loi à ce sujet en 2021, puis en 2022, elle avait à nouveau déposé, en janvier 2024, une proposition de loi visant à accompagner vers l’autonomie les jeunes sortant de l’aide sociale à l’enfance ([677]). Celle-ci rappelait, dans son exposé des motifs, la brutalité de la sortie de l’ASE pour ces jeunes : « Malgré des vulnérabilités notables, ces jeunes sont contraints à un processus hâtif et brutal, les confrontant ainsi à un manque généralisé : un manque de sécurité et de soutien familial, un manque de perspectives universitaires ou professionnelles, ainsi qu’un cruel manque de confiance en soi », ainsi que, plus généralement, les multiples obstacles qui se dressent devant eux : absence de soutien familial, plus grande exposition à la précarité et au mal-logement, doubles vulnérabilités, limites posées à leurs aspirations individuelles, en particulier concernant la scolarité et l’orientation professionnelle, etc. En conséquence, cette proposition de loi avait pour objet de rendre obligatoire l’accompagnement des jeunes majeurs confiés à l’ASE jusqu’à vingt-cinq ans. La rapporteure a redéposé cette proposition de loi en septembre 2024 ([678]).
Les dernières recommandations formulées par le collectif Cause Majeur !
Le collectif Cause Majeur !, créé en mars 2019, regroupe une trentaine d’associations, de collectifs et de personnalités qualifiées. Il défend les droits des jeunes majeurs dans le cadre de la protection de l’enfance ou lorsqu’ils sortent de celle-ci. Le collectif réalise notamment une enquête annuelle pour mesurer l’effectivité des dispositions de la loi Taquet de 2022 sur les jeunes majeurs.
Dans son dernier communiqué de presse du 6 février dernier relatif à cette enquête annuelle, intitulé « Mise en œuvre de la loi “Taquet” : Accompagnez les jeunes jusqu’à leurs 21 ans, et non pendant 21 mois ! », le collectif sonne l’alarme sur plusieurs points : l’accompagnement est effectué en moyenne jusqu’aux 19 ans et 9 mois du jeune, le nombre d’éducateurs référents est en baisse, le droit au retour n’est pas effectif et les ex-MNA sont toujours moins bien pris en charge que le reste des jeunes majeurs.
Cause Majeur ! appelle donc, une fois de plus, à respecter l’obligation d’accompagnement jusqu’aux vingt et un ans du jeune, et ce quel que soit son parcours ou ses origines. Le collectif recommande d’améliorer la promotion de la loi Taquet, afin qu’elle soit mieux connue, mieux appliquée et enfin effective dans toutes ses dimensions concernant les jeunes majeurs. Enfin, il appelle à prendre en charge les MNA dans les mêmes conditions que les autres jeunes.
La rapporteure tient particulièrement à saluer la mobilisation de ce collectif pour défendre la cause des jeunes majeurs et partage ses recommandations pour améliorer l’application de la loi Taquet. Elle rappelle que le collectif publie un document régulièrement mis à jour avec un ensemble de recommandations très détaillé pour accompagner les jeunes majeurs jusqu’à leur inclusion pleine et entière dans la société, auquel il sera utile de se référer ([679]).
1. Accompagner le parcours d’autonomisation des jeunes jusqu’à 25 ans en remettant la suppléance parentale au cœur des dispositifs de soutien
De nombreuses personnes auditionnées recommandent de prolonger de l’accompagnement jeune majeur jusqu’à vingt-cinq ans. Mme Pruchon (collectif Cause Majeur !) a rappelé que « l’âge moyen de décohabitation en France est actuellement de 24,7 ans. Par ailleurs, l’âge moyen d’accès à un premier emploi stable est passé de vingt ans en 1975 à vingt-sept ans aujourd’hui, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental ([680]). » Si l’objectif de la politique de protection de l’enfance pour les jeunes majeurs est bel et bien de les accompagner jusqu’à leur autonomie, dans une logique de suppléance parentale, alors la limite d’âge fixée aujourd’hui à vingt et un ans doit être repensée. M. Jean-Luc Gleyze, secrétaire général de Départements de France, a abondé en ce sens : « Selon moi, l’accompagnement du jeune majeur doit être maintenu jusqu’à la fin de sa formation et son insertion sociale et professionnelle ([681]). »
L’allongement de la durée de l’accompagnement va dans le sens d’une meilleure prise en compte de la parole et des aspirations des jeunes : il s’agit de les accompagner en sorte qu’ils construisent « une vie choisie ([682]) ». Cette exigence nécessite de passer d’une logique de conditionnalité et de surveillance à une logique de dialogue et d’accompagnement. Cela implique de cesser les contrats et de penser le projet d’accès à l’autonomie comme la continuité logique du parcours de l’enfant à l’ASE sans que celui-ci ait à le solliciter lui-même.
L’accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à vingt-cinq ans
en Meurthe-et-Moselle
Une délégation de la commission d’enquête s’est déplacée en Meurthe-et-Moselle. Ce département permet la reconduction du « contrat jeune majeur » au-delà des vingt et un ans du bénéficiaire et jusqu’à vingt-cinq ans maximum. L’accompagnement se compose d’une aide socle dont bénéficient tous les jeunes majeurs sous contrat et d’une aide modulable, adaptée selon les besoins de chaque jeune.
Cette reconduction entre vingt et un et vingt-cinq ans est soumise à conditions pour le bénéficiaire, en particulier de ne pas disposer « de ressources suffisantes et d’un soutien familial lui permettant de garantir subsistance et autonomie », d’avoir sollicité les dispositifs de droit commun auxquels il peut prétendre, ou encore le besoin « d’un accompagnement complémentaire du fait d’un projet d’insertion sociale et/ou professionnel déjà engagé et réalisable à court ou moyen terme, mais qui n’a pu encore aboutir, en particulier en raison de problèmes de santé ou d’un handicap ([683]) ». Les jeunes étrangers doivent régulariser leur situation sur le territoire français.
La Meurthe-et-Moselle est un des rares départements à avoir mis en place une commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs, à une réunion de laquelle la délégation a pu assister. Cet outil de dialogue est précieux. Il met en lumière à quel point certaines problématiques, telles que la violence ou la double vulnérabilité du jeune, insuffisamment prises en charge en amont, rejaillissent au moment de l’accès à l’autonomie.
La rapporteure salue ce volontarisme du département pour accompagner les jeunes jusqu’à vingt-cinq ans. Les jeunes majeurs que la délégation a rencontrés lors du déplacement ont témoigné de l’importance de ce soutien pour eux.
La chambre régionale des comptes du Grand Est a récemment publié un rapport sur les « contrats jeunes majeurs » dans le département ([684]). Elle a également mentionné le volontarisme à l’œuvre et relevé les moyens humains et financiers engagés. Elle a cependant effectué un rappel au droit concernant l’interdiction d’hébergement à l’hôtel.
Un accompagnement obligatoire du département jusqu’à vingt-cinq ans est indispensable mais il ne pourra pas se faire sans un renforcement du rôle de l’État aux côtés des départements. Le budget alloué par l’État à ceux-ci pour l’accompagnement des jeunes majeurs ne peut pas se réduire à 50 millions d’euros annuels. Le collectif Cause Majeur ! a produit une estimation financière du coût de l’accompagnement jusqu’à vingt-cinq ans. Celui-ci se chiffrerait à 2 milliards d’euros au total sur la période des dix-huit aux vingt-cinq ans (1,6 milliard d’euros jusqu’à vingt et un ans et 400 millions d’euros pour la période de vingt et un à vingt et un à vingt-cinq ans), pour 84 000 jeunes concernés ([685]). Mais ce montant doit avant tout être pensé comme un investissement et non comme une dépense. Évoquant le dispositif de la Touline chez les Apprentis d’Auteuil, qui soutient les jeunes majeurs après leurs vingt et un ans ou leur prise en charge par l’ASE, Mme Spinas‑Beydon souligne qu’il a « réussi à montrer que chaque euro investi dans une Touline permettait d’économiser de l’argent public ([686]) ». En sus des enjeux financiers, l’État doit aussi porter une attention particulière à ces jeunes pour qu’ils puissent véritablement disposer des dispositifs de droit commun auxquels ils ont droit.
Recommandation n° 77 : Accompagner les jeunes majeurs protégés jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, en sortant d’une logique de contractualisation – et en cessant d’utiliser le terme de « contrat jeune majeur » – pour construire un soutien adapté à son degré d’autonomie, dans une logique de suppléance parentale.
En outre, la prolongation de l’accompagnement apparaît particulièrement déterminante pour certains jeunes, notamment ceux à double vulnérabilité : « Une fois qu’ils ont atteint la majorité, même si certaines familles […] continuent de les accueillir pour éviter les ruptures de prise en charge, il est souvent difficile de leur trouver des accueillants familiaux ou des places en foyer occupationnel. Nombre d’entre eux restent donc dans les structures de l’ASE entre 18 et 21 ans, et il est de plus en plus difficile de trouver des solutions pour la suite. », indique M. Axel Harkat (ANDASS) ([687]). De même, la décision-cadre de la Défenseure des droits relève des ruptures de parcours concernant ces jeunes : « Au travers des saisines reçues, le Défenseur des droits constate que les relais entre l’ASE, les services autonomie du département et également les services en charge de la protection juridique des majeurs apparaissant encore lacunaires et que ces cloisonnements institutionnels sont encore à l’origine de ruptures de parcours ». Comme cela a été évoqué plus haut, la délégation de la commission d’enquête qui s’est déplacée en Meurthe-et-Moselle a pu constater ces problématiques graves lors de la réunion de la commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs, celle-ci ayant eu à examiner le cas de deux jeunes relevant de l’ASE, d’un parcours au pénal et de la MDPH (voir annexe n° 6). Dans de telles situations, le département seul ne peut pas accompagner ces jeunes : une coordination avec les services de l’État est indispensable pour trouver des solutions d’accompagnement au cas par cas. La rapporteure, comme les membres de la commission d’enquête présents lors de ce déplacement, ont pu mesurer les graves difficultés rencontrées lors de la fin de la prise en charge ASE sur ces situations. La rapporteure souhaite qu’une attention spécifique soit portée à cette problématique, qui passera notamment par l’examen de la situation de ces jeunes en CDAAJM – encore faut-il que cette commission soit créée dans tous les départements. Le préfet et ses services devront être présents à chacune de ces réunions.
Recommandation n° 78 : Mettre en place sans délai la commission départementale d'accès à l'autonomie des jeunes majeurs dans chaque département lorsque cela n’a pas été fait et garantir la présence du préfet et de ses services à chaque réunion de celle-ci.
Recommandation n° 79 : Porter une attention particulière aux mesures de suivi en sortie d’ASE pour les jeunes à double vulnérabilité, en particulier dans le cadre des commissions départementales d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs.
Plus largement, il est d’autant plus important d’accompagner les jeunes le plus longtemps possible que ceux-ci cumulent souvent les difficultés à leur sortie de la protection de l’enfance, y compris administratives ; l’ancienne ministre Laurence Rossignol a notamment soulevé ce sujet en audition. De même, Mme Diodio Metro (Comité de vigilance des enfants placés) a relevé que certains enfants, après cinq ou dix ans de placement, n’ont toujours pas de pièce d’identité à dix-neuf ans ([688]). Il faut donc renforcer l’accompagnement à ces démarches, notamment lors des rendez-vous préalables de sortie de l’ASE. Cet enjeu est particulièrement prégnant pour les jeunes majeurs étrangers. Lors du déplacement en Meurthe-et-Moselle (voir supra), plusieurs jeunes majeurs étrangers ont ainsi pu témoigner auprès des membres de la commission d’enquête présente des incertitudes de parcours et de l’angoisse liée aux procédures de renouvellement des titres de séjour.
2. Assurer à tous les jeunes majeurs une garantie de ressources
L’accompagnement financier est un élément clef de la sortie du parcours de la protection de l’enfance. Les jeunes majeurs pris en charge par l’ASE sont en effet dans la quasi-majorité des cas sans ressources propres et sans soutien familial. Ils sont donc beaucoup plus susceptibles d’être confrontés à la précarité à leur majorité.
Le « pécule jeunes majeurs » n’est restitué aux jeunes par la Caisse des dépôts qu’à leur demande, lorsque ceux-ci deviennent majeurs ou sont émancipés. Il est prévu que le jeune soit informé de l’existence de cette aide lors de l’entretien de préparation à l’autonomie qui a lieu lors de ses dix-sept ans.
Or de nombreux jeunes ne perçoivent pas ce pécule, principalement en raison d’un manque d’information concernant leurs droits – l’entretien de préparation à l’autonomie susmentionné n’est aujourd’hui encore pas mis en place par tous les départements – et d’un manque d’accompagnement dans leurs démarches administratives. Le directeur de la Banque des territoires, M. Olivier Sichel, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts, a indiqué lors de son audition que le taux de restitution global du pécule était, en 2024, de 47,11 %. Ce taux est en hausse de 2,58 % par rapport à 2023 mais il demeure notoirement insuffisant. Les disparités entre départements sont sur ce sujet notables : M. Sichel a indiqué que le taux de restitution était de 58,41 % dans la Meuse, contre 8,29 % en Guyane. Au total, « au 31 décembre 2024 et depuis la mise en place du dispositif 36 436 majeurs ont perçu leur pécule (à dix-huit ans ou plus) ([689]) ». À la même date, le montant des sommes consignées par la Banque des territoires au titre du pécule était de 169,6 millions d’euros dont 34,2 millions restituables ([690]).
L’équité du versement de ce pécule entre les différents publics pose parfois problème. Les pupilles de l’État ou encore les enfants pour qui l’autorité parentale a été déléguée aux services de l’ASE ne peuvent pas bénéficier de ce pécule. L’ANDASS a insisté sur ce point lors de son audition, en soulignant que cette inégalité pousserait certains départements à minimiser la communication sur le pécule « pour ne pas frustrer les pupilles », d’après Mme Ève Robert ([691]). L’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel a également mentionné l’enjeu des jeunes ayant eu des ruptures de parcours : « Imaginons des enfants placés entre trois et douze ans et qui retrouvent ensuite leur famille : peuvent-ils récupérer leur pécule à dix-huit ans ? Cela pousserait à considérer le pécule comme une sorte d’indemnisation du placement ; mais surtout, comment retrouver l’enfant ? Les caisses d’allocations familiales (CAF) n’ont pas toujours les moyens de le faire ([692]). »
La rapporteure demande que le CNPE soit saisi pour étudier comment permettre d’identifier, sous six mois, les évolutions juridiques nécessaires afin de résoudre cette difficulté d’accès au pécule qui frappe certains jeunes, particulièrement les pupilles de l’État.
Recommandation n° 80 : Saisir le CNPE d’une étude sur les évolutions juridiques nécessaires afin de résoudre le problème d’absence de pécule pour certains jeunes, notamment les pupilles de l’État. Cette étude devra être conduite dans un délai de six mois.
Le Gouvernement avait tenté d’apporter des réponses à ces difficultés en proposant, lors du troisième comité interministériel à l’enfance, le 20 novembre 2023, la création d’un pack « jeunes majeurs » pour soutenir financièrement les jeunes majeurs protégés ([693]). Il prévoyait, outre la mise en place d’un « carnet autonomie recensant les démarches d’accès aux droits et des dispositifs de pair‑aidance, de parrainage et de mentorat, la création d’un « coup de pouce financier » de 1 500 euros en remplacement du pécule, au motif que celui-ci ne profiterait plus qu’à un nombre restreint de jeunes. Ce versement devait être mis en place à compter du 1er janvier 2026.
La rapporteure considère que cette dernière annonce faite par l’ancienne secrétaire d’État Charlotte Caubel témoigne d’une forme de mépris pour les jeunes de l’ASE. Proposer la création d’un forfait de 1 500 euros seulement pour ceux qui ont grandi en suppléance parentale au sein de l’ASE est contraire à l’esprit de la loi de 2016, qui était de permettre à ces jeunes de bénéficier d’un pécule d’un montant bien supérieur à celui qui est ici annoncé. M. Thomas Larrieu, membre du collectif Cause Majeur !, a parfaitement illustré cette limite : « Il faut savoir qu’un jeune ayant suivi un parcours à l’ASE tout au long de sa vie devrait accéder à un pécule d’environ 4 500 euros. Or on nous proposait trois fois moins, soit un plafond maximum de 1 500 euros ([694]). »
Quant au carnet d’accès à l’autonomie, il n’a jamais été mis en œuvre, un remaniement ministériel étant intervenu peu de temps après la tenue de ce comité interministériel. La rapporteure déplore une nouvelle fois l’absence de suivi des diverses mesures et plans annoncés lorsque survient un changement de Gouvernement, comme cela a été le cas depuis 2017 (voir la deuxième partie du présent rapport). L’impuissance des administrations à régler ce problème doit cesser pour trouver les formes les plus pratiques d’obtention de ce pécule, créé par la loi de 2016 et toujours pas mis en œuvre de manière équitable pour les jeunes. Il aura fallu attendre le rapport de la Banque des territoires, paru début 2025, pour avoir des pistes d’évolution.
Selon la Banque des territoires, le cœur du problème concernant l’accès au pécule est l’échange de données imparfait entre la CAF, la Banque des territoires et les départements. En effet, la réglementation actuelle, notamment le règlement général sur la protection des données (RGPD), ne permet pas à la Banque de transmettre automatiquement aux départements les données relatives aux jeunes n’ayant pas sollicité leur pécule. Une telle information permettrait pourtant aux départements et aux acteurs associatifs d’entreprendre une démarche « d’aller vers » directement auprès de ces jeunes.
M. Harkat (ANDASS) a par ailleurs souligné les difficultés des CAF à consolider les montants dus. Il appelle donc à « mieux se coordonner avec les CAF ; nous les invitons déjà à retracer chaque année les montants dus à chaque jeune ([695]) ». Surtout, il alerte sur des pratiques variables entre CAF quant aux montants à consigner : « Dans certains territoires, l’argent est consigné à condition que le lien soit maintenu avec les parents, or la notion est subjective. Une consignation automatique des montants pour tous les jeunes protégés serait plus pertinente, en y incluant les pupilles – actuellement, leur allocation de rentrée scolaire n’est pas consignée par la CAF ([696]). » L’ancienne ministre Laurence Rossignol a également regretté les disparités de mise en œuvre de cette obligation légale. La rapporteure ne peut qu’abonder en ce sens : elle observe ainsi que l’État n’a manifestement pas suffisamment encadré et harmonisé les pratiques des CAF sur le territoire. Elle recommande ainsi la publication d’une circulaire précisant comment ces montants doivent être collectés puis restitués.
D’après la Banque des territoires, des travaux pour permettre cette transmission au département de la liste des jeunes n’ayant pas sollicité la restitution de leur pécule se sont engagés entre elle et le ministère depuis janvier 2023. Un projet de décret est en cours de discussion pour « autoriser la Banque des territoires à communiquer aux départements la liste des enfants devenus majeurs qui n’ont pas fait la demande aux fins de restitution de leur pécule ([697]) », grâce à la transmission des données personnelles récoltées par la CAF. La rapporteure considère une fois de plus que, plus de deux ans après le début des travaux sur ce sujet des échanges de données, aucun décret n’a été publié. Elle appelle à la publication de ce décret dans les meilleurs délais.
Par ailleurs, plusieurs acteurs de la protection de l’enfance souhaitent que le pécule soit automatiquement versé par la Banque des territoires au jeune à sa majorité, ce qui peut être une solution efficace au non-recours. La Banque des territoires note toutefois à ce sujet des difficultés rendant impossible ce versement automatique. En effet, lorsque les ARS sont déposées par les CAF et les MSA, les coordonnées bancaires des enfants et les coordonnées où ceux-ci pourraient être joints ne sont pas transmises. Ces coordonnées ne sont pas d’ailleurs pas nécessairement aisées à obtenir. De plus, le mineur ne dispose pas toujours d’un compte bancaire au moment où la CAF procède au dépôt des montants concernés. Ces informations sont pourtant essentielles à la restitution du pécule, raison pour laquelle celle-ci doit passer par une demande directe du bénéficiaire qui fournit alors des documents permettant de l’identifier ainsi que ses coordonnées bancaires.
Afin d’apporter une réponse à ces difficultés, la rapporteure souhaite donc qu’un compte bancaire soit ouvert aux jeunes de l’ASE âgés de douze ans ou plus.
Il apparaît en tout état de cause essentiel de renforcer la communication sur l’existence du pécule, y compris avant la majorité des jeunes, et d’accompagner ces derniers dans les démarches administratives qui y sont liées. La Banque des territoires a déjà mené un travail important à ce sujet, avec la création d’un parcours en ligne pour effectuer sa demande, d’une ligne téléphonique dédiée et la rédaction d’une plaquette d’information. L’information a été rendue disponible sur plusieurs sites internet du service public ([698]). La Banque a également mené deux campagnes sur les réseaux sociaux en 2024, dont la dernière a comptabilisé 22,5 millions de vues.
Recommandation n° 81 : Renforcer l’accès au pécule pour les jeunes majeurs :
– finaliser et publier le décret permettant à la Banque des territoires de transmettre aux départements la liste des jeunes majeurs n’ayant pas sollicité leur pécule ;
– harmoniser les pratiques des CAF afin de fiabiliser les montants versés par celles-ci à la Banque des territoires, grâce à la publication d’une circulaire leur rappelant les dispositions applicables en la matière ;
– renforcer la communication autour de la restitution du pécule ;
– ouvrir un compte bancaire à chaque jeune de l’ASE âgé de douze ans ou plus ;
– à plus long terme, rendre automatique la restitution du pécule au jeune à sa majorité.
En tout état de cause, plusieurs acteurs plaident pour la mise en place d’une allocation financière plus durable pour les jeunes majeurs – la restitution du pécule ne constituant qu’un versement ponctuel et ne pouvant être considérée comme suffisante. Le rapport précité du COJ et du CNPE recommande ainsi de « garantir à tous les jeunes majeurs sans soutien familial accompagnés par les départements dans le cadre d’un accueil provisoire jeune majeur, le versement systématique et sans condition par l’État, d’une allocation mensuelle au moins équivalente au montant du CEJ, complétée en tant que de besoin par le service départemental de l’aide sociale à l’enfance, en fonction des ressources, besoins spécifiques, et projets du jeune concerné ».
En outre, la rapporteure rappelle qu’elle souhaite la mise en place d’une base commune « socle » pour l’accompagnement de tous les jeunes de l’ASE, y compris les jeunes majeurs (voir recommandation n° 52).
Recommandation n° 82 : Comme le préconise le rapport du COJ et du CNPE de 2023, verser systématiquement aux jeunes majeurs protégés sans soutien familial une allocation mensuelle financée par l’État.
3. Mieux prendre en compte les aspirations des jeunes et faciliter leur accès aux dispositifs de droit commun
Pour que les aspirations des jeunes majeurs protégés soient écoutées et accompagnées au même titre que celles des autres jeunes, encore faut-il qu’ils connaissent leurs droits et que l’ensemble de l’écosystème soit mobilisé pour garantir qu’ils y aient accès.
Un exemple d’accompagnement multidimensionnel des jeunes majeurs de l’ASE : le dispositif REAJI du Val-de-Marne
Le département du Val-de-Marne a mis en place le dispositif REAJI (renforcer l’autonomie des jeunes par leur insertion) ([699]). Il a vocation à soutenir l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de seize à vingt ans. Il se décline en cinq axes :
– REAJI Pro, pour l’insertion professionnelle, avec la mobilisation d’un réseau d’organisations partenaires (clubs d’employeurs, centres de formation…) ;
– REAJI Social, qui inclut du parrainage de proximité et du mentorat, de l’accueil en familles bénévoles pour les MNA ou encore de la pair-aidance ;
– REAJI Santé, qui permet au jeune de disposer non seulement d’un bilan de santé complet à partir de seize ans mais aussi de construire un réseau de soignants dont il pourra continuer à bénéficier à sa sortie de l’ASE ;
– REAJI Logement et REAJI Colocations et locations post-ASE, qui préparent les jeunes à disposer d’un logement en autonomie et permettent de faciliter l’accès à des offres de logements grâce à un réseau partenaire de bailleurs privés et publics ;
– REAJI Sports et citoyenneté et REAJI Culture et citoyenneté, afin que les jeunes puissent notamment échanger avec des équipes sportives professionnelles ou encore bénéficier d’un accès facilité à l’offre culturelle locale.
a. Mieux prendre en compte les aspirations scolaires et professionnelles des jeunes majeurs protégés
Les aspirations des jeunes majeurs doivent être mieux prises en compte, en particulier en ce qui concerne leur parcours post-bac. La tendance à orienter ces jeunes vers des études courtes, accentuée par la conditionnalité du maintien du « contrat jeune majeur » à l’engagement dans un projet scolaire ou professionnel, conduit en effet à ce que les jeunes majeurs pris en charge par l’ASE soient en moyenne moins diplômés. « On ne peut pas accepter que 70 % des enfants sortent de l’ASE sans aucun diplôme », note Mme Michèle Créoff ([700]).
La prolongation de l’accompagnement jusqu’à vingt-cinq ans est une première solution pour permettre aux jeunes de choisir un autre cursus qu’une voie professionnalisante, qui ne leur correspond pas toujours : « la fin de prise en charge à vingt et un ans ne permet pas aux jeunes de se projeter dans des filières correspondant à des études supérieures longues auxquelles ils pourraient pourtant aspirer », fait observer la professeure Céline Greco ([701]).
Plus largement, cette volonté de permettre aux jeunes majeurs issus de l’ASE d’accéder à des études supérieures longues procède d’une ambition de donner à ceux-ci les mêmes chances d’insertion sociale et professionnelle qu’à n’importe quel autre jeune. Plusieurs initiatives évoquées lors des travaux de la commission d’enquête méritent d’être citées :
– l’association Im’pactes, fondée par Mme Céline Greco, soutient les enfants et les jeunes majeurs de l’ASE en particulier dans leur accès à une santé, une scolarité et une culture de qualité. S’agissant des jeunes majeurs, elle organise des mesures de soutien dans le cadre du Programme Avenir, pour qu’ils disposent d’un « avenir professionnel choisi », plutôt que subi, et ce jusqu’à vingt-cinq ans. Des séminaires d’accès à l’autonomie leur permettent de trouver des réponses concrètes à certaines questions telles que la réalisation d’une demande de logement, la gestion d’un budget, etc. Mme Greco indique également que l’association leur fournit « un kit de sortie comprenant un ordinateur, un téléphone portable, une carte SIM, et nous les aidons à obtenir leur permis de conduire. Nous mettons en place des bourses d’études, comme celles dont j’ai bénéficié ([702]) » ;
– en Seine-Saint-Denis, le dispositif Boost’études permet à des jeunes ayant bénéficié d’un « contrat jeune majeur » sur le territoire jusqu’à leurs vingt et un ans d’être accompagnés financièrement et socialement pour mener des études supérieures jusqu’à leurs vingt-cinq ans si nécessaire.
M. Gleyze, secrétaire général de Départements de France, a cité quant à lui l’exemple de son département, la Gironde, qui a organisé une cérémonie de remise de diplômes pour de jeunes majeurs issus de la protection de l’enfance. Depuis 2012, le département du Val-de-Marne a mis en place une cérémonie de valorisation des parcours scolaires, dans le cadre d’un protocole signé entre l’académie de Créteil et le président du département. Ce type de cérémonie, valorisante pour les jeunes, doit être organisé plus systématiquement et pris en compte dans la feuille de route partagée entre l’État et l’Éducation nationale (voir, supra, recommandation n° 75).
b. Rendre accessible aux jeunes majeurs pris en charge par l’ASE les dispositifs de droit commun prévus pour la jeunesse
Le parcours d’autonomisation du jeune nécessite de lever d’autres freins, en particulier leur exclusion des dispositifs de droit commun.
Actuellement, les jeunes majeurs issus de l’ASE bénéficient moins que les autres des politiques en faveur de la jeunesse. Le rapport du COJ et du CNPE dénonce notamment la mauvaise articulation entre le contrat d’engagement jeune (CEJ) et le contrat jeune majeur. En effet, les jeunes majeurs suivis par l’ASE remplissent rarement les conditions d’accès à ce dispositif, réservé aux jeunes qui ne sont ni en formation ni en études.
Des solutions innovantes commencent toutefois à émerger, à l’initiative d’acteurs du secteur. La CNAPE a développé la B-ASE, une plateforme numérique qui doit permettre de guider les jeunes majeurs de l’ASE dans leur parcours vers l’autonomie ([703]) et faciliter leurs démarches et l’accès à leurs droits. Elle propose notamment des tutoriels thématiques, une cartographie des services de soutien dans différents domaines (logement, insertion professionnelle, etc.), des actualités ou encore un recensement de témoignages.
La rapporteure souhaite mentionner un autre outil inspirant : l’application « Outils pour l’autonomie », déployée au Québec ([704]), destinée à faciliter la transition vers l’âge adulte des jeunes Québécois et proposant un riche contenu dans des formats très variés. Elle inclut une carte interactive permettant au jeune de localiser différentes ressources et structures de soutien utiles autour de lui. Comme cela a été indiqué plus haut, la rapporteure souhaite que, dans la même logique, la Banque des territoires puisse accélérer la mise en place d’un data hub de l’enfance protégée.
La question du logement est elle aussi un facteur de vulnérabilité. Le rapport du COJ et du CNPE note que cette question entrave les jeunes dans leurs choix de formation. Le non‑respect de la priorité d’accès au logement social pour les jeunes issus de l’ASE prévue par la loi Taquet complique encore les choses. La précarité résidentielle qui s’ensuit est un frein notable à l’insertion professionnelle. Selon l’étude de l’INED précitée, « trois situations résidentielles se dégagent à la sortie de l’ASE : environ 20 % des jeunes sortis de l’ASE rejoignent un hébergement institutionnel, le double trouve à se faire héberger, tandis qu’un peu plus du tiers accèdent à un logement autonome ([705]) ».
Les jeunes majeurs doivent mieux être informés de leurs droits. Ils doivent également en bénéficier sans pouvoir discrétionnaire des acteurs institutionnels : il ne s’agit ni plus ni moins que d’appliquer la loi. La rapporteure souhaite une fois de plus soutenir l’une des recommandations formulées par la Défenseure des droits à ce sujet, qu’elle rejoint en tous points.
Recommandation n° 83 : Mettre en œuvre la recommandation n° 45 de la décision-cadre de la Défenseure des droits sur la protection de l’enfance, qui recommande « aux départements et au secteur associatif habilité d’élaborer et de diffuser des guides à l’attention des jeunes majeurs, les informant sur l’ensemble de leurs droits lorsqu’ils accèdent à la majorité, y compris leur droit à saisir le juge administratif en cas de refus d’un accompagnement jeune majeur ».
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Cinquième partie : l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance
En 2023, le Livre blanc du travail social du Haut Conseil du travail social a montré les graves difficultés systémiques qui traversent aujourd’hui le secteur social dans son ensemble, marquées par les tensions de recrutement et la désaffection des jeunes générations pour les formations. Le rapport dénonçait une situation d’urgence et alertait quant aux répercussions de cette crise sur la qualité des services publics sociaux. À bien des égards, ces problématiques sont exacerbées dans le domaine de la protection de l’enfance. L’ensemble des personnes auditionnées par la commission d’enquête ont mis en exergue la forte crise d’attractivité du secteur, les difficultés à recruter des travailleurs sociaux et les conséquences que cela entraîne sur la qualité de l’accompagnement des enfants.
Face à ce constat, la rapporteure identifie plusieurs pistes d’action et appelle plus globalement le Gouvernement à appliquer les recommandations formulées en 2023 par le Haut Conseil du travail social. Elle dénonce l’inaction de l’État en la matière, alors qu’un consensus s’est dégagé autour des mesures proposées et que l’ensemble des acteurs en souligne l’urgence.
I. une crise profonde d’attractivité
Le secteur fait face à des difficultés de recrutement majeures, qui découlent d’une crise d’attractivité aux causes multiples.
A. des difficultés de recrutement généralisées
Les métiers de la protection de l’enfance n’échappent pas à la grave crise d’attractivité qui touche l’ensemble du secteur social.
Quelque 30 000 emplois manquent dans le secteur médico-social ([706]). Le secteur de la protection de l’enfance pâtit particulièrement de ces difficultés :
– une enquête conduite par l’UNIOPSS auprès de ses adhérents en 2022 montre que 97 % des structures interrogées rencontrent des difficultés de recrutement, avec un taux moyen de postes vacants de 9 %. Ces difficultés touchent les travailleurs sociaux mais également les postes d’encadrement et les fonctions support et administratives ([707]).
– 85 % des adhérents « protection de l’enfance » du GEPSO font face à un manque de professionnels diplômés ([708]) ;
– Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, alerte sur « des taux de vacances de poste sans précédent dans le secteur de la protection de l’enfance, atteignant jusqu’à 30 % dans les MECS ([709]) ».
Cette crise se perçoit également par la baisse du nombre d’étudiants inscrits dans les filières des métiers du social. En 2023, selon la DREES, on compte au total 57 300 inscrits dans l’une des 1 100 formations aux métiers du social. Ces chiffres sont en diminution de 1,1 % par rapport à 2022 et de 14,5 % par rapport à 2010.
Cette crise alimente le recours à l’intérim et abaisse le niveau d’exigence de recrutement dans le secteur. Les tensions sur les effectifs entretiennent la crise d’attractivité. Ainsi, comme le souligne M. Daniel Goldberg (UNIOPSS) : « Les reports d’activité sur le reste de l’équipe épuisent d’autant plus les professionnels. » Les conséquences sur les enfants sont directes : « Ces missions non assumées bafouent les droits des parents et des enfants, réduisent la capacité d’accueil, diminuent la fréquence des interventions en milieu ouvert et mettent en attente tout nouvel accueil ou accompagnement ([710]). » Comme le rapporte l’UNIOPSS, cette crise va jusqu’à provoquer des fermetures d’établissement, dans un contexte où le nombre de mesures de placement est pourtant en augmentation.
B. Une crise multidimensionnelle
1. Le décrochage des rémunérations
Les salaires des professionnels du secteur ont crû dans une moindre proportion que l’inflation, entraînant une baisse de leur pouvoir d’achat et de leur statut social au fil des décennies. Ainsi, Mme Anne Devreese, présidente du CNPE, a rappelé qu’« en 1970, un éducateur gagnait deux fois et demie le SMIC. Avant le Ségur, il commençait à 1 400 euros, comme fonctionnaire de catégorie A. Actuellement, c’est un peu plus, 1 500 ou 1 600 euros, mais l’écart s’est considérablement creusé en peu de temps. » Selon Force ouvrière, on estime à « 30 % la perte de pouvoir d’achat en un peu plus de vingt ans dans le secteur social et médico-social ([711]) ».
Beaucoup soulignent la précarisation des métiers du social, également mise en évidence dans le Livre blanc du travail social. M. Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l’association Œuvre de secours aux enfants (OSE), dénonce ainsi une situation intenable : « Un travailleur social, un éducateur spécialisé, une assistante sociale, un moniteur éducateur, une dame de service, une femme de ménage, ou un surveillant de nuit ne peuvent pas vivre décemment en Île-de-France ou dans les grandes métropoles avec les salaires actuels. […] Nous demandons à des personnes, elles‑mêmes en situation de précarité, de s’occuper d’enfants et de familles également précaires ([712]). »
Ces faibles conditions de rémunération jouent un rôle majeur dans la crise d’attractivité du secteur. Elles encouragent le déport des professionnels vers l’intérim, qui peut offrir de meilleures conditions de rémunération pour les professionnels.
2. Des conditions de travail qui se dégradent et un manque global de reconnaissance
Le secteur est marqué par des conditions de travail difficiles, qui se dégradent avec les années. L’ensemble du champ social est concerné : le Haut Conseil du travail recensait dans le rapport précité 21 millions de journées d’absence chez ces professionnels, traduction d’une réelle souffrance au travail.
Pour la protection de l’enfance, cette souffrance est particulièrement prononcée. Pour Mme Anne Drevreese, présidente du CNPE « il est aujourd’hui documenté que les professionnels prenant soin des enfants en grande détresse sont exposés à des risques accrus d’épuisement professionnel et de stress post‑traumatique, comparativement à la population générale et même aux autres travailleurs sociaux ([713]) ». Les horaires atypiques, qui peuvent conduire à travailler la nuit et les week-ends, l’augmentation du nombre d’enfants présentant des troubles du comportement ainsi que les tensions généralisées sur les structures sont autant de facteurs de pénibilité. L’absence de normes d’encadrement est identifiée comme un facteur important de dégradation des conditions de travail, comme le souligne le Livre blanc du travail social précité. Or, dans le même temps, les aspirations des professionnels de la protection de l’enfance suivent celles de la société dans son ensemble. Le secteur fait lui aussi face à de nouvelles attentes en termes d’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
L’ensemble de ces facteurs contribuent à nourrir un sentiment de manque de reconnaissance voire d’invisibilisation, particulièrement violent au moment de la crise du Covid-19 ([714]) puis lors des annonces autour du Ségur de la santé – dont les professionnels du secteur médico-social étaient exclus (voir infra). Force ouvrière dénonce ainsi dans sa contribution écrite des conditions de travail, « ni reconnues, ni prises en compte ».
Les dysfonctionnements profonds du secteur conduisent aussi à un sentiment de perte de sens généralisée, les professionnels éprouvant la frustration de ne pas pouvoir faire leur métier correctement et de se transformer en « urgentiste sociaux », plutôt que de permettre un travail sur le temps long et en prévention, en adéquation avec l’intérêt supérieur de l’enfant. Pour Mme Esther Tonna (CGT) « les professionnels sont surchargés, ce qui compromet la qualité de leur travail ([715]) ». Le syndicat Sud déplore aussi dans sa contribution écrite « un épuisement des professionnels » ainsi qu’« une souffrance au quotidien pour les professionnels, privés de satisfaire à une exigence éthique dans la prise en charge au quotidien des mineurs ». Cette perte de sens peut être alimentée par une bureaucratisation croissante des métiers, également dénoncée à plusieurs reprises au cours des auditions.
Les paroles de professionnels relayées par la CFDT témoignent de ce mal être généralisé (voir l’encadré ci-dessous).
Paroles de professionnels relayées par la CFDT
« Le service enfance se dégrade de manière massive. Nous n'avons plus de cadre (hiérarchique et institutionnel) porteur, sécurisant, plus de projet de service. Les sites fonctionnent de manière isolée, différenciée sans référence à un projet commun ce qui génère de l'insécurité, des absences, une absence de sens dans notre travail et dans nos missions. A la marge nous accompagnons des situations de placement non exercées, certains contrats jeune majeur bientôt une situation de tiers digne de confiance.... Jusqu’où la responsabilité des équipes éducatives peut-elle engagée ? Aucune note interne n'est faite en direction du terrain pour signifier les changements et comment on les décline. Nous pallions les absences successives et en augmentation des collègues […]. »
« J 'aime mon travail, je suis engagée et si je suis encore en poste c'est parce que je crois encore en un avenir meilleur. Malheureusement les conditions, la surcharge, le manque de place.... viennent affecter mon travail au quotidien et mon bien être. Les questions éthique et déontologique sont quasiment quotidiennes. »
« L'absence de collègues nous conduit à pallier cela au détriment de notre santé mentale en lien avec la charge de travail. Il nous est toujours demander plus sans aucun reconnaissance. L'équipe des cadres n’évoluent pas en confiance à l'égard de ses agents et n'installe aucun climat sécure. »
Source : contribution écrite de la CFDT.
À la lumière ce constat, la rapporteure veut rappeler avec force un principe qui semble avoir été oublié par les pouvoirs publics : il convient de prendre soin des professionnels pour qu’ils puissent prendre soin des personnes accompagnées.
La revalorisation des métiers de la protection de l’enfance est aujourd’hui indispensable. Elle doit passer par une réforme de la formation ainsi que par une revalorisation des métiers, qui concerne tant les niveaux de rémunération que les conditions de travail.
