N° 1311

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2023

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français,

 

 

Président

M. Jean-Philippe TANGUY

 

Rapporteure

Mme Constance LE GRIP

Députés

 

——

 

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 275 et 589.

 


La commission relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, est composée de : M. Jean-Philippe Tanguy, président ; Mme Constance Le Grip, rapporteure ; M. Pierre‑Henri Dumont, M. Laurent Esquenet-Goxes, Mme Anne Genetet, M. Thomas Rudigoz, vice-présidents ; M. Jean‑Pierre Cubertafon, Mme Stéphanie Kochert, M. Kévin Pfeffer, M. Vincent Seitlinger, secrétaires ; Mme Nadège Abomangoli ; M. Pieyre‑Alexandre Anglade ; M. Julien Bayou ; M. Éric Bothorel ; M. Ian Boucard ; M. Philippe Brun ; Mme Clara Chassaniol ; Mme Mireille Clapot ; Mme Caroline Colombier ; M. Nicolas Dupont-Aignan ; M. Frank Giletti (à compter du 1er juin 2023) ; M. Bastien Lachaud ; Mme Hélène Laporte (jusqu’au 31 mai 2023) ; M. Thomas Ménagé ; Mme Anna Pic ; M. Thomas Portes ; M. Richard Ramos ; M. Aurélien Saintoul ; M. Charles Sitzenstuhl ; M. Stéphane Vojetta.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse de la rapporteure

Avant-propos du Président

introduction

partie 1 : la France est la cible d’ingérences de la part de puissances étrangères

I. Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ?

A. un concept qui doit être distingué de l’influence

1. L’ingérence d’un État désigne son intervention dans les affaires intérieures d’un autre État

2. Les ingérences peuvent être confondues avec les politiques d’influence

3. Les ingérences se caractérisent par leur hostilité et leur atteinte aux intérêts fondamentaux d’une nation

B. les ingérences empruntent plusieurs vecteurs

1. Le contexte géopolitique est propice à la multiplication des moyens d’ingérence

2. La typologie des ingérences mêle principalement des tactiques anciennes de corruption et d’espionnage avec l’utilisation d’outils très modernes

a. Les cyber-attaques

b. Les manipulations de l’information

c. Les atteintes au patrimoine économique, scientifique et technique

d. L’utilisation du droit comme arme

e. Le recrutement d’une partie des élites

II. une agressivité de puissances étrangères davantage assumée et qui se manifeste dans des formes de guerre hybride

A. la russie est la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence

1. Les ingérences de la Russie s’inscrivent dans une logique de subversion et de déstabilisation

2. Le régime russe s’appuie sur une multiplicité de vecteurs pour s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres États

a. Une politique d’espionnage qui n’a rien perdu de son importance

b. Une guerre informationnelle visant à la déstabilisation

c. Des cyber-attaques comme armes d’une guerre hybride

3. La Russie continue d’user d’un pouvoir d’attraction par convergence d’intérêts et recrutement intéressé

B. la chine a recours à des manœuvres de plus en plus agressives et malveillantes pour atteindre ses objectifs de moyen et de long terme

1. Des tentatives d’ingérence de plus en plus agressives en voie de « russianisation » ?

2. Des ingérences destinées à contrôler son image et ses ressortissants

a. La guerre de l’opinion publique

b. La diaspora chinoise

3. La menace la plus importante pour la France est celle qui pèse sur sa recherche et ses entreprises

a. L’espionnage

b. L’entrisme

C. d’autres États peuvent chercher à s’immiscer dans les affaires intérieures de la france

1. L’Iran

2. Le Maroc

a. Des tentatives de corruption de parlementaires européens ?

b. Le recours au placement rémunéré d’informations

3. Le Qatar

4. La Turquie

III. la France est particulièrement exposée aux tentatives d’ingérence russes

A. une entreprise de désinformation de longue haleine

1. Une stratégie d’ingérence par la désinformation héritée de l’époque soviétique et réactualisée sous Vladimir Poutine

a. Une longue tradition soviétique

b. La nouvelle stratégie d’ingérence informationnelle russe en France s’est appuyée sur des médias d’État et sur les réseaux sociaux

i. La volonté de produire un récit alternatif aux médias occidentaux

ii. La tête de pont de la manipulation de l’information russe en France : RT France et Sputnik, des médias d’État « alternatifs »

iii. La guerre en Ukraine intensifie la désinformation russe, menant à l’interdiction de ses relais médiatiques qui ne disparaissent pas tout à fait

2. L’Afrique, espace privilégié de la désinformation russe anti-française

a. La Russie a développé une stratégie spécifique de désinformation en Afrique

b. Cette rhétorique russe antifrançaise a déjà largement porté ses fruits en Afrique

3. L’ingérence informationnelle russe dans les campagnes présidentielles françaises de 2017 et 2022

a. Les « Macron Leaks » au cours de l’élection présidentielle de 2017

b. L’échec de cette tentative a souligné la résilience de nos institutions face à la désinformation, renforcée dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022

B. la « capture » de certaines élites : entre naïveté et connivence

1. L’attraction de certains hauts fonctionnaires par la Russie

2. Les accointances entre le personnel politique français et la Russie

a. L’importance des cercles d’influence franco-russes

i. Le Dialogue franco-russe et le rôle de M. Thierry Mariani

ii. Les autres cercles d’influence de la Russie en France

b. Des parcours individuels entre naïveté et compromission

i. L’adhésion aux thèses du Kremlin

ii. L’utilisation du statut d’élu au bénéfice des positions russes

iii. La reconversion au sein d’entreprises russes

C. le cas particulier du rassemblement national

1. Un soutien idéologique et une proximité affichée avec le régime de M. Poutine

i. Une forte proximité politique et idéologique et des intérêts communs

ii. Des actes de soutien concrets au régime de M. Poutine : les déplacements et les votes

2. Les emprunts russes du Rassemblement national

partie 2 : une prise de conscience salutaire mais tardive des autorités françaises vis-à-vis de l’ensemble des menaces transversales

I. la prévention des ingérences étrangères

A. Un cadre pénal dont les contours n’épousent qu’imparfaitement le périmètre des ingérences étrangères

1. Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ne recouvrent que partiellement le champ des faits susceptibles de relever de l’ingérence étrangère

a. La trahison et l’espionnage

b. Les autres atteintes à la défense nationale

2. Les atteintes à la probité constituent un vecteur pour les ingérences étrangères

a. Les délits de corruption, de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêts

i. La corruption passive et le trafic d’influence

ii. La prise illégale d’intérêts

b. La prévention des conflits d’intérêts

c. L’encadrement de l’activité des représentants d’intérêt

B. les règles de financement de la vie politique, fondées sur la transparence, garantissent une certaine étanchéité vis-à-vis de l’étranger

1. Les partis politiques et leurs candidats ne peuvent recevoir de versements de la part d’une personne physique étrangère ou résidant à l’étranger, mais ils peuvent emprunter auprès de n’importe quelle personne physique

a. De manière générale, les contributions des personnes physiques sont plafonnées

i. Les dons et les cotisations

ii. Les prêts

b. Les dons ne peuvent provenir que de personnes ayant la nationalité française ou qui résident en France

c. Dans le silence de la loi, les prêts de personnes physiques étrangères sont permis

2. Les partis politiques et leurs candidats ne peuvent recevoir de financements de la part de personnes morales de droit étranger, à l’exception des prêts accordés par des banques européennes

a. Le cadre général du financement par des personnes morales est celui d’une interdiction de principe

b. Les dons en provenance d’entités étrangères sont strictement interdits

c. Les prêts en provenance de banques européennes sont permis

3. La participation de l’État au financement de la vie politique permet aux principaux mouvements politiques d’être moins dépendants de ressources privées

a. Les partis ayant présenté des candidats aux élections législatives ont droit à une aide publique dont le montant est fixé en loi de finances

b. L’État rembourse une partie des dépenses des candidats aux élections

C. Des progrès dans la protection de l’économie française face aux ingérences

1. La sécurité économique

a. Le recensement des activités économiques sensibles

b. Le contrôle des investissements étrangers

2. La lutte contre l’instrumentalisation du droit à des fins d’ingérence économique

a. Les menaces posées par le lawfare d’États étrangers

b. La loi de blocage, récemment renforcée, protège les entreprises françaises de la divulgation de données sensibles

c. La loi Sapin 2 protège les entreprises françaises d’accusations de corruption d’agents publics étrangers de la part de juridictions étrangères

i. L’Agence française anticorruption

ii. La convention judiciaire d’intérêt public

II. médias, plateformes numériques, nouvelles technologies : principaux points de vulnérabilité ?

A. La « guerre informationnelle » : désinformation, manipulation, malinformation

1. La « guerre informationnelle » se joue d’abord sur les plateformes numériques

a. Le champ numérique, espace privilégié de la « guerre informationnelle »

i. Des espaces peu régulés où la désinformation circule aisément

ii. Usines à trolls, bots, hackers, deep fakes : les « armes » du cyberespace au service de la désinformation

iii. Des plateformes numériques non européennes en situation de monopole

b. La lutte contre la désinformation sur les plateformes numériques

i. Le rôle de Viginum contre la manipulation de l’information

ii. La question de la régulation des plateformes numériques

2. Les mercenaires de la guerre informationnelle, nouveaux acteurs privés de la manipulation de l’information

a. Monnayer la manipulation de l’information en France : l’exemple de « Team Jorge »

i. « Team Jorge », un acteur polyvalent de la désinformation

ii. Un relais de la manipulation informationnelle de « Team Jorge » à BFM TV ?

b. Les vulnérabilités des médias français dans la guerre informationnelle

i. La pratique de l’influence auprès des médias et des journalistes

ii. Des contenus promotionnels « cachés » au sein des contenus informationnels

iii. Le dévoiement de la liberté d’expression et de la liberté de la presse à des fins de propagande ou de déstabilisation

B. Les cyber-attaques

1. Des menaces cyber croissantes

a. La cybercriminalité

b. L’espionnage

c. Les actes de sabotage

2. Une structure de défense organisée et discrète

a. Un dispositif de cyberdéfense animé par l’ANSSI

b. La nécessaire discrétion de la cyberdéfense

III. La lutte contre les menaces transversales, enjeu prioritaire de la stratégie nationale du renseignement

A. l’architecture institutionnelle de la contre-ingérence

1. La DGSI

a. La détection des ingérences étrangères

b. La sensibilisation aux risques

c. L’entrave aux menaces

2. La DGSE

3. Le renseignement du ministère chargé de l’économie et des finances

a. La DNRED

b. Tracfin

4. Le SGDSN

a. L’ANSSI

b. Viginum

B. une prise de conscience rompant avec une certaine naïveté ou un certain déni de rÉalité…

1. La contre-ingérence est le reflet d’une nouvelle approche des relations internationales

2. La prise de conscience des ingérences en matière économique et scientifique constitue un cas particulier

C. … qui reste à diffuser à l’ensemble des acteurs et de notre société

1. Sensibiliser, éveiller, mobiliser

2. Favoriser la transparence

3. Le nécessaire réveil du monde universitaire et académique

Examen en commission

Liste des recommandations

Bibliographie indicative

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

CONTRIBUTIONS des groupes politiques et des Députés

1. Contribution du groupe La France insoumise

2. Contribution du groupe Socialistes et apparentés

3. Contribution du groupe Écologiste

4. Contribution de Mme Mireille Clapot, députée de la Drôme

5. Contribution de Mme Caroline Colombier, députée de la Charente

6. Contribution de Mme Anne Genetet, députée des Français établis hors de France

7. Contribution de M. Thomas Ménagé, député du Loiret

8. Contribution de M. Kévin Pfeffer, député de la Moselle

9. Contribution de M. Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin

Annexes à l’avant-propos du président

1. Tableau des occurrences des noms des personnes auditionnées

2. Lettres de mission de M. Jean-Pierre Chevènement

3. Relevés de conclusions des réunions du bureau de la commission d’enquête

 


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   Synthèse de la rapporteure

 

La commission d’enquête relative aux « ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français » a été créée dans un contexte de vive polémique. Demandée par le groupe Rassemblement national au titre de son droit de tirage, un de ses objectifs affichés par ses initiateurs était de « purger » la question du prêt russe accordé au Front national en 2014 et celle des accusations de complaisance, voire plus, du Rassemblement national envers la Russie de Vladimir Poutine.

Le champ particulièrement large de cette commission d’enquête a constitué un défi permanent pour la conduite de ses travaux : 44 auditions, 53 personnes auditionnées, 87 heures d’audition.

Il est à noter qu’une commission d’enquête parlementaire dispose de prérogatives et de moyens strictement, encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs. De plus, compte tenu de la nature des sujets traités, et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées, la commission d’enquête s’est vu à plusieurs reprises opposer le secret de l’instruction, le secret de l’enquête et le secret défense.

Un effort de définition et de caractérisation des ingérences étrangères

Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ? Il s’agit de l’immixtion d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État. Elle présente un caractère malveillant, toxique, voire délictueux, car elle vise à déstabiliser, à saper la confiance dans les institutions d’un pays, à engendrer de la confusion entre le vrai et le faux, à servir les intérêts d’une puissance étrangère, pouvant même aller jusqu’à tenter de détruire une cible, par exemple le système démocratique d’un État. C’est pourquoi elle ne doit pas être confondue avec les politiques d’influence.

Les ingérences étrangères peuvent emprunter plusieurs vecteurs comme les cyber-attaques, les manipulations de l’information, les atteintes au patrimoine scientifique et technique, l’utilisation du droit comme arme (lawfare), le recrutement d’anciens responsables politiques ou économiques, auxquels il faut ajouter une zone grise entre l’influence et l’ingérence, caractérisée par la recherche de la complaisance, de la connivence, voire de l’allégeance d’une partie des élites d’un pays.

Les ingérences peuvent être des actes d’une guerre hybride d’États qui nous sont hostiles

De toute évidence, la Russie constitue la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence. Ses activités hostiles s’inscrivent dans une logique de subversion et de déstabilisation. Elles reposent sur l’espionnage, la guerre informationnelle et les cyber-attaques. De plus, la Russie continue d’user d’un pouvoir d’attraction par convergence d’intérêts ou par recrutement intéressé.

La Chine représente l’autre grande menace pour les démocraties libérales en ce qui concerne les ingérences. Elle a de plus en plus recours à des manœuvres agressives et malveillantes pour atteindre ses objectifs, au point qu’on peut parler d’une « russianisation » de son attitude. Si les ingérences dont la République populaire de Chine est l’auteur sont surtout destinées à contrôler son image et ses ressortissants à l’étranger, l’espionnage et l’entrisme qu’elle pratique auprès de nos entreprises et de nos universités constituent un point d’attention majeur.

D’autres États cherchent à s’immiscer dans les affaires intérieures de la France, quoique à une moindre échelle actuellement que la Russie et la Chine. Il s’agit notamment de pays comme l’Iran, le Maroc, le Qatar ou encore la Turquie.

L’exposition de la France aux ingérences russes doit être soulignée

Une guerre informationnelle

La Russie conduit, dans notre pays, une campagne de désinformation de longue haleine. Cette stratégie d’ingérence héritée de l’époque soviétique a été réactualisée sous Vladimir Poutine en s’appuyant sur des médiats d’État (RT France et Sputnik) et sur les réseaux sociaux. Elle a eu pour but de produire un récit alternatif aux médias français afin de défendre et promouvoir les intérêts russes et de polariser notre société démocratique. Si l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine à partir de février 2022 a conduit à l’interdiction de ses principaux relais médiatiques, d’autres se maintiennent grâce aux réseaux sociaux, ou apparaissent, comme par exemple le nouveau média dit « alternatif » Omerta.

Il faut noter également que la Russie a développé une stratégie spécifique de désinformation, particulièrement agressive, visant l’Afrique francophone afin d’y favoriser une rhétorique hostile à notre pays et à nos valeurs.

Les tentatives d’ingérence informationnelle russe dans les deux dernières campagnes présidentielles en France constituent des exemples flagrants de ces manœuvres de déstabilisation, notamment l’affaire des Macron Leaks en 2017.

La capture d’une partie de nos élites

Il faut s’inquiéter par exemple de la tendance d’anciens responsables publics, en particulier d’officiers à la retraite, à développer des discours reprenant les éléments de langage du Kremlin dans les médias. Il convient de mettre en place un cadre juridique qui permette de maintenir un devoir de discrétion et de renforcer le régime d’incompatibilités pour certains hauts responsables qui n’exercent plus leur activité.

La commission d’enquête a étudié les accointances entre une partie du personnel politique français et la Russie. Elle a relevé le rôle de cercles d’influence comme le Dialogue franco-russe, co-présidé par M. Thierry Mariani, ou l’Observatoire franco-russe, un think tank créé par le conseil économique de la chambre de commerce et d’industrie franco-russe, qui œuvrent comme des lobbies pro-Kremlin. Il faut ajouter à cela des parcours individuels qui relèvent, au mieux de la naïveté, au pire de la compromission. Il peut s’agir d’une adhésion au narratif russe et aux actions du pouvoir russe, notamment par l’utilisation du statut de parlementaire français ou européen à son bénéfice, ou de la reconversion au sein d’entreprises russes. À ce titre, il semble nécessaire d’engager une réflexion à propos de contrôles renforcés sur les nouvelles carrières professionnelles d’anciens responsables politiques.

Les liens du Rassemblement national avec la Russie constituent un cas particulier

Le Rassemblement national entretient bien des liens privilégiés avec le Kremlin, liens que n’ont pas les autres partis politiques français. Le soutien idéologique et la proximité affichée avec le régime de Vladimir Poutine sont indéniables. Ils sont fondés sur des convergences de vues et des intérêts communs qui se traduisent par des soutiens concrets comme le relais des positions internationales des autorités russes, les déplacements d’élus RN en Russie, au Donbass ou en Crimée illégalement annexée, y compris en servant de caution à des consultations électorales non reconnues par la communauté internationale, ou des votes défavorables aux condamnations des violations du droit international par la Russie et aux sanctions internationales prononcées contre cet État.

Les emprunts russes contractés par l’ex-Front national ou par sa candidate ont été analysés par la commission d’enquête. Le prêt de 9,4 millions d’euros contracté en 2014 auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), alors contrôlée par un oligarque russe, a été finalement racheté par l’entreprise russe Aviazapchast à la suite de la faillite de la banque en 2016. Cette firme appartenant au complexe militaro-industriel en a rééchelonné le remboursement jusqu’en 2028. Cet « avantage certain et conséquent », selon une note de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a bien constitué un traitement de faveur de la part des nouveaux créanciers russes, d’autant que l’emprunteur n’a pas apporté de garanties, comme le souligne également la CNCCFP.

La prévention des ingérences étrangères repose sur un cadre juridique pertinent mais incomplet

La répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation est, sur le plan pénal, le dispositif le plus ancien, pour prévenir les ingérences. Néanmoins, les atteintes à la probité – corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts – peuvent également être des vecteurs importants d’ingérences étrangères.

Concernant la vie politique, les restrictions posées aux financements des partis et des campagnes électorales provenant de l’étranger assurent une certaine étanchéité face aux risques d’ingérence. Toutefois, ces limitations demeurent incomplètes et l’on peut s’interroger sur les capacités d’en assurer un contrôle vraiment approfondi.

Sur le plan économique, la prévention des ingérences passe par le recensement des activités sensibles, le contrôle des investissements étrangers, le blocage de la divulgation de données stratégiques et le développement d’outils pour se prémunir des risques d’instrumentalisation du droit à des fins de guerre commerciale.

Les espaces numériques constituent des points de vulnérabilité qui demeurent

La guerre informationnelle se joue d’abord sur les plateformes numériques, espaces peu régulés où la désinformation peut circuler de manière massive et virale grâce aux trolls, bots, deep fake et autres techniques informatiques. La lutte des pouvoirs publics français et européens contre la diffusion artificielle ou automatisée de faits inexacts ou trompeurs a fait des progrès mais beaucoup reste à faire du côté des plateformes et en matière de politique de prévention et d’éducation.

L’affaire dite « Story Killers » révélée par le consortium de journalistes Forbidden Stories, impliquant notamment un présentateur de la chaîne BFM-TV, est révélatrice de l’apparition de nouveaux mercenaires de la désinformation et de la manipulation de l’information, apparition d’autant plus inquiétante que leurs services peuvent être loués par des États étrangers et que les médias français semblent vulnérables face à ce type d’ingérence.

Les cyber-attaques sont l’autre menace qui pèse sur les espaces numériques et leur ampleur devient considérable. Elles peuvent prendre la forme d’activités criminelles (rançongiciels, hameçonnage), d’espionnage ou encore de sabotage. Ces deux dernières formes sont en général le fait d’États. Les cyber-attaques ciblent aussi bien nos entreprises que nos administrations d’État, nos collectivités territoriales que nos hôpitaux, nos universités et institutions de recherche que nos médias.

Si la lutte contre les menaces transversales (dont font partie les ingérences et les menaces cyber) est bien appréhendée par nos services de renseignement et les agences qui leur viennent en appui, l’entrave des ingérences étrangères doit aussi reposer sur la société civile

La prévention et la répression des ingérences figurent parmi les enjeux prioritaires de la Stratégie nationale du renseignement de 2019. Elles reposent principalement sur l’action des services des ministères de l’intérieur, des armées et de l’économie et des finances.

L’action des pouvoirs publics doit être saluée, et tout particulièrement celle de nos services de renseignement. Elle traduit une prise de conscience salutaire bien que tardive de la part de nos plus hautes autorités, qui rompt avec une certaine naïveté, un aveuglement ou un déni de réalité. Toutefois, l’effort de contre-ingérence doit encore être diffusé à l’ensemble des acteurs publics ainsi que dans la société civile. L’entrave des tentatives de déstabilisation repose encore trop sur l’État en France.

Il faut donc, plus que jamais, sensibiliser les cibles potentielles des manœuvres d’ingérence, notamment l’ensemble des élus et le monde de l’université, de la recherche et des grandes écoles. Il apparaît également nécessaire de renforcer la transparence dans de nombreux domaines, non seulement pour mieux identifier l’action des représentants d’intérêts, mais aussi afin de s’appuyer sur la société et ses lanceurs d’alerte, par exemple par le développement de techniques collaboratives de cyberdéfense ou de renseignement de sources ouvertes.

De manière générale, c’est à l’ensemble de la société française qu’il revient d’ouvrir les yeux sur les réalités géopolitiques nouvelles auxquelles nos démocraties européennes sont confrontées, sur l’agressivité et la volonté de déstabilisation dont font preuve à notre égard des puissances autoritaires et inamicales, et sur la résistance collective qu’il nous faut leur opposer. La guerre hybride qui nous est faite, dont les ingérences sont l’expression la plus répandue, appelle de notre part un sursaut citoyen. Celui-ci doit se fonder sur la responsabilité, la transparence et l’engagement de toute la société.

 


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Avant-propos du Président

Remerciements

 

« Tel qui trahit se perd, et les autres avec lui… » Chanson de Roland

 

Je tiens naturellement à remercier les administrateurs, les agents et les services et de l’Assemblée Nationale qui ont travaillé sur notre Commission d’enquête, fidèles à leur mission. Ils ont assuré une organisation, une recherche documentaire et un apport technique de grande qualité.

Je remercie mes collaborateurs et surtout en l’occurrence, ma collaboratrice qui se reconnaitra, pour son travail remarquable.

Je remercie les quelques députés qui ont été actifs lors de cette Commission, ainsi que le vice-président Laurent Esquennet-Goxes qui m’a remplacé quatre fois quand l’éthique commandait mon déport pour auditionner des personnalités liées de près ou de très loin au Rassemblement National.

Je salue le temps que la Rapporteure Constance Le Grip a bien voulu consacrer à sa mission et les compétences rares et précieuses, sans ironie aucune, qu’elle a apportées à notre Commission mais aussi certaines valeurs qu’elle porte, notamment dans la défense de la démocratie taïwanaise.

Constatant que nos travaux se sont déroulés sans incident lié aux commissaires titulaires pendant cinq mois, que la neutralité et l’impartialité de ma présidence n’a jamais été remise en cause, ni à l’écrit ni à l’oral et pas même par des bruits de couloir dans la presse, je ne peux que déplorer le sabotage de nos travaux.

Ce sabotage est opéré à travers un rapport malhonnête, travestissant nos travaux, voté par 10 députés sur qui n’ont pas ou peu lu sur 11 votants.

Hélas, ce rapport cherche à camoufler grossièrement un procès politique contre le Rassemblement National ; une manipulation visant à minorer la responsabilité de l’UMP, du PS et des soutiens d’Emmanuel Macron dans l’aggravation de notre dépendance envers la Russie ; un faux visant à écarter les ingérences de personnalités macronistes ou de l’ancienne famille politique de la Rapporteure ; une tentative pour écarter les ingérences des États-Unis en France, différentes mais pas moins graves que celles opérées par la Russie et la Chine.

Enfin, je remercie les députés intègres qui n’ont pas voulu participer au vote final validant ce sabotage révoltant pour tout républicain sincère.

 

Analyse et critique du procès politique fait par la Macronie au Rassemblement National

Avant de développer notre vision des travaux réels de la Commission d’enquête, voici une réflexion technique et factuelle à propos du sabotage de la Commission d’Enquête Parlementaire du Rassemblement National par les députés macronistes et NUPES, incapables de supporter que les 88 députés marinistes élus par les Français fassent leur travail décemment dans le respect de nos institutions et valeurs républicaines.

A) Qu’est-ce qu’une Commission d’enquête parlementaire et pourquoi prétend-on que le Rassemblement National en serait à l’origine ?

Selon les explications de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de 30 membres représentatifs du parti peut être instituée pendant six mois. Elle traite d’un sujet sur lequel les députés considèrent nécessaire de mener une enquête à travers des auditions obligatoires et réalisées sous serment. La commission peut aussi mener des investigations sur des faits ne donnant pas lieu, dans certaines limites, à des poursuites judiciaires.

Le Président d’une Commission d’enquête veille avant tout à la bonne tenue des débats et à l’organisation des travaux. Le rapporteur rend un document écrit, soumis à un vote. Il exerce aussi un contrôle sur pièces et sur place dans n’importe quelle administration. Il est habilité à se faire communiquer tout document de service à l’exception de ceux concernant la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité de l’État.

En théorie, toutes les auditions et la façon dont sont menés les travaux sont gérées de manière collégiale par tous les membres de la Commission. En cas de dissensus, il y a vote. Dans la pratique, le Président et le Rapporteur peuvent convoquer les personnes qui leur semblent pertinentes, sans vote. Notons que pour cette Commission, le Président n’a jamais pu inviter qui il voulait sans la menace d’un vote contraire des Macronistes, majoritaires de fait.

Pour la 1ère fois de son histoire, le Rassemblement National dispose d’un groupe à l’Assemblée Nationale lui permettant de proposer un thème de Commission d’enquête parlementaire.

Compte tenu du rôle toujours plus toxique et dangereux que jouaient les soupçons ou les réalités d’ingérences étrangères sur notre pays et nos alliés depuis des années, le Rassemblement National a déposé le lundi 26 septembre la résolution suivante : « Demande de Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français. »

Le but de notre proposition visait à « établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ».

La commission devait également travailler sur les « réponses à apporter pour éliminer les ingérences qu’elle aurait identifiées, écarter et punir les responsables mais aussi rénover nos institutions pour qu’elles soient capables de prévenir et d’empêcher de telles dérives ».

Deux options s’ouvrent alors aux parlementaires des autres groupes :

– Soit voter en séance l’installation d’une Commission. Celle-ci n’aurait alors été ni présidée ni rapportée par un député Rassemblement National.

– Soit laisser le groupe Rassemblement National utiliser son droit annuel à décider d’une Commission d’enquête, option appelée « droit de tirage ».

Si la Commission est créée, elle procède à ses travaux pendant six mois, à l’issue desquels le rapporteur rend un document dont le contenu et la parution sont soumis au vote. Le rapport est ensuite soumis au secret jusqu’à sa publication officielle, environ une semaine plus tard. Nul commissaire, pas même le président ou le rapporteur, ne peut divulguer le contenu du rapport dans les médias.

Contrairement à ce qu’indique Constance Le Grip, le Rassemblement National n’a pas voulu exercer initialement son droit de tirage. Dans le texte de la résolution déposée le 26 septembre 2022, il est indiqué : « Compte tenu du sujet extrêmement sensible de cette commission, il est proposé que le bureau et les pouvoirs exercés par ses membres reflètent la représentativité de l’Assemblée Nationale. »

Autrement dit, du fait de la configuration de l’Assemblée, notre Commission d’enquête aurait pu être présidée et rapportée par tous les partis sauf le RN.

Même après l’exercice de son « droit de tirage », le Rassemblement National ne contrôle que 5 sièges sur 30. La majorité relative appartient largement aux macronistes, qui comptent 13 sièges. Ce sont eux qui ont arbitré les travaux, non le Rassemblement National avec son poste honorifique de Président.

B) Vademecum des 10 étapes du sabotage macroniste à destination de « celles et ceux » qui veulent manipuler un Rapport d’enquête parlementaire.

Étape 1 : Prétendre pendant des années vouloir faire une Commission d’enquête sur les ingérences étrangères en ciblant l’opposition…mais ne jamais le faire.

Étape 2 : Critiquer l’opposition quand celle-ci propose puis dépose réellement une proposition de commission d’enquête sur les ingérences étrangères.

Étape 2 bis : Parasiter la proposition de l’opposition en écrivant à la Présidence de l’Assemblée Nationale pour demander une Commission d’enquête tout en ne déposant en réalité aucune résolution.

Étape 3 : Refuser de voter à la majorité la Commission d’enquête proposée par l’opposition pour la contraindre à utiliser son « droit de tirage ».

Étape 4 : Diffamer l’opposition pour mettre en place la Commission d’enquête que l’on réclame soi-même depuis huit ans.

Option bonus : Railler l’opposition si elle choisit la présidence mais être prêt aussi à moquer le rapport RN s’il choisit cette autre option.

Étape 5 : Détenir la majorité des sièges à la Commission d’Enquête, tout en faisant croire aux Français que c’est l’opposition qui contrôle tout.

Étape 6 : Refuser toutes les auditions qui gênent M. Macron et l’ancienne famille politique de Constance Le Grip : Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marie Le Guen, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin, Gérard Araud… Ou retarder au maximum celle de François Fillon ou de José Bové.

Refuser d’interroger les experts pouvant ouvrir les dossiers liés aux pays du Golfe afin d’éviter en plein QatarGate et MarocGate de traiter de ces sujets.

Refuser d’entendre, entre autres, le Syndicat des journalistes de Marianne, qui avait révélé l’ingérence étrangère de leur actionnaire en faveur de M. Macron.

Liste non exhaustive.

Étape 7 : Écrire un rapport bidon dont les principales citations et justifications viennent des déclarations des amis politiques comme Nathalie Loiseau ou Raphaël Glucksmann.

Étape 8 : Faire voter ce rapport bidon de 210 pages par 10 commissaires qui osent valider le contenu d’un document que quatre d’entre eux n’ont pas lu, quatre autres l’ont lu 30 minutes seulement, et les deux derniers moins de 2 heures.

Étape 9 : Faire en sorte que le rapport bidon, tenu au secret et dont l’opposition n’a aucune copie, fuite dans une certaine presse, par exemple Mediapart.

Étape 10 : Donner des entretiens révélant le contenu mensonger ciblant l’opposition pendant que cette dernière n’a ni les moyens ni le droit de réagir.

Avant son vote, un rapport de commission d’enquête parlementaire ne peut être consulté que dans une salle fermée.

Voilà le temps consacré par les députés ayant voté le rapport bidon de 210 pages de Constance Le Grip. L’ont-ils lu avant de voter pour son adoption ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Anna Pic, M. Thomas Rudigoz et Mme Stéphanie Kochert n’ont pas consulté le rapport.

M. Charles Sitzenstuhl, Mme Clara Chassaniol et M. Stéphane Vojetta lui ont consacré 30 minutes, M. Julien Bayou 40 minutes, Mme Mireille Clapot 1h20 et M. Laurent Esquenet-Goxes 1h30.

À l’inverse, M. Tanguy a consulté le rapport 7h30, Mme Colombier 4h00, MM Pfeffer et Ménagé 2h00. M. Ramos n’a pas renseigné son heure de départ.

C) Pourquoi la Macronie est-elle prise en flagrant délit d’hypocrisie sur l’opportunité d’une Commission d’enquête sur les ingérences étrangères ?

 

En novembre 2017, alors que Jean-Luc Mélenchon fait office, pour quelques semaines encore d’opposant sérieux à la Macronie, le voilà qui subit l’acmé d’une campagne de dénigrement cherchant à le présenter comme un crypto-dictateur latino-américain qui avait commencé pendant la présidentielle de 2017, alors qu’il était en mesure d’arriver au second tour, qualifié par exemple dans le Figaro du 11 avril « d’apôtre des dictateurs révolutionnaires ». Fermez le ban.

 

Dans l’émission politique du 30 novembre 2017 consacrée à sa personne et son programme, une séquence entière sera consacrée aux relations réelles ou fantasmées de Jean-Luc Mélenchon avec le régime vénézuélien, un sujet de premier plan pour nos concitoyens. À cette occasion, Jean-Luc Mélenchon inventera la « boîte à meuh Venezuelaaaaaa » pour mettre les rieurs de son côté, et prendre un peu de recul.

La popularité de Jean-Luc Mélenchon passera et avec, les campagnes d’indignation publique sur le Venezuela, qui depuis est redevenu fréquentable malgré le maintien au pouvoir de M. Maduro.

Tout le monde n’a pas le droit à ce traitement particulier en politique internationale. Ainsi, Emmanuel Macron n’a jamais été particulièrement interrogé ni en 2017 ni en 2022 sur son soutien, par exemple, au régime saoudien, une théocratie tyrannique où les opposants sont décapités au sabre mais aussi parfois, crucifiés. Il ne sera pas plus interrogé sur la guerre meurtrière que ce même régime saoudien mène au Yémen et qui, selon l’ONU, avait fait en 2021 plus de 377 000 morts en sept années.

Ce moment est naturellement un vague souvenir pour les Français et les commentateurs mais qui rappelle au citoyen vigilant que les mêmes causes entrainent par un curieux hasard les mêmes effets.

Les ingérences étrangères contre notre démocratie sont un sujet grave et sérieux. Pourtant, elles sont essentiellement abordées dans le débat public qu’à travers des campagnes de dénigrement politique des oppositions, s’apparentant à une forme de « rhétorique politique » de campagne comme en témoigne cet échange sous serment lors de l’audition du directeur de la DGSI, Nicolas Lerner.

« M. le président Jean-Philippe Tanguy. Depuis de nombreuses années, du moins depuis que je m’intéresse à la politique, plusieurs partis ou personnalités politiques ont été accusés d’être la voix ou des agents de puissances ou de services étrangers. On a ainsi accusé le Parti de gauche de M. Mélenchon d’être un agent du Venezuela ou de Cuba, des personnalités de formations centrales de faire le jeu des États-Unis – je me souviens d’avoir vu M. Pierre Lellouche accusé à la télévision, devant la France entière, d’être un agent de la CIA –, et Mme Le Pen et les membres du Rassemblement national, dont votre serviteur, ont été accusés par M. Bruno Le Maire, en commission des finances, d’être la voix de la Russie. Parfois, les forces centrales sont accusées d’être la voix de la finance internationale ou des banques et l’on voit régulièrement sur les réseaux sociaux, en lien avec les Gilets jaunes, des accusations à l’encontre des Young Leaders.

Ces accusations peuvent relever de la polémique électorale ou être le fait de personnes qui racontent n’importe quoi sur les réseaux sociaux mais, au-delà des cas anecdotiques, une pratique politique se dessine, et cela dans tous les partis – la question ne fait même pas polémique, car tous les partis peuvent accuser les autres d’être sous influence étrangère. Or cette pratique peut avoir une influence dans le débat politique.

J’en reviens donc à une question qui justifie que nous siégions à huis clos : ces accusations se fondent-elles sur une part de réalité ou n’y a-t-il, par exemple, pas de lien particulier entre des personnalités de gauche et des régimes de gauche ? M. Mélenchon a par exemple été accusé un jour, dans l’émission télévisée à grande audience de M. Frédéric Taddeï, de ne pas défendre le dalaï-lama parce qu’il était sous influence chinoise. Les forces ou les amis de M. Mélenchon sont-ils liés de près ou de loin à une influence postsoviétique ou bolivarienne ? Les membres du Rassemblement national ou de la droite souverainiste, régulièrement accusés d’être la voix de la Russie, le sont-ils vraiment ? Qu’en est-il des forces politiques accusées de représenter les Américains, les Anglais ou les Allemands ? Ces accusations ont-elles un fondement ? Surveillez-vous ces phénomènes, ou s’agit-il de polémiques électorales qui n’ont pas lieu d’inquiéter les Français ni notre commission ?

M. Nicolas Lerner. Je vous répondrai en quatre temps. Tout d’abord, il s’est produit dans le passé certaines affaires de notoriété publique, pour lesquelles je vous renvoie à l’excellent livre de trois anciens cadres de la DGSI ou de la DST, MM. Clair, Nart et Guérin, La DST sur le front de la guerre froide, sorti voilà quelques semaines, qui revient sur la conviction qu’avait à l’époque la DST que plusieurs ministres, anciens ministres ou parlementaires de renom étaient des agents de services étrangers. Quand nous parlons d’agents, cela signifie que ces personnes faisaient l’objet d’un traitement clandestin, c’est-à-dire qu’ils entretenaient avec des acteurs étrangers des relations occultes dont le ressort pouvait être soit financier, soit idéologique, par adhésion à un modèle. Plusieurs responsables politiques de premier plan ont donc ainsi entretenu, dans le passé, des relations clandestines avec des agents de renseignement. Il faut toutefois apporter une nuance, car la personne approchée peut être convaincue de parler avec un chef d’entreprise ou un diplomate – c’est la raison pour laquelle nous pratiquons la sensibilisation dès que nous détectons de tels cas –, mais elle peut aussi avoir pleinement conscience de parler à un agent de renseignement. Notre travail consiste donc à nous assurer que la personnalité concernée est au moins consciente de la qualité de la personne à qui elle parle, afin qu’elle ne puisse persévérer qu’en connaissance de cause.

Ensuite, il faut distinguer, dans les exemples que vous citez, ce qui relève de la rhétorique politique et ce qui relève d’une réalité relevant d’un travail de renseignement. C’est un argument du débat politique que de désigner l’adversaire comme la voix d’un pays étranger pour décrédibiliser ses arguments ou sa capacité à diriger un pays indépendant. J’ai donc la certitude qu’une partie de ces éléments, sinon la totalité, relève de la rhétorique politique. »

À ce titre, l’utilisation de la « menace » d’une Commission d’enquête parlementaire sur ce sujet par les majorités au pouvoir depuis 2012 est une arlésienne.

 

Ainsi, le 10 avril 2015, la majorité de François Hollande avait déjà crié au loup sur le pseudo-scandale du « prêt russe ». Ils demandaient une Commission d’enquête parlementaire qu’ils pouvaient d’autant plus obtenir qu’ils étaient majoritaires à l’Assemblée Nationale et qu’il n’y avait que… deux députés FN en face d’eux.

Évidemment, cette proposition est restée dans les poubelles de la Hollandie, rejoignant, il faut bien le reconnaitre, une part non négligeable de ses promesses faites aux Français. « Pas de bol ».

Malgré sa résurgence régulière dans le débat public, en particulier et par hasard au moment des élections, la menace des ingérences étrangères ne semble pas assez importante pour qu’elle fasse l’objet d’une Commission d’Enquête parlementaire pendant le 1er mandat d’Emmanuel Macron.

Par exemple, l’accord trouvé en 2020 entre le Rassemblement national et l’entreprise Aviazaptchast après la faillite de la banque FCRB, accord validé par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements politiques n’a pas soulevé d’émotion particulière à l’Assemblée nationale.

La question est toute autre après l’arrivée d’un groupe de 88 députés Rassemblement National. Aussi, la rapporteure Constance Le Grip produit dès l’introduction de son rapport une série de contre-vérités sur les faits politiques et le contexte de « vive polémique » qui ont provoqué la convocation d’une Commission d’enquête parlementaire de la part du Rassemblement National.

Or c’est bien Renaissance qui, par la voix de Stéphane Séjourné, député européen et dirigeant du parti présidentiel, sur France 5, le 22 septembre 2022, demande une commission d’enquête indépendante après avoir énoncé, pêlemêle et sans lien logique un nécessaire « travail à faire sur les ingérences », les révélations du Monde du 13 septembre 2022 sur la déclassification de notes américaines indiquant que 300 millions d’euros auraient été versés par la Russie en Europe pour influencer les élections et qu’il s’agissait d’une question « dont il fallait se saisir assez rapidement ».

La déclaration de M. Séjourné n’est pas due au hasard, il fait alors une capsule vidéo de ses déclarations sur le réseau social Twitter et met volontairement en copie Jordan Bardella, espérant sans doute ouvrir une polémique avec le président du Rassemblement National.

Le lendemain matin, le 23 septembre 2022 à 9H31, M. Séjourné fait un nouveau tweet en reprenant une intervention matinale de Jordan Bardella avec le commentaire suivant : « Soutenir l’agresseur puis exploiter politiquement les conséquences de la guerre sur notre sol. Quel pacte tacite ou quel accord financier pourrait conduire à de telles déclarations ? Une enquête indépendante doit être menée sur l’ingérence russe dans les partis européens. »

Aussi, contrairement à ce qu’indique la rapporteure dans son introduction, le RN ne « vise » pas Stéphane Séjourné, mais répond à sa demande et ses provocations.

Aussi, le jour même, deux initiatives sont prises, une par le RN, l’autre par Renaissance :

– À 13H20, le Rassemblement National envoie un communiqué de presse rendu public par des tweets de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Ce communiqué est toujours en ligne et consultable. La résolution parlementaire proposant une Commission d’enquête transpartisane sur les ingérences étrangères, annoncée pour le lundi suivant, est bien déposée à date. Elle est naturellement toujours en ligne.

– Une dépêche de l’AFP informe par ailleurs que huit députés Renaissance auraient déposé une lettre à l’attention de la Présidente de l’Assemblée National Yaël Braun-Pivet pour lui demander également une Commission d’enquête parlementaire sur les ingérences, en particulier le financement russe des partis politiques.

À ce jour, ni le communiqué de ces députés, ni la lettre ne sont en ressources publiques, sauf erreur. Les documents ont été demandés à Thomas Rudigoz, signataire de la fameuse lettre, lors de la dernière réunion de la commission d’enquête le jeudi 1er juin 2023. Notre demande est restée sans réponse. Cette lettre n’aura en réalité eu aucune suite.

Comme l’indique Mme la Rapporteure, le RN avait aussi été mis en cause le 19 septembre sur LCI par l’ancien ambassadeur Jean-Michel Ripert, avec des propos affirmatifs dont il dira finalement sous serment, lors de son audition par notre Commission d’enquête, qu’ils n’étaient qu’en fait qu’un « sentiment personnel ».

L’attitude de M. Ripert était si scandaleuse que le président de la Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale a fait savoir qu’il lui adresserait un courrier, resté sans suite malheureusement. À ce titre, l’échange entre le secrétaire de la Commission RN, Kevin Pfeffer et M. Ripert est édifiant car « ses sentiments personnels » n’étaient visiblement pas assez puissants pour justifier un signalement au Procureur mais assez pour être partagé avec des milliers de téléspectateurs.

« M. Kévin Pfeffer (RN). Je vous remercie d’avoir clarifié les propos que vous avez tenus sur LCI et indiqué que vous vous exprimiez en tant que citoyen, uniquement sur des impressions et sans preuve. Ce soir-là, vous aviez simplement dit : « Je prends mes responsabilités, je suis à la retraite », ce qui laissait planer le doute que vous puissiez éventuellement détenir des informations obtenues dans le cadre de vos fonctions. Au sujet du prêt accordé, notre audition du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a mis en avant le fait que le prêt accordé par une banque russe au Front national a été fait dans des conditions bien plus défavorables qu’auraient été celles de n’importe quel prêt obtenu par le parti une banque française. Je rappelle que la question ne se pose plus puisque ces prêts sont désormais interdits par la loi. Visiez-vous ce prêt en disant « et ne repartaient pas les mains vides » ? Ce n’est pas tout à fait la même chose de parler d’un prêt autorisé, légal et validé par les autorités de contrôle françaises et de financements illégaux, avec valises d’espèces ou autres, comme certains auraient pu le comprendre en écoutant vos propos. Le président Tanguy a souligné à juste titre que vos déclarations avaient suscité un certain émoi, au point que le président de la commission des affaires étrangères, M. Jean-Louis Bourlanges, a indiqué qu’il vous adresserait un courrier de demandes d’explications. Avez-vous reçu ce courrier et y avez-vous répondu ?

M. Jean-Maurice Ripert. Si j’avais eu la preuve de quoi que ce soit, j’aurais fait un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Fonctionnaire pendant quarante ans, je n’ai jamais été condamné ni même traîné devant une commission disciplinaire. Le respect des lois est la beauté de mon métier. Je n’ai jamais prétendu avoir des preuves, et j’ai d’ailleurs dit dans une autre interview ou dans la même un peu plus tard « bien entendu, je n’ai pas vu de chèque ». On peut découper ce que j’ai dit et faire mon procès si c’est ce que vous voulez, mais je crois que là n’est pas le sujet. J’ai déjà répondu : j’avais une impression, je l’ai mentionnée. Et quand j’ai dit « je prends mes responsabilités », cela signifiait, encore une fois, je suis un citoyen, je suis un diplomate à la retraite, je dis ce que j’ai à dire.

Le prêt a-t-il été fait dans des conditions favorables ou défavorables, je n’en ai aucune idée. Était-il constitutif de quelque chose, je n’en sais rien, mais je vous demande à nouveau de vous reporter aux déclarations de M. Schaffhauser, qui a reconnu avoir touché de l’argent sous forme de commissions – entre 140 000 et 400 000 euros selon les estimations – pour négocier le fameux prêt auprès du Kremlin. Une enquête du parquet est en cours à ce sujet. Je ne fais là que répéter des propos qui ont été tenus publiquement.

La lettre de M. Bourlanges m’est arrivée avec un certain retard. Je connais bien M. Bourlanges, que j’ai souvent reçu lorsque j’étais ambassadeur ; c’est un homme courtois avec qui je me suis toujours très bien entendu dans mes fonctions. Le courrier que j’ai reçu de lui ne me demandait rien. Je pense que vous en connaissez tous la teneur : il me reprochait un certain nombre de choses, me rappelait l’article 40 – je ne me sentais pas particulièrement concerné – et m’expliquait que mes propos allaient faire l’objet de suites judiciaires. Je ne vois pas très bien ce que je pouvais répondre. J’ai appris ensuite, assez rapidement, la création de cette commission et je n’ai pas douté un instant que vous feriez appel à mes services ; j’ai donc décidé que je répondrai à la commission d’enquête comme la loi m’en fait obligation et comme j’étais tout à fait désireux de le faire. Je vous assure qu’à aucun moment M. Bourlanges ne me suggère de lui répondre. »

Les déclarations de M. Ripert renvoient à une autre problématique évidemment liée aux accusations d’ingérences étrangères contre l’opposition. Si les plus hauts responsables de l’État, dirigeants politiques et fonctionnaires, sont au courant de faits de corruption, de trafics d’influence et de recel, de haute trahison ou de tout autre crime, pourquoi n’ont-ils jamais saisi le procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, qui les oblige à signaler tout fait délictueux ou criminels ? La réponse est dans la question.

Comme l’a indiqué Mme Alice Ruffo, que notre Commission d’enquête a auditionnée et qui a été conseillère à l’Élysée de François Hollande puis d’Emmanuel Macron, elle n’a eu connaissance d’aucune information ou même soupçon crédible sur une quelconque ingérence étrangère envers des personnalités politiques. Si cela avait été le cas, elle aurait dû saisir la justice.

 

« M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous avez exercé des responsabilités importantes à l’Élysée pendant dix ans. À cette occasion, avez-vous eu connaissance d’informations précises sur des cas d’influence ou d’ingérence de pays étrangers visant des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ?

 

Mme Alice Rufo. Je suis devant votre commission en tant que directrice générale des relations internationales et de la stratégie. Il ne m’appartient pas de me prononcer au titre des fonctions que j’ai exercées à l’Élysée. Quand on est diplomate ou aux postes que j’ai occupés ou que j’occupe aujourd’hui, on est très souvent conduit à caractériser les stratégies de nos compétiteurs afin de protéger notre pays des tentatives d’influence et d’ingérence étrangères. Lorsque nous voyons que notre propre droit est utilisé pour empêcher nos chercheurs de faire leur travail – je pense — 16 — notamment aux poursuites en diffamation intentées par RT France –, nous devons nous interroger sur la stratégie à mener. Ensuite, en tant que fonctionnaire, je suis soumise à certaines obligations si quelque chose d’illégal vient à ma connaissance. Cela n’a pas été le cas. »

Aussi, les « arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat de l’entre-deux tours » dont fait état en introduction Mme la rapporteure sont, par nature, inquiétants et sont en réalité des attaques gratuites.

En tant que Président de la République, Emmanuel Macron aurait eu connaissance de la part des services de renseignement du moindre soupçon crédible d’ingérence concernant Mme Le Pen. Il aurait dû, comme garant de la Constitution, ainsi que l’ensemble des élus et hauts fonctionnaires travaillant avec lui, faire état de ces soupçons à la justice s’ils avaient existé. De fait, ils n’ont jamais existé.

Pris en flagrant d’hypocrisie et même de mauvaise foi, la « courroie de transmission », pour reprendre ses termes, que semble être Mme Le Grip envers l’Élysée a beau jeu de reprocher au Rassemblement National de « purger » la question du prêt russe accordé au FN en 2014 et de « laver son honneur ». Quel patriote ou même personne décente accepterait d’être diffamé sans réagir ?

Ces évidences ont été rappelées par Marine Le Pen lors de son audition sous serment : « Ces accusations {lancées par Emmanuel Macron}, qui sont peut-être les plus graves pour une patriote, ont de surcroît été proférées par quelqu’un qui, à mes yeux, n’avait pas la possibilité de le faire du point de vue éthique : le Président de la République. J’ai la faiblesse de penser, je vous le dis très clairement, qu’un candidat à l’élection présidentielle doit toujours éviter de tomber dans la diffamation et la calomnie de ses adversaires politiques, surtout s’il est déjà Président de la République. Or, s’il y a une personne qui était parfaitement au courant que je n’étais soumise à aucune influence, c’est bien le Président de la République, qui a en sa possession toutes les notes des services de renseignement français.

Ces accusations, qui n’ont été véritablement lancées, de manière forte, qu’en 2022, sont – c’est très clair aujourd’hui – opportunistes et électoralistes. Elles ne sont corroborées par aucun début de commencement d’élément factuel. Elles ont été portées par le Président de la République et ses troupes, ce que je trouve très grave.

Elles ont deux buts à mes yeux : discréditer son opposition, ses adversaires politiques – je n’ai pas été la seule à être victime de ces soupçons, M. Mélenchon en a eu sa part – et faire oublier que tous les mouvements politiques, des Républicains à La France insoumise en passant par celui d’Emmanuel Macron, développaient à l’égard de la Russie exactement la même vision politique que la mienne, à cette différence près que je n’ai, moi, aucune responsabilité dans l’aggravation de la dépendance économique et énergétique de nos pays à l’égard de la Russie. D’autres ont sûrement des choses à se reprocher dans ce domaine : Engie a participé à la construction de Nord Stream, dont le premier tronçon a été inauguré par M. Medvedev, Mme Merkel et M. Fillon les uns à côté des autres. »

Enfin, dans son introduction, la rapporteure Renaissance reprend le communiqué de presse du RN pour accuser ses dirigeants d’avoir voulu amplifier « un bruit de fond » comme le ferait la NUPES à l’encontre de la majorité présidentielle, afin de faire diversion de l’ingérence russe.

Hélas, c’est faux. Constance Le Grip coupe la phrase qu’elle prétend citer sans l’indiquer puisque la phrase complète est : « En plus d’établir enfin la vérité sur l’influence réelle de la Russie sur la politique française cette enquête pourrait être… » et suit en effet une série d’autres interrogations sur les différentes formes d’ingérences. La question n’est donc pas de savoir si le RN veut minimiser les ingérences russes mais pourquoi Renaissance a tant de mal à envisager les autres formes d’emprise d’intérêts étrangers sur notre pays.

L’autre question, au terme de cette démonstration, est de savoir pourquoi malgré tous les effets d’annonce, la macronie n’a jamais mis en place de Commission d’enquête sur les ingérences étrangères, y compris en centrant les travaux sur la Russie ?

D) Comment les Macronistes ont voulu couler la Commission d’enquête pour valoriser leurs propres travaux et éviter toute « publicité » des auditions.

Dans son rapport, Constance Le Grip tente de reprendre à son compte les obstacles que sa famille politique a tenté de nous imposer en Commission des lois pour rendre irrecevable notre résolution, au motif que le sujet choisi serait soi-disant trop vaste et qui serait du ressort du pouvoir judiciaire : « De fait, l’amplitude excessive du champ défini par l’intitulé de la résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d’enquête, constamment confrontée aux risques de l’éparpillement et du filet dérivant. »

Or, jamais Constance Le Grip ni d’ailleurs, aucun membre de la minorité présidentielle, n’a soulevé ces pseudos difficultés pendant nos travaux. De fait, la Commission puis le Bureau (dont les relevés de conclusions sont portés en annexe) ont défini, de manière consensuelle et collégiale, une méthode de travail que j’ai proposée à Constance Le Grip dès notre 1er rendez-vous informel à la buvette de l’Assemblée Nationale.

Cette méthode consistait d’abord à recevoir des experts incontestables capables de nous aider à définir le sujet puis l’ensemble des acteurs institutionnels chargés d’assurer le contrôle de nos élections nationales, des comptes des partis politiques et des campagnes, la prévention des ingérences et la protection de notre pays. Ces auditions nous permettraient alors de prioriser les zones géographiques et les modes d’ingérence sur lesquels concentrer nos travaux.

Dans un 3ème temps nous devions auditionner des journalistes experts, des ONG ou des personnalités ayant publiquement fait état d’ingérence, comme José Bové.

Enfin, ces travaux devaient nous permettre d’identifier les faisceaux d’indice nous conduisant à certaines auditions politiques, refusant la politique spectacle.

Non seulement cette méthode a été suivie sans aucune contestation, mais elle a été saluée par le Bureau. Ainsi le 10 février, le relevé de conclusions validé par Mme la rapporteure établit que « les inquiétudes formulées par le rapporteur de la Commission des lois quant au périmètre de la Commission d’enquête n’ont pas été corroborées. Les auditions ont mis en exergue le caractère hybride et protéiforme des politiques d’ingérence en France ».

Au terme des travaux, Mme la rapporteure « souligne que la commission d’enquête a apporté tout au long de ses travaux la preuve de sa capacité à mener des auditions avec sérieux et responsabilité »[1]

Un tel revirement entre les travaux de la Commission et le rapport final de Mme la Rapporteure est injustifié et injustifiable.

Mieux encore, aucun des experts ou des institutionnels que nous avons auditionnés n’a contesté la pertinence de notre commission ni l’amplitude choisie… Deux exemples d’autorité :

Le Procureur auprès du Parquet National Financier a indiqué que « Notre Commission d’Enquête a retenu à juste titre un périmètre large, puisque le champ de vos investigations recouvre non seulement les interventions réalisées par des États, des organisations étatiques mais aussi des entreprises. »

Le directeur de la DGSI souligne que « notre démarche va dans le bon sens. »

Même une citation ayant bien moins d’autorité dédit cette mauvaise foi… Ainsi Mme Nathalie Loiseau affirmant « Je me réjouis que l’AN se penche sur ce sujet si important des ingérences étrangères. D’après le titre de votre Commission, vous avez choisi d’aborder la question sous l’angle de la corruption des élites et vous raison. »

De la même manière, la Rapporteure prétend discréditer le pouvoir de notre commission en indiquant que le secret de l’enquête, de l’instruction et du secret défense nous auraient été opposés à de nombreuses reprises.

Ce n’est pas exact, ces oppositions ont été marginales et de fait, Constance Le Grip ne les quantifie pas. La Rapporteure prétend que des enquêtes judiciaires en cours nous ont empêchés « d’entrer dans le détail. » D’une part ce n’est pas la mission de la Commission d’enquête d’entrer dans le détail d’affaires judiciaires mais surtout, aucune enquête ne concerne à ce jour un fait d’ingérence sur des responsables politiques ou des dirigeants de premier plan, ce qui en dit long sur la pertinence de ces accusations.

Par ailleurs, la résolution du RN prévoyait évidemment la séparation des pouvoirs contrairement à ce qu’omet d’indiquer la rapporteure « Au cours des différents travaux, la Commission pourra être amenée à connaitre de graves manquements, délits voire crimes qui devront immédiatement être confiés à la Justice ».

À ce titre, je me réserve la possibilité de faire plusieurs signalements à Madame la Procureure de Paris.

L’hypocrisie macroniste sur la trop grande étendue de notre Commission ou ses limites institutionnelles est à son summum quand on sait que Renaissance en général et Constance Le Grip en particulier soutiennent les Commissions spéciales du Parlement européen INGE 1 et 2 qui couvrent les sujets suivants : ingérences concernant les élections et nos démocraties, le numérique, les réseaux sociaux et la cybercriminalité, le financement des partis politiques, l’information des citoyens, le contrôle des technologies, les approvisionnements économiques et des infrastructures…

Il s’agit donc des mêmes domaines d’investigation que la Commission proposée par le RN !

Pourtant, une Commission Spéciale du Parlement européen dispose de moins de moyens qu’une Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale. Le Parlement européen ne peut contraindre aucune personne à venir à une audition et les propos ne sont pas sous serment ; le rapporteur ne peut faire de contrôle sur place et sur pièce dans les administrations nationales.

Si Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission des Affaires européennes et rapporteur de la Commission des lois estimait « irrecevable » la résolution du RN car elle couvrait trop de sujets avec trop peu de pouvoirs, pourquoi le même Pieyre-Alexandre Anglade a-t-il reçu en grande pompe Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen INGE 1, pour « une table ronde sur les ingérences étrangères, et plus particulièrement russes, dans les processus démocratiques de l’Union européenne » ?

En réalité, on peut s’interroger sur la volonté de Renaissance de concentrer les travaux du Parlement français sur les ingérences au sein de la Délégation Parlementaire pour le Renseignement (DPR), ce que nous avons appris ensuite par la rapporteure Constance Le Grip, membre également de la DPR.

Ainsi, depuis le 28 juillet 2022, le président de la DPR, Sacha Houlié, qui est aussi président de la Commission des lois qui estimait « irrecevable » notre résolution sur les ingérences, a décidé de faire le rapport annuel de la DPR sur les ingérences !

Certes, la DPR est habilitée au secret défense, contrairement à notre Commission d’enquête, mais n’a pas les autres pouvoirs dont nous disposons. Pire, les travaux de la DPR ne sont pas publics et Sacha Houlié décidera seul de ce qu’il veut révéler ou non.

En effet, la publicité des auditions les plus sensibles a toujours posé problème aux macronistes. S’il est parfaitement normal de protéger nos services de renseignement et certaines institutions par des huis clos, les Français doivent être tenus informés au maximum des débats par des comptes rendus autonomes du rapport final, surtout quand il est mensonger.

Or, dans le relevé officiel des conclusions du Bureau du 4 avril 2023, il est indiqué : « Mme la Rapporteure regrette que les comptes rendus des auditions à huis clos soient immédiatement et intégralement publiés après avoir été validés par les personnes auditionnées. Le Bureau décide que les comptes rendus des auditions à huis clos seront, à l’avenir, mis en ligne après autorisation du président et de la rapporteure. » La seule audition à huis clos après le 4 avril fut le lobbyiste Jean-Pierre Duthion.

Autrement dit, si j’avais demandé en tant que Président, son avis à la rapporteure au début de nos travaux, les comptes rendus auraient été publiés après son visa, et possible modification, de Constance Le Grip.

Il aurait été bien plus facile pour Renaissance de raconter n’importe quoi dans son rapport sans que les comptes rendus du directeur de la Direction Générale des Services Intérieurs (DGSI), du directeur de Tracfin, du directeur de la Direction des Services de Renseignement Extérieur (DGSE), du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), du directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI), du chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), du chef de service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) ne soient publics.

 

E) Les Macronistes ont considérablement limité les travaux et auditions de la Commission d’enquête.

À titre liminaire, rappelons que je ne me suis opposé à aucune demande d’audition de personnalités liées ou de près ou de loin au Rassemblement National, auditions lors desquelles je me suis déporté volontairement en faveur de Laurent Esquennet-Goxes.

Nous avons reçu des experts qui assument frontalement leur opposition au RN, comme la professeure Cécile Vaissié. Lors d’un débat récent sur LCP, celle-ci a assuré avoir été parfaitement libre de s’exprimer.

-                Jean-Philippe Tanguy : « Je n’ai jamais tenté dans cette présidence, avec 5 mois de travail, de minimiser les ingérences russes. Quand on a reçu Mme Vaissié, je ne pense pas madame l’avoir fait, dites-moi ? »

-                Cécile Vaissié : « Tout à fait ».

-                J.P Tanguy : Avez-vous été mal reçue, vous a-t-on mal parlé ?

-                C. Vaissié : « Absolument pas ».

Laurent Foucher, dont l’audition a été demandée par le député LFI Saintoul, n’a pas été retrouvé par l’administration. En revanche, j’ai personnellement retrouvé le contact téléphonique de Jean-Luc Schauffhauser, que l’administration ne trouvait pas. J’ai appelé cet ancien député européen devant les administrateurs et Mme Le Grip dans la Salle Lamartine afin de nous assurer de sa présence.

La seule audition à laquelle nous n’avons pas donné suite est celle de la banque hongroise ayant assuré le prêt de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022 pour une raison simple : les responsables étrangers ne sont pas tenus au serment. Cette décision a été prise à l’unanimité du Bureau.

Hélas, on ne peut pas dire que la coopération ait été la même du côté macroniste.

Ainsi, les auditions de Jean-Pierre Raffarin et Jean-Marie Le Guen, tous deux liés à la Chine, ont été refusées, tout comme celle de Jean-Louis Borloo ou de Dominique de Villepin ainsi que Gérard Araud.

L’audition de la Société des Rédacteurs des journalistes du magazine Marianne, qui avait pourtant dénoncé une ingérence de son actionnaire étranger, Daniel Kretinsky, lors de l’entre-deux tours de la Présidentielle en faveur d’Emmanuel Macron et contre Marine Le Pen, n’a pas été jugée pertinente par la rapporteure alors qu’elle s’imposait d’elle-même.

De la même manière, on m’a refusé l’étude de certaines zones géographiques en particulier les pays du Golfe et le Qatar ce qui, en plein QatarGate du Parlement européen, ne manque pas de sel !

Mme la rapporteure prétend que c’est la Commission qui, de manière consensuelle, aurait concentré ses travaux sur la seule Russie et Chine. Ce n’est pas exact.

J’ai demandé dès le début de nos travaux à travailler sur les pays du Golfe et le Maghreb, en particulier le Maroc.

Ainsi, les auditions de MM. Chesnot et Malbrunot, journalistes spécialistes des ingérences des pays du Golfe, ont été systématiquement refusées jusqu’à la fin. Constance le Grip prétend dans son rapport que c’est « faute de temps » (page 56). C’est un mensonge.

Alors que j’ai demandé l’audition de M. Bové dès le 1er bureau, je ne l’ai obtenu que lors… de la dernière audition publique avant Marine Le Pen ! Il était dès lors impossible de travailler sur les ingérences marocaines malgré le témoignage très clair de M. Bové.

Les déclarations de François Fillon sur les consignes de vote que les autorités civiles de pays étrangers musulmans donneraient à leur diaspora en France étaient particulièrement inquiétantes. Pourtant, seul le RN a relancé le Premier Ministre sur ces questions qui n’ont donné lieu à aucune audition complémentaire.

Plus grave encore, Constance Le Grip justifie son choix de considérer que les ingérences américaines se trouvent « à la lisière de nos travaux » par les auditions de la Commission.

C’est encore un mensonge ! Le Procureur auprès du Parquet National Financier a réalisé l’essentiel de son exposé préliminaire sur les ingérences économiques américaines. François Fillon a certifié sous serment que les seules ingérences étrangères qu’il avait constatées à Matignon étaient américaines. Sous serment encore, Arnaud Montebourg a considéré que Frédéric Pierrucci, cadre dirigeant d’Alstom, avait été retenu de manière illégitime et illégale comme un quasi-otage pour faire pression sur la direction d’Alstom afin qu’ils cèdent cette entreprise stratégique à un concurrent américain. Enfin, Michel Sapin, ancien ministre, a indiqué qu’un responsable du Ministère américain de la Justice prétendait « faire le travail à sa place » en France contre la corruption puis, une fois les modifications législatives faites en France selon les critères américains, le même responsable lui aurait répondu « maintenant, tu fais le travail toi-même ».

À titre d’ultime exemple de manipulation de Constance Le Grip, les écoutes illégales des plus hauts dirigeants français par les services de renseignement américain, la NSA, certifiées par François Fillon, ont tout simplement disparu du rapport !

Ainsi, il est faux et scandaleux que le Rapport adopté par 11 commissaires prétende que l’ingérence américaine ait été limitée par les auditions et nos travaux à la seule question du « lawfare ». Le choix de la rapporteure de fausser, de minimiser et de tronquer nos travaux sur les États-Unis est parfaitement intolérable et doit être dénoncé comme tel.

Si les ingérences d’une puissance alliée et démocratique sont par nature différentes d’une ingérence d’une tyrannie hostile comme la Russie ou la Chine, elles n’en sont pas moins graves puisqu’elles visent à fausser le jugement de nos concitoyens, influencer nos lois ou tirer profit de notre économie.

F) Un rapport aussi obsédé par le RN et Marine Le Pen qu’il est amnésique et laxiste avec les amis politiques de Constance Le Grip.

Alors que le rapport est censé s’intéresser à toutes les formes d’ingérences pour tous les acteurs politiques, institutionnels, médiatiques ou économiques, Constance le Grip parvient à consacrer au RN 25 pages au moins de son rapport, soit plus de 10 %, bien plus si on enlève les passages « techniques ».

Le nom de Marine Le Pen est cité 77 fois dans le rapport de Constance Le Grip, mais avec seulement 8 verbatims de son audition !

À titre de comparaison, François Fillon est cité 15 fois, M. Chevènement 5 fois, M. Raffarin, 2 fois, M. Le Guen 1 fois tout comme M. Sarkozy, 1 fois ([2]) ! Rappelons que Nicolas Sarkozy a une procédure judiciaire pour financement illégal de sa campagne avec des fonds libyens issus du régime de Kadhafi. Il est par ailleurs réputé et reconnu pour ses conférences payées plusieurs dizaines de milliers d’euros, dans les pays du Golfe mais aussi en Russie, par des proches du régime poutinien.

Quelle étrange coïncidence que Mme Le Grip parle si peu de son ancien mentor Nicolas Sarkozy pour lequel elle a longtemps travaillé et envers qui elle renouvelait par un tweet du 17 mai 2023 son « affection et sa fidélité ». Dont acte, pour reprendre une formule appréciée par la rapporteure en audition.

 

 

 

Tout le monde n’a visiblement pas le même traitement auprès de Mme Le Grip. Ainsi, rappelons les conditions exorbitantes du droit commun et de la pratique des auditions des Commissions d’enquête parlementaire. Alors que Mme Le Grip et la minorité présidentielle n’avaient jamais demandé à auditionner Marine Le Pen et que les auditions étaient officiellement closes le 4 mai, Constance Le Grip a demandé leur réouverture le mardi 9 mai, pour recevoir Marine Le Pen le 24 mai soit 24 heures seulement avant le rendu du rapport.

Comment Mme Le Grip a-t-elle pu sérieusement traiter et intégrer l’audition de la personne qu’elle cite le plus, une audition par ailleurs longue de 4 heures, dans un rapport de 210 pages, audition qui par définition n’avait pas encore de compte rendu validé ? C’est évidemment impossible.

Selon le rapport de Mme Le Grip, l’ensemble des personnalités soutenant le macronisme et soupçonnées de liens troubles sont toutes exonérées et regardées avec bienveillance quand tous les élus du Rassemblement National seraient coupables d’être tout ou partie d’un système « courroie de transmission » de la Russie en France.

Ainsi, les élus UMP, l’ancienne famille politique de Constance Le Grip, sont rarement désignés clairement. Pour exemple, Nicolas Dhuicq, cité une fois mais dont l’identité est cachée quand il parle, page 74, de « très riche lobby gay » soutenant Emmanuel Macron. Il est vrai qu’à cette époque, il soutient François Fillon avec Constance Le Grip.

Page 90, la rapporteure « oublie » de rappeler que la résolution du 28 avril 2016 adoptée par l’Assemblée Nationale contre les sanctions envers la Russie suite à l’invasion de la Crimée est déposée et soutenue par l’ensemble du groupe LR, des élus chevènementistes, socialistes et centristes. Pourquoi passer sous silence un tel évènement politique ? Sans doute parce qu’à l’époque, Constance Le Grip est elle-même à l’UMP.

De la même façon, les personnalités les plus outrageusement liées à la Russie dans le rapport de Mme Le Grip n’apparaissent jamais pour leurs liens d’origine avec l’UMP, comme l’ancien militaire Xavier Moreau, qui me qualifie régulièrement de « Fouquier-Tanguy » ou Charles d’Anjou, fondateur d’Omerta.

À ce titre, il est particulièrement étonnant que la rapporteure refuse de rappeler qu’en 2017, les autorités russes, représentées par M. Orlov en France, prennent position en faveur non pas de Marine Le Pen mais de François Fillon puis d’Emmanuel Macron.

Ainsi lors de son audition, Marine Le Pen rappelle les faits suivants :

 

« Un certain nombre de nos collègues pensent que j’étais la candidate préférée de la Russie, mais les propos de l’ambassadeur Orlov montrent bien que son pays soutenait un autre candidat. Cela ne me choque pas. De nombreux dirigeants ont déclaré qu’il fallait voter pour Emmanuel Macron, ce que je considère comme une ingérence. Je n’en tiens toutefois pas rigueur à M. Macron, car il n’en est pas responsable.

Je vous rappelle les propos de l’ancien ambassadeur russe, M. Orlov : leur préférence allait à François Fillon, pour qui ils avaient beaucoup d’admiration. Ils avaient par ailleurs une tolérance pour Emmanuel Macron et une indulgence pour ma candidature : je me considère donc en bas de l’échelle. Je ne pense pas qu’il s’agissait là de son avis personnel car il est assez rare qu’un ambassadeur parle en son nom propre – à l’exception peut-être de M. Ripert… »

Comment peut-on d’autorité écarter, en tant que rapporteure de la République, de telles informations ?

Page 37, quand la rapporteure fait la liste des personnalités européennes « achetées » par le régime russe, elle désigne Gerhardt Schröder nommément tandis que François Fillon est devenu un simple « ancien Premier Ministre français » et Maurice Leroy, un « ancien ministre français ». Ni leur nom, ni leur étiquette politique passée, ni leur soutien à Emmanuel Macron n’est mentionné.

Or, Constance Le Grip n’a pas plus de preuves de la culpabilité de ses adversaires politiques qu’elle n’en a de l’innocence de ses amis.

Les conclusions du rapport s’apparentent purement et simplement à un procès politique pitoyable qui exonère de toute responsabilité tous les macronistes auditionnés ou non par la Commission, soupçonnés d’ingérences étrangères :

– Pour Buon Tan, ancien député macroniste de Paris soupçonné d’être sous influence chinoise, la rapporteure prétend que : « sa participation à des rencontres directement connectées à Pékin est apparue un peu vague aux yeux de la commission d’enquête (sic) mais plus à mettre au registre du rôle d’intermédiaire qu’au registre économique ou idéologique. » Rien ne permet une telle conclusion ! La rapporteure consacre seulement une demi-page à son cas.

– Le recrutement par la société chinoise Huawei, dont le statut stratégique pour le régime chinois n’est plus à démontrer est expédié en un paragraphe de 7 lignes indiquant les noms de Jean-Marie Le Guen, ancien PS macroniste et Jean-Louis Borloo, ancien centriste macroniste, sans que jamais ces étiquettes politiques ne soient indiquées !

– Jean-Pierre Raffarin, ancien ministre UMP et soutien d’Emmanuel Macron (ce n’est évidemment toujours pas indiqué), est qualifié de « Français Panda » qui aurait reçu la plus haute distinction du régime pékinois pour avoir « œuvré aux bonnes relations entre la France et la Chine ». Pour Constance le Grip, M. Raffarin aurait simplement « oublié le régime politique imposé aux Chinois. »

– M. Maurice Leroy semble obtenir moins d’indulgence de la part de Constance Le Grip. Néanmoins, si la rapporteure rappelle le lien avec François Fillon de l’ancien Ministre de la Ville, elle oublie totalement de rappeler qu’il a soutenu Emmanuel Macron à deux reprises.

– Jean-Pierre Chevènement n’est pas identifié comme un soutien d’Emmanuel Macron. Il n’est pas non plus indiqué qu’il existe un accord législatif entre Renaissance et M. Chevènement qui a conduit à l’élection d’une députée chevènementiste dans l’hémicycle.

Selon Constance Le Grip, le fait que M. Chevènement ait reçu en 2017 la plus haute distinction russe pour un étranger n’est pas si grave car il a reconnu lors de son audition « que le contexte est totalement différent. »

Passer à la question puis à la pénitence publique, nous sommes plus proches de l’Inquisition que d’une commission d’enquête parlementaire. Mme Le Grip est-elle sûre que M. Chevènement n’est déjà pas relapse ?

G) Le rapport de Constance Le Grip efface totalement 20 ans d’aggravation de la dépendance économique de la France envers la Russie au profit d’une mystérieuse « courroie de transmission » du RN ne reposant sur rien.

À lire le rapport de Constance Le Grip, l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé à la tête de la France ont été dans une opposition frontale à Vladimir Poutine. Seul le Rassemblement National serait coupable non pas de compromission, puisque la rapporteure reconnait ne pas avoir le début de preuve, mais « d’alignement idéologique ».

Un tel parti pris, sinon un aveuglement, est en infraction totale avec nos auditions et la rigueur d’une commission d’enquête parlementaire.

Dans leur audition, Jean-Pierre Chevènement et François Fillon ont décrit par le menu l’intensification des relations économiques entre la France et la Russie ou plutôt, l’aggravation de la dépendance énergétique de la France vers la Russie, à l’image de toute l’Europe mais aussi pour des biens aussi vitaux que les isotopes permettant la médecine nucléaire.

Seul exemple parmi d’autres, Engie a été autorisé par l’État français, aussi bien sous Nicolas Sarkozy, que François Hollande puis Emmanuel Macron, à investir dans les deux gazoducs North Stream 1 et 2, ayant pour objectif de relier directement l’Allemagne à la Russie en contournant l’Ukraine et tous nos alliés d’Europe de l’Est.

M. Chevènement a été nommé représentant spécial de la France en Russie par François Hollande puis prolongé par Emmanuel Macron pendant dix ans. Il fait état d’un stock d’investissements français en Russie de plus de 18 milliards d’euros, y compris des contrats mirifiques pour Total, Renault, Auchan, la Société Générale. La France serait devenue le 1er ou 2ème employeur étranger en Russie.

Mme Le Grip accuse Mme Le Pen d’avoir voulu que la France honore sa signature de vente des navires Mistral à la Russie mais ces navires avaient été vendus par Nicolas Sarkozy pour lequel travaillait… Constance Le Grip ! Jamais Nicolas Sarkozy n’a soutenu avant ou après l’annulation de ces ventes.

La liste des compromissions des gouvernements successifs avec le régime russe est interminable. Les conséquences réelles de ces liens pour l’économie et la souveraineté française sont sans commune mesure avec les contacts souvent superficiels, parfois personnels, qui n’ont pas la moindre conséquence politique ou stratégique pour le destin de la France et de l’Europe.

Inversement, quelles sont donc les preuves de cette fameuse « courroie de transmission » dont parle tant la presse suite aux fuites organisées du rapport Le Grip ?

À partir de la page 95, afin de prouver la « singularité » du Rassemblement national avec la Russie, Constance Le Grip n’a d’autre citation que… Nathalie Loiseau, députée européenne macroniste, ennemie de Marine Le Pen.

C’est en effet Nathalie Loiseau, et non une experte ou une représentante d’institution indépendante qui qualifie le parti d’opposition de « canal privilégié. »

Page 96, la deuxième source de Mme Le Grip est… Raphaël Glucksmann, député européen proche des socialistes, atlantiste revendiqué (ce n’est pas une insulte pour l’auteur de ces lignes mais une conviction aussi respectable que d’autres) et donc un adversaire frontal du Rassemblement National.

La 3ème source de Mme Le Grip, Nicolas Tenzer, a appelé à de nombreuses reprises à voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Par ailleurs, il n’a pas apporté d’autre preuve que ses allégations personnelles au fait que M. Mariani fasse partie d’une « internationale » en faveur de la Russie.

La suite du propos de Mme Le Grip ne repose sur rien d’autre qu’un procès politique des positions internationales du Rassemblement National, estimant de sa seule autorité de député macroniste, ex-UDF et ex-UMP et ex-sarkozyste et ex-filloniste, que Marine Le Pen n’était pas alignée sur ses propres positions.

Pire encore, Mme Le Grip ment. Ainsi elle indique « qu’à chaque « crise géopolitique », le FN puis le RN ont assuré Vladimir Poutine de leur soutien. » C’est totalement faux. Ainsi Marine Le Pen a condamné l’invasion militaire de l’Ukraine mais aussi l’ensemble des actions russes hostiles à la France ou à nos alliés, notamment en Afrique. Marine Le Pen soutient aussi l’ensemble des sanctions économiques et financières efficient contre la Russie, en dehors des sanctions énergétiques et sur les matières premières qui sont totalement inefficaces car contournées facilement, analyse confirmée en tout point depuis plus d’un an.

Constance Le Grip nuance ses positions ensuite sur la guerre en Ukraine, rentrant toute seule en contradiction avec elle-même en seulement une page !

Page 100, Constance Le Grip se livre à un exercice stupéfiant, déclarant qu’il est « intéressant et honnête » (terrible aveu pour le reste du rapport) de signaler que Jordan Bardella s’est lancé dans une opération de réhabilitation du RN ». Néanmoins, l’Inquisitrice Le Grip est de retour au paragraphe suivant, estimant que le choix de Jordan Bardella est cousu de fil blanc comme le montre… Nathalie Loiseau !

Enfin, le dernier espoir de Constance Le Grip pour convaincre le lecteur est le projet d’un certain M. Malofeïev qui aurait voulu intégrer le FN puis le RN dans une « alliance appelée AltIntern partageant une même vision d’une Europe conservatrice, chrétienne. »

Une telle alliance n’a strictement aucun sens pour Marine Le Pen et le Rassemblement National, la ligne politique étant affirmée autour de la revendication d’une totale laïcité et le refus du conservatisme sociétal. L’ensemble des personnes auditionnées, en particulier Marine le Pen, Philippe Olivier et Thierry Mariani ont certifié n’avoir jamais voulu une telle alliance et n’en avoir à peine ou pas connaissance. Ainsi lors de l’audition de Mme Le Pen :

« M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’aimerais vous poser une dernière question, que j’ai posée à plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ; elle concerne l’internationale religieuse que M. Konstantin Malofeïev se proposait de créer. Ce qui me surprend, c’est que l’on vous ait soupçonnée de le soutenir, compte tenu de la ligne politique que vous avez adoptée pour le Front national, puis le Rassemblement national. En effet, vous êtes l’une des personnalités qui ont remis le concept de laïcité au cœur du débat public.

Vous avez déjà dit ne pas avoir eu connaissance du projet de M. Malofeïev. Sa dimension culturelle et religieuse correspond-elle à la ligne politique que vous incarnez ?

Mme Marine Le Pen. Évidemment non. J’ai effectivement contribué à remettre la laïcité au cœur du débat politique, au moment où elle n’y était plus. Les considérations religieuses n’ont aucune place dans le combat politique que je mène, pour une raison simple : je veux être la présidente de tous les Français, quelle que soit leur origine ou leur religion. Le simple fait que ce projet ait une connotation religieuse – vous me l’apprenez car je n’en connaissais pas les détails – exclut que la France, qui est laïque, puisse y participer. »

 

L’alliance AltIntern pourrait sans doute intéresser Constance Le Grip, elle qui avait signé un projet de loi faisant un lien entre homosexualité et pédo-criminalité.

 

Évidemment, ce genre de rapprochement ridicule pourrait mener à des reproches sans fin… c’est le propre des procès politiques de déclencher une vendetta qui n’a rien à voir avec le travail d’une Commission d’enquête parlementaire et la neutralité attendue de la part d’une rapporteure.

 

Au terme des 20 pages de Mme Le Grip contre le RN et Marine Le Pen, elle ne produit aucune preuve ou témoignage d’expert indépendant venant démontrer que nous serions en présence d’une « courroie de transmission ».

Faire le procès politique de positions en diplomatie, de votes au parlement européen ou de voyages qui déplaisent à Mme Le Grip ne constitue en rien la preuve d’une collusion ou d’un alignement sur un régime étranger, comme le prouvent d’ailleurs les positions du RN contre la Russie sur un nombre considérable de sujets.

Pire encore, Constance Le Grip ne tire aucune conséquence des propos du directeur de la DGSI, affirmés pourtant à trois reprises lors de son audition, qui insiste sur le fait qu’aucun parti politique n’est entre les mains d’une puissance étrangère.

 

« Tout d’abord, je n’ai connaissance d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique telle qu’il ne serait que le relais d’un État étranger. »

 

« Je ne considère qu’aujourd’hui qu’aucun d’entre eux (partis politiques) n’est à la main d’une puissance étrangère. »

 

Par ailleurs, la DGSI confirme que si elle avait à connaitre d’une situation illégale, elle transmettrait le signalement aux autorités compétentes. Or aucun élu du RN n’est concerné par ce type de procédure.

 

« Enfin, il a pu arriver très ponctuellement que la DGSI mette au jour ou soupçonne des relations d’un autre type entre un élu ou ancien élu local ou national avec une puissance étrangère, et signale aux autorités compétentes l’infraction soupçonnée – en l’espèce, un financement –, dont le suivi ne relève pas de sa mission. »

H) La non-quantification des ingérences étrangères fait prendre le risque d’un hors-sujet et d’une grande confusion.

On l’a vu, la rapporteure enfonce soit des portes ouvertes, soit des portes imaginaires mais laisse soigneusement des portes bien fermées à double tour.

À force d’imaginer des ingérences russes partout au Rassemblement National qui n’existent pas, d’exonérer ses amis de toute responsabilité dans les ingérences étrangères que subit la France depuis 30 ans et de sortir les États-Unis du sujet, Constance Le Grip passe à côté de l’essentiel : quel est l’état réel des menaces d’ingérences étrangères en France ?

Le refus de la rapporteure d’analyse froidement chaque phénomène en France pour déterminer ce qui doit inquiéter l’opinion publique et la représentation nationale et ce qui, au contraire, semble plutôt surestimé ou bien géré par nos services de sécurité.

Une Commission d’enquête n’est pas vouée au catastrophisme ! Si l’État parvient à protéger notre démocratie, il faut l’encourager dans ce sens.

Cela entraine une grande confusion, où tout se mélange sans traiter spécifiquement de la France. Ainsi, Constance Le Grip peine à identifier beaucoup de phénomènes ciblant précisément la France et multiplie les exemples d’ingérences dans les autres pays occidentaux. Or, contrairement à ce que dit Nathalie Loiseau en reprenant l’image du nuage de Tchernobyl, s’il faut être vigilant sur toutes les formes d’ingérence, le système français est tout à fait capable de mieux protéger que d’autres.

Ainsi notre démocratie a su replacer l’argent des campagnes électorales à un niveau très raisonnable, protégeant notre république du règne de l’argent roi et, ce faisant, de la plupart des ingérences.

De la même manière, notre système médiatique est résiliant, peu exposé aux propagations de fausses nouvelles et de journalisme en dehors de toute réalité rationnelle.

Ainsi en 2017, l’opération malfaisante russe des Macron Leaks n’a eu aucune influence sur le processus électoral. En 2022, l’organisme Viginum n’a identifié que 60 phénomènes préoccupants, 12 seulement suffisamment graves pour être investigués et 5 transmis au Conseil constitutionnel. Au final, aucune action de propagande d’une puissance étrangère n’a joué un rôle dans nos élections.

En 2017, l’information mensongère du compte de M. Macron aux Bahamas aurait été partagée par 7000 comptes twitter. Si 47 000 tweets ont été identifiés en lien avec les Macron Leaks, on peut aisément considérer que cela n’a aucune influence sur les 45 millions d’électeurs français.

Par ailleurs, il faut être bien piètre stratège pour prétendre que la sortie des Macron Leaks juste avant la fin de la campagne officielle aurait été un problème. Au contraire, la fin de la campagne officielle protégeait Emmanuel Macron de toute reprise sur les grands médias et toute polémique électorale entre les candidats et/ou leurs soutiens.

La difficulté de la rapporteure à précisément quantifier les phénomènes entraine une confusion régulière entre les menaces subies par la France et les autres pays occidentaux et conduit à une certaine relativisation de la menace chinoise au profit des menaces russes.

Certes, la Russie est particulièrement active et offensive, mais elle reste une puissance déclinante. Le régime autoritaire russe n’exerce pas le même régime totalitaire et un degré de contrôle aussi systématique que la dictature chinoise.

En effet, ces puissances autoritaires sont des « acteurs majeurs d’influence et d’ingérence »[3] et fournissent une politique « la plus aboutie en matière de renseignement »[4]. Ils utilisent la désinformation pour exacerber les fractures de la société. Néanmoins, M. Florian Colas souligne que la Chine « est le seul pays au monde dont la stratégie exportatrice est à ce point intégratrice » (ndrl : de la chaîne logistique) ou encore impliquée dans plus de « 70 à 80 % des cas notables, voire graves » d’ingérences universitaires, académiques, et de la recherche[5].

La Chine semble donc concilier à la fois l’ingérence politique, la désinformation, le débauchage de personnalités avérées et l’ingérence économique manifeste, en particulier l’espionnage et le pillage.

Ainsi la rapporteure semble sous-estimer le rôle de la Chine et de ses relais dans le changement de couverture médiatique d’un certain nombre de débats. La question du peuple tibétain a quasiment disparu des débats démocratiques en France, en Europe et aux États-Unis, tout comme la question de Hong Kong.

Ce pouvoir de la Chine pour changer visiblement certains débats démocratiques que son poids réel dans l’économie française, comme le montre le chercheur Antoine Bondaz, est très limité en termes de création réelle d’emplois et d’investissement, loin derrière la Suisse par exemple.

 

I) Une horizontalité des sources, sans hiérarchisation ni respect des propos tenus sous serment qui multiplient les partis pris et impasses.

Si l’ensemble des témoignages ont pu éclairer la commission afin de mieux se saisir de cet enjeu et d’apporter des solutions pour lutter contre les ingérences étrangères, il n’est pas pertinent de les mettre sur le même plan, celles-ci n’ayant pas les mêmes valeurs et portées.

Mme la rapporteure met au même niveau les auditions des experts, des institutions et des personnalités politiques partisanes, comme nous l’avons déjà vu avec les citations quasi exclusives de Nathalie Loiseau et de Raphaël Glucksmann pour incriminer le RN.

Ce parti pris dénature le travail formidable de nos institutions, qui ne sont quasiment pas mentionnées (AFA, Tracfin, CNCCFP, etc.), voire pas du tout (OCDE).

La conséquence de ces choix de faire un procès politique conduit la rapporteure à dénaturer l’intérêt central de nombre d’auditions, en particulier les responsables en charge de la lutte contre la corruption. Le directeur de l’Agence Française Anticorruption n’est cité qu’une fois, tout comme l’une des responsables de l’OCDE en charge de fixer les pratiques et d’évaluer les pays membres quant à leur efficacité pour lutter contre ce fléau. Le deuxième responsable de l’OCDE n’est même pas cité une seule fois !

Cette partialité confine au mépris et à la mise en cause personnelle gratuite pour différentes personnalités comme M. Mariani. Il semble que la prestation sous serment de M. Mariani, comme M. Olivier ou Mme Le Pen n’intéresse pas Mme Le Grip qui considère visiblement le serment comme nul et non avenu.

Le rapport semble conférer une valeur supérieure aux différents reportages télévisés et journalistiques au détriment des auditionnés sous serment. Le moindre ragot mis dans un article devient parole d’évangile.

Par exemple, le fait que M. Mariani est certifié sous serment n’avoir jamais gagné un centime d’argent lié de près ou de loin à des intérêts russes n’est pas pris en compte. Le fait que M. Mariani ne soit même pas au courant de la procédure judiciaire qui le vise non plus, pas davantage que le fait que la procédure concernant le dialogue franco-russe ne soit visiblement pas de sa responsabilité.

M. Mariani a mis à la disposition l’ensemble des budgets de cette association qui, rappelons-le, a été fondé par Jacques Chirac, pas par Marine Le Pen. À ce titre, d’après les budgets déclarés, le dialogue franco-russe était bien plus puissant sous l’UMP que depuis que Thierry Mariani est au RN, du fait des sanctions contre la Russie. Autrement dit, Constance Le Grip n’avait rien à dire quand elle était à l’UMP avec un dialogue franco-russe brassant plusieurs centaines de milliers d’euros mais trouve désormais scandaleux une association qui peine à payer son loyer et à rémunérer une employée à 2 000 euros de salaires mensuels.

Ainsi, Mme Le Grip se permet des propos sans raison, page 85, établissant que la perquisition des locaux maintiendrait « une certaine opacité ». Pourquoi ? Comment ? On n’en saura rien !

Enfin, alors que la propagande russe et les déclarations des oligarques poutiniens sont prises avec une grande prudence quand il s’agit de parler de la quasi-totalité des sujets, Mme Le Grip prend ces mêmes propos au premier degré, sans aucune distance, s’ils concernent Marine Le Pen ou le RN.

Pourquoi Mme Le Grip refuse-t-elle ne serait-ce qu’envisager à un seul moment que la propagande russe puisse aussi inventer avec le RN un « narratif » favorable à la Russie qui n’existe pas ? Mystère.

De plus, le projet de rapport prend parti, ne serait-ce quand ne condamnant pas l’ensemble des piratages informatiques (MacronLeaks contre les boîtes emails de M. Jean-Luc Schauffhauser et les SMS de M. Philippe Olivier), en évoquant la propagande russe lorsqu’il s’agit du Rassemblement national et d’influence russe pour Renaissance et les Républicains.

Enfin, concernant le prêt russe et son rééchelonnement, Constance Le Grip se livre à une remise en cause scandaleuse de l’autorité de la CNCCFP pour des basses raisons politiciennes. Non le rééchelonnement n’est pas un avantage pour le RN, qui doit de facto, payer plusieurs années d’intérêt en plus avec un taux de 6 % !

Page 112, Constance le Grip donne d’ailleurs un rôle à Jean-Luc Schauffhauser qu’il ne peut avoir entre 2019 et 2020, ayant quitté depuis des mois le RN. Encore une contre-vérité.

J) Des angles morts faiblement mentionnés dans le rapport

Les différentes auditions ont mis en lumière les faiblesses voire la vulnérabilité des collectivités territoriales et des Outre-Mer.

Souligné particulièrement M. Charles Duchaine, la loi de 2013 créant le PNF a « supprimé les juridictions spécialisées (…). À l’époque, il existait une attention des procureurs et des services locaux sur la matière économique et financière. Aujourd’hui, cette matière échappe à leur compétence. ». Les collectivités territoriales et leurs élus se retrouvent en situation de vulnérabilité.

L’Outre-Mer fait l’objet d’un point de préoccupation et de vigilance de la part des services, souffrant d’un lien distendu avec la métropole. La zone indopacifique fait l’objet d’une attention particulière en raison de la proximité avec la Chine.

Il est regrettable que ces points ne soient pas développés par la rapporteure.

 

Conclusion de la lecture critique du rapport de Constance Le Grip

Contrairement à ce qu’affirme Constance le Grip dans son rapport, les manipulations de l’information ne sont hélas l’apanage ni de la Russie ni la Chine, ni des autres régimes illibéraux, autoritaires ou des dictatures.

Tout démocrate doit sans cesse être en veille et en vigilance contre les dérives qui peuvent toucher son propre fonctionnement républicain ainsi que ses alliés. Le triste souvenir de la campagne de désinformation massive conduite par les États-Unis et le Royaume-Uni pour justifier l’invasion de l’Irak en infraction totale avec le droit international et le Conseil de Sécurité de l’ONU en est le pire exemple.

Cette campagne de désinformation ne s’était pas limitée à influencer lourdement les opinions américaine et britannique ainsi que leurs représentants mais aussi un nombre considérable d’autres nations amies, comme l’Italie ou l’Espagne.

Naturellement, la nature démocratique de ces deux régimes a permis, assez rapidement, d’établir les faits et la vérité a posteriori. Mais la catastrophe de la Seconde guerre du Golfe avait déjà eu lieu. L’absence de sanctions suite à de telles manipulations de l’opinion reste consternant 20 ans après les faits.

Cette alerte ne vise nullement à relativiser les comportements illégaux, délictueux et même criminels des régimes russe et chinois mais seulement à rappeler que désigner des adversaires anti-démocratiques ne doit jamais dispenser d’être intransigeant sur son propre état de droit.

La prolifération et l’aggravation des ingérences étrangères visant la France et l’ensemble des démocraties occidentales ne sont plus à démontrer mais il faut analyser leur nature, quantifier l’état de chaque menace et, une fois ces étapes assurées, les combattre pour les éliminer quand cela est possible.

Dénoncer les « ingérences étrangères » comme un tout, une menace à la fois pernicieuse et informe, n’est pas digne d’un débat démocratique éclairé. Pire encore, accuser sans preuve des partis politiques et leurs représentants d’être des agents d’influence de ces puissances étrangères est un poison aussi dangereux pour la république que les ingérences elles-mêmes.

Les accusations de « parti de l’étranger », de « courroie de transmission » ou autres agents d’influence sont particulièrement graves. Elles ne peuvent être jetées à la légère dans le débat public comme n’importe quel argument et même, comme n’importe quel coup bas tant elles entrainent un risque de manipulation et de paranoïa. Ce risque est d’autant plus dangereux quand cette accusation vient d’un parti au pouvoir contre la ou les forces d’opposition démocratiques.

Or, force est de constater que depuis 2014, les accusations d’ingérences étrangères contre les principaux partis d’opposition sont devenues de plus en plus systématiques de la part des partis au pouvoir, les soutiens de François Hollande puis d’Emmanuel Macron.

Ainsi, on l’a vu, les différentes forces politiques soutenant Jean-Luc Mélenchon ont été accusées d’être des agents d’influence du Venezuela, de la Chine, de Cuba puis, régulièrement de Vladimir Poutine. L’accusation d’être « poutinolâtre » a aussi touché l’UMP puis LR quand ces deux partis pouvaient constituer encore une menace jusqu’à en 2017, notamment lors de la candidature de Français. Enfin Marine Le Pen, accusée d’être la cible d’ingérence politique et/ou financier.

Ces accusations sont lourdes. Très lourdes. Et pourtant, rien ne permet de les corroborer, de près ou de loin.

La rapporteure Constance Le Grip a donc beau jeu de m’octroyer comme seule citation de son rapport que « la suspicion généralisée est un poison pour notre vie démocratique ». Encore aurait-il fallu qu’elle en tire la moindre conséquence !

La vigilance civique s’impose d’autant plus que d’autres démocraties occidentales ont été traversées par des crises politiques liées aux réalités d’ingérence étrangères, en particulier venant du régime russe, réalités qui ont pu être manipulés en véritables cabales ridiculisant l’État de droit.

La rapporteure Constance Le Grip aurait dû être attentive aux conclusions du travail rendu le 15 mai 2023 par le Procureur spécial John Durham qui a démontré que la police fédérale américaine, le FBI, avait « manqué d’objectivité » dans l’analyse faussée et infondée qu’elle a menée sur les liens supposés entre Moscou et la campagne de Donald Trump en 2016. Le FBI aurait utilisé des informations douteuses, « des renseignements bruts qui n’avaient pas été analysés ni corroborés », pour ouvrir une enquête sur des soupçons de collusion et d’ingérences, soupçons que le rapport avait déjà écartés.

Cette enquête, réalisée par un procureur nommé par Donald Trump mais dont le travail n’a pas été critiqué ou remis en cause par l’administration Biden, ne sous-estime pas la réalité des tentatives et réalités d’ingérences russes sur les élections ou l’information américaine. Le rapport ne nourrit pas non plus les accusations de manipulation de l’enquête par les démocrates et autres théories farfelues.

En faits et en raison, cette enquête prouve juste que des institutions, des acteurs politiques et des médias sérieux peuvent s’emballer, être pris par leur propre biais de confirmation qui systématiquement, imagine ou sur-rationnalise des liens qui n’existent pas, finissant par monter « à l’insu de leur plein gré » des scandales qu’ils imposent de fait à la population.

« Le FBI et le Ministère de la Justice doivent reconnaître qu’un manque de rigueur analytique, des biais de confirmation et une trop grande confiance envers des sources liées à des opposants politiques ont empêché les enquêteurs de considérer des hypothèses alternatives et d’agir avec l’objectivité appropriée ».

De la même manière, persuadés sans doute de faire partie du camp du bien ou de « l’arc de la raison », le FBI a reconnu que les conclusions du procureur spécial étaient avérées quant au régime de « deux poids deux mesures » qu’il avait appliqué à Donald Trump d’une part, et Hillary Clinton d’autre part : « La vitesse et la manière dont le FBI » a décidé d’enquêter sur Donald Trump « contraste avec l’approche adoptée précédemment dans une affaire sur une possible ingérence étrangère dans la campagne », à savoir les accusations contre Hillary Clinton.

Cette affaire n’est pas sans rappeler le scandale François Fillon, dont les affaires avaient connu un traitement record pendant la présidentielle de 2017 alors que les enquêtes ouvertes contre Emmanuel Macron par le PNF trainent depuis des années sans aucune explication particulière.

À ce titre, les informations apportées par Thierry Mariani, qui n’ont pas été contredites, indiquant qu’il avait appris qu’il était l’objet de poursuites judiciaire depuis les régionales de 2021 sans n’avoir jamais été convoqué ni par la police ni par la justice pour savoir ce qu’on lui reprochait sont consternantes. De la même manière, la perquisition à grand spectacle des bureaux du cercle franco-russe quelques semaines avant le 1er tour de la présidentielle, pour une affaire qui concerne un employé parti depuis des années, sans qu’aucune suite ne soit donnée à cette perquisition, laisse perplexe.

Aucune démocratie ne devrait laisser des femmes et des hommes politiques être mis en cause dans le débat public sans savoir ce qui leur est reproché et dans quels délais ils seront jugés. Une administration rapide de la justice, en particulier dans le domaine politico-financier, est fondamentale pour rétablir enfin la confiance et punir les malfrats comme il se doit.

En tout état de cause, ce rapport Renaissance est consternant. Il témoigne du dévoiement systématique des principes et des valeurs républicaines par la macronie, prête à tous les coups bas pour se maintenir désespérément au pouvoir.

Les Françaises et les Français jugeront sévèrement de tels comportements.


Recommandations

 

1)     Permettre à la Délégation parlementaire au Renseignement de produire chaque année un rapport quantifié des tentatives et réalités d’ingérence en France pour éviter à la fois toute naïveté, toute impunité et toute paranoïa.

 

2)     Interdire toute rémunération par un intérêt étranger des anciens membres de gouvernement, hauts fonctionnaires et membres des forces armées.

 

3)     Soumettre toute vente d’entreprise stratégique à un vote du Parlement au 2/3 des voix.

 

4)     Protéger les lanceurs d’alerte, les chercheurs, les journalistes et les artistes des « procédures bâillons ».

 

5)     Réfléchir à un moyen pour les journalistes et les médias d’assurer la transparence dans leur relation avec le lobbying.

 

6)     Faire de la lutte contre la corruption une mission centralisée sous la direction du Premier Ministre et garantir les moyens nécessaires.

 

7)     Imposer aux membres du gouvernement, aux parlementaires et aux hauts fonctionnaires un serment de fidélité à la Constitution et aux intérêts du peuple français.

 

8)     Mettre enfin en place la banque de la démocratie, avec les mêmes critères financiers pour tous les candidats et tous les partis.

 

9)     Interdire toute adhésion, dons ou prêts d’un étranger résidant en France.

 

10) Autoriser la CNCCFP à saisir Tracfin et permettre à Tracfin de transmettre les informations à la CNCCFP. Réfléchir à donner à la CNCCFP accès à des moyens d’investigation.

 

11) Lancer un grand plan de sécurisation de nos universités et laboratoires de recherche.

 

12) Parvenir à un financement public et privé de la R&D de 4 % du PIB en 2030, 5 % en 2035 pour que nos fleurons n’aient pas à se financer à l’étranger.

 


Analyse du Président des travaux

de la Commission d’enquête

 

Mythe et réalité de l’ingérence : une arme politique redoutable contre la démocratie.

 

« Deux loups gouvernent le monde et bientôt, l’un dévorera l’autre. »

Le climat est pesant dans l’enceinte sacrée du Sénat romain… Depuis des mois, sinon des années, la tension entre Octave et Marc-Antoine déchire l’immense territoire que la République n’arrive plus à tenir dans ses seules mains. Les guerres civiles qui se sont succédé ont fini par offrir aux deux duumviri les provinces acquises depuis quatre siècles par le sang et l’art militaire.

Depuis Rome, Octave tente de saper les soutiens, nombreux et puissants que Marc Antoine entretient avec le même but depuis ses provinces orientales. De fait, le Sénat et le peuple romains s’arrangent bien de cet équilibre des ambitions qui, se neutralisant l’une et l’autre, maintiennent le peu d’institutions républicaines qui restent, prêtes à tout céder si un vainqueur devait se distinguer, et vaincre.

Au sein de la plèbe urbaine, Marc Antoine n’est pas aussi impopulaire qu’Octave qui, au jour le jour, doit assumer les évènements plus ou moins mauvais qui touchent la ville. Contrairement à l’adage en politique, loin des yeux, proche du cœur. Aussi pour ouvrir un nouvel épisode de guerre civile, ou de guerre tout court, il faut qu’Octave démontre que lui seul incarne l’intérêt de Rome quand Marc-Antoine n’est plus que l’objet des ambitions de l’étranger, et pire encore, selon les préjugés misogynes du temps, une étrangère, Cléopâtre. Les mœurs romaines ont déjà été outragées par la répudiation de l’épouse romaine de Marc Antoine, la propre sœur d’Octave, au profit de la dernière pharaon lagide d’Égypte.

La clé du temple de Janus se trouve dans le sanctuaire de Vesta, lieu le plus sacré du culte romain qui conserve notamment les testaments des plus illustres patriciens, dont celui de Marc-Antoine. Octave le vole mais il sait déjà que cet outrage ne sera rien par rapport au scandale qu’il s’apprête à révéler à la lecture des dernières volontés de son rival.

La scène a été rendue mémorable par la fresque cinématographique de Mankiewicz, Cléopâtre. On y voit Octave tentant de convaincre en vain les sénateurs favorables à Marc Antoine de sa trahison puis, hiératique depuis son siège, il jette aux pieds des partisans d’Antoine le parchemin testimonial, récitant ce qu’il contient : Antoine veut transmettre ses biens et son autorité aux enfants qu’il a avec Cléopâtre mais pire, souhaite être enterré à Alexandrie et non à Rome. Consternés par la preuve de sa collusion avec la puissance étrangère qu’est Cléopâtre, les partisans de Marc Antoine s’effondrent puis immédiatement, rejoignent les partisans d’Octave dans leur déclaration de guerre à l’Égypte.

En révélant l’infamante trahison de Rome par Marc-Antoine au profit des charmes de l’Orient, Octave unit derrière lui le peuple et les patriciens romains sur un chemin qui le mènera au principat, fondement de l’Empire.

