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Document E2236
(Mise à jour : 07 octobre 2010)


Communication de la République hellénique : initiative de la République hellénique concernant l'adoption par le Conseil d'un projet de décision-cadre relative à l'application du principe "non bis in idem".


E2236 déposé le 20 mars 2003 distribué le 4 avril 2003 (12ème législature)
   (Référence communautaire : 6356/03 du 13 février 2003)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné au cours de la réunion du 13 novembre 2003

    Rapport d'information M. Pierre Lequiller , M. Michel Herbillon , no.2847 déposé(e) le 6 octobre 2010, sur des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution du 1er juillet au 29 septembre 2010 (nos E 5455 à E 5475, E 5477 à E 5484, E 5488à E 5497, E 5499, E 501à E 5511, E 5518à E 5530, E 5532 à E 5542, E 5544, E 5545, E 5546, E 5548, E 5549, E 5551à E 5561, E 5564, E 5565, E 5566, E 5569, E 5570, E 5572 à E 5580, E 5584, E 5586 à E 5593, E 5595, E 5596, E 5597, E 5599 à E 5607, E 5609, E 5611 à E 5622, E 5625 à E 5631, E 5633, E 5634, E 5635, E 5637, E 5638 et E 5647 à E 5650)
    La délégation a adopté des conclusions sur ce document lors de sa réunion du 13 novembre 2003.

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document n'a pas encore été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne.

Présentant la communication de la République hellénique, M. Daniel Garrigue, rapporteur, a rappelé que selon la règle « non bis in idem » (ou « ne bis in idem » ), nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour la même infraction. Connu du droit romain (d’après un rescrit d’Antonin le Pieux, celui qui avait été acquitté pour un crime ne pouvait plus être accusé pour ce crime), ce principe répond à des préoccupations évidentes de sécurité juridique et d’équité. Son respect est bien assuré au niveau national, à l’intérieur d’un même Etat (c’est-à-dire de manière verticale), mais son application horizontale, entre Etats membres, pose des difficultés. La diversité des règles régissant ce principe dans les différentes conventions internationales applicables et des pratiques nationales divergentes créent en effet une insécurité juridique, qui rend la définition de règles communes indispensables.

L’application uniforme du principe « non bis in idem » est d’autant plus nécessaire que la plupart des instruments juridiques adoptés en matière de reconnaissance mutuelle font de cette règle un motif de refus d’exécution d’une décision rendue par une juridiction d’un autre Etat membre : il en est ainsi, par exemple, dans la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen (art.3, 2) ou dans celle relative à la reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires (art.4, 2).

Ce projet de décision-cadre, qui constitue l’une des premières initiatives législatives visant à renforcer les droits fondamentaux dans l’espace judiciaire européen, est donc bienvenu, l’état du droit actuel n’étant pas satisfaisant. Cette proposition soulève cependant des difficultés, et sa rédaction appelle certaines améliorations ou clarifications.

*

I. Les règles actuelles relatives au principe « non bis in idem » ne sont pas satisfaisantes.

A. La règle « non bis in idem » est un principe fondamental, dont l’application reste cependant difficile.

1. Un principe fondamental

a ) En droit international

Le principe « non bis in idem » est un concept juridique ancien et fondamental, déjà présent dans le Code d’Hammourabi (vers 1700 avant notre ère) et dans le Code de Justinien, et énoncé par plusieurs anciennes Constitutions françaises, telles que la Constitution du 3 septembre 1791 (titre III, chapitre V, art. 9 : « tout homme acquitté par un jury légal ne peut plus être repris ni accusé pour le même fait ») ou celle du 5 fructidor an III (art.253). La Common Law fait état, pour sa part, dès 1164 de l’interdiction de modifier une décision définitive, dans le litige qui opposait Henry II et Thomas Becket.

Plusieurs Constitutions étrangères le mentionnent : l’article 103 de la Loi fondamentale allemande de 1949 affirme ainsi que « nul ne peut être puni plusieurs fois pour le même fait, sur la base des lois pénales générales », et l’article 29 de la Constitution portugaise de 1976 proclame que « nul ne peut être jugé plus d’une fois pour le même crime ».