A. une réforme souhaitable de la formation
La formation des professionnels de la protection de l’enfance doit être réformée pour mieux préparer les professionnels à l’exercice de leur métier.
1. Sortir les métiers du social de la plateforme Parcoursup
Depuis 2019, le recrutement au sein d’un des instituts régionaux du travail social passe par la procédure Parcoursup, ce qui produit de nombreux effets négatifs sur le profil des candidats recrutés et l’attractivité des formations. Cela s’illustre notamment par un fort taux d’abandon au cours de la première année, qui se situerait aux alentours de 30 % selon les personnes auditionnées. Auditionné par la commission d’enquête, M. Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social, a fait état d’un taux moyen d’abandon de 8 % chaque année. Ainsi, Parcoursup se traduit par des admissions « par défaut », en contradiction avec l’essence même des métiers du social qui nécessitent un fort engagement. Pour Franck Bottin (GEPSO), les personnes sont recrutées sans projet : « Ce peut être leur seizième ou dix-septième choix qui a été retenu. » À l’inverse, la procédure éloigne également des étudiants qui auraient pu être motivés : « Nous regrettons que des personnes qui auraient tout lieu d’être admises ne le soient pas ([716]). » M. Didier Tronche (CNAPE) constate également un « gâchis humain », qui découle « d’orientations par défaut ». Mme Katy Lemoigne (UNIOPSS) témoigne de jeunes inscrits « sans conviction », pour un domaine qui pourtant « requiert un degré de maturité important pour établir des relations et faire preuve d’altérité. S’occuper de personnes vulnérables est un métier qui s’apprend et qui doit être valorisé. Ce n’est pas du bénévolat. »
Les syndicats établissent le même diagnostic. Ainsi, selon la CFDT, « depuis Parcoursup, des abandons en cours de cursus sont de plus en plus fréquents ([717]). » Pour le syndicat SUD, « le passage via la plateforme Parcoursup a modifié le profil des étudiants : plus scolaires, souvent sans expériences autre que la scolarité, ils participent des nombreux abandons de parcours ». Force ouvrière a également rappelé son opposition générale au fonctionnement de Parcoursup.
En outre, les « primo-arrivants » sur le marché du travail de la protection de l’enfance sont de plus en plus jeunes, avec une moyenne d’âge des diplômés passée de vingt-sept ans il y a dix ans à vingt et un ans aujourd’hui, selon M. Didier Tronche (CNAPE). Or les jeunes intéressés par le travail social ne sortent généralement pas directement du lycée mais ont déjà un « parcours de vie ». La rapporteure rappelle que la protection de l’enfance amène les professionnels à se confronter à des situations particulièrement difficiles, qui peuvent nécessiter un certain degré de maturité ainsi qu’une formation solide, notamment du point de vue de la psychoéducation.
Aux yeux de la rapporteure, ces constats mettent en exergue la nécessité de sortir les métiers du social de la plateforme Parcoursup, comme le suggèrent de nombreux acteurs du secteur.
Recommandation n° 84 : Sortir les métiers du social de la plateforme Parcoursup.
2. Réformer la formation initiale
La formation des professionnels de la protection de l’enfance doit être revue pour mieux les préparer à l’exercice de leurs métiers, ce qui passe par une spécialisation plus forte, adaptée aux besoins des enfants. Conforter les compétences est aussi un levier pour revaloriser des métiers très insuffisamment reconnus aujourd’hui malgré leur utilité publique évidente.
a. Une formation initiale aujourd’hui généraliste et inadaptée
La protection de l’enfance fait intervenir des travailleurs sociaux pouvant exercer diverses professions, correspondant à des niveaux d’études et des diplômes d’État différents – treize au total. On y retrouve des éducateurs spécialisés, mais également d’autres professionnels, tels que des assistants sociaux, des conseillers en économie sociale et familiale, des moniteurs-éducateurs, des techniciens de l’intervention sociale et familiale, etc.
Ces professionnels ont bénéficié d’une formation dispensée dans les instituts régionaux de travail social (IRTS), les régions ayant compétence en matière de formation.
Cette formation est généraliste, alors que les besoins des enfants de la protection de l’enfance impliquent des compétences précises et spécifiques. M. Didier Tronche rappelle ainsi : « Nos diplômes du travail social sont de nature générique et nous constatons que la plupart des professionnels postulant dans le domaine de la protection de l’enfance n’ont jamais été formés spécifiquement à ce secteur ([718]). »
De plus, peu de stages de terrain sont prévus au sein de structures de la protection de l’enfance, si bien que les étudiants sont mal préparés à la réalité de terrain et n’ont pas l’opportunité de confirmer leur vocation professionnelle par la pratique. M. Didier Tronche (CNAPE) regrette la raréfaction des lieux de stage et souligne que « l’obligation de rémunérer les stagiaires a conduit la quasi‑totalité des départements à ne plus offrir de stages en protection de l’enfance, ce qui réduit considérablement l’attractivité de notre secteur ([719]) ».
b. Une formation initiale spécialisée indispensable
Pour remédier à ces difficultés, il est souhaitable de renforcer la spécialisation des futurs professionnels de la protection de l’enfance. La rapporteure partage l’analyse développée par l’ancienne ministre Mme Laurence Rossignol au cours de son audition : « Il faut des éducateurs spécialisés en protection de l’enfance car le métier nécessite un savoir et des connaissances, notamment en pédopsychiatrie. Un éducateur ne peut pas s’occuper indifféremment d’adultes handicapés ou d’enfants accueillis par l’ASE ([720]). »
Seule une formation appropriée permettra aux professionnels d’être préparés aux réalités de terrain et de disposer des outils conceptuels et pratiques nécessaires pour la prise en charge des enfants.
Cette spécialisation doit permettre aux futurs professionnels d’acquérir des connaissances essentielles pour comprendre les besoins fondamentaux de l’enfant, l’impact des psycho-traumatismes et les implications de la théorie de l’attachement. Il s’agit de diffuser les enseignements de la recherche dans les pratiques professionnelles. Le contenu de la formation doit aussi mettre en valeur de nouvelles façons de faire avec les familles, en favorisant davantage leur « pouvoir d’agir », comme le souligne également le Livre blanc du travail social.
Cette spécialisation doit se conjuguer avec les aspirations des travailleurs sociaux à mener des carrières diversifiées et évolutives. La spécialisation ne doit pas empêcher les évolutions et les passerelles entre secteurs et un bloc commun reste souhaitable. De surcroît, il est opportun d’approfondir les perspectives de progression professionnelle au sein de la protection de l’enfance, dont le champ est vaste, en développant de nouveaux outils d’évolution horizontale et verticale.
Recommandation n° 85 : Instaurer une formation spécialisée pour les professionnels de la protection de l’enfance.
La découverte du métier doit également passer par des stages supervisés, de l’apprentissage et de l’alternance, qui mériteraient d’être davantage développés.
c. Communiquer autour des métiers
La diversification des viviers de recrutement passe par des campagnes de communication conduite en direction de la jeunesse mais également vers d’autres publics dans l’objectif d’encourager de potentielles reconversions professionnelles. Un travail en ce sens doit être conduit auprès des jeunes et du grand public. La plateforme « Job de liens » est à cet égard une initiative à saluer. Elle cible principalement les adolescents et les jeunes adultes en cours d’orientation, cherchant à susciter l’intérêt de cette tranche d’âge pour les carrières dans la protection de l’enfance. Une action similaire pourrait être conduite à destination des personnes en recherche de reconversion professionnelle.
Ce type de démarche doit être encouragé et une réflexion est à mener sur l’image donnée dans les médias des métiers de la protection de l’enfance. Pour M. Franck Bottin (GEPSO), « il faut aussi changer la manière dont on parle de la protection de l’enfance pour donner envie de faire ces métiers. De nombreux reportages et articles de presse font du bashing de la protection de l’enfance. Il faut au contraire montrer que le social réalise de grandes et de belles choses. Nous avons ainsi développé la plateforme “Job de liens” pour promouvoir les métiers de la protection de l’enfance et nous souhaitons que le recours à l’intérim soit davantage encadré pour éviter la marchandisation du travail social ([721]). »
3. Renforcer la formation continue
La formation continue constitue un volet essentiel permettant aux travailleurs sociaux de mettre à jour leurs connaissances, d’enrichir leurs pratiques et d’acquérir de nouveaux outils pour appréhender les difficultés sur le terrain.
Elle relève aujourd’hui de la responsabilité des employeurs et gestionnaires, ce qui aboutit à de grandes disparités en fonction des lieux d’accueil. Globalement, elle reste peu accessible et peu développée sur le terrain, malgré des expériences réussies dans certains territoires et des initiatives à saluer.
Des initiatives à saluer en matière de formation continue
L’ENPJJ propose une offre de formation continue thématisée dans son catalogue qui regroupe chaque année 250 offres de formation continue à destination des agents de la PJJ, mais également à destination de l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance.
Certains départements prennent l’initiative de renforcer la formation sur la question des liens d’attachement, notamment dans le cadre de la contractualisation avec l’État. Ainsi, « le contrat départemental de prévention et de protection de l’enfance signé [entre l’État et la Guadeloupe] a pour objectif, au cours de l’année 2025, de renforcer considérablement la formation sur la question des liens d’attachement ([722]) ». Des formations à distance sont prévues pour les référents qui animeront ensuite des groupes de travail pour aider les agents à acquérir ces nouvelles compétences.
Les Apprentis d’Auteuil développent des programmes de formation en collaboration avec des psycho-éducateurs canadiens, financé grâce à des fonds privés et à la sollicitation de mécènes. Un partenariat a été établi avec le centre Eido, spécialisé dans la prise en charge des traumatismes et des violences : « Nous envoyions les enfants se faire soigner là-bas, mais nous avons constaté qu’il était également crucial de travailler en complémentarité. Ainsi, un coaching régulier de nos équipes est nécessaire pour détecter les traumatismes complexes, y répondre et structurer nos lieux d’accueil de manière qu’ils soient les plus soignants possible ([723]). »
Le Dr Marie-Paule Blachais regrette ainsi qu’on ne « dispose à ce jour d’aucune visibilité de recensement des formations réalisées sur les territoires, ni en données quantitatives (nombre de stagiaires, nombre de jours de formation délivrées), ni en données qualitatives (thématiques et contenus des formations, impact sur les pratiques) ». Pourtant, chaque ODPE est chargé, conformément à la loi « de réaliser un bilan annuel des formations continues délivrées dans le département […] et d’élaborer un programme pluriannuel des besoins de formation de tous les professionnels concourant dans le département à la protection de l’enfance » (article L. 226-1-3 du CASF).
La Défenseure des droits indique dans sa décision-cadre qu’il lui a souvent été indiqué que « les services en charge de la formation continue au sein des départements n’étaient que peu en lien avec le terrain et ne venaient pas à la rencontre des professionnels pour adapter leurs offres aux besoins. Certains agents indiquaient également au Défenseur des droits que les formations du centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) restaient très théoriques. »
Or l’émergence de difficultés nouvelles et la complexification de la prise en charge rendent d’autant plus primordial le développement d’une formation continue à la hauteur des enjeux, pour des professionnels qui sur le terrain peuvent se sentir démunis.
Ces difficultés paraissent en outre particulièrement marquées dans les territoires ultramarins. Ainsi, M. Laurent Filin, adjoint de direction de l’association La Ruche en Martinique, déplore « un manque de formations spécifiques adaptées aux profils des publics que nous accompagnons, notamment en matière de psychoéducation. Nous sommes par conséquent souvent contraints d’envoyer des professionnels en métropole ou en Guadeloupe pour se former, ce qui représente un coût important pour nos structures : le voyage coûte en moyenne 2 000 euros par personne. Le réseau de formation local reste très étroit, et nous devons souvent nous en remettre à une forme de bricolage ([724]). » Pour M. Aristide Pommier, éducateur spécialisé en Guadeloupe également entendu par la commission d’enquête, les insuffisances en matière d’offre de formation continue obligent les professionnels à se rendre en métropole, avec un coût important ([725]). Au vu de ce constat, la rapporteure considère qu’un plan d’action est nécessaire pour assurer l’accessibilité des formations dans les territoires ultramarins.
La rapporteure juge donc urgent de développer la formation continue et de la rendre obligatoire, en prévoyant des modules thématiques annuelles. Elle partage également le point de vue de la Défenseure des droits qui préconise le développement de l’offre de formation continue thématique, ce qui nécessite de repenser les partenariats entre les acteurs de la formation et les ODPE et de concevoir de nouveaux formats, en valorisant les formations en ligne et en développant les liens avec le milieu universitaire. Le renforcement de la contractualisation avec l’État doit également être un levier mis au service de l’amélioration de la formation continue. La rapporteure souligne également que les instituts de la parentalité – dont le rôle a été exposé dans la troisième partie du présent rapport – sont amenés à jouer un rôle essentiel en matière de formation continue, d’où l’intérêt d’encourager leur développement pour favoriser cette culture partagée.
Recommandation n° 86 :
– Rendre obligatoire une formation continue annuelle thématique des professionnels ;
– Renforcer la visibilité des formations continues disponibles à l’échelle d’un territoire ;
– Développer les formations continues en encourageant de nouveaux formats – notamment en ligne lorsque le présentiel n’est pas possible – et en renforçant les liens avec le monde de la recherche et universitaire ;
– Mettre en place un plan de formation pour les territoires ultramarins afin de leur garantir l’accessibilité des formations continues proposées.
En outre, la validation des acquis de l’expérience peut encore se développer dans le secteur. M. Didier Tronche (CNAPE) estime ainsi pertinent de « renforcer l’utilisation de la validation des acquis de l’expérience (VAE) en mobilisant les fonds collectés au titre de la formation continue ([726]). » Il appelle à ce que des objectifs soient fixés en la matière dans le cadre du dialogue social interbranche.
B. revaloriser les conditions de travail et le niveau de rémunération des professionnels
La revalorisation des rémunérations et l’amélioration des conditions de travail des professionnels du secteur sont urgentes.
La rapporteure rappelle qu’il s’agit là du premier axe identifié par le Haut Conseil du travail social dans le Livre blanc précité. Le Haut Conseil préconise une valorisation des salaires à travers un engagement de l’État et la reprise du dialogue entre les partenaires sociaux, pour rattraper le décrochage au regard de l’inflation. Ainsi que l’a rappelé Mme Anne Devreese (CNPE) « la question salariale concerne les pouvoirs publics, mais aussi les partenaires sociaux. Les négociations conventionnelles stagnent depuis des années ».
La rapporteure appelle l’État à mettre en application les recommandations du Haut Conseil du travail social en matière de rémunération et de revalorisation des conditions de travail.
Recommandation n° 87 : Appliquer les recommandations du Livre blanc du travail social produit par le Haut Conseil du travail social pour revaloriser et harmoniser les salaires ainsi que les conditions de travail du secteur social, à travers un engagement de l’État et la reprise du dialogue social.
Mettre en place un comité de suivi de la mise en œuvre de l’ensemble des recommandations formulées dans le Livre blanc.
Les auditions ont mis plus particulièrement en exergue les disparités relatives à l’application du Ségur ainsi que les attentes importantes du secteur et des professionnels pour apporter davantage de cohérence et de lisibilité dans les rémunérations proposées.
1. Une application tardive, partielle et inégale de la prime Ségur
Dans le prolongement des revalorisations prévues pour les professionnels des branches socio-éducatives intervenues en 2022 ([727]), les partenaires sociaux de la branche des activités sanitaires, sociales et médico-sociales privées à but non lucratif (BASS) sont parvenus à un accord, le 4 juin 2024, sur l’extension du Ségur ([728]) aux professionnels qui en étaient jusqu’ici exclus (personnels administratifs et techniques). Ces mesures ont été transcrites dans l’arrêté du 25 juin 2024, avant d’être étendues le 5 août 2024, dans un second arrêté, à l’ensemble des structures relevant du champ de la branche des activités sanitaires, sociales et médico-sociales privées à but non lucratif.
Les applications partielles et tardives de ces revalorisations au secteur de la protection de l’enfance ont ainsi fait perdurer chez les professionnels le sentiment d’avoir été les « oubliés du Ségur », malgré leur exemplarité lors de la crise du Covid-19.
D’autres acteurs – tels les départements ou les associations gestionnaires –s’estiment également les « oubliés (collatéraux) du Ségur » étant donné le manque de concertation quant au financement réel de telles mesures. Départements de France a dénoncé « la précipitation avec laquelle ces accords de branche ont été agréés », plaçant « les départements devant le fait accompli ([729]) ». Invoquant le principe de libre administration, le 13 septembre 2024, Départements de France « appelle ses membres à ne pas mettre en œuvre l’extension prime « Ségur » tant que l’État ne leur en compense pas les conséquences ([730]). » Le groupe de gauche de l’assemblée des Départements de France, présidé par le socialiste Jean-Luc Gleyze, demande à ses membres de payer les extensions de la prime Ségur, tout en exigeant, comme ses homologues de droite, une compensation des dépenses afférentes par l’État ([731]).
Dans plusieurs départements, la prime Ségur n’a pas été versée aux agents publics du secteur médico-social. M. Didier Tronche (CNAPE) confirme le décalage entre la réussite proclamée de l’accord à l’échelon national et l’échec de sa concrétisation financière inégale à l’échelon départemental : « Le recouvrement financier ne correspond pas aux décisions prises au niveau national. Certains départements n’ont pas versé la prime Ségur, tandis que d’autres l’ont fait selon des taux laissés à leur discrétion ([732]). »
Du côté des associations habilitées, la prime Ségur a également été le fruit de tensions importantes. Certaines associations ont assuré le financement total sur fonds propres, ce qui a contribué à leur fragilisation comptable. La rétroactivité entraîne des difficultés majeures pour certaines structures et conduit à la multiplication des contentieux ([733]). Comme l’a souligné M. Daniel Goldberg (UNIOPSS) en audition, « certaines mesures du Ségur n’ont pas été budgétées correctement dans les ressources des associations, entraînant des conséquences concrètes pour de nombreuses structures. Ces associations se trouvent parfois contraintes de recourir à des pratiques de cavalerie budgétaire, en espérant que les ressources suivront. D’autres doivent puiser dans leurs fonds propres, qui s’épuisent rapidement ([734]). »
La rapporteure appelle l’État à compenser l’extension de la prime Ségur afin de garantir sa pleine application.
Recommandation n° 88 : Garantir la pleine application du Ségur pour l’ensemble des professionnels de la protection de l’enfance, avec une compensation des charges afférentes par l’État.
2. Un besoin d’harmonisation et de revalorisation
Pour un même métier exercé dans le secteur de la protection de l’enfance, les rémunérations et les conditions de travail peuvent obéir à des règles différentes.
Les professionnels de la protection de l’enfance qui sont employés par la collectivité relèvent de la fonction publique territoriale ou hospitalière. Ceux qui exercent leur métier dans le cadre associatif sont soumis au code du travail, et des conventions collectives différentes peuvent s’appliquer en fonction des branches concernées. Ainsi, des différences de conditions de travail et de rémunérations perdurent structurellement entre les employés de la BASS, en fonction des conventions collectives appliquées par les employeurs. Les deux principales conventions sont, d’une part, la convention collective nationale des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 (FEHAP ([735])) – ou CCN51 – et, d’autre part, la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 (Nexem ([736])) – ou CCN66. Selon les statuts et les filières considérés, le calcul comparatif de l’évolution des salaires, des primes et des congés demeure fastidieux et peu transparent à l’échelle d’une carrière.
Une convention collective unique étendue (CCUE) pour le secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif est attendue de longue date. Elle est en cours de négociations, mais celles‑ci peinent à aboutir. Le 4 juin 2024, en plus de l’accord relatif à l’extension du Ségur, un deuxième accord a été signé pour donner un cadre et un calendrier à la négociation de cette CCUE. Malgré cela, les discussions paraissent s’enliser.
La fusion des conventions collectives et leur revalorisation sont des leviers considérés comme essentiels par beaucoup d’acteurs. L’ANDASS considère ainsi cette évolution déterminante pour « restaurer l’attractivité de ces métiers, même si elle va soulever d’épineux problèmes quant à la prise en charge budgétaire de ces surcoûts ». Le travail en cours doit également permettre de garantir une logique d’ensemble, afin que les grilles de rémunération du secteur associatif soient cohérentes avec celles de la fonction publique hospitalière et de la fonction publique territoriale. Il s’agit de remédier à la situation actuelle, où l’on observe « d’importantes distorsions qui ne sont pas justifiées par la réalité des emplois proposés et qui alimentent le sentiment délétère d’une concurrence entre secteur associatif habilité, établissements en régie et services départementaux ([737]) ». Cela nécessite une évaluation des impacts financiers de la réforme, pour que les discussions puissent être conduites sur des bases claires et tangibles.
La revalorisation de la rémunération et l’amélioration des conditions de travail constituent donc les deux piliers de la réponse à apporter à la crise d’attractivité du secteur. Pour l’amélioration des conditions de travail, la mise en place de normes minimales constituerait également une avancée considérable.
L’accompagnement des professionnels doit se renforcer. L’ANDASS identifie ainsi des marges de manœuvre pour renforcer l’accompagnement des primo-arrivants. Une réflexion sur la supervision est également nécessaire. Comme le souligne justement Mme Christine Omam (GEPSO), « les formations ne suffisent pas ([738]) » ; le secteur de la protection de l’enfance reste un secteur éprouvant psychologiquement pour les professionnels, qui rend particulièrement pertinentes la supervision et l’analyse des pratiques, « avec des personnes formées, disposant de l’acuité nécessaire ». Or « si les établissements, tant publics que privés, prévoient en général des crédits à cet effet, la difficulté est que ces intervenants ne disposent pas d’un référentiel commun ([739]) ». Un constat également dressé par la Défenseure des droits dans sa décision-cadre. Outre la difficulté à dégager le temps nécessaire dans un contexte d’urgences quotidiennes, « il arrive que ces séances se pratiquent sous la supervision d’un cadre du département ou soient portées par les équipes spécialisées de direction des ressources humaines, ce qui peut parfois nuire à la liberté de parole nécessaire à ce type d’accompagnement ».
Recommandation n° 89 : Renforcer l’accompagnement des professionnels de la protection de l’enfance en développant la supervision et l’analyse des pratiques, dans un cadre qui ne nuise pas à la liberté de parole et avec des professionnels dédiés. Établir en ce sens un référentiel commun.
Alors que l’accueil chez un assistant familial est largement identifié comme répondant mieux aux besoins des enfants que l’accueil en établissement, la profession est confrontée à une raréfaction de ses ressources qui met en péril ce type d’accueil, lequel, pour la deuxième année consécutive, n’est plus le mode d’accueil le plus fréquent. Cette crise s’explique par une pyramide des âges défavorable – selon les chiffres de la DREES, la moitié des assistants familiaux a plus de cinquante-cinq ans –, mais aussi par une crise de sens et des vocations. Ainsi, pour l’UFNAFAAM, « aux effets de la pyramide des âges s’ajoute la multiplication, partout, des démissions, des départs anticipés à la retraite et des passages éphémères dans un métier qui pourrait ainsi disparaître plus tôt qu’on ne le croit ([740]) ».
Tout ceci rend indispensable une réflexion de fond pour l’avenir de ces métiers, qui doivent être revalorisés.
1. Poursuivre les efforts pour la revalorisation du métier
L’intervention du législateur a permis des évolutions bienvenues concernant les modalités de rémunération et d’indemnisation des assistants familiaux. Ainsi, l’article 28 de la loi Taquet et son décret d’application ([741]) garantissent un montant de rémunération au moins égal au SMIC dès le premier enfant accueilli, et un minimum de soixante-dix heures au SMIC pour le deuxième – et éventuellement le troisième –enfant accueilli. Charge aux départements de décider s’ils le souhaitent, de conditions de rémunération plus favorables. S’ajoute à cette rémunération une indemnité journalière pour les frais d’entretien, dont le montant minimum est de 14,53 euros ([742]). D’autres évolutions, relatives à l’accueil d’enfants au-delà de l’âge de la retraite ou au maintien de la rémunération en cas de suspension de l’agrément ont également permis des progrès salués par la profession.
Ces efforts doivent se poursuivre. On note la persistance de disparités territoriales fortes en matière de statut, de contrat de travail et de droits accordés. L’UFNAFAAM fait par exemple mention de suppressions de primes de fin de carrière parfois arbitraires et de salaires non réajustés. Mme Sonia Mazel-Bourdois, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux et de la protection de l’enfance (FNAF-PE) rappelle ainsi : « Suivant son employeur – le département lui‑même ou une association –, un assistant familial ne percevra, en effet, pas le même salaire ni la même indemnité d’entretien ([743]). » En outre, et comme cela a déjà été mentionné dans le rapport, on constate de fortes variations concernant le montant de l’indemnité d’entretiens effectivement versé, ce qui appelle un travail d’harmonisation.
Recommandation n° 90 : Harmoniser par le haut les montants des rémunérations perçues par les assistants familiaux.
2. Une évolution de la formation en suspens
La formation des assistants familiaux s’est étoffée ces dernières décennies, dans le cadre du double mouvement de professionnalisation et de diplomation du secteur. Conformément aux dispositions du CASF, une formation de 60 heures est délivrée avant l’accueil de l’enfant, puis une formation de 240 heures doit être suivie dans un délai de trois ans après le premier contrat de travail suivant la délivrance de l’agrément. À l’issue de cette formation, il est possible d’obtenir le diplôme d’État d’assistant familial (DEAF), institué par le décret n° 2005-1772 du 30 décembre 2005 ([744]), sans que ce soit pour autant une obligation pour bénéficier de l’agrément. Le fait d’avoir effectivement réalisé la formation est en revanche obligatoire. L’étude de la DREES précitée montre que 56 % des assistants familiaux sont titulaires du DEAF et que les deux tiers des assistants familiaux ayant reçu leur agrément après 2005 possèdent un DEAF.
Pour respecter les exigences portées par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la DGCS a organisé la certification du diplôme d’État d’assistant familial en blocs de compétences. L’arrêté du 4 juin 2024 modifie l’arrêté du 14 mars 2006 relatif au diplôme d’État d’assistant familial et acte cette nouvelle structuration.
Des travaux ont été engagés en amont de la loi Taquet pour améliorer l’attractivité du métier et revaloriser le DEAF. Dans cet objectif, une démarche de révision du système de formation a été engagée par la DGCS à partir du mois d’octobre 2021. Comme l’a détaillé la DGCS dans sa contribution écrite envoyée à la rapporteure, quatre axes sont identifiés :
– la montée en niveau 4 du diplôme (équivalent au niveau baccalauréat) ;
– la constitution de passerelles avec d’autres diplômes. Afin de rendre ce métier plus attractif et de permettre la diversité des parcours, des passerelles avec différentes certifications sont envisagées en collaboration avec les ministères certificateurs, notamment avec le diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture, d’aide‑soignant, de technicien de l’intervention sociale et familiale et d’assistant de vie aux familles ;
– une révision du contenu des formations, afin de correspondre aux attentes des professionnels et employeurs sur le terrain et aux prérequis d’un diplôme de niveau 4 ;
– un renforcement du contenu du stage préalable à l’accueil de l’enfant.
Cette réforme devrait également se traduire selon la DGCS par une nouvelle évolution des rémunérations. Selon la réponse écrite de la DGCS, « les projets de décret et d’arrêté précisent les conditions de mises en œuvre de ces évolutions. Ces textes ont été présentés à l’ensemble des consultations obligatoires et ont reçu un avis conforme de la commission professionnelle consultative “cohésion sociale et santé” et un avis favorable du CNEN ainsi que du CNPE. »
La rapporteure a pu constater au cours des auditions que la réforme du DEAF ne fait pas l’objet d’un consensus. Si elle est souhaitée par plusieurs acteurs, dont l’Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (ANAMAAF), d’autres voix critiquent le dispositif envisagé, notamment le nouveau volume d’heures prévu et le fait de rendre le diplôme obligatoire pour pouvoir exercer la profession. Pour Mme Cathy Blanc-Chardan, présidente de l’Association nationale des placements familiaux (ANPF), les modifications envisagées par le Gouvernement sont source d’inquiétude : « Nous craignons que cela serve de prétexte pour les laisser encore plus seuls dans l’exercice de leur mission. Le projet de décret – qui est en stand-by et qui, je l’espère, ne sortira jamais – prévoit, en outre, que l’assistant familial devra se présenter à l’examen et obtenir son diplôme. Quid s’il ne le décroche pas ? Les professionnels ont une moyenne d’âge relativement élevée ; ils ont parfois quitté les bancs de l’école depuis une trentaine d’années et éprouvent, pour certains, une phobie scolaire. Des personnes qui travaillent dans mon service de placement familial me disent qu’elles ne suivront pas cette formation de 540 heures ([745]). »
3. Une réflexion nécessaire sur le cumul d’emplois
Bien que cette opinion ne fasse pas l’objet d’un consensus, certains identifient le cumul d’emplois comme une opportunité pour renforcer l’attractivité de la profession et augmenter le nombre d’assistants familiaux. En l’état actuel du droit, les possibilités de cumul d’emplois pour les assistants familiaux sont très limitées. Les règles ne sont pas les mêmes selon que l’assistant familial est employé directement par le département ou par une association habilitée.
Le droit du travail permet le cumul de plusieurs activités professionnelles pour les assistantes familiales sous certaines conditions. Aux termes de l’article L. 423-34 du CASF, le contrat de travail passé entre une personne morale de droit privé et l’assistant familial peut prévoir que l'exercice de toute autre activité professionnelle ne sera possible qu'avec l'accord de l'employeur. L'employeur ne peut refuser son autorisation que lorsque l'activité envisagée est incompatible avec l'accueil du ou des enfants déjà confiés. De façon plus générale, une personne travaillant dans le secteur privé peut cumuler son activité professionnelle principale avec une autre activité, sous réserve de l’accord de son employeur.
En revanche, les assistantes familiales employées par le département – soit la grande majorité d’entre elles – sont des agents publics et les possibilités de cumul sont en conséquence très limitées. En vertu de l’article L. 23‑5 du code général de la fonction publique, des cumuls sont théoriquement possibles dès lors que l’activité de travail principale n’est pas exercée à temps complet. L’article L. 123-7 dispose quant à lui que tout agent public (à temps complet ou non) peut être autorisé à exercer une activité à titre accessoire, sous réserve que cette activité figure sur une liste prévue à cet effet. La profession d’assistant familial ne figure pas sur cette liste.
Selon l’UFNAFAAM, la plupart du temps, les demandes des assistantes familiales pour exercer une seconde activité ne sont pas encouragées ou sont rejetées car les services considèrent qu’une disponibilité totale est nécessaire pour l’enfant. Pour que le cumul d'emplois soit accepté, il faut que le nouvel emploi n’impacte pas la nécessaire disponibilité requise pour les accueils en cours. Dans les rares cas d’acceptation du cumul d’emplois par les départements, il s’agit souvent de travail à domicile : vendeur à domicile, auto‑entrepreneur exerçant chez lui, professeure de danse, agriculteur en mini-ferme à domicile.
Faciliter le recours au cumul pourrait être l’une des pistes à poursuivre pour répondre à la crise des recrutements. La rapporteure propose d’orienter les possibilités de cumul vers le renforcement de l’offre de familles relais, pour les périodes courtes, afin de donner une réalité au droit au répit des assistantes familiales, dans un contexte où le relais est un levier très important pour renforcer l’attractivité du métier. Le développement du cumul pour les familles relais pourrait également permettre à des familles de découvrir progressivement le métier, ce qui constituerait un outil supplémentaire en termes d’attractivité.
Une proposition de loi sénatoriale a été déposée sur la question du cumul des emplois des assistants familiaux. Elle a été votée en première lecture et transmise à l’Assemblée nationale. Elle propose une modification de l’article L. 421-2 du CASF, en précisant qu’un agent public peut être autorisé par l’autorité hiérarchique dont il relève à exercer une activité à titre accessoire d’assistant familial salarié.
La rapporteure souhaite que la proposition de loi sénatoriale soit inscrite rapidement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Recommandation n° 91 : Faire évoluer les règles relatives au cumul de l’emploi des assistants familiaux, tout en veillant aux garde-fous nécessaires pour assurer un accompagnement de l’enfant à la hauteur de ses besoins.
Les assistantes familiales demandent à être mieux intégrées dans les équipes pluridisciplinaires constituées autour de l’enfant, ce qui reste encore un vœu pieux dans de nombreux départements, comme l’indique l’UNIOPSS. Ainsi les pratiques paraissent peu conformes au droit, qui prévoit bien que l’assistant familial est intégré « dans une équipe de professionnels qualifiés dans les domaines social, éducatif, psychologique et médical » et qu’« il participe à l’élaboration du projet pour l’enfant » (article L. 421-17-2 du CASF, dans sa rédaction issue de la loi Taquet).
Pour la FNADEPAPE, les familles d’accueil sont « trop isolées, pas assez soutenues et mal considérées par certains départements », un constat confirmé par les associations représentatives du secteur.
Il est donc essentiel de mieux associer les assistantes familiales au collectif pluridisciplinaire et de veiller à les intégrer dans les décisions concernant les enfants dont elles ont la charge : ce sont elles qui s’en occupent chaque jour.
L’accompagnement, qui peut passer par des groupes d’échange de bonnes pratiques ou des équipes mobiles, doit davantage se développer.
Ainsi, pour Mme Sonia Mazel-Bourdois (FNAF-PE), « revaloriser leurs conditions de travail passe par une amélioration des ressources mises à leur disposition, mais aussi par la reconnaissance de leur engagement professionnel et de leur rôle central dans la protection de l’enfance ([746]) ».
Recommandation n° 92 : Veiller à la pleine intégration des assistants familiaux dans les collectifs de travail pluridisciplinaire. Créer des relais pour les assistants familiaux et développer la supervision et les échanges de pratiques. Prévoir dans ce cadre des ateliers spécifiques pour les enfants de zéro à cinq ans.
Une réflexion est aussi nécessaire concernant les évolutions de carrière. Les passerelles vers d’autres métiers du social pourraient se développer, notamment vers le métier de TISF comme le suggère l’ANAMAAF. Les anciennes assistantes familiales pourraient en outre constituer un vivier davantage mobilisé pour certains métiers de la protection de l’enfance (référent, superviseur).
Enfin, les associations du secteur font unanimement part de leurs inquiétudes face à la multiplication des informations préoccupantes les concernant. La rapporteure entend ces inquiétudes, qui confortent ses différentes préconisations concernant le repérage et la prévention. Elle considère que le renforcement des contrôles est un point essentiel, d’ailleurs largement souhaité par les professionnels du secteur. Cela rend urgent le déploiement de la plateforme du contrôle des attestations d’honorabilité et de la base nationale des agréments des assistants familiaux. Il serait particulièrement délétère qu’une minorité de personnes qui font du tort à la profession et aux travailleurs sociaux en général nuisent à l’image du métier.
– 1 –
Au cours de sa réunion du 1er avril 2025, la commission a procédé à huis clos, à l’examen du projet de rapport.
Mme la présidente Laure Miller. La dernière réunion de notre commission d’enquête sera consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption. Nos travaux ont revêtu un caractère quelque peu atypique. Sous la précédente législature, une première commission d’enquête, créée à l’initiative du groupe Socialistes dans le cadre de son droit de tirage, avait commencé à procéder à des auditions et à des déplacements, avant que la dissolution du 9 juin 2024 ne mette fin à ses travaux. Sous cette législature, c’est par un vote unanime en séance publique, quelques jours après l’ouverture de la session ordinaire, qu’une nouvelle proposition de résolution de notre collègue Isabelle Santiago a été adoptée pour créer une commission d’enquête consacrée au même objet.
La première commission d’enquête a procédé à vingt et une auditions du 14 mai au 5 juin ; la seconde à trente-huit auditions du 12 novembre au 19 février. Au total, les deux commissions d’enquête ont consacré 83 heures à ces auditions, au cours desquelles 126 personnes ont été entendues. La première commission a effectué deux déplacements, l’un dans le Nord et l’autre dans le Puy-de-Dôme ; la seconde s’est déplacée à cinq reprises, en Meurthe-et-Moselle, à Argenteuil, dans la Mayenne, en Belgique et en Seine-Saint-Denis.
Je tiens à remercier tous les membres de cette commission qui se sont investis dans nos travaux, à commencer par Mme la rapporteure, à qui ce sujet tient tellement à cœur.
La procédure de notre réunion s’inscrit dans un cadre précis. En cas d’adoption, l’article 144-2 du règlement dispose que : « Le rapport adopté par une commission d’enquête est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique. La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »
Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le mardi 8 avril. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite de son contenu. Toujours en cas d’adoption, le compte rendu de notre réunion sera annexé au rapport publié.
Comme cela vous a été indiqué dans la convocation, des contributions individuelles ou de groupe peuvent être annexées au rapport. Vous avez jusqu’au jeudi 3 avril, à 14 heures, pour les adresser au secrétariat de la commission d’enquête.
En cas de rejet, le projet de rapport n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que : « Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »
Dans l’un et l’autre cas, il vous sera demandé à la fin de la réunion de remettre aux administrateurs les exemplaires qui vous ont été distribués.
Sans plus attendre, je cède la parole à Mme la rapporteure afin qu’elle nous présente le projet de rapport que vous avez eu la possibilité de consulter ces derniers jours.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Mes chers collègues, je suis très heureuse de vous présenter un projet de rapport que je sais très attendu dans nos murs et plus encore au‑dehors.
Ce rapport de près de 500 pages, qui formule 92 préconisations, est le fruit d’un travail rigoureux mené pendant près d’un an. En ma qualité de rapporteure, j’ai également conduit plusieurs contrôles sur pièces, qui étayent l’état des lieux que je dresse dans le rapport, celui d’une politique publique profondément défaillante. Les facteurs de préoccupation sont extrêmement nombreux. Depuis 1998, le nombre total des mesures d’aide sociale à l’enfance a augmenté de 44 % et s’élève à environ 397 000 au 31 décembre 2023, alors que la population des moins de vingt et un ans n’a augmenté que de 1,6 %. Les statistiques montrent également que les mesures restent très judiciarisées et que les taux de placement sont stables.
Notre modèle se caractérise par un recours trop fréquent au placement, historiquement institutionnalisé, qui fait de la France le premier pays européen à placer ses enfants. Cette faute originelle a empêché de penser un nouveau modèle tourné vers une véritable politique de prévention auprès des familles. Il est particulièrement préoccupant de constater que la première modalité de placement est le placement en établissement, où un enfant peut rester jusqu’à l’âge adulte. L’ensemble des études s’accorde pourtant sur le fait que les placements en famille sont les plus à même de garantir à l’enfant un développement équilibré, à condition bien évidemment que les personnes chez qui il est accueilli répondent aux règles essentielles de probité.
Nos auditions, nos déplacements et nos contrôles posent un diagnostic sans appel : la protection de l’enfance est dans un état de délabrement inadmissible. Des mesures en milieu ouvert et des placements sont exécutés avec plusieurs mois de retard faute de places, au mépris du droit et de la sécurité des enfants, et des juges y renoncent parfois de ce fait. Depuis 2007, des lois sont votées sans être appliquées. Certains décrets attendus depuis plusieurs années ne sont toujours pas pris. Le contrôle sur pièces a permis de montrer la responsabilité coupable de l’État, qui a délibérément choisi de ne pas publier le décret transitoire de la loi Taquet, pourtant prêt dès le mois de novembre 2022, qui devait réglementer les modalités d’accueil des enfants pris en charge par l’ASE (aide sociale à l’enfance) dans les hôtels et les structures de jeunesse, en prétextant la reprise du flux migratoire. Un décret confus est sorti juste après la mort de Lily, une jeune fille suivie depuis ses trois ans par la protection de l’enfance et hébergée dans un hôtel. Dans plusieurs départements, des enfants continuent d’être mis à la rue à leur majorité, quand d’autres sont placés dans des hôtels au mépris de la loi et de la volonté du législateur.
