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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIEME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2024
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
sur l’attribution, le contenu et le contrôle
des autorisations de services de télévision à caractère national
sur la télévision numérique terrestre
Président
M. Quentin BATAILLON
Rapporteur
M. Aurélien SAINTOUL
Députés
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Voir les numéros : 1743 et 1839.
La commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, est composée de : M. Quentin Bataillon, président ; M. Aurélien Saintoul, rapporteur ; Mme Ségolène Amiot ; M. Philippe Ballard ; Mme Valérie Bazin-Malgras ; M. Mounir Belhamiti (jusqu’au 6 mai 2024) ; M. Emmanuel Blairy ; M. Ian Boucard ; Mme Céline Calvez ; M. Aymeric Caron (jusqu’au 6 mai 2024) ; M. Sébastien Chenu ; Mme Fabienne Colboc ; M. Jocelyn Dessigny ; M. Inaki Echaniz ; M. Laurent Esquenet-Goxes ; Mme Estelle Folest ; M. Philippe Frei ; M. Jean-Jacques Gaultier ; M. Jérôme Guedj ; M. David Guiraud ; M. Laurent Jacobelli (jusqu’au 6 mai 2024) ; Mme Constance Le Grip ; Mme Sarah Legrain ; M. Stéphane Lenormand ; M. Christophe Marion ; M. Thomas Ménagé ; Mme Sophie Mette ; M. Karl Olive ; M. Jérémie Patrier‑Leitus ; M. Emmanuel Pellerin ; M. Stéphane Peu ; Mme Béatrice Piron (jusqu’au 6 mai 2024) ; Mme Sophie Taillé-Polian ; M. Christopher Weissberg.
SOMMAIRE
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Pages
Propositions à titre personnel du rapporteur
1. Aux origines de la TNT : créer une télévision diversifiée et de qualité
2. Plusieurs grandes étapes ont marqué l’histoire de la TNT
d. Le déclin de la TNT payante et la reconfiguration du service public de l’audiovisuel
ii. Un encadrement nécessaire de la publicité télévisée
B. Entre influence rÉelle et rÔle social au sein de la sociÉtÉ franÇaise
b. La contribution fondamentale des médias audiovisuels à la création et à la diffusion des œuvres
i. Un système vertueux qui a fait ses preuves
2. Une responsabilité renforcée en matière de représentation de la société dans toute sa diversité
3. L’impérieuse nécessité de protéger les plus jeunes
i. Des programmes jeunesse à des horaires inadaptés pour le développement des enfants
ii. Des contenus publicitaires qui ciblent les enfants et leur imaginaire
4. Un enjeu d’accessibilité des programmes pour tous les citoyens
a. Des obligations quantitatives respectées et bien souvent dépassées
b. Des efforts restent à mener en faveur de la qualité des dispositifs d’accessibilité
C. UNE PERTE DE QUALITÉ ET DES DÉrives qui interrogent : où est passÉ le mieux disant-culturel ?
1. Une exigence de qualité de plus en plus inégale
ii. Une standardisation industrielle des programmes audiovisuels de plus en plus marquée
d. Ouvrir le paysage audiovisuel à d’autres acteurs pour diversifier les contenus
2. Une reprise en main des grands groupes sur les ondes télévisées privées
4. Une confusion croissante et recherchée entre information, expertise et divertissement
a. Une appétence toujours très forte des Français pour l’information télévisuelle
II. Un processus d’attribution des frÉquences manifestement imparfait
A. UN PROCESSUS Dont le contenu a été dÉfini assez strictement par le lÉgislateur
3. Fixés par la loi, les critères de sélection s’enchevêtrent au détriment de leur clarté
a. Trois impératifs prioritaires parmi lesquels le pluralisme occupe une place de premier rang
b. Une multiplicité de critères de second rang qui complexifie la sélection du régulateur
a. La durée de la décision d’autorisation est limitée et peut être écourtée à titre de sanction
4. Des marges de progrès sur l’organisation du déroulement de la procédure d’attribution
C. Les conventions, un mÉcanisme de rÉgulation qui s’avÈre, À bien des Égards, insatisfaisant
1. Les conventions sont au cœur de la régulation par l’Arcom des chaînes de la TNT
3. Un niveau d’exigence vis-à-vis des chaînes qui doit s’accroître
4. Des « angles morts » au sein des conventions qu’il convient de traiter
b. L’absence de clauses garantissant la qualité de l’information
a. La nécessité d’une régulation accrue
b. L’apparition de bulles de concentration médiatique autour de l’information et du divertissement
c. Des outils de contrôle interne qui n’ont pas trouvé leur place
i. Une décision qui constitue un progrès de notre État de droit
i. Une décision fondamentale ouvrant un chantier nouveau pour l’Arcom
D. Une libertÉ de communication qui doit Être mieux conciliÉe avec la protection des publics
1. L’indispensable révision du cadre légal régissant les médias
i. Un panel d’interventions peu lisibles et le plus souvent inefficaces
ii. Une vision limitée et formelle de son rôle dans le contrôle du fonctionnement des chaînes
iii. Un pouvoir de sanction finalement mis en œuvre très timidement
v. L’office du juge administratif en matière de sanctions pourrait être réduit
Contributions des membres de la commission d’enquÊte
Propositions des dÉputÉs membres de la majoritÉ prÉsidentielle
Contribution des dÉputÉs membres du groupe Rassemblement national
Contribution des dÉputÉs membres du groupe La France insoumise – NUPES
Contribution des dÉputÉs membres du groupe Socialistes et apparentÉs
Personnes auditionnÉes par la commission d’enquÊte et liens vers les comptes rendus des auditions
Après 6 mois de travail, 45 auditions et 165 personnes entendues, la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre s’achève.
Elle était le fruit du droit de tirage annuel du groupe La France insoumise – NUPES, via la résolution déposée par le député des Hauts-de-Seine Aurélien Saintoul.
La télévision numérique terrestre (TNT), introduite en 2005, est un actif public d’une importance capitale et un enjeu de souveraineté majeur. Alors que certains la croient déjà dépassée, nous avons la profonde conviction qu’elle doit être préservée, protégée. L’État, à travers l’Arcom, octroie aux éditeurs de services de télévision des autorisations de diffusion pour l’exploitation commerciale des fréquences. Conformément à la loi du 30 septembre 1986 et à leurs engagements contractuels avec l’Arcom, ces éditeurs sont soumis à un grand nombre d’obligations en matière de pluralisme, d’honnêteté de l’information ou encore d’indépendance de celle-ci. Il s’agit de principes cardinaux que la commission d’enquête nous a permis de réaffirmer.
À l’heure où les réseaux sociaux et les plateformes prennent toujours plus de place dans le paysage audiovisuel des Français, nous devons être fiers de disposer de la TNT, qui préserve leur accès à une information fiable et de qualité. Elle a permis la diversification de l’offre audiovisuelle proposée aux Français et permet aujourd’hui un certain réarmement informationnel. Ainsi, le rôle des chaînes privées dans le paysage audiovisuel français n’est plus à prouver et l’intention de cette commission d’enquête n’est pas de ressusciter l’ORTF.
J’ai tenu à ce que cette commission d’enquête n’adopte pas, sur le fond comme sur la forme, l’objectif d’exercer une quelconque censure ou d’entraver les prérogatives mêmes du régulateur indépendant. Notre rôle est d’éclairer et non d’infantiliser nos concitoyens. Ceux-ci possèdent leur libre-arbitre, leur liberté de « zapper ».
Les obligations de financement des éditeurs de la TNT participent à la vitalité de la création. Grâce à cette politique ambitieuse, la France est l’un des seuls pays en Europe à conserver un cinéma divers, prolifique et reconnu à l’international. C’est un pilier de notre exception culturelle qu’il nous faut défendre. À l’instar de ce modèle cinématographique, le modèle économique des différentes chaînes de la TNT doit être conforté par une position responsable : face à la concurrence de grandes plateformes étrangères, les groupes audiovisuels éprouvent la nécessité d’unir leurs forces. Cependant, ces regroupements ne sauraient se réaliser au prix d’une perte d’indépendance des rédactions et des différentes équipes des chaînes concernées.
Lors de l’examen du rapport du rapporteur, il est apparu que 9 propositions allaient très fortement à l’encontre de la liberté de la presse et de l’avenir de la TNT. Nous avons obtenu leur classification comme propositions « à titre personnel » du rapporteur.
La majorité présidentielle souhaite que cette commission d’enquête soit utile et formule des propositions afin de faire évoluer le cadre général.
Avant toute chose, l’attribution à un éditeur d’une fréquence sur la TNT est un gage de confiance de la part de la puissance publique, représentée par l’Arcom. La procédure d’attribution ne doit pas se transformer en une procédure de renouvellement. L’expérience qu’a acquis un candidat avec la TNT et sa capacité à exploiter une fréquence jusqu’au terme de son autorisation d’émettre est un critère que nous devons sauvegarder. Cependant, la procédure d’attribution actuelle manque d’ouverture face aux projets des nouveaux candidats. L’intérêt du téléspectateur doit guider la procédure d’attribution et celui-ci est favorisé par la pluralité et la concurrence, qui dirigent chaque candidat vers le mieux-disant. La majorité présidentielle recommande l’ouverture d’une réflexion approfondie sur un cadre d’attribution nouveau, fondé sur l’équité et l’ouverture.
Les auditions menées par la commission d’enquête ont montré la difficulté des différents acteurs entendus à donner une estimation précise de la valeur commerciale des fréquences possédées par la puissance publique et mises à disposition gratuitement aux éditeurs pour leur exploitation. La majorité présidentielle recommande une évaluation financière, confiée à l’Arcom et à l’Inspection générale des finances, de la valeur commerciale des canaux hertziens.
Ensuite, concernant le contenu des programmes diffusés par les chaînes d’information, nous pensons que la lisibilité de la TNT doit être renforcée. Le besoin d’une information fiable, honnête, indépendante et de qualité se fait plus pressant que jamais, à l’heure où notre démocratie fait l’objet de déstabilisations protéiformes. Il est temps d’opérer notre réarmement informationnel, non pas en infantilisant le téléspectateur mais en lui donnant les clés pour repérer les sources fiables. La TNT doit rester à la fois un espace de pluralité, de liberté, mais aussi un espace de contact avec le réel. La majorité présidentielle propose ainsi de regrouper les chaînes d’information sur les canaux TNT 14 à 17 inclus (FranceInfo, BFM TV, CNews et LCI).
Le reportage est au cœur du travail journalistique de terrain et d’enquête et permet l’accès à de l’information fiable. Un bon niveau de reportage sur une chaîne est l’un des gages d’une information de qualité car ils garantissent une prise directe avec le réel et des débats en plateau basés sur des faits. C’est aussi une manière de garantir que le citoyen se sente représenté à l’écran, ce qui constitue à la fois un facteur d’attractivité commerciale pour une chaîne et un outil de cohésion sociale. La majorité présidentielle propose d’insérer un niveau minimum de reportages de terrain dans les grilles de programmes définies entre les éditeurs et l’Arcom afin d’équilibrer la part de débats et la part d’information brute.
La lisibilité de l’information connaît de nouvelles problématiques suite aux changements observés sur les plateaux de télévision depuis le lancement de la TNT en 2005. Les fonctions des différentes parties prenantes dans une émission se sont diversifiées, parfois au détriment de la clarté du statut de chacun. L’éditorialiste est en priorité un journaliste et supprimer cette fonction atteindrait grandement la qualité du débat public, en empêchant le citoyen de se forger un avis solide au contact de celui des autres. Cependant, une information fiable et honnête nécessite que le téléspectateur soit suffisamment éclairé pour différencier le rôle des différents intervenants. La majorité présidentielle propose de clarifier les fonctions et le statut des différentes personnes présentes sur le plateau, et ce d’une manière qui garantisse que la différence soit claire pour le téléspectateur tout au long de l’émission.
Parmi ces nouvelles problématiques, le déploiement de nouvelles émissions mêlant information et divertissement (infotainment) au cours de mêmes séquences a brouillé la distinction, autrefois clairement établie, entre ces deux fonctions essentielles de la télévision. Toujours dans une optique de lisibilité de la TNT, la majorité présidentielle propose de demander un rapport à l’Arcom sur les éléments pouvant servir à établir une meilleure distinction entre l’information et le divertissement, conformément à la loi Bloche.
Cette diffusion d’informations doit mettre en avant l’actualité française, mais également l’actualité européenne. En effet, les élections européennes sont un grand moment de vie démocratique pour notre pays, durant lequel chaque média prend sa part afin d’assurer la visibilité de chaque candidat et de chaque projet. Cependant, l’Europe ne se fait pas seulement au moment du vote. Cet espace politique produit des travaux, des réflexions et des textes qui ont une incidence concrète sur la vie de nos concitoyens. L’espace informationnel national reste trop souvent coupé de l’actualité européenne. Sans préjudice de la liberté éditoriale, qui constitue une partie intégrante de la liberté de la presse, la majorité présidentielle propose d’inscrire dans les conventions des chaînes d’information une part de temps d’antenne devant être consacrée à l’information sur les travaux menés par les différentes institutions de l’Union européenne.
Concernant la représentation de la diversité à l’écran, il s’agit d’un objectif clair et affirmé du législateur ainsi qu’une préoccupation sociale grandissante. La TNT ne doit pas se couper de la réalité de nos sociétés contemporaines et nous devons garantir que les éditeurs mettent les moyens pour parvenir à une représentation satisfaisante de la diversité. Chacun doit pouvoir se sentir représenté sur les fréquences qui appartiennent à tous. La majorité présidentielle propose ainsi d’inscrire dans les conventions des objectifs chiffrés pour une meilleure représentation des femmes, des personnes en situation de handicap et de la diversité à l’écran.
Quant au contrôle du contenu des programmes diffusés sur les chaînes de la TNT, il est nécessaire de rappeler que le modèle actuel d’investigation et de sanction mené par l’Arcom se déroule sur la base du signalement. Il ne paraît pas acceptable qu’une Autorité puissante ne puisse pas aujourd’hui sanctionner un éditeur en dehors des cas qui suscitent l’émoi du public ou la dénonciation. Les stipulations des conventions sont nombreuses et parfois obscures. Des éventuelles entorses peuvent ainsi ne pas être sanctionnées, faute de signalement. Sans porter atteinte à l’ensemble des procédures mises en place pour garantir une investigation et une procédure de sanction contradictoire et juste, et afin de faire respecter l’autorité de l’Arcom dans le respect par les éditeurs de leur convention, la majorité présidentielle propose que l’Arcom puisse s’autosaisir pour débuter une procédure de sanction sur l’ensemble des stipulations de la convention.
De plus, les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes créés par la loi Bloche sont des outils utiles dans la TNT qui doivent cependant évoluer considérablement. Dans une optique de transparence, la majorité présidentielle propose de rendre obligatoire et publics les comptes rendus exhaustifs des réunions des comités. Pour assurer leur bon fonctionnement et garantir la représentation de toutes les parties prenantes, le nombre de leurs membres doit également être augmenté. Afin d’écarter tout soupçon sur la crédibilité et l’indépendance des membres des comités, nous proposons également que la nomination de chaque membre soit préalablement soumise pour un avis conforme à l’Arcom. Enfin, la majorité propose d’imposer un rapport d’activité annuel à l’Arcom et des réunions trimestrielles avec les comités des différents éditeurs.
Le contrôle des contenus diffusés sur la TNT découle de convention conclues entre les éditeurs et l’Arcom. Ces conventions les engagent et qui doivent être respectées, il en va de la crédibilité de la puissance publique. Ainsi, la majorité propose, qu’outre les mises en garde et sanctions pécuniaires, l’Arcom puisse faire usage, à titre de sanction, de :
La réalité de ces sanctions fait apparaître la nécessité de renforcer la responsabilisation des éditeurs. Les fréquences TNT sont accordées sur une base de confiance mutuelle mais également sur une base contractuelle et légale. Les conventions passées avec l’Arcom engagent l’État, qui doit conserver son autorité. À partir d’un certain nombre de sanctions qu’il appartient à l’Arcom de définir, la majorité présidentielle propose qu’une convention puisse être dénoncée par celle-ci, provoquant une procédure d’attribution anticipée.
Concernant la perception de ces sanctions financières, la majorité croit fermement que l’information fiable et de qualité est un enjeu majeur de notre temps. Il est de la responsabilité des éditeurs de la produire. Il est de la responsabilité de l’Arcom de la garantir. Il est de la responsabilité de toutes les parties prenantes d’informer le public sur les moyens de la repérer. La majorité présidentielle propose que le Centre National du Cinéma, qui perçoit actuellement les amendes infligées aux éditeurs, finance également avec le produit de ces sanctions la production d’outils contribuant à l’éducation aux médias et à l’information.
Les États Généraux de l’Information, souhaités par le Président de la République, permettront également d’alimenter ces travaux. Les parlementaires seront libres par la suite de s’en saisir pour clarifier et faire évoluer la loi de 1986, à l’image de la société et de ses usages audiovisuels.
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À l’occasion de l’examen du projet de rapport, la commission d’enquête a choisi de faire apparaître à part les propositions n’engageant que son rapporteur, numérotées de I à IX.
Proposition n° 1 : Défendre dans les instances internationales et européennes l’affectation de la bande 600 MHz à la TNT, afin de préserver cet usage après 2031.
Proposition n° 2 : Actualiser et élargir la liste des événements sportifs et culturels d’importance majeure et réserver leur diffusion en clair aux seules chaînes de la TNT.
Proposition n° 3 : Prévoir que l’application de visibilité des chaînes de la TNT sur les écrans connectés garantisse l’anonymat des utilisateurs et l’absence de recueil de leurs données personnelles.
Proposition n° 4 : Renoncer à l’ouverture des secteurs interdits de publicité télévisée, ainsi qu’au développement de la publicité segmentée sur la TNT.
Proposition n° 5 : Donner à l’Arcom le pouvoir de sanctionner le manque de représentation de la diversité de la société française.
Proposition n° 6 : Inscrire dans la loi l’obligation de progrès des chaînes de la TNT dans la juste représentation des femmes et de la diversité, sous le contrôle de l’Arcom.
Proposition n° 7 : Demander à l’Arcom de mener, en partenariat avec l’Ina, une étude sur l’évolution historique de la classification des programmes étant soumis à la signalétique jeunesse.
Proposition n° 8 : Soumettre la diffusion des programmes jeunesse à une obligation plus stricte d’alternance d’œuvres de fiction et d’émissions éducatives et inviter l’Arcom à réaliser une étude et à produire des normes sur le contenu et le rythme des programmes destinés à la jeunesse.
Proposition n° 9 : Interdire les messages publicitaires destinés explicitement aux enfants de moins de 12 ans.
Proposition n° 10 : Faire progresser de manière quantitative et qualitative les obligations d’accessibilité des programmes aux personnes malentendantes et malvoyantes, à commencer par ceux de La Chaîne parlementaire.
Proposition n° 11 : Favoriser la production de programmes originaux alternatifs en mettant en place des circuits de financement publics et privés alternatifs.
Proposition n° 12 : Classer les programmes d’infotainment comme une sous-catégorie des programmes d’information politique et générale.
Proposition n° 13 : Fixer des normes de présentation des personnes intervenant à l’antenne et de leurs engagements politiques, en application de la décision du Conseil d’État du 13 février 2024.
Proposition n° 14 : Préciser dans les conventions des chaînes se présentant comme d’information la part de chiffre d’affaires et le temps d’antenne à consacrer à la recherche et à la présentation des faits d’actualité.
Proposition n° 15 : Faire du respect par les éditeurs de leurs obligations prévues par la loi ou leur convention un critère essentiel lors de l’attribution ou de la reconduction d’une autorisation d’émettre sur la TNT.
Proposition n° 16 : Prévoir qu’une chaîne qui n’aurait pas atteint les objectifs économiques et opérationnels prévus par le plan d’affaires annexé à son dossier de candidature ne peut voir son autorisation renouvelée sans une mise en concurrence.
Proposition n° 17 : Revoir la procédure d’appel à candidatures et les critères de manière à favoriser la diversité de l’offre et les nouveaux entrants, dans le cadre d’un dialogue compétitif ouvert et transparent entre l’Arcom et les candidats.
Proposition n° 18 : Mettre en place dans les dossiers de candidature un engagement social, permettant à un candidat à l’attribution d’une autorisation d’émettre de s’engager à reprendre une partie définie des salariés et sous-traitants du titulaire précédent évincé.
Proposition n° 19 : Limiter la possibilité de négocier au sein des conventions les engagements pris dans le cadre du dossier de candidature remis initialement par le candidat.
Proposition n° 20 : Rendre un caractère obligatoire au respect des obligations originales des conventions jusqu’à l’expiration ou à la remise de l’autorisation d’émettre, même en cas de modifications tendancielles des conditions économiques.
Proposition n° 21 : Faire des engagements en matière sociale (masse salariale, conditions d’emploi, conditions de travail, relations avec les fournisseurs) un critère de choix des candidats et d’obligations chiffrées au sein des conventions, dont l’Arcom devra assurer le contrôle avec des moyens d’enquête adaptés.
Proposition n° 22 : Renforcer la transparence de l’action du collège de l’Arcom en publiant tous les contacts existants entre ses membres et les éditeurs et en établissant des comptes rendus intégraux des réunions, notamment pour des décisions affectant l’attribution des autorisations d’émettre et la conclusion ou la modification des conventions.
Proposition n° 23 : Poursuivre le renforcement des effectifs de l’Arcom afin de lui permettre d’exercer pleinement les missions confiées par le législateur et les règlements européens.
Proposition n° 24 : Confier à l’Arcom une étude sur la stratégie des chaînes sur les réseaux sociaux.
Proposition n° 25 : Refondre les règles de lutte contre la concentration des acteurs dans le domaine des médias sur la base de seuils définis par le législateur et d’une analyse à la fois transversale et multicritères visant essentiellement à préserver le pluralisme des acteurs.
Proposition n° 26 : Tout en conservant l’interdiction de cession du contrôle d’une société détenant une autorisation d’émettre durant les cinq premières années, élargir l’assiette et augmenter le taux de la taxation des plus-values réalisées à l’occasion de la cession du contrôle d’une telle société.
Proposition n° 27 : Rendre obligatoire l’expression pluraliste et l’équité des temps de parole par tranche horaire.
Proposition n° 28 : Mettre fin à l’obligation de constituer un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, au profit d’un renforcement des capacités d’agir en matière de déontologie des institutions représentatives du personnel, des syndicats, des sociétés de journalistes et du Conseil de déontologie journalistique et de médiation.
Proposition n° 29 : Fonder les garanties reconnues aux journalistes sur des chartes éthiques nationales ou internationales plutôt que sur des chartes négociées au sein de chaque média.
Proposition n° 30 : Mettre en œuvre la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 en exigeant des éditeurs que l’ensemble des courants de pensée et d’opinion puissent être représentés à l’antenne sur chaque sujet du débat politique et de société, au moyen d’indicateurs contrôlés par l’Arcom.
Proposition n° 31 : Prévoir que chaque média d’information soit doté d’une charte définissant sa ligne éditoriale.
Proposition n° 32 : Doter l’Arcom d’un pouvoir d’enquête sur pièces et sur place pour constater le fonctionnement et l’indépendance des rédactions.
Proposition n° 33 : Refondre la loi du 30 septembre 1986 dans un code de la communication numérique ayant vocation à élargir les règles applicables à l’ensemble des médias en ligne.
Proposition n° 34 : Supprimer le principe de la caducité des mises en demeure adressées aux éditeurs des chaînes de la TNT au bout de cinq ans.
Proposition n° 35 : Mettre fin à la pratique de l’Arcom d’envoyer une lettre de rappel à la réglementation ou une lettre de mise en garde, au profit d’une mise en demeure puis d’une sanction en cas de non-respect par l’éditeur de ses obligations légales ou d’une obligation prévue par un même chapitre de sa convention.
Proposition n° 36 : Permettre à l’Arcom de prononcer des amendes pouvant allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires en cas de manquements répétés d’un éditeur à ses obligations légales ou conventionnelles.
Proposition n° 37 : Limiter l’office du Conseil d’État chargé de se prononcer sur les recours contre les décisions du CSA à celui de l’excès de pouvoir en cas d’erreur manifeste d’appréciation.
Proposition n° 38 : Prévoir que la réitération du non-respect des obligations légales ou conventionnelles par un éditeur doit entraîner le retrait de l’autorisation d’émettre qui a été délivrée.
Propositions à titre personnel du rapporteur
Proposition à titre personnel du rapporteur n° I : Interdire la diffusion de programmes jeunesse les matins avant l’école, ou à défaut, obliger les chaînes à afficher un message sanitaire de prévention durant l’intégralité des programmes concernés.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° II : Assurer une source de financement dynamique, spécifique, universelle et progressive comme la contribution à l’audiovisuel public et préserver les identités des sociétés le composant en renonçant au projet de rapprochement au sein d’une même holding.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° III : Dans les programmes des chaînes d’information, renoncer à la fonction d’éditorialiste, intrinsèquement liée à la presse écrite d’opinion, au profit d’experts disposant de compétences et titres pour analyser les faits.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° IV : Acter la fin de la TNT payante et prévoir la possibilité pour l’Arcom de ne pas réattribuer les cinq fréquences correspondantes.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° V : Soumettre la délivrance de l’autorisation d’émettre sur la TNT à une redevance annuelle pour occupation du domaine public assise sur le chiffre d’affaires des éditeurs concernés.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VI : Insérer dans les conventions des chaînes proposant des émissions d’information des garanties en matière d’indépendance des rédactions vis-à-vis des intérêts et des interventions de l’actionnaire, notamment en prévoyant l’agrément du directeur de la rédaction proposé par l’éditeur.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VII : Élargir la composition du collège de l’Arcom en prévoyant d’y faire figurer deux députés de l’opposition.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° VIII : Prévoir dans la loi du 20 septembre 1986 l’obligation pour les éditeurs de chaînes sur la TNT de respecter le principe de laïcité, incompatible avec la diffusion d’émissions à caractère religieux ; prévoir de faire respecter par l’Arcom le principe d’une réfutation des théories pseudo-scientifiques.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° IX : Attribuer à la rédaction des chaînes un droit d’opposition sur les décisions ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial de l’information.
Le 13 octobre 2023, les députés membres du groupe La France insoumise – Nouvelle Union Populaire écologique et sociale (LFI-NUPES) ont déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre (TNT).
Dans le cadre de l’exercice du « droit de tirage » prévu par le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale, donnant le droit aux groupes politiques minoritaires ou d’opposition d’obtenir, une fois par session ordinaire, la création d’une commission d’enquête, la proposition de résolution a été retenue par le groupe LFI-NUPES et renvoyée à la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, qui a constaté le 8 novembre 2023 que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête étaient réunies. Le même jour, la Conférence des présidents a entériné sa création, marquant la date de départ des six mois prévus par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour que la commission d’enquête achève ses travaux.
La commission d’enquête est composée de trente députés issus de tous les groupes politiques de l’Assemblée nationale. Le 6 décembre 2023, elle a élu son bureau et désigné notamment M. Quentin Bataillon (Renaissance – Loire) président et M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES – Hauts-de-Seine) rapporteur.
Du 14 décembre 2023 au 28 mars 2024, la commission d’enquête a pu consacrer plus de 80 heures à la tenue de 45 auditions, lui permettant d’entendre au total 165 personnes.
En application des pouvoirs d’enquête sur pièce et sur place reconnus par l’ordonnance du 17 novembre 1958, le rapporteur s’est rendu au siège de l’Arcom et a demandé la communication de l’ordre de 27 000 documents relatifs aux procédures d’attribution des autorisations d’émettre sur la TNT et à la régulation exercée par l’Arcom. Il a également eu l’occasion de demander communication de documents et de réponses complémentaires aux personnes et notamment aux éditeurs de programmes entendus par la commission. Il remercie l’ensemble des personnes concernées pour leur coopération à ses travaux.
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Le projet de cette commission d’enquête a germé, il y a déjà plusieurs années, dans le cerveau d’un jeune professeur forcé de constater combien la tâche que lui confiait la société par l’intermédiaire du ministère de l’Éducation nationale, à savoir transmettre des connaissances mais aussi un système de valeurs et de préférences incluant notamment le goût de l’effort intellectuel, la curiosité, la patience, le désintéressement et le respect d’autrui, se trouvait frontalement contrariée par l’influence que ses élèves subissaient continûment de la part de divers médias et en particulier de la télévision.
Bien que l’idée se soit imposée d’une désaffection de la jeunesse à l’égard de la télévision, celle-ci n’est que relative. D’ailleurs, s’ils ne regardent plus la télévision exactement de la même manière que leurs parents, les jeunes continuent de la regarder et surtout, la télévision a importé ses formats dans de nombreux médias. On aurait d’autant plus tort d’en sous-estimer les effets.
Quoi qu’il en soit, à tous les âges, elle façonne puissamment les imaginaires, véhicule des modèles de vie et de réussite, consacre certaines hiérarchies sociales, en ébranle d’autres, contribue à déterminer un rapport au monde craintif ou confiant, donne à la société une représentation d’elle-même flatteuse ou inquiétante…
C’est au nom justement de l’influence qu’elle pourrait exercer indûment sur les esprits que le législateur a souhaité encadrer la liberté de communication des chaînes de télévision et leur donner des obligations qui se traduisent dans les conventions passées avec l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
Vingt ans après le lancement de la TNT, la perspective d’un cycle inédit par son ampleur d’appel à candidatures visant à renouveler, ou non, les autorisations à émettre des chaînes, confortait l’idée qu’il était opportun de créer une commission d’enquête. On pourrait questionner et à vrai dire documenter l’impression spontanée d’avoir vu en deux décennies se former une télévision à triple vitesse inapte à donner de la société une fidèle représentation d’elle-même : des chaînes ou offres de plateformes payantes pour ceux qui en ont les moyens, des chaînes premium concentrant l’essentiel des moyens et des audiences, et des chaînes secondaires low cost dont la fonction consiste surtout à empêcher l’arrivée de nouveaux entrants et peut-être même à inciter le public à recourir à des offres payantes.
Presque quarante ans après la loi du 30 septembre 1986 libéralisant l’audiovisuel, cette commission d’enquête pourrait également constituer une contribution au bilan global dont devrait justement faire l’objet la libéralisation. De fait, le présent rapport d’enquête donne un aperçu de ce que « le marché fait à la télévision » et invite à se demander en toute bonne foi si les préventions exprimées à l’époque par ceux qui s’opposaient à la libéralisation ont vraiment été démenties ou confirmées par les faits.
Pour le rapporteur, il est clair que les intentions vertueuses que résumait le séduisant slogan du « mieux disant culturel » ont vécu ou pour être plus exact « n’ont guère vécu » que pour se diluer désormais dans des programmations où les arts, les sciences, la culture et même l’information sont réduits à bien peu de choses. La TNT est aujourd’hui le terrain d’affrontements de quelques groupes industriels privés pour lesquels la possession d’un média grand public entre dans une stratégie économique, mais aussi d’influence, de défense d’intérêts privés et de convictions personnelles.
Symptôme de cet état de faits, une autre actualité devait donner à la commission d’enquête une notoriété – dont peut-être ses membres se seraient volontiers passés – et contribuer à davantage centrer son travail sur la question du pluralisme et de l’information. La dégradation rapide du débat public sur les chaînes appartenant à M. Vincent Bolloré ayant suscité l’inquiétude de Reporters sans frontières (RSF), la décision rendue par le Conseil d’État le 13 février 2024 en faveur de cette association et les réactions, d’une véhémence et d’une mauvaise foi bien documentée par la commission et qui devraient troubler tout citoyen soucieux de la concorde publique, ont fini par reléguer un peu les préoccupations initiales du rapporteur au second plan.
À ce sujet, celui-ci croirait d’ailleurs se dérober à ses responsabilités s’il n’indiquait en toute franchise et dans le respect de l’indépendance de l’Arcom, que, compte tenu du nombre des rappels à l’ordre dont elles ont fait l’objet et de leur incapacité avérée à assurer constamment la maîtrise d’antenne à laquelle la loi les oblige, il ne comprendrait pas que les chaînes CNews et C8 puissent se voir en l’état renouveler leurs autorisations de diffusion.
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Si la TNT privée régulée reste une spécificité de l’audiovisuel français, il convient de la protéger face à certaines dérives ; ceci justifie de revoir un processus d’attribution des fréquences manifestement imparfait ; mais également de réformer un régulateur faible qui peine à préserver un paysage médiatique diversifié et respectueux de la bonne tenue du débat démocratique.
I. LA TNT : UNE SPÉCIFICITÉ DE L’AUDIOVISUEL FRANÇAIS QU’IL CONVIENT DE PROTÉGER FACE À CERTAINES DÉRIVES
La télévision française a longtemps été un monopole d’État. Ce n’est qu’il y 40 ans que de nouveaux canaux destinés aux chaînes privées ont été concédés avec la chaîne à péage Canal+ en 1984 puis La Cinq et TV6 en 1986.
Le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT) a ainsi permis de passer d’un paysage à 6 chaînes analogiques, dont 3 privées (TF1, Canal+, M6) à une offre de 14 chaînes lors de son lancement en 2005 et de 30 chaînes numériques nationales et 42 chaînes locales aujourd’hui, après la fin de la diffusion en analogique.
Si des nouveaux modes de diffusion via Internet – sur des plateformes, en télévision de rattrapage ou replay, sur des sites Internet – viennent aujourd’hui concurrencer ce mode de diffusion, la TNT reste un mode d’accès à la culture, au divertissement et à l’information irremplaçable pour une grande partie de la société française, qui peut aujourd’hui s’interroger sur les dérives de l’homogénéisation des programmes, de développement de chaînes d’opinion et de confusion entre divertissement et information.
A. LA TNT : un mode de diffusion en dÉclin qui demeure nÉanmoins structurant pour le paysage audiovisuel
1. Aux origines de la TNT : créer une télévision diversifiée et de qualité
a. Dès sa préfiguration, la TNT est envisagée comme un moyen d’offrir aux téléspectateurs une offre de programmes plus diverse et qualitative
Le 30 mai 1994, le Conseil des ministres des télécommunications de l’Union européenne s’accorde sur la définition d’une norme commune de compression (MPEG-2) et de diffusion (DVB-T) pour la télévision numérique. Dès 1996, cette dernière fait son apparition en France avec la numérisation de la transmission par satellite, puis par réseaux câblés. Cette nouvelle technologie de compression permet de minimiser l’utilisation des réseaux filaires (câble) ou hertziens (satellite), et donc de diffuser un plus grand nombre de chaînes sur un même canal. Des « bouquets » de programmes sont alors commercialisés, contribuant à enrichir l’offre et donnant naissance à une nouvelle économie de la télévision. Le succès rencontré par ces nouveaux services sur le câble et le satellite convainc les pouvoirs publics de s’engager dans la voie de la numérisation de la télévision hertzienne terrestre, moyen de réception historique et privilégié des Français.
Le passage de la télévision hertzienne du mode analogique au mode numérique constituant une évolution technologique majeure, le Gouvernement commande plusieurs travaux afin d’en évaluer l’intérêt et la faisabilité. Si tous concluent au caractère souhaitable et inéluctable de cette transition, ils insistent également sur son intérêt pour les diffuseurs et surtout pour les téléspectateurs. Ainsi, dès mai 1996, le rapport remis par M. Philippe Levrier valorise « l’accroissement significatif du nombre de programmes transmis par voie hertzienne » que pourraient permettre les nouvelles capacités offertes par la compression numérique, contribuant de fait « au mouvement général vers la société de l’information » ([1]).
