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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juin 2023
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français,
Président
M. Jean-Philippe TANGUY
Rapporteure
Mme Constance LE GRIP
Députés
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TOME I
RAPPORT
Voir les numéros : 275 et 589.
La commission relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, est composée de : M. Jean-Philippe Tanguy, président ; Mme Constance Le Grip, rapporteure ; M. Pierre‑Henri Dumont, M. Laurent Esquenet-Goxes, Mme Anne Genetet, M. Thomas Rudigoz, vice-présidents ; M. Jean‑Pierre Cubertafon, Mme Stéphanie Kochert, M. Kévin Pfeffer, M. Vincent Seitlinger, secrétaires ; Mme Nadège Abomangoli ; M. Pieyre‑Alexandre Anglade ; M. Julien Bayou ; M. Éric Bothorel ; M. Ian Boucard ; M. Philippe Brun ; Mme Clara Chassaniol ; Mme Mireille Clapot ; Mme Caroline Colombier ; M. Nicolas Dupont-Aignan ; M. Frank Giletti (à compter du 1er juin 2023) ; M. Bastien Lachaud ; Mme Hélène Laporte (jusqu’au 31 mai 2023) ; M. Thomas Ménagé ; Mme Anna Pic ; M. Thomas Portes ; M. Richard Ramos ; M. Aurélien Saintoul ; M. Charles Sitzenstuhl ; M. Stéphane Vojetta.
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SOMMAIRE
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Pages
partie 1 : la France est la cible d’ingérences de la part de puissances étrangères
I. Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ?
A. un concept qui doit être distingué de l’influence
1. L’ingérence d’un État désigne son intervention dans les affaires intérieures d’un autre État
2. Les ingérences peuvent être confondues avec les politiques d’influence
B. les ingérences empruntent plusieurs vecteurs
1. Le contexte géopolitique est propice à la multiplication des moyens d’ingérence
b. Les manipulations de l’information
c. Les atteintes au patrimoine économique, scientifique et technique
d. L’utilisation du droit comme arme
e. Le recrutement d’une partie des élites
A. la russie est la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence
1. Les ingérences de la Russie s’inscrivent dans une logique de subversion et de déstabilisation
a. Une politique d’espionnage qui n’a rien perdu de son importance
b. Une guerre informationnelle visant à la déstabilisation
c. Des cyber-attaques comme armes d’une guerre hybride
1. Des tentatives d’ingérence de plus en plus agressives en voie de « russianisation » ?
2. Des ingérences destinées à contrôler son image et ses ressortissants
a. La guerre de l’opinion publique
C. d’autres États peuvent chercher à s’immiscer dans les affaires intérieures de la france
a. Des tentatives de corruption de parlementaires européens ?
b. Le recours au placement rémunéré d’informations
III. la France est particulièrement exposée aux tentatives d’ingérence russes
A. une entreprise de désinformation de longue haleine
a. Une longue tradition soviétique
i. La volonté de produire un récit alternatif aux médias occidentaux
2. L’Afrique, espace privilégié de la désinformation russe anti-française
a. La Russie a développé une stratégie spécifique de désinformation en Afrique
b. Cette rhétorique russe antifrançaise a déjà largement porté ses fruits en Afrique
3. L’ingérence informationnelle russe dans les campagnes présidentielles françaises de 2017 et 2022
a. Les « Macron Leaks » au cours de l’élection présidentielle de 2017
B. la « capture » de certaines élites : entre naïveté et connivence
1. L’attraction de certains hauts fonctionnaires par la Russie
2. Les accointances entre le personnel politique français et la Russie
a. L’importance des cercles d’influence franco-russes
i. Le Dialogue franco-russe et le rôle de M. Thierry Mariani
ii. Les autres cercles d’influence de la Russie en France
b. Des parcours individuels entre naïveté et compromission
i. L’adhésion aux thèses du Kremlin
ii. L’utilisation du statut d’élu au bénéfice des positions russes
iii. La reconversion au sein d’entreprises russes
C. le cas particulier du rassemblement national
1. Un soutien idéologique et une proximité affichée avec le régime de M. Poutine
i. Une forte proximité politique et idéologique et des intérêts communs
ii. Des actes de soutien concrets au régime de M. Poutine : les déplacements et les votes
2. Les emprunts russes du Rassemblement national
I. la prévention des ingérences étrangères
a. La trahison et l’espionnage
b. Les autres atteintes à la défense nationale
2. Les atteintes à la probité constituent un vecteur pour les ingérences étrangères
a. Les délits de corruption, de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêts
i. La corruption passive et le trafic d’influence
ii. La prise illégale d’intérêts
b. La prévention des conflits d’intérêts
c. L’encadrement de l’activité des représentants d’intérêt
a. De manière générale, les contributions des personnes physiques sont plafonnées
i. Les dons et les cotisations
c. Dans le silence de la loi, les prêts de personnes physiques étrangères sont permis
b. Les dons en provenance d’entités étrangères sont strictement interdits
c. Les prêts en provenance de banques européennes sont permis
b. L’État rembourse une partie des dépenses des candidats aux élections
C. Des progrès dans la protection de l’économie française face aux ingérences
a. Le recensement des activités économiques sensibles
b. Le contrôle des investissements étrangers
2. La lutte contre l’instrumentalisation du droit à des fins d’ingérence économique
a. Les menaces posées par le lawfare d’États étrangers
i. L’Agence française anticorruption
ii. La convention judiciaire d’intérêt public
II. médias, plateformes numériques, nouvelles technologies : principaux points de vulnérabilité ?
A. La « guerre informationnelle » : désinformation, manipulation, malinformation
1. La « guerre informationnelle » se joue d’abord sur les plateformes numériques
a. Le champ numérique, espace privilégié de la « guerre informationnelle »
i. Des espaces peu régulés où la désinformation circule aisément
iii. Des plateformes numériques non européennes en situation de monopole
b. La lutte contre la désinformation sur les plateformes numériques
i. Le rôle de Viginum contre la manipulation de l’information
ii. La question de la régulation des plateformes numériques
a. Monnayer la manipulation de l’information en France : l’exemple de « Team Jorge »
i. « Team Jorge », un acteur polyvalent de la désinformation
ii. Un relais de la manipulation informationnelle de « Team Jorge » à BFM TV ?
b. Les vulnérabilités des médias français dans la guerre informationnelle
i. La pratique de l’influence auprès des médias et des journalistes
ii. Des contenus promotionnels « cachés » au sein des contenus informationnels
1. Des menaces cyber croissantes
2. Une structure de défense organisée et discrète
a. Un dispositif de cyberdéfense animé par l’ANSSI
b. La nécessaire discrétion de la cyberdéfense
A. l’architecture institutionnelle de la contre-ingérence
a. La détection des ingérences étrangères
b. La sensibilisation aux risques
3. Le renseignement du ministère chargé de l’économie et des finances
B. une prise de conscience rompant avec une certaine naïveté ou un certain déni de rÉalité…
1. La contre-ingérence est le reflet d’une nouvelle approche des relations internationales
C. … qui reste à diffuser à l’ensemble des acteurs et de notre société
1. Sensibiliser, éveiller, mobiliser
3. Le nécessaire réveil du monde universitaire et académique
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
CONTRIBUTIONS des groupes politiques et des Députés
1. Contribution du groupe La France insoumise
2. Contribution du groupe Socialistes et apparentés
3. Contribution du groupe Écologiste
4. Contribution de Mme Mireille Clapot, députée de la Drôme
5. Contribution de Mme Caroline Colombier, députée de la Charente
6. Contribution de Mme Anne Genetet, députée des Français établis hors de France
7. Contribution de M. Thomas Ménagé, député du Loiret
8. Contribution de M. Kévin Pfeffer, député de la Moselle
9. Contribution de M. Charles Sitzenstuhl, député du Bas-Rhin
Annexes à l’avant-propos du président
1. Tableau des occurrences des noms des personnes auditionnées
2. Lettres de mission de M. Jean-Pierre Chevènement
3. Relevés de conclusions des réunions du bureau de la commission d’enquête
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La commission d’enquête relative aux « ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français » a été créée dans un contexte de vive polémique. Demandée par le groupe Rassemblement national au titre de son droit de tirage, un de ses objectifs affichés par ses initiateurs était de « purger » la question du prêt russe accordé au Front national en 2014 et celle des accusations de complaisance, voire plus, du Rassemblement national envers la Russie de Vladimir Poutine.
Le champ particulièrement large de cette commission d’enquête a constitué un défi permanent pour la conduite de ses travaux : 44 auditions, 53 personnes auditionnées, 87 heures d’audition.
Il est à noter qu’une commission d’enquête parlementaire dispose de prérogatives et de moyens strictement, encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs. De plus, compte tenu de la nature des sujets traités, et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées, la commission d’enquête s’est vu à plusieurs reprises opposer le secret de l’instruction, le secret de l’enquête et le secret défense.
Un effort de définition et de caractérisation des ingérences étrangères
Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ? Il s’agit de l’immixtion d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État. Elle présente un caractère malveillant, toxique, voire délictueux, car elle vise à déstabiliser, à saper la confiance dans les institutions d’un pays, à engendrer de la confusion entre le vrai et le faux, à servir les intérêts d’une puissance étrangère, pouvant même aller jusqu’à tenter de détruire une cible, par exemple le système démocratique d’un État. C’est pourquoi elle ne doit pas être confondue avec les politiques d’influence.
Les ingérences étrangères peuvent emprunter plusieurs vecteurs comme les cyber-attaques, les manipulations de l’information, les atteintes au patrimoine scientifique et technique, l’utilisation du droit comme arme (lawfare), le recrutement d’anciens responsables politiques ou économiques, auxquels il faut ajouter une zone grise entre l’influence et l’ingérence, caractérisée par la recherche de la complaisance, de la connivence, voire de l’allégeance d’une partie des élites d’un pays.
Les ingérences peuvent être des actes d’une guerre hybride d’États qui nous sont hostiles
De toute évidence, la Russie constitue la principale menace pour les démocraties occidentales en termes d’ingérence. Ses activités hostiles s’inscrivent dans une logique de subversion et de déstabilisation. Elles reposent sur l’espionnage, la guerre informationnelle et les cyber-attaques. De plus, la Russie continue d’user d’un pouvoir d’attraction par convergence d’intérêts ou par recrutement intéressé.
La Chine représente l’autre grande menace pour les démocraties libérales en ce qui concerne les ingérences. Elle a de plus en plus recours à des manœuvres agressives et malveillantes pour atteindre ses objectifs, au point qu’on peut parler d’une « russianisation » de son attitude. Si les ingérences dont la République populaire de Chine est l’auteur sont surtout destinées à contrôler son image et ses ressortissants à l’étranger, l’espionnage et l’entrisme qu’elle pratique auprès de nos entreprises et de nos universités constituent un point d’attention majeur.
D’autres États cherchent à s’immiscer dans les affaires intérieures de la France, quoique à une moindre échelle actuellement que la Russie et la Chine. Il s’agit notamment de pays comme l’Iran, le Maroc, le Qatar ou encore la Turquie.
L’exposition de la France aux ingérences russes doit être soulignée
Une guerre informationnelle
La Russie conduit, dans notre pays, une campagne de désinformation de longue haleine. Cette stratégie d’ingérence héritée de l’époque soviétique a été réactualisée sous Vladimir Poutine en s’appuyant sur des médiats d’État (RT France et Sputnik) et sur les réseaux sociaux. Elle a eu pour but de produire un récit alternatif aux médias français afin de défendre et promouvoir les intérêts russes et de polariser notre société démocratique. Si l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine à partir de février 2022 a conduit à l’interdiction de ses principaux relais médiatiques, d’autres se maintiennent grâce aux réseaux sociaux, ou apparaissent, comme par exemple le nouveau média dit « alternatif » Omerta.
Il faut noter également que la Russie a développé une stratégie spécifique de désinformation, particulièrement agressive, visant l’Afrique francophone afin d’y favoriser une rhétorique hostile à notre pays et à nos valeurs.
Les tentatives d’ingérence informationnelle russe dans les deux dernières campagnes présidentielles en France constituent des exemples flagrants de ces manœuvres de déstabilisation, notamment l’affaire des Macron Leaks en 2017.
La capture d’une partie de nos élites
Il faut s’inquiéter par exemple de la tendance d’anciens responsables publics, en particulier d’officiers à la retraite, à développer des discours reprenant les éléments de langage du Kremlin dans les médias. Il convient de mettre en place un cadre juridique qui permette de maintenir un devoir de discrétion et de renforcer le régime d’incompatibilités pour certains hauts responsables qui n’exercent plus leur activité.
La commission d’enquête a étudié les accointances entre une partie du personnel politique français et la Russie. Elle a relevé le rôle de cercles d’influence comme le Dialogue franco-russe, co-présidé par M. Thierry Mariani, ou l’Observatoire franco-russe, un think tank créé par le conseil économique de la chambre de commerce et d’industrie franco-russe, qui œuvrent comme des lobbies pro-Kremlin. Il faut ajouter à cela des parcours individuels qui relèvent, au mieux de la naïveté, au pire de la compromission. Il peut s’agir d’une adhésion au narratif russe et aux actions du pouvoir russe, notamment par l’utilisation du statut de parlementaire français ou européen à son bénéfice, ou de la reconversion au sein d’entreprises russes. À ce titre, il semble nécessaire d’engager une réflexion à propos de contrôles renforcés sur les nouvelles carrières professionnelles d’anciens responsables politiques.
Les liens du Rassemblement national avec la Russie constituent un cas particulier
Le Rassemblement national entretient bien des liens privilégiés avec le Kremlin, liens que n’ont pas les autres partis politiques français. Le soutien idéologique et la proximité affichée avec le régime de Vladimir Poutine sont indéniables. Ils sont fondés sur des convergences de vues et des intérêts communs qui se traduisent par des soutiens concrets comme le relais des positions internationales des autorités russes, les déplacements d’élus RN en Russie, au Donbass ou en Crimée illégalement annexée, y compris en servant de caution à des consultations électorales non reconnues par la communauté internationale, ou des votes défavorables aux condamnations des violations du droit international par la Russie et aux sanctions internationales prononcées contre cet État.
Les emprunts russes contractés par l’ex-Front national ou par sa candidate ont été analysés par la commission d’enquête. Le prêt de 9,4 millions d’euros contracté en 2014 auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), alors contrôlée par un oligarque russe, a été finalement racheté par l’entreprise russe Aviazapchast à la suite de la faillite de la banque en 2016. Cette firme appartenant au complexe militaro-industriel en a rééchelonné le remboursement jusqu’en 2028. Cet « avantage certain et conséquent », selon une note de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a bien constitué un traitement de faveur de la part des nouveaux créanciers russes, d’autant que l’emprunteur n’a pas apporté de garanties, comme le souligne également la CNCCFP.
La prévention des ingérences étrangères repose sur un cadre juridique pertinent mais incomplet
La répression des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation est, sur le plan pénal, le dispositif le plus ancien, pour prévenir les ingérences. Néanmoins, les atteintes à la probité – corruption, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts – peuvent également être des vecteurs importants d’ingérences étrangères.
Concernant la vie politique, les restrictions posées aux financements des partis et des campagnes électorales provenant de l’étranger assurent une certaine étanchéité face aux risques d’ingérence. Toutefois, ces limitations demeurent incomplètes et l’on peut s’interroger sur les capacités d’en assurer un contrôle vraiment approfondi.
Sur le plan économique, la prévention des ingérences passe par le recensement des activités sensibles, le contrôle des investissements étrangers, le blocage de la divulgation de données stratégiques et le développement d’outils pour se prémunir des risques d’instrumentalisation du droit à des fins de guerre commerciale.
Les espaces numériques constituent des points de vulnérabilité qui demeurent
La guerre informationnelle se joue d’abord sur les plateformes numériques, espaces peu régulés où la désinformation peut circuler de manière massive et virale grâce aux trolls, bots, deep fake et autres techniques informatiques. La lutte des pouvoirs publics français et européens contre la diffusion artificielle ou automatisée de faits inexacts ou trompeurs a fait des progrès mais beaucoup reste à faire du côté des plateformes et en matière de politique de prévention et d’éducation.
L’affaire dite « Story Killers » révélée par le consortium de journalistes Forbidden Stories, impliquant notamment un présentateur de la chaîne BFM-TV, est révélatrice de l’apparition de nouveaux mercenaires de la désinformation et de la manipulation de l’information, apparition d’autant plus inquiétante que leurs services peuvent être loués par des États étrangers et que les médias français semblent vulnérables face à ce type d’ingérence.
Les cyber-attaques sont l’autre menace qui pèse sur les espaces numériques et leur ampleur devient considérable. Elles peuvent prendre la forme d’activités criminelles (rançongiciels, hameçonnage), d’espionnage ou encore de sabotage. Ces deux dernières formes sont en général le fait d’États. Les cyber-attaques ciblent aussi bien nos entreprises que nos administrations d’État, nos collectivités territoriales que nos hôpitaux, nos universités et institutions de recherche que nos médias.
Si la lutte contre les menaces transversales (dont font partie les ingérences et les menaces cyber) est bien appréhendée par nos services de renseignement et les agences qui leur viennent en appui, l’entrave des ingérences étrangères doit aussi reposer sur la société civile
La prévention et la répression des ingérences figurent parmi les enjeux prioritaires de la Stratégie nationale du renseignement de 2019. Elles reposent principalement sur l’action des services des ministères de l’intérieur, des armées et de l’économie et des finances.
L’action des pouvoirs publics doit être saluée, et tout particulièrement celle de nos services de renseignement. Elle traduit une prise de conscience salutaire bien que tardive de la part de nos plus hautes autorités, qui rompt avec une certaine naïveté, un aveuglement ou un déni de réalité. Toutefois, l’effort de contre-ingérence doit encore être diffusé à l’ensemble des acteurs publics ainsi que dans la société civile. L’entrave des tentatives de déstabilisation repose encore trop sur l’État en France.
Il faut donc, plus que jamais, sensibiliser les cibles potentielles des manœuvres d’ingérence, notamment l’ensemble des élus et le monde de l’université, de la recherche et des grandes écoles. Il apparaît également nécessaire de renforcer la transparence dans de nombreux domaines, non seulement pour mieux identifier l’action des représentants d’intérêts, mais aussi afin de s’appuyer sur la société et ses lanceurs d’alerte, par exemple par le développement de techniques collaboratives de cyberdéfense ou de renseignement de sources ouvertes.
De manière générale, c’est à l’ensemble de la société française qu’il revient d’ouvrir les yeux sur les réalités géopolitiques nouvelles auxquelles nos démocraties européennes sont confrontées, sur l’agressivité et la volonté de déstabilisation dont font preuve à notre égard des puissances autoritaires et inamicales, et sur la résistance collective qu’il nous faut leur opposer. La guerre hybride qui nous est faite, dont les ingérences sont l’expression la plus répandue, appelle de notre part un sursaut citoyen. Celui-ci doit se fonder sur la responsabilité, la transparence et l’engagement de toute la société.
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Remerciements
« Tel qui trahit se perd, et les autres avec lui… » Chanson de Roland
Je tiens naturellement à remercier les administrateurs, les agents et les services et de l’Assemblée Nationale qui ont travaillé sur notre Commission d’enquête, fidèles à leur mission. Ils ont assuré une organisation, une recherche documentaire et un apport technique de grande qualité.
Je remercie mes collaborateurs et surtout en l’occurrence, ma collaboratrice qui se reconnaitra, pour son travail remarquable.
Je remercie les quelques députés qui ont été actifs lors de cette Commission, ainsi que le vice-président Laurent Esquennet-Goxes qui m’a remplacé quatre fois quand l’éthique commandait mon déport pour auditionner des personnalités liées de près ou de très loin au Rassemblement National.
Je salue le temps que la Rapporteure Constance Le Grip a bien voulu consacrer à sa mission et les compétences rares et précieuses, sans ironie aucune, qu’elle a apportées à notre Commission mais aussi certaines valeurs qu’elle porte, notamment dans la défense de la démocratie taïwanaise.
Constatant que nos travaux se sont déroulés sans incident lié aux commissaires titulaires pendant cinq mois, que la neutralité et l’impartialité de ma présidence n’a jamais été remise en cause, ni à l’écrit ni à l’oral et pas même par des bruits de couloir dans la presse, je ne peux que déplorer le sabotage de nos travaux.
Ce sabotage est opéré à travers un rapport malhonnête, travestissant nos travaux, voté par 10 députés sur qui n’ont pas ou peu lu sur 11 votants.
Hélas, ce rapport cherche à camoufler grossièrement un procès politique contre le Rassemblement National ; une manipulation visant à minorer la responsabilité de l’UMP, du PS et des soutiens d’Emmanuel Macron dans l’aggravation de notre dépendance envers la Russie ; un faux visant à écarter les ingérences de personnalités macronistes ou de l’ancienne famille politique de la Rapporteure ; une tentative pour écarter les ingérences des États-Unis en France, différentes mais pas moins graves que celles opérées par la Russie et la Chine.
Enfin, je remercie les députés intègres qui n’ont pas voulu participer au vote final validant ce sabotage révoltant pour tout républicain sincère.
Analyse et critique du procès politique fait par la Macronie au Rassemblement National
Avant de développer notre vision des travaux réels de la Commission d’enquête, voici une réflexion technique et factuelle à propos du sabotage de la Commission d’Enquête Parlementaire du Rassemblement National par les députés macronistes et NUPES, incapables de supporter que les 88 députés marinistes élus par les Français fassent leur travail décemment dans le respect de nos institutions et valeurs républicaines.
A) Qu’est-ce qu’une Commission d’enquête parlementaire et pourquoi prétend-on que le Rassemblement National en serait à l’origine ?