Les enfants font face à un continuum de violences, depuis le foyer familial jusqu’aux lieux de placement. Leur santé physique et mentale est moins bonne et moins suivie que celle des autres enfants. Ils représentent jusqu’à la moitié des adolescents hospitalisés à temps complet en psychiatrie, en particulier pour des troubles du comportement et de graves syndromes dépressifs. Les travaux scientifiques montrent que les violences qu’ils subissent peuvent réduire de vingt ans leur espérance de vie.
Lorsqu’ils sont en situation de handicap ou qu’ils présentent des troubles du comportement, leur prise en charge est inadaptée et ils se retrouvent ballottés entre différentes modalités d’accueil, ce qui aggrave souvent leurs troubles. Preuve ultime de notre incapacité collective à accompagner correctement ces enfants doublement vulnérables : certains sont envoyés en Belgique – un scandale de plus, révélateur d’un système qui ne sait pas prendre en charge les enfants présentant des troubles du neurodéveloppement.
Les enfants relevant de la protection de l’enfance connaissent davantage l’échec scolaire et ne sont pas incités à faire des études longues ; 43 % d’entre eux ont redoublé une fois, 24 % au moins deux fois. En conséquence, les enfants de la protection de l’enfance sont plus vulnérables face au chômage et à la pauvreté. Ainsi, 23 % des adultes nés en France et hébergés par un service d’aide ou fréquentant un lieu de distribution de repas ont été placés dans leur enfance. En plus de l’enjeu éthique évident, il faut comprendre que ces difficultés coûtent extrêmement cher à la société, que ce soit en matière de santé, de lutte contre la pauvreté ou d’emploi. La revue scientifique médicale britannique The Lancet chiffre à 38 milliards de dollars par an le coût économique lié aux violences faites aux enfants en France. Une prévention réussie nous permettrait de trouver ces milliards qui nous manquent !
Qui plus est, les organisations institutionnelles censées protéger les enfants participent elles-mêmes de ce continuum de violence. Si le passage par la protection de l’enfance sauve des enfants, il représente pour d’autres une perte de chances. Cela doit questionner profondément la responsabilité de chacun, au sein d’un écosystème très complexe, dans lequel l’État est le garant des droits de l’enfant et le responsable devant la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) – l’ONU l’a plusieurs fois condamné. Des travaux scientifiques ont mis en évidence l’impact des violences sur le développement à long terme du cerveau de l’enfant et son développement physique. Environ 45 % des enfants pris en charge par la protection de l’enfance sont victimes de maltraitances.
Les drames témoignant des graves manquements du système sont trop nombreux. Des enfants se suicident ou décèdent, faute d’une prise en charge adaptée ou de la prise en compte de signalements. D’autres subissent les pires maltraitances de la part d’un service public dont l’objectif est précisément de les en protéger. C’est le cas des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance du département du Nord, qui ont été placés hors du département et ont subi les pires violences et humiliations de personnes qui exerçaient illégalement leur activité d’accueil. Les documents que j’ai pu obtenir attestent ces très graves dysfonctionnements, dus notamment à l’absence de centralisation des remontées d’incidents. Le département du Nord n’est pas intervenu suffisamment vite, alors que des faits graves avaient été signalés aux services. Certains éducateurs n’avaient pas accompagné les enfants sur le site. D’ailleurs, s’ils l’avaient fait, ils auraient vu qu’il ne s’agissait pas d’un séjour à la ferme – l’adresse n’existait même pas sur Google Maps !
Des pouponnières en sureffectif accueillent des bébés dans des conditions inadaptées et indignes, avec des conséquences dramatiques pour leur développement – les collègues qui m’ont accompagnée à Clermont-Ferrand doivent s’en souvenir. C’est dans ce cadre qu’est réapparu en France le syndrome de l’hospitalisme, attesté par le contrôle sur pièces de la pédiatre de la pouponnière. Je rappelle qu’il s’agit d’une dépression qui peut conduire des nourrissons à se laisser mourir. Parce qu’il est urgent d’agir, à la suite de mon déplacement dans le Puy-de-Dôme, qui m’a profondément marquée, j’avais demandé, en sortant du cadre de notre commission, un grand plan d’urgence pour les pouponnières. Il ne s’est rien passé et l’inertie du Gouvernement n’est pas acceptable. Le contrôle sur pièces que j’ai réalisé auprès du ministère de la santé démontre que la situation des pouponnières était connue jusqu’au plus haut sommet de l’État au moins depuis novembre 2021. Les conséquences pour certains enfants seront irréversibles.
Les professionnels souffrent de cet effondrement de la politique publique de protection de l’enfance et de cette perte de sens. Ils sont épuisés et trop peu nombreux auprès des enfants. Face aux difficultés majeures de recrutement dans le secteur, l’intérim se développe, alors qu’il est contraire aux besoins de stabilité de l’enfant et dégrade un peu plus la qualité de l’accueil. Le Livre blanc de Mathieu Klein a été remis à cinq ministres en novembre 2023. Depuis, quasiment rien n’a changé. Il manque 30 000 postes. L’intérim s’engouffre dans la brèche. Il faut une mobilisation de tous pour répondre à l’urgence.
La protection de l’enfance révèle de profondes défaillances de l’État, absent pour rétablir l’égalité, pour soutenir les départements dans leur mission, pour contrôler. Les très graves insuffisances des politiques publiques relevant de la compétence de l’État sont un facteur majeur d’explication des difficultés rencontrées aujourd’hui. L’éducation nationale, la santé, la justice, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la prise en charge du handicap souffrent de profonds dysfonctionnements et d’inégalités territoriales qui contribuent à l’effondrement de toute la protection de l’enfance.
J’ai tenu à remettre dans une perspective historique les défaillances actuelles de l’État. Elle explique en effet pourquoi notre politique de protection de l’enfance est un échec. Il est également nécessaire de demander à l’État de reconnaître ses manquements, en créant une commission nationale de réparation pour les enfants placés qui ont été victimes de maltraitances depuis plus d’un siècle. Plusieurs pays l’ont fait : la Suisse, l’Allemagne, la Norvège, l’Islande, l’Irlande, l’Australie et le Canada. Nous pourrions nous inspirer de leur expérience.
Il ne s’agit plus seulement de constater mais d’agir vite. Ce rapport n’a pas vocation à être un simple état des lieux ; il doit être un levier pour mener des réformes urgentes et nécessaires. Depuis plusieurs années, des alertes sont lancées, des milliers de pages sont publiées, des centaines de propositions sont faites. Tout récemment encore, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a rédigé un rapport. La Défenseure des droits doit, quant à elle, obtenir de l’État d’ici à quatre mois les réponses à ses questions – une première.
Le rapport formule 92 recommandations autour de quatre grands axes.
Le premier porte sur la rénovation de la gouvernance de la protection de l’enfance. Les compétences sont diluées et entremêlées et le pilotage de l’État absent, faute d’une volonté politique et d’une politique globale de l’enfance. L’État est incapable de penser l’enfance dans la protection qu’il doit aux enfants en danger. À ce titre, je ne considère pas que la recentralisation soit un remède miracle aux dysfonctionnements actuels. Le désinvestissement de l’État est historique et les inégalités territoriales existaient bien avant la décentralisation. En revanche, je pense qu’il faut de toute urgence renforcer le rôle de l’État, en impliquant les préfectures et les services centraux. Une stratégie interministérielle est indispensable, fondée sur une vision pluriannuelle et une loi de programmation quinquennale – cinq ans est un minimum, il en faudra au moins dix pour changer en profondeur le secteur.
Un autre point qui me tient particulièrement à cœur concerne les données et les statistiques. La pauvreté des statistiques disponibles pour suivre les parcours des enfants de l’ASE est inadmissible. Il est essentiel que l’on comprenne pourquoi la France est l’un des pays où l’on place le plus, quels sont les parcours des enfants, quelles sont leurs trajectoires au sein de la protection de l’enfance. Une politique efficace ne peut pas naviguer à vue. Les pouvoirs publics doivent s’appuyer sur des évaluations cliniques et se nourrir des progrès de la recherche. C’est pourquoi j’appelle à la création en urgence d’un conseil scientifique de la protection de l’enfance. Il est nécessaire que l’État pilote une étude des besoins des populations territoire par territoire, qu’il transmettra aux départements à des fins de prévention. État et départements doivent travailler main dans la main.
Le deuxième axe est celui du repérage et de la prévention, qui reste un angle mort de la politique publique de protection de l’enfance. Les difficultés actuelles de cette politique, renforcées par la saturation des structures d’accueil, la conduisent à éluder entièrement la réflexion de long terme sur la prévention. Pourtant, c’est en réduisant le danger à la source que le système pourra être désengorgé. Je formule plusieurs recommandations pour apporter un soutien ciblé aux populations en situation de grande vulnérabilité, agir en prévention, renforcer les moyens de la protection maternelle et infantile (PMI) et repenser entièrement l’accompagnement de la parentalité, de l’éducation nationale, de la justice, et les politiques de santé spécifiques. En matière de mortalité infantile, il y a un peu plus de dix ans, la France était à la sixième place parmi les pays européens ; elle est aujourd’hui tombée à la vingt-sixième. Les bébés en pouponnière n’ont jamais été aussi nombreux. Il est temps que l’État regarde ce qui se passe et corrige cette trajectoire. Ne rien faire est coupable.
Le troisième axe est celui de la prise en charge des enfants, qui est profondément inadaptée à leurs besoins. Face à des décisions de justice non exécutées et à des conditions d’accueil souvent indignes, il est urgent d’agir. Le rapport recommande de renforcer les moyens de la justice civile des mineurs. Les inégalités territoriales sont nombreuses. Dans certaines juridictions, 350 mesures relèvent d’un seul juge mais dans d’autres, 850 : c’est intenable. Un rééquilibrage doit être fait au profit des juridictions qui croulent sous les dossiers. Le nombre de juges et de greffiers n’est pas adapté. Un renforcement de la formation initiale et continue est également nécessaire. Nous avons aussi besoin de consolider nos savoirs en neurosciences pour que les décisions soient prises en toute connaissance de cause.
Le rapport préconise la création d’un plan pour construire de nouvelles structures d’accueil. Les grandes structures doivent céder la place aux petites unités. Je recommande aussi la publication immédiate d’une nouvelle réglementation pour les pouponnières. Le décret de 1974, qui fixe une norme d’un adulte pour trente bébés la nuit et d’un pour six la journée, n’a jamais été revu. Actuellement, dans les pouponnières en sureffectif, le ratio est d’un adulte pour huit bébés le jour et d’un pour trente la nuit. Cinquante ans après, il est temps que l’État réforme ce décret. Mme Vautrin s’est engagée à le faire d’ici à la fin juin.
Il n’y a pas de normes au sein des foyers accueillant des enfants de plus de trois ans. C’est le seul secteur de France qui n’est régi par aucune règle. Dans un tel cadre, il est impossible d’individualiser la prise en charge. Comment un agent peut-il s’occuper, par exemple, des devoirs du soir de quinze enfants en CP ? C’est déjà difficile avec deux à la maison ! Imaginez qu’en plus l’un d’entre eux se torde la cheville et qu’il faille aller aux urgences… Fixer des normes, c’est se donner les moyens de répondre aux besoins des professionnels et à ceux des enfants. Nous attendons donc avec impatience le nouveau décret.
Je souhaite, pour ma part, que l’on puisse accompagner les enfants jusqu’à leur pleine autonomie – je sais que c’est un sujet qui fait débat. Personne ne laisse son enfant à dix-huit, dix-neuf ou vingt et un ans sur le bord de la route avant qu’il soit autonome. Dans une logique de suppléance parentale, il faut renoncer au contrat jeune majeur, qui n’a pas lieu d’être. Les services de l’État, les régions et les départements doivent accompagner les enfants jusqu’à leur autonomie, soit jusqu’à vingt-cinq ans. S’ils deviennent autonomes plus tôt, ils prendront leur envol. Des enfants souffrent de handicap, d’autisme, du syndrome de Gilles de la Tourette. Ils ont besoin, devenus adultes, d’être accompagnés pour faciliter leur insertion. Une commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs (CDAAJM) doit être créée dans chaque département. Si certains ont besoin d’être logés dans des appartements adaptés, cela doit pouvoir se faire.
Il faut aussi systématiser le contrôle des antécédents judiciaires de toutes les personnes qui interviennent dans le cadre de la protection de l’enfance. Il est intolérable que cela ne soit pas déjà le cas, alors que les lois de 2016 et de 2022 l’ont prévu.
Notre commission d’enquête a également mis en lumière le développement très inquiétant de l’intérim. Ce turn-over des professionnels est évidemment contraire à la sécurité affective des enfants, qui ont besoin de tisser un lien d’attachement avec un éducateur. Le recours à l’intérim a prospéré sur l’absence de normes et de taux d’encadrement et sur le manque de professionnels. La gestion d’une structure de la protection de l’enfance par un acteur relevant du secteur privé lucratif doit être interdite par la loi. Des maisons d’enfants à caractère social (MECS) ont été créées avant de fermer à cause de conditions d’accueil terribles.
En parallèle de ces mesures urgentes, un changement de paradigme est nécessaire. Il passe par le renforcement et le recentrage des actions à domicile, qui doivent être intensifiées, graduées et diversifiées. Des normes minimales doivent être établies pour garantir la sécurité et la qualité de l’accueil. Il faut en finir avec ces mesures d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui arrivent trop tard et ne donnent souvent lieu qu’à une visite mensuelle, ce qui conduit en général à une dégradation de la situation et à un placement. Les interventions doivent être conduites de manière pluridisciplinaire par tous les acteurs qui accompagnent la famille afin de l’aider à traverser les difficultés qu’elle rencontre.
Pour des raisons historiques, il n’existe ni normes ni base commune en matière de prise en charge des enfants, rien qui puisse unifier les pratiques de telle association du Val-de-Marne avec celles de telle autre située dans la Creuse ou dans n’importe quel autre département. Au cours de nos auditions, nous avons pu constater ces différences entre conditions de prise en charge des enfants et aussi de traitement des jeunes adultes – certains ont même été lâchés avec un sac-poubelle en guise de bagage. C’est pourquoi nous demandons une action rapide concernant le décret sur les taux et les normes, attendu de très longue date, mais aussi la saisine immédiate du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) afin qu’il établisse dans les trois mois un socle de base sur la qualité de l’accueil, ce qui permettra une prise en charge et un accompagnement des enfants plus égalitaires sur l’ensemble du territoire.
Ce changement de paradigme doit placer les besoins fondamentaux de l’enfant au cœur de la conception des politiques publiques. Cela passe d’abord par une meilleure écoute de la parole de l’enfant et de ses besoins, et c’est pourquoi le rapport préconise l’accompagnement systématique de l’enfant par un avocat spécialisé dans le cadre de la procédure judiciaire. En outre, il n’est pas acceptable que certains enfants passent toute leur enfance dans un foyer, sans perspective d’avenir. Qu’il s’agisse d’un retour progressif vers la famille ou d’une solution pérenne en dehors, la protection de l’enfance devrait en théorie permettre à l’enfant d’évoluer vers une situation stable et de ne pas rester indéfiniment dans le cadre d’un placement renouvelé tous les deux ans, jusqu’à sa sortie du dispositif. Il est inconcevable, surtout à l’aune des connaissances actuelles, qu’un enfant reste toujours en collectivité. Le travail avec la famille, lorsqu’il est possible, ne doit pas s’arrêter aux portes du placement comme c’est trop souvent le cas. La pluralité des liens d’attachement doit être reconnue, notamment avec les familles d’accueil. Au-delà, la réflexion sur l’évolution du statut de l’enfant doit se poursuivre.
Les besoins fondamentaux de l’enfant imposent aussi de mieux répondre à ses droits en termes d’accès à la santé et à l’éducation. Il faut décloisonner les politiques publiques et que l’État prenne pleinement ses responsabilités dans le champ de la santé, du handicap et de l’éducation. Le suivi de la santé mentale et physique des enfants protégés doit enfin devenir une politique publique prioritaire, avec des moyens dédiés. Nous préconisons la mise en place de parcours de soins coordonnés et gradués, avec des enveloppes budgétaires et forfaitaires par enfant. L’accompagnement du handicap, qui est un sujet central, doit être entièrement repensé, autour d’un impératif : renforcer la pluridisciplinarité de la prise en charge. Nous pouvons nous inspirer de bonnes pratiques comme celles que préconise Céline Greco dans des centres d’appui – l’un va être ouvert à Paris et deux autres devraient être créés l’an prochain. Dans ce genre de structure pluridisciplinaire, qui prend en charge des psychotraumatismes complexes, le coût de 1 500 euros par enfant peut paraître élevé, mais il est en réalité équivalent à celui d’une hospitalisation en pédopsychiatrie. Une meilleure prévention permettra de mieux accompagner les enfants mais aussi de réaliser des économies à long terme.
Dernier axe des recommandations du rapport : le chantier de l’attractivité des métiers de la protection de l’enfance. Une enquête conduite par Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) auprès de ses adhérents en 2022 montre que 97 % des structures interrogées rencontrent des difficultés de recrutement, ce qui se traduit par un taux moyen de 9 % de postes vacants. Le secteur fait face à une crise d’attractivité majeure, qui nécessite une action en profondeur pour revaloriser les métiers de la protection de l’enfance. Une réforme de la formation est souhaitable, pour aller vers une formation spécialisée qui puisse intégrer les connaissances récentes, notamment en matière de psychotraumatismes complexes. Il faut aussi sortir les formations du social de Parcoursup. À Nancy, nous avons vu des jeunes filles de vingt ans confrontées à des situations trop complexes pour elles, d’autant que ces formations sont souvent choisies par défaut sur Parcoursup. La revalorisation des rémunérations et des conditions de travail est essentielle, et il faut de toute urgence mettre en œuvre les recommandations formulées par Mathieu Klein dans le Livre blanc du Haut Conseil du travail social (HCTS).
J’aimerais que notre travail soit un appel à l’action, afin d’enclencher de véritables réformes de fond. Toutes ne sont pas de nature législative, disons-le avec d’autant plus d’humilité que les textes adoptés depuis 2007 ont été très peu appliqués, comme cela a été le cas du projet pour l’enfant (PPE). Nous proposons aussi un nouveau mode de fonctionnement entre l’État et les départements. Si les départements qui ne remplissent pas leur mission doivent être sanctionnés, l’État doit lui aussi assumer son rôle, notamment sur le plan financier. En ces lieux, rappelons ce que disait Victor Hugo : « Sauver un enfant, c’est sauver l’humanité. » Il s’agit bien ici d’humanité, d’un sujet transpartisan que j’ai abordé comme tel.
M. Stéphane Viry (LIOT). Une commission d’enquête exige de l’obstination, de l’abnégation et de la liberté. Merci à la présidente et à la rapporteure, qui en ont fait preuve. Ce travail de qualité fait honneur à notre assemblée, qui est chargée de l’évaluation des politiques publiques mais qui est aussi la voix des territoires, acteurs de la protection de l’enfance.
Vous avez décrit un système qui craque de toutes parts, ce qui a des conséquences préoccupantes sur les enfants sous protection. Pour ma part, j’aimerais revenir sur l’essentiel, sur la finalité d’une commission d’enquête : les responsabilités. Au terme de toutes ces auditions, vous avez voulu positiver et dresser une liste de recommandations dont le devenir va largement nous échapper. Comment pourrons-nous aiguillonner le pouvoir exécutif ? La responsabilité de l’État est en effet évidente : absence de prise de conscience, défaut de pilotage.
J’approuverai ce rapport où vous appelez à un changement de logiciel, à la lumière des dysfonctionnements observés au cours des deux dernières décennies. Il faut bâtir un logiciel solide et opposable à toutes et tous, c’est-à-dire à toutes les entités de la chaîne de la protection de l’enfance, afin qu’il n’y ait plus de maillon faible. Tout le monde, me semble-t-il, a envie d’être embarqué dans cette nouvelle histoire, dans cette nouvelle politique publique.
En guise de réserve, j’aimerais cependant insister sur un point : il ne faudrait pas être maladroits à l’égard des conseils départementaux. La protection de l’enfance fait en effet partie de leur bloc de compétences, mais certains conseils départementaux sont à l’os sur le plan financier et ne peuvent pas prendre les décisions qu’ils voudraient prendre. Veillons à ce que les travaux de la commission d’enquête soient compatibles avec les capacités opérationnelles de ces acteurs de terrain.
Mme la présidente Isabelle Santiago. Dans nos préconisations, nous avons précisément voulu faire la part des responsabilités des uns et des autres. Nous ne pouvons plus continuer à transférer des compétences aux départements sans prévoir un pilotage et les moyens afférents.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Merci à vous, madame la présidente et madame la rapporteure, pour le cœur que vous mettez depuis des années à défendre la protection d’enfance. Vos efforts, je le sais, produiront leurs effets. Merci aussi aux membres de cette commission d’enquête et surtout aux intervenants qui nous ont éclairés. Je pense notamment à Karine Brunet-Jambu, qui a eu le courage de venir témoigner des viols qu’elle a subis pendant des années sous le toit familial quand elle était enfant, et qui avait été laissée chez ses parents malgré les nombreux signalements effectués par une tante. Ces auditions, dont certaines nous ont marqués plus que d’autres sur le plan émotionnel, nous inciterons à suivre le devenir de vos recommandations ou à élaborer des projets transpartisans.
Pour sa part, le groupe Rassemblement national produira une contribution écrite précise. Le chantier de la protection de l’enfance est immense. Les auditions ont permis de mettre en lumière nombre de dysfonctionnements qui peuvent surprendre, certains étant à traiter de toute urgence : l’insuffisance des places en famille d’accueil et en foyer ; le défaut de contrôle de ces lieux d’accueil ; le manque de considération à l’égard de l’enfant, dont la parole n’est ni entendue ni écoutée lorsqu’il est maltraité ou lorsqu’il est ballotté de foyer en foyer ; les failles dans la détection des cas de maltraitance, alors que des signalements parfois très nombreux sont restés sans effet.
À la lecture du rapport, j’ai constaté avec satisfaction qu’il contenait beaucoup de mesures préconisées par ma présidente. Marine Le Pen a notamment défendu l’idée d’aider les jeunes majeurs au moins jusqu’à l’âge de vingt et un ans – je ne sais pas si elle approuvera la proposition d’aller jusqu’à vingt-cinq ans. Elle préconisait un renforcement des contrôles des lieux d’accueil et la présence d’un avocat pour représenter l’enfant dans toutes les instances civiles et pénales, ce qui va au-delà de vos propositions. Les associations d’anciens enfants placés, qui ont été auditionnées, réclament aussi la présence d’un avocat dans toutes les instances. Madame la rapporteure, vous avez souscrit à l’une de leurs demandes – et à l’une des nôtres par la même occasion : un droit de visite des parlementaires dans les établissements recevant des enfants. Quand Laure Lavalette avait fait cette même proposition, toute l’Assemblée avait voté contre, ce que je regrette infiniment.
Pour financer toutes ces mesures, le contre-projet de budget de Jean-Philippe Tanguy abonde en solutions – il y est notamment proposé de réaffecter les centaines de millions d’euros alloués à la Chine. Lors de nos déplacements, nous avons pu constater que la France, contrairement à la Belgique, manque d’établissements permettant l’accueil d’enfants autistes ou souffrant de lourds handicaps. Certaines familles françaises sont parfois obligées d’envoyer leur enfant en Belgique, voire d’y déménager pour le suivre. Ces centaines de millions d’euros seraient mieux employés s’ils allaient à nos à enfants plutôt qu’à la Chine.
Quoi qu’il en soit, je place beaucoup d’espoirs dans l’avenir de ce travail en commun.
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). À mon tour, je souhaite saluer la qualité du travail effectué et remercier tous ceux, y compris les administrateurs et administratrices, qui y ont contribué. Néanmoins, je ne partage pas l’avis des précédents orateurs : comme il s’agit d’une commission d’enquête et non d’une mission d’évaluation, je m’attendais à une recherche des responsabilités, de l’arbre des causes. Lorsqu’elle a été créée, cette commission d’enquête voulait en effet être la voix des enfants, notamment de ceux qui sont décédés.
Pendant les auditions, nous avons pu constater que certaines personnes – à toutes les strates et jusqu’au niveau ministériel – s’asseyaient littéralement sur la loi, leurs obligations et leurs responsabilités. Madame la présidente, madame la rapporteure, avez-vous fait usage de l’article 40 du code de procédure pénale et saisi le procureur de la République à la suite de ces auditions ? L’avez-vous fait lorsque des ministres ont déclaré avoir préféré investir dans le service national universel (SNU), dispositif facultatif, plutôt que dans la protection des enfants, obligation que nous nous sommes imposée collectivement ? L’avez-vous fait lorsque des présidents de départements ont annoncé qu’ils faisaient un tri entre les enfants, en fonction de leur capacité à s’exprimer ou de leur nationalité ? Nous avons tous entendu ces propos, mais vous avez aussi fait des contrôles sur pièces et sur place. Vous avez sans doute pu ainsi constater que certains départements préféraient consacrer à des dépenses facultatives – le financement du Vendée Globe, par exemple – des fonds qui auraient pu être dirigés vers la protection de l’enfance.
Je m’attendais vraiment à des arbres de causes pour le décès de ces enfants. Nous aurions pu croiser ces causes, selon une méthode scientifique, pour proposer des améliorations et cibler des gens responsables. La dilution des responsabilités, qui prévaut dans la protection de l’enfance, est très bien mise en évidence dans votre rapport. Elle complique la tâche quand il s’agit d’établir qui est responsable et surtout qui a décidé d’investir ou pas. Il y a pourtant des responsables, des gens qui ont fait des choix politiques, des choix économiques. Ils doivent en répondre. À mon avis, nous sommes passés à côté de quelque chose dans ce domaine. Il y a un raté.
Le taux de placements, anormalement élevé en France, devrait nous inciter à réfléchir au manque de solutions alternatives. Il faut envisager ces solutions manquantes en ayant en tête l’intérêt supérieur de l’enfant, les besoins de l’enfant et surtout le temps de l’enfant. Cette dernière notion n’est absolument pas respectée. Rappelons que certaines connexions neuronales se créent entre trois et six mois, ce qui laisse une fenêtre de tir de trois mois pour que ces connexions s’établissent dans son cerveau. Quand on laisse des enfants sans accompagnement, sans soins, sans personne pour se préoccuper de ce qu’ils vont pouvoir acquérir, on peut dire que le système est plus que défaillant. Il ne répond pas aux besoins et ne nous permet pas non plus d’assumer nos responsabilités puisque nous nous sommes engagés à respecter les droits et les besoins des enfants.
Nous vous remettrons avant jeudi toutes les préconisations de La France insoumise.
Mme la présidente Isabelle Santiago. Je respecte tous les avis, même quand je ne les partage pas. Depuis le départ, j’ai insisté sur les manquements des politiques publiques et sur le poids de l’histoire, dont personne ne semble avoir pris la mesure après des décennies de lois et de rapports sur la protection de l’enfance. Nous avons hérité des politiques de charité, du secteur associatif issu d’institutions catholiques, puis d’associations dites bénévoles dont certaines structures subsistent. Depuis le XIXe siècle, l’installation de la protection de l’enfance s’est faite de manière décentralisée, par territoires. Certains lieux, créés il y a soixante-dix ans et mal entretenus, sont qualifiés d’indignes de nos jours : ce sont de grands espaces, sans douches individuelles par exemple. Depuis soixante-dix ans, il n’y a eu aucune planification, aucune évaluation, aucune politique de pilotage national. Tout a contribué à une dilution des responsabilités. Dans leur rapport publié en 1980, Jean‑Louis Bianco et Pascal Lamy décrivaient déjà tous les dysfonctionnements de l’ASE. En 1983, la loi de décentralisation a transféré la protection de l’enfance aux départements, mais ce sont les mêmes associations et les mêmes professionnels qui sont restés en place. Le même système a perduré, y compris quand la protection de l’enfance est devenue une compétence des conseils départementaux.
Personne n’a d’excuse car les connaissances en matière de neurosciences et de développement de l’enfant ont progressé et pourtant il n’y a pas de normes. J’ai dit aux représentants de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS) qu’ils avaient accepté depuis quatre-vingts ans de travailler dans de très mauvaises conditions professionnelles. Bien qu’il soit impossible d’agir normalement en l’absence de normes, personne n’en réclamait.
Dans certains territoires, l’absence d’habilitation fait que le système repose entièrement sur le bénévolat, dont l’esprit imprègne l’action publique : on place les enfants auprès de certaines personnes parce que ce sont des gens bien et qu’elles sont les seules à les accepter. J’ai souhaité pointer cette mentalité ancrée dans l’histoire, afin d’ouvrir un nouveau chapitre.
Tous les députés peuvent actionner l’article 40 du code de procédure pénale. J’ai reçu un nombre considérable de pièces : je remercie les administrateurs et mon collaborateur de leur aide, et j’ai moi-même étudié une centaine de documents le jour, la nuit et le week-end – certains d’entre eux resteront confidentiels et ne sont pas cités dans le rapport. Les données collectées me permettront d’actionner l’article 40 dès que le rapport sera publié.
J’avais bien précisé que la commission d’enquête portait sur les manquements des politiques publiques. Je travaille sur le sujet depuis très longtemps : tout le monde passe à côté du problème et nous empilons des décisions sans avoir compris que l’institutionnalisation est historiquement trop forte dans notre pays. Il faut remettre en cause cet héritage, démarche qui conduit à attaquer le grand système des associations qui pilotent la protection de l’enfance. Nous devons refonder notre modèle pour les enfants. Pour ce faire, l’élaboration d’une loi de programmation pluriannuelle sur l’enfance est nécessaire, car aucun acteur ne changera de lui-même. Tout le monde peut participer à l’élaboration législative du nouveau modèle. L’organisation du système français de protection de l’enfance doit changer.
Quand j’ai discuté avec les représentants des grandes associations, je leur ai indiqué qu’ils n’avaient jamais demandé l’édiction de normes, pas plus que l’État, d’ailleurs, dont le rôle est pourtant de les élaborer. Tout le monde s’accorde sur ce constat, notamment sur la nécessité d’en créer maintenant, mais cette prise de conscience a moins de cinq ans.
Dans ce contexte, je respecte le point de vue de chacun, mais je préfère en rester aux préconisations que je vous ai présentées.
Mme Anne-Laure Blin (DR). Il n’y a qu’à voir l’épaisseur du rapport pour mesurer l’ampleur du travail de la commission d’enquête et de sa rapporteure. Les auditions, menées à un rythme intense, ont apporté des éclairages importants pour les membres de la commission d’enquête.
Dans le Maine-et-Loire où je suis élue, j’ai été confrontée à plusieurs situations incluant des familles et des professionnels. C’est la raison pour laquelle j’ai rejoint cette commission d’enquête, dont l’intitulé me convenait parfaitement puisqu’il visait à identifier les manquements des politiques publiques. L’objectif était de croiser les regards pour objectiver les situations à traiter. Le constat est clair et il s’est encore précisé au fur et à mesure de l’avancée de nos travaux.
Si l’objectivité n’existe pas, les préconisations doivent néanmoins être objectivées. La lecture de votre rapport et de vos préconisations m’a quelque peu déçue, notamment la première d’entre elles visant à élaborer un code de l’enfance. Dans de nombreux domaines, particulièrement dans le champ social, la transparence, l’intelligibilité et l’efficacité des politiques publiques pâtissent de la multiplication des normes administratives. Si je partage certaines de vos recommandations, faire de l’élaboration d’un code de l’enfance la proposition phare du rapport, en tout cas la première, m’a laissée perplexe. Je suis d’accord avec certains des arguments que vous avez développés lors de votre présentation, mais je m’étonne de ne pas les avoir retrouvés dans le rapport sous la forme de pistes concrètes destinées à améliorer le système de l’ASE.
Il existe en effet un véritable problème de formation et de responsabilité des professionnels. Aspect contribuant à l’opacité du système, il est difficile de savoir quel acteur est chargé de telle ou telle action, donc de connaître ceux qui doivent répondre des conséquences des décisions prises. Cette dilution des responsabilités aboutit à des situations dramatiques et profondément déshumanisantes.
Je n’ai pas eu le temps de lire de manière exhaustive les 400 pages du rapport dans le temps qui nous était imparti, mais il ne me semble pas suffisamment insister sur la nécessaire articulation entre la protection des enfants et le respect des parents, des familles et de l’autorité parentale. Dans la démarche d’objectivation que je défends, il faut s’assurer du respect total du contradictoire et de la parole des parents et des enfants, lesquels se trouvent face à une institution presque toute-puissante contre laquelle il est très difficile de s’élever. De nombreux professionnels et familles m’ont fait part de leur désespoir devant des décisions administratives de placement. Ce dernier est devenu la norme, alors que nous nous montrons incapables de protéger les enfants que nous considérons devoir être placés : les chiffres dont vous faites état dans le rapport étayent ce constat.
Il est nécessaire d’accompagner les enfants, par un ministère d’avocat, que vous mentionnez, et par un personnel extérieur à l’entité administrative de l’ASE. Le département de Maine-et-Loire a la chance de pouvoir compter sur des agents de médiation et sur des éducateurs exerçant en libéral. Ces professionnels accompagnent, avec les avocats, les familles et les enfants. Votre rapport, me semble-t-il, ne mentionne pas leur rôle.
De grandes différences existent dans les territoires, à la fois dans la rédaction des PPE et dans le déploiement du droit à l’accompagnement des familles. Nous devons nous assurer de la présence d’un pilote dans l’avion. Les lois, notamment la plus récente, celle de 2022, doivent s’appliquer : en tant que législateurs, nous trouvons insatisfaisant, voire choquant, qu’une loi promulguée ne trouve aucune concrétisation sur le terrain.
Le rapport signale certaines situations, dresse un état des lieux et pointe les causes historiques de celui-ci, mais il manque de propositions très concrètes à même d’apporter de la sécurité aux familles et de protéger les enfants en danger.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Une partie des éléments que vous avez évoqués se trouvent dans le rapport, car de très nombreuses propositions sont présentées dans le corps du texte, en dehors du chapitre consacré aux préconisations.
Les acteurs de la protection de l’enfance réclament la publication d’un code de l’enfance depuis très longtemps : je soutiens leur demande. L’élaboration de ce code requerrait un travail colossal qui me dépasse largement, mais les services de l’État pourraient y travailler. La difficulté majeure pour les familles réside dans l’illisibilité des dispositions relatives à l’enfance. Les politiques publiques sont diluées et manquent de lisibilité. Au Québec, chaque chapitre de normes est présenté de manière pédagogique, si bien que les familles et les citoyens peuvent comprendre les devoirs de chacun et les conséquences de certaines décisions. Le statut de l’enfant, fixé par le législateur, est parfaitement décrit et chaque famille peut accéder à des explications claires des actions de protection de l’enfance. En France, c’est l’éparpillement et le flou qui prévalent puisque presque tous les codes contiennent des articles relatifs à l’enfance, même celui de l’urbanisme ! Cette situation est inadmissible.
Dans les propositions que j’avance pour refonder notre système très défaillant, je cherche à améliorer l’accompagnement des familles. Pour ce faire, nous avons besoin d’études décrivant la situation dans les territoires. Il importe de graduer la présence des enfants dans les dispositifs de protection de l’enfance et d’accompagnement des familles. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant dispose que celui-ci est un sujet juridique et que la famille ne peut pas toujours intervenir. Pour autant, il ne faut pas accepter le système actuel, dans lequel l’enfant entre dans la protection de l’enfance en tant que sujet juridique, mais n’en sort plus parce qu’aucun travail n’est accompli avec la famille. Nous avons élaboré des propositions très concrètes dans tous ces domaines.
M. Arnaud Bonnet (EcoS). Nous nous retrouvons dans presque toutes les recommandations du rapport. Nous déposerons une contribution afin d’apporter des éléments supplémentaires à la réflexion.
Nous avons effectué quelques déplacements parallèlement à ceux de la commission d’enquête. Je reste surpris du grand écart que l’on peut trouver dans les échanges individuels avec les jeunes concernés. Chaque rencontre a touché tous les membres de la commission. Il est nécessaire de consacrer des moyens budgétaires à la politique de protection de l’enfance si nous voulons avancer et lutter contre les situations de grande violence que nous avons constatées. Le dernier enfant venant de l’ASE que j’ai croisé dans mon département portait des chaussures ouvertes : c’est intolérable et injustifiable. L’État, censé accompagner ces enfants, est l’acteur le plus violent. Je formulerai des recommandations liées à l’éducation nationale, domaine que je connais le mieux.
Je forme le vœu que nous agissions tous ensemble avec efficacité pour le bien-être de tous ces enfants.
Mme Julie Ozenne (EcoS). Nous devrons veiller à ne pas établir de normes trop complexes, sources de frustration. Il s’agit d’un sujet délicat dont nous pourrons reparler.
Mme la présidente Laure Miller. Les groupes du bloc central déposeront une contribution pour mettre en avant leurs priorités. Il nous appartient de travailler ensemble. Je regrette que l’état d’esprit de la commission d’enquête n’ait pas été assez collectif. Je suis peut-être un peu naïve, mais il me semble que nous aurions pu nous réunir avant la présentation du rapport pour avoir connaissance de celui-ci et commencer à penser à une proposition de loi transpartisane. Il n’est pas trop tard pour agir en ce sens et nous pourrons faire émerger un consensus entre le rapport et les contributions des groupes politiques.
Je remercie la rapporteure et l’ensemble des membres de la commission pour leur travail et leur assiduité, mais également les administrateurs qui nous ont accompagnés et qui ont joué un rôle central.
Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Nous avons respecté les consignes et le cadre légal des commissions d’enquête.
La commission adopte le rapport.