En avril 1999, le rapport remis par MM. Jean-Pierre Cottet et Gérard Eymery à la ministre de la Culture et de la communication Mme Catherine Trautmann invite les pouvoirs publics à s’engager « sans délais inutiles » dans la voie de la TNT qui ouvrirait des « perspectives positives pour l’émergence d’un type nouveau de télévision » ([2]). Outre le développement d’une nouvelle offre de programmes, les auteurs soulignent la nécessité d’en développer la qualité. Selon eux, cette dernière « doit être une fin en soi », et non seulement le moyen de commercialiser un nouveau réseau. Ils appellent donc à « assujettir les projets commerciaux et techniques à la recherche de la qualité des chaînes diffusées sur les réseaux français. » ([3])
Cet objectif est réitéré dans le rapport remis par M. Raphaël Hadas-Lebel en janvier 2000 à l’issue de la consultation publique lancée par Mme Catherine Trautmann sur le développement de la TNT ([4]). Le principal apport de la numérisation est présenté comme celui de la mise à disposition des téléspectateurs d’une « offre élargie de programmes et de services de qualité », permettant l’accès du plus grand nombre à la société de l’information et constituant « une occasion historique de diversifier le paysage audiovisuel français ».
Dès sa préfiguration, la TNT n’apparaît donc pas seulement comme une modernisation inéluctable d’un mode de diffusion de la télévision, mais également et surtout comme une technologie à mettre au service de la diversité et de la qualité de l’offre audiovisuelle.
b. Des objectifs réaffirmés dans le cadre législatif instituant le lancement de la TNT et au cours de sa mise en œuvre
Au regard des avantages précités, et malgré les réticences initiales des éditeurs, le Gouvernement décide au début des années 2000 d’engager la France sur la voie du développement de la TNT. Son cadre juridique et son calendrier de lancement est fixé par la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Elle confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le soin de sélectionner, sur la base d’un certain nombre de critères, les éditeurs auxquels sera confiée une fréquence. Un mécanisme d’attributions prioritaires est également institué au profit du service public, ainsi qu’à celui des opérateurs privés déjà existants. Ces derniers bénéficient d’un octroi de droit de deux autorisations : l’une afin de reprendre simultanément leur signal analogique sur la TNT, l’autre pour la diffusion d’une chaîne supplémentaire (appelée « chaîne bonus »).
Lors de l’examen du projet de loi devant l’Assemblée nationale, Mme Catherine Tasca, ministre de la Culture et de la communication ayant succédé à Mme Catherine Trautmann, rappelle les intentions poursuivies par le lancement de la TNT : « Les citoyens doivent avoir accès à une offre de programmes diversifiée, de qualité, respectueuse des principes républicains. C’est à ces exigences que devra répondre l’attribution des nouvelles fréquences. » ([5])
Si le CSA lance un appel à candidatures dès le 24 juillet 2001, les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la TNT, notamment les opérations de réaménagement des fréquences analogiques, conduisent le Gouvernement à commander à M. Michel Boyon un rapport sur l’opportunité de poursuivre le projet. Le conseiller d’État, qui remet ses conclusions en octobre 2002 ([6]), appelle l’exécutif à « donner sa chance à la TNT », qui lui apparaît être « un procédé techniquement fiable et économiquement acceptable » ([7]). Le remplacement de l’analogique par le numérique offrirait non seulement « une offre élargie en nombre et en diversité des programmes », mais entraînerait également une forte réduction des coûts de diffusion supportés par les éditeurs, « les économies ainsi réalisées pouvant être affectées à l’enrichissement des programmes » ([8]). Ses conclusions sont suivies par le Premier ministre et le lancement de la TNT mené à son terme.
La TNT, une technologie qui permet la démultiplication des chaînes diffusées
Contrairement à la télévision analogique où chaque chaîne utilise un canal de fréquences exclusif, la télévision numérique terrestre (TNT) permet de diffuser plusieurs chaînes sur un même canal grâce à la numérisation du signal. Le flux vidéo de chaque chaîne est ainsi compressé pour en réduire la taille, puis assemblé à celui d’autres chaînes au sein d’une même entité, le multiplex. Le multiplexage permet alors la diffusion de quatre à six chaînes, au lieu d’une seule, sur la même fréquence de diffusion. L’innovation de la TNT par rapport à l’analogique réside donc dans une moindre consommation de fréquences qui permet une démultiplication de l’offre de chaînes tout en réduisant le nombre de bandes affecté aux services de télévision.
Le multiplex est ensuite confié à un opérateur de diffusion, tel que TDF ou TowerCast, qui l’achemine jusqu’aux 1 626 émetteurs (pylônes ou antennes) répartis sur l’ensemble du territoire de la France métropolitaine.
Une antenne de réception ou « antenne râteau » permet alors une réception individuelle ou collective de tous les canaux de la TNT. Afin de garantir une couverture complète du territoire, il est également possible de recevoir la TNT par une offre satellitaire gratuite (Fransat ou TNTSat) depuis la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur.
Source : TDF, Livre blanc – La place de la télévision numérique terrestre dans le paysage audiovisuel français, octobre 2018.
2. Plusieurs grandes étapes ont marqué l’histoire de la TNT
Vingt après son lancement, la TNT a permis un enrichissement significatif de l’offre télévisuelle, aussi bien d’un point de vue qualitatif avec la haute-définition, que quantitatif avec l’émergence de 26 chaînes nationales gratuites, 5 chaînes nationales payantes et 42 chaînes locales. Pour M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, « la TNT française se caractérise par l’abondance et la diversité de son offre pour les téléspectateurs. » ([9])
a. Le lancement de la TNT en 2005 permet de démultiplier une offre hertzienne autrefois limitée à six chaînes
Suite à son appel à candidatures lancé en juillet 2001, le CSA publie en octobre 2002 les 23 projets de chaînes retenus, parmi les 66 reçus, pour une diffusion sur la TNT : huit sont gratuites ([10]) et quinze sont payantes (dont deux sur un même canal) ([11]). Les opérateurs historiques TF1, Canal+ et M6 obtiennent chacun leur « chaîne bonus » prévue par la loi de 2000 : il s’agit respectivement de LCI, i-Télévision et M6 Music. Cette sélection conduit également à l’entrée de cinq nouveaux éditeurs qui ne disposaient d’aucune fréquence analogique : il s’agit des groupes AB, Bolloré, Lagardère, NRJ et Pathé. Quant au service public, outre Arte et La Chaîne parlementaire (LCP), le Gouvernement décide en décembre 2003 de ne conserver qu’un des trois canaux préemptés par la loi de 2000 : France 4 est alors créée et vient compléter les chaînes déjà existantes de France Télévisions ([12]).
Après l’annulation par le Conseil d’État ([13]) de six autorisations ([14]) en raison du dépassement par les groupes Canal+ et Lagardère du plafond de détention d’autorisations fixé par la loi, et suite à la restitution de leur autorisation par trois autres éditeurs ([15]), le CSA lance le 14 décembre 2004 un nouvel appel à candidatures. À son issue, huit nouvelles chaînes sont sélectionnées, parmi lesquelles quatre sont gratuites ([16]) et quatre payantes ([17]).
Plusieurs fois reporté, le lancement de la TNT a lieu le 31 mars 2005 en France métropolitaine, et le 30 novembre 2010 dans les outre-mer. Il constitue une véritable révolution dans un paysage audiovisuel français (PAF) jusqu’alors limité à six chaînes nationales sur la télévision analogique ([18]). Quatorze chaînes sont désormais accessibles pour 35 % de la population : treize sont gratuites (TF1, France 2, France 3, France 5, M6, Arte, Direct 8, W9, TMC, NT1, NRJ 12, LCP et France 4) et une chaîne payante avec des plages en clair (Canal+). Rapidement, l’offre s’enrichit de quatre nouvelles chaînes gratuites (BFM TV, I-Télé, Europe 2 TV et Gulli) fin 2005, puis de 10 nouvelles chaînes payantes ([19]) début 2006. Parallèlement, le taux de couverture de la TNT s’accroît rapidement, passant de 50 % de la population en 2005, à 85 % en 2007 et puis à 97 % en 2012.
Avec une offre de 28 chaînes nationales disponibles pour la quasi-totalité des Français en à peine quelques années, la TNT a incontestablement tenu son objectif d’offrir aux téléspectateurs un nombre accru de programmes ; un constat que vient néanmoins relativiser le poids initial de l’offre payante.
b. L’extinction définitive de l’analogique en 2011 libère un premier « dividende numérique » et motive l’octroi de chaînes compensatoires aux acteurs historiques
En 2007, la TNT connaît un nouveau tournant avec la décision de mettre fin à la diffusion analogique qui coexistait jusqu’alors. La loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur fixe ce basculement vers le tout numérique au plus tard le 30 novembre 2011. Cette transition permet de dégager de précieuses fréquences dans la bande hertzienne des 800 MHz : en 2011, ce « dividende numérique » est attribué par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) aux opérateurs de téléphonie afin qu’ils y développent des services de haut débit mobile 4G.
Toutefois, la loi de 2007 prévoit que la majorité des fréquences libérées « reste affectée aux services audiovisuels » ([20]), préfigurant le lancement d’un appel à candidatures pour la diffusion de nouvelles chaînes. Dans cette optique, il est prévu, sur le modèle de la loi de 2000, l’attribution aux éditeurs historiques (TF1, Canal+ et M6) d’un canal supplémentaire (ou « canal bonus ») sans passer par la procédure de droit commun. Cette disposition est alors présentée comme une contrepartie à l’arrêt prématuré de leur autorisation de diffusion analogique et au surcoût assumé pendant plusieurs années d’une diffusion simultanée en analogique et en numérique. Toutefois, ce dispositif est condamné par la Commission européenne comme contraire au droit de l’Union le 29 septembre 2011.
c. L’abandon des « canaux bonus », jugés contraires au droit de l’UE, justifie le lancement d’un appel à candidatures en 2011 qui enrichit le paysage de 6 nouvelles chaînes
Prenant acte de l’abandon du dispositif des canaux compensatoires, le CSA lance le 18 octobre 2011 un appel à candidatures pour la diffusion de six nouvelles chaînes en haute définition (HD). Cinq chaînes ([21]) sont alors déjà diffusées dans ce format depuis 2008 grâce à une norme de compression plus performante (MPEG‑4) que celle utilisée pour les chaînes standard (MPEG-2). En mars 2012, le CSA publie la liste des candidatures retenues : 6ter, Chérie 25, HD1, L’Équipe 21, RMC Découverte et TVous la Télédiversité (future Numéro 23) viennent enrichir le paysage de la TNT. Parmi elles, on ne compte toutefois que deux nouveaux entrants ([22]), les quatre autres chaînes appartenant à des groupes déjà existants ([23]). M. Marcel Rogemont, ancien rapporteur de la commission d’enquête consacrée en 2016 à cet appel à candidatures, observe « que le Gouvernement souhaitait donner une prime aux opérateurs historiques ; le hasard a fait que ces derniers ont été bien servis. ([24])
À cet égard, M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA, reconnaît qu’« on trouve, au sein des déclarations de M. Rogemont, plusieurs assertions concrètes sur la porosité entre l’autorité de régulation et les autorités exécutives. » ([25]) Il explique néanmoins ne pas avoir procédé à un signalement sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale ([26]) par manque de preuves matérielles, n’ayant pas eu accès aux archives du cabinet de son prédécesseur Michel Boyon : « Sur le recours à l’article 40 du code de procédure pénale, je ne crois en ses vertus qu’à condition de disposer de preuves ou de présomptions étayées par des documents. Or, je n’avais pas, à mon arrivée, de tels documents à ma disposition. » ([27])
M. Michel Boyon, ancien président du CSA, défend toutefois cette sélection opérée sous son mandat en 2012, affirmant qu’elle « n’était absolument pas » guidée par le souhait de « compenser la perte de canaux qui avaient été attribués par la loi » ([28]) à TF1 et M6.
L’une de ces attributions est à l’origine d’une vive polémique lorsqu’en avril 2015, le propriétaire de la chaîne Numéro 23, M. Pascal Houzelot, annonce la revendre pour près de 90 millions d’euros, trois ans seulement après que cette fréquence lui ait été attribuée gratuitement. Lui reprochant d’avoir « cherché avant tout à valoriser à son profit l’autorisation » obtenue dans la perspective d’une cession rapide, le CSA décide d’abroger le 14 octobre 2015 l’autorisation de diffusion de Numéro 23 ([29]). Le Conseil d’État annule toutefois cette décision le 30 mars 2016 ([30]), car fondée sur une fraude à la loi non démontrée, et le régulateur accorde finalement son agrément à la prise de contrôle de la chaîne par NextRadioTV, le 26 juillet 2017. Pour M. Marcel Rogemont, « le CSA aurait dû faire plus qu’acter ce passage de mains en mains » ([31]) et être davantage exigeant à cette occasion sur la révision de la convention de la chaîne. Si son rapport d’enquête de 2016 n’a pas permis de trouver des éléments prouvant des faits de collusion, de favoritisme ou de fraude, les événements postérieurs ont encore plus alimenté les soupçons pesant sur toute la gestion de cette affaire.
Aujourd’hui, l’Arcom fait face à un contentieux en responsabilité, M. Pascal Houzelot réclamant plus de 20 millions d’euros de dommages et intérêts pour compensation du préjudice subi. Une demande que M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA (2013-2019), qualifie d’» impudente » ([32]) au regard du profit déjà réalisé grâce à la revente. Après un rejet du tribunal administratif de Paris en 2020, confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris en 2023, l’affaire étant désormais devant le Conseil d’État.
d. Le déclin de la TNT payante et la reconfiguration du service public de l’audiovisuel
L’évolution du paysage de la TNT a été marquée par la difficulté des chaînes payantes à trouver un modèle économique pérenne, les coûts de diffusion ne parvenant souvent pas à être amortis par un nombre suffisant d’abonnements. L’attrition au cours des années de ces services en témoigne : après AB1 en octobre 2008, Canal J met fin à sa diffusion en 2009, suivi de TPS Star en mai 2012, de CFoot en juin de la même année, de TF6 en décembre 2014, et d’Eurosport en janvier 2015. M. Roch-Olivier Maistre le reconnaît : « Le modèle de la TNT payante est en attrition : il n’existe plus qu’à travers Canal+, et Paris Première d’une certaine façon. Toutes les autres expériences ont pris fin. » ([33])
De même, plusieurs chaînes ont tenté de migrer vers la TNT gratuite afin d’y rechercher une audience plus large : après un premier refus adressé en 2011 à LCI et Paris Première, le CSA maintient sa position en 2014 face à la demande réitérée des deux chaînes, à laquelle se joint Planète+. Suite à l’annulation de cette décision par le Conseil d’État le 17 juin 2015 ([34]), le CSA finit par autoriser le passage de LCI en gratuit le 17 décembre 2015. Une décision que regrette M. Marcel Rogemont : « le groupe TF1 a tout bonnement gagné gratuitement une chaîne diffusée sur la TNT gratuite. » ([35]) Le premier groupe de télévision privé, si on le mesure en parts d’audience, a ainsi remporté le rapport de force engagé avec le régulateur, contraignant ce dernier à accéder à une demande qu’il considérait initialement comme injustifiée.
Quant au groupe France Télévisions, sa présence sur le PAF connaît deux évolutions notables.
La première réside dans la création d’une chaîne information en continu publique : projet esquissé au début des années 2000 puis abandonné en 2003, il est relancé en 2015 en association avec Radio France, France 24 et l’Institut national de l’audiovisuel (INA). Le 6 juillet 2016, le CSA en autorise la création, portant donc à quatre le nombre de chaînes d’information en continu (et ce sans compter LCP), une configuration inédite dans le paysage audiovisuel européen.
La seconde évolution marquante est la disparition de France Ô, chaîne consacrée à la diversité culturelle et aux outre-mer, diffusée sur la TNT nationale depuis 2010. Décidée en 2018 et effective en août 2020, sa suppression est justifiée par le Gouvernement sur la base de la faible audience réunie par la chaîne et de l’insuffisante exposition qu’elle offrirait aux outre-mer en les cantonnant à un seul canal. L’engagement est alors pris d’une meilleure exposition de ces territoires sur l’ensemble des autres chaînes du groupe France Télévisions, notamment par la signature avec l’État d’un « pacte pour la visibilité des Outre-mer » en juin 2019. Mme Delphine Ernotte Cunci, PDG de France Télévisions, explique : « L’ambition de France Ô était de parler du pays aux Ultramarins travaillant dans l’Hexagone. […] Nous nous sommes demandé si la visibilité des outre-mer ne concernait que la diaspora ultramarine et devait être cantonnée à une petite chaîne de la TNT. Les ministres chargés de la culture et des outre-mer ont décidé de les exposer au contraire sur toutes les chaînes et toutes les radios. » ([36]) Le rapporteur regrette néanmoins que la visibilité des outre-mer sur l’ensemble des chaînes du service public ait été pensée comme une alternative à une chaîne de plein exercice leur étant spécialement consacrée : complémentaires, ces deux objectifs auraient dû être poursuivis en parallèle. En effet, il apparaît clairement que la suppression de France Ô a pratiquement invisibilisé les ultra-marins sur la TNT : selon le Baromètre de la représentation de la société française publié par l’Arcom ([37]), alors que ceux-ci représentaient 10 % des locuteurs intervenant à l’antenne en 2020, ils n’étaient plus que 1 % en 2022. Un constat prévisible que le Gouvernement a préféré ignorer pour poursuivre son objectif de réduction du périmètre de l’audiovisuel public.
e. Le passage au tout-HD en 2016 marque un saut qualitatif et libère un second « dividende numérique »
En 2014, le Gouvernement décide de généraliser la norme de compression MPEG-4 sur la TNT : plus économe en ressource hertzienne que le format MPEG‑2, elle permet d’améliorer la qualité offerte aux téléspectateurs tout en optimisant l’utilisation de la bande hertzienne face aux besoins croissants du très haut débit mobile. Amorcée lors de l’appel à candidatures de 2011, la transition vers la TNT haute définition (HD) est poursuivie par le CSA lors d’un nouvel appel à candidatures le 29 juillet 2015.
En 2014, le Gouvernement décide de généraliser la norme de compression MPEG-4 sur la TNT : plus économe en ressource hertzienne que le format MPEG‑2, elle permet d’améliorer la qualité offerte aux téléspectateurs tout en optimisant l’utilisation de la bande hertzienne face aux besoins croissants du très haut débit mobile.
Amorcée lors de l’appel à candidatures de 2011, la transition vers la TNT haute définition (HD) est poursuivie par le CSA lors d’un nouvel appel à candidatures le 29 juillet 2015. Cet appel vise « à poursuivre le mouvement de généralisation de la diffusion en haute définition des chaînes existantes ou à introduire de nouveaux services en haute définition. » ([38]) L’État a préempté 5 canaux pour le passage à la HD de chaînes du secteur public ([39]). 26 dossiers ont été déposés :
– 12 proposant le passage en haute définition de chaînes TNT déjà existantes au format en simple définition (BFM TV, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, D8, D17, Gulli, I-Télé, NRJ 12, NT1, Planète+, TMC et W9) ;
– 14 proposant des services nouveaux sur la TNT nationale, dont 6 pour y diffuser en HD des chaînes déjà existantes sur le câble ou la TNT locale (BFM Business, IDF1 HD, Paris Première, Planète+, LCI, QVC), 4 projets de nouvelles chaînes portés par des groupes audiovisuels existants (Classique TV, HA26, Lynx, Nostalgie HD) et 4 projets présentés par de nouveaux entrants (Campagne TV, Gong HD, Hyper TV, OFIVE) ([40]).
Le 7 octobre 2015, le CSA a attribué les fréquences disponibles au passage en HD des 12 chaînes existantes et n’a retenu aucun projet de chaîne inédite, alors que certains étaient portés par des groupes ayant une expérience reconnue.
Dans sa continuité, la loi n° 2015-1267 du 14 octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, vient donner au Gouvernement et au CSA les outils juridiques nécessaires au réaménagement des fréquences.
La généralisation de la norme MPEG-4 est effective le 5 avril 2016 et marque ainsi le passage au tout-HD cinq ans seulement après celui au tout-numérique. Ce changement de norme libère un second « dividende numérique », celui de la bande des 700 MHz, attribué par l’Arcep en décembre 2015 aux opérateurs de téléphonie mobile afin d’accélérer le déploiement de la 4G, et à terme, celui de la 5G.
Des réaffectations de certaines bandes de fréquences initialement destinées aux chaînes de la TNT vers un usage mobile ont d’ailleurs déjà eu lieu, à plusieurs reprises, depuis la création de la TNT en 2005.
Historique des principales évolutions des fréquences attribuées à la TNT
depuis sa création en 2005
Les bandes de fréquences allouées aux chaînes de la TNT ont évolué à plusieurs reprises depuis 2005 afin d’optimiser leur usage et de tirer les conséquences des progrès techniques réalisés.
En 2005, soit au moment de la création de la TNT, les chaînes étaient diffusées à partir de cinq multiplex (R1, R2, R3, R4, R6) à travers dix-sept sites du territoire, pour une couverture estimée à un peu plus d’un tiers de la population nationale (35 %). Ce taux a rapidement progressé pour atteindre une couverture de 85 % de la population dès 2007.
En 2008, un sixième multiplex a été créé (R5), au moment du lancement des quatre premières chaînes en haute définition.
En 2011, afin de tirer les conséquences d’une décision de la Conférence mondiale de radiocommunications (CMR) intervenue en 2007, la bande 800 MHz a été libérée au profit des opérateurs de téléphonie mobile, après l’extinction de la télévision analogique. Cette rétribution s’est appuyée sur les besoins des opérateurs mobiles, d’une part, et sur les progrès techniques réalisés, qui ont permis, grâce à la numérisation du signal, de diffuser plusieurs chaînes sur un même canal de fréquences.
En 2012, deux nouveaux multiplex ont été mis en place (R7 et R8), alors que de nouvelles chaînes en haute définition venaient d’être lancées. La même année, la CMR a décidé d’attribuer les fréquences de la bande 700 MHz utilisés pour la TNT pour les services mobiles en Europe. Ce transfert de fréquences a conduit à abandonner l’utilisation de la norme MPEG-2. Depuis cette date, les chaînes de la TNT diffusées en métropole sont regroupées en six multiplex.
En 2023, la CMR a décidé de réexaminer l’utilisation pour le mobile de la bande dite des 600 MHz en 2031, qui abrite actuellement environ un tiers des fréquences de la TNT.
Source : Arcep.
Lors de son audition, le président de l’Arcom avait rappelé à ce titre, la volonté française de continuer à porter, lors des conférences mondiales de radiocommunications, une position ferme en faveur de « la préservation d’une bande de fréquences dédiée à la TNT » ([41]) tout en reconnaissant que cette position « ne fait pas consensus au sein de l’UIT » ([42]), ce qui pourrait conduire à des réattributions après 2030. Le Gouvernement doit remettre à la fin de l’année prochaine, au Parlement, un rapport à ce sujet, afin d’anticiper au mieux les évolutions à venir dans ce domaine.
Une affectation de la bande hertzienne à la TNT
garantie jusqu’au 31 décembre 2030
La diffusion de la TNT repose sur une ressource spectracle qui, bien qu’en diminution ces dernières années en raison des transferts des bandes 800 MHz et 700 MHz, demeure sanctuarisée jusqu’au 31 décembre 2030 au niveau national comme européen. La bande de fréquences 470-694 MHz est ainsi réservée à la diffusion audiovisuelle par :
– L’article 2 de la loi n°2015-1267 du 14 octobre 2015 relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre ;
– La décision (UE) 2017/899 du 17 mai 2017 relative à l’utilisation de la bande de fréquences 470-790 MHz dans l’Union.
Outre ces deux niveaux, l’avenir du spectre alloué à la TNT dépend également des orientations arrêtées au niveau mondial par l’Union internationale des télécommunications (UIT). Cette agence spécialisée de l’ONU assigne les bandes de fréquences à un type d’utilisation. Ainsi, la dernière Conférence mondiale des radiocommunications (CMR), qui s’est conclue en décembre 2023, a décidé de réexaminer l’utilisation pour le mobile de la bande 600 MHz, soit un tiers des fréquences de la TNT.
L’année 2025 sera une année charnière concernant le devenir de la bande 470-694 MHz après 2030. En effet, deux rapports sont attendus :
– Au niveau national, la loi du 14 octobre 2015 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport relatif aux perspectives de diffusion et de distribution des services de télévision en France ;
– Au niveau européen, la Commission européenne produira également un rapport sur la stratégie politique à mettre en œuvre concernant cette bande ; dans la perspective des CMR de 2027 et 2031.
Fréquences affectées à la diffusion hertzienne terrestre de la télévision
Source : Agence nationale des fréquences, Bilan du passage à la TNT HD, 7 juillet 2016.
Ce réexamen des fréquences actuellement dévolues à la TNT risque de mettre en cause leur ampleur, notamment au sein de la bande des 600 MHz, et ainsi la diversité des chaînes gratuites qu’elle est en mesure de proposer, au profit d’une affectation à des usages mobiles beaucoup plus énergivores. Pour le rapporteur, durant les négociations qui vont s’engager au niveau international de l’Union internationale des télécommunications (UIT) comme au niveau européen, la France devrait défendre le principe d’un maintien des fréquences destinées à un usage télévisuel.
Proposition n° 1 : Défendre dans les instances internationales et européennes l’affectation de la bande 600 MHz à la TNT, afin de préserver cet usage après 2031.
f. Après le renouvellement des autorisations de Canal+ en 2020, puis de TF1 et M6 en 2023, un appel aux candidatures inédit cette année
En application de la loi de 1986, les autorisations d’émettre sont accordées pour une durée maximale de 10 ans, éventuellement prolongée de 5 années supplémentaires. Ce n’est donc pas totalement par coïncidence que 15 autorisations d’émettre de chaînes de la TNT – dont notamment celles des premières chaînes sélectionnées pour émettre sur la TNT en 2005, qui ont eu une autorisation d’émettre de 10 ans renouvelée pour 5 années – vont être soumises à renouvellement en 2025, alors que celles des trois chaînes privées antérieures viennent de l’être.
Ces dernières années, les trois chaînes privées historiques ont toutes vu leur autorisation remise en jeu et renouvelée par le régulateur, mais pour des périodes sensiblement différentes qui traduisent une différence de projection sur la TNT. En décembre 2020, le CSA a ainsi accordé une nouvelle autorisation à Canal+ pour une durée anormalement limitée de trois ans ([43]), à la demande de l’éditeur qui arguait de ses faibles audiences sur ce mode de diffusion. Reconduite hors appel à candidatures en mars 2023 pour une durée de 18 mois ([44]), cette autorisation arrivera à échéance le 5 juin 2025.
TF1 et M6, également candidates à leur renouvellement, ont quant à elles conservé en 2023 leur fréquence pour dix années supplémentaires. À l’occasion de cette première remise en appel de fréquences utilisées par des chaînes gratuites depuis 2005, la sélection opérée par l’Arcom le 27 avril 2023 conduit à écarter le projet SIX porté par M. Xavier Niel pour le sixième canal.
Près de 20 ans après le lancement de la TNT, l’Arcom a lancé le 28 février 2024 un nouvel appel aux candidatures qui remet en jeu les autorisations des 15 chaînes nationales arrivant à échéance en 2025 ([45]).
Alors qu’elles représentent près de la moitié des ressources hertziennes sur lesquelles repose l’offre de la TNT, ces 15 chaînes réalisaient 21 % de la part d’audience et 25 % du chiffre d’affaires des chaînes privées de la TNT en 2022 – alors que TF1 et M6 en représentent bien plus. Le rapporteur voit dans ce décalage le signe que ces chaînes secondaires, souvent alimentées de programmes low cost (cf. infra), n’ont pas su faire aux yeux des téléspectateurs la démonstration de leur plus-value. Du reste, le renouvellement de 2024 constitue la plus importante vague d’attribution de fréquences depuis 2005 : il marque donc une nouvelle étape majeure de l’histoire de la TNT et pourrait conduire à remodeler sensiblement le PAF de la prochaine décennie.
Le paysage de la TNT dans l’Hexagone en 2024
et les canaux soumis à renouvellement en 2025 (en gras)
1 TF1 (groupe TF1) autorisation renouvelée le 27 avril 2023 pour 10 ans
2 France 2 (France Télévisions) canal préempté par l’État
3 France 3 (France Télévisions) canal préempté par l’État
4 Canal+ (groupe Canal+) issue d’une concession de service public accordée par l’État en 1983, et soumise depuis 1995 à un régime d’autorisation. Cette autorisation d’émettre sur la TNT payante a été renouvelée en 2020 pour 3 ans puis en 2023 pour 18 mois, à la demande de l’éditeur, elle arrivera à échéance le 5 juin 2025
5 France 5 (France Télévisions) canal préempté par l’État
6 M6 (groupe M6) autorisation renouvelée le 27 avril 2023 pour 10 ans
7 Arte – canal préempté par l’État
8 C8 (groupe Canal+) anciennement Direct 8 lors de sa création par le groupe Bolloré puis D8 à la suite de son rachat par le groupe Canal+, diffusée sur la TNT depuis 2005 et dont l’autorisation arrivera à échéance le 28 février 2025
9 W9 (groupe M6) diffusée depuis 2005 et reconduite hors appel à candidatures en 2009, son autorisation arrivera à échéance le 28 février 2025
10 TMC (groupe TF1) créée en 1954 et autorisée par le CSA en 2003 pour une diffusion sur la TNT. Son autorisation est reconduite en 2019 et arrivera à échéance le 28 février 2025
11 TFX (groupe TF1) anciennement NT1, créée et autorisée en 2003. Le groupe TF1 l’a racheté à AB Groupe en 2010. Son autorisation arrivera à échéance le 28 février 2025
12 NRJ 12 (NRJ Group) autorisée à émettre sur la TNT à partir de 2005 et reconduite en 2019 ; son autorisation vient à échéance le 28 février 2025
13 LCP – canal préempté par l’État pour le compte de LCP – Assemblée nationale et Public Sénat
14 France 4 (France Télévisions) canal préempté par l’État
15 BFM TV (groupe Altice Média) retenue par le CSA le 14 décembre 2004. Son autorisation est reconduite hors appel à candidatures le 11 décembre 2019 pour une durée de 5 ans, jusqu’au 31 août 2025
16 CNews (groupe Canal+) retenue par le CSA le 14 décembre 2004 et diffuse depuis 2005. Son autorisation a été reconduite hors appel à candidatures en 2019 et arrivera à échéance le 31 août 2025
17 CStar (groupe Canal+) diffusée depuis 2005. Rachetée à Lagardère Active par le groupe Bolloré en 2010 et remplacée par Direct Star, le groupe Canal+ en fait l’acquisition en 2012 et la renomme D17 puis CStar. Son autorisation d’émettre arrivera à échéance le 31 août 2025
18 Gulli (groupe M6) diffusée depuis 2005 et rachetée en 2019 au groupe Lagardère. Le 10 juillet 2019, son autorisation est reconduite et arrivera à échéance le 30 août 2025
19 Vacant (anciennement France Ô, dont la diffusion a été supprimée et a permis le passage de Franceinfo en HD)
20 TF1 Séries Films (groupe TF1) anciennement HD1, créée et autorisée en 2012. Son autorisation a été reconduite en 2022 et arrivera à échéance 11 décembre 2027
21 L’Équipe (groupe Amaury) créée en 1998 et retenue pour émettre sur la TNT le 27 mars 2012 ; son autorisation arrivera à échéance le 11 décembre 2027
22 6ter (groupe M6) diffusée depuis 2012, reconduite hors appel à candidatures en 2022, et dont l’autorisation arrivera à échéance le 11 décembre 2027
23 RMC Story (groupe Altice Média) issue du rachat en 2016 par le groupe Altice de la chaîne Numéro 23, retenue par le CSA lors de l’appel à candidatures du 18 octobre 2011. Son autorisation est reconduite hors appel à candidatures le 9 mars 2022 pour une durée de 5 ans, jusqu’au 11 décembre 2027
24 RMC Découverte (groupe Altice Média) retenue par le CSA lors de l’appel à candidatures du 18 octobre 2011. Son autorisation est reconduite hors appel à candidatures le 9 mars 2022 pour une durée de 5 ans, jusqu’au 11 décembre 2027
25 Chérie 25 (NRJ Group) retenue par le CSA le 27 mars 2012 ; Sa convention a été reconduite par l’Arcom le 23 février 2022 pour une durée de cinq ans, jusqu’au 11 décembre 2027
26 LCI (groupe TF1) créée en 1994 et autorisée en 2003 pour une diffusion sur la TNT payante. Le CSA a autorisé son passage sur la TNT gratuite en 2016. Son autorisation arrivera à échéance le 28 février 2025
27 Franceinfo (France Télévisions) canal préempté par l’État
30 à 38 Chaînes de télévision locale
41 Paris Première (groupe M6) créée en 1986 pour une diffusion sur le câble, et diffusée depuis 2005 sur la TNT payante. Son autorisation est reconduite en 2019 et arrivera à échéance le 28 février 2025
42 Canal+ Sport (groupe Canal+) autorisée à émettre sur la TNT payante depuis 2005 ; son autorisation arrivera à échéance le 31 août 2025
43 Canal+ Cinéma (groupe Canal+) autorisée à émettre sur la TNT payante depuis 2005 ; son autorisation arrivera à échéance le 31 août 2025
45 Planète+ (groupe Canal+) autorisée à émettre sur la TNT payante depuis 2005 ; son autorisation arrivera à échéance le 31 août 2025
3. Un public qui reste au rendez-vous en dépit de ces évolutions et un mode d’accès irremplaçable pour les Français non connectés
a. Concurrencée par de nouveaux usages et de nouvelles offres, la télévision linéaire conserve une puissance fédératrice inégalée qui doit être préservée
Après quarante années de croissance continue, la consommation quotidienne de télévision linéaire décline depuis le début des années 2010. La durée moyenne d’écoute individuelle (DEI) est ainsi passée de 3h50 en 2012, année de son pic historique, à 3h19 en 2023, et ce malgré un léger rebond durant le confinement. La télévision linéaire souffre en effet d’une double concurrence, qui lui est particulièrement préjudiciable chez les plus jeunes (15-34 ans) dont la DEI a chuté de 2h47 en 2012 à 1h43 en 2019.
Tout d’abord, les écrans se sont multipliés et sont désormais au nombre de 5,6 en moyenne par foyer ([46]). Le numérique a, en quelques années seulement, bouleversé les usages, profitant notamment de forfaits mobiles plus accessibles et du développement des réseaux sociaux. M. Yannick Carriou, président-directeur général de Médiamétrie, souligne qu’» en 2012, les Français surfaient sur internet environ 4 heures par mois sur leur mobile ; en 2019, ce chiffre était de près d’une heure et demie par jour » ([47]). Internet occupe aujourd’hui une place centrale dans les habitudes, empiétant par-là sur le temps auparavant consacré à la télévision, qui demeure néanmoins l’écran le plus répandu au sein des foyers. M. Éric Maigret, professeur de sociologie des médias à l’université Sorbonne-Nouvelle, parle de « nomadisme des pratiques » pour qualifier cette « fragmentation des publics et de l’offre sur différents supports » ([48]).
Si le temps passé devant la télévision décline, sa décomposition tend elle aussi à évoluer au détriment des contenus linéaires. L’émergence des plateformes de vidéo à la demande par abonnement (subscription video on demand, SVOD) constitue ainsi une mutation majeure de ces dernières années. Si Netflix fait son entrée en France dès 2014, la consommation de ces nouveaux services s’accroît considérablement et s’installe durablement à l’occasion du confinement, avec une offre enrichie de Amazon Prime en 2019 et de Disney+ en 2020. Aujourd’hui, la France compte 9,4 millions d’utilisateurs quotidiens de ces plateformes ([49]). Cette diversification de l’offre audiovisuelle conduit donc à une diminution de la part consacrée aux contenus linéaires au sein du temps passé devant le téléviseur (90 % en 2014 contre 80 % dix ans plus tard ([50])).