Selon les explications de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de 30 membres représentatifs du parti peut être instituée pendant six mois. Elle traite d’un sujet sur lequel les députés considèrent nécessaire de mener une enquête à travers des auditions obligatoires et réalisées sous serment. La commission peut aussi mener des investigations sur des faits ne donnant pas lieu, dans certaines limites, à des poursuites judiciaires.
Le Président d’une Commission d’enquête veille avant tout à la bonne tenue des débats et à l’organisation des travaux. Le rapporteur rend un document écrit, soumis à un vote. Il exerce aussi un contrôle sur pièces et sur place dans n’importe quelle administration. Il est habilité à se faire communiquer tout document de service à l’exception de ceux concernant la défense nationale, les affaires étrangères et la sécurité de l’État.
En théorie, toutes les auditions et la façon dont sont menés les travaux sont gérées de manière collégiale par tous les membres de la Commission. En cas de dissensus, il y a vote. Dans la pratique, le Président et le Rapporteur peuvent convoquer les personnes qui leur semblent pertinentes, sans vote. Notons que pour cette Commission, le Président n’a jamais pu inviter qui il voulait sans la menace d’un vote contraire des Macronistes, majoritaires de fait.
Pour la 1ère fois de son histoire, le Rassemblement National dispose d’un groupe à l’Assemblée Nationale lui permettant de proposer un thème de Commission d’enquête parlementaire.
Compte tenu du rôle toujours plus toxique et dangereux que jouaient les soupçons ou les réalités d’ingérences étrangères sur notre pays et nos alliés depuis des années, le Rassemblement National a déposé le lundi 26 septembre la résolution suivante : « Demande de Commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français. »
Le but de notre proposition visait à « établir s’il existe des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ».
La commission devait également travailler sur les « réponses à apporter pour éliminer les ingérences qu’elle aurait identifiées, écarter et punir les responsables mais aussi rénover nos institutions pour qu’elles soient capables de prévenir et d’empêcher de telles dérives ».
Deux options s’ouvrent alors aux parlementaires des autres groupes :
– Soit voter en séance l’installation d’une Commission. Celle-ci n’aurait alors été ni présidée ni rapportée par un député Rassemblement National.
– Soit laisser le groupe Rassemblement National utiliser son droit annuel à décider d’une Commission d’enquête, option appelée « droit de tirage ».
Si la Commission est créée, elle procède à ses travaux pendant six mois, à l’issue desquels le rapporteur rend un document dont le contenu et la parution sont soumis au vote. Le rapport est ensuite soumis au secret jusqu’à sa publication officielle, environ une semaine plus tard. Nul commissaire, pas même le président ou le rapporteur, ne peut divulguer le contenu du rapport dans les médias.
Contrairement à ce qu’indique Constance Le Grip, le Rassemblement National n’a pas voulu exercer initialement son droit de tirage. Dans le texte de la résolution déposée le 26 septembre 2022, il est indiqué : « Compte tenu du sujet extrêmement sensible de cette commission, il est proposé que le bureau et les pouvoirs exercés par ses membres reflètent la représentativité de l’Assemblée Nationale. »
Autrement dit, du fait de la configuration de l’Assemblée, notre Commission d’enquête aurait pu être présidée et rapportée par tous les partis sauf le RN.
Même après l’exercice de son « droit de tirage », le Rassemblement National ne contrôle que 5 sièges sur 30. La majorité relative appartient largement aux macronistes, qui comptent 13 sièges. Ce sont eux qui ont arbitré les travaux, non le Rassemblement National avec son poste honorifique de Président.
B) Vademecum des 10 étapes du sabotage macroniste à destination de « celles et ceux » qui veulent manipuler un Rapport d’enquête parlementaire.
Étape 1 : Prétendre pendant des années vouloir faire une Commission d’enquête sur les ingérences étrangères en ciblant l’opposition…mais ne jamais le faire.
Étape 2 : Critiquer l’opposition quand celle-ci propose puis dépose réellement une proposition de commission d’enquête sur les ingérences étrangères.
Étape 2 bis : Parasiter la proposition de l’opposition en écrivant à la Présidence de l’Assemblée Nationale pour demander une Commission d’enquête tout en ne déposant en réalité aucune résolution.
Étape 3 : Refuser de voter à la majorité la Commission d’enquête proposée par l’opposition pour la contraindre à utiliser son « droit de tirage ».
Étape 4 : Diffamer l’opposition pour mettre en place la Commission d’enquête que l’on réclame soi-même depuis huit ans.
Option bonus : Railler l’opposition si elle choisit la présidence mais être prêt aussi à moquer le rapport RN s’il choisit cette autre option.
Étape 5 : Détenir la majorité des sièges à la Commission d’Enquête, tout en faisant croire aux Français que c’est l’opposition qui contrôle tout.
Étape 6 : Refuser toutes les auditions qui gênent M. Macron et l’ancienne famille politique de Constance Le Grip : Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Raffarin, Jean-Marie Le Guen, Jean-Louis Borloo, Dominique de Villepin, Gérard Araud… Ou retarder au maximum celle de François Fillon ou de José Bové.
Refuser d’interroger les experts pouvant ouvrir les dossiers liés aux pays du Golfe afin d’éviter en plein QatarGate et MarocGate de traiter de ces sujets.
Refuser d’entendre, entre autres, le Syndicat des journalistes de Marianne, qui avait révélé l’ingérence étrangère de leur actionnaire en faveur de M. Macron.
Liste non exhaustive.
Étape 7 : Écrire un rapport bidon dont les principales citations et justifications viennent des déclarations des amis politiques comme Nathalie Loiseau ou Raphaël Glucksmann.
Étape 8 : Faire voter ce rapport bidon de 210 pages par 10 commissaires qui osent valider le contenu d’un document que quatre d’entre eux n’ont pas lu, quatre autres l’ont lu 30 minutes seulement, et les deux derniers moins de 2 heures.
Étape 9 : Faire en sorte que le rapport bidon, tenu au secret et dont l’opposition n’a aucune copie, fuite dans une certaine presse, par exemple Mediapart.
Étape 10 : Donner des entretiens révélant le contenu mensonger ciblant l’opposition pendant que cette dernière n’a ni les moyens ni le droit de réagir.
Avant son vote, un rapport de commission d’enquête parlementaire ne peut être consulté que dans une salle fermée.
Voilà le temps consacré par les députés ayant voté le rapport bidon de 210 pages de Constance Le Grip. L’ont-ils lu avant de voter pour son adoption ?
M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Anna Pic, M. Thomas Rudigoz et Mme Stéphanie Kochert n’ont pas consulté le rapport.
M. Charles Sitzenstuhl, Mme Clara Chassaniol et M. Stéphane Vojetta lui ont consacré 30 minutes, M. Julien Bayou 40 minutes, Mme Mireille Clapot 1h20 et M. Laurent Esquenet-Goxes 1h30.
À l’inverse, M. Tanguy a consulté le rapport 7h30, Mme Colombier 4h00, MM Pfeffer et Ménagé 2h00. M. Ramos n’a pas renseigné son heure de départ.
C) Pourquoi la Macronie est-elle prise en flagrant délit d’hypocrisie sur l’opportunité d’une Commission d’enquête sur les ingérences étrangères ?
En novembre 2017, alors que Jean-Luc Mélenchon fait office, pour quelques semaines encore d’opposant sérieux à la Macronie, le voilà qui subit l’acmé d’une campagne de dénigrement cherchant à le présenter comme un crypto-dictateur latino-américain qui avait commencé pendant la présidentielle de 2017, alors qu’il était en mesure d’arriver au second tour, qualifié par exemple dans le Figaro du 11 avril « d’apôtre des dictateurs révolutionnaires ». Fermez le ban.
Dans l’émission politique du 30 novembre 2017 consacrée à sa personne et son programme, une séquence entière sera consacrée aux relations réelles ou fantasmées de Jean-Luc Mélenchon avec le régime vénézuélien, un sujet de premier plan pour nos concitoyens. À cette occasion, Jean-Luc Mélenchon inventera la « boîte à meuh Venezuelaaaaaa » pour mettre les rieurs de son côté, et prendre un peu de recul.
La popularité de Jean-Luc Mélenchon passera et avec, les campagnes d’indignation publique sur le Venezuela, qui depuis est redevenu fréquentable malgré le maintien au pouvoir de M. Maduro.
Tout le monde n’a pas le droit à ce traitement particulier en politique internationale. Ainsi, Emmanuel Macron n’a jamais été particulièrement interrogé ni en 2017 ni en 2022 sur son soutien, par exemple, au régime saoudien, une théocratie tyrannique où les opposants sont décapités au sabre mais aussi parfois, crucifiés. Il ne sera pas plus interrogé sur la guerre meurtrière que ce même régime saoudien mène au Yémen et qui, selon l’ONU, avait fait en 2021 plus de 377 000 morts en sept années.
Ce moment est naturellement un vague souvenir pour les Français et les commentateurs mais qui rappelle au citoyen vigilant que les mêmes causes entrainent par un curieux hasard les mêmes effets.
Les ingérences étrangères contre notre démocratie sont un sujet grave et sérieux. Pourtant, elles sont essentiellement abordées dans le débat public qu’à travers des campagnes de dénigrement politique des oppositions, s’apparentant à une forme de « rhétorique politique » de campagne comme en témoigne cet échange sous serment lors de l’audition du directeur de la DGSI, Nicolas Lerner.
« M. le président Jean-Philippe Tanguy. Depuis de nombreuses années, du moins depuis que je m’intéresse à la politique, plusieurs partis ou personnalités politiques ont été accusés d’être la voix ou des agents de puissances ou de services étrangers. On a ainsi accusé le Parti de gauche de M. Mélenchon d’être un agent du Venezuela ou de Cuba, des personnalités de formations centrales de faire le jeu des États-Unis – je me souviens d’avoir vu M. Pierre Lellouche accusé à la télévision, devant la France entière, d’être un agent de la CIA –, et Mme Le Pen et les membres du Rassemblement national, dont votre serviteur, ont été accusés par M. Bruno Le Maire, en commission des finances, d’être la voix de la Russie. Parfois, les forces centrales sont accusées d’être la voix de la finance internationale ou des banques et l’on voit régulièrement sur les réseaux sociaux, en lien avec les Gilets jaunes, des accusations à l’encontre des Young Leaders.
Ces accusations peuvent relever de la polémique électorale ou être le fait de personnes qui racontent n’importe quoi sur les réseaux sociaux mais, au-delà des cas anecdotiques, une pratique politique se dessine, et cela dans tous les partis – la question ne fait même pas polémique, car tous les partis peuvent accuser les autres d’être sous influence étrangère. Or cette pratique peut avoir une influence dans le débat politique.
J’en reviens donc à une question qui justifie que nous siégions à huis clos : ces accusations se fondent-elles sur une part de réalité ou n’y a-t-il, par exemple, pas de lien particulier entre des personnalités de gauche et des régimes de gauche ? M. Mélenchon a par exemple été accusé un jour, dans l’émission télévisée à grande audience de M. Frédéric Taddeï, de ne pas défendre le dalaï-lama parce qu’il était sous influence chinoise. Les forces ou les amis de M. Mélenchon sont-ils liés de près ou de loin à une influence postsoviétique ou bolivarienne ? Les membres du Rassemblement national ou de la droite souverainiste, régulièrement accusés d’être la voix de la Russie, le sont-ils vraiment ? Qu’en est-il des forces politiques accusées de représenter les Américains, les Anglais ou les Allemands ? Ces accusations ont-elles un fondement ? Surveillez-vous ces phénomènes, ou s’agit-il de polémiques électorales qui n’ont pas lieu d’inquiéter les Français ni notre commission ?
M. Nicolas Lerner. Je vous répondrai en quatre temps. Tout d’abord, il s’est produit dans le passé certaines affaires de notoriété publique, pour lesquelles je vous renvoie à l’excellent livre de trois anciens cadres de la DGSI ou de la DST, MM. Clair, Nart et Guérin, La DST sur le front de la guerre froide, sorti voilà quelques semaines, qui revient sur la conviction qu’avait à l’époque la DST que plusieurs ministres, anciens ministres ou parlementaires de renom étaient des agents de services étrangers. Quand nous parlons d’agents, cela signifie que ces personnes faisaient l’objet d’un traitement clandestin, c’est-à-dire qu’ils entretenaient avec des acteurs étrangers des relations occultes dont le ressort pouvait être soit financier, soit idéologique, par adhésion à un modèle. Plusieurs responsables politiques de premier plan ont donc ainsi entretenu, dans le passé, des relations clandestines avec des agents de renseignement. Il faut toutefois apporter une nuance, car la personne approchée peut être convaincue de parler avec un chef d’entreprise ou un diplomate – c’est la raison pour laquelle nous pratiquons la sensibilisation dès que nous détectons de tels cas –, mais elle peut aussi avoir pleinement conscience de parler à un agent de renseignement. Notre travail consiste donc à nous assurer que la personnalité concernée est au moins consciente de la qualité de la personne à qui elle parle, afin qu’elle ne puisse persévérer qu’en connaissance de cause.
Ensuite, il faut distinguer, dans les exemples que vous citez, ce qui relève de la rhétorique politique et ce qui relève d’une réalité relevant d’un travail de renseignement. C’est un argument du débat politique que de désigner l’adversaire comme la voix d’un pays étranger pour décrédibiliser ses arguments ou sa capacité à diriger un pays indépendant. J’ai donc la certitude qu’une partie de ces éléments, sinon la totalité, relève de la rhétorique politique. »
À ce titre, l’utilisation de la « menace » d’une Commission d’enquête parlementaire sur ce sujet par les majorités au pouvoir depuis 2012 est une arlésienne.
Ainsi, le 10 avril 2015, la majorité de François Hollande avait déjà crié au loup sur le pseudo-scandale du « prêt russe ». Ils demandaient une Commission d’enquête parlementaire qu’ils pouvaient d’autant plus obtenir qu’ils étaient majoritaires à l’Assemblée Nationale et qu’il n’y avait que… deux députés FN en face d’eux.
Évidemment, cette proposition est restée dans les poubelles de la Hollandie, rejoignant, il faut bien le reconnaitre, une part non négligeable de ses promesses faites aux Français. « Pas de bol ».
Malgré sa résurgence régulière dans le débat public, en particulier et par hasard au moment des élections, la menace des ingérences étrangères ne semble pas assez importante pour qu’elle fasse l’objet d’une Commission d’Enquête parlementaire pendant le 1er mandat d’Emmanuel Macron.
Par exemple, l’accord trouvé en 2020 entre le Rassemblement national et l’entreprise Aviazaptchast après la faillite de la banque FCRB, accord validé par la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements politiques n’a pas soulevé d’émotion particulière à l’Assemblée nationale.
La question est toute autre après l’arrivée d’un groupe de 88 députés Rassemblement National. Aussi, la rapporteure Constance Le Grip produit dès l’introduction de son rapport une série de contre-vérités sur les faits politiques et le contexte de « vive polémique » qui ont provoqué la convocation d’une Commission d’enquête parlementaire de la part du Rassemblement National.
Or c’est bien Renaissance qui, par la voix de Stéphane Séjourné, député européen et dirigeant du parti présidentiel, sur France 5, le 22 septembre 2022, demande une commission d’enquête indépendante après avoir énoncé, pêlemêle et sans lien logique un nécessaire « travail à faire sur les ingérences », les révélations du Monde du 13 septembre 2022 sur la déclassification de notes américaines indiquant que 300 millions d’euros auraient été versés par la Russie en Europe pour influencer les élections et qu’il s’agissait d’une question « dont il fallait se saisir assez rapidement ».
La déclaration de M. Séjourné n’est pas due au hasard, il fait alors une capsule vidéo de ses déclarations sur le réseau social Twitter et met volontairement en copie Jordan Bardella, espérant sans doute ouvrir une polémique avec le président du Rassemblement National.
Le lendemain matin, le 23 septembre 2022 à 9H31, M. Séjourné fait un nouveau tweet en reprenant une intervention matinale de Jordan Bardella avec le commentaire suivant : « Soutenir l’agresseur puis exploiter politiquement les conséquences de la guerre sur notre sol. Quel pacte tacite ou quel accord financier pourrait conduire à de telles déclarations ? Une enquête indépendante doit être menée sur l’ingérence russe dans les partis européens. »
Aussi, contrairement à ce qu’indique la rapporteure dans son introduction, le RN ne « vise » pas Stéphane Séjourné, mais répond à sa demande et ses provocations.
Aussi, le jour même, deux initiatives sont prises, une par le RN, l’autre par Renaissance :
– À 13H20, le Rassemblement National envoie un communiqué de presse rendu public par des tweets de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Ce communiqué est toujours en ligne et consultable. La résolution parlementaire proposant une Commission d’enquête transpartisane sur les ingérences étrangères, annoncée pour le lundi suivant, est bien déposée à date. Elle est naturellement toujours en ligne.
– Une dépêche de l’AFP informe par ailleurs que huit députés Renaissance auraient déposé une lettre à l’attention de la Présidente de l’Assemblée National Yaël Braun-Pivet pour lui demander également une Commission d’enquête parlementaire sur les ingérences, en particulier le financement russe des partis politiques.
À ce jour, ni le communiqué de ces députés, ni la lettre ne sont en ressources publiques, sauf erreur. Les documents ont été demandés à Thomas Rudigoz, signataire de la fameuse lettre, lors de la dernière réunion de la commission d’enquête le jeudi 1er juin 2023. Notre demande est restée sans réponse. Cette lettre n’aura en réalité eu aucune suite.
Comme l’indique Mme la Rapporteure, le RN avait aussi été mis en cause le 19 septembre sur LCI par l’ancien ambassadeur Jean-Michel Ripert, avec des propos affirmatifs dont il dira finalement sous serment, lors de son audition par notre Commission d’enquête, qu’ils n’étaient qu’en fait qu’un « sentiment personnel ».
L’attitude de M. Ripert était si scandaleuse que le président de la Commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée Nationale a fait savoir qu’il lui adresserait un courrier, resté sans suite malheureusement. À ce titre, l’échange entre le secrétaire de la Commission RN, Kevin Pfeffer et M. Ripert est édifiant car « ses sentiments personnels » n’étaient visiblement pas assez puissants pour justifier un signalement au Procureur mais assez pour être partagé avec des milliers de téléspectateurs.
« M. Kévin Pfeffer (RN). Je vous remercie d’avoir clarifié les propos que vous avez tenus sur LCI et indiqué que vous vous exprimiez en tant que citoyen, uniquement sur des impressions et sans preuve. Ce soir-là, vous aviez simplement dit : « Je prends mes responsabilités, je suis à la retraite », ce qui laissait planer le doute que vous puissiez éventuellement détenir des informations obtenues dans le cadre de vos fonctions. Au sujet du prêt accordé, notre audition du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a mis en avant le fait que le prêt accordé par une banque russe au Front national a été fait dans des conditions bien plus défavorables qu’auraient été celles de n’importe quel prêt obtenu par le parti une banque française. Je rappelle que la question ne se pose plus puisque ces prêts sont désormais interdits par la loi. Visiez-vous ce prêt en disant « et ne repartaient pas les mains vides » ? Ce n’est pas tout à fait la même chose de parler d’un prêt autorisé, légal et validé par les autorités de contrôle françaises et de financements illégaux, avec valises d’espèces ou autres, comme certains auraient pu le comprendre en écoutant vos propos. Le président Tanguy a souligné à juste titre que vos déclarations avaient suscité un certain émoi, au point que le président de la commission des affaires étrangères, M. Jean-Louis Bourlanges, a indiqué qu’il vous adresserait un courrier de demandes d’explications. Avez-vous reçu ce courrier et y avez-vous répondu ?
M. Jean-Maurice Ripert. Si j’avais eu la preuve de quoi que ce soit, j’aurais fait un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Fonctionnaire pendant quarante ans, je n’ai jamais été condamné ni même traîné devant une commission disciplinaire. Le respect des lois est la beauté de mon métier. Je n’ai jamais prétendu avoir des preuves, et j’ai d’ailleurs dit dans une autre interview ou dans la même un peu plus tard « bien entendu, je n’ai pas vu de chèque ». On peut découper ce que j’ai dit et faire mon procès si c’est ce que vous voulez, mais je crois que là n’est pas le sujet. J’ai déjà répondu : j’avais une impression, je l’ai mentionnée. Et quand j’ai dit « je prends mes responsabilités », cela signifiait, encore une fois, je suis un citoyen, je suis un diplomate à la retraite, je dis ce que j’ai à dire.
Le prêt a-t-il été fait dans des conditions favorables ou défavorables, je n’en ai aucune idée. Était-il constitutif de quelque chose, je n’en sais rien, mais je vous demande à nouveau de vous reporter aux déclarations de M. Schaffhauser, qui a reconnu avoir touché de l’argent sous forme de commissions – entre 140 000 et 400 000 euros selon les estimations – pour négocier le fameux prêt auprès du Kremlin. Une enquête du parquet est en cours à ce sujet. Je ne fais là que répéter des propos qui ont été tenus publiquement.