– 1 –
- AAH : administrateur ad hoc
- AE : autorisation d’engagement
- AEM : appui à l’évaluation de la minorité
- AEMO : aide éducative en milieu ouvert
- ACE : adverse childhood event
- ACM : accueil collectif de mineurs
- ARS : agence régionale de santé
- ASE : aide sociale à l’enfance
- AED : aide éducative à domicile
- AESH : accompagnant d’élèves en situation de handicap
- ADEPAPE : associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance
- AFMJF : association française des magistrats de la jeunesse et de la famille
- ALD : affection de longue durée
- ANAMAAF : association nationale assistants maternels, assistants accueillants familiaux
- ANDASS : association nationale des directeurs d’action sociale et de santé
- ANMECS : association nationale des maisons d’enfants à caractère social
- APAI : association pour la promotion des actions d’insertion
- APHP : assistance publique-hôpitaux de Paris
- APPIE : analyse des politiques publiques à impact sur les enfants
- APU : accueil provisoire d’urgence
- BAFA : brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur
- BASE besoin d’attachement et de santé pour l’enfance
- BASS : branche des activités sanitaires, sociales et médico-sociales privée à but non lucratif
- BEP : brevet d’études professionnelles
- CAF : caisse d’allocations familiales
- CAP : certificat d’aptitude professionnelle
- CASA : contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie
- CASD : centre d’accès sécurisé aux données
- CASF : code de l’action sociale et des familles
- CCAS : centre communal d’action sociale
- CCN51 : convention collective nationale du 31 octobre 1951
- CCN66 : convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966
- CCUE : convention collective unique étendue
- CDAAJM : commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes majeurs
- CDEF : centre départemental de l’enfance et de la famille
- CDEJA : conseil départemental des enfants et des jeunes accueillis à l’aide sociale à l’enfance
- CDPE : conseil départemental des parents d’élèves
- CEDH : cour européenne des droits de l’homme
- CEF : centre éducatif fermé
- CEJ : contrat d’engagement jeune
- CESDH : convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
- CESE : conseil économique, social et environnemental
- CESEDA : code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
- CESSEC : commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés
- CHU : centre hospitalier universitaire
- CIDE : convention internationale des droits de l’enfant
- CIFRE : convention industrielle de formation par la recherche
- CIH : comité interministériel pour le handicap
- CIIVISE : commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants
- CISSS : centre intégré de santé et de services sociaux
- CIUSSS : centre intégré de santé et de services sociaux
- CJPE : conseil des jeunes de la protection de l’enfance
- CMP : centre médico-psychologique
- CMPP : centre médico-psychologique et pédagogique
- CNA : conseil national de l’adoption
- CNAF : caisse nationale des allocations familiales
- CNAM : caisse nationale d’assurance maladie
- CNAOP : conseil national pour l’accès aux origines personnelles
- CNAPE : convention nationale des associations de protection de l’enfance
- CNEN : conseil national d’évaluation des normes
- CNFPT : centre national de la fonction publique territoriale
- CNIL : commission nationale de l’informatique et des libertés
- CNPE : conseil national de la protection de l’enfance
- CNPR : conférence nationale des procureurs de la République
- COJ : conseil d’orientation des politiques de jeunesse
- CP : crédits de paiement
- CPOM : contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens
- CREAI : centre régional d’études, d’actions et d’informations
- CRIP : cellule de recueil des informations préoccupantes
- CSA : contribution de solidarité pour l’autonomie
- CSG : contribution sociale généralisée
- CSIS : conseil stratégique d’innovation en santé
- DALO : droit au logement opposable
- DARES : direction de l’animation de la recherche et des études statistiques
- DASEN : direction académique des services de l’éducation nationale
- DDASS : direction départementale de l’action sanitaire et sociale
- DDETS(PP) : direction départementale de l’emploi du travail et des solidarités (et de la protection des populations
- DEAF : diplôme d’État d’assistant familial
- DEETS : direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités
- DEPP : direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance
- DGCS : direction générale de la cohésion sociale
- DGESCO : direction générale de l’enseignement scolaire
- DGOS : direction générale de l’offre de soins
- DLPM : dispositif de lutte contre la prostitution des mineurs
- DMTO : droits de mutation à titre onéreux
- DNS : délégation au numérique en santé
- DPJJ : direction de la protection judiciaire de la jeunesse
- DREES : direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
- DREETS : direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités
- EAJE : établissement d’accueil du jeune enfant
- EHPAD : établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
- EIG : événements et incidents graves
- ELAP : étude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes après un placement
- ENM : école nationale de la magistrature
- ENPJJ : école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse
- EPRED : équipe pédiatrique régionale d’expertise et de diagnostic
- EREA : établissement régional d’enseignement adapté
- ESAT : établissement ou service d’aide par le travail
- ESOPPE : référentiel d’évaluation participative des situations des enfants et des familles en protection de l’enfance
- ES-PE : enquête auprès des établissements et services de la protection de l’enfance
- ESPER : étude de cohorte prospective des enfants protégés
- ESSMS : établissements et services sociaux et médico-sociaux
- ETP(T) : équivalent temps plein (travaillé)
- EUPROM : european protection of unaccompanied minors
- FEHAP : fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés solidaires
- FIJAISV : fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes
- FINESS : fichier national des établissements sanitaires et sociaux
- FIR : fonds d’intervention régional
- FNADEPAPE : fédération nationale des associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance
- FNAF PE : fédération nationale des assistants familiaux et de la protection de l’enfance
- GEPSO : groupe national des établissements sociaux et médico-sociaux
- GIP : groupement d’intérêt public
- GIPED : groupement d’intérêt public enfance en danger
- HAS : haute autorité de santé
- IEM : institut d’éducation motrice
- IGAENR : inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche
- IGAS : inspection générale des affaires sociales
- IGEN : inspection générale de l’éducation nationale
- IGF : inspection générale des finances
- IGJ : inspection générale de la justice
- IGS : inspection générale des services
- IME : institut médico-éducatif
- IMPRO : institut médico‑professionnel
- INED : institut national d’études démographiques
- INSEE : institut national de la statistique et des études économiques
- IOE : investigation et orientation éducatives
- IP : information préoccupante
- ITEP : institut thérapeutique, éducatif et pédagogique
- LVA : lieu de vie et d’accueil
- MAEI : maison d’accueil, d’éducation et d’insertion
- MECS : maison d’enfants à caractère social
- MDPH : maison départementale des personnes handicapées
- MIPROF : mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains
- MJIE : mesure judiciaire d’investigation éducative
- MNA : mineur non-accompagné
- MMNA : mission mineurs non accompagnés
- MSA : mutualité sociale agricole
- ODPE : observatoire départemental de protection de l’enfance
- OLINPE : observation longitudinale, individuelle et nationale en protection de l’enfance
- OMS : organisation mondiale de la santé
- ONDAM : objectif national de dépenses d’assurance maladie
- ONDAM MS : objectif national de dépenses d’assurance maladie médico-social
- ONPE : observatoire national de la protection de l’enfance
- OQTF : obligation de quitter le territoire français
- ORS : observatoire régional de santé
- OSE : œuvre de secours aux enfants
- PANJO : promotion de la santé et de l’attachement des nouveaux-nés et de leurs jeunes parents :un outil de renforcement des services de PMI
- PCD : président du conseil départemental
- PEAD : placement éducatif à domicile
- PEFJ : pôle enfance famille jeunesse
- PEGASE : programme d’expérimentation d’un protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l’âge de cinq ans d’une mesure de protection de l’enfance
- PJJ : protection judiciaire de la jeunesse
- PMI : protection maternelle et infantile
- POSER : promouvoir, observer la santé des enfants en région
- PPE : projet pour l’enfant
- RCB : rationalisation des choix budgétaires
- RGPD : règlement général sur la protection des données
- RSA : revenu de solidarité active
- SAH : secteur associatif habilité
- SDIS : service départemental d’incendie et de secours
- SDPE : schéma départemental de la protection de l’enfance
- SEAT : service éducatif auprès des tribunaux
- SGPI : secrétariat général pour l’investissement
- SI : systèmes d’information
- SIES : systèmes d’information et études statistiques
- SNATED : service national d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger
- SNPE : stratégie nationale de la protection de l’enfance
- SSMSI : service statistique ministériel de la sécurité intérieure
- TISF : technicien de l’intervention sociale et familiale
- UAPED : unité d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger
- UFNAFAAM : union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels
- ULIS : unité localisée pour l’inclusion scolaire
- UNAFORIS : union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale
- UNAPEI : union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis
- UNAPP : union nationale des acteurs de parrainage de proximité
- UNIOPSS : union nationale interfédérale des œuvres privées sanitaires et sociales
- UNML : union nationale des missions locales
- URIOPSS : union régionale interfédérale des œuvres privées sanitaires et sociales
- USH : union sociale pour l’habitat
- USM : union syndicale des magistrats
- VAE : validation des acquis de l’expérience
– 1 –
Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES
I. Personnes auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête SUR LES MANQUEMENTS DES POLITIQUES DE PROTECTION DE L’ENFANCE (XVIe législature)
Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.
14 mai 2024
– Comité de vigilance des enfants placés, représenté par Mmes Diodio Métro, Anne‑Solène Taillardat et M. Lyès Louffok, anciens enfants placés.
– Audition commune réunissant :
• M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale, et Mme Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l’enfance et de la famille ;
• M. Fabrice Lenglart, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), et Mme Julie Labarthe, sous directrice de l’observation de la solidarité.
16 mai 2024
– Pr Jean-Marc Baleyte, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital intercommunal de Créteil.
21 mai 2024
– Audition de M. Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l’association OSE (Œuvre de secours aux enfants).
– Pr Céline Greco, cheffe du service de médecine de la douleur et palliative de l’hôpital Necker-enfants malades, présidente de l’association IM’PACTES *.
– Dr Marie-Paule Martin Blachais, directrice scientifique de l’École de protection de l’enfance, ancienne directrice du Groupement d’intérêt public « Enfance en danger » (GIPED) et rapporteure de la démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance.
22 mai 2024
– Mme Anne Devreese, présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), M. Sylvain Turgis, secrétaire général du CNPE, Mme Céline Truong, membre du CNPE, responsable en charge de la petite enfance et des familles d’ATD‑Quart Monde *, et Mme Nathalie Vabre, membre du CNPE, pédiatre et coordinatrice de l’unité d’accueil des enfants en danger au centre hospitalier et universitaire de Nantes.
23 mai 2024
– Mme Caroline Nisand, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, M. Méhidine Faroudj, sous-directeur des missions de protection judiciaire et d’éducation, Mmes Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d’éducation, Valérie Gorlin, cheffe du bureau des partenaires institutionnels et des territoires de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation, Alice Bonatti, cheffe de la section de la protection de l’enfance et des relations avec les juridictions du bureau des partenaires institutionnels et des territoires, et Marie-Laure Tenaud, cheffe de la mission sur les mineurs non accompagnés
28 mai 2024
– Membres du collectif « Cause Majeur ! » : Mme Sophie Diehl, responsable du pôle « Justice des enfants et des adolescents » de l’association Citoyens et Justice, M. Thomas Larrieu, chargé du plaidoyer et de l’animation du réseau du Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (GEPSO), Mme Lise Marie Schaffhauser, animatrice du pôle « Innovation, recherche et valorisation » de l’Union nationale des acteurs de parrainage de proximité (UNAPP), Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer » de l’association SOS Villages d’enfants *.
– Audition conjointe de :
• M. Jean-Marie Muller, président de la Fédération nationale des associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (FNADEPAPE) ;
• MM. Christian Haag, Jérôme Beaury et Hakan Marty, éducateurs spécialisés et anciens enfants placés ;
• M. Mads Suaibu Jalo, président du réseau d’entraide « Repairs » et Mme Aniella Lamnaouar, bénévole de l’association.
29 mai 2024
– M. Baptiste Cohen, coordinateur national du pôle « Protection de l’enfance » de la fondation des Apprentis d’Auteuil *, M. Thomas Brichard, directeur de la maison d’enfants à caractère social (MECS) Providence-Miséricorde à Rouen, et Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la MECS Saint-Jean à Sannois.
– M. Hervé Laud, directeur chargé de la prospective, du plaidoyer et de la communication de l’association SOS Villages d’enfants *, et Mme Florine Pruchon, responsable du pôle « Plaidoyer ».
– Mme Alice Grunenwald, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants au tribunal pour enfants de Saint Etienne, et Mme Muriel Eglin, vice-présidente de l’AFMJF, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny.
30 mai 2024
– Mme Cécile Mamelin, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM), et Mme Natacha Aubeneau, secrétaire nationale.
– Mme Kim Reuflet, présidente du Syndicat national de la magistrature (SNM), et Mme Juliette Renault, secrétaire permanente.
– M. Arnaud de Saint-Rémy, responsable du groupe de travail « Droits des enfants » du Conseil national des barreaux (CNB) *, Mme Nawel Oumer, présidente de la commission « Égalité » et membre du groupe de travail « Droit des enfants », Mme Valentine Guirato, membre de la commission « Libertés et droits de l’homme », et Mme Mona Laaroussi, chargée de mission « Affaires publiques ».
4 juin 2024
– M. Gautier Arnaud Melchiorre, auteur du rapport « À (h)auteur d’enfants », remis en novembre 2021 au Secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
– M. Édouard Durand, ancien président de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles (CIIVISE).
5 juin 2024
– M. Didier Tronche, président de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE) *, et M. Pierre-Alain Sarthou, directeur général.
– M. Daniel Goldberg, président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) *, et Mme Katy Lemoigne, co-présidente de la Commission Enfances-Familles-Jeunesses.
II. Personnes auditionnées dans le cadre de la commission d’enquête SUR LES MANQUEMENTS DES POLITIQUES publiques DE PROTECTION DE L’ENFANCE (XVIIe législature)
12 novembre 2024
– Audition de Mme Josiane Bigot, co-rapporteure de l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) « La protection de l’enfance est en danger ».
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, et M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, accompagnés de Mme Marguerite Aurenche, cheffe du pôle « Droits de l’enfant », et Mme Nathalie Lequeux, juriste au pôle « Droits de l’enfant ».
13 novembre 2024
– ATD Quart Monde *, représentée par Mmes Céline Truong, responsable de l’équipe nationale « Petite enfance et famille », Isabelle Toulemonde, responsable de l’équipe nationale « Droits de l’homme et justice », et Gaëlle Le Dins, maman concernée par l’intervention de la protection de l’enfance.
– Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé (ANDASS), représentée par M. Patrick Genevaux, président, Mme Eve Robert, représentante de l’ANDASS au Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), et M. Axel Harkat, membre du conseil d’administration de l’Andass
19 novembre 2024
– Groupe national des établissements sociaux et médico-sociaux (GEPSO), représenté par M. Julien Blot, président, M. Franck Bottin, membre du bureau, Mme Jeanne Cornaille, déléguée nationale, et Mme Christine Omam, membre de la commission « Parcours prévention et protection de l’enfant ».
– Mme Charlotte Caubel, ancienne secrétaire d’État en charge de l’enfance.
20 novembre 2024
– Mme Michèle Créoff, vice-présidente de l’Union pour l’enfance.
– Mme Laurence Rossignol, ancienne ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes.
3 décembre 2024
– Mme Sarah El Haïry, ancienne ministre déléguée en charge de l’enfance, de la jeunesse et des familles.
– Table ronde sur les familles d’accueil, réunissant :
• M. Bruno Roy, président de l’Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux (ANAMAAF) ;
• Mme Cathy Blanc-Chardan, présidente de l’Association nationale des placements familiaux (ANPF) ;
• Mme Sonia Mazel-Bourdois, présidente de la Fédération nationale des assistants familiaux et de la protection de l’enfance (FNAF-PE), et Mme Lydie Servonnat, vice-présidente de la FNAF-PE ;
• M. Thierry Herrant, chargé de mission à l’Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels (UFNAFAAM), M. Steeve Penin, assistant familial dans le département du Nord, membre du bureau de l’UFNAFAAM, et Mme Amilie Gadel, assistante familiale dans le département de Haute-Savoie.
4 décembre 2024
– M. Alain Vinciarelli, président de l’Association nationale des maisons d’enfants à caractère social (ANMECS), directeur du dispositif Cèdre de l’association vosgienne pour la sauvegarde de l’enfance, de l’adolescence et des adultes, M. Noël Touya, secrétaire du bureau de l’ANMECS, directeur de la MECS St Vincent de Paul à Biarritz, et Mme Sophie Latournerie, secrétaire adjointe du bureau de l’Anmecs, directrice de la maison d’enfants Clair Logis à Paris.
11 décembre 2024
– M. Manaf El Hebil, directeur général du groupe Domino RH.
– Dr Anne Raynaud, psychiatre, directrice de l’Institut de la parentalité.
17 décembre 2024
– Table ronde, ouverte à la presse, sur les mineurs non accompagnés :
• Mmes Elsa Faucillon et Michèle Peyron, rapporteures d’une mission d’information sur les mineurs non accompagnés au nom de la délégation aux droits des enfants ;
• MM. Hussein Bourgi et Laurent Burgoa, sénateurs, auteurs du rapport d’information du Sénat « Mineurs non accompagnés, jeunes en errance : 40 propositions pour une politique nationale » de septembre 2021 ;
– Audition conjointe de Mme Isabelle Frechon, chargée de recherche au laboratoire Printemps de l’Université Versailles St-Quentin-en-Yvelines, et Mme Flore Capelier, chercheure associée au laboratoire Printemps.
18 décembre 2024
– Audition de l’association Départements de France, réunissant :
• M. François Sauvadet, président, président du département de la Côte-d’Or ;
• Mme Florence Dabin, vice-présidente, présidente du groupe de travail « Enfance », présidente du département de Maine-et-Loire, et Mme Jihane Tokhsane, conseillère « Solidarités » au cabinet de Mme Dabin ;
• M. Jean-Luc Gleyze, secrétaire général, président du groupe de gauche, président du département de la Gironde - Mme Laurette Le Discot, conseillère « Enfance et famille » de Départements de France.
– Audition de Mme Florence Dabin, présidente du Groupement d’intérêt public (GIP) « France Enfance protégée », et Mme Anne Morvan-Paris, directrice générale du GIP.
15 janvier 2025
– Mme Jennifer Pailhé, présidente de l’association Nos Ados oubliés, Mme Sara Benmrah, vice-présidente, et Mme Andréa Suspene, membre de l’association.
– M. Jean Pineau, vice-président de l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS), Mme Chloé Altwegg-Boussac, déléguée générale, et Mme Germaine Peyronnet, membre du bureau.
16 janvier 2025
– Audition d’associations gestionnaires de maisons d’enfants à caractère social (MECS) en outre-mer :
• pour la Guadeloupe : Mme Malissa de la Cruz, directrice de la maison d’accueil, d’éducation et d’insertion (MAEI), association pour la promotion des actions d’insertion (APAI), Mme Katia Aloph, psychologue, Mme Monique Calmo, cheffe du service de placement à domicile, et M. Aristide Pommier, éducateur spécialisé.
• pour la Martinique : Mme Mirella Mencé, cheffe de service de la MECS La Ruche, et M. Laurent Filin, adjoint de direction ;
• pour La Réunion : Mme Mery-Gladys Barret, directrice générale de l’association Fekler (groupe SOS *), et M. Christophe Burel, directeur du pôle MECS.
– Audition de Mme Nadia Negrit, conseillère départementale de Guadeloupe, présidente de la commission Enfance, famille.
– Audition de Mme Audrey Thaly-Bardol, conseillère exécutive chargée des solidarités et de la santé au sein de la collectivité territoriale de Martinique.
21 janvier 2025
– M. Adrien Taquet, ancien secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.
– Mme Francine Chopard, conseillère régionale déléguée aux formations sanitaires et sociales de la Région Bourgogne-Franche-Comté et représentante des Régions de France au Haut Conseil du travail social (HCTS), et Mme Laura Lehmann, conseillère Santé, social, formations sanitaires et sociales de Régions de France.
22 janvier 2025
– Table ronde réunissant les organisations syndicales représentatives du secteur sanitaire, social et médico-social à but non lucratif :
• Confédération française démocratique du travail (CFDT) : M. Benjamin Vitel, secrétaire national de la Fédération CFDT-Santé Sociaux, responsable des diplômes et métiers du social, Mme Jacqueline Fiorentino, secrétaire fédérale à la Fédération Interco CFDT, en charge du champ du social et médico-social, et M. Éric Achard, secrétaire fédéral à la Fédération Interco CFDT, en charge du champ de la Protection judiciaire de la jeunesse ;
• Confédération générale du travail (CGT) : Mme Pascale Guiniec, membre du bureau de l’UFAS (Union fédérale de l’action sociale)-CGT, Mme Esther Tonna, secrétaire générale de l’UFAS, M. Jili Biet, membre du bureau national de la CGT-PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) ;
• Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) : M. Michel Poulet, secrétaire fédéral, fédération FO de l’action sociale, et Mme Béatrice Clicq, Secrétaire confédérale en charge de l’Égalité et du Développement durable ;
• Union syndicale Solidaires (Solidaires) : M. Éric Florindi, éducateur spécialisé, membre du Haut conseil du travail social pour Solidaires, Mme Anne-Sophie Souchaud, éducatrice de prévention spécialisée, M. Olivier Treneul, membre du bureau fédéral de SUD Collectivités territoriales et travailleur social à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), et Mme Elen Jeanneteau, SUD, travailleuse sociale à l’ASE.
– M. Jean-Luc Chenut, président du conseil départemental d’Ille‑et‑Vilaine, accompagné de Mme Anne-Françoise Courteille, première vice-présidente du conseil départemental déléguée à la protection de l’enfance et à la prévention, et de Mme Élise Ablain, directrice Enfance et famille.
23 janvier 2025
– M. Jean-Pierre Barbier, président du conseil départemental de l’Isère, accompagné de Mme Séverine Battin, directrice générale des services, et M. Édouard Joussellin, directeur de cabinet du président.
– Mme Coralie Dénoues, présidente du conseil départemental des Deux‑Sèvres, accompagnée de M. Hervé Cochetel, directeur général des services du conseil départemental, et Mme Sophie Carbonne, directrice générale adjointe aux solidarités
28 janvier 2025
– M. Mathieu Klein, président du Haut Conseil du travail social.
– Mme Rania Kissi et M. Madiba Guirassy, co-fondateurs du Comité de vigilance des enfants placés, et Mme Nadia Heron et M. Lucas Cortella, membres du Comité.
29 janvier 2025
– M. Michel Ménard, président du conseil départemental de la Loire-Atlantique, Mme Claire Tramier, vice-présidente Familles et protection de l’enfance, Mme Cécile Chollet, directrice générale adjointe des territoires, et Mme Bénédicte Jacquey, directrice générale adjointe Solidarité.
– M. Éric Woerth, ancien ministre, ancien président de la commission des finances, député de l’Oise, et de M. Simon Bacik, inspecteur général de l’administration.
4 février 2025
– M. Sébastien Vincini, président du conseil départemental de la Haute-Garonne, M. Grichka Lingerat, conseiller en charge de la protection de l’enfance, Mme Siham El Boukili, directrice générale déléguée aux territoires et à l’action sociale de proximité, et Mme Sylvie Malinowski, chargée d’études et d’évaluation des politiques de l’enfance et de la famille.
– M. Olivier Sichel, directeur de la Banque des territoires, directeur général par intérim de la Caisse des dépôts et consignations, M. Jérôme Lamy, directeur des clientèles bancaires de la Banque des territoires, Mme Marie Dolard-Cleret, directrice du département Consignations et dépôts spécialisés, et M. Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes de la Caisse des dépôts.
5 février 2025
– M. Cyrille Melchior, président du conseil départemental de La Réunion, Mme Nathalie Anoumby, directrice générale adjointe du pôle des solidarités, et M. Jean-Patrick Dalleau, directeur de l’enfance et de la famille.
– M. Christian Poiret, président du conseil départemental du Nord, M. Lionel Crutel, directeur de cabinet, et M. Arnaud Buchon, directeur général adjoint Enfance, famille et santé.
– Audition conjointe réunissant :
• Mme Karine Brunet-Jambu et Mme Laurence Brunet-Jambu, auteures de l’ouvrage Signalements ;
• M. Matthieu Bourrette, avocat général près la cour d’appel de Paris, ancien procureur de la République près le tribunal judiciaire de Reims ;
• Mme Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ancienne juge d’instruction au tribunal de grande instance de Meaux.
11 février 2025
– Audition conjointe de :
• Mme Caroline Pascal, directrice générale de l’enseignement scolaire au ministère de l’éducation nationale (DGESCO) ;
• Mme Pascale Coq, inspecteur d’académie-directeur académique des services de l’éducation nationale de l’Essonne, et M. Louis Albérici, inspecteur d’académie-directeur académique adjoint des services de l’éducation nationale des Yvelines, membres de la Conférence nationale des inspecteurs d’académie.
– Table ronde, ouverte à la presse, consacrée aux placements abusifs d’enfants :
• Mme Romane Brisard, journaliste ;
• Mme Madeleine Meteyer, journaliste ;
• Association contre l’aliénation parentale pour le maintien du lien familial (ACALPA) : Mme Olga Odinetz, présidente ;
• Association L’Enfance au cœur : Me Christine Cerrada, avocat référent de l’association.
19 février 2025
– Audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
– 1 –
Déplacement dans le département du puy-de-dôme
(jeudi 23 et vendredi 24 mai 2024)
Dîner à la préfecture du Puy-de-Dôme :
M. Joël Mathurin, préfet
M. Jérôme Malet, sous-préfet, directeur de cabinet du préfet
Visite de la pouponnière du Centre départemental de l’enfance et de la famille du Puy-de-Dôme :
M. Bernard Beal, directeur par intérim
Personnel et représentants syndicaux de la pouponnière
M. Lionel Chauvin, président du conseil départemental
Mme Éléonore Szczepaniak, vice-présidente, en charge de l’enfance et de la jeunesse
M. Arnaud Bazin, directeur de cabinet du président
Entretien avec le conseil départemental du Puy-de-Dôme :
M. Lionel Chauvin, président du conseil départemental
Mme Éléonore Szczepaniak, vice-présidente, en charge de l’enfance et de la jeunesse
M. Arnaud Bazin, directeur de cabinet du président
Table-ronde institutionnelle :
M. Lionel Chauvin, président du conseil départemental
Mme Éléonore Szczepaniak, vice-présidente, en charge de l’enfance et de la jeunesse
M. Arnaud Bazin, directeur de cabinet du président
Mme Sarah Klisnick, directive de la prévention et de la protection de l’enfance au département
Mme Anne Poudret, directrice générale adjointe du pôle solidarités sociales au département
M. Grégory Dole, directeur de la délégation départementale de l’agence régionale de santé (ARS) du Puy-de-Dôme
Mme Mélanie Jalicot, magistrate coordonnatrice du tribunal pour enfants de Clermont-Ferrand
Représentants de la direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN) du Puy-de-Dôme
Mme Sandrine Laquit, directrice de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH)
Mme Dominique Feneon, cheffe de service de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Clermont Ferrand
Déplacement dans le département du NORD
(vendredi 7 JUIN 2024)
Visite des locaux de la Maison de l’enfance et de la famille (MEF) Métropole Lille
M. Pierre Bertrand, directeur de l’Établissement départemental pour soutenir, accompagner, éduquer (EPDSAE)
M. Arnaud Buchon, directeur général adjoint par intérim du département du Nord (Enfance, Famille, Santé)
Personnel et adolescents hébergés
Première table ronde :
Participants à la visite de la MEF
Mme Salembier, représentante de la CFDT
M. Cusseau, représentant de la CGT
Mme Delberghe, directrice de la stratégie
Mme Cécile Grenu (département du Nord), sur le sujet des conférences familiales immédiates
Mmes Sahli, éducatrice spécialisée, et Benadel, adjointe de direction, sur le sujet de l’internat de demain et du conseil des aidants
M. Denecker, éducateur spécialisé, sur le sujet de l’accueil d’urgence des fratries
Deuxième table ronde :
Représentants des organisations syndicales SUD, CGT, CFDT, CFE-CGC, CFTC
Déjeuner à la préfecture du Nord :
Mme Virginie Lasserre, préfète déléguée à l’égalité des chances
Mme Marie Tonnerre, vice-présidente du conseil départemental chargée de l’enfance
Table-ronde institutionnelle :
Mme Christelle Dumont, procureur de la République, Valenciennes
Mme Virginie Cmiel-Monnier, vice-présidente coordinatrice du tribunal pour enfants, Valenciennes
Mme Marie Auriault, vice-présidente du tribunal pour enfants, Valenciennes
Mme Virginie Lasserre, préfète déléguée à l’égalité des chances
Mme Emilie Mamcarz, directrice adjointe de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS)
M. Jean-Christophe Canler, directeur général adjoint de l’agence régionale de santé (ARS) Hauts-de-France
Mme Valérie Cabuil, rectrice des Hauts-de-France
M. Claude Gardanne, directeur départemental de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ)
Mme Carole Etienne, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille
Mme Pascale Girardon, procureure de la République adjointe, cheffe de la division action publique du parquet de Lille
Mme Céline Meynet, vice-procureure de la République, cheffe de la section mineurs auteurs et victimes du parquet de Lille
Mme Mattei, première vice-présidente chargée des fonctions de juge des enfants, tribunal judiciaire de Lille
Mme Marie Tonnerre, vice-présidente du département du Nord
Mme Caroline Pecqueur-Lemaire, collaboratrice de Mme Tonnerre
M. Arnaud Buchon, directeur général adjoint Enfance famille santé du département du Nord
Mme Alexandra Wierez, directrice Enfance famille santé du département du Nord
Mme Véronique Leroy, directrice santé au département du Nord
Mme Florence Magne, directrice de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH)
Monsieur Olivier Cottet, direction académique des services de l’éducation nationale du Nord
Déplacement dans le département de la
meurthe-et-moselle
(vendredi 6 décembre 2024)
Visite du foyer de jeunes travailleurs « Les Abeilles », géré par l’association Adavie :
Mme Céline Lacôte, directrice générale d’Adavie
Jeunes majeurs et travailleurs sociaux
Mme Marie-José Amah, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
M. Pierre Kling, conseiller autonomie, protection de l’enfance et protection maternelle et infantile (PMI) au cabinet de la présidente du conseil départemental
Mme Stéphanie Rivierre-Coquibus, responsable au service jeunes majeurs de la Direction Enfance Famille et Santé publique du département
Mme Annie Tourolle, directrice départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS)
Participation à une réunion de la commission départementale d’accès à l’autonomie des jeunes (CDAAJ) :
Membres de la sous-commission logement : réseau éducatif de Meurthe‑et‑Moselle (REMM), DDETS, Service d’accueil et d’orientation (SAO), maison départementale des personnes handicapées (MDPH), CROUS, service jeunes majeurs du département, caisse d’allocations familiales, Commission 360, association Aurélie Finance, association Réalise, association Tremplin,
Déjeuner avec la présidente du conseil départemental de la Meurthe-et-Moselle et la préfecture :
Mme Chaynesse Khirouni, présidente du conseil départemental
Mme Marie-José Amah, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
M. Pierre Kling, conseiller autonomie, protection de l’enfance et PMI au cabinet de la présidente du conseil départemental
M. Yaël Tranier, directeur général adjoint aux solidarités du département
M. Julien Le Goff, secrétaire général de la préfecture
Table-ronde avec le département, des associations et des jeunes majeurs
Mme Marie-José Amah, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
Association Aurélie Finance
Association Réalise
Association Tremplin
Service jeunes majeurs du département
Jeunes majeurs accompagnés par le département et ces associations
Déplacement à argenteuil
(Jeudi 19 décembre 2024)
Pôle enfance et parentalité de la Croix-Rouge : visite du centre parental Les Gigognes et du Relais parental Joly
Échange avec les personnes accueillies et travaillant au pôle
Déplacement dans le département de la mayenne
(vendredi 24 janvier 2025)
Lieu de vie et d’accueil géré par l’association Liberi :
M. Abdel Mebtoul, directeur général de l’association Liberi
M. Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne
Mme Julie Ducoin, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
Personnel et jeunes du lieu de vie
Lieu de vie et d’accueil géré par l’association Chanteclair :
Mme Katy Lemoigne, directrice générale de l’association Chanteclair
M. Olivier Richefou, président du conseil départemental de la Mayenne
Mme Julie Ducoin, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
Personnel et jeunes du lieu de vie
Déjeuner à la préfecture de la Mayenne :
Mme Marie-Aimée Gaspari, préfète de la Mayenne
M. Serge Milon, directeur départemental de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP)
M. Olivier Richefou, président du conseil départemental
Mme Julie Ducoin, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
Table-ronde institutionnelle :
M. Olivier Richefou, président du conseil départemental
Mme Julie Ducoin, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance
Mme Valérie Jouet, directrice de la délégation territoriale de Mayenne de l’agence régionale de santé (ARS) Pays de la Loire
M. Laurent Drault, adjoint au directeur académique des services de l'éducation nationale (DASEN), en charge du premier degré
M. Florian Trombetta, conseiller DASEN en matière de jeunesse, d'engagement et de sports
Mme Aurélie Sureau, responsable du service social en faveur des élèves à la DASEN
Mme Anne Dauzon, directrice adjointe de l’autonomie du département
M. Hugues Lemercier, directeur de la protection de l’enfance du département
Mme Virginie Plicque, directrice adjointe de la protection maternelle et infantile (PMI) du département
Mme Isabelle Leboulanger, directrice de la solidarité du département
M. Serge Milon, directeur départemental de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP)
Mme Laurence Martin, cheffe de service à la DDETSPP
Mme Nathalie Scouarnec, directrice du service territorial éducatif de milieu ouvert et d’insertion (STEMOI) Anjou-Mayenne
M. Benoît Hervouët, directeur territorial adjoint, direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) du Maine-et-Loire, de la Sarthe et de la Mayenne
M. Jean-Marc Toublanc, président du tribunal judiciaire de Laval
Mme Anne-Lyse Jarthon, procureure de la République
Déplacement en wallonie (Belgique)
(mercredi 29 et jeudi 30 janvier 2025)
Institut Royal familial :
M. Gilles Dupal, directeur
M. Gaetano Dragotta, coordinateur
Mme Emelyne Samain, cheffe de service
M. Olivier Terwagne, chef de service
M. Maximilien Gervasi, chef de service
Mme Sabine Hublet, assistante sociale
Mme Celine Desseille, psychologue
Mme Sara Lyon, psychomotricienne
Mme Celina Zaidi, orthophoniste
Institut royal Saint-Exupéry :
M. Alain Brootcoorens, directeur
M. Marc Stelleman, membre de l’assemblée générale et président de la fédération d’employeurs de services d’aide aux personnes
M. Ralph Poulin, pédo-psychiatre et directeur médical
M. Xavier Cuvellier, chef de service
M. Frédéric Deltenre, chef de service
M. Olivier Adam, chef de service
Centre Cerfontaine :
M. Marc Stelleman, directeur général
Mme Tiziana Daga, directrice pédagogique
M. Olivier Mexence, responsable du secteur « jeunes »
Mme Cyrielle Sorriaux, responsable du service psycho-social
Ont également participé au déplacement une délégation de l’ambassade de France ainsi que des représentants de l’ARS de la région Hauts-de-France :
M. Jean-Christophe Canler, directeur général adjoint, ARS Hauts-de-France (HDF)
Mme Marine Dupont-Coppin, responsable cellule affaires internationales, ARS HDF
Déplacement dans le département de seine-saint-denis
(Jeudi 6 février 2025)
MECS Aristide Briand – Gagny
M. Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis
Mme Nadia Azoug, vice-présidente en charge de l'enfance, la prévention et la parentalité
Mme Eve Robert, directrice générale adjointe en charge des solidarités au département de la Seine-Saint-Denis
Mme Myriam Bouali, directrice enfance et famille de la Seine-Saint-Denis
Mme Lucie Debove, directrice enfance et famille adjointe, cheffe du service de l'ASE au département de la Seine-Saint-Denis
Mme Florence Mazerat, directrice générale Association d’éducation et de protection Concorde (APEC Concorde)
Mme Laurence Nominet, directrice de la MECS Aristide Briand, AEPC Concorde
Mme Muriel Eglin, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny
Mme Christine Manadi, directrice pôle Autisme 93, M. Adrien Larret, directeur adjoint du pôle Autisme 93
Mme Gwenaëlle Montout, chef de service de l’équipe mobile et de la future maison de Léna
Mme Boussetta, assistante familiale
Mme Daphné Chabrol, éducatrice de l’équipe mobile Vivre et Devenir
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Contributions des groupes politiques et des députés
contribution du groupe écologiste et social
– 1 –
CONTRIBUTION DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE - NOUVEAU FRONT POPULAIRE
Le 25 janvier 2024, une enfant de 15 ans, Lily, s’est donnée la mort dans l’hôtel où elle avait été placée, dans le Puy-de-Dôme. Ce drame, intervenu deux ans après l’adoption de la dernière loi concernant la protection de l'enfance, n'a rien d’un fait divers, et révèle les carences profondes des politiques publiques en matière de protection des enfants les plus vulnérables.
Notre commission d’enquête a été créée à la suite de ce drame et afin de faire toute la lumière sur les causes et les responsables de l’effondrement de la protection de l’enfance. Nous le devions aux enfants placés, anciens enfants placés, leurs familles, les professionnels qui font du mieux qu’ils peuvent pour les accompagner.
Malheureusement, nous déplorons que les travaux de notre commission n’aient pas suffisamment pu établir les responsabilités politiques quant aux profonds dysfonctionnements de la protection de l’enfance. Nous dénonçons le peu de temps disponible pour que les députés puissent interroger les auditionnés, ainsi que l’attitude de certains auditionnés, en particulier les anciens et actuels ministres chargés de cette politique. Ces derniers ont bien trop souvent esquivé nos questions, entretenu le flou ou prétendu avoir oublié le déroulé exact des événements. Une telle attitude de la part de celles et ceux qui doivent pourtant rendre des comptes, et qui étaient sous serment, est déplorable pour la protection de l’enfance comme pour la démocratie. Leur posture et refus de la transparence dit beaucoup du mépris de la puissance publique pour les enfants placés.
Le constat d’un effondrement quasi-total de la protection de l’enfance n’est plus à dresser. Devant notre commission d’enquête, la Défenseure des droits fait état d’une “forte dégradation de la situation au cours des dernières années” et souligne que pour la première fois de l’histoire de son institution, elle a été alertée “par des juges des enfants sur la situation catastrophique de la protection de l’enfance dans leur département”. Elle constate, “malgré la mobilisation des professionnels, des atteintes aux droits et à l’intérêt supérieur de certains enfants, au mépris de leurs besoins fondamentaux”, comme de nombreux rapports de l’Inspection générale des affaires sociales et de la Cour des comptes l’ont fait avant elle.
Les difficultés de la protection de l’enfance sont le produit de dysfonctionnements intrinsèques, mais aussi de la dégradation de plusieurs autres politiques publiques. Comme le souligne l’Association nationale des directeurs d'action sociale et de santé des conseils généraux (ANDASS), la protection de l’enfance “est devenue le réceptacle des difficultés, des dysfonctionnements et des échecs des autres institutions”, notamment la crise de pédopsychiatrie, le déficit de places adaptées pour les enfants en situation de handicap, la dégradation de l’éducation nationale et de notre système de santé publique. Ces différents services publics sont tout comme la protection de l’enfance, victime d’une politique économique austéritaire, qui contraint de manière dramatique leurs dépenses et leur capacité à répondre aux besoins de la population et des enfants vulnérables.
Par cette contribution au rapport de la commission d’enquête, le groupe La France insoumise - Nouveau Front Populaire présente les orientations qu’il souhaiterait donner à la politique de protection de l’enfance et des mesures concrètes pour répondre à l’urgence actuelle.
PARTIE 1
ORGANISATION DE LA POLITIQUE DE PROTECTION DE L’ENFANCE
Le désengagement de l’État dans la politique de protection de l’enfance est souligné par de nombreux auditionnés. La Défenseure des droits explique qu’il est “loin de prendre toute la part qui lui revient” et “n’est pas suffisamment investi dans ses missions régaliennes”. Le Conseil économique social et environnemental (CESE) pointe un État “désengagé et déresponsabilisé”. Le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (GEPSo) souligne que la protection de l’enfance est “une responsabilité régalienne”. L’Association nationale des maisons d’enfant à caractère social (ANMECS) souhaite “un réinvestissement de l’État”.
D’autres acteurs auditionnés ont dénoncé le fait que des départements décident de s’affranchir des lois dans la conduite des politiques de protection de l’enfance, cela sans que l’État ne réagisse. On pense notamment à la prise de position des Départements de France jugeant la loi Taquet “optionnelle” et aux différents départements qui ont annoncé publiquement suspendre la prise en charge des Mineurs non accompagnés (MNA). Michèle Créoff parle d’un “paradoxe insupportable dans laquelle une puissance locale élue décide de ne pas appliquer les lois de la République”, sentiment que nous partageons. Éric Woerth pointe un “manque global de cohésion”.
Nous soulignons que les départements en difficultés, pour répondre aux impératifs de la protection de l’enfance, se trouvent dans des situations variables : certains départements font preuve de volontarisme mais se heurtent à des contraintes budgétaires imposés par l’État, d’autres n’utilisent pas prioritairement leurs ressources pour financer la protection de l’enfance. Michèle Créoff souligne que la protection de l’enfance “est très peu rentable électoralement” et que “même les départements les plus volontaires ont lâché”, une inquiétude que nous partageons.
Il y a bien entendu plusieurs manières de répondre à ce paradoxe. On peut par exemple reprendre Michèle Créoff qui pose le débat ainsi : “un pilotage national fort permettrait de contraindre les départements à appliquer les textes tout en les aidant par des budgets fléchés. Ou alors, il faut recentraliser la protection de l’enfance”. Sarah Bemrah de Nos ados oubliés pointe les disparités de prise en charge entre départements et considère qu’il y a “peut-être une question plus vaste qu’il convient de poser, à savoir celle de la compétence départementale en matière de protection de l’enfance.”
Pour notre part, l’horizon que nous proposons est celui de la recentralisation de la politique de protection de l’enfance, pour que l’État reprenne toute sa part et assure l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire national. Nous assumons cette visée politique, bien qu’elle pose de vastes questions qui méritent davantage qu’une commission d’enquête pour y répondre. C’est pourquoi dans le cadre de cette contribution, nous nous contenterons de présenter les leviers par lesquels nous proposons de réengager l’État dans la protection de l’enfance, et qui sont pour nous des préalables à une recentralisation.