Malgré cette double concurrence des usages numériques et des offres audiovisuelles, la télévision linéaire n’en reste pas moins structurante dans la consommation de vidéo et demeure le seul média capable de rassembler autant de Français simultanément. Au pic de consommation quotidienne, la télévision réunit environ 25 millions d’individus (à 21 heures), contre 4,5 millions pour les plateformes de SVOD (à 22 heures) et 4 millions pour la vidéo sur Internet (à 18 heures). Cette puissance fédératrice se constate notamment lors des grands événements politiques ou sportifs : à titre d’exemple, la finale de la Coupe du monde de football en 2022 a rassemblé jusqu’à près de 30 millions de téléspectateurs ([51]). Dans ce contexte, la TNT gratuite, dont les chaînes représentent 90,8 % de l’audience télévisuelle en 2023 ([52]), demeure plébiscitée. Pour Mme Guylaine Guéraud-Pinet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, « malgré les discours sur la fin de la télévision, celle-ci reste un média fédérateur et regardé, comme l’ont montré les différents confinements et tous les grands événements sportifs rassemblant plusieurs millions de téléspectateurs. » ([53])
Par sa capacité à rassembler, la télévision hertzienne participe à créer du commun comme aucun autre média. Dans une société de plus en plus polarisée, cette puissance doit être préservée et mise au service d’une culture partagée. Parce que les événements sportifs contribuent indéniablement à cette dernière, il convient d’en garantir l’accès au plus grand nombre de téléspectateurs. La loi n° 2000-719 du 1er août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication a ainsi prévu que « Les événements d’importance majeure ne peuvent être retransmis en exclusivité d’une manière qui aboutit à priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre en direct ou en différé sur un service de télévision à accès libre. » C’est à ce titre que le décret n° 2004-1392 du 22 décembre 2004 pris pour application de l’article 20-2 de la loi du 30 septembre 1986, a fixé une liste d’événements d’importance majeure (EIM) que le public ne saurait être privé de la possibilité de suivre. Actuellement au nombre de 21, ils doivent être diffusés en direct et en intégralité sur une chaîne de la TNT gratuite ou sur une plage en clair d’une chaîne de la TNT payante. Cette dernière ne peut donc se réserver l’exclusivité d’un EIM, et si elle ne peut en assurer une retransmission dans des conditions équivalentes aux chaînes gratuites, elle doit leur proposer la cession des droits de diffusion à un prix équitable et raisonnable ([54]).
Parce que la TNT emporte des obligations pour les éditeurs mais doit également donner des droits au regard de son rôle en faveur de la cohésion sociale, le rapporteur est favorable à l’actualisation et à l’élargissement de la liste des EIM à l’ensemble des grands événements sportifs et culturels qui rassemblent et fédèrent l’ensemble de nos concitoyens, et notamment que ce statut ne soit pas réservé aux seules phases finales de certaines compétitions sportives mais à l’ensemble des grands championnats nationaux.
Mais il semble également nécessaire de prévoir que leur diffusion soit réservée aux seuls éditeurs de la TNT. De fait, les plateformes de streaming souvent établies hors de France ne sont pas soumises à ce régime protecteur reposant sur la distinction entre services gratuits et payants de télévision. Cette asymétrie réglementaire a conduit à des précédents regrettables, comme en mai 2022 lorsque le quart de finale de Roland Garros entre Rafael Nadal et Novak Djokovic fut diffusé en exclusivité sur Amazon Prime – ce qui n’est pas conforme à un accès universel et sans barrière ou inscription que seule la TNT peut garantir.
Proposition n° 2 : Actualiser et élargir la liste des événements sportifs et culturels d’importance majeure et réserver leur diffusion en clair aux seules chaînes de la TNT.
b. Face à l’émergence de nouveaux modes de réception, la TNT demeure l’unique mode d’accès à la télévision pour un foyer sur cinq, au profit des plus modestes et des territoires ruraux
Concurrencée dans sa consommation, la TNT l’est également dans sa réception. Ces deux dernières décennies, les modes de distribution de la télévision se sont en effet diversifiés avec le développement de la télévision distribuée à partir des box des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) commercialisées dans le cadre d’un abonnement à haut (ADSL et câble) et très haut débit (fibre optique). On parle de télévision par Internet, ou IPTV (Internet Protocol Television) qui, grâce à de nouveaux services (replay, SVOD), permet désormais une consommation délinéarisée, c’est-à-dire sur requête de l’usager. Longtemps dominante, la réception terrestre numérique a été dépassée en 2017 par l’IPTV qui constitue aujourd’hui le premier mode de réception des foyers français, à hauteur de 63,9 % (tous postes confondus) ([55]). Cette offre s’est notamment imposée grâce au succès des abonnements triple-play proposés par les FAI, comprenant à la fois l’accès à Internet, la téléphonie et la télévision. Connaissant une tendance à la baisse depuis plusieurs années, la réception TNT continue néanmoins d’être utilisée par 42,4 % des foyers et demeure toujours le mode de réception exclusif de près d’un foyer sur cinq (19,8 %). De plus, si l’IPTV est privilégiée pour le poste principal, la réception hertzienne est davantage utilisée sur le ou les postes secondaires, notamment en raison de sa gratuité.
La TNT reste donc un mode d’accès indispensable à la télévision pour près de cinq millions de foyers, notamment dans certaines zones géographiques et pour certaines catégories socio-professionnelles. L’Arcom observe ainsi que les foyers recevant la télévision exclusivement par voie hertzienne sont principalement composés d’une seule personne, âgée d’au moins 50 ans, inactive ou de catégorie socioprofessionnelle moins favorisée et habitant une petite agglomération. De même, certaines disparités régionales existent : à titre d’exemple, plus de la moitié des foyers en Normandie (51,3 %) et en Bretagne (50,7 %) ont recours à la TNT, une proportion bien supérieure à la moyenne nationale ([56]). La technologie hertzienne demeure donc indispensable pour garantir l’accès de tous à l’information, à la culture et au divertissement, et en particulier de ceux qui en sont les plus éloignés.
c. La TNT, un mode d’accès démocratique à la télévision qu’il convient de préserver en le modernisant
La TNT est un mode de diffusion auxquels les Français demeurent fortement attachés : selon une étude IFOP menée pour TDF, 57 % d’entre eux jugent important de la recevoir chez eux et 68 % trouveraient gênant d’en être privés ([57]). Si cette technologie apparaît susciter l’intérêt des téléspectateurs, c’est qu’elle présente de nombreux avantages par rapport aux modes de diffusion alternatifs.
La TNT contribue d’abord, par sa large couverture de la population (97 % de la population métropolitaine), à l’égalité entre les territoires : c’est particulièrement vrai concernant les zones rurales et montagneuses. Là où la réception TNT n’est pas assurée, une offre gratuite par satellite Fransat permet aux habitants d’accéder aux mêmes chaînes.
Elle est ensuite gratuite, les entreprises de diffusion supportant le coût d’entretien des infrastructures et les éditeurs celui de leur diffusion : elle participe de ce fait à la cohésion sociale, notamment au profit des foyers n’étant pas en mesure de souscrire à des abonnements au service de télévision et de plateformes via Internet.
Alors que les enjeux liés à la protection des données personnelles se font croissants, elle garantit également une réception anonyme et confidentielle, indépendante de tout accès à Internet.
De même, ce mode de réception souverain, implanté de bout en bout sur le territoire national, contribue à prévenir les menaces d’ingérences étrangères dans le contexte géopolitique actuel.
Enfin, à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique, la TNT est plus respectueuse de l’environnement car moins énergivore que les modes de visionnage via Internet. Ainsi, selon une étude menée en 2021 par l’association européenne des opérateurs de diffusion hertzienne ([58]), une heure de visionnage de la TNT représente en France une consommation d’énergie de 8 watts-heure (Wh) contre 76 Wh pour une lecture en streaming hors offre du fournisseur d’accès (dite over the top ou OTT), et 111 Wh pour une heure de télévision via Internet (IPTV). En rapportant ces chiffres aux usages (TNT, OTT et IPTV), il a été calculé que la TNT permet d’assurer 39 % du temps total de visionnage de la télévision avec 5 % seulement de la consommation électrique associée aux équipements dédiés au visionnage. Ce mode de diffusion est donc très nettement le plus économe en énergie.
Dès lors, la TNT est une technologie précieuse dont il convient de garantir les perspectives d’avenir. En cela, le rapporteur partage la conviction de M. Olivier Schrameck selon laquelle « la TNT n’a pas vocation à être le parent pauvre de l’audiovisuel. » ([59]) Cet engagement se justifie non seulement au regard de ses utilisateurs, mais également par la nécessité de préserver la politique audiovisuelle publique qui fonde les obligations des éditeurs (financement de la création, règles de pluralisme, objectifs de cohésion sociale) sur leur utilisation gratuite de ce mode de diffusion. Sauvegarder la TNT implique donc d’en engager la modernisation afin d’en préserver l’attractivité. Or, depuis 2016, la TNT n’a plus connu de phase significative de modernisation : au risque d’un déclassement rapide, il apparaît donc nécessaire de s’engager rapidement sur cette voie. En 2025, le rapport remis au Parlement par le Gouvernement sur les perspectives de diffusion et de distribution des services de télévision doit constituer l’occasion de fixer une feuille de route claire en faveur de la modernisation de la TNT.
Dans cette optique, une perspective intéressante réside dans le développement d’une TNT plus interactive qui puisse offrir aux téléspectateurs une expérience comparable à celle des autres canaux. À cet égard, la norme HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV) représente une technologie mature, largement exploitée dans plusieurs pays européens dont l’Italie et l’Allemagne, mais encore à un stade confidentiel en France. Elle permet pourtant un visionnage hybride en enrichissant les programmes linéaires diffusés par voie hertzienne (broadcast) de services additionnels et interactifs (broadband) tels que le replay ou la VOD, et ce sans intermédiation ([60]). Arte est la seule chaîne à proposer une offre de ce type sur la TNT, dans le cadre d’une expérimentation qui a débuté, avec l’accord de l’Arcom, en avril 2021. M. Frédéric Béreyziat, directeur général en charge des ressources d’Arte France, explique ainsi : « Si vous prenez un programme en cours et que vous souhaitez le voir depuis le début, vous pouvez le faire ; si vous aimez une série et que vous voulez regarder la suite qui n’est pas programmée sur la chaîne linéaire, vous pouvez également le faire ; vous pouvez aussi accéder directement à un programme dont vous venez de voir la bande-annonce sur la chaîne linéaire. » ([61]) En la matière, l’Arcom doit jouer un rôle de coordination afin d’aider les éditeurs à s’accorder sur la norme HbbTV qu’il convient de généraliser.
Une autre piste intéressante pourrait également consister en l’adoption de standards techniques plus modernes ([62]) afin non seulement d’améliorer la qualité de l’image et du son offerts aux utilisateurs, mais surtout d’optimiser l’utilisation de la ressource hertzienne. À cette fin, la généralisation progressive du format ultra-haute définition (UHD) est une option dont l’intérêt devrait être étudié. Après en avoir obtenu l’autorisation de l’Arcom en octobre 2023, le groupe France Télévisions s’est d’ores et déjà engagé dans cette voie, comme l’explique sa présidente-directrice générale, Mme Delphine Ernotte Cunci : « Nous croyons en l’avenir de la TNT, dans laquelle nous investissons en tant que groupe public. Nous allons profiter des Jeux olympiques et paralympiques pour la moderniser. France 2 est depuis le début de l’année la première chaîne accessible en ultra-haute définition. France 3 le sera avant les Jeux. » ([63])
Il conviendra de tirer le bilan d’une telle expérimentation et l’intérêt pour le téléspectateur d’une telle offre.
4. Un modèle économique bouleversé par l’émergence des plateformes et des réseaux sociaux, qui entraîne des demandes infondées de dérégulation
a. Les deux piliers de financement des chaînes privées de la TNT sont aujourd’hui fragilisés par la concurrence des géants du numérique
L’émergence ces dernières années des géants du numérique, qu’il s’agisse des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), des réseaux sociaux ou des plateformes américaines de SVOD, expose la TNT à une concurrence accrue, et tend à fragiliser le modèle économique sur lequel elle repose. En effet, les plateformes apparaissent capter une part croissante de l’audience, tout en bénéficiant d’une asymétrie réglementaire qui les soumet à des obligations plus souples que celles applicables aux éditeurs de télévision, notamment en matière de publicité, de concentration et de financement de la création. « L’asymétrie ou l’inégalité de situation est très claire entre les acteurs du numérique et les acteurs traditionnels, régulés, encadrés et contrôlés très étroitement – le corpus juridique qui leur est applicable est en effet extrêmement dense » ([64]) reconnaît M. Roch-Olivier Maistre. Cette concurrence à armes inégales apparaît dès lors menacer la viabilité économique de la TNT.
Alors que leur financement repose de manière quasi-exclusive sur la publicité, les chaînes privées de la TNT gratuite subissent une attrition de leurs ressources publicitaires : entre 2012 et 2022, celles-ci ont connu une croissance annuelle de l’ordre de 0,5 %, et se sont érodées de 1,5 % en 2022 par rapport à 2021 ([65]). Cette tendance trouve son origine dans la captation sans cesse accrue du marché publicitaire par le numérique, qui devrait s’accélérer encore dans les prochaines années. Ainsi, selon une étude rendue publique par l’Arcom et le ministère de la culture ([66]), la croissance du marché publicitaire à l’horizon 2030 ne devrait profiter qu’aux acteurs du numérique dont la part de marché passerait de 52 % aujourd’hui à 65 %, dont 45 % pour les seules quatre grandes plateformes extra-européennes (Alphabet, Meta, Amazon et Tiktok). À l’inverse, les recettes publicitaires de la télévision (sur les supports linéaire et numérique) devraient connaître une baisse de – 1,4 % par an sur la période 2023-2030, passant de 3,5 à 3,1 milliards d’euros.
De même, les chaînes de la TNT payante font face au développement et à la montée en puissance des plateformes de SVOD telles que Netflix, Amazon Prime et Disney+. Celles-ci reposent sur des catalogues d’œuvres abondants dont le coût est facilement rentabilisé par une diffusion dans le monde entier. Le succès rencontré en France par cette nouvelle offre fragilise les perspectives d’avenir de la TNT payante dont les éditeurs doivent supporter d’importants coûts de diffusion pour un parc d’abonnés restreint et vieillissant.
Marché publicitaire atrophié et modèle payant concurrencé : les deux piliers de financement traditionnels de la TNT sont fragilisés par la concurrence frontale du numérique. Celle-ci se manifeste également en amont par une augmentation significative des coûts sur le marché de la création, sous l’effet d’investissements croissants dans les contenus français et européens de la part de plateformes internationales à la surface financière sans commune mesure avec les éditeurs nationaux traditionnels. Cette inflation des droits tend également à s’étendre aux compétitions sportives, alors que ceux de la Ligue 1 et de Roland Garros ont été déjà partiellement acquis par Amazon Prime.
b. Une asymétrie réglementaire entre éditeurs de la TNT et grandes plateformes qu’il conviendra de résorber non par un abaissement des exigences applicables aux premiers, mais par leur extension aux secondes
Malgré une concurrence accrue des plateformes, la TNT n’en demeure pas moins un mode de diffusion particulièrement attractif pour les éditeurs en raison des avantages certains qu’il présente.
Face à la concurrence des géants du numérique, et aux incertitudes qu’une telle compétition asymétrique fait peser sur leur viabilité économique, la quasi-totalité des éditeurs de la TNT réclame un assouplissement de la réglementation qui leur est spécifiquement applicable. C’est le cas du dispositif anti-concentration, pointé du doigt en ce qu’il empêcherait la consolidation de grands groupes nationaux en capacité de faire face aux géants américains (cf. infra).
i. Une offre TNT qualifiée d’intérêt général, devant disposer d’une exposition appropriée sur les écrans connectés
Le premier d’entre eux est la numérotation logique qui contribue à la forte notoriété des chaînes la composant, et dont la reprise est imposée par la loi aux distributeurs non hertziens ([67]). Face à l’atomisation croissante de l’offre sur les téléviseurs connectés (smart TV), la visibilité des chaînes de la TNT est désormais promue grâce au dispositif dit des services d’intérêt général (SIG) introduit par la directive SMA ([68]). Dans un projet de délibération récemment publié par l’Arcom ([69]), l’Arcom propose de qualifier de service d’intérêt général l’ensemble de chaînes gratuites présentes sur la TNT et propose ainsi que la garantie d’une « exposition appropriée » sur les interfaces des utilisateurs soit ainsi étendue à l’ensemble des chaînes nationales gratuites. Mme Delphine Ernotte Cunci, PDG de France Télévisions, y voit « un tournant fondamental » car « il s’agit de réaffirmer et d’étendre au-delà du linéaire le principe selon lequel l’attribution d’une fréquence TNT vaut reconnaissance de la contribution d’un média à l’intérêt général. » ([70]) Enfin, la TNT offre aux éditeurs la capacité de s’adresser à un très grand nombre de téléspectateurs, et ce de manière désintermédiée, leur évitant dès lors de passer par différents gardiens d’accès (FAI, plateformes de télévision en streaming hors offre du fournisseur d’accès, dite over the top ou OTT), avec tous les risques que cela implique (captation de la valeur, disparition de l’offre en cas de désaccords commerciaux, absence de neutralité des flux, etc.).
Dans le cadre de la mise en œuvre du dispositif de « visibilité appropriée » des services d’intérêt général, l’Arcom propose qu’une application ou une interface commune permettent aux utilisateurs d’accéder, depuis leur écran de téléviseur connecté ou d’appareil mobile, à l’offre de l’ensemble des chaînes reconnues d’intérêt général et donc de la TNT gratuite ([71]). Dans l’esprit du rapporteur, il est inconcevable que les diffusions en streaming via Internet des programmes sur cette application permettent aux éditeurs d’accéder aux données personnelles de l’utilisateur : il faut que cette application garantisse l’anonymat des utilisateurs dans les mêmes conditions que la TNT.
Proposition n° 3 : Prévoir que l’application de visibilité des chaînes de la TNT sur les écrans connectés garantisse l’anonymat des utilisateurs et l’absence de recueil de leurs données personnelles.
ii. Un encadrement nécessaire de la publicité télévisée
La réglementation applicable à la publicité télévisée est également dénoncée comme une « distorsion de concurrence » au détriment des éditeurs, selon M. François Pellissier, président du Syndicat national de la publicité télévisée ([72]).
En application du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 ([73]), certains secteurs sont effet interdits de publicité à la télévision : c’est le cas de l’édition littéraire, du cinéma et des campagnes promotionnelles de la grande distribution.
Instaurée dans les années 1990, cette restriction n’apparaît plus justifiée pour les éditeurs alors qu’ils se positionnent sur un marché publicitaire désormais dominé par des géants numériques soustraits à une telle contrainte. Ils appellent donc à l’ouverture des secteurs interdits, espérant dégager à cette occasion des ressources supplémentaires. Pour M. David Larramendy, directeur général de M6 Publicité et nouveau président du directoire du groupe M6, « sans cet assouplissement réglementaire, et compte tenu du renforcement extrêmement fort de la concurrence, nous ne pourrons plus nous développer et contribuer pleinement au financement de la création et de l’information. » ([74])
Une première étape dans le sens de cet assouplissement a récemment été franchie par la ministre de la Culture, Rachida Dati, qui explique : « mon rôle est de réduire l’asymétrie entre les médias [traditionnels] et les plateformes. » ([75]) Le décret n° 2024-313 du 5 avril 2024 portant modification du régime de publicité télévisée a pérennisé l’expérimentation lancée en août 2020 de la publicité télévisée pour le cinéma, alors même que l’étude d’impact publiée par la DGMIC ([76]) dressait un bilan contrasté sur la diversité des œuvres promues : les majors américains représentent ainsi plus de la moitié des investissements en publicité télévisée en 2022-2023 (52 %) et la part la plus importante de la pression publicitaire entre 2020 et 2022 ([77]) (43,7 % contre 42,7 % pour les films français). Surtout, alors que les films Art et Essai représentent 56 % des films exploités en salles en 2022, ils ne comptaient que pour 28 % de ceux promus à la télévision.
Par ailleurs, le décret du 5 avril 2024 autorise l’expérimentation de la publicité télévisée pour l’édition littéraire durant les deux prochaines années. S’il conviendra d’en dresser le bilan à l’issue du délai prévu, le rapporteur tient néanmoins à souligner sa profonde opposition quant à la poursuite de l’assouplissement du cadre réglementaire applicable à la publicité télévisée. Concernant l’édition littéraire, le risque qui pèse sur la diversité des œuvres promues est le même que celui observable dans le secteur du cinéma, à savoir une surreprésentation des grandes maisons d’éditions dans les écrans publicitaires, comparable à celle des blockbusters américains. Si les éditeurs souhaitent offrir une visibilité aux nouveaux auteurs et donner le goût de la lecture à leurs téléspectateurs, le rapporteur rappelle qu’il leur est loisible de proposer de véritables émissions littéraires.
Quant au secteur de la grande distribution, il convient de rappeler que depuis 2004, seules ses opérations commerciales promotionnelles sont exclues de la publicité télévisée, la présence institutionnelle des enseignes étant quant à elle autorisée. Alors qu’une part substantielle des recettes publicitaires de la radio et de la presse locale reposent sur ces campagnes promotionnelles, un nouvel élargissement viendrait, par un transfert de ressources ([78]), fragiliser ces médias de proximité qui traversent déjà une profonde crise. Cette dérégulation ne manquerait donc pas de déstabiliser le fragile équilibre trouvé entre médias, au détriment du pluralisme des acteurs de l’information et sans répondre aucunement à l’enjeu principal qui demeure la captation croissante des recettes publicitaires par quatre géants du numérique. Mme Cécile Chambaudrie, présidente de NRJ Global, exprime son inquiétude : « L’assouplissement des réglementations en termes de secteur ne peut être accepté dès lors qu’il compromet l’équilibre de l’écosystème média et le pluralisme des médias. […] Il ne s’agit pas de détruire l’équilibre de certains médias historiques au profit de la télévision, qui reste de loin le média historique roi. » ([79])
Enfin, le rapporteur voit dans la réception de la TNT sans intrusion une garantie précieuse qu’il convient de préserver, notamment face aux velléités des éditeurs d’exploiter les données personnelles des téléspectateurs pour développer la publicité segmentée. Autorisée depuis 2020 ([80]), elle permet de présenter aux téléspectateurs d’un même programme des publicités différenciées, en fonction de critères géographiques ou sociodémographiques. Alors que la segmentation géographique repose sur la TNT dont la granularité du réseau permet d’opérer des décrochages régionaux, le ciblage de foyers suivant leur profil nécessite quant à lui que le flux TNT soit associé à une connexion Internet, et se base donc sur la norme HbbTV (cf. supra) avec laquelle la plupart des téléviseurs connectés (smart TV) sont aujourd’hui compatibles. La publicité adressée est également possible via les box des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). Alors que M. François Pellissier, président du Syndicat national de la publicité télévisée, appelle à ouvrir « totalement la publicité segmentée, encore soumise à trop de contraintes » ([81]), le rapporteur tient à souligner sa profonde opposition au développement d’un tel ciblage qui repose sur la collecte de données personnelles et contrevient fondamentalement à la promesse initiale d’une réception TNT garante de la vie privée.
Proposition n° 4 : Renoncer à l’ouverture des secteurs interdits de publicité télévisée, ainsi qu’au développement de la publicité segmentée sur la TNT.
iii. Une résorption des différences de traitement qui doit passer par le traitement des écrans connectés de la même manière que la TNT
La résorption de l’asymétrie réglementaire entre éditeurs de télévision et plateformes numériques ne saurait justifier d’accéder aux demandes de dérégulation formulées par les acteurs privés. L’objectif doit au contraire résider dans l’élargissement des obligations applicables à la TNT aux acteurs qui n’y sont pas encore soumis. C’est en ce sens que plaide Mme Julia Cagé, professeure associée en économie au sein du département d’économie de l’IEP de Paris : « Il faut une régulation qui s’applique à l’ensemble des éditeurs diffusant des contenus audiovisuels au-delà d’un certain seuil d’audience, à définir collectivement. » ([82])
Les moyens d’y parvenir existent, comme l’illustre la récente directive SMA. Ainsi, le décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande, dit « décret SMAD », a permis d’assujettir les plateformes SVOD extra-européennes aux mêmes règles de financement de la création audiovisuelle et cinématographique que les services établis en France. En 2022, la contribution de Netflix, Amazon Prime et Disney+ s’élevait ainsi à 345 millions d’euros. C’est donc bien dans la direction d’un renforcement de la régulation des acteurs hors de la TNT qu’il convient de s’orienter. À cet égard, le cadre européen apparaît le plus adapté pour organiser une concurrence équitable entre l’ensemble des acteurs du marché publicitaire. Cette voie a par exemple été ouverte par le règlement (UE) 2022/1925 du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, dit « Digital Markets Act » (DMA) : il impose notamment aux plateformes de fournir aux annonceurs un accès transparent aux données afin qu’ils puissent évaluer la réelle efficacité de leurs publicités.
Pour M. Roch-Olivier Maistre, « nous avons besoin d’un mécanisme de régulation à l’égard de ces grands acteurs du numérique. Notre continent emprunte cette voie ; la Commission européenne sortante a pris plusieurs initiatives importantes en la matière […]. Le travail n’est pas achevé et doit être poursuivi au bénéfice de nos médias de contenus, indispensables à l’équilibre de notre vie démocratique. » ([83])
B. Entre influence rÉelle et rÔle social au sein de la sociÉtÉ franÇaise
Si les éditeurs de la TNT sont soumis à des obligations d’intérêt général, ce n’est pas seulement en contrepartie de leur utilisation gratuite de fréquences hertziennes appartenant au domaine de l’État, mais également en raison de la responsabilité qui leur incombe au regard de l’importance du public qu’ils rassemblent, de leur impact sur celui-ci et de leur rôle dans l’organisation du débat démocratique.
Comme l’indique Mme Camille Broyelle, professeure de droit public à l’université Paris‑Panthéon‑Assas, la question de l’attribution des fréquences hertziennes n’aura été au final « qu’un moment dans l’histoire des médias », la réglementation de l’expression publique sur les antennes tenant principalement au rôle central occupé par les médias dans le fonctionnement de la démocratie : « La réglementation de l’expression publique des médias ne résulte absolument pas de l’attribution des fréquences. En France comme dans la plupart des démocraties libérales, elle tient au fait que les médias animent et produisent le débat public, lequel est nécessaire au fonctionnement de la démocratie, à la cohésion de la société et aux processus électoraux. À moins d’en avoir une conception américaine, le débat doit nécessairement, au sein d’une société démocratique, être organisé : les individus ont en effet un rôle à y jouer en tant que citoyens. C’est la raison pour laquelle des règles du jeu sont posées : le fondement de la réglementation des médias, c’est leur utilité démocratique. » ([84])
1. Le rôle important des médias audiovisuels pour la production et la diffusion des œuvres, des savoirs et du divertissement notamment à destination des publics les plus modestes
Comme l’a relevé M. Vincent Gisbert, délégué général du Syndicat des producteurs et créateurs de programmes audiovisuels (SPECT) lors de son audition devant la commission d’enquête, « les vingt-cinq chaînes de la TNT sont, de très loin, les premiers partenaires de la production audiovisuelle indépendante. La télévision, qu’elle soit linéaire ou digitale, reste la première porte d’accès des Français à l’information, à la connaissance, au divertissement et à la culture. J’ajoute que pour 22 millions de nos concitoyens vivant en zone rurale, mais aussi pour de nombreux foyers aux revenus modestes, la TNT est souvent la seule offre culturelle et de divertissement disponible. À cet égard, la gratuité constitue un enjeu primordial, tout comme la diversité de l’offre des programmes des chaînes de la TNT. » ([85])
La France dispose en matière de création d’un des dispositifs les plus ambitieux et complets qui engrange des résultats satisfaisants puisque le public français et international plébiscite de plus en plus les créations françaises, dans tous les genres ([86]). Les acteurs de la TNT constituent de la sorte des piliers de la politique culturelle, raison pour laquelle il nous faut veiller à la pérennité et à la solidité de leur modèle économique à long terme. Selon M. Marc du Pontavice, coprésident de l’Association de l’industrie audiovisuelle indépendante (2AI) « la dynamique de la création audiovisuelle française repose sur un modèle cinquantenaire, à la fois très simple et très vertueux : tous les acteurs tirant des revenus de la consommation vidéo en aval doivent contribuer en amont à la création, en investissant dans des œuvres nouvelles, créées et produites en France. » ([87])
a. Le cadre législatif et réglementaire fixant les obligations en matière de création et de diffusion des œuvres
Le cadre législatif et réglementaire défini par la loi du 30 septembre 1986 fixe un certain nombre d’obligations en la matière de création et de diffusion :
– le décret du 17 janvier 1990 pris pour l’application de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux concernant la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles par les éditeurs de services de télévision, dit « décret diffusion » ;
– le décret du 30 décembre 2021 relatif à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, dit « décret TNT » ;
– le décret du 30 décembre 2021 relatif à la contribution cinématographique et audiovisuelle des éditeurs de services de télévision distribués par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, dit « décret câble-satellite » ou « cab-sat » ;
– le décret du 22 juin 2021 relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), dit « décret SMAD ».
Ce dispositif global répond à une ambition : proposer aux publics en France et en Europe, dans un contexte de concurrence internationale exacerbée, une offre de programmes français et européens d’envergure, pluraliste, exigeante et de qualité et ce, dans tous les champs de la création.
Cette ambition a pour corollaire le développement et le maintien du bon fonctionnement d’un secteur économique diversifié de producteurs indépendants. Elle est au cœur de la régulation de la TNT, à savoir la gratuité d’usage des fréquences pour une période donnée, en échange de la fixation, au sein des conventions, d’un nombre important d’obligations de diffusion et de production.
La transposition en 2021 de la directive (UE) 2018/1808 du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite « directive SMA », a permis d’intégrer de façon dynamique dans notre champ de régulation les grandes plateformes internationales, qui doivent investir de manière significative dans la production française et européenne.
Sont ainsi déterminées dans les conventions des éditeurs des obligations de production et de diffusion spécifiques, chiffrées et détaillées. La direction de la création de l’Arcom a pour mission de transmettre aux éditeurs assujettis leur niveau d’obligations de production pour l’année en cours. Ces obligations sont calculées en fonction des éléments de chiffre d’affaires de l’année précédente. Cette équipe est ensuite chargée de vérifier, tout au long de l’année, le respect de leurs obligations par les éditeurs. Ce pouvoir de contrôle du régulateur en la matière peut le conduire à prononcer des mises en garde et des mises en demeure ou à prononcer des sanctions pécuniaires, comme ce fut notamment le cas lorsque l’Arcom exigea par exemple des plateformes internationales de vidéo à la demande qu’elles rattrapent, en 2022 et au premier semestre 2023, plusieurs manquements constatés en 2021 sur leurs obligations de production de cinéma.
b. La contribution fondamentale des médias audiovisuels à la création et à la diffusion des œuvres
i. Un système vertueux qui a fait ses preuves
Les services de communication audiovisuelle français contribuent à l’exposition ainsi qu’au financement de la création française et européenne. Pour les chaînes de télévision, il s’agit de quotas de diffusion et d’obligations d’investissement dans les œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Pour les services de médias audiovisuels à la demande, ce sont des quotas d’exposition et de mise en avant ainsi que des obligations d’investissement dans la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. Les services de télévision et de médias audiovisuels à la demande étrangers (SMAD) qui ciblent le public français peuvent aussi, sous certaines conditions, être soumis à des obligations d’investissement dans la production d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques. Selon M. Stéphane Le Bars, délégué général de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) et d’AnimFrance « la production audiovisuelle est protégée par un dispositif ambitieux, qui est envié partout dans le monde. Il est étudié avec beaucoup d’attention par nos homologues européens, et nombre d’entre eux y voient une source d’inspiration. Notre réglementation est équilibrée et met au centre la création. Ce système vertueux a fait ses preuves, comme l’attestent les résultats de la production audiovisuelle française à l’échelle européenne et mondiale, mais aussi l’activité des diffuseurs. » ([88])
En 2022, dans le cadre du bilan annuel sur la synthèse de l’ensemble des engagements des éditeurs en matière de production audiovisuelle et cinéma, l’Arcom a relevé que l’ensemble des acteurs avait consacré près de 1,6 milliard d’euros au financement de la production audiovisuelle et du cinéma, contre 1,4 milliard d’euros pour l’exercice 2021 – soit une augmentation de plus de 12 % en un an.
Le poids des services de télévision reste prépondérant, puisqu’ils totalisent près de 1,2 milliard d’euros sur le montant versé pour le financement de la production audiovisuelle et cinématographique, soit 80 % des dépenses totales. D’autre part, les investissements des SMAD étrangers ont doublé entre 2021 et 2022, pour atteindre 345 millions d’euros.
Cette somme représente 22 % des dépenses globales, faisant peser le risque à terme d’une dépendance accrue des producteurs à ces acteurs, et notamment à Netflix dont M. Marc du Pontavice rappelle qu’il « représente à lui seul plus de 60 % du total des obligations » ([89]).
Sur les 1,6 milliard d’euros pris en compte par l’Arcom au titre des obligations des éditeurs, 1,2 milliard est consacré au secteur audiovisuel et 415 millions d’euros au secteur cinématographique.
Une offre de fiction américaine en déclin, mais qui demeure largement dominante dans les œuvres ne répondant pas aux quotas de diffusion d’œuvres audiovisuelles européennes et d’expression originale française
Plébiscitée par le grand public, la fiction audiovisuelle est le genre de programmes le plus consommé à la télévision. En 2022, il s’agissait ainsi du premier genre diffusé en première partie de soirée, ou prime time, en France. Bien que soumises à des quotas de diffusion d’œuvres audiovisuelles européennes et d’expression originale française (EOF), les chaînes nationales historiques (TF1, France 2, France 3, Canal+, M6 et Arte) ont longtemps plébiscité les fictions américaines. Ce n’est plus le cas depuis 2017, année où ces chaînes ont consacré davantage de soirées à la fiction française qu’américaine.
Nombre de soirées consacrées à la fiction selon la nationalité
Sur les chaînes nationales historiques (TF1, France 2, France 3, Canal+, M6, Arte)
Ainsi, en 2022, la fiction française représentait 55 % de l’offre de ce genre en première partie de soirée sur les chaînes historiques, contre 20 % pour la fiction américaine ([90]). Cela représente une baisse de l’offre de fiction américaine de 60 % en dix ans, contre une hausse de près de 40 % pour la fiction européenne (hors France) et de 30 % pour la fiction française ([91]). Cette tendance apparaît répondre à une forte attente du public : en 2022, comme en 2021, le top 100 des audiences de fiction était intégralement français.
Si l’offre de fiction américaine atteint aujourd’hui sa plus faible exposition à la télévision française, elle n’en demeure pas moins la nationalité largement dominante parmi la fiction qui n’est ni européenne, ni d’expression originale française. La fiction d’autres pays extra-européens est très faiblement diffusée sur les chaînes historiques : elle représente en 2022 à peine 2,6 % des soirées de prime time consacrées à ce genre par les chaînes historiques. Les quotas de diffusion peinent donc à garantir la diversité des fictions n’entrant ni dans les œuvres européennes, ni dans les œuvres EOF.