La lettre de M. Bourlanges m’est arrivée avec un certain retard. Je connais bien M. Bourlanges, que j’ai souvent reçu lorsque j’étais ambassadeur ; c’est un homme courtois avec qui je me suis toujours très bien entendu dans mes fonctions. Le courrier que j’ai reçu de lui ne me demandait rien. Je pense que vous en connaissez tous la teneur : il me reprochait un certain nombre de choses, me rappelait l’article 40 – je ne me sentais pas particulièrement concerné – et m’expliquait que mes propos allaient faire l’objet de suites judiciaires. Je ne vois pas très bien ce que je pouvais répondre. J’ai appris ensuite, assez rapidement, la création de cette commission et je n’ai pas douté un instant que vous feriez appel à mes services ; j’ai donc décidé que je répondrai à la commission d’enquête comme la loi m’en fait obligation et comme j’étais tout à fait désireux de le faire. Je vous assure qu’à aucun moment M. Bourlanges ne me suggère de lui répondre. »
Les déclarations de M. Ripert renvoient à une autre problématique évidemment liée aux accusations d’ingérences étrangères contre l’opposition. Si les plus hauts responsables de l’État, dirigeants politiques et fonctionnaires, sont au courant de faits de corruption, de trafics d’influence et de recel, de haute trahison ou de tout autre crime, pourquoi n’ont-ils jamais saisi le procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, qui les oblige à signaler tout fait délictueux ou criminels ? La réponse est dans la question.
Comme l’a indiqué Mme Alice Ruffo, que notre Commission d’enquête a auditionnée et qui a été conseillère à l’Élysée de François Hollande puis d’Emmanuel Macron, elle n’a eu connaissance d’aucune information ou même soupçon crédible sur une quelconque ingérence étrangère envers des personnalités politiques. Si cela avait été le cas, elle aurait dû saisir la justice.
« M. le président Jean-Philippe Tanguy. Vous avez exercé des responsabilités importantes à l’Élysée pendant dix ans. À cette occasion, avez-vous eu connaissance d’informations précises sur des cas d’influence ou d’ingérence de pays étrangers visant des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français ?
Mme Alice Rufo. Je suis devant votre commission en tant que directrice générale des relations internationales et de la stratégie. Il ne m’appartient pas de me prononcer au titre des fonctions que j’ai exercées à l’Élysée. Quand on est diplomate ou aux postes que j’ai occupés ou que j’occupe aujourd’hui, on est très souvent conduit à caractériser les stratégies de nos compétiteurs afin de protéger notre pays des tentatives d’influence et d’ingérence étrangères. Lorsque nous voyons que notre propre droit est utilisé pour empêcher nos chercheurs de faire leur travail – je pense — 16 — notamment aux poursuites en diffamation intentées par RT France –, nous devons nous interroger sur la stratégie à mener. Ensuite, en tant que fonctionnaire, je suis soumise à certaines obligations si quelque chose d’illégal vient à ma connaissance. Cela n’a pas été le cas. »
Aussi, les « arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat de l’entre-deux tours » dont fait état en introduction Mme la rapporteure sont, par nature, inquiétants et sont en réalité des attaques gratuites.
En tant que Président de la République, Emmanuel Macron aurait eu connaissance de la part des services de renseignement du moindre soupçon crédible d’ingérence concernant Mme Le Pen. Il aurait dû, comme garant de la Constitution, ainsi que l’ensemble des élus et hauts fonctionnaires travaillant avec lui, faire état de ces soupçons à la justice s’ils avaient existé. De fait, ils n’ont jamais existé.
Pris en flagrant d’hypocrisie et même de mauvaise foi, la « courroie de transmission », pour reprendre ses termes, que semble être Mme Le Grip envers l’Élysée a beau jeu de reprocher au Rassemblement National de « purger » la question du prêt russe accordé au FN en 2014 et de « laver son honneur ». Quel patriote ou même personne décente accepterait d’être diffamé sans réagir ?
Ces évidences ont été rappelées par Marine Le Pen lors de son audition sous serment : « Ces accusations {lancées par Emmanuel Macron}, qui sont peut-être les plus graves pour une patriote, ont de surcroît été proférées par quelqu’un qui, à mes yeux, n’avait pas la possibilité de le faire du point de vue éthique : le Président de la République. J’ai la faiblesse de penser, je vous le dis très clairement, qu’un candidat à l’élection présidentielle doit toujours éviter de tomber dans la diffamation et la calomnie de ses adversaires politiques, surtout s’il est déjà Président de la République. Or, s’il y a une personne qui était parfaitement au courant que je n’étais soumise à aucune influence, c’est bien le Président de la République, qui a en sa possession toutes les notes des services de renseignement français.
Ces accusations, qui n’ont été véritablement lancées, de manière forte, qu’en 2022, sont – c’est très clair aujourd’hui – opportunistes et électoralistes. Elles ne sont corroborées par aucun début de commencement d’élément factuel. Elles ont été portées par le Président de la République et ses troupes, ce que je trouve très grave.
Elles ont deux buts à mes yeux : discréditer son opposition, ses adversaires politiques – je n’ai pas été la seule à être victime de ces soupçons, M. Mélenchon en a eu sa part – et faire oublier que tous les mouvements politiques, des Républicains à La France insoumise en passant par celui d’Emmanuel Macron, développaient à l’égard de la Russie exactement la même vision politique que la mienne, à cette différence près que je n’ai, moi, aucune responsabilité dans l’aggravation de la dépendance économique et énergétique de nos pays à l’égard de la Russie. D’autres ont sûrement des choses à se reprocher dans ce domaine : Engie a participé à la construction de Nord Stream, dont le premier tronçon a été inauguré par M. Medvedev, Mme Merkel et M. Fillon les uns à côté des autres. »
Enfin, dans son introduction, la rapporteure Renaissance reprend le communiqué de presse du RN pour accuser ses dirigeants d’avoir voulu amplifier « un bruit de fond » comme le ferait la NUPES à l’encontre de la majorité présidentielle, afin de faire diversion de l’ingérence russe.
Hélas, c’est faux. Constance Le Grip coupe la phrase qu’elle prétend citer sans l’indiquer puisque la phrase complète est : « En plus d’établir enfin la vérité sur l’influence réelle de la Russie sur la politique française cette enquête pourrait être… » et suit en effet une série d’autres interrogations sur les différentes formes d’ingérences. La question n’est donc pas de savoir si le RN veut minimiser les ingérences russes mais pourquoi Renaissance a tant de mal à envisager les autres formes d’emprise d’intérêts étrangers sur notre pays.
L’autre question, au terme de cette démonstration, est de savoir pourquoi malgré tous les effets d’annonce, la macronie n’a jamais mis en place de Commission d’enquête sur les ingérences étrangères, y compris en centrant les travaux sur la Russie ?
D) Comment les Macronistes ont voulu couler la Commission d’enquête pour valoriser leurs propres travaux et éviter toute « publicité » des auditions.
Dans son rapport, Constance Le Grip tente de reprendre à son compte les obstacles que sa famille politique a tenté de nous imposer en Commission des lois pour rendre irrecevable notre résolution, au motif que le sujet choisi serait soi-disant trop vaste et qui serait du ressort du pouvoir judiciaire : « De fait, l’amplitude excessive du champ défini par l’intitulé de la résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d’enquête, constamment confrontée aux risques de l’éparpillement et du filet dérivant. »
Or, jamais Constance Le Grip ni d’ailleurs, aucun membre de la minorité présidentielle, n’a soulevé ces pseudos difficultés pendant nos travaux. De fait, la Commission puis le Bureau (dont les relevés de conclusions sont portés en annexe) ont défini, de manière consensuelle et collégiale, une méthode de travail que j’ai proposée à Constance Le Grip dès notre 1er rendez-vous informel à la buvette de l’Assemblée Nationale.
Cette méthode consistait d’abord à recevoir des experts incontestables capables de nous aider à définir le sujet puis l’ensemble des acteurs institutionnels chargés d’assurer le contrôle de nos élections nationales, des comptes des partis politiques et des campagnes, la prévention des ingérences et la protection de notre pays. Ces auditions nous permettraient alors de prioriser les zones géographiques et les modes d’ingérence sur lesquels concentrer nos travaux.
Dans un 3ème temps nous devions auditionner des journalistes experts, des ONG ou des personnalités ayant publiquement fait état d’ingérence, comme José Bové.
Enfin, ces travaux devaient nous permettre d’identifier les faisceaux d’indice nous conduisant à certaines auditions politiques, refusant la politique spectacle.
Non seulement cette méthode a été suivie sans aucune contestation, mais elle a été saluée par le Bureau. Ainsi le 10 février, le relevé de conclusions validé par Mme la rapporteure établit que « les inquiétudes formulées par le rapporteur de la Commission des lois quant au périmètre de la Commission d’enquête n’ont pas été corroborées. Les auditions ont mis en exergue le caractère hybride et protéiforme des politiques d’ingérence en France ».
Au terme des travaux, Mme la rapporteure « souligne que la commission d’enquête a apporté tout au long de ses travaux la preuve de sa capacité à mener des auditions avec sérieux et responsabilité »[1]
Un tel revirement entre les travaux de la Commission et le rapport final de Mme la Rapporteure est injustifié et injustifiable.
Mieux encore, aucun des experts ou des institutionnels que nous avons auditionnés n’a contesté la pertinence de notre commission ni l’amplitude choisie… Deux exemples d’autorité :
Le Procureur auprès du Parquet National Financier a indiqué que « Notre Commission d’Enquête a retenu à juste titre un périmètre large, puisque le champ de vos investigations recouvre non seulement les interventions réalisées par des États, des organisations étatiques mais aussi des entreprises. »
Le directeur de la DGSI souligne que « notre démarche va dans le bon sens. »
Même une citation ayant bien moins d’autorité dédit cette mauvaise foi… Ainsi Mme Nathalie Loiseau affirmant « Je me réjouis que l’AN se penche sur ce sujet si important des ingérences étrangères. D’après le titre de votre Commission, vous avez choisi d’aborder la question sous l’angle de la corruption des élites et vous raison. »
De la même manière, la Rapporteure prétend discréditer le pouvoir de notre commission en indiquant que le secret de l’enquête, de l’instruction et du secret défense nous auraient été opposés à de nombreuses reprises.
Ce n’est pas exact, ces oppositions ont été marginales et de fait, Constance Le Grip ne les quantifie pas. La Rapporteure prétend que des enquêtes judiciaires en cours nous ont empêchés « d’entrer dans le détail. » D’une part ce n’est pas la mission de la Commission d’enquête d’entrer dans le détail d’affaires judiciaires mais surtout, aucune enquête ne concerne à ce jour un fait d’ingérence sur des responsables politiques ou des dirigeants de premier plan, ce qui en dit long sur la pertinence de ces accusations.
Par ailleurs, la résolution du RN prévoyait évidemment la séparation des pouvoirs contrairement à ce qu’omet d’indiquer la rapporteure « Au cours des différents travaux, la Commission pourra être amenée à connaitre de graves manquements, délits voire crimes qui devront immédiatement être confiés à la Justice ».
À ce titre, je me réserve la possibilité de faire plusieurs signalements à Madame la Procureure de Paris.
L’hypocrisie macroniste sur la trop grande étendue de notre Commission ou ses limites institutionnelles est à son summum quand on sait que Renaissance en général et Constance Le Grip en particulier soutiennent les Commissions spéciales du Parlement européen INGE 1 et 2 qui couvrent les sujets suivants : ingérences concernant les élections et nos démocraties, le numérique, les réseaux sociaux et la cybercriminalité, le financement des partis politiques, l’information des citoyens, le contrôle des technologies, les approvisionnements économiques et des infrastructures…
Il s’agit donc des mêmes domaines d’investigation que la Commission proposée par le RN !
Pourtant, une Commission Spéciale du Parlement européen dispose de moins de moyens qu’une Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale. Le Parlement européen ne peut contraindre aucune personne à venir à une audition et les propos ne sont pas sous serment ; le rapporteur ne peut faire de contrôle sur place et sur pièce dans les administrations nationales.
Si Pieyre-Alexandre Anglade, président de la Commission des Affaires européennes et rapporteur de la Commission des lois estimait « irrecevable » la résolution du RN car elle couvrait trop de sujets avec trop peu de pouvoirs, pourquoi le même Pieyre-Alexandre Anglade a-t-il reçu en grande pompe Raphaël Glucksmann, président de la commission spéciale du Parlement européen INGE 1, pour « une table ronde sur les ingérences étrangères, et plus particulièrement russes, dans les processus démocratiques de l’Union européenne » ?
En réalité, on peut s’interroger sur la volonté de Renaissance de concentrer les travaux du Parlement français sur les ingérences au sein de la Délégation Parlementaire pour le Renseignement (DPR), ce que nous avons appris ensuite par la rapporteure Constance Le Grip, membre également de la DPR.
Ainsi, depuis le 28 juillet 2022, le président de la DPR, Sacha Houlié, qui est aussi président de la Commission des lois qui estimait « irrecevable » notre résolution sur les ingérences, a décidé de faire le rapport annuel de la DPR sur les ingérences !
Certes, la DPR est habilitée au secret défense, contrairement à notre Commission d’enquête, mais n’a pas les autres pouvoirs dont nous disposons. Pire, les travaux de la DPR ne sont pas publics et Sacha Houlié décidera seul de ce qu’il veut révéler ou non.
En effet, la publicité des auditions les plus sensibles a toujours posé problème aux macronistes. S’il est parfaitement normal de protéger nos services de renseignement et certaines institutions par des huis clos, les Français doivent être tenus informés au maximum des débats par des comptes rendus autonomes du rapport final, surtout quand il est mensonger.
Or, dans le relevé officiel des conclusions du Bureau du 4 avril 2023, il est indiqué : « Mme la Rapporteure regrette que les comptes rendus des auditions à huis clos soient immédiatement et intégralement publiés après avoir été validés par les personnes auditionnées. Le Bureau décide que les comptes rendus des auditions à huis clos seront, à l’avenir, mis en ligne après autorisation du président et de la rapporteure. » La seule audition à huis clos après le 4 avril fut le lobbyiste Jean-Pierre Duthion.
Autrement dit, si j’avais demandé en tant que Président, son avis à la rapporteure au début de nos travaux, les comptes rendus auraient été publiés après son visa, et possible modification, de Constance Le Grip.
Il aurait été bien plus facile pour Renaissance de raconter n’importe quoi dans son rapport sans que les comptes rendus du directeur de la Direction Générale des Services Intérieurs (DGSI), du directeur de Tracfin, du directeur de la Direction des Services de Renseignement Extérieur (DGSE), du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), du directeur de l’Agence nationale de sécurité des services informatiques (ANSSI), du chef du service vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), du chef de service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE) ne soient publics.
E) Les Macronistes ont considérablement limité les travaux et auditions de la Commission d’enquête.
À titre liminaire, rappelons que je ne me suis opposé à aucune demande d’audition de personnalités liées ou de près ou de loin au Rassemblement National, auditions lors desquelles je me suis déporté volontairement en faveur de Laurent Esquennet-Goxes.
Nous avons reçu des experts qui assument frontalement leur opposition au RN, comme la professeure Cécile Vaissié. Lors d’un débat récent sur LCP, celle-ci a assuré avoir été parfaitement libre de s’exprimer.
- Jean-Philippe Tanguy : « Je n’ai jamais tenté dans cette présidence, avec 5 mois de travail, de minimiser les ingérences russes. Quand on a reçu Mme Vaissié, je ne pense pas madame l’avoir fait, dites-moi ? »
- Cécile Vaissié : « Tout à fait ».
- J.P Tanguy : Avez-vous été mal reçue, vous a-t-on mal parlé ?
- C. Vaissié : « Absolument pas ».
Laurent Foucher, dont l’audition a été demandée par le député LFI Saintoul, n’a pas été retrouvé par l’administration. En revanche, j’ai personnellement retrouvé le contact téléphonique de Jean-Luc Schauffhauser, que l’administration ne trouvait pas. J’ai appelé cet ancien député européen devant les administrateurs et Mme Le Grip dans la Salle Lamartine afin de nous assurer de sa présence.
La seule audition à laquelle nous n’avons pas donné suite est celle de la banque hongroise ayant assuré le prêt de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2022 pour une raison simple : les responsables étrangers ne sont pas tenus au serment. Cette décision a été prise à l’unanimité du Bureau.
Hélas, on ne peut pas dire que la coopération ait été la même du côté macroniste.
Ainsi, les auditions de Jean-Pierre Raffarin et Jean-Marie Le Guen, tous deux liés à la Chine, ont été refusées, tout comme celle de Jean-Louis Borloo ou de Dominique de Villepin ainsi que Gérard Araud.
L’audition de la Société des Rédacteurs des journalistes du magazine Marianne, qui avait pourtant dénoncé une ingérence de son actionnaire étranger, Daniel Kretinsky, lors de l’entre-deux tours de la Présidentielle en faveur d’Emmanuel Macron et contre Marine Le Pen, n’a pas été jugée pertinente par la rapporteure alors qu’elle s’imposait d’elle-même.
De la même manière, on m’a refusé l’étude de certaines zones géographiques en particulier les pays du Golfe et le Qatar ce qui, en plein QatarGate du Parlement européen, ne manque pas de sel !
Mme la rapporteure prétend que c’est la Commission qui, de manière consensuelle, aurait concentré ses travaux sur la seule Russie et Chine. Ce n’est pas exact.
J’ai demandé dès le début de nos travaux à travailler sur les pays du Golfe et le Maghreb, en particulier le Maroc.
Ainsi, les auditions de MM. Chesnot et Malbrunot, journalistes spécialistes des ingérences des pays du Golfe, ont été systématiquement refusées jusqu’à la fin. Constance le Grip prétend dans son rapport que c’est « faute de temps » (page 56). C’est un mensonge.
Alors que j’ai demandé l’audition de M. Bové dès le 1er bureau, je ne l’ai obtenu que lors… de la dernière audition publique avant Marine Le Pen ! Il était dès lors impossible de travailler sur les ingérences marocaines malgré le témoignage très clair de M. Bové.
Les déclarations de François Fillon sur les consignes de vote que les autorités civiles de pays étrangers musulmans donneraient à leur diaspora en France étaient particulièrement inquiétantes. Pourtant, seul le RN a relancé le Premier Ministre sur ces questions qui n’ont donné lieu à aucune audition complémentaire.
Plus grave encore, Constance Le Grip justifie son choix de considérer que les ingérences américaines se trouvent « à la lisière de nos travaux » par les auditions de la Commission.
C’est encore un mensonge ! Le Procureur auprès du Parquet National Financier a réalisé l’essentiel de son exposé préliminaire sur les ingérences économiques américaines. François Fillon a certifié sous serment que les seules ingérences étrangères qu’il avait constatées à Matignon étaient américaines. Sous serment encore, Arnaud Montebourg a considéré que Frédéric Pierrucci, cadre dirigeant d’Alstom, avait été retenu de manière illégitime et illégale comme un quasi-otage pour faire pression sur la direction d’Alstom afin qu’ils cèdent cette entreprise stratégique à un concurrent américain. Enfin, Michel Sapin, ancien ministre, a indiqué qu’un responsable du Ministère américain de la Justice prétendait « faire le travail à sa place » en France contre la corruption puis, une fois les modifications législatives faites en France selon les critères américains, le même responsable lui aurait répondu « maintenant, tu fais le travail toi-même ».
À titre d’ultime exemple de manipulation de Constance Le Grip, les écoutes illégales des plus hauts dirigeants français par les services de renseignement américain, la NSA, certifiées par François Fillon, ont tout simplement disparu du rapport !
Ainsi, il est faux et scandaleux que le Rapport adopté par 11 commissaires prétende que l’ingérence américaine ait été limitée par les auditions et nos travaux à la seule question du « lawfare ». Le choix de la rapporteure de fausser, de minimiser et de tronquer nos travaux sur les États-Unis est parfaitement intolérable et doit être dénoncé comme tel.
Si les ingérences d’une puissance alliée et démocratique sont par nature différentes d’une ingérence d’une tyrannie hostile comme la Russie ou la Chine, elles n’en sont pas moins graves puisqu’elles visent à fausser le jugement de nos concitoyens, influencer nos lois ou tirer profit de notre économie.
F) Un rapport aussi obsédé par le RN et Marine Le Pen qu’il est amnésique et laxiste avec les amis politiques de Constance Le Grip.
Alors que le rapport est censé s’intéresser à toutes les formes d’ingérences pour tous les acteurs politiques, institutionnels, médiatiques ou économiques, Constance le Grip parvient à consacrer au RN 25 pages au moins de son rapport, soit plus de 10 %, bien plus si on enlève les passages « techniques ».
Le nom de Marine Le Pen est cité 77 fois dans le rapport de Constance Le Grip, mais avec seulement 8 verbatims de son audition !
À titre de comparaison, François Fillon est cité 15 fois, M. Chevènement 5 fois, M. Raffarin, 2 fois, M. Le Guen 1 fois tout comme M. Sarkozy, 1 fois ([2]) ! Rappelons que Nicolas Sarkozy a une procédure judiciaire pour financement illégal de sa campagne avec des fonds libyens issus du régime de Kadhafi. Il est par ailleurs réputé et reconnu pour ses conférences payées plusieurs dizaines de milliers d’euros, dans les pays du Golfe mais aussi en Russie, par des proches du régime poutinien.
Quelle étrange coïncidence que Mme Le Grip parle si peu de son ancien mentor Nicolas Sarkozy pour lequel elle a longtemps travaillé et envers qui elle renouvelait par un tweet du 17 mai 2023 son « affection et sa fidélité ». Dont acte, pour reprendre une formule appréciée par la rapporteure en audition.
Tout le monde n’a visiblement pas le même traitement auprès de Mme Le Grip. Ainsi, rappelons les conditions exorbitantes du droit commun et de la pratique des auditions des Commissions d’enquête parlementaire. Alors que Mme Le Grip et la minorité présidentielle n’avaient jamais demandé à auditionner Marine Le Pen et que les auditions étaient officiellement closes le 4 mai, Constance Le Grip a demandé leur réouverture le mardi 9 mai, pour recevoir Marine Le Pen le 24 mai soit 24 heures seulement avant le rendu du rapport.