À l’aube de l’ère commune, le destin des civilisations méditerranéennes et européennes qui irrigueront tout l’imaginaire politique et civique jusqu’à nos jours, c’est joué aux dés des rumeurs du parti de l’étrangère et des réalités de l’ingérence d’une puissance concurrente, pour ne pas dire hostile.

La trahison d’Antoine était véridique, elle fut châtiée comme telle et emporta la décision de la République de changer ses institutions...

Des oracles grecs achetés à vil prix par l’or des Perses pendant les guerres médiques aux lettres de « l’armoire de fer » des Tuileries trahissant les secrets militaires que Louis XVI offrait à la coalition anti-française, notre Histoire n’ignore rien du rôle dévastateur de la corruption et des ingérences étrangères

Mais tant d’autres rumeurs, accusations, manipulations furent et restent fausses, brisant l’unité des peuples redoutant les traites, supprimant la raison de foules prêtes à éliminer des innocents désignés à la vindicte, persuadant d’honnêtes citoyens que leur démocratie était menacée par des boucs émissaires.

Le mythe de la « 5ème colonne », arme de guerre psychologique terrible qui affaiblit un camp de l’intérieur, dévoré par l’angoisse de ne plus savoir différencier ce qui relève de la vraie trahison ou de la paranoïa toxique, n’est pas un poison à prendre à la légère.

Alors que l’illusion d’un monde sans guerre rejoint les oubliettes de l’histoire qu’elle n’aura jamais dû quitter, emportant avec elle comme première victime expiatoire les rêves d’une raison partagée par toute l’humanité, la démocratie française aurait tort de se croire à l’abri de ce poison à double usage qu’est l’ingérence étrangère.

Contrairement aux discours fumeux qui tentent jeter de la confusion dans le débat public, la notion d’ingérence étrangère est parfaitement claire. Sa définition basique dans le dictionnaire est limpide même si elle peut être précisée, enrichie et nuancée par les travaux de la Commission d’enquête.

En revanche, les multiples variations, adaptations et travestissements utilisés par les puissances qui veulent s’ingérer dans les affaires et le destin d’une alliée, concurrente ou ennemie sont pernicieuses, protéiformes et hybrides. Tel un virus qui mute sans cesse pour survivre aux défenses immunitaires qui veulent l’éteindre, l’ingérence étrangère ne recule devant aucune adaptation pour garantir sa pleine efficacité, pénètre un organisme et le détruire de l’intérieur.

Avérée, la tentative ou la réalité d’une ingérence étrangère doit être combattue par tous les moyens. Tout État doit identifier, isoler et éliminer les différentes formes d’ingérences.

 

Partie 1

Entre l’influence et l’ingérence, une frontière poreuse

 

  1. L’ingérence, un fléau à comprendre et à quantifier pour mieux le combattre sans déstabiliser notre démocratie

 

A)  L’ingérence, une influence délictueuse

 

L’ingérence, un phénomène ancien

Dans le dictionnaire Larousse, l’ingérence se définit comme « l’action de s’ingérer dans les affaires d’autrui »[6], c’est-à-dire « s’introduire indûment dans quelque chose, intervenir sans invitation »[7]. Cette définition, si elle peut être précisée et nuancée, correspond parfaitement à l’essentiel des problèmes que nous devons traiter.

Le droit international repose principalement sur des États souverains, égaux et indépendants. Dès lors, la notion d’ingérence se comprend dans ce cadre comme tout acte d’un ou de plusieurs États qui s’immiscent dans les affaires internes ou externes relevant de la compétence d’un autre État, violant de ce fait sa souveraineté. L’affirmation d’un principe de non-intervention, en particulier dans la Charte des Nations unies a été interprétée comme un principe équivalent de non-ingérence en droit international. Néanmoins, l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies prévoit une possibilité légale d’ingérence tout en prenant soin de prévoir une limite au chapitre VII de la Charte.

Ainsi, le recours à la force et à l’atteinte au principe d’intégrité territoriale ne peut s’effectuer que sur le fondement de ce chapitre. Il définit les mécanismes de coercition dont l’usage est laissé à l’appréciation du Conseil de sécurité des Nations unies. Il constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Le cas échéant, il dispose d’un ensemble de moyens pour y remédier parmi lesquels il peut décider de recouvrir à l’emploi de la force. Le principe de non-ingérence « renvoie au principe fondamental d’égalité souveraine entre les États »[8]. Ce principe connaît toutefois des exceptions quand sont en jeu la sécurité internationale ou des préoccupations humanitaires.

La notion d’ingérence, prégnante « à l’époque de la guerre froide, avec notamment l’utilisation des « mesures actives » par les Soviétiques, telles que les coups d’État, les financements d’acteurs politiques et syndicaux ou de groupes armés, ainsi que des stratégiques médiatiques »[9], réapparaît dans le débat public, en raison de son intensification causée par plusieurs facteurs : la confrontation et la redistribution de la puissance, « l’hétérogénéité des valeurs, – ce que l’on appelle la désoccidentalisation du monde et l’essor de pouvoir autoritaires aux visées révisionniste sur le système international - le rôle des acteurs non étatiques et un contexte favorable à l’essor de stratégies indirectes »[10]. La compétition entre puissances se substitue à la confrontation que ce soit aux niveaux diplomatique, militaire, technologique et culturel.

Les ingérences, interference en anglais, « sont des activités hostiles, volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses, entreprises par une puissance étrangère. Mises en œuvre par une multiplicité d’acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples que connaissent bien les services de renseignement : des cyber-attaques, l’utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l’opinion, ou des opérations d’espionnage plus classiques. Elles visent à saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique »[11]. Il s’agit d’une « politique d’influence masquée qui consiste, pour un État, à mener des actions visant à rendre la politique d’un autre pays structurellement favorable à la sienne, sans que l’on sache d’où parlent les personnes et les organisations auxquelles il a recours »[12].

« L’ingérence ne se revendique pas, ne s’affiche pas et s’exerce contre un État ou ses représentants sans son accord »[13], elles sont « à la fois secrètes, coercitives et corruptrices »[14] comme le souligne l’ancien Premier ministre australien M. Malcom Turnbull. Ce fléau peut être mis en œuvre en raison d’individus qui « agissent de manière clandestine, par des moyens, techniques, ou humains que la morale réprouve »[15]. Quelques facteurs humains permettent d’anticiper pourquoi certaines personnes se rendent coupables d’intelligence avec l’ennemi : « la frustration, l’ego, l’argent »[16]. L’objectif des ingérences est de « saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique »[17].

Popularisée par Joseph Nye, l’influence repose sur la séduction et non la coercition, « n’est pas forcément cachée »[18]. Elle est pratiquée par tous, y compris la France au travers de sa diplomatie. Elle cherche « à se doter de relais d’opinion dans les pays avec lesquels elle travaille »[19] ou encore à travers la diplomatie dite culturelle. « L’influence est (…) un outil, un moyen d’obtenir quelque chose en faveur de nos intérêts »[20]. Un des critères pouvant distinguant l’ingérence et l’influence est la réciprocité : « l’influence est tolérable et le plus souvent tolérée, tel n’est pas le cas de l’ingérence »[21]. Or, « toute influence n’est pas forcément légitime quand bien même elle respecterait le cadre légal » comme, l’illustre le principe d’extraterritorialité. En effet, si les notions d’ingérence et d’influence sont sémantiquement facilement distinguables, l’incompétence géopolitique des gouvernements a conduit la France à laisser s’implanter dans des lieux stratégiques des relais d’ingérence comme l’Institut Confucius à Brest. Il a dû quitter l’université de Bretagne occidentale, cette ville étant « stratégique qui abrite le deuxième port militaire français, des centres de recherche sous-marine parmi les meilleurs au monde et plusieurs de nos industries de défense »[22].

 

Les ingérences, un fléau protéiforme

« Mises en œuvre par une multiplicité d’acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples (…) : des cyber-attaques, l’utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l’opinion, ou des opérations d’espionnages plus classiques »[23]. La Fédération de Russie et la République Populaire de Chine représentent les États les plus actifs en matière d’ingérence avec des méthodes hybrides. Lors de son audition, le directeur des services extérieurs a d’ailleurs concentré son propos « sur deux puissances systémiques qui font preuve d’agressivité contre nous, la Russie et la Chine »[24], bien que d’autres pays se rendent coupables d’ingérence sur notre sol comme l’Iran. « Les services russes et chinois connaissent une progression constante (…) qui n’ont ni cadre légal ni opinion publique, et qui sont désinhibés »[25].

« Le champ de ces menaces s’est étendu et complexifié au cours des dernières années, (…). Parmi ces menaces, figurent celles qui sont qualifiées d’hybrides »[26] que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale classe en quatre catégories : dans les cyber-attaques, les manipulations de l’information, les atteintes au patrimoine scientifique et technique, le lawfare.

Une cyber-attaque est un acte de piratage informatique malveillant sur internet. Le directeur de la DGSI, M. Nicolas Lerner constate que « l’outil cyber est aujourd’hui la voie qu’emprunte une grande partie de l’espionnage »[27], en raison de la révolution numérique. « Le numérique est désormais pleinement intégré dans les stratégies d’influence, d’ingérence, d’espionnage et de découragement des puissances étrangères. Certains acteurs étatiques perçoivent le domaine cyber comme un nouvel espace de projection, investissent pleinement le rapport de force et développent de fortes capacités offensives et défensives »[28].

La Russie et la Chine sont très actives dans ce domaine que ce soit pour extorquer une rançon, à vendre des données préalablement pillées, soit pour prendre le contrôle ou saboter le système informatique. Des entreprises, « 8 % »[29] des cas recensés par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques, ont été victimes d’attaques. Les administrations et services publics peuvent être touchés, comme l’illustrent les attaques russes à l’encontre de nos hôpitaux ou encore les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Certains États, à l’image de la Russie, s’appuient sur des services de hackers.

La manipulation de l’information n’est pas un phénomène récent. En revanche, elle s’est considérablement propagée avec l’émergence d’internet et le développement phénoménal des réseaux sociaux, la crise de confiance envers les institutions démocratiques, et au caractère malveillante de certains États dont la Russie et la Chine visant à déstabiliser voire fracturer nos sociétés. La Russie est responsable de près de 80 % des efforts d’influence en Europe[30], suivi de la Chine. « Les Russes ont instrumentalisé le processus »[31] de désinformation, et la Chine développe la lutte informationnelle pour valoriser leurs actions mais aussi pour faire disparaitre du débat public des sujets considérables, comme la défense du peuple tibétain ou les droits civiques de Hong Kong.

Créé en 2021 le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), se charge d’anticiper et de réagir face à la menace tout en préservant les libertés individuelles. Son chef de service, M. Gabriel Ferriol fonde son action sur des critères juridiques précis : « le phénomène est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation »[32], au moins un acteur étranger doit être impliqué, que les « contenus dont le caractère inexact ou trompeur est manifeste (…)  dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective »[33], et que le contenu soit « caractérisé par une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée – ou l’intention de procéder à une telle diffusion »[34]. Dans une moindre mesure, la Turquie se rend coupable d’attaques comme après l’assassinat de M. Samuel Paty « pour y faire face, nous avons créé́ la task force Honfleur – du nom d’une salle de réunion du SGDSN –, qui a permis d’identifier un certain nombre de sites et d’adresses IP, de remonter jusqu’à l’agence de presse Anadolu et de conclure à l’origine turque de cette campagne »[35]. Par ailleurs, le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale est « toujours à l’écoute de ce qui peut venir de Turquie, notamment des critiques sur la politique française au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs »[36].

Les atteintes au patrimoine scientifique et technique se manifestent à travers l’espionnage, le sabotage, la prise de contrôle capitalistique, le débauchage de talents. De plus en plus identifiées par les services, ces menaces pour la sécurité économique visent à déstabiliser l’entreprise, récupérer de l’argent, obtenir des informations sensibles, corrompre, désinformer.

Le secteur universitaire et de la recherche est un point d’entrée. Les ingérences se concrétisent par des partenariats, des jumelages conduisant à l’échange d’informations pouvant être sensibles, c’est-à-dire « à s’approprier illégalement ou en dehors des contrats liant des établissements de pays différents des informations et des savoirs »[37]. Ce point attire la vigilance et l’attention du directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner. Principal acteur, la Chine est « est impliquée dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves »[38]

Le lawfare, c’est-à-dire l’utilisation du droit international ou de l’application extraterritoriale du droit d’un État. Cette arme juridique, bien que légale, est principalement utilisée par les États-Unis. La Chine s’inspire par ailleurs de leur législation. Le service de l’information stratégique et de la sécurité économique ajoute que « les procédures juridiques à l’étranger impliquant des entreprises françaises servent également de vecteur dans 10 % des cas »[39]. La Chine, quant à elle, pratique « l’instrumentalisation du multilatéralisme et du droit international au sein des organisations internationales »[40].

 

B)   Les gouvernements français ont sous-estimé les dangers des ingérences dans tous les domaines

La naïveté confondante des dirigeants depuis 30 ans sur l’émergence de nouvelles puissances et rivalités.

Dans les années 1990 et le début des années 2000, marquées par la chute du Mur de Berlin, la dislocation de l’URSS, les « premières années d’exercice du pouvoir de Vladimir Poutine, qui ont nourri un espoir de rapprochement avec l’Europe et l’Ouest en général, et de l’évolution de la Chine. Tous les États prendraient le chemin de la démocratie (…), la compétition entre États, qui a toujours existé et n’allait pas disparaître, s’organiserait autour de quelques règles et quelques principes, notamment l’économie de marché. La compétition économique, demain, serait le juge de paix de la rivalité entre les pays. Ces espoirs étaient notamment suscités par l’ouverture de la Chine, qui a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 »[41].

Certains, en particulier les mouvements souverainistes hostiles au mythe de « la mondialisation heureuse », d’un « monde plat et ouvert » ou encore de la « fin de l’Histoire » ont tiré la « sonnette d’alarme » [42] ; « les pouvoirs publics, à la différence de certaines administrations, n’avaient pas toujours conscience du risque d’ingérences étrangères, lesquelles ont donc été très sous-estimées (…) En 2005, plus encore en 2008, 2011, 2014, les gouvernants, ministres, élus, responsables politiques, responsables académiques ou de think tanks, les journalistes ont minimisé la situation. »[43]. « Les négociations au sein des instances multilatérales ou les accords économiques ne suffisent plus à résoudre les conflits. »[44]. Cette idéologie a conduit à rendre la France dépendante d’un État tiers. Notre souveraineté étant mise à mal, la France met en place une stratégie : une diplomatie économique en s’appuyant sur des représentants spéciaux.

L’ancien ministre, M. Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial de la France pour la Russie nommé par François Hollande puis confirmé par Emmanuel Macron, apporte un éclairage sur les relations en la France et la Russie. Dans les années 1990, les situations économique et politique de la Russie sont mauvaises : le rouble est dévalué, le président Eltsine nomme plusieurs premiers ministres dont M. Vladimir Poutine en 1999 : « c’est le cadeau que Boris Eltsine fait alors, si je puis dire, à la Russie »[45] ; une analyse qui n’engage que lui mais témoigne d’un certain consensus des élites dirigeantes européennes de la fin des années 1990 envers un homme politique dont le régime échouera pourtant, c’est le moins qu’on puisse dire, à faire de la société russe sur la voie de la démocratie et des libertés publiques.

« Les relations avec la France et l’Europe, à l’époque, sont plutôt cordiales »[46]. Avec la France, « les choses se passaient sans grande difficulté. On peut dire que tous les présidents de la Vème République se sont efforcés d’avoir des rapports plutôt cordiaux avec les dirigeants russes »[47], dès le Général de Gaulle. En 2006, Jacques Chirac remet à Vladimir Poutine le plus haut grade de la légion d’honneur, distinction qui ne sera remise en cause par aucun président.

À partir de 2013-2014, les relations se sont dégradées avec le conflit en Ukraine. Dès son arrivée à l’Élysée, M. Emmanuel Macron a voulu relancer les relations entre la France et la Russie. Ces relations faites de chaud et de froid sont encore une fois symbolisées par la mission de Jean-Pierre Chevènement.

En 2012, nommé représentant spécial de la France pour la Russie, sous le mandat de M. François Hollande, par M. Laurent Fabius, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Il souhaitait que la France ait « une diplomatie économique, mettant l’accent sur les relations économiques et industrielles »[48]. Décoré par M. Vladimir Poutine, de l’ordre de l’Amitié, plus haute distinction pour un étranger, le Quai d’Orsay l’a « vivement encouragé – la lettre de mission que j’ai reçue du ministère des affaires étrangères évoque d’ailleurs cette décoration comme un élément positif »[49].

Sur cette même feuille de route, la France nomme un représentant spécial en Chine, dont Mme Martine Aubry, « remplacée par M. Jean-Pierre Raffarin »[50]. La France est liée à la Chine, malgré une relation bilatérale déséquilibrée.

En effet, « le déficit commercial français par rapport à la Chine est de 50 milliards d’euros alors qu’il n’était que de 30 milliards il y a cinq ans »[51]. De plus, la France accueille de nombreux investissements chinois malgré de faibles créations d’emplois : sur « ces cinq dernières années, 8 000 »[52].

De l’aveu même de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, les années 2020 marque la fin de la naïveté dans le domaine du renseignement économique, celui-ci ayant progressé en quatre ans et demi après les scandales Alstom, Technip ou Lafarge. En 30 ans, la France a perdu la moitié de son industrie.

En concurrence avec les États-Unis et nos voisins européens plus ou moins bien attentionnés, l’ingérence économique provient principalement de Chine comme le souligne le directeur de Tracfin : « l’ingérence revêt également un caractère économique : le développement de la Chine lui apporte des capitaux considérables qui, par des véhicules d’investissement directs et indirects, sont susceptibles d’entrer au capital de certaines industries qui doivent être protégées parce qu’elles sont très proches de notre base de souveraineté »[53]. Le directeur de la DGSE fait le même constat : « la diplomatie chinoise se déploie partout dans notre pays d’une façon très impressionnante, avec l’accompagnement systématique d’intérêts économiques chinois portant atteinte à notre souveraineté ou susceptibles de la faire »[54].

Les ingérences politiques prennent une place exorbitante dans le débat public par rapport à leur réalité

Si les soupçons d’ingérence politiques sont brandis dans le débat public, ils ne semblent pas si prégnants.

De hauts fonctionnaires servant ou ayant servi notre République n’ont pas fait de signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Mme Alice Rufo, ancienne conseillère des Présidents M. François Hollande et M. Emmanuel Macron et aujourd’hui directrice générale des relations internationales et de la stratégie, n’a pas eu connaissance d’informations précises sur des cas d’influence ou d’ingérence de pays étrangers visant des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français : « en tant que fonctionnaire, je suis soumise à certaines obligations si quelque chose d’illégal vient à ma connaissance. Cela n’a pas été le cas »[55].

Le double discours sensationnaliste de M. Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Russie et en Chine est consternant. Il a tenu des propos sur LCI indiquant que « lorsque j’étais ambassadeur de France en Russie, personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politique français, d’un certain bord venait et ne repartait pas les mains vides »[56]. En audition sous serment, il prétend finalement à plusieurs reprises durant son audition qu’il « portait un jugement personnel »[57] et qu’il ne disposait pas d’informations particulières, faisant mine d’ignorer que son statut d’ambassadeur laissait penser autre chose aux téléspectateurs et aux commentateurs.

Les services et nos institutions confirment qu’il n’y a pas d’ingérence systémique d’un État étranger envers des partis, hommes et femmes politiques. M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieur affirme qu’il n’a « connaissance d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique telle qu’il ne serait que le relais d’un État étranger. (…). Il faut distinguer, dans les exemples que vous citez, ce qui relève de la rhétorique politique et ce qui relève d’une réalité relevant d’un travail de renseignement. C’est un argument du débat politique que de désigner l’adversaire comme la voix d’un pays étranger pour décrédibiliser ses arguments ou sa capacité à diriger un pays indépendant (…) qu’aujourd’hui qu’aucun d’entre eux (ndrl les partis politiques) n’est à la main d’une puissance étrangère. »[58]

 

II- Des institutions efficaces pour lutter contre ce fléau

 

A)  Le suivi des financements de la vie politique grâce à la CNCCFP

La CNCCFP contrôle les comptes de campagne des candidats à toutes les élections et du respect d’obligations comptables des partis politiques depuis 1990.

Ses décisions s’inscrivent dans un cadre juridique défini : la loi de 1988 sur la transparence financière, du chapitre du code électoral portant sur les conditions financières des campagnes électorales, et sur la loi de 2017 pour la confiance de la vie politique. Son président, M. Jean-Philippe Vachia a « le sentiment qu’il n’existe pas de phénomène massif de risque d’origine étrangère »[59].

De plus, « les rejets de comptes ne sont pas motivés par des soupçons d’ingérence étrangère »[60]

Les prêts auprès des banques

Dès 1990, les États étrangers et les personnes morales de droit étranger ont interdiction d’apporter des contributions ou aides matérielles directes ou indirectes, dans le but d’empêcher les ingérences étrangères. À ce titre, la décision de la CNCCFP, confirmée par le Conseil d’État, a refusé « l’agrément du Parti nationaliste basque, car il était fondé sur un parti de droit étranger »[61].

Avant la loi de 2017, renforçant le cadre législatif, il était possible d’emprunter auprès des personnes physiques pouvant venir de l’étranger. Par exemple, le parti Les Républicains a emprunté 500 000 euros auprès « d’une personne physique ayant des activités axées sur l’international », Mme Marine le Pen auprès d’une personne physique financée à partir d’une banque basée aux Émirats Arabes Unis ou encore le parti Cotelec auprès d’une société chypriote.

En 2014, le Front national emprunte 9 millions d’euros auprès d’une banque russe et devait être remboursé en 2019. S’agissant d’un prêt important, il a été étudié de près par les autorités compétentes.

La CNCCFP estime que ce prêt a été consenti à des conditions désavantageuses pour cette formation politique, du fait d’un taux d’intérêt élevé : « ces prêts d’origine étrangère (ndrl celui du FN et du parti Les Républicains) sont plutôt consentis à des taux supérieurs à ce qu’ils auraient été s’ils avaient été effectués par un établissement bancaire national. ». Le prêt russe n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences en termes d’ingérences étrangères, puisque « la question pourrait se poser si le prêt d’une banque était consenti à un taux dérisoire, c’est-à-dire à un prix d’ami. Ce n’est pas le cas en l’espèce ».

La banque russe ayant fait faillite, l’emprunt a été rééchelonné jusqu’en 2018. La CNCFFP a examiné avec attention le rééchelonnement à l’aide du « contrat de prêt et le jugement du Quai d’Orsay afin de s’assurer qu’il s’agissait du même prêt. Il est apparu que c’était effectivement le cas »[62]. L’organe de contrôle des comptes de campagne veille « à ce que les annuités aient bien été versées et que cet emprunt se réduise dans le passif d’année en année » et les commissaires sont « extrêmement attentifs au remboursement (…) Si nous constations qu’un emprunt ou une dette fournisseur n’était pas remboursé, nous considérions cela comme une aide prohibée et le dénoncerions auprès du procureur de la République »[63].

L’emprunt ayant été contracté avant 2017, il est tout à fait légal, n’a « rien de mystérieux et il est possible de trouver toutes les informations nécessaires sur notre site »[64].

Depuis 2017, les prêts d’origine étrangère, c’est-à-dire hors de l’Espace économique européen, sont interdits pour les personnes morales. Les partis politiques ne peuvent emprunter qu’auprès des partis politiques et des banques de l’Espace économique européen, c’est-à-dire avec un agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

L’absence regrettable de critère de nationalité et de résidence

Contrairement aux dons, l’absence de condition de nationalité française ou de résidence en France pour les cotisations pourrait représenter les dernières failles.

M. Jean-Philippe Vachia indique qu’il est difficile de contrôler le respect de cette condition de nationalité ou de résidence : « Nous pouvons alors seulement constater, s’agissant des dons, qu’une procédure permet au mandataire de s’assurer que la personne qui consent le don est de nationalité française ou réside en France. Cependant, nous n’avons aucun pouvoir d’investigation et nous ne pouvons pas demander aux impôts si une personne est effectivement résident fiscal ou non. Nous n’avons que la déclaration, et effectuer une fausse déclaration expose une personne à des poursuites. Si nous avons des suspicions, nous pouvons saisir Tracfin »[65].

Les cotisations jouent un rôle majeur dans le financement des partis politiques, « entre 15 ou 20 millions d’euros sur les 180 millions d’euros que représentent les ressources des partis politiques »[66]. Par exemple, lors de la campagne de la primaire des Républicains, la presse relate que des adhérents de plusieurs diasporas d’un même espace géographique, cela aurait très bien pu avoir une incidence importante. Bien qu’il soit peu probable « qu’il y ait des cotisations massives de personnes de nationalité étrangère »[67] en dehors de circonscription ou de moment particuliers, ce risque ne peut être écarté et donc, interdit.

 

B) Une lutte renforcée contre les atteintes à la probité

 

La prévention des conflits d’intérêts

À la suite du scandale Cahuzac, une autorité administrative indépendante, la Haute autorité de la transparence de la vie publique, est créée en 2013 dans le cadre de la loi relative à la transparence de la vie publique. Elle est chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics. Elle contrôle les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts des membres du Gouvernement et du Parlement ainsi que d’un certain nombre d’élus locaux et de responsables publics. Elle se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d’intérêts.

Son champ de compétences a été élargi avec la loi de 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II) avec l’encadrement de la représentation d’intérêt, la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique en introduisant l’obligation pour les candidats à l’élection présidentielle de disposer une déclaration d’intérêts et formalise la possibilité pour le Président de la République de solliciter la HATVP avant de nommer un membre du gouvernement, et la loi de 2019 de transformation de la fonction publique concernant le contrôle déontologique des mobilités des agents publics.

Des dires de son Président, M. Didier Migaud, « les comportements déviants sont beaucoup mieux identifiés qu’auparavant et beaucoup plus sévèrement sanctionnés. » Il indique que son autorité n’a « connaissance d’aucun sujet qui puisse être qualifié d’ingérence »[68], y compris via des associations cultuelles et culturelles. Les dossiers transmis au parquet ne relèvent pas de suspicions d’ingérence ou d’influence étrangère mais « soit d’infraction d’atteinte à la probité, soit de manquement aux obligations vis-à-vis de la HATVP, soit de prise illégale d’intérêts ou de détournement possible de fonds publics, mais pas de situation d’ingérence »[69]. Cependant, il observe que « s’agissant du contrôle de la reconversion d’anciens responsables publics dans le secteur privé, je note qu’en France aucun délai de carence ne s’applique, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays, où il est interdit aux anciens hauts responsables publics d’exercer une activité de lobbying ou de rejoindre une entreprise étrangère pendant un certain nombre d’années »[70].

Par exemple, M. François Fillon, bien que sa déclaration ait été validée par la Haute autorité de la transparence de la vie publique, il a pu rejoindre deux conseils d’administration parapublics russes.

La corruption, un cancer sous-estimé ?

Sur les 708 affaires en cours devant le Parquet National Financier, « seules huit sont susceptibles de recouvrir des faits d’ingérence. (…). Les États concernés sont les États-Unis, la Russie, d’anciens pays du bloc soviétique et certains émirats du Moyen-Orient. »[71]

« Une grande partie des faits de corruption d’agents publics étrangers ont lieu dans le cadre de marchés publics. Les principaux secteurs concernés sont les industries extractives, la construction, le transport et les infrastructures d’information et de communication. Ce sont surtout les grands contrats qui sont susceptibles d’engendrer des opérations de corruption. Nous avons observé sans surprise que les intermédiaires étaient impliqués dans les trois quarts des affaires de corruption transnationale. 41 % d’entre eux sont agents commerciaux, des courtiers et des distributeurs. Les personnes ayant versé les pots-de-vin ou autorisé leur paiement sont dans 41 % des affaires des membres de la direction de l’entreprise. Dans 12 % des cas, le PDG de l’entreprise lui-même a été impliqué. 22 % seulement des personnes versant les pots-de-vin n’occupent pas des fonctions de dirigeant, ce qui permet de relativiser le mythe de l’employé prenant une initiative solitaire. Les principaux récipiendaires des pots-de-vin sont les agents d’entreprises publiques dans 80 % des cas, puis les chefs d’État et les ministres dans 5 % des cas. Ils ont cependant perçu 11 % du montant total des pots-de-vin. »[72]. En revanche, la corruption d’agents privée n’est pas couverte par la convention.

S’inscrivant dans le cadre de la loi de 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II), l’Agence française anticorruption est créée.

Elle contrôle, sur pièces et sur place, la mise en œuvre des dispositifs de prévention de la corruption ainsi que la qualité et l’efficacité des procédures mises en place par certaines autorités publiques ou personnes morales de droit privé. Elle a une mission de conseil visant à prévenir et à détecter les atteintes à la probité, ainsi qu’une mission de protection des intérêts économiques c’est-à-dire qu’elle s’assure qu’aucune information susceptible de porter atteinte aux intérêts économiques essentiel de la France ne soit transmise par une entreprise française soumise par une autorité étrangère à l’obligation de mettre en place un dispositif de conformité anticorruption. Sur les 142 contrôles d’initiative, 80 concernent des acteurs économiques et 51 des acteurs publics. « La stratégie de nos contrôles a pour objectif de diffuser le plus rapidement possible des dispositifs anticorruption complets et efficaces au sein des organisations qui sont les plus exposées selon nous au risque d’atteinte à la probité. »[73]

La création de cette autorité administrative indépendante et celle du Parquet National Financier ont été salués par le rapport de l’OCDE, étalon international des bonnes pratiques et de la coordination contre la corruption.

L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales dénombre « soixante-quinze affaires de corruption, dont un nombre marginal concerne des phénomènes d’ingérences étrangères » c’est-à-dire qu’il vérifie si un « agent public étranger a été corrompu par une entité française ou qui a une activité en France »[74]. Parallèlement, il traite « cinq ou six affaires dans lesquelles se pose de manière directe la problématique de l’ingérence étrangère en France. (…). Elles concernent tous les agents publics ou des élus, dans le cadre de leurs fonctions ou mandats actuels ou passés. De fait, l’office traite très majoritairement des affaires de corruption publique »[75]. Il a enquêté si des entités plus au moins rattachées à des puissances étrangères avaient corrompu des parlementaires nationaux ou européens, à travers des revirements de prises de position par exemple, « mais c’est très marginal »[76]. « la Russie et le Qatar »[77] recourent à la corruption à des fins d’ingérence.


Partie 2

Un manque criant de volonté politique contre les ingérences étrangères

 

I-                  Les pouvoirs publics passifs face aux infiltrations étrangères au sein des secteurs de pointe français

 

A)  L’ingérence économique

Le développement de l’extraterritorialité du droit des grandes puissances

Des États démocratiques (États-Unis) et des États autoritaires (Chine) utilisent l’extraterritorialité du droit comme arme juridique.

Cette arme juridique se concrétise par « l’imposition de normes internationales telles que les taxonomies, par du lobbying ou par la judiciarisation de certaines activités économiques et sociales à l’international »[78]. Cette technique, légale, est problématique. Le fait qu’un État étranger puisse « engager des poursuites contre le dirigeant d’une entreprise au motif qu’il a vendu du matériel à tel ou tel pays, qui vise ainsi à neutraliser ce dirigeant ou à limiter l’activité de son entreprise constitue une ingérence étrangère et une manière de porter atteinte à nos intérêts fondamentaux »[79]. Des États démocratiques et des États autoritaire y ont recours. « Les États-Unis tentent de déborder du champ de la corruption tandis que les Chinois se dotent d’une législation pour se mettre au même niveau »[80].

M. Bernard Émié indique qu’« il ne faut pas non plus être naïf sur les actions hostiles conduites par des pays amis »[81]. « Les États-Unis ont (…) une logique de projection de puissance (…) par l’application extraterritoriale de leur droit »[82]. Ce constat est confirmé par Tracfin qui explique que « de grandes puissances qui, de l’autre côté d’un grand océan, essaient d’appliquer leur législation extra territorialement, tout particulièrement en matière de probité et de lutte contre la corruption »[83]

Plusieurs lois américaines permettent à l’autorité judiciaire de s’immiscer dans des affaires qui auraient pu relever de la compétence de juridictions françaises : la norme anticorruption et les « normes en matière boursière ou comptable, matières arides qui participent d’une stratégie offensive d’influence et de mise sous pression de nos entreprises, notamment celles qui exercent à l’étranger ou exportent »[84].

Dès 1977, les États-Unis adoptent le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), une loi anticorruption, avec une responsabilité des personnes morales élargies, une compétence interprétée de manière extensive, un « élargissement de la compétence territoriale américaine »[85] et les sanctions financières. « À partir de 2007, la politique de poursuites menée par les Américains a conduit à la multiplication des amendes records. (…) Si l’on considère les dix sanctions les plus importantes prononcées au titre de la loi de 1977, on constate tout d’abord que le montant des amendes se situe entre 585 millions de dollars et 3,3 milliards de dollars. Ensuite, les entreprises visées sont principalement européennes – trois françaises, deux suédoises, une allemande et une néerlandaise – contre une entreprise américaine et une brésilienne. Enfin, les montants records sont plutôt récents : six d’entre eux ont été prononcés au cours des trois dernières années. »[86].

Par ailleurs, « ces affaires traduisent très clairement une ingérence du droit américain en direction des entreprises françaises »[87], selon les déclarations de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier.

Le « monitoring » peut être confié à des agences étrangères et des cabinets d’avocat et de conseil pourtant reconnu comme des interlocuteurs de confiance par le gouvernement américain. Par exemple, Jean-François Bohnert confirme que dans le cas d’Airbus, le Parquet National Financier a exigé que le monitoring soit effectué par l’Agence française anticorruptionpour éviter ce type d’ingérence.

Pour lutter contre, la France créé un outil, la Convention judiciaire d’intérêt public.

Les Américains agissent dans le domaine de « l’export control ». Mme Lisa Oudens Monaco, Deputy Attorney General, explique que « les mesures et les sanctions dans le domaine des embargos et de l’export control sont le nouveau cadre d’action équivalent au FCPA pour les Américains »[88]. Un des exemples notables, les sanctions américaines contre l’Iran en 2018 suite à la décision unilatérale de M. Donald Trump de dénoncer l’arrangement dans le domaine du nucléaire conclu entre les puissances occidentales et l’Iran. Les « entreprises françaises fortement implantées dans les secteurs automobile et aéronautique »[89] ont dû quitter le territoire iranien. Plus tard, les entreprises américaines ont commencé à exporter vers l’Iran. Le Parquet National Financier déplore que « la France ne dispose d’aucune législation pour poursuivre pénalement des violations d’embargo »[90].

Le domaine de la défense est également touché par cette extraterritorialité du droit. A travers le Patriot Act, l’administration américaine peut poser, « sans aucun contrôle, sans aucune autorisation judiciaire, toutes sortes de questions à une entreprise assujettie au droit américain sur des sujets »[91]. A travers l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR), les États-Unis peuvent « dès lors qu’un produit vendu dans un autre pays contient un composant fabriqué sur son sol, de vérifier si la vente est conforme aux règles qu’il a édictées, il peut s’agir d’une forme d’ingérence »[92]. M. Arnaud Montebourg témoigne de son application en France. « Nous avons eu l’interdiction de vendre des Rafale à l’Égypte en 2018 parce que quelques composants figuraient sur la liste américaine (…). J’ai entendu l’ancienne ministre des armées Florence Parly dire, il y a deux ou trois ans, qu’il s’agissait là d’un processus rétroactif, extraterritorial et intrusif, et elle avait parfaitement raison. »[93]

Autre exemple, le Cloud Act - Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, « qui permet au juge américain d’accéder très largement aux contenus hébergés et traités aux États-Unis »[94] y compris dans les outils de télécommunication. Cette loi est d’autant plus problématique que « nous sommes devenus une colonie numérique des États-Unis , ce qui pose un problème en matière de souveraineté informationnelle et de maîtrise de nos données »[95] et que, selon M. Arnaud Montebourg, nos armées passent des accords avec Google, Microsoft.

La Chine, dotée d’une économie largement administrée et subordonnée à l’État-parti, s’inspire des règles extraterritoriales américaines, préoccupant le Parquet National Financier. « La République populaire de Chine a voté deux textes importants. La loi relative aux procédures de contrôle des exportations du 17 octobre 2020 définit plusieurs règles dans ce que l’on appelle l’export control – notamment le contrôle de la violation des embargos. Celle du 10 juin 2021, relative aux contre-mesures en matière de sanctions étrangères, est comparable à certains égards à notre loi de blocage »[96]. Cette loi portant sur le contrôle à l’exportation peut lui permette, « le jour venu, de prendre des mesures de représailles à l’encontre des pays qui lui imposent des dispositions de ce type »[97]. La loi sur le renseignement de 2017 oblige toute entité chinoise de coopérer avec les services de renseignement dans la collecte du renseignement. Une loi dans la droite ligne des lois américaines à la différence fondamentale que les services de renseignement américain dépendant d’un gouvernement démocratique et non d’un régime totalitaire. À ce jour, la Chine ne s’est pas attaquée à des opérateurs économiques français

Le manque d’application du décret de blocage et de patriotisme économique

Le SISSE note une « très forte augmentation de la menace économique étrangère (…). Il y a une augmentation brutale de la menace ». En 2022, 700 alertes ont été signalées dont 40 % sont de nature capitalistique, toutes ne rentrant pas dans les critères établis dans le champ du contrôle des IEF, 40 % sont de nature à s’approprier la propriété intellectuelle et d’informations sensibles, le reste concerne des entreprises connaissant des difficultés financières ou de réputation. Face aux menaces croissantes, le dispositif monte en puissance en imposant, par exemple, « un contrôle systématique des lettres d’engagement et des conditions imposées aux investisseurs étrangers, tous les dossiers d’autorisation faisant l’objet de conditions seront contrôlés »[98]. L’État intervient dans les secteurs de la défense et des exportations de biens à double usage.

La France dispose de « l’un des dispositifs de contrôle des IEF les plus étoffés avec un grand nombre de secteurs couverts »[99] pour préserver les pépites et les fleurons. Cet outil législatif englobant de plus en plus de secteurs se traduit par un renforcement du décret, baptisé décret de Villepin, puis décret Montebourg, puis décret Le Maire, bien que l’inspiration idéologique ne soit pas à chercher de ce côté de l’échiquier. Il permet de contrôler les rachats d’entreprises exerçant une activité stratégique que ce soit du ressort de la souveraineté agricole et de sécurité alimentaire à l’image du l’opposition de l’État du rachat de Carrefour par le groupe Couche-Tard. Malheureusement, « le sujet n’est pas tant la rédaction du décret que l’absence d’usage qui en est faite »[100].

Malgré cette prise de conscience, plusieurs failles existent.

Tout d’abord, le SISSE ne dispose pas d’un cadre juridique « pour intervenir lorsqu’une des technologies critiques de notre liste est concernée par un transfert », technologique ou encore de notre savoir-faire. Un des exemples les plus illustres, la prise de capital de l’aéroport de Toulouse par les Chinois. Alors que la Chine s’est lancée depuis l’arrivée de M. Xi Jinping dans deux plans majeurs : les routes de la soie (BRI) et le plan MIC 2025, cette action laisse craindre un risque de d’espionnage voire de pillage de nos savoir-faire technologiques, l’aéroport étant situé à proximité de nombreux sites de production et du siège mondial Airbus. Par ailleurs, « le secteur aérospatial, concentré à Toulouse, fait régulièrement l’objet de tentatives d’espionnage »[101]. Cette prise de participation, « dont le contrôle appartient à l’actionnaire privé (ndrl : les Chinois) par l’effet du pacte d’actionnaires qu’il a conclu avec l’État »[102], « est rarement anodine »[103].

Les gouvernements successifs ont augmenté l’interdépendance entre la France et des États-tiers. Si une coopération interétatique est souhaitable, des puissances économiques telles que la Chine s’appuient sur les faiblesses françaises. Par exemple, lors de la crise financière de 2008, les « autorités chinoises ont proposé d’investir massivement dans notre pays. (…) beaucoup d’élus ont compris qu’il fallait faire avec elle »[104]. Malheureusement, cela a éclipsé des problématiques essentielles telles que les répressions au Tibet, y compris à l’Assemblée nationale où les effectifs du groupe d’étude se sont effondrés, ou encore au Sénat avec seulement le nombre minimal de parlementaires requis pour créer un groupe d’amitié. Malgré des investissements colossaux dans notre économie, paradoxalement, ce ne sont pas ceux qui créés le plus d’emplois : « selon Business France, les investissements suisses ont créé plus d’emplois en France que les investissements chinois entre 2017 et 2021 »[105].

Le Qatar, les Émirats Arabes Unis et l’Inde sont des menaces perçues par nos services notamment par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques. Les deux monarchies du Golfe mentionnées, exerçant davantage une stratégie de « soft power, investissent dans le sport »[106]. Le service dirigé par M. Joffrey Célestin-Urbain n’a pas « repéré d’activité dans les secteurs stratégiques »[107]. Actuellement, l’Inde n’est pas une menace mais pourrait le devenir dans les années à venir suite à leur forte croissance économique, « notamment dans les filières très technologiques »[108].

 

B)   Au sein du monde universitaire, académique et de la recherche

 

La Chine, principale menace

Face à de nombreux signalements d’ingérence sur le monde universitaire, académique, et de la recherche, M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine et rapporteur de cette mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, utilise son droit de tirage afin de mettre en lumière ce phénomène. Les auditions des services et des institutions dans le cadre de notre commission d’enquête ont fait référence à ce travail.

La France véhicule le principe de liberté académique (liberté d’enseigner, d’étudier, de faire de la recherche, jouir d’une liberté d’expression) et d’intégrité scientifique. Malheureusement, ce principe de science ouverte, coopérative, inclusive, relève désormais de la naïveté. Toutes les sciences qu’elles soient dures (scientifiques) ou molles (sociales) sont sujettes à une utilisation à double usage.

S’il a été démontré que les États-Unis n’exercent pas d’influence dans le milieu académique, il en est bien différent pour d’autres États. « La Chine s’est distinguée (…) puisqu’elle est impliquée dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves »[109] des influences étatiques dans le monde académique et scientifique français. Dans une moindre mesure, la Turquie puis « certains pays du Moyen-Orient, surtout l’Iran »[110] sont coupables.

La Chine ambitionne d’être la première puissance mondiale. Pour atteindre son objectif, elle tente « d’assouvir des besoins technologiques »[111], elle-même consciente des « manques dans sa recherche et son savoir scientifique ». M. Bernard Émié valide ce constat : « il y a des menaces chinoises sur la recherche scientifique »[112]. « Traditionnellement moins régulé »[113] contrairement à un suivi plus fort de nos entreprises stratégiques de la part de nos services, des pays asiatiques dont la Chine « adoptent la stratégie du « saumon sauvage. Ils remontent les chaînes des valeurs »[114]. Elle se donne les moyens pour combler ce retard à travers « des investissements massifs et récupération de l’information ». Les scientifiques chinois utilisent la science comme « un instrument au service des intérêts stratégique de son pays et de son parti ». [115]

La Russie ne s’ingère pas dans les domaines d’excellence scientifique française car elle possède déjà ces connaissances, sur « les mathématiques, le nucléaire, l’aviation militaire »[116]. Le seul fait connu : « un faux chercheur s’est présenté dans un grand colloque consacré à la recherche en Arctique, où la France figure parmi les pays les plus en pointe, pour obtenir des données ». [117]

La passivité des pouvoirs publics

Par passivité, les pouvoirs publics délaissent ces champs d’excellence reconnus dans le monde. Le saisissement de cette problématique n’est suivi que par trop peu d’effets. Durant son audition, soit un an et demi après la publication de son rapport, M. le Sénateur André Gattolin tente de comprendre pourquoi les recommandations simples et rapides à mettre en place ne sont pas effectives. Pourtant, on lui a promis « que des mesures vont être prises dans les trois mois. (…) Je me suis adressé à tous les niveaux : je ne sais pas où réside le blocage. Je crains que le problème ne soit systémique. »[118]

Le manque de crédits alloué aux universités, notamment celles de taille moyenne, est une faille identifiée, notamment par la Chine en accentuant leur présence sur les campus des universités. Bien que la France ne reçoive que 5 % des étudiants chinois dans le monde, le risque de dépendance financière et des pressions exercées ne peut être exclu, comme ce fut le cas en Australie. En effet, les autorités chinoises ont conditionné la venue des étudiants dans leurs universités « à des restrictions quant aux débats, aux activités de recherche. »[119]

Les instituts publics de recherche de pointe sont également touchés. Illustré par le témoignage de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique, « un institut public de recherche de pointe en France s’est vu proposer par une entreprise chinoise un financement de 5 millions d’euros pour un programme de recherche d’une durée de trois à cinq ans. »[120]

Le rapport de M. le Sénateur André Gattolin pointe le manque de vigilance des ministères. En effet, « lorsqu’un laboratoire ou une institution académique signe un partenariat avec une université extra-européenne, il ou elle doit le déclarer au ministère des affaires étrangères ou à celui chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; ces deux ministères sont peu outillés pour traiter ces demandes, le second étant de création relativement récente et gérant avant tout l’organisation des études, le parcours des étudiants et le financement du secteur. Trente jours après le dépôt de la déclaration, le partenariat est réputé validé par l’État, alors que la plupart des dossiers n’ont pas été étudiés. »[121].

Cette désinvolture est d’autant plus problématique qu’au cours des dernières décennies, la Chine « s’est imposée comme un partenaire incontournable de la recherche en Europe, notamment en France »[122], introduisant « trois facteurs de menaces importantes un déséquilibre systématique de réciprocité au profit de la Chine ; des risques d’atteinte aux libertés académiques et au principe d’intégrité scientifique ; des menaces croissantes en matière de captation du potentiel scientifique et technique de la nation. »[123].

 

II- La lutte contre les ingérences demandent un renforcement des moyens conjugué à une volonté politique ferme et patriote

 

A)  Concentrer et renforcer les moyens sur les territoires français

Collectivités territoriales et Outre-mer :
les angles morts de la lutte contre les ingérences

Bien que l’ingérence se manifeste principalement à l’échelon national, le risque de corruption via les collectivités territoriales ne peut être exclu.

En effet, durant l’audition du directeur de l’Agence anticorruption, des ingérences auraient lieu au sein des administrations. Pour autant, « cela ne nous a pas permis à ce jour de constater des intrusions dans les administrations de l’État ou les collectivités – même si elles existent, selon les alertes des services de renseignement que nous avons reçues il y a quelques années. »[124]

Déterminer la corruption relève d’un travail fastidieux, de plus en plus complexe, nécessitant une connaissance approfondie de ce système. La loi créant le Parquet National Financier en 2013 aurait créé un effet pervers en supprimant « les juridictions spécialisées dans le ressort des cours d’appel prévues par l’article 704 du code de procédure pénale. À l’époque, il existait une attention des procureurs et des services locaux sur la matière économique et financière. Aujourd’hui, cette matière échappe à leur compétence. Ces affaires ne sont pas traitées comme elles devraient l’être alors même qu’elles sont plus nombreuses et plus complexes qu’auparavant en raison précisément de l’évolution des moyens technologiques. Ces juridictions locales n’étaient parfois pas aussi spécialisées qu’elles auraient dû l’être, mais c’était malgré tout une présence qui n’existe plus aujourd’hui. »[125]

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques contrôle les comptes de campagne, y compris la nature de l’origine des fonds, dans les municipalités de plus de 9 000 habitants soit 1 200 communes dans le cadre des élections locales. Il ne peut être exclu, qu’un groupe, un État, des sectes financent des campagnes.

Le directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales indique que « c’est à l’échelon municipal qu’on dénombre le plus grand nombre de faits, qui relève de la corruption de basse intensité », « cette forme de corruption, exercée à l’échelon local peut parfois s’exercer à l’égard d’élus dans le but d’avoir les mains libres pour mener des activités illicites sur un territoire ». Bien qu’il n’ait « pas d’exemple concernant les États étrangers ». Il ne peut être exclu que des États étrangers s’infiltrent dans notre société par ce biais.

Les actions contre les tentatives d’ingérence en France métropolitaine sont à saluer, les pouvoirs publics doivent renforcer leur vigilance en Outre-Mer, plus particulièrement dans la zone de l’Indo-Pacifique.

M. Jean-Philippe Vachia est « extrêmement frappé de l’importance des dons constatés dans le cadre des campagnes électorales qui ont lieu dans les Outre-mers ». Il est tout à fait plausible à l’avenir, notamment dans la zone du Pacifique, que les partis politiques subissent un risque d’ingérence étrangère d’États hostiles.

Malgré des fonctionnaires de grande qualité, la lutte contre les ingérences demande plus de moyens financiers et humains.

M. Charles Duchaine souligne l’absence de moyens humains. « On ne peut prétendre faire de la lutte contre la corruption sans faire de la détection. Or aujourd’hui, selon moi, personne ne le fait, car les moyens associés n’existent pas. Il existe des services spécialisés et très compétents, notamment l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLIFF), mais ils sont débordés »[126]. S’il souligne une volonté louable, il regrette le manque de « moyens pour réaliser les objectifs ambitieux confiés par le législateur »[127].

Le rapport de l’OCDE identifie cette faiblesse. « L’une des principales causes évoquées est le manque de détection. Les sources de détection possibles ont été estimées limitées en France. »[128] . « Nos contrôles sont très approfondis, mais notre capacité d’action dépend évidemment des moyens d’action qui nous sont octroyés. Or ceux-ci sont nettement inférieurs à ceux qui nous avaient été annoncés lors du vote de la loi, à la fois sur le plan financier et sur celui des ressources humaines. »[129]. Ce manque de moyens se concrétise, par exemple, par la sous-traitance de certaines missions de l’Agence française anticorruption. Ce même rapport « exprime son inquiétude quant à une possible fragilisation des acquis récents en raison de problèmes de ressources affectant l’ensemble des maillons de la chaîne pénale Ces difficultés concernent en particulier l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. »

 

B)   Préserver la liberté d’opinion tout en luttant contre la désinformation

 

La désinformation identifiée, une lente réaction

La désinformation, l’affaiblissement de notre liberté de communication, d’information et d’opinion, sont les cibles des puissances cherchant à porter atteinte au fonctionnement des démocraties. La France a tardé à se saisir de l’ampleur des campagnes de fausses nouvelles, de les comprendre, d’identifier les moyens pour se défendre face à ces attaques.

La Russie et la Chine sont les premiers responsables de ces campagnes visant à fracturer, accentuer les tensions de la société afin de la déstabiliser, orienter des comportements, imposer un ordre mondial alternatif « dans lequel la vérité peut être décidée et imposée par un parti, indépendamment des faits ou de la science »[130], promouvoir leur modèle politique.

La désinformation et la manipulation de l’information peuvent autant être diffusées sur les réseaux sociaux que sur les plateaux de grandes chaînes télévisées.

Le cas de désinformation et de manipulation le plus notable concerne le groupe Wagner, mené par M. Evgueni Prigojine. Au-delà d’un processus industrialisé de « fermes à boots », il conçoit des vidéos virales à caractère malveillant et diffamatoire, sur la présence de l’armée française en Afrique. Selon M. Bernard Émié, « il cherche à montrer que les soldats russes sont là pour protéger les populations contre les méchants colonialistes – on ne nomme pas les Français – mais on les reconnaît rapidement. En l’absence d’élaboration de contre-narratif, cette idée infuse les populations qui ne se sentent pas concernées par l’information »[131]. Lorsque les autorités réagissent, souvent une à deux semaines plus tard, elles ne choisissent pas le canal adéquat. En s’appuyant sur des études internationales, M. le Sénateur André Gattolin affirme que « le rétablissement de la vérité par une information argumentée ne touche qu’à peine 5 % des personnes ayant été infectée par une fausse nouvelle « On a tendance à oublier les narratifs, qui sont des récits construits ayant une vocation politique mais qui ne s’inscrivent pas toujours dans le champ de l’information. (…) Dans les pays africains comme dans les autres pays, seuls 20 à 25 % de la population s’intéressent vraiment à l’information. Les publics les moins formés intellectuellement, les plus populaires et les plus jeunes sont très touchés par la fiction. »[132]

Les chaînes d’information en continu, peuvent, indépendamment de leur volonté, propagatrices de fausses nouvelles. Les invités, sous la pression de réaction rapide, répondent sur des thématiques variés, sans avoir le temps adéquate pour contrer différentes sources d’information.

Les rédactions journalistiques doivent veiller à ce que l’information soit validée avant sa diffusion. À ce titre, l’enquête des « Story Killers » révèle que la Team Jorge aurait offert à ses clients un arsenal de services illégaux à des fins d’influence d’idées. Un journaliste, M. Rachid M’Barki, aurait diffusé une note fournie par un intermédiaire. Une des séquences emploie l’expression « Sahara marocain » au lieu « du Sahara occidental », expression utilisée par la plupart des organisations internationales et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. La diffusion d’une brève biaisée permet d’être présentée comme fiable, et de laisser sous-entendre qu’une chaîne de télévision nationale valide cette sémantique. Celle-ci « une fois découpées et diffusées sur les réseaux sociaux, viralisent une information certifiée, blanchie, tamponnée, car présentée dans les tweets comme issue d’une grande chaîne de télévision française »[133].

 

Un système de protection des élections françaises efficace

« En période électorale, les ingérences numériques étrangères peuvent avoir quatre types de cible. Les premières sont évidemment les candidatures elles-mêmes : des acteurs souhaitant s’intégrer dans le processus électoral mènent des campagnes de dénigrement ou de promotion de certains candidats. (…). Une candidature peut faire l’objet à la fois d’un soutien d’un acteur malveillant et du dénigrement de l’autre. Il arrive ensuite que les attaques visent les thèmes de campagne : les résultats du vote ne seront pas mes mêmes selon que la campagne porte sur des sujets sociaux ou économiques. Les thèmes de campagne peuvent eux-mêmes faire l’objet d’une manipulation de l’information. Les médias traditionnels constituent le troisième type de cible. Enfin, ces attaques peuvent viser les institutions et le processus électoral lui-même : on a observé des cas de manipulation de l’information visant à décourager certaines parties de la population de voter au prétexte que la procédure électorale serait biaisée ou inopérante, ou que l’élection serait volée. Il fallait sécuriser la procédure de vote elle-même. Tous les modes opératoires classiques peuvent s’observer : contrefaçon de contenus concernant les informations électorales ou les institutions ; usurpation d’identité pour prêter à une personnalité publique des propos qu’elle n’aurait pas tenus et essayer de la discréditer, amplification de narratifs pour accroître ou modifier la visibilité de certaines idées dans le débat public numérique »[134].

Lors de l’élection présidentielle de 2017, une opération menée par des hackers russes attaque la candidature d’Emmanuel Macron. Il s’agit des MacronLeaks. Fort heureusement, cette attaque n’a eu aucune incidence sur la sincérité du scrutin. En effet, la divulgation des informations a eu lieu à quelques heures du devoir de réserve soit deux jours avant le dimanche du vote. M. Stéphane Bouillon indique que « la gestion des MacronLeaks a été d’autant plus facile que cela s’est produit dans les deux jours précédant le scrutin »[135].

Le rôle des médias doit être saluer grâce à leur prise de responsabilité. La solidité du système médiatique français est mise en avant par le rapport de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, publié par l’IRSEM. Celui-ci indique que « l’environnement médiatique français est plutôt robuste : il y a une forte tradition de journalisme sérieux. La population consulte principalement les sources d’information conventionnelles, et les médias du type tabloïds et autres sites alternatifs sont beaucoup moins populaires. »[136].

En 2021, la France se dote de Viginum, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, chargé de lutter contre les manipulations de l’information. Il porte assistance aux autorités garantes du bon déroulement des scrutins, notamment le Conseil constitutionnel et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle. L’année électorale de 2022 a pu mettre en avant la qualité de ce service puisque les agents ont « pu démontrer qu’il était possible de mettre au jour des phénomènes et de tester notre chaîne de réponses et de ripostes »[137].

Au cours des campagnes présidentielle et législative de 2022, Viginum a repéré « seulement des épiphénomènes des tentatives d’attaques contre certains sites internet dont il est difficile de savoir si elles étaient ciblées. Certains médias, notamment de presse écrite, nous ont informés de tentatives d’attaque dites « en déni de service : c’est l’attaque la plus basique, puisqu’il s’agit de saturer un site internet en lui envoyant un très grand nombre de requêtes pour qu’il ne soit plus accessible. Ces attaques ont été d’une importance mineure : les protections de ces médias en ligne devaient être suffisantes et aucune coupure d’accès ne s’est produite. Ces faits ont été remontés au Conseil constitutionnel, qui a estimé « qu’ils n’avaient pas eu un impact significatif sur la campagne électorale, ni sur le scrutin »[138].

Au total, il a été détecté « soixante phénomènes potentiellement inauthentiques ; douze ont donné lieu à une investigation approfondie et fait l’objet d’une note de caractérisation, pour voir s’ils répondaient aux quatre critères de définition de l’ingérence numérique étrangère ; ce fut le cas pour cinq d’entre eux. »[139].

Cependant, il est tout à fait plausible que d’autres attaques se soient produites, sans que celles-ci ne soient identifiées car « elles n’ont pas été efficaces et n’ont pas prospéré »[140]. Le service a informé les plateformes, trouvant préoccupant le phénomène Beth, c’est-à-dire qu’un « candidat a fait l’objet d’une promotion très empathique pendant plusieurs mois de la campagne. Quelques jours avant le vote, des médias alternatifs ont révélé qu’il aurait bénéficié du soutien de fermes à trolls. (…). La manœuvre visait à jeter le discrédit sur ce candidat, et plus largement sur la procédure de vote en France »[141]. Autre exemple qui a amené la réaction du service, une attaque venue des États-Unis. Celle-ci indiquait que la société Dominion « avait fourni à la France son système de vote électrique »[142] et que cela présentait un risque de trucage des élections non négligeables. « Le ministre de l’intérieur a dû rappeler qu’aucune machine Dominion n’était utilisée en France et qu’il y avait, en outre, une étanchéité entre les systèmes électoraux fonctionnant dans les communes et le système qui permettait de transmettre les résultats depuis les préfectures vers le réseau central. Un problème constaté dans une commune ne risquait donc pas de remettre en cause l’ensemble du système[143] ».

Enfin, au cours de la campagne présidentielle, les comptes Twitter de plusieurs membres de l’équipe de campagne de Mme Marine le Pen ont été suspendus. Encore aujourd’hui, et malgré le signalement à l’ARCOM par le SGDSN, aucun retour n’a été effectué sur les motifs de cet incident.

 


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   introduction

La commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français a été créée à l’initiative du groupe Rassemblement national, qui exerçait ainsi pour la première fois le « droit de tirage » que prévoit, pour chaque groupe d’opposition ou groupe minoritaire, l’article 141, alinéa 2, du Règlement de l’Assemblée nationale.

Conformément à l’article 143, alinéa 3, du même Règlement, le groupe Rassemblement national a choisi que lui revienne la fonction de président – fonction exercée par M. Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme.

Le dépôt de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête a été annoncé le 23 septembre 2023 par un communiqué de presse ([144]) de MM. Jordan Bardella, président du Rassemblement national, et Jean-Philippe Tanguy. Ce communiqué vise en particulier le secrétaire général du parti Renaissance, M. Stéphane Séjourné :

« Avec d’autres dirigeants et influenceurs de la macronie, M. Séjourné accuse l’opposition d’être l’objet d’ingérences venues de la Russie. Il demande à ce titre que soit menée une “enquête indépendante sur l’ingérence russe dans les partis européens”.

« N’ayant rien à dissimuler aux Français, bien au contraire, le Rassemblement national est favorable à la proposition de M. Séjourné. Étant pour la transparence la plus totale en la matière, nous proposons que cette enquête soit étendue à l’ensemble des partis politiques et dirigeants français et à l’ensemble des ingérences potentielles. »

Cette polémique fait clairement écho à des arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat entre Mme Le Pen et M. Macron entre les deux tours de scrutin, et aux déclarations toutes récentes – du 19 septembre 2022 – d’un ancien ambassadeur de France à Moscou mettant en cause, sans le nommer, un parti politique français : « Quand j’étais ambassadeur de France en Russie, personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politiques français d’un certain bord venaient et ne repartaient pas les mains vides ([145]). » De toute évidence, l’initiative du Rassemblement national a pour objectif de « purger » la question du prêt russe accordé au Front national en 2014, et, du même coup, celle de la nature des liens tissés par de nombreux élus et responsables du parti avec le régime russe. Mais elle semble aussi avoir pour rôle d’amplifier le « bruit de fond » polémique que le Rassemblement national et la NUPES ([146]) entretiennent depuis des mois à l’encontre de la majorité présidentielle, ainsi que l’atteste la suite du communiqué :

« Cette enquête pourrait déterminer si certains parlementaires de la majorité présidentielle se sont retrouvés à jouer le rôle de véritables agents d’influence du pouvoir de Pékin, qui aurait dicté leurs votes sur les questions liées à la Chine. Elle pourrait faire la lumière sur ce qui s’apparente à une véritable coproduction législative entre le parti présidentiel et les géants américains Amazon, Microsoft, Google ou encore Uber, tous donateurs du parti politique européen de la majorité présidentielle. Elle pourrait s’enquérir des raisons profondes et des acteurs exacts de la vente du pôle énergie d’Alstom à General Electric en 2014, dont s’est déjà saisi le Parquet national financier. Elle aurait la possibilité de se pencher sur les raisons qui expliquent l’explosion des contrats publics passés ces dernières années avec des cabinets privés américains, au premier rang desquels McKinsey, dont des cadres ont également fourni de manière bénévole des prestations à Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle. »

Sur un ton à peine moins véhément, l’exposé des motifs de la proposition de résolution fixe à l’enquête un champ extrêmement vaste, le but étant de faire taire la polémique – mais aussi, peut-être, le débat – sur un nombre considérable de sujets :

« Le traitement de l’ingérence en France constitue […] une doublepeine : les vraies responsabilités ne sont pas établies et les corrompus continuent de nuire à l’intérêt national tandis que de fausses informations polluent le débat démocratique.

« Cette proposition de résolution demande donc la création d’une commission d’enquête pour que la République établisse clairement s’il existe oui ou non des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ([147]). »

Cette tâche considérable n’est certainement pas à la portée d’une commission d’enquête parlementaire, dont les prérogatives, le champ et les moyens sont strictement encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs. Telle qu’elle est ici définie, elle ressortit largement au pouvoir judiciaire et aux services de police et de renseignement de la République.

Il ne s’agit pas de nier que la perte de confiance des citoyens dans leurs représentants politiques, et, au-delà, dans l’appareil de l’État, dans la presse ou dans les savoirs scientifiques, constitue un problème de première importance. Comme le dit avec justesse le président Jean-Philippe Tanguy, la suspicion généralisée est un poison pour notre vie démocratique. Reste à savoir si, dans la façon même dont elle s’inscrit dans le débat public, cette commission d’enquête ne risque pas d’aggraver le mal qu’elle prétend combattre.

Le présent rapport a pour ambition d’éviter cet écueil, à défaut d’éviter des polémiques prévisibles.

La recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création de la commission d’enquête a été examinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Sans conclure à l’irrecevabilité, le rapport de notre collègue Pieyre‑Alexandre Anglade souligne que « le périmètre des travaux de la commission d’enquête dont il est proposé la création revêt une dimension particulièrement large. En plus des interrogations éventuelles quant à leur réalité, les faits mentionnés dans le dispositif de la proposition de résolution renvoient en effet à des “réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national”.

« Par ailleurs, l’intitulé et l’exposé des motifs de la proposition de résolution ne facilitent pas la délimitation du périmètre de la commission d’enquête, qu’il s’agisse de la multiplicité des personnes physiques ou morales ciblées (États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées, relais d’opinion, dirigeants, partis politiques), de l’hétérogénéité des actes et comportements devant être étudiés (stratégie d’influence, corruption, diffusion d’une propagande, obtention de décisions contraires à l’intérêt national) et de la diversité des matières concernées (diplomatie, politique économique et fiscale, traités commerciaux).

« L’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale impose que les faits donnant lieu à l’enquête, ou les services ou entreprises dont est examinée la gestion, doivent être “déterminés avec précision”. Il appartiendra donc à la commission d’enquête de circonscrire ses travaux à un cadre suffisamment délimité, conformément à l’exigence de précision précitée ([148]). »

De fait, l’amplitude excessive du champ défini par l’intitulé de la proposition de résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d’enquête, constamment confrontée aux risques de l’éparpillement et du « filet dérivant ».

La majorité des groupes se sont abstenus lors du vote en commission des lois sur la recevabilité, donnant tacitement la priorité au « droit de tirage » des groupes d’opposition ou minoritaires, au détriment des dispositions législatives et réglementaires encadrant la définition de l’objet des commissions d’enquête parlementaires. Dans la discussion, notre collègue Hervé Saulignac résumait la situation en ces termes :

« Pour tout dire, je m’interroge sur l’intérêt de ce débat, puisque nous faisons tous le même constat : on ne peut s’opposer à ce qu’un groupe exerce son droit de tirage, mais cette commission d’enquête au champ mal délimité risque de partir dans tous les sens et de donner lieu à des dérives ([149]). »

La rapporteure prend acte du fait que la commission des lois ait fait primer le droit de tirage sur les critères de recevabilité et a pris bonne note des réserves émises par la commission quant au périmètre bien trop large de la commission d’enquête demandée par le groupe du Rassemblement national.

Néanmoins, attachée au bon fonctionnement de notre institution parlementaire et à la mission de contrôle que peut exercer l’Assemblée nationale, elle a eu à cœur de s’impliquer dans les travaux de la commission d’enquête avec sérieux et esprit de responsabilité.

Sans être le moins du monde dupe des raisons qui ont poussé le groupe du Rassemblement national à demander la création d’une commission d’enquête sur le sujet des ingérences étrangères, à savoir « se blanchir » de toute accusation de complaisance, connivence, allégeance ou lien privilégié avec le régime de Vladimir Poutine, la rapporteure a tenu à ce que les travaux se déroulent dans un climat de travail respectueux.

Compte tenu de la nature des sujets traités et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées – chefs de services de renseignement, par exemple, dont les auditions se sont déroulées à huis clos –, la commission d’enquête s’est vu opposer à plusieurs reprises le secret de l’enquête, le secret de l’instruction ou le secret de la défense nationale.

À cette considération s’ajoute le fait que le champ de l’enquête parlementaire recoupe, pour une part substantielle, celui d’enquêtes judiciaires en cours, ce qui a plusieurs fois contraint la commission d’enquête à éviter d’entrer dans le détail d’affaires pourtant au cœur de son sujet.

Pour autant, une commission d’enquête parlementaire consacrée aux ingérences réelles ou potentielles de puissances étrangères « visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français » peut avoir un sens et une utilité réels au regard des menaces croissantes dont le contexte international est porteur.

On ne mentionnera dans cette introduction que les faits les plus connus : ingérences directes de puissances étrangères dans des processus électoraux, montée de la défiance vis-à-vis des savoirs rationnellement élaborés, révolution numérique, durcissement des relations entre les principales puissances mondiales et accroissement considérable des efforts d’armement partout dans le monde, guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine depuis le 24 février 2022. Tous ces éléments feront l’objet d’analyses, car les ingérences de puissances étrangères ont dans un tel contexte un pouvoir de déstabilisation démultiplié.

En outre, au cours des mois qui se sont écoulés après l’annonce de la création de la commission d’enquête, plusieurs affaires d’ingérence avérées ou potentielles ont été mises au jour ([150]).

Comme d’autres travaux récemment publiés, le présent rapport se veut être une contribution à une prise de conscience que l’on voudrait la plus générale possible quant aux faits d’ingérence et à leurs conséquences délétères sur nos démocraties libérales.

La rapporteure se félicite que les choix concernant la conduite des travaux aient été discutés dans un esprit constructif et de recherche du consensus ; elle regrette cependant que les commissaires membres de la NUPES n’aient pas souhaité siéger au bureau.

Compte tenu de l’amplitude du sujet, la commission d’enquête s’est tout d’abord concentrée sur la définition de la notion d’ingérence, notamment par distinction avec l’influence, et sur la forme que prennent les ingérences dans le contexte géopolitique actuel. À cette fin, elle a entendu de nombreux experts issus du monde de la recherche institutionnelle ou des think tanks.

Considérant que la Russie et la Chine devaient particulièrement retenir son attention du fait de la gravité de la menace qu’elles font peser sur les démocraties libérales, elle a souhaité bénéficier de l’éclairage de spécialistes de ces deux pays. Elle a également interrogé plusieurs personnalités politiques auxquelles sont reprochées, à tort ou à raison, des relations trop étroites avec le régime russe ou le régime chinois.

Parallèlement, elle s’est livrée à une évaluation des structures et des dispositifs de surveillance et de prévention des ingérences étrangères, au premier rang desquels les services de renseignement.

Elle a également mené une analyse des dispositifs de régulation de la vie politique et de leur efficacité face aux risques d’ingérence induits notamment par les conflits d’intérêts et les phénomènes de corruption.

Comme la question de la « guerre juridique » – le lawfare – et les problèmes posés par l’extraterritorialité du droit des États-Unis ont été mis en exergue par plusieurs experts et anciens responsables politiques entendus par la commission d’enquête, celle-ci a souhaité approfondir cet aspect que l’on peut considérer comme de l’ingérence, même si l’on se situe là à la lisière du champ défini par l’intitulé de la commission d’enquête.

En relation avec le lawfare, elle s’est également efforcée de situer les enjeux de la prédation scientifique, technologique et économique imputable à des puissances étrangères.

La commission d’enquête a bien entendu suivi de près les travaux de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne ([151]), dont la deuxième phase de travaux a presque exactement coïncidé avec le déroulement des travaux de la commission de l’Assemblée nationale. Elle a également analysé les initiatives très récentes de la Commission et du Parlement européens en matière de lutte contre la corruption et les conflits d’intérêts au sein des institutions européennes.

Plusieurs auditions ont été organisées autour d’affaires qui, au cours des six derniers mois, ont soulevé des interrogations ou des débats dans la presse ou dans l’espace public et qui sont représentatives de l’actualité des questions d’ingérence.

Enfin, la question du financement du Front national puis du Rassemblement national et des campagnes électorales de Mme Marine Le Pen par le recours à des prêts de banques étrangères n’a pas été éludée, non plus que celle des relations entre le régime russe et le Front national puis le Rassemblement national, tant ces sujets sont présents dans le débat public français depuis plusieurs années.

Afin de compléter son information sur ce dernier sujet, la rapporteure a effectué deux contrôles sur place et sur pièces, l’un à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques le 5 mai 2023, l’autre à Tracfin le 12 mai 2023.

Le présent rapport ne saurait entrer dans le détail de l’ensemble des sujets abordés lors des auditions. Il y avait là matière à plusieurs commissions d’enquête ! De ce point de vue, le tome II, qui regroupe les comptes rendus de ces auditions, peut être considéré à lui seul comme une source d’informations, de témoignages et d’analyses de grande qualité où parlementaires, chercheurs ou journalistes pourront puiser pour leurs futurs travaux et enquêtes.

La rapporteure a choisi de privilégier les angles d’attaque suivants :

– une approche conceptuelle des notions d’ingérence et d’influence ;

– une analyse de la réalité géopolitique des menaces d’ingérence et de leur origine ;

– une analyse des ingérences avérées et potentielles de la Russie dans les affaires de la France, comprenant une appréciation factuelle de la question des liens entre le Rassemblement national et le régime russe ;

– un tour d’horizon des dispositifs mis en place par les autorités françaises depuis une vingtaine d’années et une évaluation des progrès – réels – accomplis tant en matière de contre-ingérence qu’en matière de lutte contre la corruption, de régulation de la vie politique et de déontologie des élus et des hauts responsables publics ;

– une analyse de la « guerre informationnelle » et plus généralement médiatique et culturelle qui se joue dans les médias et sur les réseaux sociaux ;

– des propositions et des pistes pour améliorer les dispositifs en place et pour diffuser une culture du risque d’ingérence à tous les niveaux de la vie politique, économique et sociale et dans la société française de manière générale.

 


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   partie 1 : la France est la cible d’ingérences de la part de puissances étrangères

La présente partie vise tout d’abord à définir la notion d’ingérence et à en caractériser les manifestations et les vecteurs.

Elle identifie ensuite les principales puissances qui déploient des stratégies agressives d’ingérence et décrit leurs modes opérationnels.

Elle se concentre enfin sur les ingérences et tentatives d’ingérence de la Russie à l’encontre de la France.

I.   Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ?

Dès le début de ses travaux, la commission d’enquête a cherché à savoir comment l’ingérence d’une puissance étrangère pouvait être caractérisée et ce qui la distinguait des politiques d’influence.

Les ingérences étrangères constituent des menaces aux intérêts fondamentaux de la Nation et à notre modèle démocratique. Elles empruntent un grand nombre de vecteurs, anciens ou nouveaux, pour atteindre leur cible.

A.   un concept qui doit être distingué de l’influence

Les ingérences étrangères visent à déstabiliser le pays qu’elles ciblent. Leur caractère malveillant et dissimulé, voire clandestin, les distingue nettement des stratégies d’influence, lesquelles reposent sur la conviction et la séduction.

1.   L’ingérence d’un État désigne son intervention dans les affaires intérieures d’un autre État

Le dictionnaire de l’Académie française définit l’ingérence comme « l’action de s’ingérer dans les affaires d’autrui » et, par extension, comme « l’intervention d’un État dans les affaires qui relèvent de la souveraineté d’un autre État ([152]) », ce que le Larousse formule ainsi : « l’intervention d’un État dans la politique intérieure d’un autre État ».

Le verbe pronominal dont est issu le substantif, « s’ingérer », est défini comme le fait de « s’immiscer dans une affaire indûment ou sans titre, sans en être requis » (Académie française) ou encore de « s’introduire indûment dans quelque chose, [d’]intervenir sans invitation » (Larousse).

L’équivalent le plus usuel du mot français « ingérence » en anglais est interference ([153]).

En droit international, la notion d’ingérence apparaît au travers du principe de non-intervention, qui découle de l’égale souveraineté des États et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ainsi, l’article 2 de la Charte des Nations unies dispose, d’une part, que « les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des nations unies » (paragraphe 2) et, d’autre part, qu’« aucune disposition de la présente Charte n’autorise les nations unies à intervenir dans des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un État » (paragraphe 7).

Il convient de rappeler que l’immixtion dans les affaires intérieures d’un État tiers n’a pas nécessairement une connotation négative. Dans le contexte de la crise humanitaire née de la guerre du Biafra au Nigeria (1967-1970) et des exactions commises par différents dictateurs africains contre leur peuple, le concept de « devoir d’ingérence » avait été forgé par le philosophe Jean-François Revel en 1979 ([154]) avant d’être popularisé l’année suivante par Bernard Kouchner, fondateur de Médecins sans frontières et futur ministre ([155]).

2.   Les ingérences peuvent être confondues avec les politiques d’influence

Si l’ingérence désigne l’intervention d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État, il reste à savoir comment caractériser cette intervention, notamment pour la distinguer des formes admises des politiques d’influence. Ces dernières ont été théorisées par Joseph Nye par le biais du concept de soft power en 1990. Celui-ci peut se définir comme la capacité d’un État à influencer et à orienter les relations internationales en sa faveur ou, plus exactement à « structurer une situation de telle manière que d’autres pays développent des préférences ou définissent leurs intérêts en harmonie avec les siens ([156]) ».

Une première approche serait de considérer qu’il revient aux États de définir quelle action menée par les autorités d’un pays étranger relève d’une ingérence ou non. M. Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et stratégies d’influence » de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) estime, par exemple, que si « l’influence est tolérable et le plus souvent tolérée, tel n’est pas le cas de l’ingérence ». En conséquence, « la distinction du tolérable et de l’intolérable relève en réalité des États, dont les arbitrages diffèrent grandement en la matière ([157]) ». Selon lui, cette clarification peut être obtenue au travers de la notion de réciprocité : relèverait de l’ingérence ce qui ne saurait être admis en retour.

Abondant dans le même sens, M. Maxime Audinet, chercheur à l’IRSEM, considère que « le rôle du politique est de déterminer ce qui relève d’un mode d’influence et d’un mode d’ingérence, ce qui est légal ou non, tolérable ou non, sachant que les frontières entre les notions sont mouvantes et floues ([158]) ».

M. Frédéric Charillon, professeur de science politique et auteur d’un essai intitulé Guerres d’influence ([159]), décrit un continuum entre l’influence et l’ingérence dans le sens où l’influence peut faciliter l’ingérence. Si la première a un champ d’action plus large, s’adressant à des publics en agissant sur le temps long, la seconde « peut se définir comme une immixtion dans des réseaux pour essayer de changer le cours d’une politique ([160]) ». Par ailleurs, il note que la stratégie d’influence des pays autoritaires « ne cherche pas tant à convaincre qu’à faire douter les démocraties », ce qui rejoint la notion de sharp power, forgé par Christopher Walker et Jessica Ludwig ([161]), chercheurs membres du think tank National Endowment for Democracy. Situé entre le hard power, la puissance « dure » étatique classique, et le soft power, la puissance « douce » fondée sur la persuasion et l’attractivité, le pouvoir « acéré » ou « piquant » entend miner de l’intérieur les démocraties occidentales.

L’idée d’un continuum entre l’influence et l’ingérence a également été partagée par la directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au ministère des armées, Mme Alice Rufo, lors de son audition. Selon elle, « l’influence peut préparer le terrain à une ingérence et l’ingérence peut être le vecteur d’une stratégie d’influence ([162]) ».

Le directeur de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), M. Nicolas Lerner, a considéré, lors de son audition, que « l’ingérence est une politique d’influence masquée [qui] consiste, pour un État, à mener des actions visant à rendre la politique d’un autre pays structurellement favorable à la sienne, sans que l’on sache d’où parlent les personnes et les organisations auxquelles il a recours ([163]) ».

Le DGSI a aussi exposé les raisons pour lesquelles, dans le contexte mondial actuel, notre pays est particulièrement exposé aux tentatives d’espionnage et d’ingérence. Il existe selon lui trois raisons principales :

« Premièrement, la France reste, sur la scène internationale, une grande puissance dont la voix porte. Membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, État doté, la France promeut par ailleurs un modèle démocratique […].

« Deuxièmement, notre territoire accueille des communautés étrangères et des diasporas d’origines variées […].

« Troisièmement, notre pays demeure une grande puissance dans le domaine de l’économie et de la recherche. »

3.   Les ingérences se caractérisent par leur hostilité et leur atteinte aux intérêts fondamentaux d’une nation

S’il existe un lien entre les notions d’influence et d’ingérence, une différence de nature et de moyens doit être soulignée. Pour un certain nombre d’acteurs auditionnés, l’ingérence se distingue nettement par son aspect secret et répréhensible.

M. Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), observe notamment que « l’ingérence présente un caractère délictueux que n’a pas l’influence » et que cette notion renvoie « à des manœuvres secrètes ([164]) ».

Ce caractère secret a également été mis en exergue par le directeur de la direction générale des services extérieurs (DGSE), M. Bernard Émié, pour qui les ingérences sont « des activités hostiles, volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses, entreprises par une puissance étrangère. Mises en œuvre par une multiplicité d’acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples que connaissent bien les services de renseignement : des cyber-attaques, l’utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l’opinion, ou des opérations d’espionnage plus classiques ([165]). » Elles ont pour but de miner la démocratie et de porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique.

De même, la directrice de la DGRIS constate que « l’ingérence ne se revendique pas, ne s’affiche pas et s’exerce contre un État ou ses représentants sans son accord » à l’inverse de l’influence qui « s’affiche et s’exerce au grand jour ».

M. Maxime Audinet (IRSEM) précise également que « l’ingérence comporte un certain degré de clandestinité [et] suppose de se faire passer pour quelqu’un qu’on n’est pas ».

Citant l’ancien Premier ministre australien Malcolm Turnbull (2015-2018), M. Paul Charon relève que les activités d’ingérence sont « à la fois secrètes, coercitives et corruptrices ».

Dans une résolution adoptée le 9 mars 2022 à l’issue des travaux de sa commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation (dite « INGE 1 ») ([166]), le Parlement européen considère que l’ingérence est « manipulatrice par nature [et] qu’elle est menée et financée de façon délibérée et coordonnée ([167]) ».

La rapporteure considère, quant à elle, qu’une distinction doit être établie entre l’ingérence et l’influence. L’ingérence présente un caractère toxique ou malveillant, voire délictueux, dans la mesure où elle vise à déstabiliser, à saper la confiance en les institutions d’un pays, à engendrer de la confusion entre le vrai et le faux, à servir les intérêts d’une puissance étrangère, pouvant même aller jusqu’à tenter de détruire une cible, par exemple le système démocratique d’un État.

B.   les ingérences empruntent plusieurs vecteurs

Les moyens de manœuvres d’ingérence ne sont pas tous nouveaux. Néanmoins, le contexte géopolitique ainsi que le progrès technologique ont donné de nouvelles opportunités pour mener des activités particulièrement déstabilisatrices et pernicieuses pour nos sociétés démocratiques.

1.   Le contexte géopolitique est propice à la multiplication des moyens d’ingérence

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a pu constater que les ingérences étrangères observées au cours des dernières années s’inscrivent dans un contexte géopolitique en pleine évolution. Si le phénomène de l’ingérence n’est pas nouveau, on a pu assister à son intensification.

La DGRIS du ministère des armées met en avant « le durcissement de la compétition stratégique, qui passe par des stratégies d’influence beaucoup plus assertives et des ingérences plus débridées ». D’après elle, cette évolution est le fait « d’agendas révisionnistes et de l’opportunisme militaire de puissances globales et régionales de plus en plus affirmées », principalement la Russie et la Chine.

Le Président de la République a d’ailleurs clairement parlé de « puissances autoritaires et de déséquilibre » à leur sujet dans son discours à l’occasion de la Conférence des ambassadeurs du 1er septembre 2022.

M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, parle de la « réapparition de stratégies d’influence et d’ingérence agressives » en raison d’une mutation du système international marquée par une redistribution de la puissance et une hétérogénéité des valeurs – assimilée à « la désoccidentalisation du monde et l’essor de pouvoirs autoritaires aux visées révisionnistes ([168]) » –, un rôle accru des acteurs non étatiques ainsi qu’un contexte favorable à l’essor de stratégies indirectes.

Ce contexte est propice à des formes de guerres hybrides qui se manifestent par le recours à « une combinaison intégrée de modes d’action militaires et non militaires, directs et indirects, licites ou illicites, légitimes ou illégitimes, souvent subversifs, ambigus et difficilement attribuables » (Mme Alice Rufo, DGRIS). Dans cette optique, l’ingérence apparaît comme « un acte hostile qui vise à porter atteinte autrement que par la confrontation militaire aux intérêts fondamentaux de la nation ».

Lors de la présentation de ses vœux aux armées le 20 janvier 2023 à Mont‑de‑Marsan, le Président de la République a, à ce sujet, employé une formule éloquente : « Ce qui caractérise les nouveaux conflits de notre siècle est sans doute le brouillage entre une conflictualité ouverte, explicite et une malveillance répétée, systémique, pernicieuse. La guerre ne se déclare plus, elle se mène à bas bruit, insidieusement, elle est hybride. »

Comme l’écrit Mme Nathalie Loiseau dans son ouvrage La Guerre qu’on ne voit pas venir ([169]) : « De plus en plus, des puissances autoritaires et inamicales utilisent notre espace de liberté comme terrain de jeu, dans l’espoir de nous diviser et de nous affaiblir. »

De façon plus large, comme l’a très clairement exposé M. Bernard Émié, DGSE : « Le contexte géopolitique est propice aux guerres hybrides, dont les ingérences sont l’expression naturelle. Si le phénomène n’est pas nouveau, son intensification s’explique pour plusieurs raisons, notamment par la fragmentation de l’ordre international.

« […] Nous sommes passés d’un monde de compétition à un monde de confrontation, dans lequel les puissances autoritaires, au premier rang desquelles la Russie et la Chine, contestent l’ordre international hérité de la fin de la guerre froide, fondé sur la démocratie, l’économie de marché et l’État de droit.

« Depuis l’agression contre l’Ukraine, la Russie assume pleinement une stratégie de confrontation, guerre comprise, avec l’Occident. La Chine, qui considère que le moment chinois est venu, est engagée dans une logique d’exercice de sa pleine puissance et de rivalité assumée avec les démocraties. […]

« Ces États révisionnistes ont tout intérêt à affaiblir et si possible à diviser le bloc occidental. »

2.   La typologie des ingérences mêle principalement des tactiques anciennes de corruption et d’espionnage avec l’utilisation d’outils très modernes

Lors de son audition ([170]), le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), M. Stéphane Bouillon, relève également qu’en plus des menaces ouvertes et affirmées, des menaces « plus discrètes, sournoises, qui visent à nous affaiblir sans que le seuil de conflictualité ne soit franchi, et parfois même sans que leurs auteurs ne puissent être identifiés », doivent être parées. Parmi ces menaces figurent celles qui sont qualifiées « d’hybrides ». M. Bouillon a proposé d’établir quatre catégories de menaces hybrides :

– les cyber-attaques ;

– les manipulations de l’information ;

– les atteintes au patrimoine scientifique et technique ;

– l’utilisation du droit comme arme, dite lawfare ([171]).

La rapporteure considère que cette typologie doit être complétée par une zone grise entre l’influence et l’ingérence, caractérisée par la recherche de la complaisance, de connivence, voire d’allégeance, d’une partie des élites d’un pays, zone grise sur laquelle la commission d’enquête s’est efforcée de concentrer une grande partie de ses travaux.

a.   Les cyber-attaques

Une cyber-attaque est une atteinte à des systèmes d’information réalisée dans un but malveillant. Elle peut cibler différents dispositifs informatiques comme des ordinateurs ou des serveurs, des équipements périphériques ou encore des appareils de communication, dont les téléphones portables.

Si les cyber-attaques sont le plus souvent le fait d’acteurs criminels – tentative d’extorsion par le biais d’un « rançongiciel » ([172]), pillage de données par « hameçonnage » ([173]) –, elles peuvent également provenir de puissances étrangères. Leur but est alors d’espionner et de saboter, notamment par le biais d’une prise de contrôle des systèmes d’information visés. Enfin, des atteintes à l’image et des opérations d’intimidation peuvent également être commises à des fins de déstabilisation ou de revendication de la part d’acteurs étatiques ou non (déni de service, défiguration…).

Il est à noter que des puissances étrangères n’hésitent pas à recourir aux services de « hackers », par ailleurs acteurs dans des opérations de prédation orchestrées par des réseaux criminels. À cet égard, le fonctionnement des réseaux utilisés par Evgueni Prigojine et mis en place depuis la Russie est assez éclairant.

Les cyber-attaques aux fins d’espionnage sont généralement très ciblées et sophistiquées. D’après l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), elles peuvent utiliser plusieurs techniques :

– attaque par « point d’eau » (watering hole) qui consiste à piéger un site qui va servir d’appât afin d’infecter les équipements des visiteurs d’un secteur d’activité visé afin de récupérer des données ;

– attaque par hameçonnage ciblé (spearphishing) qui a pour but d’infiltrer le système d’information d’une organisation au travers de l’usurpation d’identité d’un expéditeur de courrier électronique.

Les attaques susceptibles d’être attribuées à une puissance étrangère peuvent aussi avoir pour but de saboter tout ou partie d’un système d’information. Une telle action peut prendre la forme d’une panne organisée ayant pour but la désorganisation de la cible.

Le SGDSN reconnaît que l’attribution d’une attaque à un État demeure difficile en raison de faux-semblants ou de stratégies de dissimulation. Une cyber-attaque peut avoir été réalisée par un outil développé dans un pays étranger sans que celui-ci en soit véritablement le responsable. M. Vincent Strubel, directeur général de l’ANSSI, indique en effet qu’« on ne peut jamais se fonder sur l’adresse IP ou sur le chemin parcouru » et que « c’est toute la subtilité du métier [des agents de l’ANSSI] ».

Eu égard à la dépendance des administrations, des entités territoriales et des entreprises aux outils informatiques et, plus généralement, à la place du numérique dans les sociétés démocratiques, les cyber-attaques constituent une forme d’ingérence et de déstabilisation en plein essor.

M. Bernard Émié, directeur de la DGSE, constate que « la révolution numérique est un facteur aggravant. Le numérique est désormais pleinement intégré dans les stratégies d’influence, d’ingérence, d’espionnage et de découragement des puissances étrangères. Exploitant le manque de régulation à l’échelle mondiale, certains acteurs étatiques perçoivent le domaine cyber comme un nouvel espace de projection, investissent pleinement le rapport de force et développent de fortes capacités offensives et défensives. » Le directeur de la DGSI, M. Nicolas Lerner, observe également que « l’outil cyber est aujourd’hui la voie qu’emprunte une grande partie de l’espionnage ».

Pour ne citer que deux exemples, les sites officiels de l’Assemblée nationale et du Sénat ont fait l’objet récemment de deux cyber-attaques qui ont momentanément rendu indisponibles leur accès et leur consultation. Sans qu’il ait été possible de procéder à l’attribution de ces attaques, qui n’ont pas épargné d’autres institutions de la République, il faut relever qu’elles ont coïncidé avec des débats et des votes sur des résolutions portant sur des sujets sensibles…

b.   Les manipulations de l’information

Comme l’ont rappelé le CAPS et l’IRSEM dans un rapport conjoint sur le sujet ([174]), les manipulations de l’information ne sont pas un phénomène nouveau. Trois facteurs contribuent néanmoins à leur actualité récente :

– les capacités inédites de diffusion rapide et de « viralité » offertes par internet et les réseaux sociaux ;

– la crise de confiance que vivent les démocraties occidentales dévaluant la parole publique jusqu’à relativiser la notion même de vérité ;

– le recours massif, pensé et stratégisé par des puissances étrangères, à commencer par la Russie et la Chine, aux formes diverses de manipulation de l’information – fausses informations, désinformation, malinformation.

Les manipulations de l’information sont définies par les auteurs du rapport mentionné ci-dessus comme « la diffusion intentionnelle et massive de nouvelles fausses ou biaisées à des fins politiques hostiles ». Elles ont donc un spectre plus large que celui des seules fake news. Lors de son audition, M. Stéphane Bouillon, secrétaire général du SGDSN, a choisi les termes d’« ingérences numériques étrangères ».

Ces ingérences particulières ont reçu une définition réglementaire par le biais du décret du 13 juillet 2021 portant création de Viginum ([175]) qui a modifié l’article R.* 1132‑3 du code de la défense : « opérations impliquant, de manière directe ou indirecte, un État étranger ou une entité non étatique étrangère, et visant à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d’un service de communication au public en ligne, d’allégations ou imputations de faits manifestement inexactes ou trompeuses de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

La diffusion artificielle ou automatisée constitue, à cet égard, une nouveauté par rapport aux formes classiques de manipulation de l’information. Elle est rendue possible par les technologies actuelles de l’information et de la communication ainsi que par l’essor des réseaux sociaux, comme le souligne M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du CAPS. À titre d’exemple, on se référera à la comparaison faite par le directeur de la DGSE, M. Bernard Émié, entre les quatre années nécessaires, au début des années 1980, aux services secrets soviétiques pour diffuser à travers le monde la rumeur selon laquelle le virus du sida était une création du Pentagone, et la rapidité et la viralité avec lesquelles les fausses informations fabriquées et diffusées par les usines à trolls de la galaxie Wagner dirigée par Evgueni Prigojine se répandent à travers le monde, comme les fausses informations et manœuvres informationnelles à l’encontre de la présence française en Afrique francophone (voir ci-après).

Le caractère manifestement inexact ou trompeur d’une information est présent lorsqu’il est « possible de démontrer la fausseté de manière objective » selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de sa décision relative à la loi n° 2018‑1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information ([176]).

Quant aux intérêts fondamentaux de la Nation, ils s’entendent, au sens de l’article 410‑1 du code pénal, « de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

Le but de ces manipulations de l’information, lorsqu’elles s’exercent à l’intérieur de nos pays, est d’éroder la confiance des citoyens dans leurs institutions et de polariser les débats publics afin d’amplifier des tensions présentes dans les sociétés démocratiques, c’est-à-dire d’être « le couteau remué dans la plaie », selon l’expression de M. Frédéric Charillon au sujet de la stratégie des pays autoritaires, ou bien encore « d’appuyer là où cela fait mal » d’après celle de M. Nicolas Lerner, directeur général de la DGSI. M. Manuel Lafont Rapnouil ajoute qu’elles visent aussi à « renforcer l’attrait pour les régimes ou les pratiques autoritaires ».

Ces ingérences sont donc parties intégrantes de la démarche de sharp power évoquée ci-avant. Elles sont également une manœuvre propre à la guerre hybride. Mme Alice Rufo, directrice de la DGRIS, précise qu’« en temps de paix, ces méthodes peuvent créer un brouillard informationnel qui trouble les repères et fragilise la cohésion et la résilience nationales ».

La rapporteure insiste sur le caractère particulièrement grave et menaçant de cette catégorie d’ingérences dans la mesure où la démocratie repose sur le débat contradictoire, pacifique et éclairé des idées grâce à la liberté d’expression et à la liberté d’information. La confiance des citoyens dans l’objectivité, la transparence et la véracité des informations qui leur sont données est essentielle. Fake news, désinformation, malinformation, mésinformation, bots et usines à trolls, mais aussi médias-relais de puissances étrangères de plus en plus installés au cœur de l’écosystème d’information mondial : le but de cette guerre informationnelle est devenu, au-delà de la volonté d’imposer une vérité alternative, de semer le doute, la confusion, la suspicion, de faire croire à l’absence de vérité objective et de saper les fondements de notre démocratie.

c.   Les atteintes au patrimoine économique, scientifique et technique

Une troisième catégorie d’ingérences vise plus particulièrement la sphère économique et technologique. Le SGDSN liste au moins quatre vecteurs de celle‑ci :

– l’espionnage ;

– le sabotage ;

– la prise de contrôle capitalistique ;

– le débauchage de talents.

D’après le chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, M. Joffrey Célestin-Urbain, ces menaces peuvent :

– être de nature capitalistique (prise de contrôle de l’entreprise ou prise de participation d’au moins 25 % par des intérêts étrangers) ;

– relever de la captation de propriété intellectuelle et d’informations sensibles ;

– porter atteinte à l’image de l’entreprise afin de lui nuire, notamment en compliquant son refinancement.

Ces menaces peuvent emprunter les mêmes vecteurs que d’autres types d’ingérence comme les cyber-attaques – afin de déstabiliser l’entreprise, récupérer de l’argent, obtenir des informations sensibles – la désinformation ou encore la corruption. L’extraterritorialité du droit peut aussi constituer un danger.

Le SISSE, né en 2016 de la réunion d’une délégation interministérielle située à Matignon et d’un service de consolidation de l’intelligence économique basé à Bercy, « a pour mission principale le pilotage de la politique de sécurité économique de l’État, qui consiste à organiser la protection des actifs stratégiques de l’économie française face aux ingérences et aux menaces économiques étrangères ([177]) », selon les mots de M. Joffrey Célestin-Urbain. Celui-ci qualifie la menace économique étrangère de « très créative et couvrant un champ extrêmement large ». Le chef du SISSE a exposé les outils à disposition pour éteindre une menace étrangère, le plus connu étant le « décret Le Maire », précédemment « décret Villepin » puis « décret Montebourg », qui permet de contrôler les rachats d’entreprises exerçant une activité stratégique, la définition de ces dernières étant fournie par le code monétaire et financier. Les statistiques de l’année 2021 indiquent une très forte croissance des dossiers dits « IEF » – investissements étrangers en France –, dépassant les trois cents par an. On observe également une très forte augmentation de la menace économique étrangère, avec sept cents alertes en 2022.

Il est à noter que la sécurité économique est une priorité de plus en plus identifiée par les services de renseignement, dont les demandes de mise en œuvre de techniques de renseignement au titre de la finalité « intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France » – article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure – sont allées en augmentant ces dernières années.

La DGSI et la DGSE observent que le domaine académique et universitaire est particulièrement visé par les actions d’espionnage. D’après M. Bernard Émié, « le pillage technologique et scientifique est une de [leurs] sources d’angoisse ». D’après le directeur général, les menaces chinoises sur la recherche scientifique sont très réelles : « La Chine, ces dernières décennies, s’est imposée comme un partenaire incontournable de la recherche en Europe, notamment en France. Le développement des coopérations franco-chinoises dans ce domaine induit trois facteurs de menace importants : un déséquilibre systématique de réciprocité au profit de la Chine ; un risque d’atteinte aux libertés académiques et au principe d’intégrité scientifique ; des menaces croissantes en matière de captation du potentiel scientifique et technique de la Nation. » M. Nicolas Lerner porte un regard particulièrement vigilant sur le monde universitaire et de la recherche, qui lui semble très exposé. Les ingérences peuvent prendre la forme de propositions et de structurations de partenariats ou de jumelages, qui, à terme, peuvent mener à des captations d’informations ou de données sensibles.

Face à cette préoccupation, le Sénat a mis en place une mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, mission d’information qui a publié son rapport en septembre 2021 ([178]). Son auteur, le sénateur André Gattolin, observe qu’un des principaux axes d’ingérence vise « à s’approprier illégalement ou en dehors des contrats liant des établissements de pays différents des informations et des savoirs ». Pour le sénateur Gattolin, « très vite, un pays, la Chine, s’est distingué, ce que nous ont confirmé les services, puisqu’il est impliqué dans 70 à 80 % des cas notables voire graves ». Il appelle aussi l’attention sur les instituts Confucius, qui doivent faire l’objet d’un examen attentif. Par exemple, à Brest, ville stratégique, qui abrite le deuxième port militaire français, des centres de recherche sous-marine réputés et plusieurs de nos industries de défense, l’institut Confucius implanté au sein de l’université de Bretagne occidentale a dû quitter l’université. Le sénateur Gattolin appelle à plus de transparence sur le financement par la Chine des instituts Confucius, et, de manière générale, sur le financement des travaux de recherche en France.

d.   L’utilisation du droit comme arme

Le lawfare comporte deux acceptions : une première concerne l’application extraterritoriale du droit d’un État et l’imposition de normes au niveau international, la seconde est relative au recours à des procédures devant les tribunaux pour porter atteinte à l’image et à l’activité de voix critiques.

À la différence des autres manœuvres d’ingérence présentées ci-avant, le recours à l’arme juridique n’est pas l’apanage de régimes autoritaires et peut s’inscrire dans un contexte de rivalité économique entre pays alliés. Un exemple évoqué à de multiples reprises au cours des travaux de la commission d’enquête est celui de la répression de la corruption d’agents publics étrangers dans le droit interne d’États étrangers, qui peut être utilisée contre des entreprises ressortissantes d’un autre État.

Cet aspect de l’ingérence est analysé dans la deuxième partie du présent rapport.

Quant au détournement de procédures juridictionnelles à des fins d’ingérence, elle est par essence difficile à contrer dans la mesure où le droit est utilisé comme une arme. M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du CAPS, constate « le recours à des tactiques problématiques, même lorsqu’elles respectent formellement la légalité, qu’elle soit internationale ou interne ».

Un exemple est celui des procédures « bâillons » qui peuvent prendre la forme d’attaques en diffamation qui ne visent pas tant à remporter l’action judiciaire qu’à épuiser moralement et financièrement des personnalités critiques d’un régime politique étranger.

e.   Le recrutement d’une partie des élites

L’objet de la commission d’enquête concerne les ingérences étrangères « visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ». La proposition de résolution tendant à sa création précise qu’il s’agit « d’établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ».

Sans minimiser l’importance représentée par les autres formes d’ingérence présentées ci-avant, la rapporteure entend consacrer une partie du présent rapport à la question de la « capture » d’une partie de nos élites par des puissances étrangères hostiles ([179]).

Dans son rapport, la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne considère également qu’une des nombreuses formes prises par les tactiques d’ingérence est constituée par « le recrutement et la cooptation de personnalités haut placées ([180]) ».

Ce « recrutement » recouvre plusieurs types de situation : de la complaisance naïve à la loyauté intéressée en passant par l’allégeance idéologique. M. Frédéric Charillon, auteur de Guerres d’influence, remarque ainsi que les leviers de l’influence sont finalement proches de ceux utilisés dans le monde de l’espionnage pour conduire une personne à trahir son pays et travailler avec un autre. Il utilise l’acronyme MICE utilisé par les Anglo-Saxons : « le M correspond à l’argent, le I à l’idéologie, le C à la contrainte et le E à l’ego ».

Si les stratégies de corruption par l’argent sont anciennes, il faut noter que celles-ci peuvent prendre une forme plus indirecte. M. Frédéric Charillon prend l’exemple de « la création de think tanks par certains pays qui nomment ensuite à leur tête des experts ou des chercheurs particulièrement bien rémunérés » ou encore des invitations à des séjours à l’étranger ou à des événements prestigieux qui jouent sur un registre matériel mais également symbolique.

Enfin, il faut constater, à l’instar de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du CAPS, que « le phénomène des “idiots utiles” n’a pas totalement disparu », pour reprendre l’expression apocryphe de Lénine au sujet des intellectuels occidentaux manipulés par le régime bolchevique pour en vanter les mérites.

II.   une agressivité de puissances étrangères davantage assumée et qui se manifeste dans des formes de guerre hybride

La commission d’enquête a étudié les stratégies d’ingérence de différents pays. La Russie et la Chine se distinguent nettement par l’ampleur de l’arsenal déployé pour s’immiscer de manière malfaisante dans les affaires intérieures des démocraties.

Au cours des auditions, des manœuvres de l’Iran, du Qatar, du Maroc et de la Turquie ont également été citées à plusieurs reprises.

A.   la russie est la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence

Les travaux de la commission d’enquête ont permis d’établir que la Russie était, à ce stade, le pays d’origine des menaces d’ingérence les plus importantes pour les démocraties occidentales.

Ce constat est partagé par la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, présidée par le député européen Raphaël Glucksmann. Dans sa résolution du 9 mars 2022, le Parlement européen considère en effet que « la Russie s’est livrée à une désinformation d’une ampleur et d’une malveillance sans précédent » et que ses manœuvres « ont pour objectif de déstabiliser la démocratie européenne et constituent donc une grave menace pour la sécurité et la souveraineté de l’Union ([181]) ».

Au niveau international, l’année 2016 marque un tournant dans la prise de conscience des manipulations de l’information et des cyber-attaques venues de Russie pour peser sur des élections nationales, comme le rappelle la députée européenne Nathalie Loiseau dans son essai La Guerre qu’on ne voit pas venir ([182]), avec le référendum sur la sortie de l’Union européenne au Royaume-Uni puis l’élection présidentielle aux États-Unis auxquels s’ajoute la tentative de lancement d’un processus d’autodétermination catalan en Espagne l’année suivante.

Compte tenu de l’ampleur des ingérences russes observées en France, la rapporteure a choisi d’y consacrer une sous-partie entière du présent rapport d’enquête ([183]). Les développements ci-après s’attachent, dans un premier temps, à présenter les tentatives d’immixtion de la Russie dans les démocraties occidentales de manière globale.

1.   Les ingérences de la Russie s’inscrivent dans une logique de subversion et de déstabilisation

L’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis le 24 février 2022 témoigne du passage « d’une ère de la compétition à une ère de la confrontation », pour reprendre l’expression employée par Mme Alice Rufo, directrice générale de la DGRIS. Si l’ambition impérialiste de la Russie apparaît ainsi comme plus ouvertement assumée qu’auparavant, elle n’a pas pour autant débuté, loin de là, avec le déclenchement des hostilités par le président Vladimir Poutine en février 2022. L’intervention militaire en Géorgie en août 2008, l’annexion illégale de la Crimée et l’appui militaire aux mouvements séparatistes du Donbass à partir de février 2014 ainsi que l’intervention en Syrie en soutien au régime de Bachar el-Assad dès 2015 marquent une gradation dans la contestation de l’ordre international issu de la fin de la Seconde Guerre mondiale puis de la chute du mur de Berlin.

La rapporteure rappelle qu’un certain nombre de pratiques hostiles de la Russie, ou plus exactement du Kremlin, vis-à-vis des États occidentaux s’inscrivent dans une forme de continuité par rapport à l’époque soviétique. Le phénomène des ingérences est en réalité ancien si l’on songe à la période de la Guerre froide.