Répartition des soirées de fictions par chaîne selon la nationalité en 2022
sur les chaînes nationales historiques (TF1, France 2, France 3, Canal+, M6, Arte)
Sources : Centre national du cinéma et de l’image animée, Le marché de la fiction audiovisuelle en 2022, septembre 2023 et La fiction audiovisuelle française : bilan à 360°, 13 septembre 2023.
ii. Les mutations rapides et importantes du paysage audiovisuel soulèvent cependant des inquiétudes pour la pérennité du système
En revanche, plusieurs sujets de préoccupation ont été exposés vis-à-vis de la pérennité du système concernant notamment la part des investissements des éditeurs historiques comme l’a relevé par M. Stéphane Le Bars, délégué général de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) et d’AnimFrance lors de son audition : « il est à noter que l’investissement des éditeurs historiques dans la production audiovisuelle et cinématographique n’a pas progressé : entre 2012 et 2022, il est passé de 1,3 à 1,2 milliard d’euros. Il s’ensuit que la croissance est essentiellement tirée par l’intégration des plateformes SMAD dans le paysage réglementaire. Les SMAD représentent d’ores et déjà 25 % de l’investissement global dans la production audiovisuelle, soit un peu moins de 300 millions d’euros. Or cet investissement se concentre sur un nombre d’œuvres très réduit. L’essentiel de la production audiovisuelle et cinématographique restera donc fortement dépendant des éditeurs historiques. La santé financière de ces éditeurs, qu’ils soient publics ou privés, est au centre de nos préoccupations. Il est grand temps de se préoccuper de leurs ressources. D’après une étude de l’Arcom et de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) publiée le 30 janvier 2024, les recettes publicitaires des acteurs historiques en matière de télévision s’élevaient à 3,5 milliards d’euros en 2022. Si le cadre réglementaire demeure inchangé, ces recettes devraient tomber à 3,1 milliards d’euros en 2030, soit une perte de 10 %. » ([92])
Il a, par ailleurs, souligné que la part des médias investissant en amont dans l’information et la création audiovisuelle et cinématographique devrait passer de 40 % à 29 % entre 2022 et 2030. Nous assistons, selon ses termes, « à un krach des ressources de l’ensemble de nos acteurs produisant de l’information et de la création, au profit de plateformes numériques qui n’investissent pas dans la création en amont. » Il apparaît donc essentiel pour la production audiovisuelle et cinématographique de permettre aux éditeurs historiques de retrouver une dynamique d’investissement.
Un autre point d’inquiétude pour la création concerne le financement de l’audiovisuel public. Comme relevé par M. Stéphane Le Bars, « le programme national de France Télévisions a baissé de plus de 15 % au cours des dernières années. Face à la concurrence des grands acteurs internationaux, nous avons besoin d’un audiovisuel public fort en termes de financement. » À ce propos M. Pierre Jolivet, vice-président de la Société civile des auteurs réalisateurs producteurs (ARP) a tenu à rappeler qu’avec « le Covid, nous avons pris conscience de la force de l’audiovisuel public, de sa vitalité et de son caractère indispensable dans nos vies. Il va de soi que le financement de l’audiovisuel public doit être sauvegardé par tous les moyens. » ([93]) Lors des différents confinements, la télévision s’est illustrée comme un média « refuge » rassemblant les Français autour de programmes communs. Grâce à une programmation adaptée centrée sur quatre priorités (éducation, culture, information et décryptage) les chaînes du groupe France Télévisions ont notamment su jouer un rôle fédérateur ainsi que maintenir du lien social tout au long de cette période critique.
Un des enjeux pour la création, la production et la diffusion des œuvres en France réside donc dans la capacité des chaînes à investir dans des programmes inédits, dans des films et émissions de télévision et dans des programmes d’information. Comme le relevait Mme Sarah Fartaoui, représentante du Syndicat national de la radiodiffusion, de la télévision et de l’audiovisuel (SNRT CGT), « à mesure que les moyens de diffusion se dispersent, les recettes sont partagées entre un nombre croissant d’opérateurs, mais lesdits moyens ne sont pas extensibles à l’infini. Il faut donc une régulation réelle pour garantir le développement harmonieux des programmes. » ([94])
2. Une responsabilité renforcée en matière de représentation de la société dans toute sa diversité
L’impact que conserve la télévision sur les représentations collectives confère aux chaînes une responsabilité particulière dans la lutte contre les discriminations et la promotion de la cohésion sociale. Il revient donc aux éditeurs de représenter la société dans toute sa diversité, et de proposer aux téléspectateurs des programmes qui leur ressemblent. En effet, le combat contre les discriminations implique de déconstruire les préjugés qui les nourrissent. Mme Violette Viannay, présidente de l’association des personnes de petite taille (APPT), explique ainsi que la différence, « pour être correctement intégrée, doit avant tout être comprise et donc vue. Il est ainsi nécessaire, afin de transformer les regards, d’assurer une juste représentation. » ([95])
a. Une juste représentation de la société implique non seulement de rendre visible la diversité, mais également de lutter contre les stéréotypes
Depuis la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 sur l’égalité des chances, l’Arcom s’est vu attribuer la mission de contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle. Aux termes de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, elle est chargée de veiller, auprès des éditeurs, à ce que leur programmation « reflète la diversité de la société française », et, depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, à ce « que cette représentation soit exempte de préjugés. » La responsabilité des chaînes en matière de représentation de la diversité recouvre donc une double dimension : quantitative, par son exposition à l’antenne, et qualitative, à travers la lutte contre les stéréotypes associés.
Sur le fondement de cette compétence, le régulateur a adopté en 2009 (et complété en 2015 ([96])) une délibération imposant aux chaînes nationales hertziennes gratuites, ainsi qu’à Canal+, de prendre des engagements annuels en matière de diversité. L’Arcom est chargée d’en assurer le suivi, et a élaboré pour cela un « baromètre de la représentation de la société française ». Cet outil, construit autour de 7 critères ([97]), propose chaque année une photographie de la représentation de la société française à la télévision. Sur la base de ce constat, des motifs d’insatisfaction peuvent être dressés par l’Arcom et des progrès demandés aux éditeurs via la fixation d’objectifs cibles chiffrés. Mme Amandine Seguin, journaliste et secrétaire générale adjointe de l’association « Prenons la Une », insiste sur l’utilité de ce baromètre : « Nous estimons que le décompte représente la meilleure manière de dénoncer les faits, et le rapport de l’Arcom nous est, à cet égard, précieux. » ([98])
En matière de diversité, une mission plus spécifique a été confiée à l’Arcom par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. En vertu de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, le régulateur « assure le respect des droits des femmes ». À cet effet, il veille « à une juste représentation des femmes et des hommes » dans les programmes, et « à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes », notamment en luttant contre les stéréotypes de genre, les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes. Il apprécie le respect ces objectifs sur la base d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs que les éditeurs sont tenus de lui fournir ([99]). Cette compétence confère à l’Arcom un pouvoir de sanction contre un éditeur ayant diffusé un programme attentatoire à l’image des femmes. Ainsi, à titre d’illustration, la chaîne C8 a fait l’objet d’une mise en garde sur ce fondement le 14 février 2024 pour un geste pouvant s’apparenter à une agression sexuelle commis sur le plateau de l’émission « Touche pas à mon poste ! » du 27 septembre 2023 ([100]).
Par ailleurs, la compétence de l’Arcom en matière de représentation des femmes a été étendue aux messages publicitaires par la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté. Le régulateur doit désormais veiller « au respect de la dignité de toutes les personnes et à l’image des femmes qui apparaissent dans ces émissions publicitaires » ([101]).
b. Malgré des progrès en la matière, la représentation de la diversité demeure encore insuffisante et invite à privilégier une démarche plus contraignante à l’égard des éditeurs
En dépit des efforts de certains éditeurs, notamment en termes de représentation des femmes, la télévision ne ressemble toujours pas à la société à laquelle elle s’adresse. Les données issues du Baromètre de la représentation de la société française publié par l’Arcom pour l’année 2022 ([102]) suffisent à s’en convaincre. Ainsi, les personnes en situation de handicap sont représentées à hauteur de 1 % des locuteurs intervenant à l’antenne ([103]) : bien qu’il s’agisse de la première année où cette barre symbolique est franchie, cette présence demeure sans commune mesure avec la place des personnes en situation de handicap dans la société, qui s’élève à environ 13 % ([104]). Jérémy Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), le regrette : « En comparaison avec les résultats des autres pays européens, la France est le pays dans lequel les personnes en situation de handicap semblent le moins représentées dans les médias. » ([105]) De même, la télévision donne surtout à voir la France des centres-villes et certains territoires sont quasiment absents de l’antenne : les populations ultra-marines ne sont représentées qu’à hauteur de 1 %, quand les habitants des villages le sont à 15 % et ceux des banlieues à 3 %.
Une invisibilisation de certaines catégories socioprofessionnelles (CSP) est également constatable : les CSP les plus favorisées sont ainsi surreprésentées à l’écran (à hauteur 74 %, alors qu’elles représentent 28 % de la population française), au détriment des CSP les moins favorisées (11 %, contre 27 % de la population française) et des inactifs (16 %, contre 45 % de la population française). Mme Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l’Arcom, parle d’un « sentiment de honte lié à ces catégories » ([106]).
En dépit de ces chiffres particulièrement éloquents, le rapporteur déplore que les éditeurs et les producteurs persistent à se désintéresser du sujet de l’invisibilisation de pans entiers de la population française dans leurs programmes. À cet égard, il est éclairant de constater que certains producteurs, tout en ayant conscience de l’ampleur du problème, reconnaissent leur crainte à faire des efforts afin d’y remédier. C’est par exemple le cas de M. Thomas Anargyros, président de Mediawan Studio France : « Il ne faut pas se cacher qu’il y a des enjeux en matière d’audience, et donc de recettes publicitaires, pour les chaînes privées. On ne peut à la fois dire qu’on a besoin d’acteurs privés forts et attendre d’eux qu’ils soient prêts à ne pas faire d’audience. » ([107]) Un tel argument paraît pourtant difficilement entendable : plus la télévision ressemblera à la société, plus elle rassemblera de téléspectateurs. Le rapporteur appelle donc à une véritable mobilisation sur la question de la juste représentation de l’ensemble des catégories socioprofessionnelles, aussi bien de la part des éditeurs que des producteurs.
En outre, le rapporteur tient à dénoncer les représentations stéréotypées dont font souvent l’objet les personnes issues des classes populaires à la télévision, notamment dans les émissions de téléréalité dont la réception, l’influence voire le pouvoir de prescription varient forcément selon les caractéristiques du public qui les regarde. Comme le soulignait Mme Sophie Jéhel, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis : « la téléréalité fait intervenir des personnes de milieu populaire, ce qui a constitué une nouveauté louable, mais elle les piège et les humilie. » ([108]) Contrairement à ce qu’a pu avancer Alexia Laroche‑Joubert, présidente de Banijay France, lors de son audition – » le propre de la téléréalité est de transposer une réalité à la télévision » ([109]) – ces programmes tendent à imposer une vision caricaturale des classes populaires et à dépolitiser le traitement des questions sociales par la télévision. À l’occasion notamment de la couverture du mouvement des gilets jaunes, on a assisté à une multiplication des propos dénigrants des animateurs, des questions volontairement orientées, des railleries et caricatures qui révèlent une violence symbolique de certains médias envers l’expression directe des opinions et des aspirations des classes populaires. Ces agissements n’ont fait l’objet d’aucune procédure de sanction de la part de l’Arcom.
Ce même constat concerne le traitement de l’humour par la télévision. Comme l’ont montré des chercheurs québécois, « L’humour coïncide d’ordinaire avec les champs de significations de la gaieté, du divertissement, de la liberté et de la cohésion sociale. Sous ce vernis candide et conciliateur, l’humour est pourtant loin d’être une activité humaine dénuée de violence. Alors que certaines productions humoristiques (plaisanteries quotidiennes, stand-up, films, etc.) portent avec elles une violence aisément (re)connaissable, d’autres en couvent une qui se révèle être beaucoup plus subtile, qu’on peine à discerner. Le racisme, l’homophobie, le sexisme, la misogynie, la transphobie et le dédain des classes populaires sont encore largement banalisés. L’imperceptibilité de cette violence liée aux systèmes de domination est parfois telle qu’elle (pré)dispose certains groupes à en user, (re)produisant par cela les conditions de leur propre marginalisation. Ce phénomène, Pierre Bourdieu l’a nommé "violence symbolique". » ([110])
Le traitement de l’humour par l’Arcom
L’Arcom n’applique pas les mêmes règles aux rubriques humoristiques et aux séquences journalistiques :
– L’information et les programmes qui y concourent sont soumis notamment au respect de la délibération du CSA du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information. Celle-ci invite à « éviter toute confusion entre information et divertissement. » Elle précise également que « dans les programmes qui concourent à l’information, sous réserve de la caricature ou du pastiche clairement présentés comme tels au public », l’utilisation de procédés permettant de modifier le sens ou le contenu des images, des propos ou des sons ne peut « déformer le sens ou le contenu initial des images, des propos ou des sons recueillis, ni abuser le public. » (Obligation rappelée à l’article 2-3-8 des conventions des chaînes de la TNT).
– L’humour bénéficie quant à lui d’une plus grande tolérance en matière de liberté d’expression. Le ton humoristique, qui est par essence dénué de sérieux, permet ainsi des propos volontairement outranciers ou délibérément provocants. Certaines limites existent toutefois : la diffamation, l’injure, l’outrage, le dénigrement ou l’atteinte à la vie privée. De la même manière, l’usage de l’humour pour masquer des buts illégitimes tels que la provocation à la haine raciale, l’injure faite à un groupe en raison de son appartenance religieuse, l’atteinte à la dignité humaine ou l’animosité personnelle, est condamnable.
Surtout, au-delà de son insuffisante représentation sur le plan quantitatif, la diversité apparaît encore trop souvent associée à des stéréotypes négatifs sur le plan qualitatif. Ainsi, alors qu’elles représentent 15 % des personnes intervenant à l’écran, les personnes perçues comme non-blanches sont surreprésentées dans les rôles à connotation négative (20 %) et sous-représentées dans les rôles à connotation positive (10 %). De même, les personnes en situation de handicap sont habituellement héroïsées dans les fictions, et invitées à s’exprimer dans les programmes d’information uniquement pour évoquer leur handicap. Mme Violette Viannay évoque ainsi le cas de l’émission « Fort Boyard », où apparaissent des personnes de petite taille assignées « à un rôle spécifique, lié exclusivement, notamment du fait de leur mutisme, à leur condition physique » ([111]). De même, M. Jérémy Boroy regrette « une visibilité généralement cantonnée à des programmes qui traitent de la question du handicap. » ([112]) Il existe donc un véritable enjeu dans la banalisation du handicap, afin que les personnes concernées puissent figurer à l’antenne sans qu’il soit systématiquement fait référence à leur handicap, mais au contraire mises en avant pour d’autres facettes de leur personnalité, notamment leur expertise et leurs compétences.
D’importants progrès restent donc à faire. Sur le plan quantitatif, il revient à l’Arcom d’adopter à l’égard des éditeurs une approche plus contraignante par l’inscription, au sein des conventions, d’objectifs cibles chiffrés relatifs à la représentation de la diversité, comme cela est pratiqué pour la représentation des femmes. Sur le plan qualitatif, le rapporteur est favorable au renforcement de la compétence de l’Arcom dans la lutte contre les stéréotypes, à l’image de celle qu’il exerce déjà en matière des droits des femmes. En effet, la législation actuelle ne permet pas au régulateur d’intervenir sur d’autres stéréotypes négatifs que féminins, et il ne peut donc qu’exhorter les chaînes à faire mieux. Ainsi, à propos du cas de l’émission « Fort Boyard », Mme Laurence Pécaut-Rivolier explique que « bien qu’elle véhicule de façon évidente des stéréotypes négatifs », elle « ne contient aucun manquement caractérisable au vu des textes existants, ne nous permettant pas d’agir autrement que par des actions de médiation. » ([113]) Il apparaît pourtant que le dialogue avec les éditeurs ait montré ses limites, et l’Arcom doit aujourd’hui pouvoir disposer du moyen de sanctionner le manque de représentation de la diversité, comme il peut déjà sanctionner le sexisme.
Proposition n° 5 : Donner à l’Arcom le pouvoir de sanctionner le manque de représentation de la diversité de la société française.
Enfin, en ce qui concerne la représentation des femmes, le constat apparaît davantage satisfaisant mais ne doit pas dissimuler certaines insuffisances. En effet, selon le rapport de l’Arcom sur la représentation des femmes à l’antenne publié en 2023 ([114]), celles-ci représentent 45 % des personnes présentes sur les plateaux des chaînes de la TNT, soit une hausse de 5 points en 8 ans. Cette proportion doit néanmoins être mise en perspective avec leur poids dans la population française, qui s’approche de 52 %, ainsi qu’avec le temps de parole sur l’intégralité des programmes, dont elles ne représentent que 35 %. Surtout, si les plateaux télévisés présentent désormais une majorité de présentatrices (55 %), les chroniqueuses/journalistes et les invitées demeurent toujours largement minoritaires (respectivement 38 % et 42 %). C’est particulièrement le cas des chaînes d’information où à peine un tiers seulement des invités sont des femmes (contre 47 % sur les chaînes généralistes). Surtout, les femmes expertes demeurent encore largement cantonnées à des sujets dits féminins, et sont sous-représentées dans les principales thématiques occupant plus de la moitié des sujets d’expertise traités en plateau (international, société et culture/loisirs).
La « juste représentation » des femmes ne se résume donc pas à leur visibilité à l’antenne, mais recouvre également la nature de la compétence qui en est attendue et l’image qui en est donnée. Il est regrettable de constater la prégnance des stéréotypes sexistes à l’écran, ou encore l’inadéquat traitement de sujets comme celui des violences sexuelles.
C’est par exemple le cas de la récente émission « Touche pas à mon poste » du 5 février 2024, où une invitée, Mme Loana Petrucciani, a livré son témoignage au sujet du viol qu’elle a subi. Constatant des « questions intrusives » de l’animateur et l’attitude « d’une chroniqueuse et de personnes présentes derrière elle dans le public, apparemment amusées par la situation », l’Arcom a adressé à la chaîne C8 une mise en demeure pour cette séquence, estimant qu’» interroger une personne se trouvant dans une situation de grande détresse et vulnérabilité, sans précaution, au surplus dans une émission diffusée à un horaire susceptible d’attirer de larges audiences, était de nature à contrevenir au respect de la dignité de la personne humaine, exigence à laquelle le contentement de la personne ne permet pas de déroger. » ([115])
Malgré cette intervention du régulateur, il est particulièrement inquiétant de constater l’absence de prise de conscience par les dirigeants de la chaîne et l’animateur concernés de la gravité des faits. M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France, chargé des antennes et des programmes, estime ainsi que Mme Petrucciani a été reçue « avec toute la bienveillance de l’équipe de TPMP » ([116]). De même, M. Franck Appietto, directeur général de C8, affirme : « Certains ont trouvé que c’était dégradant pour elle. Loana affirme le contraire. Nous l’avons fait avec l’envie de lui faire plaisir et avec bienveillance. » ([117]) Enfin, M. Cyril Hanouna, l’animateur de l’émission, estime « qu’elle était très heureuse de venir et qu’elle a publié une vidéo où elle exprimait son incompréhension face à ce qui se disait. Au lieu d’essayer de trouver des problèmes là où il n’y en a pas, il faudrait essayer de l’aider, comme nous le faisons à H2O ou à Banijay. » ([118]) Ces affirmations apparaissent pourtant en contradiction avec les informations obtenues par le rapporteur confirmant que l’intéressée a été rémunérée pour délivrer son témoignage en direct à l’antenne ([119]) : elle s’est bien retrouvée dans l’obligation de tenir son rôle, alors qu’elle vivait une situation de grande détresse.
Le fait qu’une telle séquence ait pu être diffusée, tout comme le déni persistant des principaux intéressés, démontrent que d’importants progrès demeurent encore à faire dans la formation des journalistes et des présentateurs au traitement adéquat des violences sexistes et sexuelles.
Ce constat doit donc inviter l’Arcom à concentrer ses efforts sur la dimension qualitative de la parité, tout en maintenant une vigilance accrue sur sa dimension quantitative. Sur le premier plan, elle doit définir au sein des conventions des éditeurs des objectifs plus ambitieux de progression de la part des femmes dans les différents rôles et thématiques. Sur le second plan, la stagnation observée ces deux dernières années des chiffres de la représentation des femmes laisse craindre un relâchement des efforts en la matière : la dynamique doit donc être impérieusement relancée. Pour cela, le rapporteur est favorable à l’inscription dans la loi du 30 septembre 1986 d’une obligation de progrès des chaînes en matière de parité et de représentation de la diversité, comme c’est par exemple déjà le cas en matière d’accessibilité (cf. infra). Cette proposition, déjà formulée en 2019 par le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) ([120]), conserve encore aujourd’hui toute sa pertinence, comme l’explique sa présidente, Mme Sylvie Pierre-Brossolette, par ailleurs ancienne membre du CSA : « La loi sur l’audiovisuel doit intégrer, en plus de l’auto-évaluation, une obligation des chaînes à progresser chaque année en matière de parité et appliquer des sanctions en cas d’immobilisme. » ([121])
Proposition n° 6 : Inscrire dans la loi l’obligation de progrès des chaînes de la TNT dans la juste représentation des femmes et de la diversité, sous le contrôle de l’Arcom.
3. L’impérieuse nécessité de protéger les plus jeunes
Si la durée d’écoute individuelle (DEI) des plus jeunes (4-14 ans) a fortement diminué ces dix dernières années, passant de 1 heure 58 en 2014 à 58 minutes en 2023 ([122]), la télévision participe néanmoins d’« un continuum entre les différents écrans et espaces numériques, consommés par les enfants dès le plus jeune âge » ([123]) selon M. Éric Delemar, Défenseur des enfants. Dans cette convergence des écrans, les éditeurs de la TNT conservent donc une responsabilité particulière de protection du jeune public, notamment dans la diffusion de programmes violents ou choquants. À cet égard, il convient de rappeler que « la protection de l’enfance et de l’adolescence » constitue l’une des limites à la liberté de communication énumérées par l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986.
a. Le dispositif de protection repose essentiellement sur une signalétique qui ne saurait suffire à la bonne information des parents et des enfants
Aux termes de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986, l’Arcom « veille à la protection de l’enfance et de l’adolescence ». Cette compétence fonde un ensemble de mesures qui s’imposent aux chaînes dans un objectif de protection des mineurs. C’est par exemple le cas de la délibération du 22 juillet 2008 ([124]) du CSA, qui interdit aux éditeurs établis en France de diffuser ou promouvoir des programmes spécifiquement conçus pour les enfants de moins de trois ans. Elle s’appuie sur un avis du ministère de la Santé qui s’était prononcé en ce sens suite à l’apparition en 2008 de deux chaînes à destination des bébés. Une autre délibération du 17 avril 2017 ([125]) vise quant à elle protéger les mineurs qui interviennent dans une émission, pour préserver leur vie présente et leur avenir.
L’outil central du dispositif de protection de la jeunesse demeure néanmoins le système de classification des programmes suivant leur degré de dangerosité. Établi par le régulateur, il oblige les chaînes à apposer à l’écran un pictogramme indiquant l’âge à partir duquel un programme peut être regardé : on parle de « signalétique jeunesse ».
Les cinq catégories de programme correspondant à chaque tranche d’âge et leurs conditions de programmation sont fixées par la délibération du CSA du 7 juin 2005, modifiée en 2012 et en 2014 ([126]) :
– Catégorie I (aucune signalétique) : le programme s’adresse à tous les publics et peut être diffusé à tout moment de la journée ;
– Catégorie II (pictogramme -10 ans) : le programme présente certaines scènes pouvant heurter la sensibilité. Il peut être diffusé pendant la journée, sous condition, mais ne peut l’être à l’intérieur d’émissions à destination de la jeunesse ;
– Catégorie III (pictogramme -12 ans) : le programme recourt de façon répétée à la violence physique ou psychologique, ou évoque la sexualité adulte. Il ne peut être diffusé qu’à partir de 22 heures ;
– Catégorie IV (pictogramme -16 ans) : le programme présente une violence exacerbée ou une sexualité explicite. Il ne peut être diffusé qu’à partir de 22 heures 30 ;
– Catégorie V (pictogramme -18 ans) : le programme présente un caractère pornographique ou de très grande violence. Il ne peut être diffusé qu’entre minuit et 5 heures, seulement sur certaines chaînes accessibles par abonnement, dans la mesure où elles peuvent mettre en place un système de verrouillage empêchant l’accès des mineurs.
Cette classification est opérée par les éditeurs eux-mêmes, grâce à des comités de visionnage internes et sur la base des critères édictés par l’Arcom. Mme Alexandra Mielle, cheffe du département « protection et prévention des publics » de l’Arcom, en énumère certains : « le nombre et la nature de scènes violentes, leur caractère gratuit ou indispensable au scénario, la violence envers des enfants, la représentation des actes sexuels, la psychologie des personnages, la mise en scène, le traitement de l’image, la bande sonore » ([127]). L’Arcom ne procède à un contrôle qu’a posteriori, en vérifiant la pertinence des classifications retenues par les chaînes et leur respect des horaires de programmation.
La signalétique ne constitue donc pas une interdiction, mais un indicateur de l’âge en dessous duquel un programme est déconseillé. Surtout, ce dispositif repose sur l’appréciation globale du programme et il n’est donc pas exclu que ce dernier présente des scènes violentes ou à caractère sexuel bien que sa signalétique laisse penser le contraire. Dès lors, il constitue un outil utile mais non suffisant, qui ne saurait se substituer à une vigilance accrue et continue des parents. M. Serge Tisseron, psychiatre, s’inquiète : « Beaucoup de parents pensent que, si un film n’est pas interdit aux moins de 12 ans et qu’il passe en première partie de soirée ou prime time, il est forcément adapté à leur enfant de moins de 12 ans. C’est un énorme problème. » ([128])
Plusieurs fois amendé et complété, le dispositif de la signalétique a évolué depuis la recommandation l’instituant en 2005 ([129]). Ces transformations n’ont pas fait l’objet d’une analyse poussée, ce qui empêche de constater un possible assouplissement ou renforcement des critères fondant les différentes classes d’âge. Le rapporteur souhaite donc que l’Arcom, en partenariat avec l’Institut national de l’audiovisuel (INA), puisse réaliser une étude sur l’évolution de la signalétique depuis 2005, notamment en s’employant à rechercher si la sévérité de la signalétique est allée décroissante au regard de la classification de programmes au niveau de violence équivalent.
Proposition n° 7 : Demander à l’Arcom de mener, en partenariat avec l’Ina, une étude sur l’évolution historique de la classification des programmes étant soumis à la signalétique jeunesse.
b. Une programmation jeunesse et des pratiques publicitaires qui appellent un encadrement plus strict des éditeurs
Si la protection du jeune public relève d’une responsabilité partagée entre les éditeurs, le régulateur et les parents, cela ne doit pas exonérer les chaînes du respect d’un certain nombre de principes dans leur offre de programmes et leurs pratiques publicitaires.
i. Des programmes jeunesse à des horaires inadaptés pour le développement des enfants
En effet, afin que des programmes adaptés soient proposés aux mineurs, l’Arcom impose à certaines chaînes la diffusion de « programmes jeunesse ». Or, à l’exception de Gulli et de France 4, ceux-ci sont proposés exclusivement le matin, à des horaires souvent très matinaux. C’est par exemple le cas de TF1, dont la convention prévoit un volume annuel de 750 heures de programmes jeunesse, dont 650 heures d’animation. Cette programmation, présentée sous la marque « Tfou », est diffusée en semaine de six à sept heures du matin. M. Yann Labasque, directeur des programmes jeunesse du groupe TF1, explique ainsi que la chaîne respecte « son engagement de diffuser des programmes jeunesse à des heures où le public concerné est disponible, soit, selon les critères de l’Arcom, entre six heures et vingt-deux heures. Le public enfant est disponible le matin dès six heures. » ([130]) Le rapporteur s’interroge néanmoins sur les conséquences d’une programmation aussi matinale, qui apparaît contrevenir à la nécessité du repos des enfants. Ces derniers doivent en effet pouvoir être préservés d’une consommation excessive d’écrans, notamment en amont d’une journée d’école. Le rapporteur rejoint en cela les propos de Mme Anne Lefebvre, psychologue clinicienne, selon qui « l’offre à six heures du matin n’a pas lieu d’être pour des enfants, puisque toutes les recherches internationales montrent que regarder un petit dessin animé avant d’aller à l’école abîme l’attention secondaire requise pour les apprentissages. » ([131]) Il apparaît donc souhaitable au rapporteur que les programmes jeunesse soient interdits de diffusion les matins de semaines d’école, au profit de cases horaires correspondant à la sortie des cours et aux vacances scolaires. À défaut, une première étape indispensable devra constituer en l’instauration d’une obligation pour les chaînes diffusant des programmes jeunesse d’afficher à l’écran, par le biais d’un bandeau visible et facilement compréhensible, un message sanitaire préventif, informant les enfants et leurs parents des dangers pour la santé d’une consommation excessive de programmes télévisuels.
Proposition à titre personnel du rapporteur ([132]) n° I : Interdire la diffusion de programmes jeunesse les matins avant l’école, ou à défaut, obliger les chaînes à afficher un message sanitaire de prévention durant l’intégralité des programmes concernés.
Dans le même souci de préserver les enfants d’un visionnage excessif de télévision, à l’origine « de vraies incidences sur le rythme circadien des enfants et [entraînant] des troubles alimentaires et du sommeil » selon M. Éric Delemar ([133]), l’Arcom devrait soumettre les éditeurs à une obligation plus stricte d’alternance de programmes de fiction et d’émissions d’éveil. En effet, si les dessins animés, genre par excellence des programmes jeunesse, ont une courte durée adaptée aux capacités de concentration des plus jeunes, ils n’en demeurent pas moins bien souvent diffusés par blocs de 3 à 5 épisodes. Il s’agit là d’une technique destinée à capter l’attention des jeunes le plus longtemps possible en les incitant à regarder l’ensemble des épisodes qui se suivent. Or, une telle pratique est contraire aux recommandations des professionnels de santé qui invitent à limiter le visionnage des plus jeunes à de courtes durées. Mme Anne Lefebvre, déplore ainsi « à la fois le contenu des programmes et le temps d’écran. Les dessins animés restent majoritairement faits de rythmes, de sons et d’images saccadés, qui ne correspondent pas aux besoins des enfants et sont conçus pour les capter le plus longtemps possible. Les formats sont souvent un tunnel de plusieurs épisodes, devant lesquels les enfants restent captifs au-delà du nécessaire ; et les parents se retrouvent en difficulté face à une offre à jet continu. » ([134]) À cet égard, le rapporteur invite l’Arcom à réaliser, en collaboration avec les professionnels de l’enfance, une analyse du contenu et du rythme toujours plus saccadé de la succession des plans au sein des programmes jeunesse et notamment des dessins animés. Sur cette base, le régulateur pourrait édicter un guide à destination des éditeurs afin de limiter les pratiques destinées à capter excessivement l’attention des plus jeunes.
Proposition n° 8 : Soumettre la diffusion des programmes jeunesse à une obligation plus stricte d’alternance d’œuvres de fiction et d’émissions éducatives et inviter l’Arcom à réaliser une étude et à produire des normes sur le contenu et le rythme des programmes destinés à la jeunesse.
ii. Des contenus publicitaires qui ciblent les enfants et leur imaginaire
Par ailleurs, en tant que téléspectateurs, les enfants sont fortement exposés aux contenus publicitaires, que ces derniers leur soient directement adressés autour des programmes jeunesse, ou qu’ils les atteignent plus largement du fait de la consommation de télévision en famille. Futurs consommateurs, et d’ores et déjà prescripteurs des achats de la famille, les mineurs constituent une cible commerciale pour les annonceurs. Les marques cherchent en effet, par le principe de la répétition, à s’inscrire dans l’imaginaire de l’individu dès son plus jeune âge et à agir sur sa mémorisation de long terme. Mme Nathalie Guichard, professeure en sciences de gestion et du management à l’université Paris-Saclay, explique ainsi « la publicité suscite le désir de produit de manière efficace en faisant entrer des marques dans l’"ensemble évoqué" des enfants. » ([135]) « Comme ils les ont vues à la télé, ils les défendent mordicus à leurs parents qui finissent parfois par céder » ([136]) complète M. Serge Tisseron. Les documents obtenus par le rapporteur viennent étayer un tel constat : les chaînes commandent en effet des études qui leur permettent de quantifier leur « puissance publicitaire » ([137]) auprès des cibles d’enfants, qu’il est ensuite possible de valoriser auprès des annonceurs.
Au-delà de ses conséquences sur le bien-être d’une population fragile, la marchandisation de l’attention des mineurs participe pleinement à la perpétuation dès le plus jeune âge d’un modèle consumériste controversé et qui n’est de toute façon pas conciliable avec les exigences sociales et environnementales de notre époque. Le rapporteur plaide donc en faveur d’un sérieux renforcement du cadre légal applicable aux publicités télévisées à destination de la jeunesse, qui apparaît encore insuffisant au regard de l’impératif de « protection de l’enfance et de l’adolescence » inscrit à l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986. De fait, il repose essentiellement sur l’article 7 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 dont les termes sont très généraux et peu contraignants ([138]).
Ce cadre a été complété par un certain nombre de délibérations et de recommandations du régulateur afin d’encadrer les communications commerciales auxquelles les mineurs peuvent être particulièrement vulnérables :
– les pratiques publicitaires liées à des produits dérivés utilisant l’image des protagonistes d’une œuvre d’animation ou de fiction ([139]) ;
– les messages publicitaires en faveur des jeux vidéo, des services téléphoniques et télématiques ou des sites internet faisant l’objet de restrictions aux mineurs ([140]) ;
– les messages publicitaires en faveur des jeux d’argent et de hasard ([141]) ;
– le placement de produits dans les émissions pour enfants ([142]).
Enfin, les éditeurs et les annonceurs se sont engagés dans une démarche d’auto-régulation, notamment en qui concerne les publicités alimentaires. Sous la supervision du régulateur, une charte dite « alimentaire » a été signée le 18 février 2009, et reconduite à plusieurs reprises. Au sein de celle-ci, les éditeurs s’engagent à réduire l’exposition des enfants aux publicités relatives à des denrées alimentaires ou des boissons trop grasses ou trop sucrées.
Malgré ces différentes initiatives, la publicité télévisée à destination des enfants n’en demeure pas moins insuffisamment encadrée.
Les émissions et les programmes deviennent souvent des produits destinés à remplir les rayons des magasins de jouets.
C’est notamment le cas des messages publicitaires qui accompagnent les programmes jeunesse, les enfants peinant souvent à distinguer les deux. C’est ce qu’explique M. Serge Tisseron : « Quand les publicités sont trop proches d’un dessin animé, le jeune enfant ne fait pas la différence avec le dessin animé. » ([143]) Selon Mme Nathalie Guichard, « cette distinction s’opère bien à partir de huit ans, ce qui est assez tard. » ([144]) C’est pour éviter une telle confusion que, depuis la loi n° 2016-1771 du 20 décembre 2016, la publicité est interdite dans les programmes jeunesse ([145]) diffusés par les chaînes publiques : cette restriction s’applique également quinze minutes avant et après la diffusion de ces émissions ([146]). Lors du vote de la loi, cette disposition a été limitée au service public au motif que celui-ci était tenu à un devoir d’exemplarité, mais également « en raison des menaces que cette interdiction ferait peser sur la viabilité financière des chaînes privées qui, contrairement à la télévision publique, dépendent significativement, voire exclusivement, des recettes publicitaires. » ([147]) Il n’apparaît pourtant pas justifié au rapporteur que la viabilité économique des éditeurs privés se fasse au détriment de la protection de la santé physique et psychique des enfants. Dès lors, comme cela est déjà le cas en Suède depuis 1991, le rapporteur est favorable à l’extension aux chaînes privées de l’interdiction de diffuser de la publicité commerciale pendant les programmes destinés aux enfants de moins de 12 ans.