Comment Mme Le Grip a-t-elle pu sérieusement traiter et intégrer l’audition de la personne qu’elle cite le plus, une audition par ailleurs longue de 4 heures, dans un rapport de 210 pages, audition qui par définition n’avait pas encore de compte rendu validé ? C’est évidemment impossible.
Selon le rapport de Mme Le Grip, l’ensemble des personnalités soutenant le macronisme et soupçonnées de liens troubles sont toutes exonérées et regardées avec bienveillance quand tous les élus du Rassemblement National seraient coupables d’être tout ou partie d’un système « courroie de transmission » de la Russie en France.
Ainsi, les élus UMP, l’ancienne famille politique de Constance Le Grip, sont rarement désignés clairement. Pour exemple, Nicolas Dhuicq, cité une fois mais dont l’identité est cachée quand il parle, page 74, de « très riche lobby gay » soutenant Emmanuel Macron. Il est vrai qu’à cette époque, il soutient François Fillon avec Constance Le Grip.
Page 90, la rapporteure « oublie » de rappeler que la résolution du 28 avril 2016 adoptée par l’Assemblée Nationale contre les sanctions envers la Russie suite à l’invasion de la Crimée est déposée et soutenue par l’ensemble du groupe LR, des élus chevènementistes, socialistes et centristes. Pourquoi passer sous silence un tel évènement politique ? Sans doute parce qu’à l’époque, Constance Le Grip est elle-même à l’UMP.
De la même façon, les personnalités les plus outrageusement liées à la Russie dans le rapport de Mme Le Grip n’apparaissent jamais pour leurs liens d’origine avec l’UMP, comme l’ancien militaire Xavier Moreau, qui me qualifie régulièrement de « Fouquier-Tanguy » ou Charles d’Anjou, fondateur d’Omerta.
À ce titre, il est particulièrement étonnant que la rapporteure refuse de rappeler qu’en 2017, les autorités russes, représentées par M. Orlov en France, prennent position en faveur non pas de Marine Le Pen mais de François Fillon puis d’Emmanuel Macron.
Ainsi lors de son audition, Marine Le Pen rappelle les faits suivants :
« Un certain nombre de nos collègues pensent que j’étais la candidate préférée de la Russie, mais les propos de l’ambassadeur Orlov montrent bien que son pays soutenait un autre candidat. Cela ne me choque pas. De nombreux dirigeants ont déclaré qu’il fallait voter pour Emmanuel Macron, ce que je considère comme une ingérence. Je n’en tiens toutefois pas rigueur à M. Macron, car il n’en est pas responsable.
Je vous rappelle les propos de l’ancien ambassadeur russe, M. Orlov : leur préférence allait à François Fillon, pour qui ils avaient beaucoup d’admiration. Ils avaient par ailleurs une tolérance pour Emmanuel Macron et une indulgence pour ma candidature : je me considère donc en bas de l’échelle. Je ne pense pas qu’il s’agissait là de son avis personnel car il est assez rare qu’un ambassadeur parle en son nom propre – à l’exception peut-être de M. Ripert… »
Comment peut-on d’autorité écarter, en tant que rapporteure de la République, de telles informations ?
Page 37, quand la rapporteure fait la liste des personnalités européennes « achetées » par le régime russe, elle désigne Gerhardt Schröder nommément tandis que François Fillon est devenu un simple « ancien Premier Ministre français » et Maurice Leroy, un « ancien ministre français ». Ni leur nom, ni leur étiquette politique passée, ni leur soutien à Emmanuel Macron n’est mentionné.
Or, Constance Le Grip n’a pas plus de preuves de la culpabilité de ses adversaires politiques qu’elle n’en a de l’innocence de ses amis.
Les conclusions du rapport s’apparentent purement et simplement à un procès politique pitoyable qui exonère de toute responsabilité tous les macronistes auditionnés ou non par la Commission, soupçonnés d’ingérences étrangères :
– Pour Buon Tan, ancien député macroniste de Paris soupçonné d’être sous influence chinoise, la rapporteure prétend que : « sa participation à des rencontres directement connectées à Pékin est apparue un peu vague aux yeux de la commission d’enquête (sic) mais plus à mettre au registre du rôle d’intermédiaire qu’au registre économique ou idéologique. » Rien ne permet une telle conclusion ! La rapporteure consacre seulement une demi-page à son cas.
– Le recrutement par la société chinoise Huawei, dont le statut stratégique pour le régime chinois n’est plus à démontrer est expédié en un paragraphe de 7 lignes indiquant les noms de Jean-Marie Le Guen, ancien PS macroniste et Jean-Louis Borloo, ancien centriste macroniste, sans que jamais ces étiquettes politiques ne soient indiquées !
– Jean-Pierre Raffarin, ancien ministre UMP et soutien d’Emmanuel Macron (ce n’est évidemment toujours pas indiqué), est qualifié de « Français Panda » qui aurait reçu la plus haute distinction du régime pékinois pour avoir « œuvré aux bonnes relations entre la France et la Chine ». Pour Constance le Grip, M. Raffarin aurait simplement « oublié le régime politique imposé aux Chinois. »
– M. Maurice Leroy semble obtenir moins d’indulgence de la part de Constance Le Grip. Néanmoins, si la rapporteure rappelle le lien avec François Fillon de l’ancien Ministre de la Ville, elle oublie totalement de rappeler qu’il a soutenu Emmanuel Macron à deux reprises.
– Jean-Pierre Chevènement n’est pas identifié comme un soutien d’Emmanuel Macron. Il n’est pas non plus indiqué qu’il existe un accord législatif entre Renaissance et M. Chevènement qui a conduit à l’élection d’une députée chevènementiste dans l’hémicycle.
Selon Constance Le Grip, le fait que M. Chevènement ait reçu en 2017 la plus haute distinction russe pour un étranger n’est pas si grave car il a reconnu lors de son audition « que le contexte est totalement différent. »
Passer à la question puis à la pénitence publique, nous sommes plus proches de l’Inquisition que d’une commission d’enquête parlementaire. Mme Le Grip est-elle sûre que M. Chevènement n’est déjà pas relapse ?
G) Le rapport de Constance Le Grip efface totalement 20 ans d’aggravation de la dépendance économique de la France envers la Russie au profit d’une mystérieuse « courroie de transmission » du RN ne reposant sur rien.
À lire le rapport de Constance Le Grip, l’ensemble des gouvernements qui se sont succédé à la tête de la France ont été dans une opposition frontale à Vladimir Poutine. Seul le Rassemblement National serait coupable non pas de compromission, puisque la rapporteure reconnait ne pas avoir le début de preuve, mais « d’alignement idéologique ».
Un tel parti pris, sinon un aveuglement, est en infraction totale avec nos auditions et la rigueur d’une commission d’enquête parlementaire.
Dans leur audition, Jean-Pierre Chevènement et François Fillon ont décrit par le menu l’intensification des relations économiques entre la France et la Russie ou plutôt, l’aggravation de la dépendance énergétique de la France vers la Russie, à l’image de toute l’Europe mais aussi pour des biens aussi vitaux que les isotopes permettant la médecine nucléaire.
Seul exemple parmi d’autres, Engie a été autorisé par l’État français, aussi bien sous Nicolas Sarkozy, que François Hollande puis Emmanuel Macron, à investir dans les deux gazoducs North Stream 1 et 2, ayant pour objectif de relier directement l’Allemagne à la Russie en contournant l’Ukraine et tous nos alliés d’Europe de l’Est.
M. Chevènement a été nommé représentant spécial de la France en Russie par François Hollande puis prolongé par Emmanuel Macron pendant dix ans. Il fait état d’un stock d’investissements français en Russie de plus de 18 milliards d’euros, y compris des contrats mirifiques pour Total, Renault, Auchan, la Société Générale. La France serait devenue le 1er ou 2ème employeur étranger en Russie.
Mme Le Grip accuse Mme Le Pen d’avoir voulu que la France honore sa signature de vente des navires Mistral à la Russie mais ces navires avaient été vendus par Nicolas Sarkozy pour lequel travaillait… Constance Le Grip ! Jamais Nicolas Sarkozy n’a soutenu avant ou après l’annulation de ces ventes.
La liste des compromissions des gouvernements successifs avec le régime russe est interminable. Les conséquences réelles de ces liens pour l’économie et la souveraineté française sont sans commune mesure avec les contacts souvent superficiels, parfois personnels, qui n’ont pas la moindre conséquence politique ou stratégique pour le destin de la France et de l’Europe.
Inversement, quelles sont donc les preuves de cette fameuse « courroie de transmission » dont parle tant la presse suite aux fuites organisées du rapport Le Grip ?
À partir de la page 95, afin de prouver la « singularité » du Rassemblement national avec la Russie, Constance Le Grip n’a d’autre citation que… Nathalie Loiseau, députée européenne macroniste, ennemie de Marine Le Pen.
C’est en effet Nathalie Loiseau, et non une experte ou une représentante d’institution indépendante qui qualifie le parti d’opposition de « canal privilégié. »
Page 96, la deuxième source de Mme Le Grip est… Raphaël Glucksmann, député européen proche des socialistes, atlantiste revendiqué (ce n’est pas une insulte pour l’auteur de ces lignes mais une conviction aussi respectable que d’autres) et donc un adversaire frontal du Rassemblement National.
La 3ème source de Mme Le Grip, Nicolas Tenzer, a appelé à de nombreuses reprises à voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Par ailleurs, il n’a pas apporté d’autre preuve que ses allégations personnelles au fait que M. Mariani fasse partie d’une « internationale » en faveur de la Russie.
La suite du propos de Mme Le Grip ne repose sur rien d’autre qu’un procès politique des positions internationales du Rassemblement National, estimant de sa seule autorité de député macroniste, ex-UDF et ex-UMP et ex-sarkozyste et ex-filloniste, que Marine Le Pen n’était pas alignée sur ses propres positions.
Pire encore, Mme Le Grip ment. Ainsi elle indique « qu’à chaque « crise géopolitique », le FN puis le RN ont assuré Vladimir Poutine de leur soutien. » C’est totalement faux. Ainsi Marine Le Pen a condamné l’invasion militaire de l’Ukraine mais aussi l’ensemble des actions russes hostiles à la France ou à nos alliés, notamment en Afrique. Marine Le Pen soutient aussi l’ensemble des sanctions économiques et financières efficient contre la Russie, en dehors des sanctions énergétiques et sur les matières premières qui sont totalement inefficaces car contournées facilement, analyse confirmée en tout point depuis plus d’un an.
Constance Le Grip nuance ses positions ensuite sur la guerre en Ukraine, rentrant toute seule en contradiction avec elle-même en seulement une page !
Page 100, Constance Le Grip se livre à un exercice stupéfiant, déclarant qu’il est « intéressant et honnête » (terrible aveu pour le reste du rapport) de signaler que Jordan Bardella s’est lancé dans une opération de réhabilitation du RN ». Néanmoins, l’Inquisitrice Le Grip est de retour au paragraphe suivant, estimant que le choix de Jordan Bardella est cousu de fil blanc comme le montre… Nathalie Loiseau !
Enfin, le dernier espoir de Constance Le Grip pour convaincre le lecteur est le projet d’un certain M. Malofeïev qui aurait voulu intégrer le FN puis le RN dans une « alliance appelée AltIntern partageant une même vision d’une Europe conservatrice, chrétienne. »
Une telle alliance n’a strictement aucun sens pour Marine Le Pen et le Rassemblement National, la ligne politique étant affirmée autour de la revendication d’une totale laïcité et le refus du conservatisme sociétal. L’ensemble des personnes auditionnées, en particulier Marine le Pen, Philippe Olivier et Thierry Mariani ont certifié n’avoir jamais voulu une telle alliance et n’en avoir à peine ou pas connaissance. Ainsi lors de l’audition de Mme Le Pen :
« M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’aimerais vous poser une dernière question, que j’ai posée à plusieurs des personnes que nous avons auditionnées ; elle concerne l’internationale religieuse que M. Konstantin Malofeïev se proposait de créer. Ce qui me surprend, c’est que l’on vous ait soupçonnée de le soutenir, compte tenu de la ligne politique que vous avez adoptée pour le Front national, puis le Rassemblement national. En effet, vous êtes l’une des personnalités qui ont remis le concept de laïcité au cœur du débat public.
Vous avez déjà dit ne pas avoir eu connaissance du projet de M. Malofeïev. Sa dimension culturelle et religieuse correspond-elle à la ligne politique que vous incarnez ?
Mme Marine Le Pen. Évidemment non. J’ai effectivement contribué à remettre la laïcité au cœur du débat politique, au moment où elle n’y était plus. Les considérations religieuses n’ont aucune place dans le combat politique que je mène, pour une raison simple : je veux être la présidente de tous les Français, quelle que soit leur origine ou leur religion. Le simple fait que ce projet ait une connotation religieuse – vous me l’apprenez car je n’en connaissais pas les détails – exclut que la France, qui est laïque, puisse y participer. »
L’alliance AltIntern pourrait sans doute intéresser Constance Le Grip, elle qui avait signé un projet de loi faisant un lien entre homosexualité et pédo-criminalité.
Évidemment, ce genre de rapprochement ridicule pourrait mener à des reproches sans fin… c’est le propre des procès politiques de déclencher une vendetta qui n’a rien à voir avec le travail d’une Commission d’enquête parlementaire et la neutralité attendue de la part d’une rapporteure.
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Au terme des 20 pages de Mme Le Grip contre le RN et Marine Le Pen, elle ne produit aucune preuve ou témoignage d’expert indépendant venant démontrer que nous serions en présence d’une « courroie de transmission ».
Faire le procès politique de positions en diplomatie, de votes au parlement européen ou de voyages qui déplaisent à Mme Le Grip ne constitue en rien la preuve d’une collusion ou d’un alignement sur un régime étranger, comme le prouvent d’ailleurs les positions du RN contre la Russie sur un nombre considérable de sujets.
Pire encore, Constance Le Grip ne tire aucune conséquence des propos du directeur de la DGSI, affirmés pourtant à trois reprises lors de son audition, qui insiste sur le fait qu’aucun parti politique n’est entre les mains d’une puissance étrangère.
« Tout d’abord, je n’ai connaissance d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique telle qu’il ne serait que le relais d’un État étranger. »
« Je ne considère qu’aujourd’hui qu’aucun d’entre eux (partis politiques) n’est à la main d’une puissance étrangère. »
Par ailleurs, la DGSI confirme que si elle avait à connaitre d’une situation illégale, elle transmettrait le signalement aux autorités compétentes. Or aucun élu du RN n’est concerné par ce type de procédure.
« Enfin, il a pu arriver très ponctuellement que la DGSI mette au jour ou soupçonne des relations d’un autre type entre un élu ou ancien élu local ou national avec une puissance étrangère, et signale aux autorités compétentes l’infraction soupçonnée – en l’espèce, un financement –, dont le suivi ne relève pas de sa mission. »
H) La non-quantification des ingérences étrangères fait prendre le risque d’un hors-sujet et d’une grande confusion.
On l’a vu, la rapporteure enfonce soit des portes ouvertes, soit des portes imaginaires mais laisse soigneusement des portes bien fermées à double tour.
À force d’imaginer des ingérences russes partout au Rassemblement National qui n’existent pas, d’exonérer ses amis de toute responsabilité dans les ingérences étrangères que subit la France depuis 30 ans et de sortir les États-Unis du sujet, Constance Le Grip passe à côté de l’essentiel : quel est l’état réel des menaces d’ingérences étrangères en France ?
Le refus de la rapporteure d’analyse froidement chaque phénomène en France pour déterminer ce qui doit inquiéter l’opinion publique et la représentation nationale et ce qui, au contraire, semble plutôt surestimé ou bien géré par nos services de sécurité.
Une Commission d’enquête n’est pas vouée au catastrophisme ! Si l’État parvient à protéger notre démocratie, il faut l’encourager dans ce sens.
Cela entraine une grande confusion, où tout se mélange sans traiter spécifiquement de la France. Ainsi, Constance Le Grip peine à identifier beaucoup de phénomènes ciblant précisément la France et multiplie les exemples d’ingérences dans les autres pays occidentaux. Or, contrairement à ce que dit Nathalie Loiseau en reprenant l’image du nuage de Tchernobyl, s’il faut être vigilant sur toutes les formes d’ingérence, le système français est tout à fait capable de mieux protéger que d’autres.
Ainsi notre démocratie a su replacer l’argent des campagnes électorales à un niveau très raisonnable, protégeant notre république du règne de l’argent roi et, ce faisant, de la plupart des ingérences.
De la même manière, notre système médiatique est résiliant, peu exposé aux propagations de fausses nouvelles et de journalisme en dehors de toute réalité rationnelle.
Ainsi en 2017, l’opération malfaisante russe des Macron Leaks n’a eu aucune influence sur le processus électoral. En 2022, l’organisme Viginum n’a identifié que 60 phénomènes préoccupants, 12 seulement suffisamment graves pour être investigués et 5 transmis au Conseil constitutionnel. Au final, aucune action de propagande d’une puissance étrangère n’a joué un rôle dans nos élections.
En 2017, l’information mensongère du compte de M. Macron aux Bahamas aurait été partagée par 7000 comptes twitter. Si 47 000 tweets ont été identifiés en lien avec les Macron Leaks, on peut aisément considérer que cela n’a aucune influence sur les 45 millions d’électeurs français.
Par ailleurs, il faut être bien piètre stratège pour prétendre que la sortie des Macron Leaks juste avant la fin de la campagne officielle aurait été un problème. Au contraire, la fin de la campagne officielle protégeait Emmanuel Macron de toute reprise sur les grands médias et toute polémique électorale entre les candidats et/ou leurs soutiens.
La difficulté de la rapporteure à précisément quantifier les phénomènes entraine une confusion régulière entre les menaces subies par la France et les autres pays occidentaux et conduit à une certaine relativisation de la menace chinoise au profit des menaces russes.
Certes, la Russie est particulièrement active et offensive, mais elle reste une puissance déclinante. Le régime autoritaire russe n’exerce pas le même régime totalitaire et un degré de contrôle aussi systématique que la dictature chinoise.
En effet, ces puissances autoritaires sont des « acteurs majeurs d’influence et d’ingérence »[3] et fournissent une politique « la plus aboutie en matière de renseignement »[4]. Ils utilisent la désinformation pour exacerber les fractures de la société. Néanmoins, M. Florian Colas souligne que la Chine « est le seul pays au monde dont la stratégie exportatrice est à ce point intégratrice » (ndrl : de la chaîne logistique) ou encore impliquée dans plus de « 70 à 80 % des cas notables, voire graves » d’ingérences universitaires, académiques, et de la recherche[5].
La Chine semble donc concilier à la fois l’ingérence politique, la désinformation, le débauchage de personnalités avérées et l’ingérence économique manifeste, en particulier l’espionnage et le pillage.
Ainsi la rapporteure semble sous-estimer le rôle de la Chine et de ses relais dans le changement de couverture médiatique d’un certain nombre de débats. La question du peuple tibétain a quasiment disparu des débats démocratiques en France, en Europe et aux États-Unis, tout comme la question de Hong Kong.
Ce pouvoir de la Chine pour changer visiblement certains débats démocratiques que son poids réel dans l’économie française, comme le montre le chercheur Antoine Bondaz, est très limité en termes de création réelle d’emplois et d’investissement, loin derrière la Suisse par exemple.
I) Une horizontalité des sources, sans hiérarchisation ni respect des propos tenus sous serment qui multiplient les partis pris et impasses.
Si l’ensemble des témoignages ont pu éclairer la commission afin de mieux se saisir de cet enjeu et d’apporter des solutions pour lutter contre les ingérences étrangères, il n’est pas pertinent de les mettre sur le même plan, celles-ci n’ayant pas les mêmes valeurs et portées.
Mme la rapporteure met au même niveau les auditions des experts, des institutions et des personnalités politiques partisanes, comme nous l’avons déjà vu avec les citations quasi exclusives de Nathalie Loiseau et de Raphaël Glucksmann pour incriminer le RN.
Ce parti pris dénature le travail formidable de nos institutions, qui ne sont quasiment pas mentionnées (AFA, Tracfin, CNCCFP, etc.), voire pas du tout (OCDE).
La conséquence de ces choix de faire un procès politique conduit la rapporteure à dénaturer l’intérêt central de nombre d’auditions, en particulier les responsables en charge de la lutte contre la corruption. Le directeur de l’Agence Française Anticorruption n’est cité qu’une fois, tout comme l’une des responsables de l’OCDE en charge de fixer les pratiques et d’évaluer les pays membres quant à leur efficacité pour lutter contre ce fléau. Le deuxième responsable de l’OCDE n’est même pas cité une seule fois !
Cette partialité confine au mépris et à la mise en cause personnelle gratuite pour différentes personnalités comme M. Mariani. Il semble que la prestation sous serment de M. Mariani, comme M. Olivier ou Mme Le Pen n’intéresse pas Mme Le Grip qui considère visiblement le serment comme nul et non avenu.
Le rapport semble conférer une valeur supérieure aux différents reportages télévisés et journalistiques au détriment des auditionnés sous serment. Le moindre ragot mis dans un article devient parole d’évangile.
Par exemple, le fait que M. Mariani est certifié sous serment n’avoir jamais gagné un centime d’argent lié de près ou de loin à des intérêts russes n’est pas pris en compte. Le fait que M. Mariani ne soit même pas au courant de la procédure judiciaire qui le vise non plus, pas davantage que le fait que la procédure concernant le dialogue franco-russe ne soit visiblement pas de sa responsabilité.