1er levier : le financement
L’insuffisance des moyens accordés à la protection de l’enfance a été soulignée par plusieurs auditionnés. À cet égard, Michèle Créoff souligne qu’il faut “des moyens et s’assurer qu’ils soient fléchés de la bonne manière et assortis d’objectifs chiffrés et annuels”. L’ANMECS parle d’une “crise de moyens”. Le rapport du Sénat sur la mission budgétaire Solidarité déplore que les crédits proposés dans le dernier projet de loi de finances soient inférieurs de 5,7% aux crédits ouverts en 2024.
Plus globalement, nous constatons que les crédits alloués par l’État sont bien en deçà des besoins. Alors que de nombreux départements font face à une augmentation des besoins en protection de l’enfance, ils ne bénéficient pas de dotation supplémentaire de l’État et cela alors que leurs propres recettes sont en baisse. La Cour des comptes a pointé les dommages de la perte d’autonomie fiscale des Départements et la baisse des recettes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Comme le pointe le GEPSo devant notre commission d’enquête, la protection de l’enfance devient “dépendante de la richesse d’un département” et nous ajoutons, dépendante du marché de l’immobilier et des recettes des DMTO.
Une telle situation fait de la protection de l’enfance une variable d’ajustement budgétaire qui n’est pas acceptable.
C’est pourquoi nous proposons :
- D’augmenter l’enveloppe globale des crédits de l’État destinés à soutenir les départements dans la mise en œuvre de protection de l’enfance
- De mettre en place un fonds national de péréquation des dépenses en faveur de la protection de l’enfance, comme l’a recommandé le Comité des droits des enfants de l’Organisation des Nations Unies, pour s’assurer que chaque Département reçoit une aide financière à la hauteur de ses besoins
- De revoir la procédure d’élaboration du budget de l’État et des Départements de façon à ce qu’elle tienne compte des besoins réels, fasse apparaître de manière lisible les crédits consacrés à l’enfance et des indicateurs de suivi
- D’engager une démarche d’harmonisation par le haut des dépenses d’accueil à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) par bénéficiaire par département, sur la base des données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES)
- De fixer un prix de journée minimum pour la prise en charge d’un enfant placé et réévalue le montant des crédits et des dotations en fonction
2ème levier : le contrôle
De nombreux auditionnés ont pointé de graves dysfonctionnements voire une absence de contrôle effectif de la politique de protection de l’enfance par l’État. Le CESE souligne que “les départements et les magistrats peuvent procéder à des contrôles, mais ils ne le font pas” tout en ajoutant que “cela revient de toute façon à se contrôler soi-même”. La Défenseure des droits a elle aussi dénoncé un contrôle “beaucoup trop lacunaire”, sans “procédures obligatoires de remontées des évènements”.
La faiblesse des effectifs dédiés au contrôle des lieux de protection de l’enfance, 55 Équivalent temps plein (ETP) sur tout le territoire, tel que confirmé par le directeur général de la cohésion sociale (DGCS) devant notre commission d’enquête est extrêmement préoccupante et la DGCS elle-même appelle à un renforcement des moyens.
Nous déplorons l’absence de contrôle régulier des lieux de protection de l’enfance ainsi que le manque d'instances indépendantes et réactives pour effectuer ces contrôles. Nous notons que de nombreuses affaires relatées par la presse ont fait bien souvent l’objet d’alerte des professionnels qui ont été ignorées par la direction des structures et les Départements pendant plusieurs années.
C’est pourquoi nous proposons :
- De créer un contrôleur général des lieux de placement, avec un pouvoir de saisie par les parlementaires, les syndicats, la Défenseure des droits, les enfants placés
- De renforcer le rôle de l’État dans le contrôle de la politique de protection de l’enfance, en augmenter le nombre d’ETP dédié par département et en fixant une périodicité des contrôles
3ème levier : le maillage en protection de l’enfance sur le territoire
La protection de l’enfance concerne de nombreuses politiques publiques. Il est crucial que les différentes institutions concernées travaillent ensemble pour protéger efficacement les enfants. Le CESE a pointé une “désorganisation institutionnelle”. L’ANDASS a pointé un besoin de “coopération plus étroite” avec les Agences régionales de santé (ARS).
Répondre à cette problématique par des cadres de gouvernance, tels que le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), ses déclinaisons départementales, des “référents départementaux” nous semble insuffisante. En effet, cette approche ne répond pas au besoin de professionnels formés au contact des enfants, à même de repérer, signaler et protéger.
C’est pourquoi nous proposons :
- De remettre des travailleurs sociaux dans les institutions concernées par la protection de l’enfance. Par exemple, avoir un responsable protection de l’enfance en Préfecture et des éducateurs spécialisés au sein de l’éducation nationale et en pédopsychiatrie
- Renforcer les moyens de l’école pour repérer, signaler et protéger les enfants en danger. Cela passe par le recrutement et la revalorisation des assistantes sociales, infirmières, médecins et psychologues scolaires
4ème levier : produire des données nationales sur les besoins et l’état de la protection de l’enfance
L’ensemble des chercheurs traitant de la protection de l’enfance, l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE), jusqu’aux rapports de la Cour des comptes, de manière unanime, signalent un manque cruel de données fiables et uniformisées concernant l’ASE.
Or, les conséquences de l’absence de données sont multiples : méconnaissance de la sociologie du public pris en charge par la protection de l’enfance, impossibilité de mener des études longitudinales et de comprendre les évolutions structurelles concernant les enfants et les politiques publiques en œuvre, incapacité de planification qualitative de ces mêmes politiques publiques.
Ce manque de données fiables a plusieurs raisons. La première est l’absence d’ambition de la part du Gouvernement concernant la Recherche publique française. En effet, nous constatons une baisse de 1,5% de doctorants entre la rentrée 2022 et la rentrée 2023. En réalité, il s’agit d’une tendance en déclin constant car entre 2009 et 2023 la baisse est de 14,3% et la France n'investit pas à hauteur des engagements qu’elle a pris à Lisbonne en mars 2000 l’obligeant à investir 3% de son PIB dans la recherche.
Nous nous privons donc de matière grise, pourtant indispensable, alors que la France était reconnue pour le rayonnement de sa recherche, au moment même où nous avons besoin de recherche et d’innovation, nous avons eu un exemple maximum durant la crise du covid.
Nous demandons donc d’augmenter de 8000 le nombre d’allocations doctorales et d’ouvrir la possibilité au financement d’une quatrième année de thèse.
La deuxième raison concerne les logiciels utilisés par les collectivités territoriales qui ne sont pas les mêmes et ne permettent pas de récolter les données de manière uniforme à l’échelle du territoire français alors même que la DREES, qui publie des études et rapports concernant la protection de l’enfance a besoin de données collectées de manière uniforme, avec les mêmes paramètres et nomenclatures.
Aussi, nous demandons que le même logiciel soit utilisé par tous les départements, que son paramétrage, sa nomenclature et les données essentielles collectées soient décidés en partenariat entre le Gouvernement, l’ONPE et la DREES. Cette uniformisation des logiciels pour la collecte des données permettrait d’autre part une extraction simple et rapide de ces dernières par les départements ainsi que leur collecte et analyse complète et qualitative par la DREES et tout organisme de recherche conventionné. Nous demandons qu’une formation soit fournie par l’État à tous agents concernés par la complétude des logiciels et dossiers virtuels en temps réel des enfants et qu’une obligation d’actualisation régulière de ces dossiers soit imposée aux Départements.
D’autre part, nous demandons que ces mêmes logiciels soient étendus aux Maisons départementales des personnes en situation de handicap (MDPH). En effet, les enfants dits “à double vulnérabilité” font aujourd’hui l’objet de préoccupation par tous les départements, or nous sommes aujourd’hui incapables de dénombrer le nombre de jeunes concernés, encore moins, de ce fait, de connaître leur sociologie, problématiques spécifiques et accompagnement dont ils ont besoin. Or les MDPH relèvent elles aussi de la compétence des Conseils départementaux, il est donc invraisemblable qu’aujourd’hui, nous ne soyons pas en mesure de recenser ce public.
Enfin, la dernière raison se trouve dans l’absence de gouvernance claire et donc d’ambition politique concernant cette politique publique. Il n’existe pas de Ministère chargé de l’enfance, ni même de secrétariat d'État. Sans Ministre, comment coordonner, suivre et donner les moyens aux différents organismes censés observer et administrer la protection de l’enfance. L’Observatoire national n’a pas les moyens suffisants pour relever l’ensemble des défis et questions de recherche que soulève la protection de l’enfance.
C’est pourquoi nous proposons :
- La création d’un ministère de plein exercice
- Financer la recherche en protection de l’enfance avec une dotation de l’État à la hauteur pour l’ONPE et un doctorat par département sur la protection de l’enfance
- Créer un institut national d’étude concernant l’enfance et les familles
Interdire le privé lucratif en protection de l’enfance
L’arrivée du privé lucratif en protection de l’enfance constitue une menace inacceptable pour les droits des enfants.
L’audition du directeur général du groupe Domino RH a révélé les stratégies agressives d’un groupe privé d’intérim pour capter des financements publics dédiés à la protection de l’enfance, au total mépris des droits des enfants. Ouverture de MECS éphémères dans des gites ou des Airbnb, recrutement de professionnels non formés, accueil d’enfants d’âge très différents et relevant de prises en charge complètement différentes …
Par ailleurs, les prix de journée pratiqués par le privé lucratif sont hallucinants : 1200 euros par jour pour une place en hôtel. Le privé lucratif a compris qu’ils pouvaient proposer une prise en charge rapide bien que de qualité médiocre pour répondre aux besoins en protection de l’enfance.
L’ANMECS dénonce “une forme de déréglementation de la question de la protection de l’enfance, et même à une forme de marchandisation”. En effet, la puissance publique ferme les yeux sur l’arrivée d’acteurs privés et ne tente pas de favoriser des organisations publiques et non lucratives.
C’est pourquoi nous proposons : - D’interdire aux structures privées lucratives d’intervenir en protection de l’enfance - D’interdir les structures éphémères - Encadrer strictement l'intérim : il ne doit pas être utilisé par des acteurs privés pour pratiquer des prix de journée indécents. Les conditions de rémunération et de travail entre le public et l'intérim doivent être harmonisées par le haut. Le recours à l'intérim ne doit pas non plus se faire au détriment des besoins de l'enfant, en particulier celui de disposer de figure d'attachement |
PARTIE 2
CONDITIONS D’ACCUEIL ET D’ACCOMPAGNEMENT
La pénurie de professionnels en protection de l’enfance a été pointée par de très nombreux auditionnés. Le directeur général de la cohésion sociale parle de “crise de vocation significative, probablement nourrie par des conditions de travail dégradées”. Le Conseil économique social et environnemental souligne “qu’en raison du manque d’attractivité et de reconnaissance des métiers, les assistants familiaux et les techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) sont de moins en moins nombreux” et qu’il y a “beaucoup à faire pour revaloriser leurs conditions de travail et reconnaître leur action comme essentielle, afin de remédier au manque de candidats”.
Tous les représentants syndicaux représentant les travailleurs sociaux ont détaillé à quel point les conditions de travail en protection de l’enfance étaient inacceptables : faiblesse des rémunérations, sous-effectif chronique, turn-over, un trop grand nombre de situations à charge pour les éducateurs et éducatrices … Le manque de places en hébergement, des coupes des départements dans les subventions, des suppressions de postes et l’utilisation de services comme variables d’ajustement budgétaire, notamment la prévention spécialisée, sont également pointés.
Ces mêmes représentants ont particulièrement insisté sur les rémunérations. La CFDT pointe le fait qu’entre “2005 et 2021, le SMIC a augmenté de 30,5%, tandis que les salaires dans la convention collective de 1966 n’ont progressé que de 8,2%”. Pour rappel, sur cette période, l’inflation a été de 23%. Pour des diplômes de niveau 6 comme éducateur spécialisé ou assistant social, “on constate des écarts de rémunération à l’embauche de 22% à 43% par rapport à d’autres secteurs d’activité en France”. FO estime “à environ 30% la perte de pouvoir d’achat en un peu plus de vingt ans dans le secteur social et médico-social”.
La CGT dénonce “l’absence d’augmentation salariale dans toutes les conventions” et “l’inégalité de traitement concernant l’indemnité Ségur-Laforcade” qui engendre de graves souffrances. Elle rappelle également que des plans sociaux “sont en cours dans divers établissements, malgré l’augmentation des besoins de la population”. Elle pointe également certains établissements qui “maintiennent des conditions de travail précaires et indignes, s’apparentant à de l’exploitation” ainsi que “des dérives managériales autoritaires, une politique du chiffre et une augmentation des discriminations syndicales”.
Solidaires considère que “l’urgence actuelle concerne davantage les conditions d’exercice de notre profession”, en plus des problématiques liées aux salaires, qui sont pour eux connues depuis trente ans.
Des enquêtes comme celles de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (UNIOPSS) appuient ces propos car elles révèlent “un taux de vacance de 9%”, qui concerne presque toutes les structures interrogées.
Les conditions de travail des assistants familiaux sont particulièrement scandaleuses, au point de provoquer une pénurie telle que l’accueil familial n’est plus désormais le premier mode d’accueil en France. Les représentants des assistants familiaux auditionnés par notre commission d’enquête ont pointé la “nette dégradation des conditions de travail”.
Dans le milieu judiciaire, la situation est tout aussi critique avec un nombre de situations par juge des enfants qui est exponentiel, de 450 à 500 par juge en moyenne. L’absence de greffiers aux audiences bien que cela soit obligatoire est un problème.
La dégradation des conditions de travail en protection de l’enfance est directement liée à la dégradation des conditions d’accueil et de prise en charge des enfants. La pénurie de professionnels entraîne en effet une pénurie de places, en structures comme en famille d’accueil, au point que des centaines de mesures de justice ne sont tout simplement pas exécutées. Par ailleurs, la pénurie pousse les structures à embaucher des personnels peu voire pas qualifiés pour pallier les manques, ce qui exposent les enfants à de graves dangers.
Il est urgent et prioritaire d’apporter des réponses pour revaloriser ces métiers afin de pouvoir recruter et ouvrir les places nécessaires. Dans le cadre de cette contribution, nous nous concentrons sur trois leviers qui peuvent être actionnés rapidement pour répondre à l’urgence.
1er levier : fixer des cadres nationaux pour des conditions de travail dignes en protection de l’enfance
Quand un enfant part en colonie de vacances, l’État encadre combien d’adultes doivent être présents pour l’encadrer. Quand il s’agit d’un enfant placé, il n’existe pas une telle réglementation. En effet, à l’exception des pouponnières, les structures de protection de l’enfance ne sont pas soumises à des taux et normes d’encadrement.
Cette absence de cadre a été pointée par de très nombreux auditionnés comme une raison des dysfonctionnements dans l’accompagnement des enfants, comme de la dégradation des conditions de travail des personnels. Par exemple, le Conseil économique social et environnemental, l’ANMECS, la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE), le GEPSo défendent la publication rapide d’un décret en la matière. La Défenseure des droits suggère “d’engager une réflexion”. Les syndicats Confédération française démocratique du travail (CFDT), Solidaires et Confédération générale du Travail (CGT) souhaitent également établir des taux et normes d’encadrement.
De même, le ministère de la Justice a calculé qu’un juge des enfants qui consacre 100% de son temps à l’assistance éducative ne doit pas suivre plus de 434 situations pour faire correctement son travail, soit 325 situations pour la plupart des juges qui sont à 75% sur l’assistance éducative. Cependant, aucun texte ne fixe cette limite dans le droit.
C’est pourquoi nous proposons :
- D’instaurer des taux et normes d’encadrement dans les établissements de protection de l’enfance allant de pair avec une augmentation des salaires
- De fixer un plafond de 325 situations maximum suivies par juge des enfants
- D’ouvrir des concours de conseillers territoriaux socio-éducatifs, avec une passerelle entre la fonction publique hospitalière et fonction publique territoriale
2ème levier : ouvrir des places dignes pour lutter contre les mesures non exécutées
Le manque de places est un enjeu urgent qui a été soulevé par de très nombreux auditionnés. La Défenseure des droits alerte sur “la multiplication des ruptures d’accueil” qui fragilise les enfants, “allant jusqu’à créer ou à accroître des troubles du comportement, de l’attachement et de la santé mentale”, tout en compliquant considérablement le travail des personnels. Elle pointe également, “l’accueil dans des structures non autorisées comme les gîtes ou la prise en charge en résidence hôtelière ou en appartement”, qui est pour elle “une inquiétude majeure”, en raison de la faiblesse de l’accompagnement et d’une situation qui dure depuis longtemps malgré les alertes.
De même, la pénurie d’assistants familiaux a drastiquement réduit le nombre de solutions d’accueil pour les enfants placés. Les problématiques ont été bien décrites par les représentants des assistants familiaux auditionnés par notre commission d’enquête : l’isolement, les fortes disparités territoriales en matière de statut, de contrat et de droits, un manque de formation. Ils ont aussi dénoncé un contexte de restrictions budgétaires qui les impacte, avec la suppression de primes de fin de carrière, des indemnités qui ne suivent pas l’inflation. Les conditions de travail dégradées ne permettent plus de recruter, malgré des appels dans plusieurs départements. Ces souffrances entraînent aussi une multiplication des démissions, des départs anticipés à la retraite et des abandons de carrières.
C’est pourquoi nous proposons :
- D’interdir les placements en hôtel, appartements, gîtes, Airbnb et toute structure ne permettant pas un accompagnement réel et adapté
- De se doter d’un plan Familles d’accueil : ce plan doit intégrer un renforcement de la formation, l’intégration des assistants familiaux aux équipes éducatives, l’augmentation des salaires. Nous souhaitons également engager une réflexion sur la création d’un véritable statut pour les assistants familiaux, rattachés à la fonction publique territoriale, et la définition des critères selon lesquelles les assistants familiaux peuvent cumuler leur activité avec une autre activité professionnelle, en particulier selon les besoins des enfants accueillis
3ème levier : améliorer la formation des professionnels
La formation primaire des travailleurs sociaux, via les études, a été grandement impactée par les réformes du premier quinquennat d’Emmanuel Macron. La loi du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants est venue bouleverser le fonctionnement entier des Instituts régionaux du travail social (IRTS). Les auditions de la commission d’enquête et la rencontre de professionnels a permis de confirmer leur colère, alors que ceux-ci avaient alerté dès 2018 sur la fin du recrutement sur épreuve écrite, en faisant passer les étudiants via la plateforme ParcourSup.
Cinq ans plus tard, les chiffres du ministère de l’enseignement supérieur leur donnent raison et doivent nous interpeller. Si la première année, les formations sociales ont reçu un tiers de candidatures en plus, l’année 2022 marque une forte baisse du nombre de candidats. Par rapport à 2020, les vœux confirmés sur ParcourSup ont reculé de 38% pour la formation d’éducateur spécialisé, de 32% pour celle d’assistant de service social, et de 79% pour le diplôme d’éducateur technique spécialisé. Par ailleurs, la qualité des candidatures est en nette diminution. Les directrices et directeurs d’IRTS déplorent un faible niveau à l’écrit, des candidatures plus volatiles avec une liste qui évolue jusqu’à parfois quinze jours avant la rentrée. Elles et ils notent des abandons beaucoup plus fréquents, entre 10% et 15% en première année dans certains IRTS. Les profils se sont aussi considérablement rajeunis et les IRTS reçoivent moins de profils expérimentés, qui ont eu le temps de mûrir leur projet.
L'Uniopss a d'ailleurs rendu public les résultats d'une enquête qui révèle que 97% des établissements et services de la protection de l’enfance rencontrent des difficultés de recrutement et que le taux de poste vacants s'élève à 9% (contre 5% dans l'ensemble du secteur sanitaire, social et médico-social privé non-lucratif). L’abandon de la formation par les étudiants n’aura pour conséquences que de renforcer la présence du secteur privé lucratif, alors que de nombreuses structures ont été pointées pour les graves atteintes aux droits des enfants et à la protection qui leur incombe. Pour cela, il est urgent de mettre fin au recrutement via ParcourSup pour les IRTS. La proposition de loi n°900 de la 17e législature, déposée par Marianne Maximi le 4 février 2025, doit être adoptée en urgence.
De manière plus générale, la formation initiale a été largement impactée par les dernières réformes. Dans leurs contributions écrites à la commission d’enquête, les syndicats Force Ouvrière et SUD alertent sur la généralisation des cursus universitaires type « licence d’éducation spécialisée » ou « d’assistance de service social ». Les moyens sont réduits et moins de professionnels peuvent intervenir auprès des étudiants. SUF rappelle que ces nouvelles formations, contrairement à celles menant aux diplômes historiques du travail social ne permettent pas une imprégnation du travail social via l’expérience de terrain. Il semble dès lors urgent de renforcer l’accès aux stages pour les étudiants, seul mécanisme permettant cette imprégnation professionnelle, et de maintenir les ECTS.
De plus, un très grand nombre de syndicats lance l’alerte sur la volonté de l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS) de proposer une réingénierie des diplômes via une professionnalisation des parcours d’étude. La principale inquiétude porte sur l’atteinte du socle commun et l’atteinte de l’aspect généraliste des métiers. Une spécialisation accrue aurait, en plus de que d’impacter le fonctionnement de la profession, l’effet de mettre un nouveau coup de frein à la mobilité professionnelle.
Afin de permettre la mobilité professionnelle au sein de l’ASE mais plus généralement au sein des métiers du social et du médico-social, il est important de renforcer les droits des professionnels à la formation continue. Les syndicats déplorent un accès à la formation beaucoup trop faible, y compris à la formation entre pairs, comme la formation d’adaptation à l’emploi, pourtant essentiel pour l’accueil de nouveaux membres dans les équipes, mais non mise en place à cause des sous-effectifs. Les formations sur les publics spécifiques manquent aux professionnels, que ce soit sur l’accueil des enfants de la protection de l’enfance en situation de handicap, les enfants victimes de violences sexistes et sexuelles, les enfants LGBTI+. Pour cela, il est important d’augmenter les moyens alloués aux associations pour leur permettre de mettre en place un budget spécifique à la formation continue pour leur personnel. Il est également important de rendre opposable un droit à la formation aux employeurs.
Enfin, les Assistants familiaux et leurs syndicats lancent une véritable alerte sur l’accès à la formation dans leur profession. Le constat est sans appel. Les effectifs des assistants familiaux ont baissé de 9% en 6 ans (de 36 687 au 31 décembre 2016 à 33 319 au 31 décembre 2022). Le CESE estime que cette situation interroge fortement sur la baisse d’attractivité de la profession d’assistante et assistant familial et plus largement des métiers de la protection de l’enfance.
Cette situation inquiétante dans la profession, repérée depuis plusieurs années, n’a suscité aucune action concrète des pouvoirs. La Fédération nationale des assistants familiaux et protection de l'enfance (FNAF/PE) déplore un faux départ sur le passage de la formation initiale des assistants familiaux de 300h à 540h. Il déplore également le manque de mobilité professionnelle et de reconnaissance découlant de la très faible reconnaissance du diplôme d’État d’assistant familial (DEAF). En effet, après plus de dix années de service, les assistants familiaux ne disposent d’aucune passerelle vers d’autres métiers de la protection de l’enfance alors même qu’ils sont au premier contact de l’enfant en tant que membre de l’équipe pluridisciplinaire.
C’est pourquoi nous proposons :
- De supprimer ParcourSup pour les IRTS
- De renforcer l’accès à la formation continue pour les professionnels de la protection de l’enfance et d'augmenter les budgets dédiés
- De garantir des effectifs nécessaires pour permettre la formation d’adaptation à l’emploi pour chaque nouvelle prise de fonction
- De renforcer le droit à la formation des assistants familiaux
PARTIE 3
DROITS DES ENFANTS
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) impose à tous les États parties de respecter les droits fondamentaux de l’enfant. Adoptée en 1989 par 196 États, elle s’articule autour de quatre principes piliers, dont la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant, le respect des opinions de l’enfant et le droit de vivre, survivre et se développer.
La France a ratifié la Convention et se retrouve dès lors contrainte d’en appliquer les principes, indispensables pour garantir les intérêts et les droits de ce public particulièrement vulnérable. Parmi ces droits figurent le droit à la santé et le droit à être entendu dans toute procédure judiciaire.
Les auditions menées par la commission d’enquête ont pourtant révélé des manquements graves à l’accès à un parcours de soins conséquent pour les enfants confiés aux services de la protection de l’enfance. Aujourd’hui, 70% des enfants n’ont accès à aucun bilan de santé lors de leur arrivée dans les services, alors même que les raisons de leur placement ont presque systématiquement des effets sur leur état de santé physique et psychologique. Plus grave encore, 90% des enfants confiés à l’ASE ne bénéficient pas d’un suivi continu de leur état de santé. Ces manquements graves ont des conséquences lourdes aussi bien sur leur conditions de vie au sein de la protection de l’enfance que sur leurs conditions de vie à l’âge adulte. Les premiers responsables de ce manquement sont les pouvoirs publics.
Les auditions ont également permis de mettre en lumière que lors des procédures judiciaires, les enfants n’accèdent que très rarement à la désignation d’un administrateur ad hoc (AAH). Chargée à la fois de représenter les intérêts de l’enfant, de l’informer de ses droits et de les exercer, la loi n’a cessé d’élargir ses compétences et champs d’intervention pour qu’aujourd’hui, tous les mineurs y aient théoriquement le droit. La réalité est toute autre. La profession n’ayant jamais été reconnue, celle-ci connaît un sous-effectif chronique et alarmant. Ce sous-effectif rend de fait impossible le respect des opinions et des choix de vie que l’enfant peut opérer ainsi que la défense face aux atteintes de ces droits.
Un grand nombre d'enfants se retrouve de plus exposé à des doubles vulnérabilités. Pour les enfants en situation de handicap, la vulnérabilité liée à leur handicap qui nécessite des soins adaptés, des accès à l’éducation et au logement adaptés est exacerbée par la minorité liée à leur minorité et aux raisons liées à leur entrée dans la protection de l’enfance. Pour les mineurs non accompagnés (MNA), la vulnérabilité liée à leur entrée dans la protection de l’enfance et leur isolement social les exposant à de graves dangers est exacerbée par la vulnérabilité de leur non-accès à la citoyenneté. Pour les jeunes majeurs sortant de la protection de l’enfance à leur majorité, leur vulnérabilité liée aux raisons liées à leur entrée dans la protection de l’enfance est exacerbée par la vulnérabilité sociale et économique à laquelle ils sont exposés. Ces mineurs et jeunes majeurs doivent nécessairement faire l’objet d’une vigilance accrue et d’un renforcement de leurs droits afin d’éviter que ceux-ci ne se retrouvent à la rue, atteinte la plus grave à leurs droits. L’expulsion indigne par le Préfet de Paris des résidents de la Gaîté Lyrique le 18 mars 2025 a mis au moins 450 mineurs non accompagnés à la rue, sans solution de relogement. Pourtant, en France, 36% des 18-25 ans à la rue ont connu un parcours en protection de l’enfance et 26% des personnes sans domicile fixe ont connu ce même parcours.
Ces défaillances sont particulièrement inquiétantes. Les atteintes à la protection des droits fondamentaux des enfants en est d’autant plus grave. Il est urgent d’agir et de prendre des mesures afin de protéger les droits des enfants et de ne plus les abandonner.
1er levier : garantir l’accès aux soins
La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) rappelle dans son troisième article l’obligation de l’État de contrôler les institutions, services et établissements qui accueillent les enfants, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé. Plus précisément, il doit permettre à l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation (article 24 de la CIDE). Enfin, l’enfant doit recevoir des soins, une protection ou un traitement physique ou mental et bénéficie d’un examen périodique dudit traitement (article 25 de la CIDE).
Pourtant, aujourd’hui, la protection de l’enfance française ne garantit pas le respect de ce droit fondamental pour les enfants qui lui sont confiés. Céline Greco, présidente de l’association IM’PACTES, rappelait les souffrances subies par les enfants placés en soulignant que les enfants victimes de violence risquent de perdre 20 ans d’espérance de vie.
Aujourd’hui, moins de 30% des enfants bénéficient d’un bilan de santé somatique et psychique à leur admission dans le dispositif de protection de l’enfance, bien que cela soit obligatoire depuis la loi du 14 mars 2016, renforcée par celle du 7 février 2022. Parmi ces 30%, seulement 10% bénéficient d’un suivi effectif de leur santé. Alors que ces enfants devraient bénéficier d’un suivi psychologique dès leur placement, le délai d’attente dans un Centre médico-psychologique (CMP) est de dix-huit à vingt-quatre mois. Or la durée moyenne d’un placement est de dix-huit mois. Le système actuel ne permet donc pas l’application de la loi et l’accès effectif aux soins psy pour les enfants placés.
De plus, la prise en charge des enfants sous le seul angle médical n’est pas suffisante pour répondre aux doubles traumatismes que ces enfants ont subi : les violences et négligences qu’ils ont endurées, d’une part, et le déracinement lié au placement, d’autre part. Il est nécessaire de permettre un suivi psychologique intensif et intégral. Or, à ce jour, les consultations de psychologues, de psychomotriciens et d’ergothérapeutes ne sont pas remboursées par la sécurité sociale.
Le défaut de ces prises en charge médicales et psychiques ne permettent pas à l’enfant de s’épanouir, en analysant son passé et en lui permettant de se projeter sereinement dans le futur.
Par ailleurs, lorsque l’enfant bénéficie d’un suivi effectif de son état de santé lorsqu’il est confié à la protection de l’enfance, celui-ci s’arrête avec la sortie du dispositif de protection de l’enfance. L’arrivée à la majorité légale pour les enfants confiés à l’ASE correspond également à la fin brutale du suivi psychologique. Certaines associations tentent de les intégrer dans un parcours psychologique comprenant huit séances avec un psychologue. En dehors, il n’existe pas d’accompagnement pour les jeunes majeurs, ni sur le plan psychologique, ni sur le plan de leur santé. Les anciens enfants placés ayant été auditionnés par la commission d’enquête révèlent les détresses psychologiques dans lesquelles ces sorties sèches les ont placés. Cette rupture de soins est vécue comme une difficulté supplémentaire dans le début de leur parcours dans la vie d’adulte.
Dès 2015, le Défenseur des droits publiait dans un rapport que près de 25% des jeunes des services de l’ASE sont également en situation de handicap, notamment psychique (environ 70 000 mineurs). La transition entre le médico-social enfant et le médico-social adulte. De nombreuses situations de ruptures sont relevées par plusieurs acteurs de terrain, présentant des situations inquiétantes et des arrêts de suivi des soins.
Dès lors, des besoins ressortent clairement de ces éléments. Tout d’abord, les enfants doivent voir leur parcours de soins pris en charge par la sécurité sociale dès leur arrivée dans la protection de l’enfance. Ce parcours de soins doit être poursuivi et adapté tout au long de leur vie.
Ensuite, il faut prendre en compte les traumatismes et leurs impacts sur la santé physique et mentale des enfants. Ces problèmes de santé ont des impacts sur leur quotidien. Par exemple, les enfants victimes de violences ont plus de troubles des apprentissages et sept fois plus de risques de déscolarisation. Les troubles de l’attention, du langage, de la motricité sont également des effets possibles. Les enfants peuvent également être victimes de douleurs chroniques, de maladies respiratoires, nécessitant le suivi de traitements. Afin de permettre une intégration à l’école, sans rupture de soin, et une adaptation des conditions dans lesquelles ils évoluent, la mise en place d’un PAI semble cruciale afin de coordonner les professionnels en contact avec chacun de ces enfants.
C’est pourquoi nous proposons :
- D’assurer une prise en charge médicale et psychologique à vie pour tous les enfants placés, comme pour une affection longue durée par l’assurance maladie
- De renforcer la coordination autour des soins de l’enfant par la mise en place systématique d’un PAI
- De permettre la création d’un premier centre d’appui à l’enfance afin de coordonner une prise en charge effective et instantanée des enfants accueillis, en parallèle d’assurer un volet scolarité et culture
2ème levier : les droits des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance
L’article 12 de la CIDE rappelle qu’il faut permettre à l’enfant d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un représentant ou d'une organisation appropriée.
Le Groupe de travail sur les Administrateurs ad hoc, composé de la Convention Nationale des Associations de Protection de l'Enfant (CNAPE) et de la Fédération nationale des administrateurs ad hoc (FENAAH), a publié rapport dressant un état des lieux de la profession en mai 2024. Depuis 1998, elle a connu un élargissement progressif de ses missions avec la loi relative à la prévention des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs et l’apparition d’une procédure de désignation de l’administrateur ad hoc pour représenter l’enfant victime d’infractions pénales. Déjà représentant des intérêts patrimoniaux de l’enfant, il aura fallu attendre 2002 et la loi relative à l’autorité parentale pour que celui-ci représente les intérêts du mineur étranger arrivant seul sur le territoire français. En 2022, la loi « Taquet », agrandit à nouveau le champ d’intervention de l’administrateur ad hoc pour qu’il puisse représenter un enfant qui n’est pas doué de discernement dans la procédure d’assistance éducative. L’ensemble de ces réformes a contribué à élargir considérablement la durée d’intervention des administrateurs ad hoc. Le groupe de travail relève parallèlement une hausse des besoins sur le terrain, notamment sur la prise en charge de mineurs dans deux situations : la hausse du nombre de MNA depuis la fin de la crise Covid et la hausse des interventions auprès des enfants témoins de violences conjugales.
Au sujet de l’accompagnement des MNA, le groupe de travail des administrateurs ad hoc rappelle que la présomption minorité devrait normalement permettre aux MNA de bénéficier de la désignation d’un administrateur ad hoc dans le cadre de leur procédure de demande d’asile. Toutefois, la présomption est régulièrement bafouée notamment en raison de la longueur de la procédure d’évaluation de leur âge et des soupçons émis par les autorités. D’autres difficultés de l’accompagnement des MNA par l’administrateur ad hoc viennent de difficultés matérielles comme les nécessaires déplacements à Paris pour les entretiens d’asile, l'engagement de frais d’interprétariat pour construire un dossier, la non prise en charge des frais supplémentaires par la Justice.
A ces constats de la profession, la Défenseure des droits constate également que les administrateurs ad hoc sont de plus en plus sollicités et que la profession est en sous-effectif alors même qu’il paraît nécessaire de désigner un administrateur ad hoc le plus en amont possible, notamment pour les enfants victimes de faits de nature pénale, ou en mesure d’assistance éducative dans certaines circonstances.
Que ce soit dans l’avis d’octobre 2024 porté par le CESE ou dans la décision-cadre du 28 janvier 2025 du Défenseur des droits, ces deux autorités constitutionnelles soulignent l’importance pour les enfants d’être représentés par un administrateur ad hoc. Leur conclusion se rejoignent : la situation actuelle implique nécessairement un renforcement de leur statut.
Josiane Bigot relevait lors de son audition les travers de l’absence d’un statut pour les administrateurs ad hoc, mettant en cause leur fiabilité notamment. Aucune formation obligatoire ne s’impose à eux. Ils ne font pas non plus l’objet de contrôles. Leur rémunération, qui dépend du ministère de la justice, est également un problème. Un administrateur ad hoc ne perçoit que 200 euros pour représenter les intérêts d’un enfant, même si celui-ci se trouve dans une situation très grave et fait l’objet d’une procédure criminelle qui peut durer plusieurs années. Les départements complètent cette somme lorsque cette mission est accomplie par une association, mais pas lorsqu’il s’agit d’un administrateur individuel.
Professionnels en première ligne, les administrateurs ad hoc occupent une position importante dans la représentation des intérêts de l’enfant et dans la poursuite du respect de ses droits. Les mineurs confiés à la protection de l’enfance ont besoin de ce relais adulte et juridique.
La protection des droits de l’enfant passant par l’exercice de leurs droits, il est également important de leur garantir un avocat. Depuis 2021, la spécialisation « Droit des enfants » a été créée par arrêté du garde des sceaux du 1er octobre 2021, validant une proposition du Conseil national des Barreaux (CNB). La loi Taquet du 7 février 2022, introduit un entretien obligatoire du juge avec le mineur dans le cadre de procédures d’assistance éducative. A cette occasion, le juge doit préciser à l’enfant qu’il a la possibilité d’être assisté par un avocat. Cependant, à l’occasion des Assises des avocats d’enfants qui se sont tenues du 29 au 30 novembre 2024, un certain nombre d’avocats estiment que cette information n’est pas correctement comprise par l’enfant lorsqu’elle est présentée et plaident pour une intervention systématique de l’avocat en assistance éducative. De plus, les contours de l’existence d’un âge de discernement demeurent flous.
C’est pourquoi nous proposons :
- De désigner systématiquement un administrateur ad hoc par enfant entrant dans la protection de l’enfance
- De reconnaître dans la loi le statut de l’administrateur ad hoc et associer à sa rémunération un co-financement départemental et national
- D’assurer la désignation d’un administrateur ad hoc pour tout enfant, en priorité les MNA, et s’opposer à toute double liste de désignation
- D’accompagner systématiquement l’enfant d’un avocat pour chaque mesure éducative (en cas de non désignation d’un administrateur ad hoc)
3ème levier : la protection des jeunes majeurs
La loi du 14 mars 2016, marque une première volonté récente du législateur d’impulser des évolutions relatives à l’octroi des mesures d'accompagnement. La loi du 14 mars 2016 prévoyait l’attribution d’un pécule à l’enfant pris en charge par la protection de l’enfance. Ce pécule, créé par versement annuel d’allocations scolaires années après années sur un compte ouvert au nom des organismes de prestations familiales à la Caisse des dépôts. Cette première mesure de protection des jeunes majeurs ne fait cependant l’objet d’aucun accompagnement. Afin de percevoir ce pécule, le jeune majeur doit engager des procédures administratives lourdes. Cela a pour résultat que seulement 42% des jeunes majeurs concernés n’avaient effectivement pas perçu le pécule en décembre 2022.
La loi Taquet de 2022 a quant à elle l’ambition de garantir que plus aucune “sortie sèche” de l’Aide sociale à l’enfance ne soit acceptée en ne laissant aucun jeune majeur sans solution à sa majorité, et de garantir un accès “à un logement, à des ressources, à une formation et à un accompagnement socio-éducatif visant à favoriser et à consolider son développement psychique, affectif, culturel et social.”
En France, la poursuite de l’accompagnement est principalement déployée à travers le dispositif du “Contrat jeune majeur” (CJM) et repose sur une logique de contractualisation qui conditionne l’accompagnement à l’engagement du jeune dans un projet scolaire ou un projet éducatif.
Ce dispositif a d’ores et déjà montré ses limites. Les premières limites relatives sont liées au non déploiement des dispositifs existants. Dans sa décision-cadre, la défenseure des droits cible clairement la responsabilité de l’État, qui soumet les départements, parmi d’autres nouvelles obligations, la mise en place et le déploiement du CJM. Cela “sans véritable compensation de l’État, à la hauteur des conséquences financières qui pèsent sur les collectivités territoriales”.
Les montants des allocations versées aux jeunes dans le cadre du CJM ne sont pas suffisants. Pour un jeune majeur isolé, sans ressource familiale, le montant maximal de l'allocation est de 552,29 € par mois maximum lorsque le jeune est rattaché à un foyer fiscal non imposable. Correspondant au niveau de l’aide perçu pour les étudiants éligibles au 7e échelon de la bourse, le montant de cette allocation est donc bien inférieur à celle du seuil de pauvreté, qui est en 2024, de 1 216 euros par mois.
De plus, il existe de nombreux cas dans lesquels l’allocation est diminuée de son montant. C’est le cas lorsque les jeunes perçoivent une rémunération comme stagiaires. La rémunération qu’ils perçoivent est déduite du montant de l’allocation.