Proposition n° 9 : Interdire les messages publicitaires destinés explicitement aux enfants de moins de 12 ans.
4. Un enjeu d’accessibilité des programmes pour tous les citoyens
Une télévision accessible à tous doit constituer non seulement un objectif, mais une réalité. À cet égard, il incombe aux éditeurs d’assurer l’accessibilité de leurs programmes au plus grand nombre, en particulier aux personnes en situation de handicap sensoriel. Il s’agit là d’un enjeu d’égalité entre les citoyens dans l’accès à l’information, à la culture et au divertissement, et la TNT se doit d’en être la hauteur.
a. Des obligations quantitatives respectées et bien souvent dépassées
Le cadre qui fixe l’accessibilité des programmes de la TNT a été posé par deux lois successives : pour les personnes sourdes ou malentendantes par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait obligation ; pour les personnes aveugles ou malvoyantes par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Les dispositions en vigueur figurent aujourd’hui à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 pour les chaînes hertziennes privées, et à l’article 56-1 de la même loi pour les chaînes publiques.
En ce qui concerne l’accessibilité des programmes aux personnes sourdes ou malentendantes, celle-ci est assurée par le sous-titrage. Depuis 2005, la loi fait obligation, d’une part, aux chaînes de télévision publiques et, d’autre part, aux chaînes privées dont l’audience nationale dépasse 2,5 % de l’audience totale, de rendre accessible aux personnes sourdes ou malentendantes la totalité de leurs émissions, à l’exception des messages publicitaires et de quelques programmes dérogeant à cette obligation ([148]). En 2022, toutes les chaînes concernées ([149]) ont respecté leur obligation, à l’exception de France 2 et France 4 qui présentent de très légers déficits (respectivement 99,9 % et 99,7 % de programmes sous-titrés) ([150]). Pour les chaînes de télévision privées dont l’audience est inférieure à 2,5 % de l’audience totale, la loi prévoit qu’une convention est conclue avec l’Arcom afin de fixer la proportion des programmes accessibles. Cette dernière peut varier de 30 % pour Gulli à 60 % pour 6ter et TFX ([151]). Les obligations en la matière sont non seulement respectées par les éditeurs, mais souvent dépassées : elles sont donc régulièrement rehaussées par l’Arcom lors des renégociations de conventions à l’occasion des renouvellements d’autorisation par procédure simplifiée. « Nous nous saisissons de chaque opportunité pour essayer de renforcer ces exigences » ([152]), affirme Mme Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe de l’Arcom. Enfin, les trois chaînes d’information ([153]) en continu relèvent d’obligations conventionnelles spécifiques : elles doivent sous-titrer chacune entre trois à quatre journaux quotidiens, en se répartissant les plages horaires de la journée. Pour ce qui est de FranceInfo, la chaîne s’est engagée à rendre accessibles 6 éditions quotidiennes.
L’accessibilité aux personnes sourdes ou malentendantes peut également être assurée par une interprétation des programmes en langue des signes française (LSF). Si la loi du 30 septembre 1986 n’impose aucune obligation en la matière, certaines conventions conclues par l’Arcom avec les éditeurs comprennent des engagements en ce sens, notamment pour les chaînes d’information en continu.
S’agissant de l’accessibilité des programmes pour les personnes aveugles ou malvoyantes, celle-ci est assurée par l’audiodescription, qui consiste à décrire les éléments visuels essentiels à la compréhension d’un programme (décors, personnages, actions, gestuelle). Depuis 2009, la loi prévoit que les cahiers des charges des chaînes de l’audiovisuel public et les conventions des chaînes privées dont l’audience nationale dépasse 2,5 % de l’audience totale, définissent les proportions de programmes accessibles aux personnes aveugles ou malvoyantes, en particulier aux heures de grande écoute. Par exemple, dans le cadre de l’appel à candidatures de 2023 remporté par TF1 et M6, le quota annuel de programmes que ces deux chaînes doivent proposer en audiodescription a été fixé à 375 d’ici 2027. Au-delà de cette obligation légale, l’ensemble des conventions conclues par l’Arcom avec les chaînes privées, y compris donc celles dont l’audience est inférieure à 2,5 % de l’audience totale, comprennent des obligations en matière d’audiodescription. De même que pour le sous-titrage, les éditeurs ont tous respecté ces exigences en 2022, et les ont souvent dépassées ([154]).
Il convient de noter qu’une exception existe au respect de ce régime d’accessibilité. Il s’agit des deux sociétés de programme de La Chaîne parlementaire, à savoir LCP-Assemblée nationale et Public Sénat, qui ne relèvent pas du contrôle de l’Arcom mais de celui du bureau de chaque assemblée. Elles ne sont pas soumises aux mêmes obligations que les autres services de la TNT, et M. Jérémy Boroy parle à leur égard d’un « trou dans la raquette » ([155]). De fait, seul 40 % du temps d’antenne est aujourd’hui rendu accessible, privant les téléspectateurs en situation de handicap sensoriel d’une information pourtant essentielle sur le travail parlementaire. M. Christopher Baldelli, PDG de Public Sénat, reconnaît « l’importance du problème » ([156]). Afin d’y remédier, les deux chaînes ont annoncé lancer un appel d’offres afin d’augmenter la proportion de leurs programmes accessibles, et ce dès octobre 2024. Toutefois, M. Bertrand Delais, PDG de LCP-AN, alerte sur le coût que représente un tel effort : « Nous sommes une petite chaîne et les coûts nous empêchent d’aller au-delà, comme nous le souhaiterions. Le budget consacré à l’accessibilité est de 90 000 euros par an ; il faudrait le porter à 160 000 euros pour atteindre 60 % du temps d’antenne, ce qui serait très lourd. » ([157]) Il conviendra donc de garantir aux deux chaînes les moyens de réaliser cette montée en accessibilité, qui ne devrait pas être un choix soumis à arbitrage budgétaire. Par ailleurs, le rapporteur souhaite que dans le cadre de la procédure de renouvellement de la présidence de LCP-AN lancée le 6 mars 2024, les candidats soient invités à formuler des engagements ambitieux sur le sujet de l’accessibilité.
b. Des efforts restent à mener en faveur de la qualité des dispositifs d’accessibilité
Si l’accessibilité des programmes de la TNT aux personnes en situation de handicap sensoriel s’est « nettement améliorée », celle-ci reste « encore loin de répondre aux attentes des personnes concernées » ([158]) selon M. Thomas Soret, président de l’Union des associations nationales pour l’inclusion des malentendants et des sourds. L’Arcom doit donc s’engager dans le sens d’un renforcement des engagements demandés aux éditeurs, conformément à la mission que lui a confiée l’ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive SMA. L’article 20-6 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit ainsi que l’Arcom « s’assure notamment du renforcement continu et progressif, quantitatif et qualitatif » de l’accessibilité des programmes.
Sur le plan quantitatif, cette obligation de progrès doit se traduire dans deux sens. Tout d’abord, les volumes de programmes accessibles doivent être accrus. À cet égard, les progrès accomplis par l’automatisation du sous-titrage constituent une perspective intéressante afin d’accroître la part des contenus accessibles aux personnes sourdes ou malentendantes, notamment ceux des chaînes dont l’audience nationale est inférieure 2,5 % de l’audience totale. Les résultats de l’expérimentation menée en 2022 par FranceInfo d’une solution de sous-titrage automatique développée grâce à l’intelligence artificielle, apparaissent encourageants. La chaîne a annoncé son intention de poursuivre dans cette voie et pourrait devenir la première chaîne d’information en continu entièrement accessible. Néanmoins, l’accroissement du volume de programmes accessibles permis par l’automatisation ne doit pas se faire au préjudice de la qualité du sous-titrage. Mme Chantal Clouard, docteur en psychologie, alerte : « Si le développement quantitatif reste un objectif majeur, il ne peut s’accomplir au détriment de la qualité. Il s’agit à la fois d’une exigence, d’un équilibre. » ([159]) La solution automatique présente en effet des limites et ne saurait remplacer le travail d’un professionnel : elle doit donc être envisagée comme un outil complémentaire. Par ailleurs, la part de programmes accessibles en LSF doit elle aussi être accrue, via l’instauration d’un cadre précis incitant l’ensemble des chaînes à prendre des engagements en la matière. De fait, ceux-ci reposent encore trop souvent sur le volontariat et demeurent très inégaux. Enfin, l’objectif des programmes accessibles en audiodescription doit être mieux quantifié alors que ce mode d’accessibilité demeure insuffisamment disponible. Aujourd’hui exprimé en nombre de programmes, il pourrait l’être également en nombre d’heures afin de mieux encadrer l’effort fourni par les éditeurs en termes de volumes.
Le second axe de progression sur le plan quantitatif réside dans la diversité des programmes accessibles en audiodescription. De fait, parmi ceux-ci, 83 % relevaient de la fiction en 2022 (39 % de fictions audiovisuelles, 32 % d’œuvres cinématographiques, 12 % d’animation), contre seulement 9 % du documentaire, 3,4 % des magazines et 2,3 % des divertissements ([160]). Il existe donc une forte attente d’une plus grande accessibilité en audiodescription des magazines d’information et d’enquête : il s’agit là d’un enjeu démocratique de premier plan dont les éditeurs doivent se saisir.
En ce qui concerne la dimension qualitative de l’accessibilité, d’importants progrès restent également à accomplir. Si l’Arcom apparaît s’être saisie du sujet par l’élaboration de plusieurs chartes et guides à destination des éditeurs afin d’améliorer la qualité des solutions retenues ([161]), des insatisfactions demeurent. C’est notamment le cas du décalage qui persiste encore trop souvent entre les propos tenus à l’antenne et les sous-titres les retranscrivant à l’écran, notamment dans les émissions en direct. À cet égard, M. Jérémie Boroy mentionne une solution intéressante qu’il conviendrait de généraliser : « Lors de certaines occasions, notamment lorsque le Président de la République intervient, le nombre d’interprètes à l’écran est parfois doublé pour améliorer la simultanéité des interventions. Tel a été par exemple le cas lors du débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, avec un interprète pour chaque candidat. Ce modèle […] peut aussi s’appliquer au sous-titrage. » ([162]) De même, l’amélioration des sous-titres doit aller dans le sens d’un respect plus exigeant des règles d’harmonisation en matière de couleur, de taille et de qualité de l’orthographe. Cette démarche de qualité dans laquelle les éditeurs doivent s’engager pleinement devra se fonder sur l’expérience des associations représentatives et les retours des publics qu’elles représentent. Il s’agit là d’une nécessité que Mme Chantal Clouard souligne : « les usagers eux-mêmes, qu’ils soient par exemple malentendants ou malvoyants sont parfaitement en mesure de décrire précisément la qualité ou l’absence d’accessibilité, ce dont nous ne sommes pas toujours conscients, puisque nous voyons et entendons correctement. » ([163]) À cet égard, le rapporteur déplore le constat fait par plusieurs associations d’un dialogue de plus en plus distendu et compliqué avec les éditeurs. L’accessibilité ne saurait se faire sans les publics concernés. Il appelle donc l’Arcom à organiser les conditions d’un échange plus régulier et constructif en la matière entre éditeurs et associations, afin que les premiers puissent pleinement tenir compte des retours d’expérience des seconds.
Proposition n° 10 : Faire progresser de manière quantitative et qualitative les obligations d’accessibilité des programmes aux personnes malentendantes et malvoyantes, à commencer par ceux de La Chaîne parlementaire.
C. UNE PERTE DE QUALITÉ ET DES DÉrives qui interrogent : où est passÉ le mieux disant-culturel ?
1. Une exigence de qualité de plus en plus inégale
En dépit d’une multiplication des chaînes de télévision depuis l’arrivée de la TNT en France en 2005, l’uniformisation des programmes apparaît comme une tendance forte sur l’ensemble des antennes. Comme l’a précisé Mme Guylaine Guéraud-Pinet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication au sein du Groupe de recherche sur les enjeux de la communication de l’université Grenoble, devant la commission d’enquête « il ressort des analyses qu’alors que le nombre de chaînes a augmenté, les contenus tendent à s’homogénéiser. La programmation reste semblable, en particulier pour les chaînes de programmation généraliste ou de divertissement. » ([164])
Ce phénomène, qui affecte fortement les chaînes privées mais touche également dans une certaine mesure les chaînes publiques, s’explique par une volonté de rationaliser les coûts et de sécuriser les audiences au détriment de contenus diversifiés et innovants.
Cette tendance de fond se révèle encore plus marquée pour les chaînes secondaires de la TNT qui se positionnent principalement comme des compléments des chaînes premium, utilisés pour la circulation des programmes des chaînes historiques, sans véritablement se démarquer par leur capacité d’innovation.
Alors qu’il est de la responsabilité des chaînes de télévision de veiller à garantir sur leurs antennes une représentation diversifiée de la société française – comme stipulé dans les conventions les liant à l’Arcom – le rapporteur souligne la responsabilité qui devrait être la leur en matière de création et de diversité des contenus.
a. Une homogénéisation des programmes expliquée par l’évolution du contexte économique et par l’industrialisation de la production des contenus
i. Le poids de la ressource publicitaire, moteur majeur de l’uniformisation des programmes audiovisuels
M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, a lui-même reconnu ce phénomène d’uniformatisation des programmes devant la commission d’enquête en indiquant que la TNT offrait à son origine « d’un côté des chaînes généralistes et de l’autre des chaînes thématiques » mais que l’on observait « en effet chez les secondes cette tendance à l’homogénéisation des programmes. » ([165])
Selon lui « beaucoup sont liées à des chaînes premium, notamment celles qui sont rattachées à TF1 et M6 ; elles servent souvent à faire circuler les œuvres : ce que l’on a vu chez l’une se retrouve chez l’autre » ([166]) M. Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6 a d’ailleurs pleinement assumé cette pratique en précisant devant la commission d’enquête que « cela permet une circulation des œuvres, ce qui est important car la première diffusion d’une œuvre ne peut pas être rentabilisée. » ([167])
Mme Sarah Fartaoui, représentante du Syndicat national de la radiodiffusion, de la télévision et de l’audiovisuel (SNRT CGT), précisait d’ailleurs à ce propos au cours de son audition que « les chaînes sont très dépendantes de la publicité. Or l’uniformisation des programmes rassure les annonceurs et les publicitaires. Nous connaissons tous la célèbre déclaration de Patrick Le Lay, ancien PDG du groupe TF1 : "Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible." » ([168])
Comme le soulignait M. Xavier Niel, président de NJJ Médias, l’uniformisation des programmes augmente la rentabilité des chaînes au détriment de l’intérêt direct du téléspectateur en maximisant « la diffusion d’écrans publicitaires » et en cherchant « des publics de cible et non plus des publics larges, pour augmenter sa recette au spot publicitaire. » ([169])
À propos des chaînes publiques, qui sont également touchées par ce phénomène, M. Grégoire Weigel, avocat et ancien chef du département Pluralisme et campagnes électorales au CSA a indiqué devant la commission d’enquête « il y a quelques années, pour éviter la ressemblance, l’idée consistait à supprimer la course permanente à l’audience, en supprimant la publicité » tout en nuançant son discours en précisant qu’il était « très compliqué de faire appel uniquement au financement public pour les chaînes publiques. » ([170])
ii. Une standardisation industrielle des programmes audiovisuels de plus en plus marquée
L’homogénéisation des programmes s’explique notamment pour Mme Guylaine Guéraud-Pinet, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, par une industrialisation de la production des contenus. Lors de son audition devant la commission d’enquête, elle a précisé que ce « phénomène, s’il n’est pas nouveau, s’est sans doute accentué et accéléré au fil de la multiplication des chaînes et de la mise en concurrence. » ([171])
Ainsi, cette industrialisation de la production des contenus s’est accompagnée d’une standardisation des chaînes : « en produisant plus rapidement des programmes standardisés, les chaînes ont eu l’occasion de diffuser des programmes similaires à des tranches horaires similaires sur différents créneaux. » ([172]) Elle s’est notamment appuyée pour illustrer son propos sur l’émission « Un dîner presque parfait » diffusée sur M6 à partir de 2008 en access prime time – c’est-à-dire aux alentours de dix-huit heures, période qui précède le prime time et qui constitue le moment le plus regardé à la télévision – en relevant l’émergence et la multiplication, au même horaire, de programmes similaires sur d’autres chaînes : « en 2015, on pouvait retrouver sur France 2 et des chaînes de la TNT des programmes similaires entre dix-huit heures et vingt heures : des télé-coachings qui avaient tous la même forme, en matière de mise en son, de mise en images. En revanche, le fond n’était pas forcément le même » ([173]) les programmes concernés pouvant porter sur différentes thématiques, essentiellement tournés vers les métiers de la cuisine, de la coiffure ou de la mode. En outre, comme le soulignait Mme Régine Larcher, présidente de l’Association française des producteurs de films (AFPF), il faut relever une « une surabondance de séries policières sur la TNT » ([174]) imposant de ce fait des images de violence récurrentes sur les écrans. Pour Mme Sophie Jehel, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis, qui a relevé dans ses travaux « à partir des années 1990 une réduction de la diversité des programmes » et « de plus en plus de séries policières », il s’agit là d’une « influence du modèle états‑unien, dans lequel les armes à feu sont en vente libre. Ce genre a été fortement privilégié par Hollywood, notamment parce qu’il était favorable au pouvoir de convaincre ou soft power états‑unien. » Elle avait, par ailleurs, précisé regretter que « les séries européennes, en particulier françaises, aient longtemps été très marquées par ce modèle. » ([175])
Selon Mme Guylaine Guéraud-Pinet, « diffuser des programmes similaires qui ne coûtent pas très cher et qui ont souvent une production externalisée relève d’une stratégie de captation des publics. » ([176]) Ils sont, en outre, facilement rediffusables. Ces programmes ont, par ailleurs, l’avantage de générer d’important engagement sur les réseaux sociaux numériques. À titre d’illustration, une émission comme « Les Reines du shopping », diffusée sur M6 à partir de 2013, « était ainsi en tête des tweets tous les soirs à dix-huit heures » ([177]) constituant une manière d’attirer et de fidéliser les publics.
b. Une uniformisation des programmes, conséquence d’une approche conservatrice des chaînes qui tendent à commander des programmes similaires pour sécuriser leurs audiences
Les chaînes de télévision adoptent le plus souvent une approche conservatrice dans la sélection de leurs programmes afin de sécuriser leurs audiences. Elles ont ainsi tendance à privilégier des formats déjà éprouvés ayant déjà rencontré du succès par le passé. On observe de la sorte une récurrence de certains types de programmes sur l’ensemble des grilles qui aboutit à une forme d’uniformisation des contenus télévisuels.
Hormis les émissions d’information diffusées quotidiennement, les chaînes de télévision produisent peu de programmes en interne. La plupart d’entre elles, notamment sur la TNT, externalisent la fabrication de leurs contenus à des sociétés de production : elles doivent consacrer au minimum 75 % de leurs investissements dédiés aux œuvres cinématographiques et entre 60 % et 100 % de leurs investissements dédiés aux œuvres audiovisuelles, à la production d’œuvres dites « indépendantes ». Mais selon M. Jérôme Berthaut, maître de conférences à l’université de Bourgogne, « les sociétés de production prennent peu d’initiatives : elles répondent à des commanditaires, les diffuseurs […] Les sociétés de production doivent donc proposer des émissions qui rencontrent l’intérêt des chaînes. Celles-ci ont pour principe de rechercher une forme d’innovation dont le contenu inédit intéresserait un public, mais elles sont aussi très conservatrices et tendent à commander toujours des programmes similaires, pour sécuriser des audiences, d’où l’impression de regarder toujours les mêmes programmes car elles prennent des risques limités. » ([178])
Pour M. Damien Labbé, président de l’Union nationale de défense des intermittents de l’audiovisuel (UNDIA), « la télévision a toujours redouté la nouveauté, car nous ne pouvons jamais anticiper le succès ou l’échec d’un nouveau format. En pratique, toutes les chaînes et les émissions observent les mêmes standards et les mêmes codes. Lorsqu’une recette fonctionne bien, il nous est demandé de l’appliquer de manière standardisée. Une fois encore, ce problème s’explique par un budget insuffisant de R&D : nous n’avons pas le temps d’expérimenter des contenus innovants, en prenant le risque de sacrifier un travail qui n’aboutirait pas. Nous sommes tenus par des délais très contraints, particulièrement avec la TNT. N’ayant pas assez de temps pour créer des nouveautés, nous sommes tous contraints de répéter indéfiniment les mêmes méthodes. » ([179])
En outre, comme l’a relevé M. Jérôme Berthaut devant la commission d’enquête, « le public des flux linéaires tend à vieillir et à se concentrer sur les classes moyennes et les milieux populaires, les catégories supérieures utilisant davantage le replay ou les plateformes. » Ainsi, il apparaît que les programmes de la TNT « pensés par les catégories sociales supérieures dirigeant les chaînes sont donc très segmentés, parfois avec des représentations stéréotypées, que l’on imagine être les attentes des catégories populaires. » ([180])
Une telle approche ayant nécessairement pour effet de renforcer l’uniformisation des programmes en préjugeant des attentes d’une partie des téléspectateurs à l’image de la multiplication des programmes culinaires diffusés sur M6 depuis le milieu des années 2000 (« Top chef », « Oui chef ! », « Le meilleur pâtissier », « Cauchemar en cuisine », …).
Lors de son audition M. Jean-Paul Baudecroux, président-directeur général du groupe NRJ 12, a indiqué « avoir trouvé, après des années de pertes, les fondamentaux qui nous permettent de viabiliser notre structure économique. Grâce à un type de programmes, à une audience ciblée et à la monétisation de celle-ci. » Il a, par ailleurs, précisé que la stratégie d’audience du groupe les a conduits « à retirer certains programmes onéreux destinés à l’audience 4+ pour faire des choix éditoriaux pointus en faveur de certaines catégories d’audience nous permettant de nous différencier. Nous avons ainsi pu réduire notre coût de grille. Nous ne pouvons pas lutter avec les grosses chaînes ou les groupes historiques qui réalisent jusqu’à 30 % sur l’audience 4+. Il faut se concentrer sur l’ADN du groupe, le divertissement et les femmes. Nous sommes ainsi parvenus depuis quelques années à un équilibre et l’année 2022 a été satisfaisante, j’espère que l’année 2023 le sera également. Je le répète : cet équilibre n’a pas demandé de sacrifice qualitatif sur les programmes, mais un ciblage pour atteindre certaines audiences que nous savons monétiser afin de payer les coûts de grille. Les équipes de Mme Chanat [directrice générale adjointe en charge des contenus et de la programmation du pôle télévision] recherchent ce ciblage lorsqu’elles achètent des droits sur le marché. » ([181]) Bien qu’il s’en défende, une telle approche constitue forcément un « sacrifice qualitatif » puisqu’elle a pour effet d’appauvrir et d’uniformiser l’offre de programmes.
c. La multiplication des chaînes d’information n’a pas entraîné une diversification des sujets traités et des angles d’approche de l’information
S’agissant du traitement de l’information, une nette tendance à l’uniformisation est également à l’œuvre notamment sur les chaînes d’information en continu. Même si celles-ci se distinguent par des lignes éditoriales et des publics cibles différents, elles ont tendance à adopter des formats et des angles de couverture similaires. Cette uniformisation du traitement de l’information peut résulter de divers facteurs, tels que la concurrence accrue pour attirer les téléspectateurs, la pression pour maintenir des audiences élevées ou encore des contraintes de temps et de ressources pour produire de l’information.
La France se distingue en Europe par un paysage audiovisuel très riche en chaînes d’information en continu, avec quatre chaînes nationales de ce type – les chaînes privées BFMTV, CNews, LCI et la chaîne publique Franceinfo. Cependant cette multiplication des chaînes d’information en continu n’a pas conduit à une diversification des sujets traités mais au contraire à une hypertrophie de la couverture de certains événements ou de certaines thématiques à l’image du traitement sensationnaliste de l’accident impliquant Pierre Palmade en février 2023 ou encore de l’affaire de la mort d’un adolescent lors d’une rixe à Crépol en novembre 2023 dont la couverture médiatique a pu être détournée à des fins politiques sur certaines antennes comme CNews.
Comme l’a relevé M. Jérôme Berthaut devant la commission d’enquête « contrairement à ce que l’on pourrait penser, la multiplication des chaînes, notamment d’information, ne se traduit pas par une plus grande diversité des thématiques traitées – le pluralisme des points de vue est une autre question. La concurrence contribue plutôt à resserrer la focale sur quelques sujets, auxquels toutes les chaînes, en plus des journaux télévisés (JT) des chaînes classiques, vont s’intéresser. » ([182])
De la même manière, les chaînes d’information ont toute tendance à ne donner la parole qu’à des économistes issus de l’école libérale, limitant le temps de débat sur l’analyse de la situation économique à des poncifs.
Les chaînes d’information en continu cherchent à adopter des positionnements éditoriaux distincts pour se distinguer – « LCI, tournée vers les questions internationales, cible un public de catégories sociales supérieures ; BFM TV, par ses thématiques et le traitement des faits divers, essaie d’être une chaîne généraliste ; CNews a adopté des positions identitaires sur la sécurité ou l’immigration » ([183]) selon M. Jérôme Berthaut – mais n’offrent pas pour autant, s’agissant des sujets traités, une couverture de l’information diversifiée. Une telle situation contre-intuitive – de nombreuses chaînes mais un traitement de l’information globalement uniformisé – est d’autant plus inquiétante pour le débat public quand on pense aux rôles prescripteurs qu’ont désormais acquis ces chaînes : « les chaînes d’information continue sont allumées en permanence dans les rédactions, y compris de France 2 ou TF1. Dans le passé, des journaux comme Le Parisien ou Le Monde étaient prescripteurs des sujets choisis pour ouvrir les journaux télévisés. Aujourd’hui, ce sont plutôt des chaînes telles que BFM TV qui inspirent le sommaire des journaux télévisés. » ([184])
Une telle focalisation par l’ensemble des chaînes d’information en continu sur certains sujets ou événements conduit inévitablement à invisibiliser d’autres questions, ce qui peut avoir pour effet de les évincer du débat public ou de les minimiser. Pour Jérôme Berthaut, « quand on parle de certains sujets, on n’en évoque pas d’autres, notamment ceux qui nécessitent beaucoup d’investigation, donc de temps. » À titre d’illustration, il a indiqué devant la commission d’enquête que « les émissions sur la police et la gendarmerie tendent à surexposer les catégories populaires, davantage concernées par les contrôles routiers ou les déviances dites de rue. Il est plus difficile de mettre en images à la télévision la délinquance en col blanc – conflits d’intérêts, fraude fiscale. Cela demande un temps d’enquête plus long et conduit à des productions audiovisuelles très coûteuses, donc moins rentables. Les chaînes de télévision qui disposent d’un budget réduit pour financer leurs programmes sont conduites à exposer davantage certains types d’information et de déviance plutôt que d’autres. » ([185])
Pourtant, il relève une véritable appétence du public pour les émissions d’investigation – » lorsqu’elles existent – c’est-à-dire presque uniquement sur des chaînes du service public, Arte ou France Télévisions ; elles ont disparu de Canal+ depuis que Vincent Bolloré a racheté la chaîne –, elles fonctionnent très bien » – précisant que « le public répond présent quand on lui propose une offre diversifiée de traitement journalistique, fondée notamment sur des enquêtes d’investigation au long cours. » ([186])
Une autre transformation notable relevée au cours des travaux de la commission d’enquête, en parallèle du traitement de l’information en continu, concerne les formats longs – documentaires et autres cinquante-deux minutes. M. Jérôme Berthaut note les concernant « une standardisation de ces formats longs, en particulier sur des chaînes de la TNT, dont les budgets sont limités. Toutes les émissions qui font la chronique de l’activité de la police, de la gendarmerie ou des urgences et se présentent comme de l’information sont en réalité excessivement standardisées. Cela contribue également à surdévelopper certaines thématiques, notamment les questions sécuritaires. » ([187])
d. Ouvrir le paysage audiovisuel à d’autres acteurs pour diversifier les contenus
À la question du rapporteur s’agissant de la « télévision idéale » la plupart des personnes auditionnées ont répondu que celle-ci n’existait pas mais qu’elle impliquait nécessairement de la diversité.
Pour répondre à des attentes multiples et offrir aux publics des contenus innovants et diversifiés, il paraît indispensable au rapporteur d’ouvrir le paysage de la TNT à de nouveaux entrants non affiliés à un grand groupe industriel à même d’offrir « des perspectives alternatives, des formats originaux et des thématiques nichées, élargissant ainsi les choix disponibles » ([188]) pour les téléspectateurs comme l’a indiqué Mme Guylaine Guéraud-Pinet. Une telle démarche « en permettant à un plus grand nombre de voix de s’exprimer et en offrant des opportunités de création à des créateurs indépendants et à des productions locales » contribuerait indéniablement « à enrichir le paysage audiovisuel et à répondre à une demande croissante de diversité et d’originalité dans les contenus médiatiques. » Elle a en outre précisé devant la commission d’enquête que « l’apparition de nouvelles chaînes permettrait peut-être de renouveler une offre qui s’érode. Cela pourrait aussi passer par la reformulation des obligations des chaînes dans les conventions, en revenant sur la notion de programmation généraliste, sans doute trop large pour certaines ; en imposant des quotas de rediffusion plus restrictifs afin d’assurer davantage de nouveauté dans la diffusion de programmes ; en imposant, notamment aux chaînes d’information, de veiller à ce que l’information ne se transforme pas en opinion. » ([189])
Il faut pour le rapporteur œuvrer à favoriser les contenus alternatifs et comme l’a précisé M. Nicolas Hubé devant la commission d’enquête « envisager de remédier à l’invisibilisation de certains sujets ou opinions par une politique d’attribution de canaux à des positions non rentables commercialement. » ([190])
Enfin, l’État devrait avoir un rôle à jouer dans ce domaine, au-delà des seules chaînes publiques, en soutenant, par exemple, via un système d’aides des médias audiovisuels associatifs, à même de proposer des contenus originaux.
Proposition n° 11 : Favoriser la production de programmes originaux alternatifs en mettant en place des circuits de financement publics et privés alternatifs.
2. Une reprise en main des grands groupes sur les ondes télévisées privées
La propriété des médias français, qu’il s’agisse de titres de la presse écrite, de stations de radio ou encore de chaînes de télévision, est de plus en plus concentrée entre grands groupes industriels (groupe Bouygues pour le groupe TF1, groupe Bolloré pour Canal+, groupe Bertelsmann pour M6, Altice Média pour BFM TV en passe d’être racheté par le groupe CMA CGM).
Une telle concentration de la propriété des chaînes de télévision privées, entre les mains de quelques industriels milliardaires (Martin Bouygues, Vincent Bolloré, Patrick Drahi, prochaînement Rodolphe Saadé) soulève de légitimes questions sur leurs motivations réelles ainsi que de réelles inquiétudes quant à l’indépendance et au pluralisme de l’information sur les antennes qu’ils possèdent. Pour mémoire, les chaînes privées nationales représentaient en 2021, selon Médiamétrie, 58 % de l’audience totale ([191]).
Les chaînes de la TNT étant globalement déficitaires, les raisons poussant les grands groupes à investir dans ce secteur vont nécessairement au‑delà de la simple rentabilité économique. Elles leur permettent, en effet, d’acquérir une visibilité auprès du grand public ainsi qu’une indéniable influence dans le débat public.
a. L’arrivée de la TNT, qui a permis une multiplication de l’offre, s’est en parallèle accompagnée d’un fort mouvement de reconcentration autour de plusieurs grands groupes industriels et de quelques milliardaires
Le lancement de la TNT à partir de 2005 avait permis un élargissement de l’offre avec une multiplication d’éditeurs – en 2024, 30 chaînes nationales diffusées sur la TNT en métropole dont 26 accessibles gratuitement et 5 disponibles sur abonnement. Cependant, le nombre de véritables nouveaux entrants dans le secteur est resté très limité, suite à l’acquisition de fréquences ou le rachat de chaînes par les opérateurs historiques privés, à savoir les groupes TF1, Canal+ et M6. Nous assistons depuis quelques années à un mouvement de reconcentration autour de ces trois groupes principaux privés détenus par de grands industriels, respectivement Martin Bouygues pour le groupe TF1, Vincent Bolloré pour le groupe Canal+ et la famille Mohn pour le groupe M6.
Au final, la TNT n’aura donné lieu qu’à l’arrivée de trois nouveaux entrants sur le marché des chaînes gratuites :
– NextRadioTV (BFM TV) – renommé Altice Media en 2021 après son acquisition totale par Altice en 2012, qui est actuellement en passe d’être racheté par le groupe CMA CGM, propriété du milliardaire Rodolphe Saadé ;
– NRJ Group (NRJ 12, Chérie 25) ;
– et Amaury (la chaîne sportive L’Équipe).
L’avènement de la TNT aura donc entraîné une explosion du nombre de chaînes, mais cela aura finalement davantage bénéficié aux grands groupes et à leurs propriétaires plutôt qu’au public lui-même comme le relevait M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA lors de son audition : « je dois néanmoins souligner que je me suis toujours interrogé sur l’intérêt pour le public de ce saut quantitatif, car ce choix a significativement servi les grands groupes existants et donné naissance à des chaînes dont la plus-value en termes de diversité et de contenu peut être contestée. » ([192])
Dans les faits, un observateur avisé comme M. Xavier Niel a bien jugé le positionnement de ces grands groupes audiovisuels : « Je crois qu’il suffit de regarder quotidiennement TF1 et M6. Elles sont, d’une manière générale, favorables au gouvernement, quel qu’il soit, un peu comme la presse qui peut exister dans d’autres pays. Je ne sais pas si elles font l’objet d’interventions au sens où vous l’entendez. Ces chaînes savent que, par essence, elles seront toujours du côté du fort, du pouvoir, parce qu’elles pourront y trouver intérêt ou en tirer avantage. C’est leur modèle. Je pense que personne n’est dupe. C’est pour cette raison que, notamment dans le domaine de l’information, on assiste à l’émergence d’autres contenus sur les réseaux sociaux, d’autres types de chaînes. » ([193])
20 années de TNT et de démultiplication du nombre de chaînes n’ont paradoxalement pas débouché sur une progression du pluralisme audiovisuel.
b. La propriété d’une chaîne de la TNT ne constitue pas un enjeu économique mais une stratégie de marque voire un projet de prise en main idéologique
Lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Patrick Eveno a affirmé que « le modèle des chaînes gratuites de la TNT ne peut pas exister en dehors des groupes. Il faut être clair. C’est ainsi : avec au plus 3 % d’audience, vous ne drainez pas suffisamment de publicité pour financer une chaîne de télévision gratuite. » ([194]) M. Eric Maigret a abondé dans le même sens en indiquant que « la TNT a ceci de particulier en France qu’elle est contrôlée, pour l’essentiel, par de grands groupes qui peuvent se permettre d’être en déficit sur certains segments. » ([195])
Au sujet de la solvabilité des chaînes de la TNT, M. Patrick Eveno est, par ailleurs, longuement revenu dans sa présentation sur la situation économique des chaînes du groupe Canal+ pour illustrer son propos : « le groupe Canal+ comprend trois chaînes gratuites, dont deux, C8 et CNews, sont particulièrement connues [...] CStar n’a que 1 % d’audience, mais elle ne coûte pas bien cher. En 2022, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, le chiffre d’affaires cumulé de ces trois chaînes a représenté 157 millions et leur résultat net est négatif à hauteur de 48 millions d’euros – c’est-à-dire que le déficit atteint un tiers du chiffre d’affaires. C’était encore pire auparavant, avec un déficit de 58 millions d’euros en 2021et de 68 millions en 2020. Cela s’améliore petit à petit, mais le groupe perd beaucoup d’argent et depuis longtemps. Ce n’est pas grave puisque c’est Canal+ qui paye. Sans les chaînes gratuites, ce groupe aurait un résultat net supérieur à 600 millions. À cause de ces chaînes, son bénéfice est d’un peu moins de 550 millions [...]. La chaîne la plus déficitaire depuis 2020 est C8, parce qu’elle a signé un contrat avec un présentateur qui est en même temps producteur, qui fait 567 heures d’antenne par an et dont les initiales sont C. H. [Cyril Hanouna] [...]. Il est responsable – si l’on peut dire… – des deux tiers du déficit de l’ensemble des trois chaînes gratuites de Canal+. CNews est un peu moins déficitaire et CStar est la moins déficitaire, mais elle a le plus petit budget parce qu’elle fait du rien du tout. Puisqu’ils l’ont, ils la gardent. » ([196])
Pour M. Patrick Eveno face à une telle situation économique « un actionnaire ordinaire aurait fermé depuis longtemps ces puits sans fond », ce qui est pour lui le signe qu’il ne s’agit pas là « un problème économique ou de concentration économique » ([197]) mais que d’autres raisons commandent à cette reprise en main des grands groupes sur les ondes télévisées privées.
