Version PDF

DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

COMPTE RENDU N° 64

Réunion du jeudi 13 novembre 2003 à 9 heures 30

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président

I. Examen de la recommandation de la Commission pour remédier à la situation de déficit excessif (E 2416)

Le Président Pierre Lequiller, rapporteur, a rappelé que la Commission européenne a adopté, le 21 octobre dernier, une recommandation pour une décision du Conseil mettant la France en demeure de prendre des mesures visant à la réduction du déficit public. Dans cette recommandation, la Commission donne à la France un délai supplémentaire d'un an, 2005 au lieu de 2004, pour corriger son déficit excessif. En échange, Paris doit s'engager à réduire de 1 % son déficit structurel en 2004. Le gouvernement français doit présenter pour le 15 décembre prochain un rapport précisant les décisions prises pour se conformer à cette recommandation.

Selon son projet de budget pour 2004, la France envisage de réduire le déficit nominal de 4 % du PIB en 2003, à 3,6 % l'année prochaine, et 2,9 % en 2005. Cette projection des comptes publics repose sur une hausse réelle du PIB de 0,5 % en 2003, et de 1,7 % en 2004. Pour la période postérieure à 2005, les projections pluriannuelles des autorités françaises tablent sur une poursuite de la réduction du déficit : 2,2 % en 2006 et 1,5 % en 2007. Une réduction qui repose sur une croissance du PIB réelle de 2,5 % en 2006 et 2007, un taux que la Commission qualifie de « plausible ».

La précédente recommandation adressée à la France début juin fixait l'année prochaine pour corriger le déficit excessif. La nouvelle recommandation prend maintenant en compte les facteurs suivants :

- la dégradation de la situation économique en 2003 a été forte et inattendue. Elle a entraîné une perte cumulée de croissance d'environ 1,5 % sur la période 2003-2004 par rapport aux prévisions du printemps dernier ;

- cette détérioration implique que les efforts pour ramener le déficit au-dessous de 3 % du PIB en 2004 soient beaucoup plus importants que ce qui était envisagé en juin. La Commission reconnaît qu'un tel effort sur une seule année peut s'avérer coûteux sur le plan économique. Le gouvernement français fait valoir à juste titre que le déficit structurel s'est aggravé de façon continue depuis de nombreuses années, même pendant une période de forte croissance en Europe, entre 1997 et 2000 ;

- l'effort pour le budget 2004 (une réduction d'au moins 0,5 % du déficit structurel) respecte la recommandation du mois de juin ;

- si l'accroissement du déficit public français n'était pas corrigé, il entraînerait une hausse continue du ratio de la dette, qui risquerait de peser sur les anticipations des agents économiques.

Dans ces conditions, le texte de la recommandation de la Commission exige les mesures suivantes :

- le déficit structurel doit être réduit de 1 % en 2004 pour rattraper l'année prochaine l'ajustement qui n'a pas été fait en 2003. Cet effort doit permettre à la France d'établir des bases crédibles pour respecter la limite de 3 % en 2005 ;

- en 2005, la France devra réduire le déficit structurel d'au moins 0,5 % du PIB, pour respecter la limite des 3 % prévue dans le Pacte de stabilité ;

- si les recettes sont supérieures aux prévisions en 2004, ce surcroît devra être consacré à la réduction du déficit.

De plus, la France devra également enrayer la spirale des dépenses de santé, ce qui est l'objectif de la réforme envisagée par le Gouvernement en 2004. Enfin, notre pays devra soumettre au total quatre rapports d'exécution des mesures mises en œuvre : avril et octobre 2004 et 2005.

Lors de la réunion du Conseil Ecofin du 4 novembre 2003, le gouvernement français a réitéré l'objectif de faire passer le déficit public sous les 3 % du PIB en 2005. Il a néanmoins précisé qu'en raison de l'ancienneté du déficit, qui s'était aggravé même en période de forte croissance, les efforts assurant la crédibilité de cette démarche ne pouvaient pas rencontrer totalement la demande de la Commission européenne exigeant une réduction de 1 % en 2004.