Le non financement des départements renforce un engagement au rabais dans la protection qu’ils sont censés assurer aux jeunes majeurs. A la fois décideurs et juges sur la nécessité d’octroyer ou non, de prolonger ou non la mesure d’accompagnement, les départements ont tendance à se baser sur plusieurs imprécisions de la loi Taquet pour ne pas ouvrir le bénéfice du CJM. Il faut d’abord relever qu’un certain nombre de CJM ne sont pas conclus avec les jeunes lorsque les conseils départementaux ne constatent pas l’insuffisance de ressources ou de soutien familial qui conditionne l’ouverture de l’accompagnement. La loi Taquet n’a donné aucune précision, laissant les départements premiers décideurs. Il s’agit ici d’un besoin non pris en compte par la loi Taquet, à l’heure où, selon ELAP, à la sortie du placement, seulement 12% des jeunes ayant été placés retournent vivre chez leurs parents à 18-19 ans. La loi permet également aux conseils départementaux une marge d’appréciation qui leur permet de ne pas accompagner des jeunes accueillis au titre de la PJJ.
Le manque de financement des nouvelles obligations des départements conduit également à une pratique très insécurisante pour les jeunes majeurs sortant de l’ASE : le recours à des CJM de courte durée. Seulement 1% des CJM sont conclus pour une durée supérieure à un an.
De plus, il existe de nombreux cas dans lesquels l’allocation est diminuée de son montant. C’est le cas lorsque les jeunes perçoivent une rémunération comme stagiaires. La rémunération qu’ils perçoivent est déduite du montant de l’allocation.
La feuille de route interministérielle « scolarité protégée » de novembre 2023 a prévu la mise en place d’entretiens d’orientation systématiques à 15 et 17 ans. Cependant, quand il est effectivement mis en place, cet entretien est souvent perçu non comme une préparation à la sortie, mais comme un couperet et une injonction à être autonome. Là encore, il paraît nécessaire d’assurer la systématicité de l’entretien d’orientation et d’assurer la qualité de la préparation à la sortie que celui-ci permet.
Un deuxième volet de limites apparaît, les mesures de la loi Taquet qui paraissent intrinsèquement contraire à la protection et l’accompagnement des jeunes majeurs.
Pour en revenir aux allocations perçues dans le cadre du CJM, celles-ci ne sont strictement pas cumulables à d’autres formes de revenus. Lors d’une affaire ayant commencé lors du refus de prise en charge d’un ancien mineur non accompagné jusque-là placé à l’ASE par le département de la Côte-d’Or. Par un arrêt du 2 janvier 2024, le Conseil d’État a estimé un impossible cumul des allocations du CJM à la rémunération d’un apprenti. Estimant que la prise en charge conditionnée à l’insuffisance de ressources n’était pas respectée pour l’apprenti au revenu mensuel de 866 €, le jeune majeur s’est retrouvé privé de toute aide financière, mais également de l’accompagnement dans les démarches administratives que permet normalement le CJM. Or, le jeune majeur était en contrat d’apprentissage, ce qui lui procurait un revenu.
Il faut aussi souligner l’incohérence totale de la limite d’âge à laquelle les CJM sont soumis. En effet, le bénéfice du CJM n’est ouvert qu’aux jeunes jusqu’à leurs 21 ans. Cette limite de la législation actuelle ne prend pas en compte plusieurs facteurs. Le premier facteur est que l’âge de départ moyen du foyer familial est de 25 ans en France. Le second facteur repose sur le fait que près de 45% des jeunes sans-abri âgés de 18 à 25 ans proviennent de l’ASE et un quart des sans-abris nés en France ont été pris en charge par l’ASE au cours de leur minorité.
Alors que certains départements avaient volontairement prolongé l’âge d’accompagnement au-delà des 21 ans, il faut constater que certains reviennent dessus. Ainsi, le département de Loire-Atlantique a décidé de mettre fin au rallongement du CJM le 1er avril 2024 (après l’avoir prolongé jusqu’aux 25 des jeunes majeurs le 30 mars 2020). C’est le résultat d’un cadre législatif de droit souple, qui permet une liberté des départements d’aller plus loin que les obligations de la loi, mais ne permet en revanche aucun financement supplémentaire.
Une autre limite intrinsèque de la loi de la limite d’âge réside dans le fait que les jeunes majeurs bénéficiant d’un CJM voient leur accès aux études bloqué. En effet, le CJM ne permet aujourd’hui qu’un accès à une formation courte et professionnalisante ce qui ne garantit pas nécessairement de meilleures chances de trouver. Aujourd'hui, il faut rappeler que pour les jeunes majeurs placés seulement un quart des 18-19 ans et la moitié des 21-22 ans sont en situation d’emploi. Cet accompagnement exclut par ailleurs les jeunes les plus en difficultés scolaires et donc les plus éloignés d’une potentielle insertion.
C’est pourquoi nous proposons :
- D’ouvrir le CJM pour les jeunes majeurs jusqu’à leur 25 ans / fin de leur parcours d’étude
- D’assurer l’entretien d'orientation pour les jeunes de 15 à 18 ans, poursuivre l’accompagnement à la majorité et renforcer l’accompagnement à l’indépendance administrative des jeunes majeurs
- De faciliter et anticiper les démarches administratives pour les MNA à leur arrivée à la majorité
- De mettre en place l’allocation d’autonomie étudiante, référée sur le seuil de pauvreté, de 1 216 euros par mois
- De garantir un droit au logement social pour les jeunes majeurs sortants de l’ASE
Les MNA Les MNA font face à de nombreux défis en France, soulevant des enjeux humains, sociaux, économiques et juridiques. Leur prise en charge et leur avenir posent des questions complexes qui nécessitent des solutions adaptées. Pourtant, le code de l’action sociale et des familles prévoit les conditions de la protection de l'enfance, y compris pour les MNA. L'article L. 221-1 du même code dispose que "l'enfance en danger" doit être protégée, y compris les mineurs étrangers non accompagnés. À l’échelle internationale, la CIDE, dont la France est signataire, garantit des droits fondamentaux aux enfants, notamment la protection contre l'exploitation et la nécessité de leur garantir un niveau de vie adéquat. L'État Français a donc une obligation légale de protéger et de garantir les droits des MNA. De l’accueil, à l’insertion sociale en passant par la santé, l’hébergement et l’éducation. Ainsi, le Conseil Départemental doit mettre en place des solutions d'hébergement, de suivi éducatif et des soins adaptés. Des dangers particuliers pèsent sur cette population de mineurs en particulier : le risque d’exploitation et de marginalisation. Isolés, sans famille ni entourage, sans connaissance de la langue pour la plupart ni des procédures à suivre, ils se retrouvent ainsi sans repères. Certains MNA deviennent des cibles faciles pour les réseaux criminels, la prostitution ou le travail clandestin. D’autres sont victimes de rejet et de stigmatisation, alimentés par des discours politiques et médiatiques qui les associent parfois à la délinquance. Un des premiers défis concerne la reconnaissance de leur minorité et de leur isolement. L’évaluation de leur âge - conditionnant leur protection - repose souvent sur des entretiens subjectifs et des tests osseux dont la fiabilité est contestée. Certains jeunes sont déclarés majeurs à tort et se retrouvent exclus des dispositifs de protection de l’enfance, les condamnant à l’errance et à la précarité, même dans le cadre d’un appel de cette décision. En droit français, la présomption de minorité garantit à l’enfant un accès immédiat au système de l’ASE jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par le conseil départemental. Toutefois, en cas de refus de reconnaissance de la minorité, cette présomption disparaît, entraînant automatiquement la perte de la protection de l’ASE. Même en cas de contestation de cette décision, l’enfant se retrouve sans prise en charge, faisant de cette question un enjeu majeur en matière de protection des mineurs non accompagnés. Durant ce délai, les jeunes se retrouvent donc sans protection et pour la plupart sans abri. Cette problématique fait d’ailleurs l’objet d’une proposition de loi, déposée le 21 janvier 2025 par le député Jean-François Coulomme. Elle vise ainsi à modifier le cadre légal pour une prise en compte de la présomption de minorité jusqu’à la décision du juge des enfants et ainsi entrer en conformité avec le droit européen et international afin de protéger les MNA. L’hétérogénéité de la prise en charge représente également une difficulté majeure. Chaque département est responsable de l’accueil des MNA, mais tous ne disposent pas des mêmes ressources ni de la même volonté politique pour les accompagner. Cette disparité entraîne des inégalités de traitement, certains jeunes étant mieux protégés selon leur lieu d’arrivée. Ce constat relève directement problématique autour du financement départemental de l’ASE en matière de MNA, mais surtout sur le budget leur étant alloué par l’État. La saturation des dispositifs d’hébergement et des services d’évaluation aggrave encore la situation. Le Collectif Cause Majeur pointe dans son enquête de 2024 sur la situation des mineurs accompagnés que 43% des professionnels de la protection de l’enfance considèrent que les MNA ne bénéficient pas de la même qualité d’accompagnement que les jeunes dans leur département. Le Défenseur des droits a été, sur la période estivale de 2023, saisi de la fermeture de plusieurs dispositifs départementaux d’accueil provisoire d’urgence des MNA au motif de leur saturation. Des départements ont alors suspendu toute nouvelle entrée de MNA en protection de l’enfance. D’autres ont fait le choix de ne plus mettre à l’abri les jeunes primo arrivants dans l’attente de leur évaluation, les laissant de fait à la rue pendant plusieurs semaines. En réalité, les MNA ne constituent que 6 à 7% des jeunes pris en charge par l’ASE, contredisant ainsi l’idée d’une saturation du système. Pour pallier ce manque de place et malgré l’interdiction posée par l’article 7 de la Loi Taquet de 2022 dont les décrets d’application ont été publiés, les hôtels font encore office d’hébergement : 5% des mineurs hébergés à l'hôtel soit un peu plus de 10 400 jeunes et 95% d’entre eux sont des mineurs non accompagnés. Dans ce contexte, durant trois mois 450 mineurs non accompagnés ont occupé la salle de concert de la Gaîté Lyrique à Paris. En réponse, la préfecture de Paris a ordonné leur expulsion le 18 mars dernier, leur laissant moins de 24 heures pour s’y préparer. La majorité d’entre eux n’a reçu aucune solution d’hébergement alternative. Pour ceux déjà reconnus comme mineurs, les seules propositions consistaient en un éloignement hors d’Île-de-France, les contraignant ainsi à quitter leur département d’arrivée, leur réseau de soutien et les préfectures où leurs démarches administratives avaient été entamées. Ainsi, trois-quarts de ces mineurs expulsés se retrouvent aujourd’hui à la rue, avec pour seule aide, les associations d’aide aux exiles palliant au manquement de la part des départements et de l'État. L’accès à l’éducation et à la formation professionnelle est un autre enjeu crucial. De nombreux MNA arrivent avec un niveau scolaire faible ou irrégulier, nécessitant une prise en charge éducative adaptée. Pourtant, l’intégration dans le système scolaire est parfois lente et difficile. Peu d’établissements proposent des classes UP2A - unité pédagogique pour élèves allophones arrivants - et de personnel adapté. Par la suite, l’accès aux formations professionnelles reste conditionné à leur situation administrative. À 18 ans, sans titre de séjour, beaucoup se retrouvent donc sans solution et risquent de tomber dans la clandestinité. Sur le plan sanitaire, ces jeunes présentent souvent des troubles physiques et psychologiques liés aux violences subies dans leur pays d’origine ou sur leur parcours migratoire. Pourtant, leur accès aux soins, notamment en santé mentale, reste insuffisant. Une fois de plus, les seuls offrent de soins proposés proviennent d’organisation non-gouvernementale, telle que les permanences médicales de Médecin Sans Frontière. Le manque de professionnels formés et les délais d’attente dans les structures de soins compliquent leur prise en charge. Enfin, les enjeux juridiques et administratifs constituent un obstacle majeur à leur intégration. À leur majorité, les MNA doivent demander un titre de séjour, mais les critères sont stricts et beaucoup se retrouvent en situation irrégulière. Le manque de coordination entre les services de l’État, les départements et les associations complique encore leur parcours. À ce titre, le Collectif Cause Majeure indique que seuls 37% des professionnels estiment que les MNA sont épaulés dans leur démarche pour obtenir un titre de séjour. Face à ces défis, il est essentiel de renforcer les dispositifs de prise en charge, d’harmoniser les évaluations de minorité, de garantir un accès rapide à l’éducation et à la formation, et de simplifier les démarches administratives pour assurer un avenir stable à ces jeunes vulnérables. C’est pourquoi nous proposons : - Réviser et recentraliser le cadre de l’évaluation de majorité afin de garantir l’effectivité des droits des MNA : ○ Réaliser une liste nationale des critères d’évaluation, imposer plusieurs évaluateurs au lieu d’un seul et interdire les prélèvements osseux ○ Placer automatiquement les MNA dans les dispositifs de protection de l’enfance sur la base de la présomption de minorité existante ○ Respecter l’obligation d’hébergement, de prise en charge de santé avant et pendant la procédure d’évaluation au titre de la présomption de minorité ○ Rendre le recours contre les décisions de refus de reconnaissance de minorité suspensif, pour que l’enfant puisse encore bénéficier d’une protection de l’ASE ○ Garantir un accès à la santé physiologique et psychologique, au logement et à l’éducation, coordonné par l’administration centrale en lien avec les préfectures dès l’arrivée des MNA sur le territoire français - Généraliser la nomination d’un administrateur ad hoc pour représenter les MNA dans les procédures administratives et judiciaires - Mettre en place d’un accompagnement personnalisé prenant en compte la santé, la scolarité et le parcours migratoire - Obliger le GIP à publier des rapports réguliers concernant la situation des MNA ○ Recenser régulièrement le nombre de MNA présents sur le territoire ○ Recenser régulièrement le nombre de procédures d’évaluation en cours ○ Recenser régulièrement le nombre de décisions de rejet de reconnaissance de minorité ○ Recenser régulièrement le nombre de décisions de reconnaissance de minorité ○ Recenser régulièrement le nombre de MNA pris en charge par l’ASE ○ Établir des données chiffrées concernant les prises en charges médicales des MNA ○ Établir des observations sur l’insertion professionnelle des jeunes dès leur majorité - Anticiper la sortie des MNA des dispositifs ASE au moment de l’arrivée à la majorité ○ Instaurer un processus accéléré de régularisation en préfecture pour les jeunes reconnus mineurs afin d’éviter les ruptures de parcours à 18 ans ○ Co-construire avec les MNA un Projet Pour l’Enfant (PPE) basé sur leurs aspirations et leur parcours migratoire |
Prévenir la précarité sociale et les violences
Il faut adopter une approche de prévention globale, universelle et proportionnée. Plusieurs aspects et pratiques de prévention doivent être pris en compte et renforcés.
Cette approche doit comprendre la mise en place de politiques de prévention qui permettent de combattre les inégalités sociales qui touchent en premier lieu les familles et leurs conditions de vie. En France, près de 2 millions de personnes sont en situation de grande pauvreté. Parmi ces deux millions de personnes, il y a bien sûr les enfants suivis par l'ASE, inclus dans les 2 millions de personnes en grande pauvreté. Au-delà de la grande pauvreté, 1 enfant sur 5 – soit 2,9 millions d’enfants – vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2018. Plusieurs études ont pu mettre en lien les relations entre la pauvreté et les entraves à l’effectivité de droits fondamentaux des enfants, comme le droit à la santé (cf. rapport « Grandir sans chez-soi ») ou à l’éducation, et a une incidence durable et déterminante sur leur avenir. ATD Quart Monde dénonce une réalité qui n'est pas suffisamment prise en compte dans les évaluations de la protection de l’enfance.
Il faut ainsi permettre à l’ensemble des familles et des enfants d’accéder aux mécanismes de prévention. Lors de son audition, Céline Gréco rappelait le 21 mai 2024 que “la société tout entière pense que les violences intrafamiliales n’affectent que les milieux sociaux défavorisés.” Face à ces aprioris, elle rappelle que “ces violences touchent tous les milieux.” Il faut donc rappeler que sur les 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année, 77% de ces violences ont lieu au sein de la famille et cela dans tous les milieux sociaux. En France, il existe un organe dans chaque département chargé de recueillir les informations préoccupantes formulées par les mineurs eux-mêmes, par l’un ou les parents d’un enfant, un professionnel, et toute personne estimant devoir le faire. Ces Cellules de Recueil, de traitement et d’évaluation des Informations Préoccupantes (CRIP) assurent le repérage précoce des enfants en risque ou en danger permettant ainsi la mise en œuvre de mesures de prévention ou de protection appropriées. Dans sa décision cadre, la défenseure des droits révèle qu’un département “a connu une forte augmentation du nombre d’IP reçues en trois ans passant de 4450 IP en 2019 à 6467 en 2023.” La CRIP mettrait trente jours à transmettre une IP aux territoires pour qu’ils mènent une évaluation. Une fois l’information transmise, la CRIP relève que “le délai d’évaluation par les équipes est, pour 60% des situations, supérieur à six mois.”
Dans sa contribution, la CFDT alerte : « Des informations préoccupantes ont été remontées à la CRIP concernant la famille G. L’évaluation de la situation se fera des mois plus tard car la liste d’attentes est beaucoup trop importante. » Elles rencontrent aujourd’hui des problèmes de fonctionnement.
Les délais de traitement après une information occupante démontre le besoin pour les enfants de renforcer les logiques existantes, afin de permettre une intervention la plus précoce possible.
Afin de permettre la prévention la plus précoce possible, une approche inspirée du Québec est mise en place dans les départements depuis 2017. Cette nouvelle approche s’implante dans les centres de Protection maternelle et infantile (PMI), décentralisés depuis 1983. Chargés d’assurer la protection sanitaire de la mère et de l’enfant, plus de trente présidents de départements ont choisi une nouvelle approche, dite “Petits pas, grands pas” (PPGP), afin de développer des actions préventives de qualité accessibles à tous les parents. A partir de l’analyse de la communication existante, le déploiement du contact prénatal universel et de la formation des professionnels, la démarche PPGP a pour objectif de renforcer l’attachement des parents à l’enfant et de la chaîne de sécurité. Ayant porté ses fruits, Claire Hédon soutient cette démarche de prévention et de soutien à la parentalité dans sa décision-cadre du 28 janvier 2025.
D’autres dispositifs que les CRIP, comme la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), ont permis de renforcer la détection et la prise en charge des enfants en danger. Afin d’améliorer les politiques de prévention, il est primordial d’améliorer les dispositifs de détection et de signalement des enfants en danger. Or, il est extrêmement difficile de repérer un enfant et de le signaler. Pour cela, il faut améliorer les dispositifs de détection des enfants en danger dans les milieux hospitaliers et scolaires.
En milieu hospitalier, les Unité d'accueil pédiatrique pour l'enfance en danger (UAPED), équipes pluridisciplinaires, peuvent intervenir dans différents services et permettent de déployer une première intervention et une détection. Un intérêt de la détection et de la mise en place des UAPED est de permettre à l’équipe pluridisciplinaire (le médecin, la psychologue et l’infirmière) de cette unité la mise en place de consultations de guidance parentale. Une expérimentation a lieu à l’hôpital Robert Debré. Permettant un repérage des situations à risque beaucoup plus précoce, la détection est désormais assortie de la mise en place de consultations de guidance parentale par l’équipe de l’UAPED. Le résultat de la mise en place d’un accompagnement précoce est le maintien d’un taux de placement équivalent, alors que le taux de signalement et de détection, quant à lui, a largement augmenté.
L’objectif de l’État étant d’ouvrir une structure par juridiction d’ici 2025, le Défenseur des droits constatait dans sa décision-cadre qu’il est très difficile de trouver une liste nationale à jour. Le besoin de renforcement du nombre et des moyens d’intervention et de formation des UAPED paraît dès lors prioritaire.
En milieu scolaire, il est également important de permettre ces détections. Pour cela, les professionnels en première ligne sont les infirmières, psychologues et médecins scolaires. Il est important de permettre à ceux-ci d’assurer une permanence de soins dans les établissements scolaires et de leur permettre un accompagnement de tous les élèves.
C’est pourquoi nous proposons : - Attribuer des crédits suffisants pour mettre en place une politique de prévention ambitieuse - Renforcer les mécanismes d’aides aux familles sous le seuil de pauvreté - Renforcer les financements et la création d’UAPED - Renforcer les financements des PMI et généraliser l’approche “petits pas grands pas” en leur sein - Renforcer le financement et les pouvoirs de coordination des CRIP ○ Renforcer la coordination des départements avec les académies pour permettre au service social de participer à certaines évaluations ○ Renforcer la coordination des départements avec les ARS
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PARTIE 4
SPÉCIFICITÉS AUX TERRITOIRES D’OUTRE-MER
Le droit à la protection des enfants est reconnu dans le Code civil, l’enfant étant considéré comme dépendant et vulnérable.
En 2023, selon le rapport d’information de la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale sur « la lutte contre les violences faites aux mineurs en Outre-mer », la grande précarité économique, la crise du logement entraînant promiscuité et suroccupation, les problèmes de santé publique (en particulier l'addiction) et les taux de pauvreté très élevés, sont les principaux facteurs pouvant expliquer la prévalence des violences intrafamiliales en Outre-mer.
En 2022, le bilan statistique du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer indique que l’ensemble des CTOM et des DROM avait respectivement un taux de violences intrafamiliales de 6,5 et 4 pour 1000 habitants, 7,1 en Nouvelle-Calédonie et 6,3 en Polynésie française tandis qu’il s’élevait à 2,7 dans l’Hexagone.
La protection de l’enfance a pour mission d’assurer la protection de tout enfant en danger sur le territoire, quelle que soit son origine. Or, le système de protection de l’enfance est moins effectif dans les Outre-mer qu'il ne l'est dans l'Hexagone. En effet, la situation de grande précarité d’une partie importante de la population et le nombre d’enfants en situation de pauvreté génèrent mécaniquement des besoins importants en protection dans plusieurs des territoires ultramarins. Pour autant, les chiffres bas rapportés par la DREES questionnent toute la chaîne de signalement, jusqu’à la capacité de l’ASE à assurer la mise en œuvre de mesures éducatives sur les territoires. Les acteurs concèdent d’ailleurs la difficulté d’exercer des missions de prévention. Les récents rapports confirment une défaillance systémique qui se traduit par la non-exécution des mesures en assistance éducative, des délais de mise en œuvre extrêmement longs ou encore une prise en charge dont la qualité n’est pas satisfaisante. Cela est particulièrement constaté s'agissant des services d'actions éducatives en milieu ouvert (AEMO) qui sont pourtant fondamentaux pour travailler avec les parents et éviter des mesures de placement.
Dans le cadre de cette contribution, nous proposons des mesures d’urgence pour commencer à rétablir une protection de l’enfance effective dans les Outre-mer et garantir l’égalité avec l’Hexagone.
C’est pourquoi nous proposons :
- De renforcer les données désagrégées (âge, genre, etc.) et les connaissances sur les violences faites aux enfants dans les CTOM par le renforcement des Observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE). En effet, tant que l'État n'aura pas repris une place centrale au sein de la protection de l'enfance, nous pensons que le renforcement des ODPE est utile
- De faire participer à l’élaboration et adapter aux enfants et aux adolescents vivant dans les CTOM les campagnes de sensibilisation sur les mécanismes de signalement
- De renforcer la prévention des violences à travers des programmes d’accompagnement à la parentalité adaptés aux contextes des CTOM
- De prévoir des clauses spécifiques pour les CTOM dans la contractualisation entre État et département en matière de protection de l’enfance afin de renforcer leurs moyens et définir un plan de développement des compétences/formation des agents dans les départements dont la structuration est récente
- De confier à l‘ONPE et les ODPE une mission de recueil de données actualisées et de publication en continu des délais d’exécution des décisions judiciaires dans les CTOM
- D’instaurer une instance de participation pour les enfants protégés ou sortants de l’aide sociale à l’enfance dans chaque territoire d’Outre-mer
- De favoriser la diversification, la pluralité et la complémentarité des modes d’accueil pour permettre une réponse individualisée aux besoins des enfants et lutter contre la généralisation du recours aux assistants familiaux et donc à leur saturation
PARTIE 5
CONTRIBUTION DE L’ATELIER DES LOIS SUR LA PROTECTION DE L’ENFANCE
Le 26 mars 2025, à l’initiative de la députée Marianne Maximi et avec la participation de parlementaires du Nouveau Front Populaire, des anciens enfants placés et des professionnels de la protection de l’enfance se sont réunis à l’Assemblée nationale.
Ensemble, ils ont débattu sur les mesures à mettre en œuvre pour sortir la protection de l’enfance de la crise.
Les participants avaient pour support la liste des propositions formulées devant notre commission d’enquête. En plusieurs petits groupes, ils ont dégagé les mesures prioritaires, urgentes et faisant consensus pour répondre aux problématiques soulevées par la commission d’enquête.
Ce document est le résultat de cet exercice de démocratie et présente leurs propres recommandations sur la protection de l’enfance.
Nous appelons les présidents de Départements, les parlementaires et les membres du Gouvernement à entendre cette voix citoyenne.
La définition et la conduite d’une politique de protection de l’enfance efficace, adaptée et à la hauteur des besoins ne saurait se faire sans l’avis des premiers et premières concernées, et des professionnels qui s’occupent des enfants au quotidien.
GROUPE DE TRAVAIL N°1
CONDITIONS DE TRAVAIL DES PROFESSIONNEL•LES
Participant•es :
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La demande principale de tous est une véritable reconnaissance professionnelle et revalorisation salariale.
Plusieurs difficultés sont constatées : d’abord, un important turn-over et une souffrance professionnelle dues à des conditions de travail dégradées. Ensuite, une problématique d’égalité femme-homme avec des professions majoritairement exercées par des femmes, faiblement rémunérés et une faible reconnaissance de la spécialisation professionnelle exigée par les publics accompagnés. La problématique d’un management distant et de décisions prises sans les professionnels est également soulevée.
Le groupe propose plusieurs leviers pour revaloriser ces métiers.
D’une part, par l’augmentation de la rémunération et le passage à une catégorie supérieure.
D’autre part, en défendant la formation professionnelle spécialisée. Le groupe alerte sur les propos qui visent à prétendre que les professionnels de la protection de l’enfance manquent de spécialisation.
Également, il est nécessaire de davantage protéger la santé des professionnels et mieux reconnaître les risques professionnels, en particulier les risques liés à la santé mentale.
Les risques juridiques sont également évoqués et considérés comme un vrai risque professionnel, notamment les poursuites pénales. Les professionnels doivent être davantage soutenus par exemple par le biais de la protection fonctionnelle.
Concernant les assistants familiaux, le groupe demande qu’on leur donne un vrai statut et qu’on les intègre dans la fonction publique. Les assistants familiaux doivent être reconnus comme des travailleurs sociaux, avec les droits qui vont avec, donc leur appliquer le droit du travail, le droit à des congés par exemple.
La nécessité de fixer des taux et normes d’encadrement fait pleinement consensus. Ces taux doivent être définis avec les professionnels et leurs représentants, et les personnes accompagnées.
GROUPE DE TRAVAIL N°2
CONDITIONS D’ACCUEIL, D’ACCOMPAGNEMENT ET DE PRISE EN CHARGE DES ENFANTS
Participant•es :
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Le groupe préconise de renforcer la prévention et le repérage, en développant la prévention primaire à travers des mesures préventives renforcées, incluant les recommandations concernant la CIIVISE, tout en assurant un lien privilégié avec les acteurs de la prévention primaire et ceux de l’aide sociale à l’enfance.
La nécessité d’améliorer le fonctionnement du 119 fait consensus, en assurant une harmonisation et une rigueur sur la présence de professionnels dédiés et formés dans les cellules de recueil des informations préoccupantes, grâce à des moyens alloués et fléchés.
Il est également nécessaire d’instaurer un plan national de formation et de sensibilisation de l’ensemble des professionnels en contact avec des enfants sur le repérage et l’action face aux situations préoccupantes au sein des lieux de vie des enfants, tels que les écoles, les clubs sportifs, les médiathèques, etc.
Concernant les structures et les mesures, le groupe souligne d’abord son attachement à une approche interdisciplinaire dans le suivi de l'enfant, en garantissant et en sécurisant les évaluations pluridisciplinaires.
Le groupe soutient une présence obligatoire des unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger sur l’ensemble du territoire français, avec des moyens dédiés et inscrits dans les budgets de l'État.
Il faut adapter et renforcer le soutien aux parents, une fois l’enfant repéré en danger, tout en garantissant les moyens nécessaires à la mise en place des mesures d’aide à domicile, avec une réduction du nombre de mesures par professionnel, pour assurer une intervention plus rapide auprès des enfants et fructueuse.
Il est nécessaire de diversifier les modes d'accueil (unités spécialisées, familles d’accueil pour les MNA …) en privilégiant les petites unités, avec des prises en charge adaptées et en nombre suffisant, garantissant des conditions matérielles et professionnelles adéquates. Les placements en hôtel quant à eux doivent être interdits, de même que les placements dans des appartements ou toute autre structure n’assurant pas un accompagnement réel et adapté.
Il est aussi crucial de garantir la stabilité des parcours des enfants confiés de manière obligatoire et harmonisée sur l’ensemble du territoire, notamment à travers le projet pour l’enfance jusqu’à 25 ans, afin de limiter les ruptures de parcours et de lutter contre les violences institutionnelles.
Concernant les jeunes majeurs, ils doivent être accompagnés et soutenus de manière obligatoire, avec un droit de retour dans les dispositifs jusqu’à 25 ans. Le groupe souhaite augmenter et flécher les moyens alloués aux contrats jeunes majeurs au sein des budgets des départements.
Pour les Mineurs Non Accompagnés (MNA), le groupe insiste sur l’importance d’une prise en charge pluridisciplinaire de tous les enfants en danger, qu'ils soient français ou non, en tenant compte de leurs besoins spécifiques et dans le respect de leurs droits ainsi que des conventions internationales. Le groupe prend position contre les logiques d'exclusion et de suspicion envers certains publics, tels que les MNA.
Il est également nécessaire de former les agents des préfectures et de la protection de l'enfance sur la régularisation des MMA. La création d’un guichet spécifique pour les professionnels accompagnants et la suppression du critère d'âge pour la délivrance des titres de séjour, avec des moyens fléchés ainsi qu’une augmentation des effectifs et des ressources allouées sont préconisées.
Enfin, le groupe souhaite harmoniser et revoir l'ensemble de la pratique d'évaluation de la minorité en interdisant, notamment, les tests osseux, qui sont éthiquement contestables.
Concernant l’accès à la santé, le groupe préconise d’assurer une prise en charge médicale et psychologique pour les jeunes à la majorité, en facilitant l'accès aux soins via l'automatisation de la complémentaire santé solidaire, et en simplifiant les démarches pour les affectations de longue durée.
Il est également nécessaire de permettre l’accès à des professionnels de santé spécialisés dans les séquelles (traumatismes et psycho-traumatismes) spécifiques aux jeunes ayant un parcours en protection de l'enfance. Par ailleurs, un suivi psychosocial durant le parcours doit être proposé, sans être rendu obligatoire, afin de soutenir les enfants et jeunes selon leurs besoins.
GROUPE DE TRAVAIL N°3
CADRE JURIDIQUE ET JUSTICE DES MINEURS
Participant•es :
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Ce groupe préconise d’élaborer un code de l’enfance qui regrouperait toutes les dispositions relatives à leurs droits qui figurent dans les différents codes et le code de la justice pénale des mineurs. Cette mesure fait consensus sur le plan fonctionnel et symbolique. Les dispositions inscrites dans le code de l’action sociale et des familles pourraient également être transposées dans le code civil.
La lutte contre les mesures non exécutées est une priorité. Le groupe pointe que des mesures ne sont pas exécutées faute de moyens et d’autres par manque de volonté des départements, non contraints pour l’heure de financer des actions de prévention, pourtant essentielles.
La nécessité d’augmenter les moyens dédiés à la justice fait également consensus. L’objectif doit être d’avoir des greffiers dans les audiences d’assistance éducative (comme c’est d’ailleurs obligatoire) ,d’augmenter le nombre de juge des enfants, réduire les délais de procédure devant les cours d’appel et recruter des administrateurs ad hoc.
La question d’un droit à l’avocat systématiquement présent aux côtés de l’enfant a fait débat. Sont mis en balance la question d’accès à l’information aux droits pour les enfants et le fait de ne pas imposer un avocat à l’enfant lorsqu’il n’en veut pas.
Le groupe propose que chaque enfant reçoive du magistrat sa convocation à l’audience, avec une information sur l’ensemble de ses droits, la liste des personnes qui peuvent l’accompagner et les coordonnées du juge.
Le groupe propose de rendre obligatoire la pratique de l’entretien de restitution, qui existe déjà mais est peu appliqué dans les faits, envers les enfants et les parents.
Le groupe préconise également de créer un guide des droits des enfants placés à destination tant des enfants placés que des professionnels, et insiste sur la nécessité d’améliorer la formation des assistants familiaux, accompagné de la diffusion d’un guide sur la distinction entre les actes usuels et non-usuels, harmonisée au niveau national.
GROUPE DE TRAVAIL N°4
ORGANISATION DE LA POLITIQUE PUBLIQUE DE PROTECTION DE L’ENFANCE
Participant•es :
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La mesure de recentraliser la protection de l’enfance fait débat entre les participants et fait aussi débat à l’intérieur de plusieurs organisations. Le débat porte sur deux points : d’un côté, le fait qu’il y a des inégalités territoriales qui sont inacceptables et intolérables, de l’autre, le fait que recentraliser ne règlera pas automatiquement ce problème.
La question que le groupe a souhaité se poser est celle d’un nouveau cadre législatif à mettre en place pour définir qui est responsable de la protection de l’enfance, à quel niveau, et d’un cadre légal qui permettrait de contraindre les responsables, quelle que soit leur couleur politique, à respecter leurs obligations et répondre à tous les besoins sur le territoire.
Concernant le contrôle, le principe de la libre administration des collectivités territoriales ne permet ni de flécher les financements sur la protection de l’enfance, ni à l’État de contrôler directement l’action des départements. Pour répondre en partie à cette problématique, le groupe préconise de créer une autorité nationale indépendante de contrôle (par exemple rattachée au Défenseur des droit) et entièrement publique, qui peut s’autosaisir (et être saisie par l’ensemble des acteurs, professionnels, enfants, etc.). Cette autorité contrôle à la place des Départements (qui sont juges et partis donc ne peuvent pas s’auto-contrôler). Cette autorité vérifie et contrôle la manière dont les départements respectent (ou non) leurs obligations.
Il y a aussi un besoin et une absolue nécessité de sacraliser les budgets de la protection de l’enfance et d’intégrer sans ambiguïté la prévention spécialisée dans ce champ. La protection de l’enfance et donc la prévention spécialisée ne doit pas servir de variable d’ajustement budgétaire. Le groupe propose un principe de non-régression des enveloppes budgétaires dédiées à la protection de l’enfance d’une année sur l’autre. Ce principe n’impose pas un plafond, au contraire, l’enveloppe d’une année sur l’autre n’est pas constante, elle évolue selon le nombre de mineurs sur le territoire.
Le groupe propose également de nous doter d’un plan pluriannuel de fonctionnement et d’investissement massif dans la protection de l’enfance, afin d’avoir une visibilité et prévisibilité, pour les acteurs. Par exemple, ce plan pourrait partir du chiffrage du nombre de places manquantes.
Enfin, le groupe souhaite également créer un service social en faveur des élèves dès le primaire.
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contribution des groupes Ensemble pour la République, Les Démocrates et Horizons & Indépendants
Contribution des députés des groupes EPR, MoDem et Horizons membres de la commission d’enquête
Les députés des groupes parlementaires Ensemble pour la République, Horizons et MoDem tiennent à saluer l’organisation des travaux et remercient la Présidente Laure Miller, la rapporteure Isabelle Santiago pour leur sérieux et leur implication, ainsi que les administrateurs de l’Assemblée nationale pour leur accompagnement.
Après 86 heures d’auditions, le constat d’une politique à bout de souffle pour qualifier l’Aide Sociale à l’Enfance est, de toute évidence partagé par tous les députés de la Commission d’enquête. En cela, nous nous félicitons de cette initiative et remercions les hommes et les femmes qui se sont succédés dans le cadre de nos auditions, pour partager leur analyse, leur expérience et leurs pistes de réflexion.
En ce sens, certaines des nombreuses propositions évoquées par Madame la rapporteure Isabelle Santiago sont pertinentes pour améliorer le système de l’Aide sociale à l’enfance, à la croisée de très nombreuses politiques publiques. Cette contribution de groupes ne prétend en aucun cas à l’exhaustivité mais présente un cap qui nous semble essentiel de tenir afin d’agir dans un unique but : l’intérêt de l’enfant.
Aujourd’hui, près de 397 000 enfants faisant, pour la plupart, l’objet d’un placement ordonné par le juge ou de mesures éducatives renforcées sont suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Entre fin 1998 et fin 2022, la protection de l’enfance a fait face à une multiplication par 1,4 du nombre de mesures d’ASE. Ainsi, le nombre de mesures d’ASE rapporté au nombre de jeunes de moins de 21 ans augmente régulièrement au cours de cette période, passant de 16,6 pour 1 000 jeunes fin 1998 à 22,9 ‰ fin 2022.[747]
La Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin nous l’a rappelé lors de son audition[748], la protection de l’enfance fait face à des enjeux nouveaux avec, dans un contexte de baisse significative de la natalité, un nombre d’enfants confiés à l’ASE qui augmente de manière caractéristique notamment chez les tout-petits.
Cette augmentation du nombre de placements ou de mesures éducatives est liée tant à l’amélioration du repérage des maltraitances, qu’à la vulnérabilité croissante des familles, ou aux effets des crises migratoires poussant des enfants étrangers, désignés comme « mineurs non accompagnés », à demander la protection de la France. En effet, nous avons fait face à une hausse importante du nombre de mineurs non accompagnés accueillis et notamment entre 2015 et 2019 (+29 % par an en moyenne au cours de cette période)[749], en dénombrant ainsi 46 200 en 2023 et qu’il faut continuer à accueillir au même titre que tous les enfants au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Toutefois, derrière ces 397 000 enfants suivis par l’Aide sociale à l’enfance, derrière ces chiffres abstraits, il y a les visages d’enfants et souvent d’enfants en danger. C’est cette perspective qui nous a animés tout au long de la commission d’enquête et c’est en ce sens qu’il nous paraissait logique d’ouvrir et de clôturer notre cycle d’auditions par celle des premiers concernés : le comité des enfants placés, car leurs témoignages sont souvent plus forts que les chiffres. En cela, il est de notre devoir de nous demander si les objectifs de cette politique de protection de l’enfance sont remplis quand de nombreux jeunes passés par ces dispositifs souffrent d’un « sentiment d’abandon », expriment la crainte d’une marginalisation et d’une rupture au sortir de leur minorité[750]. Ces « dispositifs » sont ceux des différentes administrations publiques.
La protection de l’enfance, un pilotage coordonné entre différents acteurs
L’année 1982 marque un tournant en matière de répartition des compétences puisque la loi votée le 28 janvier 1982 et promulguée le 2 mars 1982, complétée par la loi du 22 juillet 1982, introduisent d’importantes modifications dans l’organisation territoriale de notre pays. De 1982 à 1986, 25 lois complétées par environ 200 décrets se succèdent parmi lesquels la loi du 22 juillet 1983 consacrant le transfert de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), jusque-là confiée à l’Etat, aux départements français.
En effet, reposant sur diverses mesures judiciaires, éducatives et sanitaires, cette politique fait intervenir les services nationaux et territoriaux de l’État. Le législateur et les gouvernements se sont d’ailleurs attachés à favoriser les synergies entre ces différents acteurs, notamment au travers de la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance et de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Outre les acteurs institutionnels, le secteur associatif joue également un rôle fondamental dans cette mission.