Sans doute les plateformes de streaming seraient moins séduisantes si une offre nouvelle était mise en place, si les grands groupes audiovisuels ne gâchaient pas de l’argent à faire tourner des chaînes secondaires non rentables et l’utilisaient à des productions de meilleure qualité ou à l’achat de production plus originales. Depuis l’entrée en vigueur du décret du 30 décembre 2021 relatif à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre, dit « décret TNT », les obligations en matière de production peuvent être globalisées pour les détenteurs de plusieurs chaînes, permettant aux trois principaux groupes privés de réserver leurs nouvelles productions à leur chaîne principale, faisant de leurs chaînes secondaires de simples robinets à rediffusion et multidiffusion.
Le rapporteur estime ainsi que les chaînes secondaires de ces groupes sur la TNT correspondent moins à un modèle économique de circulation des œuvres et des programmes qu’à la volonté d’empêcher l’implantation d’une offre concurrente. Cette stratégie anticoncurrentielle repose sur le constat qu’il vaut mieux perdre un peu d’argent dans la diffusion de ces chaînes secondaires, qui ne réalisent qu’une audience anecdotique, que de permettre l’émergence d’une offre concurrente. Dans ce cadre, on assiste bien à une pratique concertée au détriment de l’intérêt du téléspectateur, ce qui justifie que l’on remette à plat la règle permettant à un même groupe de détenir jusqu’à sept chaînes, soit un quart de l’offre totale et un tiers de l’offre privée, sur la TNT (cf. infra).
Dans les faits, lorsqu’on examine le bilan financier des chaînes gratuites établi annuellement par l’Arcom ([198]), on constate qu’en 2022, les résultats d’exploitation des chaînes gratuites des groupes TF1, M6 et Altice Média sont positifs, alors que les chaînes gratuites des groupes Canal+ et NRJ sont déficitaires. Au total, et en incluant France Télévisions, le cumul des résultats d’exploitation de l’ensemble des chaînes gratuites s’est élevé à 158 millions d’euros, soit moins de 3 % du chiffre d’affaires total ([199]).
Panorama général de la situation financière des chaînes de la TNT
Selon l’Arcom, la moitié des chaînes dont l’autorisation arrive à expiration en 2025 présentaient « en 2022 des résultats d’exploitation positifs : BFM TV (depuis 2011), Gulli (depuis 2013), TMC (depuis 2017, après une période déficitaire entre 2013 et 2016), TFX et W9 (depuis 2017, cette dernière alternant cependant entre 2006 et 2016 des périodes déficitaires et bénéficiaires). En revanche, C8, CStar, CNews, NRJ 12 et LCI présentent toujours des résultats d’exploitation négatifs. »
Par ailleurs, parmi les six chaînes lancées en 2012, « certaines ont atteint l’équilibre (6ter en 2016, TF1 Séries Films en 2018, RMC Découverte en 2021 et RMC Story en 2022) quand d’autres (L’Équipe TV, Chérie 25) sont toujours déficitaires. » ([200])
Pour rappel, selon les différents résultats présentés par les chaînes, le coût de la diffusion sur la TNT représente de l’ordre de 5 à 6 millions d’euros par an.
Détails par groupe audiovisuel privé
Groupe TF1 : Selon les chiffres transmis à la commission d’enquête, les cinq chaînes du groupe diffusant sur la TNT sont bénéficiaires en 2022 à l’exception de LCI, TF1 représentant les trois quarts du résultat du groupe.
De même, selon l’Arcom, LCI « est constamment déficitaire. Les résultats positifs des autres chaînes gratuites du groupe conduisent à rendre largement bénéficiaire l’activité d’édition de chaînes gratuites du groupe TF1 en 2022 (131,7 millions d’euros de résultat d’exploitation et 159,2 millions d’euros de résultat net). » ([201])
Groupe M6 : Selon leur réponse écrite, W9 est déficitaire en 2023, mais l’ensemble des autres chaînes du groupe présente un résultat positif ([202]).
Groupe Canal+ : Pour les chaînes gratuites, « CStar est à l’équilibre depuis plusieurs années et CNews n’en est plus très loin. C8 perd encore environ 20 millions d’euros (2022). »
Pour les chaînes payantes, Planète+ « est rentabilisée par les autres modes d’abonnement (hors TNT): distribuée à 7M de foyers à qui elle est proposée à travers les différentes offres du groupe. »
Pour Canal+ Cinéma(s) et Canal+ Sport, « La rentabilité des chaînes ne se mesure pas seulement à l’aune de la TNT. On ne peut pas répondre aussi directement à la question de sa viabilité car ces chaînes sont des déclinaisons de la chaîne Canal+ et ne peuvent pas être commercialisées de manière isolée à la chaîne Canal+, autrement dit en "stand alone". […] L’économie du service Canal+ doit par conséquent s’apprécier sur son ensemble (chaîne Canal+ et déclinaisons comprises), et non chaîne à chaîne. » ([203])
Selon La Lettre ([204]), leurs bénéfices avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement seraient en 2022 de – 26 millions d’euros pour Canal+, – 23 millions d’euros pour C8, – 4 millions d’euros pour CNews et + 2 millions d’euros pour CStar.
Groupe NRJ : Selon l’Arcom, les résultats de NRJ 12 « restent négatifs » en 2022. De même, Chérie 25, « reste déficitaire même si ce déficit se réduit d’année en année. » ([205])
Groupe Altice Média : Selon sa réponse écrite, « chacune des trois chaînes [BFM TV, RMC Découverte, RMC Story] est désormais bénéficiaire » ([206]). Information confirmée par l’Arcom, qui note que « la situation des chaînes du groupe s’est encore améliorée en 2022, puisque chacune des trois chaînes est désormais bénéficiaire. » ([207])
Groupe Amaury : Après avoir connu jusqu’à 10 millions d’euros de déficit en 2019, la chaîne L’Équipe s’approcherait de l’équilibre ([208]).
Récapitulatif de la situation des chaînes privées gratuites en 2022
TF1 : bénéficiaire
Canal+ : déficitaire
M6 : bénéficiaire
C8 : déficitaire
W9 : bénéficiaire (mais déficitaire en 2023)
TMC : bénéficiaire
TFX : bénéficiaire
NRJ 12 : déficitaire
BFM TV : bénéficiaire
CNews : déficitaire
CStar : bénéficiaire
Gulli : bénéficiaire
L’Équipe TV : déficitaire
RMC Story : bénéficiaire
RMC Découverte : bénéficiaire
Chérie 25 : déficitaire
6ter : bénéficiaire
TF1 Séries Films : bénéficiaire
LCI : déficitaire
Cependant, face à la perte de 23 millions d’euros affichée en 2022 par C8, le rapporteur s’interroge sur l’intérêt économique pour le groupe Canal+, et donc pour les actionnaires minoritaires de Vivendi, du contrat conclu entre le groupe Canal+ et M. Cyril Hanouna et ses sociétés, pour un montant de l’ordre de 35 millions d’euros par an jusqu’en 2026 ([209]). H20 Productions capte en effet la moitié des coûts de la grille de C8, soit énormément de ressources, pour un projet économique qui reste déficitaire. Le statut exorbitant du contrat entre C8 et H20 Productions ne laisse pas d’interroger sur la cohérence d’une stratégie prodigue qui consiste à faire circuler un argent que la chaîne en fin de compte n’a pas. Si le groupe Canal+ contribue pour 60 % du chiffre d’affaires et des profits opérationnels de Vivendi en 2022, le bénéfice global de 515 millions d’euros ne devrait pas empêcher une remise en cause de la stratégie éditoriale des dirigeants pour ces chaînes secondaires, qui coûtent 25 millions d’euros chaque année au groupe.
La stratégie de marque apparaît comme une des motivations pouvant pousser les grands groupes industriels à posséder des chaînes de télévision, même déficitaire. Ainsi, Mme Nathalie Sonnac a précisé à ce propos que « la seule rentabilité économique n’est pas l’unique critère pour un groupe médiatique. La marque, la notoriété, le positionnement importent. Il vaut mieux être "chez soi" plutôt que de laisser l’adversaire le faire. Tout investissement doit s’envisager dans la durée et dans la globalité. Certaines filiales d’entreprises sont moins performantes et rencontrent moins facilement leur public. » ([210])
L’autre raison, encore plus inquiétante pour notre démocratie et la qualité du débat public a trait à la question de la « prise en main idéologique » mise en avant par plusieurs personnes auditionnées au cours des travaux de la commission d’enquête. Ainsi, M. Patrick Eveno explique le maintien des grands industriels sur ce segment déficitaire au regard de capacité d’influence des chaînes de la TNT qui « permettent de favoriser une certaine idéologie » ([211]). Abondant dans le même sens, M. Eric Darras, a indiqué qu’en France « des groupes financent des médias non viables économiquement, en raison de leur capacité d’influence, notamment sur les politiques. C’est une particularité qui n’existe pas à l’étranger. Cela conduit à s’interroger sur la légitimité des groupes vivant de marchés publics à bénéficier de fréquences hertziennes, y compris sur la TNT. La question a déjà été posée à de nombreuses reprises dans l’histoire de la télévision, depuis le milieu des années 1980. » ([212])
La télévision apparaît ainsi non comme un projet d’ambition culturelle ou d’information, ou tout au moins de divertissement, mais comme un outil permettant à des groupes industriels et à leurs riches propriétaires d’acquérir une image et un soutien. Cela relève ainsi plus de la communication corporate que du développement des médias. Face à ce constat, l’offre publique doit s’affirmer.
3. La nécessité de maintenir un audiovisuel public au service de l’intérêt général offrant des programmes diversifiés, de qualité et accessibles à tous
L’audiovisuel public est aujourd’hui composé de plusieurs entités de statut divers :
– trois « sociétés nationales de programme » ([213]) dont la totalité du capital est détenue par l’État : France Télévisions, Radio France et France Médias Monde ;
– une chaîne francophone à vocation internationale, dont le capital est détenu par France Télévisions et France Médias Monde, ainsi que par des chaînes publiques francophones (suisse, belge, canadienne) : TV5 Monde ;
– une chaîne culturelle franco-allemande, constituée sous la forme d’un groupement européen d’intérêt économique (GEIE) détenu à parité par une société française à capital public (Arte France) et une société allemande (Arte Deutschland) ;
– La Chaîne parlementaire, composée de deux sociétés de programme, l’une détenue par l’Assemblée nationale (LCP-AN), l’autre par le Sénat (Public Sénat).
Comme le prévoit son traité de création signé le 2 octobre 1990, Arte échappe en grande partie à la régulation de l’Arcom et n’est que partiellement assujettie à la loi du 30 septembre 1986. De même, en vertu de la séparation des pouvoirs, les sociétés de La Chaîne parlementaire ne sont soumises qu’au contrôle du bureau de l’assemblée à laquelle elles se rattachent.
a. Par les missions d’intérêt général qui lui sont assignées, l’audiovisuel public participe pleinement à la qualité et à la diversité de l’offre sur la TNT
L’existence d’un service public de l’audiovisuel trouve sa légitimité dans les « missions de service public » qu’il est tenu de poursuivre « dans l’intérêt général ». Celles-ci sont notamment énumérées à l’article 43-11 de la loi du 30 septembre 1986 et sont d’une grande richesse :
– offrir « une offre diversifiée de programmes [...] dans les domaines de l’information, de la culture, de la connaissance, du divertissement et du sport » ;
– favoriser « le débat démocratique, les échanges entre les différentes parties de la population ainsi que l’insertion sociale et la citoyenneté » ;
– mettre en œuvre « des actions en faveur de la cohésion sociale, de la diversité culturelle, de la lutte contre les discriminations et des droits des femmes » ;
– assurer « la promotion de la langue française et, le cas échéant, des langues régionales » ;
– participer « à l’éducation à l’environnement et au développement durable » ;
– assurer « une mission d’information sur la santé et la sexualité », etc.
Les obligations légales auxquelles l’audiovisuel public est soumis sont sans commune mesure à celles qui sont applicables aux éditeurs privés, tant dans leur nombre que dans leur précision.
Surtout, elles sont complétées et déclinées à travers deux outils juridiques:
– le cahier des charges ([214]), adopté par décret du Premier ministre après avis de l’Arcom, qui a pour rôle de traduire concrètement les orientations générales fixées par la loi. Pour France Télévisions, il a notamment pour objet de préciser les lignes éditoriales des différentes chaînes et les obligations particulières de chacune d’entre elles. Son exécution fait l’objet d’un rapport annuel transmis par l’Arcom aux commissions parlementaires chargées des affaires culturelles ;
– le contrat d’objectifs et de moyens (COM) ([215]) régit les relations financières entre la société nationale de programme et son actionnaire, l’État, pour une durée de trois à cinq ans. Soumis pour avis à l’Arcom, il est également transmis aux commissions parlementaires qui peuvent formuler un avis. Par le biais du COM, l’État fixe des priorités stratégiques au groupe concerné et lui donne une visibilité sur l’évolution pluriannuelle de ses ressources au regard de ces priorités. Par exemple, le COM de France Télévisions comporte actuellement 10 objectifs assortis de 31 indicateurs/sous-indicateurs. Son exécution fait également l’objet d’un avis annuel de l’Arcom.
Mme Delphine Ernotte Cunci, PDG de France Télévisions, explique ainsi qu’ « au total, France Télévisions est soumise à une centaine d’obligations – de diffusion, de moyens, d’investissement – qui sont mesurées et chiffrées. L’Arcom, qui en rend compte annuellement, relève que, globalement, nous atteignons les objectifs qui nous sont assignés par la représentation nationale et par l’État. « ([216]) Face au discours des éditeurs privés qui critiquent une supposée asymétrie au profit des chaînes publiques, M. Roch-Olivier Maistre insiste : France Télévisions est soumis à « des obligations nombreuses et plurielles, que l’on ne peut sous-estimer ; pour s’en convaincre, il suffit de lire son cahier des charges. » ([217])
Plus nombreuses, les obligations applicables au service public sont également plus contraignantes et exigeantes que celles qui peuvent exister dans les conventions des éditeurs privés. À titre d’exemple, en matière de création audiovisuelle et de cinéma, le groupe France Télévisions est soumis à une obligation d’un minimum d’investissements de 420 millions d’euros par an dans la création audiovisuelle, et de 3,5 % de son chiffre d’affaires dans le cinéma. Dans les faits, France Télévisions a investi plus de 500 millions d’euros dans le financement d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques en 2022, ce qui en fait le premier financeur de la création audiovisuelle en France (440 millions d’euros) et le premier financeur parmi les chaînes en clair du cinéma (66 millions d’euros) ([218]). À titre de comparaison, le groupe TF1 a investi la même année 188 millions d’euros dans la création audiovisuelle, et 52,3 millions d’euros dans le cinéma. Ainsi, si Canal+ est bien le premier financeur du cinéma, France Télévisions demeure de loin le premier financeur de la création au sens large (audiovisuelle et cinématographique). À ce propos, Mme Nathalie Sonnac, professeure à l’université Paris-Panthéon-Assas, ancien membre du CSA, insiste : « Pilier culturel, pilier sociétal, pilier démocratique, les chaînes de service public constituent également un pilier économique. Grâce aux 500 millions d’euros investis chaque année dans la production audiovisuelle et cinématographique, un emploi direct engendre cinq emplois supplémentaires. Cela représente également 4,4 milliards d’euros de contribution au PIB. » ([219]) De même, France Télévisions a diffusé sur ses chaînes 1778 heures de spectacles et concerts en 2022, et bien qu’il s’agisse trop souvent d’une programmation nocturne, cela représente 64 % de l’offre globale des chaînes nationales gratuites en la matière ([220]). L’illustration d’un encadrement bien plus exigeant de l’audiovisuel public par rapport aux éditeurs privés n’en demeure pas moins celui applicable à la publicité : sur France Télévisions, celle-ci ne peut ainsi dépasser 6 minutes par heure d’antenne et 8 minutes par heure d’horloge (contre 9 minutes par heure d’antenne et 12 minutes par heure d’horloge pour les privées) ; elle est interdite après 20 heures, ainsi que dans et aux abords des programmes jeunesse (cf. supra) ; elle est absente des chaînes France 4 et France Info. Mme Marianne Siproudhis, directrice générale de France Télévisions Publicité, explique ainsi : « Notre chiffre d’affaires représente un peu moins de 3 % du marché publicitaire global en France. Notre temps publicitaire est limité par rapport à nos confrères des chaînes privées. Il représente 5 % du temps d’antenne linéaire et 2 % du temps vidéo en digital. » ([221])
L’ensemble des obligations garantit avec succès la qualité et la diversité de l’offre de programmes de l’audiovisuel public, qui est aujourd’hui l’acteur central du « mieux-disant » télévisuel. À cet égard, il est éclairant de constater que la seule émission littéraire programmée en première partie de soirée et la seule émission consacrée à l’Europe sont diffusées sur les chaînes de France Télévisions (respectivement « La Grande Librairie » sur France 5 et « Nous les Européens » sur France 2). De même, M. Jérôme Berthaut, responsable du master en journalisme au sein du département des sciences de l’information et de la communication de l’université de Bourgogne, note que les émissions d’investigation sont désormais essentiellement sur le service public ([222]). Cette programmation qui se différencie des chaînes privées fonde la mission du service public de l’audiovisuel : force est de constater qu’il s’en montre aujourd’hui à la hauteur.
b. Pour tenir son rôle, l’audiovisuel public doit bénéficier d’un mode de financement pérenne, garant de son indépendance, et à la hauteur de ses missions
Alors qu’il représente 30 % des audiences et 15 000 salariés, l’audiovisuel public doit pouvoir continuer à remplir pleinement ses missions d’intérêt général, notamment au service d’une information fiable et indépendante, et en soutien de notre souveraineté culturelle. Il doit pour cela bénéficier d’un financement pérenne, qui garantisse son indépendance et des moyens à la hauteur de ses missions. M. Roch-Olivier Maistre insiste sur cette nécessité : « Un service public fort doit être bien financé. » ([223])
Or, depuis la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), ou « redevance télé », par la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, le mode de financement de l’audiovisuel public n’a toujours pas été pérennisé. De fait, la taxe affectée que constituait la redevance a été remplacée par l’affectation d’une fraction de produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Or, ce nouveau mode de financement est par nature transitoire, car la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, prévoit qu’à compter de 2025, une affectation de taxe bénéficiant à un tiers (autre que les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales) ne peut être maintenue que si elle est en lien avec les missions de service public qui lui sont confiées. Parce qu’un tel lien est difficile à caractériser entre la TVA et les missions de l’audiovisuel public, ce mode de financement devra donc prendre fin au plus tard le 31 décembre 2024, sauf à ce qu’il soit pérennisé par une modification de la loi n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf).
L’incapacité du Gouvernement à acter ces deux dernières années un mode de financement pérenne illustre l’impréparation avec laquelle la suppression de la redevance a été menée. Actée dans la précipitation, cette réforme, présentée comme étant en faveur du pouvoir d’achat, n’a pour autant pas privilégié un mode de financement plus juste que la CAP : en effet, la TVA est par nature une contribution non-progressive qui frappe les ménages quelles que soient leurs facultés contributives. Surtout, cette solution précaire n’a pas permis d’évacuer définitivement le spectre d’une budgétisation à laquelle l’ensemble des acteurs de l’audiovisuel public sont opposés, cette solution étant préjudiciable à leur indépendance.
La ministre de la Culture, Mme Rachida Dati, s’est prononcée clairement en faveur de la pérennisation de l’affectation d’une fraction de TVA, tout en conditionnant cette option à une réforme de gouvernance qui aboutirait à la création d’une holding rassemblant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA : « Cette réforme de la gouvernance doit nous permettre de sécuriser le financement de l’audiovisuel public. Je suis favorable à une modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) et à la pérennisation du financement par une fraction de la TVA. Il faut faire vite : modifier la loi sur ces deux sujets, gouvernance et financement, devra se faire dès cette année. » ([224]) Le rapporteur conteste vivement cette attitude : l’indépendance de l’audiovisuel public et le moyen de la garantir ne sauraient faire l’objet d’un « chantage » destiné à faire accepter une « BBC à la française » qui peine encore à convaincre.
L’intégralité des anciens ministres de la culture, auditionnés par la commission d’enquête se sont en effet opposés, quelle que soit leur orientation politique, à une telle réforme institutionnelle qui conduira à dissoudre les spécificités des différentes sociétés et sera source de dépenses supplémentaires. Selon Mme Rima Abdul-Malak, des synergies sont possibles sans « grand meccano institutionnel », « en faisant confiance aux équipes et en fixant des objectifs précis, en inscrivant des réformes dans les contrats d’objectifs et de moyens, avec une trajectoire sur cinq ans et une enveloppe budgétaire complémentaire accessible sous conditions, comme nous l’avons fait. » ([225]) Mme Roselyne Bachelot peine à croire aux économies de gestion promises : « On achètera un superbe immeuble, qu’on peuplera avec un président, qui aura une voiture de fonction, des directeurs et des directrices, qui se soucieront de la diversité et de l’égalité entre les hommes et les femmes, des collaborateurs… Et pour cela, on mettra à feu et à sang les sociétés de l’audiovisuel public. » ([226]) Pour M. Renaud Donnedieu de Vabres, l’heure n’est pas aux « débats de structure » : « Chaque minute passée à des réflexions structurelles certainement très importantes mais moins urgentes, moins stratégiques, est une minute passée à ne pas réfléchir, face à la violence de l’air du temps, aux liens, à la paix, au respect, à l’identité de chacun. Revenons-en à l’essentiel et à l’urgence. » ([227]) M. Jacques Toubon compare la holding à un « placebo », et estime que « le Parlement ne rendrait pas service au pays en décidant de mettre le doigt dans l’engrenage d’un débat qui serait au mieux superfétatoire, et plus probablement détestable. » ([228]) Enfin, pour Mme Fleur Pellerin, « la contribution de l’audiovisuel public à la diversité des opinions et au pluralisme des idées est beaucoup plus importante que des réflexions structurelles dont, comme l’ont dit mes collègues, on n’est absolument pas sûr qu’elles apporteraient les fameuses synergies et ne seraient pas, au contraire, des cataplasmes coûteux. » ([229])
Sans préjuger des débats qui auront lieu au Parlement, il apparaît donc souhaitable au rapporteur que la pérennisation du mode de financement de l’audiovisuel public, nécessaire à la garantie de son indépendance, ne soit pas la contrepartie d’une réforme institutionnelle aux bénéfices plus qu’incertains.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° II : Assurer une source de financement dynamique, spécifique, universelle et progressive comme la contribution à l’audiovisuel public et préserver les identités des sociétés le composant en renonçant au projet de rapprochement au sein d’une même holding.
4. Une confusion croissante et recherchée entre information, expertise et divertissement
a. Une appétence toujours très forte des Français pour l’information télévisuelle
L’information télévisuelle occupe toujours une place significative en France, bien que son poids soit en baisse face à la montée en puissance du numérique. La télévision demeure ainsi le principal canal d’information pour une grande majorité de la population française, avec 78 % des Français qui l’utilisent pour s’informer selon une étude du ministère de la culture ([230]).
Le tableau ci-après présente l’utilisation respective des différents canaux informationnels en France en 2023.
Utilisation des canaux d’information en France
(en %)
|
Source : Enquête Pratiques culturelles en France métropolitaine (2018) et dans les DROM (2019-2020), citée dans le rapport du Ministère de la culture, S’informer à l’ère du numérique, Collection Culture études, 17 novembre 2023.
M. Yannick Carriou, président-directeur général de Médiamétrie, a d’ailleurs précisé devant la commission d’enquête « la bonne résistance de la télévision » face aux nouveaux acteurs du numérique en précisant « au pic de consommation quotidienne, aux alentours de vingt et une heures, la télévision réunit environ 25 millions d’individus, quand l’ensemble des services de vidéo à la demande totalisent, à leur pic qui se situe plutôt aux alentours de vingt-deux heures, environ 4,5 millions d’individus. Le ratio est parlant. Toute la vidéo sur internet rassemble quatre millions d’individus à son pic quotidien, vers dix-huit heures. Même si la consommation d’internet et des vidéos à la demande s’étale sur toute la journée, il faut se rappeler que la télévision conserve une puissance fédératrice inégalée. » ([231])
La télévision conserve donc – malgré l’essor de nouveaux canaux notamment numériques – un rôle éminent dans les pratiques informationnelles des Français. Elle conserve ainsi une place essentielle pour la fabrication du lien social notamment au moment des « rendez-vous informationnels » que constituent journaux télévisés (JT) du soir qui rassemblent encore des audiences importantes, avec plus de 5 millions de téléspectateurs pour les journaux de 20 heures de TF1 et de France 2.
Mme Céline Ségur, professeure des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine abondait en ce sens à l’occasion de son audition devant la commission d’enquête « la télévision linéaire reste le média dominant pour s’informer en France ; les journaux télévisés sont encore des rendez-vous incontournables d’information, parfois même intergénérationnels. La part d’audience annuelle des quatre chaînes d’information en continu ne cesse d’augmenter depuis quelques années : en 2021, 6,7 % ; en 2022, 7,5 % ; en 2023, 8,1 %. » ([232])
La télévision demeure ainsi le moyen privilégié pour s’informer en France, reflétant son statut dominant dans le paysage médiatique de notre pays. Cependant, l’émergence de nouveaux formats télévisuels modifie profondément la manière de traiter l’information et a un impact direct sur le débat public et au-delà sur notre vie démocratique. Nous observons, en effet, sur de nombreuses antennes une confusion croissante entre information, expertise et divertissement, une tendance souvent recherchée pour captiver les audiences dans un paysage médiatique de plus en plus concurrentiel. Ainsi, les émissions d’information intègrent de plus en plus fréquemment des éléments de divertissement pour rendre les sujets plus attractifs, tandis que les programmes de divertissement incorporent parfois des éléments d’expertise pour crédibiliser leur contenu. Cette confusion des genres brouille les frontières et rend plus difficile la distinction entre ce qui relève de l’information factuelle, de l’analyse ou du simple divertissement. Cette pratique soulève de réelles préoccupations puisqu’elle participe à dégrader la qualité de l’information et à la confusion des opinions avec les faits.
Citant l’émission « Touche pas à mon poste ! » tout en précisant que cette question dépasse largement le cadre des seules émissions de M. Cyril Hanouna, puisqu’elle « concerne notre démocratie d’opinion d’une façon générale » ([233]), Mme Claire Sécail, chargée de recherche CNRS au Centre de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) à l’université Paris Cité, a indiqué lors de son audition devant la commission d’enquête que l’on avait pu voir sur le plateau de cette émission « des experts qui n’étaient experts de rien » ([234]) critiquant ainsi la place démesurée prise à l’antenne depuis plusieurs années par les « toutologues ». Elle a ensuite précisé que « le fait de donner la parole à n’importe qui relève de la désinformation : c’est une mauvaise administration des faits qui servent à se faire une opinion. Mais ce phénomène est aujourd’hui généralisé. C’est la création de la TNT qui, au travers de la multiplication des canaux et des espaces de débat, a abouti à ces formats plus conversationnels qu’informationnels : cela coûte moins cher, et cela permet de donner la parole à des personnes qui ont des choses à promouvoir. Les plateaux des chaînes d’information en continu sont également concernés, même si certains s’efforcent de réaliser un vrai travail d’information. » ([235])
Pour elle, « ce phénomène ne poserait pas de problème si les échanges d’opinions, qui sont importants en démocratie, étaient précédés d’un solide et honnête travail d’administration des faits. Le principal reproche que l’on peut faire à Cyril Hanouna est de ne pas donner tous les éléments nécessaires à l’appréciation des propos tenus dans ses émissions : la production elle-même choisit de ne pas préciser en tant que quoi parlent les intervenants, de passer sous silence leurs intérêts éventuels, ou de les présenter à tort comme experts. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur le divertissement, qui est un genre télévisuel important, mais de rappeler qu’il faut être vigilant si l’on prétend faire aussi de l’information : les codes du divertissement peuvent servir de caution pour avancer des propos qui, sans en avoir l’air, sont en fait politiques. » ([236])
Aussi il faudrait mieux définir ce qui relève de l’information et du divertissement. Dans sa délibération mettant en œuvre la « loi Bloche » ([237]), le Conseil supérieur de l’audiovisuel a ainsi posé le principe que l’éditeur d’un service « veille à éviter toute confusion entre information et divertissement. »
Or la multiplication des programmes d’infotainment mêlant information et divertissement va à l’encontre de cette prescription. Il devient impossible de classifier les programmes et notamment les règles qu’ils doivent suivre, dès lors qu’il ne s’agit pas d’information générale, conduisant des programmes comme « Touche pas à mon poste ! » à être classifiés comme « autres programmes ».
Proposition n° 12 : Classer les programmes d’infotainment comme une sous-catégorie des programmes d’information politique et générale.
b. La montée en puissance des « intervenants intermédiaires » : entre journalisme, expertise et opinion
Ces dernières années, l’éditorial a pris le pas sur la présentation des faits. Il est désormais habituel qu’une séquence sur les chaînes d’information commence par une prise de position éditoriale, au détriment de la présentation des titres et des faits. Cette « éditorialisation » de l’information met en péril le modèle même de d’une information, qui reste nécessaire pour qu’un citoyen éclairé puisse déterminer ses choix.
Alors que les chaînes donnaient essentiellement la parole à des élus, des experts ou des professionnels, elles ont aujourd’hui tendance à inviter sur leurs plateaux des personnes – et plus particulièrement des éditorialistes – qui s’estiment expertes sur de nombreux sujets, même ceux pour lesquels elles n’ont aucune compétence, à l’instar de Mme Ruth Elkrief, appelant au vote du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration dit « projet de loi immigration » sur le plateau de M. David Pujadas sur LCI ([238]), ou encore de Mme Laurence Ferrari déclarant dans son éditorial « nous devons nous tenir sans faille au côté d’Israël » sur CNews ([239]). Une telle pratique contribue à dégrader le débat public en privilégiant l’opinion sur l’analyse rigoureuse et documentée des faits.
À ce propos, Mme Claire Sécail soulignait lors de son audition devant la commission d’enquête la nécessité de comprendre « comment on donne la parole dans les médias d’information », les logiques économiques favorisant actuellement « la production d’émissions de conversation » ([240]).
Comme le précisait M. Patrick Bloche, ancien député et rapporteur de propositions de loi relatives à l’audiovisuel, la dégradation du traitement de l’information est notamment due au fait que celle-ci « n’est plus traitée seulement par les professionnels, qui en ont habituellement la charge et qui sont formés pour cela » ajoutant que « la place faite, sur les plateaux de télévision, à ce que l’on appelle des experts – dont le recrutement pèche par un manque de pluralisme – est tout à fait contestable » et selon qui « il conviendrait peut-être de reprofessionnaliser le traitement de l’information. » ([241])
M. Thibaut Bruttin, adjoint du secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF) critiquait pour sa part ces intervenants d’un genre nouveau – évoquant devant la commission d’enquête « l’émergence d’une population intermédiaire » – qui alimentent et entretiennent la confusion entre journalisme, expertise et opinion. Il précisait également que « les intervenants sur les plateaux de télévision sont choisis en fonction de ce qu’ils vont dire » et qu’il « ne faut donc pas faire preuve de pudeur ni de faux-semblants » ([242]) à ce sujet.
L’émergence de cette « population intermédiaire » sur les plateaux de télévision pose un véritable problème en matière d’honnêteté de l’information. Il est en effet impossible, comme le soulignait Patrick Bloche lors de son audition « de mettre au même niveau des journalistes, c’est-à-dire des professionnels du traitement de l’information et de son éditorialisation, et de supposés experts dont on découvre par après qu’ils servent des intérêts particuliers ou entretiennent des convictions bien établies, dont l’expression est incompatible avec la neutralité qui doit être celle d’un expert. » ([243])
Dans la presse écrite, les fonctions de l’éditorialiste peuvent être d’expliquer les faits et leur importance, de fournir un contexte notamment historique, de prédire l’avenir, de porter des jugements moraux ou de valeur et d’appeler à l’action. L’éditorial est séparé de l’énonciation des faits et ne porte souvent pas de signature, puisqu’il résume une opinion collective. Lorsqu’il rédige des textes, l’éditorialiste cherche à susciter la réflexion, à provoquer le débat et influencer l’opinion publique. Il ne donne pas nécessairement son opinion mais il donne toujours un point de vue, exprime ses émotions et peut tenter de rallier le lecteur à son point de vue.
Pour le rapporteur, la fonction d’éditorialiste, propre à la presse écrite d’opinion, ne devrait pas trouver sa place sur la TNT, où le pluralisme interne est une obligation prévue par la loi de 1986. Lors de son audition, Mme Marie‑Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde (FMM) a montré qu’il était possible d’alimenter le débat public et d’informer au mieux les téléspectateurs en ne recourant pas à ce type d’interventions : « nous employons plutôt des chroniqueurs [sur France 24]. Leur mission consiste à décrypter une situation complexe. Chaque être humain est subjectif ; je ne crois pas à la neutralité absolue – en tout cas, personne ne peut être parfaitement neutre en permanence. En revanche, la présence de plusieurs chroniqueurs permet de proposer des analyses différentes et complémentaires. La dimension éditoriale est plutôt assurée chez nous par les invités : les politiques, mais aussi les experts, qui peuvent militer dans un domaine. L’information n’est pas une science exacte et nous nous plantons parfois, mais nous essayons de distinguer le travail journalistique d’exposition des faits – souvent, on ne sait pas ce que pense le journaliste – du débat, qui permet d’opposer les points de vue. Nous tâchons d’éviter les débats trop radicalisés : assez de tensions traversent le monde, nous cherchons à expliquer, non à en ajouter. » ([244])
Le rapporteur ne peut que souscrire à cette démarche, rétablissant le rôle de l’expert, c’est-à-dire de celui qui a une compétence ou un titre pour s’exprimer, et du responsable élu, élu politique ou responsable syndical ou associatif, sur les plateaux de télévision.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° III : Dans les programmes des chaînes d’information, renoncer à la fonction d’éditorialiste, intrinsèquement liée à la presse écrite d’opinion, au profit d’experts disposant de compétences et titres pour analyser les faits.
c. La transparence, étape indispensable pour renforcer la qualité du débat public ou la nécessité de savoir d’où les gens parlent
La question de la transparence constitue l’une des premières étapes incontournables pour renforcer la qualité du débat public à la télévision. Comme indiqué par M. Thibaut Bruttin, « celui-ci serait de meilleure qualité s’il existait une plus grande transparence sur les sélections qui sont effectuées entre les différents sujets et les différents intervenants. » ([245])
Il est, en effet, problématique que le public ne puisse pas clairement déterminer d’où parlent ces intervenants et identifier les liens d’intérêts qu’ils entretiennent avec le sujet traité dans l’émission. Cette question de la transparence se pose notamment au sujet de la rémunération de ces invités. Comme le précisait Mme Claire Sécail lors de son audition devant la commission d’enquête « à l’exception des personnalités politiques affiliées à un parti, on n’identifie pas le statut et la fonction des invités des plateaux, l’entreprise, le think tank ou laboratoire d’idées qu’ils représentent. Il est anormal que les sociétés de production ne fournissent pas ces informations, qui sont autant d’éléments d’appréciation. Il faut envisager ces aspects dans la durée plutôt que découvrir à l’occasion d’une polémique que tel chroniqueur a été payé. » ([246])
Pour Mme Julia Cagé, évoquant l’exemple d’interventions à l’antenne de citoyens ordinaires « lorsque "Touche pas à mon poste !" fait, à dessein, intervenir Mme Michu, il n’est pas possible de la classer politiquement. En revanche, si elle est rémunérée par la chaîne, elle a été choisie pour tenir certains propos et il faut en tenir compte. En la matière, il est évident que nous pouvons faire mieux. Cela demande une réflexion avec le concours des éditeurs, de l’Arcom et des personnalités susceptibles d’être classifiées politiquement. » ([247])
Lors des travaux de la commission d’enquête, plusieurs propositions ont été avancées en vue d’améliorer la transparence en la matière.