Avec l'appui d'un très grand nombre d'Etats membres qui ont compris la situation particulière de notre pays, la France a obtenu, le 4 novembre, que la Présidence italienne ne mette pas aux voix la recommandation afin de donner à la Commission trois semaines supplémentaires, jusqu'au Conseil Ecofin du 25 novembre, pour évaluer les efforts annoncés par le gouvernement français. Seuls trois pays, l'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas, ont critiqué le report de la décision sur la France.

A l'issue de son exposé, le Président Pierre Lequiller a présenté les termes des conclusions qu'il proposait à la Délégation d'adopter.

M. Jérôme Lambert a souhaité savoir si la proposition de résolution déposée par le groupe socialiste sur la recommandation de la Commission européenne serait examinée par la Délégation.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que la Délégation ne pouvait examiner, dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution, que les projets de textes européens. Il a néanmoins précisé que cette proposition de résolution serait soumise à la Commission des finances, de l'économie générale et du plan.

M. Jérôme Lambert a observé qu'il ne pourrait pas voter la proposition de conclusions présentée à la Délégation, même si elle rejoint, sur certains points, la proposition de résolution du groupe socialiste. En revanche, le point 5 concernant la nécessité d'importantes réformes structurelles n'est pas acceptable. De même, il est étonnant qu'on puisse faire valoir auprès de la Commission européenne la mise en œuvre d'une réforme du système de santé, alors que le contenu de cette réforme n'est pas encore connu.

Le Président Pierre Lequiller a souligné que l'accumulation des déficits imposait une réforme.

M. Jérôme Lambert a affirmé que les déficits n'avaient pas toujours progressé dans le passé.

M. François Guillaume a regretté que la proposition de conclusions ne fasse pas valoir que le plafond de 3 % de déficit budgétaire est applicable à l'ensemble des Etats membres, sans opérer de distinction entre les Etats fournissant un important effort de défense et ceux ayant opté pour la neutralité. Cette observation avait déjà été formulée lors de l'audition du commissaire européen M. Pedro Solbes, mais ce dernier l'avait rejetée car il s'inscrivait dans une logique purement comptable. Il conviendrait pourtant d'insister sur cette argumentation en rajoutant un alinéa soulignant que les comparaisons entre les Etats membres sont faussées du fait des différences constatées en matière de dépenses militaires.

Le Président Pierre Lequiller a indiqué que la proposition de conclusions avait pour objet de soutenir le Gouvernement et que l'argument relatif à l'exclusion des dépenses de défense, même s'il avait pu être mis en avant par le Gouvernement, avait déjà été rejeté par la Commission européenne.

M. Marc Laffineur a confirmé la nécessité de prêter attention au langage que la France tient devant la Commission européenne et les autres Etats membres. Il importe d'insister sur l'importance des réformes engagées depuis deux ans, en particulier dans le domaine des retraites et en matière de santé, afin que la Commission en prenne acte. Il faut regretter que le précédent gouvernement n'ait pas profité de la période de croissance pour engager une réduction des déficits publics et l'on pourrait envisager une obligation de réduction des déficits dans les phases de croissance.

Le Président Pierre Lequiller a observé qu'une telle observation figurait dans le point 3 de la proposition de conclusions.

M. Marc Laffineur a noté que les efforts engagés par le gouvernement français sont particulièrement significatifs si l'on tient compte du poids des intérêts de la dette, de l'augmentation mécanique des frais de personnel et de la charge supportée au titre des dépenses militaires, qui d'ailleurs bénéficient à l'ensemble de l'Union européenne.

M. Pierre Lellouche a souligné que la tâche du gouvernement français, déjà difficile en période de ralentissement économique, est compliquée par les 35 milliards d'euros de dépenses annuelles supplémentaires créées par le précédent gouvernement pour financer les emplois-jeunes, la réduction du temps de travail et la couverture maladie universelle, alors même que le taux de croissance était de 3,5 %. Il est exact que si l'on ne tenait pas compte des seules dépenses militaires d'investissement, sans même parler des dépenses de fonctionnement, le déficit public français serait proche du plafond de 3 % du PIB. Toutefois, la Commission européenne rejette cet argument, ce qui constitue une erreur d'analyse puisque la dépense productive de richesse n'est pas constitutive du déficit au sens comptable. Les Etats-Unis l'ont bien compris et, à titre d'exemple, le gouvernement américain n'a pas hésité à commander 100 gros porteurs civils pour les transformer en avions militaires ravitailleurs, afin de soutenir les compagnies aéronautiques après la crise du 11 septembre.