Cette filiation a été mise en exergue à plusieurs reprises au cours des auditions. M. Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, parle de « continuité entre les traditions impériales, soviétique et post-soviétique » en Russie, notamment au travers du rôle joué par son appareil de sécurité. Selon lui, le pouvoir de Vladimir Poutine s’appuie, dès son arrivée en 2000, sur un « triangle formé par le leadership politique, les services de renseignement et les forces armées » auquel se greffe une partie du crime organisé. Les « révolutions de couleur » en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004) sont perçues comme une menace de ce que le Kremlin appellera plus tard « l’Occident collectif ». S’engage alors une remise en cause de plus en plus assumée des relations internationales au travers d’un agenda révisionniste marqué par le discours du président Poutine lors de la conférence de Munich sur la sécurité en février 2007 puis l’intervention militaire en Géorgie en août 2008.

Le pouvoir russe entame une bifurcation au cours de la période 2012-2014 qui voit, sur le plan interne, la répression contre les opposants s’accroître – même si, faut-il le rappeler, c’est le 7 octobre 2006 que la journaliste et militante des droits de l’homme Anna Politkovskaïa est assassinée à Moscou ; auteure d’un livre intitulé La Russie de Poutine, elle paya de sa vie ses reportages dénonçant les violences, les exactions, les tortures commises par l’armée russe en Tchétchénie, ainsi que les violences à l’intérieur de cette même armée et la corruption – et, à l’extérieur, la déstabilisation ouverte de l’Ukraine débuter. Citant le sociologue russe Igor Eidman, Mme Cécile Vaissié, professeure à l’université de Rennes II, considère que « la vie politique russe des dernières décennies a connu deux phases, celle du jeu, qui a été très séduisante, et celle du sang ([184]) » et que le passage entre ces deux moments a précisément lieu lors de l’annexion illégale de la Crimée en 2014. C’est également en 2014 qu’apparaît le groupe de mercenaires Wagner.

C’est dans ce contexte de dérive accélérée du régime de Vladimir Poutine vers l’autoritarisme et de confrontation de moins en moins indirecte avec les pays occidentaux que vont se développer des nouvelles formes d’ingérence et être réactivées des manœuvres d’immixtion plus anciennes (voir infra) grâce au « savoir-faire » des services de sécurité et de renseignement, hérité de la période soviétique.

Au cours des auditions, les services de renseignement français ont insisté sur le fait que le régime russe, par sa nature autoritaire, ne joue pas à armes égales avec les démocraties occidentales en matière d’espionnage et de contre-espionnage dans la mesure où ses services « n’ont ni cadre légal ni opinion publique [et] sont désinhibés », selon les termes de M. Bernard Émié, directeur général de la DGSE. Par ailleurs, ils bénéficient d’une progression constante de leurs moyens humains, financiers et techniques.

Enfin, l’appartenance passée de Vladimir Poutine au FSB, héritier du KGB, continue d’assurer à d’actuels ou anciens membres des services secrets russes des places de choix dans l’appareil d’État, mais aussi et surtout à la tête de grandes entreprises.

2.   Le régime russe s’appuie sur une multiplicité de vecteurs pour s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres États

Les principaux vecteurs des ingérences russes sont l’espionnage, les manipulations de l’information et les cyber-attaques.

a.   Une politique d’espionnage qui n’a rien perdu de son importance

L’ingérence russe emprunte toujours les voies classiques de l’espionnage. La DGSI relève trois méthodes : l’infiltration d’officiers de renseignement sous couverture diplomatique, bénéficiant à ce titre d’une immunité, l’utilisation d’agents itinérants envoyés en France pour recueillir du renseignement ou recruter et traiter des sources, et la projection d’agents en couverture « profonde ».

Cette dernière méthode n’est l’apanage que de quelques grands services d’espionnage dont ceux de la Russie. En avril 2022, les services de renseignement néerlandais ont ainsi démasqué un agent russe qui, sous couvert de la fausse identité d’un ressortissant brésilien, avait été recruté par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye en tant que stagiaire. La presse a révélé qu’il avait réussi à être admis dans une université américaine sous cette « légende » quelques années auparavant ([185]).

Les élus de la Nation font partie des cibles approchées par des officiers sous couverture diplomatique.

b.   Une guerre informationnelle visant à la déstabilisation

Parmi les méthodes anciennes d’ingérences mises à jour grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication figurent les manipulations de l’information, désignées sous les termes de « mesures actives » par M. Thomas Gomart, directeur de l’IFRI, reprenant une notion développée par la Russie pour désigner des opérations de manipulation menées directement ou indirectement par un service de renseignement, et s’appuyant également sur les travaux de M. Thomas Rid, professeur d’études stratégiques à la Johns Hopkins University ([186]). D’après lui, la Russie fait preuve d’un activisme sans équivalent dans l’usage des réseaux sociaux et la création de médias dédiés comme Russia Today, devenu RT en 2009, et Sputnik, entièrement financés par l’État russe.

Avec 400 millions d’euros de budget, ces deux médias concentrent 30 % de l’audiovisuel public d’après M. Maxime Audinet, de l’IRSEM, auteur d’un ouvrage sur RT ([187]). À titre de comparaison, la France ne consacre à France Médias Monde que 7 % du budget qu’elle consacre à l’audiovisuel public. Le financement de RT a été multiplié par 32 depuis sa création en 2005.

RT et Sputnik se présentent dans l’espace médiatique international comme des médias alternatifs alors qu’ils sont précisément des outils de « diplomatie publique et de propagande » pour la politique étrangère de la Russie. Cette position est assumée par la rédactrice en chef de la version anglophone de RT, Margarita Simonian qui a déclaré en 2021 : « Nous travaillons pour l’État, nous défendons notre patrie comme le fait l’armée. » C’est la même Margarita Simonian qui, en 2012, après l’invasion de la Géorgie et d’autres événements tragiques, indiquait, dans une interview au quotidien russe Kommersant : « Nous [RT], nous conduisons la guerre de l’information, et qui plus est contre tout le monde occidental. ». Cette phrase est emblématique d’une vision totalement conflictuelle de l’espace informationnel, et le fait que l’information est considérée comme une arme comme les autres. Le ministre de la défense russe lui-même, Sergueï Choïgou, considère RT comme « une composante des forces armées ».

RT utilise des procédés rhétoriques visant à renvoyer ses interlocuteurs à leurs propres contradictions (méthode du tu quoque, appelé whataboutism par les Anglo-Saxons) ou encore à entraîner la confusion et la désorientation en mélangeant éléments factuels, vrais ou faux, et expressions d’opinion afin d’aboutir à une mise en équivalence de points de vue contradictoire.

Celle-ci s’inscrit dans une stratégie russe « de confusion et de subversion » – M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du CAPS. Les médias russes à l’international ont ainsi pour but d’amplifier des mouvements divers, propres aux pays concernés, pour polariser les débats dans les sociétés démocratiques et accroître des conflits, certes préexistants mais ainsi exacerbés. M. Nicolas Tenzer, président du Centre d’études pour la réflexion et l’action publiques (CERAP), donne l’exemple des Gilets jaunes en France, du mouvement anti-migrants PEGIDA en Allemagne, d’Occupy Wall Street et de Black Lives Matter aux États-Unis ainsi que les protestations « antivax » et plus généralement contre les politiques sanitaires mises en œuvre pendant la pandémie de covid-19. Selon lui, « la propagande russe consiste non à faire croire à une réalité fausse mais à semer la confusion entre le vrai et le faux ([188]) ». Il s’agit de montrer que les sociétés démocratiques fonctionnent en réalité loin des valeurs et principes qu’elles promeuvent. Comme l’a dit M. Maxime Audinet « le cœur des audiences en France se caractérisait par une appétence pour les idées souverainistes, de gauche ou de droite, mais surtout d’extrême droite, et les idées eurosceptiques ».

Comme il a été dit plus haut, ces manipulations de l’information ont eu un rôle important dans l’élection présidentielle américaine de 2016 ainsi qu’au moment du référendum sur le Brexit. Mme Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Sécurité et défense au Parlement européen, précise : « On le sait, parce qu’une commission du renseignement a rendu un rapport à ce sujet ; mais on ne le sait que partiellement, parce que ce rapport a été en partie masqué, à la demande du gouvernement britannique – ce qui est tout de même préoccupant. Le rapport conclut qu’“il existe des preuves substantielles que l’ingérence russe est une pratique courante dans la vie politique britannique” ([189]). »

Concernant l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, elle indique également : « Une enquête a eu lieu, qui a été confiée au procureur spécial Robert Mueller : il a conclu que “la Russie était intervenue de manière écrasante et systématique”. Robert Mueller a d’ailleurs inculpé treize ressortissants russes pour ingérence, dont Evgueni Prigojine – déjà ! L’un des directeurs de campagne de Donald Trump, Paul Manafort, a plaidé coupable et a reconnu des contacts avec la Russie. L’Internet Research Agency (IRA) – l’“usine à trolls” – d’Evgueni Prigojine est à l’origine de faux messages de soutien à Trump, qui ont touché plus de 150 millions d’Américains. Plus de 4 000 faux comptes et plus de 50 000 bots ont été mobilisés, pour un coût estimé à 35 millions de dollars. »

Toutefois tous les acteurs de l’influence russe ne sont pas étatiques, ce qui est une différence par rapport à l’époque soviétique. Le développement de ce que plusieurs personnes auditionnées appellent la « galaxie Prigojine » – du nom du fondateur du groupe militaire privé Wagner créé en 2014 – est, à cet égard, particulièrement emblématique. Comme le rappelle M. Bernard Émié (DGSE), Evgueni Prigojine a construit avec l’aide du Kremlin cette « structure d’influence, de déstabilisation et de coercition, qui s’organise comme une galaxie dans laquelle la société de tête s’adjoint des filiales intervenant dans le domaine économique et pratiquant aussi bien la prédation économique que l’influence, le contrôle des médias, le contrôle des gouvernements ou la sécurité privée ».

Dans le domaine de la guerre informationnelle, Wagner « finance des fondations sous fausse bannière en charge de coopter des journalistes, des figures militantes et politiques » – Maxime Audinet (IRSEM). Après l’Internet Research Agency (IRA) c’est la Foundation to Battle Injustice (FBI) ! Cette externalisation de l’influence est particulièrement mise en œuvre en Afrique subsaharienne, où des « acteurs corrompent les journalistes et les achètent afin qu’ils produisent dans la presse locale des articles favorables à Wagner » et des manifestations artificielles sont créées, puis largement diffusées sur les réseaux sociaux, visant notamment à discréditer la présence française.

c.   Des cyber-attaques comme armes d’une guerre hybride

Dès 2007, un État membre de l’Union européenne, l’Estonie, était victime de cyber-attaques d’une ampleur inédite. Celles-ci avaient aussi bien visé les pouvoirs publics que les médias et les banques du pays. Cet assaut a été le premier à entraîner une prise de conscience de l’investissement du régime russe dans ces nouveaux outils d’ingérence.

Les cyber-attaques ne sont pas sans lien avec la guerre informationnelle présentée ci-avant. En 2016, le piratage des serveurs du Parti démocrate aux États-Unis avait précédé la divulgation d’une partie des communications électroniques de la candidate Hillary Clinton. M. Maxime Audinet (IRSEM) indique que « des unités de la GRU ([190]), la direction générale des renseignements de Russie, ont participé [à ce piratage] ».

Elles sont ainsi parties intégrantes d’une guerre hybride quand elles ne sont pas des manœuvres préparatoires d’une véritable offensive militaire. La préparation de l’invasion de l’Ukraine en février 2022 a d’ailleurs des conséquences pour le réseau des satellites en Europe. Vincent Strubel (ANSSI) rapporte que « l’attaque contre le système de communications satellitaires Viasat […] a eu des effets sur tout le territoire européen en détruisant non le satellite, heureusement, mais les moyens de communication avec lui, y compris, dans une large mesure, le territoire français », que ce sabotage « a été attribuée à la Russie par l’ensemble des membres de l’Union européenne » et que « son déclenchement dans la nuit du 23 au 24 février 2022 ne laissait guère de doute quant à son origine et sa finalité ».

À l’instar des campagnes de désinformation, les attaques contre les systèmes d’information sont menées aussi bien par l’appareil d’État du renseignement que par des acteurs privés directement ou indirectement liés au Kremlin. On retrouve parmi eux les « filiales » d’Evgueni Prigojine, désormais à la tête d’un véritable groupe de médias, et, plus particulièrement, l’Internet Research Agency (IRA) basée à Saint-Pétersbourg et qualifié d’« usine à trolls » par plusieurs intervenants. M. Thomas Gomart (IFRI) rappelle que Vladimir Poutine, en juin, 2017, « félicitait les “hackers patriotiques”, ces groupes de corsaires très liés à l’appareil d’État et conduisant des opérations d’envergure ».

3.   La Russie continue d’user d’un pouvoir d’attraction par convergence d’intérêts et recrutement intéressé

Parmi les manœuvres d’ingérence anciennes mais actualisées se trouve le « recrutement » de relais d’influence parmi les élites politiques, économiques ou médiatiques des pays occidentaux. Cette « capture » de personnalités renvoie à plusieurs réalités : adhésion idéologique, allégeance rémunérée ou bien complaisance naïve.

Mme Cécilie Vaissié – université de Rennes II – rappelle que « le KGB ([191]) et les organisations qui l’ont précédé ont une très longue histoire, une formidable expertise d’achat et de manipulation d’Occidentaux » et que la Russie « sait acheter et manipuler des personnes en jouant sur l’argent, les cadeaux, l’idéologie ou le kompromat ([192]) ».

Concernant l’« achat », les cas les plus visibles concernent notamment l’octroi de « retraites dorées » versées à d’anciens hauts responsables publics. À cet égard, le cas de l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder (1998-2005) semble particulièrement emblématique. Le lien entre sa nomination chez le géant gazier russe Gazprom et la politique énergétique de l’Allemagne sous son mandat fait débat. Raphaël Glucksmann, député européen, considère que ce pays « a choisi une politique énergétique qui favorisait Gazprom et le régime russe, rendant ce pays, et avec lui toute l’Europe, dépendants de la Russie ». Il cite également la reconversion de Marion Scheller, ancienne haute fonctionnaire du ministère allemand chargé de l’énergie, devenue chief lobbyist chez Gazprom. Mais les cas de « schröderisation » des élites – schröderizatsiya en russe ! – dépassent le cadre de l’Allemagne. Sont également cités par Raphaël Glucksmann dans son livre La Grande Confrontation – Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties ([193]) : un ancien ministre autrichien des finances et une ancienne ministre autrichienne des affaires étrangères, mais aussi deux anciens chanceliers autrichiens, un ancien Premier ministre finlandais, un ancien Premier ministre français – ce dernier démissionna de ses fonctions au sein de conseils d’administration de sociétés russes le lendemain de l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe, ce qui eut comme conséquence, d’après ses dires, qu’il ne toucha aucun émolument de la part des sociétés en question –, un ancien ministre français…

Concernant l’idéologie, la rapporteure note que la fin du communisme et l’absence de base idéologique bien définie du régime politique actuel incarné par Vladimir Poutine n’empêchent pas l’admiration, voire l’allégeance, de certaines personnalités publiques pour la politique intérieure et extérieure du Kremlin.

Du côté de la Russie, cette entreprise de captation apparaît comme purement opportuniste et devant servir les intérêts de la seule Russie. S’appuyant sur les travaux de M. Anton Shekhovtsov, chercheur et directeur de l’association Centre for Democratic Integrity, sur les liens entre l’extrême droite ou la droite dure européenne et le régime russe, Mme Cécile Vaissié considère que « le Kremlin se moque des idéologies » mais que, toutefois, « il a constaté que certains instruments fonctionnaient bien et qu’il pouvait, paradoxalement, les défendre […] : le discours sur les familles, la défense des valeurs traditionnelles, la défense de la chrétienté et l’ouverture des églises. […] M. Malofeïev était l’un de ces piliers. »

Dans cette démarche, le régime s’appuie sur ce que Maxime Audinet (IRSEM) appelle des « entrepreneurs d’influence » qui investissent leur propre capital financier dans le but d’« accompagner l’agenda de l’État russe à l’étranger, faire fructifier leurs propres actifs et obtenir des dividendes politiques ». Outre Evgueni Prigojine, il cite Konstantin Malofeïev et Vladimir Iakounine.

Konstantin Malofeïev a créé le groupe de médias Tsargrad dont la ligne éditoriale est très conservatrice et fondée sur la défense de la chrétienté orthodoxe et la promotion du panslavisme ([194]). Quant à Vladimir Iakounine, ancien dirigeant de la société des chemins de fer russe RZB, il finance la fondation Saint-André-Premier-Appelé, active dans les Balkans et également promotrice de valeurs conservatrices ([195]).

M. Nicolas Tenzer (CERAP) observe que « des partis d’extrême droite ont en effet soutenu la Russie » et donne les exemples d’Alternative für Deutschland (AfD) en Allemagne et de la Lega de Matteo Salvini en Italie. Se dessine selon lui « une internationale fortement encouragée par le Kremlin » qui serait « composée de personnalités qui soutiennent des discours de rapprochement avec la Russie ou visant à laver les crimes de la Russie ou du régime d’Assad ».

Ce pouvoir d’attraction ne se limite pas à la droite extrême. Hors de l’Europe, le Kremlin joue également de sa filiation avec l’URSS et de sa dénonciation du colonialisme pour attirer vers lui une frange anti-occidentale des élites. M. Bernard Émié (DGSE) explique : « Quant à la Russie, sa diplomatie et ses intérêts bénéficient d’un socle idéologique commun, constitué à la faveur des luttes de libération, reposant sur la solidarité et d’autres valeurs partagées. De fait, certains de mes homologues de différents services des pays du Sud ont pu être marxistes dans leur jeunesse, formés dans diverses universités avant de suivre des parcours différents. En Afrique, cette influence idéologique est forte. Les Russes ont soutenu les indépendances, fourni des armes ensuite et permis aux systèmes de survivre. Cela crée des solidarités. Qu’on la conteste ou qu’on soit en compétition avec elle, c’est la diplomatie que mène l’État russe. »

Cette influence passe également par des relais médiatiques en Afrique par exemple. M. Maxime Audinet (IRSEM) parle de cooptation de figures militantes pour lesquelles il existe une convergence entre leurs luttes et la politique étrangère de la Russie : « Dans le sud de l’Afrique, les plus connues sont Kémi Séba et Nathalie Yamb, mais je pourrais mentionner aussi Blaise Didatien Kossimatchi en République centrafricaine. Depuis les dernières révélations des Wagner Leaks, nous savons que Kémi Séba a reçu plus de 400 000 dollars entre 2019 et 2020 pour mener des opérations au service de Prigogine. »

À l’instar des cyber-attaques, cette « capture » de personnalités publiques est donc indissociable de la guerre informationnelle que mène la Russie. M. Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère, parle ainsi d’une double stratégie dans une tribune publiée dans Le Monde et expliquée en audition : « une stratégie dite des marges”, qui consiste à soutenir tous les mouvements populistes hostiles à nos institutions et à polariser au maximum notre débat public, et une stratégie dite “du centre”, qui consiste à corrompre les élites en place et à imposer des politiques publiques favorables aux intérêts du Kremlin ([196]). »

B.   la chine a recours à des manœuvres de plus en plus agressives et malveillantes pour atteindre ses objectifs de moyen et de long terme

Après la Russie, la République populaire de Chine (RPC) est le pays qui représente pour la France la plus grave menace en termes d’ingérences étrangères. Cependant, les objectifs et les cibles de la Chine se distinguent largement de ceux de la Russie, même si les modalités d’action tendent à se rapprocher, par leur agressivité, de celles du régime de Vladimir Poutine.

1.   Des tentatives d’ingérence de plus en plus agressives en voie de « russianisation » ?

Pour reprendre l’expression employée par MM. Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans un rapport de l’IRSEM ([197]), l’action de la Chine témoigne aujourd’hui d’un « moment machiavélien » dans la mesure où « ses opérations d’influence se sont considérablement durcies ces dernières années et ses méthodes ressemblent de plus en plus à celles employées par Moscou » et où son régime, semblant faire sien le principe énoncé par Machiavel dans Le Prince, considère qu’« il est plus sûr d’être craint que d’être aimé ».

Cette évolution récente de l’attitude du régime dans les relations internationales a été confirmée par le directeur de la DGSE, M. Bernard Émié, pour qui la Chine « est engagée dans une logique d’exercice de sa pleine puissance et de rivalité assumée avec les démocraties ». Il ajoute : « Au cours des dernières années, on l’a vue passer de "puissance contenue", présentant une face émergée séduisante, à une "puissance agressive", ainsi que l’a récemment illustré l’affaire des ballons espions ([198]). La diplomatie chinoise est désormais débridée. Rien de tel n’était imaginable il y a dix ans ([199]). » Pour Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen, « la Chine a basculé dans une attitude encore plus ingérente sous l’effet de deux événements : la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine ([200]) ». Elle observe qu’« elle reprend les recettes et les thèses de la Russie », au point que M. Paul Charon (IRSEM) parle d’une « russianisation ou soviétisation des opérations d’influence chinoises qui s’inspirent des modi operandi de l’Union soviétique ([201]) ». M. Charon fait d’ailleurs un parallèle entre l’accusation complotiste, instiguée par la Chine, de création du covid-19 par l’armée américaine et la rumeur diffusée dans les années 1980 par le KGB et la Stasi allemande selon laquelle le sida était une arme bactériologique inventée par les Américains et destinée à détruire les personnes homosexuelles et les Africains. Dans les deux cas, le lieu prétendu de la « création » est le laboratoire de Fort Detrick, dans le Maryland.

La Chine apparaît à plusieurs titres comme une puissance « révisionniste » dans la mesure où « la remise en cause de l’ordre qualifié d’occidental par le régime chinoise irrigue [son] action internationale dans les domaines politique, économique, technologique et diplomatique » (Mme Alice Rufo, DGRIS). Si le Kremlin parle d’« Occident collectif », Pékin use de la formule « l’Ouest contre le reste ».

Selon M. Manuel Lafont Rapnouil (CAPS), sa stratégie « est partie d’une logique de contrôle et d’un effort de désalignement d’un certain nombre d’acteurs pour évoluer vers une stratégie qui alimente la contestation des normes et promeut un modèle alternatif ».

Si le régime communiste de Pékin reprend une partie des méthodes actuelles du Kremlin, il « joue aussi avec ses spécificités, notamment grâce à sa communauté d’expatriés, ses étudiants et son réseau culturel à l’étranger, ses capacités technologiques, son affirmation dans les organisations internationales et sa politique de connectivité et d’infrastructures » comme le souligne M. Lafont Rapnouil.

Peuvent être cités, parmi les manœuvres d’ingérence semblables à celles de la Russie, les manipulations de l’information, les cyber-attaques ou encore l’espionnage. La finalité de ces immixtions ainsi que l’entreprise de prédation économique et scientifique menée à travers le monde distinguent toutefois les ingérences chinoises de celles du Kremlin.

2.   Des ingérences destinées à contrôler son image et ses ressortissants

Si la Chine use également des manipulations de l’information, elle se distingue de la Russie par le contrôle qu’elle s’efforce d’exercer sur les recherches qui la prennent pour objet et sur sa diaspora.

a.   La guerre de l’opinion publique

Les manipulations de l’information font partie du répertoire des ingérences menées par la Chine dans les démocraties occidentales, y compris en France. Comme pour la désinformation entretenue par la Russie, leur but est de dégrader le modèle des démocraties libérales afin de promouvoir indirectement le modèle politique de la RPC, ou du moins sa politique étrangère comme en témoignent les expressions de « puissance bienveillante » ou d’« émergence pacifique ». Ces pratiques s’inscrivent d’ailleurs dans le prolongement de la propagande du Parti communiste chinois (PCC), propagande à laquelle est « dédié un département très puissant du Comité central qui contrôle un certain nombre de médias comme Xinhua » d’après M. Thomas Gomart (IFRI).

La guerre informationnelle qu’elle mène – appelée « guerre de l’opinion publique » dans le rapport de MM. Paul Charon et de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer – n’est qu’un volet du concept de « trois guerres » défini par le PCC pour lui permettre de vaincre sans combattre militairement en temps de paix, les deux autres volets étant la guerre psychologique et la guerre juridique (lawfare).

Elle repose sur la création de faux comptes sur les réseaux sociaux, des trolls, afin de diffuser la propagande du PCC sur internet. Ces trolls « défendent, attaquent, entretiennent des polémiques, insultent, harcèlent ». Néanmoins, les manipulations de l’information peuvent également être le fait de véritables internautes rémunérés pour publier des contenus, voire d’officiels chinois. Il faut par exemple citer l’activisme en ligne des diplomates « loups guerriers », surnommés ainsi en raison de la virulence de leur discours, loin des canons de la diplomatie. MM. Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer vont jusqu’à parler de « twitterisation de la diplomatie chinoise ([202]) ».

L’actuel ambassadeur de Chine en France, M. Lu Shaye, est représentatif de cette « génération » de loups guerriers. En mars 2021, il avait publiquement traité de « petite frappe » et de « hyène folle », sur Twitter, un chercheur français, M. Antoine Bondaz, en réponse à un commentaire de sa part concernant l’opposition de l’ambassade de la RPC au déplacement d’une délégation de sénateurs à Taïwan.

L’ambassade de la République Populaire de Chine à Paris n’avait pas hésité non plus à laisser entendre sur Twitter que les autorités françaises auraient sciemment laissé mourir des personnes en EHPAD pendant la pandémie de covid.

M. Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), trace lors de son audition par la commission d’enquête, un portrait assez éclairant de M. Lu Shaye, dont il dit qu’il a « un profil particulier » et qu’« il n’est pas un diplomate comme les autres ». Il a dirigé en effet le centre de recherche sur la politique étrangère associée au bureau central des affaires étrangères du parti, lequel bureau est l’instance dirigeante en matière de politique étrangère en Chine. « Il était donc au cœur de la machine du parti. »

À cette activité sur les réseaux sociaux et les médias en ligne s’ajoute le développement de chaînes de télévision internationales « comme CGTN et Xinhua, qui peuvent rivaliser avec Al Jazeera ou CNN tout en adoptant les méthodes des médias russes tels que Russia Today (RT) » (Paul Charon, IRSEM), ou encore Radio Chine Internationale (CRI). Enfin, il faut noter le contrôle par la Chine communiste de la presse en langue chinoise à travers le monde. En France, c’est le cas de la totalité des médias privés sinophones, à l’instar des Nouvelles d’Europe, principal journal à être diffusé en chinois.

Ce contrôle peut également prendre la forme d’articles placés dans d’autres médias, pas nécessairement en langue chinoise. M. Paul Charon donne l’exemple du mensuel Jeune Afrique, qui avait publié sans en mentionner l’origine un article rédigé par Le Quotidien du Peuple.

Pour autant, bien qu’elle soit de plus en plus dangereuse, la guerre informationnelle menée par la Chine n’a pas encore atteint le degré de malveillance de celle de la Russie, destinée prioritairement à déstabiliser les sociétés démocratiques.

Comme le remarque le chef du service Viginum, M. Gabriel Ferriol, la Chine « a des capacités informationnelles énormes mais qui doivent être comprises avant tout comme la prolongation à l’extérieur des frontières du dispositif instauré à l’intérieur pour contrôler la population ». En d’autres termes, elle « cherche davantage à promouvoir sa propre politique qu’à se mêler de nos affaires ([203]) » (Stéphane Bouillon, SGDSN).

b.   La diaspora chinoise

Cette « prolongation à l’extérieur » du dispositif de contrôle de la population est ce qui distingue le plus la Chine de la Russie en matière d’ingérence. La diaspora chinoise constitue un élément important car elle est à la fois un vecteur et une cible des ingérences.

La communauté chinoise à travers le monde, composée de ressortissants ou de personnes d’origine chinoise, compterait 40 à 60 millions d’individus. La diaspora chinoise en France est la plus importante d’Europe avec 600 000 personnes. Comme l’explique M. Paul Charon (IRSEM), elle est d’abord perçue comme une menace par le PCC car ses membres « maîtrisent la langue et les codes culturels chinois, ne cessent de faire des allers et retours entre le pays d’accueil et la Chine, et sont donc susceptibles d’y importer les valeurs libérale ».

De cible, la communauté chinoise à l’étranger peut devenir malgré elle un vecteur d’ingérence au sein du pays dans laquelle elle se trouve. Au cours de son audition, M. Bernard Émié, directeur de la DGSE, a ainsi confirmé que le PCC « a intensifié le recours à la stratégie du Front uni ([204]) pour contrôler et mobiliser la diaspora chinoise ». D’après lui, « tout cela obéit pour eux à une conception extensive : tout citoyen chinois, même binational, est considéré par les Chinois comme un agent de renseignement activable ».

M. Antoine Bondaz souligne que les Chinois ont mis en place une coordination extrêmement forte, au sein de leurs ambassades, entre différents acteurs, afin d’atteindre les étudiants chinois et la diaspora chinoise. Le « Front uni » est l’appareil dédié à cela : historiquement, cet organisme avait pour tâche de neutraliser toute opposition potentielle au parti, il œuvrait par cooptation et coercition contre de potentielles menaces ; actuellement, il agit auprès de la diaspora chinoise. Une myriade d’associations culturelles ou sportives, de lieux culturels, de réseaux d’amitié et d’entraide qui œuvrent au sein des diverses diasporas font partie intégrante d’une nébuleuse suivie de près ou de loin, quand elle n’est pas directement financée, par les services de l’ambassade.

Un exemple concret est donné par M. Paul Charon (IRSEM) au sujet des dispositifs de contrôle et de mobilisation des étudiants chinois en France. Plusieurs d’entre eux lui ont affirmé avoir été « plus ou moins forcés d’aller manifester » après la mort de Liu Shaoyao, tué à son domicile parisien par la police en mars 2017. Plusieurs manifestations d’une ampleur inédite avaient été organisées.

À cet égard, il a semblé intéressant pour les membres de la commission d’enquête d’entendre M. Buon Tan, ancien député ([205]), qui exerça les fonctions de président du groupe d’amitié France-Chine à l’Assemblée nationale entre 2017 et 2022.

Appartenant à une famille chinoise de la communauté teochew installée depuis plusieurs générations au Cambodge, M. Buon Tan est arrivé en France au moment du génocide perpétré par le régime des Khmers rouges en 1975. Issu d’une famille d’entrepreneurs dans le métier du thé depuis quatre générations, M. Buon Tan a poursuivi la tradition entrepreneuriale familiale. Élu municipal dans le 13e arrondissement de Paris, « plus grand "Chinatown" d’Europe ([206]) » selon ses propos, de 2008 à 2020, M. Buon Tan a également présidé plusieurs associations communautaires (Conseil représentatif des associations asiatiques de France, Haut Conseil des Asiatiques de France, Amicale des Teochew…). Il est élu député sous l’étiquette La République en marche en 2017. Peu avant la fin de son mandat de parlementaire, il a été accusé dans plusieurs articles de presse d’entretenir des liens étroits avec le PCC. Le journal Le Monde a parlé, à son propos, de « relais d’influence de la Chine à l’Assemblée nationale » (27 février 2022) après avoir été l’unique député à avoir voté contre une résolution de reconnaissance du caractère génocidaire des crimes perpétrés par le régime chinois à l’encontre des Ouïghours ([207]).

Il faut également ajouter les interrogations de l’ancien ambassadeur de France en Chine de 2017 à 2019, M. Jean-Maurice Ripert, auditionné par la commission d’enquête, « sur les intérêts personnels ou publics du président du groupe d’amitié France-Chine à une certaine époque ». M. Ripert déclare également avoir été « surpris par les propos qu’il tenait ([208]) ».Ce propos concerne directement M. Buon Tan, qui présida le groupe d’amitié France-Chine de 2017 à 2022.

A également été évoquée, lors de l’audition de M. Buon Tan, son appartenance au conseil exécutif de deux associations – association pour le dialogue des Chinois à l’étranger et association pour l’amitié des Chinois de l’étranger – dont nul ne peut ignorer qu’elles ont été créées par le Parti communiste chinois. Le nom de M. Buon Tan apparaît sur internet comme figurant dans les exécutifs de ces deux associations, appelées à participer à des évènements mondiaux regroupant des associations émanant des diasporas chinoises du monde entier et se tenant, soit à Pékin, soit dans un autre pays.

M. Buon Tan, interrogé par la commission d’enquête à ce sujet, a nié être membre ou avoir été membre du Parti communiste chinois : « On me prête des accointances que je n’ai pas. » Il a également nié faire partie des exécutifs des deux associations contrôlées par Pékin et mentionnées plus haut, tout en reconnaissant n’avoir pas cherché à exercer son droit de rectification. C’est en sa qualité de président de l’Amicale des Teochew, située dans le 13e arrondissement de Paris, que M. Buon Tan a eu l’occasion de participer à des rencontres internationales d’associations de la diaspora chinoise venue du monde entier, a-t-il confié à la commission, avant d’être élu député, mais aussi pendant son mandat, quoiqu’à une fréquence moindre. Il a aussi eu l’occasion, comme l’avait fait son père avant lui, de participer à une réunion de la Conférence consultative politique du peuple chinois, à Pékin. Il a concédé devant la commission d’enquête que, « lorsqu’on participe au grand congrès en Chine, on participe bien évidemment à un congrès organisé par l’État », déclarant : « Tout ce qui est organisé en Chine est, directement ou non, lié à l’État chinois et au PCC. »

Le sens donné par M. Buon Tan à sa participation à des rencontres internationales d’associations directement connectées à Pékin est apparu un peu vague, aux yeux des membres de la commission d’enquête, mais est plus à mettre au registre du rôle d’« intermédiaire » entre des intérêts divers et d’animateur d’une communauté asiatique cambodgienne d’origine chinoise, les Teochew, implantée dans la circonscription parisienne de M. Buon Tan, qu’au registre politique ou idéologique.

3.   La menace la plus importante pour la France est celle qui pèse sur sa recherche et ses entreprises

En ce qui concerne la France, c’est l’atteinte au patrimoine scientifique et technologique par les ingérences chinoises qui constitue la menace la plus grave à l’heure actuelle.

Le directeur de Tracfin, M. Guillaume Valette-Valla, observe que « l’ingérence revêt également un caractère économique : le développement de la Chine lui apporte des capitaux considérables qui, par des véhicules d’investissement directs et indirects, sont susceptibles d’entrer au capital de certaines industries qui doivent être protégées parce qu’elles sont très proches de notre base de souveraineté ([209]) ».

A ainsi été abordé, à plusieurs reprises par des membres de la commission d’enquête, le cas emblématique de la prise de participation du groupe chinois Casil au capital de la société Aéroport de Toulouse-Blagnac (ATB) en 2015, à hauteur de 49,9 % (308 millions d’euros) ([210]). Pour M. Florian Colas, directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), « une telle opération est rarement anodine ([211]) ».

M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, observe également que « la diplomatie chinoise se déploie partout dans notre pays d’une façon très impressionnante, avec l’accompagnement systématique d’intérêts économiques chinois portant atteinte à notre souveraineté ou susceptibles de le faire ».

a.   L’espionnage

Pour arriver à ses fins, la Chine a beaucoup recours au renseignement clandestin. La DGSE révèle que la France fait l’objet d’une campagne d’espionnage massive depuis au moins 2014 et ce notamment à travers les réseaux sociaux. Son directeur, M. Bernard Émié, prend l’exemple du réseau professionnel LinkedIn « où plus de 17 000 Français ont été “tamponnés ([212])” par hameçonnage ».

Ces infiltrations peuvent d’ailleurs concerner nos propres services de renseignement. M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, rappelle « la condamnation assez lourde de deux anciens agents d’un service de renseignement français, détectés grâce au travail attentif de leur service d’affectation, judiciarisés par la DGSI et déclarés coupables d’espionnage au bénéfice des services chinois ». Le 10 juillet 2020, la cour d’assises spéciale de Paris avait, en effet, condamné à douze et huit ans de prison deux anciens agents de la DGSE pour « crime et délits de trahison ». D’après la presse, ils auraient livré des informations sensibles à la Chine au cours des vingt dernières années ([213]).

Concernant les menaces d’espionnage, le rôle joué – ou susceptible d’être joué à l’avenir – par le réseau social TikTok en matière d’ingérence a été évoqué à plusieurs reprises au cours des auditions de la commission d’enquête ([214]). TikTok est une application mobile de partage de vidéos créée en 2016 par l’entreprise chinoise Bytedance. Elle fait l’objet de mesures d’interdiction dans plusieurs pays. En France, son installation sur les téléphones portables des agents de la fonction publique de l’État a été interdite le 24 mars 2023. Dans un communiqué de presse, le ministre de la transformation et de la fonction publiques, M. Stanislas Guérini, a informé qu’« après une analyse des enjeux, notamment sécuritaires, le Gouvernement a décidé d’interdire dorénavant le téléchargement et l’installation d’applications récréatives sur les téléphones professionnels fournis aux agents publics [car] ils ne présentent pas les niveaux de cyber-sécurité et de protection des données suffisants pour être déployées ».

Du côté de l’Assemblée nationale également, les trois questeurs ont adressé fin mars à leurs collègues un courrier dans lequel ils appellent les députés à une « extrême vigilance » vis-à-vis du partage d’informations sensibles sur des applications étrangères, et les exhortent à limiter leur usage de ces applications sur leur téléphone portable professionnel. Ces conseils sont directement liés aux accusations visant TikTok, et relatives aux données qui pourraient être utilisées par le gouvernement chinois à des fins d’espionnage.

Dans leur courrier en date du 20 mars, les questeurs de l’Assemblée nationale écrivent : « Déclarées comme utilisées à des fins commerciales et de profilage client, l’ensemble de vos données sont détenues par les entreprises responsables de ces applications. Ces entreprises dépendent d’un droit extraterritorial à l’Europe qui est largement en défaveur des utilisateurs français et ces données peuvent notamment être reversées au bénéfice des services de renseignement étrangers. »

Le Sénat a lancé en mars une commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, et sa stratégie d’influence.

Pour le SGDSN, M. Stéphane Bouillon, cette application ne peut être considérée comme neutre : « il faut toujours être prudent, vis-à-vis de TikTok en particulier » d’autant plus que « la Chine est l’autre acteur principal dans le domaine [des cyber-attaques] ». M. Gabriel Ferriol, chef du service Viginum, indique que l’application est « un outil plus difficile à appréhender pour [ses] équipes que d’autres plateformes, à la fois parce qu’il est plus récent et parce qu’il est moins ouvert » et s’inquiète du fait que TikTok « cherche à conquérir des tranches d’âge bien plus jeunes que d’autres réseaux, dans une optique de temps long qui doit appeler notre attention ».

Dans un cadre plus large que TikTok et l’entreprise Bytedance, il faut relever, comme M. Jean-Marie Guéhenno dans Le Premier XXIe siècle ([215]) cité par M. Thomas Gomart (IFRI), qu’il existe « une convergence entre les entreprises technologiques et le Parti communiste chinois, qui “se retrouveraient dans la même ambition de contrôler les esprits jusqu’au point où le confort aura fait oublier la servitude” ». En effet, le fait que le traitement des données, personnelles ou non, soit au cœur de leur activité économique pourrait aboutir à ce que Shoshana Zuboff appelle un « capitalisme de surveillance ([216]) ». M. Gomart observe « une hyper-concentration du pouvoir dans les mains d’un petit nombre d’acteurs économiques », dont les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) auxquels s’ajoute l’entreprise Huawei. Au sujet de cette dernière, la DGSE considère que « l’essor de la 5G chinoise est porteur de risques en matière de cyber-surveillance » et qu’elle constitue « un sujet clé de la souveraineté numérique » dans un contexte où « l’influence chinoise mise sur la construction d’une solution alternative aux GAFAM ([217]) américains ».

M. Thomas Gomart souligne que l’entreprise Huawei est un exemple intéressant de vecteur de menace potentielle sur notre souveraineté. L’entreprise, qui a conclu son premier contrat à l’étranger en 2004, a connu un développement foudroyant du fait de sa maîtrise technologique incontestable. Elle a exercé un lobbying très puissant en Europe, auquel a répondu un contre-lobbying tout à fait explicite. Par ailleurs, comme tient à le préciser M. Gomart, Huawei a décidé de poursuivre des chercheurs qui s’étaient exprimés contre l’entreprise, les fameuses « procédures bâillons » qui peuvent être vues comme le stade ultime de l’intimidation en visant à limiter la liberté d’expression. Il est à noter que, le 7 juillet 2022, et contre toute attente, Huawei s’est désisté de la procédure pour diffamation qu’il avait engagée à l’encontre de la chercheuse Valérie Niquet, spécialiste de l’Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). La plainte déposée en mars 2019 par Huawei Technologies France et sa maison mère de Shenzhen avait constitué une première contre un chercheur en Europe.

Le déploiement d’activités de l’entreprise Huawei dans certains territoires français, comme l’activité de soutien et d’accompagnement de start-up, appelle la vigilance de nos services de renseignement.

À cet égard, le recrutement de personnalités politiques par la société Huawei, en France comme en Europe – citons le cas de M. Jean-Marie Le Guen, ancien ministre et ancien député, devenu administrateur de Huawei France en septembre 2020, succédant dans cette fonction à M. Jean-Louis Borloo –, atteste la volonté de la société Huawei de poursuivre et d’amplifier sa stratégie d’influence en s’offrant des « carnets d’adresses ». Cette pratique a retenu l’attention de la commission d’enquête.

b.   L’entrisme

M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE) du ministère de l’économie et des finances, remarque que « la menace s’est reportée vers le monde de la recherche, traditionnellement moins régulé, où il est possible de déployer une stratégie low cost  installer un chercheur, financer un thésard, conclure un accord-cadre de partenariat, ce qui ne coûte pas très cher, afin d’accéder à des technologies sans investir beaucoup ([218]) ».

Cet « entrisme » a fait l’objet d’une mission d’information au Sénat, présidée par M. Étienne Blanc à l’été 2021 ([219]). Son rapporteur, le sénateur André Gattolin, a expliqué à la commission d’enquête qu’au cours des travaux de cette mission sénatoriale « très vite, un pays, la Chine, s’est distingué, ce que [lui] ont confirmé les services, puisqu’il est impliqué dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves ».

Il met notamment en exergue le rôle ambigu des instituts Confucius qui ont officiellement pour mission d’enseigner la langue et la civilisation chinoises mais dont la neutralité est mise à mal : « Ils donnent leur avis, voire tentent de participer à la définition du travail universitaire conduit dans les départements d’études asiatiques. Ils reçoivent parfois des personnes présentées comme des chercheurs ou des étudiants mais qui ressemblent davantage à des agents de corps militaires ([220]). »

Le constat du sénateur André Gattolin est partagé par la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère, qui considère que ces instituts « sont utilisés par la Chine comme outil d’ingérence dans l’Union » et que « la liberté académique [y] est gravement restreinte ». Elle observe également que « des universités et des programmes éducatifs sont la cible de financements étrangers massifs, notamment en provenance de Chine ([221]) ».

M. Paul Charon (IRSEM) donne un exemple concret de l’ingérence via ces organismes : « Le Parti fait en sorte d’empêcher régulièrement l’organisation de conférences ou de colloques sur les sujets qui l’irritent. Lors d’un sommet de la sinologie européenne au Portugal, le Hanban, organisme qui gère les instituts Confucius et qui est rattaché au Front uni, a par exemple demandé la suppression de la page consacrée à la fondation taïwanaise Chiang Ching-kuo dans la présentation du colloque. »

Au-delà de la question de ces instituts, l’ingérence chinoise dans le monde universitaire passe tout d’abord par la présence de ses étudiants. Cette ingérence est d’autant plus forte qu’un établissement d’enseignement supérieur peut être financièrement dépendant de leur venue. M. Frédéric Charillon remarque que « la dépendance financière des établissements universitaires à l’égard des étudiants étrangers mérite également d’être surveillée. Ces étudiants sont en effet parfois pris en main par leur ambassade et finissent par exiger le retrait ou la modification de certains thèmes d’étude – ne plus parler de Taïwan comme d’un pays mais comme d’une province chinoise, par exemple. »

Les départements de sinologie sont logiquement particulièrement visés par ces formes d’immixtion. M. Paul Charon observe que si « un chercheur rédige un article jugé négatif ou critique par le PCC, il ne pourra plus obtenir de visa pour se rendre en Chine, or un sinologue qui est privé de terrain de recherche met de fait en péril sa carrière académique ». Pour M. Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), « l’un des points importants pour la Chine est de s’assurer d’une forme d’autocensure ([222]) ».

Plus graves encore sont les procédures dites « bâillons » qui consistent à poursuivre en diffamation un chercheur afin de le dissuader de poursuivre ses travaux ou de les discréditer. M. Paul Charon rappelle qu’il ne s’agit pas tant de « gagner le procès que d’épuiser les ressources financières et morales de la partie adverse, afin de dissuader d’autres acteurs de procéder à des travaux critiques ».

Dans son rapport d’information, le sénateur André Gattolin explique que le système d’enseignement supérieur français est particulièrement vulnérable à ce type d’ingérence en raison d’une insuffisance de ressources budgétaires, de la faiblesse administrative des établissements et à la culture d’ouverture propre au monde de la recherche.

Outre les restrictions aux libertés académiques, se pose la question de la divulgation de savoirs scientifiques et technologiques. M. Bernard Émié (DGSE) considère que « le développement des coopérations franco-chinoises dans le domaine [de la recherche] induit trois facteurs de menace importants : un déséquilibre systématique de réciprocité au profit de la Chine ; des risques d’atteinte aux libertés académiques et au principe d’intégrité scientifique ; des menaces croissantes en matière de captation du potentiel scientifique et technique de la nation ([223]) ». Dans le même sens, M. Antoine Bondaz observe que « de nombreuses coopérations avec la Chine portent sur des domaines beaucoup trop sensibles ». Il cite l’exemple des « sept fils de la défense nationale », c’est-à-dire les sept universités chinoises qui forment les ingénieurs de l’armement et qui ont conclu de nombreux partenariats avec la France. De même, la France est le pays qui compte le plus de doubles masters avec l’université d’aéronautique Beihang.

Enfin, s’agissant des manœuvres d’influence et d’ingérence et de l’entrisme pratiqués par la République populaire de Chine en France, ce rapport ne saurait éluder le cas de M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier ministre, qui, après sa carrière politique, a été représentant spécial du ministère des affaires étrangères pour la Chine, et qui, à la tête de sa fondation Prospective et Innovation, œuvre à « améliorer la main de la France dans le grand jeu du monde » et mène « un travail continuel depuis 2006 sur la Chine », selon la présentation faite sur le site de la Fondation.

Après vingt ans consacrés à œuvrer aux bonnes relations entre la France et la Chine, Jean-Pierre Raffarin a reçu des mains du président Xi Jinping lui-même en septembre 2019 la « médaille de l’Amitié », une distinction réservée aux proches du régime comme Vladimir Poutine ou Raúl Castro. On retrouve l’ancien ministre français régulièrement sur les ondes d’une télévision d’État chinoise. Il n’a pas hésité à y saluer le « leadership plein de sagesse » du président Xi Jinping, un leadership qu’il qualifie de « puissant » et adapté à un pays « où il faut naturellement de l’autorité ».

L’ancien ambassadeur de France en Chine, M. Jean-Maurice Ripert, baptise « Français pandas » ceux de nos compatriotes fascinés par la Chine, son histoire, sa culture, mais qui semblent vouloir oublier le régime politique imposé aux Chinois.

La rapporteure note que la Chine n’a pas encore déployé toute l’étendue de sa capacité d’ingérence, contrairement à la Russie, et que ses ingérences ne visent pas – ou pas encore – à la déstabilisation de nos sociétés. Elles ont plutôt des objectifs de prédation économique. Toutefois l’infiltration chinoise dans le monde universitaire et dans les laboratoires de recherche est devenue un point d’attention absolument majeur pour les autorités françaises.

C.   d’autres États peuvent chercher à s’immiscer dans les affaires intérieures de la france

Si les principales menaces en matière d’ingérences étrangères qui pèsent sur notre pays proviennent essentiellement de la Russie et de la Chine, d’autres États ont été également cités à plusieurs reprises par des personnes auditionnées.

L’application extraterritoriale du droit des États-Unis a fait plusieurs fois l’objet de développements importants. S’est posée la question d’une sorte d’instrumentalisation de la répression de la corruption d’agents publics étrangers comme outil d’un lawfare américain contre les pays européens.

Sans préjuger de son caractère néfaste pour l’activité de nos entreprises à l’étranger, on peut considérer que l’extraterritorialité de la loi américaine se situe à la lisière du champ de cette commission d’enquête. En effet, celle-ci porte sur les ingérences « visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français », ce qui n’est pas l’objet du lawfare qui peut être mené par la justice ou l’administration des États-Unis. Les progrès accomplis en matière de prévention de l’utilisation de l’arme juridique en général, notamment depuis l’adoption de la loi Sapin 2 ([224]) et la création de l’Agence française anticorruption seront néanmoins exposés dans la seconde partie du présent rapport.

D’autres pays ont recours à des stratégies qui incluent des actions violentes (dans le cas de l’Iran et, dans une certaine mesure, de la Turquie) ou qui se situent au contraire aux confins de l’influence (dans le cas du Maroc, du Qatar et de la Turquie).

La commission d’enquête n’a pas pu, faute de temps, aborder directement la question des ingérences via des associations cultuelles ou culturelles. M. François Fillon a indiqué lors de son audition qu’il avait « été confronté à des ingérences d’autres pays, comme la Turquie, le Maroc ou l’Algérie, qui donnent des consignes de vote au moment des élections par l’intermédiaire de responsables religieux ([225]) », tout en remarquant que ces différents pays se livraient à des luttes d’influence entre eux via les musulmans français ou établis en France. Plusieurs responsables auditionnés ont cependant fait état des progrès en la matière, notamment depuis la mise en application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ([226]), dite « loi séparatisme ». Selon M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, celle-ci a notamment eu « un effet massif et, de notre point de vue, très positif : concrètement, la détection par notre service de financements étrangers d’associations cultuelles radicalisées s’est très fortement réduite ([227]) ».

1.   L’Iran

L’hostilité de la République islamique d’Iran à l’égard de la France est une menace constante depuis la mise en place du régime en 1979. Directement ou au travers du Hezbollah libanais qu’il finance et soutient, l’Iran a été à l’instigation de plusieurs attentats commis sur le sol français en 1985 et 1986, notamment l’explosion d’une bombe rue de Rennes à Paris, mais aussi au Liban, pendant la guerre civile, avec l’attaque contre des militaires français à Beyrouth – immeuble du Drakkar – en 1983 ainsi que la prise d’otages de diplomates et de journalistes français à partir de 1985.

Pour la DGSI, « la capacité [de l’Iran] à porter la menace au-delà de ses frontières est avérée » (Nicolas Lerner). Elle rappelle que l’Iran a tenté de commettre un attentat en 2018 à Villepinte (Seine-Saint-Denis) lors d’un meeting du Conseil national de la résistance iranienne qui devait rassembler des dizaines de milliers de personnes. Un agent iranien sous couverture diplomatique ainsi que trois complices ont été arrêtés puis condamnés par la justice de la Belgique, d’où était organisé l’attentat finalement déjoué. D’après la presse, « la bombe avait été fabriquée en Iran et transportée dans une valise diplomatique, à bord d’un avion de ligne ([228]) ».

Ce projet d’attaque montre que le régime iranien poursuit ses opposants à l’étranger. Le journaliste Rouhollah Zam, qui avait reçu l’asile politique en France, a ainsi été attiré dans un piège lors d’un séjour en Irak où il a été enlevé puis rapatrié dans son pays en 2019 avant d’être condamné à mort et exécuté un an plus tard.

« Tout cela justifie la grande vigilance qui doit être celle d’un service intérieur comme la DGSI » pour son directeur général, Nicolas Lerner.

La malveillance de l’Iran à l’endroit de la France ne se limite pas à l’organisation d’attentats ou à la persécution d’opposants sur notre sol. La France est aussi l’objet d’un espionnage visant son patrimoine scientifique et technologique. Le sénateur André Gattolin, auteur d’un rapport d’information sur les influences étatiques dans le monde universitaire, rappelle que l’Iran fait partie des « pays qui cherchent à assouvir des besoins technologiques ».

2.   Le Maroc

En juillet 2021, le Royaume du Maroc avait été accusé par la presse d’avoir utilisé le logiciel espion Pegasus, conçu par la société israélienne NSO, et d’avoir mis sur écoute par ce moyen différentes personnalités, dont de hauts responsables français. Cette révélation était issue du travail du consortium de journalistes Forbidden Stories, dont des représentants ont été auditionnés par la commission d’enquête, et de l’organisation non gouvernementale Amnesty International. Le logiciel Pegasus permet de collecter les données d’un téléphone mobile et de l’activer à distance à des fins de captation sonore ou visuelle.

Outre ce cas d’espionnage présumé, le Maroc a attiré l’attention de la commission d’enquête au sujet de deux affaires :

 son implication éventuelle dans la corruption de parlementaires européens ;

– son recours au placement rémunéré d’informations.

a.   Des tentatives de corruption de parlementaires européens ?

L’implication du Maroc dans l’affaire de corruption impliquant des membres du Parlement européen ainsi que le Qatar (voir ci-après) a été abordée au travers des déclarations de l’ancien député européen M. José Bové. Répondant au micro de France Inter le 16 décembre 2022 à l’occasion de l’interview de M. Thierry Breton, commissaire européen en chargé du marché intérieur, M. José Bové a en effet affirmé avoir été victime d’une tentative de corruption de la part du Maroc.

Au cours de son audition par la commission d’enquête, M. Bové a réitéré ses propos selon lesquels le ministre marocain en charge de l’agriculture aurait proposé de lui remettre « un cadeau » afin de lever son opposition à la conclusion du projet d’accord de libre-échange en matière agricole entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc lorsqu’il en était rapporteur pour la commission du commerce international en 2011-2012, cadeau dont il ignorait la nature ([229]).

Comme il l’avait fait sur les ondes de France Inter, M. Bové a confirmé le rôle de pression joué par le groupe d’amitié UE-Maroc au Parlement européen et sous-entendu la corruption – directe ou indirecte, via l’octroi d’avantages en nature – qui pouvait y régner : « Plusieurs députés qui faisaient partie de l’association d’amitié avec le Maroc, et dont certains font du reste partie de ceux que la justice belge a poursuivis, se vantaient d’aller souvent au Maroc, où ils étaient invités dans des hôtels et reçus comme des chefs d’État, ou du moins comme des personnalités importantes ([230]). »

b.   Le recours au placement rémunéré d’informations

Le Maroc a été cité à l’occasion des auditions consacrées à l’affaire dite « M’Barki », du nom du présentateur du journal de la nuit de BFM-TV licencié en mars 2023 par la chaîne de télévision pour avoir diffusé des « brèves ([231]) » sans respecter la procédure de validation de la ligne éditoriale.

D’après les investigations menées par le consortium de journalistes Forbidden Stories, ces brèves orientées auraient été fournies par un lobbyiste, M. Jean-Pierre Duthion, par ailleurs intermédiaire d’une officine privée israélienne, surnommée « Team Jorge » par les journalistes de Forbidden Stories, spécialisée dans la désinformation et fournissant des prestations « allant du piratage de boîtes e-mail à la diffusion de rumeurs grâce à de faux sites d’information et à des armées de profils factices sur les réseaux sociaux ».

Parmi les brèves diffusées par M. Rachid M’Barki figure notamment une séquence où il est question d’un forum d’affaires hispano-marocain à Dakhla « au Sahara marocain », selon l’expression employée par le présentateur, au lieu de parler du Sahara occidental comme le préconisent le ministère de l’Europe et des affaires étrangères ainsi que la plupart des organisations internationales, dont les Nations unies.

Pour Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France, ce type de vidéos ayant une présentation biaisée, « une fois découpées et diffusées sur les réseaux sociaux, viralisent une information certifiée, blanchie, tamponnée, car présentée dans les tweets comme issue d’une grande chaîne de télévision française – un média mainstream ([232]) ». En l’occurrence, la mention d’un « Sahara marocain » permet de laisser entendre que la télévision française reconnaîtrait la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental ([233]).

3.   Le Qatar

À la question de la rapporteure sur « la typologie géographique des entités, étatiques ou autres, qui recourent à la corruption à des fins d’ingérence », M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), a cité deux pays en particulier : « la Russie et le Qatar ([234]) ». Cette affirmation n’est guère surprenante eu égard au rôle qu’aurait joué, par exemple, l’État du Qatar dans l’affaire de corruption impliquant plusieurs parlementaires européens, dont la vice-présidente Eva Kaili, qui a éclaté en décembre 2022, laissant entendre que la rémunération de femmes et d’hommes politiques appartient au répertoire de la politique d’influence de ce pays.

Le « Qatargate »

Le 9 décembre 2022, la justice belge a annoncé avoir mené une quinzaine de perquisitions visant des responsables soupçonnés de corruption au profit d’un pays du golfe Persique, qui sera vite identifié par la presse comme étant l’État du Qatar, au cours desquelles ont été découverts environ 1,5 million d’euros en liquide. Elles ont conduit à l’interpellation d’une vice-présidente du Parlement européen, Mme Eva Kaili, de son compagnon, M. Francesco Giorgi, de l’eurodéputé belge Marc Tarabella, de l’eurodéputé italien Andrea Cozzolino et d’un ancien eurodéputé devenu président d’une ONG, M. Pier Antonio Panzeri. Ce dernier, qui a décidé de collaborer avec la justice belge, a déclaré que les montants en question sont en réalité bien plus élevés que les seules sommes d’argent trouvées lors des perquisitions. Sont aussi cités parmi les suspects les eurodéputées Marie Arena (Belgique) et Alessandra Moretti (Italie), ainsi que le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale Luca Visentini.

Bien qu’il soit en général difficile de prouver un « contrat de corruption », certains votes suspects ont été identifiés au Parlement européen et permettent d’établir que certaines décisions adoptées concernant le Qatar ont « été indûment altérées par des faits de corruption et par des influences indues », comme l’affirme le Parlement européen lui-même dans une résolution adoptée le 15 décembre 2022.

Les enquêteurs du parquet fédéral belge soupçonnent eux aussi le Qatar « d’influencer des décisions économiques et politiques du Parlement européen, cela en versant des sommes d’argent conséquentes ou en offrant des cadeaux importants à des tiers ayant une position politique et/ou stratégique significative au sein du Parlement européen (1) ».

À titre d’exemple, d’après un article du Monde publié le 21 décembre 2022, le 21 novembre 2022, les eurodéputés du groupe S&D ont reçu pour consigne de voter contre une résolution très consensuelle s’inquiétant de la situation des droits de l’homme au Qatar dans le cadre de la Coupe du monde. Il s’avère que c’est l’eurodéputé Andrea Cozzolino, soupçonné de corruption par le Qatar, qui était responsable des prises de position du groupe sur les résolutions d’urgence et qui a émis cette consigne.

En conséquence, la présidente du Parlement européen, Mme Roberta Metsola, a présenté en février 2023 un plan visant à « renforcer la confiance des citoyens dans le Parlement et à protéger le droit des députés européens à exercer librement leur mandat, y compris la liberté d’association (2) ».

La Commission européenne pourrait elle aussi avoir été touchée par des tentatives de corruption provenant du Qatar. D’après le journal Politico en date du 27 février 2023, M. Henrik Hololei, à la tête de la direction générale de la mobilité et des transports (DG MOVE) de la Commission, serait soupçonné d’avoir fait neuf voyages gratuits en classe affaires sur la compagnie Qatar Airways entre 2015 et 2021 en pleines négotiations par son service d’un accord « à ciel ouvert » devant permettre à ladite compagnie d’accéder sans réserve au marché européen.

(1) « Le Qatar soupçonné de corruption en plein cœur de l’Europe », Le Soir, 9 décembre 2022.

(2) Parlement européen, communiqué de presse du 8 février 2023.

Il n’est pas apparu, au cours des travaux de la commission d’enquête et des auditions menées, que la France était particulièrement victime d’ingérences de la part du Qatar au sens que lui donne le présent rapport.

M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure, préfère parler de « lobbying afin d’orienter des décisions » et considère que « si les moyens qui ont été utilisés étaient tels qu’on l’a lu dans la presse, ils sont sûrement contestables mais ils ne constituent pas de l’ingérence, qui, elle, relève de l’espionnage ». L’ingérence dont s’occupe la DGSE a en effet pour visées « le pillage, l’agression, la déstabilisation ».

On peut plutôt considérer que le Qatar cherche à développer dans notre pays comme dans d’autres pays européens, des opérations d’influence poussées, pouvant aller jusqu’au recours à des moyens illicites, comme la corruption, avec comme objectif de donner une image positive de sa politique ou de l’état de sa société.

Il est vrai que, faute de temps, la commission d’enquête n’a pas pu auditionner MM. Georges Malbrunot et Christian Chesnot, auteurs de plusieurs ouvrages consacrés au Qatar ([235]).

L’objet de cette commission d’enquête n’étant pas de travailler sur le financement de la propagande djihadiste et islamiste, il ne peut qu’être fait brièvement mention du financement, par exemple, par la Qatar Charity et sa filiale britannique, Nectar Trust, d’associations européennes liées aux Frères musulmans en Europe. En France, la Qatar Charity aurait financé des centres islamiques ou des lycées privés. Il faut également mentionner les émoluments qu’aurait perçus Tariq Ramadan en provenance du Qatar, plus précisément de la Qatar Foundation, ou encore le soutien apporté à des think tanks et des chercheurs français par des fondations ou centres de recherche qatariens.

Lors de son audition, M. Raphaël Glucksmann a précisé que la commission spéciale du Parlement européen, dite INGE 2, qu’il préside est chargée d’analyser les conséquences du scandale de corruption du « Qatargate » et de proposer des pistes de réforme nécessaires pour garantir la transparence, la sécurité et l’intégrité des processus démocratiques européens. Il ajoute : « Il ne faudrait pas croire, toutefois, que les ingérences qataries sont réservées aux institutions européennes : comme les Français le savent bien, Paris en a été un haut lieu. Un ancien ambassadeur du Qatar se plaignait ainsi de ce que la classe politique française considérait son ambassade comme un “distributeur de billets de 500 euros”, selon des propos rapportés dans un ouvrage qui a fait grand bruit en France ([236]). »

Cela étant dit, M. Raphaël Glucksmann analyse les ingérences menées par le Qatar (« Qatargate ») ou l’Azerbaïdjan (« caviar diplomacy ») comme la continuation de leurs opérations d’influence visant à améliorer, de manière licite ou illicite, y compris donc par des moyens de corruption, leur image.

Cette catégorie d’ingérence se distingue, selon lui, de celles visant à déstabiliser nos démocraties, pratiquées principalement par la Russie, ou à opérer de la prédation économique ou technologique, comme cela peut être le fait de la Chine.

4.   La Turquie

Les interrogations sur d’éventuelles ingérences en provenance de la Turquie ont été principalement abordées au travers de la question de la gestion du culte musulman en France.

M. Frédéric Charillon, professeur en sciences politiques, indique que la Turquie a « mis au point une stratégie d’influence à travers la gestion du culte musulman, qui tourne parfois à l’intimidation ». Il met en avant le rôle joué par la Diyanet ([237]), administration turque chargée des affaires religieuses, « qui jouit d’une visibilité et de moyens financiers importants », et qui coordonne une nébuleuse d’associations, d’écoles et de mosquées qui lui sont liées.

La gestion d’une partie des affaires du culte musulman en France par la Turquie peut aboutir à des ingérences dans la mesure où, comme le rappelle Mme Nathalie Loiseau, députée européenne, « elle est en guerre contre la laïcité à la française ». Lors d’une visite officielle en France en 2018, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, avait d’ailleurs déclaré que « les musulmans de France sont sous [sa] protection », désignant ainsi tous les musulmans, qu’ils soient d’origine turque ou non, comme cible d’une stratégie d’influence turque. À cette époque, le Conseil français du culte musulman était d’ailleurs présidé par un franco-turc, proche du président Erdogan. Mme Loiseau insiste elle aussi sur le poids de la Turquie dans l’islam de France : « [Elle] est aussi le plus gros fournisseur d’imams détachés en France, au travers d’associations qui sont proches du parti au pouvoir et qui, soit essayent de présenter des candidats à des élections locales, soit gèrent des mosquées ; Millî Görüş ([238]) gère soixante-dix mosquées en France ».

Au moins une tentative grave de déstabilisation est attestée : la campagne antifrançaise qui s’est propagée à partir de la Turquie au moment de l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, M. Stéphane Bouillon, l’a ainsi décrite devant la commission d’enquête :

« Après l’assassinat de Samuel Paty, nous avons […] fait l’objet de nombreuses attaques. Pour y faire face, nous avons créé [une] task force […] qui a permis d’identifier un certain nombre de sites et d’adresses IP, de remonter jusqu’à l’agence de presse Anadolu et de conclure à l’origine turque de cette campagne. Elle a pris fin quelques mois après l’attentat, mais nous sommes toujours à l’écoute de ce qui peut venir de Turquie, notamment des critiques sur la politique française au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs. »

M. Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère, affirme également que la Turquie « a une puissance d’ingérence dans nos pays par l’intermédiaire d’associations cultuelles ou de mouvements politiques comme les Loups gris, qui peuvent aller jusqu’à commettre des violences sur notre sol ([239]) ». Les Loups gris, représentants d’une organisation ultra-nationaliste et ultra-violente, armés, liés à la pègre turque, s’en prennent régulièrement aux Kurdes et aux Arméniens sur le sol européen. Ils s’efforcent aussi de pénétrer la vie politique locale en fondant au moins un parti (le parti Égalité et Justice) et en faisant partie dès l’origine du Conseil pour la justice, l’égalité et la paix (COJEP), une « ONG » utilisée par l’AKP pour peser sur le débat politique français. Si le gouvernement français a dissous les Loup gris en 2020, ses membres restent cependant présents sur le territoire français.

Enfin, la Turquie s’inspire aussi de méthodes pratiquées par la Russie et la Chine : médias d’État turcs ou médias turcs « alternatifs » pratiquant la désinformation et diffusant chez nous une vision turque pour le moins inamicale à l’encontre de notre pays ; activisme sur les réseaux sociaux avec faux comptes et vrais influenceurs…

Concernant cette dimension politique, M. Nicolas Lerner (DGSI) présente la Turquie comme un État s’efforçant de contrôler sa diaspora : « Dans le même temps, la Turquie poursuit une politique étrangère qui n’est pas toujours conforme à nos intérêts et attache un très grand intérêt à sa diaspora, dans laquelle elle intègre aussi bien des personnes françaises que turques ou d’origine turque. Une réforme électorale récente permet aux Turcs de l’étranger de voter aux élections nationales turques, ce qui peut donner lieu à des actions de communication, ce qui est légitime s’agissant d’électeurs, mais aussi de potentielle ingérence ou de contrôle, ce qui mérite attention. Or, pour nous, une personne vivant sur le territoire national ne doit être soumise qu’à la loi et aux règles de vie décidées par la France. Il y a donc là, bien évidemment, un point de vigilance ([240]). »

III.   la France est particulièrement exposée aux tentatives d’ingérence russes

Si la Russie est l’une des principales puissances étrangères à mener des opérations d’ingérence en France – si ce n’est la première – cela ne signifie pas nécessairement que la France soit la plus ciblée par rapport à d’autres pays. Ainsi, d’autres démocraties européennes, à l’instar de l’Ukraine, de l’Estonie ([241]), voire de l’Espagne ([242]) ou du Royaume-Uni ([243]), ont été le théâtre d’ingérences russes parfois bien plus spectaculaires. La dimension de l’ingérence russe en France s’explique donc plutôt par l’importance et les moyens consacrés à cette politique par Moscou en Europe par rapport à toute autre puissance étrangère.

Le rapport CAPS-IRSEM sur les manipulations de l’information publié en 2018 ([244]) souligne ainsi que « Moscou n’est certes pas le seul acteur étatique qui utilise ces tactiques, mais c’est le seul qui les utilise aussi bien, depuis aussi longtemps, qui les a érigées en doctrine officielle et dont la stratégie assumée est d’affaiblir l’Occident ». Il estime qu’environ 80 % des efforts d’influence en Europe sont du ressort de la Russie, le reste provenant d’autres États comme la Chine ou l’Iran et d’acteurs non étatiques.

Si la désinformation est un de ses outils privilégiés pour mener ses actions d’ingérence en France, la Russie a également développé un réseau d’attraction d’agents publics comme de personnalités politiques. Ces dernières, issues de tout bord, revendiquent parfois leur soutien au pouvoir russe, se réclament de la défense des intérêts économiques et géostratégiques de la France, ou encore font valoir leur bonne foi, admettant une forme de naïveté. Le Rassemblement national présente une singularité par sa proximité idéologique avec le régime russe et par des liens financiers qui feront l’objet d’une analyse détaillée.

A.   une entreprise de désinformation de longue haleine

La désinformation à l’étranger est une forme d’ingérence longtemps exercée par l’Union soviétique, notamment en Europe et France. Aujourd’hui réactualisée par la Fédération de Russie, elle s’appuie sur des médias pro-russes qui portent en France un discours de confusion et de division.

Cette entreprise médiatique est soutenue par une forte activité en ligne de la propagande russe, en particulier sur les réseaux sociaux. C’est notamment par ce biais que la Russie a conquis un grand espace médiatique en Afrique où elle sape les positions et la réputation françaises.

L’ingérence informationnelle russe a en outre particulièrement visé les élections présidentielles françaises comme elle a tenté de le faire dans d’autres démocraties. Les « Macron Leaks » en 2017 figurent ainsi comme le phénomène le plus saillant et le plus visible de cette stratégie qui a cependant échoué à prospérer au cours de l’élection suivante en 2022.

1.   Une stratégie d’ingérence par la désinformation héritée de l’époque soviétique et réactualisée sous Vladimir Poutine

Si l’entreprise de désinformation engagée par le pouvoir russe en France apparaît puissante, structurée et souvent efficace, ce n’est pas un étonnement tant elle s’inscrit dans la continuation des méthodes longtemps éprouvées des responsables soviétiques.

Toutefois, à la suite de la chute de l’Union soviétique et après l’accession de M. Vladimir Poutine à la présidence de la Fédération de Russie, l’entreprise de manipulation de l’information russe en France prend une tournure nouvelle. Dépouillée de son idéologie communiste, elle s’appuie sur des médias russes implantés en France et sur un discours visant à accentuer les conflits qui s’y déroulent et à soutenir les positions du régime russe en matière internationale.

L’interdiction de ces médias dans l’Union européenne – nommément RT France et Sputnik – après l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, n’a toutefois pas fait cesser l’activité de désinformation russe en France, notamment sur les réseaux sociaux.

a.   Une longue tradition soviétique

Dès janvier 1923, est créé au sein du Guépéou – ou GPU, police d’État de l’URSS précédant le NKVD – un desinformburo menant des opérations de désinformation au sein des capitales européennes et à travers l’Asie. Celles-ci ciblèrent en premier lieu les Russes blancs exilés. Ainsi, au cours des années 1920, l’opération Trust ([245]) pilotée par le Guépéou fit croire à l’existence d’une importante organisation anti-bolchevique afin d’identifier et d’arrêter les Russes attirés par ce mouvement, notamment ceux qui s’étaient exilés en Europe.

Les méthodes soviétiques de désinformation, parfois grossières dans leur procédé – fabrication de faux documents, témoignages de faux experts, retouches de photographies ou de vidéos – se sont par la suite largement développées sous l’impulsion du KGB. Celui-ci fut ainsi à l’origine de nombreuses opérations d’influence des opinions publiques étrangères. Outre les fausses rumeurs ([246]), les autorités soviétiques eurent recours à des opérations d’infiltration d’organisations étudiantes ou de syndicats, à la promotion d’agents d’influence ou à l’utilisation de médias étrangers.

La France ne fut en rien épargnée par ce phénomène du fait de son appartenance au bloc de l’Ouest et à l’OTAN. Une de ses manifestations fut la mise au jour de l’activité d’agent d’influence exercée par le journaliste Pierre-Charles Pathé entre 1959 et 1979. Travaillant pour les services de renseignement soviétiques, il participa, par le biais d’une agence d’informations, à la diffusion d’une désinformation commandée par le KGB. Arrêté en 1979, il fut condamné au titre de l’article 80 du code pénal ([247]) pour intelligences avec les agents d’une puissance étrangère. Ces dispositions sont désormais codifiées dans une section du livre IV du code pénal relatif aux crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique ([248]) (voir infra).

L’ensemble de ces stratégies mises en place par l’Union soviétique puis par la Russie pour exercer une influence sur les opinions publiques étrangères est désigné par le terme « mesures actives » (aktivni meroprijatija en russe).

Si le contexte géopolitique mondial a été profondément modifié en 1991, les procédés mis en œuvre par le pouvoir russe pour influer sur les opinions étrangères affichent une continuité notable avec ceux entrepris par l’Union soviétique au siècle dernier. Ainsi, l’influence russe sur la campagne présidentielle américaine de 2016 n’est qu’un épisode supplémentaire dans la série des ingérences du Kremlin dans les élections étrangères. Le rapport CAPS-IRSEM ([249]) de 2018 rappelle à cet égard les mesures actives prises par Moscou pour empêcher la réélection de Ronald Reagan en 1984 ou pour faire battre Helmut Kohl aux élections fédérales de 1983, mesures qui n’ont toutefois pas abouti.

b.   La nouvelle stratégie d’ingérence informationnelle russe en France s’est appuyée sur des médias d’État et sur les réseaux sociaux

L’ingérence informationnelle russe en France, après s’être affaiblie à la suite de la disparition de l’URSS, a connu une résurgence sous la présidence de Vladimir Poutine, en particulier après l’invasion russe de la Géorgie en 2008.

Souhaitant développer un narratif « alternatif » aux médias occidentaux perçus comme uniformément hostiles à la Russie, des médias russes – Sputnik puis RT France – se sont implantés en France. Leur stratégie consiste principalement, par-delà le relais des positions du Kremlin sur les sujets internationaux, à exploiter les divisions qui peuvent exister dans la société française et vise à donner « une certaine image des conflits au sein de nos démocraties ([250]) ».

L’interdiction de ces médias sur le sol français et européen après l’agression russe de l’Ukraine n’a toutefois pas stoppé l’entreprise de désinformation russe en France, la manipulation ayant toujours cours sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, des médias proches des idées véhiculées par la Russie demeurent actifs en France.

i.   La volonté de produire un récit alternatif aux médias occidentaux

La chute de l’Union soviétique a entraîné un ralentissement de la stratégie d’ingérence informationnelle russe en Europe et notamment en France. Le discours formulé par la Russie dans le monde, bien que désormais vidé de sa portée idéologique communiste, a toutefois continué à exister malgré une perte mesurable d’influence. Ainsi, lors de la seconde guerre de Tchétchénie en 1999, le président Poutine, nouvellement arrivé au pouvoir, a pu constater le décalage de perception entre la population russe et l’opinion publique internationale quant à l’image de terroristes dont il a voulu affubler les Tchétchènes. Loin de relayer son discours, les médias occidentaux ont documenté les violations des droits humains et les exactions commises par l’armée russe, en particulier à l’occasion de la destruction de la ville de Grozny ([251]), capitale de la république indépendantiste de Tchétchénie.

Cette perte d’influence du discours russe dans le monde s’est à nouveau illustrée lors des « révolutions de couleur », mouvements populaires de protestation dans l’ex-espace soviétique soutenus par les pays occidentaux ([252]). Les révolutions de couleur ont donné lieu, en réaction, à la création d’organes russes visant à promouvoir et améliorer l’image de la Russie dans le monde. En 2004 est fondé, par exemple, le club de Valdaï, forum international de discussion qui vise à défendre un discours positif sur le rôle de la Russie dans le monde. De même, Russia Today est créée en 2005 avec pour objectif initial de promouvoir l’image de la Russie en dehors de ses frontières.

Malgré ces réalisations, la guerre de Géorgie en 2008 témoigna encore de la difficulté pour les autorités russes de défendre un discours positif sur la Russie qui soit diffusé à l’international. Pour M. Maxime Audinet, chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), cette guerre a été un tournant dans la stratégie informationnelle russe : « L’État russe a jugé que la couverture des événements par les grands médias était unilatéralement progéorgienne et qu’il était temps que la Russie se dote d’un outil permettant de produire un autre récit ([253]). » Dans cet esprit, Russia Today est devenue en 2009 RT pour apparaître moins ostensiblement liée au Kremlin, puis, lors d’une visite dans les locaux de la chaîne en 2013, Vladimir Poutine a rappelé vouloir « créer un média susceptible de briser le monopole des médias anglo-saxons dans le flux mondial de l’information ». Pour M. Maxime Audinet, la « posture anti-hégémonique et concurrentielle » est ainsi inhérente à ce réseau d’information.

La guerre de Géorgie marque donc le début d’une stratégie structurée de développement à l’international des réseaux d’information pro-russes passant notamment par l’installation de rédactions de RT à l’étranger, y compris en France.

ii.   La tête de pont de la manipulation de l’information russe en France : RT France et Sputnik, des médias d’État « alternatifs »

En France, les deux principales entités ayant porté la stratégie de manipulation de l’information de la Russie sont Sputnik et RT France.

Sputnik est une agence de presse multimédia internationale lancée par le gouvernement russe en 2014 diffusant dans trente-quatre pays, dont la France où ses contenus sont francophones. Son slogan, « dire ce qui n’est pas dit ([254]) », souligne le positionnement éditorial de ce média qui proclame lutter contre « la propagande agressive qui nourrit le monde et impose un point de vue unipolaire ([255]) ». Cela se traduit par un traitement particulièrement alarmiste des violences commises en France comme ce fut le cas au cours de « l’affaire Théo » en 2017 ([256]).

RT France est une chaîne russe francophone, créée trois ans plus tard, en décembre 2017 ([257]). Rapidement accusée d’être un organe d’influence, notamment par les équipes du candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2017 ([258]), la chaîne opère toutefois une stratégie voilée et prudente de désinformation qui apparaît moins agressive que Sputnik. Elle est désireuse d’afficher une forme de respectabilité et de professionnalisme qui s’est traduite par l’obtention d’une licence auprès du CSA ou par le recrutement de journalistes reconnus, à l’instar de M. Frédéric Taddeï en 2018. Se présentant comme un média « alternatif », non « mainstream », RT France utilise un vocabulaire proche de celui de la Russie, en particulier en matière de géopolitique. Ainsi, elle relaie la voix de Moscou qui estime que la Crimée n’a pas été annexée mais qu’elle a fait sécession, de même pour le Donbass. Plus tard, au moment de l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, un bandeau à l’antenne fait figurer le vocable « opération militaire » pour parler de la guerre engagée par la Russie, reprenant ainsi la sémantique du Kremlin.

Ces deux « médias d’État », ainsi que les qualifie M. Maxime Audinet, sont entièrement financés par l’État russe pour un budget total qui s’élève selon le chercheur à 400 millions d’euros : 300 millions d’euros pour RT et 100 millions d’euros pour Sputnik, représentant 30 % du budget alloué par l’État russe à son audiovisuel extérieur public. En comparaison, « la France ne consacre que 7 % de son budget de médias publics à France médias monde ».

La stratégie éditoriale de ces médias rejoint l’objectif russe de déstabilisation des sociétés occidentales. De fait, les informations qui y sont relayées n’ont pas spécifiquement pour objectif de donner une bonne image de la Russie, « ils ne sont pas très “russo-centrés”, mais ils se présentent dans l’espace médiatique […] comme alternatifs ». Cette position ne vise finalement qu’à « créer de la dissension et creuser les divisions » au sein de la société française. Pour M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du CAPS, « la stratégie russe est […] une stratégie de confusion et subversion » à laquelle concourent largement RT France et Sputnik en France.

Cette stratégie s’est particulièrement illustrée au cours de divers mouvements de protestation qu’a connus la France ces dernières années. La Russie, par l’intermédiaire de ces médias d’État, « appuie là où ça fait mal ([259]) » en amplifiant ces évènements à l’instar du mouvement des Gilets jaunes ou des mouvements « antivax » qui ont émergé avec la crise du covid-19. RT France a ainsi largement relayé la protestation des Gilets jaunes, le plus souvent en en retransmettant les aspects les plus spectaculaires.

Une autre stratégie rhétorique très usitée par ces médias et leurs défenseurs est l’utilisation systématique du relativisme (parfois appelé « whataboutism ») et du « tu quoque » latin ([260]) qui permet d’excuser les agissements russes en prétendant que les actes des autres pays, en particulier ceux des États-Unis, sont semblables ou pires. Le relativisme permet par ailleurs de mettre sur le même plan des situations fort différentes. M. Audinet prend l’exemple des défenseurs de RT qui prétendent que la chaîne « ne ferait pas autre chose que France 24 ».

Par ailleurs, ces médias russes et leurs représentants assument un discours agressif vis-à-vis des pays et médias considérés comme hostiles et plus largement contre les discours critiques à leur endroit. Ainsi, dans une interview de 2012 au quotidien russe Kommersant, Margarita Simonian, rédactrice en chef de RT, déclarait : « Nous [RT] conduisons la guerre de l’information et, même plus, contre le monde occidental. » M. Christophe Deloire ([261]), secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) a été directement visé par Mme Simonian, qui lui a demandé sur RT et Sputnik « d’autodissoudre sans faire de bruit » RSF à la suite de l’enquête de l’ONG sur le système RT à Moscou.

Dans cette perspective, RT France a engagé des procédures judiciaires contre des chercheurs ou des journalistes français critiques à l’encontre de la chaîne ou, plus largement, de la Russie. C’est notamment le cas de M. Nicolas Tenzer, qui a fait l’objet de deux plaintes pour diffamation en 2021 en raison de deux tweets visant RT France. De même, le chercheur M. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a été visé par une plainte similaire. Les quatre auteurs du rapport CAPS-IRSEM de 2018 ([262]) – dont M. Jeangène Vilmer – décryptant les manipulations de l’information opérées par la Russie et qui mettent en cause RT et Sputnik ont également fait l’objet d’une plainte en diffamation de la part de RT France le 3 décembre 2018.

La chaîne a ainsi multiplié les « procédures bâillons » afin d’intimider les chercheurs et journalistes qui exposent le système de manipulation de l’information russe. La rapporteure déplore l’utilisation de la justice française par des entités liées à des États étrangers pour entraver le travail légitime des journalistes et des chercheurs. Cette pratique est d’autant plus choquante qu’elle vise à dissuader tout effort de recherche du fait du coût financier que représentent ces procès.

Recommandation n° 1 : Créer un cadre juridique permettant de protéger les chercheurs et journalistes qui font l’objet de « procédures bâillons » de la part d’entités liées à des États étrangers.

Malgré leurs agissements, RT France et Sputnik ont toujours veillé à ne pas sortir du cadre légal de leur activité, se réclamant d’une liberté d’expression qui n’existe par ailleurs plus en Russie, leur pays d’origine. Leur stratégie consiste ainsi à donner une vision délibérément tronquée et biaisée des évènements, sans toutefois tomber dans le mensonge ou le discours de propagande. RT France a cependant fait l’objet en 2018 d’une mise en demeure du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, devenu Arcom en 2022) pour « manquement à l’honnêteté, à la rigueur de l’information et à la diversité des points de vue » à propos d’un sujet consacré à la Syrie qui contestait la réalité des attaques à l’arme chimique dans la région de la Ghouta orientale. Le CSA a déploré l’absence de diversité des points de vue sur un tel sujet. Par ailleurs, la traduction orale des propos tenus par un témoin syrien ne « correspondait en rien à ce qu’il exprimait à l’antenne ([263]) ».

iii.   La guerre en Ukraine intensifie la désinformation russe, menant à l’interdiction de ses relais médiatiques qui ne disparaissent pas tout à fait

L’invasion russe de l’Ukraine a provoqué un tournant dans la stratégie d’ingérence informationnelle russe en France. RT France, qui veillait jusqu’alors à demeurer dans le champ de la légalité, a délibérément repris le vocabulaire et le discours de Moscou sur la guerre en Ukraine. Ainsi, le vocable « opération militaire spéciale » a régulièrement été utilisé dans Sputnik et sur RT France dès le début de la guerre. Le discours officiel de la Russie s’est trouvé repris, parfois mot pour mot, par des invités sur la chaîne RT France dans des plateaux déséquilibrés en faveur de Moscou, invités dont certains étaient notoirement pro-Kremlin ([264]).

Cette intensification de la désinformation russe en France s’est illustrée par la diffusion sur RT France, le 17 avril 2022, d’un sujet portant sur les massacres commis à Boutcha par l’armée russe pendant son occupation de la ville au début du conflit. Le correspondant de la chaîne à Moscou y développe une thèse mettant en doute la responsabilité des Russes, reprise en plateau par un invité qui suggère que ces massacres auraient été commis par les Ukrainiens ([265]). Par ailleurs, la chaîne diffuse des documentaires de propagande conçus au siège de RT en Russie dans lesquels se retrouve le discours officiel russe, le régime de Kiev y étant par exemple qualifié de « néonazi » ([266]).

L’existence en France – et plus largement dans l’Union européenne – de ces récits légitimant la guerre d’agression russe au moyen d’une désinformation orchestrée par un État étranger a poussé le Conseil de l’Union européenne à réagir. Le 1er mars 2022, il a prononcé une interdiction à tous les opérateurs (fournisseurs de service internet, satellite…) de diffuser le contenu de RT et Sputnik ([267]).

Le 2 mars 2022, les réseaux de RT ont été suspendus au sein de l’Union européenne, entraînant une fermeture des bureaux à Londres et à Washington. En France, RT France se trouve aujourd’hui en redressement judiciaire après une deuxième vague de sanctions affectant TV Novosti, la maison mère de RT, une organisation non-commerciale financée par l’État russe. Ses actifs ayant été gelés, RT France devrait bientôt fermer son bureau en France, selon M. Maxime Audinet. Ce dernier observe depuis la suspension de RT une forme de relocalisation du réseau à Moscou, présageant une « ligne éditoriale encore plus contrôlée depuis la Russie » et « offrant la possibilité de produire des contenus plus idéologiques qu’auparavant ».

Parallèlement, ces médias dont la diffusion a été suspendue tentent des stratégies de contournement des sanctions. Celles-ci consistent à inciter au téléchargement de VPN qui permettent d’ignorer la localisation de l’appareil de diffusion ou à créer des sites « miroirs », répliques des sites originaux avec d’autres noms de domaine. De fait, la production de contenus francophones par Sputnik et RT se poursuit, en particulier en Afrique subsaharienne francophone ([268]).

Malgré la moindre visibilité des contenus de RT France et de Sputnik en France, les manipulations de l’information par des entités russes ou pro-russes n’ont malheureusement pas disparu. Sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux, continue de circuler une désinformation d’autant plus virulente qu’elle n’est plus portée par un média qui veut se donner une apparence de respectabilité. Ainsi, M. Audinet pointe le rôle des fermes à trolls mises en place par Evgueni Prigojine, fondateur de la milice armée Wagner ([269]).

M. Prigojine a également créé la « Fondation pour combattre l’injustice », une prétendue ONG qui viserait à alerter l’opinion occidentale, et notamment française, sur les « violences policières » qui séviraient dans ces pays. Un article du journal Le Monde ([270]) a exposé la stratégie de cette organisation qui essaye d’attiser les tensions au sein des sociétés occidentales autour des questions sécuritaires et raciales. Ce procédé de propagation d’informations sous fausse bannière est un procédé récurrent du pouvoir russe. Beaucoup de ces « fondations » gravitent autour de la « galaxie Prigojine » à l’instar de la Fondation pour la protection des valeurs nationales (FZNC) dirigée par Maxim Chougaleï, l’un des lieutenants d’Evgueni Prigojine.

Certains médias diffusés en France, sans qu’il soit démontré qu’ils sont financés par l’État russe ou dirigés par des citoyens russes, participent tout de même à la propagation d’une information biaisée en faveur de la Russie. La distinction au sein de leur contenu entre proximité idéologique – qui est légale – et désinformation reprenant le discours de Moscou n’est pas toujours aisée. La question a ainsi été posée, notamment à M. Audinet lors de son audition, du rôle du média Omerta, sponsorisé par M. Charles d’Anjou et dont M. Régis Le Sommier, qui a notamment travaillé à RT France, est le directeur de la rédaction.

Omerta : naissance d’un média « aternatif »
dans le sillage de RT France et de Sputnik

Omerta est un média en ligne lancé en novembre 2022 par M. Charles d’Anjou, homme d’affaires spécialisé en sécurité privée bien connu des sphères russophiles et russes, ancien fixeur – il travailla notamment en Syrie et en Ukraine, dans la partie occupée du Donbass au début de l’invasion russe –, ancien candidat à plusieurs élections sous l’étiquette de la droite républicaine, qui, après plusieurs années vécues à Moscou, est maintenant résident fiscal à Dubaï. La direction de la rédaction d’Omerta est assurée par M. Régis Le Sommier, ancien directeur adjoint de la rédaction de Paris Match avant de travailler pendant un peu plus de six mois comme grand reporter à la chaîne RT France, jusqu’à la fermeture de celle-ci.

L’intérêt de M. d’Anjou pour la presse est récent mais bien réel, puisqu’il a provisionné une somme d’un million d’euros sur ses fonds propres, répartie entre Omerta et Nordman Médias, une société de production sœur qu’il préside.

La ligne éditoriale d’Omerta, créée peu de temps après la fermeture de RT France et de Sputnik, présente des similitudes avec celle de RT France : un média qui se veut alternatif aux médias mainstream. Omerta se présente comme un « média national, français, patriote, mais non soumis à l’État actuel ».

Omerta est accusé d’être un média pro-russe et pro-Poutine et de véhiculer des idées prisées par la droite identitaire, avec des sujets comme « les délires woke », « le laxisme de la politique migratoire », ou « la menace trans ».

Sans doute le profil de M. d’Anjou n’est-il pas étranger à ce climat de suspicion pro-russe et pro-Kremlin qui entoure Omerta. Ayant fondé en 2010 le cercle Talleyrand, une association dont le but était de promouvoir les échanges économiques, culturels et politiques franco-russes, et qui a fait venir à Paris de jeunes actifs russes, M. d’Anjou se lance ensuite dans les affaires.

Il sera, par exemple, fixeur en Syrie et en Ukraine, responsable de la sécurité de plusieurs entreprises françaises implantées en Russie, puis consultant. Ses activités l’ont mené également en Afrique, en Libye, en Roumanie, au Kazakhstan.

Entre autres faits récents le concernant, Charles d’Anjou a été invité le 1er décembre 2022 sur TV Zvezda, la chaîne du ministère de la défense russe, et y a été félicité pour son documentaire « Front russe ». Il y a déclaré qu’on « sait avant tout qu’ils [les Ukrainiens] voulaient attaquer, qu’ils voulaient prendre le Donbass. Si le président Poutine avait attendu encore un peu, il y aurait eu un risque encore plus grand. ». Il a également affirmé que l’invasion de l’Ukraine par la Russie est « une guerre normale », relayant ainsi les éléments de langage du Kremlin.

Autre preuve de sa proximité avec le régime russe et ses satellites, Charles d’Anjou s’est rendu en Tchétchénie le 18 avril 2023. Le ministre de l’information M. Doudaïev, proche de Ramzan Kadyrov, a, à cette occasion, accordé une interview à Omerta, et a particulièrement félicité Charles d’Anjou pour la création d’Omerta.

Auditionnés par la commission d’enquête ([271]), MM. Le Sommier et d’Anjou ont formellement nié produire un contenu pro-russe, le premier affirmant qu’il « ne défend pas un camp » et le second répétant que ses reportages sont « factuels ».

À l’appui de leurs affirmations, ils ont excipé d’un passage du documentaire « Front russe » mis en ligne sur Omerta – où M. Le Sommier aurait relevé que « la question de l’Holodomor était relativisée » dans les nouveaux manuels scolaires à destination de la jeunesse ukrainienne des oblasts conquis par l’armée russe – que leur objectivité ne saurait être remise en cause.

Pour la rapporteure, la seule présence de ce passage ne saurait exonérer l’ensemble du reportage de sa tonalité.

À l’inverse, plusieurs éléments diffusés par le magazine font état de positions favorables à la Russie. À titre d’exemple, alors que M. Le Sommier affirme que la première édition du magazine Omerta, portant sur la guerre en Ukraine, ne visait en rien à « rassembler des propos pro-russes », ce numéro fait néanmoins intervenir des personnalités telles que M. Arno Klarsfeld, qui a notamment affirmé que l’Ukraine n’est « pas innocente ([272]) » de l’agression qu’elle subit, ou M. Henri Guaino, qui a estimé lors d’un entretien que la Russie n’est pas « le seul coupable ([273]) » de la guerre qu’elle mène en Ukraine.

En outre, le magazine qui se veut alternatif tend à présenter le régime russe sous un angle qui masque son caractère intrinsèquement répressif. Ainsi, dans cette même première édition du magazine, il n’est pas fait état de la suppression des libertés publiques en Russie, de la mise au pas des journalistes et des contre-pouvoirs ou, plus simplement, de la rhétorique anti-ukrainienne qui dépeint le pays agressé comme nazi et fasciste.

De manière générale, le média tend à adopter un narratif sur le conflit qui s’accorde avec celui de Moscou : un article décrit la « double face » du président Volodymyr Zelensky, un autre dénonce les ambitions des États-Unis de « coloniser » les élites mondiales et de tirer délibérément profit de l’agression russe en Ukraine.

Par ailleurs, la commission d’enquête a interrogé M. d’Anjou sur la gestion financière du magazine Omerta. Le président d’Omerta a expliqué que ce sont ses activités autres que celles qu’il a exercées en Russie qui, en « quinze années de travail », lui ont permis de financer, sur ses « fonds personnels », le million d’euros nécessaire au budget annuel du média.

Il a ajouté que ce dernier ne bénéficie pas de l’agrément du ministère de la culture qui permettrait de lui faire économiser « environ 200 000 euros ». M. d’Anjou a nié toucher « un seul centime d’argent » russe.

2.   L’Afrique, espace privilégié de la désinformation russe anti-française

En parallèle de leurs activités en France, RT, Sputnik et les réseaux de désinformation numériques russes (à l’instar des fermes à troll) ont déployé sur le continent africain une entreprise de désinformation nuisant à l’image de la France. Cette ingérence informationnelle, se nourrissant de sentiments hostiles à l’ancienne puissance colonisatrice, a alimenté l’hostilité des populations contre la présence française en Afrique.

a.   La Russie a développé une stratégie spécifique de désinformation en Afrique

L’Afrique est l’un des terrains favoris de la Russie pour le déploiement de son entreprise de désinformation visant la France. Le continent dispose en effet de plusieurs caractéristiques singulières exploitées par les autorités russes pour entreprendre une manipulation de l’information particulièrement efficace. S’il n’est jamais aisé de dresser des constats valables pour l’intégralité des pays du continent, il convient ici de dépeindre à grands traits certaines réalités explicitées par plusieurs travaux de recherche.

En premier lieu, le paysage médiatique africain est globalement moins structuré que celui que nous connaissons en Europe. L’information publique y est largement sujette à caution, notamment du fait de l’existence dans de nombreux pays d’un contrôle des médias qui entretient une méfiance des populations à son égard. La qualité des médias est aussi régulièrement en cause.

La consommation d’information des Africains repose par ailleurs de manière grandissante sur les médias sociaux ou sur internet. Le rapport Afrobarometer de février 2022 soulignait ainsi un usage ayant « presque doublé » en cinq ans ([274]). Cette pratique informationnelle s’établit désormais dans des proportions semblables à celle des Européens ([275]).

En outre, les langues françaises et anglaises, largement parlées sur le continent, sont des vecteurs simples pour faire pénétrer la désinformation russe. De fait, plusieurs chercheurs français ([276]) pointent la hausse continue de la propagation des contenus russes à travers l’internet africain francophone.

Enfin, la Russie formule en Afrique un discours stéréotypé mais très efficace pour faire passer ses messages en s’appuyant sur le ressentiment existant contre les anciennes puissances colonisatrices et sur leur action supposément néocoloniale. M. Thomas Gomart (IFRI) parle d’un « sentiment anti-français en Afrique » qui, s’il s’explique en partie par « nos propres erreurs », est aussi produit et encouragé par des opérations de manipulation de l’information.

La Russie procède ainsi à une double manipulation consistant à dénigrer l’action des puissances occidentales en Afrique et à s’en distancier elle-même en se présentant, ainsi que le souligne M. Gomart, comme un « leader du Sud global » alors même que ce pays mène actuellement « une guerre coloniale en Ukraine ». Le succès de cette rhétorique repose également en partie sur la bonne image que la Russie a conservée dans bon nombre de pays africains où elle est associée à son passé soviétique anticolonial et à son soutien d’alors aux luttes indépendantistes au cours des processus de décolonisation. À cet égard, M. Bernard Émié, directeur de la DGSE, identifie « un socle idéologique […] constitué à la faveur des luttes de libération » dont bénéficie la Russie dans ses relations diplomatiques avec de nombreux États africains.

Les vecteurs de la désinformation russe en Afrique sont semblables à ceux intervenant en France mais leur impact sur les populations y apparaît bien plus notable. RT et Sputnik bénéficient d’une large audience, notamment du fait de la pratique largement répandue des journaux et médias africains en ligne consistant à reprendre en intégralité les contenus des médias russes sur leurs sites sans prendre la peine de mener un travail journalistique de recoupement de l’information ([277]). Avec l’interdiction de diffusion de ces deux médias en Europe, l’Afrique apparaît comme un nouveau terrain d’expansion. Ainsi, en janvier 2023, RT France a noué au Cameroun un partenariat avec Afrique Media, une chaîne de télévision privée qui affiche un contenu favorable à la Russie et très critique envers la France. M. Maxime Audinet a également mentionné lors de son audition des médias africains « purement et simplement fondés et financés par des acteurs russes » à l’instar de la radio Lengo Songo en Centrafrique.

Les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant dans l’entreprise russe de désinformation en Afrique en relayant ces contenus. M. Audinet soulignait ainsi le rôle joué par des usines à trolls russes externalisées au Ghana et en Centrafrique ciblant notamment la France.

Il convient également de souligner l’importance de la « galaxie Prigojine » – ou « galaxie Wagner » – dans la propagation de fausses informations en Afrique. Selon les mots de M. Bernard Émié, directeur de la DGSE, Wagner est une « structure d’influence, de déstabilisation et de coercition », qui s’organise comme une galaxie dans laquelle la société de tête s’adjoint des filiales intervenant dans le domaine économique et pratiquant aussi bien la prédation économique que l’influence, le contrôle des médias, le contrôle des gouvernements ou la sécurité privée.

Cet ensemble protéiforme s’appuie notamment sur la ferme à trolls créée à Saint-Pétersbourg par son fondateur Evgueni Prigojine, connue sous le nom d’Internet Research Agency (IRA). M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) soulignait lors de son audition le rôle joué par des entreprises liées à Wagner et installées en Afrique dans une opération assez sournoise de désinformation visant Emmanuel Macron lors de sa campagne à l’élection présidentielle de 2022. Cette opération, dite opération Beth, visait à mener une promotion appuyée en faveur du candidat en reprenant une partie de sa propagande électorale pour ensuite la dénoncer peu de temps avant le scrutin. Pour M. Bouillon, le but était double : « pouvoir dire, juste avant le scrutin, que le président sortant utilisait des manœuvres de manipulation de l’information pour se faire réélire ; et, deuxièmement, prétendre qu’il utilisait les Africains dans une posture néocolonialiste. » Si le Conseil constitutionnel, averti par le SGDSN, a considéré que cette attaque « n’avait pas eu d’impact sur la sincérité du scrutin », M. Bouillon a souligné la régularité d’attaques venues d’Afrique de la part de ces entreprises qui ont depuis changé de nom.

b.   Cette rhétorique russe antifrançaise a déjà largement porté ses fruits en Afrique

Qu’il s’agisse de l’Afrique ou d’autres zones géographiques, la Russie, par l’intermédiaire de ses outils de désinformation, mène une stratégie opportuniste consistant à aggraver les tensions, semer la confusion et amplifier les mouvements de rejet des puissances occidentales. Ainsi, les médias RT et Sputnik choisissent délibérément de « surmédiatiser » certains dossiers qui attisent le ressentiment des populations africaines. C’est notamment le cas des nombreuses séquences accordées au sujet du franc CFA décrit comme la continuation de liens impérialistes entre la France et les pays africains francophones.

En Afrique, l’intensité des stratégies russes de désinformation et le terreau fertile qu’elles y trouvent ont permis à Moscou d’aboutir à des résultats manifestes contre l’influence et l’image de la France dans le continent.

Ainsi, l’une des réussites de l’influence russe en Afrique est d’avoir contribué à discréditer l’action de l’armée française au Sahel, aboutissant à son départ du Mali en août 2022 et du Burkina Faso en février 2023 où elle était engagée dans le cadre de l’opération Barkhane. Ces départs ont succédé à la suspension de la coopération militaire française avec la Centrafrique décidée en 2021 à la suite du choix des autorités centrafricaines de s’associer aux mercenaires de Wagner pour assurer la sécurité du pays. Wagner joue en effet un rôle central dans les relations russo-africaines, permettant à Moscou de se dédouaner des exactions commises par ces mercenaires privés tout en établissant relativement discrètement des relations de proximité avec certains régimes africains dont la Russie assure la sécurité.

Si l’influence réelle qu’a eue la désinformation russe sur ces départs demeure difficile à mesurer, celle-ci a indéniablement accentué des phénomènes de mécontentement de la population tant dans la rue que sur les réseaux sociaux. Dans un entretien donné en février 2023 ([278]), M. Alain Antil, chercheur et directeur du centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI) évoque « toute une gamme d’actions » déployée par la Russie pour abîmer l’image de la France en Afrique.

De nombreuses fausses informations, diffusées par des médias russes francophones ou reprises par des militants rémunérés ont ainsi circulé sur les réseaux sociaux. En particulier, plusieurs dessins animés mettent en scène une France sous les traits d’un rat ou d’un serpent menaçant venus piller ses anciennes colonies et combattus par les forces africaines aidées par la Russie qui finissent par triompher. Au Mali, une fausse information a été diffusée par l’armée malienne et largement reprise sur les réseaux sociaux au sujet d’une prétendue découverte d’un charnier à Gossi résultant de l’action des forces armées françaises sur place. Si l’armée française a par la suite procédé à une riposte en dénonçant, images à l’appui, le procédé grotesque à l’œuvre, le démenti est souvent moins partagé que la fausse information elle-même.

Par ailleurs, la Russie s’appuie sur des figures du panafricanisme actuel comme Mme Nathalie Yamb ou M. Kémi Séba pour diffuser des contenus anti-français. Comme cela a déjà été souligné, ce dernier a ainsi reçu plus de 400 000 dollars entre 2019 et 2020 pour mener des opérations au service d’Evgueni Prigojine comme l’ont révélé les Wagner Leaks ([279]). Ces militants affichent en retour un soutien revendiqué à Moscou et à Wagner. À ces fins, M. Émié évoquait lors de son audition la facilité à organiser dans certains pays africains des manifestations en payant des participants et en créant un « effet loupe » au moyen de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

In fine, la Russie a réussi à supplanter la force militaire française en Centrafrique, au Mali et, sans doute prochainement, au Burkina Faso. Si cette évolution tient également aux échecs relatifs des coopérations militaires françaises dans ces pays et à un ressentiment bien réel des populations contre l’ex-puissance colonisatrice, la campagne de désinformation russe a nettement contribué à dénigrer la France et à renforcer l’influence de Moscou en Afrique francophone.

3.   L’ingérence informationnelle russe dans les campagnes présidentielles françaises de 2017 et 2022

L’affaire des « Macron Leaks » apparaît comme la plus importante tentative d’ingérence par la désinformation menée par la Russie en France. Celle-ci a atteint son apogée par la publication de plus de 20 000 courriers électroniques liés à la campagne présidentielle de 2017 du candidat Emmanuel Macron deux jours avant le vote du second tour. Ces fuites de documents (ou « leaks ») ne furent toutefois que la conclusion d’une stratégie plus globale de dénigrement du candidat perpétrée principalement en ligne.

