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Document E1965
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la brevetabilité des inventions mises en oeuvre par ordinateur.


E1965 déposé le 19 mars 2002 distribué le 21 mars 2002 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2002) 92 final du 20 février 2002)

 Base juridique :

Article 95 du TCE.

 Procédure :

Procédure de codécision.

 Avis du Conseil d’Etat :

Le présent projet de directive a pour objet de poser le principe de la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur et de préciser les conditions que doivent remplir ces inventions pour bénéficier de la protection d’un brevet ; il concerne ainsi la propriété intellectuelle et relèverait, en droit français, de la loi .

 Motivation et objet :

Cette proposition de directive a pour objet d’harmoniser les droits nationaux des brevets en ce qui concerne la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur.

L’article 52.2 c de la Convention sur le brevet européen (CBE), dite Convention de Munich, entrée en vigueur le 7 octobre 1977, exclut les programmes d’ordinateurs « en tant que tels » de la brevetabilité (à la différence du droit américain, qui n’exige qu’un «  résultat tangible et concret  » et autorise la brevetabilité des méthodes pour l’exercice d’activités économiques), mais l’Office européen des brevets (OEB) ou les offices nationaux des brevets ont déjà accordé des milliers de « brevets logiciels »( 1), en principe lorsque ces logiciels remplissent les critères de brevetabilité de la Convention (nouveauté, activité inventive, application industrielle). Actuellement, les modalités précises de la brevetabilité varient selon les Etats membres, et il existe des différences sensibles entre la jurisprudence des chambres de recours de l’OEB et les tribunaux des Etats membres. La situation juridique est donc ambiguë, et ces divergences rendent, selon la Commission, une harmonisation nécessaire.

La proposition de directive est l’aboutissement d’une série de consultations menées depuis 1997, qui ont commencé avec le Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe( 2). Une communication sur le sujet a été publiée par la Commission en 1999( 3), et une dernière consultation a ensuite été lancée en octobre 2000, sur la base d’un document disponible sur Internet( 4). Un rapport synthétisant les 1447 réponses reçues a été rédigé par un cocontractant indépendant en juillet 2001( 5). Ce rapport souligne que les acteurs concernés jugent nécessaire de mettre un terme aux imprécisions sur les limites de la brevetabilité, mais que les avis diffèrent largement sur la question des mesures à prendre, certains souhaitant voir imposer des limites strictes aux brevets liés aux logiciels, ou même une exclusion totale, alors que d’autres préconisent une harmonisation reprenant la pratique actuelle et la jurisprudence de l’OEB.

 Fiche d’évaluation d’impact :

Aucune.

 Appréciation au regard du principe de subsidiarité

Dans la mesure où une harmonisation des droits nationaux applicables en la matière apparaît indispensable et ne peut être réalisée qu’au niveau communautaire, l’action envisagée apparaît conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.

 Contenu et portée :

La proposition initiale présentée par la Commission a soulevé de nombreuses difficultés, qui ont justifié de profondes modifications du texte.

1. La proposition initiale de la Commission

Le principe de base de la proposition est que le concept de « contribution technique » est le critère fondamental de toute invention brevetable. Cette doctrine est conforme à la jurisprudence établie au fil des ans par l’Office européen des brevets et les Etats membres. Elle implique qu’une invention mise en œuvre par ordinateur qui représente une contribution à l’état de la technique dans un domaine technique, qui n’est pas évidente pour une personne du métier, est plus qu’un programme informatique en tant que tel et peut donc être brevetée. Les créations dont l’élément innovateur n’est pas de nature technique, c’est-à-dire qui n’apportent aucune contribution technique, ne sauraient en revanche être brevetées.

Selon la Commission, les programmes informatiques en tant que tels ne pourront être brevetés, ces programmes étant protégés par ailleurs par le droit d’auteur ou le régime de confidentialité. Le texte s’écarte sur ce point de la pratique suivie jusqu’à présent par l’OEB et certains tribunaux nationaux. Mais la proposition précise que tous les programmes exécutés sur un ordinateur sont par définition techniques, parce qu’un ordinateur est une machine, en s’appuyant sur la jurisprudence des chambres de recours de l’Office européen des Brevets (OEB), dans la décision Controlling pension benefits system/PBS ( 6).