Le Pacte dit « de New York » relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 lui donne une portée internationale en affirmant, en son article 14, 7, que « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ». Le protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en date du 22 novembre 1984, prévoit aussi que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif rendu conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat » (art. 4). Le principe « non bis in idem » est affirmé par cette disposition avec une force particulière, puisqu’il fait partie des droits auxquels il ne peut être apporté aucune dérogation au titre des circonstances particulières visées par l’art.15 CEDH, ce qui en fait un droit absolu (comme le droit à la vie ou le droit à ne pas être torturé).

b ) En droit communautaire

Plus récemment, le principe a été consacré par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui affirme, en son article 50, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». L’intégration de la Charte dans la partie II du projet de Constitution européenne lui donnera, si celui-ci est adopté, une force juridiquement contraignante. La Cour de justice des Communautés européennes y voit, en outre, un principe général du droit communautaire (CJCE, 5 mai 1966 et 15 mars 1967, Gutmann c. Commission ), sans exclure pour autant une double répression, en droit interne et en droit communautaire (CJCE, 13 février 1969, Walt Wihlelm c. Bundeskartellamt).

c ) En droit français

En droit français, le Conseil constitutionnel n’a pas expressément reconnu au principe une valeur constitutionnelle, et s’attache seulement à ce qu’une double répression, pénale et administrative, n’entraîne pas des conséquences incompatibles avec le principe de proportionnalité (déc. n° 89-260 DC, 28 juillet 1989 ; déc. n° 97-395 DC, 30 décembre 1997 : le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne doit pas dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues). Le Conseil d’Etat a cependant adopté une position légèrement différente, dans un avis rendu le 29 février 1996 sur le projet de statut de la Cour pénale internationale (A.G., avis n° 358.597), et considère que « la règle « non bis in idem » […] fait partie du principe à valeur constitutionnelle de la nécessité des peines » garanti par l’article 8 de la Déclaration de 1789.

La règle « non bis in idem » a été consacrée sans ambiguïté par le législateur, à l’article 368 du code de procédure pénale, pour son application « verticale », à l’intérieur de l’ordre juridique français, et à l’article 692 du même code, pour la reconnaissance de l’autorité négative de la chose jugée à l’étranger (application « horizontale »).

2. Une application difficile

L’application de ce principe entre les juridictions d’Etats différents reste difficile. Les contours de la règle « non bis in idem » sont, en outre, encore mal définis.

a ) L’application horizontale du principe souffre de nombreuses exceptions

Le protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme, précité, n’interdit les doubles condamnations pour un même fait que dans le cas de personnes jugées dans un Etat donné, et l’article 14 du Pacte de New York a été interprété dans le même sens - en dépit de sa formulation générale - par le Comité des droits de l’homme chargé de son application (2 novembre 1987, A.P. c. Italie ) et par la Cour de cassation (Crim., 17 mars 1999, Bull. crim ., n° 44).

D’autres conventions internationales sont cependant applicables. La convention de Bruxelles du 25 mai 1987 conclue entre les Etats membres des Communautés européennes et relative à l’application du principe non bis in idem énonce ainsi qu’« une personne définitivement jugée dans un Etat membre ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie dans un autre Etat membre […] » (art.1er). Cette disposition a été reprise par la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 (CAS, ci-après Convention de Schengen), signée le 19 juin 1990, en son article 54, qui s’applique désormais entre les Etats membres faisant partie de l’espace Schengen.

Ces deux textes prévoient cependant de nombreuses exceptions. La première est que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie, ou soit en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’Etat de condamnation. Les trois autres sont facultatives, chaque Etat signataire pouvant décider ou non, par une déclaration déposée lors de la ratification de la convention Schengen (art.55, 1 CAS), d’en faire application :

- l’Etat partie peut ainsi refuser d’appliquer la règle « non bis in idem » lorsque les faits incriminés ont eu lieu sur tout ou partie de son territoire ;

- il peut déroger au principe pour les infractions contre la sûreté de l’Etat ou contre ses intérêts essentiels ;

- il peut écarter la règle pour les faits ayant été commis par un fonctionnaire de son ressort en violation des obligations de sa charge.

b ) L’absence inattendue de déclaration française

Six Etats membres ont fait une telle déclaration (Finlande, Suède, Danemark, Allemagne, Grèce et Autriche).