M. Mariani a mis à la disposition l’ensemble des budgets de cette association qui, rappelons-le, a été fondé par Jacques Chirac, pas par Marine Le Pen. À ce titre, d’après les budgets déclarés, le dialogue franco-russe était bien plus puissant sous l’UMP que depuis que Thierry Mariani est au RN, du fait des sanctions contre la Russie. Autrement dit, Constance Le Grip n’avait rien à dire quand elle était à l’UMP avec un dialogue franco-russe brassant plusieurs centaines de milliers d’euros mais trouve désormais scandaleux une association qui peine à payer son loyer et à rémunérer une employée à 2 000 euros de salaires mensuels.
Ainsi, Mme Le Grip se permet des propos sans raison, page 85, établissant que la perquisition des locaux maintiendrait « une certaine opacité ». Pourquoi ? Comment ? On n’en saura rien !
Enfin, alors que la propagande russe et les déclarations des oligarques poutiniens sont prises avec une grande prudence quand il s’agit de parler de la quasi-totalité des sujets, Mme Le Grip prend ces mêmes propos au premier degré, sans aucune distance, s’ils concernent Marine Le Pen ou le RN.
Pourquoi Mme Le Grip refuse-t-elle ne serait-ce qu’envisager à un seul moment que la propagande russe puisse aussi inventer avec le RN un « narratif » favorable à la Russie qui n’existe pas ? Mystère.
De plus, le projet de rapport prend parti, ne serait-ce quand ne condamnant pas l’ensemble des piratages informatiques (MacronLeaks contre les boîtes emails de M. Jean-Luc Schauffhauser et les SMS de M. Philippe Olivier), en évoquant la propagande russe lorsqu’il s’agit du Rassemblement national et d’influence russe pour Renaissance et les Républicains.
Enfin, concernant le prêt russe et son rééchelonnement, Constance Le Grip se livre à une remise en cause scandaleuse de l’autorité de la CNCCFP pour des basses raisons politiciennes. Non le rééchelonnement n’est pas un avantage pour le RN, qui doit de facto, payer plusieurs années d’intérêt en plus avec un taux de 6 % !
Page 112, Constance le Grip donne d’ailleurs un rôle à Jean-Luc Schauffhauser qu’il ne peut avoir entre 2019 et 2020, ayant quitté depuis des mois le RN. Encore une contre-vérité.
J) Des angles morts faiblement mentionnés dans le rapport
Les différentes auditions ont mis en lumière les faiblesses voire la vulnérabilité des collectivités territoriales et des Outre-Mer.
Souligné particulièrement M. Charles Duchaine, la loi de 2013 créant le PNF a « supprimé les juridictions spécialisées (…). À l’époque, il existait une attention des procureurs et des services locaux sur la matière économique et financière. Aujourd’hui, cette matière échappe à leur compétence. ». Les collectivités territoriales et leurs élus se retrouvent en situation de vulnérabilité.
L’Outre-Mer fait l’objet d’un point de préoccupation et de vigilance de la part des services, souffrant d’un lien distendu avec la métropole. La zone indopacifique fait l’objet d’une attention particulière en raison de la proximité avec la Chine.
Il est regrettable que ces points ne soient pas développés par la rapporteure.
Conclusion de la lecture critique du rapport de Constance Le Grip
Contrairement à ce qu’affirme Constance le Grip dans son rapport, les manipulations de l’information ne sont hélas l’apanage ni de la Russie ni la Chine, ni des autres régimes illibéraux, autoritaires ou des dictatures.
Tout démocrate doit sans cesse être en veille et en vigilance contre les dérives qui peuvent toucher son propre fonctionnement républicain ainsi que ses alliés. Le triste souvenir de la campagne de désinformation massive conduite par les États-Unis et le Royaume-Uni pour justifier l’invasion de l’Irak en infraction totale avec le droit international et le Conseil de Sécurité de l’ONU en est le pire exemple.
Cette campagne de désinformation ne s’était pas limitée à influencer lourdement les opinions américaine et britannique ainsi que leurs représentants mais aussi un nombre considérable d’autres nations amies, comme l’Italie ou l’Espagne.
Naturellement, la nature démocratique de ces deux régimes a permis, assez rapidement, d’établir les faits et la vérité a posteriori. Mais la catastrophe de la Seconde guerre du Golfe avait déjà eu lieu. L’absence de sanctions suite à de telles manipulations de l’opinion reste consternant 20 ans après les faits.
Cette alerte ne vise nullement à relativiser les comportements illégaux, délictueux et même criminels des régimes russe et chinois mais seulement à rappeler que désigner des adversaires anti-démocratiques ne doit jamais dispenser d’être intransigeant sur son propre état de droit.
La prolifération et l’aggravation des ingérences étrangères visant la France et l’ensemble des démocraties occidentales ne sont plus à démontrer mais il faut analyser leur nature, quantifier l’état de chaque menace et, une fois ces étapes assurées, les combattre pour les éliminer quand cela est possible.
Dénoncer les « ingérences étrangères » comme un tout, une menace à la fois pernicieuse et informe, n’est pas digne d’un débat démocratique éclairé. Pire encore, accuser sans preuve des partis politiques et leurs représentants d’être des agents d’influence de ces puissances étrangères est un poison aussi dangereux pour la république que les ingérences elles-mêmes.
Les accusations de « parti de l’étranger », de « courroie de transmission » ou autres agents d’influence sont particulièrement graves. Elles ne peuvent être jetées à la légère dans le débat public comme n’importe quel argument et même, comme n’importe quel coup bas tant elles entrainent un risque de manipulation et de paranoïa. Ce risque est d’autant plus dangereux quand cette accusation vient d’un parti au pouvoir contre la ou les forces d’opposition démocratiques.
Or, force est de constater que depuis 2014, les accusations d’ingérences étrangères contre les principaux partis d’opposition sont devenues de plus en plus systématiques de la part des partis au pouvoir, les soutiens de François Hollande puis d’Emmanuel Macron.
Ainsi, on l’a vu, les différentes forces politiques soutenant Jean-Luc Mélenchon ont été accusées d’être des agents d’influence du Venezuela, de la Chine, de Cuba puis, régulièrement de Vladimir Poutine. L’accusation d’être « poutinolâtre » a aussi touché l’UMP puis LR quand ces deux partis pouvaient constituer encore une menace jusqu’à en 2017, notamment lors de la candidature de Français. Enfin Marine Le Pen, accusée d’être la cible d’ingérence politique et/ou financier.
Ces accusations sont lourdes. Très lourdes. Et pourtant, rien ne permet de les corroborer, de près ou de loin.
La rapporteure Constance Le Grip a donc beau jeu de m’octroyer comme seule citation de son rapport que « la suspicion généralisée est un poison pour notre vie démocratique ». Encore aurait-il fallu qu’elle en tire la moindre conséquence !
La vigilance civique s’impose d’autant plus que d’autres démocraties occidentales ont été traversées par des crises politiques liées aux réalités d’ingérence étrangères, en particulier venant du régime russe, réalités qui ont pu être manipulés en véritables cabales ridiculisant l’État de droit.
La rapporteure Constance Le Grip aurait dû être attentive aux conclusions du travail rendu le 15 mai 2023 par le Procureur spécial John Durham qui a démontré que la police fédérale américaine, le FBI, avait « manqué d’objectivité » dans l’analyse faussée et infondée qu’elle a menée sur les liens supposés entre Moscou et la campagne de Donald Trump en 2016. Le FBI aurait utilisé des informations douteuses, « des renseignements bruts qui n’avaient pas été analysés ni corroborés », pour ouvrir une enquête sur des soupçons de collusion et d’ingérences, soupçons que le rapport avait déjà écartés.
Cette enquête, réalisée par un procureur nommé par Donald Trump mais dont le travail n’a pas été critiqué ou remis en cause par l’administration Biden, ne sous-estime pas la réalité des tentatives et réalités d’ingérences russes sur les élections ou l’information américaine. Le rapport ne nourrit pas non plus les accusations de manipulation de l’enquête par les démocrates et autres théories farfelues.
En faits et en raison, cette enquête prouve juste que des institutions, des acteurs politiques et des médias sérieux peuvent s’emballer, être pris par leur propre biais de confirmation qui systématiquement, imagine ou sur-rationnalise des liens qui n’existent pas, finissant par monter « à l’insu de leur plein gré » des scandales qu’ils imposent de fait à la population.
« Le FBI et le Ministère de la Justice doivent reconnaître qu’un manque de rigueur analytique, des biais de confirmation et une trop grande confiance envers des sources liées à des opposants politiques ont empêché les enquêteurs de considérer des hypothèses alternatives et d’agir avec l’objectivité appropriée ».
De la même manière, persuadés sans doute de faire partie du camp du bien ou de « l’arc de la raison », le FBI a reconnu que les conclusions du procureur spécial étaient avérées quant au régime de « deux poids deux mesures » qu’il avait appliqué à Donald Trump d’une part, et Hillary Clinton d’autre part : « La vitesse et la manière dont le FBI » a décidé d’enquêter sur Donald Trump « contraste avec l’approche adoptée précédemment dans une affaire sur une possible ingérence étrangère dans la campagne », à savoir les accusations contre Hillary Clinton.
Cette affaire n’est pas sans rappeler le scandale François Fillon, dont les affaires avaient connu un traitement record pendant la présidentielle de 2017 alors que les enquêtes ouvertes contre Emmanuel Macron par le PNF trainent depuis des années sans aucune explication particulière.
À ce titre, les informations apportées par Thierry Mariani, qui n’ont pas été contredites, indiquant qu’il avait appris qu’il était l’objet de poursuites judiciaire depuis les régionales de 2021 sans n’avoir jamais été convoqué ni par la police ni par la justice pour savoir ce qu’on lui reprochait sont consternantes. De la même manière, la perquisition à grand spectacle des bureaux du cercle franco-russe quelques semaines avant le 1er tour de la présidentielle, pour une affaire qui concerne un employé parti depuis des années, sans qu’aucune suite ne soit donnée à cette perquisition, laisse perplexe.
Aucune démocratie ne devrait laisser des femmes et des hommes politiques être mis en cause dans le débat public sans savoir ce qui leur est reproché et dans quels délais ils seront jugés. Une administration rapide de la justice, en particulier dans le domaine politico-financier, est fondamentale pour rétablir enfin la confiance et punir les malfrats comme il se doit.
En tout état de cause, ce rapport Renaissance est consternant. Il témoigne du dévoiement systématique des principes et des valeurs républicaines par la macronie, prête à tous les coups bas pour se maintenir désespérément au pouvoir.
Les Françaises et les Français jugeront sévèrement de tels comportements.
Recommandations
1) Permettre à la Délégation parlementaire au Renseignement de produire chaque année un rapport quantifié des tentatives et réalités d’ingérence en France pour éviter à la fois toute naïveté, toute impunité et toute paranoïa.
2) Interdire toute rémunération par un intérêt étranger des anciens membres de gouvernement, hauts fonctionnaires et membres des forces armées.
3) Soumettre toute vente d’entreprise stratégique à un vote du Parlement au 2/3 des voix.
4) Protéger les lanceurs d’alerte, les chercheurs, les journalistes et les artistes des « procédures bâillons ».
5) Réfléchir à un moyen pour les journalistes et les médias d’assurer la transparence dans leur relation avec le lobbying.
6) Faire de la lutte contre la corruption une mission centralisée sous la direction du Premier Ministre et garantir les moyens nécessaires.
7) Imposer aux membres du gouvernement, aux parlementaires et aux hauts fonctionnaires un serment de fidélité à la Constitution et aux intérêts du peuple français.
8) Mettre enfin en place la banque de la démocratie, avec les mêmes critères financiers pour tous les candidats et tous les partis.
9) Interdire toute adhésion, dons ou prêts d’un étranger résidant en France.
10) Autoriser la CNCCFP à saisir Tracfin et permettre à Tracfin de transmettre les informations à la CNCCFP. Réfléchir à donner à la CNCCFP accès à des moyens d’investigation.
11) Lancer un grand plan de sécurisation de nos universités et laboratoires de recherche.
12) Parvenir à un financement public et privé de la R&D de 4 % du PIB en 2030, 5 % en 2035 pour que nos fleurons n’aient pas à se financer à l’étranger.
Analyse du Président des travaux
de la Commission d’enquête
Mythe et réalité de l’ingérence : une arme politique redoutable contre la démocratie.
« Deux loups gouvernent le monde et bientôt, l’un dévorera l’autre. »
Le climat est pesant dans l’enceinte sacrée du Sénat romain… Depuis des mois, sinon des années, la tension entre Octave et Marc-Antoine déchire l’immense territoire que la République n’arrive plus à tenir dans ses seules mains. Les guerres civiles qui se sont succédé ont fini par offrir aux deux duumviri les provinces acquises depuis quatre siècles par le sang et l’art militaire.
Depuis Rome, Octave tente de saper les soutiens, nombreux et puissants que Marc Antoine entretient avec le même but depuis ses provinces orientales. De fait, le Sénat et le peuple romains s’arrangent bien de cet équilibre des ambitions qui, se neutralisant l’une et l’autre, maintiennent le peu d’institutions républicaines qui restent, prêtes à tout céder si un vainqueur devait se distinguer, et vaincre.
Au sein de la plèbe urbaine, Marc Antoine n’est pas aussi impopulaire qu’Octave qui, au jour le jour, doit assumer les évènements plus ou moins mauvais qui touchent la ville. Contrairement à l’adage en politique, loin des yeux, proche du cœur. Aussi pour ouvrir un nouvel épisode de guerre civile, ou de guerre tout court, il faut qu’Octave démontre que lui seul incarne l’intérêt de Rome quand Marc-Antoine n’est plus que l’objet des ambitions de l’étranger, et pire encore, selon les préjugés misogynes du temps, une étrangère, Cléopâtre. Les mœurs romaines ont déjà été outragées par la répudiation de l’épouse romaine de Marc Antoine, la propre sœur d’Octave, au profit de la dernière pharaon lagide d’Égypte.
La clé du temple de Janus se trouve dans le sanctuaire de Vesta, lieu le plus sacré du culte romain qui conserve notamment les testaments des plus illustres patriciens, dont celui de Marc-Antoine. Octave le vole mais il sait déjà que cet outrage ne sera rien par rapport au scandale qu’il s’apprête à révéler à la lecture des dernières volontés de son rival.
La scène a été rendue mémorable par la fresque cinématographique de Mankiewicz, Cléopâtre. On y voit Octave tentant de convaincre en vain les sénateurs favorables à Marc Antoine de sa trahison puis, hiératique depuis son siège, il jette aux pieds des partisans d’Antoine le parchemin testimonial, récitant ce qu’il contient : Antoine veut transmettre ses biens et son autorité aux enfants qu’il a avec Cléopâtre mais pire, souhaite être enterré à Alexandrie et non à Rome. Consternés par la preuve de sa collusion avec la puissance étrangère qu’est Cléopâtre, les partisans de Marc Antoine s’effondrent puis immédiatement, rejoignent les partisans d’Octave dans leur déclaration de guerre à l’Égypte.
En révélant l’infamante trahison de Rome par Marc-Antoine au profit des charmes de l’Orient, Octave unit derrière lui le peuple et les patriciens romains sur un chemin qui le mènera au principat, fondement de l’Empire.
À l’aube de l’ère commune, le destin des civilisations méditerranéennes et européennes qui irrigueront tout l’imaginaire politique et civique jusqu’à nos jours, c’est joué aux dés des rumeurs du parti de l’étrangère et des réalités de l’ingérence d’une puissance concurrente, pour ne pas dire hostile.
La trahison d’Antoine était véridique, elle fut châtiée comme telle et emporta la décision de la République de changer ses institutions...
Des oracles grecs achetés à vil prix par l’or des Perses pendant les guerres médiques aux lettres de « l’armoire de fer » des Tuileries trahissant les secrets militaires que Louis XVI offrait à la coalition anti-française, notre Histoire n’ignore rien du rôle dévastateur de la corruption et des ingérences étrangères
Mais tant d’autres rumeurs, accusations, manipulations furent et restent fausses, brisant l’unité des peuples redoutant les traites, supprimant la raison de foules prêtes à éliminer des innocents désignés à la vindicte, persuadant d’honnêtes citoyens que leur démocratie était menacée par des boucs émissaires.
Le mythe de la « 5ème colonne », arme de guerre psychologique terrible qui affaiblit un camp de l’intérieur, dévoré par l’angoisse de ne plus savoir différencier ce qui relève de la vraie trahison ou de la paranoïa toxique, n’est pas un poison à prendre à la légère.
Alors que l’illusion d’un monde sans guerre rejoint les oubliettes de l’histoire qu’elle n’aura jamais dû quitter, emportant avec elle comme première victime expiatoire les rêves d’une raison partagée par toute l’humanité, la démocratie française aurait tort de se croire à l’abri de ce poison à double usage qu’est l’ingérence étrangère.
Contrairement aux discours fumeux qui tentent jeter de la confusion dans le débat public, la notion d’ingérence étrangère est parfaitement claire. Sa définition basique dans le dictionnaire est limpide même si elle peut être précisée, enrichie et nuancée par les travaux de la Commission d’enquête.
En revanche, les multiples variations, adaptations et travestissements utilisés par les puissances qui veulent s’ingérer dans les affaires et le destin d’une alliée, concurrente ou ennemie sont pernicieuses, protéiformes et hybrides. Tel un virus qui mute sans cesse pour survivre aux défenses immunitaires qui veulent l’éteindre, l’ingérence étrangère ne recule devant aucune adaptation pour garantir sa pleine efficacité, pénètre un organisme et le détruire de l’intérieur.
Avérée, la tentative ou la réalité d’une ingérence étrangère doit être combattue par tous les moyens. Tout État doit identifier, isoler et éliminer les différentes formes d’ingérences.
Partie 1
Entre l’influence et l’ingérence, une frontière poreuse
A) L’ingérence, une influence délictueuse
L’ingérence, un phénomène ancien
Dans le dictionnaire Larousse, l’ingérence se définit comme « l’action de s’ingérer dans les affaires d’autrui »[6], c’est-à-dire « s’introduire indûment dans quelque chose, intervenir sans invitation »[7]. Cette définition, si elle peut être précisée et nuancée, correspond parfaitement à l’essentiel des problèmes que nous devons traiter.
Le droit international repose principalement sur des États souverains, égaux et indépendants. Dès lors, la notion d’ingérence se comprend dans ce cadre comme tout acte d’un ou de plusieurs États qui s’immiscent dans les affaires internes ou externes relevant de la compétence d’un autre État, violant de ce fait sa souveraineté. L’affirmation d’un principe de non-intervention, en particulier dans la Charte des Nations unies a été interprétée comme un principe équivalent de non-ingérence en droit international. Néanmoins, l’article 2 § 7 de la Charte des Nations Unies prévoit une possibilité légale d’ingérence tout en prenant soin de prévoir une limite au chapitre VII de la Charte.
Ainsi, le recours à la force et à l’atteinte au principe d’intégrité territoriale ne peut s’effectuer que sur le fondement de ce chapitre. Il définit les mécanismes de coercition dont l’usage est laissé à l’appréciation du Conseil de sécurité des Nations unies. Il constate l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Le cas échéant, il dispose d’un ensemble de moyens pour y remédier parmi lesquels il peut décider de recouvrir à l’emploi de la force. Le principe de non-ingérence « renvoie au principe fondamental d’égalité souveraine entre les États »[8]. Ce principe connaît toutefois des exceptions quand sont en jeu la sécurité internationale ou des préoccupations humanitaires.
La notion d’ingérence, prégnante « à l’époque de la guerre froide, avec notamment l’utilisation des « mesures actives » par les Soviétiques, telles que les coups d’État, les financements d’acteurs politiques et syndicaux ou de groupes armés, ainsi que des stratégiques médiatiques »[9], réapparaît dans le débat public, en raison de son intensification causée par plusieurs facteurs : la confrontation et la redistribution de la puissance, « l’hétérogénéité des valeurs, – ce que l’on appelle la désoccidentalisation du monde et l’essor de pouvoir autoritaires aux visées révisionniste sur le système international - le rôle des acteurs non étatiques et un contexte favorable à l’essor de stratégies indirectes »[10]. La compétition entre puissances se substitue à la confrontation que ce soit aux niveaux diplomatique, militaire, technologique et culturel.
Les ingérences, interference en anglais, « sont des activités hostiles, volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses, entreprises par une puissance étrangère. Mises en œuvre par une multiplicité d’acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples que connaissent bien les services de renseignement : des cyber-attaques, l’utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l’opinion, ou des opérations d’espionnage plus classiques. Elles visent à saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique »[11]. Il s’agit d’une « politique d’influence masquée qui consiste, pour un État, à mener des actions visant à rendre la politique d’un autre pays structurellement favorable à la sienne, sans que l’on sache d’où parlent les personnes et les organisations auxquelles il a recours »[12].
« L’ingérence ne se revendique pas, ne s’affiche pas et s’exerce contre un État ou ses représentants sans son accord »[13], elles sont « à la fois secrètes, coercitives et corruptrices »[14] comme le souligne l’ancien Premier ministre australien M. Malcom Turnbull. Ce fléau peut être mis en œuvre en raison d’individus qui « agissent de manière clandestine, par des moyens, techniques, ou humains que la morale réprouve »[15]. Quelques facteurs humains permettent d’anticiper pourquoi certaines personnes se rendent coupables d’intelligence avec l’ennemi : « la frustration, l’ego, l’argent »[16]. L’objectif des ingérences est de « saper nos sociétés et à porter atteinte à notre souveraineté politique et militaire, mais également économique et technologique »[17].