L’échec de cette tentative d’ingérence attribuée à la Russie a contribué à forger une structure française résiliente face à ces opérations de désinformation numérique. Ainsi, l’organisation de l’élection présidentielle de 2022 a su résister aux tentatives d’ingérences dirigées contre elle.

a.   Les « Macron Leaks » au cours de l’élection présidentielle de 2017

Le rapport CAPS-IRSEM de 2018 ([280]) précité explicite les différentes étapes de la stratégie de désinformation ayant ciblé Emmanuel Macron au cours de sa campagne électorale à l’élection présidentielle de 2017 où la fuite des courriels n’a été que le « paroxysme d’une campagne orchestrée depuis longtemps contre le candidat ».

À partir du début de l’année 2017, des rumeurs et diffamations à l’encontre de M. Macron ont commencé à prendre une ampleur notable, en particulier sur les réseaux sociaux. Celles-ci se sont nourries des productions médiatiques de Sputnik et Russia Today en français ([281]) partagées en ligne. Ainsi, un article publié le 4 février 2017 par Sputnik ([282]) évoque les « détails controversés » du candidat Emmanuel Macron et relaie les propos d’un député français affirmant que ce dernier est un « agent du grand système bancaire américain » et qu’il est soutenu financièrement par le « très riche lobby gay ».

L’une des tentatives de désinformation en ligne les plus visibles au cours de cette campagne a consisté à faire émerger la rumeur selon laquelle le candidat Emmanuel Macron possédait un compte bancaire offshore. Cette insinuation, opportunément dévoilée peu avant le débat télévisé d’entre-deux-tours entre Mme Le Pen et M. Macron le 3 mai 2017, a éclos sur le forum américain 4Chan via la publication de faux documents par un internaute utilisant une adresse IP lettone ([283]). La rumeur a connu un bref succès entretenu sur Twitter par plus de 7 000 comptes, amenant la candidate du Front national à y faire elle-même allusion au cours du débat. Mme Le Pen s’est ainsi exprimée : « J’espère qu’on n’apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas. »

Enfin, les « Macron Leaks » à proprement parler ne sont intervenus que deux jours plus tard, le 5 mai 2017, quelques heures avant la période officielle de silence électoral qui précède le scrutin, empêchant les équipes du candidat de pouvoir riposter à cette ingérence. Neuf gigaoctets de données relatives à la campagne d’Emmanuel Macron ont été mis en ligne sur Archive.org ([284]) puis sur un site anonyme de partage de fichiers, Pastebin, et sur 4Chan.

Ces nombreuses données (courriels de collaborateurs et responsables politiques d’En Marche, notes, factures, échanges privés…) ont ensuite été rapidement partagées sur Twitter par des comptes américains pro-Trump et des programmes informatiques (des bots) sous le mot‑dièse #MacronLeaks. L’utilisation de ces bots est mise en évidence par l’ampleur et la rapidité des partages concentrés sur un petit nombre de comptes. Ainsi, les dix comptes Twitter les plus actifs dans l’utilisation du mot-dièse #MacronLeaks ont publié plus de 1 300 tweets en un peu plus de trois heures. À ces éléments de campagne sont mêlés d’autres faux documents comme des faux courriels également relayés sur les réseaux sociaux. In fine, le mot-dièse #MacronLeaks a été utilisé dans près de 47 000 tweets en moins de quatre heures.

Un schéma en trois étapes apparaît donc dans ces stratégies de désinformation menées en ligne :

– la publication de faux éléments – faux documents, rumeurs… – sur des forums américains ou des plateformes de partage comme 4Chan par des internautes anonymes ;

– la diffusion de ces éléments sur des réseaux sociaux grand public, souvent Twitter, soutenue et intensifiée par des bots qui partagent massivement la désinformation ;

– la reprise de ces contenus par des communautés politiques, notamment l’extrême droite américaine ou française ; ces reprises sont en retour alimentées par les bots.

Dans l’ensemble de cette campagne dirigée contre le candidat d’En Marche à l’élection présidentielle de 2017, la responsabilité russe fait peu de doute. En effet, outre l’opposition idéologique entre un candidat pro-européen et un pouvoir russe plus enclin à voir gagner un candidat français favorable à un rapprochement avec la Russie, des analyses quantitatives et des travaux de recherche ont mis en évidence l’implication d’acteurs provenant de Russie dans cette opération de désinformation.

Ainsi, une étude réalisée par la société Bakamo ([285]) portant sur huit millions de liens partagés entre novembre 2016 et avril 2017 sur les 800 sites les plus visités durant la campagne présidentielle a établi une influence étrangère en provenance de Russie. Marquant la spécificité du cas russe, l’étude précise qu’« aucune autre source étrangère d’influence n’a été détectée » durant cette campagne par ce biais.

Le rapport CAPS-IRSEM ([286]) liste par ailleurs un faisceau d’éléments qui tendent à prouver la responsabilité russe. Parmi ceux-ci, il souligne la déclaration de M. Konstantin Rykov, ancien député Russie unie et propagandiste reconnaissant avoir joué un rôle dans la campagne de désinformation menant à l’élection de Donald Trump. Il a affirmé dans un entretien ([287]) : « Nous avons réussi, Trump est président. Malheureusement, Marine n’est pas devenue présidente. Une opération a fonctionné, mais pas la deuxième. » À cela s’ajoute l’implication évoquée précédemment de médias russes financés par le Kremlin.

Si l’implication russe est manifeste dans la campagne de désinformation en ligne, il demeure très difficile d’identifier avec certitude l’origine des attaques informatiques. M. Stéphane Bouillon, SGDSN, a souligné lors de son audition la permanence des faux-semblants dans ces cyber-attaques : « Un État peut utiliser APT31 [un système chinois de cyber-attaque sur le dark web] pour faire porter le chapeau à Chine, par exemple ». L’existence d’une enquête judiciaire en cours n’a en outre pas permis d’en savoir davantage à cet égard même si M. Bouillon a estimé que « visiblement, l’origine est russe ». C’est également la conclusion à laquelle est parvenue une enquête du Monde publiée en 2019 ([288]) et qui montre l’implication coordonnée de deux « unités de pirates étatiques russes » liées au service de renseignement militaire russe, le GRU.

b.   L’échec de cette tentative a souligné la résilience de nos institutions face à la désinformation, renforcée dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022

Malgré l’ampleur de l’opération de désinformation entreprise, cette fuite n’a eu qu’un effet modeste sur le processus électoral si l’on en juge par les résultats des élections de 2017 remportées par M. Macron. L’échec de cette tentative résulte de la conjonction de plusieurs facteurs qui soulignent la résilience de notre société face aux manœuvres de désinformation. Parmi ceux-ci peuvent être cités :

– le respect par les médias « traditionnels » d’une retenue au sujet de ces Macron Leaks, qui est due en partie à la période de silence électoral mais constitue également une marque de sérieux face à des informations sensationnalistes ;

– le rôle de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), garante du bon déroulement de la campagne, et de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui ont su anticiper ces attaques. Ces structures ont en effet alerté les partis politiques, la population et les médias sur les risques liés à la manipulation de l’information en amont et durant toute la campagne électorale. La CNCCEP a par ailleurs publié un communiqué le lendemain de la fuite intimant aux organes de presse de ne pas relayer ces données ;

– la réaction de l’équipe de campagne d’En Marche, qui a rapidement communiqué après la fuite des données en ligne. Elle avait déjà alerté l’opinion publique au cours de la campagne pour faire état des piratages dont elle faisait l’objet ([289]) ;

– l’attitude de la population française qui a su rester imperméable vis‑à‑vis de ces fuites qui n’apportaient aucune preuve d’acte illégal ou extravagant.

Fortes de cette expérience, les autorités françaises ont depuis lors renforcé le dispositif de contrôle des manipulations de l’information, en particulier au moment des élections présidentielles. Ainsi, en 2021 a été créé Viginum, service de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. L’objectif était de « faire en sorte que Viginum soit opérationnel avant la campagne présidentielle de 2022 » selon les mots de M. Stéphane Bouillon.

Viginum se fonde sur quatre critères juridiques pour caractériser l’ingérence numérique étrangère : l’atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la nation ([290]) ; l’implication d’un acteur étranger ; un contenu manifestement inexact ou trompeur ([291]) ; une « diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée » ([292]), ou la volonté d’une telle diffusion. Viginum agit au quotidien à la détection de « manœuvres informationnelles » et procède à une investigation approfondie quand celles-ci présentent des risques.

Dans le contexte d’élections nationales, Viginum revêt également un rôle d’assistance des autorités garantes du bon déroulement des scrutins, à l’instar du Conseil constitutionnel et de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Le chef de ce service, M. Gabriel Ferriol, le directeur de l’ANSSI, M. Vincent Strubel, et M. Stéphane Bouillon ([293]), ont ainsi pu faire état des leçons tirées des Macron Leaks et du dispositif mis en place pour l’élection présidentielle de 2022 sous la houlette du SGDSN.

En premier lieu, la prévention a été renforcée. En amont de la campagne, entre octobre 2021 et janvier 2022, tous les candidats déclarés à l’élection ou susceptibles de l’être ont été conviés à deux réunions organisées par le SGDSN afin que leurs équipes de campagne puissent être informées des menaces existant « en matière de cyber, de manipulation de l’information et d’espionnage ». L’ANSSI a également œuvré à la sensibilisation des candidats mais aussi des communes et des médias.

Par ailleurs, l’ANSSI a veillé à sécuriser les systèmes de l’État, en particulier ceux liés à l’organisation du scrutin (gestion des listes d’émargement, remontée des résultats, gestion des procurations…).

Enfin, Viginum a mené sa première opération de vigilance numérique au cours d’un scrutin national à l’occasion de cette élection présidentielle. Pour M. Ferriol, il existe quatre types de cible des ingérences numériques en période électorale : les candidatures, qui peuvent faire l’objet de campagne de dénigrement ou de promotion ; les thèmes de campagne ; les médias traditionnels ; les institutions et le processus électoral lui-même, Viginum observant par exemple « des cas de manipulation de l’information visant à décourager certaines parties de la population de voter au prétexte que la procédure électorale serait biaisée ou inopérante, ou que l’élection serait volée ».

Pour mener à bien l’ensemble de ces missions au cours de la campagne, ces structures ont également noué des contacts étroits avec d’autres administrations au sein de la gouvernance interministérielle de la politique publique de lutte contre les manipulations de l’information, notamment avec l’Arcom et la CNCCEP. Elles ont aussi collaboré avec des services étrangers afin d’échanger leurs bonnes pratiques. Ainsi, à l’automne 2021, les services du SGDSN ont travaillé avec leurs homologues allemands au moment des élections fédérales allemandes.

Le résultat de cette stratégie coordonnée a été très positif pour le scrutin de 2022. L’ANSSI n’a constaté que quelques attaques ciblant certains sites internet de médias, notamment de presse écrite, des « épiphénomènes » selon M. Strubel. Celles-ci consistaient le plus souvent en des tentatives d’attaque assez basiques dites « en déni de service », par saturation d’un site internet via un envoi massif de requêtes. Aucune coupure d’accès n’a été relevée.

Concernant les manipulations d’information en ligne, Viginum a détecté au cours de la campagne soixante phénomènes « potentiellement inauthentiques », douze donnant lieu à une investigation approfondie et faisant l’objet d’une « note de caractérisation » afin de déterminer s’ils répondaient aux quatre critères de définition de l’ingérence numérique étrangère. Parmi eux, cinq phénomènes répondaient aux quatre critères et le plus important, surnommé Beth, déjà mentionné, a fait l’objet d’une communication. Il s’est agi d’une manœuvre commanditée par la galaxie Wagner implantée en Afrique pour dénoncer de fausses manipulations de l’information par l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron ([294]). Les quatre autres phénomènes ont touché d’autres candidats mais auraient eu selon M. Bouillon « un moindre impact et une moindre efficacité que le phénomène Beth ». Toutes ont été recensées et signalées au Conseil constitutionnel.

Ainsi que l’a rappelé M. Bouillon au cours de son audition, ces éléments ne sauraient constituer un panorama exhaustif de la réalité des tentatives de désinformation étrangères. En effet, par construction, les services de l’État ont vocation à ne voir émerger que les phénomènes ayant une ampleur suffisamment grande pour attirer leur attention. Pour reprendre la métaphore utilisée au cours de l’audition, « on voit la forêt qui commence à brûler, mais pas forcément tous les incendiaires avec leur boîte d’allumettes ».

B.   la « capture » de certaines élites : entre naïveté et connivence

Il est, par définition, complexe d’établir la corruption d’élus ou d’agents publics français par une puissance étrangère, en particulier concernant la Russie. Cela nécessite de prouver l’existence d’un « pacte de corruption » difficile à mettre en lumière car celui-ci passe par des schémas de corruption opaques et complexes qui ne se limitent pas à un simple virement bancaire. Ainsi, M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, soulignait lors de son audition ([295]) qu’il n’avait jamais pu observer un « virement de la banque centrale de Russie ou d’une banque liée à l’État russe vers le compte d’un élu ou d’un agent public ».

De même, sur 708 affaires en cours devant le parquet national financier (PNF) ([296]), seules huit sont susceptibles de recouvrir des faits d’ingérence de la part d’États étrangers ([297]) et, parmi elles, une seule relève de la Russie. Ce faible niveau de corruption observée relève moins d’une absence d’attitude corruptrice russe en France que de la nature même de ces agissements qui sont secrets et souvent complexes à identifier.

Il existe toutefois en France des réseaux d’influence et de proximité entre, d’une part, certaines élites (qu’il s’agisse d’élus ou de fonctionnaires) et le pouvoir russe d’autre part, sans qu’il puisse toujours être établi qu’une relation de corruption existe entre les deux parties. Cette proximité peut se traduire par une accointance idéologique avec le Kremlin revendiquée et institutionnalisée autour de divers cercles d’influence. Elle peut également être le résultat « d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe » selon les mots de M. Bernard Émié ([298]). Cette naïveté, feinte ou réelle, a pu se révéler être un paravent commode masquant des prises de fonction à d’importants postes en Russie par d’anciennes personnalités politiques françaises de premier plan.

1.   L’attraction de certains hauts fonctionnaires par la Russie

Un phénomène remarqué par plusieurs personnes auditionnées est la tendance qu’ont certains hauts fonctionnaires français retraités, en particulier des officiers de l’armée française qui ne sont plus en activité, à développer dans les médias un discours proche des positions russes, loin du devoir de discrétion qui s’appliquait à eux au cours de leur activité professionnelle.

Si cette « capture » idéologique est le fait, d’après M. Stéphane Bouillon, de « généraux et officiers […] de deuxième section, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus en activité », la question demeure « de savoir si, à ce stade, on est totalement libre de sa parole ([299]). »

Ainsi, le général Jean-Bernard Pinatel, ayant quitté l’armée d’active, est devenu vice-président du think tank Geopragma qui affiche des positions pro-russes. Il a par exemple affirmé sur France 24 « que [l’OTAN et les États-Unis] ont tout fait » pour que la Russie attaque l’Ukraine ([300]). Mme Cécile Vaissié a également signalé lors de son audition l’exemple de M. Xavier Moreau, ex-militaire diplômé de Saint‑Cyr qui, sur le site internet Stratpol, « diffuse depuis des années de la désinformation au sujet de l’Ukraine ([301]) ». M. Xavier Moreau s’est attiré le 15 mai dernier un tweet très élogieux du porte-parole de l’ambassade de Russie en France, qui lui exprime « son respect infini » pour son « engagement » à toute épreuve.

Pour M. Bouillon, cette question ne concerne pas que les militaires qui ne sont pas en exercice. Il a ainsi observé que « la question de la liberté de parole se pose aussi pour les anciens ambassadeurs. Et qu’en est-il des personnes qui ont travaillé très longtemps pour l’État et qui partent dans le privé ou au service d’autres pays ? »

De manière plus préoccupante, le directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner, a mis en exergue « la tendance de nos cadres à haut potentiel, notamment ceux qui sont à la retraite, à dispenser leur savoir-faire dans des domaines ou des technologies sensibles, tels que le nucléaire ou l’aviation de chasse, pour le compte d’autres États ([302]). »

Dès lors, il convient d’encadrer certaines pratiques sans toutefois « nuire à l’attractivité de l’État en interdisant à ceux qui l’auront servi d’avoir ensuite une autre carrière », d’après M. Bouillon. Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 devra être l’occasion d’avancer sur le sujet.

La rapporteure souscrit à cette position équilibrée et considère qu’il convient de mettre en place un cadre juridique qui permette de conserver un devoir de discrétion et un régime d’incompatibilités pour certains hauts fonctionnaires qui n’exercent plus leur activité, en particulier les officiers de deuxième section.

Recommandation n° 2 : Construire un cadre juridique s’appliquant à certains hauts fonctionnaires et officiers supérieurs qui ne sont plus en activité afin d’assurer un régime d’incompatibilités fonctionnelles, notamment s’agissant de postes dans des entreprises au service d’États étrangers, ainsi que le maintien d’un devoir de réserve.

De manière plus exceptionnelle, de telles proximités avec des régimes étrangers – notamment russe – peuvent être constatées pour des fonctionnaires en activité. Cela demeure très rare tant les contrôles en la matière sont sévères. Le personnel des armées est par exemple soumis à des enquêtes de sécurité très strictes par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). M. Bouillon a indiqué que cette dernière examinait « très précisément » la vie personnelle (historique, voyages, fréquentations…) de chacun des membres du personnel des armées, qu’il soit civil ou militaire. Le contrôle peut être très strict : « Si l’on est simplement soupçonné d’avoir été compromis, par exemple si on a eu une liaison sentimentale avec une personne d’origine étrangère pas très éloignée d’un consulat ou d’une ambassade, on est écarté sans pitié. »

Malgré ces précautions il a pu arriver que certains personnels de l’armée en activité se soient livrés à de véritables actes d’espionnage au profit de la Russie. C’est ce dont a été accusé un officier supérieur français en poste sur une base de l’OTAN à Naples à l’été 2021. La procédure judiciaire en cours déterminera la réalité des soupçons qui pèsent sur ce militaire accusé notamment d’intelligence avec une puissance étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et de livraison d’informations à une puissance étrangère.

En tout état de cause, le rôle de la DGSI est essentiel pour entraver ce genre de tentatives d’ingérence russes. De fait, « la première mission d’un service de renseignement, qui est sa raison d’être, est de détecter et de documenter les comportements en cours, et de renseigner les autorités à leur sujet », d’après M. Nicolas Lerner. La tentative de « recrutement » d’agents publics français, en particulier au sein de l’armée, est ainsi l’un des aspects de l’action des services de renseignement étrangers en France qui constitue le cœur du travail de la DGSI. Ces recrutements s’opèrent fréquemment par l’intermédiaire d’officiers de renseignement infiltrés sous couverture diplomatique, bénéficiant à ce titre d’une immunité. D’après M. Lerner, le pays qui, en la matière, a historiquement le dispositif le plus important est la Russie – cette tradition s’étant perpétuée jusqu’à nos jours.

Dès lors, une part significative de l’action de la DGSI en matière d’entrave à l’ingérence et à l’espionnage sur notre territoire est tournée vers la Russie. Il faut d’ailleurs souligner une spécificité russe, la Chine ayant une conception distincte du renseignement, entretenant un réseau sous couverture diplomatique « bien moins développé que celui de la Russie ». M. Lerner a, dans le cadre de son audition par la commission d’enquête, fait état de plusieurs expulsions d’officiers de renseignement russes travaillant en France sous couverture diplomatique fondées sur le travail de contre‑espionnage de la DGSI.

2.   Les accointances entre le personnel politique français et la Russie

Au cours de son audition, le directeur général de la sécurité intérieure a affirmé n’avoir connaissance « d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique telle qu’il ne serait que le relais d’un État étranger », non sans avoir rappelé à deux reprises que la DGSI ne travaille pas sur les partis politiques. De fait, si aucun parti ne s’affiche comme étroitement apparenté à Moscou, à l’inverse de ce qui exista du temps de l’Union soviétique et du Parti communiste français, nombre d’élus affichent toutefois une proximité idéologique avec le régime de M. Poutine et développent un discours qui reprend ses positions, ces élus appartenant dans leur grande majorité à une certaine partie du spectre politique.

Le pouvoir russe a ainsi su construire un environnement particulièrement favorable au sein des élites politiques françaises. À titre d’exemple, trois des quatre premiers candidats au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 – Mme Le Pen (21,3 % au premier tour), M. Fillon (20 %) et M. Mélenchon (19,5 %) – représentant ensemble la majorité des votes, ont régulièrement manifesté leur bienveillance, si ce n’est leur proximité, à l’égard du régime russe.

Dans cet ensemble composite de soutiens à la Russie se mêlent des défenseurs revendiqués de la politique de M. Poutine, des partisans d’une position « indépendante » et non alignée sur les États-Unis d’Amérique de notre pays, des amoureux de la Russie et de sa grandeur qui en oublient la nature autoritaire et de plus en plus répressive de son régime, et des repentis sur le tard plaidant leur bonne foi et une certaine « naïveté ». Parmi eux, beaucoup gravitent autour d’organisations qui plaident pour un rapprochement franco-russe, quand d’autres bénéficient ou ont bénéficié d’avantages octroyés par le régime russe lui‑même.

a.   L’importance des cercles d’influence franco-russes

Dans son ouvrage Les Réseaux du Kremlin en France ([303]), Mme Cécile Vaissié a mis en lumière l’importance des cercles d’influence que la Russie a développés en France, en particulier dirigés vers des responsables politiques. Elle a, selon ses mots, « souhaité mettre en garde [ses] compatriotes » sur le phénomène de validation des « mensonges » du Kremlin par des Français, parmi lesquels se trouvent notamment « des députés ».

i.   Le Dialogue franco-russe et le rôle de M. Thierry Mariani

L’une des manifestations les plus importantes de ces réseaux est l’association « Dialogue franco-russe » créée en 2004 par Jacques Chirac et Vladimir Poutine pour favoriser les échanges de la France avec la Russie. Les experts auditionnés par la commission d’enquête ont souligné la grande proximité idéologique et politique existant entre M. Mariani et le pouvoir russe dont le Dialogue franco-russe semble être une enceinte.

M. Thierry Mariani, alors qu’il était député UMP, a pris la présidence de l’association en 2012 pour « [ses] liens avec la Russie » comme il l’a reconnu en audition ([304]). Il a aussi précisé que le co-président russe était Vladimir Iakounine, président de RZD, la première entreprise ferroviaire russe, l’équivalent de la SNCF, et que, si lui-même a été pressenti, c’est parce qu’il était ancien ministre des transports, et qu’il existait un certain nombre d’intérêts communs à des entreprises françaises et russes dans ce secteur. Il a revendiqué sa grande proximité avec le pays, dont il parle par ailleurs la langue, et a assumé conserver « un certain nombre de relations » dans les ex-pays de l’Union soviétique ainsi que des « contacts avec des responsables politiques russes ». M. Mariani a notamment évoqué les noms de M. Leonid Sloutski, président de la commission des affaires étrangères de la Douma, de M. Piotr Tolstoï, premier vice-président de la Douma, de M. Narychkine, qui fut président de la Douma et est actuellement responsable du SVR, le service des renseignements extérieurs de la Fédération de Russie.

M. Mariani a également admis s’être rendu « plusieurs fois », lorsqu’il était membre de l’UMP ou des Républicains, au congrès de Iedinaïa Rossia, c’est-à-dire Russie unie, le parti politique du président russe Vladimir Poutine.

Cet attachement à la Russie s’est en outre traduit par un changement de circonscription : député de la 4e circonscription du Vaucluse de 1993 à 2012, il fut le premier député de la 11e circonscription des Français établis hors de France, créée en 2010 et qui comprend la Russie, des pays d’Europe de l’Est ainsi qu’une grande partie des pays d’Asie et d’Océanie.

Il convient par ailleurs de rappeler que M. Mariani est visé par deux enquêtes judiciaires pour trafic d’influence et corruption, d’une part, et abus de confiance et blanchiment d’argent, d’autre part, en lien avec ses activités à la tête du Dialogue franco-russe. S’il n’appartient pas à la commission d’enquête de se prononcer sur l’objet de ces poursuites, M. Mariani a assuré lors de son audition n’avoir « jamais vu un policier, jamais vu un magistrat » donner suite à l’ouverture de ces enquêtes par le biais d’une convocation.

Le président russe de l’association Dialogue franco-russe de 2011 à 2017, M. Vladimir Iakounine, qui aurait été « général du KGB » selon Mme Vaissié, est un proche de M. Poutine et aurait « la réputation de faire cadeau de montres hors de prix aux Occidentaux qu’il voulait séduire et qu’il rencontrait […] dans le cadre du dialogue franco-russe ». De même, Mme Vaissié a souligné que « tout le monde savait que [Alexandre] Troubetskoï, [qui a été directeur général du Dialogue franco-russe], travaillait avec le KGB soviétique ».

Le Dialogue franco-russe apparaît donc comme une instance particulièrement proche du pouvoir russe et qui a notamment milité, de l’aveu même de M. Mariani, contre les sanctions prononcées à l’encontre de la Russie, estimant que « ces sanctions [sont] stupides ». Dans un ouvrage paru en 2016, La France russe  Enquête sur les réseaux de Poutine, Nicolas Hénin décrit le Dialogue Franco-Russe comme « vérolé par le SVR », le service des renseignements extérieurs russes ([305]).

Mme Vaissié a ainsi certifié que les réunions du Dialogue franco-russe sont « complètement orientées, pro-Poutine et pro-Kremlin. Elles ne donnent pas la parole à tout le monde ». Parmi les évènements organisés dont on peut trouver la liste sur le site internet de l’association figurent des conférences au nom évocateur : « Ce qu’on ne vous dit pas sur l’Ukraine » ou « Le plan américain pour démanteler la Russie » avec des invités connus pour leurs positions en faveur du Kremlin à l’instar de M. Florian Philippot ou de M. François Asselineau. M. Tenzer cite également l’industriel Jean-Pierre Thomas ainsi que l’ancien sénateur centriste M. Pozzo di Borgo, également visé par une des enquêtes judiciaires qui cible le Dialogue franco-russe et M. Mariani.

M. Tenzer a précisé que des personnes sont invitées à s’exprimer dans ce cadre, de manière ponctuelle comme M. Pierre de Gaulle ou régulièrement comme M. Alain Juillet, ancien directeur des services de renseignement, qui, d’après M. Tenzer, « avait d’ailleurs son émission sur Russia Today ».

Au cours de son audition, M. Mariani a décrit le fonctionnement et le budget de son association. Celle-ci est financée par des cotisations qui proviennent notamment d’entreprises russes et françaises qui, d’après l’eurodéputé, ont participé de manière équilibrée jusqu’en 2014, année « tournant » du fait de l’annexion de la Crimée par la Russie qui a marqué une diminution des financements de l’association.

En 2012, selon les chiffres avancés par M. Mariani, les Russes auraient cotisé à hauteur de 215 243 euros et les Français de 159 000 euros. En 2017 et en 2018, le budget total s’élevait aux alentours de 100 000 euros. Par la suite, le budget de cette association se serait élevé en 2022 à 86 000 euros. Il faut toutefois noter que l’association ne peut plus percevoir de cotisations russes du fait des sanctions qui visent le secteur bancaire en Russie.

Le loyer de l’association représenterait l’essentiel des dépenses et s’élèverait à 120 000 euros par an. Trois personnes étaient en outre rémunérées : le directeur général, M. Troubetzkoï, touchant « un salaire de 6 000 à 7 000 euros par mois », l’attachée de presse, Mme Kamenskaïa, « salariée aux alentours de 4 000 euros » et Mme Irina Dubois, qui est restée « la seule salariée et qui fait tout », payée à hauteur de 2 000 euros. M. Mariani a estimé qu’il n’avait « plus les moyens de rémunérer quelqu’un d’autre ».

S’agissant de M. Alexandre Troubetzkoï, issu d’une famille russe illustre, il est indiqué dans plusieurs ouvrages qu’il a travaillé depuis trente ans avec les services secrets russes, y compris du temps du KGB. Pour Mme Cécile Vaissié, le voir être placé en tête de Dialogue franco-russe témoigne d’une certaine continuité entre les méthodes d’influence et d’ingérence longtemps pratiquées par le KGB et d’autres services de l’Union soviétique, et les méthodes et pratiques actuelles de services et d’appareils de l’État russe ou proches du cercle poutinien.

En tout état de cause, l’association demeure entourée d’une certaine opacité. Une perquisition de la brigade financière a eu lieu dans ses locaux le 23 mars 2022. M. Mariani a assuré n’avoir eu « aucune nouvelle » sur cette affaire au moment où il a été entendu par la commission d’enquête.

ii.   Les autres cercles d’influence de la Russie en France

Les réseaux qui entourent le Kremlin et la personne de M. Poutine forment en Russie une nébuleuse trouble qui, selon M. Nicolas Tenzer ([306]), président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP), « entretient des liens avec le crime organisé et la mafia ». Ces réseaux tendent à se développer en Europe et notamment en France. Ce phénomène a été précisément décrit dans l’ouvrage Les hommes de Poutine ([307]) de Mme Catherine Belton, ancienne correspondante à Moscou du Financial Times.

En particulier, un réseau politique s’organise autour de la figure de M. Konstantin Malofeïev, proche notamment de M. Alexandre Douguine, influent idéologue de M. Poutine. Qualifié de « gangster » par M. Tenzer, M. Malofeïev est un oligarque russe détenant notamment un fonds de capital-risque russe, Marshall Capital Partners et le groupe de médias Tsargrad. Selon de nombreuses personnes auditionnées, ce personnage a travaillé à rapprocher et fédérer les mouvances d’extrême droite et de droite extrême européennes – dont le Front national devenu Rassemblement national (voir infra) – ainsi que les mouvements suprémacistes blancs américains comme QAnon ou la mouvance de Steve Bannon.

M. Raphaël Glucksmann a confirmé que cette stratégie d’union des mouvements conservateurs en Europe, au centre de laquelle se trouve M. Malofeïev, « a été une constante du régime russe ([308]) ». M. Maxime Audinet a également soutenu que l’oligarque « promeut des valeurs traditionnelles en Russie via Tsargrad, qui défend les figures conservatrices comme Alexandre Douguine ([309]) ».

Mme Nathalie Loiseau s’est par ailleurs fait l’écho ([310]) d’un document de 2021 provenant d’un collaborateur de celui-ci et qui aurait fuité. Elle a indiqué qu’il y était écrit : « Sans notre engagement actif et notre soutien tangible aux partis conservateurs européens, leur popularité et leur influence en Europe vont continuer à baisser. Il faut restaurer les contacts avec les partis eurosceptiques de manière systématique pour contrer la politique de sanctions de Bruxelles. »

M. Konstantin Malofeïev aurait ainsi voulu bâtir un projet nommé « AltIntern » permettant de rassembler les extrêmes droites européennes favorables à Vladimir Poutine. Dans ce projet, le Rassemblement national aurait eu sa place grâce à l’entremise de l’eurodéputé membre du parti, M. Philippe Olivier, beau-frère de Mme Marine Le Pen (voir infra). Si ce projet semble avoir été mis en sommeil après l’invasion russe de l’Ukraine, rien n’indique qu’il soit totalement abandonné.

M. Aymeric Chauprade, qui fut député européen du Front national de 2014 à 2019 et qui se présente comme géopolitologue et expert en relations internationales, a entretenu de très bonnes relations avec M. Malofeïev et a incontestablement joué un rôle clef dans la construction de liens entre le Front national et certains proches de M. Poutine, dont M. Malofeïev. Il a conseillé Mme Le Pen dès 2010 et a adhéré au Front national en 2013. On ne peut pas passer sous silence le fait que, en février 2022, dans un entretien pour le média d’extrême droite Livre noir, il défend l’idée d’une Grande Russie ayant annexé l’Ukraine et la Biélorussie et justifie l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

D’autres cercles d’influence du pouvoir russe existent à côté de ce pôle politique incarné par M. Malofeïev. Ces divers réseaux ne sont toutefois pas imperméables entre eux. Mme Cécile Vaissié a en effet souligné que dans cette nébuleuse « l’on retombe toujours sur les mêmes noms ».

La société de M. Malofeïev, Marshall Capital Partners, se serait associée à une société européenne, CFG Capital, pour créer un fonds visant à soutenir l’investissement en Russie doté de 2 milliards d’euros, somme qui, selon Mme Vaissié, transite « de manière obscure ». Le journal d’affaires russe Vedomosti, à l’origine de cette information ([311]), a indiqué que M. Thierry Mariani, à l’époque député UMP, serait membre du conseil dans la nouvelle société issue du rapprochement entre CFG Capital et la société de M. Malofeïev. M. Mariani a reconnu en audition que M. Pierre Louvrier, un Français qui faisait partie du projet, lui a « demandé [s’il était] prêt à le rejoindre en tant que conseiller » mais que, puisque « ce fonds n’a jamais existé », il n’en a jamais été administrateur. Il a en revanche avancé que l’implication de M. Malofeïev était douteuse : celui-ci lui aurait « certifié qu’il n’était pas dans l’affaire ». Si M. Mariani a semblé vouloir se distancier de M. Malofeïev, il a tout de même admis l’avoir rencontré « quatre ou cinq fois » et avoir « participé à une réunion » avec lui en marge de la Coupe du monde de football en 2018 qui s’est déroulée en Russie. Tout comme d’ailleurs M. Philippe Olivier, invité à la finale France-Croatie de cette même Coupe du monde.

Une autre entité évoquée au cours des auditions de la commission d’enquête est celle créée en 2012 par le conseil économique de la chambre de commerce et d’industrie franco-russe : l’Observatoire franco-russe, un think tank franco-russe s’intéressant plus particulièrement aux sujets économiques. S’il est souhaitable de promouvoir les relations économiques entre pays et de soutenir les entreprises françaises à s’implanter à l’étranger, il est regrettable pour Mme Vaissié que ce conseil économique de la chambre soit présidé depuis avril 2022 par « Gennady Timchenko, oligarque richissime […], vraisemblablement issu du KGB et très proche de Poutine, au point d’être soupçonné d’être son associé en affaires, voire sa couverture pour ses enrichissements ».

Pour M. Tenzer, l’Observatoire franco-russe est « un organe de propagande douce bien connu, qui défend les thèses du Kremlin et qui se montre très actif s’agissant de la levée des sanctions ». Il y siège selon lui des personnes qui défendent des théories qu’il juge « parfois “limites” ».

b.   Des parcours individuels entre naïveté et compromission

Des personnalités politiques françaises de tout bord ont soutenu ou continuent de soutenir le discours officiel du Kremlin. Sans se prêter à un amalgame sans nuance, il convient d’expliciter la gradation qui existe dans l’adhésion à la position du Kremlin par certains élus français qui peut, dans certains cas, s’apparenter à une forme de naïveté ou de méconnaissance des réalités.

i.   L’adhésion aux thèses du Kremlin

Il existe tout d’abord des prises de position qui dépassent la simple proximité d’idées en cautionnant la désinformation et les agissements des autorités russes. Dans cette perspective, Mme Vaissié a visé « ceux qui justifi[ent] à la moindre occasion, avant même qu’on ne le leur demande, les actions du Kremlin en Syrie, en Géorgie au moment de la guerre en 2008, et en Ukraine ».

Ainsi, elle a mis en cause le « texte ignoble » de M. Mélenchon ([312]) qui, alors que l’opposant au régime russe Boris Nemtsov avait été assassiné « comme un chien à quatre pas de la place Rouge » en février 2015, affirmait « qu’au bout du compte, on comprenait pourquoi il avait été tué et que ce n’était pas la faute de M. Poutine. » Selon Mme Vaissié, il est pourtant certain que M. Poutine est lié à l’assassinat d’un de ses principaux opposants tant la sécurité sur la place Rouge est omniprésente et qu’habituellement « tout [y] est filmé ». Malheureusement, « Boris Nemtsov a été assassiné sous des caméras qui ne fonctionnaient pas ». M. Mélenchon a pour sa part estimé dans son billet publié sur son blog que « la première victime politique de cet assassinat est Vladimir Poutine ».

Ces interventions reprenant le narratif des autorités russes ne signifient toutefois pas nécessairement qu’une ingérence russe les ait commanditées. Mme Vaissié reconnaît d’ailleurs qu’elles peuvent provenir de « personnes [qui] idéalisent une Russie où elles ne sont jamais allées » et qu’il existe des « personnes naïves, mal informées, qui n’accordent pas autant de valeur que d’autres à la démocratie et à la liberté individuelle. »

M. Nicolas Tenzer a ainsi souligné l’existence de diverses personnalités développant – souvent depuis de nombreuses années – un discours favorable à la Russie. Il a par exemple cité M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères qui « tient régulièrement […] des discours favorables à la puissance russe : il se situe plutôt dans le camp de la non-intervention en Ukraine, de la critique de l’OTAN et des États-Unis ».

M. Tenzer met toutefois en garde contre une « propagande douce » qu’il qualifie de « plus perverse » que la « propagande dure » consistant en une simple diffusion de « toutes les informations fausses et invraisemblables possibles » qui visent notamment à dire que le régime ukrainien est nazi ou que la Russie ne fait que répondre à une attaque ukrainienne. Cette propagande douce essaie quant à elle de porter un discours qui se veut nuancé tout en servant les positions russes. Parmi les nombreux exemples existants, M. Tenzer a cité les discours affirmant que « tout n’est pas blanc ou noir », que « le gouvernement ukrainien n’est pas exempt de tout reproche » ou que « la poursuite des livraisons d’armes à l’Ukraine aggravera les souffrances du peuple ukrainien ».

Mme Loiseau a également dénoncé le discours de ceux qu’elle appelle, dans son ouvrage, La guerre qu’on ne voit pas venir ([313]), les « idiots utiles » de M. Poutine. Elle a par exemple marqué sa réprobation à l’encontre des prises de parole de M. Éric Zemmour qui considère notamment que « la liberté d’expression serait plus grande en Russie qu’en France » alors même que la journaliste russe Anna Politkovskaïa, opposante au président Vladimir Poutine, a été assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou pour ses prises de position et que de nombreux opposants au régime sont poursuivis.

La députée européenne a aussi rappelé les prises de parole de M. Jean‑Luc Mélenchon qui a affirmé que M. Poutine allait « régler le problème » en Syrie ([314]) au moment de la guerre civile qui a eu lieu dans le pays. Dans La France russe, enquête sur les réseaux de Poutine ([315]), le journaliste M. Nicolas Hénin estime par ailleurs, s’agissant de M. Mélenchon, qu’« à la gauche de l’échiquier politique, c’est certainement […] l’avocat le plus outrancier du maître du Kremlin ».

M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre, a été l’une des figures politiques parmi les plus citées au cours des auditions de la commission d’enquête pour sa « bienveillance » à l’égard de la Russie, selon les mots de Mme Loiseau. Il a en particulier été décoré de l’ordre de l’Amitié – la plus haute distinction accordée à des étrangers – par Vladimir Poutine lors d’une cérémonie au Kremlin le 4 novembre 2017. Au moment de la remise de cette décoration, ce dernier a déclaré : « Votre attitude sincère et cordiale envers la Russie s’exprime par des actions concrètes. »

Auditionné à son tour ([316]), M. Chevènement a affirmé n’avoir pas « accepté spontanément » cette décoration et avoir été « vivement encouragé » à le faire par le ministère des affaires étrangères. En tout état de cause, il a estimé n’avoir pas « cru devoir refuser [la décoration] », y voyant là « l’intérêt de la France d’avoir de bonnes relations avec les autorités russes afin de faire avancer nos affaires dans d’innombrables domaines ».

Cette décoration est en lien avec la fonction qu’il a exercée, de 2012 à 2021, de représentant spécial de la France pour la Russie. Dans ce cadre, M. Chevènement avait pour mission, d’après deux lettres de mission signées par le ministre des affaires étrangères en 2012 et en 2017 ([317]), de « densifier » la relation franco-russe, en particulier en aidant au « développement des investissements français en Russie et russes en France » et en soutenant la présence des entreprises françaises dans les régions russes. À ce titre, il a pris de nombreuses décisions (soutien aux implantations de firmes françaises en Russie, facilitation de l’obtention de visas pour les étudiants russes…) qui ont, selon lui, justifié la phrase de M. Poutine lors de sa remise de décoration. Résumant son activité, il a affirmé qu’il mettait de « l’huile dans les rouages » dans les relations franco-russes.

Il a par ailleurs estimé que sa nomination au poste de représentant spécial, dans la perspective de développer une « diplomatie économique », s’expliquait par sa « réputation de connaître un peu la Russie » où il s’était rendu à plusieurs reprises par le passé, en particulier en tant que ministre.

Si M. Chevènement a pu s’illustrer par des prises de position résolument pro-russes – à l’instar de la tribune qu’il a signée en 2016 pour « renouer un dialogue avec la Russie, pays […] dont toutes nos nations ont besoin ([318]) » –, il a reconnu au cours de son audition que « le contexte est totalement différent » aujourd’hui. Il a ajouté « nos intérêts sont nettement divergents et je me place dans la ligne qui est celle du Gouvernement ». Il a toutefois revendiqué se ranger parmi les « réalistes » estimant que « la Russie existera toujours » et qu’il faut mener une politique qui permette à ce pays de « prendre sa place dans l’équilibre européen et mondial et qui favorise le développement de la démocratie en son sein ».

ii.   L’utilisation du statut d’élu au bénéfice des positions russes

De manière plus compromettante, certains élus ont pu profiter de leur statut pour agir en faveur de la Russie, en particulier quand celle-ci a commencé à être la cible de critiques et de sanctions à la suite de l’annexion illégale de la Crimée qu’elle a menée en 2014. Comme l’ont rappelé beaucoup d’experts auditionnés, il demeure toutefois très difficile – même pour la justice, qui dispose de moyens nettement plus étendus que cette commission d’enquête – de démontrer l’influence directe de la Russie auprès de décisionnaires politiques.

Au cours de son audition, Mme Vaissié a porté à la connaissance de la commission un article de la revue francophone en ligne Desk Russie ([319]) traduisant l’enquête d’un média d’investigation russe Vajnié Istori. Celle-ci démontrerait que des « communicants politiques proches du pouvoir russe » exerçaient une influence sur les députés des parlements de plusieurs pays de l’Union européenne pour qu’ils reconnaissent le rattachement de la Crimée et promeuvent la levée des sanctions engagées contre la Russie à la suite de l’annexion de cette dernière.

Cette campagne d’ingérence aurait ainsi permis l’adoption d’une résolution reconnaissant la Crimée comme russe et appelant la levée des sanctions contre la Russie par trois régions italiennes en 2016 ([320]) ainsi que par le parlement chypriote en juillet 2016. La stratégie russe reposerait sur le versement de « dizaines de milliers d’euros » à destination des députés proposant des résolutions pro-russes avec une « rémunération supplémentaire » en cas d’adoption de ces résolutions.

L’enquête ne mentionne pas la France et tous les élus concernés nient avoir perçu des sommes d’argent. Toutefois, le processus décrit dans l’enquête journalistique fait écho au dépôt par M. Mariani, alors député national, en 2016, d’une proposition de résolution à l’Assemblée nationale visant à ne pas renouveler les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la fédération de Russie et qui a été adoptée le 28 avril 2016 ([321]).

Si aucun élu français n’a naturellement reconnu avoir accepté des sommes d’argent proposées par le pouvoir russe, il est établi que ce dernier a tenté à de nombreuses reprises de financer certaines campagnes politiques de tout bord. Ainsi, M. François Bayrou a confirmé en 2004 ([322]) que des ressortissants russes lui avaient proposé de « prendre en charge l’intégralité de ses frais de campagne » lors de l’élection présidentielle de 2002 alors qu’il était président de l’UDF.

Ce modus operandi se serait plusieurs fois répété, notamment en 2016 lorsqu’un officier du GRU – le service de renseignement militaire russe – aurait proposé à M. Georges Kuzmanovic, alors conseiller de M. Jean-Luc Mélenchon pour la politique étrangère et les questions militaires, 500 000 euros en liquide pour la campagne de ce dernier. M. Kuzmanovic dit avoir refusé, mais n’avait jamais fait état de cette proposition avant qu’elle ne soit révélée en 2022 dans le livre de Romain Mielcarek, Les Moujiks – La France dans les griffes des espions russes ([323]).

L’utilisation du statut de député ou de sénateur au service du pouvoir russe s’est également illustrée par le déplacement de délégations de parlementaires en Russie après l’annexion illégale par cette dernière de la Crimée. Là encore, M. Mariani était régulièrement présent en plusieurs occasions à ces voyages. Ainsi, en juillet 2015, dix députés et sénateurs, dont M. Yves Pozzo di Borgo, cité dans deux enquêtes judiciaires qui concernent le Dialogue franco-Russe, se sont rendus à Moscou et en Crimée à l’initiative de M. Mariani, alors député Les Républicains. Ce dernier a par la suite continué à se rendre souvent en Russie, notamment en Crimée et au Donbass, lorsqu’il est devenu membre du Rassemblement national (voir infra).

iii.   La reconversion au sein d’entreprises russes

Enfin, certains parcours personnels ont témoigné d’un rapprochement manifeste avec le pouvoir russe se matérialisant par des prises de fonction d’anciens députés ou ministres à des postes importants en Russie, sans que la compétence de ces derniers ne le justifie nécessairement. Lors de son audition ([324]), M. Raphaël Glucksmann a décrit cette méthode dite de « capture des élites » qui consiste à se faire le pourvoyeur de « retraites dorées versées à d’anciens dirigeants très puissants ».

L’exemple le plus emblématique de ce type de parcours est celui de M. Gherard Schröder, ancien chancelier allemand qui figurait dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises russes Gazprom et Rosfnet ainsi que diverses autres dont Nord Stream AG, chargée des gazoducs construits entre 2005 et 2021 entre la Russie et l’Allemagne. Ces fonctions se sont accompagnées de prises de position indulgentes à l’égard du régime de M. Poutine, en particulier après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.

En France, l’ancien Premier ministre François Fillon a été nommé en 2021 membre du conseil d’administration de deux sociétés publiques russes : le groupe pétrolier Zaroubejneft ainsi que le groupe de pétrochimie Sibur. Il s’agit d’entreprises que M. Glucksmann a qualifiées de groupes « intimement liés au régime russe et au système poutinien » du fait qu’un de leurs principaux actionnaires est M. Gennady Timtchenko, homme d’affaires russe considéré comme un ami personnel de Vladimir Poutine, par ailleurs président de l’Observatoire francorusse (voir supra).

Considérant que ces fonctions seraient « utile[s] au développement de [ses] activités professionnelles en Russie », M. Fillon les a acceptées. Il a cependant assuré que son rôle dans ces entreprises ne consistait pas en « une fonction exécutive ». Il a également précisé que « c’est [lui] qui [est] allé en Russie pour développer [ses] activités professionnelles, avant que n’éclate la guerre. Ce ne sont pas les Russes qui sont venus [le] chercher ». En outre, « les entreprises dans lesquelles [il a] accepté de siéger n’ont pas de relations stratégiques avec la France. Sibur lui vend un peu de matériaux qui servent à fabriquer des pneus, et Zaroubejneft rien du tout. » Son dernier argument, qui rejoint le point de vue développé par M. Chevènement, est d’ordre plus général : « Mes convictions sur la nécessité d’une relation réaliste entre la France et la Russie ne datent pas de l’époque où j’ai siégé dans des conseils d’administration : elles remontent à 1986, à l’époque où la Russie s’appelait l’URSS. Personne ne peut donc espérer me faire changer d’avis, d’une manière ou d’une autre. Je considère qu’il n’y a là aucune ingérence étrangère ([325]). »

Compte tenu des circonstances qui l’ont amené à démissionner au lendemain de l’agression militaire russe contre l’Ukraine, cette expérience n’a donné lieu, selon l’ancien Premier ministre, à aucune rémunération : « Je […] n’ai jamais touché un centime d’argent venu de Russie, dans toute ma vie politique et privée. Certes, si j’étais resté membre de ces deux conseils d’administration, j’aurais été rémunéré, comme tout membre d’un conseil d’administration. Mais ayant démissionné dans les conditions que vous savez, je n’ai jamais touché un centime d’argent en provenance de Russie. »

M. Fillon a affirmé bien connaître la Russie et y avoir effectué « des séjours relativement longs, de quelques semaines », ce qui l’a amené à pouvoir aider des entreprises à s’y développer dans le cadre de ses activités de conseil. Ainsi, il a travaillé pour la société française CIFAL, une société de « diplomatie d’affaires », dirigée par M. Gilles Rémy, homme d’affaires français considéré comme un pilier des réseaux d’affaires franco-russes, pour qui il aurait facilité les contacts entre un responsable congolais et des responsables russes en vue de l’exploitation d’une concession pétrolière, d’après un article du magazine Challenges ([326]). Cette entreprise spécialisée dans le soutien à l’exportation d’entreprises en Russie fait par ailleurs l’objet d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet national financier (PNF) pour des soupçons de corruption d’agent public étranger.

M. Fillon a confirmé lors de son audition avoir travaillé pour la société CIFAL et a salué l’action de son dirigeant, mais il a indiqué qu’il n’était pas concerné par cette enquête.

M. Fillon a en outre indiqué avoir « quitté la vie publique de manière définitive et entamé une carrière professionnelle » en 2017, déduisant de ceci que ses choix de carrière « ne regarde[nt] que [lui] » et affirmant n’avoir de « comptes à rendre à personne » à ce sujet tant qu’il agissait dans le respect de la loi française et des règlements européens. Il a résumé sa position en une formule qui a été amplement reprise par les médias : « Si j’ai envie de vendre des rillettes sur la place Rouge, je vendrai des rillettes sur la place Rouge. »

À cette formule à l’emporte-pièce censée clore le débat, on peut opposer le double argument éthique et de protection des intérêts de la Nation formulé par Mme Nathalie Loiseau : « […] personne n’est obligé de devenir Premier ministre. C’est un choix qui engage, car à partir du moment où vous êtes le chef du Gouvernement, vous avez accès à des secrets d’État. Il ne me semblerait pas choquant qu’on oblige une telle personne à prendre l’engagement de ne pas travailler par la suite pour un pays étranger qui, au minimum, ne ferait pas partie d’une alliance à laquelle nous appartenons. […] il faudrait au moins s’engager à ne pas travailler pour un pays qui nous est hostile. C’est compliqué à définir […] ([327]). »

Il est évident qu’au cours de sa longue carrière politique qui l’a amené à être Premier ministre pendant cinq années, M. Fillon a eu accès à des informations stratégiques et a développé des relations qui aujourd’hui lui servent manifestement dans l’exercice de ses fonctions de conseil. Il l’a lui-même admis : « C’est évidemment mon expérience d’ancien Premier ministre et d’ancien ministre qui est souhaitée lorsque je siège dans un conseil d’administration. » Cela se révèle d’autant plus problématique quand il s’agit d’entreprises proches du pouvoir russe comme ce fut le cas pour M. Fillon. Il a d’ailleurs reconnu que Zaroubejneft est une société d’État et que sa nomination a été actée par décret. Il s’agit donc bien là de l’application par le régime de Vladimir Poutine de la stratégie de « capture » de membres de nos élites politiques et économiques.

Interrogé précisément à ce sujet lors de son audition, M. Fillon a déclaré qu’il considérerait le financement d’un parti politique par une puissance étrangère comme une ingérence.

Dès lors, il apparaît légitime que le champ d’activité dans lequel un ancien ministre ou Premier ministre puisse se reconvertir soit limité afin d’éviter toute exploitation de la situation par des puissances étrangères. Il ne s’agit naturellement pas d’interdire « d’avoir quelque activité professionnelle que ce soit » comme s’en est inquiété M. Fillon lors de son audition : cela ne correspond nullement aux intentions de la rapporteure.

Toutefois, la règle actuelle ([328]) qui prévoit que durant un délai de trois ans un ancien haut fonctionnaire ou responsable politique doive faire valider sa reconversion par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) montre certaines limites.

La rapporteure estime donc qu’il faut pouvoir engager une réflexion à propos de contrôles plus spécifiques sur les nouvelles carrières professionnelles d’anciens hauts fonctionnaires, de responsables politiques de haut niveau et de certaines catégories de militaires, qui viseraient éventuellement certaines puissances ne faisant pas partie des mêmes alliances que la France, ou qui s’adonnent à des formes d’ingérence dans notre pays.

Recommandation n° 3 : Revoir la règle de limitation des nouvelles carrières professionnelles d’anciens hauts fonctionnaires, responsables politiques de haut niveau et militaires de certaines catégories en prévoyant un cadre qui s’inscrive dans un temps plus long et qui exclue certaines zones géographiques ou pays, réservant les éventuelles évolutions professionnelles à des pays membres, par exemple, de l’Espace économique européen ou d’alliances dont la France est également membre.

Cette préconisation tend à s’appliquer avec tout autant d’acuité à une autre situation exposée devant la commission d’enquête, celle de la prise de fonctions en 2019 de M. Maurice Leroy, ancien ministre de la ville dans le gouvernement de M. Fillon et ancien député UDI, au sein de l’entreprise d’aménagement de la construction Mosinzhproekt (MIP) chargée de gérer les projets du Grand Moscou. M. Leroy a expliqué au cours de son audition ([329]) être en charge du développement international dans cette entreprise.

À la différence de M. Fillon, M. Leroy a refusé de démissionner de ses fonctions en Russie à la suite de l’agression russe contre l’Ukraine, justifiant cette décision notamment par le fait qu’il n’est pas un dirigeant de la société pour laquelle il travaille, mais un cadre salarié, que cette entreprise « n’est pas sous sanctions » et qu’il faut bien préparer un « après » à la guerre.

À l’image de M. Fillon, M. Leroy a semblé ne pas voir de difficulté à ce qu’un ancien ministre français exerce des fonctions au sein d’une entreprise russe détenue par la ville de Moscou dans un domaine dont il a eu la charge quand il appartenait au gouvernement français en tant que ministre de la ville, ce qui lui a potentiellement apporté des contacts et des informations utiles pour le pouvoir russe. Il a ainsi affirmé qu’il estimait ne pas être « utilisé » par le pouvoir russe.

Il est permis d’en douter, tant la stratégie de récupération et d’exploitation du « carnet d’adresses » et d’octroi d’une visibilité à travers le recrutement d’un ancien ministre ayant été en charge du Grand Paris semble évidente !

M. Leroy a confirmé avoir acquis la nationalité russe en 2021 mais précise l’avoir obtenue sans l’avoir demandée, assurant que cela était tout à fait possible et même « fréquent ». Cette information est difficile à vérifier mais il convient tout de même de noter que M. Leroy a confirmé ne pas parler russe et s’être installé en Russie moins de deux ans avant d’avoir reçu ce passeport russe.

De surcroît, cette obtention « à l’insu de son plein gré » ne l’a pas amené à la rejeter par la suite. Cette situation n’a pas manqué de susciter l’étonnement de la commission d’enquête car elle pourrait suggérer une forme de traitement de faveur de la part du régime. M. Leroy a d’ailleurs avancé que l’octroi de la nationalité était « comme un remerciement » de la part des Russes.

Par ailleurs, si l’ancien ministre a assuré qu’il n’avait « rien à voir de près ou de loin, avec le gouvernement fédéral russe ou avec les décisions nationales », il a désigné M. Marat Khousnoulline – un de ses « amis » – comme celui qui lui a permis d’accéder à ses fonctions au sein de MIP. Or, M. Khousnoulline est membre du gouvernement fédéral russe en tant que vice-Premier ministre chargé de la construction. En outre, si M. Leroy affirme que l’entreprise MIP est de droit privé, son capital est bel et bien détenu par la ville de Moscou.

C.   le cas particulier du rassemblement national

Si l’influence qu’exerce la Russie sur la vie politique française semble toucher des personnalités appartenant à plusieurs partis politiques, il apparaît à de nombreux égards que la relation entre les autorités russes et le Front national, devenu Rassemblement national est un « canal privilégié » selon les mots de Mme Nathalie Loiseau ([330]). Pour la députée européenne, le circuit « privilégié par Moscou pour diffuser son influence en France est, comme ailleurs en Europe, l’extrême droite ».

Ce lien s’explique notamment par une forte convergence de vues avec le pouvoir russe sur un certain nombre de valeurs politiques et de questions géopolitiques.

Ce lien est ancré dans la durée, Jean-Marie Le Pen, le fondateur du Front national, ayant créé la « filière russe » au nom de son combat pour une « Europe des patriotes », qui ne serait pas, selon lui, alignée sur les États-Unis d’Amérique ni sur l’OTAN, mais qui construirait avec la Russie un partenariat durable fait d’intérêts communs et de convergences géopolitiques.

Dès les années 1960, Jean-Marie Le Pen avait reçu le peintre nationaliste soviétique Ilya Glazounov, venu à Paris au sein d’une délégation soviétique et devenu un ami personnel ([331]). Sans doute aussi, par-delà la forme du régime soviétique, a longtemps subsisté, au sein d’une certaine fraction d’extrême droite, une ligne traditionaliste voir solidariste, avec notamment la croyance en une Russie image d’Épinal éternelle, orthodoxe, défendant « l’homme blanc » et la chrétienté.

Ces liens se sont poursuivis dans les années 1980 et Jean-Marie Le Pen, président du Front national, s’est rendu à plusieurs reprises en Russie, ainsi que son numéro deux de l’époque, Bruno Gollnish, pour y rencontrer notamment Alexandre Douguine, futur idéologue de la nouvelle droite russe et théoricien du néo-eurasisme, et Vladimir Jirinovski, président d’un parti ultra-nationaliste russe, avec qui Jean-Marie Le Pen entretiendra une relation amicale.

Tous deux tentèrent de fédérer l’extrême droite européenne, sur le mode « patriotes de tous les pays, unissez-vous ».

Quand Marine Le Pen accède à la présidence du Front national, en janvier 2011, elle reprend l’héritage familial de la russophilie. C’est alors que la stratégie de rapprochement politique et idéologique entre le parti et le régime de Moscou va se structurer et s’accélérer, le soutien à la politique étrangère des autorités russes, Dmitri Medvedev président puis à nouveau Vladimir Poutine, réélu président de la Fédération de Russie en mars 2012, devenant partie intégrante des positions officielles défendues par Marine Le Pen et son parti.

Le rapprochement avec les cercles du pouvoir poutinien devient un objectif, après les séquences de relations amicales et surtout privées que furent celles de Jean‑Marie Le Pen.

Cette relation renforcée se matérialise donc par des contacts fréquents entre des responsables politiques du Rassemblement national et des responsables russes, et le Rassemblement national est le seul parti français financé en partie par un prêt octroyé au départ par une banque russe, puis repris par une entreprise russe.

La volonté affichée par Marine Le Pen de se voir reconnaître une stature internationale s’exprimera au premier chef par ses contacts répétés avec des personnalités des cercles du pouvoir – président de la Douma, président de la commission des affaires étrangères de la Douma, vice-Premier ministre – et par une demande insistante et formulée pendant plusieurs années de rendez-vous officiel avec Vladimir Poutine. Celui-ci recevra finalement Mme Le Pen le 24 avril 2017, soit moins de quatre semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle française.

1.   Un soutien idéologique et une proximité affichée avec le régime de M. Poutine

Interrogé sur la spécificité du Rassemblement national par rapport aux autres partis français, M. Glucksmann a estimé que « la conjonction du soutien politique et idéologique exprimé par les dirigeants des partis d’extrême droite et des actions individuelles menées par les membres de ces partis témoigne d’une connivence générale ». C’est pour lui cette conjonction qui matérialise la différence entre des « cas isolés » issus de tous les partis et le Rassemblement national, pour qui la proximité idéologique avec le régime russe se double de manifestations de soutien explicite et réitéré à l’égard du Kremlin.

Indiquant qu’il évoquait davantage des députés européens membres du RN, M. Glucksmann a précisé que « cela ne veut pas dire que, dans ces mouvements-là, tout le monde travaille pour la Russie, mais qu’il y a une atmosphère générale qu’on ne retrouve pas, par exemple, au Parti populaire européen (PPE). Le fait que M. Fillon ait accepté de travailler pour le régime russe, pour le système poutinien, ne détermine pas la position politique de l’ensemble du PPE. En revanche, les eurodéputés [du RN] qui ont été sanctionnés [par le Parlement européen] ont suivi la ligne politique de leur mouvement. »

i.   Une forte proximité politique et idéologique et des intérêts communs

Comme l’a rappelé M. Tenzer lors de son audition ([332]), de nombreux partis d’extrême droite ont soutenu ou soutiennent encore la Russie en Europe : « l’AfD en Allemagne, le mouvement de Salvini en Italie et celui de Berlusconi, même si celui-ci ne peut être qualifié d’extrême droite. C’est également le cas en Estonie, […] en Hongrie, en République tchèque, en Slovaquie, en Bulgarie. » Il existe selon lui une « internationale fortement encouragée par le Kremlin ». Le Rassemblement national s’inscrit dans cette mouvance dont « M. Mariani est un exemple, mais il en existe d’autres ». M. Jean-Luc Schaffhauser, auditionné par la commission d’enquête, et M. Aymeric Chauprade, qui furent tous deux députés européens membres de la délégation Rassemblement national au Parlement européen, sont aussi des illustrations de ce fort tropisme pro-russe du Rassemblement national.

Comme exposé ci-dessus, le soutien du Rassemblement national à la politique des autorités russes et de M. Poutine en particulier n’est pas nouveau et s’inscrit dans la lignée de la relation de proximité entre la Russie et le Front national. Mme Nathalie Loiseau a ainsi estimé que « la Russie et le Rassemblement national, c’est une histoire qui commence avec Jean-Marie Le Pen et qui se poursuit ».

Le Rassemblement national affiche en effet son admiration et son soutien à un régime dont il dit partager largement des valeurs et des positions – le parti français comme le régime de Poutine affirmant notamment tous deux des positions résolument hostiles à l’OTAN et plus largement aux États-Unis, et Mme Le Pen ayant écrit dans plusieurs de ses documents officiels que la France devait « sortir de la tutelle des États-Unis d’Amérique ».

Dès 2011, au moment de son arrivée à la tête du parti qui se nommait encore Front national, Mme Marine Le Pen a accordé un entretien au quotidien russe Kommersant ([333]) où elle affirmait : « Je ne cache pas que, dans une certaine mesure, j’admire Vladimir Poutine. […] La France a plus d’intérêts communs sur les plans culturel et stratégique avec la Russie qu’avec les États-Unis d’Amérique. » Et, plus loin dans la même interview : « Rien ne permet d’affirmer d’un point de vue constitutionnel que la Russie n’est pas une démocratie. Le ton de la presse d’opposition y est bien plus libre et plus virulent à l’égard de Poutine qu’elle ne l’est en France à l’égard de Sarkozy. »

Auditionnée par la commission d’enquête, Mme Le Pen n’a rien renié de ses propos, qu’elle a même plutôt confirmés, et elle a qualifié d’« admirable » le fait de voir un pays « qui a été soixante-dix ans sous le joug communiste et dix ans pillé par les apparatchiks de M. Eltsine revenir dans le concert des nations ([334]) ».

Mme Le Pen a aussi déclaré partager des « valeurs communes » avec les Russes et être « peut-être la seule en France qui défend la Russie ([335]). »

En 2013, alors qu’elle est reçue par le président de la Douma, M. Sergueï Narychkine, et qu’elle rencontre M. Alekseï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma et le vice-Premier ministre Dimitri Rogozine, Mme Le Pen déclare : « Je pense que nous avons des intérêts stratégiques communs, je pense que nous avons aussi des valeurs communes, que nous sommes des pays européens. J’ai le sentiment que l’Union européenne mène une guerre froide à la Russie. La Russie est présentée sous des traits diabolisés, […] une sorte de dictature, un pays totalement fermé : cela n’est objectivement pas la réalité. Je me sens plus en phase avec ce modèle de patriotisme économique qu’avec un modèle de l’Union européenne. » Il est difficile de ne pas voir dans ce propos une forme d’allégeance politique !

De son côté, le régime russe appuie les mouvements d’extrême droite et de droit extrême en Europe car ceux-ci lui permettent de diffuser son propre discours en en étant un relais fidèle et d’affaiblir l’Union européenne en tant que puissance politique en soutenant des mouvements ouvertement eurosceptiques, quand ils ne sont pas europhobes.

À chaque « crise » géopolitique provoquée par la Russie, le Front national puis le Rassemblement national ont assuré M. Poutine de leur soutien. C’est ainsi que, par exemple, Marine Le Pen s’oppose avec virulence à la décision prise en 2015 par le Président Hollande d’annuler la vente de navires de guerre, deux porte-hélicoptères Mistral à la Russie – alors même qu’elle est hostile aujourd’hui à la livraison d’armes à l’Ukraine attaquée par la Russie…

Lorsque la Russie a annexé illégalement la Crimée en mars 2014, Mme Le Pen a fait sien le discours officiel de Moscou, assurant qu’elle ne croit « absolument pas qu’il y a eu une annexion illégale de la Crimée : il y a eu un référendum, les habitants souhaitaient rejoindre la Russie ([336]). »

Le 2 décembre 2014, la présidente d’alors du Rassemblement national postait sur Twitter : « La Crimée est russe depuis de très nombreuses années. »

Dans une interview à CNN, le 1er février 2017, Marine Le Pen va jusqu’à nier qu’il y ait eu « une invasion de la Crimée », clamant à nouveau que la Crimée « a toujours été russe ».

Tous ses propos sur la Crimée, réitérés lors de son audition par la commission d’enquête, reprennent mot pour mot les éléments de langage officiels du régime de Poutine : la Crimée a toujours été russe et il y a eu un référendum par lequel la population de Crimée a voté librement en faveur de son « rattachement » à la Fédération de Russie. Que l’annexion de la Crimée par la Russie ait été considérée comme illégale par la France, les pays de l’Union européenne et les États-Unis, car violant le droit international et le principe d’intangibilité des frontières, ne semble pas de nature à infléchir la position de Marine Le Pen et celle de son parti. Pas plus que la non-reconnaissance par la communauté internationale du « référendum » et le fait que de nombreuses sources journalistiques attestent l’insincérité d’un scrutin entaché de nombreuses irrégularités et anomalies et de l’usage de l’intimidation et de la force pour amener des électeurs jusqu’aux bureaux de vote.

Soutenir, comme le fit Marine Le Pen, que les habitants de la Crimée ont voté « librement » leur rattachement à la Russie est donc pour le moins assez peu vérifié.

La violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un État, l’Ukraine, amputée d’une portion importante de son territoire, n’est ainsi manifestement pas intolérable pour les grands défenseurs des souverainetés nationales que sont Mme Le Pen et le Rassemblement national.

Ce relais direct du discours officiel russe, « cette courroie de transmission » efficace et, sur ce sujet-là du moins, jamais démentie, sont visiblement appréciés à Moscou : à peine l’audition de Mme Le Pen par la commission d’enquête terminée, le 24 mai dernier, des titres de presse russes se faisaient avec une grande satisfaction l’écho de l’affirmation principale, à leurs yeux, réaffirmée par Marine Le Pen :  la Crimée est et a toujours été russe – agence de presse Tass, journal du ministère de la défense, gazette Tsargrad de Konstantin Malofeïev.

Cet alignement total sur le discours russe laisse songeur… Mme Le Pen est d’ailleurs interdite de séjour sur le territoire ukrainien depuis le 5 janvier 2017, à la suite de ses premières déclarations justifiant l’annexion de la Crimée par la Russie.

De même, au moment de l’intervention de l’armée russe en Syrie, qui, par ses frappes aériennes entre 2015 et 2019, aurait tué au moins 8 000 civils selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme ([337]), Mme Le Pen a affirmé dans un entretien à Europe 1 ([338]) que les « doutes exprimés sur les frappes russes […] participent de la décrédibilisation de l’action menée par Vladimir Poutine. La France aurait dû faire ce que la Russie est en train de faire ».

Avant le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le programme politique de Mme Le Pen évoque une « alliance » avec la Russie. Dans l’un des cahiers thématiques accompagnant le programme présidentiel de Mme Le Pen pour 2022, celui consacré à la défense, il est indiqué que, « sans crainte des sanctions américaines, il sera recherché une alliance avec la Russie sur certains sujets de fond », notamment la « sécurité européenne », qui, selon la candidate, « ne peut exister sans la Russie ».

Si toute mention de la Russie disparaît du programme présidentiel de Mme Le Pen après le 24 février 2022, la candidate déclare néanmoins, dans sa conférence de presse consacrée aux questions internationales, à dix jours du second tour de l’élection présidentielle, que, dès lors qu’un accord de paix serait trouvé entre l’Ukraine et la Russie, la France devrait travailler à un « rapprochement stratégique entre l’OTAN et la Russie ».

Il est à noter toutefois que le déclenchement de l’agression de la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 a marqué une atténuation des prises de position pro‑russes du Rassemblement national et de Mme Le Pen. Cette dernière a condamné sans ambages l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine, qu’elle a jugée « inadmissible ». Néanmoins, elle tient à exprimer une grande prudence quant au risque de « tomber dans la cobelligérance », « avec le risque d’escalade et de guerre mondiale », et se déclare hostile à l’envoi d’armes lourdes. Elle appelle à « tout faire pour trouver une issue pacifique », qui, pour elle, « passerait avant tout par le retrait des troupes russes de l’Ukraine ». Elle plaide en ce sens pour que soit organisée par notre pays une « grande conférence pour la paix ».

Aussi, le discours russe a continué à bénéficier de formes de relais de la part de membres du parti depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

M. Thierry Mariani a ainsi estimé dans un tweet daté du 19 mars 2022 que le bombardement russe du théâtre de Marioupol, qui aurait fait environ 600 morts ([339]), était une « opération d’intoxication » de l’Ukraine.

Mme Nathalie Loiseau a par ailleurs souligné que lors de la révélation en avril 2022 des exactions commises à Boutcha en Ukraine par l’armée russe : « Mme Le Pen, à ce moment-là, a affirmé que l’on ne savait pas et qu’une enquête internationale était nécessaire. » Mme Loiseau a ajouté : « Je regrette, mais Boutcha était occupée par des soldats russes et des enquêteurs dépêchés par un certain nombre de pays, dont la France, avaient commencé à recueillir des témoignages. Je ne nie pas que les déclarations de Mme Le Pen aient évolué mais je note qu’il était possible de dire autre chose que ce qu’elle a dit au moment où elle l’a dit. »

Il est intéressant, et honnête, de signaler que l’actuel président du Rassemblement national, M. Jordan Bardella, sans doute conscient des dégâts provoqués sur l’image du parti par le tropisme pro-Kremlin, s’est lancé dans une opération de réhabilitation du Rassemblement national et a opéré un début de virage dans la position du parti sur la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Le 23 février 2023, sur le plateau de France 2, il s’est dit « en phase » avec le discours du président Macron sur l’Ukraine, considérant qu’il était « impossible de négocier la paix si l’Ukraine ne retrouve pas son territoire, et si les troupes russes ne quittent pas l’Ukraine ». Il a jugé que Kiev « doit l’emporter » face à Moscou. Dans une interview accordée le même jour au quotidien L’Opinion, il semble remettre en cause la lecture qu’avait pu avoir son parti sur la situation. « Il y a eu une naïveté collective à l’égard des intentions et des ambitions de Vladimir Poutine », a affirmé M. Jordan Bardella, qui juge que « le Vladimir Poutine d’il y a cinq ans n’est pas celui qui, cinq ans plus tard, décide d’envahir l’Ukraine et de commettre des crimes de guerre à Odessa ou à Marioupol ».

Une simple chronologie des faits amène à rappeler que les assassinats d’Anna Politkovskaïa et de Boris Nemtsov eurent lieu respectivement en février 2006 et en février 2015.

Ce début de virage peut être vu, même si d’aucuns le décriraient comme « cousu de fil blanc », comme une volonté de poursuivre, sur le plan international, la « normalisation » du parti, tentée sur d’autres thématiques par Marine Le Pen. C’est une tactique inspirée, là au moins, par la Première ministre italienne Giorgia Meloni. L’honnêteté amène aussi à exposer que les réactions critiques et sceptiques quant à la sincérité de ce début de revirement n’ont pas manqué ! Mme Nathalie Loiseau a qualifié le revirement de Jordan Bardella d’« opportunisme spectaculaire », pour « prendre le sens du vent ». Des députés de la majorité présidentielle ont rappelé que, au mois d’octobre 2022, Mme Le Pen et les membres du groupe politique qu’elle préside à l’Assemblée nationale ont refusé de soutenir à l’Assemblée nationale une résolution ([340]) condamnant le « crime d’agression » commis par la Russie.

Plus généralement, le régime russe, bénéficiaire en France d’un appui à travers le Rassemblement national, a valorisé en retour le parti et sa dirigeante. Cet état de fait a été particulièrement visible lors de la rencontre officielle entre Mme Le Pen et M. Poutine le 24 mars 2017, soit moins de quatre semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle en France. Cette rencontre officielle, que seule la presse russe a pu couvrir, était très attendue par Mme Le Pen, qui la sollicitait depuis plusieurs années. Outre la contribution à la construction d’une stature internationale de Mme Le Pen, cet entretien a été l’occasion de faire étalage de la convergence de vues qui existait entre les protagonistes.

Ainsi, Mme Le Pen et M. Poutine ont pu marquer leur vision commune sur la lutte contre le terrorisme islamiste, ont souligné leur accord pour une coopération d’« actions stratégiques au niveau international pour aider le développement [du Sahara et du Sahel] ([341]) » et ont tous deux condamné les sanctions mises en place par l’Union européenne à l’encontre de la Russie après l’annexion illégale de la Crimée par cette dernière, sanctions contre lesquelles Marine Le Pen s’est engagée à continuer de se mobiliser.

L’entretien a duré une heure et demie, d’après Ludovic de Danne, le conseiller diplomatique de Mme Le Pen. Vladimir Poutine s’est défendu de toute ingérence dans la toute proche élection présidentielle française : « Nous ne voulons en aucun cas influencer le déroulement de l’élection présidentielle. » Il a néanmoins tenu à déclarer à la dirigeante frontiste : « Je sais que vous représentez un spectre politique européen qui se développe assez rapidement. » Quant à Marine Le Pen, elle a affirmé : « Je défends les coopérations entre des nations libres. Je pense que Vladimir Poutine représente aussi une nouvelle vision. » Cette rencontre a incontestablement permis à Marine Le Pen de mettre en scène sa relation privilégiée avec la Russie.

D’actifs artisans de cette convergence d’intérêts et de valeurs entre le régime russe et le Rassemblement national occupent des postes importants, notamment à la Douma, et au sein du parti Russie unie, qui ont œuvré pour les nombreux rendez-vous obtenus par Mme Le Pen à Moscou. Mais deux personnes méritent d’être spécialement évoquées : M. Konstantin Malofeïev, un oligarque russe qui s’est donné pour mission de fédérer les extrêmes droites européennes (voir supra), et M. Aymeric Chauprade, qui fut député européen du Front national. M. Malofeïev est, il faut le rappeler, président du conseil d’administration du groupe de médias Tsargrad, un poids lourd du paysage médiatique russe.

M. Raphaël Gluckmann a rappelé qu’en 2014, après l’occupation de la Crimée et d’une partie du Donbass par la Russie, une réunion a été organisée par M. Malofeïev à Vienne avec des représentants des différentes formations européennes d’extrême droite. M. Glucksmann a précisé que « le Front national était représenté par M. Chauprade, alors député européen ».

Mme Cécile Vaissié a souligné lors de son audition ([342]) le « rôle clé » joué par M. Aymeric Chauprade dans le rapprochement du Front national et « certains représentants et proches de M. Poutine ». Lorsqu’il était député Front national au Parlement européen, M. Chauprade « entretenait de très bonnes relations avec M. Malofeïev en Russie » selon Mme Vaissié. Marine Le Pen avait fait de M. Chauprade son conseiller pour les affaires internationales dès 2010. Il exerça le mandat de député européen de 2014 à 2019, et fut vice-président du groupe Europe de la liberté et de la démocratie directe (EFD) de 2018 à 2019.

L’eurodéputé du Rassemblement national M. Thierry Mariani a également déclaré lors de son audition ([343]) connaître M. Malofeïev, qu’il dit avoir rencontré « quatre ou cinq fois ».

En outre, un reportage du magazine « Complément d’enquête » diffusé sur France 2 en octobre 2022 ([344]) faisait état d’une entrevue que M. Philippe Olivier, député européen du RN, a eue avec M. Malofeïev en 2018. Cet entretien aurait eu une « utilité décisive » pour les élections européennes de 2019 ainsi que pour ce qui semble être une « cause » commune, selon un message rédigé par M. Olivier. Ce dernier, auditionné par la commission d’enquête ([345]), n’a pas nié avoir rencontré M. Malofeïev à Moscou à l’été 2018, à l’occasion d’un déplacement qu’il effectuait, aux côtés de son épouse Marie-Caroline Le Pen, pour assister à la finale France-Croatie de la Coupe du monde de football, à laquelle lui et son épouse avaient été invités par un ami de longue date, M. Fabrice Sorlin, un militant traditionaliste devenu un activiste des réseaux pro-russes, installé à Moscou. Beau-frère de Mme Le Pen, dont il est le conseiller depuis 2005, M. Olivier ne détient pas de mandat électif en 2018, ce qui, néanmoins, ne l’empêche pas de participer à une rencontre à laquelle le convie M. Fabrice Sorlin avec M. Thierry Mariani, alors à Moscou, et avec M. Konstantin Malofeïev. M. Olivier, qui n’a eu de cesse durant son audition de répéter qu’il n’avait « aucun lien avec la Russie », a déclaré devant la commission d’enquête n’avoir eu qu’une « conversation très banale sur la situation en France » avec M. Malofeïev.

Visiblement distrait, ou frappé par une certaine amnésie, M. Olivier ne se rappelle plus très précisément les sujets de discussion qu’il a pu avoir avec M. Malofeïev, et dit tout ignorer de son projet d’alliance, appelé « AltIntern », entre les extrêmes droites européennes partageant une même vision d’une Europe conservatrice, chrétienne et débarrassée de la « bureaucratie bruxelloise ». Dans une note sur le projet AltIntern, il est écrit que les valeurs à promouvoir sont la chrétienté et le mariage entre un homme et une femme, entre autres ([346]). Mais la priorité de l’alliance est un « travail systématique d’opposition contre la politique de sanctions de Bruxelles, tout en gardant un très haut niveau de confidentialité en raison de l’opposition de plus en plus forte des services de sécurité occidentaux contre l’influence russe ».

Interrogée lors de son audition par la commission d’enquête sur ce projet AltIntern de M. Malofeïev, Mme Le Pen a déclaré n’en avoir jamais eu connaissance, et n’en avoir jamais parlé non plus avec M. Philippe Olivier : « Je n’ai pas besoin de passer par M. Malofeïev, dont je ne sais pas d’ailleurs s’il a la moindre responsabilité politique»

« Complément d’enquête » fait pourtant état d’une note interne, récupérée par la fondation Dossier Center, qui salue la présence de Philippe Olivier dans « l’alliance ». À l’issue de son voyage à Moscou, Philippe Olivier a envoyé un courrier à un certain « Mikhaïl » dans lequel il demande à ce dernier de bien vouloir transmettre à « Konstantin », de sa part et de la part de son épouse, le témoignage de « [leur] gratitude pour ces moments si amicaux, si utiles, et s’agissant d’une Coupe du monde que la France a gagnée, inoubliable ». Il salue aussi « les belles rencontres que nous avons pu faire grâce à vous, [qui] seront d’une utilité décisive pour les prochaines élections européennes. Nous allons maintenant travailler de notre côté à leur donner tous les développements dont la cause a besoin. » M. Olivier a banalisé, devant la commission d’enquête, un tel courriel, qu’il met sur le compte de la « courtoisie », tout comme il a minimisé son rôle de conseiller auprès de Marine Le Pen ainsi que la portée de sa rencontre avec M. Konstantin Malofeïev.

Pour autant, au vu des nombreux liens tissés par M. Malofeïev avec des membres du RN, il apparaît que son projet « AltIntern », qui visait à rassembler les droites radicales d’Europe autour d’un projet fondé sur des valeurs traditionnelles et sur la restauration du statut de la Russie dans le monde, intégrait tout à fait le Rassemblement national dans son périmètre.

ii.   Des actes de soutien concrets au régime de M. Poutine : les déplacements et les votes

Une des manières privilégiées par le Rassemblement national d’afficher sa proximité et son soutien au régime de M. Poutine a été le déplacement des membres du parti en Russie pour cautionner la politique du Kremlin, en particulier l’annexion illégale de la Crimée.

Mme Marine Le Pen s’est elle-même rendue à de nombreuses reprises en Russie. Mme Loiseau a déclaré que « Mme Le Pen y est allée énormément […]. En tant que diplomate, je ne suis pas allée aussi souvent en Russie que Mme Le Pen […]. »

Ainsi, l’ancienne présidente du Rassemblement national s’est rendue au moins à quatre reprises à Moscou : en 2013, en 2014, en 2015 et en 2017. Lors de ses trois premiers déplacements, elle a été accueillie à chaque fois à la Douma puis, en 2017, par M. Poutine au Kremlin.

Par ailleurs, M. Mariani, devenu en 2019 député européen étiqueté RN et nouvelle figure des liens qui unissent le parti à la Russie, a conduit en Crimée des délégations pour afficher le soutien ostensible du parti à l’annexion illégale du territoire par la Russie. Ces voyages étaient tantôt financés par l’enveloppe financière mise à la disposition des députés européens par le Parlement européen pour des déplacements, tantôt financés par des organisations russes.

En 2019, il a ainsi mené une délégation de douze personnes en Crimée pour célébrer le cinquième anniversaire du pseudo-référendum organisé dans la péninsule par les autorités russes. Il était notamment accompagné de figures politiques pro-russes comme l’ancien député UMP M. Nicolas Dhuicq ou l’ancien sénateur UDI M. Yves Pozzo di Borgo, membres de l’association Dialogue franco-russe que M. Mariani préside. La délégation s’est entretenue avec M. Poutine qui a qualifié ses membres d’« amis ([347]) ». Cette visite faisait suite à un déplacement, un an plus tôt, dans le Donbass afin d’y superviser des élections dans les républiques autoproclamées de Donetsk et Lougansk.

En 2020, un groupe de plusieurs députés européens du RN – où se trouvait à nouveau M. Mariani – a assisté en Crimée au déroulé d’un référendum constitutionnel organisé par Vladimir Poutine en Russie qui visait en particulier à permettre à ce dernier de briguer deux nouveaux mandats ou à inscrire dans la Constitution l’interdiction des mariages homosexuels. M. Mariani a indiqué lors de son audition que ce référendum permettait aussi de « reconnaître implicitement le rattachement de la Crimée à la Russie ».

Cette délégation comprenait notamment, outre M. Mariani, MM. Jean-Lin Lacapelle, Philippe Olivier et Hervé Juvin ainsi que Mmes Virginie Joron et Hélène Laporte, tous députés européens membres du Rassemblement national. Mme Hélène Laporte est devenue depuis cette date députée et vice-présidente de l’Assemblée nationale.

Le scrutin a été, de l’avis de nombreuses sources indépendantes, entaché de fraudes ([348]). En dehors du fait qu’aucune campagne contre la révision constitutionnelle n’était possible à la télévision ou dans la rue, de nombreux témoignages appuyés par des preuves vidéos ou photographiques ont rapporté des irrégularités comme des bourrages d’urne ou des bureaux de vote installés en pleine rue, sur des bancs ou à l’arrière de voitures. Par ailleurs, des situations d’intimidation ont aussi été rapportées.

À l’inverse, aucun des membres de la délégation d’eurodéputés du Rassemblement national n’a constaté d’entorse aux règles électorales. M. Mariani a estimé devant la commission d’enquête que « le scrutin s’[était] déroulé correctement » dans les bureaux de vote où il s’est rendu, affirmant qu’il avait pu « voir comment les choses se passaient » en Crimée. Mme Laporte a même soutenu lors de sa conférence de presse à Moscou le 2 juillet 2020 qu’il s’agissait d’une « leçon de démocratie ». Il convient de rappeler – ainsi que M. Mariani l’a précisé – que ce déplacement était « à l’invitation des Russes et a été payé par les Russes ».

Le 23 mars 2023, le Parlement européen a prononcé à l’encontre des eurodéputés du Rassemblement national Thierry Mariani, Jean-Lin Lacapelle et Hervé Juvin une interdiction, jusqu’à la fin de l’année, de participer à des missions officielles d’observation des élections à l’étranger. M. Mariani estime avoir été « sanctionné sans aucune base juridique » par le Parlement européen, qui a considéré que son déplacement n’était pas effectué dans le cadre d’une mission officielle d’observation des élections. Il ne demeure pas moins que M. Mariani et ses collègues qui sont donc partis de leur propre initiative, sans mandat officiel du Parlement européen, se sont présentés en Crimée comme membres du Parlement européen, en particulier dans les médias locaux russes.

Si M. Mariani n’a cessé de clamer que c’est par conviction qu’il a effectué ces déplacements dont il reconnaît le caractère « politique », il est permis de s’interroger sur une éventuelle ingérence du pouvoir russe qui a pu vouloir utiliser la légitimité de députés européens, y compris d’un ancien ministre, pour valider le discours et les actes du Kremlin.

Ainsi, M. Nicolas Lerner, directeur général de la DGSI, s’est ouvertement et très explicitement interrogé sur les motivations de ces élus en visite en Russie lors de son audition ([349]) : « Accepter de servir de caution à un processus prétendument démocratique et transparent revient à franchir un cap en termes d’allégeance envers le pays concerné. Plusieurs parlementaires et anciens parlementaires européens ont eu, ces derniers temps, de tels comportements, et quelques élus ont manifestement entretenu des rapports de nature clandestine avec des services de renseignement. » Une telle déclaration du DGSI est à souligner ! Dans ces cas précis, la DGSI tente de rencontrer les personnes concernées afin de les « placer devant [leurs] responsabilités, ce qui est aussi une forme de mise en garde pour le cas où ces relations perdureraient ».

Une autre forme de soutien explicite au régime russe a consisté, pour les députés européens membres du Rassemblement national, à voter en s’alignant systématiquement sur l’intérêt du régime russe. L’encadré ci-dessous précise la nature de ces votes au Parlement européen.

 

Les positions de vote des députés du Rassemblent national au Parlement européen

L’examen des votes du Rassemblement national au Parlement européen entre mars 2019 et mars 2023 révèle une volonté claire de relayer les positions de la Russie, d’en soutenir le narratif et de ne pas accabler cette dernière. Sans remonter jusqu’à la date de l’annexion illégale de la Crimée et celle des premiers évènements dans le Donbass, on remarque qu’avant l’invasion de l’Ukraine, cette volonté de ménager la Russie à travers des votes conciliants ne souffre aucune exception. De mars 2019 à février 2022, le Rassemblement national n’a pas voté un seul texte critique envers la Russie.

Ce n’est qu’après le 24 février 2022, date à laquelle les troupes russes ont envahi l’Ukraine, que les 23 députés du Rassemblement national ont commencé à envisager de prendre quelques distances avec la Russie, en votant quelques rares résolutions (quatre) défavorables à la Russie, tout en continuant à s’abstenir ou à voter contre beaucoup d’autres, y compris celles visant à apporter un soutien financier à l’Ukraine ou condamnant l’escalade de la guerre menée par la Russie.

Le Rassemblement national est donc pour le moins précautionneux et évolue très lentement et incomplètement dans ses votes. Voici la liste de plusieurs votes, établie comme suit :

– 12/03/2019 : résolution proclamant la nécessité de cesser de traiter la Russie comme un « partenaire stratégique » - CONTRE

– 18/02/2019 : résolution condamnant diverses violations des droits de l’homme commises par la Russie - CONTRE

– 19/12/2019 : résolution condamnant la loi russe sur « les agents de l’étranger » reconnue comme une entrave à la liberté d’expression - CONTRE

– 16/09/2020 : résolution recommandant à la Commission européenne de lutter contre les menaces russes à la sécurité de l’Europe, y compris les ingérences - CONTRE

– 17/09/2020 : résolution condamnant l’empoisonnement d’Alexeï Navalny ainsi que le coup de force d’Alexandre Loukachenko en Biélorussie - CONTRE

– 29/04/2021 : résolution condamnant l’accumulation de troupes russes à la frontière ukrainienne - CONTRE

– 10/06/2021 : résolution condamnant l’arrestation et la détention de l’opposant russe Andreï Pivovarov - CONTRE

– 16/12/2021 : résolution appelant au retrait des forces russes accumulées à la frontière ukrainienne - CONTRE

– 16/12/2021 : résolution condamnant la fermeture de l’ONG Memorial et la répression des organisations de la société civile par la Russie - CONTRE

– 16/12/2021 : résolution approuvant un soutien financier à l’Ukraine dont les finances sont mises à mal par la menace militaire russe - CONTRE

– 01/03/2022 : résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, appelant à fournir du matériel militaire à l’Ukraine et à des sanctions supplémentaires contre la Russie - POUR (sauf Thierry Mariani, qui s’abstient)

– 10/03/2022 : résolution réclamant la création d’une seconde commission spéciale (INGE 2) sur la désinformation et les ingérences étrangères, notamment de la Russie - CONTRE

– 24/03/2022 : résolution affirmant la nécessité d’assurer la sécurité alimentaire de l’Ukraine - POUR

– 07/04/2022 : résolution appelant à renforcer les sanctions contre la Russie – ABSENTS

– 07/04/2022 : résolution appelant à protéger les enfants et les jeunes qui fuient en raison de la guerre en Ukraine - ABSENTS

– 07/04/2022 : résolution condamnant la répression accrue du régime russe ainsi que la condamnation d’Alexeï Navalny – ABSENTS

– 18/05/2022 : proposition de résolution pour la collecte de preuves des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Ukraine - POUR

– 19/05/2022 : résolution pour accorder une libéralisation temporaire des échanges entre l’UE et l’Ukraine - CONTRE

– 06/10/2022 : résolution condamnant l’escalade de la Russie dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine - ABSTENTION

– 23/11/2022 : résolution visant à faire reconnaître la Fédération de Russie comme État soutenant le terrorisme - CONTRE

– 24/11/2022 : résolution visant à établir un instrument de soutien financier à l’Ukraine pour 2023 - ABSTENTION

– 15/12/2022 : résolution qualifiant l’Holodomor de génocide – POUR (sauf Thierry Mariani, qui vote contre)

– 19/01/2023 : résolution visant à mettre en place un tribunal sur le crime d’agression commis par ma Russie contre l’Ukraine - ABSTENTION

– 02/02/2023 : résolution sur la préparation du sommet UE-Ukraine - ABSTENTION (sauf Thierry Mariani, qui vote contre)

– 16/02/2023 : résolution condamnant les conditions de détention d’Alexeï Navalny et d’autres prisonniers politiques russes - ABSTENTION

– 16/02/2023 : résolution à l’occasion des 1 an de l’invasion et de la guerre d’agression lancée par la Russie contre l’Ukraine – ABSTENTION

Source : Parlement européen.

Mme Loiseau a également considéré lors de son audition que le Rassemblement national s’était mis, depuis l’invasion russe de l’Ukraine de février 2022, à « jouer au chat et à la souris » au Parlement européen. Elle a ainsi déploré que le parti qui « votait auparavant contre tout ce qui concernait l’Ukraine, […] ne prend [désormais] pas part au vote, ou plutôt il vote avec ses pieds ».

Ces manifestations de soutien au régime de M. Poutine, qu’elles prennent la forme d’une validation de scrutins organisés illégalement et très vraisemblablement frauduleux ou celle de votes dans l’intérêt du Kremlin, ont pu faire émerger très nettement la question d’un éventuel soutien matériel de la Russie au Rassemblement national, ou à certains de ses membres, qu’il soit financier ou de toute autre nature. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre l’ancien ambassadeur de France en Russie de 2013 à 2017, M. Jean‑Maurice Ripert.

Lors d’un entretien sur la chaîne télévisée LCI, celui-ci a en effet déclaré : « Personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politiques français d’un certain bord venaient [à Moscou] et ne repartaient pas les mains vides. »

Auditionné par la commission d’enquête ([350]), M. Ripert a rapidement précisé qu’il s’agissait d’un « jugement personnel » fondé sur ses « impressions » et qu’il n’en avait « évidemment pas la preuve », sans quoi il l’aurait signalé à la justice, ainsi que l’y oblige l’article 40 du code de procédure pénale ([351]). Toutefois, il a indiqué maintenir ses propos qui visaient des « représentants de l’ancien parti Front national », expliquant que ses impressions rejoignaient celles de M. Thomas Haldenwanf, directeur du service du renseignement intérieur allemand qui, lors d’une audition publique au Bundestag, aurait déclaré : « Notre impression ponctuelle est que par le passé des hommes politiques de différents partis se sont parfois rendus à Moscou et ne sont certainement pas revenus les mains vides. »

Il a par ailleurs précisé que, lorsqu’il était en poste en Russie, « la communauté diplomatique et un certain nombre de journalistes accrédités localement avaient des doutes sérieux » quant à l’attitude de ces représentants du Front national. M. Ripert a également indiqué que, dans le cadre de ses fonctions, il parlait « avec de nombreux Russes » dont M. Sergueï Narychkine, « ancien KGBiste, à l’époque président de la Douma », M. Léonid Sloutski, député russe proche de M. Mariani, et M. Alexeï Pouchkov, actuel président de la commission des affaires étrangères de la Douma. Selon l’ancien ambassadeur, ces Russes « ne mâchaient pas leurs mots sur le soutien qu’ils avaient apporté à un certain nombre de gens ». M. Ripert a ajouté que l’espoir de ces personnalités de « voir la candidate d’extrême droite française élue ne faisait de doute pour personne. Personne n’a jamais pensé que Moscou souhaitait la victoire de l’autre candidat ».

Enfin, M. Ripert a précisé que, lors de ses voyages en Russie, M. Mariani ne prévenait pas l’ambassadeur français de sa venue, contrairement à l’usage en pareilles circonstances. Il est vrai que M. Mariani connaît extrêmement bien la Russie, ayant été député à l’Assemblée nationale des Français établis dans cette circonscription…

À l’appui de la thèse selon laquelle le Rassemblement national aurait reçu des contreparties à son soutien à la Russie, Mme Loiseau a fait mention lors de son audition d’un échange entre « un hacker russe et un membre de l’administration présidentielle russe » révélé par des hackers du groupe Anonymous. La teneur de cet échange aurait été la suivante : « Marine Le Pen a officiellement reconnu le résultat du référendum en Crimée, elle n’a pas trahi nos attentes. Il faudra d’une manière ou d’une autre remercier les Français. » Un article de Mediapart confirme cette information ([352]).

Des textos ont été écrits en mars 2014, alors que le référendum pour le « rattachement » de la Crimée à la Russie se prépare activement. Ils font partie d’une fuite importante de documents (courriels et SMS) portant sur la période de 2011-2014, et qui émanent de M. Timur Prokopenko, chef adjoint du département de politique intérieure au Kremlin. Ce membre de l’administration présidentielle russe n’a ni réagi ni démenti la fuite. Outre les découvertes sur la manière dont le Kremlin met tout en œuvre pour reprendre le contrôle d’internet et des réseaux sociaux, ou surveille les activités du blogueur Alexeï Navalny, devenu l’une des principales figures de l’opposition en Russie, ces fuites ont aussi mis au jour les échanges relatifs au Rassemblement national dont il est fait état plus haut entre M. Timur Prokopenko et le blogueur Konstantin Rykov, qui serait le hacker russe évoqué précédemment.

Interrogée lors de son audition devant la commission d’enquête, Mme Marine Le Pen affirme n’avoir aucune connaissance de ces SMS ni des personnes citées. Elle conteste formellement « avoir pris quelque décision que ce soit pour faire plaisir à quiconque ». Elle répète que « le seul lien qui existe entre le Rassemblement national et la Russie est un prêt qui a été signé en 2014, que nous rembourserons chaque mois, et que nous rembourserons jusqu’en 2028. […] Je suis libre de toute influence et c’est mal me connaître que de penser l’inverse. »

2.   Les emprunts russes du Rassemblement national

Une des autres formes de soutien matériel, longuement évoquée au cours des auditions menées par la commission d’enquête, est le financement du parti de Mme Le Pen par des crédits contractés auprès d’établissements financiers russes.

En 2014, le micro-parti de M. Jean-Marie Le Pen, Cotelec, a bénéficié d’un prêt de 2 millions d’euros d’un établissement chypriote, Vernonsia Holdings Ltd. Selon Mediapart ([353]), ce financement aurait été alimenté par des fonds russes liés à M. Yuri Kudimov, un ancien agent des services secrets soviétiques ayant dirigé la banque d’État russe VEB Capital. Cet établissement, détenu à 100 % par l’État russe, est le bras financier du Kremlin. Son conseil de surveillance est présidé par Dmitri Medvedev et, avant lui, par Vladimir Poutine. Le prêt russe accordé à la structure de financement de Jean-Marie Le Pen, Cotelec, un micro-parti qui a prêté de l’argent à plusieurs reprises au Front national, porte donc la marque du régime de Vladimir Poutine. Au centre de cet arrangement figurerait M. Malofeïev, qui a confirmé à un journaliste du Monde avoir aidé M. Le Pen à obtenir ce prêt ([354]). Celui-ci a depuis été remboursé, selon M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), auditionné par la commission d’enquête ([355]).

La même année, le Front national a contracté un prêt de 9,4 millions d’euros auprès d’une banque russe, la First Czech Russian Bank (FCRB). D’après Mme Nathalie Loiseau, cette banque « est connue pour avoir participé à du blanchiment d’argent de la corruption et au contournement de sanctions iraniennes ». Ce crédit, au taux de 6 %, devait être remboursé à terminaison au bout de cinq ans, soit en 2019, mais l’établissement russe a fait faillite en 2016.

La First Czech Russian Bank, créée en 1996 en République tchèque, est installée depuis 2002 à Moscou. C’est une petite banque assez confidentielle, mais qui n’est pas sans lien avec l’État russe. En 2002, en effet, le géant russe Stroytransgaz, leader dans la construction de gazoducs et dont le principal client est Gazprom, en fait « sa » banque. À ce moment-là est parachuté à la tête de la FCRB M. Roman Popov, qui fut vice-directeur financier de Stroytransgaz. Il en deviendra ensuite l’unique propriétaire.

C’est M. Jean-Luc Schaffhauser, que M. Bernard Monot, l’un des conseillers économiques de Mme Le Pen, a introduit auprès de la dirigeante du Front national, qui sera chargé de trouver un prêteur. Comme l’a dit à la presse M. Bernard Monot, « j’avais du mal à aboutir avec les Russes. Alors j’ai demandé à Schaffhauser de participer. Il a actionné ses réseaux et a pu trouver un financement ».

Contacté par M. Schaffhauser, dont il est l’une des relations russes au sein du tissu relationnel dense que celui-ci a patiemment constitué au fil des ans et de ses activités professionnelles entre la Russie et la France, M. Alexandre Babakov, entrepreneur et homme politique, ancien responsable du parti Rodina, et qui rejoindra ensuite Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, dont il devient conseiller en charge de la coopération avec les organisations russes à l’étranger, joue les intermédiaires.

C’est lui qui aidera le Front national à obtenir un prêt de 9,4 millions d’euros auprès de la FCRB. Le prêt est signé le 11 septembre à Moscou par M. Wallerand de Saint-Just, le trésorier du Front national. Côté russe, la convention de prêt est signée par le dirigeant de la FCRB, M. Roman Popov. Le contrat fixe la date de remboursement final au 23 septembre 2019, et fixe un taux d’intérêt à 6 %. M. Schaffhauser, qui a joué un rôle central pour l’obtention de ce prêt, relève devant la commission d’enquête que c’est « un taux d’intérêt élevé mais [qu’]il correspondait au taux de base bancaire. […] C’était le minimum qu’on pouvait obtenir sur le marché. Il ne s’agissait pas non plus d’un régime de faveur, sans quoi nous aurions été en dessous du marché. »

En juillet 2016, la FCRB fait faillite, avec un passif important. Mais, quatre mois plus tôt, et une semaine avant la mise sous tutelle de l’établissement, le 18 mars 2016, le prêt au Front national est récupéré par la société Konti, une petite société de location de voitures basée en périphérie de Moscou. C’est la première cession de créance du RN. Konti, créée en 2010, a comme unique directeur et actionnaire M. Sergueï Evseïev, également directeur de deux autres sociétés, dont l’une, la société de sécurité privée baptisée « A-5 », appartenait auparavant à la FCRB. Konti reprend donc la créance, « pour des raisons purement commerciales, et non politiques », comme l’a dit à la presse son directeur. Il évoque également, très vite, la question d’une autre affectation de la créance, à une autre entreprise.

Un imbroglio juridico-bancaire compliqué se fait jour, qui voit intervenir l’Agence d’assurance des dépôts bancaires russe, l’autorité administrative chargée par la banque centrale russe d’assainir la situation après la faillite de la FCRB, et la cour d’arbitrage de Moscou. L’Agence d’assurance des dépôts bancaires russe qualifie à un moment donné la créance d’« actif de qualité », avec à la clé le remboursement par le Front national d’intérêts qui représentent « des montants substantiels ». La cession de la créance à la société Konti s’est donc déroulée dans des conditions assez rocambolesques, la situation se compliquant encore avec les ennuis judiciaires de l’un des ex-dirigeants de la banque FCRB, condamné pour détournement de fonds à une vaste échelle au sein de la FCRB. Peut-être la trop grande proximité existante entre M. Roman Popov, placé à la tête de la FCRB par Stroytransgaz, et le dirigeant de cette entreprise, M. Guennadi Timtchecko, l’un des oligarques et amis de Vladimir Poutine les plus influents, a-t-elle joué un rôle dans la gestion un peu « audacieuse » des investissements à risque de la FCRB, notamment à Sotchi et dans certains complexes olympiques. En tout cas, sa proximité avec les hautes sphères du pouvoir russe n’a pas sauvé la FCRB de la faillite.

Le rachat de la créance du prêt russe du Front national par Konti à FCRB ayant finalement été déclaré frauduleux, en raison de non-paiement, c’est par un nouvel épisode de cession de créance dans des conditions un peu troublantes que la créance du prêt russe se retrouve entre les mains d’un nouveau propriétaire, la société Aviazapchast, qui l’acquiert le 14 novembre 2016.

Contrairement à Konti, qui était très petite, la société Aviazapchast est une société dont les activités sont apparemment florissantes. Elle opère dans un domaine sensible, et a été créée en 1994. Elle se présente comme l’un des leaders russes non étatiques du secteur de l’aéronautique, spécialisée dans la maintenance et la réparation d’avions et d’hélicoptères, une société à activité « duale », c’est-à-dire à la foi civile et militaire. Les dirigeants de la société Aviazapchast sont trois anciens militaires russes, proches des services secrets russes. La société a notamment des contrats en Syrie.

Son unique actionnaire est M. Valery Zakharenkov, un oligarque russe réputé proche du Kremlin et dont le nom revient assez souvent dans les contrats d’armement avec les alliés régionaux de Moscou. M. Zakharenkov est propriétaire de terres et d’une exploitation agricole en Charente-Maritime.

Aviazapchast a été placée sous sanctions américaines de 2020 à 2022, pour participation à la prolifération d’armes de destruction massive, puis le ministère du commerce américain a rétabli des sanctions à l’encontre de l’entreprise à partir de mars 2023.

C’est donc à cette entreprise militaro-aéronautique que le Rassemblement national doit rembourser son crédit, après les tribulations pour le moins étranges qu’ont connues les cessions de sa créance.

M. Jean-Luc Schaffhauser, dont l’entregent et l’activisme ont joué un rôle majeur dans l’octroi du prêt initial signé en 2014, a clairement indiqué, lors de son audition, que « si [le pouvoir russe] y avait été opposé, l’affaire ne se serait pas faite ».

Il est à noter que M. Schaffhauser est visé par une enquête du parquet national financier (PNF) ouverte en 2016 à la suite d’un signalement de Tracfin. L’enquête judiciaire, sur laquelle les travaux de la commission d’enquête ne sauraient empiéter, vise notamment la commission de 140 000 euros que M. Schaffhauser a touchée à l’issue de la négociation de prêt du Front national.

M. Schaffhauser, interrogé dans l’émission « Complément d’enquête », n’a pas caché que l’intérêt des Russes pour Mme Le Pen venait du fait qu’ils la considéraient comme une alliée au sein du monde occidental, proche de la vision géopolitique de la Russie. Il poursuit en disant qu’il lui semble par conséquent « logique que, la Russie défendant ses intérêts, cherche des alliés occidentaux ». Il qualifie la politique suivie par Vladimir Poutine d’« eurasienne », qui lui semble à même de permettre à la Russie de défendre ses intérêts, mais aussi à la France, « de l’Atlantique à l’Oural », « en essayant de trouver un équilibre entre les États-Unis et l’Asie ».