Néanmoins, il faut bien avoir conscience que la France est isolée et que les « petits » Etats membres ne se gênent pas pour la critiquer vivement. Dès lors, l'accumulation des déficits risque de se traduire par des sanctions, justifiées dans la mesure où la France a accepté les dispositions du traité de Maastricht.

La réduction du déficit budgétaire ne pourra être réalisée que par une diminution des dépenses de fonctionnement. A cet égard, on peut regretter que le projet de loi de finances pour 2004 ne prévoit qu'une diminution de 5 000 postes de fonctionnaires, alors que le Gouvernement avait préalablement annoncé qu'un départ à la retraite sur deux ne serait pas remplacé, ce qui équivalait à une baisse de 25 000 fonctionnaires.

M. Daniel Garrigue a souligné que la position de la Commission européenne est devenue plus mesurée. Cette évolution résulte, selon lui, des analyses faites par la Commission sur les raisons de l'augmentation du déficit structurel, qui indiquent que ce déficit a augmenté, entre 1997 et 2002, de 1,2 point en France. Cette évolution est à l'origine des difficultés constatées : elle singularise en effet notre pays, par rapport à la zone euro, dont le déficit structurel, au cours de la même période, n'a augmenté que de 0,1 point et par rapport à l'Union européenne dans son ensemble, qui a vu son déficit structurel baisser de 0,2 point. Il était donc prévisible que le ralentissement économique creuse davantage ce déficit structurel. C'est pourquoi le Gouvernement a pris, depuis l'année 2003, des mesures importantes pour faire reculer le déficit structurel.

Il a évoqué ensuite la situation économique pour souligner que sa meilleure prise en compte par les règles de discipline budgétaire justifiait une adaptation du Pacte de stabilité aux réalités de la conjoncture et du cycle économiques. L'exemple du Portugal est à cet égard significatif. La Commission avait recommandé à ce pays des mesures très sévères en 2002, qui ont eu des effets désastreux sur la croissance du pays : celle-ci s'est effondrée et le déficit s'est aggravé.

M. Daniel Garrigue a estimé qu'un changement d'approche était d'autant plus justifié qu'à l'heure actuelle, l'Europe soutient une initiative de croissance. Il n'est donc pas souhaitable de continuer d'appliquer le Pacte de stabilité de manière purement comptable, comme l'a souligné M. Pedro Solbes, le commissaire européen en charge des affaires économiques et monétaires.

Il a souhaité en conclusion que les efforts soient poursuivis en matière de réduction des dépenses de fonctionnement.

Le Président Pierre Lequiller a jugé que la Commission remplit, dans cette affaire, son rôle, mais que, par ailleurs, le débat sur l'adaptation du Pacte de stabilité est désormais ouvert. Le Commissaire européen en charge de l'élargissement, M. Günter Verheugen, a reconnu que la situation méritait une réflexion approfondie sur le Pacte de stabilité. D'autre part, lorsque l'on prend l'exemple des Etats-Unis, on s'aperçoit que leur politique budgétaire tient compte de la situation conjoncturelle.

M. Pierre Lellouche a observé que les Etats-Unis n'hésitent pas à pratiquer le keynésianisme quand cela est nécessaire.

M. André Schneider a exprimé son soutien aux propos tenus par M. Daniel Garrigue. Il a déclaré approuver la proposition de conclusions, en soulignant son caractère équilibré. La France doit montrer à ses partenaires qu'elle accepte la règle commune et qu'elle entend poursuivre les efforts engagés. Ce texte est également mesuré à l'égard de nos partenaires, y compris les plus sourcilleux d'entre eux, ce dont M. André Schneider s'est félicité.

M. Michel Herbillon s'est également réjoui du caractère équilibré de la proposition de conclusions. Il a jugé que ce texte pourrait recueillir l'assentiment de l'opposition et a fait part de son intention de la convaincre. La proposition de conclusions rappelle la nécessité d'un encadrement de la politique budgétaire et d'une discipline commune.