S’agissant de la qualité des différents invités sur les plateaux de télévision, il paraît essentiel pour le rapporteur de veiller à éclairer aisément le jugement du téléspectateur. Ainsi comme le suggère M. Thibaut Bruttin « une distinction devrait être opérée à l’antenne entre les différents intervenants, en fonction de leur statut. Un doute peut en effet exister, notamment sur les chaînes d’information, à propos d’une personne qui s’exprime : est-elle un invité, intervenant alors sans rémunération, ou bien un chroniqueur, sous contrat avec la chaîne ? » ([248])
En outre, pour M. Thibaut Bruttin, « la liste des personnalités politiques identifiées, c’est‑à‑dire les élus et les porte‑parole, pourrait notamment être élargie en y intégrant l’ensemble des contributeurs des think tanks qui sont politiquement marqués pour la plupart en France, les participants des universités d’été de différents mouvements politiques, et la liste de signataires de tribunes en faveur de tel ou tel candidat » en référence aux travaux de recherche menés par Mme Julia Cagé, M. Moritz Hengel, M. Nicolas Hervé et Mme Camille Urvoy ([249]). Selon lui « une telle méthodologie permettrait ainsi d’étoffer la compréhension du "qui est qui" sur les plateaux de télévision. » ([250]) Dans la même optique, une logique de déclaration d’intérêts, pourrait également être envisagée.
Proposition n° 13 : Fixer des normes de présentation des personnes intervenant à l’antenne et de leurs engagements politiques, en application de la décision du Conseil d’État du 13 février 2024.
Mais le plus important pour M. Thibaut Bruttin porte sur l’analyse de « la conversation sur les plateaux de télévision, en tant que telle » ([251]). À cet égard, selon lui, des analyses sémiologiques ou des analyses des contenus pourraient se révéler particulièrement pertinentes, « puisqu’il est possible de dominer le débat public sans même apparaître. » À ce propos, il a rappelé lors de son audition devant la commission d’enquête, l’intérêt des travaux de Nicolas Hervé qui propose « une méthodologie assez intéressante sur le temps de parole des candidats, non pas fondée sur leur apparition ou l’apparition de leur porte-parole, mais sur le nombre de citations dont ils font l’objet. Cette piste peut être creusée, puisque des acteurs sont particulièrement capables de s’introduire dans le débat public à travers des porte-parole qui ne sont pas forcément des porte-parole identifiés politiquement. » ([252])
Ainsi, une chaîne, CNews, exerce une influence significative sur le débat public en orientant résolument son contenu vers la droite et l’extrême droite, de manière similaire à ce qu’a pu accomplir la chaîne Fox News aux États‑Unis. Cette orientation politique marquée contribue de la sorte à façonner les opinions et les perceptions des téléspectateurs, influençant le paysage médiatique d’une part et les prises de parole politique d’autre part. Pour M. Julien Labarre, chercheur en science politique à l’université de California à Santa Barbara et auteur d’une étude sur CNews ([253]), « les données produites ne permettent pas d’affirmer que l’intention des dirigeants de CNews était de transformer i-Télé en canal de propagande. Toutefois, CNews semble s’employer à suivre le modèle de Fox News : monétiser la ferveur partisane de ses téléspectateurs. » ([254])
Cependant, comme M. Julien Labarre le montre, cette évolution a eu plus de succès que Fox News, car les téléspectateurs de CNews votent généralement plus à l’extrême droite que ceux de Fox News : « Les téléspectateurs de CNews sont de loin les plus à droite et les plus homogènes en matière de préférences politiques. » D’ailleurs, les responsables politiques du Rassemblement national se réjouissent de la ligne éditoriale imposée par M. Vincent Bolloré à ses médias : « "L’antenne de CNews n’exprime pas le pluralisme politique d’une chaîne d’info !" Le sermon ne vient pas de Reporters sans frontières, mais de Marine Le Pen. En octobre 2021, depuis les coulisses de la chaîne de Vincent Bolloré, la patronne du RN admonestait son directeur, Serge Nedjar, lui reprochant de rouler pour son concurrent Eric Zemmour. Deux ans ont passé et le monde s’est inversé. […] Sébastien Chenu […] salue toutefois un "rééquilibrage" éditorial et dit connaître Serge Nedjar, "un homme charmant". […] Philippe Ballard […] se souvient très bien de l’échange orageux du directeur avec Marine Le Pen. Du passé. "Reconquête a disparu du paysage, nous sommes puissants. Depuis deux ans et demi je sens un changement: peut-être les médias sentent-ils qu’on arrive au pouvoir ?", questionne-t-il. […] "Ses chaînes [de Vincent Bolloré] parlent immigration, sécurité et dette, avant, ces sujets étaient ignorés", soutient le conseiller de Marine Le Pen, Philippe Olivier. Il ajoute : "nous lui sommes très reconnaissants de ce qu’il a fait dans les médias – Europe 1, CNews, le JDD. Avant, nous avions si peu de présence à la télévision que nous collions des affiches quand c’était le cas !" » ([255])
d. Produire une information de qualité impose de fournir aux journalistes les moyens d’effectuer leur travail dans des conditions satisfaisantes
La dégradation du traitement de l’information à la télévision est également la conséquence d’une précarisation du métier de journaliste qui affaiblit la profession. La concurrence entre les chaînes, liée au développement du nombre de celles-ci ainsi que la pression exercée pour produire du contenu rapidement et à moindre coût a pour effet de compromettre la fiabilité de l’information diffusée. Ainsi, Mme Agnès Briançon-Marjollet, première secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ) rappelait devant la commission d’enquête que pour « pouvoir éclairer un lecteur, un auditeur, un téléspectateur ou un internaute, les conditions de travail sont essentielles, pour permettre aux journalistes d’avoir le temps de creuser un sujet, de confronter les sources et de chercher d’autres informations. J’ai le sentiment d’éclairer un lecteur lorsque j’ai pu creuser tout ce qui pouvait l’être, sous les différents angles nécessaires. Or ce temps peut nous manquer, compte tenu des besoins, des urgences. » ([256])
Par ailleurs, la prééminence de plus en plus forte donnée à la couverture de l’information en direct contribue à la détérioration de la qualité celle-ci. À ce propos M. Jérôme Berthaut soulignait « dans le domaine de l’actualité quotidienne, la place prise par les chaînes d’information continue a eu pour effet de renforcer le poids de la couverture de l’information en direct, avec des envoyés spéciaux sur les lieux s’exprimant en direct ou des émissions de type conversationnel, avec des chroniqueurs en plateau qui commentent l’actualité. Ce type de traitement offre assez peu de recul et ne permet pas le travail en immersion sur le terrain propre au reportage que lançait traditionnellement le présentateur du journal télévisé. » ([257])
Un traitement professionnel de l’information implique nécessairement de donner aux journalistes les moyens d’effectuer leurs recherches, de procéder à la vérification des faits ainsi qu’à l’analyse approfondie des sujets qu’ils traitent. Pour M. Thibaut Bruttin, « il faut restaurer une logique, un cercle vertueux, qui permettent de produire une information de qualité – qui a un coût – et de bénéficier en face, de recettes » qui appelait, par ailleurs, à une véritable régulation des réseaux sociaux « dans la mesure où ils sont le lieu d’une compétition entre des contenus médiocres, mais peu chers à produire et des contenus de qualité, qui se retrouvent noyés dans un système qui est défavorable en termes de "découvrabilité". » ([258])
En la matière, le rapporteur estime que les conventions liant l’Arcom aux éditeurs – notamment les chaînes d’information en continu – comportent d’importantes lacunes. Il paraît, en effet, indispensable que celles-ci imposent aux chaînes des conditions d’investissement minimal dans l’information et le journalisme. M. Antoine Chuzeville avait d’ailleurs justement critiqué lors de son audition devant la commission d’enquête, le choix opéré par certaines chaînes d’information en continu – notamment le groupe Altice Média pour BFM TV ou du groupe Canal+ pour CNews – « de consacrer de grandes sommes d’argent sur telles têtes d’affiche par exemple, plutôt que sur le reportage, qui demeure pourtant le cœur d’une chaîne d’information en continu. » ([259])
En outre, les conventions devraient impérativement contenir une définition précise de ce qu’est l’information afin de permettre une très nette distinction entre le hard news, le décryptage et le débat. Sur ce dernier point M. Thibaut Bruttin a mis en avant devant la commission d’enquête une étude assez éloquente réalisée par M. François Jost pour RSF ([260]) prouvant « chiffres à l’appui, que sur une chaîne comme CNews, seulement 13 % du temps d’antenne est consacré à du hard news, c’est‑à‑dire à l’énoncé des faits, ou à des sujets qui sont relatifs à des informations d’actualité », le reste n’étant « que commentaire » ([261]).
Le rapporteur déplore que les chaînes d’information en continu ne consacrent pas davantage de temps à des reportages, des documentaires ou des programmes d’investigation, privilégiant quasi exclusivement le traitement de l’actualité « chaude » et le commentaire de celle‑ci. Il plaide, à ce propos, en faveur de l’intégration dans les conventions des chaînes d’obligations de traitement de l’information « tiède » – offrant ainsi plus de recul sur les sujets traités – sur le modèle du travail effectué par les chaînes parlementaires notamment La Chaîne parlementaire. Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la Culture, évoquait justement ce point en déclarant « la question ne concerne pas tant les pouvoirs de l’Arcom que le contenu même des conventions, que l’on pourrait muscler, par exemple, en fixant une part minimale de la grille consacrée à des émissions d’information ou de reportages, par opposition aux émissions de débats à faible coût ou low cost et aux chroniques d’éditorialistes, voire en imposant un taux de recours à des journalistes professionnels. » ([262]) Il revient donc à l’Arcom de faire preuve d’ambition au moment de l’élaboration des conventions des différentes chaînes et ce dans l’intérêt du public.
Proposition n° 14 : Préciser dans les conventions des chaînes se présentant comme d’information la part de chiffre d’affaires et le temps d’antenne à consacrer à la recherche et à la présentation des faits d’actualité.
II. Un processus d’attribution des frÉquences manifestement imparfait
15 ans après la première diffusion de la TNT, 15 autorisations d’émettre vont venir à expiration et vont être remises à l’encan par l’Arcom, chargée par le législateur de solliciter les candidatures, d’étudier les dossiers présentés et d’attribuer les fréquences, de manière indépendante.
Cependant, le modèle retenu a prouvé son incapacité à faire émerger une offre télévisuelle de qualité dans l’intérêt du téléspectateur.
L’autorisation d’émettre reste avant tout une autorisation d’utiliser une portion du domaine public. Cette autorisation doit donc satisfaire à un objectif d’intérêt général. Elle est également révocable par nature, notamment pour faire place à un usage public. La pratique de la négociation, du contrôle et de la renégociation permanente des conventions semble pourtant mettre à mal cette recherche d’un intérêt public supérieur.
A. UN PROCESSUS Dont le contenu a été dÉfini assez strictement par le lÉgislateur
1. L’utilisation des fréquences de la TNT est soumise à l’octroi d’une autorisation d’usage par le régulateur
La loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard) distingue deux catégories de services : les « services autorisés » et les « services conventionnés ».
Les « services autorisés » désignent l’ensemble des services soumis à un régime d’autorisation d’usage des fréquences hertziennes. Les éditeurs qui éditent ces services sur la TNT sont soumis à ce régime. La délivrance de ces autorisations échoit à l’Arcom, à l’issue d’une procédure d’attribution.
Les « services conventionnés » (ou « déclarés ») désignent quant à eux les chaînes diffusées en dehors de la TNT (sur le câble, par satellite, via Internet par la fibre ou l’ADSL, etc.). Les éditeurs de ces services ne sont donc pas soumis à une autorisation d’usage des fréquences. Ils doivent néanmoins conclure une convention avec l’Arcom ([263]) si leur chiffre d’affaires annuel net est supérieur à 150 000 euros ([264]), ou se déclarer préalablement auprès du régulateur s’il est inférieur.
Un cas particulier concerne, enfin, les chaînes publiques. L’audiovisuel public ne relève pas du régime des « services autorisés ». Les chaînes publiques bénéficient par nature d’un droit d’usage des fréquences pour la diffusion de leurs programmes. Le régulateur est en effet tenu de leur accorder prioritairement l’utilisation de ces fréquences ([265]).
2. Une procédure de sélection encadrée par le législateur doit garantir l’égalité de traitement entre les candidats et la qualité des projets retenus
L’attribution des fréquences de la TNT est soumise à une procédure de sélection prévue par la loi du 30 septembre 1986.
La création d’une telle procédure à cette date a constitué un tournant dans le cadre de la libéralisation de la télévision, par rapport aux modalités précédemment retenues par le législateur lorsque le monopole public de la télévision a pris fin en 1982 ([266]). Précédemment, en effet, la délivrance des autorisations aux éditeurs privés ne prévoyait pas d’appel à candidatures : les chaînes Canal+, La Cinq et TV6 avaient ainsi été autorisées de façon discrétionnaire par l’État via une concession de service public.
La loi de 1986 met fin à cette opacité en instaurant une procédure sous l’égide d’un régulateur indépendant et organisée selon « trois principes fondamentaux : la légalité, l’égalité des candidats et la transparence » ([267]). Ces règles sont destinées à garantir une compétition équitable entre les candidats et à permettre de sélectionner ceux qui seront les mieux à même de répondre aux objectifs d’intérêt général fixés par le législateur. Les éditeurs retenus à son issue bénéficient chacun d’une autorisation d’usage des fréquences accompagnée d’une convention.
a. S’il est susceptible de modifier de façon importante le marché, l’appel à candidatures doit être précédé d’une consultation publique et d’une étude d’impact
La procédure d’autorisation des services de la TNT débute par un appel à candidatures lancé par l’Arcom. L’initiative de celui-ci peut lui revenir, ou faire suite à la requête d’un éditeur en ce sens concernant une fréquence disponible. Le régulateur peut toutefois refuser une telle demande sur le fondement de considérations techniques qui s’opposeraient à l’utilisation de la fréquence (par exemple, un risque de brouillage), ou encore sur le fondement d’une des limites à la liberté de communication énumérées à l’article 1er de la loi de 1986 (dignité de la personne humaine, caractère pluraliste des courantes de pensée et d’opinion, etc.) ([268]).
Avant de lancer un appel à candidatures, l’Arcom doit prendre en compte la situation économique du marché des services concernés. En effet, si les décisions d’autorisation qu’elle entend délivrer sont susceptibles de « modifier de façon importante le marché en cause » ([269]), l’Autorité doit alors procéder, préalablement au lancement de la procédure, à l’organisation d’une consultation publique ainsi que d’une étude d’impact. M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, a précisé, lors de son audition, que « dans les faits, l’autorité y a recours de manière systématique pour la TNT nationale. » ([270])
Si la consultation publique ou l’étude d’impact font apparaître que la situation économique du marché n’est pas favorable au lancement de l’appel à candidatures, le régulateur dispose de la possibilité de différer son lancement pour une période de deux ans renouvelable une fois. Cette faculté lui a été ouverte par la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public. Une évolution dont s’est satisfait M. Michel Boyon, ancien président du CSA (2007-2013) lors de son audition : « À l’époque, la jurisprudence du Conseil d’État était claire : si une fréquence était disponible et que quelqu’un se portait candidat pour l’exploiter, le CSA devait lancer un appel à candidatures. C’est du passé : l’Arcom a désormais le pouvoir de refuser de lancer un appel à candidatures lorsqu’une fréquence devient disponible. » ([271]) Cette modification était en effet indispensable pour permettre à l’Arcom de garantir une allocation des fréquences optimale et conforme à l’intérêt général et à l’intérêt du public.
À l’issue de ces étapes préalables, si la décision de procéder au lancement de la procédure d’attribution est prise, l’Arcom publie un appel à candidatures dont le contenu est fixé par la loi. Cet appel à candidatures doit notamment préciser la zone géographique concernée (nationale ou locale), les catégories de services pouvant y répondre (services de télévision gratuits ou payants, généralistes ou thématiques, à temps complet ou à temps partagé), et le standard de diffusion des services. Un point sur lequel M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, est plusieurs fois revenu lors de ses auditions, afin d’insister sur la différence entre la pratique d’un appel d’offres classique, et d’un appel à candidatures : « Ce n’est pas le régulateur qui fixe le cahier des charges, contrairement à ce qui se passe pour un appel d’offres pour un marché public ; ce sont les candidats, sous réserve des conditions définies par la loi évidemment, qui proposent leur projet. » ([272]) La décision d’attribuer l’usage d’une fréquence à un opérateur est en effet une décision administrative unilatérale et non constitutive d’un contrat, comme le terme utilisé par la loi de « convention » pourrait le laisser penser.
Les candidats peuvent alors déposer leur dossier dans un temps imparti, souvent de plusieurs semaines. Le législateur a précisé, à cette occasion, les éléments que ce dossier de candidature doit contenir, à savoir « l’identité de la personne morale qui candidate ; le contenu de la programmation proposée ; les éléments financiers à l’appui du projet ; la couverture du service qu’il est proposé de réaliser ; les modalités de commercialisation ; les données techniques associées ; le délai de mise en exploitation du service. » ([273])
Une fois le délai de dépôt des candidatures clos, les candidats ne peuvent plus apporter de modifications substantielles à leur dossier ([274]). L’Arcom dispose alors de huit mois pour attribuer les fréquences. Le régulateur établit, dans un premier temps, la liste des candidats dont les dossiers sont recevables. La recevabilité s’apprécie, à cette occasion, en fonction des critères suivants : le respect du délai de dépôt des dossiers de candidature, l’adéquation entre le projet proposé et le contenu de l’appel à candidatures, et, enfin, l’existence réelle de la personne morale candidate ([275]).
Rachat d’Altice Media par CMA CGM :
le double dépôt d’un dossier de candidature identique qui interroge
Le 15 mars 2024, le groupe CMA CGM a annoncé avoir signé une promesse d’achat avec le groupe Altice en vue d’acquérir 100 % du capital d’Altice Media ([276]). Ce dernier édite trois chaînes nationales sur la TNT : RMC Découverte et RMC Story, dont les autorisations ont été reconduites hors appel à candidatures le 9 mars 2022 pour une durée de 5 ans ; ainsi que BFM TV dont l’autorisation arrivera à échéance le 31 août 2025. La fréquence de cette dernière chaîne est donc concernée par l’appel aux candidatures lancé par l’Arcom le 28 février 2024. La date limite de dépôt des dossiers ayant été fixée au 15 mai 2024, l’opération de rachat d’Altice Media par CMA CGM n’aura pas été finalisée d’ici là, étant subordonnée à l’autorisation de l’Autorité de la concurrence ainsi qu’à l’agrément de l’Arcom. À cet égard, M. Roch-Olivier Maistre a déclaré que « les deux groupes ont été informés du fait que l’Autorité ne modifiera en rien le calendrier qu’elle s’est fixé dans le cadre de l’appel à candidatures pour les fréquences arrivant à échéance en 2025. » ([277])
Dès lors, Altice Media et la CMA CGM ont annoncé leur souhait de déposer auprès de l’Arcom deux dossiers identiques en vue d’obtenir une seule et même autorisation de diffusion. Une fois l’opération avalisée par les autorités compétentes et le rachat finalisé, Altice Media retirerait son dossier au profit du nouveau propriétaire, CMA CGM.
M. Rodolphe Saadé, PDG du groupe CMA CMG, explique : « Le projet que déposera Altice Media nous convient. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé, en accord avec les autorités compétentes, de déposer le même dossier. Je suis ce qui m’est demandé. » ([278])
Le rapporteur s’étonne d’une telle méthode qui ne lui apparaît pas conforme à l’esprit de la procédure définie par la loi du 30 septembre 1986. En effet, le dépôt d’un dossier identique par deux candidats différents contourne le principe d’un appel à candidatures censé favoriser l’émergence de projets originaux et spécifiques. Surtout, alors que l’expérience acquise par un candidat constitue un critère de sélection du régulateur (cf. infra), le dossier déposé par le groupe CMA CGM s’appuiera sur les compétences d’une société qu’il ne contrôle pas à la date de dépôt des candidatures.
Le respect de l’esprit de la loi du 30 septembre 1986 implique également, par ailleurs, que des tentatives de pression sur les rédactions, telles que celle qui a eu lieu au sein du quotidien régional La Provence (cf. infra), soient totalement exclues et ne se renouvellent pas au sein du groupe de médias que CMA CGM constitue à marche forcée.
b. La délivrance d’une autorisation étant subordonnée à la conclusion d’une convention, la procédure de sélection des candidats est organisée en deux étapes
Une fois la liste des candidatures recevables arrêtée, l’Arcom procède à l’instruction de leur candidature. À cette fin, les candidats sont entendus en audition publique, afin de présenter leur projet et de répondre aux questions des membres du collège de l’Arcom.
Au terme d’un examen comparé de l’ensemble des candidatures, l’Arcom effectue une pré-sélection des candidats qu’elle envisage d’autoriser et publie cette liste au Journal officiel. L’Autorité fonde son appréciation du projet sur l’ensemble des caractéristiques décrites dans le dossier de candidature et des engagements formulés au cours de la procédure, notamment au cours de l’audition publique.
La liste des candidats présélectionnés constitue une mesure préparatoire à la décision d’attribution des fréquences et n’équivaut pas à une sélection définitive. Le Conseil d’État a déjà eu l’occasion de le préciser en matière radiophonique : « une telle liste ne peut être regardée comme ayant valeur d’autorisation pour les candidats qui y figurent, ni de rejet pour les candidats qui n’y figurent pas » ([279]). En effet, aux termes de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986, la délivrance de l’autorisation est conditionnée à la conclusion préalable d’une convention entre l’Arcom et chacun des candidats sélectionnés, afin de définir ses obligations et engagements propres. Cette convention est qualifiée par le Conseil d’État d’« accessoire nécessaire » de l’autorisation délivrée par le régulateur ([280]).
Dans le cas où le régulateur et l’éditeur ne parviendraient pas à s’entendre sur les termes de la convention, faisant dès lors obstacle à sa conclusion, l’éditeur n’obtiendra pas d’autorisation. Il est alors possible à l’Arcom d’engager de nouvelles discussions avec l’un des candidats qui n’avaient pas été sélectionnés précédemment, comme l’explique Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) : « L’Arcom a la possibilité, si elle n’arrive pas à conclure avec un candidat, de "repêcher" un autre candidat qui n’avait pas été présélectionné. » ([281])
L’Autorité peut également décider de ne pas attribuer la fréquence, quand bien même un éditeur est le seul candidat, lorsqu’aucune candidature ne remplit les critères prévus par la loi.
Les conventions sont établies sur le fondement des exigences posées par la loi du 30 septembre 1986. En sus des clauses communes à l’ensemble des éditeurs, les stipulations propres à chacun d’entre eux sont déterminées sur la base des engagements formulés dans leur dossier de candidature et au cours de leur audition publique.
La pré-sélection ne constitue donc qu’une première étape, et son issue est conditionnée à la réussite de la seconde, à savoir la conclusion d’une convention. « Sans convention, il ne peut y avoir d’autorisation d’émettre » a plusieurs fois répété M. Roch-Olivier Maistre ([282]). Lorsque la convention entre l’éditeur et le régulateur est conclue, l’Arcom lui délivre une autorisation d’usage de la ressource hertzienne, et notifie leur rejet aux candidats non retenus dans un délai d’un mois. Ce refus doit être motivé, conformément à l’article 32 de la loi du 30 septembre 1986 : mais si d’autres candidats ont été retenus, il est loisible à l’Arcom de soutenir que leur dossier était supérieur. L’Arcom attribue également un numéro logique à chaque éditeur autorisé, sur le fondement de la délibération n° 2012-33 du 24 juillet 2012 du CSA et des principes de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, parmi lesquels figurent l’intérêt du public, le respect du pluralisme de l’information et l’équité entre les éditeurs.
3. Fixés par la loi, les critères de sélection s’enchevêtrent au détriment de leur clarté
La sélection des candidats à l’attribution d’une fréquence de la TNT n’est pas laissée à la seule appréciation de l’Arcom. L’Autorité doit en effet fonder son choix sur un certain nombre d’impératifs et de critères fixés par la loi. « Énoncés […] en des termes très généraux », ceux-ci laissent néanmoins au régulateur « une importante marge d’appréciation » ([283]).
Définis aux articles 29, 30 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, les critères que l’Arcom est tenue de prendre en compte afin d’apprécier l’intérêt de chaque projet pour le public n’ont pas tous le même ordre de priorité. Le législateur a en effet procédé à une gradation de leur importance pour fonder le choix du régulateur.
a. Trois impératifs prioritaires parmi lesquels le pluralisme occupe une place de premier rang
L’Arcom doit prioritairement tenir compte des impératifs suivants :
– la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels ;
– la diversité des opérateurs ;
– la nécessité d’éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence.
Bien que ces trois impératifs soient tous qualifiés par la loi de « prioritaires », le premier d’entre eux dispose d’une importance particulière puisqu’il s’agit d’un objectif de valeur constitutionnelle ([284]) qui traduit la protection du principe constitutionnel de la liberté de communication. Présenté par le Conseil constitutionnel comme étant l’« une des conditions de la démocratie », le respect du pluralisme impose de garantir au public, « aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé » une offre « de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractères différents. » ([285])
Dès lors, comme le Conseil d’État l’a jugé en matière radiophonique, il appartient au régulateur de prendre en compte au premier titre l’exigence de pluralisme, et de ne se fonder ensuite sur les autres impératifs prioritaires (diversité des opérateurs et nécessité d’éviter les abus de position dominante) que si les projets venaient à présenter un « intérêt équivalent » en matière de pluralisme ([286]). Cela nécessite donc pour l’Arcom d’étudier non seulement le projet global présenté par le candidat, mais également d’entrer dans le détail de la programmation prévue. Concernant l’appel à candidatures lancé cette année, M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, assure que « le pluralisme […] est pour nous le critère central d’appréciation des candidatures, qu’il s’agisse des acteurs, de l’offre ou des intérêts du téléspectateur. » ([287])
Par ailleurs, M. Roch-Olivier Maistre signale que « l’autorité peut aussi décider de rejeter un dossier ab initio si le candidat ne fournit pas, à ses yeux, de garanties suffisantes sur la viabilité économique du service. » ([288]) Cela n’empêche toutefois pas un candidat de prévoir des déficits d’exploitation en phase initiale de lancement, ce dernier nécessitant des investissements conséquents. « Nous apprécions la capacité d’un candidat à assumer son projet pendant la durée de l’autorisation ; cela ne veut pas dire être rentable année après année » ([289]), a-t-il complété lors de son audition.
b. Une multiplicité de critères de second rang qui complexifie la sélection du régulateur
À ces impératifs prioritaires viennent ensuite s’ajouter des critères de second rang qui peuvent « être pris en compte pour départager des projets présentant un intérêt équivalent » ([290]).
En vertu de l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, l’Arcom « tient également compte » des critères mentionnés aux articles 29 et 30 de la même loi ([291]), à savoir :
– l’expérience acquise par le candidat dans les activités de communication ;
– le financement et les perspectives d’exploitation du service, notamment les conséquences pour les entreprises de presse écrite d’un partage des ressources publicitaires ;
– les participations détenues par le candidat dans le capital d’une régie publicitaire ou dans celui d’une entreprise éditrice de publications de presse ;
– pour les services dont les programmes comportent des émissions d’information politique et générale, les dispositions envisagées en vue de garantir les principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information (en particulier si les actionnaires sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public) ;
– la contribution à la production de programmes réalisés localement ;
– pour un service candidatant à l’attribution d’une nouvelle autorisation après que la sienne soit arrivée à échéance, le respect passé des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information, de déontologie du journalisme et de représentation de la diversité de la société française, mentionnés au 3ème alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ([292]).
À propos de ce dernier critère, M. Roch-Olivier Maistre affirme que « bien évidemment, le régulateur tiendra compte du respect, par un éditeur sortant, de ses obligations. Au-delà des critères prioritaires […], cet élément fera aussi partie de nos critères d’appréciation. » ([293]) Pour Mme Claire Sécail, chargée de recherche au CNRS, « le contraire susciterait un sentiment d’impunité et laisserait perdurer de mauvaises pratiques, voire inciterait les autres éditeurs à réduire leurs efforts. » ([294])
Cette approche devrait conduire logiquement à ne pas renouveler l’autorisation de fréquence accordée à la chaîne C8, comme l’a indiqué M. Marcel Rogemont lors de son audition : « Prenons l’exemple de l’actuelle C8. J’ai regardé avant-hier, ce que je ne fais pas habituellement, Cyril Hanouna et Pascal Praud, qui dit des énormités politiques sans que personne ne soit là pour le contredire, pour lui rappeler que ce qu’il dit n’est absolument pas étayé… C’est du blabla populiste. Si C8 est reconduite, c’est qu’il n’y a pas d’Arcom – si on imagine que, pour la durée restante, les sanctions continuent comme ces dernières années. Le côté financier l’aura emporté sur la qualité du service rendu ; pourtant, je le répète, ces fréquences ont une valeur patrimoniale élevée pour la puissance publique. » ([295])
Néanmoins, ce critère doit être pris en compte parmi un ensemble d’autres dans l’examen comparatif des candidatures, comme l’explique Mme Camille Broyelle, professeure de droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas : « Encore faut-il que suffisamment de candidats se présentent pour que le régulateur puisse mobiliser tous les critères qu’énonce la loi. » ([296]) « L’Arcom est donc contrainte par cette philosophie portée par la loi de 1986 « admet Mme Florence Philbert, qui précise que « si ce critère devait devenir impératif et prioritaire, il faudrait envisager une modification de la loi. » ([297])
Le rapporteur souhaite donc faire évoluer la loi en ce sens afin de renforcer les conséquences à moyen terme pour les éditeurs lorsque l’Arcom leur inflige des sanctions. Le rapporteur n’a en effet que trop constaté, lors de ses travaux, combien certains éditeurs, en particulier pour les chaînes les plus sanctionnées, ont réduit la perspective de la sanction à un simple « risque » à assumer. Les propos tenus, par exemple, par M. Maxime Saada, sur ce point, lors de son audition, au sujet de la sanction record infligée par l’Arcom à la chaîne C8 lors de « l’affaire Louis Boyard » sont particulièrement éloquents : « Je répète ce que j’ai déjà dit : ce qui fait le succès de Cyril Hanouna, qui rassemble à peu près 2 millions de téléspectateurs tous les jours, c’est sa nature – sa spontanéité, son naturel, son franc-parler. Cela peut donner lieu, quand on est en direct – ce qui est très important – à des débordements tels que celui que vous avez cité et qui nous a valu une sanction. C’est un risque que nous prenons, mais quand nous sommes sanctionnés, nous nous conformons à la sanction. » ([298])
Cette approche de la régulation est parfaitement incompatible avec l’esprit et la lettre de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, tant du point de vue de la maîtrise de l’antenne, que vis-à-vis des impératifs de protection du public, et de préservation de l’intérêt général. Il est donc impératif que l’Arcom puisse disposer de toute la latitude nécessaire pour renforcer la portée des sanctions qu’elle adopte en toute indépendance.
Proposition n° 15 : Faire du respect par les éditeurs de leurs obligations prévues par la loi ou leur convention un critère essentiel lors de l’attribution ou de la reconduction d’une autorisation d’émettre sur la TNT.
À ces critères communs aux services de télévision et de radio, l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986 en énumère d’autres qui sont propres aux services de la TNT numérique. L’Arcom doit ainsi tenir compte :
– des engagements du candidat en matière de couverture du territoire, ainsi que de production et de diffusion d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques françaises et européennes ;
– de la cohérence des propositions formulées par les candidats en matière de regroupement technique et commercial avec d’autres services et en matière de choix des distributeurs de services ;
– de la nécessité d’offrir des services répondant aux attentes d’un large public et de nature à encourager un développement rapide de la télévision numérique terrestre.
Le même article précise également dans les alinéas suivants que le régulateur :
– prend en compte le coût des investissements nécessaires à l’exploitation d’un service et la durée de leur amortissement au regard des perspectives d’évolution de l’utilisation des fréquences radioélectriques ;
– favorise les services ne faisant pas appel à une rémunération de la part des usagers et contribuant à la diversité des opérateurs ainsi qu’à renforcer le pluralisme de l’information, tous médias confondus ;
– tient compte des engagements en volume et en genre pris par le candidat en matière de production et de diffusion de programmes en haute ou ultra haute définition.
Les critères de second rang qui viennent compléter les impératifs prioritaires sont donc nombreux, pour ne pas dire trop nombreux. Cette multiplicité est le fruit d’une sédimentation liées aux multiples évolutions qu’a connues la loi du 30 septembre 1986 au gré des progrès technologiques. La hiérarchisation de ces critères, telle que prévue par le législateur, qui est légitime, est loin de simplifier l’action du régulateur, d’autant que les rédactions retenues apparaissent parfois confuses (« tient également compte », « prend en compte », « favorise »). Lors de son audition, Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, a d’ailleurs reconnu cette difficulté : « Il existe des critères de premier rang et des critères de second rang. Il serait peut-être souhaitable de mener une réflexion quant aux critères qui prédéfinissent la sélection. Cela relève du domaine de la loi. Les critères sont aujourd’hui très nombreux, ce qui complexifie le rôle du régulateur. » ([299])
c. Une obligation de distribuer les fréquences sans lien avec une bonne gestion de la ressource radioélectrique
La gestion du domaine public du spectre radioélectrique relève de décisions du Gouvernement. Le gouvernement et l’Agence nationale des fréquences interviennent en amont de l’Arcom pour définir quelles fréquences sont affectées à chaque type d’utilisation (audiovisuel, communications électroniques, défense, météo, …) et assurer un partage équilibré des fréquences entre leurs différents usages. Une coordination internationale est de plus nécessaire pour s’assurer que les fréquences utilisées par les différents États ne brouillent pas celles utilisées par leurs voisins et régler ce partage de fréquences de manière équitable.
Dans ce cadre, l’Arcom estime qu’elle est dans l’obligation de lancer un appel à candidatures dès qu’une fréquence se retrouverait vacante sans être préemptée par l’État pour ses propres besoins et de l’attribuer au meilleur dossier de candidature présenté. Ce n’est que si aucun dossier présenté ne serait conforme aux prescriptions de la loi, ou le projet indéniablement non viable, qu’elle pourrait renoncer à attribuer cette fréquence.