Popularisée par Joseph Nye, l’influence repose sur la séduction et non la coercition, « n’est pas forcément cachée »[18]. Elle est pratiquée par tous, y compris la France au travers de sa diplomatie. Elle cherche « à se doter de relais d’opinion dans les pays avec lesquels elle travaille »[19] ou encore à travers la diplomatie dite culturelle. « L’influence est (…) un outil, un moyen d’obtenir quelque chose en faveur de nos intérêts »[20]. Un des critères pouvant distinguant l’ingérence et l’influence est la réciprocité : « l’influence est tolérable et le plus souvent tolérée, tel n’est pas le cas de l’ingérence »[21]. Or, « toute influence n’est pas forcément légitime quand bien même elle respecterait le cadre légal » comme, l’illustre le principe d’extraterritorialité. En effet, si les notions d’ingérence et d’influence sont sémantiquement facilement distinguables, l’incompétence géopolitique des gouvernements a conduit la France à laisser s’implanter dans des lieux stratégiques des relais d’ingérence comme l’Institut Confucius à Brest. Il a dû quitter l’université de Bretagne occidentale, cette ville étant « stratégique qui abrite le deuxième port militaire français, des centres de recherche sous-marine parmi les meilleurs au monde et plusieurs de nos industries de défense »[22].
Les ingérences, un fléau protéiforme
« Mises en œuvre par une multiplicité d’acteurs, elles peuvent prendre des formes multiples (…) : des cyber-attaques, l’utilisation du droit comme arme, la désinformation à des fins de manipulation de l’opinion, ou des opérations d’espionnages plus classiques »[23]. La Fédération de Russie et la République Populaire de Chine représentent les États les plus actifs en matière d’ingérence avec des méthodes hybrides. Lors de son audition, le directeur des services extérieurs a d’ailleurs concentré son propos « sur deux puissances systémiques qui font preuve d’agressivité contre nous, la Russie et la Chine »[24], bien que d’autres pays se rendent coupables d’ingérence sur notre sol comme l’Iran. « Les services russes et chinois connaissent une progression constante (…) qui n’ont ni cadre légal ni opinion publique, et qui sont désinhibés »[25].
« Le champ de ces menaces s’est étendu et complexifié au cours des dernières années, (…). Parmi ces menaces, figurent celles qui sont qualifiées d’hybrides »[26] que le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale classe en quatre catégories : dans les cyber-attaques, les manipulations de l’information, les atteintes au patrimoine scientifique et technique, le lawfare.
Une cyber-attaque est un acte de piratage informatique malveillant sur internet. Le directeur de la DGSI, M. Nicolas Lerner constate que « l’outil cyber est aujourd’hui la voie qu’emprunte une grande partie de l’espionnage »[27], en raison de la révolution numérique. « Le numérique est désormais pleinement intégré dans les stratégies d’influence, d’ingérence, d’espionnage et de découragement des puissances étrangères. Certains acteurs étatiques perçoivent le domaine cyber comme un nouvel espace de projection, investissent pleinement le rapport de force et développent de fortes capacités offensives et défensives »[28].
La Russie et la Chine sont très actives dans ce domaine que ce soit pour extorquer une rançon, à vendre des données préalablement pillées, soit pour prendre le contrôle ou saboter le système informatique. Des entreprises, « 8 % »[29] des cas recensés par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques, ont été victimes d’attaques. Les administrations et services publics peuvent être touchés, comme l’illustrent les attaques russes à l’encontre de nos hôpitaux ou encore les sites de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Certains États, à l’image de la Russie, s’appuient sur des services de hackers.
La manipulation de l’information n’est pas un phénomène récent. En revanche, elle s’est considérablement propagée avec l’émergence d’internet et le développement phénoménal des réseaux sociaux, la crise de confiance envers les institutions démocratiques, et au caractère malveillante de certains États dont la Russie et la Chine visant à déstabiliser voire fracturer nos sociétés. La Russie est responsable de près de 80 % des efforts d’influence en Europe[30], suivi de la Chine. « Les Russes ont instrumentalisé le processus »[31] de désinformation, et la Chine développe la lutte informationnelle pour valoriser leurs actions mais aussi pour faire disparaitre du débat public des sujets considérables, comme la défense du peuple tibétain ou les droits civiques de Hong Kong.
Créé en 2021 le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), se charge d’anticiper et de réagir face à la menace tout en préservant les libertés individuelles. Son chef de service, M. Gabriel Ferriol fonde son action sur des critères juridiques précis : « le phénomène est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation »[32], au moins un acteur étranger doit être impliqué, que les « contenus dont le caractère inexact ou trompeur est manifeste (…) dont il est possible de démontrer la fausseté de manière objective »[33], et que le contenu soit « caractérisé par une diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée – ou l’intention de procéder à une telle diffusion »[34]. Dans une moindre mesure, la Turquie se rend coupable d’attaques comme après l’assassinat de M. Samuel Paty « pour y faire face, nous avons créé́ la task force Honfleur – du nom d’une salle de réunion du SGDSN –, qui a permis d’identifier un certain nombre de sites et d’adresses IP, de remonter jusqu’à l’agence de presse Anadolu et de conclure à l’origine turque de cette campagne »[35]. Par ailleurs, le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale est « toujours à l’écoute de ce qui peut venir de Turquie, notamment des critiques sur la politique française au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs »[36].
Les atteintes au patrimoine scientifique et technique se manifestent à travers l’espionnage, le sabotage, la prise de contrôle capitalistique, le débauchage de talents. De plus en plus identifiées par les services, ces menaces pour la sécurité économique visent à déstabiliser l’entreprise, récupérer de l’argent, obtenir des informations sensibles, corrompre, désinformer.
Le secteur universitaire et de la recherche est un point d’entrée. Les ingérences se concrétisent par des partenariats, des jumelages conduisant à l’échange d’informations pouvant être sensibles, c’est-à-dire « à s’approprier illégalement ou en dehors des contrats liant des établissements de pays différents des informations et des savoirs »[37]. Ce point attire la vigilance et l’attention du directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner. Principal acteur, la Chine est « est impliquée dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves »[38]
Le lawfare, c’est-à-dire l’utilisation du droit international ou de l’application extraterritoriale du droit d’un État. Cette arme juridique, bien que légale, est principalement utilisée par les États-Unis. La Chine s’inspire par ailleurs de leur législation. Le service de l’information stratégique et de la sécurité économique ajoute que « les procédures juridiques à l’étranger impliquant des entreprises françaises servent également de vecteur dans 10 % des cas »[39]. La Chine, quant à elle, pratique « l’instrumentalisation du multilatéralisme et du droit international au sein des organisations internationales »[40].
B) Les gouvernements français ont sous-estimé les dangers des ingérences dans tous les domaines
La naïveté confondante des dirigeants depuis 30 ans sur l’émergence de nouvelles puissances et rivalités.
Dans les années 1990 et le début des années 2000, marquées par la chute du Mur de Berlin, la dislocation de l’URSS, les « premières années d’exercice du pouvoir de Vladimir Poutine, qui ont nourri un espoir de rapprochement avec l’Europe et l’Ouest en général, et de l’évolution de la Chine. Tous les États prendraient le chemin de la démocratie (…), la compétition entre États, qui a toujours existé et n’allait pas disparaître, s’organiserait autour de quelques règles et quelques principes, notamment l’économie de marché. La compétition économique, demain, serait le juge de paix de la rivalité entre les pays. Ces espoirs étaient notamment suscités par l’ouverture de la Chine, qui a adhéré à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 »[41].
Certains, en particulier les mouvements souverainistes hostiles au mythe de « la mondialisation heureuse », d’un « monde plat et ouvert » ou encore de la « fin de l’Histoire » ont tiré la « sonnette d’alarme » [42] ; « les pouvoirs publics, à la différence de certaines administrations, n’avaient pas toujours conscience du risque d’ingérences étrangères, lesquelles ont donc été très sous-estimées (…) En 2005, plus encore en 2008, 2011, 2014, les gouvernants, ministres, élus, responsables politiques, responsables académiques ou de think tanks, les journalistes ont minimisé la situation. »[43]. « Les négociations au sein des instances multilatérales ou les accords économiques ne suffisent plus à résoudre les conflits. »[44]. Cette idéologie a conduit à rendre la France dépendante d’un État tiers. Notre souveraineté étant mise à mal, la France met en place une stratégie : une diplomatie économique en s’appuyant sur des représentants spéciaux.
L’ancien ministre, M. Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial de la France pour la Russie nommé par François Hollande puis confirmé par Emmanuel Macron, apporte un éclairage sur les relations en la France et la Russie. Dans les années 1990, les situations économique et politique de la Russie sont mauvaises : le rouble est dévalué, le président Eltsine nomme plusieurs premiers ministres dont M. Vladimir Poutine en 1999 : « c’est le cadeau que Boris Eltsine fait alors, si je puis dire, à la Russie »[45] ; une analyse qui n’engage que lui mais témoigne d’un certain consensus des élites dirigeantes européennes de la fin des années 1990 envers un homme politique dont le régime échouera pourtant, c’est le moins qu’on puisse dire, à faire de la société russe sur la voie de la démocratie et des libertés publiques.
« Les relations avec la France et l’Europe, à l’époque, sont plutôt cordiales »[46]. Avec la France, « les choses se passaient sans grande difficulté. On peut dire que tous les présidents de la Vème République se sont efforcés d’avoir des rapports plutôt cordiaux avec les dirigeants russes »[47], dès le Général de Gaulle. En 2006, Jacques Chirac remet à Vladimir Poutine le plus haut grade de la légion d’honneur, distinction qui ne sera remise en cause par aucun président.
À partir de 2013-2014, les relations se sont dégradées avec le conflit en Ukraine. Dès son arrivée à l’Élysée, M. Emmanuel Macron a voulu relancer les relations entre la France et la Russie. Ces relations faites de chaud et de froid sont encore une fois symbolisées par la mission de Jean-Pierre Chevènement.
En 2012, nommé représentant spécial de la France pour la Russie, sous le mandat de M. François Hollande, par M. Laurent Fabius, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Il souhaitait que la France ait « une diplomatie économique, mettant l’accent sur les relations économiques et industrielles »[48]. Décoré par M. Vladimir Poutine, de l’ordre de l’Amitié, plus haute distinction pour un étranger, le Quai d’Orsay l’a « vivement encouragé – la lettre de mission que j’ai reçue du ministère des affaires étrangères évoque d’ailleurs cette décoration comme un élément positif »[49].
Sur cette même feuille de route, la France nomme un représentant spécial en Chine, dont Mme Martine Aubry, « remplacée par M. Jean-Pierre Raffarin »[50]. La France est liée à la Chine, malgré une relation bilatérale déséquilibrée.
En effet, « le déficit commercial français par rapport à la Chine est de 50 milliards d’euros alors qu’il n’était que de 30 milliards il y a cinq ans »[51]. De plus, la France accueille de nombreux investissements chinois malgré de faibles créations d’emplois : sur « ces cinq dernières années, 8 000 »[52].
De l’aveu même de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, les années 2020 marque la fin de la naïveté dans le domaine du renseignement économique, celui-ci ayant progressé en quatre ans et demi après les scandales Alstom, Technip ou Lafarge. En 30 ans, la France a perdu la moitié de son industrie.
En concurrence avec les États-Unis et nos voisins européens plus ou moins bien attentionnés, l’ingérence économique provient principalement de Chine comme le souligne le directeur de Tracfin : « l’ingérence revêt également un caractère économique : le développement de la Chine lui apporte des capitaux considérables qui, par des véhicules d’investissement directs et indirects, sont susceptibles d’entrer au capital de certaines industries qui doivent être protégées parce qu’elles sont très proches de notre base de souveraineté »[53]. Le directeur de la DGSE fait le même constat : « la diplomatie chinoise se déploie partout dans notre pays d’une façon très impressionnante, avec l’accompagnement systématique d’intérêts économiques chinois portant atteinte à notre souveraineté ou susceptibles de la faire »[54].
Les ingérences politiques prennent une place exorbitante dans le débat public par rapport à leur réalité
Si les soupçons d’ingérence politiques sont brandis dans le débat public, ils ne semblent pas si prégnants.
De hauts fonctionnaires servant ou ayant servi notre République n’ont pas fait de signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Mme Alice Rufo, ancienne conseillère des Présidents M. François Hollande et M. Emmanuel Macron et aujourd’hui directrice générale des relations internationales et de la stratégie, n’a pas eu connaissance d’informations précises sur des cas d’influence ou d’ingérence de pays étrangers visant des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français : « en tant que fonctionnaire, je suis soumise à certaines obligations si quelque chose d’illégal vient à ma connaissance. Cela n’a pas été le cas »[55].
Le double discours sensationnaliste de M. Jean-Maurice Ripert, ambassadeur de France en Russie et en Chine est consternant. Il a tenu des propos sur LCI indiquant que « lorsque j’étais ambassadeur de France en Russie, personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politique français, d’un certain bord venait et ne repartait pas les mains vides »[56]. En audition sous serment, il prétend finalement à plusieurs reprises durant son audition qu’il « portait un jugement personnel »[57] et qu’il ne disposait pas d’informations particulières, faisant mine d’ignorer que son statut d’ambassadeur laissait penser autre chose aux téléspectateurs et aux commentateurs.
Les services et nos institutions confirment qu’il n’y a pas d’ingérence systémique d’un État étranger envers des partis, hommes et femmes politiques. M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieur affirme qu’il n’a « connaissance d’aucune structure ou parti politique qui, en tant que tel, ferait l’objet d’une influence ou d’une ingérence étrangère organisée et systémique telle qu’il ne serait que le relais d’un État étranger. (…). Il faut distinguer, dans les exemples que vous citez, ce qui relève de la rhétorique politique et ce qui relève d’une réalité relevant d’un travail de renseignement. C’est un argument du débat politique que de désigner l’adversaire comme la voix d’un pays étranger pour décrédibiliser ses arguments ou sa capacité à diriger un pays indépendant (…) qu’aujourd’hui qu’aucun d’entre eux (ndrl les partis politiques) n’est à la main d’une puissance étrangère. »[58]
II- Des institutions efficaces pour lutter contre ce fléau
A) Le suivi des financements de la vie politique grâce à la CNCCFP
La CNCCFP contrôle les comptes de campagne des candidats à toutes les élections et du respect d’obligations comptables des partis politiques depuis 1990.
Ses décisions s’inscrivent dans un cadre juridique défini : la loi de 1988 sur la transparence financière, du chapitre du code électoral portant sur les conditions financières des campagnes électorales, et sur la loi de 2017 pour la confiance de la vie politique. Son président, M. Jean-Philippe Vachia a « le sentiment qu’il n’existe pas de phénomène massif de risque d’origine étrangère »[59].
De plus, « les rejets de comptes ne sont pas motivés par des soupçons d’ingérence étrangère »[60]
Les prêts auprès des banques
Dès 1990, les États étrangers et les personnes morales de droit étranger ont interdiction d’apporter des contributions ou aides matérielles directes ou indirectes, dans le but d’empêcher les ingérences étrangères. À ce titre, la décision de la CNCCFP, confirmée par le Conseil d’État, a refusé « l’agrément du Parti nationaliste basque, car il était fondé sur un parti de droit étranger »[61].
Avant la loi de 2017, renforçant le cadre législatif, il était possible d’emprunter auprès des personnes physiques pouvant venir de l’étranger. Par exemple, le parti Les Républicains a emprunté 500 000 euros auprès « d’une personne physique ayant des activités axées sur l’international », Mme Marine le Pen auprès d’une personne physique financée à partir d’une banque basée aux Émirats Arabes Unis ou encore le parti Cotelec auprès d’une société chypriote.
En 2014, le Front national emprunte 9 millions d’euros auprès d’une banque russe et devait être remboursé en 2019. S’agissant d’un prêt important, il a été étudié de près par les autorités compétentes.
La CNCCFP estime que ce prêt a été consenti à des conditions désavantageuses pour cette formation politique, du fait d’un taux d’intérêt élevé : « ces prêts d’origine étrangère (ndrl celui du FN et du parti Les Républicains) sont plutôt consentis à des taux supérieurs à ce qu’ils auraient été s’ils avaient été effectués par un établissement bancaire national. ». Le prêt russe n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences en termes d’ingérences étrangères, puisque « la question pourrait se poser si le prêt d’une banque était consenti à un taux dérisoire, c’est-à-dire à un prix d’ami. Ce n’est pas le cas en l’espèce ».
La banque russe ayant fait faillite, l’emprunt a été rééchelonné jusqu’en 2018. La CNCFFP a examiné avec attention le rééchelonnement à l’aide du « contrat de prêt et le jugement du Quai d’Orsay afin de s’assurer qu’il s’agissait du même prêt. Il est apparu que c’était effectivement le cas »[62]. L’organe de contrôle des comptes de campagne veille « à ce que les annuités aient bien été versées et que cet emprunt se réduise dans le passif d’année en année » et les commissaires sont « extrêmement attentifs au remboursement (…) Si nous constations qu’un emprunt ou une dette fournisseur n’était pas remboursé, nous considérions cela comme une aide prohibée et le dénoncerions auprès du procureur de la République »[63].
L’emprunt ayant été contracté avant 2017, il est tout à fait légal, n’a « rien de mystérieux et il est possible de trouver toutes les informations nécessaires sur notre site »[64].
Depuis 2017, les prêts d’origine étrangère, c’est-à-dire hors de l’Espace économique européen, sont interdits pour les personnes morales. Les partis politiques ne peuvent emprunter qu’auprès des partis politiques et des banques de l’Espace économique européen, c’est-à-dire avec un agrément auprès de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.
L’absence regrettable de critère de nationalité et de résidence
Contrairement aux dons, l’absence de condition de nationalité française ou de résidence en France pour les cotisations pourrait représenter les dernières failles.
M. Jean-Philippe Vachia indique qu’il est difficile de contrôler le respect de cette condition de nationalité ou de résidence : « Nous pouvons alors seulement constater, s’agissant des dons, qu’une procédure permet au mandataire de s’assurer que la personne qui consent le don est de nationalité française ou réside en France. Cependant, nous n’avons aucun pouvoir d’investigation et nous ne pouvons pas demander aux impôts si une personne est effectivement résident fiscal ou non. Nous n’avons que la déclaration, et effectuer une fausse déclaration expose une personne à des poursuites. Si nous avons des suspicions, nous pouvons saisir Tracfin »[65].
Les cotisations jouent un rôle majeur dans le financement des partis politiques, « entre 15 ou 20 millions d’euros sur les 180 millions d’euros que représentent les ressources des partis politiques »[66]. Par exemple, lors de la campagne de la primaire des Républicains, la presse relate que des adhérents de plusieurs diasporas d’un même espace géographique, cela aurait très bien pu avoir une incidence importante. Bien qu’il soit peu probable « qu’il y ait des cotisations massives de personnes de nationalité étrangère »[67] en dehors de circonscription ou de moment particuliers, ce risque ne peut être écarté et donc, interdit.
B) Une lutte renforcée contre les atteintes à la probité
La prévention des conflits d’intérêts
À la suite du scandale Cahuzac, une autorité administrative indépendante, la Haute autorité de la transparence de la vie publique, est créée en 2013 dans le cadre de la loi relative à la transparence de la vie publique. Elle est chargée de promouvoir la probité et l’exemplarité des responsables publics. Elle contrôle les déclarations de situation patrimoniale et les déclarations d’intérêts des membres du Gouvernement et du Parlement ainsi que d’un certain nombre d’élus locaux et de responsables publics. Elle se prononce sur les situations pouvant constituer un conflit d’intérêts.
Son champ de compétences a été élargi avec la loi de 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II) avec l’encadrement de la représentation d’intérêt, la loi de 2017 pour la confiance dans la vie politique en introduisant l’obligation pour les candidats à l’élection présidentielle de disposer une déclaration d’intérêts et formalise la possibilité pour le Président de la République de solliciter la HATVP avant de nommer un membre du gouvernement, et la loi de 2019 de transformation de la fonction publique concernant le contrôle déontologique des mobilités des agents publics.
Des dires de son Président, M. Didier Migaud, « les comportements déviants sont beaucoup mieux identifiés qu’auparavant et beaucoup plus sévèrement sanctionnés. » Il indique que son autorité n’a « connaissance d’aucun sujet qui puisse être qualifié d’ingérence »[68], y compris via des associations cultuelles et culturelles. Les dossiers transmis au parquet ne relèvent pas de suspicions d’ingérence ou d’influence étrangère mais « soit d’infraction d’atteinte à la probité, soit de manquement aux obligations vis-à-vis de la HATVP, soit de prise illégale d’intérêts ou de détournement possible de fonds publics, mais pas de situation d’ingérence »[69]. Cependant, il observe que « s’agissant du contrôle de la reconversion d’anciens responsables publics dans le secteur privé, je note qu’en France aucun délai de carence ne s’applique, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres pays, où il est interdit aux anciens hauts responsables publics d’exercer une activité de lobbying ou de rejoindre une entreprise étrangère pendant un certain nombre d’années »[70].
Par exemple, M. François Fillon, bien que sa déclaration ait été validée par la Haute autorité de la transparence de la vie publique, il a pu rejoindre deux conseils d’administration parapublics russes.
La corruption, un cancer sous-estimé ?