La France semblait également en avoir fait une : le décret de publication de la Convention Schengen (décret n° 95-304 du 21 mars 1995) comporte en effet une déclaration visant à faire jouer l’ensemble des exceptions prévues. La chambre criminelle de la Cour de cassation s’est d’ailleurs fondée sur cette déclaration pour autoriser qu’une personne puisse être rejugée après avoir fait l’objet d’un non-lieu dans un autre Etat membre (Crim., 3 décembre 1998, Bull. 331). La négociation de la présente décision-cadre a cependant fait apparaître qu’à la suite d’un dysfonctionnement administratif, cette déclaration – d’ailleurs tardive, puisqu’elle n’a été formulée qu’en 1995, soit trois ans après la ratification de la Convention – n’a jamais été transmise au dépositaire de la Convention Schengen (le Luxembourg). Elle est donc dépourvue de toute validité.

c ) Des contours encore mal définis

- La définition du terme « idem » (ou « mêmes faits ») varie selon les Etats membres. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même semble hésiter entre deux conceptions. D’après la première, restrictive, le deuxième acte punissable doit faire l’objet de la même qualification juridique que le premier (CEDH, 30 juillet 1998, Oliveira c. Suisse ). En d’autres termes, un fait pénal unique peut être sanctionné deux fois au motif qu’il peut être décomposé en plusieurs infractions distinctes. Selon la seconde, plus large, le deuxième comportement punissable doit résulter des mêmes circonstances ou de circonstances en substance similaires, qu’il fasse ou non l’objet de la même qualification juridique (CEDH, 28 septembre 1995, Gradinger c. Autriche).

- La règle « non bis in idem » ne concerne que les décisions définitives. En conséquence, une procédure déjà engagée, mais non encore définitivement terminée, ne ferait pas obstacle à une autre procédure. Il serait souhaitable de prendre en compte les procédures en cours : c’est ce que l’on appelle l’effet de litispendance.

- L’expression « définitivement jugée » employée par l’article 54 de la Convention Schengen peut faire l’objet de plusieurs interprétations. La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi eu à se prononcer récemment sur l’application de l’article 54 aux transactions pénales éteignant l’action publique. La Cour, qui était saisie pour la première fois à titre préjudiciel en application de l’article 35 du traité sur l’Union européenne (qui a étendu sa compétence préjudicielle, sous certaines conditions, à la coopération policière et judiciaire en matière pénale), a répondu par l’affirmative, en dépit du fait qu’aucune juridiction ne soit intervenue et que la décision prise ne revête pas la forme d’un jugement. Elle a en effet jugé que la Convention Schengen ne subordonne l’application du principe « non bis in idem » à aucune condition de procédure ou de forme de ce type (CJCE, 11 février 2003, Gözutök ).

II. – Une proposition bienvenue, dont la rédaction doit cependant être clarifiée.

A. L’adoption de règles communes harmonisant l’application du principe « non bis in idem » est indispensable.

1. La règle « non bis in idem », corollaire du principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires

L’Europe judiciaire repose sur le principe de reconnaissance mutuelle, qui a pour objectif qu’une décision pénale rendue par une autorité d’un Etat membre soit exécutée par les autorités d’un autre Etat membre comme si cette décision avait été rendue dans ce dernier. Le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, a fait de ce principe la « pierre angulaire » de l’espace judiciaire européen, et le projet de Constitution européenne envisage de le constitutionnaliser (art. III-171).

Cette reconnaissance mutuelle repose sur la confiance réciproque des Etats membres dans leur système de justice pénale. Comme le souligne l’avocat général Colomer, dans ses conclusions sur l’affaire Gözutök , « cette reconnaissance repose sur l’idée que, même si un Etat ne traite pas une affaire donnée de façon identique, voire analogue à un autre Etat, les résultats sont tels qu’ils sont considérés comme équivalents aux décisions de ce dernier, parce qu’ils répondent aux mêmes principes et valeurs » : un véritable « marché commun des droits fondamentaux » se met ainsi en place (§ 124). Cette reconnaissance des décisions judiciaires a notamment pour corollaire l’application du principe « non bis in idem ».