Ainsi que l’a rappelé M. Vachia, la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique ([356]) « interdit [désormais] les prêts [aux partis politiques] de toute personne morale autre que les partis politiques respectant les critères de la loi de 1988, c’est-à-dire qui déposent leurs comptes auprès de la CNCCFP, et les banques ou sociétés de crédit ayant leur siège dans l’Espace économique européen – soit les pays de l’Union européenne et trois autres pays ». Le président de la CNCCFP a par ailleurs précisé que 588 partis étaient recensés au moment où il était auditionné.

Compte tenu des différentes cessions de la créance du « prêt russe » initial, la CNCCFP a eu à examiner si le parti de Mme Le Pen se trouvait dans la situation éventuelle de bénéficier d’un nouveau prêt.

En effet, le Rassemblement national a négocié avec son nouveau créditeur russe, Aviazapchast, un nouveau contrat de prêt après un accord à l’amiable. Le créditeur russe a fait plusieurs concessions importantes : il renonce à percevoir toute la somme d’un coup, mais aussi à toucher les amendes prévues pour un éventuel non-remboursement du prêt. Surtout, Aviazapchast a accepté un rééchelonnement du prêt : le Rassemblement national a obtenu un délai pour rembourser l’intégralité du prêt, soi fin 2028 au lieu de septembre 2019.

Quant à M. Jean-Luc Schaffhauser, il a déclaré devant la commission d’enquête que les nouveaux propriétaires de la créance s’étaient présentés au Rassemblement national comme agissant sur ordre du pouvoir politique.

Dans une note interne de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques en date du 17 mai 2021, dont la rapporteure a eu communication, il est indiqué que « si la renégociation des modalités d’exécution procure un avantage certain et conséquent au bénéfice du “Rassemblement national”, il est à noter que, d’une part, la renégociation entre les parties qui conviennent de nouvelles modalités d’exécution n’a en principe par pour effet de créer un nouveau contrat et repose sur le principe de la liberté contractuelle entre les parties, et que, d’autre part, la faillite du créancier initial avant le terme du contrat et des suites judiciaires qui ont eu lieu sont des éléments objectifs n’ayant pas permis au “Rassemblement national” d’honorer le remboursement du prêt tel qu’initialement prévu par le contrat.

« Au regard de ces éléments, cet accord amiable ne semble pas bouleverser le contrat initial et pouvoir, en conséquence, être requalifié de nouveau prêt. »

En d’autres termes, si la CNCCFP conclut qu’il n’y a pas, juridiquement parlant, de nouveau contrat de prêt – ce qui, compte tenu des modifications législatives intervenues depuis 2014, serait illégal –, elle indique également que le rééchelonnement du prêt constitue, pour le Rassemblement national, « un avantage certain et conséquent », ce qui dément le discours selon lequel ne RN n’a jamais bénéficié d’un « traitement de faveur » de la part de ses créanciers russes.

Enfin, le taux d’intérêt du prêt contracté par le Front national en 2014, et maintenu par Aviazapchast, était de 6 %, un taux « élevé » selon M. Schaffhauser mais qui « correspondait au taux de base bancaire ». Dans les documents contractuels que votre rapporteure a pu consulter auprès de la CNCCFP, aucun élément ne laisse apparaître que le FN apportait des garanties en échange de l’octroi de ce crédit. Or une absence de garanties de la part de l’emprunteur constitue un avantage considérable eu égard aux exigences qui s’appliquent ordinairement à ce type de transaction. À titre d’exemple, dans le crédit contracté par le FN en 2017 – voir ci-dessous –, l’intermédiaire apportait bien des actifs en garantie, ainsi que l’a affirmé M. Schaffhauser.

L’ensemble de ces circonstances conduit à s’interroger sur les motivations qui ont conduit à l’octroi de ces prêts par des établissements russes au Front national puis au Rassemblement national, alors que le parti a, comme on l’a décrit précédemment, multiplié les marques de soutien et de proximité envers le pouvoir russe, notamment en reconnaissant en 2014 l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, reconnaissance encore une fois réitérée par Mme Le Pen lors de son audition par la commission d’enquête.

À l’appui de la thèse d’une rétribution du pouvoir russe au profit du RN, le propos de M. Aymeric Chauprade à Mediapart, selon lequel les voyages de M. Schaffhauser dans le Donbass, pour soutenir les séparatistes pro-russes en guerre, en octobre 2014 et en mai 2015, auraient été « une contrepartie au prêt » car « aller dans le Donbass marquait un soutien fort à la Russie ». M. Schaffhauser a assuré lors de son audition avoir reçu le « feu vert de l’Élysée » avant de se rendre dans le Donbass et a déclaré s’être tenu, lors de ses déclarations publiques, aux accords de Minsk. L’objectif de ce voyage est clairement d’offrir une légitimité aux élections du parlement et de l’exécutif organisées dans ce petit « État » autoproclamé par les séparatistes avec le soutien du Kremlin, mais avec la désapprobation de Kiev, et de l’Union européenne. Le voyage de M. Schaffhauser dans le Donbass en octobre 2014 se serait fait avec l’accord de M. Louis Aliot, vice-président du Front national, d’après certains articles de presse. Selon M. Schaffhauser, Mme Marine Le Pen était aussi « au courant » de son voyage.

Interrogée lors de son audition devant la commission d’enquête au sujet de ces déclarations de M. Chauprade, Mme Le Pen dit « prendre avec des pincettes » les déclarations tenues par M. Aymeric Chauprade à cette époque, « puisque notre rupture politique a été assez violente. Il a multiplié les déclarations désagréables, avant de revenir sur une partie d’entre elles. » Mme Le Pen dit aussi n’avoir pas été mise au courant du voyage de M. Schaffhauser dans le Donbass.

M. Schaffhauser s’est fait l’écho au cours de son audition du principal argument avancé par Mme Le Pen pour justifier le recours à un emprunt auprès d’un établissement russe, à savoir le fait que « dans tout le monde occidental, le Front national [n’a pas trouvé] une seule banque qui lui prête ». Il impute cette situation à la volonté des États-Unis d’Amérique, dans une analyse qui confine au complotisme : « Je dis alors à Marine Le Pen que, dans la sphère occidentale, le système est bouclé. Nous devons sortir de l’orbite occidentale, qui est sous contrôle absolu des Américains. Nous ne pouvons trouver un financement que du côté iranien, chinois ou russe. »

Toutefois, Mme Loiseau a fait observer au cours de son audition que si « le Rassemblement national dit et répète, comme le Front national avant lui, que ce n’est pas de gaieté de cœur qu’il est allé se financer à l’étranger, […] comment se fait-il que Nathalie Arthaud et Éric Zemmour se financent en France ? »

Il ne s’agit par ailleurs pas du seul emprunt contracté par le FN en dehors de l’Union européenne. Ainsi, dans le cadre de la campagne de Mme Marine Le Pen pour l’élection présidentielle de 2017, M. Vachia, président de la CNCCFP, dit avoir identifié un emprunt auprès d’une personne physique « financé à partir d’une banque basée aux Émirats arabes unis ». Ce prêt, d’un montant de 8 millions d’euros, qui a depuis été remboursé grâce à la dotation publique accordée par l’État au Rassemblement national, a été octroyé par M. Laurent Foucher, homme d’affaires français, bien connu en Afrique, sur la base d’un contrat de prêt signé à Bangui, en République centrafricaine. Ces fonds auraient été versés par la société financière émiratie Noor Capital.

M. Schaffhauser est également intervenu dans la négociation de cet emprunt, ayant mis le Rassemblement national en contact avec M. Laurent Foucher, et ayant été rémunéré pour la conclusion de ce prêt.

D’après plusieurs sources concordantes, M. Laurent Foucher était apparemment insolvable au moment où ce prêt a été contracté. M. Foucher a été mis en examen pour blanchiment d’argent à Genève. Le cours de ses activités professionnelles passées est assez compliqué à suivre, mais il aurait notamment travaillé pour des oligarques kazakhs, avant de se trouver en relation avec des services de certaines républiques ex-soviétiques. L’origine des fonds d’un montant de 8 millions d’euros prêtés par M. Laurent Foucher au Rassemblement national est en réalité mystérieuse, et soulève bien des questions. La justice est saisie.

Interrogée au sujet de ce prêt et de M. Foucher, Mme Le Pen a dit avoir fait la connaissance de celui-ci par M. Schaffhauser, et n’avoir « aucune connaissance des faits » évoqués. Elle affirme aussi « ne pas douter une seule seconde que, s’il existait le moindre soupçon à l’égard du Rassemblement national, la justice serait saisie et Tracfin serait intervenu », semblant ignorer que la justice est saisie. Elle déclare enfin ne rien savoir de la situation personnelle de M. Foucher et n’avoir fait que rembourser le prêt.

Force est de constater que Mme Le Pen se montre fort peu curieuse sur l’origine d’un prêt au montant aussi important – 8 millions d’euros – et sur l’identité de la personne prêteuse, ou alors fort évasive sur ses souvenirs.

Il en va de même pour les déclarations faites par Mme Le Pen durant son audition sur les conditions de la cession de la créance du prêt russe initial, contracté auprès de la FCRB, vers, d’abord, la société Konti, puis la société Aviazapchast : « Honnêtement, c’est la première fois que j’entends que seul notre prêt a été racheté. »

S’agissant des raisons pour lesquelles le Front national, puis le Rassemblement national, ont emprunté dès 2014 auprès de sociétés russes, Mme Le Pen a abondamment exposé le contexte auquel se trouve confronté son parti : « Nous n’avons jamais réussi, depuis des années, à obtenir le moindre prêt de la moindre banque française, ni même de la moindre banque européenne. » Cette affirmation de Mme Le Pen n’est d’ailleurs pas rigoureusement exacte, car le Rassemblement national a obtenu un prêt de 10,6 millions d’euros pour la campagne présidentielle de Mme Le Pen en 2022, prêt accordé par la banque hongroise MBK Nyrt, propriété de M. Lorinc Meszaros, ami personnel du Premier ministre hongrois Viktor Orbán et l’un des hommes les plus riches de Hongrie. Plusieurs banques hongroises sont réputées proches du pouvoir russe, une d’entre elles, la Banque internationale d’investissement – l’ancienne banque du COMECON – étant actuellement dans le collimateur des sanctions européennes pour des soupçons en ce sens.

C’est « contraint et forcé » que le Rassemblement national a cherché à obtenir un prêt hors des frontières de l’Union européenne. Mme Le Pen s’offusque que, après l’envoi de « deux cents lettres à autant d’établissements bancaires », aucun n’ait accepté d’octroyer un prêt au Rassemblement national, et considère comme « incroyable que le gouvernement français soit incapable de permettre à une candidate d’un grand parti de trouver un financement et d’assurer à des candidats aux législatives la possibilité d’accéder à des prêts ». Cela lui semble aller à l’encontre de l’article 4 de la Constitution. Mme Le Pen s’indigne de ce que la création de la Banque de la démocratie, votée en 2017 conformément à la promesse faite par le président Macron à M. François Bayrou, ait été abandonnée.

Elle insiste aussi lors de son audition par la commission d’enquête sur « la campagne de diffamation » qui l’a visée, et qu’elle attribue au Président de la République, campagne sous-entendant qu’elle pourrait subir des influences du fait des prêts consentis. Mme Le Pen l’a dit et redit devant la commission d’enquête : « Je vous répète pour la énième fois que le seul lien qui existe entre le Rassemblement National et la Russie est un prêt qui a été signé en 2014, que nous remboursons chaque mois et que nous rembourserons jusqu’en 2028. »

 


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   partie 2 : une prise de conscience salutaire mais tardive des autorités françaises vis-à-vis de l’ensemble des menaces transversales

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête s’est attachée à évaluer la robustesse des dispositifs déployés par l’État en matière de contre-ingérence.

L’architecture institutionnelle mise en place au cours des vingt dernières années fait intervenir la communauté du renseignement et l’ensemble des services régaliens mais aussi un corpus législatif et réglementaire réprimant les crimes et délits pouvant s’apparenter à de l’ingérence, limitant drastiquement les financements étrangers dans la vie politique et visant à protéger nos entreprises de manœuvres malveillantes.

Dans le prolongement de cette mobilisation des services de l’État, il convient de mobiliser davantage la société civile afin lutter plus efficacement contre les ingérences étrangères. Le domaine des médias, des plateformes numériques et des nouvelles technologies doit faire l’objet d’une vigilance particulière.

I.   la prévention des ingérences étrangères

La répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation est, sur le plan pénal, le dispositif le plus ancien, pour prévenir les ingérences. Néanmoins, les atteintes à la probité – corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts – peuvent également être des vecteurs d’ingérences étrangères.

Concernant la vie politique, les restrictions posées aux financements des partis et des campagnes électorales provenant de l’étranger assurent une certaine étanchéité face aux risques d’ingérence.

Sur le plan économique, la prévention des ingérences passe par le recensement des activités sensibles, le contrôle des investissements étrangers, le blocage de la divulgation de données stratégiques et le développement d’outils pour se prémunir des risques d’instrumentalisation du droit à des fins de guerre commerciale.

A.   Un cadre pénal dont les contours n’épousent qu’imparfaitement le périmètre des ingérences étrangères

Après avoir identifié les diverses modalités par lesquelles un État étranger peut chercher à s’immiscer dans les affaires intérieures de notre pays, la commission d’enquête a cherché à savoir comment ces ingérences pouvaient être réprimées.

Il n’existe pas d’infraction visant les ingérences étrangères en tant que telles. Le terme n’apparaît pas dans la loi, comme l’a rappelé, en audition, M. Jean‑François Bohnert, procureur de la République financier : « La notion d’ingérence est issue du monde du renseignement et elle n’est pas appréhendée en tant que telle par le droit pénal – même si la prise illégale d’intérêts était autrefois appelée “délit d’ingérence” ([357]). »

Toutefois, le livre IV du code pénal relatif aux crimes et aux délits contre la nation, l’État et la paix publique définit un certain nombre d’infractions susceptibles d’avoir directement trait à l’ingérence d’une puissance étrangère, comme la trahison, l’espionnage ou encore les différentes atteintes à la défense nationale.

La rapporteure considère que la répression des ingérences étrangères ne saurait se limiter, sur le plan pénal, à la poursuite des seules atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. Elle rappelle que les manquements au devoir de probité peuvent également révéler une collusion avec des États hostiles.

Ainsi, le sujet connexe de la prévention des conflits d’intérêts et de la transparence dans la vie publique a également retenu l’attention de la commission d’enquête.

1.   Les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ne recouvrent que partiellement le champ des faits susceptibles de relever de l’ingérence étrangère

Le titre premier du livre IV du code pénal porte sur les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, c’est-à-dire aux dommages causés à « son indépendance, [à] l’intégrité de son territoire, [à] sa sécurité, [à] la forme républicaine de ses institutions, [aux] moyens de sa défense et de sa diplomatie, [à] la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, [à] l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et [à] des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel » (article 410‑1).

a.   La trahison et l’espionnage

Ces atteintes comprennent la trahison et l’espionnage, la première étant qualifiée ainsi lorsqu’elle est commise par un Français ou un militaire au service de la France tandis que la seconde est applicable aux personnes de nationalité étrangère, coupables des mêmes actes.

À ces faits correspondent :

– la livraison de tout ou partie du territoire national, de forces armées ou de matériel à une puissance étrangère ;

– les intelligences avec une puissance étrangère ;

– la livraison d’informations à une puissance étrangère ;

– le sabotage ;

– la fourniture de fausses informations ;

– la provocation aux crimes de trahison et d’espionnage.

crimes et délits relevant de la trahison et de l’espionnage

Crimes

Livraison de tout ou partie du territoire national ou de forces armées

Détention criminelle à perpétuité et 750 000 euros d’amende

Livraison de matériel

Trente ans de détention criminelle et 450 000 euros d’amende

Intelligences en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France

Trente ans de détention criminelle et 450 000 euros d’amende

Livraison d’informations

Quinze ans de détention criminelle et 225 000 euros d’amende

Sabotage

Entre quinze et vingt ans d’emprisonnement et entre 225 000 et 300 000 euros d’amende

Délits

Intelligences de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation

Dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

Recueil d’informations en vue de les livrer

Dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

Exercice d’une activité ayant pour but la livraison d’informations

Dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende

Fourniture de fausses informations

Sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

Provocation aux crimes de trahison ou d’espionnage

Sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

Source : chapitre premier du titre premier du livre IV du code pénal.

La répression de la fourniture de fausses informations, régie par l’article 411‑10, vise des faits qui pourraient concerner, dans certains cas de figure, les relais conscients de la guerre informationnelle livrée par des puissances hostiles, en particulier la Russie, à notre pays. Ce délit est défini comme le « fait de fournir, en vue de servir les intérêts d’une puissance étrangère, d’une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger, aux autorités civiles ou militaires de la France des informations fausses de nature à les induire en erreur et à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ».

De manière générale, les faits visés par ce chapitre du code pénal sont peu fréquemment invoqués lors des procédures judiciaires. Directement issus du code napoléonien de 1810 ([358]), ils portent aussi la trace historique des conflits armés qu’a endurés notre pays au cours du XXe siècle ainsi que de la Guerre froide et ne recouvrent que partiellement voire aucunement les actions susceptibles de s’apparenter à une complicité, volontaire ou involontaire, consciente ou inconsciente, envers un État étranger cherchant à s’immiscer dans les affaires intérieures de notre pays.

La sévérité des peines encourues n’incite pas les juges à en faire l’application, notamment dans le cadre de la divulgation de fausses informations.

M. Stéphane Bouillon, secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) auprès de la Première ministre, rappelle que « les dispositions inscrites dans le code pénal sont assez peu utilisées en pratique par les magistrats, peut-être parce qu’elles sont très inspirées du temps de guerre et semblent moins pertinentes depuis la fin de la Guerre froide ([359]) ». Il estime que « s’agissant de la trahison ou de l’intelligence avec une puissance étrangère, dans la mesure où leur répression est devenue assez théorique, peut-être faudra-t-il réfléchir au quantum de peine, à la nature de l’incrimination ou encore aux conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être mises en cause ».

Pour M. Nicolas Tenzer, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP), « en cas d’intelligence avec une puissance ennemie, autre délit, voire crime, il est difficile de trouver un critère d’incrimination pénale. Si l’article 411-5 du code pénal le définit explicitement comme “le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, lorsqu’il est de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation”, la rédaction de l’article 410-1 du code pénal définissant les intérêts fondamentaux de la nation, qui est très large, mériterait d’être précisée ([360]). »

Concernant le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère, M. Tenzer plaide pour « un toilettage ou une actualisation des textes pourraient faciliter l’incrimination lorsque sont en jeu des intérêts nationaux, européens ou liés à notre politique étrangère, tels que clairement explicités à l’article 410-1 du code pénal. Si l’on désignait tel État agresseur commettant des actes de nature terroriste comme État terroriste ou sponsor du terrorisme, l’intelligence avec l’ennemi changerait de nature. Pourquoi considérer différemment des organisations comme Daech, Al-Qaïda et la Russie de Poutine ? La différence – toutes ces organisations représentant un mal absolu –, c’est que la Russie de Poutine a tué davantage de civils. Un tel dispositif affinerait la réglementation et la rendrait plus répressive. »

Rappelons que, le 23 novembre 2022, le Parlement européen a adopté une résolution désignant la Fédération de Russie comme État soutenant le terrorisme. Cette adoption fait suite à une résolution adoptée le 13 octobre de la même année par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la nouvelle escalade dans l’agression de la Fédération de Russie, qui a déclaré que le régime russe actuel était un régime terroriste, ainsi qu’à des résolutions allant dans le même sens adoptées récemment par les parlements de Lituanie, Estonie, Pologne, Lettonie et République tchèque.

b.   Les autres atteintes à la défense nationale

Parmi les faits susceptibles d’impliquer une puissance étrangère figurent aussi, sous le titre premier relatif aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation du livre IV du code pénal, les dommages causés à la défense nationale qui comprennent les atteintes :

– à la sécurité des forces armées et aux zones protégées intéressant la défense nationale ;

– au secret de la défense nationale ;

– à certains services ou unités spécialisés.

L’ensemble de ces infractions constituent des délits punis de six mois à dix ans d’emprisonnement et de 7 500 à 150 000 euros d’amende, l’incitation à la trahison de militaires français étant le fait le plus grave.

Aux termes de l’article 413‑9 du même code, le secret de la défense recouvre quant à lui « les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès ».

2.   Les atteintes à la probité constituent un vecteur pour les ingérences étrangères

Outre les actes de terrorisme ([361]) – qui peuvent relever d’une ingérence étrangère lorsque, par exemple, un projet d’attentat est commandité par un État étranger, comme cela a pu être le cas de l’Iran à plusieurs reprises ([362]) – il faut également mentionner les manquements au devoir de probité parmi les faits susceptibles de relever du champ des ingérences ou, plus justement, de révéler celles-ci, comme l’a affirmé M. Bohnert en audition :

« [Les] faits d’ingérence sont en général appréhendés par les infractions d’atteinte à la probité, l’État étranger étant soupçonné d’avoir versé une rémunération à un agent public français, parfois un élu, en échange d’une intervention publique en la faveur de cet État étranger ou de l’aide à l’adoption d’une décision favorable. Ces faits relèvent de la corruption ou du trafic d’influence. Ils peuvent également être considérés comme des infractions fiscales lorsque l’argent  revenus ou subventions  obtenu d’un État étranger n’a pas été déclaré. »

a.   Les délits de corruption, de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêts

Les manquements au devoir de probité appartiennent aux atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique. Ils comprennent les délits suivants :

– la concussion ;

– la corruption passive et le trafic d’influence ;

– la prise illégale d’intérêts ;

– les atteintes à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.

Il ressort des travaux de la commission d’enquête que trois de ces délits peuvent impliquer des ingérences de la part de puissances étrangères : la corruption passive, le trafic d’influence et la prise illégale d’intérêts.

i.   La corruption passive et le trafic d’influence

La corruption passive et le trafic d’influence sont définis à l’article 432‑11 du code pénal, qui dispose que :

« Est puni de dix ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 euros, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public, de solliciter ou d’agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui :

« 1° Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ([363]) ;

« 2° Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ([364]).

« La peine d’amende est portée à 2 000 000 euros ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction, lorsque les infractions prévues au présent article sont commises en bande organisée. »

D’après M. Tenzer (CERAP), il est difficile de prouver l’existence d’un pacte entre une puissance étrangère, ou toute entité privée proche de celle-ci, et un responsable public français : « Si une personne susceptible d’influencer une autorité publique française entretient de forts liens avec la Russie, signe des contrats importants avec des entreprises russes, s’exprime dans le cadre d’une conférence organisée par un fonds russe, il est possible de se demander si ce n’est pas en échange d’une rémunération, ce qui est difficile à démontrer. Des enquêtes sont lancées par le parquet national financier mais il est toujours délicat de trouver un rapport de causalité. »

La difficulté à détecter un cas de corruption ou de trafic d’influence est d’autant plus complexe qu’elle peut faire intervenir, comme le prévoit l’article 432‑11 du code pénal, aussi bien « des offres, des promesses, des dons, des présents [que] des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui ». M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) – « bras armé du PNF » pour M. Bohnert – au ministère de l’intérieur et des outre-mer, affirme que « les procédés sur lesquels [l’OCLCIFF] enquêt[e] sont beaucoup plus discrets et subtils : il peut s’agir du financement de voyages, d’associations ou d’entités plus ou moins directement liées à la personne concernée – par exemple des membres de sa famille ([365]) ».

S’agissant des élus français, M. Hézard précise : « Il nous est arrivé – mais c’est très marginal – de nous demander si des entités plus ou moins rattachées à des puissances étrangères avaient corrompu des parlementaires, nationaux ou européens. Notre rôle, dans ce type d’enquête, est de savoir si les prises de position et les actes de ces parlementaires – députés, sénateurs ou députés européens – ont pu être dictés par une influence financière, directe ou indirecte. Nous n’avons pas eu d’affaire équivalente à celle du Parlement européen. »

Considérant que le cadre légal permettant de qualifier le trafic d’influence est insuffisant, M. Tenzer estime qu’il est nécessaire « d’étendre le champ de l’illégalité du trafic d’influence. Aujourd’hui limité au cas où une personne parlerait à une autorité supérieure de l’État, responsable des domaines régaliens, principalement le Président de la République et quelques ministres, une extension à la prise de parole publique serait un premier progrès. Quand des gens sont payés par une puissance étrangère pour reprendre ses narratifs sur des médias – véritables ou sociaux –, il s’agit d’une forme d’influence déguisée. »

Il propose également d’étendre le champ de ce délit aux prises de parole de responsables publics : « De même a-t-on intérêt à définir plus précisément le trafic d’influence et à l’étendre aux prises de parole qui ne relèvent pas de l’influence directe auprès de personnalités mais qui sont adressées au grand public par le biais des médias généraux et des réseaux sociaux. »

ii.   La prise illégale d’intérêts

La prise illégale d’intérêts elle est définie à l’article 432-12 comme « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ». Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros.

La loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a précisé que, s’agissant des magistrats, la prise illégale d’intérêt correspond au fait d’avoir un intérêt « dans une entreprise ou dans une opération à l’égard de laquelle elle a la charge de prendre une décision judiciaire ou juridictionnelle ([366]) » qui soit de nature à influer sur « l’exercice indépendant, impartial et objectif de sa fonction ».

L’article 432‑13 prévoit une période de trois ans suivant la cessation de ses fonctions pendant laquelle un ancien membre du Gouvernement, titulaire d’une fonction exécutive locale ou agent public ne peut pas être rémunéré par une entreprise dont il aurait assuré la surveillance ou le contrôle dans l’exercice de ses fonctions. Le non-respect de ce délai, surnommé « délit de pantouflage », est puni de trois ans d’emprisonnement et de 200 000 euros d’amende. Depuis 2017, il s’applique également aux anciens membres d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante ([367]).

La période courant à compter de la cessation des fonctions avait été abaissée de cinq à trois ans par la loi n° 2007‑148 du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique.

Au cours des auditions de la commission d’enquête, la question s’est posée de savoir s’il serait opportun d’étendre le champ de ce délit aux anciens élus, hauts fonctionnaires et militaires qui rejoindraient une entreprise privée étrangère, susceptible de porter atteinte aux intérêts de la France.

M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieur (DGSI) admet qu’une « interrogation subsiste au sujet de la tendance de nos cadres à haut potentiel, notamment ceux qui sont à la retraite, à dispenser leur savoir-faire dans des domaines ou des technologies sensibles, tels que le nucléaire ou l’aviation de chasse, pour le compte d’autres États. Il ne s’agit pas par principe d’empêcher un ingénieur de haut niveau de trouver à s’employer dans une compagnie étrangère, mais, dans certains domaines de niche ou de pointe essentiels à notre souveraineté, la question peut se poser de savoir dans quelle mesure quelqu’un peut ou non trouver à s’employer ailleurs sans le moindre examen de compatibilité. La question est délicate et mérite réflexion ([368]). »

M. Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), observe aussi que « s’agissant du contrôle de la reconversion d’anciens responsables publics dans le secteur privé, je note qu’en France aucun délai de carence ne s’applique, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays, où il est interdit aux anciens hauts responsables publics d’exercer une activité de lobbying ou de rejoindre une entreprise étrangère pendant un certain nombre d’années ([369]) ».

C’est également l’avis de M. Tenzer : « Dans la majorité des cas, travailler pour une puissance étrangère ne constitue pas un délit. Si vous êtes retraité de la fonction publique, ancien parlementaire ou ancien ministre, vous pouvez parfaitement faire du lobbying, de la communication, du conseil pour un État étranger ou une entreprise directement ou indirectement placée sous son contrôle. Nos instruments juridiques ne permettent pas d’appréhender parfaitement le cas de certaines personnes qui agissent en faveur d’une puissance étrangère, ce qui est un vrai problème. »

Concernant les moyens confiés à la détection des atteintes à la probité, notamment en lien avec des ingérences étrangères, M. Patrick Lefas, président de Transparency International France, propose que « la politique de lutte contre la corruption soit pilotée par le Premier ministre, avec un secrétariat confié à l’AFA [Agence française anticorruption], de façon à faire fonctionner l’ensemble des administrations qui concourent à la lutte contre la corruption ([370]) ». Il estime qu’il « existe en effet un continuum entre la lutte contre la corruption, le blanchiment et la fraude fiscale : si beaucoup d’efforts ont été faits, il faut décloisonner l’actuel fonctionnement en silo ». D’après lui, « l’enjeu est de détecter les pratiques corruptrices des États étrangers : les montages sont souvent assez sophistiqués et nécessitent beaucoup d’échanges d’informations, y compris au plan européen et international ».

De son côté, M. Hézard (OCLCIFF) déplore le manque de moyens de son service pour mener à bien ses missions : « Nous disposons, dans l’ensemble, de moyens suffisants en termes de savoir-faire et d’outils technologiques. Par ailleurs, le dispositif légal de prévention et de répression de la corruption est extrêmement abouti et efficace. Malheureusement, nous sommes sous-dimensionnés, ce qui nous empêche de mobiliser tous les moyens d’enquête nécessaires. Nous devons réserver nos ressources pour les affaires les plus intéressantes. »

b.   La prévention des conflits d’intérêts

Sur la question des ingérences étrangères, M. Migaud, président de la HATVP, indique que la mission de celle-ci « consiste à s’assurer que le responsable public n’est pas placé en situation de conflit d’intérêts et que sa probité ne puisse être remise en question, la prise de décision publique devant se faire dans l’intérêt général et non en servant des intérêts personnels ou extérieurs ».

Un conflit d’intérêts est défini par l’article 2 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

Pour prévenir ces situations, en application de l’article 20 de cette même loi, la HATVP contrôle, avec l’appui de l’administration fiscale, les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts des membres du Gouvernement, des députés, des sénateurs, des représentants français au Parlement européen ainsi que d’un grand nombre d’élus locaux : conseillers régionaux, conseillers départementaux, maires des communes de plus de 20 000 habitants, présidents des intercommunalités de plus de 20 000 habitants, adjoints aux maires des communes de plus de 100 000 habitants et vice-présidents des intercommunalités de plus de 100 000 habitants.

La HATVP effectue également ce contrôle pour les déclarations d’un certain nombre de responsables publics, parmi lesquels sont concernés :

– les membres des cabinets ministériels, les collaborateurs du Président de la République, du président de l’Assemblée nationale et du président du Sénat ;

– les membres d’autorités administratives indépendantes (AAI) et d’autorités publiques indépendantes (API) avec leurs directeurs, secrétaires généraux et adjoints ;

– les personnes nommées en conseil des ministres qui exercent des fonctions à la décision du Gouvernement ;

– les directeurs, directeurs adjoints et chefs de cabinet des conseils régionaux, des conseils départementaux, des collectivités d’outre-mer, des collectivités à statut particulier, des communes et des intercommunalités de plus de 20 000 habitants ;

– les présidents et directeurs généraux d’établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) et des sociétés contrôlées par des personnes publiques.

La HATVP se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d’intérêts dans lesquelles peuvent se trouver ces personnes et, le cas échéant, leur enjoint d’y mettre fin.

Elle peut se saisir d’office ou bien l’être par le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat. Lorsque la HATVP constate qu’une personne ne respecte pas ses obligations, elle en informe le président de l’assemblée concernée ou l’autorité de nomination, ou encore, s’agissant des membres du Gouvernement, le Premier ministre.

Lorsqu’il s’avère qu’une déclaration dissimule un manquement à la probité, tel que la prise illégale d’intérêts, la corruption ou le trafic d’influence (voir supra), la HATVP en informe le procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale.

D’après son rapport d’activité pour 2021, la HATVP a reçu 15 574 déclarations dont 1 550 ont conduit à des mesures de prévention d’un conflit d’intérêts et 11 seulement ont été transmises à la justice ([371]).

Son président observe que « dans l’ensemble, les responsables publics respectent largement leurs obligations auprès de la [HATVP] alors même que le niveau d’exigence de l’institution a été graduellement renforcé depuis sa création en 2014 » et ajoute « peu de situations justifient ainsi une transmission au parquet ».

En application de l’article 23 de la loi du 11 octobre 2013 précitée, la HATVP est également chargée de contrôler le départ vers le secteur privé, après la fin de leurs fonctions des membres du Gouvernement, des exécutifs locaux soumis à l’obligation de déclaration de patrimoine et d’intérêt et des membres des AAI et des API.

La loi n° 2019‑828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique lui a également transféré les compétences de l’ancienne commission de déontologie de la fonction publique (CDFP) : contrôle de la compatibilité du cumul d’activité des agents publics et avis sur les départs vers le secteur privé. La loi lui a, par ailleurs, confié un contrôle préalable à la nomination à un emploi public d’une personne issue du secteur privé.

En 2021, la HATVP a rendu 307 avis sur des projets de mobilité public-privé dont seulement 5,4 % ont été jugés incompatibles.

En audition, M. Migaud a donné l’exemple d’avis rendus sur des projets d’anciens ambassadeurs français qui souhaitaient travailler au sein de sociétés étrangères : « Pour prévenir les risques d’ordre déontologique, [la HATVP] a pu encadrer les futures relations professionnelles des intéressés en leur interdisant d’exercer une activité de représentation d’intérêts pour le compte de leur nouvel employeur auprès du Quai d’Orsay, auprès de l’ambassade de France dans le pays où ils avaient auparavant été ambassadeurs, ou même auprès des autorités de ce pays. »

Autre exemple, « la Haute Autorité a empêché la reconversion d’un agent public chargé du suivi des participations de l’État au sein de l’Agence des participations de l’État qui souhaitait rejoindre une entreprise étrangère, à la fois partenaire et concurrente de l’entreprise française dont l’agent assurait la surveillance. La Haute Autorité a émis un avis d’incompatibilité au regard du risque de prise illégale d’intérêts susceptible d’être caractérisée, dans la mesure où l’agent public avait formulé des analyses sur un projet de coopération avec l’entreprise étrangère, mais aussi en raison du risque déontologique lié au caractère stratégique du secteur et à la nécessité de protéger l’indépendance de l’État français, dès lors que cette personne avait été destinataire d’un certain nombre d’informations confidentielles – c’est bien pourquoi, du reste, l’entreprise concurrente voulait le recruter. »

Si M. Migaud affirme que « beaucoup de progrès ont été réalisés pour prévenir les atteintes à la probité, ce dont les citoyens ne sont d’ailleurs pas totalement conscients », M. Tenzer (CERAP) pense, au contraire, qu’il « devrait être possible d’interdire bien plus strictement les conflits d’intérêts potentiels. Une loi américaine en cours d’examen prévoit l’interdiction, pour les anciens responsables politiques et administratifs, anciens ministres, présidents, élus, mais également pour les anciens fonctionnaires civils et militaires, de travailler pour le compte d’une puissance étrangère […]. » Il est gêné par le fait « que des officiers généraux ou d’anciens hauts fonctionnaires soient invités régulièrement pour évoquer le dialogue franco-russe, toujours dans le même sens ».

À l’inverse, M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, considère que « s’agissant des élus au plan national, [il] voi[t] mal ce que l’on peut proposer de plus car, et c’est heureux, doivent être conciliés les principes à valeur constitutionnelle de respect de la vie privée, de proportionnalité, d’utilité et de pertinence ». Il juge que « tous les dispositifs déclaratifs et d’investigation ont été mis en œuvre pour garantir la probité des élus ([372]) ».

c.   L’encadrement de l’activité des représentants d’intérêt

Au cours de son audition, M. Patrick Lefas (Transparency International France) a considéré que « les problèmes d’ingérence étrangère peuvent être résolus par la transparence de la vie publique et par l’encadrement du lobbying ». Il a estimé que « le contrôle du lobbying des États étrangers, par l’intermédiaire de leurs faux-nez, répond à un enjeu de sécurité nationale, en dépit de l’efficacité de nos services de renseignement ». Il a constaté que « l’encadrement de ces activités, en instaurant plus de transparence lorsque des intérêts sont en jeu – en utilisant l’open data et les données apparaissant notamment dans le répertoire de la HATVP –, protège les parlementaires concernés et l’exécutif ».

En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 ([373]), la HATVP répertorie les actions de lobbying des représentants d’intérêts et les moyens qu’ils y consacrent. Ce répertoire est public.

L’article 18‑2 de la loi du 11 octobre 2013 considère comme relevant d’une activité de représentant d’intérêts le fait « d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication avec :

« 1° Un membre du Gouvernement, ou un membre de cabinet ministériel ;

« 2° Un député, un sénateur, un collaborateur du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, d’un député, d’un sénateur ou d’un groupe parlementaire, ainsi qu’avec les agents des services des assemblées parlementaires ;

« 3° Un collaborateur du Président de la République ;

« 4° Le directeur général, le secrétaire général, ou leur adjoint, ou un membre du collège ou d’une commission investie d’un pouvoir de sanction d’une autorité administrative indépendante ou d’une autorité publique indépendante […] ;

« 5° Une personne titulaire d’un emploi ou d’une fonction [à la décision du Gouvernement et nommée en conseil des ministres] ;

« [les membres d’un exécutif local], sous réserve d’un seuil d’application fixé à plus de 100 000 habitants pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.

« 7° Un agent public [tenu d’adressé à la HATVP une déclaration de situation patrimoniale] ».

Quant au décret n° 2017‑867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, il énumère les actions pouvant viser à influencer une décision publique :

«  organiser des discussions informelles ou des réunions en tête-à-tête ;

«  convenir pour un tiers d’une entrevue avec le titulaire d’une charge publique ;

«  inviter ou organiser des évènements, des rencontres ou des activités promotionnelles ;

«  établir une correspondance régulière (par courriel, par courrier…) ;

«  envoyer des pétitions, lettres ouvertes, tracts ;

«  organiser des débats publics, des marches, des stratégies d’influence sur internet ;

«  organiser des auditions, des consultations formelles sur des actes législatifs ou d’autres consultations ouvertes ;

«  transmettre des suggestions afin d’influencer la rédaction d’une décision publique ;

«  transmettre aux décideurs publics des informations, expertises dans un objectif de conviction. »

La HATVP s’assure également du respect, par les représentants d’intérêt, des règles déontologiques prévues par les articles 18‑4 et 18‑5 de la loi du 11 octobre 2013, introduites par la loi Sapin 2, et relatives à l’exercice de leurs activités au sein des assemblées parlementaires, des autorités gouvernementales et administratives et des collectivités territoriales. D’après celles-ci, les représentants d’intérêts « exercent leur activité avec probité et intégrité ».

En 2021, près de 2 400 entités étaient inscrites sur le répertoire des représentants d’intérêt. 188 d’entre elles ont fait l’objet de contrôles approfondis.

M. Migaud reconnaît néanmoins que « le cadre législatif et réglementaire actuel est trop complexe et mérite d’être revu ». Selon lui, « il accuse quelques manques, notamment les associations cultuelles, qui peuvent être un vecteur d’influence pour des États étrangers et qui sont pourtant exclues de la catégorie des représentants d’intérêts ».

Par ailleurs, le décret du 9 mai 2017 précité a récemment fait l’objet d’une mission d’information de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale qui a rendu ses conclusions le 3 mai 2023. Ses rapporteurs, M. Gilles Le Gendre et Mme Cécile Untermaier, sont partisans d’évolutions législatives de manière à « aider la pratique fructueuse de la transparence ». Ils recommandent notamment d’apprécier l’activité de représentation d’intérêts au niveau de la personne morale et non pas au niveau des personnes physiques qui composent la personne morale. Ils appellent également le législateur à doter la HATVP d’un pouvoir de sanction administrative afin d’améliorer l’efficacité du dispositif « en ouvrant la possibilité de sanctionner plus rapidement des agissements ou des omissions qui n’appellent pas l’engagement immédiat de poursuites pénales, mais qui doivent néanmoins être réprimés, ou a minima promptement rectifiés ([374]) ». Ils se prononcent également bien sûr en faveur de modifications du texte du décret, en vue, par exemple, de préciser la nature des informations que doivent produire les représentants d’intérêts.

M. Stéphane Bouillon (SGDSN) estime, pour sa part, qu’il faut faire évoluer les modalités d’encadrement des activités de lobbying : « La loi Sapin 2 vise celles qui revêtent une nature professionnelle. Les autres posent problème : certaines personnes sont instrumentalisées dans le but de se livrer à ces activités. Peut-être faudrait-il faire évoluer le droit pour les prendre en compte et parvenir à plus de transparence, par exemple en confiant cette mission à la HATVP. »

La rapporteure partage la volonté de ses deux collègues de la commission des lois d’œuvrer à plus de transparence dans l’encadrement de l’activité des représentants d’intérêts.

B.   les règles de financement de la vie politique, fondées sur la transparence, garantissent une certaine étanchéité vis-à-vis de l’étranger

L’encadrement du financement des partis politiques et des campagnes électorales fait partie des mesures de prévention des ingérences étrangères. Il s’inscrit dans le cadre plus large posé par la loi n° 88‑227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique et renforcé par la loi n° 2017‑1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

Le régime juridique actuel entend concilier la transparence et la limitation des ressources financières d’origine étrangère avec le respect des droits et libertés que la Constitution garantit aux partis politiques. En effet, son article 4 dispose, d’une part, que « les partis et groupements politiques […] se forment et exercent leur activité librement » et, d’autre part, que « la loi garantit […] la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».

Ce même article dispose également qu’« ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie », ce qui justifie les restrictions particulières relatives aux financements étrangers.

Si le système actuel peut apparaître comme suffisamment restrictif, il comporte néanmoins quelques lacunes, notamment en ce qui concerne les prêts accordés par des personnes physiques étrangères et les capacités de contrôle de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politique (CNCCFP) de l’origine réelle de financements autorisés.

Le tableau ci-après résume l’ensemble des cas de figure concernant le financement des partis.


tableau récapitulatif des règles de financement privé des partis politiques et des campagnes électorales

Source de financement

Dons et cotisations

Prêts et garanties

Personnes physiques

de nationalité française ou résidant en France

autorisés

(dans la limite de 7 500 euros par an pour des partis et de 4 600 euros par élection pour des candidats)

autorisés

(dans la limite du taux d’intérêt légal et, pour les partis, de 24 mois et 15 000 euros, pour les candidats, de 18 mois et du plafond des dépenses de campagne)

de nationalité étrangère et ne résidant pas en France

interdits

(aucune précision dans les lois et règlements)

Personnes morales

de droit interne

interdits

(sauf autres partis)

interdits

(sauf autres partis et banques)

de droit étranger (dont États)

interdits

(même indirectement)

interdits

(sauf banques domiciliées dans l’UE ou l’EEE)

Source : commission d’enquête.

1.   Les partis politiques et leurs candidats ne peuvent recevoir de versements de la part d’une personne physique étrangère ou résidant à l’étranger, mais ils peuvent emprunter auprès de n’importe quelle personne physique

Avant d’aborder la question spécifique des contributions individuelles en provenance de l’étranger, il convient de rappeler le cadre général du financement des partis politiques et des campagnes électorales de la part des personnes physiques.

a.   De manière générale, les contributions des personnes physiques sont plafonnées

Les contributions financières aux partis politiques et aux campagnes électorales peuvent prendre la forme de dons, de cotisations et de prêts.

i.   Les dons et les cotisations

En application de l’article 11‑4 de la loi du 11 mars 1988, une personne physique peut consentir un don ou verser une cotisation à un ou plusieurs partis ou groupements politiques.

Toutefois, la totalité des versements ne peut excéder 7 500 euros par an, tous partis confondus. Le caractère global de ce plafonnement a été introduit par l’article 15 de la loi n° 2013‑907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique afin d’éviter la multiplication de micro-partis ayant pour objet de contourner la limite de 7 500 euros, jusqu’alors posée pour une seule formation.

Les partis politiques bénéficiaires doivent communiquer à la CNCCFP la liste des personnes leur ayant versé des dons et cotisations ainsi que les montants.

Les dons aux partis ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu (IR) égale à 66 % de leur montant, en application de l’article 200 du code général des impôts (CGI). Le montant total est plafonné à 15 000 euros par an et par foyer fiscal (le plafond de 7 500 euros mentionné ci-avant est, quant à lui, individuel). D’après la direction générale des finances publiques (DGFIP), environ 56 millions d’euros de dons ont été déclarés par près de 153 000 foyers fiscaux en 2020.

Dans son rapport d’activité pour 2021, la CNCCFP rappelle que « les cotisations versées en qualité d’adhérent par des personnes physiques et les dons consentis par les sympathisants représentent traditionnellement la base du financement ». En 2020, le montant total des cotisations des militants s’élevait à 17,9 millions d’euros. Cinq partis ([375]) concentraient 61 % de ce montant. Les contributions des élus représentent un chiffre quasi équivalent (18 millions d’euros). Quant aux dons, ils atteignaient 25,1 millions d’euros (dont 41 % pour les cinq partis évoqués).

Les mêmes règles sont applicables aux campagnes électorales, à l’exception du plafond qui est fixé à 4 600 euros par donateur et par élection par l’article L. 52‑8 du code électoral ([376]).

ii.   Les prêts

L’article 11‑3‑1 de la loi du 11 mars 1988 et l’article L. 52‑7‑1 du code électoral, respectivement introduits par les articles 25 et 26 de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, autorisent les personnes physiques à consentir des prêts « dès lors qu’[ils] ne sont pas effectués à titre habituel ».

Depuis le 1er janvier 2018, les partis et groupements politiques peuvent emprunter dans les conditions suivantes ([377]) :

– taux d’intérêt compris entre zéro et le taux d’intérêt légal, soit inférieur à 4,47 % au premier semestre 2023 ;

– durée inférieure ou égale à 24 mois ;

– plafond de 15 000 euros.

Les contrats de prêt ainsi que l’état de leur remboursement doivent être communiqués à la CNCCFP par le parti emprunteur.

Dans son rapport d’activité, la commission observe que « les emprunts auprès de personnes physiques ont nettement augmenté [entre 2018 et 2020], passant de 7,2 à 16,5 millions d’euros ». Son président, M. Jean‑Philippe Vachia, précise : « Nous constatons une montée en puissance des prêts consentis par des personnes physiques, notamment pour les candidats du Rassemblement national et de La France insoumise [lors des dernières élections municipales, départementales et régionales] ([378]) ».

Quant aux candidats aux élections, ils ne peuvent emprunter pour une durée supérieure à 18 mois. Le montant total dû ne peut être supérieur au plafond de remboursement forfaitaire des dépenses de campagne (article R. 39‑2‑1 du code électoral).

La rapporteure n’ignore pas les difficultés que de nombreux partis ou candidats peuvent rencontrer pour trouver un prêt. Cette question a été analysée en décembre 2021 par nos collègues Yaël Braun-Pivet et Philippe Gosselin, rapporteurs de la mission d’information de la commission des lois sur l’impact de la loi organique et de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ([379]). Il conviendra de poursuivre la réflexion sur certaine pistes.

Recommandation n° 4 : Poursuivre, dans la suite de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, et comme le préconise le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, la réflexion pour améliorer de manière concrète et proportionnée l’accès des formations politiques et des candidats aux prêts bancaires, le cas échéant en l’adossant à un établissement bancaire désigné.

b.   Les dons ne peuvent provenir que de personnes ayant la nationalité française ou qui résident en France

L’article 11‑4 restreint aux seules personnes physiques de nationalité française ou résidant en France la possibilité de consentir des dons à un parti ou à un candidat ([380]).

En conséquence, une personne de nationalité étrangère mais ayant sa résidence en France peut verser une somme d’argent à un parti politique français ou à un candidat à une élection locale ou nationale, de même qu’un Français qui résiderait à l’étranger. « Par exemple, un Chinois résidant en France peut consentir un don à une campagne », indique M. Vachia.

Cette disposition n’a été introduite qu’en 2017 par la promulgation de la loi pour la confiance dans la vie politique (article 25).

Au cours de son audition, le président de la CNCCFP a souligné la difficulté d’effectuer un contrôle effectif sur le respect de cette condition de nationalité ou de résidence :

« Nous pouvons alors seulement constater, s’agissant des dons, qu’une procédure permet au mandataire de s’assurer que la personne qui consent le don est de nationalité française ou réside en France. Cependant, nous n’avons aucun pouvoir d’investigation et nous ne pouvons pas demander aux impôts si une personne est effectivement résident fiscal ou non. Nous n’avons que la déclaration, et effectuer une fausse déclaration expose une personne à des poursuites. Si nous avons des suspicions, nous pouvons saisir Tracfin. »

Toutefois, cette condition de nationalité ou de résidence ne s’applique pas aux cotisations versées aux partis par leurs adhérents, ce qui « semble résulter d’un oubli du législateur » d’après le président de la CNCCFP pour qui, « concrètement, une personne étrangère a la possibilité de cotiser à un parti politique ».

Les risques en matière d’ingérence étrangère doivent néanmoins être relativisés. M. Vachia estime que « la probabilité qu’il y ait des cotisations massives de personnes de nationalité étrangère [lui] semble très faible ».

c.   Dans le silence de la loi, les prêts de personnes physiques étrangères sont permis

La loi ne précise pas, en revanche, si des personnes physiques de nationalité étrangère ont la possibilité d’accorder des prêts à des partis ou candidats en France.

M. Vachia expose les problèmes que pose le silence de la loi concernant les prêts de personnes physiques de nationalité étrangère et ne résidant pas en France :

« Aucune condition de nationalité ne s’applique aux prêts des personnes physiques et aucun plafond n’y est appliqué. Une même personne peut donc consentir un prêt de plusieurs centaines de milliers d’euros tant qu’il ne dépasse pas 47,5 % du plafond des dépenses électorales. Pour les prêts aux campagnes électorales, nous [la CNCCFP] opérons un contrôle à travers le compte bancaire du mandataire. Nous pouvons donc vérifier l’origine immédiate d’un prêt, mais nous n’avons cependant pas la capacité de remonter en arrière. Lorsque les sommes sont très importantes, nous pouvons demander à la personne quelle est l’origine de l’argent. Si nous avons quelque suspicion, nous pouvons saisir Tracfin, mais nous ne pouvons pas demander à Tracfin de mener des investigations pour notre compte. »

C’est pourquoi il estime « qu’il faudrait un meilleur encadrement des prêts des personnes physiques ».

La rapporteure estime qu’il convient en effet de combler la lacune de notre droit et de préciser que les prêts de personnes étrangères ne résidant pas en France sont interdits.

Recommandation n° 5 : Interdire explicitement les prêts de personnes étrangères ne résidant pas en France pour le financement des partis politiques ou des campagnes électorales.

Par ailleurs, et compte tenu du fait que la communication d’informations par Tracfin à la CNCCFP n’est pas légalement possible, son président plaide pour que, dans le cadre de ses missions et en cas de doute, la CNCCFP puisse être habilitée par la loi à saisir cette cellule de renseignement financier ([381]) afin qu’elle lui indique si des mouvements financiers sur les comptes alimentant une campagne ont fait l’objet de déclarations.

Ce pouvoir serait d’autant plus judicieux que M. Vachia indique que la CNCCFP « n’a absolument pas les moyens de savoir qu’un financement provient de l’étranger, sauf si certains prêts ont été consentis par des personnes de nationalité étrangère et vivant ailleurs qu’en France », ce qui limite ses capacités de contrôle en cas de montage financier faisant intervenir plusieurs intermédiaires entre des fonds étrangers et un parti ou un candidat français. M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, a confirmé à la rapporteure que cette évolution serait d’une grande utilité pour lutter contre les ingérences étrangères dans la vie politique nationale.

Recommandation n° 6 : Permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de saisir Tracfin et permettre à Tracfin de transmettre des informations à la CNCCFP.

2.   Les partis politiques et leurs candidats ne peuvent recevoir de financements de la part de personnes morales de droit étranger, à l’exception des prêts accordés par des banques européennes

Avant d’aborder la question spécifique des financements en provenance d’entités étrangères, il convient de présenter les règles générales propre aux contributions des personnes morales, publiques ou privées.

a.   Le cadre général du financement par des personnes morales est celui d’une interdiction de principe

À l’exception des partis eux-mêmes, les personnes morales ne peuvent financer des formations politiques et des campagnes électorales « ni en consentant des dons […], ni en leur fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués ».

Cette interdiction a été posée par la loi n° 95‑65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique.

D’après la CNCCFP, environ 7,5 millions d’euros de contributions ont été versés par des partis à d’autres partis, notamment par le biais d’un reversement de l’aide publique (voir infra) consécutif à des accords électoraux.

Seuls les partis eux-mêmes et les banques peuvent consentir des prêts ou apporter leur garantie aux prêts octroyés depuis l’adoption de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

À la différence des personnes physiques, aucune règle ne fixe de plafond ou de conditions d’encadrement des prêts consentis par des établissements de crédit, des sociétés de financement et des partis politiques.

Concernant les emprunts auprès de partis politiques, M. Vachia rappelle :

« Un parti est libre de financer totalement ou partiellement une campagne électorale et il peut être amené à contracter un emprunt pour ensuite le diviser et effectuer des prêts aux candidats selon le principe du prêt "miroir". Dans ce cas, les prêts consentis aux candidats doivent répondre aux mêmes conditions que l’emprunt contracté par le parti politique. Mais on n’avait sans doute pas pensé au départ qu’un parti pourrait contracter des emprunts auprès de personnes physiques avant de les redistribuer sous forme de prêts aux candidats. Ce procédé est légal, mais il n’avait pas réellement été envisagé. »

La CNCCFP constatait que les dettes et emprunts après de banques s’élevaient à 33,8 millions d’euros en 2020 et qu’ils avaient diminué de moitié par rapport à 2018.

La difficulté pour certains partis d’accéder au financement bancaire est un leitmotiv qui revient régulièrement dans l’argumentation du Rassemblement national concernant l’emprunt contracté auprès de banques étrangères, russe avant 2017 puis hongroise plus récemment ([382]).

Le président de la CNCCFP suggère de renforcer le droit à l’ouverture d’un compte de dépôt prévu à l’article L. 312-1 du code monétaire et financier : « La loi de 2017 avait prévu la possibilité de créer par ordonnance une banque de la démocratie. Pour ma part, je ne pense pas qu’il faille créer une banque ex nihilo, mais plutôt trouver un mécanisme d’automaticité d’ouverture d’un compte dans une banque de service public. »

Cet avis est pour partie partagé par le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, M. Jean‑Raphaël Alventosa, dans son dernier rapport ([383]), auquel M. Vachia a fait référence au cours de son audition. Il considère qu’« une solution radicale, type garantie des prêts par un groupe de banques et/ou par l’État, ne s’impose pas ». Il préconise plutôt de compléter les financements bancaires (réforme de la dotation de l’État, abaissement des seuils de suffrages pour obtenir les remboursements, dématérialisation de la propagande électorale…).

L’interdiction des contributions d’entreprises françaises aux partis et aux candidats est aussi une barrière pour d’éventuelles ingérences étrangères dans la mesure où de tels financements pourraient avoir une influence sur la position des élus vis-à-vis de puissances étrangères. Le sénateur André Gattolin, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique, donne l’exemple de la situation en Allemagne où, d’après lui, « en contrepartie de leur soutien financier aux grands partis politiques, les industriels attendaient une énergie bon marché, des débouchés commerciaux et des marchés de sous-traitance. Cela explique en partie les positions que le pays a adoptées à l’égard de la Chine ou de la Russie. Il ne faut pas sous-estimer le poids des milieux économiques dans les choix politiques ([384]). »

b.   Les dons en provenance d’entités étrangères sont strictement interdits

L’article 11‑4 de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique interdit aux partis et groupements politiques de « recevoir, directement ou indirectement, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger ». Il en est de même pour les candidats aux élections (article L. 52‑8 du code électoral).

La mention du caractère indirect interdit, en principe, à une personne physique de nationalité française ou qui réside en France de reverser une somme qu’elle aurait elle-même obtenue auprès d’un État étranger, par exemple. Cette interdiction absolue date de la loi n° 90‑55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.

c.   Les prêts en provenance de banques européennes sont permis

Toutefois, les établissements de crédit et les sociétés de financement ayant leur siège social dans un État membre de l’Union européenne (UE) ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) ([385]) peuvent consentir des prêts aux partis et groupements politiques français, ainsi qu’à leurs candidats, ou apporter une garantie aux prêts qui leur ont été octroyés, comme est venue le préciser la loi du 15 septembre 2017 précitée.

La condition d’installation du siège social fait que, pour M. Vachia, « une filiale d’une grande banque américaine ou chinoise qui aurait un agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) pourrait effectuer un tel prêt ».

Avant 2017, il n’existait donc aucune barrière à ce qu’une banque extra-européenne puisse accorder un prêt à un parti ou à un candidat français. Ainsi, « dans les comptes des partis politiques, le passé a un certain poids. Des emprunts contractés avant 2017 et qui continuent de vivre peuvent encore y figurer », ce qui est le cas de l’emprunt russe du Front national, devenu Rassemblement national, analysé dans la première partie du présent rapport.

Le Rassemblement national se trouve ainsi à rembourser un emprunt à une société russe, Aviazapchast, ce qui, en vertu des modifications législatives intervenues depuis 2014, date où le prêt initial a été contracté, serait illégal, uniquement parce que la CNCCFP, saisie de la cession de la créance du prêt russe initial, a conclu qu’il n’y avait pas, juridiquement parlant, de nouveau prêt.

3.   La participation de l’État au financement de la vie politique permet aux principaux mouvements politiques d’être moins dépendants de ressources privées

Le financement public de la vie politique comprend la dotation annuelle aux partis et à leurs groupements ainsi que les remboursements de certaines dépenses engagées par les candidats lors des élections.

a.   Les partis ayant présenté des candidats aux élections législatives ont droit à une aide publique dont le montant est fixé en loi de finances

En application de l’article 8 de la loi du 11 mars 1988, des crédits du budget général de l’État sont affectés au financement des partis politiques ([386]). Ce montant s’élève à 68,67 millions d’euros depuis une dizaine d’années.

Cette aide publique est composée de deux fractions égales réparties entre les partis en fonction :

– de leurs résultats aux dernières élections législatives ;

– du nombre de députés et de sénateurs qui déclarent s’y rattacher.

L’article 9 de la loi du 11 mars 1988 dispose que la première fraction du financement public est attribuée « aux partis et groupements politiques qui ont présenté lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions ».

Aucun nombre minimal de circonscriptions n’est imposé en outre-mer pour pouvoir bénéficier de cette première partie d’aide publique.

En 2022, le montant de cette première fraction de financement public s’est élevé à 32,08 millions d’euros, dont 0,17 million d’euros pour les partis ayant présenté des candidats exclusivement en outre-mer, après application d’un malus au titre du respect de la parité (– 2,25 millions d’euros) ([387]).

En métropole, seize partis ou groupements politiques ont bénéficié d’une partie de cette première fraction allant de 10,1 millions d’euros pour La République en marche à 67 186 euros pour le Parti animaliste.

La seconde fraction est versée aux partis et groupements politiques éligibles à la première fraction « proportionnellement au nombre de membres du Parlement qui ont déclaré […] y être inscrits ou s’y rattacher ».

En 2022, le montant total de cette seconde fraction s’est élevé à 34,07 millions d’euros. L’affiliation d’un député ou d’un sénateur donnait droit à 37 402 euros d’aide publique.

Au total, dix-neuf partis ou groupements politiques ont bénéficié de cette deuxième partie du financement de l’État correspondant à douze formations éligibles à la première partie en métropole ainsi qu’à sept partis ultramarins représentés au Parlement.

b.   L’État rembourse une partie des dépenses des candidats aux élections

L’État participe au financement des dépenses des candidats aux élections en prenant en charge les frais liés à la diffusion de la propagande électorale et en remboursant une partie des dépenses de campagne en fonction des suffrages obtenus.

En application de l’article R. 39 du code électoral, les frais d’impression des circulaires (dites « professions de foi »), des bulletins de vote et des affiches, sont remboursés par l’État à partir de 5 % des suffrages exprimés sur la base :

– d’un nombre de circulaires égal au nombre d’électeurs inscrits, majoré de 5 % (afin de tenir compte des risques de perte au moment de l’impression mécanique) ;

– d’un nombre de bulletins de vote égal au double du nombre d’électeurs inscrits (une moitié étant envoyée directement aux électeurs et l’autre moitié aux mairies pour la tenue des bureaux de vote), majoré de 10 % (correspondant à la précaution pour perte de 5 % multipliée par deux) ;

– de deux grandes affiches par emplacement (servant à la présentation des candidats) ;

– de deux petites affiches par emplacement (pour annoncer la tenue de réunions électorales).

Enfin, la diffusion de la propagande électorale est directement prise en charge par l’État lui-même. La mise sous pli est, en principe, effectuée par les préfectures mais peut être confiée à un prestataire externe (routeur) tandis que l’acheminement est délégué à un opérateur postal.

Les candidats aux élections ont droit à un remboursement forfaitaire de la part de l’État égal à 47,5 % de leur plafond de dépenses dès lors qu’ils ont obtenu au moins 5 % des suffrages au premier tour du scrutin (article L. 52‑11‑1 du code électoral).

Ce plafond de dépenses, fixé à l’article L. 52‑11 du même code, dépend de l’élection concernée et du nombre d’habitants. Par exemple, il est de 38 000 euros majoré de 0,15 euro par habitant de la circonscription pour un candidat au mandat de député.

Pour l’élection présidentielle, il est fixé depuis 2002 à 13,7 millions d’euros au premier tour et à 18,3 millions d’euros au second tour (article 3 de la loi du 6 novembre 1962 précitée).

Globalement, il est donc tout à fait pertinent de considérer que la législation française en matière de financement de la vie politique assure un niveau de protection très correct face aux risques d’ingérences étrangères.

C.   Des progrès dans la protection de l’économie française face aux ingérences

La prévention d’interventions hostiles envers nos entreprises passe par la sécurité économique mais aussi par la lutte contre l’instrumentalisation du droit à des fins d’ingérence.

1.   La sécurité économique

Aux termes de l’article 1er du décret n° 2019‑206 du 20 mars 2019 relatif à la gouvernance de la politique de sécurité économique, cette politique « vise à assurer la défense et la promotion des intérêts économiques, industriels et scientifiques de la Nation, constitués notamment des actifs matériels et immatériels stratégiques pour l’économie française. Elle inclut la défense de la souveraineté numérique. »

Pour assurer cette politique, le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique dispose d’un service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), rattaché à la direction générale des entreprises (DGE). Le directeur de cette dernière exerce d’ailleurs les fonctions de commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économique (CISSE).

Ce service à compétence nationale et à vocation interministérielle a été créé en 2016 ([388]). En application du décret du 20 mars 2019 précité, le SISSE a une mission de protection des actifs stratégiques de notre économie face aux ingérences étrangères.

a.   Le recensement des activités économiques sensibles

L’objectif du SISSE est donc de repérer le plus tôt possible des signaux faibles ou des alertes caractérisées sur les actifs stratégiques. Pour cela, le service utilise trois listes d’entités ou de technologies à protéger en priorité pour la souveraineté économique de la France :

– une liste nationale, confidentielle, d’entreprises stratégiques ;

– une liste de technologies critiques ;

– une liste de laboratoires et organismes publics de recherche.

Les entités et technologies recensées sont couvertes par le secret de la défense nationale.

Concernant la première liste, le chef du SISSE, M. Joffrey Célestin‑Urbain, affirme que son « référentiel est large et permet de couvrir tant des grands groupes que des sous-traitants critiques de certaines filières stratégiques, ou des PME [petites et moyennes entreprises] technologiques et des start-up ([389]) ». Sans révéler davantage d’informations sur les sociétés qui y sont recensées et pour souligner l’aspect novateur de cette liste, il indique que « la sécurité économique s’est construite en extension de l’approche traditionnelle de la souveraineté, laquelle cherchait à protéger l’outil de défense nationale, la base industrielle et technologique de défense, les industries de la sécurité, les moyens pour assurer l’ordre public ainsi que les secteurs aéronautique et spatial, compris dans une approche profondément régalienne ».

L’intérêt de la deuxième liste concernant les technologies critiques est qu’elle permet de protéger, par exemple, « la propriété intellectuelle d’une start-up qui ne fait pas partie de la première liste mais qui travaille à une technologie stratégique ».

Enfin, la dernière liste est la plus récente et entend réparer un « angle mort », celui du domaine de la recherche. Elle permet au SISSE d’assurer notamment la protection des unités mixtes de recherche et aux universités de taille moyenne, qui peuvent manquer de financements, face à des stratégies agressives consistant à remonter les chaînes de valeur – stratégies dites du « saumon sauvage » – afin de contourner l’obstacle du contrôle des investissements étrangers en France (voir infra).

Le SISSE joue ainsi un rôle de vigie interministérielle qui collecte des informations stratégiques issues de son réseau territorial ([390]), des entreprises qui le contactent de manière confidentielle ou encore des services de renseignement. M. Célestin‑Urbain précise : « Nous caractérisons ces informations et, lorsque nous sommes en présence d’une entreprise, d’un laboratoire ou d’une technologie stratégiques qui sont face à un acteur étranger que nous savons dangereux, cela donne une alerte de sécurité économique. […] En raison du caractère sensible de ces missions, nous travaillons avec toute une chaîne de décision placée au-dessus de nous, qui comprend le ministre de l’économie et des finances […], mais aussi la Première ministre et le Président de la République. »

b.   Le contrôle des investissements étrangers

Plusieurs outils sont à la disposition de l’État pour entraver une ingérence étrangère en matière économique, notamment en cas de projet de rachat ou de partenariat de recherche concernant une entité ou une technologie secrètement recensée.

L’article L. 151‑3 du code monétaire et financier (CMF) soumet à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les investissements étrangers en France (IEF) dans une activité qui participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines suivants :

– activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale ;

– activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives.

La liste exacte de ces activités est déterminée par l’article R. 151‑3 du même code, introduit par le décret, dit « Le Maire », du 31 décembre 2019 ([391]). Ses dispositions trouvent leur origine dans le décret, dit « de Villepin », de 2005 ([392]), pris dans le contexte de la rumeur du rachat de Danone par PepsiCo, qui avait précédé le décret, dit « Montebourg », de 2014 ([393]).

M. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique (2012-2014), a indiqué à la commission d’enquête que « ce décret a été très utilement renforcé en s’étendant à d’autres secteurs, notamment les biotechnologies et la robotique ([394]) ». Pour autant, « le sujet n’est pas tant la rédaction du décret que l’absence d’usage qui en est faite. Plutôt que de se focaliser sur son contenu, je préférerais qu’on l’applique régulièrement – sans forcément le crier sur tous les toits, d’ailleurs. »

Un IEF est constitué dès lors qu’un seuil de 25 % de détention des droits de vote d’une entité de droit français est franchi. Temporairement, ce seuil a été abaissé à 10 % depuis juillet 2020 ([395]) afin d’éviter des rachats opportunistes dans un contexte économique bouleversé par la pandémie de covid. Il demeurera en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023. Ainsi, « la France dispose de l’un des dispositifs de contrôle des IEF les plus étoffés avec un grand nombre de secteurs couverts ».

La rapporteure considère que l’abaissement de ce seuil de déclenchement a été une bonne chose et appelle de ses vœux, compte tenu de l’instabilité internationale persistante, la reconduction de la mesure sur une plus longue durée.

Concernant les alertes liées aux IEF et les menaces étrangères en général, le chef du SISSE explique :

« Les statistiques de l’année 2021 indiquent une très forte croissance des dossiers IEF, dépassant les 300 cas par an. Dans notre cadre plus général, nous observons également une très forte augmentation de la menace économique étrangère.

« Aux débuts de la plateforme, en 2020, nous avons détecté environ 350 alertes. Nous en sommes à 700 alertes par an en 2022 : certes notre capacité de détection s’est améliorée, mais il y a aussi une augmentation brute de la menace.

« À un rythme de soixante nouvelles alertes par mois, soit deux nouvelles par jour, nous devons absolument être capables de traiter tous les flux afin de n’avoir presque aucun stock d’alertes non traitées. Cela suppose toute une ingénierie administrative très efficace, qui nous permet de surcroît de mesurer objectivement, ce qui n’était pas possible auparavant, l’efficacité de la politique d’intelligence économique de l’État, puisque nous avons des chiffres, des processus et des informations en continu. »

L’assimilation d’un IEF à une ingérence étrangère est réalisée « au cas par cas ». M. Célestin-Urbain précise que l’analyse repose sur « un mélange de doctrine bien balisée, fondée sur les listes d’acteurs stratégiques à protéger au niveau français, et de souplesse, qui permet [au SISSE] d’adapter [sa] décision au profil de risque de l’investisseur étranger ». Le SISSE regarde « qui se cache derrière le fonds d’investissement, quels sont les fonds investis, qui est le bénéficiaire ultime et s’il a des liens avec des États étrangers » afin d’établir « une cartographie des risques autour de cet acteur ». M. Célestin‑Urbain indique qu’un investisseur installé dans un État membre de l’Union européenne (UE) ne bénéficie pas nécessairement d’un a priori positif car « il peut être utilisé comme un véhicule d’investissement par des intérêts tiers, pour des raisons juridiques ou fiscales par exemple ».

Environ 40 % des alertes sont de nature capitalistique. Elles peuvent effectivement relever d’IEF mais pas seulement. Par exemple, « un fonds d’investissement activiste peut, en ne possédant que quelques pourcents du capital de l’entreprise, déclencher une campagne de déstabilisation ou la pousser à prendre des mesures de gouvernance visant à accroître ses performances financière et opérationnelle ».

Une proportion équivalente d’alertes concerne la captation de propriété intellectuelle et d’informations sensibles.

Les 20 % restants « constituent un mélange disparate de difficultés financières que connaissent des entreprises stratégiques, de problèmes de réputation – des attaques de désinformation cherchant à compliquer le refinancement de l’entreprise et à nuire à son image – et de délinquance commune, comme des vols de propriété intellectuelle et des intrusions dans des sites sensibles ».

Les problèmes de financement des jeunes entreprises ou des organismes de recherche constituent un enjeu de sécurité économique dans la mesure où ils constituent des points de vulnérabilité pour les ingérences de puissances étrangères.

Il peut s’agir, par exemple, du « basculement du capital de start-up stratégiques à l’occasion d’une levée de fonds : pour elles c’est une chance, pour [l’État] c’est aussi une vulnérabilité ». Le fait qu’une telle entreprise « ne trouve aucun financement en France ou en Europe et se tourne vers des fonds étrangers peut avoir d’importantes conséquences ».

Il en est de même dans le monde de la recherche où il peut être tentant d’accepter le financement d’une entreprise appartenant à un pays manifestement hostile. M. Célestin‑Urbain rapporte ainsi qu’un « institut public de recherche de pointe en France s’est vu proposer par une entreprise chinoise un financement de 5 millions d’euros pour un programme de recherche d’une durée de trois à cinq ans ». Lorsque le SISSE l’a constaté, l’institut en question lui a répondu « qu’aucun acteur français n’avait manifesté son intérêt ou n’était capable de financer ce programme ».

Par ailleurs, la France dispose d’une économie ouverte ([396]), intégrée dans un marché unique européen fondé sur la libre circulation des capitaux et des personnes, qui a tout intérêt à attirer les IEF dès lors que ceux-ci ne traduisent pas une manœuvre malveillante, afin de financer une partie du déficit de la balance des transactions courantes. C’est pourquoi « ces situations sont pénibles à la fois pour l’État et pour les laboratoires ou les start-up : il est compliqué de refuser une solution qui s’avère être économiquement la meilleure ». Le ministre chargé de l’économie peut bloquer une opération, ou l’accepter moyennant « des garde-fous extrêmement lourds ». Pour M. Célestin‑Urbain, « cela nous rend parfois impopulaires, mais la souveraineté passe par là ».

Il convient cependant de souligner que ces dispositifs apparaissent encore fragiles face à la domination écrasante des multinationales américaines dans le domaine du numérique.

M. Arnaud Montebourg ne craint pas d’affirmer que « nous sommes devenus une colonie numérique des États-Unis, ce qui pose un problème en matière de souveraineté informationnelle et de maîtrise de nos données ». La réponse à ce problème nécessite certes des outils juridiques adaptés, mais elle dépend avant tout, selon lui, d’une véritable volonté politique en France et en Europe : « Nous nous sommes habitués à l’existence d’un abus de position dominante du moteur de recherche Google. Allez dans n’importe quel pays asiatique : Google y est absent. Nous nous sommes habitués à passer des accords économiques avec Google, Microsoft – même les armées en sont là ! Il nous faut sortir de cette situation, à laquelle nous nous sommes accoutumés, de colonisés numériques. Tous les autres pays du monde en sont à peu près au même point, mais certains ont organisé leur défense. Nous en avons les moyens : il ne nous manque que le leadership politique, d’abord au niveau européen mais également au niveau national. Nous avons un retard stratégique dans le déploiement de moyens de défense. L’application du décret de 2014 devrait être automatique ! »

Il est utile de rappeler que, depuis la période où M. Montebourg a exercé ses fonctions ministérielles, une prise de conscience européenne s’est effectuée et que des avancées ont été réalisées, au sein des institutions européennes, grâce à certaines législations, comme le Digital Services Act, le Cybersecurity Act ou encore des mécanismes de filtrage des investissements directs étrangers.

2.   La lutte contre l’instrumentalisation du droit à des fins d’ingérence économique

La Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) a publié, en juillet 2019, un document présentant les enjeux prioritaires du renseignement ([397]), parmi lesquels figurent la défense et la promotion de notre économie. L’un des volets de cet enjeu prioritaire est la lutte contre l’instrumentalisation des champs normatifs ou contentieux :

« L’édiction, par des États ou des entités non étatiques, de normes y compris à portée extraterritoriale, peut s’accompagner d’actions d’influence agressives dans les instances de production des normes.

« On assiste par ailleurs à un développement des enquêtes d’autorités judiciaires étrangères à l’encontre des entreprises françaises commerçant à l’international sur la base de lois offensives à portée extraterritoriale. Ces procédures contentieuses ont fréquemment pour effet – recherché ou non – de contraindre les entreprises visées à transférer des actifs essentiels à leur prospérité (informations confidentielles relatives aux dirigeants, clients et fournisseurs, informations financières, brevets et savoir-faire technologiques...), ou à se retirer de certains marchés. »

a.   Les menaces posées par le lawfare d’États étrangers

Appelée lawfare ([398]) ou « guerre du droit », cette modalité d’ingérence étrangère a été abordée à plusieurs reprises au cours des auditions, notamment par référence à l’application extraterritoriale de lois américaines comme la répression de la corruption d’agents publics étrangers (Foreign Corrupt Practices Act, FCPA) ou encore la réglementation du trafic d’armes au niveau international (International Traffic in Arms Regulations, ITAR).

L’extraterritorialité du droit des États-Unis repose sur la compétence des tribunaux américains du fait, par exemple, de la cotation sur la place boursière de New York ou de l’utilisation du dollar comme monnaie d’une transaction commerciale.

M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier, dresse un tableau des sanctions prononcées par la justice des États-Unis contre des entreprises dans le cadre du FCPA :

« À partir de 2007, la politique de poursuites menée par les Américains a conduit à la multiplication des amendes records – avec 448 millions de dollars infligés à Siemens en 2008, 772 millions de dollars à Alstom en 2014 et 420 millions de dollars à VimpelCom, société néerlandaise, en 2016. La barre du milliard de dollars de sanctions cumulées a été franchie en 2011.

« Cette tendance se poursuit. En 2020, une amende record de 3,3 milliards de dollars a été infligée à Goldman Sachs pour sanctionner ses activités de pillage de fonds souverains en Malaisie. On trouve également une amende record avec la part de 550 millions de dollars revenant aux États-Unis au titre de l’amende contre Airbus  dont le total s’élève à 3,6 milliards d’euros. Les États-Unis étaient partie à la CJIP [convention judiciaire d’intérêt public] que le PNF [parquet national financier] avait pilotée. En 2020, sur les douze entreprises sanctionnées, sept étaient américaines  les autres étant étrangères.

« Si l’on considère les dix sanctions les plus importantes prononcées au titre de la loi de 1977, on constate tout d’abord que le montant des amendes se situe entre 585 millions de dollars et 3,3 milliards de dollars. Ensuite, les entreprises visées sont principalement européennes  trois françaises, deux suédoises, une allemande et une néerlandaise  contre une entreprise américaine et une brésilienne. Enfin, les montants records sont plutôt récents : six d’entre eux ont été prononcés au cours des trois dernières années.

« Ces affaires traduisent très clairement une ingérence du droit américain en direction des entreprises françaises. Pour compléter ce panorama, il faut y ajouter la sanction de 9 milliards de dollars prononcée en 2014 contre BNP pour violation d’embargo ([399]). »

Concernant l’ITAR, M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) auprès de la Première ministre, explique :

« Quand une réglementation comme [l’ITAR] permet aux autorités d’un État, dès lors qu’un produit vendu dans un autre pays contient un composant fabriqué sur son sol, de vérifier si la vente est conforme aux règles qu’il a édictées, il peut s’agir d’une forme d’ingérence, selon la façon dont c’est appliqué. C’est ce que font les Américains depuis plusieurs années, mais aussi les Chinois : ceux-ci ont copié, dans l’esprit, le Patriot Act américain et, profitant de leur puissance économique, essaient de s’ingérer dans les économies étrangères.

« Des discussions sont engagées avec l’État concerné. Lorsque les Américains ont des questions à poser aux entreprises, ils passent dorénavant par le SGDSN, avec l’appui de la DGE. Nous vérifions que ces questions sont en rapport avec l’activité de l’entreprise et évaluons l’intérêt de cette dernière. Si nous considérons que certaines de ces questions sont intrusives, qu’elles visent à connaître des secrets de fabrication, nous expliquons à nos amis américains que nous ne jugeons pas la démarche nécessaire à la manifestation de la vérité et nous la bloquons.

« C’est beaucoup plus compliqué avec les Chinois. Quoi qu’il en soit, nous essayons de progresser dans ce domaine pour contrer les attaques ([400]). »

Comme elle l’a déjà précisé, la rapporteure considère que ces formes d’ingérence, aussi néfastes soient-elles pour nos entreprises, se situent à la lisière du champ de cette commission d’enquête qui porte sur les ingérences étrangères « visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ».

Par ailleurs, la rapporteure rappelle que la France a fait d’importants progrès dans la prévention de ce type d’instrumentalisation du droit par des États étrangers, notamment grâce à l’adoption de la loi Sapin 2 ([401]).

b.   La loi de blocage, récemment renforcée, protège les entreprises françaises de la divulgation de données sensibles

Depuis 1968, il existe une loi, dite « de blocage » ([402]), visant à interdire de « communiquer par écrit, oralement ou sous toute autre forme, en quelque lieu que ce soit, à des autorités publiques étrangères, les documents ou les renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à l’ordre public, précisés par l’autorité administrative en tant que de besoin ».

La loi de blocage, qui n’avait pas été réformée depuis plus de quarante ans, a été renforcée par le décret du 18 février 2022 ([403]). Elle permet aux entreprises françaises confrontées à des demandes intrusives d’informations sensibles de la part d’autorités de poursuite étrangères de se tourner vers l’administration pour un accompagnement.

Le décret permet, en effet, de mettre en œuvre des procédures d’information à destination du SISSE concernant toute demande de communication pouvant porter sur ces documents et renseignements. Il confie à ce même service la mission de rendre un avis portant sur l’applicabilité de la loi de blocage.

c.   La loi Sapin 2 protège les entreprises françaises d’accusations de corruption d’agents publics étrangers de la part de juridictions étrangères

Une vingtaine d’années après la première loi Sapin ([404]), la loi Sapin 2 vise en premier lieu à améliorer la lutte contre la corruption. Elle fait notamment suite à l’évaluation réalisée par l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) en octobre 2012 sur la mise en œuvre par la France de la convention sur la lutte contre la corruption ([405]). Le projet de loi s’appuyait également sur le rapport du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), M. JeanLouis Nadal, d’avril 2016 : Renouer la confiance publique.

Les apports de ses dispositions ont été jugés positivement par la dernière phase d’évaluation du groupe de travail de l’OCDE sur l’application de la convention anticorruption en décembre de la même année. Au cours de l’audition de représentants de cette organisation internationale, Mme Sandrine Hannedouche‑Leric, coordinatrice de l’évaluation de phase 4 de la France a déclaré :

« L’OCDE a globalement salué les efforts réalisés par la France pour étendre et renforcer son cadre législatif et redevenir un interlocuteur crédible parmi les quarantequatre pays parties à la convention.

« Au titre des mécanismes salués, je mentionnerai la création du parquet national financier (PNF), et surtout de l’Agence française anticorruption (AFA) par la loi Sapin 2, qui a non seulement permis d’introduire un mécanisme de prévention de la corruption avec une infraction administrative de nonconformité pour les grandes entreprises, mais également la convention judiciaire d’intérêt public. Cette dernière, d’ores et déjà mise en œuvre, a permis la résolution coordonnée d’affaires particulièrement importantes ([406]). »

i.   L’Agence française anticorruption

La loi Sapin de 1993 avait déjà créé un service central de prévention de la corruption (SCPC), placé auprès du ministre de la justice, chargé de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêts ou d’atteinte à la liberté et à l’égalité des candidats dans les marchés publics.

La loi Sapin 2 lui substitue l’AFA, service à compétence nationale, également placé auprès du ministre de la justice mais aussi auprès du ministre chargé du budget. Elle a pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.

À la différence du SCPC, l’AFA contrôle la qualité et l’efficacité des mesures anticorruption mises en place par les acteurs publics et les grandes entreprises (plus de 500 salariés ou chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros). Ces dispositifs consistent, pour les sociétés, en un code de conduite, un dispositif d’alerte interne, une cartographie des risques, des procédures d’évaluation et de contrôle, des dispositifs de formation ainsi qu’un régime disciplinaire. Elle contrôle également l’exécution des programmes de conformité contenus dans les CJIP (voir infra) conclues avec l’autorité judiciaire.

En cas de manquement constaté, l’AFA peut saisir une commission des sanctions pouvant prononcer des injonctions et infliger des amendes.

ii.   La convention judiciaire d’intérêt public

La CJIP fait l’objet d’une appréciation positive du groupe de travail de l’OCDE.

Ce dernier constate que « l’introduction de la CJIP en droit français en 2016 et la priorité donnée à la résolution des affaires de corruption d’agents publics étrangers par ce mode de résolution transactionnel ont entraîné un changement de paradigme en matière de responsabilité des personnes morales ([407]) ».

Au cours de son audition, le procureur de la République financier observait que « cet instrument nous a permis de nous hisser au même niveau que les États-Unis et le Royaume-Uni, qui disposaient de la fameuse procédure de deferred prosecution agreement (DPA) dont la CJIP est inspirée ». D’après le PNF, 5 milliards d’euros ont été versés au Trésor public dans le cadre de CJIP.

M. Michel Sapin, ancien ministre de l’économie et des finances, considère que la CJIP n’est pas la copie du système américain : elle « respecte la même logique, tout en respectant les principes du droit français – en particulier, la décision revient à un juge du siège ». Il relativise également le fait que la poursuite d’entreprises françaises par la justice américaine l’ait uniquement été dans un but d’instrumentalisation du droit :

« Je vais aux ÉtatsUnis et rencontre l’adjoint du Department of Justice (DOJ) spécialisé sur ces questions qui m’explique la méthode et les mécanismes américains. Je lui demande pourquoi les ÉtatsUnis sont aussi méchants avec les entreprises françaises. Il argumente pour me prouver le contraire, puis, pour clore la discussion, il me dit : “You don’t do the job, so I do it.” Pour le ministre de la République que j’étais, la souveraineté française était évidemment mise à mal par son incapacité à faire soi-même le travail.

« J’ai revu cette personne quelques années plus tard à l’occasion d’un colloque et il m’a dit : “So now, Michel, you do the job.” Nous étions à quelques semaines d’une décision très importante qui concernait Airbus. La CJIP avait été effectuée sous autorité française, menée par le parquet national financier, en lien avec les autorités américaines et anglaises, car une partie de l’avion était construite en Grande-Bretagne et des composants étaient couverts par l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR), un dispositif américain servant à contrôler les importations et exportations des objets et services liés à la défense nationale. Sur les près de 4 milliards d’euros d’amende, plus de la moitié est revenue au Trésor public français, alors qu’auparavant elle aurait été intégralement versée au Trésor américain ([408]). »

La loi Sapin 2 avait ainsi pour objet de faire en sorte que la justice française traite les problèmes français et retrouve, par la même occasion sa souveraineté judiciaire. Pour M. Charles Duchaine, directeur de l’AFA, « il convenait d’essayer de ne pas laisser les juridictions étrangères, sous prétexte de lutte contre la corruption, mener des investigations sur le territoire national ou mettre nos sociétés sous monitoring et in fine accéder à des informations stratégiques ([409]) ». Il estime que « la meilleure illustration de cette réussite s’est matérialisée par la signature en 2018 de la première convention judiciaire d’intérêt public, simultanément à la conclusion d’un deferred prosecution agreement (DPA) par les autorités américaines sur la Société Générale ». Il précise que « pour la première fois, les justices se rapprochaient et convenaient du principe d’une peine et de la répartition de l’amende ».

II.   médias, plateformes numériques, nouvelles technologies : principaux points de vulnérabilité ?

La France est régulièrement visée par des offensives de puissances étrangères hostiles par la voie d’« ingérences informationnelles » ou de cyber-attaques. La diffusion de fausses informations, notamment à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017 – les Macron Leaks , ou les cyber-attaques dont des hôpitaux français et des collectivités territoriales sont constamment victimes en sont l’illustration.

Dans ce contexte, la rapporteure souhaite souligner tout particulièrement l’importance de préserver la sécurité des espaces médiatiques, qu’ils soient numériques ou non, ainsi que celle des systèmes d’information qui sont autant de cibles pour les ingérences étrangères et donc de potentielles vulnérabilités pour notre pays.

A.   La « guerre informationnelle » : désinformation, manipulation, malinformation

L’un des aspects centraux des ingérences étrangères, relevé notamment par le premier rapport de la commission spéciale du Parlement européen sur les ingérences étrangères ([410]), est sa dimension informationnelle. Le rapport estime ainsi que la désinformation, la manipulation d’information, la suppression de l’information sont autant de formes de « tactiques en matière d’ingérence étrangère ». Elles dessinent en creux une conflictualité qui s’apparente à une « guerre informationnelle ».

La désinformation désigne selon l’essayiste Florian Gouthière ([411]) un « processus aboutissant à l’intégration, par un public, d’informations distordues, incomplètes ou fausses […], ces altérations trouvant leur origine dans une démarche volontaire de tromper. » La malinformation se rapproche de la désinformation dans son intention mais repose sur une information qui se fonde sur la réalité. Ces deux procédés sont compris dans un ensemble plus vaste qu’est la manipulation de l’information.

M. Gabriel Ferriol, chef du service de vigilance et de protection contre les inférences numériques étrangères (Viginum), définit les manipulations de l’information comme « un ensemble de techniques et de modes opératoires visant à altérer les perceptions collectives et l’accès à l’information, dans le but, in fine, d’orienter le comportement ([412]) ». Les personnes qui se livrent à ces agissements visent principalement à « éroder la confiance du public dans les institutions, polariser des débats […], créer ou amplifier des tensions au sein de la société ».

Si les manipulations de l’information sont facilement définissables, elles demeurent en revanche plus complexes à identifier et à caractériser, en particulier dans l’espace numérique où elles trouvent un terrain prospère. Selon M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), les ingérences numériques étrangères font désormais partie intégrante des manipulations de l’information ([413]).

La « guerre informationnelle » tend à se déployer d’abord sur les espaces numériques, mobilisant des outils dédiés, notamment au sein des grandes plateformes qui détiennent un quasi‑monopole sur ce cyberespace. Elle mobilise par ailleurs un grand nombre d’acteurs qui ne sont pas nécessairement liés directement à des puissances étatiques. C’est notamment ce qu’a révélé l’enquête Story Killers menée par le consortium de journalistes Forbidden Stories en démontrant le rôle de plus en plus important que tiennent des « mercenaires de la désinformation ».

1.   La « guerre informationnelle » se joue d’abord sur les plateformes numériques

Mme Sandrine Rigaud, rédactrice en chef du collectif de journalistes Forbidden Stories, rappelait au cours de son audition ([414]) que « d’après un rapport publié par l’Oxford Internet Institute, au moins quatre-vingt-un pays ont recouru à des campagnes organisées de manipulation sur les réseaux sociaux en 2020 ». Ce rapport ([415]) souligne le rôle croissant qu’ont pris les réseaux sociaux pour répandre de la désinformation soutenue par les États. Il pointe également la part grandissante que prennent les « acteurs privés » dans ces manipulations d’information, à l’instar des « mercenaires » de la guerre informationnelle (voir infra).

Les espaces que sont les plateformes numériques – et en particulier les réseaux sociaux – sont ainsi devenus des domaines privilégiés pour la manipulation de l’information par des puissances malveillantes. Ils leur offrent en effet plus aisément anonymat, impunité et discrétion tout en touchant un public potentiellement immense. Si la régulation des plateformes fait l’objet de projets politiques au niveau européen, avec notamment l’adoption du Digital Services Act (DSA) qui entre en vigueur, pour ce qui concerne les grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche, en août 2023, elle demeure incomplète et reste largement à la main d’acteurs privés qui se sont montrés jusqu’à présent assez réticents à la mettre en place.

La France s’est progressivement dotée d’outils visant à assurer la sécurité du débat en ligne au moment des échéances électorales, notamment à travers Viginum. Pour autant, la question de la régulation des plateformes numériques reste cruciale.

a.   Le champ numérique, espace privilégié de la « guerre informationnelle »

Pour M. Manuel Lafont Rapnouil ([416]), directeur du Centre d’analyse de prévision et de stratégie (CAPS), l’une des trois évolutions qui ont redonné de l’acuité aux stratégies d’ingérence est liée au « contexte technologique, comme la révolution numérique, les réseaux sociaux, le hacking, les usines à trolls et les bots ([417]) ».

Les puissances parties à la « guerre informationnelle » usent désormais largement des espaces numériques pour porter leurs actions de manipulation de l’information. Ils emploient à cette fin d’un ensemble d’outils propres au cyberespace : usines à trolls, bots, influenceurs, hackers… dont l’emploi varie selon les besoins.

Nous n’évoquerons ici qu’en passant le deep fake, cette technique de synthèse multimédia reposant sur l’intelligence artificielle, inventée en 2014 par un chercheur américain et officiellement née pour la première fois sur un site web à l’automne 2017. Depuis, le nombre de deep fakes augmente considérablement, ainsi que les dangers qu’ils représentent. Les identifier, les contrôler, les dénoncer, représente un défi colossal, tant pour les plateformes que pour l’ensemble de nos sociétés de libertés d’expression et d’information. De manière générale, il y a là une vulnérabilité avérée pour la France et, plus largement, pour les démocraties occidentales, tributaires de plateformes numériques en situation de monopole et de ce fait difficilement régulables et contrôlables.

i.   Des espaces peu régulés où la désinformation circule aisément

Les plateformes numériques apparaissent comme des espaces plus propices à la diffusion de fausses informations que d’autres réseaux. M. Lafont Rapnouil estime que « les capacités inédites de diffusion virale rapide autorisées par Internet et les réseaux sociaux » participent tout autant à « produire un débat sur la notion de vérité » qu’à alimenter la « crise de confiance et la dévalorisation de la parole publique ou experte dans nos sociétés ».

Cette « viralité » apportée par les réseaux sociaux repose notamment sur leur fonctionnement qui n’est « ni bottom up, ni top down, mais décentralisé », favorisant un cheminement de l’information moins facilement identifiable et prévisible. Ce phénomène est accentué par une rapidité de diffusion propre aux fausses informations. C’est ce qu’a rappelé le secrétaire général de Reporters sans frontières, M. Christophe Deloire en audition : « Plusieurs études ont prouvé que les contenus relevant de la fausse information et n’étant pas obsédés par l’attachement aux faits, à la réalité ou à la vérité, ont un potentiel viral très fort ([418]). »

La structure de ces réseaux permet ainsi à des acteurs dotés de peu de moyens de développer de vastes réseaux avec une certaine facilité. L’exemple de l’« Appel à la résistance islamique mondiale » lancé par le djihadiste Abou Moussab al-Souri, évoqué par M. Thomas Gomart en audition ([419]), illustre ce mécanisme. Cet appel, lancé en ligne en 2004 a permis à l’État islamique de se constituer, dix ans plus tard, un réseau de « plus de 40 000 comptes Twitter actifs ». Pour M. Gomart, « les réseaux sociaux ont été, pour les djihadistes, un outil de recrutement particulièrement performant ». Le chercheur pointe à cet égard la facilité de communication permise par internet mais surtout « une forme d’impunité liée au concept de neutralité du Net ». Ce réseau aurait par la suite participé en 2015, au moment de l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, à une vague d’attaques simultanées visant 19 000 sites internet français.

Les plateformes numériques se caractérisent par ailleurs par « un manque de régulation à l’échelle internationale » selon M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure ([420]). Cette faille est largement exploitée par « certains acteurs étatiques [qui] perçoivent le domaine cyber comme un nouvel espace de projection, investissement pleinement le rapport de force et développent de fortes capacités offensives et défensives ». Pour de nombreuses personnes auditionnées par la commission d’enquête, les plateformes numériques apparaissent insuffisamment régulées. M. Deloire a par exemple estimé que « les plateformes numériques n’ont adopté aucun système permettant de promouvoir la fiabilité de l’information ». De même, M. Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France, a estimé lors de son audition que « les moyens consacrés par Twitter au filtrage et à la modération sont dérisoires, voire inexistants ([421]) ».

ii.   Usines à trolls, bots, hackers, deep fakes : les « armes » du cyberespace au service de la désinformation

Les stratégies d’ingérence numériques des puissances étrangères s’appuient largement sur une gamme d’outils agissant dans l’espace cyber comme autant d’armes en appui de leurs campagnes de manipulation de l’information. Ainsi, M. Poutine félicitait à l’occasion du Forum économique de Saint-Pétersbourg en juin 2017 les hackers russes qui auraient attaqué le Parti démocrate au cours de la campagne présidentielle américaine de 2016, les qualifiant de « hackers patriotes », de citoyens privés dotés de la « fibre patriotique ». Selon M. Thomas Gomart, il s’agirait davantage de « groupes de corsaires très liés à l’appareil d’État et conduisant des opérations d’envergure » en lien avec celui-ci.

Les attaques dans le cyberespace peuvent en effet servir des desseins de manipulation de l’information, en particulier par du piratage de données qui permet l’organisation de « fuites » – ou leaks – reprises dans le cadre d’une campagne de désinformation. Les cyber-attaques menées par des hackers ne visent cependant pas exclusivement de tels objectifs. Le plus souvent celles-ci ont en effet des visées d’espionnage, de pillage ou de sabotage (voir infra).

Les usines à trolls sont des outils privilégiés pour orchestrer et soutenir des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux. À cet égard, les autorités russes utilisent notamment l’usine à trolls connue sous le nom d’Internet Research Agency (IRA) créée par Evgueni Prigojine, chef du groupe Wagner. L’IRA est particulièrement active dans la désinformation en Afrique francophone où elle dénigre et sape les positions françaises dénoncées comme néocolonialistes ([422]). Elle est ainsi activement mise au service des autorités russes, dont on peut considérer que la galaxie Prigojine est toujours, pour l’instant, l’un des bras armés, dans leur stratégie d’implantation politique dans de nombreux pays africains, ainsi qu’au service d’intérêts économiques privés ou publics mais liés au Kremlin, qui prennent des positions importantes dans de nombreux secteurs économiques – mines d’or et de diamant, chrome et cuivre, bois, par exemple –, le plus souvent sur le mode de la prédation.

Les trolls russes ont par ailleurs directement participé à des opérations d’ingérence en France, en particulier au cours l’élection présidentielle française de 2017 où ils ont soutenu l’opération Macron Leaks opérée par des hackers russes ([423]). Au cours de son audition M. Maxime Audinet, chercheur à l’IRSEM ([424]), a évoqué l’externalisation d’usines à trolls russes « au Ghana et en Centrafrique à travers le bureau d’information et de communication » qui « ciblent aussi la France ».

La Chine dispose aussi de nombreux trolls qui, conformément à sa stratégie d’influence telle qu’exposée par M. Paul Charon ([425]), visent en premier lieu à « empêcher tout discours négatif sur le Parti communiste chinois (PCC) ou la Chine ellemême ». Ces trolls chinois sont particulièrement actifs contre toute personne critique envers le régime. Pour ce faire, ils organisent sur les réseaux sociaux des « opérations de dénigrement et de trolling ». Une de ces opérations, que M. Charon a qualifiée « d’extrêmement dure », a visé Vicky Xu, une Australienne d’origine chinoise qui a publié un rapport sur les activités chinoises au Xinjiang et sur les cas d’internement des Ouïghours.

Pour suivre son deuxième objectif principal, qui est la production d’un « discours positif sur le PCC et la Chine », cette dernière utilise une autre « arme » dans l’espace numérique : le recrutement d’influenceurs sur diverses plateformes comme Youtube, Instagram ou TikTok. Ces influenceurs participent à « diffuser une image positive de la Chine […] passant sous silence les problèmes du pays ».

Les robots informatiques – ou bots – permettent d’amplifier les campagnes de désinformation orchestrées notamment par des trolls. Complètement automatisés, ils se font passer pour des utilisateurs humains afin de donner l’illusion qu’un contenu est largement partagé, soutenu ou, au contraire, détesté. À titre d’exemple, Mme Nathalie Loiseau a souligné au cours de son audition l’importance des « bots diffusant et amplifiant des contenus pro-Brexit, pilotés depuis la Russie ([426]) » au cours de la campagne sur le référendum britannique d’appartenance à l’Union européenne.

M. Florian Reynaud, journaliste au Monde, a mis en exergue au cours de son audition ([427]) l’arme que constitue le référencement sur les moteurs de recherche et en particulier sur Google. En la matière, la stratégie consiste à améliorer le référencement de contenus favorables à la campagne de désinformation et à rendre moins visibles des éléments qui iraient à son encontre. De nombreux acteurs cherchent ainsi à « manipuler [les] algorithmes » de Google, à l’instar de la société espagnole Eliminalia qui s’est spécialisée dans la publication de « nombreux articles sur ses clients pour faire descendre dans les pages Google les résultats rappelant des activités illégales ou des condamnations ». À l’inverse, d’autres acteurs peuvent « agir pour salir durablement la réputation d’une personne en publiant de faux articles ».

Outre ces outils « classiques » de la désinformation numérique, le SGDSN, M. Stéphane Bouillon, a alerté la commission d’enquête sur des innovations technologiques qui risquent d’alimenter encore davantage la « guerre informationnelle » en ligne. En particulier, les « hypertrucages » – ou deep fakes – sont « une grande source d’inquiétude ». Cette technique de trucage de photos ou de vidéos reposant sur l’intelligence artificielle permet en effet de produire des fausses informations extrêmement difficiles à déceler. Mme Audrey Tang, ministre taïwanaise du numérique, a partagé ce constat, estimant que « les nouvelles générations de modèles de langage, et notamment les deep fakes – qui reposent sur le langage, mais aussi sur les images – sont une menace réelle pour la démocratie ([428]) ». Elle n’en déduit toutefois pas qu’une interdiction complète de l’outil soit souhaitable si tant est qu’elle soit possible. Pour la ministre, en effet, si l’on « garantit la transparence et la responsabilité dans l’utilisation de ces applications et que si l’on promeut la collaboration, ces outils sont bénéfiques ». Certaines de leurs applications apparaissent ainsi comme de véritables progrès, à l’image des modules de traduction qui sont un « outil particulièrement précieux ».

Plus généralement, l’intelligence artificielle elle-même représente une potentielle menace car elle pourrait être associée massivement à des campagnes de désinformation. Elle est d’ailleurs déjà utilisée par des sociétés privées qui vendent des services de désinformation (voir infra).

La CNIL ([429]) plaide depuis 2019 pour un cadre réglementaire et législatif sur la reconnaissance faciale, et donc sur la conception des deep fakes. De son côté, le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton prépare un projet d’acte européen sur l’intelligence artificielle qui viendra bientôt en discussion au sein des institutions européennes.

iii.   Des plateformes numériques non européennes en situation de monopole

Dans son ouvrage Guerres invisibles ([430]), M. Thomas Gomart estime que l’Union européenne est restée à la traîne des États-Unis dans l’une des grandes évolutions du monde géopolitique : la numérisation. Les États-Unis ont ainsi construit des acteurs gigantesques dans le domaine du numérique, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) qui ne trouvent leurs équivalents qu’avec les BATX chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) auxquels peut être ajoutée la société Huawei et son rôle autour de la 5G.

Dès lors, ainsi que l’a résumé M. Gomart dans son audition ([431]), « quand on n’a pas de plateforme, on est fondamentalement tributaire de celles des autres ». L’Europe se trouve donc dans une grande situation de dépendance d’autant plus dangereuse que le chercheur souligne « l’hyperconcentration du pouvoir dans les mains d’un petit nombre d’acteurs économiques ».

De fait, la structure même des plateformes numériques repose sur des logiques économiques qui favorisent leur monopole. Ces structures fonctionnent sur des logiques de réseaux : plus elles comptent d’utilisateurs plus elles en attirent d’autres. N’émergent de ces domaines qu’une poignée d’acteurs qui, en outre, exercent leur activité sur un champ géographique qui dépasse largement le seul territoire national dont ils sont issus, contribuant à en faire de véritables « mastodontes ».

M. Thomas Gomart parle ainsi d’un « capitalisme de plateforme » où les plateformes numériques, devenues surpuissantes, tendent à « prendre le contrôle de l’appareil productif ». Ce capitalisme pourrait même aboutir à un « capitalisme de surveillance » où « l’extraction, le stockage et l’exploitation des données, qu’elles soient individuelles ou collectives, sont au cœur de l’activité économique ».

La situation monopolistique de ces plateformes pose des enjeux de taille pour l’ensemble des États démocratiques. Pour ces derniers, les décisions des responsables de ces plateformes entraînent des conséquences « pour la vie démocratique du pays », en particulier dans leur décision de lutter ou non contre la désinformation. Cette situation est une source de vulnérabilité d’autant plus grande qu’elle repose sur les actes et les déclarations parfois fantasques des dirigeants de ces plateformes. Ainsi, il existe un véritable risque à laisser entre les mains des plateformes le « pouvoir de distinguer le vrai du faux » comme le souligne M. Deloire (Reporters sans frontières). Celles‑ci ne peuvent assurément pas s’instaurer en « ministère de la vérité ».

Par ailleurs, le retard européen dans le secteur numérique n’est pas propre aux plateformes. Pour M. Gomart, les domaines de l’intelligence artificielle et du software sont par exemple deux champs dans lesquels « les Européens sont très absents ». En outre, la technologie 5G est un domaine où l’émergence d’acteurs non européens est une fragilité pour nos sociétés, notamment au regard des enjeux de cyber-espionnage qu’il peut impliquer. Pour le directeur général de la sécurité extérieure, « l’essor de la 5G chinoise est porteur de risques en matière de cyber-surveillance » et l’entreprise Huawei est un véritable défi pour la « sécurité numérique » en France et, plus largement, en Europe.

b.   La lutte contre la désinformation sur les plateformes numériques

La France a su se doter de structures performantes pour détecter et alerter les pouvoirs publics au sujet de campagnes de désinformation sur les plateformes numériques. À cet égard, la création de Viginum en 2021 au sein du SGDSN a contribué à sécuriser l’élection présidentielle 2022 (voir supra).

Toutefois, Viginum n’a pas de pouvoir répressif et n’agit qu’en aval des phénomènes de désinformation : ce n’est que quand l’ingérence numérique étrangère a pris de l’ampleur que ses services sont en mesure de l’identifier. Dès lors, eu égard aux menaces portées par la désinformation en ligne, notre réflexion ne peut faire l’économie d’une nécessaire régulation des plateformes numériques en amont de la diffusion de la désinformation.

i.   Le rôle de Viginum contre la manipulation de l’information

Ainsi qu’on l’a indiqué dans la section du présent rapport consacrée aux ingérences informationnelles russes en France, Viginum a un rôle central dans la politique de lutte contre la manipulation de l’information en ligne. Son activité ne se limite pas aux périodes électorales et consiste plus largement à identifier et caractériser les ingérences numériques étrangères.