M. Michel Herbillon a noté en outre qu'elle indique clairement que le Pacte de stabilité ne constitue pas une « table de la loi » rigide, déconnectée du contexte économique. Il a rappelé que le titre complet de ce Pacte est « Pacte de stabilité et de croissance » et qu'il est donc naturel que celui-ci tienne compte des cycles économiques. Il a considéré que les termes de la résolution gênant le plus l'opposition étaient peut-être ceux concernant le soutien de la Délégation aux réformes structurelles entreprises par le Gouvernement. Sur ce point, M. Michel Herbillon a estimé que tous les citoyens en France sont d'accord sur le caractère impératif des réformes à mener, que ce soit en matière de santé et de retraites. Il a également évoqué la situation de certaines entreprises publiques dont les déficits restent importants. Ainsi, la situation financière de La Poste est grevée par les recrutements importants pratiqués ces dernières années. Au total, la France ne peut faire l'économie de réformes structurelles rapides, qui réduisent les dépenses de fonctionnement et le train de vie de l'Etat. Tous ces éléments étant pris en compte dans le texte de la proposition de conclusions, M. Michel Herbillon a déclaré qu'il l'approuvait.

M. Jean-Claude Lefort a déclaré ne pas comprendre le clivage constaté entre la majorité et l'opposition sur un sujet aussi important. Il a souhaité qu'un débat de fond, intelligent et raisonnable, s'engage sur la question. Que doit-on faire du Pacte de stabilité ? Il convient de rappeler d'abord que celui-ci est la conséquence de l'union économique et monétaire mise en place par le traité de Maastricht. En outre, ce Pacte de stabilité est trop rigide pour faire face à une situation qui n'a pas été prévue. Il s'est déclaré défavorable au point 5 de la proposition de conclusions. Puis il a émis le vœu que la Délégation ait une position commune sur une approche politique de cette question.

M. René André a déploré que la France soit soumise à une telle procédure. La situation lui rappelle l'incident de Sakhiet de 1958, après lequel le Président du Conseil, M. Guy Mollet, s'est rendu aux Etats-Unis pour solliciter des crédits et obtenir la bienveillance américaine.

M. René André a souligné que la France a donné sa parole. Elle se doit de respecter les critères. Les difficultés d'aujourd'hui résultent du comportement de « cigale » adopté par la France à une époque de « vaches grasses ». La France aurait dû profiter alors de la bonne conjoncture économique pour réduire de manière substantielle ses déficits.

Il a déclaré soutenir ce texte, puis s'est interrogé sur les modifications intelligentes à apporter aux règles actuelles. Il a également posé la question de la pertinence de la politique monétaire de la Banque centrale européenne, qui se consacre exclusivement à la lutte contre l'inflation. A ce sujet, les déclarations récentes du nouveau Gouverneur ne semblent pas annoncer un infléchissement de cette politique. En ce qui concerne l'effort de réduction des dépenses publiques, M. René André a jugé que celui-ci devait se faire sans porter préjudice au maintien de la cohésion sociale. La France ne peut donc aller trop vite et trop loin, car culturellement elle ne peut s'aligner sur la politique des Etats les plus libéraux. D'autre part, cet effort de réduction des dépenses ne peut être soutenable qu'à la condition qu'il ne justifie pas le report de charges publiques sur les collectivités locales.

Le Président Pierre Lequiller a rappelé que le traité de Maastricht contenait déjà un protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs. Le Pacte de stabilité et de croissance résulte, quant à lui, d'une résolution du Conseil européen d'Amsterdam du 17 juin 1997 et de deux règlements adossés au Traité. S'agissant des modifications demandées par l'opposition au point 5, il convient de souligner que celui-ci rappelle les réformes engagées par la France, un point important dans notre dialogue avec la Commission européenne.

M. Jérôme Lambert a disqualifié l'argument selon lequel la réforme retardée des retraites explique une partie des déficits structurels. Le problème du financement des retraites ne se pose pas aujourd'hui, mais concerne la période après 2005. Affirmer que le déficit structurel de la France sera en partie réglé grâce à la réforme des retraites est un contresens.