Les méthodes pour l’exercice d’activités économiques («  business methods  ») qui sont fondées sur des idées technologiques existantes et les appliquent, par exemple, en matière de commerce électronique, ne pourront pas non plus être brevetées, aux termes de l’exposé des motifs. Aucun article, dans la proposition initiale, n’excluait cependant explicitement les méthodes d’affaires du champ de la brevetabilité.

Le projet prévoit qu’une invention mise en œuvre par ordinateur peut être revendiquée soit en tant qu’ordinateur programmé ou appareil similaire (c’est-à-dire en tant que produit), soit en tant que procédé exécuté par un tel appareil. Il s’éloigne sur ce point de la pratique de l’OEB autorisant les revendications pour des progiciels en tant que tels ou sur un support.

Le projet engage la Commission à suivre l’incidence des inventions mises en œuvre par ordinateur et à présenter au Parlement et au Conseil un rapport sur la mise en œuvre de la directive dans les trois ans à compter de sa transposition par les Etats membres.

La directive n’aura aucun effet juridique direct sur l’Office européen des brevets. Cependant, dès que la directive aura été mise en œuvre, la Commission envisagera les mesures nécessaires pour résoudre les conflits éventuels apparus dans le cadre de la Convention sur le brevet européen. En tout état de cause, les brevets européens, dès qu’ils seront délivrés, seront assujettis au droit national de sorte que tout brevet délivré après l’entrée en vigueur de la directive qui serait non conforme à ses dispositions devra être modifié en conséquence, ou être révoqué.

2. Les difficultés suscitées et le compromis proposé par la Présidence

Un certain nombre d’Etats membres et d’acteurs concernés ( Cf. infra ) ont considéré que le texte ne pose pas de limites suffisamment précises à la brevetabilité des logiciels et que l’adoption du projet aurait un impact économique négatif sur de nombreuses entreprises du secteur.

La position de la Commission selon laquelle tous les programmes exécutés sur un ordinateur présentent par définition un caractère technique a, en particulier, été contestée. La dernière version du texte, en date du 28 octobre, est revenue sur ce point, et précise qu’une invention mise en œuvre par ordinateur ne peut être considérée comme technique au seul motif qu’elle est exécutée sur un ordinateur (article 4). En outre, la nouvelle version du texte exclut explicitement la brevetabilité des « méthodes d’affaires ».

La forme et l’étendue des revendications a également suscité un débat, l’article 5 du projet excluant les revendications pour des progiciels en tant que tels ou sur un support. Un paragraphe tenant compte de ces réactions a été ajouté afin de clarifier ce point.

 Réactions suscitées :

1. La position du gouvernement français

a. Le rejet du texte initial

La réaction française au texte initial a été très négative.

M. Christian Pierret, ministre délégué à l’industrie, aux PME, au commerce, à l’artisanat et à la consommation au sein du précédent Gouvernement, a en effet adressé à la Commission un courrier en date du 1er mars 2002, exprimant la position du gouvernement français sur la proposition. Constatant que «  le projet de directive n’apporte aucune des précisions attendues sur les limites et les exigences de la brevetabilité, mais, au contraire, stipule dans l’exposé des motifs que « tous les programmes exécutés sur un ordinateur sont par définition techniques » […] », le gouvernement français y exprimait sa crainte que «  cela pourrait ouvrir le champ de la brevetabilité à l’ensemble des logiciels voire des méthodes intellectuelles  », alors «  qu’il est apparu clairement en France comme à l’OEB qu’une telle extension est largement rejetée  ». Le Ministre en concluait que «  la proposition de directive ne répond pas de façon adéquate aux enjeux économiques, scientifiques et culturels du secteur du logiciel ainsi qu’à la nécessité de promouvoir l’innovation qui figure parmi les priorités du plan d’action « e-Europe »  » et que le projet «  aurait des conséquences négatives pour l’innovation en Europe, pour l’interopérabilité et les logiciels libres, et pour l’ensemble des acteurs (éditeurs, intégrateurs, utilisateurs), notamment les PME  ». Le gouvernement français s’est donc déclaré, dans un premier temps, opposé à la proposition.