Sur les 708 affaires en cours devant le Parquet National Financier, « seules huit sont susceptibles de recouvrir des faits d’ingérence. (…). Les États concernés sont les États-Unis, la Russie, d’anciens pays du bloc soviétique et certains émirats du Moyen-Orient. »[71]
« Une grande partie des faits de corruption d’agents publics étrangers ont lieu dans le cadre de marchés publics. Les principaux secteurs concernés sont les industries extractives, la construction, le transport et les infrastructures d’information et de communication. Ce sont surtout les grands contrats qui sont susceptibles d’engendrer des opérations de corruption. Nous avons observé sans surprise que les intermédiaires étaient impliqués dans les trois quarts des affaires de corruption transnationale. 41 % d’entre eux sont agents commerciaux, des courtiers et des distributeurs. Les personnes ayant versé les pots-de-vin ou autorisé leur paiement sont dans 41 % des affaires des membres de la direction de l’entreprise. Dans 12 % des cas, le PDG de l’entreprise lui-même a été impliqué. 22 % seulement des personnes versant les pots-de-vin n’occupent pas des fonctions de dirigeant, ce qui permet de relativiser le mythe de l’employé prenant une initiative solitaire. Les principaux récipiendaires des pots-de-vin sont les agents d’entreprises publiques dans 80 % des cas, puis les chefs d’État et les ministres dans 5 % des cas. Ils ont cependant perçu 11 % du montant total des pots-de-vin. »[72]. En revanche, la corruption d’agents privée n’est pas couverte par la convention.
S’inscrivant dans le cadre de la loi de 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi Sapin II), l’Agence française anticorruption est créée.
Elle contrôle, sur pièces et sur place, la mise en œuvre des dispositifs de prévention de la corruption ainsi que la qualité et l’efficacité des procédures mises en place par certaines autorités publiques ou personnes morales de droit privé. Elle a une mission de conseil visant à prévenir et à détecter les atteintes à la probité, ainsi qu’une mission de protection des intérêts économiques c’est-à-dire qu’elle s’assure qu’aucune information susceptible de porter atteinte aux intérêts économiques essentiel de la France ne soit transmise par une entreprise française soumise par une autorité étrangère à l’obligation de mettre en place un dispositif de conformité anticorruption. Sur les 142 contrôles d’initiative, 80 concernent des acteurs économiques et 51 des acteurs publics. « La stratégie de nos contrôles a pour objectif de diffuser le plus rapidement possible des dispositifs anticorruption complets et efficaces au sein des organisations qui sont les plus exposées selon nous au risque d’atteinte à la probité. »[73]
La création de cette autorité administrative indépendante et celle du Parquet National Financier ont été salués par le rapport de l’OCDE, étalon international des bonnes pratiques et de la coordination contre la corruption.
L’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales dénombre « soixante-quinze affaires de corruption, dont un nombre marginal concerne des phénomènes d’ingérences étrangères » c’est-à-dire qu’il vérifie si un « agent public étranger a été corrompu par une entité française ou qui a une activité en France »[74]. Parallèlement, il traite « cinq ou six affaires dans lesquelles se pose de manière directe la problématique de l’ingérence étrangère en France. (…). Elles concernent tous les agents publics ou des élus, dans le cadre de leurs fonctions ou mandats actuels ou passés. De fait, l’office traite très majoritairement des affaires de corruption publique »[75]. Il a enquêté si des entités plus au moins rattachées à des puissances étrangères avaient corrompu des parlementaires nationaux ou européens, à travers des revirements de prises de position par exemple, « mais c’est très marginal »[76]. « la Russie et le Qatar »[77] recourent à la corruption à des fins d’ingérence.
Partie 2
Un manque criant de volonté politique contre les ingérences étrangères
I- Les pouvoirs publics passifs face aux infiltrations étrangères au sein des secteurs de pointe français
A) L’ingérence économique
Le développement de l’extraterritorialité du droit des grandes puissances
Des États démocratiques (États-Unis) et des États autoritaires (Chine) utilisent l’extraterritorialité du droit comme arme juridique.
Cette arme juridique se concrétise par « l’imposition de normes internationales telles que les taxonomies, par du lobbying ou par la judiciarisation de certaines activités économiques et sociales à l’international »[78]. Cette technique, légale, est problématique. Le fait qu’un État étranger puisse « engager des poursuites contre le dirigeant d’une entreprise au motif qu’il a vendu du matériel à tel ou tel pays, qui vise ainsi à neutraliser ce dirigeant ou à limiter l’activité de son entreprise constitue une ingérence étrangère et une manière de porter atteinte à nos intérêts fondamentaux »[79]. Des États démocratiques et des États autoritaire y ont recours. « Les États-Unis tentent de déborder du champ de la corruption tandis que les Chinois se dotent d’une législation pour se mettre au même niveau »[80].
M. Bernard Émié indique qu’« il ne faut pas non plus être naïf sur les actions hostiles conduites par des pays amis »[81]. « Les États-Unis ont (…) une logique de projection de puissance (…) par l’application extraterritoriale de leur droit »[82]. Ce constat est confirmé par Tracfin qui explique que « de grandes puissances qui, de l’autre côté d’un grand océan, essaient d’appliquer leur législation extra territorialement, tout particulièrement en matière de probité et de lutte contre la corruption »[83]
Plusieurs lois américaines permettent à l’autorité judiciaire de s’immiscer dans des affaires qui auraient pu relever de la compétence de juridictions françaises : la norme anticorruption et les « normes en matière boursière ou comptable, matières arides qui participent d’une stratégie offensive d’influence et de mise sous pression de nos entreprises, notamment celles qui exercent à l’étranger ou exportent »[84].
Dès 1977, les États-Unis adoptent le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), une loi anticorruption, avec une responsabilité des personnes morales élargies, une compétence interprétée de manière extensive, un « élargissement de la compétence territoriale américaine »[85] et les sanctions financières. « À partir de 2007, la politique de poursuites menée par les Américains a conduit à la multiplication des amendes records. (…) Si l’on considère les dix sanctions les plus importantes prononcées au titre de la loi de 1977, on constate tout d’abord que le montant des amendes se situe entre 585 millions de dollars et 3,3 milliards de dollars. Ensuite, les entreprises visées sont principalement européennes – trois françaises, deux suédoises, une allemande et une néerlandaise – contre une entreprise américaine et une brésilienne. Enfin, les montants records sont plutôt récents : six d’entre eux ont été prononcés au cours des trois dernières années. »[86].
Par ailleurs, « ces affaires traduisent très clairement une ingérence du droit américain en direction des entreprises françaises »[87], selon les déclarations de M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier.
Le « monitoring » peut être confié à des agences étrangères et des cabinets d’avocat et de conseil pourtant reconnu comme des interlocuteurs de confiance par le gouvernement américain. Par exemple, Jean-François Bohnert confirme que dans le cas d’Airbus, le Parquet National Financier a exigé que le monitoring soit effectué par l’Agence française anticorruptionpour éviter ce type d’ingérence.
Pour lutter contre, la France créé un outil, la Convention judiciaire d’intérêt public.
Les Américains agissent dans le domaine de « l’export control ». Mme Lisa Oudens Monaco, Deputy Attorney General, explique que « les mesures et les sanctions dans le domaine des embargos et de l’export control sont le nouveau cadre d’action équivalent au FCPA pour les Américains »[88]. Un des exemples notables, les sanctions américaines contre l’Iran en 2018 suite à la décision unilatérale de M. Donald Trump de dénoncer l’arrangement dans le domaine du nucléaire conclu entre les puissances occidentales et l’Iran. Les « entreprises françaises fortement implantées dans les secteurs automobile et aéronautique »[89] ont dû quitter le territoire iranien. Plus tard, les entreprises américaines ont commencé à exporter vers l’Iran. Le Parquet National Financier déplore que « la France ne dispose d’aucune législation pour poursuivre pénalement des violations d’embargo »[90].
Le domaine de la défense est également touché par cette extraterritorialité du droit. A travers le Patriot Act, l’administration américaine peut poser, « sans aucun contrôle, sans aucune autorisation judiciaire, toutes sortes de questions à une entreprise assujettie au droit américain sur des sujets »[91]. A travers l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR), les États-Unis peuvent « dès lors qu’un produit vendu dans un autre pays contient un composant fabriqué sur son sol, de vérifier si la vente est conforme aux règles qu’il a édictées, il peut s’agir d’une forme d’ingérence »[92]. M. Arnaud Montebourg témoigne de son application en France. « Nous avons eu l’interdiction de vendre des Rafale à l’Égypte en 2018 parce que quelques composants figuraient sur la liste américaine (…). J’ai entendu l’ancienne ministre des armées Florence Parly dire, il y a deux ou trois ans, qu’il s’agissait là d’un processus rétroactif, extraterritorial et intrusif, et elle avait parfaitement raison. »[93]
Autre exemple, le Cloud Act - Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act, « qui permet au juge américain d’accéder très largement aux contenus hébergés et traités aux États-Unis »[94] y compris dans les outils de télécommunication. Cette loi est d’autant plus problématique que « nous sommes devenus une colonie numérique des États-Unis , ce qui pose un problème en matière de souveraineté informationnelle et de maîtrise de nos données »[95] et que, selon M. Arnaud Montebourg, nos armées passent des accords avec Google, Microsoft.
La Chine, dotée d’une économie largement administrée et subordonnée à l’État-parti, s’inspire des règles extraterritoriales américaines, préoccupant le Parquet National Financier. « La République populaire de Chine a voté deux textes importants. La loi relative aux procédures de contrôle des exportations du 17 octobre 2020 définit plusieurs règles dans ce que l’on appelle l’export control – notamment le contrôle de la violation des embargos. Celle du 10 juin 2021, relative aux contre-mesures en matière de sanctions étrangères, est comparable à certains égards à notre loi de blocage »[96]. Cette loi portant sur le contrôle à l’exportation peut lui permette, « le jour venu, de prendre des mesures de représailles à l’encontre des pays qui lui imposent des dispositions de ce type »[97]. La loi sur le renseignement de 2017 oblige toute entité chinoise de coopérer avec les services de renseignement dans la collecte du renseignement. Une loi dans la droite ligne des lois américaines à la différence fondamentale que les services de renseignement américain dépendant d’un gouvernement démocratique et non d’un régime totalitaire. À ce jour, la Chine ne s’est pas attaquée à des opérateurs économiques français
Le manque d’application du décret de blocage et de patriotisme économique
Le SISSE note une « très forte augmentation de la menace économique étrangère (…). Il y a une augmentation brutale de la menace ». En 2022, 700 alertes ont été signalées dont 40 % sont de nature capitalistique, toutes ne rentrant pas dans les critères établis dans le champ du contrôle des IEF, 40 % sont de nature à s’approprier la propriété intellectuelle et d’informations sensibles, le reste concerne des entreprises connaissant des difficultés financières ou de réputation. Face aux menaces croissantes, le dispositif monte en puissance en imposant, par exemple, « un contrôle systématique des lettres d’engagement et des conditions imposées aux investisseurs étrangers, tous les dossiers d’autorisation faisant l’objet de conditions seront contrôlés »[98]. L’État intervient dans les secteurs de la défense et des exportations de biens à double usage.
La France dispose de « l’un des dispositifs de contrôle des IEF les plus étoffés avec un grand nombre de secteurs couverts »[99] pour préserver les pépites et les fleurons. Cet outil législatif englobant de plus en plus de secteurs se traduit par un renforcement du décret, baptisé décret de Villepin, puis décret Montebourg, puis décret Le Maire, bien que l’inspiration idéologique ne soit pas à chercher de ce côté de l’échiquier. Il permet de contrôler les rachats d’entreprises exerçant une activité stratégique que ce soit du ressort de la souveraineté agricole et de sécurité alimentaire à l’image du l’opposition de l’État du rachat de Carrefour par le groupe Couche-Tard. Malheureusement, « le sujet n’est pas tant la rédaction du décret que l’absence d’usage qui en est faite »[100].
Malgré cette prise de conscience, plusieurs failles existent.
Tout d’abord, le SISSE ne dispose pas d’un cadre juridique « pour intervenir lorsqu’une des technologies critiques de notre liste est concernée par un transfert », technologique ou encore de notre savoir-faire. Un des exemples les plus illustres, la prise de capital de l’aéroport de Toulouse par les Chinois. Alors que la Chine s’est lancée depuis l’arrivée de M. Xi Jinping dans deux plans majeurs : les routes de la soie (BRI) et le plan MIC 2025, cette action laisse craindre un risque de d’espionnage voire de pillage de nos savoir-faire technologiques, l’aéroport étant situé à proximité de nombreux sites de production et du siège mondial Airbus. Par ailleurs, « le secteur aérospatial, concentré à Toulouse, fait régulièrement l’objet de tentatives d’espionnage »[101]. Cette prise de participation, « dont le contrôle appartient à l’actionnaire privé (ndrl : les Chinois) par l’effet du pacte d’actionnaires qu’il a conclu avec l’État »[102], « est rarement anodine »[103].
Les gouvernements successifs ont augmenté l’interdépendance entre la France et des États-tiers. Si une coopération interétatique est souhaitable, des puissances économiques telles que la Chine s’appuient sur les faiblesses françaises. Par exemple, lors de la crise financière de 2008, les « autorités chinoises ont proposé d’investir massivement dans notre pays. (…) beaucoup d’élus ont compris qu’il fallait faire avec elle »[104]. Malheureusement, cela a éclipsé des problématiques essentielles telles que les répressions au Tibet, y compris à l’Assemblée nationale où les effectifs du groupe d’étude se sont effondrés, ou encore au Sénat avec seulement le nombre minimal de parlementaires requis pour créer un groupe d’amitié. Malgré des investissements colossaux dans notre économie, paradoxalement, ce ne sont pas ceux qui créés le plus d’emplois : « selon Business France, les investissements suisses ont créé plus d’emplois en France que les investissements chinois entre 2017 et 2021 »[105].
Le Qatar, les Émirats Arabes Unis et l’Inde sont des menaces perçues par nos services notamment par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques. Les deux monarchies du Golfe mentionnées, exerçant davantage une stratégie de « soft power, investissent dans le sport »[106]. Le service dirigé par M. Joffrey Célestin-Urbain n’a pas « repéré d’activité dans les secteurs stratégiques »[107]. Actuellement, l’Inde n’est pas une menace mais pourrait le devenir dans les années à venir suite à leur forte croissance économique, « notamment dans les filières très technologiques »[108].
B) Au sein du monde universitaire, académique et de la recherche
La Chine, principale menace
Face à de nombreux signalements d’ingérence sur le monde universitaire, académique, et de la recherche, M. André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine et rapporteur de cette mission d’information du Sénat sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français, utilise son droit de tirage afin de mettre en lumière ce phénomène. Les auditions des services et des institutions dans le cadre de notre commission d’enquête ont fait référence à ce travail.
La France véhicule le principe de liberté académique (liberté d’enseigner, d’étudier, de faire de la recherche, jouir d’une liberté d’expression) et d’intégrité scientifique. Malheureusement, ce principe de science ouverte, coopérative, inclusive, relève désormais de la naïveté. Toutes les sciences qu’elles soient dures (scientifiques) ou molles (sociales) sont sujettes à une utilisation à double usage.
S’il a été démontré que les États-Unis n’exercent pas d’influence dans le milieu académique, il en est bien différent pour d’autres États. « La Chine s’est distinguée (…) puisqu’elle est impliquée dans 70 % à 80 % des cas notables voire graves »[109] des influences étatiques dans le monde académique et scientifique français. Dans une moindre mesure, la Turquie puis « certains pays du Moyen-Orient, surtout l’Iran »[110] sont coupables.
La Chine ambitionne d’être la première puissance mondiale. Pour atteindre son objectif, elle tente « d’assouvir des besoins technologiques »[111], elle-même consciente des « manques dans sa recherche et son savoir scientifique ». M. Bernard Émié valide ce constat : « il y a des menaces chinoises sur la recherche scientifique »[112]. « Traditionnellement moins régulé »[113] contrairement à un suivi plus fort de nos entreprises stratégiques de la part de nos services, des pays asiatiques dont la Chine « adoptent la stratégie du « saumon sauvage. Ils remontent les chaînes des valeurs »[114]. Elle se donne les moyens pour combler ce retard à travers « des investissements massifs et récupération de l’information ». Les scientifiques chinois utilisent la science comme « un instrument au service des intérêts stratégique de son pays et de son parti ». [115]
La Russie ne s’ingère pas dans les domaines d’excellence scientifique française car elle possède déjà ces connaissances, sur « les mathématiques, le nucléaire, l’aviation militaire »[116]. Le seul fait connu : « un faux chercheur s’est présenté dans un grand colloque consacré à la recherche en Arctique, où la France figure parmi les pays les plus en pointe, pour obtenir des données ». [117]
La passivité des pouvoirs publics
Par passivité, les pouvoirs publics délaissent ces champs d’excellence reconnus dans le monde. Le saisissement de cette problématique n’est suivi que par trop peu d’effets. Durant son audition, soit un an et demi après la publication de son rapport, M. le Sénateur André Gattolin tente de comprendre pourquoi les recommandations simples et rapides à mettre en place ne sont pas effectives. Pourtant, on lui a promis « que des mesures vont être prises dans les trois mois. (…) Je me suis adressé à tous les niveaux : je ne sais pas où réside le blocage. Je crains que le problème ne soit systémique. »[118]
Le manque de crédits alloué aux universités, notamment celles de taille moyenne, est une faille identifiée, notamment par la Chine en accentuant leur présence sur les campus des universités. Bien que la France ne reçoive que 5 % des étudiants chinois dans le monde, le risque de dépendance financière et des pressions exercées ne peut être exclu, comme ce fut le cas en Australie. En effet, les autorités chinoises ont conditionné la venue des étudiants dans leurs universités « à des restrictions quant aux débats, aux activités de recherche. »[119]
Les instituts publics de recherche de pointe sont également touchés. Illustré par le témoignage de M. Joffrey Célestin-Urbain, chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique, « un institut public de recherche de pointe en France s’est vu proposer par une entreprise chinoise un financement de 5 millions d’euros pour un programme de recherche d’une durée de trois à cinq ans. »[120]
Le rapport de M. le Sénateur André Gattolin pointe le manque de vigilance des ministères. En effet, « lorsqu’un laboratoire ou une institution académique signe un partenariat avec une université extra-européenne, il ou elle doit le déclarer au ministère des affaires étrangères ou à celui chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; ces deux ministères sont peu outillés pour traiter ces demandes, le second étant de création relativement récente et gérant avant tout l’organisation des études, le parcours des étudiants et le financement du secteur. Trente jours après le dépôt de la déclaration, le partenariat est réputé validé par l’État, alors que la plupart des dossiers n’ont pas été étudiés. »[121].
Cette désinvolture est d’autant plus problématique qu’au cours des dernières décennies, la Chine « s’est imposée comme un partenaire incontournable de la recherche en Europe, notamment en France »[122], introduisant « trois facteurs de menaces importantes un déséquilibre systématique de réciprocité au profit de la Chine ; des risques d’atteinte aux libertés académiques et au principe d’intégrité scientifique ; des menaces croissantes en matière de captation du potentiel scientifique et technique de la nation. »[123].
II- La lutte contre les ingérences demandent un renforcement des moyens conjugué à une volonté politique ferme et patriote
A) Concentrer et renforcer les moyens sur les territoires français
Collectivités territoriales et Outre-mer :
les angles morts de la lutte contre les ingérences
Bien que l’ingérence se manifeste principalement à l’échelon national, le risque de corruption via les collectivités territoriales ne peut être exclu.
En effet, durant l’audition du directeur de l’Agence anticorruption, des ingérences auraient lieu au sein des administrations. Pour autant, « cela ne nous a pas permis à ce jour de constater des intrusions dans les administrations de l’État ou les collectivités – même si elles existent, selon les alertes des services de renseignement que nous avons reçues il y a quelques années. »[124]
Déterminer la corruption relève d’un travail fastidieux, de plus en plus complexe, nécessitant une connaissance approfondie de ce système. La loi créant le Parquet National Financier en 2013 aurait créé un effet pervers en supprimant « les juridictions spécialisées dans le ressort des cours d’appel prévues par l’article 704 du code de procédure pénale. À l’époque, il existait une attention des procureurs et des services locaux sur la matière économique et financière. Aujourd’hui, cette matière échappe à leur compétence. Ces affaires ne sont pas traitées comme elles devraient l’être alors même qu’elles sont plus nombreuses et plus complexes qu’auparavant en raison précisément de l’évolution des moyens technologiques. Ces juridictions locales n’étaient parfois pas aussi spécialisées qu’elles auraient dû l’être, mais c’était malgré tout une présence qui n’existe plus aujourd’hui. »[125]
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques contrôle les comptes de campagne, y compris la nature de l’origine des fonds, dans les municipalités de plus de 9 000 habitants soit 1 200 communes dans le cadre des élections locales. Il ne peut être exclu, qu’un groupe, un État, des sectes financent des campagnes.
Le directeur de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales indique que « c’est à l’échelon municipal qu’on dénombre le plus grand nombre de faits, qui relève de la corruption de basse intensité », « cette forme de corruption, exercée à l’échelon local peut parfois s’exercer à l’égard d’élus dans le but d’avoir les mains libres pour mener des activités illicites sur un territoire ». Bien qu’il n’ait « pas d’exemple concernant les États étrangers ». Il ne peut être exclu que des États étrangers s’infiltrent dans notre société par ce biais.
Les actions contre les tentatives d’ingérence en France métropolitaine sont à saluer, les pouvoirs publics doivent renforcer leur vigilance en Outre-Mer, plus particulièrement dans la zone de l’Indo-Pacifique.
M. Jean-Philippe Vachia est « extrêmement frappé de l’importance des dons constatés dans le cadre des campagnes électorales qui ont lieu dans les Outre-mers ». Il est tout à fait plausible à l’avenir, notamment dans la zone du Pacifique, que les partis politiques subissent un risque d’ingérence étrangère d’États hostiles.
Malgré des fonctionnaires de grande qualité, la lutte contre les ingérences demande plus de moyens financiers et humains.