M. François Guillaume a souhaité obtenir une explication du point 4 relatif à la diversification des éléments d'appréciation des politiques budgétaires.

En réponse, le Président Pierre Lequiller a indiqué que cette rédaction permet de prendre en compte la différenciation entre les dépenses d'investissement et de fonctionnement, ainsi que l'évolution des cycles économiques.

M. Jacques Myard, après avoir qualifié le Pacte de stabilité et de croissance d'aberration économique, s'est prononcé en faveur d'une abstention positive sur la proposition de conclusions.

Après que M. René André ait réitéré son soutien aux réformes structurelles entreprises par la France et que M. Jean-Claude Lefort ait demandé le retrait du point 5, la Délégation a adopté, l'opposition votant contre, les conclusions suivantes :

« La Délégation,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la recommandation pour une décision du Conseil mettant la France en demeure, conformément à l'article 104, paragraphe 9, de prendre des mesures visant à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif (SEC [2003] 1121 final/E 2416),

1. Considère que l'encadrement européen des politiques budgétaires nationales est nécessaire, dans la mesure où il s'agit d'éviter qu'une politique nationale fasse courir un risque à la stabilité financière de l'ensemble de la zone euro.

2. Estime que les règles de discipline budgétaire ne doivent pas, pour autant, constituer un frein à la croissance en Europe, alors que les indicateurs économiques en provenance des Etats-Unis sont encourageants.

3. Affirme que, sans remettre en cause l'Union économique et monétaire, plus que jamais indispensable, ni la nécessité d'une discipline commune, l'Union européenne doit redéfinir la discipline budgétaire, en clarifiant les règles et en les adaptant aux problèmes économiques auxquels doivent pouvoir répondre les politiques budgétaires en Europe.

4. Propose que la refondation de la coordination budgétaire en Europe prenne en compte la notion de cycle économique, favorise la surveillance des soldes structurels plutôt que des soldes nominaux, et diversifie les éléments d'appréciation des politiques budgétaires nationales.

5. Soutient les importantes réformes structurelles mises en œuvre et engagées par le gouvernement français et son effort de programmation pluriannuelle de réduction des déficits.

6. Souhaite que le dialogue se poursuive entre la France et la Commission européenne afin de trouver les solutions les plus appropriées compte tenu de l'évolution de la conjoncture économique. »

II. Examen du rapport d'information de M. Marc Laffineur sur les négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC)

M. Marc Laffineur, rapporteur, a d'abord rappelé l'évolution du cadre des négociations commerciales internationales et leur importance pour la croissance économique et la création d'emplois dans le monde. L'OMC a succédé en 1995 au GATT et s'est vu confier la régulation d'échanges d'une valeur de 6 000 milliards d'euros. L'accord de Marrakech a intégré l'agriculture dans le champ des disciplines commerciales, il a cherché à faire profiter les pays en développement d'une augmentation des échanges pour assurer leur développement, enfin, il a créé un organe quasi juridictionnel de règlement des différends.

La négociation à Cancún a été rendue difficile en raison du peu de contreparties à échanger entre l'Europe et les Etats-Unis appliquant des droits de douane très faibles et les autres pays en développement ou émergents imposant des tarifs douaniers très élevés.

Cancún avait pour but de dresser un bilan à mi-parcours des négociations commerciales sur l'agriculture qui représente 10 % des échanges mondiaux, et sur l'industrie, qui en représente l'essentiel. S'y ajoutaient les sujets de Singapour concernant l'investissement, la concurrence, la facilitation des échanges et la transparence des marchés publics.

L'échec de Cancún, même s'il faut le tempérer, a eu lieu en dépit, d'une part, de la réforme de la politique agricole commune, par laquelle l'Union européenne a essayé de découpler les aides, c'est-à-dire de réduire leur influence sur les prix à la production, d'autre part, de l'accord sur les médicaments intervenu en août 2003.