Les pratiques divergentes dans l’application de cette règle doivent par conséquent être supprimées, et les exceptions qui peuvent lui être apportées réduites, dans la mesure compatible avec nos exigences constitutionnelles.

La perspective d’une « constitutionnalisation » de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment de son article 50, invite également à progresser en ce sens.

2. Le contenu de la proposition initiale

La proposition de décision-cadre déposée par la Grèce le 13 février 2003 a pour objectif de parvenir à une application uniforme du principe « non bis in idem ». Elle remplacerait, à cette fin, les articles 54 à 57 de la Convention Schengen.

Le projet, dans sa version initiale, prévoyait ainsi, par rapport au droit actuel :

- de prendre en compte la litispendance, définie comme la situation née du fait que des poursuites ont été engagées contre une personne dans un Etat membre et n’ont pas encore abouti à un jugement. Dans cette hypothèse, la procédure pénale engagée dans un autre Etat membre serait suspendue d’office ;

- d’adopter la définition la plus large donnée par la Cour européenne des droits de l’homme des « mêmes faits » ( Cf. supra ), c’est-à-dire quelle que soit leur qualification juridique ;

- de supprimer l’exception territoriale, qui permet à un Etat de refuser d’appliquer la règle « non bis in idem » lorsque les faits incriminés ont eu lieu sur tout ou partie de son territoire ; les autres exceptions prévues par la Convention Schengen étant en revanche maintenues, sur déclaration.

B. La rédaction de la proposition, déjà améliorée, doit encore être clarifiée.

1. La rédaction de la proposition a été considérablement améliorée.

a ) La prise en compte de la jurisprudence Gözütok de la Cour de justice

La notion de « décision définitive » a remplacé celle de « jugement », afin de prendre en compte les procédures (telles que les transactions pénales visées par la jurisprudence Gözütok de la Cour de justice) mettant fin à l’action publique sans qu’une juridiction ne soit nécessairement intervenue.

b ) La priorité accordée à l’exécution de la sanction imposée

La subordination de l’application du principe « non bis in idem » à l’exécution de la sanction imposée a été maintenue, mais l’Etat membre souhaitant engager de nouvelles poursuites devra privilégier l’exécution de la sanction déjà prononcée, soit en demandant un transfert de son exécution, soit en remettant la personne condamnée à l’Etat de condamnation. Ce n’est que si un transfert de l’exécution ou une remise de la personne ne sont pas possibles que de nouvelles poursuites pourront être engagées.

Certaines délégations (Grèce, Suède, Espagne, Pays-Bas, Portugal) et la Commission européenne souhaitaient aller plus loin et supprimer cette condition, au motif qu’elle serait contraire à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux. Les explications du Présidium de la Convention qui a rédigé la Charte précisent cependant expressément que les exceptions prévues par la Convention de Schengen (qui ne relèvent pas de l’application verticale du principe « non bis in idem », lequel reste un droit absolu à l’intérieur du même ordre juridique, conformément à l’article 4 du protocole additionnel n° 7) sont couvertes par la clause horizontale de l’article 52, 1 de la Charte. Le compromis adopté, qui permet d’éviter toute situation d’impunité, apparaît par conséquent satisfaisant.

c ) Le dépôt d’une proposition complète relative à la litispendance

Les règles relatives à la litispendance ont été contestées, en raison notamment de l’absence de hiérarchisation des critères permettant de désigner l’Etat du for. Il a été convenu de maintenir cet article, les critères étant facultatifs, et d’adopter une déclaration du Conseil invitant la Commission à déposer une proposition plus complète sur le sujet.