M. Charles Duchaine souligne l’absence de moyens humains. « On ne peut prétendre faire de la lutte contre la corruption sans faire de la détection. Or aujourd’hui, selon moi, personne ne le fait, car les moyens associés n’existent pas. Il existe des services spécialisés et très compétents, notamment l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLIFF), mais ils sont débordés »[126]. S’il souligne une volonté louable, il regrette le manque de « moyens pour réaliser les objectifs ambitieux confiés par le législateur »[127].
Le rapport de l’OCDE identifie cette faiblesse. « L’une des principales causes évoquées est le manque de détection. Les sources de détection possibles ont été estimées limitées en France. »[128] . « Nos contrôles sont très approfondis, mais notre capacité d’action dépend évidemment des moyens d’action qui nous sont octroyés. Or ceux-ci sont nettement inférieurs à ceux qui nous avaient été annoncés lors du vote de la loi, à la fois sur le plan financier et sur celui des ressources humaines. »[129]. Ce manque de moyens se concrétise, par exemple, par la sous-traitance de certaines missions de l’Agence française anticorruption. Ce même rapport « exprime son inquiétude quant à une possible fragilisation des acquis récents en raison de problèmes de ressources affectant l’ensemble des maillons de la chaîne pénale Ces difficultés concernent en particulier l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. »
B) Préserver la liberté d’opinion tout en luttant contre la désinformation
La désinformation identifiée, une lente réaction
La désinformation, l’affaiblissement de notre liberté de communication, d’information et d’opinion, sont les cibles des puissances cherchant à porter atteinte au fonctionnement des démocraties. La France a tardé à se saisir de l’ampleur des campagnes de fausses nouvelles, de les comprendre, d’identifier les moyens pour se défendre face à ces attaques.
La Russie et la Chine sont les premiers responsables de ces campagnes visant à fracturer, accentuer les tensions de la société afin de la déstabiliser, orienter des comportements, imposer un ordre mondial alternatif « dans lequel la vérité peut être décidée et imposée par un parti, indépendamment des faits ou de la science »[130], promouvoir leur modèle politique.
La désinformation et la manipulation de l’information peuvent autant être diffusées sur les réseaux sociaux que sur les plateaux de grandes chaînes télévisées.
Le cas de désinformation et de manipulation le plus notable concerne le groupe Wagner, mené par M. Evgueni Prigojine. Au-delà d’un processus industrialisé de « fermes à boots », il conçoit des vidéos virales à caractère malveillant et diffamatoire, sur la présence de l’armée française en Afrique. Selon M. Bernard Émié, « il cherche à montrer que les soldats russes sont là pour protéger les populations contre les méchants colonialistes – on ne nomme pas les Français – mais on les reconnaît rapidement. En l’absence d’élaboration de contre-narratif, cette idée infuse les populations qui ne se sentent pas concernées par l’information »[131]. Lorsque les autorités réagissent, souvent une à deux semaines plus tard, elles ne choisissent pas le canal adéquat. En s’appuyant sur des études internationales, M. le Sénateur André Gattolin affirme que « le rétablissement de la vérité par une information argumentée ne touche qu’à peine 5 % des personnes ayant été infectée par une fausse nouvelle « On a tendance à oublier les narratifs, qui sont des récits construits ayant une vocation politique mais qui ne s’inscrivent pas toujours dans le champ de l’information. (…) Dans les pays africains comme dans les autres pays, seuls 20 à 25 % de la population s’intéressent vraiment à l’information. Les publics les moins formés intellectuellement, les plus populaires et les plus jeunes sont très touchés par la fiction. »[132]
Les chaînes d’information en continu, peuvent, indépendamment de leur volonté, propagatrices de fausses nouvelles. Les invités, sous la pression de réaction rapide, répondent sur des thématiques variés, sans avoir le temps adéquate pour contrer différentes sources d’information.
Les rédactions journalistiques doivent veiller à ce que l’information soit validée avant sa diffusion. À ce titre, l’enquête des « Story Killers » révèle que la Team Jorge aurait offert à ses clients un arsenal de services illégaux à des fins d’influence d’idées. Un journaliste, M. Rachid M’Barki, aurait diffusé une note fournie par un intermédiaire. Une des séquences emploie l’expression « Sahara marocain » au lieu « du Sahara occidental », expression utilisée par la plupart des organisations internationales et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. La diffusion d’une brève biaisée permet d’être présentée comme fiable, et de laisser sous-entendre qu’une chaîne de télévision nationale valide cette sémantique. Celle-ci « une fois découpées et diffusées sur les réseaux sociaux, viralisent une information certifiée, blanchie, tamponnée, car présentée dans les tweets comme issue d’une grande chaîne de télévision française »[133].
Un système de protection des élections françaises efficace
« En période électorale, les ingérences numériques étrangères peuvent avoir quatre types de cible. Les premières sont évidemment les candidatures elles-mêmes : des acteurs souhaitant s’intégrer dans le processus électoral mènent des campagnes de dénigrement ou de promotion de certains candidats. (…). Une candidature peut faire l’objet à la fois d’un soutien d’un acteur malveillant et du dénigrement de l’autre. Il arrive ensuite que les attaques visent les thèmes de campagne : les résultats du vote ne seront pas mes mêmes selon que la campagne porte sur des sujets sociaux ou économiques. Les thèmes de campagne peuvent eux-mêmes faire l’objet d’une manipulation de l’information. Les médias traditionnels constituent le troisième type de cible. Enfin, ces attaques peuvent viser les institutions et le processus électoral lui-même : on a observé des cas de manipulation de l’information visant à décourager certaines parties de la population de voter au prétexte que la procédure électorale serait biaisée ou inopérante, ou que l’élection serait volée. Il fallait sécuriser la procédure de vote elle-même. Tous les modes opératoires classiques peuvent s’observer : contrefaçon de contenus concernant les informations électorales ou les institutions ; usurpation d’identité pour prêter à une personnalité publique des propos qu’elle n’aurait pas tenus et essayer de la discréditer, amplification de narratifs pour accroître ou modifier la visibilité de certaines idées dans le débat public numérique »[134].
Lors de l’élection présidentielle de 2017, une opération menée par des hackers russes attaque la candidature d’Emmanuel Macron. Il s’agit des MacronLeaks. Fort heureusement, cette attaque n’a eu aucune incidence sur la sincérité du scrutin. En effet, la divulgation des informations a eu lieu à quelques heures du devoir de réserve soit deux jours avant le dimanche du vote. M. Stéphane Bouillon indique que « la gestion des MacronLeaks a été d’autant plus facile que cela s’est produit dans les deux jours précédant le scrutin »[135].
Le rôle des médias doit être saluer grâce à leur prise de responsabilité. La solidité du système médiatique français est mise en avant par le rapport de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, Alexandre Escorcia, Marine Guillaume, Janaina Herrera, publié par l’IRSEM. Celui-ci indique que « l’environnement médiatique français est plutôt robuste : il y a une forte tradition de journalisme sérieux. La population consulte principalement les sources d’information conventionnelles, et les médias du type tabloïds et autres sites alternatifs sont beaucoup moins populaires. »[136].
En 2021, la France se dote de Viginum, le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, chargé de lutter contre les manipulations de l’information. Il porte assistance aux autorités garantes du bon déroulement des scrutins, notamment le Conseil constitutionnel et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle. L’année électorale de 2022 a pu mettre en avant la qualité de ce service puisque les agents ont « pu démontrer qu’il était possible de mettre au jour des phénomènes et de tester notre chaîne de réponses et de ripostes »[137].
Au cours des campagnes présidentielle et législative de 2022, Viginum a repéré « seulement des épiphénomènes des tentatives d’attaques contre certains sites internet dont il est difficile de savoir si elles étaient ciblées. Certains médias, notamment de presse écrite, nous ont informés de tentatives d’attaque dites « en déni de service : c’est l’attaque la plus basique, puisqu’il s’agit de saturer un site internet en lui envoyant un très grand nombre de requêtes pour qu’il ne soit plus accessible. Ces attaques ont été d’une importance mineure : les protections de ces médias en ligne devaient être suffisantes et aucune coupure d’accès ne s’est produite. Ces faits ont été remontés au Conseil constitutionnel, qui a estimé « qu’ils n’avaient pas eu un impact significatif sur la campagne électorale, ni sur le scrutin »[138].
Au total, il a été détecté « soixante phénomènes potentiellement inauthentiques ; douze ont donné lieu à une investigation approfondie et fait l’objet d’une note de caractérisation, pour voir s’ils répondaient aux quatre critères de définition de l’ingérence numérique étrangère ; ce fut le cas pour cinq d’entre eux. »[139].
Cependant, il est tout à fait plausible que d’autres attaques se soient produites, sans que celles-ci ne soient identifiées car « elles n’ont pas été efficaces et n’ont pas prospéré »[140]. Le service a informé les plateformes, trouvant préoccupant le phénomène Beth, c’est-à-dire qu’un « candidat a fait l’objet d’une promotion très empathique pendant plusieurs mois de la campagne. Quelques jours avant le vote, des médias alternatifs ont révélé qu’il aurait bénéficié du soutien de fermes à trolls. (…). La manœuvre visait à jeter le discrédit sur ce candidat, et plus largement sur la procédure de vote en France »[141]. Autre exemple qui a amené la réaction du service, une attaque venue des États-Unis. Celle-ci indiquait que la société Dominion « avait fourni à la France son système de vote électrique »[142] et que cela présentait un risque de trucage des élections non négligeables. « Le ministre de l’intérieur a dû rappeler qu’aucune machine Dominion n’était utilisée en France et qu’il y avait, en outre, une étanchéité entre les systèmes électoraux fonctionnant dans les communes et le système qui permettait de transmettre les résultats depuis les préfectures vers le réseau central. Un problème constaté dans une commune ne risquait donc pas de remettre en cause l’ensemble du système[143] ».
Enfin, au cours de la campagne présidentielle, les comptes Twitter de plusieurs membres de l’équipe de campagne de Mme Marine le Pen ont été suspendus. Encore aujourd’hui, et malgré le signalement à l’ARCOM par le SGDSN, aucun retour n’a été effectué sur les motifs de cet incident.
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La commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées – visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français a été créée à l’initiative du groupe Rassemblement national, qui exerçait ainsi pour la première fois le « droit de tirage » que prévoit, pour chaque groupe d’opposition ou groupe minoritaire, l’article 141, alinéa 2, du Règlement de l’Assemblée nationale.
Conformément à l’article 143, alinéa 3, du même Règlement, le groupe Rassemblement national a choisi que lui revienne la fonction de président – fonction exercée par M. Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme.
Le dépôt de la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête a été annoncé le 23 septembre 2023 par un communiqué de presse ([144]) de MM. Jordan Bardella, président du Rassemblement national, et Jean-Philippe Tanguy. Ce communiqué vise en particulier le secrétaire général du parti Renaissance, M. Stéphane Séjourné :
« Avec d’autres dirigeants et influenceurs de la macronie, M. Séjourné accuse l’opposition d’être l’objet d’ingérences venues de la Russie. Il demande à ce titre que soit menée une “enquête indépendante sur l’ingérence russe dans les partis européens”.
« N’ayant rien à dissimuler aux Français, bien au contraire, le Rassemblement national est favorable à la proposition de M. Séjourné. Étant pour la transparence la plus totale en la matière, nous proposons que cette enquête soit étendue à l’ensemble des partis politiques et dirigeants français et à l’ensemble des ingérences potentielles. »
Cette polémique fait clairement écho à des arguments utilisés lors de la campagne présidentielle de 2022, notamment au cours du débat entre Mme Le Pen et M. Macron entre les deux tours de scrutin, et aux déclarations toutes récentes – du 19 septembre 2022 – d’un ancien ambassadeur de France à Moscou mettant en cause, sans le nommer, un parti politique français : « Quand j’étais ambassadeur de France en Russie, personne n’ignorait qu’un certain nombre d’hommes et de femmes politiques français d’un certain bord venaient et ne repartaient pas les mains vides ([145]). » De toute évidence, l’initiative du Rassemblement national a pour objectif de « purger » la question du prêt russe accordé au Front national en 2014, et, du même coup, celle de la nature des liens tissés par de nombreux élus et responsables du parti avec le régime russe. Mais elle semble aussi avoir pour rôle d’amplifier le « bruit de fond » polémique que le Rassemblement national et la NUPES ([146]) entretiennent depuis des mois à l’encontre de la majorité présidentielle, ainsi que l’atteste la suite du communiqué :
« Cette enquête pourrait déterminer si certains parlementaires de la majorité présidentielle se sont retrouvés à jouer le rôle de véritables agents d’influence du pouvoir de Pékin, qui aurait dicté leurs votes sur les questions liées à la Chine. Elle pourrait faire la lumière sur ce qui s’apparente à une véritable coproduction législative entre le parti présidentiel et les géants américains Amazon, Microsoft, Google ou encore Uber, tous donateurs du parti politique européen de la majorité présidentielle. Elle pourrait s’enquérir des raisons profondes et des acteurs exacts de la vente du pôle énergie d’Alstom à General Electric en 2014, dont s’est déjà saisi le Parquet national financier. Elle aurait la possibilité de se pencher sur les raisons qui expliquent l’explosion des contrats publics passés ces dernières années avec des cabinets privés américains, au premier rang desquels McKinsey, dont des cadres ont également fourni de manière bénévole des prestations à Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle. »
Sur un ton à peine moins véhément, l’exposé des motifs de la proposition de résolution fixe à l’enquête un champ extrêmement vaste, le but étant de faire taire la polémique – mais aussi, peut-être, le débat – sur un nombre considérable de sujets :
« Le traitement de l’ingérence en France constitue […] une double‑peine : les vraies responsabilités ne sont pas établies et les corrompus continuent de nuire à l’intérêt national tandis que de fausses informations polluent le débat démocratique.
« Cette proposition de résolution demande donc la création d’une commission d’enquête pour que la République établisse clairement s’il existe oui ou non des réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publiques, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national ([147]). »
Cette tâche considérable n’est certainement pas à la portée d’une commission d’enquête parlementaire, dont les prérogatives, le champ et les moyens sont strictement encadrés par le droit et limités par le principe de séparation des pouvoirs. Telle qu’elle est ici définie, elle ressortit largement au pouvoir judiciaire et aux services de police et de renseignement de la République.
Il ne s’agit pas de nier que la perte de confiance des citoyens dans leurs représentants politiques, et, au-delà, dans l’appareil de l’État, dans la presse ou dans les savoirs scientifiques, constitue un problème de première importance. Comme le dit avec justesse le président Jean-Philippe Tanguy, la suspicion généralisée est un poison pour notre vie démocratique. Reste à savoir si, dans la façon même dont elle s’inscrit dans le débat public, cette commission d’enquête ne risque pas d’aggraver le mal qu’elle prétend combattre.
Le présent rapport a pour ambition d’éviter cet écueil, à défaut d’éviter des polémiques prévisibles.
La recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création de la commission d’enquête a été examinée par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Sans conclure à l’irrecevabilité, le rapport de notre collègue Pieyre‑Alexandre Anglade souligne que « le périmètre des travaux de la commission d’enquête dont il est proposé la création revêt une dimension particulièrement large. En plus des interrogations éventuelles quant à leur réalité, les faits mentionnés dans le dispositif de la proposition de résolution renvoient en effet à des “réseaux d’influence étrangers qui corrompent des élus, responsables publics, dirigeants d’entreprises stratégiques ou relais médiatiques dans le but de diffuser de la propagande ou d’obtenir des décisions contraires à l’intérêt national”.
« Par ailleurs, l’intitulé et l’exposé des motifs de la proposition de résolution ne facilitent pas la délimitation du périmètre de la commission d’enquête, qu’il s’agisse de la multiplicité des personnes physiques ou morales ciblées (États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées, relais d’opinion, dirigeants, partis politiques), de l’hétérogénéité des actes et comportements devant être étudiés (stratégie d’influence, corruption, diffusion d’une propagande, obtention de décisions contraires à l’intérêt national) et de la diversité des matières concernées (diplomatie, politique économique et fiscale, traités commerciaux).
« L’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale impose que les faits donnant lieu à l’enquête, ou les services ou entreprises dont est examinée la gestion, doivent être “déterminés avec précision”. Il appartiendra donc à la commission d’enquête de circonscrire ses travaux à un cadre suffisamment délimité, conformément à l’exigence de précision précitée ([148]). »
De fait, l’amplitude excessive du champ défini par l’intitulé de la proposition de résolution aura constitué un défi permanent pour les travaux de la commission d’enquête, constamment confrontée aux risques de l’éparpillement et du « filet dérivant ».
La majorité des groupes se sont abstenus lors du vote en commission des lois sur la recevabilité, donnant tacitement la priorité au « droit de tirage » des groupes d’opposition ou minoritaires, au détriment des dispositions législatives et réglementaires encadrant la définition de l’objet des commissions d’enquête parlementaires. Dans la discussion, notre collègue Hervé Saulignac résumait la situation en ces termes :
« Pour tout dire, je m’interroge sur l’intérêt de ce débat, puisque nous faisons tous le même constat : on ne peut s’opposer à ce qu’un groupe exerce son droit de tirage, mais cette commission d’enquête au champ mal délimité risque de partir dans tous les sens et de donner lieu à des dérives ([149]). »
La rapporteure prend acte du fait que la commission des lois ait fait primer le droit de tirage sur les critères de recevabilité et a pris bonne note des réserves émises par la commission quant au périmètre bien trop large de la commission d’enquête demandée par le groupe du Rassemblement national.
Néanmoins, attachée au bon fonctionnement de notre institution parlementaire et à la mission de contrôle que peut exercer l’Assemblée nationale, elle a eu à cœur de s’impliquer dans les travaux de la commission d’enquête avec sérieux et esprit de responsabilité.
Sans être le moins du monde dupe des raisons qui ont poussé le groupe du Rassemblement national à demander la création d’une commission d’enquête sur le sujet des ingérences étrangères, à savoir « se blanchir » de toute accusation de complaisance, connivence, allégeance ou lien privilégié avec le régime de Vladimir Poutine, la rapporteure a tenu à ce que les travaux se déroulent dans un climat de travail respectueux.
Compte tenu de la nature des sujets traités et des responsabilités professionnelles de plusieurs personnes auditionnées – chefs de services de renseignement, par exemple, dont les auditions se sont déroulées à huis clos –, la commission d’enquête s’est vu opposer à plusieurs reprises le secret de l’enquête, le secret de l’instruction ou le secret de la défense nationale.
À cette considération s’ajoute le fait que le champ de l’enquête parlementaire recoupe, pour une part substantielle, celui d’enquêtes judiciaires en cours, ce qui a plusieurs fois contraint la commission d’enquête à éviter d’entrer dans le détail d’affaires pourtant au cœur de son sujet.
Pour autant, une commission d’enquête parlementaire consacrée aux ingérences réelles ou potentielles de puissances étrangères « visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français » peut avoir un sens et une utilité réels au regard des menaces croissantes dont le contexte international est porteur.
On ne mentionnera dans cette introduction que les faits les plus connus : ingérences directes de puissances étrangères dans des processus électoraux, montée de la défiance vis-à-vis des savoirs rationnellement élaborés, révolution numérique, durcissement des relations entre les principales puissances mondiales et accroissement considérable des efforts d’armement partout dans le monde, guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine depuis le 24 février 2022. Tous ces éléments feront l’objet d’analyses, car les ingérences de puissances étrangères ont dans un tel contexte un pouvoir de déstabilisation démultiplié.
En outre, au cours des mois qui se sont écoulés après l’annonce de la création de la commission d’enquête, plusieurs affaires d’ingérence avérées ou potentielles ont été mises au jour ([150]).
Comme d’autres travaux récemment publiés, le présent rapport se veut être une contribution à une prise de conscience que l’on voudrait la plus générale possible quant aux faits d’ingérence et à leurs conséquences délétères sur nos démocraties libérales.
La rapporteure se félicite que les choix concernant la conduite des travaux aient été discutés dans un esprit constructif et de recherche du consensus ; elle regrette cependant que les commissaires membres de la NUPES n’aient pas souhaité siéger au bureau.
Compte tenu de l’amplitude du sujet, la commission d’enquête s’est tout d’abord concentrée sur la définition de la notion d’ingérence, notamment par distinction avec l’influence, et sur la forme que prennent les ingérences dans le contexte géopolitique actuel. À cette fin, elle a entendu de nombreux experts issus du monde de la recherche institutionnelle ou des think tanks.
Considérant que la Russie et la Chine devaient particulièrement retenir son attention du fait de la gravité de la menace qu’elles font peser sur les démocraties libérales, elle a souhaité bénéficier de l’éclairage de spécialistes de ces deux pays. Elle a également interrogé plusieurs personnalités politiques auxquelles sont reprochées, à tort ou à raison, des relations trop étroites avec le régime russe ou le régime chinois.
Parallèlement, elle s’est livrée à une évaluation des structures et des dispositifs de surveillance et de prévention des ingérences étrangères, au premier rang desquels les services de renseignement.
Elle a également mené une analyse des dispositifs de régulation de la vie politique et de leur efficacité face aux risques d’ingérence induits notamment par les conflits d’intérêts et les phénomènes de corruption.
Comme la question de la « guerre juridique » – le lawfare – et les problèmes posés par l’extraterritorialité du droit des États-Unis ont été mis en exergue par plusieurs experts et anciens responsables politiques entendus par la commission d’enquête, celle-ci a souhaité approfondir cet aspect que l’on peut considérer comme de l’ingérence, même si l’on se situe là à la lisière du champ défini par l’intitulé de la commission d’enquête.
En relation avec le lawfare, elle s’est également efforcée de situer les enjeux de la prédation scientifique, technologique et économique imputable à des puissances étrangères.
La commission d’enquête a bien entendu suivi de près les travaux de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne ([151]