Cet échec ne peut que susciter des regrets : d'abord il entraînera une perte de croissance mondiale ; ensuite il fragilise l'OMC dont le but est d'humaniser un peu la mondialisation en lui fixant des règles conformément aux souhaits de la France et de l'Union européenne ; enfin il refroidit la volonté des Etats-Unis de soutenir le multilatéralisme, comme le montre leur engagement renouvelé dans des négociations bilatérales dès le mois de septembre.

Il faut cependant relativiser cet échec, dans la mesure où la moitié des négociations engagées dans le passé n'ont pas abouti à des accords.

Les causes de cet échec sont multiples. D'abord, pour la première fois, les négociations ont échappé aux Etats-Unis et à l'Europe qui, jusque là, avaient dirigé les négociations depuis l'origine des accords du GATT.

Ensuite, il n'y a pas eu un affrontement nord-sud, mais un jeu des acteurs beaucoup plus compliqué. Les pays les moins avancés - les PMA - qui n'avaient pas profité des accords du GATT notamment en raison de leurs lourdes contraintes juridiques, étaient très méfiants et peu soucieux d'obtenir un accord à tout prix. L'Union européenne était le seul acteur qui défendait toutes les ambitions du cycle, en accordant une place égale à la libéralisation et à la régulation. Les pays en développement étaient, quant à eux, très divisés.

Tout le monde voulait un accord entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur les objectifs de la négociation agricole, mais sa conclusion a ensuite déclenché la création du G21. En outre, cet accord était déséquilibré, notamment parce qu'il ne mentionnait pas l'aide alimentaire, les indications géographiques et les prêts de commercialisation américains ou « marketing loans ».

Face au G21 constitué par des pays émergents, s'est ensuite créé le G90 associant les pays les plus pauvres défavorables au libre-échange, contrairement au G21.

L'ordre du jour prévoyait que les Etats membres devaient se mettre d'accord sur 50 % des sujets de négociations, mais c'est l'agriculture qui a dominé les débats. Quatre visions s'affrontent dans ce domaine : la vision souverainiste de l'Union européenne fondée sur une PAC garantissant l'autosuffisance, l'aménagement du territoire et le maintien des populations rurales ; la vision très libérale du G21, mené par le Brésil qui souhaite une libéralisation totale des échanges agricoles parce qu'il produit cinq fois plus que ce qu'il consomme et a remporté à Cancún une victoire politique mais pas une victoire économique ; la vision des Etats-Unis en faveur d'une politique agricole forte et très exportatrice, contrairement à l'Union européenne qui a diminué ses exportations, notamment de 5 millions de tonnes pour les céréales, non au profit des pays les plus pauvres comme elle le croyait naïvement, mais au profit de la très riche Australie ; enfin, la vision beaucoup plus protectionniste du G90 souhaitant prioritairement atteindre l'autosuffisance alimentaire et bénéficier par ailleurs de préférences commerciales accordées par les pays développés.

L'organisation des débats à l'OMC prévoit une discussion par groupes de travail, aboutissant chacun à une synthèse rédigée par un facilitateur, puis une réunion des facilitateurs pour élaborer une synthèse globale. Au bout de quatre jours de discussions, les propositions ont été ressenties comme très libérales. Elles ne prenaient pas en compte la sécurité alimentaire ni le développement rural. De plus, la situation, des pays exportateurs nets comme le Brésil n'était pas distinguée de celle des pays à déficit alimentaire. Enfin, les propositions sur le coton qui offraient aux pays les plus pauvres d'arrêter la production et de les indemniser pour faire autre chose ont été ressenties par eux comme une humiliation.

Comment relancer la négociation ?

On ne pourra le faire que si l'on prend en compte les pays les plus fragiles, comme le propose le Président de la République pour l'Afrique.

Mais il n'est pas possible de répondre maintenant tant qu'on ne sait pas s'il y a une volonté de négocier un compromis de la part de l'ensemble des 148 pays, alors qu'un seul peut tout bloquer.

L'OMC est certainement l'endroit le plus démocratique pour relancer cette négociation, mais plusieurs questions se posent.

Une différenciation au sein des pays en développement paraît nécessaire, car le Brésil ou encore Singapour dont le revenu par habitant est supérieur à celui de la France, ne peuvent se comparer au Bénin. Or, à l'heure actuelle, un pays en développement est considéré comme tel à l'OMC dès lors qu'il revendique ce statut.