M. Ferriol, chef du service Viginum, a insisté lors de son audition ([432]) sur le travail quotidien de détection de « manœuvres informationnelles » : identification de comportements anormaux, examen des contenus touchant à « nos intérêts fondamentaux » pouvant apparaître comme inexacts ou trompeurs, vérification de l’authenticité des internautes (absence de bots)… Si ces manœuvres présentent des risques, Viginum engage une « phase d’investigation approfondie qui s’appelle la “caractérisation” ».

Viginum se fonde sur quatre critères juridiques pour caractériser l’ingérence numérique étrangère :

– l’atteinte potentielle aux intérêts fondamentaux de la Nation ([433]) ;

– l’implication d’un acteur étranger, ce qui ne signifie pas qu’il y ait nécessairement une attribution de l’attaque à un protagoniste désigné ;

– un contenu manifestement inexact ou trompeur ([434]) ;

– une « diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée ([435]) », ou la volonté d’une telle diffusion.

Au cours de la phase de « caractérisation », chaque manœuvre « à risque » est confrontée à ces quatre critères. Quand une manœuvre est caractérisée, Viginum alerte les pouvoirs publics en lien avec le SGDSN sous l’autorité duquel il est placé. En effet, M. Ferriol l’a rappelé, Viginum est un « service d’investigation, pas de police ou de renseignement ». Ne se fondant que sur des sources ouvertes publiquement accessibles, Viginum est un service « technique et opérationnel » qui n’a pas le pouvoir de mener des actions répressives ou de prononcer des actions répressives.

L’ensemble de l’action de Viginum fait l’objet d’un suivi par un comité éthique et scientifique placé auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.

Au cours de sa première année d’existence, Viginum s’est principalement concentrée sur les échéances électorales de 2022 – élection présidentielle et législatives – qui ne se sont pas caractérisées par des manipulations de l’information de grande ampleur ([436]).

ii.   La question de la régulation des plateformes numériques

La lutte contre la désinformation en ligne ne peut toutefois se passer d’une coopération des plateformes elles-mêmes. En effet, celles-ci demeurent un « acteur essentiel de la lutte contre les manipulations de l’information, d’abord parce qu’elles ont accès à beaucoup d’informations utiles que, pour notre part, nous ne pouvons pas forcément observer » estime M. Ferriol.

Par ailleurs, seules les plateformes peuvent entreprendre certaines actions pour lutter contre les manipulations de l’information : bannissement de comptes, suspension de contenus, démonétisation de comptes ou encore « invisibilisation » de certains utilisateurs ou contenus aussi appelée « shadow banning », afin qu’ils deviennent moins facilement accessibles.

À l’heure actuelle, les plateformes numériques coopèrent plus ou moins avec l’administration française, la situation étant assez hétérogène. D’après M. Ferriol, « certaines y sont réticentes pour des raisons de moyens, mais il y en a aussi qui, par principe, ne souhaitent pas participer à la lutte contre la manipulation de l’information et qui utilisent même cet argument pour fédérer leur communauté ». En tout état de cause, cette coopération ne repose pour l’instant que sur la bonne volonté des plateformes.

Cet état de fait a poussé de nombreuses voix à appeler à une plus forte régulation des plateformes numériques, à l’instar de M. Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne.

Les préoccupations légitimes qui naissent des pratiques de désinformation en ligne ne doivent toutefois pas engendrer une action trop radicale qui irait à l’encontre de la « préservation des communs numériques et de tout ce qui contribue au caractère ouvert, libre et sûr du cyberespace » selon les mots de M. Lafont Rapnouil.

Plusieurs solutions, qui ne sont pas nécessairement exclusives les unes des autres, ont été portées à la connaissance de la commission d’enquête.

L’une des solutions parmi les plus consensuelles demeure l’éducation de la population aux médias, qui doit être renforcée « dès le plus jeune âge, mais également tout au long de la scolarité, y compris dans l’enseignement supérieur », ainsi que l’explique M. Paul Charon. M. Raphaël Glucksmann estime également qu’il « convient de consentir un effort massif de développement de l’éducation aux médias ([437]) ».

Cette éducation aux médias doit désormais comprendre les réseaux sociaux, qui sont devenus, au même titre que la presse, la radio ou la télévision, des médias d’information ([438]). Il s’agit là d’un élément essentiel tant la population qui use de certains réseaux sociaux comme TikTok est « très jeune et très influençable » d’après M. Charon. Selon le chercheur, il existe « dans les pays anglo-saxons […] une formation à la pensée critique dans tous les cursus. Celle-ci n’existe pas en France ; il y a là un manque qu’il conviendrait de combler. »

La rapporteure s’inscrit en faveur d’une telle proposition, indispensable investissement pour former des générations futures aptes à appréhender les manipulations informationnelles dont elles pourraient faire l’objet.

Recommandation  7 : Instaurer une véritable éducation au traitement de l’information dans les médias et sur les plateformes numériques au sein du cursus scolaire, sans attendre le collège et jusqu’aux études supérieures.

Toutefois, si la piste de l’éducation critique aux médias peut « être intéressante » d’après le directeur général de Reporters sans frontières, « il ne suffit pas d’être éduqué aux médias pour savoir reconnaître un contenu manipulé par une puissance étrangère si le traitement a été bien fait ». M. Deloire prône en sus la reconstruction d’un « cadre juridique, une garantie démocratique, pour l’espace public » adapté aux nouveaux enjeux numériques. Il s’agit là d’une demande partagée par de nombreuses autres personnes auditionnées par la commission d’enquête, à l’instar de M. Glucksmann qui a insisté sur la nécessité de « réguler l’espace des réseaux sociaux, qui demeure une sorte de Far West ».

Le cadre juridique français entourant la diffusion de fausses nouvelles sur les plateformes numériques est actuellement principalement fondé sur la loi de 2018 ([439]) contre la manipulation de l’information, la loi de 1881 sur la liberté de la presse ([440]) trouvant difficilement à s’appliquer dans ce contexte.

Si la loi de 2018 comporte une obligation de transparence pour les plateformes et instaure un recours en référé pour pouvoir faire cesser rapidement la circulation de fausses nouvelles, ces dispositions ne concernent que les périodes de campagne électorale. Elles ne s’appliquent donc que pendant les trois mois précédant un scrutin national et au cours du scrutin lui-même. Elles ne sont en outre qu’assez peu utilisées.

Le texte crée également un devoir de coopération des plateformes en dehors des périodes électorales les obligeant à mettre en place des mesures contre les fausses nouvelles, et à rendre publiques ces mesures. Le contrôle de ce devoir est confié à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Toutefois, ce contrôle ne s’exerce qu’à travers un dialogue, le régulateur ne disposant pas de pouvoirs coercitifs vis-à-vis des plateformes numériques.

De toute évidence, le cadre juridique applicable aux plateformes esquissé dans la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information doit être complété.

Au niveau européen, le Digital Markets Act (DMA), entré en application le 2 mai 2023, vise essentiellement à mieux encadrer les activités économiques des très grandes plateformes numériques, en particulier les GAFAM. Son objectif est de lutter contre leurs pratiques anticoncurrentielles et de corriger les déséquilibres liés à leur position dominante. Il ne comporte pas de disposition spécifique à la lutte contre la manipulation de l’information en ligne.

Le Digital Services Act (DSA), qui doit entrer en application le 25 août 2023 ([441]), vise à lutter contre les contenus illicites sur internet et les produits contrefaits ou dangereux vendus en ligne. La désinformation figure parmi les contenus illicites retenus par ce règlement.

En amont du DSA, le code européen de bonnes pratiques contre la désinformation de 2018 a été réactualisé en 2022 afin de formuler des engagements précis et détaillés de lutte contre la désinformation de la part des plateformes numériques et d’autres entreprises concernées ([442]). Parmi les trente-quatre signataires de ce code figurent Meta – maison mère de Facebook – , Google, Twitter, TikTok ou Microsoft.

L’annonce faite fin mai par Elon Musk, le propriétaire de Twitter, que Twitter se retirait du code européen de bonnes pratiques contre la désinformation, semble lancer une bataille entre la société à l’oiseau bleu et l’Union européenne. Les répliques sévères de MM. Thierry Breton et Jean-Noël Barrot n’ont pas tardé. Le bras de fer qui s’instaure illustre la difficulté à voir certaines grandes plateformes numériques s’engager pleinement dans la lutte contre la désinformation.

Ce code de bonnes pratiques renforcé comporte 44 engagements et 128 mesures spécifiques dont la démonétisation des fournisseurs de désinformation, la transparence de la publicité politique ou encore la mise en place de mesures contre les comportements de manipulation de l’information (robots, faux comptes…). Il s’agit là d’un niveau jamais atteint de lutte contre la désinformation en ligne. Selon M. Raphaël Glucksmann, « l’Europe est précurseur en ce domaine ».

Ces initiatives européennes constituent une avancée notable, et saluée comme telle, dans la lutte contre la désinformation en ligne. Toutefois, à l’instar de M. Deloire, certains observateurs estiment qu’elles ne vont « pas assez loin sur certains points ». De fait, beaucoup de recommandations du code de bonnes pratiques reposent encore largement sur le volontariat tout comme l’adhésion au code lui‑même. Ainsi, le vingt-deuxième engagement prévoit par exemple que les plateformes fournissent à leurs audiences, sur une base volontaire, des indicateurs de fiabilité de l’information. Pour M. Deloire, c’est « léger », et une seule plateforme sur les quatorze concernées a respecté cet engagement.

Surtout, toute tentative de régulation de l’information en ligne se heurte au problème de la détection des fausses informations et de leur traitement. Comment les caractériser, quels moyens allouer à la régulation et à qui la confier ?

Selon M. Damien Leloup, journaliste au Monde auditionné par la commission d’enquête ([443]), confier la régulation des fausses informations aux plateformes elles-mêmes ne constitue pas « le meilleur choix ». Pourtant, elles seules paraissent suffisamment équipées, notamment de par leur maîtrise de l’algorithme qui régit leur réseau. Encore faut-il qu’elles soient incitées à la régulation et qu’elles le fassent de manière transparente.

La rapporteure estime que l’entrée en vigueur prochaine du Digital Services Act en août 2023 doit être l’occasion de prendre la mesure de ses effets réels sur le comportement des plateformes numériques et d’engager à cette occasion une réflexion sur la pertinence de mettre en place de nouvelles mesures pour renforcer la lutte contre la désinformation en ligne tout en respectant les libertés propres à cet espace de communication.

Au cours de la même audition, M. Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France, a soulevé la question de l’anonymat ou plus exactement du « pseudonymat » sur les plateformes numériques, vecteur de la diffusion de fausses informations qui profite du secret pour prospérer. M. Métézeau estime qu’« en France, comme dans la plupart des pays, il est interdit de fabriquer un faux passeport et de s’en servir pour voyager. Or fabriquer un faux profil sur internet revient à se doter d’un faux passeport pour intervenir sur les réseaux sociaux ; et cela n’est puni d’aucune manière. Je peux créer sans risque un faux profil sur Twitter, et ce réseau ne risque rien s’il le laisse ensuite prospérer. »

La dissimulation derrière un pseudonyme complique le traçage des fausses informations et l’éventuelle attribution de la pratique. Pour le journaliste, « la question de l’anonymat sur internet et de la fabrication de faux profils doit être remise sur la table », même si la levée de l’anonymat est « très compliquée techniquement ». Cette dissimulation crée une réelle opacité et favorise par ailleurs l’activité de robots qui peuvent plus aisément créer de faux profils indétectables.

M. Damien Leloup a quant à lui exprimé son attachement « à la possibilité de préserver l’anonymat en ligne, qui ne pose pas de problème en lui-même ». Il considère en effet qu’il s’agit d’une « liberté fondamentale » qui permet, dans certains pays, « à des journalistes de travailler ». M. Leloup convient toutefois qu’il faut pouvoir « fixer une limite » à cette liberté lorsque certains comportements sont observés, notamment en cas d’utilisation de multiples faux comptes « de manière coordonnée pour diffuser de fausses informations et mener une opération d’influence ».

La rapporteure estime que l’anonymat – ou le pseudonymat – en ligne demeure primordial dans la protection des lanceurs d’alerte, des journalistes et plus largement comme garant de la liberté d’expression et de la protection des utilisateurs. Elle observe néanmoins qu’en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations, la dissimulation derrière un pseudonyme constitue un obstacle certain. Les plateformes sont très peu contraintes à transmettre aux pouvoirs publics les données d’identification des utilisateurs en cause.

Dès lors, la question est davantage celle de la coopération des plateformes numériques avec les autorités quand sont identifiées des manipulations d’information. Il convient de construire un cadre qui rende cette coopération plus systématique, et de faire en sorte que toutes les plateformes se sentent tenues de coopérer à la demande des autorités, dans le cadre légal imparti, sans bouleverser le principe de liberté sur lequel s’est construit internet.

2.   Les mercenaires de la guerre informationnelle, nouveaux acteurs privés de la manipulation de l’information

La guerre informationnelle à laquelle se livrent les puissances étatiques comme non étatiques est d’autant plus confuse et équivoque qu’elle met également en jeu de nombreux intermédiaires afin de préserver l’anonymat des donneurs d’ordre. Ces derniers ont ainsi recours à ce que les journalistes de l’enquête Story Killers ont nommé les « mercenaires de la désinformation », des entités à l’existence juridique floue qui offrent leurs services de manipulation de l’information afin d’influencer l’opinion d’un public cible sur un sujet donné. Si leur activité tend à se concentrer sur les plateformes numériques, elle peut aussi toucher directement ou indirectement les médias traditionnels comme la presse écrite ou les journaux télévisés.

L’enquête Story Killers réunissant plus de cent journalistes de trente médias dans le monde ([444]), dont, en France, la cellule investigation de Radio France ainsi que le journal Le Monde, a pu mettre en lumière les pratiques et le rôle joué par ces entreprises spécialisées dans la désinformation. Cette enquête, coordonnée par Forbidden Stories, a notamment mis au jour, comme on l’a déjà indiqué, l’existence d’une officine basée en Israël, surnommée « Team Jorge », qui a mené des tentatives de manipulation de l’information dans plusieurs pays européens, dont la France.

Cette enquête révèle en creux les insuffisances qui peuvent exister dans certaines pratiques journalistiques et qui sont autant de points de vulnérabilité aux ingérences et manipulations étrangères.

a.   Monnayer la manipulation de l’information en France : l’exemple de « Team Jorge »

« Team Jorge » n’est certainement pas l’unique mercenaire de la désinformation qui peut sévir dans l’espace médiatique et numérique français. L’enquête Story Killers a par exemple révélé le rôle d’une autre officine israélienne, Percepto International, société de communication très active en Afrique francophone. Toutefois, l’analyse de « Team Jorge » constitue une étude de cas qui met en lumière toute une palette de pratiques et de stratégies.

Surtout, l’enquête du consortium Forbidden Stories et les auditions de la commission d’enquête dévoilent l’existence d’un écosystème propice à la désinformation dans le paysage médiatique français. Même s’il ne faut pas exagérer son importance, il a tout de même permis que soit touchée la principale chaîne d’information en continu du pays.

i.   « Team Jorge », un acteur polyvalent de la désinformation

« Team Jorge » tire son nom du pseudonyme utilisé par son dirigeant, Tal Hanan, un ancien membre des forces spéciales de l’armée israélienne. Cette structure israélienne « totalement opaque », selon les mots de M. Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France ([445]), a été infiltrée par ce dernier et par deux autres journalistes israéliens ([446]) qui s’y sont présentés en tant que consultants missionnés par des clients intéressés par les prestations de « Team Jorge ». Composée d’anciens membres de l’armée ou des services de renseignement de l’État d’Israël, cette structure n’a « pas d’existence légale ». Il s’agit d’une « officine » qui offre à ses clients un arsenal de services légaux et illégaux à des fins d’influence.

« Team Jorge » témoigne du phénomène que le journal Le Monde a qualifié d’« ubérisation des techniques de désinformation ([447]) ». La structure propose en effet toute une gamme d’offres de campagne de désinformation, qu’il s’agisse de nuire à la réputation d’un lanceur d’alerte, de répandre de fausses rumeurs sur une entreprise concurrente, de « redorer » son image ou d’influencer une opinion publique en vue d’une élection. Ainsi, la structure israélienne a revendiqué auprès des journalistes infiltrés « une participation à trente-trois élections dans le monde, dont vingt-sept gagnantes ([448]) », ainsi que de nombreuses campagnes d’influence sur tous les continents, tant sur les plateformes numériques qu’à travers des médias « traditionnels ».

L’influence numérique que vend « Team Jorge » à ses clients repose sur un outil numérique très performant, la plateforme AIMS (Advanced Impact Media Solutions), qui permet de créer des faux profils sur les réseaux sociaux, « très crédibles et indétectables » selon M. Métézeau. Les journalistes de l’enquête Story Killers ont ainsi identifié 2 000 avatars entièrement inventés par l’officine israélienne, qui en a revendiqué près de 40 000. L’analyse de ces faux profils a permis d’identifier certains clients présumés de « Team Jorge », notamment « des acteurs politiques, par exemple d’Indonésie ou du Mexique ([449]) ».

Les journalistes français ayant participé à l’enquête ont souligné la « sophistication technique » de la plateforme AIMS. Cette dernière parvient en effet à créer de faux comptes tout en contournant les protections mises en place par les réseaux sociaux. Elle est en outre dotée d’un outil d’intelligence artificielle permettant d’automatiser l’écriture des messages de désinformation produits par les faux comptes.

L’officine israélienne propose également des relais de désinformation en dehors du champ numérique, c’est-à-dire auprès de médias « traditionnels », notamment de presse écrite ou télévisuels. À cette fin, « Team Jorge » semble s’attacher les services d’intermédiaires lui permettant de propager ses opérations d’influence et de désinformation auprès des médias du pays visé. C’est notamment, selon M. Métézeau, le rôle qu’a joué M. Jean-Pierre Duthion, lobbyiste et consultant français, servant d’intermédiaire auprès du journaliste de BFM-TV Rachid M’Barki, présentateur du Journal de la nuit sur la chaîne. M. M’Barki aurait ainsi fait diffuser dans son journal des « informations biaisées » transmises par M. Duthion sur demande de « Team Jorge » (voir infra).

En l’état actuel des connaissances des agissements de « Team Jorge », cette désinformation auprès des médias français traditionnels semble demeurer relativement confidentielle, notamment compte tenu de l’horaire de diffusion du Journal de la nuit de BFM TV qui débute à minuit trente. Toutefois, l’intérêt poursuivi par la société israélienne est moins l’influence au moment de la diffusion de la désinformation que la réutilisation massive de vidéos sur les plateformes numériques, permettant de légitimer les propos qui y sont tenus sur un média de grande écoute.

Si « Team Jorge » semble privilégier les plateformes numériques et l’utilisation de certains médias « traditionnels » pour déployer ses campagnes de désinformation, ces « mercenaires de la désinformation » peuvent également mobiliser des relais d’opinion. Ainsi, M. Métézeau a fait état de l’utilisation par Percepto International de certaines personnalités hostiles à la France en Afrique francophone afin d’appuyer ses stratégies de désinformation. Il a été proposé à M. Métézeau, agissant sous couverture, par la société israélienne « d’activer M. Kémi Seba », chantre du panafricanisme et proche de la « galaxie Prigojine » ([450]).

En France, Mediapart a révélé ([451]) que le député alors non inscrit Hubert Julien‑Laferrière a fait la promotion d’un cryptoactif controversé – le « limocoin » – au cours d’une réunion de la commission des affaires étrangères le 23 février 2022. À cette occasion, il a vanté les mérites de l’homme d’affaires camerounais, M. Émile Parfait Simb, à l’origine de la création de cette cryptomonnaie aujourd’hui soupçonné d’être l’organisateur d’une fraude massive aux cryptomonnaies en Afrique.

Cette prise de parole – relativement en marge de la discussion qui avait cours à ce moment-là en commission des affaires étrangères, comme M. Julien-Lafferrière l’a lui-même reconnu – a été « soufflée » par M. Jean-Pierre Duthion, le même intermédiaire soupçonné d’être au centre des relations entre « Team Jorge » et M. M’Barki. S’il n’est pas établi que l’intervention du député ait été commanditée par « Team Jorge », celle-ci demeure troublante. Elle a d’ailleurs été par la suite relayée sur internet, illustrant la diversité des moyens qui peuvent être mobilisés au service d’une campagne de désinformation.

S’il est peu aisé d’identifier avec certitude les clients de « Team Jorge », l’analyse des campagnes de désinformation qu’elle a menées a toutefois permis aux journalistes de constater qu’il s’agit en majorité d’acteurs privés. Cette observation peut être une source d’inquiétude légitime car elle traduit une forme de « démocratisation » de la manipulation de l’information. Loin d’être réservée aux États et aux gouvernements, la manipulation de l’information est désormais largement répandue et accessible à n’importe quel individu ou entreprise qui en a les moyens. Un des articles du journal Le Monde concernant « Team Jorge » révèle ainsi que le prix de ces opérations oscille entre « quelques centaines de milliers de dollars pour une opération de faible envergure » et « 15 millions [de dollars] pour tenter de peser sur une campagne présidentielle ([452]) ».

La France n’est donc pas épargnée par cette manipulation informationnelle d’origine privée. Ainsi, une campagne d’influence menée par « Team Jorge » a eu pour objet le secteur du yachting à Monaco et dans le sud de la France. Selon M. Damien Leloup, journaliste au Monde, cette opération visait « d’une part à dénigrer certaines sociétés du secteur et d’autre part à diffuser le message que les sanctions imposées à des oligarques russes, propriétaires de yachts, par la France et l’Union européenne étaient inutiles, voire contre-productives, parce qu’elles s’attaquaient aux mauvaises personnes et qu’elles allaient détruire des emplois ».

Cette opération a notamment témoigné de l’éventail des méthodes de désinformation pouvant être déployées par une structure comme « Team Jorge ». En effet, en dehors des campagnes menées sur les réseaux sociaux par des bots, l’opération aurait fait intervenir de faux articles publiés dans des médias ([453]) contre rémunération, une séquence diffusée à l’antenne de BFM-TV durant la nuit ainsi que de fausses manifestations organisées à Londres et à Monaco au cours desquelles des acteurs ont distribué des tracts le temps d’être filmés. Là encore, l’ensemble des éléments diffusés dans les médias traditionnels ont été repris et largement partagés par de faux profils sur des plateformes numériques.

L’efficacité de l’activité d’une structure comme « Team Jorge » est, par définition, difficile à mesurer. Même lorsque l’objectif affiché de l’opération de désinformation a été atteint – par exemple en cas de victoire électorale du candidat soutenu –, il demeure fort peu aisé de déterminer la part qu’a pu prendre la campagne dans le résultat final. Pour M. Leloup, la plateforme AIMS, au cœur du dispositif de la société israélienne, peut avoir « une efficacité très limitée, voire nulle ». Ce constat, « contre-intuitif compte tenu de l’ampleur de ce réseau et de sa sophistication », a pu être fait pour certaines des opérations menées par « Team Jorge ». Au cours de celles-ci, les faux comptes de la plateforme se contentaient de communiquer entre eux « sans jamais réussir à susciter l’intérêt du grand public ».

Le journaliste souligne toutefois que lorsque ces campagnes de désinformation mettent en jeu « de faux documents ou des projets assez élaborés pour détruire la réputation d’une personne », les dégâts sur cette dernière peuvent être « considérables ». Ainsi, une des opérations montées par « Team Jorge » ([454]) a visé M. Gavin Newsom, gouverneur de la Californie. L’objectif de la campagne était de discréditer la politique énergétique de M. Newsom, en particulier son refus de construire davantage de centrales nucléaires. À cette fin, des dizaines de faux comptes Facebook et Twitter ont mené une intense campagne médiatique à son encontre qui a abouti à une pétition recueillant plusieurs milliers de signatures.

Le consortium Forbidden Stories à l’origine du projet Story Killers a aussi mis à jour un autre acteur israélien actif dans le domaine des « relations publiques et stratégiques », la société Percepto. Cette dernière revendique, notamment, son savoir-faire dans la création d’ « avatars profonds » –  deep avatars. Mais Percepto sait aussi monter des campagnes d’information et de désinformation.

Percepto aurait œuvré à la publication d’un article défavorable au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans Valeurs Actuelles. Une tribune signée Emmanuel Dupuy, intitulée « Le CICR, parrain involontaire du terrorisme au Burkina-Faso ? », y paraîtra le 3 août 2020. Le CICR a bien sûr démenti ces allégations, qui s’inséraient dans une stratégie de revanche et de discrédit voulue par un dirigeant africain contre l’ONG concernée ([455]).

ii.   Un relais de la manipulation informationnelle de « Team Jorge » à BFM TV ?

L’une des révélations les plus importantes apportées par l’enquête Story Killers concerne, dans notre pays, la chaîne d’information en continu BFM-TV et en particulier le présentateur du Journal de la nuit, M. Rachid M’Barki. Lors de son audition, M. Métézeau a réitéré l’accusation formulée par les journalistes de Forbidden Stories à son encontre. Le présentateur aurait diffusé des off ([456]) dans son Journal de la nuit dont « les textes lus […] à l’antenne et les images d’illustration lui étaient directement fournis par Jean-Pierre Duthion ». Ce dernier est un ancien entrepreneur français qui, installé en Syrie, a travaillé comme fixeur, « c’est-à-dire collaborateur, aide et traducteur pour des reporters durant la guerre civile », devenu par la suite lobbyiste. Il aurait servi d’intermédiaire entre « Team Jorge » et M. M’Barki. Surtout, les informations diffusées par le présentateur seraient des « informations orientées », destinées à « faire passer un message ».

L’accusation présentée précédemment procède de plusieurs éléments rapportés notamment par M. Métézeau :

– au cours de l’infiltration de M. Métézeau auprès de « Team Jorge », cette dernière a revendiqué, « preuves à l’appui », l’accès à « un vrai journaliste dans un vrai média », en diffusant un extrait du journal de la nuit de BFM-TV ;

– certaines de ces vidéos montrant des off de M. M’Barki ont été « diffusées et viralisées par les comptes robots de Team Jorge » identifiés par les journalistes du journal Le Monde prenant part à l’enquête Story Killers » ;

– après avoir été contactée par M. Métézeau, la direction de BFM-TV a confirmé l’authenticité des vidéos et indiqué qu’elles n’étaient pas « conformes à sa ligne éditoriale ». Lors de son audition ([457]), M. Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM-TV, a confirmé que ces brèves informationnelles « n’avaient rien à voir avec [la] ligne éditoriale » de la chaîne ;

– selon M. Fogiel, ces séquences informationnelles, qui ont un format ayant vocation à être relayé à d’autres moments de la journée sur BFM-TV qui diffuse en continu des informations, n’ont été reprises « que dans le créneau du Journal de la nuit : aucun autre rédacteur en chef, journaliste, présentateur de tranche, n’a jugé utile de les relayer. Seul le présentateur du journal de la nuit, Rachid M’Barki, l’a fait. »

Auditionné par la commission d’enquête ([458]), M. M’Barki a reconnu que M. Duthion était « une de [ses] sources, parmi beaucoup d’autres », qu’il avait effectivement repris certaines de ses informations jugées par lui « intéressantes » et que M. Duthion lui avait « fourni des images » à l’appui de ses reportages. En revanche, M. M’Barki a nié avoir reçu de la part du lobbyiste des « textes clés en main », assurant rédiger lui-même ses textes, « à la virgule près ».

M. M’Barki a par ailleurs affirmé que M. Duthion « ne [lui] a jamais proposé de [le] rémunérer pour diffuser les informations qu’il [lui] donnait ». Lors de son audition, M. Duthion a abondé dans son sens, répétant n’avoir « jamais rémunéré de journaliste [ni] corrompu qui que ce soit ([459]) ».

Ces propos contredisent d’autres paroles que M. Duthion aurait tenues auprès d’un autre journaliste de BFM-TV et rapportées par des journalistes de Radio France ([460]). M. Duthion lui aurait dit : « Je suis missionné pour payer des journalistes pour faire passer des informations… Je connais vos salaires. Je sais qui peut en avoir besoin. » M. Fogiel a par ailleurs indiqué que l’enquête interne menée à BFM‑TV avait révélé « que M. Duthion avait proposé [à un journaliste de BFM‑TV] de le rémunérer en échange de la diffusion d’une information ».

Ces contradictions s’ajoutent à celles déjà apparues entre les premières prises de parole publiques de M. M’Barki auprès du média Politico et celles intervenues en audition en commission d’enquête. Ainsi, le journaliste avait reconnu auprès de Politico ([461]) que les informations incriminées n’avaient « pas forcément suivi le cursus habituel de la rédaction », se ravisant ensuite en audition en affirmant n’avoir « rien fait en douce », n’ayant jamais « travaillé autrement qu’en toute transparence vis-à-vis de [sa] rédaction, du public et de [lui]-même ».

M. Duthion a, quant à lui, assuré au cours de son audition ne connaître « ni Team Jorge ni Tal Hanan », dont il a « découvert le nom dans la presse ».

Environ « une douzaine de séquences » informationnelles auraient été diffusées dans le Journal de la nuit entre 2021 et 2022 sans que la chaîne de production en ait été informée et sans que la procédure de validation ait été respectée, selon un audit interne à BFM-TV dont les conclusions ont été rapportées par M. Fogiel lors de son audition. M. M’Barki et M. Duthion ont tous deux soutenu au cours de leurs auditions respectives que chacune des informations contenues dans ces brèves était « vraie, vérifiable et vérifiée ».

Si M. Fogiel a également estimé que les brèves incriminées diffusées sur BFM-TV ne contenaient, selon lui, pas de fausses informations, le directeur général de la chaîne a insisté sur le degré de détail et l’inhabituelle complexité de ces brèves, qui ne lui semblaient pas avoir « leur place à l’antenne ». Il a ainsi fait part de ses interrogations « sur leur structure à tiroirs difficilement compréhensible pour le commun des mortels, sur leur orientation et sur le fait qu’elles puissent mettre en cause un certain nombre de personnes ». De fait, certains sujets de ces séquences apparaissent particulièrement spécifiques, à l’instar de la brève traitant de la gestion du port de Douala au Cameroun par la société Portsec.

Les journalistes de l’enquête Story Killers n’hésitent en revanche pas à qualifier certains des éléments diffusés par M. M’Barki de « fausses infos ([462]) ». Plusieurs éléments leur apparaissent factuellement faux dans la brève faisant état de la détresse des constructeurs de yachts à Monaco à la suite des sanctions prononcées par l’Union européenne à l’encontre de la Russie. Ils affirment par exemple que « 10 000 emplois ne sont pas menacés par les sanctions contre la Russie ([463]) » contrairement à ce qui est dit dans la séquence. De même, les constructeurs de yacht n’auraient « pas fait appel au prince Albert ». Enfin, l’enquête souligne que les éléments de langage utilisés dans la séquence « reprennent au mot près les mêmes arguments qu’[une campagne] de Team Jorge ».

D’autres brèves ne constituent pas nécessairement de la désinformation mais contiennent des « informations biaisées », selon les mots utilisés par M. Métézeau lors de son audition. Ainsi, à l’occasion d’un off portant sur un forum d’affaires entre le Maroc et l’Espagne organisé à Dakhla, une ville du Sahara occidental, M. M’Barki a utilisé les termes de « Sahara marocain », une « appellation connotée utilisée par Rabat pour revendiquer la souveraineté, très contestée, sur le Sahara occidental ([464]) ». Il s’agit d’un vocable par ailleurs fort peu usité dans l’espace médiatique français qui préfère habituellement s’en tenir à la dénomination « Sahara occidental » retenue par le Quai d’Orsay et les Nations unies. Au cours de son audition, M. M’Barki a employé à plusieurs reprises l’appellation « Sahara marocain », assumant de fait son utilisation.

Une autre séquence diffusée au cours du Journal de la nuit fait également apparaître un point de vue biaisé. Celle-ci vante les mérites du général soudanais Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti », l’un des protagonistes de guerre civile qui sévit actuellement au Soudan. Selon l’enquête Story Killers, il envisageait une candidature à la présidence de son pays « malgré les accusations très documentées de crimes de guerre » à son encontre. « Hemetti » aurait ainsi tenté de lancer une campagne médiatique visant à redorer son image à l’international. C’est dans ce cadre que, selon Le Monde, « M. Duthion aurait demandé à Rachid M’Barki de diffuser à l’antenne une séquence sur le Soudan, pour montrer à son client potentiel l’étendue de ses capacités ([465]) ».

Ces off, qui, au moment de leur diffusion, ont bénéficié d’une audience assez faible, ont ensuite été découpés et diffusés sur les réseaux sociaux sous forme de courtes vidéos, « [viralisant] une information certifiée, blanchie, tamponnée, car présentée dans les tweets comme issue d’une grande chaîne de télévision française – un média mainstream ([466]) ». La crédibilité apportée par le média légitime ainsi le contenu du message porté par un ensemble de faux comptes pilotés par « Team Jorge ».

Ce procédé apporte un autre avantage à la société israélienne. Comme le souligne M. Métézeau, ces vidéos appuient le discours commercial de la société israélienne, qui peut se prévaloir « d’avoir le bras long et d’être capable d’activer des acteurs des médias, même s’il ne s’agit que d’un journaliste sur les 250 que compte BFM-TV et dans des émissions diffusées la nuit ».

Après avoir pris connaissance des soupçons pesant sur M. M’Barki, la direction de BFM-TV a mené une enquête interne qui a révélé que l’intéressé n’avait « pas respecté la procédure de validation de l’information » et aurait même « sciemment contourné la procédure interne » aboutissant au licenciement du présentateur. Il n’apparaît pas que cette enquête interne ait révélé une quelconque manipulation de journalistes au profit d’intérêts étrangers. M. Fogiel a clairement dit lors de son audition n’avoir pas « les moyens d’apprécier un tel fait » qui doit être qualifié par la justice, ce qui a contraint BFM-TV à déposer une plainte contre X le 22 février 2023 pour corruption passive et abus de confiance.

b.   Les vulnérabilités des médias français dans la guerre informationnelle

Les révélations de l’enquête Story Killers mettent en lumière la vulnérabilité des médias français face aux tentatives de manipulation de l’information dont ils peuvent faire l’objet. Il serait trompeur de penser que les faits concernant BFM-TV ne relèvent de ce point de vue que de l’anecdote au sujet d’un journaliste isolé. Lors de son audition, M. Fogiel a ainsi affirmé que « M. Duthion a[vait] essayé de contacter d’autres journalistes de BFM-TV après le départ de Rachid M’Barki ».

Plus largement, les médias, internationaux comme français, peuvent servir d’intermédiaire à des opérations de manipulation de l’information s’inscrivant dans des stratégies d’ingérence. Celles-ci se traduisent notamment par l’activisme de représentants d’intérêts, par la publication d’informations biaisées dont l’origine est cachée ou, plus simplement, par un dévoiement de la liberté d’expression utilisée à des fins de désinformation.

i.   La pratique de l’influence auprès des médias et des journalistes

L’audition de M. Duthion par la commission d’enquête ([467]) a apporté un éclairage sur l’importance du lobbyisme qui peut s’exercer auprès de journalistes et de médias. S’il est difficile de vérifier l’exactitude de certains propos tenus par M. Duthion, celui-ci a néanmoins accepté d’évoquer son activité de lobbyiste et d’en dessiner les contours. Celle-ci consiste à « aider [ses] clients à valoriser leur image ». Dans cette optique, M. Duthion fournit « régulièrement des informations à de nombreux journalistes ».

Ces informations, que le lobbyiste désigne sous le terme de « kits presse », sont constituées d’« éléments de langage et [d’]images neutres ». Si M. Duthion a garanti à la commission d’enquête la « neutralité » des informations qu’il transmet, il est toutefois permis d’en douter, leur objectif étant précisément de mettre en valeur l’image de ses clients.

M. Duthion a précisé envoyer ces kits presse à « des dizaines, voire à des centaines de journalistes » dont « quelques-uns seulement réagissent ». Le lobbyiste ne semble exclure aucun journaliste, chacun « [pouvant] transmettre une information ». Il a d’ailleurs souligné avoir déjà travaillé avec des médias de l’audiovisuel public notamment « avec France 24, avec France 2 ou avec France 3 » mais également avec des chaînes étrangères, notamment italiennes ou espagnoles.

M. Duthion a ainsi prétendu « [faire] passer sept ou huit articles par semaine dans la presse, à la télévision et à la radio », dans des médias qu’il qualifie de « tier one ». Les médias de cette catégorie recouvrent pour M. Duthion « les chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT) », « les radios sur la bande FM » et les journaux qui, dans un kiosque sont « accessible[s] immédiatement et [ne sont] pas caché[s] par soixante-quinze autres titres ». Si cette proportion d’articles « placés » peut apparaître élevée, elle ne comprend pourtant pas, à en croire M. Duthion, les médias de moindre importance ou « tier two » à qui « il suffit [d’]écrire pour bénéficier d’une tribune dès le lendemain ».

Au-delà de sa propre pratique de lobbyiste, M. Duthion a plus largement explicité l’influence qui s’exercerait de manière fréquente auprès des journalistes. Selon lui, ceux-ci « reçoivent sans cesse des invitations à des spectacles, à de grands événements sportifs, à des manifestations diverses, à des colloques à l’étranger, au Qatar, en Chine ou aux États-Unis », et ces invitations ont une influence sur le contenu qu’ils produisent.

M. Duthion a ainsi mentionné la pratique qu’aurait la chaîne TF1 consistant à envoyer de « jeunes journalistes dans certains pays […] pour découvrir ce que sont les relations internationales », désignant par la suite le Qatar et sous-entendant que ces séjours les empêcheraient d’adopter une approche « apaisée, réfléchie, équilibrée » des relations internationales.

Au total, le panorama dressé lors de cette audition ne laisse pas d’inquiéter car il laisse à penser que les dérives sont massives dans certains domaines :

« Quant au pourcentage de reportages concernés par le lobbying, cela dépend des domaines. Concrètement, compte tenu de la détermination de la France et de la position du Quai d’Orsay, le risque de sujets téléguidés sur la guerre en Ukraine est probablement inexistant. Je parle bien entendu de ce qui est diffusé sur les chaînes mainstream, pas sur RT France. En revanche, pour des reportages dits lifestyle sur la consommation, l’alimentation ou le bien-être – l’industrie agroalimentaire mobilise des sommes affolantes pour la communication –, mais aussi sur les loisirs, les parcs d’attractions ou les films à gros budgets, le pourcentage de reportages achetés, parfois assortis de textes écrits à l’avance, est probablement de l’ordre de 70 à 80 %. Plus la problématique est politique, complexe et internationale, moins ce pourcentage est élevé. »

Ainsi que l’a souligné M. Duthion, il n’existe pour l’heure pas de « dispositif légal ou réglementaire qui encadre les sources des journalistes » quand celles-ci exercent des activités de lobbying ou d’influence.

En effet, la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin 2 » ([468]), qui définit les représentants d’intérêts ne s’intéresse qu’aux actions d’influence auprès des pouvoirs publics. Les pouvoirs publics désignés dans cette loi regroupent notamment les membres du Gouvernement, les membres des cabinets ministériels, les parlementaires ou certains fonctionnaires ([469]). Les journalistes n’y figurent en revanche pas. Or, ainsi que cela a été démontré, ceux-ci peuvent faire l’objet d’influences de la part de représentants d’intérêts.

C’est d’ailleurs en vertu de cette loi que M. Duthion estime n’être pas un représentant d’intérêts mais plutôt un « communicant et lobbyiste » puisque le décret d’application du 9 mai 2017 ([470]) précise que pour être qualifiée de représentant d’intérêts une personne doit consacrer « plus de la moitié de son temps » à une activité d’influence auprès d’élus ou de pouvoirs publics ou être entrée en communication « au moins dix fois au cours des douze derniers mois » avec ces derniers à des fins d’influence. L’essentiel de l’activité de M. Duthion s’exerçant, d’après ses dires, auprès de journalistes, il ne serait pas un représentant d’intérêts au regard de la loi.

La rapporteure tient à souligner l’importance de la protection du secret des sources journalistiques, garantie essentielle de la liberté de la presse et du droit à l’information. Celui-ci est consacré à l’article 2 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ([471]), qui dispose, dans sa version issue de la loi du 4 janvier 2010 ([472]) : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. » Toutefois, il demeure surprenant que les lobbyistes qui fournissent des informations aux médias et aux journalistes ne soient pas concernés par les mêmes obligations que ceux qui sont en relation avec les responsables publics et qualifiés de représentants d’intérêts par la loi.

Dès lors, la rapporteure recommande la création d’un répertoire des lobbyistes auprès des médias et des journalistes sur le modèle de celui découlant de la loi Sapin 2. Ce répertoire serait ainsi une garantie de protection pour les journalistes eux-mêmes. Ces lobbyistes seraient également tenus de communiquer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) leur activité de représentation d’intérêts de manière annuelle. En outre, ils seraient tenus de respecter les mêmes règles déontologiques que celles qui s’appliquent déjà aux représentants d’intérêt désignés par la loi Sapin 2.

Recommandation  8 : Instaurer un cadre juridique à la pratique du lobbyisme auprès des médias et des journalistes similaire à celui s’appliquant déjà aux représentants d’intérêts dans leurs relations avec les pouvoirs publics.

L’existence d’un cadre juridique qui permette d’apporter de la transparence dans les activités d’influence qui touchent la sphère médiatique apparaît d’autant plus nécessaire à votre rapporteure qu’elle a pu constater avec étonnement l’ignorance – feinte ou réelle – de M. M’Barki quant aux activités de M. Duthion. Ainsi, M. M’Barki a indiqué en audition qu’il lui était « difficile de soupçonner pour qui [M. Duthion] travaillait ». Il a également ajouté « la question que je me posais, quand on me livrait une information, n’était pas celle de l’intérêt que celle-ci dissimulait ». Le fait, pour un journaliste, de ne pas s’interroger sur la provenance d’informations livrées par un lobbyiste pourtant identifié comme tel est pour le moins surprenant. De son côté, M. Duthion affirme que les journalistes « connaissent en général – mais pas tous – le type de client que représente chaque lobbyiste ». M. M’Barki ferait donc preuve, soit d’une absence de curiosité étonnante, soit d’une naïveté assez confondante.

ii.   Des contenus promotionnels « cachés » au sein des contenus informationnels

Une pratique courante d’influence et de manipulation de l’information consiste à faire passer un message biaisé ou promotionnel pour une information. Si la loi encadre cette pratique, les auditions menées par la commission d’enquête et les révélations de l’enquête Story Killers ont pu mettre au jour certains abus susceptibles de donner lieu à des ingérences étrangères.

Lors de son audition, M. Duthion a donné des exemples d’influences étrangères pouvant s’exercer à travers les médias par le biais de publireportages. Il s’agit d’une technique de promotion commerciale visant à insérer des publicités affectant la forme d’un reportage dans un média (magazine, émission télévisuelle…). Sous couvert d’un caractère informatif, ces publicités apparaissent d’autant plus crédibles qu’elles peuvent être entourées d’authentiques informations.

Si cette pratique est encadrée par la loi ([473]), M. Duthion a considéré que certains contenus télévisuels mettant en scène des destinations étrangères pouvaient s’apparenter à des publireportages sans que cela soit clairement indiqué comme le prévoit la loi, à l’instar de « la partie “Le Mag” de l’émission “50’inside”, qui est diffusée chaque samedi sur TF1 ».

Plus spécifiquement, l’enquête Story Killers a révélé le rôle d’une startup française, Getfluence, dans des stratégies d’influence utilisant le truchement de sites d’information ([474]). L’entreprise est une « place de marché publicitaire » servant d’intermédiaire entre des sites d’information et des annonceurs qui y placent des contenus promotionnels sous la forme d’articles dits « sponsorisés ». L’intermédiaire qu’est Getfluence perçoit une commission sur chaque opération de placement.

Si la pratique n’a rien d’illégal en soi, la particularité de la start-up Getfluence est de proposer aux annonceurs de « faire publier des articles publicitaires dans des médias d’information sans afficher une mention indiquant que leur contenu a été acheté, ce qui est illégal en France, la loi imposant de signaler les publicités au lecteur ([475]) », comme l’expose M. Maxime Tellier, journaliste à Radio France, lors de son audition. La loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ([476]) dispose en effet que « toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle ».

Toutefois, M. Tellier, ayant enquêté sur Getfluence dans le cadre de Story Killers, a indiqué que l’entreprise « propose une option […] permettant de sélectionner les sites où l’on peut publier des articles publicitaires sans le signaler au lecteur ». Cette option aurait été utilisée par au moins une « agence d’influence » qui s’en serait « beaucoup » servi et qui compterait notamment pour client « le Maroc et une ex-république soviétique ».

Les contenus promotionnels « cachés » ainsi obtenus sont souvent publiés sur des « sites [internet] peu connus ». Le but n’est pas tant qu’ils soient massivement lus mais qu’ils soient « bien référencés sur les moteurs de recherche et partagés sur les réseaux sociaux », dans le but de réduire la visibilité d’informations « dérangeantes pour les clients de l’agence d’influence ».

Les journalistes de l’enquête Story Killers ont identifié quelques titres de presse à fort tirage utilisant l’option « mention sponsorisée non obligatoire » parmi lesquels se trouverait l’hebdomadaire Valeurs actuelles.

Selon M. Tellier, l’option proposée par Getfluence serait toujours disponible actuellement et la faille qu’elle constitue « n’a pas échappé aux acteurs de la désinformation ». Il convient dès lors, selon la rapporteure, d’assurer la bonne application de la loi de 2004 en faisant cesser cette pratique.

Recommandation  9 : Identifier les entreprises permettant de placer des contenus sponsorisés sans mention le précisant et les contraindre à se conformer à leurs obligations légales.

iii.   Le dévoiement de la liberté d’expression et de la liberté de la presse à des fins de propagande ou de déstabilisation

Comme dans toute société démocratique, la France protège la liberté d’expression et la liberté de la presse, consacrées en tant que libertés fondamentales par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ces libertés s’exercent dans un cadre légal qui prévient par exemple l’expression d’opinions révisionnistes ([477]) ou la provocation publique à la haine raciale. Ce cadre ne sanctionne toutefois pas toujours les discours mensongers et la désinformation. Dès lors, des puissances étrangères hostiles peuvent user de ces libertés qu’elles répriment chez elle pour désinformer et dénigrer les positions françaises dans l’espace médiatique français lui-même.

Selon M. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), « les médias étrangers échappent au cadre légal français, même s’ils diffusent en France ([478]) ». Cette situation est source de menaces potentielles quand ces médias étrangers proviennent de régimes despotiques qui peuvent contrôler leur espace informationnel et lancer des « offensives […] propagandistes ou déstabilisatrices » au sein de sociétés démocratiques.

M. Deloire a pointé l’exemple de la chaîne chinoise d’information de langue anglaise CGTN qui, si elle ne semble pas bénéficier d’une grande audience en France, adopte des « pratiques très répréhensibles du point de vue des droits de l’homme, par exemple diffuser des confessions forcées ». Sa programmation est entièrement « à la solde du Parti communiste chinois » mais la chaîne dispose d’un accès à l’ensemble du territoire européen. Au cours de son audition ([479]), M. Paul Charon, spécialiste de la Chine, a également souligné qu’en France les médias privés en langue chinoise sont « tous sous le contrôle du Parti », à l’instar de Nouvelles d’Europe, « principal quotidien de langue chinoise dans notre pays ».

M. Antoine Bondaz, autre spécialiste de la Chine, a évoqué au cours de son audition l’exemple d’un article en langue française publié sur le site internet de CGTN dénigrant son travail et critiquant le chercheur en « citant entre guillemets des propos qu’[il n’avait] jamais tenus ([480]) ». L’article était signé par « une certaine Laurène Beaumond, que personne ne connaît » et dont le nom s’est révélé être le pseudonyme d’une Française « rémunérée » par les autorités chinoises pour reprendre « mot à mot les éléments de langage du régime ». M. Bondaz a estimé qu’il s’agissait là d’un autre exemple de la manière dont la Chine essaie d’influencer le débat public en France par ses relais médiatiques.

En dehors des médias chinois ou russes, le média AJ+, propriété du groupe Al Jazeera est un outil d’influence du Qatar qui bénéficie d’une forte audience sur les réseaux sociaux en France. Il cible en particulier les générations les plus jeunes, consommatrices d’information par les applications mobiles. AJ+ suit une ligne éditoriale qui pourrait être qualifiée de progressiste, luttant notamment contre tous les types de discrimination et se revendiquant féministe et antiraciste ([481]). Toutefois, ce positionnement, qui dénote une forme de décalage avec la politique mise en place au Qatar, recouvre en réalité une vision souvent très orientée de l’actualité. La France y est souvent décrite comme « islamophobe », notamment dans la rubrique « Rien ne va + » dont certaines vidéos sont intitulées « Pourquoi la France déteste le voile ([482]) » ou « “Le séparatisme” : chasse au musulman ? ([483]) ».

Ces médias d’État, issus de pays autoritaires ou despotiques, usent ainsi de la liberté d’expression et de la liberté de la presse qui existent peu ou pas dans leur pays pour formuler un discours qui peut être hostile à la France. Ce faisant, ils usent librement des avantages qu’offrent les démocraties à l’encontre même de celles‑ci.

Pour le secrétaire général de RSF, il est essentiel que les démocraties se dotent de « systèmes juridiques protecteurs qui leur permettent de résister à l’avantage concurrentiel que confère l’asymétrie aux régimes despotiques sur les démocraties ». À cet égard, la suspension de diffusion des chaînes RT et Sputnik dans l’Union européenne décidée à la suite de l’agression russe contre l’Ukraine (voir supra) semble relever davantage de l’exception dans un cadre par ailleurs très ouvert aux médias étrangers. En outre, une interdiction pure et simple de médias n’est pas nécessairement la solution à privilégier systématiquement dans un espace informationnel dont on souhaite qu’il reste libre et ouvert.

Un équilibre doit être trouvé entre ce que M. Deloire qualifie de repli « dommageable » sur des espaces nationaux et la conservation d’un « degré d’ouverture un peu naïve ». Dès lors, il convient de créer un « espace informationnel démocratique » doté de règles qui assurent la liberté d’information tout en étant protecteur contre des attaques extérieures. Celui-ci doit notamment permettre que tous les acteurs médiatiques agissant dans le même espace informationnel soient soumis à des règles identiques.

Le Forum international sur l’information et la démocratie, qui regroupe une cinquantaine d’États démocratiques, s’inscrit dans cette perspective. Cette instance, dont la gouvernance est assurée par des organisations non gouvernementales comme Reporters sans frontières, est chargée, selon M. Deloire, de « formuler des recommandations précises […] pour construire un espace numérique démocratique ». La France a marqué son engagement dans cette initiative, organisant deux sommets annuels en marge de l’assemblée générale des Nations unies.

La rapporteure souhaite souligner l’importance de persévérer dans la construction d’un espace informationnel démocratique qui demeure ouvert tout en « sortant de la naïveté » à l’égard de médias contrôlés par des États autoritaires qui peuvent être hostiles à la France.

Au-delà de la menace que peuvent représenter les médias à la main d’États autoritaires diffusés en France, la liberté d’expression qui a cours dans notre pays peut également donner lieu à des manipulations de l’information au sein même des médias français. Celles-ci, qui ne sont pas toujours dénoncées ou sanctionnées, proviennent souvent d’interventions de personnalités sur certains plateaux télévisés où la contradiction peut être limitée, voire absente.

À cet égard, M. Antoine Bondaz a alerté la commission d’enquête sur les prises de parole « inadmissibles » de M. Lu Shaye, ambassadeur de la République populaire de Chine en France, « souvent présenté comme l’exemple type du “loup guerrier” », expression désignant les diplomates chinois à la rhétorique agressive. Celui‑ci a déclaré à trois reprises sur les chaînes LCI, BFM-TV et CNews « qu’il fallait “rééduquer” les Taïwanais ». Si, pour M. Bondaz, ces propos sont « grossiers, vulgaires », le problème réside surtout dans le fait que M. Shaye a ensuite comparé cette rééducation aux « cours d’éducation civique que nous dispensons en France ». Cette comparaison, qui peut à tout le moins être qualifiée d’outrancière, n’a, au regret de M. Bondaz, « suscité aucune réaction » en France.

Le chercheur déplore le « sentiment d’impunité » de l’ambassadeur chinois qui tient régulièrement des propos s’apparentant à de la pure désinformation. Au moment de la crise du covid-19, le diplomate a ainsi affirmé sans fournir la moindre preuve que les soignants français des EHPAD avaient « abandonné leurs postes du jour au lendemain […], laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie ([484]) ». Sur Twitter, M. Shaye a en outre insulté M. Bondaz, le traitant de « petite frappe », de « hyène folle » et de « troll idéologique » à la suite de travaux menés par le chercheur, qui ne sont d’ailleurs pas contestés sur le fond.

Le 21 avril 2023, soit près d’un mois après l’audition de M. Bondaz, M. Lu Shaye s’est à nouveau illustré en assurant sur la chaîne LCI que l’Ukraine, l’Arménie, la Géorgie et les trois États baltes n’avaient pas de « statut effectif dans le droit international, parce qu’il n’y a pas d’accords internationaux pour concrétiser leur statut d’un pays souverain », en totale contradiction avec la vérité historique, tous ces pays ayant été internationalement reconnus après la disparition de l’Union soviétique. Cette dernière intervention a fait l’objet de vives réactions du ministère des affaires étrangères mais également de nombreuses chancelleries occidentales, conduisant la Chine à désavouer les propos de son ambassadeur en assurant respecter « le statut d’État souverain » des pays de l’ex-URSS. Cet incident illustre l’utilité de dénoncer la désinformation qui peut être le fait d’officiels étrangers dans les médias français, ainsi que l’utilité d’un travail journalistique d’interview poussé.

Dès lors, loin de prôner la censure ou l’exclusion des médias français de personnalités comme M. Shaye, Antoine Bondaz rappelle l’importance d’une expression libre au sein d’une pluralité de points de vue. Selon lui, « le problème n’est pas que [M. Shaye] s’exprime, c’est qu’il ne trouve face à lui aucun répondant – ni de la part des journalistes, ni de celle de l’ensemble de la société civile et politique française »

Depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier, l’intérêt des médias français pour cette région du monde et la guerre menée par l’armée de Vladimir Poutine est allé crescendo. Les reportages, documentaires, interviews et débats en plateau se sont multipliés. Il est à observer que cette intense activité médiatique, bienvenue car à la hauteur des bouleversements géopolitiques qu’entraîne l’agression russe et de la tragédie vécue par le peuple ukrainien, peut s’accompagner, parfois, de propagation de discours biaisés, d’« expertises » peu attribuées, de présentations orientées relayant des éléments de langage officiels de l’État russe, sans que la contradiction et le pluralisme des positions ne paraissent toujours se déployer. Le relais du narratif officiel russe a pu, à plusieurs reprises, être le fait d’invités étrangers comme d’invités français des plateaux de télévision. Se posent bien sûr, à cet égard, la difficulté du travail journalistique de couverture d’une guerre et celle d’assurer aux citoyens français une information fiable, de qualité, vérifiable et vérifiée.

La rapporteure tient à saluer le courage et l’engagement dont font preuve de nombreux journalistes français pour couvrir le conflit en Ukraine, parfois au péril de leur vie, comme en témoigne la mort récente, le 9 mai dernier, d’Arman Soldin, dans un bombardement près de la ville assiégée de Bakhmout. Ce dernier, reporter français de l’AFP, est le troisième reporter français à perdre la vie depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Selon les ONG de défense de la presse, pas moins de onze reporters, fixeurs ou chauffeurs auraient été tués depuis février 2022.

Le sujet des influences ou ingérences russes touchant des hauts fonctionnaires, particulièrement des officiers de nos forces armées, a été abordé lors de l’audition de M. Stéphane Bouillon. La question a été posée de ce que l’on pourrait qualifier d’idéologie pro-russe auprès de certains dirigeants de nos armées. M. Bouillon a fait état de réponses qui pourraient être apportées lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, s’agissant par exemple des pilotes de l’armée de l’air. Il a par ailleurs rappelé les enquêtes de sécurité menées sur les personnels des armées en activité par la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). De son côté, la DGSI se montre elle aussi très « scrupuleuse », selon le mot employé par M. Bouillon. Des généraux et officiers concernés par des apparitions, régulières ou ponctuelles, sur les plateaux de télévision sont tous de deuxième section, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus en activité. « La question peut effectivement se poser de savoir si, à ce stade, on est totalement libre de sa parole ([485]) », a cru bon de commenter M. Bouillon lors de son audition par la commission d’enquête.

B.   Les cyber-attaques

Si les attaques dans l’espace cybernétique peuvent soutenir une stratégie de désinformation ([486]), elles ont aussi des objectifs très variés. Selon le SGDSN, M. Stéphane Bouillon ([487]), les cyber-attaques cherchent à « extorquer une rançon ou à vendre des données préalablement pillées », comme l’ont connu certains hôpitaux français, et peuvent aussi « répondre à des objectifs d’espionnage et se traduire par la prise de contrôle ou le sabotage de systèmes informatiques ». En France, il revient notamment au SGDSN, en particulier via l’Agence nationale de la sécurité des services d’information (ANSSI), de lutter contre ces attaques dont l’ampleur « devient considérable ».

1.   Des menaces cyber croissantes

Pour M. Vincent Strubel, directeur de l’ANSSI, la menace cyber « va crescendo ([488]) ». Elle se matérialise selon lui en trois principales formes d’attaque : la cybercriminalité, l’espionnage et le sabotage. Si la cybercriminalité peut être le fait de personnes privées, l’espionnage et le sabotage sont « en général le fait d’États ».

Le rapport d’activité 2022 de l’ANSSI ([489])  fait état de 831 cyber-attaques, majoritairement des cas de « rançongiciels ». Ce chiffre ne retrace toutefois que les tentatives d’attaque dont l’agence a eu à connaître, sachant qu’elle ne gère que les situations les plus graves. En décembre 2022, le précédent directeur de l’ANSSI, M. Guillaume Poupard, estimait que le nombre de cyber-attaques avait été multiplié par dix en trois ans, du fait notamment de la numérisation de nos sociétés ([490]).

a.   La cybercriminalité

La forme la plus fréquente de cyber-attaques relève d’« activités criminelles ayant, pour l’essentiel, une visée lucrative ». L’un de ses aspects les plus courants est le « rançongiciel » qui paralyse les systèmes informatiques et propose un déblocage en échange d’une rançon. Toutefois, la cybercriminalité peut aussi prendre la forme d’une extorsion de données, de l’exigence de rançons en échange de la non‑publication de données, ou encore d’« activités visant à détourner des systèmes pour produire de la cryptomonnaie ».

Les auteurs de ces attaques ne ciblent personne en particulier : ils pratiquent ce que M. Strubel nomme « une sorte de pêche au chalut ». C’est la raison pour laquelle des hôpitaux français en sont régulièrement victimes, du fait d’un niveau de cybersécurité moins élevé que la plupart des autres administrations. Pour le directeur de l’ANSSI, ce sont des attaques aux « conséquences parfois graves et particulièrement abjectes », quand bien même « les règles de la comptabilité publique interdisent de verser la moindre rançon ».

D’après M. Strubel, PME et collectivités territoriales sont également des « cibles récurrentes » de ces attaques. Si de grandes entreprises ont été victimes de ces pratiques par le passé, elles ont « relevé leur niveau de sécurité » à un seuil suffisamment élevé pour s’en prémunir. Le 12 octobre 2019, le groupe M6 a subi une attaque informatique sous la forme d’un ransomware qui a affecté le système bureautique, le rendant quasiment inopérant pour quelques jours. Nos organes de presse sont donc de manière évidente des cibles.

b.   L’espionnage

Il est, par définition, difficile de quantifier publiquement le phénomène d’espionnage par cyber-attaque. En effet, l’attaquant cherche à demeurer discret et, s’il est découvert par les services de l’État, ces derniers n’ont pas nécessairement intérêt à rendre ces attaques publiques car cela pourrait renseigner l’espion sur la nature des cyberdéfenses. Les opérations de cyber-espionnage étant « très complexes », elles mobilisent « l’essentiel de [l’]activité de réponse à des incidents ». Le directeur de l’ANSSI a rapporté à la commission d’enquête que l’agence avait mené en 2022 dix-neuf « opérations » correspondant « quasi exclusivement à de l’espionnage ». Ce terme d’« opérations » renvoie au « niveau d’intervention le plus élevé, engageant [les] agents de manière massive pendant des semaines, voire des mois, face à une attaque majeure afin de bien comprendre ce qu’a fait l’attaquant, par où il est entré, comment le faire sortir et comment s’assurer qu’il ne reviendra pas ».

M. Strubel a par ailleurs précisé que neuf de ces attaques relevaient de modes opératoires « attribués en source ouverte à la Chine ».

Les cibles de ces opérations d’espionnage sont généralement les entreprises stratégiques ou l’État lui-même, afin d’obtenir des « secrets industriels, commerciaux ou des informations sensibles détenues par l’État », notamment la posture diplomatique de ce dernier. Ces opérations se traduisent par la prise de contrôle discrète du réseau informatique d’une entreprise ou d’une administration afin d’en « [faire] sortir de l’information », notamment des secrets industriels ou des prospects commerciaux dans le cadre d’une stratégie de concurrence économique.

L’un des cas de cyber-espionnage les plus médiatisés en France est « l’affaire Sandworm », du nom d’un logiciel malveillant de type « ver informatique » utilisé pour la première fois en 2009 par des pirates informatiques provenant de Russie. Ce ver espion permettant d’accéder aux informations d’un ordinateur en exploitant une faille informatique a notamment visé « des administrations françaises ».

Dans de telles situations, les possibilités de réponse sont limitées. Ainsi, dans le cadre d’un « canal de déconfliction » à la suite de l’affaire Sandworm, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale a rencontré son homologue russe, M. Nikolaï Patrouchev, et lui aurait indiqué avoir constaté qu’un service russe menait des cyber-attaques en France. Toutefois, « dans ce genre de situation », l’adversaire adopte « en général » une position de dénégation visant à demander des preuves. Or, si des preuves lui sont fournies, il obtient le moyen de corriger son système et de ne plus être détecté la fois suivante. Pour M. Bouillon, « l’efficacité de telles démarches est donc limitée ».

Le cyber-espionnage vise également les universités et institutions de recherche françaises, ainsi que l’a relevé de manière pertinente et complète M. le sénateur André Gattolin dans son rapport Mieux protéger notre patrimoine scientifique et nos libertés académiques ([491]).

c.   Les actes de sabotage

Le directeur de l’ANSSI considère que les actes de sabotage recouvrent un champ assez large qui correspond plus largement à de la « déstabilisation stratégique ». Celle-ci est le fait d’États qui cherchent à perturber le fonctionnement d’infrastructures stratégiques. Cette pratique s’est illustrée au début de la guerre russe contre l’Ukraine quand une infrastructure de communications par satellite opérée par Viasat, le « service KA-SAT », a été paralysée. D’après M. Strubel, ce sabotage a eu des « conséquences sur le territoire ukrainien, mais aussi bien au-delà : elle a largement débordé sur le territoire français ». Cette attaque en sabotage a été attribuée à la Russie par l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Son déclenchement dans la nuit du 23 au 24 février 2022 ne laisse guère de doute quant à son origine et à sa finalité.

Un aspect « plus pernicieux » de la déstabilisation stratégique consiste à s’infiltrer discrètement dans les infrastructures stratégiques pour mener des actes de sabotage au moment opportun, sans que la cible ne s’y attende. Ce type d’infiltration « inquiète tout particulièrement » les services de l’ANSSI.

Certains actes de sabotage ou de malveillance peuvent également revêtir une portée plus symbolique en cherchant à faire passer des messages. L’Assemblée nationale a ainsi fait l’objet d’une attaque par déni de service – occultant son site pendant un certain temps mais sans autre conséquence – la veille du vote, le 28 mars 2023, de la résolution reconnaissant l’Holodomor comme génocide ([492]). Mme Loiseau a qualifié cet événement de « cyber-attaque publicitaire » au cours de son audition.

2.   Une structure de défense organisée et discrète

L’ANSSI, ainsi que l’a rappelé son directeur en audition, « joue le rôle de chef de file dans le dispositif national de cybersécurité ». Placée sous l’autorité du SGDSN, l’agence collabore avec les services dédiés des ministères de l’intérieur et des armées.

a.   Un dispositif de cyberdéfense animé par l’ANSSI

Forte d’environ six cents agents, l’ANSSI opère trois grandes missions en matière de cyberdéfense énumérées par M. Strubel.

La première consiste à répondre aux cyber-attaques. Pour le directeur de l’agence, il s’agit de « les détecter, de les analyser, de chasser l’attaquant lorsqu’il est toujours présent et, le cas échéant, de passer la main à la justice, à qui il revient de réprimer les crimes ». Cette mission se déroule en « liaison étroite » avec les services de renseignement dans le cadre du centre de coordination des crises cyber, le C4. Rappelons que le SGDSN et l’ANSSI ne sont pas des services de renseignement.

La deuxième mission est la sécurisation de l’État. L’ANSSI cherche à ce que ce dernier bénéficie d’un niveau de sécurité qui, s’il ne peut jamais être absolu, demeure très élevé au regard des exigences de continuité de l’État. Cette protection concerne également les établissements et les opérateurs de l’État. Chacun des ministères est responsable de la sécurité de son système informatique mais l’ANSSI apporte un appui à cette sécurisation, notamment par le biais d’indicateurs.

La troisième et dernière mission est plus étendue et moins précise. Elle consiste globalement à « protéger nos concitoyens – non seulement les individus, mais également les entreprises et les associations ». L’ensemble du tissu économique et social pouvant faire l’objet de cyber-attaques, l’ANSSI insiste sur l’importance de la sensibilisation et la formation aux enjeux de cybersécurité. L’agence participe également au déploiement de « mesures de sécurité » parmi les opérateurs économiques et au sein du tissu associatif.

L’ANSSI n’agit toutefois pas seule et son action s’inscrit dans une coopération qui implique un grand nombre de services de l’État :

– les services de la DGSE sont, selon M. Bernard Émié, les « sentinelles qui, en amont, cartographient les adversaires, les services spéciaux, les armées, les hackers, les cybercriminels ([493]) » ;

– la DGSI concourt également à « la prévention et à la répression de la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication ([494]) » par la mobilisation de ses moyens de renseignement ;

– les services ministériels, en particulier ceux des ministères des armées et de l’intérieur, participent à la stratégie de lutte contre les cyber-attaques. Ils contribuent notamment à la protection des réseaux, à la lutte contre toutes les formes de cybercriminalité et à la prévention et à la sensibilisation des publics concernés.

b.   La nécessaire discrétion de la cyberdéfense

D’après M. Stéphane Bouillon, les cyber-attaques sont très souvent le fait des États, qu’ils soient directement « à la manœuvre », ou que les opérations mobilisent des « proxys situés de manière privilégiée dans certains États ».

Ces États peuvent être identifiés mais l’ANSSI a pour habitude de ne jamais « nomme[r] ni les victimes ni les attaquants ». La plupart du temps l’agence identifie un « mode opératoire » identifiant l’attaquant mais il « revient à la justice de dire de qui il s’agit – lorsque l’affaire est judiciarisée –, avec le niveau d’exigence qui lui est propre en matière de preuves ». Les autorités politiques peuvent parfois estimer en certaines occasions qu’il est justifié de faire part publiquement de leur mécontentement à l’égard d’un État identifié. Il appartient par ailleurs aux victimes de communiquer sur les attaques qu’elles ont subies, que ce soit volontairement ou contraintes juridiquement.

En tout état de cause, l’attribution d’une attaque à un pays n’est pas toujours chose aisée. Elle peut même s’avérer « risquée » selon M. Bouillon. En effet, la détection d’un mode d’action traditionnellement propre à un pays, souvent la Russie ou la Chine, ne signifie pas nécessairement que c’est ce pays derrière la manœuvre. M. Bouillon a ainsi pointé l’exemple d’un attaquant qui utiliserait « les outils d’APT31, autrement dit un système chinois de cyber-attaque bien connu sur le dark web ». Dans cette situation un État pourrait utiliser APT31 pour faire « porter le chapeau à la Chine, par exemple ». Aux yeux du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, « les pièges sont nombreux » en la matière.

III.   La lutte contre les menaces transversales, enjeu prioritaire de la stratégie nationale du renseignement

La Stratégie nationale du renseignement (SNR) ([495]) définit la « lutte contre les menaces transversales » comme l’un de ses enjeux prioritaires avec les menaces terroristes, l’anticipation des crises et des risques de ruptures majeures ([496]) ainsi que la défense et la promotion de notre économie. Cette lutte vise notamment la menace cyber, les ingérences et l’espionnage.

D’après cette feuille de route, la communauté du renseignement a pour but « d’identifier les entités et services agressifs à notre encontre ainsi que leurs cibles, et de décrire leurs buts et leurs méthodes [et] d’en évaluer les conséquences pour notre souveraineté et nos intérêts, afin d’éclairer la décision politique de réponse à ces agissements hostiles ».

Cet objectif fait écho aux dispositions de l’article L. 811‑3 du code de la sécurité intérieure (CSI) ([497]) selon lesquelles « la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » est l’un des objets du « recueil de renseignement relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ».

Il dénote une forme de prise de conscience vis-à-vis des menaces insidieuses de puissances étrangères auxquelles fait face notre pays.

Toutefois, la contre-ingérence n’est pas l’affaire de la seule sphère publique. Il est nécessaire de mobiliser la société civile afin d’assurer une forme de résilience face aux tentatives de destabilisation de notre démocratie.

A.   l’architecture institutionnelle de la contre-ingérence

Afin d’évaluer l’action menée pour répondre à l’objectif de lutte contre les menaces transversales, la commission d’enquête a souhaité auditionner, à huis clos, plusieurs services appartenant au premier cercle de la communauté du renseignement, défini à l’article R. 811‑1 du CSI :

– la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) du ministère de l’intérieur et des outre-mer ;

– la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) du ministère des armées ;

– le service Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

– la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) du même ministère.

La commission d’enquête a également souhaité entendre le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), placé auprès de la Première ministre, et auquel sont rattachés l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), tous deux également auditionnés.

1.   La DGSI

La prévention et la répression de toute forme d’ingérence étrangère sont la première des missions confiées à la DGSI ([498]).

Ce service actif de la police nationale a succédé en 2014 à la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) laquelle était née d’une fusion des anciens Renseignements généraux (RG) et de l’ex-direction de la surveillance du territoire (DST) en 2008 ([499]). La création de la DGSI faisait suite aux conclusions d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, présentées par les députés Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère ([500]), consécutive aux attentats de mars 2012 à Toulouse et Montauban.

La prévention et la répression se déclinent dans les trois rôles que joue la DGSI : le renseignement, la sensibilisation et la riposte.

a.   La détection des ingérences étrangères

En sa qualité de service de renseignement, la DGSI est chargée de prévenir les activités qui s’apparentent à des ingérences de puissances étrangères sur le sol national.

Cette mission passe, tout d’abord, par la surveillance des services de renseignements étrangers en France, notamment lorsque ces derniers agissent de manière clandestine pour recueillir et traiter des sources. M. Nicolas Lerner, directeur général, rappelle en effet que « des opérations de recrutement sur le territoire national sont très régulièrement menées par des agents sous couverture diplomatique ou itinérants » et que la DGSI « [a] vocation à les suivre et à les entraver ([501]) ». Le renseignement intérieur suit également « les relais qui, au sein de la société française, servent de point d’appui à des actions d’espionnage ou à des politiques d’influence », par exemple au sein de diasporas dont les États d’origine considèrent que leurs membres leur doivent allégeance.

C’est entre autres le cas dans la sphère religieuse lorsque « certains États essaient d’imposer le magistère de structures cultuelles, notamment musulmanes, dont ils considèrent qu’elles doivent avoir un droit de regard sur l’organisation du culte sur le territoire national ». La loi n° 2021‑1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite « loi séparatisme », « a permis des avancées significatives » dans la mesure où les dons étrangers à des associations cultuelles et la cession de lieux de culte à un État étranger doivent être déclarés. Le texte oblige également les associations « loi de 1901 ([502]) » dont l’objet est en réalité l’exercice d’un culte, à se déclarer comme des associations cultuelles, régies par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Ces dispositions confèrent à la DGSI « une accroche nouvelle consistant à mettre au jour et à, au besoin, entraver d’éventuels flux financiers ».

Dans le domaine économique et universitaire, la détection des tentatives d’ingérences étrangères passe par l’entrave aux actions d’espionnage mais aussi à la sensibilisation aux formes d’immixtion plus insidieuses comme les propositions de partenariats ou de jumelage : « En la matière, [l’]activité [de la DGSI] ne consiste pas à autoriser ou non les projets, le chef d’entreprise ou le président d’université étant seul à même d’apprécier l’intérêt de son établissement, mais à sensibiliser fortement ces derniers au risque attaché à tel partenariat, à tel jumelage ou à l’accueil de tel individu. S’il s’agit d’espionnage, l’entrave est immédiate ; s’il s’agit de partenariats potentiellement déséquilibrés à des fins d’ingérence et de déstabilisation à moyen terme, [elle mène] une action de sensibilisation. »

En ce qui concerne la guerre informationnelle menée par certains pays contre la France, la DGSI n’a pas vocation à déconstruire les récits véhiculés par des États hostiles ou à empêcher la circulation de certaines informations mais « la vigilance s’impose dès que ces narratifs bénéficient d’expositions ou de modalités de mise en avant artificielles, reposant sur des techniques qui doivent être détectées et dénoncées ».

b.   La sensibilisation aux risques

L’effort de sensibilisation entre dans le champ, et de la prévention et de la répression des formes d’ingérence étrangère que confère le décret du 30 avril 2014 à la DGSI. En la matière, « la DGSI déploie une activité significative : en 2022, [elle a] mené plus de 6 500 entretiens individuels, dans les domaines économique, universitaire, de la recherche mais aussi politique ».

Ces actions sont également destinées aux membres du Parlement. Concernant l’Assemblée nationale, M. Lerner précise que la DGSI a « largement sensibilisé les groupes politiques au début de la législature ; [elle a] des contacts réguliers avec les parlementaires, à leur demande ou à [son] initiative, et [mène] des actions de sensibilisation, le cas échéant pour leur faire savoir à qui ils ont affaire  ils sont ensuite entièrement libres de poursuivre ou non leurs relations dès lors qu’elles ne tombent pas sous le coup de la loi. [La DGSI l’a] fait à plusieurs reprises ces derniers mois, après avoir détecté des contacts avec des officiers de renseignement russes sous couverture diplomatique. »

Ces actions peuvent également être menées en groupe. Près de 1 200 conférences de sensibilisation ont ainsi été données en 2022. Ces formations peuvent, par exemple, permettre d’alerter un auditoire sur « les risques de la coopération avec la Chine, sur les enjeux du cyber ou sur d’autres sujets ». Chaque mois, la DGSI diffuse également un « flash ingérence » sur son site internet à destination des entreprises. Par exemple, le n° 93 d’avril 2023 entend sensibiliser les industriels aux opérations de repérage préalables à un espionnage (survol de drones, intrusion d’individus, prises de vues à distance) et formule des préconisations. Parmi les sujets précédemment évoqués figurent les escroqueries par des acteurs se présentant comme des fonds d’investissement, les risques liés aux visioconférences ou encore la perte d’un marché à la suite de démarches intrusives de clients étrangers.

c.   L’entrave aux menaces

La répression des ingérences étrangères prend des formes multiples. Les premières peuvent être d’ordre diplomatique. C’est le cas de l’expulsion de diplomates étrangers, soupçonnés d’être membres d’un service de renseignement menant des activités hostiles, déclarés personae non gratae en application de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 ([503]). En avril 2022, un communiqué du ministère de l’Europe et des affaires étrangères consacré à l’expulsion de personnes russes révèle qu’il y a sur notre sol « de nombreux personnels russes sous statut diplomatiques affectés en France dont les activités sont contraires à nos intérêts de sécurité ([504]) ». Au cours de son audition, M. Lerner a précisé qu’ils étaient au nombre de trente-cinq et il a par ailleurs indiqué que « six [autres] officiers de renseignement russes, pris en flagrant délit de traitement d’une source sur le territoire national » ont été expulsés grâce à une enquête de la DGSI. Ces renvois peuvent aussi prendre la forme de demandes de rappel silencieux.

Toutefois, la détection d’activités hostiles de la part d’un agent sous couverture diplomatique n’aboutit pas nécessairement à ce que celui-ci soit déclaré persona non grata. Un chef de poste d’un service étranger peut être mis en garde ou convoqué pour lui faire savoir que les services de renseignement français sont au courant de ses activités, ainsi que par d’autres méthodes diverses et plus discrètes.

La poursuite des actes d’ingérence peut aussi se dérouler sur le terrain judiciaire. Le livre IV du code pénal régit en effet les crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique ([505]) et réprime notamment les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, dont la trahison et l’espionnage. Le directeur général de la DGSI cite plusieurs exemples récents : « Parmi les procédures judiciaires ouvertes sur la base du travail de la DGSI, je citerai l’arrestation, à l’été 2020, d’un militaire de haut rang de l’armée française, poursuivi pour des faits d’espionnage et de trahison. En poste à l’OTAN à Naples, il est poursuivi et mis en examen et la procédure judiciaire est en cours. Je citerai également la condamnation assez lourde de deux anciens agents d’un service de renseignement français, détectés grâce au travail attentif de leur service d’affectation, judiciarisés par la DGSI et déclarés coupables d’espionnage au bénéfice des services chinois. »

Enfin, la lutte contre le terrorisme peut s’inscrire dans la répression des ingérences étrangères lorsque des projets d’attaque sont à l’instigation de puissances étrangères, comme ce fut le cas de l’attentat déjoué au parc des expositions de Villepinte en 2018 qui impliquait des agents iraniens sous couverture diplomatique ([506]).

2.   La DGSE

La DGSE relève directement du ministre des armées ([507]). Elle a succédé au service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) en 1982 ([508]) et est ainsi l’héritière du Bureau central de renseignement et d’action (BCRA) créé par le général de Gaulle en 1942, alors chef de la France libre.

En application de l’article D. 3126‑2 du code de la défense, la DGSE a pour mission de « rechercher et d’exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France, ainsi que de détecter et d’entraver, hors du territoire national, les activités d’espionnage dirigées contre les intérêts français afin d’en prévenir les conséquences ». Comme l’a rappelé son directeur général, M. Bernard Émié, en audition, « elle est le seul service spécial et secret de la France ([509]) ». Elle agit à l’étranger de manière clandestine.

Parmi les champs de compétence de la DGSE, plusieurs relèvent de la prévention des ingérences étrangères comme la lutte contre le terrorisme, la lutte contre les menaces cyber, la sécurité économique, le renseignement de politique extérieure et le contre-espionnage. Dans ces domaines, elle travaille en étroite coopération avec la DGSI (voir supra), la DGSE agissant, comme son nom l’indique, à l’extérieur de nos frontières afin de prévenir les tentatives d’immixtion de puissances étrangères. Dit de manière imagée, le rôle de la DGSE « est d’avoir un coup d’avance, de connaître le dessous des cartes, de décrypter les intentions cachées, d’anticiper les ruptures, de faire la part entre le vrai et le faux, puis d’entraver le projet de nos ennemis ».

À cet égard, le contre-espionnage constitue un moyen important de lutte contre les ingérences. Il consiste « à détecter et à entraver les tentatives de pénétrations adverses de nos emprises diplomatiques et consulaires mais aussi de nos entreprises à l’étranger ». Dans ce dernier cas de figure, il s’agit d’empêcher les ingérences technologiques et économiques en déjouant les opérations d’espionnage, à l’instar de la campagne d’hameçonnage menée par les services chinois depuis 2014 ([510]).

La DGSE collabore également avec l’ANSSI et le commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) ([511]) dans le domaine cyber. D’après M. Émié, « dans cet écosystème, [les agents de la DGSE sont] les sentinelles qui, en amont, cartographient les adversaires, les services spéciaux, les armées, les hackers, les cybercriminels ».

Comme la DGSI, la DGSE mène également des actions de sensibilisation à l’attention des « élites administratives, politiques, économiques, scientifiques et de l’ensemble de leurs collaborateurs quant à nos vulnérabilités et aux moyens de protection, parfois très simples, qu’il convient d’appliquer ».

3.   Le renseignement du ministère chargé de l’économie et des finances

Le ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique dispose de deux services appartenant au premier cercle de la communauté du renseignement : la DNRED et Tracfin.

a.   La DNRED

La DNRED a été créée en 1988 ([512]). Ce service à compétence nationale fait partie de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI). À ce titre, il est chargé de « mettre en œuvre la politique du renseignement, des contrôles et de lutte contre la fraude de la [DGDDI] ([513]) ».

Dans le cadre de ses pouvoirs, la DNRED est conduite à combattre des tentatives d’immixtion de puissances étrangères même si son directeur, M. Florian Colas, préfère parler de « lutte contre les prédations davantage que de lutte contre les ingérences ([514]) ». Pour que le renseignement douanier intervienne, « il doit toujours y avoir un flux financier, un flux de marchandises ou de technologies, une atteinte à la propriété intellectuelle matérialisant une infraction douanière objective », c’est-à-dire entrer dans le champ du titre XII du code des douanes.

Sa qualité de membre du premier cercle de la communauté définie à l’article R. 811‑1 du CSI, lui confère « la plénitude des pouvoirs de renseignement », y compris le recours à des interceptions de sécurité, même si son action est beaucoup plus circonscrite que celle de la DGSI et de la DGSE, d’autant que la DNRED ne relève pas directement du ministre mais de la directrice générale de la DGDDI.

D’après M. Colas, la DNRED est susceptible de mettre au jour des phénomènes se rapportant à l’ingérence étrangère dans cinq domaines :

– le contrôle des exportations et le transfert de technologies ;

– les sanctions internationales ;

– les flux financiers illicites ;

– les préjudices économiques ;

– les préjudices de nature fiscale portant atteinte aux intérêts financiers de l’État ou de l’Union européenne.

b.   Tracfin

Aux termes de l’article L. 561‑23 du code monétaire et financier, Tracfin est une cellule de renseignement financier (CRF) nationale. Son existence remonte au décret du 9 mai 1990 portant création d’une cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins, dont il tire son acronyme. Sa création répondait à une recommandation du Groupe d’action financière (GAFI) ([515]) créé par le G7 au sommet de Paris en 1989.

D’abord sous l’autorité de la DGDDI, Tracfin a été érigé en service à compétence nationale relevant directement du ministre chargé de l’économie et des finances en 2006 ([516]).

Dans ce cadre, il est chargé de lutter contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. À partir des déclarations des professionnels assujettis, en application de l’article L. 561-2 du code monétaire et financier, ou d’informations reçues de la part de CRF étrangères, Tracfin collecte les renseignements permettant d’établir l’origine ou la destination d’une opération financière susceptible de relever d’une infraction. Ce rôle lui permet d’occuper une place essentielle dans l’architecture de la contre-ingérence. En effet, comme le rappelle son directeur, M. Guillaume Valette‑Valla, « les stratégies d’influence et d’ingérence sont nécessairement financées par des sommes, petites et grandes, et le service chargé du renseignement financier rattaché au ministre de l’économie et des finances dispose à cet égard de ses propres sources d’information ([517]) ».

Les déclarations de soupçon évoquées sont reçues de « 200 000 déclarants de France, qui représentent quarante-huit professions hétérogènes [dont] les professions du chiffre et du droit, soit, pour plus de 90 %, les établissements financiers et les banques ».

Tracfin transmet ainsi des notes d’information aux interlocuteurs habilités par le code monétaire et financier, dont :

– le procureur de la République « lorsque les faits sont susceptibles de relever du blanchiment du produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme » (article L. 561‑30‑1) ;

– les autres services de renseignement, lorsque les faits sont susceptibles de relever d’une menace contre les intérêts fondamentaux de la Nation en matière de sécurité publique et de sûreté de l’État (article L. 561-31).

M. Valette-Valla résume, en quelques chiffres, cette activité : « Nous recevons quelque 165 000 déclarations par an et, toutes vérifications faites, nous adressons plus de 3 000 notes d’information et de renseignement aux administrations et aux services partenaires, dont, selon les années, 500 à 600 signalements à l’autorité judiciaire, notamment le Parquet national financier et le Parquet national antiterroriste, en suggérant des entraves judiciaires aux agissements constatés. »

Trois domaines d’ingérence sont directement visés par Tracfin :

– les ingérences économiques, notamment pour entraver l’instrumentalisation du droit dans le cadre du lawfare ([518]) ;

– les ingérences « visant différents cercles de décision français », par le biais de la détection de vecteurs financiers visant des personnes politiquement exposées (PPE) ([519]) ;

– les ingérences cultuelles, en ce qui concerne les flux de financement d’associations religieuses en provenance de l’étranger.

Au sein de la communauté du renseignement, Tracfin intervient ainsi par la détection de « signaux faibles » dans la mesure où sa mission de lutte contre le blanchiment de capitaux lui permet de détecter des flux financiers révélant une activité pouvant s’apparenter à de l’ingérence. Comme l’explique son directeur, « les spécialistes du renseignement disent que les signaux Tracfin sont “faibles”, au sens où nous n’allons pas rencontrer dans une chambre d’hôtel, un conseil d’administration ou l’antichambre d’un palais gouvernemental une source humaine qui nous dira qu’une certaine opération va être décidée. Mais ces signaux sont fiables et solides : nous ne rapportons pas des propos plus ou moins crédibles mais des transactions bien réelles […]. Ces opérations, ces flux, ces détentions de fonds existent. Là est notre contribution, limitée mais réelle, à l’évaluation de la menace et à l’entrave des grandes puissances agissant en France. »

4.   Le SGDSN

Héritier du Conseil supérieur de la défense nationale créé en 1906, le SGDSN connaît sa forme actuelle depuis 2009 ([520]).

Son secrétaire général est chargé d’assister la Première ministre dans l’exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité, en application de l’article R.*1132‑3 du code de la défense. À ce titre, il coordonne les travaux interministériels qui s’y rapportent.

Il assure également le secrétariat du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) ([521]), qui « définit les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme » (article R.* 1122‑1).

Au sein de l’architecture institutionnelle de la contre-ingérence mais hors du premier cercle de la communauté du renseignement, la commission d’enquête a souhaité entendre le secrétaire général à la défense et à la sécurité nationale ainsi que les chefs de deux services opérationnels placés sous son autorité : l’ANSSI et Viginum.

a.   L’ANSSI

L’ANSSI a été créée en 2009 ([522]) en remplacement de la direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI), répondant ainsi aux préconisations du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 qui invitait l’État à se doter d’une capacité de prévention et de réaction aux attaques informatiques et à en faire une priorité majeure de son dispositif de sécurité nationale.

L’agence est l’autorité nationale en matière de sécurité informatique. En cette qualité, elle coordonne notamment l’action du Gouvernement en matière de défense des systèmes d’information, autrement dit, elle « joue le rôle de chef de file dans le dispositif national de cyber-sécurité », comme l’explique son directeur général, M. Vincent Strubel ([523]).

À cet égard, il précise : « Nous ne sommes pas les seuls à nous occuper de ces questions : il existe des services dédiés au sein du ministère de l’intérieur et du ministère des armées, et chaque ministère assure sa propre protection. L’ANSSI collabore avec ces services et nous nous efforçons tous de mener des politiques cohérentes. »

L’action de l’ANSSI répond à trois objectifs :

– répondre aux cyber-attaques ;

– sécuriser l’État ;

– protéger la société.

La répression des attaques dans le domaine cyber s’exerce en collaboration étroite avec les services de renseignement et l’autorité judiciaire, collaboration qui s’effectue dans le cadre du Centre de coordination des crises cyber (C4), piloté par l’ANSSI et réunissant la DGSI, la DGSE et le COMCYBER. Cette mission implique de « détecter [les cyber-attaques], de les analyser, de chasser l’attaquant lorsqu’il est toujours présent et, le cas échéant, de passer la main à la justice, à qui il revient de réprimer les crimes ». En 2022, comme on l’a vu, l’ANSSI a par exemple mené dix-neuf opérations contre des cyber-attaques qui correspondaient à de l’espionnage. En parlant d’« opération », M. Strubel emploie un « terme qui correspond à notre niveau d’intervention le plus élevé, engageant nos agents de manière massive pendant des semaines, voire des mois, face à une attaque majeure afin de bien comprendre ce qu’a fait l’attaquant, par où il est entré, comment le faire sortir et comment s’assurer qu’il ne reviendra pas ».

La protection de l’État consiste à veiller « à ce qu’il ne soit pas une victime facile » et donc à rehausser le niveau de sécurité des systèmes d’information employés par ses services et ses opérateurs. L’ANSSI joue à ce titre un rôle de coordination entre les directions spécialisées des différentes administrations de l’État. Par exemple, « dans le cadre de la campagne [électorale pour l’élection présidentielle de 2022], l’ANSSI a surtout veillé à sécuriser les systèmes de l’État, en particulier les systèmes d’information liés de près ou de loin à l’organisation du scrutin : gestion des listes d’émargement, remontée des résultats, gestion des procurations, etc. ».

La prévention des cyber-attaques au sein de la société civile, qu’il s’agisse des particuliers ou des entreprises, passe par la sensibilisation et la diffusion de bonnes pratiques. Toujours selon l’exemple de la campagne présidentielle de 2022, l’ANSSI « a œuvré à la sensibilisation des candidats mais aussi à celle des communes, qui étaient en première ligne, et à celle des médias, qui peuvent également être des cibles en période électorale ».

En résumé et pour reprendre l’expression employée par son directeur général, « l’ANSSI exerce de nombreux métiers : audit, conseil, utilisation de solutions de détection, réponse à incident [et] labellisation de prestataires de sécurité informatique ».

b.   Viginum

Viginum a été créé par le décret n° 2021‑922 du 13 juillet 2021 portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d’un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères ».

Ces ingérences numériques étrangères sont définies par l’article R.*1132‑3 du code de la défense comme des « opérations impliquant, de manière directe ou indirecte, un État étranger ou une entité non étatique étrangère, et visant à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d’un service de communication au public en ligne, d’allégations ou imputations de faits manifestement inexactes ou trompeuses de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».

Le caractère manifestement inexact ou trompeur d’une information est présent lorsqu’il est « possible de démontrer la fausseté de manière objective » selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de sa décision sur la loi n° 2018‑1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information ([524]).

Viginum est plus particulièrement chargé de « détecter et caractériser, en analysant les contenus accessibles publiquement sur les plateformes en ligne, les [ingérences numériques étrangères], notamment lorsque celles-ci sont de nature à altérer l’information des citoyens pendant les périodes électorales » (article 3 du décret précité). À ce titre, le service joue un rôle d’assistance des autorités garantes du bon déroulement des scrutins, comme le Conseil constitutionnel ou l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

Pour mener à bien sa mission, Viginum étudie les phénomènes inauthentiques (comptes suspects, contenus malveillants, comportements anormaux, aberrants ou coordonnés) qui se manifestent en ligne. Cette mission est ainsi résumée par son chef de service, M. Gabriel Ferriol : « Nous observons les réseaux sociaux et essayons de détecter des situations potentiellement inauthentiques. Nous examinons les comptes impliqués dans le débat public numérique en nous demandant s’ils appartiennent vraiment à des personnes physiques. Nous visons les contenus touchant à nos intérêts fondamentaux qui peuvent apparaître comme inexacts ou trompeurs et, par là même, traduire une manipulation de l’information. Enfin, nous essayons d’identifier les comportements anormaux, c’est-à-dire coordonnés ou aberrants. Nous visons par exemple des comptes qui ne dorment jamais, qui réagissent de façon systématique à d’autres comptes, qui s’organisent pour faire des signalements en essaim ou mettre en avant le même narratif au même moment sous diverses formes ([525]). »

Lorsqu’une situation de ce type est identifiée, Viginum rédige un relevé de détection pouvant mener à une investigation approfondie pour vérifier si les critères qui définissent l’ingérence numérique étrangère sont réunis. Ces analyses doivent permettre de guider « les pouvoirs publics dans les mesures de contre-influence ou de contre-ingérence qui doivent être prises ».

Viginum n’est pas un service de police ou de renseignement : « Notre objectif est l’observation et la description des phénomènes, mais nous ne menons pas d’actions répressives. Nous ne prononçons pas de sanctions ; nous ne déférons personne devant les tribunaux. Nous travaillons uniquement avec des contenus ou des données publiquement accessibles, c’est-à-dire que tout un chacun peut observer dans le débat public numérique, sans interagir avec les participants. Les agents de Viginum ne manipulent pas d’avatars, ne rejoignent pas de groupes fermés, ne postent jamais de messages : nous restons dans une posture d’observation. »

L’élection présidentielle d’avril 2022 a été le premier scrutin observé par Viginum. Le service a détecté :

– 60 phénomènes potentiellement inauthentiques ;

– 12 ont donné lieu à une investigation approfondie ;

– 5 répondaient aux critères de l’ingérence numérique étrangère.

Parmi eux, une manœuvre, appelée « Beth », déjà évoquée, a particulièrement attiré l’attention de Viginum. M. Ferriol raconte : « Qu’est-ce que le phénomène Beth ? Un candidat a fait l’objet d’une promotion très emphatique pendant plusieurs mois de la campagne. Quelques jours avant le vote, des médias alternatifs ont révélé qu’il aurait bénéficié du soutien de fermes à trolls. Telle qu’on l’a interprétée, la manœuvre visait à jeter le discrédit sur ce candidat, et plus largement sur la procédure de vote en France. »

B.   une prise de conscience rompant avec une certaine naïveté ou un certain déni de rÉalité…

La prise de conscience de l’État face aux tentatives d’ingérence étrangère témoigne, après les illusions post-Guerre froide, d’une mise à jour dans la perception des relations internationales .

Cette prise de conscience, aussi salutaire soit-elle, demeure néanmoins incomplète, principalement en matière économique et scientifique.

1.   La contre-ingérence est le reflet d’une nouvelle approche des relations internationales

L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 semble avoir mis fin à une certaine naïveté ou un certain déni de réalité au sein de la société vis-à-vis des actions de la Russie sur la scène internationale.

Comme l’ont montré les travaux de cette commission d’enquête, elle marque aussi l’aboutissement d’une prise de conscience de plus en plus importante, de la part de l’État, du danger que représentent les ingérences de puissances étrangères en France et, plus généralement, dans les sociétés démocratiques. Concernant la Russie, cette prise de conscience s’est cristallisée au moment de l’annexion illégale de la Crimée en 2014. Pour la Chine, le raidissement face à Hong Kong en 2019, puis la répression du mouvement démocratique qui s’est ensuivie, et la pandémie de covid-19 paraissent comme les éléments déclencheurs de cet aggiornamento de la politique de sécurité et de renseignement face aux acteurs étatiques.

M. Émié (DGSE) confirme que « ces puissances profitent d’une forme de naïveté et de déni qui a longtemps prévalu en Europe – jusque dans nos élites ([526]) ». Concernant cette ingénuité, M. Raphaël Glucksmann, député européen, est encore plus sévère : « Pendant de trop longues années, nos gouvernants et nos élites ont fait preuve de naïveté, d’indolence ou de légèreté sur les attaques et les menaces qui pesaient sur notre souveraineté. Pendant trop longtemps, nous avons ainsi laissé des régimes étrangers s’ingérer au cœur même des démocraties européennes ([527]). »

Le directeur général de la DGSE estime que « le retour de la guerre sur notre continent a permis une prise de conscience collective de la nécessité de se penser en Europe puissance » et juge « regrettable qu’il faille prendre des coups pour se redresser et pour, comme le dit le Président de la République, se réarmer psychologiquement face aux agressions ».

La rapporteure tient à rappeler que le danger dont il est question n’avait, en réalité jamais complètement disparu. Toutefois, l’illusion d’un monde post-Guerre froide pacifié – la « fin de l’Histoire » – après l’effondrement de l’URSS, quoique troublé par le terrorisme islamiste et djihadiste, a imprégné la perception des relations internationales de la part des administrations de l’État.

D’après M. Lerner (DGSI), « les années 1990 et le début des années 2000 ont été caractérisés, me semble-t-il, par un double espoir, qui était souvent une double conviction.

« Premièrement, on a cru que tous les États convergeraient spontanément vers le modèle démocratique, dans l’euphorie de la chute du Mur, des premières années d’exercice du pouvoir de Vladimir Poutine, qui ont nourri un espoir de rapprochement avec l’Europe et l’Ouest en général, et de l’évolution de la Chine. Tous les États prendraient le chemin de la démocratie, modèle intrinsèquement meilleur que les autres, car tel était le sens de l’Histoire.

« Deuxièmement, on a cru que la compétition entre États, qui a toujours existé et n’allait pas disparaître, s’organiserait autour de quelques règles et quelques principes, notamment l’économie de marché. La compétition économique, demain, serait le juge de paix de la rivalité entre les pays. Ces espoirs étaient notamment suscités par l’ouverture de la Chine, qui a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce en 2001.

« Il est clair que ces espoirs, si tant est qu’ils aient été crédibles ou partagés par tous, ont été déçus ([528]). »

Ce constat est partagé par le sénateur André Gattolin, rapporteur de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, qui estime que « nous prenons sans doute conscience un peu tard que le monde n’est plus aussi pacifié que par le passé [et que] les négociations au sein des instances multilatérales ou les accords économiques ne suffisent plus à résoudre les conflits ([529]) ».

M. Thomas Gomart (IFRI) observe que « nous nous situons au chevauchement de deux cycles stratégiques [puisque] nous sortons du cycle de la lutte contre le djihadisme, marqué par une approche très asymétrique pour entrer dans celui de la compétition de puissances ([530]) ». Concernant les ingérences étrangères, il considère qu’« il y a bel et bien une prise de conscience, que ce soit au ministère des armées et au ministère de l’Europe et des affaires étrangères […] ou à Bercy […]. Un certain nombre de dispositifs ont été élaborés, et l’on sent que nous avons changé de trajectoire. »

Ce nouveau cycle d’approche des menaces qui pèsent sur notre pays implique de lutter contre les ingérences étrangères, combat dont les problématiques et les enjeux sont différents de ceux de la prévention des attentats islamistes. M. Lerner rappelle en effet que « si la menace terroriste demeure extrêmement élevée, celle que font peser les ingérences étrangères sur notre souveraineté à moyen terme n’est pas moins grave [mais] qu’elle est simplement plus compliquée à caractériser et il est parfois difficile de convaincre, même si [il a] constaté que [les] interlocuteurs [de la DGSI] étaient de moins en moins naïfs sur ce sujet ».

Il ajoute que « les services de renseignement doivent en parler sans stigmatiser tel ou tel pays, sans chercher à qualifier le comportement de tel ou tel État ». La rapporteure estime que se trouve là tout l’enjeu de concilier la diplomatie – qui implique de dialoguer avec des États qui peuvent nous être hostiles de différentes manières – avec une politique ferme de contre-ingérence face à ces mêmes acteurs.

Mme Alice Rufo (DGRIS) résume bien cette problématique en disant qu’il « serait difficile de considérer que tout le monde est malveillant, d’autant que [le] métier [de la DGRIS] consiste précisément à dialoguer avec des interlocuteurs étrangers ([531]) ». Elle reconnaît que « la multiplication des stratégies agressives d’influence et d’ingérence nous contraint à une prise de conscience et nous oblige à modifier nos pratiques et nos modalités d’action ».

À ce propos, la rapporteure observe que la guerre en Ukraine a, en quelque sorte, levé toute retenue ou autocensure vis-à-vis du caractère malveillant des ingérences de la Russie en France, ce qui n’était pas le cas auparavant. Ce rapport en est, d’une certaine manière, la preuve.

Concernant la sous-estimation des ingérences étrangères et, plus particulièrement, de celles de la Russie, M. Nicolas Tenzer (CERAP) considère qu’elle est due à la priorité donnée à la lutte contre le djihadisme et la collusion de certaines élites : « Le risque d’ingérences étrangères me semble avoir été largement sous-estimé, sous-évalué, minimisé. Malgré des signes forts, les pouvoirs publics se sont peu mobilisés.

« D’abord, les pouvoirs publics, à la différence de certaines administrations, n’avaient pas toujours conscience du risque d’ingérences étrangères, lesquelles ont donc été très sous-estimées. […] En 2005, plus encore en 2008, 2011, 2014, les gouvernants, ministres, élus, responsables politiques, responsables académiques ou de think tanks, les journalistes ont minimisé la situation […].

« Ensuite, les services de sécurité se concentraient sur la menace islamiste radicale. Leurs effectifs n’étant pas indéfiniment extensibles, la Russie est passée au deuxième plan.

« Enfin, des personnes pouvaient s’inquiéter de ce genre d’investigation poussée. Certaines auraient pu se trouver dans le collimateur, sans d’ailleurs que cela conduise à une incrimination pénale. La présence profonde des intérêts russes, étatiques, économiques ou d’influence au sein de l’État français, globalement et au sein de certaines administrations, pouvait contrarier un tel processus. Trop de personnes, de partis, de tendances politiques diverses pouvaient se sentir concernés, aucun camp politique n’échappant à une telle présence ([532]). »

2.   La prise de conscience des ingérences en matière économique et scientifique constitue un cas particulier

Si le retour de la guerre en Europe, déclenchée par un pays membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies en violation totale de la Charte des Nations unies et du droit international, a servi de déclencheur pour une prise de conscience des ingérences de la Russie en France, la contre-ingérence en matière économique vise plus particulièrement la Chine ([533]). Ses progrès semblent actuellement plus accomplis ([534]).

M. Glucksmann, président de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère du Parlement européen, rappelle que « le régime chinois, lui, investit régulièrement dans les secteurs stratégiques afin de mettre nos pays en situation de dépendance dans les domaines les plus importants pour la souveraineté ». Il regrette que « de ce point de vue, nos autorités ont longtemps fait preuve d’une immense naïveté ; et même si les choses commencent à changer, avec des textes européens relatifs au screening des investissements dans les secteurs stratégiques ».

M. Lerner (DGSI) affirme que « le domaine du renseignement économique a très significativement progressé en quatre ans et demi : c’est la fin de la naïveté » et que les services de l’État sont « beaucoup mieux positionnés et armés que par le passé pour détecter les menaces et les anticiper ».

D’après lui, le renseignement en matière économique s’est développé selon deux axes :

« Premier axe, à la demande du Président de la République, les services de renseignement se sont structurés à partir d’une exigence : être orientés sur les sujets d’intérêt et de préoccupation de nos autorités. Ce n’était pas suffisamment le cas il y a quatre ou cinq ans : le lien avec Bercy n’était pas satisfaisant, les services suivaient les entreprises sans savoir si c’était stratégique ou non. Désormais, et sans entrer dans le détail, un ensemble de dispositifs classifiés permet à l’autorité politique ou économique de nous signaler les secteurs et les entreprises à risque ou sensibles sur lesquels elle nous demande de faire preuve d’une particulière vigilance.

« Deuxième axe, le renforcement des services, aussi bien quantitatif que qualitatif, depuis 2014. Les sujets [relatifs aux ingérences étrangères en matière économique] étant complexes, nous nous sommes ouverts à des profils spécifiques – juristes, avocats, diplômés d’écoles de commerce, etc. En outre, j’ai souhaité que l’on multiplie les contacts au bon niveau dans les entreprises. S’il est essentiel de maintenir des liens avec les patrons de la sécurité ou de la sûreté, nous avons également ressenti le besoin de nous rapprocher de ceux qui connaissent les menaces pesant sur l’entreprise : les patrons de la stratégie, de la compliance, des affaires juridiques, des finances, etc. »

Enfin, la DGSI a renforcé ses liens avec la DGSE et la direction générale des entreprises (DGE), dont le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE), au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Au cours des auditions menées par la commission d’enquête, le cas du réseau de l’internet mobile de cinquième génération (5G) et de l’entreprise chinoise Huawei est revenu à plusieurs reprises pour illustrer la fin d’une forme d’ingénuité vis-à-vis des ingérences économiques.