b. Les conclusions des études menées sur le sujet

Cette prise de position française s’appuie, notamment, sur un avis rendu par l’Académie des technologies le 10 juillet 2001, qui recommande une «  extension raisonnée du brevet aux inventions logicielles  », accompagnée de mesures d’accompagnement( 7) pour en limiter les effets pervers, et sur le rapport du groupe de travail interministériel intitulé « Quelles protections pour les logiciels ? », déposé le 13 juillet 2001. Le groupe de travail conseille notamment «  d’établir un cadre juridique plus contraignant pour que la délivrance par l’Office européenne des Brevets (OEB) de brevets portant sur des inventions logicielles n’ait lieu que lorsque sont réunies les conditions classiques : il doit s’agir d’inventions nouvelles, faisant preuve d’activité inventive et susceptible d’application industrielle  ».

Un rapport a également été rédigé sur le sujet par le Conseil général des Mines, en août 2000, recommandant notamment de rappeler le principe de non brevetabilité des programmes d’ordinateur et de «  créer un droit sui generis pour les inventions immatérielles, conforme aux objectifs de stimulation de l’innovation et de partage des connaissances  »( 8). Ce droit sui generis reposerait sur la réduction à trois ans de la durée du monopole d’exploitation (cette durée correspondant à celle du cycle d’innovation dans le logiciel), la réduction de la durée de l’examen par l’office des brevets et le renforcement de son efficacité au regard des deux critères de nouveauté et d’inventivité et la redéfinition des exclusions( 9).

Enfin, un groupe de travail du Commissariat général au Plan, présidé par Hugues Rougier, directeur général adjoint de CS Communication et Systèmes, a rendu public, le 17 octobre dernier, un rapport abordant le sujet, intitulé « Economie du logiciel, renforcer la dynamique française ». Le groupe conclut qu’«  une décision abrupte d’extension de la brevetabilité au domaine du logiciel recèlerait des dangers réels pour l’industrie européenne, du fait du déséquilibre considérable qui existe entre les Etats-Unis et l’Europe en la matière  », et recommande de «  poursuivre une position active auprès des autorités européennes en vue de limiter les effets négatifs de la mise en place de brevets logiciels par les mesures suivantes : prise en compte du degré d’innovation et de l’inventivité comme des critères importants ; exclusion formelle des méthodes d’affaires et des algorithmes généraux ; exclusion formelle des formats de données, protocoles, langages ; droit à la décompilation et à l’interopérabilité ; réduction de la durée de la protection à 3 ou 5 ans ; publication des sources du code breveté ; contrôle strict de l’OEB par la Commission européenne, accompagnant une réforme de sa structure  »( 10).

c. La position du gouvernement français sur la version révisée du texte

La position actuelle du gouvernement français est plus favorable au texte dans sa nouvelle version, compte tenu notamment de la suppression de la disposition prévoyant que les programmes exécutés sur ordinateur seraient techniques par définition et de l’exclusion explicite des méthodes d’affaires ( cf. supra ). La délégation française souhaite cependant également ajouter une disposition imposant la divulgation des codes sources.

2. La position des autres Etats membres

Certains Etats membres (Italie, Grèce, Belgique) se sont également inquiétés de l’impact économique de la proposition de directive, particulièrement sur les petites et moyennes entreprises, et ont demandé que le champ de la protection par brevet soit limité, notamment, par une exclusion claire des méthodes d’affaires et une définition exigeante du critère de contribution technique.

Les autres délégations (Allemagne, Royaume-Uni, Irlande, Finlande, Suède, Autriche, Portugal, Danemark et Pays-Bas) se sont déclarées favorables à une codification de la jurisprudence la plus récente de l’Office européen des brevets, sans extension du champ de la brevetabilité.

3. La position des acteurs concernés

a. Le point de vue des partisans des logiciels libres

L’Alliance Eurolinux, composée d’entreprises informatiques et d’associations d’utilisateurs de logiciels libres, est opposée au dépôt et brevet sur les logiciels et a pris fermement position contre le texte. Selon Eurolinux, «  cette directive n’est pas un compromis modéré  », le projet autorisant en réalité la brevetabilité du logiciel en ne posant que des limites très floues.