Une discrimination positive pour les plus pauvres est également indispensable. Dans cette perspective, les pays émergents devront faire des efforts pour prendre en compte les intérêts des plus pauvres.

Des accords géographiques au niveau de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie constituent peut-être une solution et un préalable, éventuellement, à un accord global. Cela a été la voie choisie par l'Europe et c'est celle qu'est en train d'emprunter l'Asie orientale depuis Cancún.

Des accords par catégories de pays en fonction de la richesse de chacun serait peut-être également une voie à explorer.

L'Union européenne est, en tout état de cause, attachée au multilatéralisme parce qu'il introduit de l'humanisme et de la régulation dans les échanges, plutôt qu'au bilatéralisme dans lequel le plus faible y perd toujours.

Elle tient beaucoup aux sujets de Singapour et à la prise en compte des problèmes environnementaux et sociaux, mais les PMA et les pays en développement y voient une volonté européenne et américaine de protectionnisme. La question qui se pose alors est d'organiser des négociations à la carte, autorisant les PMA à ne pas souscrire à certains engagements.

En conclusion, il n'y a pas de réponses toutes faites au stade actuel. Apporter des réponses immédiates risquerait au contraire de bloquer un processus alors qu'il faut d'abord déterminer quelle est la volonté des différentes parties de négocier pour aboutir à un compromis satisfaisant pour tous.

M. Jacques Myard a estimé que le système des négociations commerciales multilatérales était profondément grippé mais que l'on n'en avait pas véritablement tiré les conclusions. Il a considéré que la démarche de l'OMC s'apparentait - toutes choses étant égales par ailleurs - à celle des 35 heures en France, une démarche globale et non différenciée ambitionnant de régler la diversité économique. L'échec de Cancún a montré qu'il n'était pas possible de faire face à la multiplicité du monde et à des situations géostratégiques à travers un cadre unique.

Il faut abandonner une approche utopique qui ne ferait qu'exacerber les inégalités. On ne peut, par exemple, pas régler la question de l'aide au développement à l'OMC. Il faut distinguer les problèmes et s'orienter vers un « multibilatéralisme ». Les autres organismes spécialisés des Nations unies, qui - comme, par exemple, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) pour les brevets sur les médicaments - ont été victimes d'une sorte de « captation » par l'OMC, doivent retrouver davantage d'allant.

M. Jérôme Lambert s'est dit en accord avec cette approche. La mondialisation doit prendre en compte la multiplicité des situations. Il faut récuser une démarche qui tiendrait à mettre une « chape de plomb » sur les diversités économiques et culturelles. Il est néanmoins nécessaire de conclure des accords, mais on peut craindre que l'approche de l'OMC ne soit pas en mesure d'y parvenir.

M. Jean-Claude Lefort a jugé que l'on commettrait une grave erreur d'analyse si l'on considérait que l'échec de Cancún s'insérait dans une succession normale d'échecs et de succès des négociations commerciales multilatérales. Il ne faut pas banaliser ce qui s'est passé à Cancún. La conférence de Doha a constitué une exception, liée au contexte très particulier de l'« après 11 septembre ». On a cru que les portes étaient ouvertes pour traiter sur le fond des vingt-deux sujets prévus pour les quatre ans du nouveau cycle de négociation. En réalité, une situation de frustration s'est développée dès avant Seattle vis-à-vis de la logique même de l'OMC. L'effet positif de la libéralisation des échanges sur la croissance et l'emploi n'a pas été prouvé. Si la masse globale des richesses s'est accrue, le fossé entre les riches et les pauvres s'est aggravé, à part quelques exceptions notables. Le dogme même de l'OMC est par conséquent contestable. Ce ne sont pas les mouvements altermondialistes qui ont fait échouer les conférences de Seattle et de Cancún, c'est la protestation des pays du Sud vis-à-vis du traitement qui leur est réservé.