À cet égard, on peut s’interroger sur la pertinence du choix de M. Jacques Biot, ancien haut fonctionnaire français qui fut président exécutif de l’École polytechnique de 2013 à 2018, d’accepter le poste de président du conseil d’administration de Huawei France.

M. Gomart (IFRI) rappelle en effet que cette entreprise constitue un cas emblématique de vecteur d’ingérence économique. Huawei « a connu un développement fulgurant du fait de sa maîtrise et de sa compétitivité technologiques. Elle a exercé un lobbying très puissant en Europe, auquel a répondu un contre-lobbying tout à fait explicite ». Dans son essai Guerres invisibles ([535]), il rapporte que l’administration américaine attendait d’entreprises comme Ericsson ou Nokia qu’elles réagissent face à Huawei et concevait pour elles un argumentaire contre ce dernier.

Pour M. Émié (DGSE), « l’essor de la 5G chinoise est porteur de risques en matière de cyber-surveillance. L’entreprise Huawei est un sujet clé de la souveraineté numérique. Il faut saluer l’initiative de la Commission européenne, particulièrement du commissaire Thierry Breton qui, ayant pris conscience de l’importance de cette question pour notre souveraineté numérique, a invité les États européens à identifier les fournisseurs d’équipements 5G à haut risque et à prendre des mesures adéquates pour encadrer la présence de leurs équipements dans leurs réseaux.

« Lorsqu’il a fallu attribuer les fréquences 5G, le commissaire Breton a défini une boîte à outils ([536]) pour tous les États européens et leur a dit en substance : “Faites attention, voici ce qui risque de se passer si vous faites appel à Huawei” […].

« En adoptant la loi [n° 2019‑810] du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles ([537]) , nous nous sommes donné les moyens d’assurer la sécurité de nos équipements 5G déployés dans les zones sensibles et exposés au risque d’ingérence d’un État étranger. Au niveau européen, il ne s’agit pas d’exclure un équipementier – vous pouvez vous acheter un téléphone Huawei sans problème – mais de s’assurer d’un niveau élevé de sécurité des réseaux 5G, donc d’éviter toute dépendance à l’égard des fournisseurs à risques ».

Si la prise de conscience des ingérences étrangères dans le domaine économique progresse, celle-ci est balbutiante dans l’enseignement supérieur et la recherche. La candeur observée dans ce milieu est comparable à l’illusion, évoquée ci-avant, selon laquelle le monde d’après la chute du Rideau de fer serait un monde qui tendrait vers la démocratie libérale. Le sénateur Gattolin considère que « le discours en faveur de la science ouverte, coopérative et inclusive relève un peu de la même idéologie que celle qui voyait dans le développement du marché la clé de la démocratie ».

Il remarque également que la vigilance de l’enseignement supérieur vis-à-vis des ingérences étrangères demeure « lacunaire ». Il donne un exemple éloquent : « Lorsqu’un laboratoire ou une institution académique signe un partenariat avec une université extra-européenne, il ou elle doit le déclarer au ministère des affaires étrangères ou à celui chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; ces deux ministères sont peu outillés pour traiter ces demandes […]. Trente jours après le dépôt de la déclaration, le partenariat est réputé validé par l’État, alors que la plupart des dossiers n’ont pas été étudiés. Environ 7 % des accords, soit une grosse trentaine par an, font l’objet d’une interdiction ou d’une demande de révision. Si vous voulez que votre partenariat débute en septembre, déposez votre demande à la fin du mois de juillet et vous serez sûr qu’elle ne sera pas examinée. »

C.   … qui reste à diffuser à l’ensemble des acteurs et de notre société

La rapporteure observe que l’effort de contre-ingérence de la part de l’État s’est accru au cours des dernières années et qu’il reflète une prise de conscience salutaire vis-à-vis de l’agressivité de puissances étrangères hostiles parmi lesquelles figurent principalement la Russie et la Chine.

Elle juge néanmoins que la lutte contre les ingérences étrangères repose encore trop sur l’État et, plus particulièrement, sur ses services de renseignement et agences spécialisées. Il convient plus que jamais d’impliquer d’autres administrations publiques ainsi que des acteurs non étatiques afin de sensibiliser la société dans son ensemble, ce que résume parfaitement Mme Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen :

« L’ensemble de la société doit se sentir concerné. Il est difficile de dire cela en France, car notre pays présente, de ce point de vue aussi, une forme d’exception culturelle […]. Quoi qu’il en soit, la lutte contre les ingérences devrait être l’affaire de chacun. Il ne s’agit pas de développer une culture du soupçon ou de la méfiance, car ce serait détestable et l’on tomberait facilement dans le complotisme, mais de faire en sorte que chacun ait conscience du fait que notre sort est enviable et que nous sommes la cible de régimes autoritaires qui aimeraient bien que nous soyons différents – et, en tout état de cause, moins attractifs ([538]). »

1.   Sensibiliser, éveiller, mobiliser

Ce besoin est d’autant plus impératif que notre société est celle d’un État de droit fondé sur les valeurs de démocratie, de liberté et de droits humains et dont le système institutionnel est celui de la démocratie représentative. Il est hors de question d’espérer combattre les ingérences menées par les appareils étatiques de régimes autoritaires et totalitaires avec les mêmes armes que celles qu’ils emploient !

M. Bernard Émié (DGSE) rappelle très justement, au sujet de la guerre informationnelle, que « dans ce domaine, beaucoup reste à faire, d’autant que le chemin, pour les États démocratiques, n’est pas simple. Nous avons le privilège d’être des démocraties, ce qui impose aux services de renseignement de nombreuses limitations : des cadres légaux, des contrôles, des méthodes propres aux démocraties… Nous [les services de renseignement] devons, dans les limites qui nous sont imposées, essayer de détecter les menaces et éventuellement de riposter ([539]). »

La lutte contre les manipulations de l’information nécessite de déconstruire les narratifs d’États malveillants, ce à quoi s’emploie, par exemple, la DGRIS au ministère des armées. Sa directrice générale, Mme Alice Rufo, explique qu’elle travaille aussi « à déconstruire les “vérités alternatives” et les narratifs révisionnistes que construisent nos compétiteurs stratégiques ([540]) ». À cet effet, la DGRIS œuvre « avec les think tanks pour constituer une relève stratégique de jeunes chercheurs et répondre à nos adversaires en [s’]appuyant sur une recherche qui dispose d’une liberté académique totale ».

La prévention des ingérences passe par un effort de sensibilisation d’un nombre accru d’acteurs. Si celui-ci s’est renforcé au cours des dernières années grâce aux actions menées par les services de renseignement, au premier rang desquels la DGSI et la DGSE, il doit être « industrialisé » pour reprendre l’expression du directeur général de la DGSE. Celui-ci voit dans l’absence d’une « culture du renseignement » en France, en comparaison avec celle du Royaume-Uni, un véritable frein à ces efforts : « Des parlementaires allemands m’ont dit, très justement, qu’en Allemagne, le renseignement inspire de la méfiance, en Grande-Bretagne, de la fierté, en France, de l’indifférence. Chaque Britannique porte son Poppy. Combien de Français arborent le Bleuet de France ? ».

Il constate : « [Les agents de la DGSE] rencontrent un grand nombre de cadres dirigeants d’entreprises et de parlementaires, au-delà de la délégation parlementaire au renseignement (DPR). Sans doute faut-il le faire encore plus, mais si vous sortez de ces sessions en jugeant que la DGSE et la DGSI sont sympas quoique un peu paranos sans modifier vos comportements, cela n’aura pas été utile Les Britanniques sont très vigilants : jamais ils ne vous feront entrer dans une pièce de leur ambassade s’ils ne veulent pas que vous la voyiez ; jamais ils ne passeront outre la confidentialité. Nous n’avons pas le même ADN. Ce sont des termes forts, mais nous devons nous réarmer psychologiquement sur toutes ces questions qui, pour le pays, sont fondamentales. La sensibilisation est déjà une étape. »

Ce sentiment est partagé par M. Stéphane Bouillon, secrétaire général du SGDSN : « Nous veillons aussi à provoquer, dans les collectivités locales et dans les entreprises, une nécessaire prise de conscience : les uns et les autres doivent comprendre que nous ne vivons pas dans un monde sympathique, où chacun respecte les règles du jeu. Certains essaient d’abuser de leur absence de méfiance et de précautions ([541]) »

Ces efforts ne sont pas vains dans la mesure où une action de sensibilisation peut permettre de collecter du renseignement. M. Lerner (DGSI) explique « qu’une fois le contact établi, les élus n’hésiteront pas à reprendre contact avec le service lorsqu’ils seront eux-mêmes témoins de certains faits » ([542]). Il donne un exemple : « Un député nous a contactés parce qu’il s’inquiétait pour un collègue dont il avait le sentiment qu’il n’était pas très bien renseigné sur les personnes qu’il rencontrait. Ce type de signalement est très important pour moi […]. Rien ne remplacera le contact humain, raison pour laquelle nous devons nous démultiplier. »

En outre, les agents publics de l’État sont incités à se rapprocher de la DGSI en cas de soupçon d’ingérence étrangère. Une circulaire du Premier ministre du 11 octobre 2021 ([543]) les encourage « s’ils sont confrontés à une potentielle ingérence étrangère, qu’elle les concerne directement ou qu’elle concerne l’un de leurs collègues, à effectuer un signalement auprès de la DGSI, qui dispose à cette fin d’une adresse courriel dédiée (assistance-dgsi@interieur.gouv.fr) ou, s’ils dépendent du ministère des armées, auprès des correspondants locaux de la DRSD [direction du renseignement, de la sécurité et de la défense] ».

Au-delà des agents de l’État, c’est l’ensemble de la population qui a la possibilité de signaler des faits potentiels d’ingérence. Comme on le voit ci-après, la DGSI propose sur son site internet une page de « contact » immédiatement accessible depuis la page d’accueil, qui permet à tout un chacun d’effectuer un signalement :

 

Source : https://www.dgsi.interieur.gouv.fr/contacter-nos-services

 

L’onglet « contre-espionnage et protection économique », par exemple, est ainsi conçu :

 

Source : ibid.

La rapporteure se félicite des opérations de sensibilisation qui sont menées dans notre pays pour faire progresser la « culture du renseignement ». Outre celui des services de renseignement, elle souligne le rôle joué par des instances au sein du Parlement, comme la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), ou l’autorité administrative indépendante qu’est la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La rapporteure rappelle que l’Assemblée nationale essaie également de sensibiliser les groupes politiques mais elle regrette que certains d’entre eux refusent la diffusion de certains messages et, ainsi, se privent du bénéfice des travaux et des conseils des services de renseignement.

Les élus, parlementaires mais aussi élus locaux, dans les communes, les départements et les régions, sont des cibles potentielles d’actions d’influence, d’ingérence et d’interférence de la part de services étrangers ou d’officines qui peuvent leur être rattachées. À cet égard, sans verser dans la « paranoïa » évoquée ci-dessus par M. Bernard Émié, il peut être judicieux d’appeler à moins de naïveté et d’aveuglement.

2.   Favoriser la transparence

Pour combattre l’opacité des manœuvres d’ingérence de la part de puissances étrangères, il faut, à l’inverse, accroître la transparence en s’appuyant sur la société civile, qu’il s’agisse des citoyens lanceurs d’alerte, des journalistes ou encore des associations.

En effet et comme l’a très bien exposé Mme Audrey Tang, ministre taïwanaise de l’économie numérique, « si l’on opte pour la transparence et si les responsabilités sont attribuées sans ambages, les journalistes et les lobbyistes peuvent se faire l’écho des préoccupations des ministères ainsi que de la population, auxquels ils ont accès. Ainsi, ceux qui s’intéressent aussi bien aux aspects sécuritaires qu’aux enjeux démocratiques seront pleinement impliqués dans la gestion de ces politiques publiques, car ils bénéficieront d’une vision globale ([544]). »

Cette approche suscite le vif intérêt de la rapporteure, mais aussi de M. Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère : « Si nous déplorons un nombre élevé d’attaques contre notre pays, Taïwan en subit bien davantage, et quotidiennement. Les autorités ont fait le choix d’y répondre par la démocratie, en mettant au point de très intéressants processus démocratiques et de coopération avec la société civile ([545]). »

Pour la rapporteure, l’expérience de Taïwan semble vraiment intéressante à méditer. Taïwan est certainement l’un des territoires les plus attaqués au monde par la désinformation et les cyber-attaques de toutes natures. La République populaire de Chine est la source exclusive de ces attaques. Mme Tang précise qu’entre 2021 et 2022, « les cyber-attaques exploitant des failles de sécurité ont été menées contre les agences gouvernementales de Taïwan à un rythme deux fois plus élevé que par le passé ». La mission du ministère du numérique confié à Mme Tang, à l’origine une entrepreneuse programmeuse de logiciels libres qui fit partie d’un groupe de « hackers citoyens » taïwanais, est de garantir, selon le mot même de la ministre, « la résilience numérique à tous » :

« [Le ministère] contribue à ce que chacun puisse se remettre rapidement d’une attaque, s’adapter aux évolutions technologiques et tirer profit de son expérience afin de renforcer son état de santé numérique.

« […] Les ressources publiques et privées en matière de cybersécurité sont désormais mises en commun. Nous organisons les exercices afin de garantir nos infrastructures sensibles en cas d’urgence. »

Le ministère a mis en place une approche qui implique l’ensemble de la société – internautes, associations, journalistes, professionnels du numérique et de la cybersécurité, lanceurs d’alerte, administrations publiques à tous les échelons, plateformes – de manière proactive, décentralisée et inclusive, sur un mode collaboratif et le plus ouvert possible.

Taïwan a signé en avril 2022, avec la France et soixante pays partenaires dans le monde entier, la Déclaration pour l’avenir de l’internet, une déclaration qui prône un internet libre et ouvert, digne de confiance, sûr, à même d’assurer la protection et le respect des droits humains en ligne et dans le monde numérique. Par-delà ces grands principes communs aux démocraties réaffirmés quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’intensification sans précédent de la « guerre numérique » menée par le régime de Vladimir Poutine non seulement contre l’Ukraine mais aussi contre les démocraties européennes, Taïwan met en place des technologies et dispositifs innovants, décentralisés et particulièrement résilients. La ministre Audrey Tang, ex-activiste, fut personnellement très engagée dans la promotion d’une « transparence radicale » dans la relation entre État et citoyens.

À cet égard, le développement de techniques collaboratives de cyberdéfense, mais aussi du renseignement de sources ouvertes (OSINT ([546])), à l’image des dispositifs mis en place à Taïwan, permettrait certainement des avancées dans la diffusion d’une culture de la contre-ingérence et des savoirs technologiques qui lui sont associés dans l’ensemble de la société.

Mme Loiseau est également favorable à l’utilisation de sources ouvertes par les services de renseignement. Elle indique que « cette méthode permet, notamment, de documenter l’origine d’une image en déterminant où elle a été prise et à quel moment. Vous vous souvenez peut-être que des internautes doués ont ainsi démontré que certaines déclarations de Vladimir Poutine diffusées pendant la guerre en Ukraine avaient en fait été enregistrées bien avant le déclenchement de cet événement, auquel elles étaient censées répondre. Cela permet de savoir que Poutine avait déjà la volonté d’envahir ce pays à un moment où le monde extérieur n’en avait pas conscience. Cela nous aide à comprendre des régimes fermés, qui font tout pour que nous ne sachions rien de leurs processus de décision. »

Recommandation  10 : Développer les techniques collaboratives de cyberdéfense et le renseignement de sources ouvertes (OSINT).

Quant à M. Nicolas Tenzer (CERAP), il a formulé, au cours de son audition ([547]), plusieurs recommandations qui vont dans le sens de la promotion de la transparence et d’une participation accrue de la société civile :

– « organiser une structure interministérielle de recueil d’informations et d’investigation ouverte à des lanceurs d’alerte », comprenant les services de renseignement mais aussi « la direction générale des finances publiques (DGFIP), […] les douanes, la police nationale, une cellule spécifique au sein du ministère des affaires étrangères et d’autres ministères, tout ceci dans le cadre d’une coopération internationale », dans le but de mieux repérer et de mieux contrecarrer les opérations d’ingérence de toute nature ;

– encourager la transparence sur les liens d’intérêts des personnes physiques ou morales évoluant dans l’espace public (« Si l’on sait qu’une personnalité contracte régulièrement avec une société étrangère, nous devrions savoir “d’où elle parle” ») et inscrire dans la loi une obligation de transparence relative aux sources étrangères de financement des think tanks, organisations non gouvernementales (ONG) et médias « sur leur site ou par écrit » ([548]) ;

– mieux protéger les lanceurs d’alerte « en particulier lorsqu’ils travaillent sur de potentiels cas d’ingérence », notamment dans le cadre des poursuites judiciaires engagées contre eux (procédures « bâillons » appelées aussi SLAPP ([549])) en leur faisant « bénéficier d’une protection judiciaire améliorée et de la prise en charge des frais de procédure » ainsi qu’en formant les « juges sur les tentatives d’ingérence par des entreprises ou des États étrangers ».

La nécessité d’une plus grande transparence dans le financement des ONG et des think tanks est partagée par la rapporteure et Mme Loiseau. Cette dernière recommande une plus grande « transparence s’agissant du financement des ONG avec lesquelles nous travaillons et des experts auxquels nous faisons appel. Le fait qu’un expert soit financé ne me pose aucun problème dès lors que je sais d’où vient l’argent. »

Concernant la dernière recommandation de M. Tenzer, il faut évoquer la proposition de directive de la Commission européenne contre les poursuites abusives ([550]). En cas d’adoption, le texte permettrait « aux juges de rejeter rapidement les poursuites manifestement infondées contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme [et établirait] également plusieurs garanties procédurales et recours, portant notamment sur la réparation des dommages, et des sanctions dissuasives contre le lancement de poursuites abusives ([551]) ».

La rapporteure rappelle que la protection des lanceurs d’alerte a fait d’importants progrès grâce à la loi Sapin 2.

En effet, la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a donné un cadre commun et harmonisé au dispositif relatif aux signalements et à la protection des lanceurs d’alerte, définis comme des « personne[s] physique[s] qui révèle[nt] ou signale[nt], de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle[s ont] eu personnellement connaissance ([552]) ».

Comme le rappelle la circulaire précitée du Premier ministre du 11 octobre 2021, qui encourage les agents publics ayant connaissance de faits d’ingérence à activer ce dispositif, « le statut de lanceur d’alerte [permet] de bénéficier de certaines mesures de protection notamment l’interdiction de mesures de représailles affectant leur vie professionnelle du fait du signalement, le renversement de la charge de la preuve en cas de litige, la préservation de la confidentialité de leur identité et de leur signalement ou encore l’irresponsabilité pénale en cas d’atteinte a un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause ».

3.   Le nécessaire réveil du monde universitaire et académique

Le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche fait partie des cibles des ingérences de puissances étrangères. Comme le présent rapport l’a exposé ([553]), ces tentatives d’immixtion sont principalement le fait de la Chine.

À ce sujet, la commission d’enquête a pu s’appuyer sur les précieux travaux du Sénat, réalisés dans le cadre de sa mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences. Son rapporteur, le sénateur André Gattolin, également auditionné par la commission d’enquête ([554]), a rendu ses conclusions en septembre 2021 ([555]).

Il pointe les vulnérabilités du système français d’enseignement supérieur et de recherche face aux risques d’ingérences. Celles-ci peuvent être résumées en trois points où sont décelées des fragilités importantes :

– « une insuffisance de ressources budgétaires qui se matérialise par des rémunérations et des conditions de travail moins favorables que dans d’autres pays » ;

– « la faiblesse administrative d’établissements autonomes dans leur gestion et soumis à des injonctions contradictoires d’accueil d’étudiants étrangers et de contrôle plus rigoureux » ;

– « la culture d’ouverture d’un monde de la recherche par nature réticent à penser son activité dans un contexte de conflit et d’intérêt nationaux ».

Lors de son audition, M. Gattolin a regretté que son travail, en dépit du bon accueil et de l’écho important dont il a bénéficié, n’ait pas été suivi d’actions tangibles de la part des pouvoirs publics et des établissements :

« Cela fera bientôt un an et demi que le rapport a été publié. Tout le monde l’a salué. J’ai été auditionné par les ministères. On me promet tous les trois mois que des mesures vont être prises prochainement. J’ai pris le soin de ne proposer que des mesures de nature réglementaire ou qui ont trait aux pratiques, afin d’éviter de devoir passer par la loi. Je me suis adressé à tous les niveaux : je ne sais pas où réside le blocage. Je crains que le problème ne soit systémique. On aime mieux, en France, lorsqu’on s’attaque à plus gros que soi, agir sous couvert européen. C’est pourquoi j’ai déposé la proposition de résolution européenne sur la liberté académique en Europe. Cela étant, à l’échelon européen, on n’aime pas prendre de mesures susceptibles de créer des dissensions entre États ou pouvant être mal perçues. »

Tout en reconnaissant que des avancées ont été réalisées, notamment avec la « troisième liste », celle relative au monde de la recherche, recensée par le SISSE ([556]), la rapporteure invite les pouvoirs publics et les établissements d’enseignement supérieur et de recherche à mettre en œuvre rapidement les dispositions concrètes proposées par la mission d’information sénatoriale. Elle souscrit pleinement aux objectifs et aux recommandations du rapport d’information de septembre 2021, dont les principaux sont reproduits dans l’encadré ci-après.

Les principaux objectifs et recommandations du rapport
de M. André Gattolin, sénateur (septembre 2021)

Objectif 1 : Élever le sujet des interférences étrangères au rang de priorité politique pour dresser un état des lieux et co-construire avec le monde universitaire des réponses adaptées.

 2. Constituer un comité scientifique, prenant la forme d’un « observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l’enseignement supérieur et la recherche » qui associerait universitaires, ministères de l’enseignement supérieur et de la recherche, des affaires étrangères, de l’économie, de l’intérieur et des armées, chargé de dresser un état des lieux, d’en assurer le suivi régulier et de formuler des propositions au Gouvernement.

Objectif 2 : Aider les universités à protéger leurs valeurs de libertés académiques et d’intégrité scientifique dans le respect de leur autonomie.

 5. Étendre le dispositif de protection du patrimoine scientifique et technique de la Nation (PPST) à l’ensemble des disciplines universitaires, notamment en les adaptant aux enjeux et influences spécifiques aux sciences humaines et sociales qui en sont exclues.

 9. Constituer un réseau formalisé des fonctionnaires de sécurité et de défense (FSD), afin de leur permettre de bénéficier de l’expertise des services des ministères, d’échanger sur leurs pratiques et de centraliser les signalements.

 10. Confier aux FSD, dont l’autorité et l’expertise seraient réaffirmées, et en lien avec le déontologue, un rôle de formation et de sensibilisation de l’ensemble de la communauté
académique sur les risques liés aux influences extra-européennes. Cette action serait
renforcée dans les domaines ou les zones identifiées comme potentiellement les plus à risque par le document de référence.

 11. Élaborer et diffuser auprès des établissements via le réseau des FSD un guide de
bonnes pratiques de coopération avec certains pays identifiés, guide qui doit être
largement diffusé auprès de toute la communauté académique.

Objectif 3 : Élargir au niveau national la transparence et la réciprocité en principes cardinaux de toute coopération universitaire internationale.

 17. Créer un régime de transparence sur l’origine des financements extra-européens des
projets (colloques, contrats doctoraux, chaires...) menés par les établissements
d’enseignement supérieur et de recherche et les think tanks.

Objectif 4 : Renforcer les procédures administratives destinées à contrôler les partenariats passés par les établissements d’enseignement supérieur et de recherche.

 20. Modifier l’article L. 123-7-1 et l’article D. 123-19 du code de l’éducation pour prévoir une saisine pour avis des ministères concernés (enseignement supérieur et recherche, économie, affaires étrangères, intérieur et armées s’il y a lieu) sur les projets d’accord.

Objectif 5 : Promouvoir au niveau national, européen et international l’adoption d’un référentiel de normes et de lignes directrices.

 25. Inciter au niveau européen et international à la création d’un classement des universités fondé sur le respect des libertés académiques et de l’intégrité scientifique, afin de mettre en lumière nos valeurs, par opposition à un classement de Shanghai devenu trop prescripteur.


—  1  —

   Examen en commission

Au cours de sa réunion du 1er juin 2023, la commission d’enquête procède à l’examen du rapport.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Chers collègues, cette dernière réunion de notre commission d’enquête sera consacrée à l’examen du projet de rapport – bien que tout le monde ici ne l’ait pas lu – et au vote sur son adoption.

Depuis le 19 janvier, nous avons procédé à quarante-quatre auditions représentant près de quatre-vingt-sept heures de réunion, au cours desquelles nous avons entendu cinquante-trois personnes.

Je tiens à remercier Mme la rapporteure pour le temps qu’elle a consacré à ce travail. Je remercie également les autres membres de la commission, ainsi que l’administration de l’Assemblée nationale.

Je vous propose d’organiser notre réunion de la manière suivante. D’abord, nous entendrons Mme la rapporteure exposer les grandes lignes de son rapport et ses conclusions. Ensuite, les commissaires qui souhaitent s’exprimer pourront le faire, soit à titre individuel soit au nom de leur groupe ; ils auront, par la même occasion, la possibilité d’indiquer dans quel sens ils voteront. À l’issue de cette séquence, Mme la rapporteure pourra, si elle le souhaite, apporter les précisions qu’elle jugera nécessaires. Je m’exprimerai alors sur le contenu du rapport – je préfère vous prévenir : ce sera un peu long. Enfin, nous passerons au vote sur l’adoption du projet de rapport.

À titre liminaire, je tiens à rappeler la manière dont j’ai voulu travailler. Après avoir lu vos déclarations dans Le Figaro de ce matin, madame la rapporteure, je ne sais pas, d’ailleurs, si je peux utiliser ce verbe, puisque, visiblement, vous ne considérez pas que nous avons « travaillé » ensemble. Disons donc que nous avons passé cinq mois côte à côte. J’estime, pour ma part, que cette position ne reflète pas la volonté que j’ai affichée dès le début de ma présidence et la façon dont j’ai mené les travaux.

Je tiens à dire, puisque personne ne le fera à ma place, que j’estime avoir conduit ces travaux comme je le devais en tant que député de la France et non en tant que député du Rassemblement national. Je pense l’avoir fait honnêtement, avec intégrité. D’ailleurs, jusqu’à présent – mais peut-être les langues vont-elles se délier ? –, je n’ai jamais eu à ce propos la moindre remarque, que ce soit lors des réunions de bureau, durant les auditions, dans les couloirs ou par téléphone. J’ai même demandé à plusieurs reprises, en réunion de bureau, si certains avaient des observations à formuler quant à la façon dont je présidais et celle dont nous menions nos travaux. Or il n’y en a jamais eu, ni à l’oral ni à l’écrit. Les relevés de décisions, rédigés après chaque réunion et validés par moi-même ainsi que par Mme la rapporteure, l’attestent. Nous y reviendrons, car cela peut avoir une incidence sur le contenu du rapport.

J’ai aussi décidé, même si rien ne m’y obligeait, de me déporter à chaque fois que le Rassemblement national était concerné de près ou de loin par une audition. Selon l’administration, très peu de présidents de commission d’enquête ont agi de la sorte, pour ne pas dire aucun. Par exemple, je ne connaissais pas M. Schaffhauser et ne l’avais même jamais vu de ma vie – si vous voulez tout savoir, j’espère même que je n’aurai jamais à le revoir. J’aurais donc très bien pu mener l’audition. De la même manière, les liens de hiérarchie entre M. Philippe Olivier et moi sont assez ténus. Lorsque la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, à laquelle je participais, a reçu M. Sarkozy, le président de cette commission, membre du groupe Les Républicains, ne s’est pas déporté, et il a d’ailleurs très bien mené l’audition. Je pourrais citer bien d’autres exemples récents. Si j’ai décidé de me déporter, c’est, d’une part, par éthique personnelle – même si, visiblement, cela n’intéresse personne –, et, d’autre part, parce que je considère que notre institution a besoin de modestes preuves d’exemplarité comme celle-ci.

En tant que président, et bien que je sois systématiquement suspecté d’agir en tant que membre du Rassemblement national, je n’ai jamais refusé la moindre audition. J’ai lu dans la presse que j’aurais manipulé les travaux de cette commission, la transformant en clownerie, pour sauver l’honneur de mon parti. J’aurais interrompu une personne ou l’aurais contredite ; j’aurais lancé une polémique… J’ai donc relu l’ensemble de nos travaux, pour voir ce qu’il en était. À leur lumière, je ne comprends toujours pas de telles allégations. Quand vous mettez en cause le Rassemblement national, ce n’est pas toujours très aimable, mais c’est le jeu démocratique. Vous avez le droit de le faire : je respecte toutes les paroles et toutes les libertés. Je ne crois pas avoir empêché quiconque de s’exprimer, mais, si c’est le cas, il n’y a aucun problème : ce sera consigné au compte rendu.

Si je respecte votre parole et votre liberté, force est de constater que la réciproque n’est pas vraie, et que cela participe du traitement particulier qui est réservé au Rassemblement national. En général, le président d’une commission d’enquête convoque qui il veut. Chacune de mes demandes d’audition a été soumise à des négociations, à la volonté des uns et des autres, et nous n’avons pas reçu un grand nombre des personnes que je voulais interroger. Sachez que cela sera rendu public. Ces lacunes nuisent énormément à nos travaux.

La NUPES n’a pas souhaité participer au bureau de la commission. C’est son choix. J’ai invité constamment ses membres à y prendre part, ils ont formulé des demandes d’audition et je ne me suis opposé à aucune d’entre elles, sauf une, mais cette décision était consensuelle. Il s’agissait des responsables de la banque hongroise ayant consenti un prêt à Marine Le Pen. D’une part, nous ne savions pas qui inviter. D’autre part, comme ces personnes sont étrangères, elles n’auraient pas pu prêter serment. Cet argument n’a soulevé aucune objection de la part des autres membres du bureau. C’est la seule audition pour laquelle j’ai considéré qu’il ne serait pas possible de la mener dans de bonnes conditions.

J’ai systématiquement refusé de verser dans la politique spectacle, en tout cas dans cette commission : je sais faire la distinction entre mes fonctions de président et les autres. Ainsi, je n’ai pas voulu convoquer M. Mélenchon ou certaines personnalités d’En Marche ou de Renaissance pour leur poser des questions « bidons », uniquement pour les mettre sur le gril et en faire une vidéo. Cela n’avait aucun intérêt pour nos travaux.

La question s’est posée pour un collègue de la NUPES. Il y avait suffisamment d’éléments pour le convoquer, puisqu’il était cité à plusieurs reprises, mais je m’y suis refusé car cela n’avait aucun intérêt à mes yeux. De fait, les travaux ont confirmé que cela aurait été inutile. En dehors de la satisfaction que peut procurer le fait d’assouvir des ambitions partisanes, quel est l’intérêt de jeter en pâture au public l’honneur d’un parlementaire, de mettre en cause son intégrité, de lui demander de se justifier à propos d’allégations ridicules ?

M. Mélenchon a été mis en cause à de nombreuses reprises lors des auditions. J’aurais pu lui demander de venir nous expliquer pourquoi son nom apparaissait dans tel ou tel article et pour quelles raisons il avait soutenu tel ou tel opposant – ou non, en l’occurrence, puisque c’était faux –, écrit telle ou telle note de blog. Quel en aurait été le résultat, sinon une énième revue de presse ? Tel n’était pas l’objet de la commission.

Nous avons auditionné des personnes qui devaient l’être. Pour le principal parti de la majorité, il s’est agi de M. Buon Tan. Des articles, dont un publié dans Le Monde, faisaient état des inquiétudes des services de renseignement quant au fait qu’il pouvait être un agent défendant les intérêts chinois. Personne ne s’est opposé à ce qu’il soit auditionné. Il y avait toutes les raisons de le faire. Nous avons reçu aussi M. Leroy.

En revanche, nous n’avons reçu ni M. Raffarin ni M. Le Guen. Je n’ai toujours pas compris pourquoi. M. Le Guen siège au conseil d’administration de Huawei France, mais cela paraît tout à fait normal…

J’aurais pu citer M. Sarkozy. Je ne l’ai pas fait parce qu’il n’aurait pas prêté serment. Son nom n’est cité qu’une seule fois dans le rapport – j’y reviendrai.

J’ai donc la conscience tranquille : j’ai l’impression d’avoir fait mon travail aussi honnêtement qu’un homme politique peut le faire – je ne suis pas une oie blanche et n’ai jamais prétendu l’être. À plusieurs reprises, durant nos travaux, mon honneur personnel a été mis en cause dans les médias. Or pas un seul commissaire, en dehors de ceux du Rassemblement national et de non-inscrits, n’a daigné contester ce qui était rapporté sur mon compte. Cela ne m’empêche pas de dormir, mais je tenais à le signaler.

La blague du siècle, c’est évidemment l’histoire, racontée par l’émission « Quotidien », selon laquelle je serais très proche de François Fillon, alors que je ne l’avais jamais rencontré de ma vie. Cette opération grotesque visait à me forcer à me déporter, au prétexte que l’un de mes amis connaissait l’ami d’un de ses amis… C’était à la fois ridicule et scandaleux, car c’est moi qui avais demandé, dès le début de nos travaux, l’audition de M. Fillon, alors que les seuls qui s’y étaient opposés, dans un premier temps, étaient des membres du groupe Renaissance. Non seulement c’est moi qui ai été insulté, mais en plus la vérité n’a pas été dite – croyez bien qu’elle le sera.

Il a été dit constamment que je poursuivais un intérêt caché, que j’étais en service commandé. Encore faut-il le prouver. N’en déplaise à certains, qui par ailleurs se prévalent en permanence du respect de l’État de droit, nous sommes en France et non aux États-Unis : ici, les gens sont innocents tant qu’ils n’ont pas été reconnus coupables. Pour ma part, je n’ai jamais déclaré coupable quelqu’un à qui je n’avais absolument rien à reprocher.

Voilà ce que j’ai subi pendant cinq mois. Je méritais de le dire aujourd’hui – en tout cas, je m’en accorde le droit.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je m’en tiendrai, pour ma part, au rôle qui est le mien en tant que rapporteure, à savoir vous présenter le projet de rapport que j’ai l’honneur de soumettre aujourd’hui à votre vote. Je me garderai d’entrer dans des considérations personnelles qui, à ce stade, n’intéressent personne.

Nous achevons donc un cycle de quarante-quatre auditions, menées entre le 19 janvier et le 24 mai. Toutes ont été éclairantes, même si certaines ont retenu davantage l’attention des médias. Chacune d’entre elles, y compris celles qui ont été menées à huis clos pour les raisons que nous savons, a fait l’objet d’un compte rendu détaillé. Ceux de ces documents qui pouvaient être mis en ligne sur le site de l’Assemblée nationale l’ont été dans les meilleurs délais, de manière à les porter à la connaissance de tout un chacun. Il est également possible de retrouver sur le portail vidéo de l’Assemblée les images des très nombreuses auditions qui se sont déroulées sous le régime de la publicité.

Je tiens aussi à vous faire savoir d’ores et déjà que, si vous me faites l’honneur d’adopter ce projet de rapport, celui-ci comportera un second tome consacré aux comptes rendus des auditions. J’ai en effet souhaité, même si ce n’est pas forcément l’usage, que l’intégralité de ces comptes rendus soit jointe au rapport. Je pense essentiel que tout le monde – experts, universitaires, étudiants, participants à des think tanks, fonctionnaires, élus, ainsi que toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux ingérences étrangères – ait accès à cette mine d’informations, de données, de points de vue, d’expertises et de témoignages.

Cette commission d’enquête est née dans un contexte de vive polémique. Le dépôt de la proposition de résolution tendant à sa création a été annoncé le 23 septembre 2022 par un communiqué de presse cosigné par M. Jordan Bardella et par vous-même, monsieur le président. Cette démarche faisait suite à des déclarations publiques de M. Stéphane Séjourné, secrétaire général du parti Renaissance, et de M. Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France à Moscou et à Pékin. Sur un ton à peine moins véhément, l’exposé des motifs de la proposition de résolution donnait pour objectif à cette commission d’enquête d’établir « s’il existe oui ou non des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ».

Décrite ainsi, cette tâche considérable n’est pas à la portée d’une commission d’enquête parlementaire, si ardemment dédiée à sa mission fût-elle. En effet, les prérogatives, le champ et les moyens de ces organes sont très strictement encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs, qui prévaut dans notre République.

Compte tenu de la nature des sujets traités et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées – chefs de services de renseignement, par exemple, dont les auditions se sont déroulées à huis clos –, la commission d’enquête s’est vu opposer à plusieurs reprises le secret de l’enquête, le secret de l’instruction ou le secret de la défense nationale. En effet, elle s’est trouvée confrontée au fait que des enquêtes judiciaires étaient en cours sur les sujets dont elle avait à connaître. Ces limites sont tout à fait normales et nul ne saurait s’en étonner ou prétendre en tirer d’autres conclusions.

Le Parlement s’est déjà penché sur la question des ingérences étrangères.

En 2021, le Sénat a consacré une mission d’information, présidée par M. Étienne Blanc et dont le rapporteur était M. André Gattolin, aux influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et à leurs incidences. Nous avons d’ailleurs auditionné M. Gattolin.

À l’Assemblée nationale, plus récemment, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) – présidée par Sacha Houlié, dont j’ai l’honneur d’être vice-présidente et où siège également une autre députée membre de notre commission d’enquête – travaille depuis l’automne dernier sur la question, à laquelle elle a décidé de consacrer une grande partie de son rapport annuel. La DPR travaille sous le sceau de l’habilitation secret défense et son rapport ne sera que très partiellement rendu public, ce qui ne nuit pas à l’intérêt de ses travaux.

Enfin, le Parlement européen a créé dès 2020 une commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratique de l’Union européenne, dite INGE 1, présidée par Raphaël Glucksmann. Après avoir remis un premier rapport, elle a vu son mandat prolongé. La rapporteure actuelle, Nathalie Loiseau, présente en ce moment même son rapport à ses collègues. Nous avons auditionné nos deux collègues députés européens.

Autant dire que la question des ingérences étrangères, déjà très présente dans bien des esprits, comme nous l’avons constaté lors des auditions d’universitaires, d’experts et de représentants des services de renseignement, est également appréhendée par l’institution parlementaire.

La commission des lois, qui a eu à se prononcer, après le bureau de l’Assemblée nationale, sur la recevabilité de la proposition de résolution, avait émis des doutes sérieux quant à la pertinence du périmètre envisagé, le jugeant beaucoup trop large et par conséquent peu pertinent. Néanmoins, faisant primer l’exercice du droit de tirage par le groupe du Rassemblement national sur les critères de recevabilité, la commission ne s’était pas opposée à la proposition de résolution.

Le présent projet de rapport est le fruit d’un travail de synthèse des auditions, dont il rend compte assez fidèlement, comme le montrent les nombreuses citations qui y figurent. Il n’avait pas vocation à entrer dans le détail de l’ensemble des sujets abordés lors des auditions, car il y avait là matière à plusieurs commissions d’enquête – et à plusieurs rapports…

Le projet de rapport est divisé en deux parties. La première est intitulée : « La France est la cible d’ingérences de la part de puissances étrangères », et la seconde : « Une prise de conscience salutaire mais tardive des autorités françaises vis-à-vis de l’ensemble des menaces transversales ».

Il m’a paru essentiel, dans un premier temps, d’expliciter le sujet même de cette commission en rapportant les riches échanges que nous avions eus, au début des auditions, avec plusieurs experts. La distinction entre ingérence et influence, ainsi que tous les termes qui gravitent dans ce continuum sont traités dans la première sous-partie.

Ensuite, je me suis attachée à établir une typologie des principales ingérences ciblant notre pays. À cette fin, j’ai repris la catégorisation établie par M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), en y ajoutant le recrutement d’une partie de nos élites par des puissances étrangères.

Une fois ces bases méthodologiques posées, j’ai esquissé un panorama des puissances étrangères s’adonnant à l’ingérence, notamment à l’encontre de notre pays. Il est apparu, en particulier après l’audition de représentants de tous les services de renseignement – que je remercie pour la qualité et la clarté de leurs propos –, que les deux principales menaces étaient la Russie et la Chine. C’est pourquoi j’ai consacré une sous-partie à chacun de ces pays. Les autres pays concernés, qui avaient été cités dans plusieurs auditions, mais de manière incidente et moins fréquemment, figurent dans une même sous-partie. Il s’agit de l’Iran, du Maroc, de la Turquie et du Qatar. En ce qui concerne ce dernier pays, j’ai mentionné explicitement l’affaire de corruption présumée qui s’est fait jour au sein du Parlement européen, grâce aux enquêteurs belges, qui ne relève pas directement du sujet traité par notre commission d’enquête puisque ces faits se sont déroulés sur le territoire du royaume de Belgique : c’est le fameux « Qatargate ». Il est question également du « Marocgate ».

S’agissant des ingérences en France, un pays se distingue plus particulièrement : la Russie. Une sous-partie entière du rapport lui est consacrée. Le rapport conjoint du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), datant de 2018 et intitulé Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties, identifiait spécifiquement la Russie comme étant à l’origine de 80 % des influences caractérisées par de la désinformation, de la manipulation de l’information et de la « mal-information » en Europe. Ces pratiques extraordinairement pernicieuses et déstabilisatrices visent tous nos intérêts, sur le territoire hexagonal et à l’extérieur.

La stratégie russe en la matière passe par des médias, en particulier RT France et Sputnik, pour ne citer qu’eux, mais ce n’est là qu’un aspect de la guerre hybride menée par ce pays contre nos sociétés démocratiques : il y a d’autres relais et cercles d’influence, y compris parmi les élites françaises. À cet égard, nous n’avons pas esquivé les cas de M. Fillon et de M. Leroy. Il convenait également de mentionner les liens tissés depuis des années entre la Russie et le Front national, puis le Rassemblement national. En effet, je n’ai pas voulu passer sous silence les nombreuses analyses, les faits et les propos portés à la connaissance de la commission d’enquête par plusieurs personnes auditionnées, qui établissent une forte proximité politique entre le pouvoir russe et ce parti, ce qui éclaire certains aspects de celui‑ci.

La seconde partie porte plus largement sur le dispositif français de lutte contre les ingérences étrangères. Nous n’avons pas à rougir du système mis en place, comme en témoigne la sécurisation réussie de l’élection présidentielle de 2022 par le SGDSN, en liaison avec l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), après l’affaire des Macron Leaks, en 2017, dont l’origine a été clairement déterminée.

Dans de nombreux domaines, nos institutions ont amélioré leur capacité de résistance face aux très nombreuses formes d’ingérence étrangère, qui sont souvent sournoises. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), par exemple, et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), garantissent une forme d’étanchéité du financement de la vie politique française par rapport aux puissances étrangères en s’assurant que la législation est appliquée.

De même, nous avons tous noté les progrès notables qui ont été effectués dans le domaine de la protection de l’économie et des intérêts économiques français face aux ingérences, notamment grâce à la loi Sapin 2. Nos services de renseignement – parmi lesquels la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin – sont pleinement mobilisés dans la lutte contre tous les types d’ingérence étrangère. J’en profite pour rendre hommage à ces services : je salue leur professionnalisme, leur sens de l’État et leur dévouement.

L’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure dispose que « la prévention de toute forme d’ingérence étrangère » est l’un des objets du « recueil de renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation ». La stratégie nationale du renseignement, publiée en juillet 2019, qui est en quelque sorte la feuille de route des services de renseignement, définit la « lutte contre les menaces transversales » comme l’un de ses enjeux prioritaires, au même titre que la lutte contre « la menace terroriste », « l’anticipation des crises et des risques de ruptures majeures » et « la défense et la promotion de nos intérêts industriels et économiques ».

Il m’apparaît clairement, à la suite des auditions, de mes nombreuses lectures sur le sujet, des travaux de la délégation parlementaire au renseignement et de mes cinq années d’expérience, sous la précédente législature, en tant que membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qu’une véritable prise de conscience est intervenue, de la part des autorités et de l’ensemble de l’appareil de l’État, quant à la dangerosité de toutes les formes d’ingérence étrangère.

La situation est le fruit d’un contexte géopolitique marqué par un renforcement des grandes confrontations, qui nous a vu passer d’un monde de compétition à un monde de confrontation, dans lequel les puissances autoritaires, au premier rang desquels la Russie et la Chine, contestent l’ordre international hérité de la fin de la Guerre froide, fondé sur la démocratie, l’économie de marché et l’État de droit. Ces puissances cherchent par tous les moyens à déstabiliser et affaiblir les démocraties occidentales. Elles mènent contre les sociétés démocratiques une guerre hybride, de manière insidieuse, sournoise et systémique, dont les ingérences sont la forme la plus répandue.

Le déni des réalités, la naïveté, la complaisance voire l’allégeance ne peuvent plus être de mise en Europe. Notre pays doit encore progresser en ce qui concerne la prise de conscience, l’appréhension de la dangerosité de cette grande confrontation entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires, lesquels sont passés maîtres dans l’art d’exploiter nos vulnérabilités, nos propres valeurs, notre espace de liberté. Notre pays doit aussi diffuser davantage une certaine culture, un esprit de résistance citoyen fondé sur la responsabilité, la transparence et l’engagement de toute la société.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). En ce qui me concerne, monsieur le président, à aucun moment je n’ai mis en cause votre probité et la manière dont vous avez conduit nos travaux. Je vous remercie d’ailleurs de m’avoir cédé la présidence à quatre reprises pour des auditions ; à chaque fois, j’ai essayé de faire au mieux, quitte à reprendre certains membres de la majorité qui s’exprimaient de manière un peu bruyante.

Je ne me suis pas non plus répandu dans la presse, ni n’ai contesté vos qualités, en dehors du combat politique qui peut exister entre nos mouvements politiques. Je n’ai pas davantage eu connaissance d’attaques émanant de membres du bureau ou d’autres commissaires.

Pour le reste, le rapport me paraît équilibré. Une partie concerne effectivement le Rassemblement national et le prêt russe, mais c’était un des éléments ayant conduit à la création de cette commission d’enquête, et le passage en question représente moins de vingt pages, soit 10 % environ du rapport. Si Mme la rapporteure avait consacré la moitié du rapport au RN, on aurait pu s’interroger sur sa démarche, mais tel n’est pas le cas. Du reste, les faits rapportés correspondent à ce que j’ai entendu lors des auditions – certes, j’en ai raté quelques-unes, mais j’ai assisté à la majorité d’entre elles.

M. Thomas Rudigoz (RE). Je salue le travail de la rapporteure. Même si nous avons de fortes divergences politiques, monsieur le président, je reconnais que vous avez mené les travaux avec beaucoup d’objectivité. Je regrette les propos que vous venez de tenir et, n’ayant pas lu Le Figaro et L’Opinion, je ne ferai pas davantage de commentaires.

Lors de l’audition de Mme Le Pen, vous vous êtes déporté et avez posé peu de questions. Il était intéressant de l’entendre – même si nous avions pu être partagés pendant un temps sur l’opportunité d’auditionner des responsables politiques pour éviter un biais trop évident. C’était important et cela nous a permis, comme le rapport le relate bien, de voir les incohérences des réponses de Mme Le Pen. Cela a également permis de soulever un certain nombre de questions qui restent à éclaircir sur le prêt russe et sur son évolution, puisque la créance est désormais détenue par une société russe. Mme Le Pen a peu répondu, n’ayant pas beaucoup intérêt à savoir qui se trouve derrière cette société. Cela nous laisse assez circonspects sur l’authenticité de ses propos.

Le travail mené est très complet et aborde l’ensemble des ingérences, sans se focaliser seulement sur la Russie. L’audition de directeurs de services de renseignements a été très enrichissante et a permis de mieux connaître le travail mené par les personnels de ces services, qui travaillent dans le secret.

Encore une fois, comme l’a dit la rapporteure, le sujet est particulièrement vaste et les moyens de la commission d’enquête sont assez réduits. Le rapport est utile et apporte un certain nombre d’éléments.

Pour revenir à la partie consacrée au Rassemblement national, il reste beaucoup de questions sur les relations avec la Russie qui ont permis d’obtenir un tel prêt.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Je remercie les fonctionnaires de l’Assemblée nationale qui ont collaboré aux travaux de cette commission d’enquête.

J’aurais bien voulu y participer davantage, notamment au début, mais vous connaissez les raisons pour lesquelles j’ai dû m’absenter quelques semaines. J’ai essayé de me rattraper à la fin.

Mme la rapporteure a bien rappelé les nombreuses limites à notre travail, juridiques et opérationnelles. Le rapport fournit des éléments intéressants. Il pointe un certain retard dans la prise de conscience du fait que notre démocratie est auscultée par des puissances inamicales, qui cherchent à nous déstabiliser par de nombreux biais – administratifs, politiques, commerciaux – pour leurs propres intérêts et pour faire vaciller notre conception de la démocratie.

Personne n’ignore les conditions dans lesquelles cette commission d’enquête a été créée. Personne n’a été dupe. Le groupe Rassemblement national a cherché à instrumentaliser une commission d’enquête pour se laver de turpitudes qui sont connues de tous les Français, puisque par deux fois le Président de la République en fonction a évoqué ces sujets lors du débat précédant le deuxième tour de l’élection présidentielle.

La commission d’enquête a ensuite travaillé.

Avez-vous fait une si bonne affaire en voulant jouer avec cette commission ? On en arrive en fait à la conclusion qu’il y a bien un sujet des relations du Rassemblement national avec la Russie de M. Poutine. Les quatre auditions de membres ou d’anciens membres de votre parti – MM. Mariani, Olivier et Schaffhauser ainsi que Mme Marine Le Pen – ont bien montré qu’il y avait des liens financiers tout à fait inhabituels entre cette formation politique et le système de M. Poutine.

Le rapport met bien en avant les problèmes qui existent avec d’autres régions du monde, telles que la Chine et certains États du Moyen-Orient ainsi que le Maroc. Ce sont des motifs de vigilance pour l’avenir.

J’ai parcouru le rapport. Il est très sérieux et très intéressant pour nos concitoyens, malgré les contraintes qui ont présidé à nos travaux.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Pour ce qui est de la stratégie politique du Rassemblement national, nous jugerons de ses résultats à la fin.

Je souhaite revenir sur le fait que des gens s’expriment sur un rapport en prétendant l’avoir lu. À part la rapporteure, qui dispose d’une version électronique, le rapport ne peut être lu qu’en se rendant dans une salle où il est mis à disposition. Les heures d’entrée et de sortie sont notées, ce qui permet de savoir combien de temps un député est resté pour le consulter.

Je sais que certains disposent de capacités intellectuelles uniques, mais il y a tout de même un petit problème. Il faudra que l’on m’explique comment on peut lire un rapport de 210 pages en trente minutes. Je vois sur la liste des durées de consultation de trente ou de quarante minutes. Une personne a passé trois heures à consulter le rapport, ce qui est cohérent même si, soixante-dix pages par heure, c’est encore le haut du panier en termes de rythme de lecture…

Bon courage pour justifier que l’on s’exprime sur un rapport en prétendant l’avoir lu suffisamment dans le détail pour pouvoir juger de sa qualité en une demi-heure !

M. Charles Sitzenstuhl (RE). C’est une attaque en dessous de la ceinture, monsieur le président. Vous n’avez pas à juger de mes capacités à lire un rapport. Il se trouve que je suis enseignant-chercheur et que j’ai été formé pendant plusieurs années à la lecture de ce genre de document. Je suis capable de lire très rapidement et de rechercher les informations, en retenant celles qui me semblent utiles. Cette attaque est assez minable.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Voilà… Très intéressante explication.

Mme Mireille Clapot (RE). Je remercie le président, la rapporteure, les collègues qui ont participé aux auditions et les administrateurs.

J’ai essayé de participer au maximum d’auditions et j’ai pu constater le sérieux du travail et son caractère transpartisan. On le sait depuis bientôt un an, il faut que l’on s’habitue à travailler ensemble sur des sujets d’intérêt général pour la nation, y compris quand on n’a pas les mêmes opinions politiques. Il me semble que ce travail en est l’illustration. C’était d’autant plus délicat que, d’une certaine manière, vous nous avez conviés à une mise en abyme, puisque les ingérences concernent en particulier les élus. Cela nous a amenés à nous interroger sur nos attitudes, nos pratiques et nos prises de parole. L’exercice était difficile mais il a été bien mené.

Je trouve le rapport excellent. Je ne savais pas que nous étions surveillés et que la feuille d’émargement pourrait nous être opposée. Après le petit échange auquel nous venons d’assister, je me dis que l’on va juger le sérieux de mon travail en fonction de la durée de consultation. C’est évidemment déplacé et je soutiens totalement les propos de Charles Sitzenstuhl. Moi aussi, je lis vite,…

M. Thomas Ménagé (RN). Une seconde par page !

Mme Mireille Clapot (RE). …et j’ai même relevé quelques coquilles. On peut lire très vite le rapport, tout particulièrement grâce au plan, qui est très bien fait et permet de tirer la substantifique moelle du travail de la rapporteure. On comprend la progression de sa démarche. Le plan est équilibré et vous avez fait des recommandations finales. Mon impression est globalement positive.

Néanmoins, madame la rapporteure, je voudrais de nouveau signaler qu’il y a peut-être un manque dans la partie qui traite des actes de soutien concrets au régime de M. Poutine, pages 103 à 109 du projet. Je me réserve la possibilité de déposer une contribution écrite, comme nous pouvons encore le faire cinq jours après le vote sur la publication du rapport. Je trouve regrettable que vous n’ayez pas suffisamment mentionné la légitimation par les députés du Rassemblement national de deux scrutins russes : le référendum constitutionnel de juillet 2020 et les élections législatives de septembre 2021.

Comme je l’ai dit lors de l’audition de Mme Le Pen, nous étions à cette époque assez longtemps après l’annexion illégale de la Crimée et des opérations de déstabilisation dans le Donbass. Tout le monde avait eu le temps de se faire une opinion, avec la dérive autoritaire du régime russe et l’emprisonnement des opposants. Les députés du Rassemblement national ont largement contribué à légitimer la dérive autocratique et totalitaire du régime de M. Poutine. Je ne vais pas citer de noms ici. C’est dans la presse et nous pourrons citer ces sources.

J’ai l’intuition – et c’est un simplement une intuition – que ce soutien pouvait être une sorte de renvoi d’ascenseur, ou en tout cas de sympathie affichée. J’insiste : légitimer un scrutin par sa présence, c’est quelque chose de fort. Et la Russie est prête à payer les voyages et les frais de séjour pour cela.

Tel est le petit défaut que je vois dans le rapport, que je voterai par ailleurs en vous félicitant de nouveau tous les deux pour la qualité du travail accompli.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Je n’ai malheureusement pas été non plus la plus assidue. Néanmoins, je salue le travail que le président et la rapporteure ont mené conjointement. On peut saluer votre objectivité et votre impartialité dans la conduite des débats.

Je n’ai pas trouvé le temps de consulter longuement le rapport, mais il s’en dégage une ligne directrice : l’ingérence est une véritable préoccupation pour nos démocraties et pour la République. On voit bien qu’elle est partout, notamment dans les milieux politiques et journalistiques. Le rôle de la Chine et de la Russie est mis en évidence dans le rapport. Je suis membre de la commission des affaires étrangères et nous retrouvons ce thème fréquemment. Comme l’a dit la rapporteure, nous avons ouvert une porte mais nous n’avons vu que le début.

M. Jean-Pierre Cubertafon (Dem). Je n’ai pas de commentaire particulier. Je n’ai malheureusement pu assister qu’à très peu d’auditions. Je félicite la rapporteure pour son rapport, que j’ai partiellement lu.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Je voudrais tout d’abord revenir sur les conditions du travail, qui ont été tout à fait honorables et n’ont pas été contraires aux principes que nous nous astreignons à suivre d’ordinaire.

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué des faits dont je n’ai pas connaissance, monsieur le président – je ne suis pas un lecteur assez assidu du Figaro ou de L’Opinion. Il est certain que le Rassemblement national avait vraisemblablement un dessein politique en utilisant son droit de tirage sur ce sujet. Mais je note que cela n’a pas eu d’effet dans la tenue des débats et que vous avez exercé votre fonction d’une manière tout à fait correcte.

En revanche, je ne comprends pas pourquoi il est précisé dans le rapport que la NUPES n’a pas été présente au bureau de la commission, dans la mesure où j’y ai participé plusieurs fois. Mais je ne prétends pas représenter la NUPES, puisque je suis membre de La France insoumise et qu’il n’y a pas de groupe NUPES stricto sensu. J’espère que Mme la rapporteure acceptera de procéder à une correction, car l’observation en question n’apporte rien et elle est inexacte.

Vous évoquez aussi le fait que la NUPES aurait demandé l’audition des responsables de la banque hongroise MKB. Je n’ai pas souvenir de l’avoir fait, mais peut-être s’agissait-il d’un souhait de mon collègue du groupe Écologiste. J’avais évoqué l’audition de M. Laurent Foucher. Mais elle n’a pas été possible tout simplement parce que son numéro ne se trouve pas dans l’annuaire. Arrivé au terme de nos travaux, je continue à regretter de ne pas avoir pu l’auditionner, mais personne n’est à blâmer. Cela aurait été une tranche de vie intéressante…

J’en viens au rapport à proprement parler. Je souscris à l’idée que le périmètre de la commission d’enquête était trop large, ce qui conduisait nécessairement à ce que nous nous heurtions au secret de la défense nationale ou au secret de l’instruction. De ce point de vue, il y a forcément quelque chose de frustrant dans le travail qui a été mené.

J’observe que le rapport exprime un point de vue que je ne qualifierai pas forcément de partisan, mais qui est politique et que je ne partage pas complètement. La rapporteure évoque la guerre menée contre la démocratie par les régimes autoritaires. Je n’ai aucune difficulté à utiliser le qualificatif autoritaire pour les régimes en question. Je crois néanmoins que ce prisme conduit vers une forme de manichéisme et fait l’impasse sur la façon agressive dont certaines démocraties défendent leurs intérêts.

Il y a certaines lacunes dans le rapport, mais il aurait été illusoire d’imaginer être exhaustif avec un sujet aussi large. Je ne vous en fais donc pas grief. Je mentionne simplement certains désaccords, qui figureront dans la contribution de mon groupe. De même, le nombre des recommandations est honorable, mais elles demeurent un peu floues. Cela fait sans doute partie de l’exercice, mais elles gagneraient à être encore précisées. Je m’y attacherai dans la mesure de mes moyens dans la contribution de mon groupe.

En tout état de cause, il me semble que ce que ce rapport est une contribution au débat public. Il ne faudrait pas le prendre pour autre chose. Ce ne sera évidemment pas une bible, si j’ose dire, mais un jalon dans la réflexion que nous avons tous le devoir de mener en ce qui concerne nos vulnérabilités et afin de protéger l’intégrité du débat démocratique.

Nous ne nous opposerons pas à la publication du rapport.

M. Richard Ramos (Dem). Je m’exprime à titre individuel. Même si je n’ai pas été non plus très assidu, j’ai parcouru ce rapport très riche et éclairant, qui pose les bases d’une vraie défense de la démocratie face aux ingérences étrangères.

Mais je ne voterai pas en faveur de sa publication car il ne m’a pas convaincu. Depuis mon plus jeune âge, j’ai combattu le Front national, devenu Rassemblement national. Je ne partage pas ses idées mais j’ai trouvé qu’on détournait une commission d’enquête au profit de la politique. Je reste persuadé que nous devons conserver l’esprit de notre institution, de l’Assemblée nationale, et qu’on ne peut pas faire d’une commission d’enquête un outil politique. Ce rapport est devenu un instrument politique plutôt qu’un rapport d’enquête.

Ma liberté de parlementaire et ma conception de ce que doit être une commission d’enquête me conduisent à ne pas voter en faveur du rapport, car la volonté et les orientations politiques apparaissent parfois trop dans sa rédaction.

Je regrette également que la création de la banque de la démocratie n’ait pas été reprise dans les propositions, alors qu’elle est évoquée par François Bayrou depuis près de trente ans et qu’elle est aussi très clairement défendue par le Président de la République.

Mme Anna Pic (SOC). Pour des raisons d’agenda, je n’ai pas pu assister à toutes les auditions – on sait que depuis janvier le calendrier parlementaire a été quelque peu chargé et nous a conduits à être très présents dans l’hémicycle. Néanmoins j’ai visionné les réunions que j’avais manquées sur le site de l’Assemblée, lorsque cela était possible, et j’attendais avec impatience la parution des comptes rendus – qui fut un peu longue pour les premiers. Je dis cela pour justifier mes absences, puisqu’apparemment il faut désormais le faire.

Cela me permet de revenir sur le propos liminaire un peu étonnant du président. Je n’ai pas lu non plus Le Figaro ou L’Opinion. Cette réunion a pour objet de parler du rapport. Je n’ai pas eu le temps de le consulter auparavant, puisque nous discutons en séance publique du projet de loi de programmation militaire (LPM). Des techniques de lecture m’ont permis, comme à d’autres, de retenir un certain nombre de choses depuis le début de cette réunion.

On savait que le sujet était trop large et qu’il résultait en plus d’une polémique. Cela n’offrait pas de bonnes conditions pour mener une commission d’enquête. Comme l’a indiqué la rapporteure, un certain nombre de travaux et de recommandations avait déjà été effectués par le Parlement européen, ce qui nous permettait en quelque sorte d’en faire la déclinaison.

Je m’en entretenais encore avec l’amiral Vandier ce matin : il me semble que nous faisons encore preuve d’une forme de naïveté vis-à-vis de la Chine. Pour avoir été un certain nombre de fois en Australie, je crois que nous ne percevons pas combien les pressions y sont fortes. La situation ne peut pas être mise seulement sur le compte d’une volonté conflictuelle entre hyperpuissances.

Nous restons aussi peut-être trop naïfs sur la capacité d’un certain nombre d’États autoritaires – qualifiés improprement de compétiteurs – à attirer non seulement des hauts fonctionnaires et des politiques, mais aussi des personnes qui développent des innovations. La recommandation que vous faites sur le contrôle de la reconversion des militaires dans des entreprises étrangères ou sous contrôle étranger, qui fait l’objet d’un article du projet de LPM, ne va pas assez loin. Il faudrait passer du système déclaratif, ne permettant des contrôles qu’ultérieurement, à un système d’autorisation préalable pour travailler dans une entreprise étrangère directement liée à un pouvoir étranger. Il faut comprendre que la Chine n’est pas un État-nation mais un parti-nation. En Russie, on assiste à un renouvellement régulier des grands oligarques en fonction de la politique conduite par Poutine. Celui qui était roi un jour peut devenir prisonnier le lendemain. Cela veut bien dire que les très grandes entreprises russes sont nécessairement liées au pouvoir.

Je retrouve bien dans le rapport ce que l’on a entendu lors des auditions. L’écueil politique ne pouvait pas être évité, mais cette commission d’enquête n’a pas servi les intérêts de certains autant qu’ils l’auraient voulu. Je sais gré à cette commission d’avoir su mener ce travail.

M. Stéphane Vojetta (RE). Je plaide coupable : j’avais une demi-heure pour étudier ce rapport, et je vous assure que je l’ai mise à profit de manière extrêmement intense et studieuse. J’en ai profité pour parcourir un résumé extrêmement bien fait et les conclusions.

Mais cela m’a surtout permis de revenir sur l’un des moments qui m’a le plus marqué, c’est-à-dire l’audition publique de notre collègue Marine Le Pen.

Vous vous souvenez peut-être que je l’ai interrogée au sujet du fameux emprunt auprès d’une banque russe, qui fut ensuite transféré spécifiquement et individuellement à une série d’entreprises russes proches du pouvoir. Mme Le Pen avait alors dit clairement que ce n’avait pas été le cas et qu’il s’agissait d’une opération qui faisait partie d’un transfert global de l’actif et du passif d’une banque vers un acheteur privé, sans que le Rassemblement national en ait eu connaissance ou ait été impliqué.

M. Bayou l’avait ensuite interrogée en s’appuyant sur des informations complémentaires, citant notamment l’enquête très fouillée publiée par Mediapart en 2018, qui confirmait qu’un seul prêt avait été racheté. Mme Le Pen avait alors dit que c’était la première fois qu’elle entendait cela et que personne ne le lui avait jamais dit.

Or il se trouve que M. Schaffhauser avait dit précisément le contraire lors de son audition par cette commission. Il l’avait aussi dit lors des enquêtes menées par Mediapart.

Intrigué par ce manquement possible à la vérité j’ai interrogé Mediapart, qui m’a confirmé que ni Marine Le Pen ni le Rassemblement national n’ont démenti les trente-deux articles parus sur le sujet ou attaqué le journal en diffamation à cette occasion. Mediapart indique qu’en avril 2022 Marine Le Pen a répondu pour la première fois sur ce sujet et qu’elle n’a pas contesté l’ensemble des éléments.

Je m’interroge sur les moyens qui sont à notre disposition en tant que membres de cette commission d’enquête pour disposer d’un complément d’enquête sur ce point particulier, qui n’est pas traité de manière totalement adéquate par la version actuelle du rapport.

Je suis très curieux d’entendre M. Bayou sur ce sujet, et suis disposé à l’accompagner dans d’éventuelles démarches qui pourraient nous permettre d’aller un peu plus loin.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Je remercie le président et la rapporteure pour le travail extrêmement difficile mené au sein de cette commission.

Je comprends les inquiétudes de notre collègue Ramos, mais il ne faut pas inverser les choses. Il y a eu une tentative d’instrumentalisation politique, mais de la part du Front national. C’est très bien expliqué dans le rapport, même si j’ai eu peu de temps pour le lire. Il y avait des interrogations sur la recevabilité de la proposition de création d’une commission d’enquête en raison du champ beaucoup trop large, mais aucun groupe n’a voulu s’y opposer afin de préserver le droit de tirage.

C’est là que nous avons un désaccord. Ce n’est pas la commission qui est devenue un instrument politique : c’est le Front national qui a voulu « arroser » partout, au risque d’alimenter le soupçon généralisé comme c’est bien écrit dans le rapport. C’était une forme de judo. Le président Bardella annonçait qu’il attaquerait en justice quiconque affirmait qu’il y avait un lien entre le Rassemblement national et la Russie, mais il ne le faisait pas. Le Rassemblement national espérait pouvoir dire que rien n’était sorti de la commission d’enquête. La manœuvre pouvait paraître habile, mais à mon avis c’est un échec car elle revient comme un boomerang. Je ne peux que m’en réjouir.

Sur l’ingérence en général, il y aurait beaucoup plus à dire que ce qui figure dans le rapport. Mais la tâche était colossale et je salue vraiment le travail de la rapporteure. Elle a réussi à contenir le sujet. Le rapport évoque le rôle du Qatar, du Maroc et de la Turquie. On aimerait que l’affaire Pegasus et beaucoup d’autres sujets soient aussi traités.

Mais comme le rapport CAPS-IRSEM a estimé que 80 % des efforts d’influence en Europe étaient menés par la Russie, il était légitime que le rapport approfondisse cet aspect. Au bout du compte, la commission a beaucoup enquêté sur la stratégie d’influence russe qui s’appuie sur différents vecteurs de désinformation, comme RT France, mais aussi et peut-être surtout sur le recrutement d’une partie des élites. C’est ce qui m’a le plus intéressé. Cet enrôlement des élites a aussi pris la forme du prêt consenti au Front national. C’est ce qui conduit à finalement pouvoir employer le terme de « courroie de transmission » pour qualifier Marine Le Pen – un terme qui était réservé à d’autres partis au siècle dernier et qui s’applique manifestement au Rassemblement national et à ses principaux représentants.

Je note d’ailleurs que l’ancien Premier ministre Fillon, avec qui je ne partage rien, a qualifié ce prêt russe d’ingérence étrangère – et je pense qu’on peut malheureusement lui faire confiance en la matière. Cela mériterait d’être relevé.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. C’est faux.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). À titre tout à fait personnel, je sors soulagé de cette commission puisque j’avais été menacé de poursuites en diffamation à une heure de grande audience par Marine Le Pen elle-même. Au vu du rapport, il n’en sera rien.

Surtout, je suis rassuré parce que cette manœuvre qui pouvait être habile échoue.

Je n’exclus pas de déposer une contribution supplémentaire. La partie du rapport qui traite du prêt russe est conséquente mais on pourrait ajouter d’autres éléments, notamment en ce qui concerne les liens avec le pouvoir russe des différents dirigeants d’entreprises qui ont récupéré les créances ainsi que sur leurs différentes condamnations pour des faits de crime de guerre.

On m’a informé que le président Tanguy tiendrait une conférence de presse à quinze heures. Je pensais que l’usage était de ne pas communiquer sur le rapport avant sa publication. Je voudrais savoir s’il s’agit d’un privilège de la présidence ou si les commissaires peuvent également le faire.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous l’avez déjà fait…

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Comme notre collègue Saintoul, je trouve que nous restons un peu sur notre faim s’agissant des recommandations.

L’idée de la banque de la démocratie pourrait évidemment être reprise.

Je suis également d’accord avec la proposition d’Anna Pic qui consiste à passer d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation pour les anciens militaires qui souhaitent travailler dans une entreprise étrangère directement liée au pouvoir.

S’agissant de la question essentielle de l’éducation aux médias, le rapport propose de l’organiser pour les collégiens et les lycéens. En fait, c’est toute la population qui devrait être concernée, car beaucoup de seniors tombent dans les pièges des fausses informations sur Facebook. On ne peut cependant pas rendre une telle formation obligatoire. Mais on pourrait par exemple profiter de l’envoi de la carte d’électeur pour donner quelques éléments de survie de base dans un monde où les fausses informations se répandent. On pourrait notamment expliquer que, du fait de l’utilisation de l’intelligence artificielle, il est utile de se référer à certaines sources, dont on pourrait donner une liste – qui peut comprendre aussi bien Le Figaro que L’Humanité – définie de manière consensuelle. En tout cas, il faut avertir l’électeur qu’il est important de développer une vision critique et de ne pas se contenter de ce qu’on a pu lui transférer, notamment sur Facebook.

Enfin, comme mon collègue Vojetta, il me semble qu’il y a matière à saisir la justice d’un possible faux témoignage de Marine Le Pen. Je le dis de manière assez grave.

Marine Le Pen ne pouvait ignorer qu’elle serait interrogée sur le prêt russe lors de son audition. J’ai même lu dans Le Parisien qu’elle s’y était préparée et avait révisé les montants, les dates et la chronologie.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Si c’est dans Le Parisien

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). De fait, elle a d’abord dit que ce n’était pas vrai – ou, en tout cas, elle a ignoré les rappels de la rapporteure concernant le rachat de la créance par Konti avant la mise sous tutelle de la banque FCRB, puis le transfert de cette créance à Aviazapchast.

Et quand nous l’avons relancée, presque en duo même si ce n’était pas préparé, elle a affiché son étonnement. Cela me semble suspect. Notre rôle n’est pas de juger, mais de saisir la justice pour qu’elle se prononce. Axel Loustau, trésorier du parti, avait dit que le parti en avait reçu notification.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Quel parti ?

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). M. Wallerand de Saint-Just en avait eu vent. M. Schaffhauser en avait parlé. L’Agence d’assurance des dépôts bancaires russe avait saisi la justice. Il se trouve qu’un représentant du Front national était présent à l’audience. Je n’imagine pas qu’on envoie un représentant de son parti sans mandat et sans que sa présidente soit au courant. M. Wallerand de Saint-Just parle des échanges avec la banque centrale russe sur le sujet spécifique du rachat de la créance. La presse en a fait état, comme l’a dit notre collègue Stéphane Vojetta. Mediapart a publié trente-deux articles et le sujet revient à chaque élection présidentielle. Marine Le Pen ne pouvait l’ignorer.

Quand elle affiche la surprise, on peut être vexé parce qu’elle se moque un peu de nous mais l’enjeu n’est pas là. La question est : savait-elle ? Et pourquoi dissimuler ?

On pourrait imaginer qu’elle le fait parce que des négociations et des renégociations sont intervenues. Dans ce cas, ce n’est plus un prêt qui change simplement de main et dont les conditions sont inchangées – ce qui a conduit la décision de la CNCCFP de ne pas considérer qu’il s’agissait d’un nouveau prêt, et qu’il était toujours légal alors que la législation avait changé.

S’il y a eu des renégociations, il est évidemment pratique pour Marine Le Pen de dire qu’elle n’était pas au courant, car les conditions ont changé et le prêt est possiblement illégal. On tombe dans le cas où le Rassemblement national a bénéficié d’une libéralité de la part d’une entreprise, ce qui est rigoureusement interdit – et qui l’était aussi avant la réforme récente.

Il existe un précédent récent de saisine de la justice pour parjure devant une commission d’enquête. En 2021, M. Ugo Bernalicis, président de la commission d’enquête sur l’indépendance de la justice, et M. Olivier Marleix, vice-président, avaient adressé un courrier au président Richard Ferrand pour que le bureau de l’Assemblée examine le cas d’une haute magistrate. Le bureau avait décidé de saisir la justice. Je ne sais pas quelles ont été les suites données à cette démarche.

Il est de notre responsabilité d’envisager d’envoyer une missive à la présidente de l’Assemblée nationale afin de saisir la justice d’un possible faux témoignage de Mme Marine Le Pen lors de son audition.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je lis les propos de M. Fillon : « La législation a été durcie [depuis 2012], c’est incontestable, mais elle était déjà très claire en 2012. […] La CNCCFP va très loin dans son analyse. En 2012 déjà » – donc avant le prêt russe –, « il était quasiment impossible que de l’argent provenant d’un pays étranger serve de manière significative à financer une campagne. »

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Puis-je prendre la parole quelques secondes, monsieur le président ?

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Non, nous finissons d’abord le tour de table.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). Il faut lire le compte rendu en entier. M. Bayou demande : « Considérez-vous que le financement d’un parti politique français par une puissance étrangère est une ingérence ? » et M. Fillon répond : « À la dernière question, je réponds oui. » C’est clair et net !

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Voilà, merci.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Durant l’audition de Mme Le Pen j’ai demandé, après que M. Bayou eut posé sa question – car j’avais bien compris sa manœuvre –, une précision sur les dates afin de temporaliser le propos, et la réponse a confirmé les dires de M. Fillon.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). M. Fillon a répondu clairement à la question que je lui avais posée, et je ne pense pas qu’il soit un imbécile.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. La conférence de presse que je donnerai à quinze heures respectera évidemment le règlement. Quant au parjure, je ne vois pas en quoi il est caractérisé, mais si Mme la rapporteure considère qu’il l’est, je pourrai discuter avec elle de la saisine du bureau de l’Assemblée nationale.

Monsieur Anglade, vous aviez demandé la parole.

M. Pieyre-Alexandre Anglade (RE). M. Bayou a tout dit.

Mme Caroline Colombier (RN). Ce rapport, très bien construit, est très riche en informations et je tiens à en remercier Mme la rapporteure et M. le président, ainsi que les administrateurs. Je tiens aussi à souligner l’importance et la pertinence des services de l’État, comme la DGSI – ma participation aux travaux de la délégation parlementaire au renseignement m’a confortée dans cette conviction.

J’ai été très surprise par le ton, les termes et les commentaires partisans employés dans la partie assez copieuse du rapport consacrée au Rassemblement national, dont j’ai même eu l’impression qu’elle était écrite à quatre mains par Mme la rapporteure et Mme Loiseau, citée presque constamment dans cette partie. Quelqu’un a parlé tout à l’heure d’objectivité et d’impartialité, mais quelqu’un d’autre a décrit ce rapport comme un outil politique, ce à quoi je souscris pleinement. J’en donnerai quelques exemples que j’ai relevés. Si je n’ai pas assisté à toutes les réunions de la commission d’enquête, j’en ai relu attentivement les comptes rendus disponibles, ainsi que le projet de rapport – ce qui, malgré ma pratique de la lecture rapide, m’a tout de même pris entre quatre heures et demie et cinq heures.

Le vocabulaire employé est éclairant et très orienté. On lit ainsi, à propos d’Aviazapchast, « après les tribulations pour le moins étranges qu’ont connues les cessions de créances », et la relation RN-Russie est décrite comme un « “canal privilégié”, selon les mots de Nathalie Loiseau ». Page 98 : « Il est difficile de ne pas qualifier ces propos d’allégeance politique. » En parlant de Jordan Bardella : « Ce virage, même s’il est cousu de fil blanc […]. » Quant à Philippe Olivier, il est décrit comme « visiblement distrait, ou frappé par une certaine amnésie ». Des mots comme « clamant » sont employés à propos de l’audition de Marine Le Pen

Il est regrettable que ce rapport témoigne d’un parti-pris très politique. Je comprends que l’on puisse avoir des opinions différentes, mais un rapport de commission ne doit pas comporter de tels commentaires partisans, clairement destinés à l’orienter dans un certain sens.

M. Thomas Ménagé (RN). Je tiens tout d’abord à reconnaître l’honnêteté intellectuelle et le travail du président Tanguy, qui a eu le courage de se déporter et qui a donné son accord pour l’ensemble des auditions réalisées, notamment celles qui concernaient des membres de son parti. Je remercie aussi tous ceux qui l’ont relevé.

Vous avez accusé le Rassemblement national d’avoir utilisé son droit de tirage pour se laver, pour « purger » son honneur, et vous avez finalement réussi à faire du judo, utilisant, à l’inverse, cette commission d’enquête dans votre intérêt pour salir le Rassemblement national et laisser s’exprimer votre volonté de diffamation à son égard.

Madame la rapporteure, vous vous étiez émue du périmètre trop large de l’objet de cette commission, mais vous avez trouvé un moyen de le réduire en vous concentrant presque exclusivement contre le Rassemblement national. Nous nous sommes heurtés, dans le cadre de cette commission d’enquête, à des difficultés liées au secret défense ou au secret de l’enquête, mais vous avez levé tous les problèmes en reprenant des propos tirés de Mediapart et en les mettant sur le même plan que ceux qui étaient exprimés sous serment – comme l’attestent les notes en bas de page, où rien n’est mis en perspective.

S’il est une erreur que le Rassemblement national peut reconnaître, c’est celle d’avoir cru à l’honnêteté intellectuelle de la plupart d’entre vous. Nous ne nous attendions certes pas à ce que vous soyez nos témoins de moralité et confirmiez la réalité des faits, mais nous aurions au moins attendu pour ce rapport une tournure beaucoup plus objective. Il est peut-être rare d’avoir à juger dans une commission d’enquête de faits relevant d’opposants politiques, et peut-être cela ne devrait-il pas être possible, car il est difficile d’avoir une vision objective lorsqu’on juge des personnes qui veulent prendre votre place ou vous faire quitter le pouvoir. Cependant, je crains qu’à force de crier au loup, comme la petite fille de l’histoire, en direction du Rassemblement national, vous ne finissiez par vous cacher les yeux et ne pas voir d’autres ingérences. Mme Pic a ainsi évoqué la Chine, que nous avons un peu oubliée, même si ce problème est lui aussi traité dans le rapport. Il n’y a pas lieu de nier les ingérences russes, que je suis le premier à reconnaître, mais en orientant le rapport contre le Rassemblement national, vous avez peut-être omis d’autres questions.

Nous n’avons, du reste, pas eu le temps d’auditionner certaines autres personnalités et des auditions ont été refusées. Je ne m’explique pas pourquoi – et je souhaiterais en avoir l’explication de la part des auteurs de ces refus au sein du bureau, dont je ne suis pas membre et dont j’ignore si les échanges peuvent être rendus publics – vous avez jugé qu’il n’était pas intéressant d’auditionner M. Raffarin ou M. Le Guen. On peut en effet s’inquiéter de cette volonté de masquer certaines personnalités qui auraient pu nous dire des choses intéressantes.

Si ce rapport est publié – et il le sera vraisemblablement –, il risque de salir notre institution. Quel crédit pourrons-nous demain accorder aux commissions d’enquête parlementaires si elles ne produisent plus un travail objectif, quasi scientifique, chirurgical, mais un tract politique ? Vous avez évoqué l’intérêt que ce rapport pourrait avoir pour les étudiants et les chercheurs, mais c’est, pour certaines de ses parties, manquer de respect aux étudiants et aux chercheurs que de le penser – même si je ne remets pas en cause la totalité du rapport.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je parlais des comptes rendus des auditions, qui seront rassemblés dans le tome Ⅱ du rapport.

M. Thomas Ménagé (RN). Si c’est le cas, je retire mes propos et je vous présente mes excuses, madame la rapporteure. Je considère néanmoins que le rapport est un tract politique. Contrairement à nous, vous n’avez pas respecté les règles du jeu et, comme vous le dites, tout est cousu de fil blanc. Les propos d’opposants, qu’il s’agisse de M. Glucksmann ou de Mme Loiseau, sont plus fréquemment cités dans les passages qui nous sont dédiés que les avis plus objectifs d’experts ou de responsables d’organismes, et vous mettez sur le même plan des propos rapportés et des déclarations sous serment.

Comme l’a relevé ma collègue, votre turpitude s’exprime dans les tournures que vous employez – vous auriez pu être un peu plus discrète ! Tout au long de ce rapport, vous formulez des jugements de valeur. C’est le cas, par exemple, page 10, où vous affirmez que « l’initiative du Rassemblement national a pour objet de “purger” la question du prêt russe ». Ce jugement de valeur n’a pas lieu d’être, à moins de préciser qu’il s’agit d’une position personnelle. De fait, la commission d’enquête n’a pas à juger des raisons pour lesquelles notre groupe a usé de son droit de tirage pour demander sa création. Page 99, vous déclarez que « la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale d’un État, l’Ukraine, ainsi amputée d’une portion importante de son territoire, n’est ainsi manifestement pas intolérable pour les grands défenseurs des souverainetés nationales que sont Mme Le Pen et le Rassemblement national ». Page 100, vous l’avouez carrément : « Il est intéressant, et honnête, » – ce qui signifie que tout le reste ne l’est pas ! – « de signaler que l’actuel président du Rassemblement national, M. Jordan Bardella, s’est lancé dans une opération de réhabilitation du Rassemblement national et a opéré un début de virage. » Page 115 : Marine Le Pen s’est montrée « fort peu curieuse »…

On pourrait en citer encore des dizaines. En revanche, vous ne remettez pas dans son contexte le fait que M. Chevènement, qui est un soutien de M. Macron, a demandé l’avis du ministère avant d’accepter la plus haute distinction russe de la part du Kremlin : le rapport ne dit pas qui était le ministre ni que c’est sous Emmanuel Macron que M. Chevènement a demandé cette autorisation au ministère, et donc au Gouvernement. Rien n’est contextualisé et vous n’indiquez le contexte que lorsque cela vous arrange.

Je suis attristé, même si la tendance actuelle est de détourner tous les moyens de la Constitution pour bâillonner vos opposants. C’est ce que vous faites notamment en utilisant son article 40 pour empêcher le débat sur les retraites, alors qu’il était de coutume que les propositions de loi d’initiative parlementaire…

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Restons-en au sujet.

M. Thomas Ménagé (RN). Au-delà de ce commentaire, je poserai une question. Vous évoquez dans l’introduction un contrôle sur place et sur pièces que vous avez effectué à Tracfin.

Mme Constance Le Grip (RE). Nous en avons fait deux.

M. Thomas Ménagé (RN). En effet : à la CNCCFP, que vous évoquez dans le rapport, et à Tracfin. Sauf erreur de ma part – car, dans les trois heures que je lui ai consacrées, ma lecture du rapport fut une lecture rapide, et donc imparfaite –, je n’ai pas vu ce que vous avez constaté auprès de Tracfin, qui est le service de renseignement le plus habilité à indiquer la présence d’argent illicite ou le transit illégal de fonds au profit du Rassemblement national.

Nous ne pouvons donc pas voter ce rapport, même s’il contient des éléments intéressants. Cette publication va salir notre institution, et je le regrette.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. M. Giletti, à qui je donne la parole, a accepté de remplacer Mme Laporte, qui ne peut être présente pour des raisons familiales.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). Est-il habituel de remplacer un membre d’une commission d’enquête ? Peut-être M. Giletti pourrait-il nous éclairer…

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Il en va de notre commission comme de n’importe quelle autre : Mme Laporte ayant démissionné hier, le groupe Rassemblement national a nommé M. Giletti à sa place.

M. Frank Giletti (RN). Je remplace en effet au pied levé Mme Laporte. N’ayant pas les brillantes capacités de notre collègue qui peut lire une page en moins d’une seconde, je laisserai mes camarades parler de ce rapport, ce qu’ils feront bien mieux que moi.

En constatant dans le sommaire qu’il est consacré moins de six pages à la Chine, je me souviens de ce mot prononcé devant la commission de la défense, dont je suis membre, par le chef des armées allemandes : la Russie est l’orage, la Chine est la tempête. Il est un peu surprenant que cette tempête occupe six pages sur deux cents.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Merci, monsieur Giletti, de reconnaître que vous n’êtes pas allé au-delà du sommaire.

M. Kévin Pfeffer (RN). Je remercie moi aussi les administrateurs, la rapporteure, le président et les membres actifs de la commission. Les auditions ont été très sérieuses, bien menées et intéressantes, ce qui tranche avec le rapport, lequel exprime un point de vue politique et partisan. J’ai été frappé d’y voir apparaître quelques points que nous n’avions jamais évoqués en commission et sur lesquels jamais aucun intervenant n’avait été interrogé. D’autres déclarations ont disparu de l’analyse. Enfin, on y trouve de nombreuses interprétations orientées.

À la page 76, le projet de rapport cite M. Konstantin Rykov, ancien député russe, qui aurait déclaré, dans un entretien pour mediametrics.ru apparu dans un documentaire de Paul Moreira sur Arte, en 2018 : « Nous avons réussi, Trump est président. Malheureusement, Marine n’est pas devenue présidente. Une opération a fonctionné, mais pas la deuxième. » La personne qui aurait prononcé cette phrase n’a cependant jamais été auditionnée et, de toute façon, étant de nationalité étrangère, elle n’aurait pas pu être entendue sous serment. En tout état de cause, il n’en a jamais été question durant les auditions. Jeune parlementaire, je pensais naïvement qu’un rapport sérieux de commission d’enquête devait s’appuyer sur des faits et sur des déclarations vérifiées et prononcées sous serment.

On lit page 79 une interprétation : après avoir rappelé que le parquet national financier nous a indiqué que 708 affaires étaient en cours, que seules huit d’entre elles pouvaient toucher potentiellement des faits d’ingérence étrangère et que, parmi ces huit, une seulement la Russie, vous ajoutez, madame la rapporteure, que « ce faible niveau de corruption observée relève moins d’une absence d’attitude corruptrice russe en France que de la nature même de ces agissements qui sont secrets et souvent complexes à identifier ». J’en fais la traduction suivante : la corruption financière existe en Russie mais nos services ne la verraient pas. Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais retenu des auditions !

Page 82, la DGSI dit n’avoir connaissance d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique. Vous ajoutez, madame la rapporteure : « De fait, si aucun parti ne s’affiche comme étroitement apparenté à Moscou, […] nombre d’élus affichent […] une proximité idéologique avec le régime de M. Poutine […]. » Certains élus ont peut-être des avis différents des vôtres, et cela ressortait du reste de certaines auditions, mais c’est le droit des élus dans une démocratie. Cela ne prouve nullement une quelconque ingérence étrangère et ne peut en aucun cas infirmer la déclaration de la DGSI.

Sur trois pages – 83 à 85 –, M. Thierry Mariani, député européen, est, si l’on peut dire, mis à l’honneur. Son intégrité y est mise en doute, mais on omet d’indiquer que, sous serment, M. Mariani a dit à plusieurs reprises qu’il n’avait jamais été conseiller ou salarié ni n’avait pris de commission dans une entreprise russe et qu’il n’avait jamais rien touché d’une entreprise ou du gouvernement russe. Ces déclarations me sembleraient éclairantes au regard de ces trois pages d’accusations.

Page 86, vous écrivez à propos du projet AltIntern, qui nous a tant agités durant les travaux de cette commission d’enquête, que « rien n’indique qu’il soit totalement abandonné ». Personnellement, ce que j’ai surtout retenu de ces auditions et des déclarations de toutes les personnes qui seraient liées à ce projet est que personne n’en a entendu parler et qu’aucune audition ne pourrait montrer qu’il existe vraiment. Personne ne nous a confirmé l’existence de ce projet, qui relève donc plutôt du fantasme, voire du complot. Au lieu de dire que rien ne prouve qu’il est complètement abandonné, je dirais plutôt que rien ne prouve qu’il a vraiment existé.

Cela ne vous empêche pas d’écrire, page 103 : « Au vu des nombreux liens tissés par M. Malofeïev avec des membres du RN, il apparaît que son projet […] intégrait tout à fait le Rassemblement national dans son périmètre. » Là encore, aucune audition ni aucune déclaration sous serment n’a permis de l’établir.

À deux reprises, pages 96 et 110, vous citez, à propos du prêt octroyé en 2014 au Front national, une banque russe. Je rappelle, et je pense qu’il faudrait ajouter ce point important dans le rapport – on le trouve, du reste, dans la déclaration de Mme Le Pen –, qu’il s’agissait d’une banque tchéco-russe agréée par l’Union européenne. C’est d’ailleurs ce dernier critère qui a poussé le Front national et Marine Le Pen à choisir cette banque. Je vous renvoie, là encore, à l’audition de cette dernière.

Page 96 toujours, à propos du rapport de M. Glucksmann, vous écrivez : « Les eurodéputés [du RN] qui ont été sanctionnés [par le Parlement européen] ont suivi la ligne politique de leur mouvement. » Pourtant, MM. Schaffhauser, Mariani et Olivier ont dit exactement l’inverse dans leur audition, affirmant à plus reprises qu’il n’y avait aucun contrôle ni aucune validation préalable de leurs voyages, ni par le parti politique ni par Mme Le Pen.

Page 108, vous reprenez une déclaration de M. Ripert, qui a avoué au passage qu’il n’y avait aucune preuve de ce qu’il avançait : « Personne n’a jamais pensé que Moscou souhaitait la victoire de l’autre candidat. » Eh bien si ! et on le retrouve aussi dans l’audition de Mme Le Pen, mais vous n’avez pas jugé utile de le préciser à cet endroit. C’est, du reste, vérifiable dans un article de presse. L’ambassadeur russe en France, M. Orlov a en effet déclaré en 2017 : « J’ai l’impression que Macron sera un grand président, qui marquera l’histoire de France. » Il a aussi affirmé sa « préférence » pour François Fillon, son « indulgence » pour Marine Le Pen et son « admiration » pour Emmanuel Macron. Il y avait donc bien des gens que l’on peut qualifier de proches de Moscou – cela semble pouvoir s’appliquer à un ambassadeur russe en France – qui souhaitaient la victoire de l’autre candidat, mais cela n’a malheureusement pas été rappelé dans votre rapport.

Page 112, on lit une citation de M. Schaffhauser : « Si [le pouvoir russe] y avait été opposé, l’affaire ne se serait pas faite. » Vous avez toutefois oublié une autre déclaration de cette même personne, faite en réponse à une question de M. le président Tanguy : « Il n’y a pas de preuve que le président Poutine a donné son assentiment. Je ne peux pas en avoir. » Un rapport ne peut certes pas reprendre 100 % des citations, mais les omissions, madame la rapporteure, paraissent très sélectives.

Le rapport évoque une autre déclaration de M. Schaffhauser, citée sans guillemets au bas de cette même page : « Quant à Jean-Luc Schaffhauser, il a déclaré devant la commission d’enquête que les nouveaux propriétaires de la créance s’étaient présentés au Rassemblement national comme agissant sur ordre du pouvoir politique. » Je n’ai retrouvé cette déclaration dans aucune audition. Je précise d’ailleurs qu’au moment de la renégociation de la créance du Front national avec cette banque, dans un avenant en date du 1er juin 2020 que vous avez peut-être pu consulter auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, M. Schaffhauser n’était déjà plus élu ni membre du Front national, qu’il avait quitté bien avant les élections européennes de 2018 – il a d’ailleurs déclaré dans son audition qu’il s’était fâché avec Marine Le Pen. Il me paraît donc bien étrange qu’il ait pu avoir à ce moment un contact avec les repreneurs du prêt. J’y reviendrai à la fin de mon propos.

Il me reste à souligner trois points.

Je n’ai pas trouvé dans le rapport une citation de la CNCCFP qui me paraissait importante, selon laquelle les prêts d’origine étrangère sont consentis à des taux plutôt supérieurs à ce qu’ils auraient été s’ils avaient été accordés par un établissement bancaire national.

Sur le même sujet, une précision s’impose à la page 113. Vous y apportez en effet, madame la rapporteure, un nouvel élément que vous n’aviez jamais évoqué auparavant durant les auditions : « Dans les documents contractuels que la rapporteure a pu consulter auprès de la CNCCFP, aucun élément ne laisse apparaître que le FN apportait des garanties contre l’octroi de ce crédit. Or une absence de garanties de la part de l’emprunteur constitue un avantage considérable eu égard aux exigences qui s’appliquent ordinairement à ce type de transaction. » Je vais donc peut-être vous apprendre quelque chose sur le fonctionnement des partis politiques : quand une banque prête dans le cadre d’une élection, elle le fait à un candidat à titre personnel en lui demandant des garanties personnelles, et parfois des garanties de son parti. Lorsque, comme c’est le cas ici et comme cela a été le cas pour le prêt de 2014, la banque prête à un parti politique, la garantie est automatique : il s’agit de la subvention de l’État français, qui est une créance annuelle sur l’État, automatique car prévue par la loi. À n’importe quel moment, donc, la banque ou le prêteur qui prête à un parti peut saisir le ministère de l’intérieur par courrier, l’avertir du non-paiement d’une échéance et en obtenir le paiement direct. C’est la raison pour laquelle il n’y avait pas de garantie : cette garantie automatique était suffisante compte tenu du montant de la subvention annuelle que percevait alors le Rassemblement national.

Enfin, Marine Le Pen ne connaissait pas les aspects techniques qui sous-tendaient le rachat du prêt, comme elle l’a dit et expliqué. Il est d’ailleurs faux de dire qu’il y aurait eu négociation ou renégociation de ce prêt : c’est la justice russe qui a tranché à propos du rachat de la créance par une entreprise. À aucun moment des membres du Front national ou sa présidente ne peuvent intervenir auprès de la justice russe pour choisir la personne qui rachètera le prêt, ni même pour donner leur avis à ce propos. Qui plus est, les aspects techniques relèvent de la compétence du trésorier du parti, qui avait eu la charge de négocier ce prêt à l’époque, et éventuellement des avocats qui suivaient le dossier, mais absolument pas de sa présidente.

Je regrette l’absence de toute recommandation à propos du financement des partis et de la banque de la démocratie. De nombreuses auditions ont en effet montré que cette commission a pour origine les difficultés rencontrées par des partis politiques, et particulièrement le Front national, pour se financer dans leur propre pays, voire dans l’Union européenne, ce qui est dommageable pour notre démocratie. J’ai entendu que s’exprimait également sur d’autres bancs le souhait d’ajouter une recommandation à cet égard.

En raison de ces omissions sélectives, de ces interprétations et de ces rédactions partisanes, nous ne pourrons pas valider la publication de ce rapport.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Madame la rapporteure, préférez-vous que j’intervienne tout de suite, ou souhaitez-vous répondre à cette série d’interventions ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Nous vous écoutons, monsieur le président.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je dois dire que j’ai été étonné par une partie du rapport.

Je salue votre engagement, votre sérieux, votre capacité de travail et vos connaissances sur ces sujets, certainement supérieures aux miennes puisque vous vous y intéressez depuis longtemps. J’ai soutenu vos demandes d’auditions, souvent pertinentes. Je pense à l’audition de Mme Audrey Tang, personnalité courageuse que je ne connaissais pas, ou à celle de M. Tenzer : il a pris publiquement parti contre Mme Le Pen lors de l’élection présidentielle, mais cela ne remet nullement en cause son expertise ; son audition était d’ailleurs neutre, et mettait en difficulté de nombreuses forces politiques. Je regrette à cet égard que vous ne mettiez pas en valeur le fait que toutes les forces politiques ont fait preuve de naïveté vis-à-vis de la Russie, de la Chine ou des pays du Golfe.

La qualité du rapport est gâtée par l’introduction et par les parties consacrées au Rassemblement national, mais pas seulement.

Je regrette votre choix de mettre de côté les ingérences des États-Unis, dont vous dites qu’elles sont « à la lisière du champ défini par la commission d’enquête ». Il y a certes une différence de nature entre les ingérences de puissances hostiles et celles de puissances alliées, mais les secondes doivent aussi être signalées et combattues. Une allégeance à un allié – surtout hors de l’Union européenne – est sans doute moins grave, elle n’en est pas pour autant acceptable.

Dans l’introduction du rapport, qui se livre à certaines interprétations de la volonté du Rassemblement national de convoquer cette commission d’enquête, vous parlez d’un « contexte de vive polémique ». C’est le cas de la plupart des commissions d’enquête, par exemple celle sur la souveraineté énergétique, qui est d’ailleurs remontée plus loin dans le temps qu’elle ne l’avait initialement prévu, ou celle sur l’assassinat d’Ivan Colonna.

Je suis en total désaccord avec la façon dont vous reconstruisez l’historique de cette demande. Vous sélectionnez des faits, mais sans rappeler le point de départ, c’est-à-dire le comportement de M. Stéphane Séjourné. Vous faites état d’un communiqué de presse « véhément », en date du 23 septembre 2022. La veille, M. Séjourné, sur France 5, estime qu’« il y a un travail à faire sur les ingérences » à la suite des révélations, issues de notes américaines déclassifiées, selon lesquelles la Russie aurait versé 300 millions d’euros en Europe pour influencer les élections. Il y a un sujet, ce n’est pas moi qui l’invente ! M. Séjourné parle d’un sujet « dont il fallait se saisir assez rapidement ».

Il a ensuite tweeté son intervention, en mentionnant M. Bardella et en l’interpellant en tant que député européen. C’est en ligne, vous pouvez tous le vérifier. La polémique naît de cette interpellation, elle n’est pas le fait du Rassemblement national. Le lendemain, M. Séjourné refait un tweet, reprenant une vidéo de M. Bardella, avec le commentaire suivant : « Soutenir l’agresseur puis exploiter politiquement les conséquences de la guerre sur notre sol. Quel pacte tacite ou quel accord financier pourrait conduire à de telles déclarations ? Une enquête indépendante doit être menée sur l’ingérence russe dans les partis européens. »

Marine Le Pen, Jordan Bardella et moi-même décidons alors de faire un communiqué de presse, annonçant une proposition de résolution pour le lundi 26. Il est toujours en ligne. Nous y proposons une commission d’enquête, mais pas du RN : une commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Ce n’est qu’à la fin du mois de novembre que nous avons exercé notre droit de tirage, et cela a été enregistré au bureau de l’Assemblée le 6 décembre. Entre le dépôt de notre proposition de résolution, le mardi 27 septembre, et le début du mois de décembre, personne au sein de l’Assemblée n’a voulu voter cette commission de façon consensuelle, et aucun groupe n’a proposé sa propre résolution.

Pis encore, le lendemain de notre communiqué, une dépêche de l’AFP nous apprenait que huit députés Renaissance avaient envoyé à la présidente de l’Assemblée une lettre – que je n’ai pas retrouvée – pour lui demander une commission d’enquête. Cette lettre n’aura aucune suite !

Est-ce ma faute, ou celle du Rassemblement national, si les trois partis qui composent la minorité présidentielle, les partis de la NUPES, ou le groupe LIOT, n’ont pas souhaité proposer une commission d’enquête sur les ingérences étrangères ? Vous auriez pu formuler son objet comme bon vous semblait ! Dans ces conditions, je n’en aurais sans doute pas non plus été le président. C’est ce qui s’est passé, je crois, pour la commission d’enquête sur la vie chère dans les outre-mer : une résolution a été adoptée en séance…

Mme Anna Pic (SOC). Nous avons l’impression d’être des enfants qui se font tancer, c’est un peu désagréable ! Vous pourriez adopter un autre ton…

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je dis la vérité !

Mme Anna Pic (SOC). Ah, vous détenez la vérité !

M. Thomas Rudigoz (RE). Disons que vous donnez votre vérité.

Mme Mireille Clapot (RE) et M. Thomas Rudigoz (RE). En tout cas, nous n’avons pas cette lettre !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Elle n’existerait donc pas ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous interromps car, face à ce flot d’informations et de commentaires, j’ai peur de retenir nos collègues pendant des heures pour vous répondre, ainsi qu’au trésorier national du Rassemblement national.

Le président de la délégation parlementaire au renseignement, M. Sacha Houlié, s’est immédiatement emparé de ce sujet des ingérences étrangères. Cela semblait le lieu idoine, loin des instrumentalisations politiques.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Nous avons appris par la suite, en effet, que la délégation parlementaire au renseignement s’était saisie du sujet le 28 juillet. J’y reviendrai.

Parmi les éléments qui nous ont amenés à proposer cette résolution figuraient aussi les propos de l’ancien ambassadeur Jean-Maurice Ripert, qui s’est révélé beaucoup moins affirmatif sous serment : il ne parlait plus que de sentiment. Son attitude a été si scandaleuse que le président de la commission des affaires étrangères a annoncé son intention de rappeler dans un courrier que soit l’on a des choses à dire, et il faut les dire à la justice, soit il vaut mieux se taire. M. Ripert l’a d’ailleurs reconnu lors de son audition : s’il avait eu des preuves, il les aurait transmises au procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Mme Alice Rufo, qui a été dix années durant conseillère diplomatique à l’Élysée, n’a pas dit autre chose – pardonnez-moi, mais il me semble qu’à l’Élysée on doit être un peu au courant de ce qu’il se passe !

Mme la rapporteure mentionne aussi que cette demande « fait clairement écho à des arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat entre Mme Le Pen et M. Macron entre les deux tours de scrutin ». On peut aussi considérer les mots utilisés alors par M. Macron comme des attaques politiques ! Le directeur de la DGSI s’est d’ailleurs interrogé devant nous sur ce qui relevait de la « rhétorique politique ». Si M. Macron avait eu connaissance, en tant que Président de la République, garant de la Constitution et donc de la souveraineté nationale, du fait que le principal parti d’opposition ou d’autres partis étaient suspects d’être soumis à des ingérences étrangères, s’il avait su que la personne qui pouvait le remplacer à l’Élysée si les Français l’avaient voulu était sous le joug russe, il serait bien étrange qu’il n’ait pas fait ce qu’il fallait pour écarter cette menace. Il est aussi étrange que l’ensemble des fonctionnaires de l’Élysée et des services de renseignement n’aient jamais signalé, sur le fondement de l’article 40, des agissements de Mme Le Pen ou d’aucun membre du Rassemblement national – ou de La France insoumise d’ailleurs, car on entend aussi des accusations farfelues sur leurs liens avec des forces étrangères. Or il n’y a jamais eu de procédure judiciaire.

Il n’y avait pas de volonté de manipulation. Vous ne citez mes propos qu’une fois, madame la rapporteure, et c’est pour reprendre ma formule selon laquelle les ingérences sont un poison. C’est vrai à un double titre : c’est vrai si elles sont avérées et que les personnes concernées ne sont pas écartées des responsabilités publiques et du débat politique ; c’est vrai aussi si des rumeurs sont utilisées pour diffamer et discréditer les oppositions alors que ces accusations sont infondées. Le seul but de cette commission d’enquête était d’établir les faits : y avait-il des ingérences ou des tentatives d’ingérence ? Menaçaient-elles la démocratie et la capacité de nos concitoyens à s’informer, donc à choisir ? Menaçaient-elles notre souveraineté économique et scientifique ?

Or, ce rapport comme notre discussion d’aujourd’hui le montre, vous ne savez pas faire la différence entre des faits et des preuves d’une part, les sentiments, l’opinion, l’intime conviction, les présomptions, la rumeur, de l’autre. Il n’y a aucune rigueur.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Merci pour cette leçon ! Après trente ans d’engagement politique et de travail, je suis traitée comme une petite fille qui manque de rigueur !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je vous ai demandé si vous souhaitiez intervenir avant moi. Je crois avoir dit que je serai long.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. C’est très long, en effet !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. J’ai passé de longs moments à analyser ce rapport.

M. Thomas Rudigoz (RE). Dites-nous combien de temps vous comptez encore parler, c’est la moindre des choses. Est-ce une tactique ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Oui, nous aimerions nous organiser !