Les principales associations françaises de défense des logiciels libres, l’AFUL (Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) et l’APRIL (Association pour la promotion et la recherche en informatique libre) s’opposent également à la proposition.

b. Le point de vue des éditeurs de logiciels

La fédération européenne des syndicats de l’industrie des technologies de l’information, l’EICTA ( European Information, Communications and Consumer Electronics Technology Industry Association ) s’est en revanche déclarée favorable à la proposition, dans un avis en date du 24 mai 2002. Elle regrette cependant que la proposition s’écarte de la pratique suivie par l’OEB en matière de formes de revendication.

L’Union des confédérations de l’industrie et des employeurs d’Europe (UNICE) soutient l’intention générale du projet, une harmonisation des pratiques et jurisprudence en la matière étant nécessaire. Mais elle émet quelques réserves, notamment en ce qui concerne les formes de revendication.

La Business Software Alliance , qui regroupe les éditeurs de logiciels les plus importants (Microsoft, Adobe, Apple, Corel, Filemaker ou Symantec, par exemple), a également accueilli le texte favorablement, tout en regrettant qu’il soit, sur certains points, en retrait de la pratique de l’OEB( 11).

 Calendrier prévisionnel :

Le texte a été examiné en point B lors du Conseil « Compétitivité » (marché intérieur, industrie et recherche) du 14 novembre 2002. Le Conseil a noté qu’il existe un « accord général sur ce texte », tout en prenant acte d’une réserve de la Commission et des réserves d’examen formulées par certaines délégations.

Le Parlement européen n’a cependant pas encore rendu son avis sur le projet, au sujet duquel il a organisé une audition publique le 7 novembre 2002, sur la base d’un document de travail de Mme Arlene McCarthy( 12) et d’une étude réalisée en avril 2002( 13). Il a été décidé que les travaux se poursuivront lorsque le Parlement européen aura rendu son avis en première lecture (prévu en avril 2003).

 Conclusion :

Compte tenu des précisions et des limitations apportées dans la dernière version du projet, la Délégation a levé la réserve d’examen parlementaire sur ce texte au cours de sa réunion du 6 novembre 2002, en apportant son soutien à la position du Gouvernement français sur cette proposition.

M. Jérôme Lambert a néanmoins observé que ce document faisait manifestement encore débat et s’est demandé s’il ne visait pas à favoriser les éditeurs de logiciels.

(1) L’OEB en a ainsi accordé près de 20 000.
(2) Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe (COM (1997) 314 final) du 24 juin 1997.
(3) Promouvoir l’innovation par le brevet : les suites à donner au Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe (COM (1999) 42 final) du 5 février 1999.
(4) La brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur : document de consultation établi par les services de la Direction générale « Marché intérieur » (19 octobre 2000).
(5) The Results of The European Commission Consultation Exercice on The Patentability of Computer Implemented Inventions.
(6) Décision T-0931/1995 du 8 septembre 2000.
(7) Telles l’amélioration de l’expertise des organismes de brevet pour éviter la prise de brevets sans réelle innovation, la mise en place d’une base de données européenne pour aider la recherche d’antériorité, etc.
(8) Jean-Paul Smets-Solanes, Stimuler la concurrence et l’innovation dans la société de l’information. Brevet ou droit sui generis : quelle protection convient-il d’envisager pour les logiciels et les autres inventions immatérielles ?, 30 août 2000.
(9) Conseil général des Mines - Conseil général des technologies de l’Information, avis du 20 septembre 2000.
(10) Commissariat général du Plan, « Economie du logiciel : renforcer la dynamique française », Rapport du groupe de travail présidé par Hugues Rougier, octobre 2002, p. 42-43.
(11) Communiqué de presse de BSA du 21 février 2002.
(12) Arlene McCarthy, « Nécessité et enjeux d’une directive nouvelle », document de travail de la Commission juridique et du marché intérieur, 11 juin 2002.
(13) Parlement européen, Direction générale des études (DG IV), The patentability of computer programmes, avril 2002.