2. Des modifications doivent encore lui être apportées.

a ) Le gouvernement français pose le problème de la constitutionnalité du projet de décision-cadre

Dans une décision du 17 juillet 1980 (déc. n° 80-116 DC) relative à une convention franco-allemande d’entraide judiciaire, le Conseil constitutionnel a rappelé « la règle qui découle du principe de la souveraineté nationale, selon laquelle les autorités judiciaires françaises, telles qu’elles sont définies par la loi française, sont seules compétentes pour accomplir en France, dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l’entraide judiciaire en matière pénale ». La doctrine considère également qu’« en présence d’une infraction commise en France et touchant directement l’ordre public français, la souveraineté nationale interdit à nos tribunaux de s’effacer devant l’acte d’une autorité étrangère » (André Huet, Renée Koering-Joulin, Droit pénal international , PUF, 2000, n° 152).

Le gouvernement français en conclut que la jurisprudence constitutionnelle exige que toutes les exceptions existantes au principe « non bis in idem » – et, en particulier, l’exception territoriale – soient maintenues.

Cette interprétation n’est pas absolument certaine. Plusieurs éléments plaident en effet en faveur de la conformité à la Constitution d’une suppression éventuelle de certaines des exceptions actuelles :

- la Convention Schengen a été soumise au Conseil constitutionnel (déc. n° 91-224 du 25 juillet 1991) et celui-ci n’a relevé aucune inconstitutionnalité ni émis de réserve d’interprétation concernant les dispositions relatives au principe « non bis in idem », alors que la France n’avait, à l’époque, pas encore déposé – ni même, à notre connaissance, envisagé de déposer – de déclaration au titre de l’article 55, 1 ;

- en l’espèce, la souveraineté nationale doit se concilier avec un autre principe constitutionnel, le principe de nécessité des peines, auquel le Conseil d’Etat rattache la règle « non bis in idem » (avis du 29 février 1996, précité) ;

- une convention ratifiée par la France exclut déjà le jeu de l’exception territoriale : la convention sur les stupéfiants du 30 mars 1961 (art. 36, § 2, a, iv ). La chambre criminelle de la Cour de cassation l’a d’ailleurs interprétée comme conférant l’autorité négative de la chose jugée à une décision étrangère alors même qu’un trafic de stupéfiants a eu lieu en France (Crim., 13 décembre 1983, B. 340) ;

- la révision constitutionnelle du 17 mars 2003 a habilité le législateur à fixer les règles relatives au mandat d’arrêt européen. La règle « non bis in idem » fait partie des motifs obligatoires de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen (art. 3, 2). La présente décision-cadre précise la définition de ce principe entre les Etats membres et sa transposition entre dès lors dans le champ d’habilitation de l’article 88-2 modifié de la Constitution, qui ne se limite pas à la décision-cadre du 13 juin 2002.

Aucun de ces éléments n’est, à lui seul, déterminant, mais leur combinaison conduit cependant à s’interroger sur l’interprétation a contrario qui a été faite de la décision du 17 juillet 1980.

Une clarification des contraintes constitutionnelles existant en la matière serait donc opportune. La saisine du Conseil d’Etat par le gouvernement de la conformité à la Constitution de la suppression des exceptions envisagées, en application de la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003 relative à la saisine pour avis du Conseil d’Etat lors de la négociation d’actes de l’Union européenne, permettrait d’opérer une telle clarification, et de déterminer quelles sont les exceptions qui ne sauraient, le cas échéant, être supprimées sans porter atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

L’avis rendu par le Conseil d’Etat, s’il confirmait l’analyse faite par le gouvernement, renforcerait sans doute la position française dans les négociations (comme celui rendu au sujet des accords d’entraide judiciaire et d’extradition entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique), puisqu’il mettrait clairement en évidence que la suppression des exceptions envisagées obligerait la France à modifier sa Constitution. S’il infirmait, à l’inverse, le raisonnement suivi, la position française pourrait être adaptée.

b ) Au-delà se pose la question de la maturité de ce projet de décision-cadre

Soutenue par de nombreuses délégations, le gouvernement français a obtenu que l’exception territoriale soit rétablie. Mais le compromis proposé par la présidence n’est pas pleinement satisfaisant pour la délégation française :

- l’exception relative aux « autres intérêts essentiels », permettant d’exclure l’application du principe « non bis in idem » pour les infractions portant atteinte à ces intérêts, a été supprimée ;