M. Charles Sitzenstuhl (RE). La conférence de presse est à quinze heures…

M. le président Jean-Philippe Tanguy. J’ai quinze pages de notes. Il est possible d’annuler la conférence de presse. Et je n’ai jamais entendu contester le droit du président à prendre la parole. J’ai le droit de dire tout ce que je veux, et je n’ai interrompu personne.

Depuis le début, on nous accuse de vouloir « purger » les questions du RN. Mais à quel moment un président de commission d’enquête peut-il maîtriser ce que disent les services de renseignement, les experts, les personnalités convoquées à la demande des uns ou des autres, y compris celles qui sont fâchées avec le Rassemblement national ? Vous prétendez aussi, et vous voulez faire croire à la population, que cette commission serait une commission du RN, et que nous pourrions en contrôler les travaux. C’est de la mauvaise foi, et vous jouez sur la méconnaissance du fonctionnement d’une commission par nos concitoyens, qui ont autre chose à faire. C’est grave : si on fait cela pour tous les sujets, il n’y a plus de commissions d’enquête parlementaires. L’honnêteté intellectuelle devrait vous empêcher de laisser entendre que cette commission a été manipulée. Je n’ai pour ma part jamais rien dit de tel des autres groupes politiques qui ont demandé des commissions d’enquête.

Vous dites, madame la rapporteure, que la résolution adopte un ton « véhément ». Je l’ai relue et je ne m’explique pas ce qualificatif. Vous dites aussi que le RN aurait pu vouloir faire cesser les débats sur les ingérences. Nous demandons une commission d’enquête dont les travaux sont pour l’essentiel publics, et dont même les auditions à huis clos font l’objet d’un compte rendu public : quand voudrions-nous faire taire qui que ce soit ? Nous avons aussi été accusés de vouloir créer un « bruit de fond », comme la NUPES d’ailleurs. On nous a reproché de vouloir faire diversion : mais de quelle audition parle-t-on ? Quand ai-je cherché à allumer un contre-feu, à ouvrir un nouveau front, à créer une polémique ? Je n’ai même pas rouvert de sujets qui avaient été fermés !

Au contraire, de nombreuses portes ont été fermées à mon insu. Je regrette notamment que la question des ingérences des pays du Golfe et du Maroc ait été si peu traitée. J’ai ainsi demandé la convocation de M. José Bové dès la deuxième réunion de la commission, car il s’était exprimé de façon très claire sur France Inter au sujet d’une tentative de corruption par l’ancien ministre de l’agriculture marocain, aujourd’hui Premier ministre – excusez du peu. Nous n’avons pu l’entendre que lors d’une de nos dernières séances, et ce qu’il a dit n’a pas pu être prolongé. C’est dommage !

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Il est cité !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Oui, mais nous n’avons pas pu travailler sur l’ingérence marocaine à partir de son témoignage, alors qu’on était là au cœur du sujet des ingérences étrangères.

Vous revenez ensuite sur la question de la recevabilité de cette commission d’enquête, qui est appréciée par la commission des lois. Vous vous fondez sur les déclarations d’un membre de la minorité présidentielle et d’un député socialiste.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je me fonde surtout sur l’avis du rapporteur de la commission des lois !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Il est aussi membre de votre parti, je crois.

Vous contestez ensuite la pertinence de l’outil qu’est la commission d’enquête pour mener ces travaux, tout en reconnaissant celle des commissions spéciales du Parlement européen INGE 1 et INGE 2. J’ai vérifié, le périmètre de celles-ci est à peu près le même que celui de notre commission : les élections et le fonctionnement de nos démocraties, le numérique et les réseaux sociaux, la cyber-criminalité et le cyber-harcèlement, le financement des partis politiques, l’information des citoyens, le contrôle des technologies, le contrôle des approvisionnements, le contrôle des infrastructures économiques cruciales… C’est considérable ! Il paraît d’autant plus étrange de soutenir les unes et pas l’autre que les pouvoirs des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale sont supérieurs : les commissions spéciales du Parlement ne peuvent contraindre quiconque à être entendu, les propos ne sont pas tenus sous serment et aucun contrôle sur place et sur pièces n’est possible.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je n’ai jamais dit que nos travaux n’étaient pas pertinents : j’ai travaillé six mois sur ce rapport !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous écrivez que le périmètre des travaux était bien trop large.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je reprends les observations de la commission des lois.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous n’y étiez pas obligée.

Il n’y a pas de problème de recevabilité.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Si, c’est une question importante.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). Bien sûr ! C’est un vrai problème !

M. Pieyre-Alexandre Anglade (RE). En tant que rapporteur de la commission des lois, j’ai interprété les règles de façon très souple.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous interprétez comme vous le voulez !

Ce que montrent nos travaux, c’est au contraire que le périmètre était parfaitement adapté.

Vous soutenez aussi que la délégation parlementaire au renseignement était une meilleure instance pour traiter des ingérences. Certes, elle est habilitée au secret de la défense nationale, mais cela nous a été très peu opposé – vous ne le quantifiez pas dans votre rapport. Mais elle ne dispose pas des pouvoirs d’une commission d’enquête, et, plus grave, ses travaux ne sont pas publics.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Une partie de son rapport est publique.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Seulement ce que la DPR veut bien rendre public.

J’ai le droit de penser qu’une commission d’enquête parlementaire était particulièrement adaptée à la question des ingérences. Le secret aurait posé un problème.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je vous interromps car j’ai vraiment peur d’être ensuite débordée par le nombre de réponses à apporter. Je n’ai jamais remis en cause la pertinence du travail de la commission d’enquête. Je viens d’y consacrer six mois ! Je souligne simplement qu’il existe un cadre légal strict.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous affirmez plusieurs fois que le large périmètre a posé un problème ! Vous écrivez exactement : « De fait, l’amplitude excessive du champ défini par l’intitulé de la proposition de résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d’enquête, constamment confrontée aux risques de l’éparpillement et du “filet dérivant”. » – expression de M. Anglade.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Un défi permanent, tout à fait !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Pourtant, la commission a défini de façon consensuelle et collégiale une méthode de travail, que j’ai proposée et que les membres du bureau ont soutenue. Vous la mentionnez mais vous ne la décrivez pas correctement.

La séance, suspendue à midi vingt, reprend à midi vingt-cinq.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Cette méthode nous permettait dans un premier temps de cadrer les notions, puis d’identifier les zones géographiques et les modes d’ingérence sur lesquels nous devions concentrer nos travaux. Puis, nous devions entendre des journalistes, des experts, des ONG, des personnalités ayant publiquement fait état d’ingérences. Ensuite seulement des faisceaux d’indices ou un nombre de mentions considérable devaient nous amener à faire venir des personnalités politiques. Il s’agissait d’éviter la politique spectacle.

Cette méthode n’a pas été contestée. Monsieur Saintoul, la NUPES avait signifié son refus de faire partie du bureau. Je vous y ai invité et vous êtes venu à plusieurs reprises. C’est vous qui, par exemple, avez demandé l’audition de la banque hongroise. Vous aviez proposé d’autres auditions qui n’ont pas pu être organisées.

Je signale au passage que nous ne trouvions pas les coordonnées de M. Schaffhauser, et que c’est votre serviteur qui non seulement les a trouvées, mais l’a appelé !

Les craintes de la commission des lois se sont donc révélées infondées. Dans le relevé des conclusions du bureau du 10 février, on lit ceci : « Les inquiétudes formulées par le rapporteur de la commission des lois quant au périmètre de la commission d’enquête n’ont pas été corroborées. Les auditions ont mis en exergue le caractère hybride et protéiforme des politiques d’ingérence en France. » J’ai relu tous les relevés de conclusions et aucun ne mentionne de problème sur ce point. Cela, vous ne le dites pas, madame la rapporteure. Vous regrettez au contraire un périmètre trop large.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. C’est une seule page de l’introduction !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. C’est important ! On peut le regretter, mais beaucoup de gens s’arrêtent là, reconnaissons-le.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Et c’était en effet un défi permanent.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Cela n’a jamais transparu dans nos travaux. M. Bohnert, procureur de la République financier, nous a déclaré : « Votre commission d’enquête a retenu à juste titre une définition large, puisque le champ de vos investigations recouvre non seulement les interventions réalisées par des États ou des organisations étatiques, mais aussi par des entreprises étrangères. » Vous ne pensez quand même pas que je manipule le PNF !

Mme Nathalie Loiseau, qui n’est pas une de mes grandes amies, nous a dit : « Je me réjouis que l’Assemblée nationale se penche sur ce sujet, si important, des ingérences étrangères. […] D’après le titre de votre commission d’enquête, vous avez choisi d’aborder cette question sous l’angle de la corruption des élites, et vous avez eu raison. »

À l’inverse, aucune audition d’expert n’a regretté un périmètre trop large. Ils ont plutôt considéré qu’il était bon de ne pas s’interdire d’emblée de suivre des pistes.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je rappelle les travaux de la commission des lois, c’est un point de passage obligé.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Très bien ! Vous avez dit, à juste titre, que vous aviez travaillé cinq mois sur ce rapport. C’est mon cas aussi et j’ai le droit de m’exprimer, et même plus longuement que les autres membres de la commission.

Vous soulignez que le secret de l’instruction ne permet pas d’entrer dans le détail de certaines affaires. Mais justement, nous n’avons pas à entrer dans le détail !

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Nous sommes donc d’accord.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. C’est un problème qui n’existe pas. Le bureau de la commission m’a suggéré à de nombreuses reprises, et je l’ai fait bien volontiers, de rappeler que nous n’étions pas une institution judiciaire. L’émission de télévision « Quotidien » m’a reproché de ne pas être bien placé pour interroger François Fillon alors que j’ai moi-même dit que, n’étant pas magistrat, je ne puis le juger. Je plaide simplement pour interdire totalement de faire des affaires en Russie comme lui en fait.

On parle souvent des réactions des réseaux russes à propos de l’audition de Mme Le Pen. Mais il faudrait aussi parler du fait que, parce que j’ai travaillé avec vous, madame la rapporteure, pour cette commission d’enquête, M. Moreau m’appelle « Fouquier-Tanguy » ! Les réseaux russes ne semblent pas très satisfaits de moi.

Il n’est pas vrai non plus que les auditions aient été exclusivement orientées vers la Chine et la Russie. Vous avez raison de dire que ce sont les deux principales menaces et sources d’ingérence. Mais j’ai regretté que nous n’enquêtions pas sur les pays du Golfe, notamment en invitant MM. Chesnot et Malbrunot à propos du Qatar. Vous dites que c’est « faute de temps » qu’ils n’ont pas été entendus : ce n’est pas vrai ! Cette audition a été considérée comme non pertinente lorsque nos travaux ont commencé. J’ai le droit de penser qu’il aurait été intéressant de connaître leur point de vue et d’ouvrir des perspectives sur l’influence du Qatar, mais aussi des Émirats arabes unis, par exemple, ou encore du Maroc.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. C’est large ! Il aurait fallu bien plus de six mois !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. C’est large. Mais la commission d’enquête sur la souveraineté énergétique a fait deux fois plus d’auditions que nous.

Je rappelle que nous votons aujourd’hui non pas seulement pour autoriser la publication du rapport, mais sur le fond. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître que le travail de la rapporteure a été sérieux, comme pour une mission d’information.

Or je ne peux pas cautionner le fait que vous écartez les ingérences américaines, dont vous écrivez qu’elles « se situent à la lisière du champ de cette commission d’enquête ». Vous les limitez d’ailleurs à la question du lawfare, c’est-à-dire de la « guerre du droit ». M. Fillon nous a pourtant dit, sous serment, que les ingérences américaines avaient des conséquences considérables. On ne peut pas laisser de côté ces déclarations de quelqu’un à qui il y a sans doute des reproches à faire, mais qui a tout de même été Premier ministre de la France pendant cinq ans ! On ne peut pas non plus laisser de côté comme vous le faites les écoutes de la National Security Agency (NSA). Les plus hautes autorités de l’État ont été écoutées.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je sais bien tout cela.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je sais bien que vous le savez.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Aurait-il fallu que je reproduise l’intégralité des auditions ? Le rapport aurait fait 400 pages !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous écrivez que les ingérences américaines se situent « à la lisière » de nos travaux.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. La commission des lois travaille sur le lawfare.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous avez choisi d’écarter les ingérences américaines. C’est un choix de fond. Il me semble au contraire que nos travaux montrent qu’elles doivent tout autant nous inquiéter, même si elles ne sont pas tout à fait de même nature.

Vous utilisez le concept d’Occident. C’est tout à fait défendable, mais il faut aussi observer que parfois la France en fait partie, et parfois s’en détache.

Le parquet national financier a consacré son propos liminaire aux ingérences américaines, et M. Montebourg les a mentionnées. M. Sapin a déclaré, sous serment, avoir rencontré un dirigeant américain qui lui a dit : je fais le boulot puisque tu ne le fais pas.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. C’est dans le rapport.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Cela caractérise une ingérence aussi forte que celles de la Chine et de la Russie. Vous limitez l’ingérence américaine au lawfare ; j’ai déjà parlé des écoutes, mais il faut aussi mentionner l’incarcération de M. Frédéric Pierucci aux États-Unis : cela a été considéré comme une façon de faire pression sur les dirigeants d’Alstom, multinationale française finalement vendue aux Américains. Nous sommes tout à fait dans le cadre de la commission d’enquête, puisqu’il s’agit d’influer sur une entreprise française qui fournit les turbines de nos centrales nucléaires et les entretient !

Lors de nos travaux, jamais il n’a été dit que les ingérences américaines étaient à la lisière de notre objet. Je ne comprends pas ce choix.

Vous accordez en revanche une place exorbitante au Rassemblement national. Marine Le Pen est citée soixante-dix-sept fois.

M. Thomas Rudigoz (RE). Son audition a été très longue.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Merci de le dire. Cela me permet de préciser qu’elle n’est citée que huit fois au titre de son audition.

À titre de comparaison, M. Fillon est cité quinze fois, M. Chevènement cinq, M. Raffarin – que nous n’avons pas auditionné – deux, M. Le Guen une, M. Sarkozy une. Le déséquilibre est total ! Un rapport de un à quarante entre M. le « panda » Raffarin et Mme Le Pen, un rapport de un à quinze avec M. Chevènement qui a été décoré par M. Poutine, un rapport de un à cinq avec M. Fillon qui a été rémunéré par une société liée au régime russe : voilà qui montre une évidente différence de traitement.

Vous choisissez aussi de ne faire état à aucun moment des relations de dépendance établies, depuis Jacques Chirac, avec la Russie. Cela est d’ailleurs également vrai au niveau européen. J’ai pourtant souvent abordé cette question. M. Tenzer, pourtant adversaire du Rassemblement national, l’a fait aussi. M. Glucksmann, cité par L’Express, considère que le fait que tous les partis se soient trompés sur la Russie est un « argument puissant ». Vous avez le droit de critiquer la ligne du Rassemblement national. Ce n’est d’ailleurs un secret pour personne qu’en tant que souverainiste, je suis moi-même critique des positions de ce parti vis-à-vis de la Russie comme de Taïwan, par exemple.

Ce choix est pourtant préoccupant. M. Chevènement a avancé le chiffre de 18 milliards d’euros d’investissements français en Russie. J’ai évoqué à plusieurs reprises les gazoducs Nord Stream 1 et 2, infrastructures par lesquelles on a volontairement contourné l’Ukraine et les pays de l’Est pour alimenter l’Europe en gaz russe, ce qui a créé une situation de dépendance. Vous n’en parlez qu’à propos de Gerhard Schröder.

À ce propos, vous parlez d’autres responsables politiques, notamment autrichiens, ainsi que d’un « ancien Premier ministre français ». Non seulement le nom de ce dernier n’est pas donné, mais son appartenance à l’UMP n’est pas mentionnée. Cette façon de faire est d’ailleurs à peu près systématique – disons que je l’ai caractérisée à 70 %. Lorsque vous évoquez une personnalité du Rassemblement national, son appartenance à ce parti est mentionnée – ce qui me paraît normal, il faut savoir d’où les gens parlent. En revanche, lorsqu’il est question d’un « ancien Premier ministre français », son nom et son appartenance à l’UMP disparaissent ! Le fait que M. Chevènement ait soutenu M. Hollande puis M. Macron n’est pas donné, ni celui que le groupe Démocrate compte dans ses rangs, à la suite d’un accord électoral, une députée chevènementiste. Cela a disparu !

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Cela n’a pas disparu, cela figure dans les comptes rendus !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Précisément : dans les comptes rendus, pas dans le rapport.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. On ne peut pas tout écrire dans le rapport. Tout un passage est par exemple consacré à M. Mariani, et je précise bien qu’il a été député UMP.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous mentionnez l’appartenance au RN de M. Mariani à partir de 2019. Avant, il est évidemment contre nous, pas contre l’UMP. Tout est comme cela ! M. Raffarin n’est jamais cité comme soutien ni de l’UMP ni de M. Macron. Le fait que M. Buon Tan ait été réinvesti par Renaissance alors qu’il avait déjà éveillé les soupçons n’est pas mentionné – et ces suspicions étaient bien plus importantes que vous ne l’écrivez, puisque certains députés avaient quitté pour cette raison le groupe d’amitié France-Chine. Le soutien de M. Le Guen à M. Hollande, puis à M. Macron n’est pas mentionné non plus.

Nous pouvons quantifier tout cela, madame la rapporteure. Je vous assure que la dissymétrie est flagrante. L’appartenance au RN est toujours mentionnée. En revanche, celle à l’UMP ne l’est pas. C’est le cas pour M. Mariani.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je précise bien son appartenance à l’UMP lorsqu’il se rendait au congrès de Russie unie, le parti de M. Poutine.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous considérez le comportement de M. Mariani comme individuel lorsqu’il est membre de l’UMP ; en revanche, vous en faites le révélateur d’une attitude collective lorsqu’il est membre du RN.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. M. Dhuicq est cité.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Non, il n’est pas cité nommément ! Vous faites référence à un député français qui affirme qu’un « très riche lobby gay » soutient M. Macron. Ces propos sont consternants ; ils désignent M. Bergé. À l’époque, M. Dhuicq est député UMP.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Il est cité nommément page 104, et il est précisé qu’il est membre de l’UMP.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je lis, page 104 : « […] l’ancien député UMP, M. Nicolas Dhuicq, ou l’ancien sénateur UDI, M. Yves Pozzo di Borgo […] ».

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Ce n’est pas le passage où vous parlez du « lobby gay ». M. Dhuicq n’est pas mentionné nommément comme étant l’auteur de propos sur le « lobby gay », ni présenté comme un soutien de M. Fillon.

M. Charles Sitzenstuhl (RE). C’est désolant. Si vous devez vous justifier devant votre groupe, choisissez une autre enceinte !

M. Thomas Rudigoz (RE). C’est une affaire interne à votre parti.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je n’ai pas particulièrement besoin de me justifier devant mon groupe. Si vous croyez que nous sommes mis en difficulté par ce rapport, je vous rassure, ce n’est pas le cas. Je vous communiquerai le passage dont je parlais.

Les compromissions permanentes des gouvernements successifs de la France avec le régime sont totalement évacuées du rapport. Vous employez les termes de « courroie de transmission », qui sont contraires aux propos tenus par la DGSI, laquelle a établi qu’aucun parti politique n’était dans la main d’une puissance étrangère – ni aucune personnalité politique de premier plan. Vous pouvez certes exprimer votre insatisfaction, ou dire que vous savez mieux que la DGSI…

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Pas de mise en cause personnelle !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Ce n’est pas une mise en cause personnelle, je cite vos mots.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je ne le conteste pas mais les termes « courroie de transmission » sont entre guillemets.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Cela peut laisser entendre que c’est une expression, ce qui, en un sens, est plus grave. En effet, la DGSI, lors de son audition, a rappelé que le Parti communiste français (PCF), à l’époque, était une courroie de transmission de Moscou.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Ce n’est pas la DGSI qui le dit, ce sont les historiens !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Oui, c’est établi historiquement. En soi, ce n’est pas grave, on en a connu d’autres ! Vous employez une expression qui renvoie aux liens entretenus jadis par le PCF avec l’Union soviétique pour désigner des liens actuels non établis avec le régime de M. Poutine. Qui plus est, ces termes contredisent les propos tenus lors des auditions par les services de renseignement. Aucune des auditions n’a prouvé qu’un parti politique français, quel qu’il soit, ni une personnalité politique de premier plan, était dans la main d’une puissance étrangère. D’ailleurs, dans le cas contraire, des procédures judiciaires auraient déjà été engagées. Cette évidence ne semble pourtant intéresser personne.

Madame la rapporteure, vous indiquez que le système français tient, mais sans en tirer les conséquences. Nos services de renseignement font leur travail ; le système français de financement de la vie politique, qui limite l’utilisation de l’argent des plus riches et des étrangers, fonctionne ; depuis l’affaire Cahuzac, on assiste à un renforcement de l’éthique et de la transparence ; enfin, la justice accomplit son office, même si on peut regretter sa lenteur. L’affaire Fillon a été réglée en quelques semaines, tandis que M. Mariani attend d’être convoqué depuis deux ans – ce qui n’est d’ailleurs pas mentionné. Des affaires traînent pendant des années ; à chaque interview, les intéressés sont renvoyés à leurs affaires judiciaires alors qu’ils n’ont jamais été mis en examen. Cela me paraît anormal quelle que soit la personne concernée. Le Rassemblement national a une position constante sur le sujet. Toute personne mise en cause a droit à une justice équitable et rapide.

Vous ne pouvez pas reconnaître que le système français nous protège à partir du moment où vous ne quantifiez pas l’ingérence. Le problème fondamental de ce rapport est qu’à aucun moment vous ne prenez le temps de quantifier le phénomène d’ingérence politique. Or, ce dernier est – heureusement – très limité. Le parquet national financier ne signale que quelques cas de corruption d’hommes ou de femmes politiques, et aucun de premier plan. La désinformation est très bien renseignée. Alors que certains avaient parlé d’une menace existentielle sur l’élection présidentielle de 2022, Viginum nous apprend qu’il n’a caractérisé que soixante phénomènes d’ingérence sur toute la durée de la campagne présidentielle. Parmi ceux-ci, douze présentaient un caractère sérieux, cinq ont fait l’objet d’une transmission et, selon le Conseil constitutionnel, aucun n’a eu une influence sur le processus électoral. Il y a tout lieu de s’en féliciter. Si nos institutions fonctionnent, si le mode d’organisation de la presse et les instances de contrôle, telles que l’Arcom, donnent satisfaction, si tout ce qui garantit la République et la démocratie nous protège, il faut le dire aux Français. Les ingérences politiques et médiatiques sont faibles et sous contrôle. Peut-on dire que les Macron Leaks, en 2017, ont joué un rôle important alors que personne ne l’établit ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Personne n’a écrit cela.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Une section du rapport leur est consacrée. Il est impossible que les Macron Leaks aient donné lieu à une utilisation électorale car la campagne était terminée. J’ai vérifié, il y a eu un tweet du Front national sur les Macron Leaks, émanant de M. Philippot. Il me semble difficile de parler, dans ces conditions, d’une utilisation massive de l’ingérence russe dans les élections de 2017.

Comme l’a dit Mme Loiseau, il n’y a pas de raison que l’ingérence s’arrête à nos frontières. Toutefois, on peut avoir des systèmes de protection plus performants que les autres. Le rôle de l’argent en politique n’est pas du tout le même en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis ou même en Allemagne, où les grandes entreprises peuvent financer la politique. Une très grande confusion règne. Vous lancez des accusations sur les ingérences russes en France et en Europe sans jamais caractériser les faits. Vous décrivez des phénomènes généraux qui se déroulent aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Estonie et en Italie, mais, pour la France, vous ne mettez au jour pratiquement aucun phénomène d’ingérence politique ou médiatique. En revanche, le problème se pose avec plus d’acuité en Afrique.

Par ailleurs, les cyber-attaques, le cyber-harcèlement, le cyber-rançonnage, qui viennent sans aucun doute de Russie, sont sources de graves préoccupations. Je n’enlèverais pas un mot à la partie de votre rapport consacrée à la cyber-criminalité, mais ce domaine doit être soigneusement distingué de l’ingérence dans la politique et les médias. Pour moi, l’ingérence en provenance de Russie concerne essentiellement la cyber-criminalité. Cela ne signifie pas qu’il faille baisser la garde face aux risques pesant sur notre démocratie mais, aujourd’hui, les protections fonctionnent. Rien ne prouve l’existence d’une ingérence russe à l’égard du personnel politique français – je ne parle pas d’opinions politiques qui peuvent déplaire.

Le fait de ne pas quantifier entretient le risque d’un fantasme, d’une peur de nos concitoyens face à des menaces pesant sur notre démocratie. On parle de cela en permanence au lieu d’évoquer d’autres problèmes. Si on fournit aux Français les chiffres que j’ai cités, ils seront moins enclins à penser qu’il faut censurer Twitter ou d’autres réseaux sociaux. L’utilisation non pas de la réalité de l’ingérence mais de la peur face à celle-ci soulève un problème démocratique. Comme vous l’avez dit, nos services, nos agences et notre justice luttent avec succès contre ces pratiques. On ne peut donc pas dire que la démocratie française est touchée par des phénomènes d’ingérence venant de Russie ou de Chine – ou, en tout cas, la situation est sous contrôle, et cela ne met pas en cause un parti politique en particulier.

Je ne comprends pas pourquoi vous avez sous-utilisé les informations relatives à la corruption. Le directeur de l’Agence française anticorruption (AFA) est cité une seule fois, comme l’analyste juridique principale à la division anticorruption de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En revanche, le chef de la division anticorruption de l’OCDE n’a pas été cité. Le directeur de l’AFA avait tenu des propos très intéressants sur les risques encourus par les collectivités locales et les territoires d’outre-mer, qui méritaient, à mes yeux, davantage qu’une citation. Il a également demandé plus de moyens pour lutter contre la corruption. L’une de mes préconisations est d’ailleurs de concentrer tous les moyens nécessaires – aujourd’hui trop dispersés – en faveur de la lutte contre la corruption. Cela n’entre pas en contradiction avec l’esprit de vos propositions, madame la rapporteure.

J’en viens aux accusations portées contre le Rassemblement national.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). N’était-ce pas déjà votre propos, monsieur le président ?

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Non.

Vous relevez une « singularité » du Rassemblement national dans la relation avec le régime de Vladimir Poutine, alors qu’aucun élément n’accrédite cette thèse en dehors des déclarations de Mme Loiseau. Cette dernière est citée pas moins de vingt-quatre fois, alors que Marine Le Pen est citée quinze fois. Mme Loiseau est plus citée à elle seule que la DGSI, la DGSE et la HATVP cumulées. Vous convoquez ensuite M. Glucksmann pour qu’il nous explique la concordance idéologique entre le Rassemblement national et Vladimir Poutine. Je veux bien qu’il soit cité en tant qu’opposant, ayant travaillé sur les ingérences, comme Mme Loiseau peut l’être en sa qualité d’ancienne ministre et rapporteure de la commission INGE 2. Mais je n’accepte pas que l’on fasse de Mme Loiseau et de M. Glucksmann des autorités morales du niveau de la DGSI et de la DGSE, qui permettraient de juger de l’existence d’une singularité du Rassemblement national et d’une concordance idéologique entre M. Poutine et Mme Le Pen. Sur le plan méthodologique, cela ne me paraît pas admissible. Je le conteste non seulement en tant que député du Rassemblement national mais aussi comme président d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale.

Comme l’a dit Mme Colombier, l’essentiel du développement relatif au Rassemblement national est constitué par des citations de Mme Loiseau, de M. Glucksmann et de M. Tenzer. Je le quantifierai lorsque le rapport final nous sera remis.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Il y a aussi Mme Vaissié.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Oui, Mme Vaissié, que nous avons vue dans un débat récent sur La Chaîne parlementaire (LCP) avec M. Esquenet-Goxes. Elle m’a d’ailleurs demandé, hors antenne, quand j’allais rejoindre un parti démocratique.

M. Laurent Esquenet-Goxes (Dem). C’était sur le ton de la plaisanterie.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. C’est possible.

J’ai qualifié plusieurs fois le régime russe de mafieux, j’ai tenu des propos on ne peut plus clairs à son égard – il est extrêmement dangereux –, mais je pense que le rapport aurait dû davantage mettre en avant le fait que la Russie est une puissance déclinante. On peut estimer que sa tendance à l’hystérie et son comportement de plus en plus mafieux sont une preuve de son affaiblissement, alors que la Chine, pour sa part, est une puissance montante. Je ne conteste pas le fait que la Russie soit la principale menace, comme l’a dit Mme la rapporteure.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. En particulier en Afrique.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Absolument. Vous savez que je partage totalement votre avis.

Le rapport exonère de leur responsabilité des personnes que nous avons entendues. Je ne vois pas ce qui vous permet de dire que le cas M. Buon Tan est si clair. Aucun des éléments qu’il n’a apportés ne m’a convaincu. N’ayant aucune preuve, je ne dirai pas que c’est un agent étranger ni une courroie de transmission de la Chine, mais il me paraît difficile d’écrire qu’il s’agit seulement d’un agent d’influence qui a rendu service et du représentant d’une diaspora. Je ne pense pas que la commission puisse adopter une telle conclusion car nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour nous prononcer, dans un sens ou dans un autre. Ce rôle revient à la justice.

Par ailleurs, il me paraît difficile d’affirmer – surtout après avoir entendu M. Gattolin – que la Chine ne cherche pas à influencer notre démocratie. Elle a réussi à exclure la question du Tibet du débat démocratique. Autrefois, les déplacements du dalaï-lama, par exemple aux États-Unis, étaient un sujet politique. Il existait une politique d’influence en faveur des droits du Tibet et de son peuple. Cela a disparu.

Madame la rapporteure, vous faites partie des personnalités qui défendent Hong-Kong, mais ce territoire ne fait plus la une des journaux, pas plus que ne le font les Ouïghours. On ne parle absolument plus de Macao. Je ne suis pas d’accord pour dire que la Chine n’exerce pas une politique d’influence.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Ce n’est pas ce que je dit.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous dites qu’elle ne cherche pas à déstabiliser notre démocratie ni à influencer le débat public. J’estime qu’elle l’influence concernant la défense d’un certain nombre de peuples, de même que la Russie cherche à étouffer la défense des minorités sexuelles, par exemple.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Je parle de « russianisation » de la stratégie chinoise, ce qui me paraît assez clair.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je pense que nous devrions signaler à la justice le cas évoqué par M. Bové. Il nous a indiqué que, malgré ses témoignages récurrents, affirmatifs et non conditionnels, l’actuel Premier ministre du Maroc, qui était à l’époque des faits ministre de l’agriculture, avait tenté de le corrompre. M. Bové nous a assuré que ni les services de renseignement ni la justice n’avaient été contactés.

On ne peut pas placer sur un pied d’égalité, dans un rapport de commission d’enquête parlementaire, des propos sous serment, y compris d’adversaires politiques, et des déclarations d’oligarques, dont on ne sait pas la provenance exacte. On ne peut pas considérer, d’un côté, qu’il est scandaleux de pirater les boîtes mail de M. Emmanuel Macron – ce qui est effectivement le cas – et, de l’autre, que de tels procédés sont sans importance s’agissant de M. Philippe Olivier. On semble juger normale l’utilisation de courriels piratés de M. Olivier. Si j’avais utilisé les courriels issus des Macron Leaks dans le cadre de cette commission, je ne suis pas sûr que vous auriez trouvé cela acceptable.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. M. Olivier n’a pas nié les faits.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Il a dit qu’il ne s’en souvenait pas. Cela étant, une partie des éléments contenus dans les Macron Leaks sont, d’après ce que j’ai lu, exacts.

En tout état de cause, j’applique les mêmes méthodes à chacun. Lorsque les oligarques russes assènent leur propagande, on dit qu’il ne faut jamais les écouter, mais lorsqu’ils parlent de Marine Le Pen et des membres du Rassemblement national, tout ce qu’ils affirment est vrai et doit être pris au premier degré ! Je considère que tout ce qui vient des oligarques et des influenceurs russes, surtout quand il s’agit d’échanges de SMS dont on ne sait pas la provenance, ne vaut absolument rien. Il est tout à fait possible, bien que le rapport ne l’envisage pas, que les Russes veuillent déstabiliser notre démocratie en jetant le doute sur la probité de Marine Le Pen. La Russie peut fort bien jouer à déstabiliser M. Macron, M. Fillon, Mme Le Pen… Elle a d’ailleurs voulu financer M. Bayrou. On voit bien que ce pays frappe tous azimuts, indépendamment de tout lien idéologique. Il cherche à mettre le bazar et à faire naître la suspicion.

Mme Mireille Clapot (RE). On ne peut nier l’existence d’un problème.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je n’ai pas dit qu’il n’y en avait pas mais qu’il fallait le quantifier. Je conteste la méthodologie employée. Les Français jugeront.

J’en viens, pour finir, à l’internationale religieuse conservatrice. Vous ne tenez compte à aucun moment des auditions sous serment de tous ceux qui sont prétendument liés à cela. Accuser le Rassemblement national d’être un parti bigot, alors que nous sommes voués aux gémonies par des structures comme Civitas, n’a pas de sens, pas plus que de considérer que le Rassemblement national a le moindre lien avec un parti qui veut unir, selon M. Schaffhauser, les orthodoxes et les catholiques contre les protestants. Ne faisons pas croire que le RN va entrer dans cette internationale, alors que cela a été catégoriquement contesté par M. Olivier et Mme Le Pen. M. Schaffhauser suit son propre agenda, lié à l’Opus Dei et à Louis XX – j’en passe, et des meilleures. Vous parlez de cette alliance comme s’il n’y avait pas eu d’audition sur ces sujets, ce qui ne me paraît pas du tout correct.

Telles sont les critiques, aussi factuelles que possible, que je voulais formuler, madame la rapporteure.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Compte tenu du temps que nous avons passé à analyser ce rapport, son contenu et ses « omissions », il ne me paraît ni judicieux ni nécessaire à la manifestation de la vérité d’en dire plus. Les uns et les autres pourront faire valoir leurs arguments, y compris dans la presse, puisque j’ai cru comprendre, monsieur le président, que vous organiseriez très bientôt une conférence de presse.

Le rapport est là. J’en assume chaque phrase et chaque choix, j’assume mon travail de parlementaire engagée et non de membre de think tank ou de professeur de géopolitique à l’Institut des hautes études de défense nationale que je ne suis pas.

Je conçois que les recommandations soient parfois formulées d’une manière un peu floue. J’ai manqué de temps pour réaliser une expertise juridique et maîtriser les tenants et aboutissants légaux de telle ou telle d’entre elles ; aussi je les envisage plutôt comme autant de pistes.

Comme j’aime les chiffres ronds, je me propose aujourd’hui d’en ajouter une aux neuf autres. Peut-être serait-il utile, certainement par voie réglementaire, de réfléchir à un élargissement des modalités de financement des partis politiques et des candidats à travers une « banque de la démocratie », même s’il n’est pas question de créer un nouveau « machin ». Le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et le Médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques conviennent qu’il y a là une petite lacune et que quelques progrès pourraient être réalisés afin de mieux flécher des financements pour les candidats qui, semble-t-il, auraient du mal à en trouver, même si, depuis 2017, la mission du Médiateur du crédit consiste à accompagner tous les candidats, quelle que soit leur famille politique ou la nature des élections. Sans doute faut-il donc aller plus loin afin de faciliter l’expression démocratique. Je termine mon propos par une proposition constructive !

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Mediapart, m’informe-t-on, vient de publier un article indiquant que ses journalistes ont pu prendre connaissance du rapport.

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Les collègues peuvent en témoigner, je ne l’ai envoyé à personne, sous quelque forme que ce soit. Que voulez-vous que je vous dise ?

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous ai-je accusée de quoi que ce soit ?

Mme Constance Le Grip, rapporteure. Pas du tout, mais, dans un climat de suspicion…

M. le président Jean-Philippe Tanguy. Je n’accuse personne sans preuve. Je signale simplement que Mediapart vient de publier un article qui comporte des citations in extenso du rapport.

Parmi d’autres amabilités, je signale aussi que Mediapart a eu accès à un texto que j’avais envoyé lorsque j’étais malade afin de savoir si je l’étais réellement – ce qui n’est guère élégant.

M. Julien Bayou (Écolo-NUPES). J’ai mon exemplaire du rapport devant moi, il n’est donc pas entre les mains de Mediapart. Il est vrai que leurs éléments sont assez forts. Heureusement qu’ils existent ! J’en profite d’ailleurs pour leur souhaiter un bon quinzième anniversaire.

Vous avez mentionné un possible signalement de la commission fondé sur une déclaration de José Bové. C’est une bonne chose que nos travaux puissent déboucher sur le signalement de faits possiblement délictueux pouvant intéresser la justice, qu’elle s’en saisisse ou non. Je n’ai pas lu le compte rendu de l’audition de l’ami Bové, mais je comprends que le Maroc est visé. Je ne sais pas si nous devons nous prononcer aujourd’hui ni comment il convient de procéder mais je suis favorable à un tel signalement. Je renouvelle ma proposition de saisine du bureau de notre assemblée, au titre de l’article 40, en cas de possible faux témoignage de Marine Le Pen. M.  Bastien Lachaud, président, et M. Olivier Marleix, vice-président d’une commission d’enquête, avaient naguère écrit à M. Richard Ferrand et le bureau avait adopté à l’unanimité une résolution visant à saisir la justice à propos d’une autre affaire.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). M. Lachaud n’a jamais présidé une commission d’enquête avec M. Marleix.

M. le président Jean-Philippe Tanguy. S’agissant du Maroc, il est possible pour un député de faire valoir l’article 40 du code de procédure pénale mais, s’agissant du parjure, la procédure me semble différente. Je considère, en l’occurrence, que le parjure n’est pas constitué mais, si je suis minoritaire, la procédure suivra son cours. J’avoue que c’est le pompon…

Je remercie Mme le Grip pour la qualité de son travail, indépendamment des longues remarques que je viens de faire.

 

La commission d’enquête adopte le rapport.

 


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   Liste des recommandations

 

Recommandation n° 1 : Créer un cadre juridique permettant de protéger les chercheurs et journalistes qui font l’objet de « procédures bâillons » de la part d’entités liées à des États étrangers.

Recommandation n° 2 : Construire un cadre juridique s’appliquant à certains hauts fonctionnaires et officiers supérieurs qui ne sont plus en activité afin d’assurer un régime d’incompatibilités fonctionnelles, notamment s’agissant de postes dans des entreprises au service d’États étrangers, ainsi que le maintien d’un devoir de réserve.

Recommandation n° 3 : Revoir la règle de limitation des nouvelles carrières professionnelles d’anciens hauts fonctionnaires, responsables politiques de haut niveau et militaires de certaines catégories en prévoyant un cadre qui s’inscrive dans un temps plus long et qui exclue certaines zones géographiques ou pays, réservant les éventuelles évolutions professionnelles à des pays membres, par exemple, de l’Espace économique européen ou d’alliances dont la France est également membre.

Recommandation n° 4 : Poursuivre, dans la suite de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, et comme le préconise le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, la réflexion pour améliorer de manière concrète et proportionnée l’accès des formations politiques et des candidats aux prêts bancaires, le cas échéant en l’adossant à un établissement bancaire désigné.

Recommandation n° 5 : Interdire explicitement les prêts de personnes étrangères ne résidant pas en France pour le financement des partis politiques ou des campagnes électorales.

Recommandation n° 6 : Permettre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de saisir Tracfin et permettre à Tracfin de transmettre des informations à la CNCCFP.

Recommandation  7 : Instaurer une véritable éducation au traitement de l’information dans les médias et sur les plateformes numériques au sein du cursus scolaire,sans attendre le collège et jusqu’aux études supérieures.

Recommandation  8 : Instaurer un cadre juridique à la pratique du lobbyisme auprès des médias et des journalistes similaire à celui s’appliquant déjà aux représentants d’intérêts dans leurs relations avec les pouvoirs publics.

Recommandation  9 : Identifier les entreprises permettant de placer des contenus sponsorisés sans mention le précisant et les contraindre à se conformer à leurs obligations légales.

Recommandation  10 : Développer les techniques collaboratives de cyberdéfense et le renseignement de sources ouvertes (OSINT).

 


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   Bibliographie indicative

 

 

Rapports

 

Rapport d’information de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, XIVe législature (mai 2013)

Rapport du Bakamo sur l’analyse des réseaux sociaux pendant la campagne électorale de 2017 en France, « 2017 French Election Social Media Landscape: The Role and Impact of Non-Traditional Publishers in the French Elections » (avril 2017)

Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties – Rapport du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) (août 2018)

Rapport de la commission d’enquête du Sénat des États-Unis sur les ingérences russes pendant l’élection présidentielle de 2016 (novembre 2020)

Rapport de l’Oxford Internet Institute établissant un bilan général de la manipulation organisée sur les réseaux sociaux en 2020 (février 2021)

Rapport d’information du Sénat fait au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences par M. André Gattolin, sénateur (septembre 2021)

La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIe siècle chinois ? – Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat par M. Pascal Allizard, Mme Gisèle Jourda, MM. Édouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guérini (septembre 2021)

Les Opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien – Rapport de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) (octobre 2021)

Rapport de phase 4 relatif à la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption (OCDE, décembre 2021)

Rapport d’information de Mme Yaël Braun-Pivet et M. Philippe Gosselin sur l’impact de la loi organique et de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, Assemblée nationale, commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, décembre 2021

Rapport d’information de M. Thomas Gassilloud fait au nom de la mission d’information sur la résilience nationale, Assemblée nationale, février 2022

Résolution du Parlement européen du 9 mars 2022 sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation (2020/2268(INI)).

Rapport d’activité 2022 de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) (avril 2023)

Communication de M. Gilles Legendre et Mme Cécile Untermaier sur la rédaction du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, Assemblée nationale, commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mai 2023

 

Ouvrages

 

Andrew Christopher et Mitrokhine Vassili, Le KGB contre l’Ouest, Fayard, 2000

Audinet Maxime, Russia Today (RT), un média d’influence au service de l’État russe, INA, octobre 2021

Belton Catherine, Les hommes de Poutine, trad. fr., Talent Éditions, juillet 2022

Bergeaud-Blackler Florence, Le frérisme et ses réseaux, l’enquête, Odile Jacob, 2023

Bové José, Hold-up à Bruxelles – Les lobbies au cœur de l’Europe, La Découverte, 2014

Charillon Frédéric, Guerres d’influence : les États à la conquête des esprits, Odile Jacob, janvier 2022

Chesnot Christian et Malbrunot Georges, Qatar : les secrets du coffre-fort, Michel Lafon, 2013

Chesnot Christian et Malbrunot Georges, Nos très chers émirs, Michel Lafon, 2016

Chesnot Christian et Malbrunot Georges, Qatar papers – Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe, Michel Lafon, 2019

Glucksmann Raphaël, La Grande Confrontation – Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties, Allary Éditions, 2023

Gomart Thomas, L’affolement du monde, Tallandier, 2020

Gomart Thomas, Guerres invisibles – Nos prochains défis géopolitiques, Tallandier, 2021

Gomart Thomas, Les ambitions inavouées : ce que préparent les grandes puissances, Tallandier, 2023

Guéhenno Jean-Marie, Le Premier XXIe siècle : de la globalisation à l’émiettement du monde, Flammarion, septembre 2021

Hénin Nicolas, La France russe – Enquête sur les réseaux de Poutine, Fayard, 2016

Loiseau Nathalie, La Guerre qu’on ne voit pas venir, Éditions de l’Observatoire, 2022

Mielcarek Romain, Les Moujiks – La France dans les griffes des espions russes, Denoël, 2022

Nye Joseph, Soft Power: The Means to Success in World Politics, Public Affairs, 2004

Rid Thomas, Active Measures : the secret history of disinformation and political warfare, Farrar, Straus and Giroux, 2020

Vaissié Cécile, Les Réseaux du Kremlin en France, Les petits matins, 2016

Zuboff Shoshana, L’Âge du capitalisme de surveillance, trad. fr., Zulma, 2020

 

Articles

 

Conroy-Krutz Jeffrey et Koné Joseph, « Espoirs et périls : Dans un paysage médiatique en mutation, les Africains ambivalents face aux médias sociaux mais opposés aux restrictions de l’accès », Dépêche n° 509 d’Afrobarometer, février 2022

Douzet Frédérick, Limonier Kévin, Mihoubi Selma, René Élodie, « Cartographier la propagation des contenus russes et chinois sur le Web africain francophone », Hérodote, vol. 177-178, 2020

Jeangène Vilmer Jean-Baptiste, « De la mythologie française du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger – Une clarification terminologique », Annuaire français des relations internationales, vol. XIII, 2012

Walker Christopher, Ludwig Jessica, « The meaning of sharp power : How authoritarian States project influence », Foreign Affairs, 2017

 

Documentaires

 

Moreira Paul, « Guerre de l’info », Arte thema, 2018

Waleckx Tristan, « France : les réseaux Poutine », Complément d’enquête, France 2, octobre 2022

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont réunis dans le tome II du rapport ; ils sont également consultables à l’adresse suivante :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/cnpe/commission-d-enquete-relative-aux-ingerences-etrangeres/documents?typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

19 janvier 2023

 M. Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI)

 M. Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire (IRSEM)

 M. Frédéric Charillon, professeur en sciences politiques à l’université Paris Cité

26 janvier 2023

 M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

 M. Charles Duchaine, directeur de l’Agence française anticorruption (AFA)

 Mme Alice Rufo, directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS, ministère des armées)

2 février 2023

 M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

– M. Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

– M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

9 février 2023

 M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (ministère de l’économie et des finances)

– MM. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF) et Jérôme Simon, premier vice-procureur financier

15 février 2023

– M. Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)

– M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

16 février 2023

– MM. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), Vincent Strubel, directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI) et Gabriel Ferriol, chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

9 mars 2023

 M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

– M. Patrick Lefas, président de Transparency International France*

– M. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF)

14 mars 2023

 Table ronde réunissant :

 M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

22 mars 2023

– M. Rachid M’Barki, journaliste

23 mars 2023

– M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, ministère de l’intérieur)

– M. Marc-Olivier Fogiel, directeur général de BFM-TV (Altice France*)

– M. Buon Tan, ancien député

28 mars 2023

– M. Thierry Mariani, député européen, ancien ministre, ancien député

29 mars 2023

– M. Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

– Mme Cécile Vaissié, professeur des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l’université Rennes 2

– M. Nicolas Tenzer, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP)

30 mars 2023

– M. Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine.

4 avril 2023

– M. Raphaël Glucksmann, député européen, président de la commission spéciale INGE 2

5 avril 2023

– M. Michel Sapin, ancien ministre

6 avril 2023

– M. Nicolas Pinaud, directeur adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises de l’OCDE, chef par intérim de la division anti-corruption, et de Mme Sandrine Hannedouche-Leric, analyste juridique principale à la division anti-corruption, coordinatrice de l’évaluation de phase 4 de la France (groupe de travail de l’OCDE sur la corruption)

– M. Maxime Audinet, chercheur à l’IRSEM

– Mme Nathalie Loiseau, députée européenne, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen

11 avril 2023

– M. Arnaud Montebourg, ancien ministre.

12 avril 2023

– M. Jean-Pierre Duthion, lobbyiste et consultant

– Mme Audrey Tang, ministre taïwanaise du numérique

– M. Philippe Olivier, député européen

13 avril 2023

– M. Maurice Leroy, ancien ministre, ancien député

– MM. Charles d’Anjou, président du média Omerta, et M. Régis Le Sommier, directeur de la rédaction

2 mai 2023

– M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

– M. François Fillon, ancien Premier ministre

4 mai 2023

– M. José Bové, ancien député européen

– M. Jean-Luc Schaffhauser, ancien député européen

24 mai 2023

– Mme Marine Le Pen, présidente du groupe Rassemblement national

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 


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   CONTRIBUTIONS des groupes politiques et des Députés

1.   Contribution du groupe La France insoumise

 


2.   Contribution du groupe Socialistes et apparentés

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3.   Contribution du groupe Écologiste

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4.   Contribution de Mme Mireille Clapot, députée de la Drôme

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5.   Contribution de Mme Caroline Colombier, députée de la Charente

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6.   Contribution de Mme Anne Genetet, députée des Français établis hors de France

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7.   Contribution de M. Thomas Ménagé, député du Loiret

 

 En préambule, je souhaite saluer les travaux de grande qualité menés par la commission grâce à l’investissement de l’administration et au président de celle-ci, malgré l’obstruction permanente de Renaissance et l’absence d’implication des autres forces politiques pour qui les ingérences n’ont visiblement aucun intérêt.

 

 Ces travaux ont, en effet, permis aux représentants de différentes administrations ou autorités de se prononcer sur l’influence ou la corruption de dirigeants ou partis politiques français. On ne peut que se rassurer, sur le constat, de leurs déclarations tendant à démontrer qu’aucun parti politique ne fait l’objet, en France, « d’une ingérence ou d’une influence étrangère organisée et systémique » (Nicolas LERNER, directeur général de la DGSI).

 

 On peut regretter, cependant, le refus opposé par Renaissance aux auditions de Jean-Marie LE GUEN ou Jean-Pierre RAFFARIN, présentant tous deux notoirement des liens étroits avec la Chine alors même qu’ils ont exercé de hautes responsabilités, ou encore à l’extension du champ des investigations au Moyen-Orient et/ou aux ingérences de nature religieuse à destination des diasporas. Ceci aurait pu enrichir les enseignements à tirer de nos travaux.

 

 On peut également regretter que le rapport passe sous silence de nombreux éléments révélés lors des travaux de la commission et soulevant des interrogations sur les activités prédatrices de certaines entités.

 

 Ce choix de ne pas ou très peu traiter de certaines ingérences prouve l’orientation prise par la rapporteure, qui a choisi de transformer une commission se voulant utile en machine de guerre politicienne, rendant par là même un immense service aux entités susvisées qui souhaiteraient s’adonner à des ingérences et leur envoyant un signal de faiblesse.

 

 Alors que François FILLON a par exemple déclaré que « la plupart du temps, les ingérences étrangères provenaient d’un pays allié et ami : les États-Unis » et que le représentant auditionné du Parquet national financier (PNF) a indiqué que l’ingérence américaine constituait un des principaux dangers, la rapporteure a sciemment fait le choix d’écarter ce sujet et de ne pas ou quasiment pas en traiter.

 

 Cette machine de guerre politicienne se fonde sur un prêt accordé au Rassemblement national par une banque tchéco-russe alors même qu’aucune banque française ne souhaitait financer cette formation politique à ce moment. La banque, qui a ensuite déclaré faillite, a vu ses créances rachetées par une société sans même que le parti n’ait voix au chapitre dans la mesure où l’identité du créancier est indifférente au remboursement de la créance en tant que tel, dont les conditions sont fixées a priori.

 

 Ces conditions de remboursement sont, par ailleurs, loin d’être amicales dans la mesure où l’emprunt est soumis à un taux d’intérêt de 6 %. Jean-Philippe VACHIA, Président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a lui-même déclaré que « le taux du prêt n’est pas dérisoire » et n’est « pas un prix d’ami ».

 

 Le remboursement régulier du prêt est d’ailleurs strictement contrôlé par la CNCCFP et les informations concernant l’emprunt sont publiques et librement accessibles. Les auditions établissent qu’il n’existe aucune contrepartie politique ou d’autre nature à un prêt qui n’est en rien un avantage mais un moyen onéreux de financement.

 

 Marine LE PEN l’a elle-même confirmé sous serment lors de son audition, en indiquant n’avoir jamais été même la cible d’ingérences étrangères. Elle a émis le regret de ne pouvoir bénéficier, en France, d’un système garantissant le financement des partis politiques à l’image de la « Banque de la démocratie », dont la rapporteure ne semble faire que peu de frais alors même qu’elle serait de nature à écarter tout soupçon.

 

 Face au grossier détournement de cette commission à des fins politiques, seuls comptent les faits rapportés lors des auditions.

 

 Tracfin n’a enregistré aucun mouvement financier suspect de la Russie vers la France s’agissant du personnel politique, le PNF a confirmé que, sur 800 affaires en cours, une seule concerne une suspicion de corruption depuis la Russie et elle n’est pas liée au Rassemblement national et la CNCCFP a confirmé que le prêt accordé au Rassemblement national ne l’a pas été à un « prix d’ami ».

 

 En conclusion, on ne peut que regretter les opportunités et le temps perdus alors même que cette commission constituait une occasion de faire un état des lieux et d’émettre des recommandations visant à protéger la France et les Français des velléités de puissances étrangères. Ceci ne grandit pas les instigateurs de ce qui se révèle un travail trop peu sérieux au service d’une cabale infondée, si ce n’est sur des ouï-dire ou des hypothèses qui ne tendent qu’à nuire à un adversaire politique.


8.   Contribution de M. Kévin Pfeffer, député de la Moselle

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9.   Contribution de M. Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin

 

 

 

Personne n’ignore les conditions dans lesquelles le groupe Rassemblement national a créé cette commission d’enquête : vaine manœuvre de blanchiment de plus de dix années de soutien actif, admiratif et répété au régime de Vladimir Poutine. Nous n’avons pas été dupes de cette tentative d’instrumentalisation du Parlement.

 

Malgré ce contexte, le rapport rédigé par notre collègue rapporteure – issue de la majorité, telles que le prévoient les règles de l’Assemblée nationale – a établi le constat le plus objectif possible.

 

Cinq mois d’auditions ont permis de voir que la France, comme toutes les démocraties ouvertes sur le monde, est vulnérable aux ingérences de puissances étrangères inamicales ou hostiles. Il en ressort que la prise en compte de cette menace par notre appareil politico-administratif a été tardive. À l’avenir, la vigilance des élites françaises devra s’accroître en ce domaine. La Russie, la Chine et certains États du Moyen-Orient ont été identifiés parmi les principales zones d’inquiétude, sans qu’il ne faille toutefois baisser la garde s’agissant du reste du monde.

 

Les auditions de Mme Le Pen et d’autres responsables du Front national-Rassemblement national ont quant à elles montré qu’il existait depuis longtemps des connexions non négligeables entre ce parti politique et le système de Vladimir Poutine. Relativisme diplomatique, posture victimaire, obsession anti-américaine, incrimination irrationnelle – pouvant friser le complotisme – de l’OTAN et reconnaissance de l’invasion russe de la Crimée constituent les fondements du succédané de poutinisme que ces personnes ont massivement propagé dans le débat public français.

 

Aussi restera-t-il des interrogations sur les étranges concomitances de cette année 2014 qui vit le Front national négocier et contracter son emprunt tchéco-russe tout en multipliant les déclarations de soutien à la politique de Moscou et en soutenant l’annexion illégale de la Crimée par la Russie, pourtant condamnée par la France et l’Union européenne. Lors de son audition du 24 mai 2023, Mme Le Pen a une nouvelle fois relayé la position du Kremlin sur ce dossier.

 

Bien mal a pris le groupe lepéniste ! En définitive, le retour de flamme de cette commission d’enquête n’illumine que davantage le rôle joué par le parti d’extrême droite dans sa défense de l’idéologie poutinienne.

 

 

 

Paris, le 4 juin 2023

 

Charles Sitzenstuhl

Député du Bas-Rhin

 


—  1  —

   Annexes à l’avant-propos du président

1.   Tableau des occurrences des noms des personnes auditionnées

 

Nom

Fonction

Nombre d’occurrences

M. Thomas Gomart

Directeur de l’IFRI

24

M. Paul Charon

Directeur du domaine Renseignement, anticipation et menaces hybrides de l’IRSEM

20

M. Frédéric Charillon

Professeur en Sciences politiques à Paris Cité

7

M. Manuel Lafont

Directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère Europe et Affet)

13

M. Charles Duchaine

Directeur de l’Agence Française Anticorruption (AFA)

1

Mme Alice Rufo

Directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS, ministère des Armées)

7

M. Jean-Philippe Vachia

Président de la CNCCFP

11

M. Didier Migaud

Président de la HATVP

5

M. Nicolas Lerner

Directeur général de la DGSI

21

M. Guillaume Valette-Valla

Directeur de Tracfin (rattaché à Bercy)

7

M. Jean-François Bohnert

Procureur du PNF

5

M. Florian Colas

Directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED de Bercy)

2

M. Bernard Émié

Directeur général de la DGSE

27

M. Stéphane Bouillon

Secrétaire général de la défense et de la sécurité (SGDSN)

39

M. Vincent Strubel

Directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI)

16

M. Gabriel Ferriol

Chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

12

M. André Gattolin

Sénateur du 92, rapporteur de la MI sénatoriale sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique fr

17

M. Patrick Lefas

Président de Transparency International France

2

M. Christophe Deloire

Secrétaire général de Reporters Sans Frontières

12

M. Frédéric Métézeau

Journaliste à Radio France

16

M. Maxime Tellier

Journaliste à Radio France

3

M. Damien Leloup

Journaliste du Monde

12

M. Florian Reynaud

Journaliste du Monde

8

Mme Sandrine Rigaud

Rédactrice en chef de Forbidden Stories

1

M. Joffrey Celestin-Urbain

Chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE, Bercy)

9

M. Rachid M’Barki

Journaliste

26

M. Guillaume Hézard

Directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, Beauvau)

4

M. Marc-Olivier Fogiel

Directeur général de BFMTV

7

M. Buon Tan

Ancien député

11

M. Thierry Mariani

Député européen, ancien ministre et député

43

M. Antoine Bondaz

Chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

14

Mme Cécile Vaissié

Professeur des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe à l’université de Rennes 2

19

M. Nicolas Tenzer

Président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP)

24

M. Jean-Maurice Ripert

Ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine

9

M. Michel Sapin

Ancien ministre

18

M. Nicolas Pinaud

Directeur adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises de l’OCDE, chef par intérim de la division anticorruption

0

Mme Sandrine Hannedouche-Leric

Analyste juridique principale à la division anticorruption, coordinatrice de l’évaluation de phase 4 de la France (gpe de travail de l’OCDE)

1

M. Maxime Audinet

Chercheur à l’IRSEM

24

Mme Nathalie Loiseau

Députée européenne, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du PE

29

M. Maurice Leroy

Ancien ministre, ancien député

8

M. Charles d’Anjou

Président du média Omerta

11

M. Régis Le Sommier

Directeur de la rédaction d’Omerta

5

M. Jean-Pierre Chevènement

Ancien ministre

5

M. François Fillon

Ancien Premier ministre

15

M. José Bové

Ancien député européen

5

M. Jean-Luc Schaffhauser

Ancien député européen

20

Mme Marine Le Pen

Présidente du groupe Rassemblement National

77

M. Raphaël Glucksmann

Député européen, président de la commission d’enquête équivalente à l’échelle du PE

24

M. Thierry Mariani

Ancien député européen

13

M. Philippe Olivier

Ancien député européen

12

M. Jean-Marie Le Guen

Ancien député

1

M. Nicolas Sarkozy

Ancien président de la République

1

 

 


—  1  —

2.   Lettres de mission de M. Jean-Pierre Chevènement

 

 


—  1  —

3.   Relevés de conclusions des réunions du bureau de la commission d’enquête

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Conclusions du bureau du 16 mai

([2])  Voir le tableau des occurrences des noms de personnes auditionnées, porté en annexe.

[3] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (ministère de l’économie et des finances)

[4] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

[5] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[6] Le Larousse

[7] Le Larousse

[8] Compte rendu : Audition de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

[9] Compte rendu : Audition de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

[10] Compte rendu : Audition de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

[11] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[12] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

[13] Compte rendu : Audition de Mme Alice Rufo, directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS, ministère des armées)

[14] Compte rendu : Audition de M. Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM)

[15] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[16] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[17] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[18] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[19] Compte rendu : Audition de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

[20] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

[21] Compte rendu : Audition de M. Paul Charon, directeur du domaine « Renseignement, anticipation et menaces hybrides » de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM)

[22] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[23] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[24] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[25] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[26] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[27] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

[28] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[29] Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[30] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2452/Les_manipulations_de_l_information.pdf p. 50

[31] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[32] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[33] Décision du CC du 20/12/2018 sur la loi relative à la lutte contre les manipulations de l’information

[34] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[35] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[36] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[37] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[38] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[39] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[40] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[41] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

[42] Compte rendu : Audition de M. Nicolas Tenzer, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP)

[43] Compte rendu : Audition de M. Nicolas Tenzer, président du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP)

[44] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[45] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[46] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[47] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[48] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[49] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[50] Compte rendu : Audition de M. Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre

[51] Audition, à huis clos, de M. Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

[52] Audition, à huis clos, de M. Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

[53] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (ministère de l’économie et des finances)

[54] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[55] Compte rendu : Audition de Mme Alice Rufo, directrice générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS, ministère des armées)

[56] Propos de M. Jean-Michel Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine, sur LCI

[57] Compte rendu : Audition de M. Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine

[58] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI)

[59] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[60] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[61] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[62] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[63] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[64] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[65] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[66] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[67] Compte rendu : Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

[68] Compte rendu : Audition de M. Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

[69] Compte rendu : Audition de M. Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

[70] Compte rendu : Audition de M. Didier Migaud, président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)

[71] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[72] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Nicolas Pinaud, directeur adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises de l’OCDE, chef par intérim de la division anticorruption

[73] Compte rendu : Audition de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

[74] Compte rendu : Audition de M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, ministère de l’intérieur)

[75] Compte rendu : Audition de M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, ministère de l’intérieur)

[76] Compte rendu : Audition de M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, ministère de l’intérieur)

[77] Compte rendu : Audition de M. Guillaume Hézard, directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF, ministère de l’intérieur)

 

[78] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[79] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[80] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[81] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[82] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)

[83] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (ministère de l’économie et des finances)

[84] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin (ministère de l’économie et des finances)

[85] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[86] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[87] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[88] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[89] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[90] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[91] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre.

[92] Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[93] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre.

[94] Compte rendu : Audition de M. Vincent Strubel, directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI)

[95] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre.

[96] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier (PNF)

[97] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[98] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[99] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[100] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Arnaud Montebourg, ancien ministre.

[101] Compte rendu : Audition de M. Vincent Strubel, directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI)

[102] https://www.ccomptes.fr/system/files/2018-11/20181113-processus-privatisation-aeroports-Toulouse-Lyon-Nice.pdf  

[103] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique)

[104] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[105] Audition, à huis clos, de M. Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique

[106] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[107] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[108] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[109] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[110] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[111] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[112] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[113] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[114] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[115] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[116] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[117] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[118] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[119] Compte rendu : Audition de M. Manuel Lafont Rapnouil, directeur du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

[120] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (SISSE, ministère de l’économie et des finances)

[121] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[122] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[123] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

 

[124] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

[125] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

[127] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

[128] Compte rendu : Audition Mme Sandrine Hannedouche-Leric, analyste juridique principale à la division anticorruption, coordinatrice de l’évaluation de phase 4 de la France (groupe de travail de l’OCDE sur la corruption)

[129] Compte rendu : Audition, ouverte à la presse, de M. Charles Duchaine, direction de l’agence française anticorruption (AFA)

[130] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[131] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE, ministère des armées)

[132] Compte rendu : Audition de M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur de la mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français

[133] Compte rendu : Audition de M. Frédéric Métézeau, journaliste à Radio France (en visioconférence)

[134] Compte rendu : Audition de Gabriel Ferriol, chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

[135] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[136] https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2452/Les_manipulations_de_l_information.pdf P 114

[137] Compte rendu : Audition de Gabriel Ferriol, chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

[138] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[139] Gabriel Ferriol, chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

[140] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[141] Gabriel Ferriol, chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

[142] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

[143] Compte rendu : Audition, à huis clos, de M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

([144])  « Ingérences étrangères au sein des partis politiques et auprès de dirigeants français : le Rassemblement national demande une commission d’enquête parlementaire ».

([145]) M. Jean-Maurice Ripert a été entendu par la commission d’enquête le 30 mars 2023 (compte rendu n° 23).

([146])  Nouvelle Union populaire, écologique et sociale.

([147])  Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, - États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées- visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, n° 275, déposée le mardi 27 septembre 2022.

([148])  Rapport sur la proposition de résolution de M. Jean-Philippe Tanguy, Mme Marine Le Pen et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français (275), XVIe législature, n° 589, 30 novembre 2022.

([149])  Ibid.

([150]) Affaire de corruption présumée au Parlement européen ; affaire dite « Story Killers » impliquant une société israélienne soupçonnée de vendre à des clients des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux et de faire passer des informations orientées sur des médias traditionnels ; lancement du média controversé Omerta…

([151])  Elle a reçu son président, M. Raphaël Glucksmann, le 4 avril 2023 et la co-rapporteure des travaux de deuxième phase, Mme Nathalie Loiseau, le 6 avril 2023.

([152])  Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition.

([153])  Exemple de l’intitulé de la commission d’enquête du Sénat des États-Unis sur les ingérences russes pendant l’élection présidentielle de 2016 : Senate Intelligence Committee report on Russian interference in the 2016 United States Presidential Election.

([154])  Jean-François Revel, « Le devoir d’ingérence », L’Express, 16 juin 1979.

([155])  V. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « De la mythologie française du droit d’ingérence à la responsabilité de protéger – Une clarification terminologique », Annuaire français des relations internationales, vol. XIII, 2012.

([156])  Joseph Nye, « Soft Power: The Means to Success in World Politics », Public Affairs, 2004.

([157])  Compte rendu n° 3 du19 janvier 2023.

([158]) Compte rendu n° 26 du 6 avril 2023.

([159]) Frédéric Charillon, Guerres d’influence : les États à la conquête des esprits, Odile Jacob, janvier 2022.

([160])  Compte rendu n° 4 du 19 janvier 2023.

([161]) Christopher Walker, Jessica Ludwig, « The meaning of sharp power: How authoritarian States project influence », Foreign Affairs, 2017.

([162]) Compte rendu n° 6 du 26 janvier 2023.

([163])  Compte rendu n° 9 du 2 février 2023.

([164])  Compte rendu n° 2 du19 janvier 2023.

([165]) Compte rendu n° 12 du15 février 2023.

([166]) Cette commission spéciale était présidée par le député européen Raphaël Glucksmann.

([167])  Résolution du Parlement européen du 9 mars 2022 sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation (2020/2268(INI)).

([168]) Compte rendu n° 5 du 26 janvier 2023.

([169])  Nathalie Loiseau, La Guerre qu’on ne voit pas venir, Éditions de l’Observatoire, 2022.

([170])  Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([171]) Contraction en anglais de law (droit) et de warfare (guerre, lutte).

([172]) De l’anglais ransomware, les rançongiciels sont des programmes informatiques malveillants qui ont pour objectif de crypter des données puis de demander à leur propriétaire une somme d’argent en échange de la clé qui permettra de les décrypter.

([173]) De l’anglais phishing, l’hameçonnage a pour but d’usurper une identité afin d’obtenir des renseignements personnels et des identifiants bancaires.

([174]) Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, Les Manipulations de l’information : un défi pour nos démocraties, rapport du CAPS (ministère de l’Europe et des affaires étrangères) et de l’IRSEM (ministère des armées), août 2018.

([175]) Décret n° 2021‑922 du 13 juillet 2021 portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d’un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères ».

([176]) Décision n° 2018773 DC du 20 décembre 2018.

([177])  Compte rendu n° 16 du 14 mars 2023.

([178])  Sénat, Rapport d’information n° 873 fait au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences par M. André Gattolin, sénateur (29 septembre 2021).

([179]) Voir le III de la présente partie du rapport.

([180])  Op. cit.

([181])  Op. cit.

([182]) Nathalie Loiseau, La Guerre qu’on ne voit pas venir, éditions de l’Observatoire, octobre 2022.

([183]) V. le III de la présente partie.

([184])  Compte rendu n° 22 du 29 mars 2023.

([185]) Le Figaro, « Un espion russe, qui avait tenté d’infiltrer la CPI, inculpé aux États-Unis », 24 mars 2023.

([186]) Thomas Rid, Active Measures: the secret history of disinformation and political warfare, Farrar, Straus and Giroux, New York, avril 2020.

([187]) Maxime Audinet, Russia Today (RT), un média d’influence au service de l’État russe, INA, octobre 2021.

([188]) Compte rendu n° 22 du 29 mars 2023.

([189]) Compte rendu n° 27 du 6 avril 2023.

([190])  GRU est l’acronyme russe de la direction générale des renseignements de l’état-major des forces armées de la Fédération de Russie et désigne les services d’espionnage militaires.

([191]) KGB est l’acronyme russe désignant le Comité pour la sécurité de l’État, en place de 1954 à 1991, qui jouait le rôle de police politique et de service de renseignement en Union soviétique.

([192]) Le kompromat désigne la constitution d’un dossier compromettant autour d’une personne afin de l’inciter, par chantage, à fournir des renseignements.

([193]) Raphaël Glucksmann, La Grande Confrontation  Comment Poutine fait la guerre à nos démocraties, Allary Éditions, 2023.

([194]) Les activités de M. Konstantin Malofeïev sont plus particulièrement abordées dans le C du III de la présente partie du rapport.

([195]) Les liens de Vladimir Iakounine avec l’association Dialogue franco-russe, co-fondée par Thierry Mariani, ancien ministre et député européen, seront abordés au III de la présente partie.

([196]) Raphaël Glucksmann, « Nous ne sommes pas engagés directement sur le front en Ukraine, mais sommes-nous pour autant toujours en paix ? », Le Monde, 9 octobre 2022.

([197]) Paul Charon et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Les Opérations d’influence chinoises : un moment machiavélien, rapport de l’IRSEM, octobre 2021.

([198]) Le 4 février 2023, l’armée américaine a abattu un ballon chinois qui survolait le territoire des États-Unis à très haute altitude. Si les autorités chinoises ont affirmé qu’il s’agissait d’un aéronef météorologique et scientifique, le Département d’État américain a, quant à lui, considéré qu’il était équipé pour collecter et géolocaliser des communications et indiqué que l’objet avait survolé des sites sensibles.

([199])  Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([200])  Compte rendu n° 27 du 6 avril 2023.

([201])  Compte rendu n° 3 du 19 janvier 2023.

([202]) Op. cit.

([203])  Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([204]) D’après le rapport de l’IRSEM sur les opérations d’influence chinoises, l’expression « Front uni » désigne une politique du PCC qui consiste à éliminer ses ennemis intérieurs comme extérieurs, contrôler les groupes qui peuvent défier son autorité, construire une coalition autour du PCC pour servir ses intérêts et projeter son influence jusqu’à l’étranger.

([205]) M. Buon Tan était député de la 9e circonscription de Paris sous la XVe législature (2017-2022).

([206])  Compte rendu n° 19 du 23 janvier 2023.

([207]) Assemblée nationale, résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouïghours, 20 janvier 2022.

([208])  Compte rendu n° 23 du 30 mars 2023.

([209]) Compte rendu n° 10 du 9 février 2023.

([210]) En décembre 2019, Casil a finalement revendu ses parts au groupe Eiffage.

([211])  Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([212])  C’est-à-dire approchés par des agents ou des services étrangers.

([213]) « Deux ex-agents de la DGSE condamnés pour trahison au profit de la Chine », Le Monde, 10 juillet 2020.

([214])  Le Sénat a du reste créé en février 2023 une commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d’influence.

([215]) Jean-Marie Guéhenno, Le Premier XXIe siècle : de la globalisation à l’émiettement du monde, Flammarion, septembre 2021.

([216]) Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance, éditions Zulma, octobre 2020.

([217]) GAFAM est l’acronyme de Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

([218]) Compte rendu n° 16 du 14 mars 2023.

([219]) Op. cit.

([220]) Compte rendu n° 14 du 9 mars 2023.

([221])  Op. cit.

([222])  Compte rendu n° 21 du 29 mars 2023.

([223])  Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([224]) Loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([225]) Compte rendu n° 32 du 2 mai 2023.

([226])  On pourra se reporter au débat sur le bilan de cette loi qui s’est tenu à l’Assemblée nationale lors de la 1ère séance du 5 avril 2023.

([227]) Compte rendu n° 10 du 9 février 2023.

([228]) « Attentat déjoué de Villepinte : lourdes peines pour quatre agents iraniens et risques de tensions diplomatiques », Le Monde, 5 février 2021.

([229])  Le récit de cette approche avait été fait une première fois dans l’ouvrage de M. José Bové Hold-up à Bruxelles  Les lobbies au cœur de l’Europe, La Découverte, 2014.

([230])  Compte rendu n° 33 du 4 mai 2023.

([231]) Appelées aussi « off », les brèves sont de courtes séquences associant la lecture d’un texte bref et la diffusion d’images en illustration.

([232])  Compte rendu n° 15 du14 mars 2023.

([233])  Pour l’analyse de l’ensemble de l’affaire et des vecteurs utilisés, voir le II de la deuxième partie du présent rapport.

([234])  Compte rendu n° 18 du 23 mars 2023.

([235])  Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Qatar : les secrets du coffre-fort, Michel Lafon, 2013 ; Nos très chers émirs, Michel Lafon, 2016 ; Qatar papers : Comment l’émirat finance l’islam de France et d’Europe, Michel Lafon, 2019.

([236])  Compte rendu n° 24 du 4 avril 2023.

([237]) La direction des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı en turc) a été créée en 1924 pour administrer le culte musulman sunnite en Turquie suite à l’abolition du califat ottoman. Elle gère également des lieux de culte à l’étranger, en principe destinés à la communauté turque expatriée, et y détache, à ce titre, des imams.

([238]) À la différence de la Diyanet, Millî Görüş est une association. Elle gère également des lieux de prières mais aussi des écoles privées.

([239])  Compte rendu n° 24 du 4 avril 2023.

([240])  Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([241]) Victime en 2007 d’une cyber-attaque d’une ampleur inédite provenant de Russie.

([242]) Le pays a été victime en 2017 d’une campagne médiatique intense provenant d’organes de presse russes (dont RT et Sputnik) pour aggraver les tensions autour du référendum d’autodétermination de la Catalogne. De nombreuses fausses nouvelles y furent relayées, notamment de fausses cartes faisant figurer un large soutien d’États européens pour l’indépendance catalane.

([243]) L’on peut notamment citer l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Ioulia au Novitchok en mars 2018 à Salisbury en Angleterre.

([244]) Op. cit.

([245]) Sur ce sujet, voir Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine, Le KGB contre l’Ouest, Fayard, 2000.

([246]) Peuvent être citées les théories visant à faire de la CIA le commanditaire de l’assassinat de J. F. Kennedy ou affirmant que les autorités américaines auraient créé le virus du sida en laboratoire.

([247]) 3° de l’article 80 du code pénal (ancien) : « Sera puni de la détention criminelle à temps, de dix à vingt ans, quiconque : […] entretiendra avec les agents d’une puissance étrangère des intelligences de nature à nuire à la situation militaire ou diplomatique de la France ou à ses intérêts économiques essentiels. »

([248]) Section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code pénal relative aux intelligences avec une puissance étrangère (articles 411-4 et 411-5).

([249]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit.

([250]) Compte rendu n° 2 du 19 janvier 2023.

([251]) François Bonnet, « L’armée russe aurait détruit “à 80 %” la capitale tchétchène, Grozny », Le Monde, 30 novembre 1999.

([252]) La révolution des Roses en Géorgie en 2003, la révolution orange en Ukraine en 2004 et la révolution des Tulipes au Kirghizistan en 2005.

([253]) Compte rendu n° 26 du 6 avril 2023.

([254]) « Telling the untold » en anglais.

([255]) Déclaration de Dmitri Kisselev, directeur de Sputnik, lors de la présentation du nouveau média à Moscou le 10 novembre 2014.

([256]) Elena Gabrielian, « Russia Today, Sputnik… l’influence médiatique du Kremlin place sur l’Europe », RFI, 17 février 2017.

([257]) Le site RT France a été créé en décembre 2015.

([258]) Voir notamment la tribune publiée dans Le Monde du 14 février 2017 par M. Richard Ferrand, secrétaire général du mouvement En Marche !

([259]) Expression de M. Nicolas Tenzer, président et fondateur du Centre d’étude et de réflexion pour l’action politique (CERAP), lors de son audition du 29 mars 2023.

([260]) Expressions employées par M. Maxime Audinet lors de son audition.

([261]) Compte rendu n° 14 du 9 mars 2023.

([262]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit.

([263]) Communiqué de presse du Conseil supérieur de l’audiovisuel publié le 28 juin 2018.

([264]) Laetitia Cherel, « Un an de guerre en Ukraine : comment la chaîne RT France s’est alignée sur le Kremlin », Radio France, 25 février 2023.

([265]) Ibid.

([266]) Ibid., documentaire intitulé « Opération spéciale, questions et réponses », diffusé le 10 octobre 2022.

([267]) Règlement (UE) 2022/350 du Conseil du 1er mars 2022 modifiant le règlement (UE) n° 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, Eur-Lex,‎ 2 mars 2022

([268]) Voir infra.

([269]) Voir infra.

([270])  Benoît Vitkine, « Une officine d’influence russe s’intéresse aux violences policières en France », Le Monde, 14 septembre 2021.

([271]) Compte rendu n° 31 du 13 avril 2023.

([272]) Théophile Simon, « Les médias prorusses ont toujours pignon sur rue en France », Tribune de Genève, 26 février 2023.

([273]) Prise de parole dans le « Grand Rendez-vous » d’Europe 1, Cnews et Les Echos, 26 février 2023.

([274]) Dépêche n° 509 d’Afrobarometer publiée en février 2022 : « Entre 2014-2015 et 2019/2021, la proportion d’Africains qui s’informent au moins quelques fois par semaine par le biais des médias sociaux ou de l’Internet a presque doublé, passant de 24 % à 43 % dans les 31 pays concernés par les deux enquêtes. »

([275]) D’après une étude Ipsos réalisée en octobre 2022 pour Cafeyn, 41 % des Français s’informent sur les réseaux sociaux. L’Ofcom (équivalent britannique de l’Arcom) estimait dans un rapport publié en juillet 2019, News consumption in the UK : 2019, que 49 % des Britanniques s’informaient sur les réseaux sociaux.

([276]) Voir Douzet, Frédérick et al. « Cartographier la propagation des contenus russes et chinois sur le Web africain francophone », Hérodote, vol. 177-178, n° 2-3, 2020, pp. 77-99.

([277]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit.

([278])  Valentine Pasquesoone, « Burkina Faso, Centrafrique, Mali… Comment la présence française est-elle devenue indésirable dans ces pays d’Afrique ? », France Info, 20 février 2023.

([279]) Des milliers de documents internes au groupe Wagner ont été piratés et transmis au magazine Sources d’Arte, au quotidien allemand Die Welt et au magazine Jeune Afrique en mars 2023.

([280]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit.

([281]) RT France ne sera créée qu’en décembre 2017.

([282]) « Ex-French Economy Minister Macron Could Be “US Agent” Lobbying Banks’ Interests », Sputnik, 4 février 2017.

([283]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit., p 109.

([284])  Organisme à but non lucratif consacré à l’archivage de données internet et faisant office de bibliothèque numérique.

([285]) Bakamo, 2017 French Election Social Media Landscape: The Role and Impact of Non-Traditional Publishers in the French Elections 2017, 19 avril 2017.

([286]) J.-B. Jeangène Vilmer, A. Escorcia, M. Guillaume, J. Herrera, op. cit., p 112-113.

([287]) Entretien pour mediametrics.ru, figurant dans le documentaire de Paul Moreira Guerre de l’info, Arte thema, 2018.

([288]) Martin Untersinger, « Les preuves de l’ingérence russe dans la campagne de Macron en 2017 », Le Monde, 6 décembre 2019.

([289]) Michel Rose, Éric Auchard, « Macron campaign confirms phishing attempts, says no data stolen », Reuters, 26 avril 2017.

([290]) Tels que définis à l’article 410-1 du code pénal.

([291]) C’est-à-dire « dont il est possible de démontrer la fausseté de façon objective », selon les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-773 DC, Loi organique et loi ordinaire relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, 20 décembre 2018.

([292]) Ce sont les trois conditions cumulatives retenues par le Conseil constitutionnel dans sa décision pour caractériser la diffusion.

([293])  Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([294]) Voir supra.

([295]) Compte rendu n°10 du 9 février 2023.

([296]) Compte rendu n°11 du 9 février 2023.

([297]) Les États concernés sont les États-Unis, la Russie, d’anciens pays du bloc soviétique et certains émirats du Moyen-Orient d’après M. Bohnert. Parmi ces huit affaires, deux tiers impliquent des titulaires de mandats électifs, locaux ou nationaux, et un tiers concernent des agents publics – fonctionnaires ou contractuels.

([298]) Compte rendu n°12 du 15 février 2023.

([299]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([300]) Intervention sur France 24 consultable sur le site de Geopragma : https://geopragma.fr/intervention-du-general-2s-jean-bernard-pinatel-sur-france-24/

([301]) Compte rendu n°22 du 29 mars 2023.

([302]) Compte rendu n°9 du 2 février 2023.

([303]) Cécile Vaissié, Les Réseaux du Kremlin en France, Les petits matins, 2016.

([304]) Compte rendu n°20 du 28 mars 2023.

([305])  Nicolas Hénin, La France russe – Enquête sur les réseaux de Poutine, Fayard, 2016.

([306]) Compte rendu n°22 du 29 mars 2023.

([307]) Catherine Belton, Les hommes de Poutine, Talent Éditions, 13 juillet 2022.

([308]) Compte rendu n° 24 du 4 avril 2023.

([309]) Compte rendu n°26 du 6 avril 2023.

([310]) Compte rendu n°27 du 6 avril 2023.

([311]) Elizaveta Sergina, Xenia Boletskaya, « Marshall Capital de Konstantin Malofeïev a convenu d’un partenariat avec le fonds européen CFG », Vedomosti, 13 novembre 2014.

([312]) Texte intitulé « Poutine a-t-il tué le cacique eltsinien Boris Nemtsov ? », publié en mars 2015 sur le blog de Jean-Luc Mélenchon.

([313]) Nathalie Loiseau, La guerre qu’on ne voit pas venir, Éditions de l’Observatoire, 2022.

([314]) Prise de parole extraite d’une intervention dans l’émission « On n’est pas couché » du 20 février 2016 sur France 2.

([315]) Nicolas Hénin, La France russe, enquête sur les réseaux de Poutine, Fayard, 25 mai 2016.

([316]) Compte rendu n°32 du 2 mai 2023.

([317]) Respectivement M. Laurent Fabius et M. Jean-Yves Le Drian. Ces lettres de mission ont été communiquées à la commission d’enquête.

([318]) Tribune publiée le 30 juin 2016 dans Le Figaro.

([319]) Dmitry Velikovsky, Martin Leïn, Cecilia Anesi, Lorenzo Bagnoli, Tatiana Tkatchenko, « Le tarif du vote », Desk Russie, 12 mars 2023.

([320]) La Vénétie, la Ligurie et la Lombardie.

([321]) Résolution invitant le Gouvernement à ne pas renouveler les mesures restrictives et les sanctions économiques imposées par l’Union européenne à la Fédération de Russie, 28 avril 2016.

([322]) « Bayrou a refusé de l’argent russe », L’Obs, 9 mars 2004.

([323]) Romain Mielcarek, Les Moujiks  La France dans les griffes des espions russes, Denoël, 2022.

([324]) Compte rendu n°24 du 4 avril 2023.

([325])  Compte rendu n° 32 du 2 mai 2023.

([326]) David Bensoussan, Antoine Izambard, « Les affaires russes de François Fillon intéressent la justice française », Challenges, 26 avril 2023.

([327]) Compte rendu n° 27 du 6 avril 2023.

([328]) Règle inscrite à l’article 23 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([329]) Compte rendu n°31 du 13 avril 2023.

([330]) Compte rendu n°27 du 6 avril 2023.

([331]) V. le fil Twitter de Jean-Marie Le Pen, notamment son tweet du 10 juillet 2017.

([332]) Compte rendu n°22 du 29 mars 2023.

([333]) Elena Tchernenko, « “La France va quitter l’Otan”, Marine Le Pen a parlé à Kommersant de son programme », Kommersant, 13 octobre 2011.

([334]) Compte rendu n° 34 du 24 mai 2023.

([335]) Marine Turchi, « Le Pen-Poutine : dix ans de soutien que la candidate du RN veut faire oublier », Mediapart, 3 avril 2022.

([336]) Romain Geoffroy et Maxime Vaudano, « Quels sont les liens de Marine Le Pen avec la Russie de Vladimir Poutine ? », Le Monde, 20 avril 2022.

([337]) Communiqué du 30 mai 2019 de l’OSDH.

([338]) Interview du 1er octobre 2015 disponible à cette adresse : https://www.dailymotion.com/video/x389u3m.

([339]) « Au moins 600 personnes auraient péri dans le bombardement du théâtre de Marioupol mi-mars, selon une enquête », Libération, 4 mai 2022.

([340])  Résolution du 30 novembre 2022 affirmant le soutien de l’Assemblée nationale à l’Ukraine et condamnant la guerre menée par la Fédération de Russie.

([341]) Isabelle Mandraud, « À Moscou, Vladimir Poutine adoube Marine Le Pen », Le Monde, 24 mars 2017.

([342]) Compte rendu n°22 du 29 mars 2023.

([343]) Compte rendu n°20 du 28 mars 2023.

([344]) « France : les réseaux Poutine », Complément d’enquête, France 2, 27 octobre 2022.

([345]) Compte rendu n°29 du 12 avril 2023.

([346]) Note transmise par la fondation Dossier Center à « Complément d’enquête ».

([347]) « Crimée : Poutine reçoit ses “amis” français, dont Mariani », Le Figaro, 18 mars 2019.

([348]) Emmanuel Grynszpan, « Poutine tire les ficelles de son propre plébiscite », Le Temps, 2 juillet 2020.

([349]) Compte rendu n°9 du 2 février 2023.

([350]) Compte rendu n°23 du 30 mars 2023.

([351])  « […] Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. »

([352]) Agathe Duparc, Karl Laske et Marine Turchi, « Crimée et finances du FN: les textos secrets du Kremlin », Mediapart, 2 avril 2015.

([353]) Fabrice Arfi, Karl Laske et Marine Turchi, « La Russie au secours du FN : deux millions d’euros aussi pour Jean-Marie Le Pen », Mediapart, 29 novembre 2014.

([354]) Benoît Vitkine, « Les mauvais génies de Moscou à l’étranger », Le Monde, 18 septembre 2020.

([355]) Compte rendu n°7 du 2 février 2023.

([356]) Loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([357]) Compte rendu n° 11 du 9 février 2023.

([358]) Les atteintes visées étaient alors qualifiées de « crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État » (section première du chapitre premier du titre premier du livre III du code pénal promulgué le 15 février 1810).

([359]) Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([360]) Compte rendu n° 22 du 29 mars 2023.

([361]) Le terrorisme recouvre un certain nombre d’infractions qui sont « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » (article 421‑1).

([362]) Voir le C du II de la première partie du rapport.

([363]) Corruption passive.

([364]) Trafic d’influence.

([365]) Compte rendu n° 18 du 23 mars 2023.

([366]) Article 432‑12‑1.

([367]) Loi n° 2017‑55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.

([368]) Compte rendu n° 9 du 2 février 2023.

([369]) Compte rendu n° 8 du 2 février 2023.

([370]) Compte rendu n° 14 du 9 mars 2023.

([371]) Il faut également préciser que 55 autres dossiers ont été transmis à la justice pour non-dépôt de déclaration.

([372]) Compte rendu n° 10 du 9 février 2023.

([373]) Loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([374])  Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Communication de M. Gilles Legendre et Mme Cécile Untermaier, Assemblée nationale, 3 mai 2023.

([375]) Les Républicains (LR), le Parti communiste français (PCF), le Parti socialiste (PS), le Rassemblement national (RN) et La République en marche (LREM).

([376]) Dispositions auxquelles renvoie également l’article 3 de la loi n° 62‑1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

([377]) Article 10 du décret n° 90‑606 du 9 juillet 1990 pris pour l’application de la loi n° 90‑55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, modifié par l’article 2 du décret n° 2017‑1795 du 28 décembre 2017 pris pour l’application des articles 25 et 26 de la loi n° 2017‑1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.

([378]) Compte rendu n° 7 du 2 février 2023.

([379])  Rapport d’information sur l’impact de la loi organique et de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Assemblée nationale, décembre 2021.

([380]) Article L. 52‑8 du code électoral (pour les campagnes électorales).

([381]) L’action de Tracfin dans la détection des ingérences étrangères est présentée au A du III de la présente partie du rapport.

([382]) Voir le III de la première partie du rapport.

([383]) Rapport d’activité du médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques concernant les élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021 et les élections partielles de 2021.

([384]) Compte rendu n° 14 du 9 mars 2023.

([385]) Soit les vingt-sept États de l’Union européenne auxquels s’ajoutent l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège.

([386]) Ils sont inscrits sur le programme 232 Vie politique (mission Administration générale et territoriale de l’État) du budget général.

([387]) Décret n° 2022‑94 du 31 janvier 2022 pris pour l’application des articles 8, 9 et 9‑1 de la loi n° 88‑227 du 11 mars 1988 modifiée relative à la transparence financière de la vie politique.

([388]) Décret n° 2016‑66 du 29 janvier 2016 instituant un commissaire à l’information stratégique et à la sécurité économiques et portant création d’un service à compétence nationale dénommé « service de l’information stratégique et de la sécurité économiques ».

([389]) Compte rendu n° 16 du 14 mars 2023.

([390]) Le SISSE s’appuie sur un réseau de délégués à l’information stratégique et à la sécurité économiques (DISSE) placés auprès des préfets de région.

([391]) Décret n° 2019‑1590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France.

([392]) Décret n° 2005‑1739 du 30 décembre 2005 réglementant les relations financières avec l’étranger et portant application de l’article L. 151‑3 du code monétaire et financier.

([393]) Décret n° 2014‑479 du 14 mai 2014 relatif aux investissements étrangers soumis à autorisation préalable.

([394]) Compte rendu n° 28 du 11 avril 2023.

([395]) Décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020 relatif à l’abaissement temporaire du seuil de contrôle des investissements étrangers dans les sociétés françaises dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé.

([396]) L’article L. 151‑1 du code monétaire et financier, disposant que « les relations financières entre la France et l’étranger sont libres », figure en tête du titre V relatif aux relations financières avec l’étranger et régissant notamment les IEF.

([397]) Voir le A du III de la présente partie du rapport.

([398]) Voir le B du I de la première partie du rapport.

([399]) Compte rendu n° 11 du 9 février 2023.

([400]) Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([401]) Loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([402]) Loi n° 68‑678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

([403]) Décret n° 2022-207 du 18 février 2022 relatif à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères.

([404]) Loi n° 93‑122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.

([405]) La convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée en décembre 1997, a été ratifiée par la France en septembre 2000.

([406]) Compte rendu n° 26 du 6 avril 2023.

([407]) Rapport d’évaluation de phase 4 (décembre 2021).

([408]) Compte rendu n° 25 du 5 avril 2023.

([409]) Compte rendu n° 6 du 26 janvier 2023.

([410]) Rapport sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation (2020/2268(INI)) fait par la commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation, 2022.

([411]) Florian Gouthière, Santé, science, doit-on tout gober ?, Belin, 2017.

([412]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([413]) Ibid.

([414]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([415]) Samantha Bradshaw, Hannah Bailey et Philip N. Howard, Industrialized Disinformation : 2020 Global Inventory of Organized Social Media Manipulation, université d’Oxford, février 2021.

([416]) Compte rendu n°5 du 26 janvier 2023.

([417]) Les deux autres évolutions sont selon lui la mondialisation ainsi que la mutation du système international qui se traduit notamment par la « désoccidentalisation du monde ».

([418]) Compte rendu n° 14 du 9 mars 2023.

([419]) Compte rendu n°2 du 19 janvier 2023.

([420]) Compte rendu n°12 du 15 février 2023.

([421]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([422]) Voir supra.

([423]) Voir supra.

([424]) Compte rendu n°26 du 6 avril 2023.

([425]) Compte rendu n°3 du 19 janvier 2023.

([426]) Compte rendu n°27 du 6 avril 2023.

([427]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([428]) Compte rendu n°29 du 12 avril 2023.

([429]) Commission nationale de l’informatique et des libertés.

([430]) Thomas Gomart, Guerres invisibles  Nos prochains défis géopolotiques, Tallandier, 2021.

([431]) Compte rendu n°2 du 19 janvier 2023.

([432]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([433]) Tels que définis à l’article 410-1 du code pénal.

([434]) C’est-à-dire « dont il est possible de démontrer la fausseté de façon objective », selon les termes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-773 DC, Loi organique et loi ordinaire relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, 20 décembre 2018.

([435]) Ce sont les trois conditions cumulatives retenues par le Conseil constitutionnel dans sa décision pour caractériser la diffusion.

([436]) Voir supra et le rapport d’activité 2022 de Viginum.

([437]) Compte rendu n°24 du 4 avril 2023.

([438])  Sur ce sujet, voir les conclusions de la mission flash menée par M. Philippe Ballard et Mme Violette Spillebout au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale (février 2023).

([439]) Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

([440]) Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([441]) À cette date, ce règlement concernera uniquement les très grandes plateformes en ligne et les très grands moteurs de recherche désignés comme tels par la Commission européenne. Il sera étendu à l’ensemble des autres plateformes à partir du 17 février 2024.

([442]) Ce code peut être consulté à cette adresse :https://digital-strategy.ec.europa.eu/en/library/2022-strengthened-code-practice-disinformation.

([443]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([444])  The Guardian, The Observer, Le Monde, Radio France, The Washington Post, Der Spiegel, ZDF, Paper Trail Media, Die Zeit, Proceso, OCCRP, Knack, Le Soir, Haaretz, The Marker, El Pais, SverigesTelevision, Radio Télévision Suisse, Folha, Confluence Media, IRPI, IStories, Armando Info, Code for Africa, Bird, Tempo Media Group, El Espectador, Der Standard, Tamedia, Krik.

([445]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([446]) M. Gur Megiddo (TheMarker), et M. Omer Benjakob (Haaretz).

([447]) Damien Leloup, Florian Reynaud, « Comment des officines privées “ubérisent” la guerre de l’opinion », Le Monde, 15 février 2023.

([448]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([449]) Ibid.

([450]) Voir supra.

([451]) Fabrice Arfi, Yann Philippin, « Le lobbyiste de l’affaire BFMTV a aussi réussi à mettre un député français à son service », Mediapart, 21 février 2023.

([452]) Damien Leloup, Florian Reynaud, « Révélations sur Team Jorge, des mercenaires de la désinformation opérant dans le monde entier », Le Monde, 15 février 2023.

([453]) Par exemple sur le site en langue française News365.

([454]) Damien Leloup, Florian Reynaud, « Milliardaires, lanceurs d’alerte, criminels, opposants politiques : les cibles de l’officine de désinformation “Team Jorge” », Le Monde, 15 février 2023.

([455]) Article publié le 16 février 2023 sur le site Francetvinfo.fr, par la cellule investigation de Radio France.

([456])  Présentation par un journaliste en studio d’une information illustrée par des images en fond d’écran, aussi appelée « brève ».

([457]) Compte rendu n°18 du 23 mars 2023.

([458]) Compte rendu n°17 du 22 mars 2023.

([459]) Compte rendu n°30 du 12 avril 2023.

([460]) Frédéric Métézeau, Jacques Monin, « "Story Killers" : derrière un journaliste de BFM-TV, une société de désinformation israélienne », Cellule investigation de Radio France, 15 février 2023.

([461]) Elisa Braun, « Soupçons d’ingérence à BFM : des contenus sur le Maroc au cœur de l’enquête », Politico, 2 février 2023.

([462]) Notamment dans le titre d’un article de Damien Leloup et Florian Reynaud, « Derrière les fausses infos de Rachid M’Barki sur BFM-TV, l’officine israélienne Team Jorge et un intermédiaire français », Le Monde, 15 février 2023.

([463]) Damien Leloup et Florian Reynaud, « De YouTube à BFM-TV, une campagne de désinformation complexe sur les yachts d’oligarques russes à Monaco », Le Monde, 15 février 2023.

([464]) Damien Leloup et Florian Reynaud, « Derrière les fausses infos de Rachid M’Barki sur BFM-TV, l’officine israélienne Team Jorge et un intermédiaire français », Le Monde, 15 février 2023.

([465]) Ibid.

([466]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([467])  Compte rendu n° 30 du 12 avril 2023.

([468]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([469]) La liste de ces personnes est précisée à l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([470]) Décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

([471]) Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([472]) Loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes.

([473]) Le 11° de l’article L. 121-4 du code de la consommation qualifie de pratique commerciale réputée trompeuse le fait « d’utiliser un contenu rédactionnel dans les médias pour faire la promotion d’un produit ou d’un service alors que le professionnel a financé celle-ci lui-même, sans l’indiquer clairement dans le contenu ou à l’aide d’images ou de sons clairement identifiables par le consommateur ».

([474]) Damien Leloup, Florian Reynaud, « Les très discrets “articles sponsorisés” de Getfluence », Le Monde, 17 février 2023.

([475]) Compte rendu n°15 du 14 mars 2023.

([476]) Article 20 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

([477]) Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot ».

([478]) Compte rendu n°14 du 16 février 2023.

([479]) Compte rendu n°3 du 19 janvier 2023.

([480]) Compte rendu n°21 du 29 mars 2023.

([481]) Voir l’analyse faite par le collectif de chercheurs du centre GEODE pour la revue des médias de l’INA publiée le 1er décembre 2020.

([482]) En date du 24 septembre 2020.

([483]) En date du 15 octobre 2020.

([484]) Voir le texte intitulé « Rétablir des faits distordus – Observations d’un diplomate chinois en poste à Paris » publié sur le site de l’ambassade de Chine en France le 12 avril 2020.

([485]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([486]) Voir supra.

([487]) Compte rendu n°13 du 16 février 2023.

([488]) Ibid.

([489])Rapport d’activité 2022 de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, Avril 2023.

([490]) « Cybersécurité : "On fait tout pour éviter" des cyber-attaques sur le réseau électrique, assure le directeur de l’Anssi », France Info, 13 décembre 2022.

([491]) Rapport d’information n° 873 (2020-2021) de M. André Gattolin au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes, 29 septembre 2021.

([492]) Résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933, connue sous le nom d’Holodomor, comme génocide, adoptée par l’Assemblée nationale le 28 mars 2023, T.A. n° 97.

([493]) Compte rendu n°12 du 15 février 2023.

([494]) Article 2 du décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale de la sécurité intérieure

([495]) Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, La Stratégie nationale du renseignement, juillet 2019.

([496]) L’anticipation des crises et des risques de ruptures majeures fait référence à la préservation des acquis et connaissances stratégiques, aux subversions violentes et aux crises d’ordre public.

([497]) Dispositions introduites par la loi n° 2015‑912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

([498]) Article 2 du décret n° 2014‑445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l’organisation de la direction générale de la sécurité intérieure.

([499]) Décret n° 2008‑609 du 27 juin 2008 relatif aux missions et à l’organisation de la direction centrale du renseignement intérieur.

([500]) Assemblée nationale, Rapport d’information déposé par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement, n° 1022, XIVe législature, 14 mai 2013.

([501]) Compte rendu n° 9 du 2 février 2023.

([502]) Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

([503]) « L’État accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’État accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable » (article 9 de la convention sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961).

([504]) Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « Expulsion de personnes russes », déclaration de la porte-parole, 4 avril 2022.

([505]) Cf. I de la présente partie du rapport.

([506]) Voir le II de la première partie du rapport.

([507]) Article D. 3126-1 du code de la défense.

([508]) Décret n° 82‑306 du 2 avril 1982 portant création et fixant les attributions de la direction générale de la sécurité extérieure, dont les dispositions ont été codifiées en 2008 à la section 1 du chapitre VI du titre II du livre Ier de la partie 3 du code de la défense.

([509]) Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([510]) V. le II de la première partie du rapport.

([511]) Placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, le COMCYBER est un commandement opérationnel qui rassemble l’ensemble des forces de cyberdéfense du ministère des armées. Il a pour mission la défense des systèmes d’information ainsi que la conception, la planification et la conduite des opérations militaires dans le cyberespace. Source : ministère des armées.

([512]) Arrêté du 1er mars 1988 portant création de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et réorganisation du service des autorisations financières et commerciales.

([513]) Article 2 de l’arrêté du 29 octobre 2007 portant création d’un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».

([514]) Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([515]) Le GAFI est une organisation internationale chargée de la surveillance du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme qui fixe des normes internationales visant à prévenir ces activités illégales. Il compte aujourd’hui trente-neuf États membres.

([516]) Décret n° 2006‑1541 du 6 décembre 2006 érigeant la cellule Tracfin en service à compétence nationale et modifiant le code monétaire et financier.

([517]) Compte rendu n° 10 du 9 février 2023.

([518]) V. le I de la première partie du rapport.

([519]) Une PPE est, aux termes de l’article L. 561-10 du code monétaire et financier, « une personne qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu’elle exerce ou a exercées ou de celles qu’exercent ou ont exercées de membres directs de sa famille ou des personnes connues pour lui être étroitement associées ou le deviennent en cours de relation d’affaires ».

([520]) Décret n° 2009‑1657 du 24 décembre 2009 relatif au conseil de défense et de sécurité nationale et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.

([521]) Présidé par le chef de l’État, le CSDSN comprend le Premier ministre, le ministre des armées, le ministre de l’intérieur et des outre-mer, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

([522]) Décret n° 2009‑834 du 7 juillet 2009 portant création d’un service à compétence nationale dénommé « Agence nationale de sécurité des systèmes d’information ».

([523]) Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([524]) Décision n° 2018‑773 DC du 20 décembre 2018.

([525]) Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([526]) Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([527]) Compte rendu n° 24 du 4 avril 2023.

([528]) Compte rendu n° 9 du 2 février 2023.

([529]) Compte rendu n° 14 du 16 février 2023.

([530]) Compte rendu n° 2 du 19 janvier 2023.

([531]) Compte rendu n° 6 du 26 janvier 2023.

([532]) Compte rendu n° 22 du 29 mars 2023.

([533]) Voir le B du II de la première partie du rapport.

([534]) Voir le C du I de la présente partie du rapport.

([535]) Thomas Gomart, Guerres invisibles : nos prochains défis géopolitiques, Tallandier, 2021.

([536]) Le 29 janvier 2020, la Commission européenne a approuvé une boîte à outils commune de mesures d’atténuation (Cybersecurity of 5G networks – EU Toolbox of risk mitigating measures) sur laquelle les États membres de l’Union européenne se sont mis d’accord pour faire face aux risques en matière de sécurité liés au déploiement de la 5G. Elle faisait suite à une demande du Conseil européen appelant à définir une approche concertée en matière de sécurité des réseaux 5G.

([537]) Dite « loi Bothorel ».

([538]) Compte rendu n° 27 du 6 avril 2023.

([539]) Compte rendu n° 12 du 15 février 2023.

([540]) Compte rendu n° 6 du 26 janvier 2023.

([541]) Compte rendu n° 13 du 16 février 2023.

([542]) Compte rendu n° 9 du 2 février 2023.

([543]) Circulaire n° 6306‑SG du 11 octobre 2021 relative au renforcement de la transparence des actions d’influence étrangère conduites auprès des agents publics de l’État.

([544])  Compte rendu n° 29 du 12 avril 2023.

([545]) Compte rendu n° 24 du 4 avril 2023.

([546]) Open Source Intelligence.

([547]) Compte rendu n° 22 du 29 mars 2023.

([548]) M. Tenzer précise : « Cela ne veut pas dire que de telles pratiques sont interdites, mais cette transparence permettrait de mieux comprendre sinon les ingérences étrangères, du moins les discours venant de l’étranger. Un des grands problèmes que soulèvent les ingérences, c’est leur caractère dissimulé. Quand les choses sont volontairement occultées, le risque d’ingérence est grand. »

([549]) Strategic Lawsuits Against Public Participation, acronyme reposant sur un jeu de mots avec le mot slap (gifle).

([550]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives (27 avril 2022).

([551]) « La Commission s’attaque aux poursuites abusives contre les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme », communiqué de presse du 27 avril 2022.

([552]) Article 6.

([553]) Voir le B du II de la première partie.

([554]) Compte rendu n° 14 du 16 février 2023.

([555]) Sénat, rapport d’information n° 873 fait au nom de la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences par M. André Gattolin, sénateur (29 septembre 2021).

([556]) Voir le C du II de la présente partie.