Or le rapporteur observe que l’audience de certaines chaînes est aujourd’hui anecdotique, notamment quand on prend en compte les coûts de diffusion. En particulier, les cinq chaînes payantes proposées aujourd’hui (Paris Première par le groupe M6, Canal+, ses déclinaisons sport et cinéma, Planète+ par le groupe Canal+) réalisent des audiences si limitées que notamment le groupe M6 indiquait réfléchir à son avenir sur la TNT ([300]) – les autres acteurs de la TNT payante ayant soit abandonné la diffusion, soit obtenu de migrer vers la TNT gratuite. Pour 15 autorisations délivrées initialement par le régulateur, 10 seulement ont été exploitées sur la durée de l’autorisation (période 2005-2015) et 7 ont été restituées : AB1, Canal J, Select TV, TPS Star, CFoot, TF6 et Eurosport. Le 17 décembre 2015, la chaîne payante LCI a obtenu l’agrément du CSA pour bénéficier de la possibilité offerte par l’article 42‑3 de la loi de 1986 et exploiter désormais son service sur la TNT gratuite.
Seul le groupe Canal+ semble encore croire à l’avenir de la TNT payante. Dans ses réponses écrites au rapporteur, il indique que « il est toujours possible de souscrire à un abonnement via TNT mais ce mode de réception n’est plus mis en avant dans nos parcours. Cela fait suite aux faibles recrutements constatés sur ce mode de réception. Il y a eu encore des nouveaux abonnés en 2023 mais pas suffisamment pour compenser le nombre de résiliations. Le parc de clients TNT est un parc ancien, principalement issu de nos clients historiques venant de l’analogique, technologie abandonnée en 2009-2010 pour les migrer en grande partie sur des décodeurs TNT. Ce sont des abonnés pour la plupart relativement âgés et peu enclins à la consommation délinéarisée », les abonnés via ce mode de diffusion ne représenteraient plus que 3 % de son parc total d’abonnés.
Lors de ses auditions, le groupe Canal+ a confirmé sa volonté de candidater au renouvellement de l’ensemble des autorisations des chaînes TNT payantes du groupe Canal+, qui arriveront à échéance en 2025. Cela révèle un équilibre encore intéressant entre coûts de diffusion et nombre d’abonnés, selon M. Jean-Marc Juramie, directeur général adjoint de Canal+ France en charge des programmes : « Pour le moment, nous estimons que la situation sur la TNT est encore économiquement tenable car notre parc est encore suffisant pour que ce soit supportable, raison pour laquelle nous allons candidater à nouveau. » ([301]) Cependant, M. Grégoire Castaing, directeur général adjoint chargé des finances et de la stratégie du groupe Canal+, a déclaré dans la presse que « la TNT n’offre pas beaucoup de perspectives encourageantes. Au contraire, elle pose des problèmes supplémentaires dus notamment aux limites technologiques et aux obligations liées à cette fréquence. » ([302])
Aussi le rapporteur estime qu’une gestion économe et rationnelle pourrait justifier que la ressource radioélectrique actuellement consommée pour desservir les quelques milliers de téléspectateurs de la TNT payante soit mise en réserve en vue d’utilisations futures pour des besoins qui pourraient apparaître dans les dix années à venir.
En outre, alors que le marché de la publicité va connaitre une rétraction dans les années à venir ([303]) (cf. infra), il n’apparaît pas non plus utile d’attribuer cette ressource à une augmentation de l’offre, avec cinq chaînes gratuites supplémentaires.
Si la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public a permis au régulateur, sur la base de la consultation publique ou l’étude d’impact, de différer le lancement pour une période de deux ans renouvelable une fois, elle a aussi acté le principe de son obligation de le faire. Aussi une modification législative est nécessaire pour qu’une gestion pragmatique du spectre soit mise en place.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° IV : Acter la fin de la TNT payante et prévoir la possibilité pour l’Arcom de ne pas réattribuer les cinq fréquences correspondantes.
4. La durée des autorisations et les conditions de leur renouvellement hors appel à candidatures sont contraintes par les exigences de libre concurrence et d’intérêt général
La rareté de la ressource hertzienne implique que la compétition dans son accès soit non seulement équitable et transparente, mais également périodique. Il s’agit ainsi de garantir la possibilité pour de nouveaux opérateurs d’accéder au marché à intervalle régulier. La remise en concurrence régulière des autorisations permet également au régulateur de mettre à jour les obligations et engagements des éditeurs. « Nous repartons d’une feuille blanche » a indiqué M. Roch-Olivier Maistre au sujet de la procédure actuelle d’attribution de quinze fréquences sur la TNT, en ajoutant que le souhait de l’Autorité était de densifier, au maximum les obligations des opérateurs : « À chaque fois que nous renégocions une convention avec une chaîne dont nous renouvelons l’autorisation, nous essayons d’aller un peu plus loin et de densifier les obligations des opérateurs » en 2023 ([304]).
Les exigences de libre concurrence et d’intérêt général imposent donc que la durée d’une autorisation de diffusion soit limitée, et que les conditions de son renouvellement hors appel à candidatures soient strictement encadrées.
a. La durée de la décision d’autorisation est limitée et peut être écourtée à titre de sanction
Conformément à l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986, la durée de l’autorisation accordée à un service de la TNT ne peut excéder dix ans. Il s’agit donc d’une durée maximale, et l’Arcom peut décider d’attribuer une autorisation d’une durée plus courte, notamment au regard des objectifs de bonne gestion du domaine hertzien et d’intérêt du public. À titre d’illustration, le CSA a accordé le 4 décembre 2020 une nouvelle autorisation à Canal+ pour trois ans seulement, à la demande de l’éditeur lui-même qui arguait de la décroissance de son nombre d’années TNT et des coûts élevés de diffusion.
Par ailleurs, bien que créatrice de droit pour son bénéficiaire ([305]), une décision d’autorisation d’un éditeur de la TNT peut être abrogée par l’Arcom dans deux cas de figure :
– en cas de caducité de l’autorisation, c’est-à-dire lorsque le titulaire de l’autorisation n’exploite pas la fréquence qui lui a été attribuée. En effet, aux termes de l’article 25 de la loi du 30 septembre 1986, il est tenu de « commencer de manière effective à utiliser la ressource radioélectrique » dans le délai maximum prévu par l’Arcom ;
– à titre de sanction en cas de méconnaissance par un éditeur de ses obligations légales ou conventionnelles, ou en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation a été délivrée ([306]).
Dans le premier cas, l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit parmi la palette de sanctions à disposition de l’Arcom la possibilité, non seulement de réduire la durée de l’autorisation « dans la limite d’une année », mais également celle de procéder à son retrait. Cette sanction, la plus sévère possible, doit toutefois tenir compte de la gravité du manquement, et faire suite à une mise en demeure pour des faits distincts. Dans le second cas, l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 précise que l’autorisation peut être retirée sans mise en demeure préalable.
La sanction de retrait d’une autorisation de diffusion n’a été prononcée qu’une seule fois par le régulateur à l’encontre d’une chaîne nationale de la TNT, en l’espèce Numéro 23 (cf. supra). Le CSA a fondé sa décision du 14 octobre 2015 à titre principal sur le terrain de la « fraude à la loi », et à titre accessoire sur la modification substantielle de l’actionnariat au sens de l’article 42‑3 de la loi de 1986. Dans un arrêt du 30 mars 2016 ([307]), le Conseil d’État a estimé toutefois que l’existence du premier fondement n’était pas démontrée et que son caractère « déterminant dans le dispositif de la décision » ([308]) du CSA impliquait de procéder à l’annulation celle-ci.
b. Une décision d’autorisation peut être reconduite par une procédure simplifiée soumise à certaines conditions
Une autorisation de diffusion sur la TNT peut être reconduite hors appel à candidatures, une seule fois, pour une durée maximale de cinq ans, dans les conditions prévues à l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986. On parle de « procédure simplifiée ». Introduite par la loi n° 94-88 du 1er février 1994, cette possibilité est destinée à assurer aux éditeurs une durée de diffusion suffisante à l’amortissement de leurs investissements. Dans les faits, la durée de l’autorisation peut se trouver sensiblement allongée, passant de dix à quinze ans.
Le régulateur peut également décider de reconduire une autorisation par procédure simplifiée pour une période plus réduite que le délai maximum prévu de cinq années. Ce fut par exemple le cas de Canal+, dont l’autorisation a été prolongée par l’Arcom hors appel à candidatures le 8 mars 2023 pour une durée de 18 mois. M. Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+, affirme ainsi qu’il s’agissait pour la chaîne de conserver « une faculté de sortie à court terme ». Il complète : « En effet, nous avons un objectif de rentabilité, et le nombre d’abonnés à la TNT payante décroît. Nous ne voulons pas nous retrouver avec un nombre d’abonnés insuffisant pour rentabiliser la présence de Canal+ sur la TNT – sauf que personne ne sait quand cela arrivera. Lors des négociations, le CSA nous a indiqué qu’il était nécessaire de fixer une durée d’attribution. Nous la souhaitions la plus courte possible : nous avons demandé douze mois et obtenu un compromis à dix-huit. » ([309])
Le rapporteur s’interroge toutefois sur l’opportunité pour l’Arcom d’avoir accédé à une telle demande. En effet, par ce délai réduit, l’autorisation de Canal+ arrivera à échéance le 5 juin 2025, après celle de C8 ([310]) et avant celle de CNews ([311]). Ces trois chaînes sont donc concernées par l’appel aux candidatures lancé par l’Arcom le 28 février 2024.
Cette configuration semble placer le groupe Canal+ dans un rapport de force favorable face à l’Arcom, en lui permettant de conditionner le renouvellement de la chaîne Canal+, dont l’importance dans le financement du cinéma est connue, à celui de C8 et CNews. C’est l’avis de M. Patrick Eveno, professeur émérite à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « Bolloré joue une partie de poker, menteur ou non – il semblerait qu’on puisse voir ses cartes –, ou une double partie : il dit que s’il n’y a pas de renouvellement des autorisations pour C8 et CNews, il ne demandera pas celui pour la 4. » ([312])
Bien que M. Maxime Saada s’en défende et affirme que « l’arrivée à échéance simultanée » des fréquences des trois chaînes soit « fortuite » ([313]), le rapporteur peine à imaginer qu’un tel calendrier n’ait pas été anticipé par le groupe. M. Roch-Olivier Maistre se justifie en affirmant qu’« une chaîne peut se poser légitimement la question de la pertinence de son maintien sur la TNT. » ([314]) Le rapporteur n’en regrette pas moins que la priorité donnée aux intérêts d’un éditeur privé ait conduit l’Arcom à se placer dans une position défavorable pour l’appel aux candidatures de 2024.
Si l’article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 présente la reconduction simplifiée comme un droit des éditeurs (« les autorisations délivrées […] sont reconduites »), il énumère également un certain nombre de motifs pouvant fonder un refus par l’Arcom d’y procéder :
– l’État a modifié la destination de la fréquence attribuée à l’éditeur ;
– la reconduction de l’autorisation par cette procédure est de nature à porter atteinte à l’impératif de pluralisme ;
– la situation financière de l’éditeur ne lui permet pas de poursuivre l’exploitation dans des conditions satisfaisantes, c’est-à-dire en respectant ses obligations relatives à la programmation ;
– l’éditeur a fait l’objet d’une sanction ou d’une condamnation sur le fondement de la loi de 1986, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ([315]) ou de certaines dispositions du code pénal ([316]) ;
– l’éditeur n’a pas respecté, selon le constat de l’Arcom pendant plusieurs exercices, les principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information ou de représentation de la diversité de la société française. Ce dernier motif a été introduit par l’article 9 de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche ».
La procédure de reconduction hors appel à candidatures prévoit que l’Arcom se prononce sur le choix d’y recourir ou non dix-huit mois avant l’expiration de l’autorisation : cette durée garantit à l’éditeur une certaine visibilité. Le régulateur publie alors sa décision motivée, qui précise le cas échéant les points principaux de la convention qu’il souhaite voir révisés, ainsi que ceux dont le titulaire demande la modification. Cette décision n’engage pas l’Arcom : elle marque simplement l’ouverture de négociations pour réviser la convention, que le régulateur peut finalement décider de ne pas signer ([317]).
L’Arcom procède alors à l’audition publique du titulaire, et peut également procéder à celle de tiers intéressés. Le régulateur et l’éditeur doivent s’entendre sur les nouveaux termes de la convention afin d’aboutir à une signature neuf mois avant la date d’expiration de l’autorisation. À défaut d’accord, celle-ci n’est pas reconduite par procédure simplifiée et une nouvelle autorisation ne pourra être délivrée à l’éditeur que dans le cadre de la procédure de droit commun, à savoir l’appel à candidatures de l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986.
De toute évidence, cette procédure simplifiée doit être a minima revue et probablement supprimée afin de garantir une gestion optimale des fréquences concernées et de lever tout doute sur l’impartialité du régulateur dans cette matière. Une chaîne qui n’a pas atteint les objectifs économiques et opérationnels prévus par le plan d’affaires qu’elle a proposé à l’appui de sa candidature ne doit pas pouvoir faire l’objet d’un renouvellement au titre de cette procédure.
Proposition n° 16 : Prévoir qu’une chaîne qui n’aurait pas atteint les objectifs économiques et opérationnels prévus par le plan d’affaires annexé à son dossier de candidature ne peut voir son autorisation renouvelée sans une mise en concurrence.
B. Une pratique qui s’est éloignÉe toutefois de façon notable de l’idÉe d’une bonne gestion du domaine public hertzien
En confiant à un régulateur indépendant la mission d’attribuer les fréquences de la TNT et d’y faire vivre le pluralisme, l’État s’est démis d’une prérogative de puissance publique essentielle. Or 40 ans de régulation n’ont pas permis de lever tous les soupçons de favoritisme et d’influence entre le régulateur et les acteurs de l’audiovisuel.
1. Une bonne gestion du domaine public hertzien qui est indispensable au regard de la concurrence des usages du spectre
La définition, par le législateur, d’un cadre juridique strict relatif à l’attribution de certaines bandes de fréquence à la TNT repose sur la rareté de cette ressource, et son appartenance au domaine public.
Les fréquences radios constituent en effet une « ressource rare » qui doit être allouée le plus efficacement possible. Le spectre est en effet par nature limité pour des usages qui sont multiples. Il est donc nécessaire d’arbitrer entre les différents usages possibles et entre les différents opérateurs intéressés. La décision incombe donc logiquement aux pouvoirs publics, au nom de la protection de l’intérêt général, et à un régulateur indépendant, l’Arcom.
L’attribution des fréquences de la TNT s’effectue dans le cadre d’une procédure fortement encadrée par le législateur. Cette procédure doit permettre de trouver le meilleur équilibre dans une situation de double contrainte « interne » et « externe ».
La contrainte « interne » correspond essentiellement à la concurrence entre les opérateurs économiques qui sollicitent ces fréquences (infra). Le processus de sélection des candidats doit en effet assurer, en toute transparence, que les meilleurs candidats seront retenus dans l’intérêt du public. Cette tâche incombe à l’Arcom, qui est également chargée, une fois les candidats retenus, « de contrôler les obligations législatives et conventionnelles fixées aux éditeurs en contrepartie de l’utilisation d’une ressource rare appartenant au domaine public de l’État » ([318]) comme l’a rappelé M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, lors de son audition.
À cette contrainte interne s’ajoute une contrainte « externe » qui renforce encore la rareté et donc la valeur des fréquences attribuées à l’usage des chaînes de la TNT. Il existe en effet une concurrence entre les usages possibles de ces fréquences, ces dernières pouvant également être utilisées pour le développement du mobile.
Cet arbitrage dépend, par ailleurs, de décisions qui dépassent le cadre national, l’affectation de bandes de fréquences à certains usages faisant l’objet de négociations et de décisions dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications (cf. supra).
La concurrence des usages, et la valeur économique des fréquences rendent indispensable une gestion irréprochable de l’attribution des fréquences de la TNT. Les fréquences de la TNT ont en effet une valeur économique certaine, qui justifie l’encadrement strict prévu par la loi en cas de revente d’une chaîne par son propriétaire lorsqu’une autorisation d’émettre sur un canal de la TNT a été attribuée par l’Arcom.
Sur ce point, le rapporteur partage pleinement les propos tenus par M. Olivier Schrameck, ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, lors de son audition : « Sur le sujet de la valeur, il est nécessaire de comprendre que ces chaînes, qui ont été attribuées gratuitement par l’État, représentent des centaines de millions d’euros. Un poids considérable doit donc être mis sur l’autre plateau de la balance. Au moment du rachat, par M. Alain Weill, de la chaîne que j’évoquais précédemment [Numéro 23], mon prédécesseur a fait connaître, et je partage pleinement ce sentiment, son effarement en constatant que la taxe sur les plus-values existantes s’élevait à 5 %. » ([319])
Il apparaît, en outre, que le maintien de candidats nombreux pour les attributions de ces fréquences atteste de la valeur indéniable de cet élément du domaine public national, alors que l’utilisation de celles-ci a un coût certain pour les entreprises privées devant avoir recours aux infrastructures des prestataires privés que sont Télédiffusion de France (TDF) et TowerCast pour la diffusion des programmes. Selon les éléments chiffrés fournis par les éditeurs des différentes chaînes, le coût de diffusion d’une chaîne sur la TNT nationale est de l’ordre de 5 à 6 millions d’euros par an.
Comme l’a rappelé devant la commission d’enquête M. Olivier Schrameck, « Cette procédure assortit en effet une aliénation durable du domaine public pour une période de dix ans, suivie d’une autre de cinq ans sans appel d’offres. Or, je me permets de vous rappeler les termes précis de la décision 94-346 DC du 21 juillet 1994 du Conseil constitutionnel : "Considérant d’autre part que les dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 relatives au droit de propriété et à la protection qui lui est due ne concernent pas seulement la propriété privée des particuliers, mais aussi, à un titre égal, la propriété de l’État et des autres personnes publiques ; qu’elles font obstacle à ce que le domaine public puisse être durablement grevé de droits réels sans contrepartie appropriée eu égard à la valeur réelle de ce patrimoine comme aux missions de service public auxquelles il est affecté". Il me semble donc légitime de s’interroger sur les droits consentis, véritablement exorbitants de droit commun, d’autant qu’il appartenait au CSA de veiller sur la maintenance des fréquences hertziennes en cours et sur les contreparties exigées de leurs attributaires. » ([320])
Le rapporteur juge ainsi étonnant, que la question de la redevance pour occupation du domaine public n’ait jamais été posée. L’article 81 de la version initiale de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoyait pourtant bien que « Les services de communication audiovisuelle soumis à un régime d’autorisation versent chaque année au budget de l’État une cotisation forfaitaire destinée à couvrir les frais du contrôle du respect des obligations générales et des obligations dont est assortie la décision d’autorisation. » Or cet article, et donc la redevance associée, a été abrogé dès 1989.
Le rapporteur est donc favorable au fait de conditionner la délivrance de l’autorisation d’émettre à une redevance annuelle pour occupation du domaine public. Comme le prévoit l’article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques, « La redevance due pour l’occupation ou l’utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation. » Il propose ainsi que son assiette soit assise sur le chiffre d’affaires des chaînes concernées afin d’évaluer au mieux l’avantage procuré et de garantir une forme d’équité entre les acteurs historiques et les nouveaux entrants.
Proposition à titre personnel du rapporteur n° V : Soumettre la délivrance de l’autorisation d’émettre sur la TNT à une redevance annuelle pour occupation du domaine public assise sur le chiffre d’affaires des éditeurs concernés.
Dans ces conditions, plus que jamais, la rareté des fréquences de la TNT rend nécessaire une gestion irréprochable du domaine public hertzien. Il apparaît, toutefois, au regard des auditions menées et des documents obtenus par la présente commission d’enquête, que la mise en œuvre de la procédure d’attribution des fréquences s’est éloignée, à plusieurs reprises, au moins dans le passé, de ce que l’on peut attendre d’une bonne gestion, à savoir la défense de l’intérêt général, de l’intérêt du public, et le juste respect des lois et règlements.
2. Un précédent regrettable avec la chaîne Numéro 23 qui a nourri durablement la méfiance vis-à-vis de l’indépendance du régulateur et de la procédure d’attribution des fréquences de la TNT
Les irrégularités constatées dans le cadre de l’octroi de certaines autorisations de fréquence lors d’une phase de renouvellement en 2012 ont nourri de façon durable une méfiance légitime vis-à-vis de l’indépendance du régulateur, à savoir le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), à cette époque, et vis-à-vis de la mise en œuvre de la procédure d’attribution prévue par la loi.
Les auditions menées par la commission d’enquête ont donné à voir combien ce précédent marquait encore les esprits et avait témoigné des limites de la procédure précitée. Lors de son audition, M. Marcel Rogemont, rapporteur et auteur du rapport de la commission d’enquête consacrée en 2016 à la chaîne Numéro 23 ([321]), est revenu en détail sur les différents manquements établis lors de ses travaux, qui illustrent, selon lui, de façon édifiante « le dysfonctionnement permanent du Conseil supérieur de l’audiovisuel ».
Sans reprendre le détail des conclusions de la commission d’enquête, que le rapporteur partage, il est souhaitable d’insister sur les points suivants soulevés par M. Marcel Rogemont.
Il apparaît d’abord que, par le passé, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a fait preuve d’un « défaut de surveillance de la part de la puissance publique » quant au juste respect par les chaînes de leurs obligations conventionnelles. Les exemples cités par M. Marcel Rogemont à ce sujet, lors de son audition, et développés au sein de son rapport, sont de ce point de vue édifiants, qu’il s’agisse de « la tendance générale des chaînes […] [à] attirer la publicité et donc [à] devenir plus généralistes », comme l’a fait, parmi d’autres, W9, ou qu’il s’agisse de l’arbitrage consistant, pour le groupe TF1, à conserver le bénéfice de son autorisation de fréquence pour le passage en format gratuit de sa chaîne LCI, précédemment payante, alors « qu’il aurait été normal que la fréquence utilisée par LCI sur la TNT payante, soit remise dans le pot commun, c’est-à-dire rendue au CSA, et que TF1 propose cette même chaîne au titre des six nouvelles de la TNT gratuites qui s’apprêtaient à être lancées .» Ce dernier exemple illustre, parmi d’autres, la perméabilité du CSA à l’influence des acteurs économiques qu’il est censé réguler.
Cette absence d’indépendance du CSA s’est également traduite par sa proximité avec le Gouvernement dans une procédure dont il est pourtant censé garantir l’indépendance et l’impartialité.
Le poids du Gouvernement est traduit à la fois par le choix de confier une mission relative aux normes de diffusion au président du CSA en exercice à l’époque en tant que personnalité qualifiée, « alors qu’il aurait fallu s’adresser au CSA » comme l’a relevé avec insistance M. Rogemont lors de son audition : « Le simple fait que M. Boyon [président du CSA entre 2007 et 2013] ait participé à des réunions interministérielles est éloquent. Cela n’était pas interdit, mais il faut noter qu’il y était invité à titre personnel, et non en tant que président du CSA. Du reste, le Conseil était censé être une autorité indépendante, et je ne suis pas sûr que le président d’un tel organisme ait sa place au sein d’un comité interministériel. » ([322])
Cette analyse est partagée par le rapporteur ainsi que par M. Schrameck, lors de son audition, qui a indiqué considérer en effet « que les pouvoirs publics […] semblent avoir eu, à cet égard, une responsabilité, en confiant à [s]on prédécesseur une mission qui entretenait une confusion entre ses fonctions de président du collège et ses fonctions de missionnaire du Gouvernement » qualifiant ce choix de « dysfonctionnement originel […] difficile à affronter ».
Cette proximité entre le Gouvernement et les choix opérés s’est traduite par plusieurs faits troublants, rappelés dans le rapport de la commission d’enquête précitée, de l’absence de lancement d’une consultation publique, pour des raisons de forme, au lancement précipité d’un appel à manifestation d’intérêt « avant les élections de 2012 » ([323]) alors que, comme l’a également rappelé M. Rogemont, le CSA, « un ou deux ans avant, avait pourtant estimé qu’il n’était pas utile de précipiter le mouvement » ce qui traduit, « un changement ; incontestablement, des influences ont été exercées – par des gens que je ne nommerai pas, même si j’ai un sentiment sur ce point », ajoutant, par ailleurs, que dans ces conditions « on ne peut pas penser que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, dans la période où les fréquences ont été attribuées, mais aussi par la suite, a travaillé normalement. » ([324]) Il en va de même de l’attribution de chaînes bonus, ces canaux compensatoires, prévus par la loi, ayant toujours été regardés, par M. Michel Boyon lui-même, lorsqu’il était en poste, comme « gravement illégaux » ([325]) quand bien même ce dernier n’était pas « aux affaires » au moment de cette décision.
Dans ces conditions, le processus de sélection des candidats a été lui-même sujet à des influences et des pratiques peu compatibles avec l’idée d’un régulateur indépendant. Les propos tenus par M. Marcel Rogemont lors de son audition, concernant notamment l’attribution d’une fréquence à une chaîne sportive à choisir entre RMC Sport et l’Équipe TV suffisent à illustrer cette porosité : « une fréquence était destinée à une chaîne sportive et il fallait choisir entre RMC Sport et L’Équipe HD. Les responsables de la seconde chaîne ont rencontré le Président de la République et, comme par hasard, on a appris dans la presse que le Comité national olympique et sportif français allait donner son avis sur la question – ce qui est assez étonnant puisque c’est au CSA qu’il revient normalement de faire un choix sans qu’aucune autre instance ne vienne influencer sa décision. L’Équipe HD a finalement été retenue. »
L’affaire de la chaîne Numéro 23 a constitué le paroxysme des dysfonctionnements précités, et démontré l’absence de fiabilité et d’indépendance du régulateur vis-à-vis de sa mission de bonne gestion de l’attribution des fréquences TNT.
Le déroulé de certains faits témoigne en effet, dans cette affaire, de l’impossibilité, pour le CSA, de ne pas avoir eu connaissance de la fragilité de la candidature proposée et de l’absence de fiabilité du candidat, comme l’a rappelé M. Rogemont : « Un membre du CSA, dont je tairai le nom afin d’éviter des ennuis judiciaires, a contacté M. Yassine Belattar, qui promouvait une chaîne de télévision un peu décalée consacrée aux cultures urbaines et nommée Urb TV, pour lui conseiller de s’associer avec M. Pascal Houzelot, qui disposait d’excellentes capacités de financement. Cependant, Urb TV s’est fait rouler dans la farine, comme on l’a vu le jour de la présentation de la chaîne de la diversité, qui allait devenir Numéro 23. Je vous ferai remarquer que cette chaîne a changé de nom à trois reprises pendant l’élaboration de la convention, ce qui montre que la ligne éditoriale était déjà en train de changer alors même que la convention n’était pas encore signée. Le CSA avait déjà eu affaire à M. Houzelot, qui lui avait présenté un projet de chaîne du câble, très parisienne dans un certain nombre d’aspects, sur les cultures gay et lesbienne, avec un financement béton. La ligne éditoriale n’a cependant jamais été respectée, au point que Pink TV est un jour devenue une chaîne porno, que le CSA a dû mettre le holà et que M. Houzelot a délocalisé aux Pays-Bas son activité d’édition de services pornographiques. Comment le Conseil a-t-il pu se laisser avoir une nouvelle fois ? Il savait déjà que M. Houzelot n’avait aucune parole, puisqu’il n’a jamais respecté les conventions signées, ni aucun plan de financement, puisqu’il avait laissé entendre que certaines personnes étaient prêtes à mettre beaucoup d’argent dans Pink TV mais que cela ne s’était pas vérifié. La même chose est arrivée pour la chaîne Numéro 23. » ([326])
Si le rapporteur entend les éléments de défense formulés lors des auditions, notamment par M. Boyon, qui a indiqué n’avoir subi « aucune intervention ni aucune pression de la part du Gouvernement, de la présidence de la République, du Parlement ou de quelque autorité que ce soit pour lancer le processus de sélection », et être certain « qu’il en est allé de même pour [s]es huit collègues » ([327]), il semble néanmoins que la réalité des pratiques constatées, d’une part, et le témoignage de M. Rogemont, ainsi que de M. Schrameck, d’autre part, affaiblissent la crédibilité de la thèse selon laquelle il n’y aurait eu aucune influence du Gouvernement dans ce processus à cette date. Dans La Récréation, M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication de l’époque, relate ainsi à la date du 27 mars 2012 : « Attribution des fréquences des nouvelles chaînes de télévision. Du travail d’orfèvre, tout le monde est servi. Et même Pascal Houzelot, qui a réussi à se glisser parmi les vainqueurs. »
Le rapporteur souhaite insister sur la gravité de ces manquements, qui doit être pleinement conservée à l’esprit de chacun. Il n’est en effet pas normal qu’une commission d’enquête ait dû se saisir de l’affaire Numéro 23 afin de faire la lumière sur une attribution pour le moins fantasque d’un canal de la TNT à un tel dossier, en dépit de l’évidence d’un certain nombre de mauvais signaux envoyés par le candidat concerné et d’un cadre législatif suffisamment robuste pour éviter ce genre de situations. Cette « affaire » est venue compléter une liste relativement longue de manquements à la vigilance nécessaire du régulateur et à son rôle fondamental de régulateur indépendant.
Ce passif, qui nourrit une défiance légitime, appelle une nouvelle évaluation de la situation, alors que la procédure de renouvellement de quinze fréquences est d’ores et déjà lancée.
Force est de constater, à l’heure actuelle, que certaines leçons ont été tirées des manquements précités. Ainsi que l’a rappelé M. Roch-Olivier Maistre, lors de son audition, l’affaire de la chaîne Numéro 23 a conduit le législateur à suivre les recommandations de la commission d’enquête précitée, et notamment à mettre en place une règle dite « des cinq ans » ([328]), qui rend impossible « le changement de contrôle dans les cinq ans suivant le renouvellement d’une autorisation » ([329]). Une taxation des plus-values a également été créée à cette occasion par l’article 114 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016, ce qui est un élément de régulation positif, en dépit du taux limité retenu (25 % du montant net des plus-values à long terme provenant de la cession des titres d’une société dont la moitié de la valeur réelle est composée d’une autorisation d’émettre).
Cet exemple doit néanmoins servir de boussole aux pouvoirs publics afin de conserver une pleine vigilance vis-à-vis d’un processus d’attribution qui a un fort impact financier pour les acteurs. Il commande aussi une certaine prudence en cas de perspective d’évolution afin d’éviter à nouveau la reproduction de ce genre de comportement prédateur.
L’indépendance du régulateur apparaît moins suspecte qu’auparavant même si une vigilance précieuse s’impose. Les évolutions intervenues, avec la nomination d’un rapporteur indépendant pour assurer la séparation entre les fonctions de contrôle et de jugement, et le renforcement des clauses intégrées au sein des conventions est une bonne chose, en dépit des protestations des chaînes à ce sujet.
3. Une procédure d’attribution des fréquences qui reste davantage une procédure de « renouvellement » qu’une véritable ouverture à des candidatures variées
Si l’indépendance du régulateur apparaît affermie, par rapport aux errements du passé, des progrès semblent pouvoir être effectués en ce qui concerne l’approche économique de cette procédure et son ouverture réelle à de nouveaux candidats.
Le rapporteur n’ignore pas, à ce sujet, les difficultés, pour ne pas dire la « quadrature du cercle » face auxquelles l’Arcom peut se retrouver. L’Autorité doit en effet choisir les meilleurs candidats, et donc privilégier les acteurs proposant des projets financièrement stables et convaincants. De ce point de vue, les « insiders », à savoir les groupes d’ores et déjà détenteurs d’autorisations de fréquence partent nécessairement, pour des raisons structurelles, avec « une longueur d’avance ». Parmi les critères prévus par la loi, qui effectue une hiérarchie qui s’impose à l’Arcom, figure notamment l’expérience du candidat (cf. supra), ce qui incline à une certaine forme de conservatisme face à des projets plus innovants, mais présentant davantage de risques.
Lors de son audition, M. Xavier Niel, qui a été candidat en 2023 à l’attribution d’une fréquence pour le lancement d’une chaîne SIX, après avoir tenté de racheter à deux reprises la chaîne M6, a ainsi indiqué au rapporteur, considérer que « la procédure [d’attribution] n’a jamais été pensée que comme un renouvellement des fréquences, afin de conserver les cinq acteurs historiques et d’empêcher la compétition. » ([330]) M. Niel a insisté, en conséquence, « si l’on veut du renouveau », sur la nécessité de « mieux organiser les conditions d’accès des nouveaux entrants aux fréquences » et donc de « ne pas se contenter d’un papier et d’une audition : si l’on veut les meilleures conditions, il faut qu’il y ait plusieurs candidatures et qu’il soit possible de les mettre en compétition. Ce n’est pas en regardant des dossiers papier que l’on pourra améliorer l’offre ni assurer la meilleure utilisation possible du domaine public, pour le téléspectateur, pour la production et pour l’ensemble de la filière. » ([331])
Le rapporteur partage ces éléments d’analyse. Il est impératif, afin de valoriser à leur juste mesure ces fréquences, de garantir une compétition équilibrée entre les nouveaux entrants et les acteurs historiques, afin que le régulateur ne se retrouve pas captif de ces derniers.
Proposition n° 17 : Revoir la procédure d’appel à candidatures et les critères de manière à favoriser la diversité de l’offre et les nouveaux entrants, dans le cadre d’un dialogue compétitif ouvert et transparent entre l’Arcom et les candidats.
Dans cette perspective, il est également indispensable de prévoir des mécanismes permettant d’assurer la reprise, le cas échéant, de tout ou partie des professionnels employés par l’éditeur précédent, dans le cas où un nouvel éditeur se verrait attribuer la fréquence concernée. Dans le droit des marchés publics, en cas de perte de marché, les contrats de travail peuvent être transférés à la nouvelle entreprise si la perte de marché entraîne le transfert d’une entité économique autonome au sens de l’article L. 1224-1 du code du travail, ou si une convention ou un accord collectif de branche (par exemple dans les métiers de la propreté) prévoit que la perte de marché entraîne le transfert des contrats de travail des salariés.
Proposition n° 18 : Mettre en place dans les dossiers de candidature un engagement social, permettant à un candidat à l’attribution d’une autorisation d’émettre de s’engager à reprendre une partie définie des salariés et sous-traitants du titulaire précédent évincé.
Ces évolutions permettraient, par ailleurs, de desserrer l’étau pesant sur l’Autorité lors de la phase de sélection des candidats comportant des titulaires sortants.
En effet, l’existence d’un nombre réduit de groupes, qui ont des intérêts croisés évidents, puisqu’un tiers des chaînes de la TNT n’est pas rentable, peut conduire à des situations de pression problématiques. Pour ne citer que deux exemples, à l’occasion du passage de LCI sur la TNT gratuite, les dirigeants de LCI, puis ceux de BFM TV, ont laissé augurer un plan social au sein des rédactions si le régulateur ne leur donnait pas satisfaction ([332]).
Il faut également rappeler les propos tenus par M. Vincent Bolloré, selon lesquels « si, par extraordinaire, la fréquence de CNews n’était pas renouvelée […] cela poserait problème à Canal+ » ([333]), dans un contexte où cet acteur soutient fortement le financement du cinéma, dessine un champ de contrainte problématique pour le régulateur.
4. Des marges de progrès sur l’organisation du déroulement de la procédure d’attribution
La chronologie de l’appel à candidatures et le déroulement de la phase de traitement des dossiers semblent pouvoir gagner en efficacité afin de permettre aux candidats de déposer des dossiers aboutis, et aux équipes de l’Arcom de leur assurer un traitement rigoureux, notamment sur les aspects financiers qu’ils recouvrent.
À l’heure actuelle, ainsi que l’a rappelé le Président de l’Arcom lors de son audition, les dossiers remis ne le sont « qu’à la dernière minute de la dernière heure du dernier jour » (