- une « clause de révision renforcée » a été introduite, aux termes de laquelle le Conseil, dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de la décision-cadre, décidera de proroger ou non l’article permettant de maintenir des exceptions au principe « non bis in idem » ;

- seuls les Etats membres ayant fait une déclaration lors de la ratification de la Convention Schengen pourront faire une déclaration leur permettant de maintenir les exceptions prévues. C’est cette disposition qui a mis en évidence que la déclaration française relative à la Convention Schengen n’a jamais été transmise au dépositaire de la Convention. La France serait par conséquent dans l’impossibilité de faire une déclaration au titre de la décision-cadre, ce qui porterait atteinte, selon le gouvernement français, aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale.

La délégation française souhaite donc :

- que la possibilité de faire une déclaration soit offerte à tous les Etats membres, sans que leur situation au regard de la Convention Schengen ne soit prise en compte ;

- que l’exception relative à l’atteinte « aux autres intérêts essentiels » soit rétablie ;

- que la « clause de révision renforcée » figurant à l’article 8 du projet ne soit pas une clause de caducité ( sunset clause ), et invite seulement à une évaluation de la situation par le Conseil dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de la décision-cadre.

M. Daniel Garrigue, rapporteur, partage largement la position de la délégation française. Il lui apparaît qu’une discussion plus approfondie entre les Etats membres permettrait de rapprocher et de clarifier les positions. En particulier, des progrès pourraient être réalisés sur l’exception territoriale, laquelle paraît restreindre beaucoup la notion d’espace judiciaire européen, et permettre peut-être de renoncer à celle-ci. De même, l’exception concernant les infractions commises par les fonctionnaires mérite d’être encore discutée.

Par contre, les exceptions relatives aux infractions contre la sûreté de l’Etat devraient pouvoir continuer à être invoquées. D’autre part, la limitation de la possibilité de déposer une déclaration aux seuls Etats qui en ont fait une dans le cadre de la Convention de Schengen créerait une profonde asymétrie entre Etats membres, et la procédure de révision renforcée gagnerait à être assouplie pour permettre une évaluation sereine, le moment venu.

Conclusion :

Après l’exposé de M. Daniel Garrigue, rapporteur, lors de la réunion de la Délégation du 13 novembre 2003, M. Jacques Myard a observé que si le principe « non bis in idem » était universellement reconnu, on avait eu chaque fois les plus grandes difficultés à le définir, compte tenu de la diversité des réglementations nationales existantes. Il a souhaité savoir si le projet de décision-cadre visait seulement la convention de Schengen ou avait une portée plus vaste.

Le rapporteur a confirmé que le champ d’application du projet de décision-cadre était plus large que celui de la convention de Schengen.

A la suite de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision-cadre relative à l’application du principe « non bis in idem » (6356/03/n° E 2236),

1. Se félicite de la volonté de renforcer la portée de la règle « non bis in idem », corollaire du principe de reconnaissance mutuelle, exprimé par cette proposition, grâce à la prise en compte des procédures mettant fin à l’action publique sans qu’une juridiction soit nécessairement intervenue et à la définition privilégiant la notion de « mêmes faits » quelle que soit leur qualification juridique.

2. Recommande que le champ d’application de la décision-cadre soit précisé, en clarifiant la définition des « décisions définitives » visées à l’article 1er.

3. Approuve l’invitation adressée à la Commission européenne de déposer une proposition plus complète sur la litispendance.

4. Souhaite que la question du maintien de l’exception territoriale, qui limite fortement la notion d’espace judiciaire européen, fasse l’objet d’un débat approfondi avec les autres Etats membres.

5. Estime par contre que les exceptions à la règle « non bis in idem » jugées nécessaires à la préservation des conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale soient maintenues.

6. Recommande enfin que la possibilité de faire une déclaration soit ouverte à tous les Etats membres, qu’ils en aient ou non déjà fait une dans le cadre de la Convention d’application de l’accord de Schengen, et que la clause de « révision renforcée » prévue par le projet soit atténuée dans sa portée, pour permettre une véritable évaluation du dispositif de la décision-cadre. »