Avec un État garant de la protection des enfants, des départements et des associations, bras armés de ces politiques, une meilleure coordination entre les acteurs s’avère nécessaire et ce notamment pour mieux contrôler les établissements accueillant des enfants placés – nous préférerions parler d’enfants « protégés ». Ce partage d’informations et cette meilleure coordination doit s’opérer à trois niveaux : entre l’Etat et les départements, entre les départements eux-mêmes et au sein des départements entre les différents acteurs.
En ce sens, nous saluons l’action de la Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin, détaillée lors de son audition par notre commission d’enquête, de prendre une circulaire pour renforcer la coordination et le partage d’information entre l’ensemble des acteurs de la prise en charge des enfants, notamment entre le ministère des solidarités et le ministère de l’intérieur.
Ainsi, nous partageons la volonté de la Ministre de doter chaque préfecture d’un référent ASE, afin que les préfectures, services déconcentrés de l’Etat, puissent agir de manière plus coordonnée avec les départements.
De plus, il nous apparaît essentiel que tout département recevant des enfants placés en provenance d’un autre département soit dûment informé de ce transfert. Ce travail sur les moyens à mettre en œuvre afin que le partage d’informations s’opère de la manière la plus effective possible doit se réaliser avec les élus locaux et leurs représentants, que nous avons d’ailleurs auditionnés dans le cadre de la commission d’enquête.
Enfin, cette coordination doit également s’opérer entre les acteurs locaux au sein des départements. En ce sens, les comités départementaux de la protection de l’enfance (CDPE) en expérimentation dans dix départements vont dans le bon sens et doivent impérativement être généralisés dès que possible. Ces instances de coordination regroupent l’ASE, les services de la PMI, de la justice et de l’éducation nationale, l’agence régionale de santé (ARS) et les organismes de sécurité sociale, sous la présidence conjointe du président du conseil départemental et du préfet.
Cette coordination entre les acteurs ne peut s’opérer de manière totalement effective sans que les politiques publiques de protection de l’enfance s’inscrivent dans un temps dépassant les aléas, les bouleversements politiques et en cela un vrai chantier de planification à long terme semble être essentiel.
La protection de l’enfance, une nécessaire planification de long terme
Ces dernières années, la protection de l’enfance a pris une place prépondérante dans l'espace public. Néanmoins, l'intérêt qu'elle suscite découle principalement des drames relayés par la presse et des différentes alertes sur l’urgence à réagir.
Cette urgence à agir, nous en avons tous pleinement conscience. Toutefois, la protection de l’enfance souffre d’un manque de portage politique qui permettrait à celle-ci de voir son action perdurer toujours avec la même intensité, survivant ainsi aux changements et aux bouleversements politiques. Le véritable enjeu est donc de créer une stabilité des consciences sur ce sujet pour empêcher que la protection de l’enfance soit un thème à intérêt fluctuant.
Il convient donc d’avoir un organe qui s’inscrit dans le temps long, chargé du suivi et de la coordination des politiques publiques en matière de protection de l’enfance comme cela est le cas en matière de protection de l’environnement avec le secrétariat général de la planification écologique (SGPE).
En cela, la décision voulue par le Président de la République et prise par le Premier ministre d’instituer un haut-commissaire à l’enfance va dans le bon sens. En vertu du décret n°2025-118 du 10 février le haut-commissariat à l’enfance « apporte son concours à la définition, la coordination, la promotion, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques conduites en matière d'enfance, en particulier en matière de protection de l'enfance, de santé de l'enfant, de soutien à la parentalité, d'adoption, de petite enfance et d'accueil du jeune enfant. Il contribue également à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques conduites à l'égard des professionnels de l'enfance. » Plusieurs associations plaidaient en ce sens afin d’éviter que chaque remaniement ministériel vienne perturber l’action en faveur de la protection de l’enfance, c’est ce qui a été fait et nous nous en réjouissons.
La sauvegarde et la protection de l'enfance représentent un enjeu pour l'ensemble de la société et impliquent la plupart des politiques publiques. Les manquements en matière de protection de l’enfance sont souvent le résultat de plusieurs politiques insuffisantes ou inefficaces. En effet, la protection de l’enfance s’appuie sur une collaboration étroite et indispensable entre plusieurs acteurs institutionnels : l’État, à travers l’action concertée des ministères en charge de l’enfance, de la justice, de la santé et de l’éducation nationale, ainsi que les départements, qui assurent la gestion de l’aide sociale et de la solidarité ou encore les associations, au rôle essentiel. La protection de l’enfance doit donc devenir un objectif transversal des politiques publiques, guidées par un unique principe directeur : l'intérêt supérieur de l'enfant. En cela, peut-être serait-il opportun de placer le haut-commissariat à l’enfance directement sous l’autorité du Premier ministre à l’image du secrétariat général de la planification écologique.
Les parlementaires que nous sommes avons aussi un rôle à jouer tant avec notre droit d’initiative législative qu’avec notre mission de contrôle de l’action gouvernementale ou d’information de la représentation nationale sur toute question relative aux droits des enfants. C’est un vrai travail de fond réalisé sur du long terme et en ce sens, la délégation aux droits des enfants présidée par la députée Perrine Goulet est essentielle.
Enfin, alors que l’intérêt supérieur de l’enfant est un cap vers lequel nous devons tous tendre, nous pourrions imaginer un temps dédié inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat, consacré à l’examen de textes relatifs à la protection de l’enfance tels que la proposition de loi de Monsieur Xavier Iacovelli ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial[751] adoptée au Sénat le mercredi 29 mai et qui n’a toujours pas vu son chemin législatif perdurer pour le moment. Tout cela, sans tomber dans la surproduction de normes, comme nous alertait la défenseure des droits Claire Hédon lors de son audition devant notre commission d’enquête, le 12 novembre 2024 : « En conclusion, j’aimerais appeler votre attention sur ce qui me semble être de fausses bonnes nouvelles, à commencer par de nouvelles lois. »[752]. C’est aussi ce que nous disent les travailleurs du secteur qui ne parviennent déjà pas à appliquer les textes adoptés depuis 2007. Cet écart entre les principes posés par les textes et leur mise en œuvre effective engendre des répercussions considérables pour les enfants concernés. Il entretient les ruptures dans leur accompagnement, multiplie les réponses inadaptées et, ce faisant, alourdit les épreuves qu’ils affrontent déjà.
De toute évidence, cette commission d’enquête a également mis en lumière la limite de moyens des départements, face à la hausse bienvenue du cadre normatif qui leur est imposé. Bien-sûr, les départements ont la responsabilité de conduire cette politique publique, mais leurs ressources sont limitées alors que les dépenses sociales, elles, augmentent. Le payeur n’est pas le décideur et le couple « Préfet – département » suggéré par la Ministre, tout comme il l’était dans le rapport d’Eric Woerth, permettra de réduire ce décalage.
Des priorités claires du Gouvernement et des initiatives positives à étendre
Lors de son audition, la Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles Catherine Vautrin nous a présenté ses priorités de manière extrêmement claire et nous les partageons.
Cinq priorités ont donc été développées :
Une première priorité affirmant la nécessité de fixer des normes et des taux d’encadrement dans les pouponnières et l’ensemble des établissements accueillant des enfants suivis par l’ASE. En cela, un plan pluriannuel pour les années 2026 à 2031 visant à définir les situations prioritaires et le rythme de progression est la solution adaptée. Une rupture trop brutale mettrait à mal le fonctionnement de certaines structures.
Le deuxième engagement est la publication des cinq décrets manquant afin de garantir une application complète de la loi n°2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants dite loi « Taquet », loi très ambitieuse qui améliore la situation des enfants protégés par l'aide sociale à l'enfance.
La troisième priorité qui est l’amélioration des contrôles des établissements accueillant des enfants et un meilleur partage des informations pour assurer une meilleure prise en charge des enfants est pleinement partagée. La méthode de cette dernière ainsi que celle de la quatrième priorité – l’amélioration de la coordination des acteurs locaux – déjà développées précédemment sont également pleinement partagées.
Enfin, aborder la question de la protection de l’enfance, c’est s’intéresser à des parcours de vie singuliers, à des destins façonnés par les décisions collectives. C’est aussi interroger la capacité d’une société solidaire à offrir aux enfants et aux jeunes de véritables perspectives d’avenir et à assurer leur santé, notamment mentale.
En ce sens, de nombreuses pratiques en cours d’expérimentation présentent des premiers résultats particulièrement encourageants et la généralisation annoncée par la Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles est à saluer. C’est notamment le cas des programmes Santé Protégée ainsi que du protocole PEGASE – protocole de santé standardisé destiné aux enfants placés sous mesure de protection de l’enfance avant l’âge de cinq ans. Ces dispositifs permettront de garantir à chaque enfant, sur l’ensemble du territoire national dès 2026, un parcours de soins coordonné et adapté.
A la santé physique, nous insistons sur la nécessité d’apporter une attention particulière à la santé mentale des jeunes. Les témoignages des enfants placés ou anciens enfants placés ont souligné les troubles psychologiques dont peuvent souffrir certains. La Ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles s’est montrée particulièrement attentive sur ce point et en cela, la réalisation d’une évaluation psychologique lors de l’admission au dispositif d’aide sociale à l’enfance, afin de garantir une prise en charge et des soins aussi adaptés que diligents est positif. De plus, nous espérons que les résultats des appels à projets lancés dans cinq départements nous feront avancer sur ce sujet.
Toujours dans la volonté de développer des dispositifs de protection des enfants, d’accès réel à la santé et à l’éducation, nous insistons sur la nécessité d’accélérer la généralisation à l’ensemble du territoire du dispositif « Scolarité protégée », encore insuffisamment déployé. Les enfants protégés ont des histoires difficiles et des parcours scolaires encore trop souvent heurtés : ils sont 4 fois plus à redoubler dès le primaire ; ils ont également, à 16 ans, 4 fois plus de risques d’être déscolarisés ; et plus d’un tiers d’entre eux sort de l’ASE sans diplôme ou seulement avec le brevet. Nous devons donc agir plus rapidement.
Le rapport consacre une partie à la nécessité de favoriser les actions à domicile avec le développement des AEMO renforcées et la nécessité d’une meilleure organisation des services pour garantir une fluidité entre les mesures AED et AEMO.
Nous souscrivons aussi pleinement à l’objectif de placer les besoins de l’enfant au cœur des décisions, inscrit dans le rapport, en renforçant la prise en compte de sa parole au cours de la procédure, des droits de visite d’une part, mais aussi en incitant largement nos concitoyens à s’engager dans la protection de l’enfance quelle que soit la forme de l’engagement (parrains, mentors, tiers dignes de confiance et accueil durable bénévoles dans le cadre de l’assistance éducative).
Nous sommes particulièrement attentifs à la situation des jeunes en sortie de l’Aide Sociale à l’Enfance, et plaidons pour la garantie d’un co-accompagnement pour éviter toute rupture de parcours.
Enfin, sortons des grands discours, des solutions toutes faites ou des injonctions simplistes qui pourraient mettre en difficulté certains acteurs. Ayons toujours comme seul cap l’intérêt de l’enfant et cet intérêt supérieur doit justifier que l’ensemble des politiques de protection de l’enfance ainsi que les acteurs engagés dans ce domaine bénéficient d’un renforcement conséquent de leurs moyens afin de mener à bien leurs missions.
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Contribution de M. Denis Fégné, député des Hautes-Pyrénées
La protection de l’enfance traverse une crise grave. Très grave. Des milliers de jeunes sont accueillis dans des conditions indignes où se mêlent drogue, prostitution et violences sexuelles ; des mineurs non accompagnés sont toujours hébergés dans des hôtels indignes malgré la loi, la pénurie de professionnels ne cesse de s’intensifier…
Les pouvoirs publics ont une responsabilité morale et légale de protéger les enfants et de garantir leur sécurité et leur bien-être. La sérieuse défaillance à laquelle nous assistons entraîne des répercussions sur la vie actuelle des jeunes et sur leur avenir.
Près d’un quart des enfants placés sous la protection de l'enfance ont abandonné l'école de notre République contre 5% des enfants de la même tranche d'âge dans la population générale. Près d’un tiers des enfants placés sous la protection de l'enfance présentent des problèmes de santé mentale, contre 12% des enfants de la même tranche d'âge dans la population générale. Des chiffres édifiants comme ces derniers, couplés à des drames qui font trop souvent l’actualité, nous pourrions malheureusement en citer bon nombre. Il y a une véritable urgence à agir et à repenser cette politique publique dans son ensemble. 397 000 jeunes la subissent injustement en 2025, j’associe également les 130 000 professionnels dont les conditions de travail ne cessent de se dégrader.
Mon parcours professionnel a été en grande partie consacré à l’éducation spécialisée auprès d’enfants, d’adolescents et de parents en difficulté. J’ai moi-même vu, vécu ce délitement. Ainsi, ai-je particulièrement apprécié que l’ensemble des groupes politiques soutiennent en 2024 la proposition de commission d’enquête d’Isabelle Santiago et du groupe Socialistes et apparentés.
Devenu député en juillet 2025, j’ai rejoint cette commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance lorsqu’elle a été relancée. J’ai assisté à pratiquement toutes les auditions et je tiens à remercier l’ensemble des professionnels, des associations, des syndicats, des élus qui nous ont fait part de leur témoignage.
Lors de son audition, Madame la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles s’est montrée volontariste en présentant sa feuille de route. Elle s’est engagée, elle n’a pas le droit de décevoir.
Le rapport présenté, voté à l’unanimité par les membres de la commission d’enquête, formule des préconisations de réponse à court et moyen terme. Un travail doit être vite engagé avec le Gouvernement et l’ensemble des parties prenantes de la protection de l’enfance pour répondre le plus rapidement à cette crise sans précédent. Je pense assurément aux Départements mais aussi aux services sociaux, juges, éducateurs ou encore associations.
M’appuyant sur mon expérience professionnelle, j’aimerais émettre des préconisations – fruit des auditions et d’échanges avec Maria De Almeida, experte en protection de l’enfance - qui pourraient être mises en place dans les plus brefs délais. D’autant que bon nombre d’enjeux ne sont pas forcément d’ordre législatif.
Améliorer l'accès aux services de santé mentale : cela peut être fait en créant des partenariats avec des organisations qui offrent des services de santé mentale, en mettant en place des programmes de référence et en formant les professionnels qui travaillent avec les enfants et les familles.
Renforcer la prévention primaire : il est essentiel de renforcer les actions qui visent à prévenir les problèmes avant qu'ils ne surviennent. Cela peut inclure des programmes de soutien aux familles, des activités de sensibilisation et d'éducation…
Renforcer la participation des enfants et des familles : il est crucial de les inclure dans les décisions qui les concernent pour qu'ils soient en mesure de prendre en charge leur propre vie et de faire des choix éclairés.
Améliorer la coordination et la coopération entre les acteurs : il est essentiel d'améliorer la coordination et la coopération entre les différents acteurs qui interviennent dans le domaine de la protection de l'enfance, pour qu'ils puissent travailler de manière efficace et efficiente.
Développer des outils d'évaluation et de suivi : la commission d’enquête a révélé les difficultés à disposer de données. Il est impératif de développer des outils d'évaluation et de suivi pour mesurer l'efficacité des interventions et des programmes, et pour identifier les domaines qui nécessitent une amélioration. Tous ces outils d’évaluation et de suivi doivent être pilotés par une seule et unique instance en charge de la consolidation.
Renforcer la sensibilisation et la prévention des violences : il est essentiel d’accentuer la sensibilisation et la prévention des violences envers les enfants, pour qu'ils soient protégés contre les abus et les négligences.
Par ailleurs, il est indispensable de fournir une formation et un soutien adéquats aux professionnels qui travaillent dans le domaine de la protection de l'enfance, pour qu'elles et ils soient en mesure de répondre aux besoins des enfants et des familles.
Je voudrais évoquer aussi un aspect central du dispositif dont on parle assez peu, mais qui est un enjeu structurel du système de protection. Sur les 397000 enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance, un peu plus de la moitié bénéficie d’une mesure de placement, proportion en augmentation constante depuis plusieurs années. Au-delà d’un manque de moyens et de coordination de la prévention primaire, il faut souligner l’importance des prises en charge individuelles en amont du placement que sont les AED et les AEMO. Ces mesures s’organisent dans le cadre du projet pour l’enfant et sont le fruit d’une coordination entre les départements, les juges dans le cas d’une AEMO, et les services habilités.
Les lois de 2007, puis de 2016, ont défini les rôles de chacun et ont mis l’accent sur la nécessaire gradation des mesures de protection en fonction de la situation de danger de l’enfant, pour assurer sa santé sa sécurité et la qualité de son parcours, en recherchant tant que cela est possible l’adhésion des parents.
Ainsi le juge des enfants peut ordonner une mesure d’AEMO et si cette mesure judiciaire est inopérante, le magistrat peut ordonner une mise à distance de l’enfant en établissement ou famille d’accueil. Il existe bien dans l’article 375-2 du code civil la possibilité de graduer l’intervention judiciaire soit avec une « AEMO renforcée » soit avec une « AEMO renforcée avec Hébergement ». Il existe même le dispositif de « placement avec hébergement à domicile » mais ce dernier peut faire l’objet d’une remise en question.
Ces mesures graduées peuvent permettre d’éviter les placements en institution qui sont à la fois beaucoup plus couteux et qui aujourd’hui saturent le dispositif de protection.
Les témoignages recueillis au cours de la commission d’enquête montrent qu’il y a encore une grande disparité des pratiques en la matière. L’efficacité de ces mesures est incontestable, encore faut-il les qualifier en précisant leur contenu, en fixant des normes et des taux d’encadrement pour chacune d’entre elles et inciter les départements à les mettre en œuvre de façon uniforme.
Généraliser cette gradation des mesures permettrait à la fois d’améliorer la qualité du projet et du parcours de l’enfant et de désengorger des établissements sous pression, et ceci avec des économies possibles pour les départements.
En conclusion, je tiens à féliciter et remercier ma collègue Isabelle Santiago pour son engagement et son travail remarquable réalisés depuis avril 2024 et le début de cette commission d’enquête. Le rapport et ses préconisations sont à la hauteur des enjeux. Ne manquons pas collectivement ce rendez-vous.
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Annexe n° 1 : Synthèse des réponses au questionnaire adressé par la rapporteure à l’ensemble des départements
Au total, 66 départements ont répondu au questionnaire envoyé par la rapporteure ([753]).
Les réponses des départements sont souvent partielles. Afin de donner une idée de la représentativité des réponses, il est indiqué le nombre global de départements ayant répondu à la question, sous la forme suivante : (XX départements répondants), et, le cas échéant, le nombre de départements n’ayant répondu que partiellement à une question rapporté au nombre de départements répondants : (YY/XX départements renseignant une donnée).
Seuls les éléments de réponse suffisamment significatifs et fiables sont présentés ici.
La grande majorité des structures d’accueil de la protection de l’enfance relève du secteur associatif (81 % des places détenues pour les 50/61 départements renseignant une donnée).
Environ 19 % des places relèvent directement du public (54/61 départements renseignant une donnée).
Plusieurs départements ont mentionné l’existence de structures privées lucratives, correspondant généralement à des lieux de vie et d’accueil (LVA). Cependant, la qualité des données collectées à ce sujet ne permet pas d’établir une statistique consolidée en la matière.
Répartition moyenne du nombre de places disponibles
dans les structures d’accueil ASE des départements en 2024
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Le taux d’occupation moyen au sein des structures d’accueil de l’ASE s’élève à 97,4 %.
En moyenne en 2024, un département a reçu 2 995 informations entrantes (IE). Parmi celles-ci, 74 % sont qualifiées d’informations préoccupantes et un peu moins d’un tiers sont transmises à l’autorité judiciaire (65 départements répondants et respectivement pour chaque chiffre 44/65, 44/65 et 18/65 renseignent une donnée).
Bien que le décret n° 2016-1476 du 28 octobre 2016 prévoie que « l’évaluation est réalisée sous l’autorité du président du conseil départemental dans un délai de trois mois à compter de la réception de l’information préoccupante », les départements dépassent en moyenne ce délai d’environ 48 jours (47 départements répondants).
En moyenne, un département emploie 21 personnes dans sa CRIP (66 départements répondants et renseignant une donnée).
Sur 65 départements répondants et renseignant une donnée :
– 40 départements, soit 61,54 %, indiquent que leur personnel est formé selon le référentiel national mentionné à l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles (CASF) en 2024 ;
– 19 départements indiquent que leur personnel est en cours de formation conformément au référentiel précité ;
– 6 d’entre eux rapportent que leur personnel n’y est pas formé.
État de la formation en 2024 du personnel au référentiel national
mentionné à l’article L.226-3 du CASF
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Les données du présent III concernent l’année 2024.
Concernant les placements (48 départements répondants) un département met en moyenne :
– 34 jours à exécuter une mesure de placement en établissement (34/48 départements renseignant une donnée) ;
– 21 jours à exécuter une mesure de placement en famille d’accueil (31/48 départements renseignant une donnée).
Un département met en moyenne 3,4 mois à exécuter une mesure d’assistance éducative à domicile (41 départements renseignant une donnée) et 3,8 mois à exécuter une mesure d’action éducative en milieu ouvert (44/48 départements renseignant une donnée).
Délais moyens d’exécution des mesures de placement, d’AED et d’AEMO en 2024
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Concernant les procédures pour rendre effective l’exécution de mesures (65 départements répondants) :
10 départements se sont vu intenter au moins une procédure en 2024 dans le but de rendre effective l’exécution d’une mesure de placement ou d’AED ou d’AEMO. Les procédures à l’encontre des départements concernent avant tout la situation de mineurs non accompagnés (MNA) ou de personnes se présentant comme MNA, avec des départements surreprésentés, comme les Bouches-du-Rhône et la Haute-Savoie.
Le graphique à double entrée présenté ci-après doit être lu de la façon suivante :
– en première entrée, le graphique reprend l’évolution moyenne des budgets de l’ASE des départements en parallèle de l’évolution moyenne de leurs budgets totaux (colonnes orange et bleu) ;
– en seconde entrée, le graphique rend compte de l’évolution de la part moyenne du budget ASE dans le budget total moyen des départements (courbe bleue).
Évolutions croisées entre les budgets totaux moyens, les budgets ASE moyens et les parts moyennes du budget ASE dans le budget total moyen des départements entre 2014-2023
(65 départements répondants)
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Le graphique suivant fait apparaître le détail des dépenses des départements en matière de protection de l’enfance. Il montre que les placements représentent près de 80 % du budget ASE des départements en la matière.
Évolution comparée 2014-2023 de la composition moyenne
du budget ASE moyen des départements
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Dans les 37 départements, environ 31 % des enfants pris en charge au titre de l’ASE font effectivement l’objet d’un PPE. Le faible taux de réponse à cette question montre bien le chemin restant à parcourir pour l’effectivité de la mise en place d’un PPE pour chaque enfant.
En moyenne, en 2024, 22 % des enfants pris en charge par les départements sont en situation de handicap (39/55 départements renseignant une donnée).
Les départements font état de ruptures de prise en charge, voire d’absence prolongée de prise en charge, ou encore d’enfants handicapés qui nécessitent des soins spécifiques en établissement social et médico-social. Beaucoup sont des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme.
En 2024, tous les départements déclarent disposer de données (pas forcément fiabilisées et consolidées) sur la protection de l’enfance.
En moyenne en 2024, 61 départements déclarent transmettre ses données sur la protection de l’enfance à l’État :
– 49 d’entre eux, soit 74,24 %, annoncent participer aux remontées statistiques de la DREES et 35 départements précisent qu’ils participent au dispositif Olinpe (Observation longitudinale, individuelle et nationale en protection de l’enfance) ;
– 26 d’entre eux, soit 39,39 %, répondent élaborer des données avec l’Observatoire départemental de la protection de l’enfance (ODPE) ou l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE).
61 départements, soit 92.42 % des départements répondants, déclarent être dotés en 2024 d’un schéma départemental de protection de l’enfance ou d’un schéma départemental unique (SDU). Parmi eux :
– 50 départements répondent avoir mis en place un schéma départemental ;
– 11 départements répondent avoir mis en place un schéma départemental unique (SDU) des solidarités ;
– 5 départements déclarent ne pas être dotés en 2024 d’un schéma départemental de protection de l’enfance ou d’un schéma départemental unique (SDU). Parmi eux, 3 départements ont mis en place un substitut au schéma départemental (hors SDU), 1 département signale qu’il n’en a pas et 1 signale un projet de schéma départemental unique (SDU) des solidarités.
État des lieux 2024 de la dotation des départements d’un schéma département de protection de l’enfance
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
51 départements déclarent que leur commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés (CESSEC) se réunit bien selon les échéances prévues par les textes réglementaires. Parmi les 15 départements restants :
– 11 indiquent avoir mis en place une CESSEC mais ne pas tenir les réunions aux fréquences prévues en droit ;
– 4 déclarent n’avoir pas mis en place une CESSEC mais indiquent qu’ils le feront prochainement.
En moyenne, en 2024, sur les 45 départements ayant renseigné une périodicité de réunion, la CESSEC se tient tous les 2,28 mois.
En 2024, 53 départements (80 % des répondants) indiquent avoir contractualisé avec l’État sur la protection de l’enfance au moins jusqu’en 2025.
En 2024, 13 départements indiquent ne pas avoir contractualisé avec l’État sur la protection de l’enfance au moins jusqu’en 2025. Parmi eux :
– 9 indiquent avoir contractualisé jusqu’à la fin de l’année 2024, sans se prononcer sur une reconduction, un renouvellement du contrat au-delà ;
– 3 indiquent l’absence de contractualisation (sous le mandat en cours de la présidence du département) ;
– 1 département indique avoir abandonné la contractualisation en 2024.
Focus sur les raisons de la non-contractualisation des départements avec l’État au moins jusqu’en 2025
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Enfin, un peu plus de la moitié des départements ayant répondu indique avoir désigné un médecin référent « protection de l’enfance ».
L’ensemble des départements répondants déclarent être en mesure d’accompagner les jeunes majeurs issus de l’ASE jusqu’à leurs 21 ans ; 43 % d’entre eux indiquent être en mesure d’accompagner les jeunes majeurs issus de l’ASE au‑delà de leurs 21 ans.
S’agissant de l’entretien d’accompagnement vers l’autonomie :
– 42 départements (64,62 % des répondants) déclarent l’avoir mis en place de manière systématique ;
– 12 autres départements indiquent œuvrer dans cette direction et les 23 départements restants signalent ne pas avoir mis en place l’entretien d’accompagnement ou l’avoir mis en place de manière non systématique.
Concernant l’entretien de suivi 6 mois après la sortie de l’ASE :
– en 2024, 8 départements, soit seulement 12,31 % des répondants, déclarent l’avoir mis en place de manière systématique ;
– pour les 57 autres départements, plusieurs motifs récurrents, parfois cumulatifs, ont été identifiés (entretien en cours de mise en place, jeune difficilement joignable en raison d’un changement de coordonnées, moyens du département insuffisants).
Concernant le mécanisme du « droit au retour », en 2024, 61 départements déclarent qu’une procédure de « droit au retour » est bien disponible. Néanmoins, en pratique, ce droit au retour paraît peu mis en œuvre. Ainsi, seulement 7 jeunes par département en moyenne l’auraient effectivement exercé (27 départements renseignant une donnée). ([754])
En 2024, 7 départements, soit 10,94 % des départements ayant répondu, font explicitement état d’une prise en charge de moindre qualité par rapport aux enfants de nationalité française, que ce soit pour le budget alloué par enfant (2 départements), concernant l’incitation à orienter le jeune vers des formations courtes, facilitant l’octroi d’un titre de séjour (1 département), ou encore concernant l’orientation vers des logements non sécurisés comme les chambres d’hôtel (5 départements).
Sur les quatre dernières années (2021-2024), un département réalise en moyenne 29 contrôles ([755]) sur les structures de la protection d’enfance (46 départements répondants).
L’article L. 311-8 du CASF impose d’établir une liste comportant les autorités extérieures aux ESSMS qui peuvent être sollicitées en cas de difficulté, notamment pour visiter l’établissement à tout moment. Sur ce sujet, en 2024 :
– 25 départements indiquent avoir arrêté cette liste ;
– 35 départements, soit 58,33 % des répondants, indiquent ne pas l’avoir arrêtée. Il peut être relevé une confusion d’un nombre significatif de ces départements entre cette liste et celle prévue à l’article L. 311-5 du CASF ([756]).
Focus sur les raisons de la non-publication de l’arrêté établissant la liste
prévue à l’article L.311-8 du CASF
Source : rapporteure, d’après les réponses au questionnaire adressé aux départements.
Questionnaire de la rapporteure Mme Isabelle Santiago à l’attention des départements
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I. – Éléments statistiques
II. – Gouvernance locale et pilotage de la politique départementale de protection de l’enfance
III. – Autres questions
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Annexe n° 2 : Réponse de la direction nationale de la protection de la jeunesse du Québec au questionnaire adressé par la rapporteure
Annexe n° 3 : Étapes de mise en œuvre des recommandations de la commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, dite « commission Laurent » (Québec)
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Annexe n° 6 : Les difficultés rencontrées en fin de parcours ASE : deux exemples de note d’arlerte
([1]) Sa composition au 6 juin 2024 était la suivante : Mme Anne-Laure Blin, M. Frédéric Boccaletti, Mme Émilie Chandler, M. Paul Christophe, Mme Béatrice Descamps, Mme Ingrid Dordain, Mme Alma Dufour, M. Philippe Fait, Mme Géraldine Grangier, M. David Guiraud, Mme Caroline Janvier, Mme Stéphanie Kochert, Mme Laure Lavalette, Mme Christine Le Nabour, Mme Karine Lebon, Mme Aude Luquet, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), Mme Marianne Maximi, Mme Laure Miller (présidente), Mme Astrid Panosyan-Bouvet, Mme Maud Petit, M. Sébastien Peytavie, Mme Béatrice Roullaud, Mme Anaïs Sabatini, Mme Isabelle Santiago (rapporteure), M. Hervé Saulignac, Mme Sarah Tanzilli, Mme Huguette Tiegna, M. Stéphane Viry, M. Léo Walter.
([2]) Les comptes rendus de l’ensemble de ces auditions sont réunis dans le tome II du présent rapport.
([3]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2024-2025/seance-du-mercredi-09-octobre-2024.
([4]) « L’aide sociale des départements en 2023 », jeu de données paru le 27 décembre 2024, DRESS. Les mesures éducatives peuvent être des aides éducatives à domicile (AED) ou des actions éducatives en milieu ouvert (AEMO).
([5]) Données de la DREES, L’aide sociale à l’enfance – Édition 2024, n° 119, 23 juillet 2024.
([6]) « La pédopsychiatrie », communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Cour des comptes, mars 2023.
([7]) « Handicap et protection de l’enfance », rapport du Défenseur des droits, 2015.
([8]) Cette expression fait référence aux enfants relevant de l’aide sociale à l’enfance qui sont reconnus handicapés
([9]) https://www.cnape.fr/la-scolarite-des-enfants-proteges-une-epreuve-supplementaire-sur-le-parcours-du-combattant/.
([11]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte rendu n° 20.
([13]) En sus du rapport Bianco-Lamy, les jalons historiques présentés dans cette partie se fondent sur l’article « L’histoire de la protection de l’enfance » de Constance de Ayala, paru dans Le Journal des psychologues (n° 277, mai 2010) et sur l’ouvrage de Flore Capelier Comprendre la protection de l’enfance – L’enfance en danger face au droit, Dunod, 2015.
([14]) Art. cit.
([15]) Audition du mercredi 15 janvier 2025, compte rendu n° 15.
([16]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([17]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([18]) Historique évoqué par M. Hervé Laud lors de son audition du 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([19]) Recommandation (UE) 2024/1238 de la Commission du 23 avril 2024 relative au développement et au renforcement de systèmes intégrés de protection de l’enfance dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
([20]) Arrêt Association Innocence en danger et association Enfance et partage contre France, 4 juin 2020.
([21]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([22]) CESE, Avis « La protection de l’enfance est en danger : les préconisations du CESE », Josiane Bigot et Élisabeth Tomé-Gertheinrichs, octobre 2024.
([25]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 20.
([26]) Mme Martin-Blachais avait été chargée par la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, Mme Laurence Rossignol, d’une mission consistant à établir une vision partagée des besoins fondamentaux de l’enfant.
([27]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 7.
([28]) Décret n° 2025-207 du 3 mars 2025 relatif aux modalités de délivrance d'un nouvel agrément pour l'exercice de la profession d'assistant familial ou d'assistant maternel après un retrait d'agrément.
([29]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([30]) Cette disposition comportait une date d’entrée en vigueur différée qui ne pouvait dépasser le 31 décembre 2022.
([31]) Article L. 223-1-1 du CASF.
([32]) Article L. 147-16 du CASF.
([33]) Sénat, rapport d’information sur l’application des lois relatives à la protection de l’enfance, Bernard Bonne, n° 837, 2022-2023.
([34]) Contribution écrite transmise par la DGCS.
([35]) Contribution écrite du CNPE.
([36]) Cour des comptes, La protection de l’enfance, Une politique inadaptée au temps de l’enfant, novembre 2020.
([37]) Contribution écrite transmise par l’UFNAFAAM.
([38]) Départements de France, communiqué de presse du 5 février 2024.
([39]) L’article 375 du code civil précise ainsi que « lorsque les parents présentent des difficultés relationnelles et éducatives graves, sévères et chroniques, évaluées comme telles dans l’état actuel des connaissances, affectant durablement leurs compétences dans l’exercice de leur responsabilité parentale, une mesure d’accueil exercée par un service ou une institution peut être ordonnée pour une durée supérieure, afin de permettre à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective et géographique dans son lieu de vie dès lors qu’il est adapté à ses besoins immédiats et à venir ».
([40]) Comme le prévoit l’article L. 222-3 du code de l’action sociale et des familles.
([41]) Extrait de l’article 375-2 du code civil : « si la situation le nécessite, le juge peut ordonner, pour une durée maximale d’un an renouvelable, que cet accompagnement soit renforcé ou intensifié ».
([42]) « L’aide sociale à l’enfance », Les Dossiers de la DRESS, n° 119, juillet 2024.
([43]) Note du 23 mars 2015 relative à la mesure judiciaire d’investigation éducative, bulletin officiel du ministère de la justice.
([46]) Un pupille de l’État est un enfant mineur ayant perdu tout lien avec sa famille.
([47]) En vertu de l’article L. 222-5 du CASF.
([48]) L’aide sociale des départements en 2023, jeux de données paru le 27 décembre 2024, DRESS. Les mesures éducatives font référence aux aides éducatives à domicile (AED) ainsi qu’aux actions éducatives en milieu ouvert (AEMO).
([49]) Cette dynamique à l’œuvre dans les années 1970 a été rappelée par Mme Michèle Créoff lors de son audition par la commission d’enquête : audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n°5. Elle découle selon son analyse d’une volonté alors affichée de l’État de réduire le nombre de placements et d’orienter les enfants vers d’autres solutions.
([50]) « L’aide sociale départementale : bénéficiaires, dépenses, financement, personnel », Les Dossiers de la DRESS, n° 124, novembre 2024.
([51]) Ibid.
([52]) Ibid.
([53]) Réponse écrite de la DREES au questionnaire de la rapporteure.
([54]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([56]) Contribution écrite transmise par la DREES à la rapporteure.
([57]) « Deux fois plus d’enfants placés en France qu’en Allemagne », article paru dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, janvier 2019.
([58]) Recherche quantitative originale – Taux de placement des enfants hors de leur foyer familial : analyse des données administratives nationales du système de protection de l’enfance au Canada.
([59]) Réponse écrite envoyée par la DGCS.
([61]) Selon les chiffres rapportés par Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), les mesures judiciaires peuvent atteindre 94,1 % du total des mesures dans certains départements, 61,8 % dans d’autres.
([62]) AED et AEMO.
([64]) Ibid.
([65]) « Enfants protégés et handicapés : le dessous des cartes », enquête CNAPE-UNAPEI, 2024.
([66]) « Handicap et protection de l’enfance », rapport du Défenseur des droits, 2015.
([67]) Audition du 16 mai 2024, compte rendu n° 4.
([68]) Isabelle Frechon et Nicolas Robette, « Les trajectoires de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance de jeunes ayant vécu un placement », Revue française des affaires sociales, 2013. Chiffre cité dans le rapport de l’ONPE de 2022 sur la santé des enfants protégés.
([69]) Contribution écrite transmise par Mme Céline Greco à la rapporteure, faisant référence à l’étude suivante : Felitti VJ et al., « Relationship of childhood abuse and household dysfunction to many of the leading causes of death in adults », The Adverse Childhood Experiences (ACE) Study, American Journal of Preventive Medicine, 1998.
([70]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 6.
([71]) Ibid.
([72]) Ibid.
([73]) Les dix catégories sont les suivantes : violences physiques, abus sexuel, violences psychologiques, négligence physique, négligence émotionnelle, exposition à la violence familiale, consommation de substances psychoactives au foyer, maladie mentale au sein du foyer, séparation des parents ou divorce, incarcération d’un membre du foyer.
([74]) Le questionnaire est accessible sur le site internet de l’Organisation mondiale de la santé.
([75]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 6.
([76]) Contribution écrite transmise par Mme Céline Greco à la rapporteure.
([77]) Audition du jeudi 16 mai 2024, compte rendu n° 4.
([79]) Audition du mercredi 24 mai 2024, compte rendu n° 8.
([80]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n°2.
([81]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([83]) « Préparer et accompagner les “jeunes sortants” de la protection de l’enfance vers l’autonomie », document de la CNAPE, juin 2016.
([85]) Audition du mercredi 12 juin 2024, compte rendu n° 3.
([86]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([87]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([88]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([89]) Rapport public thématique « La protection de l’enfance », octobre 2009.
([90]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([91]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([92]) Arrêté du 23 mai 2023 portant désignation des associations membres du Conseil national de la protection de l'enfance.
([93]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DPJJ.
([95]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([96]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’AFMJF.
([97]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([98]) https://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_infostat125_20140122.pdf, d’après la contribution écrite transmise par le Syndicat de la magistrature.
([99]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 16.
([100]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([101]) Audition du jeudi 23 mai 2024, compte rendu n° 9.
([102]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGESCO.
([103]) Art. L. 222-5-2 du CASF.
([104]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Régions de France.
([105]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([106]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 17.
([107]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([108]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 6.
([109]) Rapport relatif aux politiques de l’enfance, Annexe au projet de loi de finances pour 2025.
([110]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Charlotte Caubel.
([111]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 6.
([112]) Cour des comptes, La protection de l’enfance, Une politique inadaptée au temps de l’enfant, novembre 2020
([113]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([114]) Décret n° 2025-118 du 10 février 2025 instituant un haut-commissaire à l'enfance.
([115]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([116]) Dossier de presse de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022.
([117]) Décision-cadre 2025-005 du 28 janvier 2025 relative à la protection de l'enfance.
([118]) Gauthier Arnaud-Melchiorre, « À (h)auteur d’enfants », rapport de la mission La Parole aux enfants, 2021.
([119]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([120]) https://www.france-enfance-protegee.fr/wp-content/uploads/2023/11/Plan-Marshall-pour-la-PE-Priorites-daction-18-10-23-.pdf
([121]) Rapport de la Cour des comptes, op. cit., et IGAS, « Création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance », juin 2020.
([122]) Art. L. 147-14 du CASF.
([123]) Selon le chiffre donné par Mme Anne Morvan-Paris, directrice générale du GIP, lors de son audition.
([124]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Charlotte Caubel.
([125]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([126]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le CNPE.
([127]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le GIP France Enfance protégée.
([128]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([129]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([130]) Arrêté du 12 février 2024 portant organisation du collège des enfants, des adolescents et des jeunes majeurs du Conseil national de la protection de l'enfance.
([131]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le CNPE.
([132]) Ibid.
([133]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UNIOPSS.
([134]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Michèle Créoff.
([135]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([136]) D’après la contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Flore Capelier.
([137]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([139]) Données issues de la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([140]) Voir le décret n° 2015-1013 du 18 août 2015 modifiant certaines dispositions du décret du 17 mai 2010 relatif au Fonds national de financement de la protection de l'enfance.
([141]) Éléments issus de la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([142]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 13.
([143]) Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
([144]) Contribution écrite transmise par la DGCS.
([145]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’AFMJF.
([146]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DASEN de la Mayenne.
([147]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte rendu n° 20.
([148]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2. La Défenseure des droits a précisé en audition qu’une autosaisine était nécessaire compte tenu du fait que les magistrats ne peuvent pas la saisir eux-mêmes.
([149]) Ibid.
([150]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([152]) Audition du mercredi 5 février 2025, compte rendu n° 24.
([153]) Départements de France, « Projet de loi de finances pour 2025 : les Départements en grande difficulté laissés sans soutien », février 2025
([154]) DGCL, « Les droits de mutation à titre onéreux des départements en 2023 », n° 190, novembre 2024.
([155]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([156]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UFNAFAAM.
([157]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UNIOPSS.
([158]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 3.
([159]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 3.
([160]) Audition du mardi 21 janvier 2025, compte rendu n° 17.
([161]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([162]) Instruction interministérielle n° DGS/SP1/DGCS/SD2B/2023/36 du 25 avril 2023 relative à la contractualisation préfet/ARS/département en prévention et protection de l’enfance pour l’exercice 2023.
([163]) Instruction n° DGCS/SD2B/DGS/SP1/2024/72 du 14 août 2024 relative à la contractualisation préfet/agence régionale de santé (ARS)/conseil départemental en prévention et protection de l'enfance pour l’année 2024.
([164]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Michèle Créoff.
([165]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Défenseure des droits.
([166]) Rapport sur la création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance, op. cit.
([167]) Données issues de la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DPJJ.
([168]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Flore Capelier.
([169]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la CNPR.
([170]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 14.
([171]) ANDASS, « Protection de l’enfance : posons-nous enfin les bonnes questions », 17 septembre 2024.
([173]) https://www.programmepegase.fr/ . Voir aussi Rousseau, Daniel et al., « Les conséquences sanitaires des maltraitances et négligences infligées aux enfants : les enseignements de la Recherche Saint-Ex », Informations CREAI-ORS, numéro spécial, n° 289, février 2017.
([174]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Céline Greco.
([175]) Nord, Pas-de-Calais, Paris, Seine-et-Marne, Essonne, Seine Saint-Denis, Hauts-de-Seine.
([176]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Isabelle Frechon.
([177]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Marie-Paule Martin-Blachais.
([178]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([179]) Ibid.
([180]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([181]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 6.
([182]) La recherche-action peut se définir comme une « étude qui allie théorie et mise en pratique afin de résoudre un conflit tout en développant des connaissances générales sur un sujet » (Petit Robert).
([183]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 19.
([184]) Communiqué de presse de l’Institut Robert-Debré du cerveau de l’enfant, 19 mars 2025.
([185]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Lesley Hill.
([186]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Flore Capelier.
([187]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Céline Greco.
([188]) Sauf mention contraire, l’ensemble des données et informations des présents 1 et 2 se fondent sur la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DREES.
([190]) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sources-outils-et-enquetes/enquete-aupres-des-etablissements-et-services-de-la-protection-de
([191]) Il existait cependant, préalablement à cette date, des enquêtes quadriennales permettant d’obtenir des données sur des champs plus larges : enquête « difficulté sociale » de 2004 à 2012, elle-même fruit d’une séparation de l’enquête historique « Établissements et services », créée en 1982 et réalisée tous les deux ans jusqu’en 1997.
([192]) Audition mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([193]) Article L. 226-6 du CASF.
([194]) Article L. 226-3-1 du CASF.
([195]) L’ONPE demeure membre du comité de pilotage d’Olinpe.
([196]) Le Dr Marie-Paule Martin-Blachais, Mme Michèle Créoff ou encore Mme Isabelle Frechon ont évoqué cette piste. Mme Anne Devreese a indiqué en audition que « le CNPE construit actuellement un réseau “sentinelle” de veille sur les territoires, constitué de quinze départements, pour partager des données non consolidées, afin d’être plus réactifs face aux évolutions locales ».
([197]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Départements de France.
([198]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DREES.
([199]) Selon la contribution écrite transmise à la rapporteure par Départements de France.
([200]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DREES.
([201]) https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/28/les-missions-de-la-protection-de-l-enfance-entravees-par-des-logiciels-defaillants_6219030_4355770.html
([202]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 3.
([203]) Ibid.
([204]) « Des solutions innovantes pour les acteurs de l’enfance protégée. Une approche systémique qui peut changer la donne », janvier 2025.
([205]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DREES.
([206]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Banque des territoires.
([207]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la CNPR.
([208]) Audition du jeudi 23 mai 2024, compte rendu n° 9. Une extension de l’utilisation de Parcours au SAH est d’ores et déjà prévue pour 2025.
([209]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([210]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 13.
([211]) Op. cit.
([212]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([213]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([214]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Défenseure des droits.
([215]) Éric Woerth, « Décentralisation : Le temps de la confiance », mai 2024.
([216]) Audition du mardi 4 février 2025, compte rendu n° 22.
([217]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Lesley Hill, directrice nationale de la protection de la jeunesse du Québec.
([218]) https://www.linkedin.com/posts/linda-cambon-phd-hdr-a9565448_le-gouvernement-propose-de-r%C3%A9autoriser-le-activity-7305158899144273920-hm5P/?originalSubdomain=fr
([219]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le CNPE.
([220]) Résolution 2533 (2024) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
([221]) Éléments issus du rapport « Maltraitance des enfants dans les institutions en Europe » de M. Pierre-Alain Fridez, Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
([222]) https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/09/25/pedophilie-dans-l-eglise-en-irlande-la-lenteur-des-investigations-a-exacerbe-la-colere-des-victimes_5359818_3214.html
([223]) Loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales.
([224]) V. les articles L. 3131-2 et L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT).
([225]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par M. Éric Woerth.
([226]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’AFMJF.
([227]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([228]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([229]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 6.
([230]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Départements de France.
([231]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([232]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([233]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([234]) Audition du jeudi 16 mai 2024, compte rendu n° 4.
([235]) Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), « Évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance », 2019.
([236]) Inspection générale des affaires sociales (IGAS), Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) et Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), « Évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance », 2019.
([237]) Elles sont d’ailleurs traitées en détail dans la quatrième partie du présent rapport.
([238]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([239]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([240]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 14.
([241]) IGAS, IGAENR, IGEN, op. cit.
([242]) Réponse écrite du Québec au questionnaire de la rapporteure.
([243]) Contribution écrite transmise à la rapporteure, collectif d’éducateurs de rue.
([244]) XVIe législature, réponse à la question écrite n° 2466.
([245]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([246]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([247]) IGAS, IGAENR, IGEN, op. cit.
([248]) Ibid.
([249]) Isabelle Frechon et Nicolas Robette. « Les trajectoires de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance de jeunes ayant vécu un placement », Revue française des affaires sociales, 2013. Chiffre cité dans le rapport de l’ONPE de 2022 sur la santé des enfants protégés.
([250]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([251]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([252]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 19.
([253]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([254]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([255]) Ibid.
([256]) Ibid.
([257]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([258]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([259]) IGAS, IGAENR, IGEN, op. cit.
([260]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([261]) Selon les informations transmises à la rapporteure par Départements de France.
([263]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([264]) Ibid.
([265]) Voir encadré p. 270.
([266]) L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2018 ouvre la possibilité d’expérimenter de nouvelles organisations de santé.
([267]) Rapport de la mission visant à définir un socle de compétences en matière de soutien à la parentalité, remis à la direction générale de la cohésion sociale, mars 2024.
([268]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([269]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGESCO.
([270]) Décret n° 2022-1728 du 30 décembre 2022 relatif au référentiel national d’évaluation des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant.
([271]) D’après la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([272]) D’après la contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Michèle Créoff.
([273]) Rapport n° 4307, XVe législature.
([274]) D’après le rapport d’application des lois relatives à la protection de l’enfance du Sénat.
([275]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 20.
([276]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 7.
([277]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 6.
([278]) 2° de l’article 226-14 du code pénal.
([279]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([280]) https://www.quebec.ca/sante/systeme-et-services-de-sante/organisation-des-services/cisss-et-ciusss
([281]) Ibid.
([282]) Audition du mercredi 5 février 2025, compte rendu n° 24.
([283]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le Syndicat de la magistrature.
([284]) Audition du mercredi 5 février 2025, compte rendu n° 24.
([285]) Ibid.
([286]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([287]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([288]) Rapport d’information sur l’aide sociale à l’enfance, XVe législature, n° 2110, juillet 2019.
([289]) Audition du 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([290]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la CNPR.
([291]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le Syndicat de la magistrature.
([292]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’AFMJF.
([293]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2
([294]) Audition du jeudi 23 mai 2024, compte rendu n° 9.
([295]) CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants : On vous croit », novembre 2023.
([296]) Audition du mardi 11 février 2025, compte rendu n° 25.
([297]) Étude statistique de l’activité du 119, année 2022.
([298]) Donnée issue de la contribution écrite transmise à la rapporteure par le GIP France Enfance protégée.
([299]) Art. L. 226-8 du CASF.
([300]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([301]) Étude statistique de l’activité du 119, année 2022.
([303]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([304]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 24.
([305]) Les appels entrants correspondent aux appels qui arrivent sur le message d’accueil du 119. Les appels présentés sont ceux qui, parmi ces appels, arrivent jusqu’au service de pré-accueil.
([306]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le GIP France Enfance protégée.
([307]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Florence Dabin.
([308]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([309]) https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/infanticide-dans-l-eure-Lyès-louffok-militant-des-droits-de-l-enfant-demande-un-audit-concernant-le-119_6093549.html
([310]) « Délais d’exécution des décisions de justice en matière de protection de l’enfance », rapport IGAS-IGJ, 2020.
([311]) Faute de remontées d’information coordonnées, les départements n’utilisent pas les mêmes définitions et pas les mêmes périmètres. Voir les résultats des questionnaires en annexe.
([312]) Voir l’annexe n° 1.
([313]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([314]) « La protection de l’enfance », rapport public thématique, Cour des comptes, 2009.
([315]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([316]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([317]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([318]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([319]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([320]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([321]) La Justice protège-t-elle les enfants en danger ? enquête du Syndicat de la magistrature, mai 2024.
([322]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([323]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([324]) Ibid.
([325]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([326]) « Justice des mineurs », références statistiques du ministère de la Justice, 2024.
([327]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([328]) Selon le jaune budgétaire « Rapport relatif aux politiques de l’enfance », annexé au projet de loi de finances pour 2025.
([329]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 16.
([330]) « Gérald Darmanin annonce de nouvelles mesures contre la criminalité organisée », Le Monde du droit, 28 janvier 2025.
([331]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 16.
([332]) « La Justice protège-t-elle les enfants en danger ? », enquête du syndicat de la magistrature, mai 2024.
([333]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([334]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([335]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([336]) Ibid.
([337]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([338]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([339]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([340]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([341]) Art. L. 313-6 du CASF.
([342]) Art. L. 221-2-3 du CASF.
([343]) D’après la contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([344]) Instruction n° DGCS/SD2B/2024/33 du 10 juillet 2024 relative à l’inspection-contrôle dans les établissements, services et lieux de vie et d’accueil de protection de l’enfance.
([345]) Art. L. 313-1-1 du CASF.
([346]) Un rapport de l’IGAS de 2020 sur l’accueil des mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l’aide sociale à l’enfance relevait que les LVA étaient « surreprésentés dans les zones rurales ».
([347]) IGAS, « Évaluation de l’accueil des mineurs relevant de l’aide sociale à l’enfance hors de leur département d’origine », février 2012.
([348]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/centre-val-de-loire/indre/chateauroux/proces-de-chateauroux-jusqu-a-6-ans-de-prison-pour-les-chefs-du-reseau-de-familles-d-accueil-sans-agrement-3078763.html
([349]) Audition du mardi 11 février 2025, compte rendu n° 25.
([350]) Décret n° 2024-119 relatif aux conditions d’accueil des mineurs et jeunes majeurs pris en charge par l’aide sociale à l’enfance hébergés à titre dérogatoire dans des structures d’hébergement dites jeunesse et sport ou relevant du régime de la déclaration.
([351]) IGAS, « L’accueil de mineurs protégés dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l’aide sociale à l’enfance », novembre 2020.
([352]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([353]) Ibid.
([354]) Il est rappelé ici qu’il convient de distinguer les personnes se présentant comme MNA, qui sollicitent une prise en charge au titre de l’ASE et dont la minorité et l’isolement doivent être évalués, des MNA, reconnus comme mineurs et isolés et confiés à l’ASE.
([355]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([356]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le département du Nord.
([357]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([358]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DDETS de la Mayenne.
([359]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte-rendu de réunion n°8.
([360]) UNIOPSS-URIOPSS, « Pénurie de professionnels en protection de l’enfance », novembre 2023.
([361]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([362]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UNIOPSS.
([363]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([364]) Audition du mercredi 4 décembre 2024, compte rendu n° 8.
([365]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le département de la Loire-Atlantique.
([366]) Audition du mercredi 29 janvier 2025, compte rendu n° 21.
([367]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([368]) En mai 2022, la Banque des territoires a signé un protocole avec Départements de France sur la protection de l’enfance, dans le triple objectif, selon la banque, de renforcer la connaissance des besoins en création et réhabilitation de structures, de mieux faire connaître l’offre de la Banque des territoires et enfin de réfléchir à un l’élargissement de cette offre pour faciliter le financement d’opérations immobilières pilotes.
([369]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Banque des territoires.
([370]) Une maquette du futur site internet est disponible p. 31 et suivantes du rapport de la Banque des Territoires.
([371]) Propositions de la délégation aux droits des enfants pour améliorer la protection de l’enfance, p. 10.
([372]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Banque des territoires.
([373]) UNICEF, « Grandir dans les outre-mer – État des lieux des droits de l’enfant », novembre 2023.
([374]) Résolution adoptée le 18 février 2014.
([377]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([379]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([380]) Défenseur des droits, « Services publics aux Antilles : garantir l’accès aux droits », 2023.
([381]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([382]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([383]) Voir le documentaire de Danielle Rapoport et Janine Lévy Enfants en pouponnières demandent assistance.
([384]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([385]) ONPE Synthèses, « Soutenir la réponse aux besoins spécifiques des jeunes enfants protégés », Repères en protection de l’enfance, n° 16, février 2024.
([386]) Voir le décret n° 2021-1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d'accueil de jeunes enfants et l’arrêté du 31 août 2021 créant un référentiel national relatif aux exigences applicables aux établissements d'accueil du jeune enfant en matière de locaux, d'aménagement et d'affichage.
([387]) Voir l’art. D. 312-140 du CASF.
([388]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([389]) https://www.mediacites.fr/enquete/nantes/2021/06/10/loire-atlantique-a-lhopital-des-bebes-places-deperissent-faute-de-moyens-pour-la-protection-de-lenfance/
([390]) D’après la contribution écrite transmise par le département de la Loire-Atlantique.
([391]) GEPSO, Les établissements de protection de l’enfance 0-3 ans en France – État des lieux, décembre 2024.
([392]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 14.
([393]) Audition du jeudi 16 mai 2024, compte rendu n° 4.
([394]) Audition du mercredi 11 décembre 2024, compte rendu n° 10.
([395]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le GEPSO.
([396]) https://www.lamontagne.fr/clermont-ferrand-63000/actualites/la-situation-est-intenable-le-centre-de-l-enfance-du-puy-de-dome-ou-sont-places-les-bebes-en-danger-a-bout-de-souffle_14476879/
([397]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la préfecture du Puy-de-Dôme.
([398]) Art. L. 4741-6 du code du travail.
([399]) Voir aussi à ce sujet : https://www.mediapart.fr/journal/france/260524/dans-une-pouponniere-surchargee-des-conditions-dramatiques-pour-les-bebes.
([400]) Voir l’annexe n° 5.
([401]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 17.
([402]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([403]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([404]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Lesley Hill.
([405]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([406]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([407]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([408]) « Enfants placés sans contrôle des casiers judiciaires : le Gouvernement promet de corriger », article paru dans le journal Mediapart le 10 novembre 2024.
([409]) Mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance, Rapport d’information n° 2110, XVe législature.
([410]) Audition du mardi 11 février 2025, compte rendu n° 25.
([411]) Décret n° 2024-643 relatif au contrôle des antécédents judiciaires des personnes mentionnées à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles intervenant auprès de mineurs ou demandant l’agrément prévu à l’article L. 421-3 du même code.
([412]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([413]) Décret n° 2025-207 du 3 mars 2025 relatif aux modalités de délivrance d’un nouvel agrément pour l’exercice de la profession d’assistant familial ou d’assistant maternel après un retrait de l’agrément.
([414]) Audition du mercredi 12 juin 2024, compte rendu n° 3.
([415]) Rapport d’information n° 837 (2022-2023) relatif à l’application des lois relatives à la protection de l’enfance, déposé le 6 juillet 2023.
([416]) Réponse écrite transmise à la rapporteure.
([417]) « Pénurie de professionnels en protection de l’enfance », enquête du réseau UNIOPSS-URIOPSS, novembre 2023.
([418]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([419]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 7.
([420]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([421]) Audition du mercredi 11 décembre 2024, compte rendu n° 9.
([422]) Audition du mercredi 11 décembre 2024, compte rendu n° 9.
([423]) Ce changement de nom est intervenu en mai 2024, dans l’objectif, selon M. El Hebil, d’éviter les confusions entre Domino Assist’M et Domino Care.
([424]) Audition du mercredi 11 décembre 2024, compte rendu n° 9.
([425]) Ibid.
([426]) « Les enfants placés, poule aux œufs d’or des agences d’intérim », article paru dans le journal Mediapart le 21 mai 2023.
([427]) Présente dans plusieurs départements : la Mayenne, les Côtes-d’Armor, l’Ille-et-Vilaine, la Saône-et-Loire, la Drôme, les Pyrénées-Orientales et l’Île-de-France.
([428]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([429]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([430]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n°4.
([432]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([433]) « De la violence familiale à la violence institutionnelle. Le continuum des violences dans l’expérience des jeunes placés en protection de l’enfance », Populations vulnérables, 2023
([434]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Isabelle Frechon.
([435]) Ibid.
([436]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([437]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 11.
([438]) Ibid.
([439]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([440]) 6° de l’article L. 312-4 du CASF.
([441]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([442]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([443]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([444]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la FNADEPAPE.
([445]) Audition du mardi 4 février 2025, compte-rendu n° 22.
([446]) Audition du mercredi 22 janvier 2025, compte rendu n° 18.
([447]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 11.
([448]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 19.
([449]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([450]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 11.
([451]) Audition du mercredi 4 décembre 2024, compte rendu n° 8.
([452]) https://www.enfancejeunesseinfos.fr/interview-15-000-mineurs-au-sein-de-laide-sociale-a-lenfance-seraient-victimes-de-prostitution-en-france/
([453]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la CNPR.
([455]) Audition du mercredi 15 janvier 2025, compte rendu n° 15.
([456]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([457]) ONPE, Protéger les enfants et les adolescents de la prostitution, Volet 1 : comprendre, voir, (se) mobiliser, avril 2021.
([458]) Audition du mercredi 15 janvier 2025, compte rendu n° 15.
([459]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn-et-garonne/montauban/elle-s-est-denoncee-une-fonctionnaire-soupconnee-de-livrer-des-informations-confidentielles-sur-des-mineures-a-son-ex-accuse-de-proxenetisme-3029744.html
([460]) Audition du mercredi 15 janvier 2025, compte rendu n° 15.
([461]) Contribution écrite transmise par la CNPR.
([462]) Art. L. 121-9 du CASF.
([464]) Audition du mercredi 15 janvier 2025, compte rendu n° 15.
([465]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UNICEF.
([466]) Défenseur des droits, Synthèse du rapport « Les mineurs non accompagnés au regard du droit », 2022.
([467]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([468]) Art. R. 222-11 du CASF.
([469]) Rapport n° 854 (2020-2021).
([470]) Audition du jeudi 23 mai 2024, compte rendu n° 9.
([471]) Ce fichier doit permettre de faciliter l’évaluation de la minorité en vérifiant notamment si le jeune a déjà été reconnu mineur dans un autre département ou si la personne a déjà effectué une demande de titre de séjour ou de visa.
([472]) Art. R. 221-11 du CASF.
([473]) Art. L. 221-2-4 du CASF.
([474]) Arrêté du 27 juin 2024 fixant le montant du financement exceptionnel de l’État pour la prise en charge des mineurs non accompagnés confiés à l’aide sociale à l’enfance sur décision de justice et pris en charge au 31 décembre 2023.
([475]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mmes Elsa Faucillon et Michèle Peyron.
([476]) Arrêté du 20 novembre 2019 pris en application de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles relatif aux modalités de l’évaluation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
([477]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mmes Elsa Faucillon et Michèle Peyron.
([478]) Art. L. 221-2-5 du CASF.
([479]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([480]) Comité des droits de l’enfant des Nations unies, décision CRC/C/92/D/130/2020 du 25 janvier 2023.
([481]) UNICEF, « Atteinte aux droits des mineurs isolés en France : 27 associations saisissent le Conseil d’État », 14 mai 2024.
([482]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([483]) Contribution écrite transmise par Force ouvrière.
([484]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 11.
([485]) Ibid.
([486]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([487]) Médecins sans Frontières et Comité pour la santé des exilés, « La santé mentale des MNA », 2021.
([488]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Marie-Paule Martin-Blachais.
([489]) Communiqué de presse du 6 février 2025.
([490]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 11.
([491]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DPJJ.
([492]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Départements de France. Voir aussi la résolution du comité exécutif de Départements de France du 11 octobre 2023.
([493]) Décret n° 2016-840 du 24 juin 2016 pris en application de l’article L. 221-2-2 du code de l’action sociale et des familles et relatif à l’accueil et aux conditions d’évaluation de la situation des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.
([494]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 11.
([495]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DPJJ.
([496]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mmes Faucillon et Peyron.
([497]) CNAPE, « Les enjeux de la prise en charge des jeunes majeurs : où en sont les jeunes ex-MNA ? », janvier 2025.
([498]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([499]) Ibid.
([500]) .Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([501]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([502]) IGAS, IGAENR, IGEN, « Évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance », 2019.
([503]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’AMFJF.
([504]) Modifications apportées à l’article 375-2 du code civil.
([505]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DPJJ.
([506]) Ibid.
([507]) IGAS, IGAENR, IGEN, « Évaluation de la politique de prévention en protection de l’enfance », 2019.
([508]) Arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 octobre 2024 (pourvoi n° 21-25.974).
([509]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([510]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([511]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([512]) Dans le cadre des réflexions stratégiques conduites l’ANMECS, la CNAPE et le GEPSO, trois enquêtes nationales ont été réalisées entre 2019 et 2023 par le cabinet JEUDEVI, sous la direction du sociologue Christophe Moreau.
([514]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([515]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte-rendu n° 3.
([516]) Audition du mercredi 19 février 2025, compte rendu n° 26.
([517]) Proposition de loi n° 594 relative à l’instauration de normes d’encadrement dans les établissements d’accueil de la protection de l’enfance, XVIIe législature.
([518]) Informations obtenues par la rapporteure dans le cadre de son contrôle sur pièces.
([519]) Réponse écrite de Mme Charlotte Caubel.
([520]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([521]) Audition du mardi 3 décembre, compte-rendu n° 6
([522]) Audition du mercredi 12 juin 2024, compte rendu n° 3.
([523]) « Aide sociale à l’enfance : les hôtels, une exception à … l’interdiction des hôtels », article paru le 12 mars 2024 dans Le Media social.
([524]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([525]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([526]) ESSMS et LVA relevant à la fois du 1° et du 4° du I de l’article L. 312-1 du CASF.
([527]) Art. L. 331-8-1 du CASF et L. 1413-15 du code de la santé publique.
([528]) Khennouf Mustapha, Leconte Thierry, Paux Thierry, Guide pour la préparation d’un contrôle d’établissements ou de services sociaux ou médico‑sociaux, IGAS, juin 2021.
([529]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la DGCS.
([530]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([531]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 3.
([532]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([533]) DREES, Étude n° 1304, juillet 2024.
([534]) Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux.
([535]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’ANAMAAF
([536]) Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels.
([537]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le département de Loire-Atlantique.
([538]) D’après les données fournies par la DGCS dans sa contribution écrite.
([539]) Audition du mercredi 5 février 2025, compte rendu n° 5.
([540]) Ibid.
([541]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([542]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([543]) Rapport sur la création d’un organisme national dans le champ de la protection de l’enfance, op. cit.
([544]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([545]) Instruction ministérielle n° DGCS/SD2B/2024/73 du 10 juillet 2024 relative à l’accueil des mineurs et jeunes majeurs confiés à l’ASE dans des ESSMS autorisés.
([546]) Direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations.
([547]) II de l’art. L. 313-13 du CASF.
([548]) Éléments issus de la contribution écrite transmise à la rapporteure par la préfecture de la Mayenne.
([549]) Art. L. 313-14 du CASF et L. 313-16 du CASF.
([550]) Art. L. 313-22 du CASF.
([551]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’UNIOPSS.
([552]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’ANDASS.
([553]) Inspection générale des services du département du Nord, « Affaires “Le Bonheur est dans le pré” et “Enfance et bien-être” », rapport définitif, 31 janvier 2019.
([554]) Contribution écrite transmise à la rapporteur par la DGCS.
([555]) IGAS, « Évaluation de l’accueil de mineurs relevant de l’ASE hors de leur département d’origine », février 2012.
([556]) D’après la contribution écrite transmise à la rapporteur par le département de la Mayenne.
([557]) Contribution écrite transmise à la rapporteur par Départements de France.
([558]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([559]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Défenseure des droits.
([560]) Article 3 bis C du projet de loi relatif à la protection des enfants.
([561]) Art. 719 du code de procédure pénale et R. 311-6 et suivants du code de la justice pénale des mineurs.
([562]) Art. L. 3222-1 du code de la santé publique.
([563]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Anne Raynaud.
([564]) Ibid.
([565]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n°2.
([566]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([567]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([568]) Décret n° 2023-914 du 2 octobre 2023 portant diverses dispositions en matière d’assistance éducative.
([569]) L’ancien ministre Adrien Taquet s’est notamment exprimé au cours de son audition en défaveur de cette solution, considérant que c’est le rôle du juge des enfants de rendre sa décision dans le seul souci de la protection de l’enfant et de ses intérêts.
([570]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([571]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([572]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([573]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([574]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([575]) Mission d’information sur l’aide sociale à l’enfance, Rapport d’information n° 2110, XVe législature.
([576]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n°11.
([577]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([578]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([579]) Audition du mardi 4 juin 2024, compte rendu n° 18.
([580]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
([581]) Ibid.
([582]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([583]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([584]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n°2.
([585]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([586]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([587]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([588]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([589]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([591]) Arrêté du 13 janvier 2025 portant approbation de la charte nationale du parrainage d’enfants en France.
([592]) Les mineurs privés de la protection de leur famille se voient également attribuer un parrain ou une marraine.
([593]) Dans un article paru dans le journal en ligne Le Media social : « Protection de l’enfance, l’engagement à l’épreuve du terrain », paru le 8 juin 2023.
([594]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([595]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 15.
([596]) Ce point est développé dans la partie du présent rapport consacré aux contrôles des antécédents judiciaires.
([597]) Audition du mardi 17 décembre 2024, compte rendu n° 12.
([599]) Décret n° 2023-826 du 28 août 2023 relatif aux modalités d’accompagnement du tiers digne de confiance, de l’accueil durable et bénévole par un tiers et de désignation de la personne de confiance par un mineur
([600]) Audition du mercredi 5 février 2025, compte rendu n° 24.
([601]) « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui », remis à la ministre déléguée à la famille Mme Bertinotti en février 2014.
([602]) Les actes usuels sont les actes de la vie quotidienne, sans gravité particulière et qui n’engagent pas la vie de l’enfant.
([603]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([604]) Les éducateurs familiaux bénéficient d’un statut particulier défini aux articles L. 431-1 à L. 431-4 du CASF.
([605]) L’aide sociale à l’enfance, les dossiers de la DREES, n° 119, juillet 2024.
([606]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([607]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n°11.
([608]) Audition du mardi 12 novembre 2024, compte rendu n° 2.
([609]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n°11.
([610]) Rapport du Sénat n° 146 (2014-2015) fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative aux droits de l’enfant.
([611]) Réponse écrite des autorités québécoises.
([612]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([613]) « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui », remis à la ministre déléguée à la famille Mme Bertinotti en février 2014.
([614]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([615]) La loi de 2016 avait initialement fixé l’âge des enfants concernés par ce réexamen tous les six mois à deux ans, il a été rehaussé à trois ans par la loi Taquet.
([616]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 14.
([617]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
([618]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n°4.
([619]) L’organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état complet de bien‑être physique, psychique et social et non pas seulement comme l’absence de maladie ».
([620]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n°2.
([621]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([622]) ONPE « La santé des enfants protégés », seizième rapport au Gouvernement et au Parlement, juillet 2022.
([623]) Étude portant sur l’impact en santé mentale du premier confinement de mars 2020 sur des enfants confiés à des assistants familiaux (étude portant sur 622 enfants vivant auprès de 433 assistants familiaux), citée dans le rapport annuel 2022 de l’ONPE.
([624]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n°2.
([625]) Cour des comptes, « La pédopsychiatrie », communication à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, mars 2023.
([626]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n°11.
([627]) Le rapport cite ainsi une étude CREAI Rhône-Alpes/ORS en date de 2010 s’inquiétant de la prise de neuroleptiques par un nombre significatif de jeunes.
([628]) Programme de santé standardisé appliqué aux enfants bénéficiant avant l’âge de cinq ans d’une mesure de protection de l’enfance.
([629]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([632]) ONPE, « La santé des enfants protégés », seizième rapport au Gouvernement et au Parlement, juillet 2022.
([633]) Audition du jeudi 16 mai 2024, compte rendu n° 4.
([634]) Contribution écrite transmise à la rapporteur par Mme Céline Greco.
([635]) Voir la première partie du présent rapport.
([636]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([637]) Audition du jeudi 30 mai 2024, compte rendu n° 16.
([638]) « L’accueil des Français en situation de handicap en Wallonie », rapport public thématique de la Cour des comptes, septembre 2024.
([639]) Voir le programme du déplacement en annexe.
([640])Vingt-trois établissements wallons accueillant des enfants et adolescents français en situation de handicap sont conventionnés par l’ARS Hauts-de-France et la CPAM Roubaix-Tourcoing, pour un total de 1 150 places conventionnées. Pour occuper une de ces places, l’enfant doit posséder une orientation MDPH en cours de validité. Ces jeunes peuvent relever d’un suivi ASE, mais aucune place n’est réservée aux jeunes bénéficiant de ce type de mesures.
([641]) « L’accueil des Français en situation de handicap en Wallonie », rapport public thématique de la Cour des comptes, septembre 2024.
([643]) Voir notamment : « Condamné pour détournement de biens publics, le président du conseil départemental de la Somme quitte son poste », article paru dans Libération, décembre 2024.
([644]) Dossier de presse du douzième comité interministériel du handicap, publié le 6 mars 2025.
([645]) https://www.teluq.ca/site/etudes/clom/favoriser-la-reussite-educative-des-eleves-autistes.php
([646]) https://www.cnape.fr/la-scolarite-des-enfants-proteges-une-epreuve-supplementaire-sur-le-parcours-du-combattant/.
([647]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([648]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([649]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 14.
([650]) Selon le rapport de Mme Brigitte Bourguignon sur la proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie (n° 1150, XVe législature).
([651]) Article L 441-1 du code de la construction et de l’habitation.
([652]) Article L. 222-5-2 du CASF.
([653]) Article L. 543-3 du code de la sécurité sociale.
([654]) Rapport public annuel 2025 de la Cour des comptes, « La prise en charge des jeunes majeurs sortant de l’aide sociale à l’enfance ».
([655]) DREES, L’aide sociale à l’enfance – édition 2024, Les dossiers de la DREES, n° 119.
([656]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([657]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 11.
([658]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 6.
([659]) COJ (Conseil d’orientation des politiques de jeunesse) et CNPE (Conseil national de la protection de l’enfance), « Laissez-nous réaliser nos rêves ! L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sortant des dispositifs de protection de l’enfance », 23 juin 2023.
([660]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([661]) Audition du mardi 28 janvier 2025, compte-rendu n° 20.
([662]) Audition du 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([663]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([664]) Projet annuel de performances « Solidarité, insertion et égalité des chances », LFI 2025.
([665]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le département de la Loire-Atlantique.
([666]) Observatoire national de la protection de l’enfance, « Données sur les prises en charge en protection de l’enfance au 31 décembre 2022, variations départementales et évolutions », février 2024.
([667]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Régions de France.
([668]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([669]) INED, « La précarité résidentielle des jeunes à leur sortie de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ».
([670]) Communiqué de presse. Une autre convention avec l’Union nationale des missions locales (UNML) a été signée, sur l’insertion professionnelle.
([671]) Audition du mardi 21 janvier 2025, compte rendu n° 17.
([672]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 11.
([673]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte-rendu n° 2.
([674]) Audition du 29 mai 2024, compte rendu n° 13.
([675]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mmes Elsa Faucillon et Michèle Peyron.
([676]) Audition du mardi 21 janvier 2025, compte rendu n° 17.
([679]) Voir, par exemple, le document de recommandations daté de janvier 2023.
([680]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([681]) Audition du mercredi 18 décembre 2024, compte rendu n° 13.
([682]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par ATD Quart Monde.
([683]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par le département de la Meurthe-et-Moselle.
([684]) Chambre régionale des comptes Grand Est, « Département de Meurthe-et-Moselle – Dispositif contrats jeunes majeurs », février 2025.
([685]) Chiffres donnés par Mme Diehl, membre du collectif, lors de l’audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([686]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([687]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([688]) Audition du mardi 14 mai 2024, compte rendu n° 2.
([689]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Banque des territoires.
([690]) Audition du mardi 4 février 2025, compte rendu n° 22. Les 135,3 millions d’euros restants, non restituables, correspondent aux allocations de rentrée scolaire des enfants encore mineurs.
([691]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([692]) Audition du mardi 19 novembre 2024, compte rendu n° 4.
([693]) Dossier de presse du troisième comité interministériel à l’enfance, novembre 2023.
([694]) Audition du mardi 28 mai 2024, compte rendu n° 10.
([695]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([696]) Audition du mercredi 13 novembre 2024, compte rendu n° 3.
([697]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par la Banque des territoires.
([698]) aide-sociale.fr,service-public.fr et www.caf.fr.
([699]) https://www.valdemarne.fr/le-conseil-departemental/enfance/education/proteger-les-enfants-en-danger/favoriser-linsertion-socio-professionnelle-des-jeunes-confies-a-laide-sociale-a-lenfance-ase
([700]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n° 5.
([701]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par Mme Céline Greco.
([702]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([705]) INED, « La précarité résidentielle des jeunes à leur sortie de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ».
([706]) Haut Conseil du travail social, Livre blanc du travail social, 2023.
([707]) « Pénurie de professionnels en protection de l’enfance », enquête de l’UNIOPSS, novembre 2023.
([708]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([709]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([710]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([711]) Audition du mercredi 22 janvier 2025, compte rendu n° 18.
([712]) Audition du mardi 21 mai 2024, compte rendu n° 5.
([713]) Audition du mercredi 22 mai 2024, compte rendu n° 8.
([714]) Voir notamment la lettre ouverte du 26 mars 2020, signée par un collectif d’associations et de syndicats du secteur.
([715]) Audition du mercredi 22 janvier 2025, compte rendu n° 18.
([716]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([717]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([718]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([719]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([720]) Audition du mercredi 20 novembre 2024, compte rendu n°4.
([721]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([722]) Audition du lundi 16 janvier 2023, compte rendu n° 16.
([723]) Audition du mercredi 29 mai 2024, compte rendu n° 12.
([724]) Audition du jeudi 16 janvier 2025, compte rendu n° 16.
([725]) Ibid.
([726]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([727]) Voir les conclusions de la conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social. Ces revalorisations ont concerné les professionnels du public et du secteur privé à but non lucratif.
([728]) Le Ségur de la santé a pris la forme d’une consultation des acteurs du système de soins en mai 2020, dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19. Il en a résulté des accords entre partenaires sociaux ainsi qu’un engagement de l’État pour revaloriser les salaires des personnels des établissements de santé et des EHPAD.
([729]) Communiqué : « Oubliés du Ségur : les Départements ne peuvent plus suivre », Départements de France, 28 juin 2024.
([730]) Communiqué : « DF appelle ses membres à ne pas mettre en œuvre l’extension de la prime « Ségur » tant que l’État ne leur en compense pas les conséquences », Départements de France, 13 septembre 2025.
([731]) « Extension du Ségur : les départements de gauche, bien que mécontents, paieront », Le Media Social, 18 septembre 2024.
([732]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 21.
([733]) « "Ségur pour tous" : l’heure du bras de fer a sonné », Le Media Social, 9 septembre 2024.
([734]) Audition du mercredi 5 juin 2024, compte rendu n° 22.
([735]) Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne.
([736]) Nouvelle organisation professionnelle des employeurs du secteur social, médico-social et sanitaire à but non lucratif.
([737]) Contribution écrite transmise à la rapporteure par l’ANDASS.
([738]) Contribution écrite transmise à la rapporteure.
([739]) Ibid.
([740]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
([741]) Décret n° 2022-1198 du 31 août 2022 relatif à la rémunération des assistants familiaux et à certaines indemnités.
([742]) Ce montant doit couvrir les frais de nourriture, de logement, électricité, produits de soins, petits déplacements vers les écoles, et le loisir, petit loisir, cadeau d’anniversaire, frais de pharmacie non pris en charge par la sécurité sociale.
([743]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
([744]) Décret n° 2005-1772 du 30 décembre 2005 relatif à la formation des assistants familiaux et instituant le diplôme d’État d’assistant familial.
([745]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
([746]) Audition du mardi 3 décembre 2024, compte rendu n° 7.
[747] L’aide sociale à l’enfance - Édition 2024, Les dossiers de la DREES, N°119 paru le 23/07/2024, Tedjani Tarayoun, avec Élisa Abassi, Cheikh-Tidiane Diallo, Klara Vinceneux (DREES)
[749] L’aide sociale à l’enfance - Édition 2024, Les dossiers de la DREES, N°119 paru le 23/07/2024, Tedjani Tarayoun, avec Élisa Abassi, Cheikh-Tidiane Diallo, Klara Vinceneux (DREES)
[751] Proposition de loi ouvrant la possibilité de concilier une activité professionnelle avec la fonction d'assistant familial, n° 522, déposée le mardi 9 avril 2024.
([753]) Le questionnaire est reproduit à la fin de la présente annexe.
([754]) Une partie des départements qui renseignent cette donnée prend pour base l’année 2023, une autre partie prend pour base l’année 2024.
([755]) Trois types de contrôle confondus : le contrôle réalisé suite à l’annonce d’un problème, le contrôle réalisé sans annonce préalable de problème et le contrôle de suivi. Le contrôle qualité intègre ces sous-catégories.
([756]) La première phrase de l’article L. 311-5 du CASF dispose que « toute personne prise en charge par un établissement ou un service social ou médico-social ou son représentant légal s’il s’agit d’un mineur peut faire appel, en vue de l’aider à faire valoir ses droits, à une personne qualifiée qu’elle choisit sur une liste établie conjointement par le représentant de l’État dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé et le président du conseil départemental ».
([757]) Art. D. 223-27 du code de l’action sociale et des familles : « La commission d’examen de la situation et du statut des enfants confiés examine tous les ans la situation des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance depuis plus d’un an, lorsqu’il existe un risque de délaissement parental ou lorsque le statut juridique de l’enfant paraît inadapté à ses besoins. Elle examine la situation des enfants de moins de deux ans tous les six mois. »