Il a par ailleurs estimé que l'accord sur l'agriculture conclu par l'Europe avec les Etats-Unis en plein mois d'août avait constitué une faute politique. Cet accord a irrité les pays du Sud et a donné l'impression que l'Europe s'associait au modèle libéral défendu par les Etats-Unis. Le fait que l'accord porte sur le secteur sensible qu'est l'agriculture - secteur qui fait vivre la moitié de la planète - a contribué à exacerber les réactions négatives. C'est le « ras-le-bol » politique qui a été le ciment des pays du Sud à Cancún, plus qu'une communauté réelle d'intérêts.

En ce qui concerne les sujets dits « de Singapour », M. Jean-Claude Lefort s'est dit défavorable à la réintroduction dans le programme des négociations du thème « commerce et investissement », dont il a considéré qu'elle n'était soutenue en France que par le MEDEF.

Il a considéré que le rôle de l'OMC devait être remis en question. On ne peut considérer le développement sous un angle exclusivement marchand. Par exemple, les enjeux de l'agriculture vont au-delà d'une approche qui ne serait qu'économique et commerciale. Si le libre-échange représentait un bien en soi, le Brésil aurait raison et le modèle social européen serait faux. On ne peut en réalité subventionner la mise en place, au niveau international, de jachères agricoles et assurer un traitement social différencié des conséquences d'une libéralisation des échanges. Il faut « dégraisser » l'OMC et la ramener à sa mission initiale, tout en revalorisant les autres organismes spécialisés de l'ONU.

M. Jean-Claude Lefort a enfin souligné que les politiques devaient être pleinement associés à ce débat. Il s'est ainsi dit favorable à la mise en place d'un « Observatoire de la mondialisation » annoncée par le Président Jacques Chirac, à condition que le Parlement se donne les moyens de suivre politiquement le sujet.

Après avoir salué les convergences de vues au sein de la Délégation, M. Marc Laffineur a estimé que tout le monde convenait qu'il était nécessaire de préserver, sous une forme ou sous une autre, une organisation du commerce mondial. Pour le reste, il est encore trop tôt pour se fixer une nouvelle ligne de conduite, mieux vaut écouter d'abord les messages qui nous parviennent des autres pays. Car l'échec de Cancún ne doit pas être minimisé : certes, les pays pauvres n'ont pas bénéficié de l'augmentation des échanges, puisqu'ils sont moins présents aujourd'hui sur les marchés mondiaux qu'ils ne l'étaient avant Marrakech, mais leurs pratiques politiques, la carence de leurs infrastructures et leur faible développement général expliquent en partie cet état de fait, ce que confirme a contrario la situation des pays émergents, qui ont pu tirer parti de manière appréciable de l'augmentation des échanges.

M. Jacques Myard a observé sur ce point que les échanges ne sauraient se nouer qu'entre pays de niveau culturel globalement équivalent.

Reprenant son propos, M. Marc Laffineur a souligné qu'il n'y avait pas de solution possible sans réglementation des échanges et qu'il fallait réfléchir à une organisation qui rende possible le développement de tous, qui est aussi l'intérêt bien entendu de chacun.

En pratique, les règles commerciales ne doivent pas pouvoir être opposables aux médicaments ou aux produits culturels, mais il est délicat de faire valoir la même exception en faveur de l'agriculture. Si les pays du Nord comme les pays pauvres sont fondés à revendiquer pour eux l'autosuffisance alimentaire, il n'en demeure pas moins qu'elle barre toute possibilité de développement aux pays émergents agricoles, qu'elle prive de débouchés.

A propos des médicaments, tout le monde est attaché à ce que tous les hommes puissent se soigner, particulièrement lorsqu'ils sont atteints de maladies graves. L'absence d'accord pouvait faire naître une indignation légitime chez ceux qui n'avaient pas pris conscience que des pays tels que l'Inde entendent tirer profit des nouvelles dispositions pour développer leurs propres productions à la place des pays pauvres qui en sont incapables. Car il est difficile de faire abstraction des enjeux financiers considérables que recouvre la question de la santé.

Dans le domaine du textile, la proposition de conclusions suggère une nouvelle baisse des droits de douane parce que l'industrie française souffre beaucoup des tarifs très élevés qui sont imposés à ses exportations par certains pays émergents, qui inondent nos marchés de confections à basse valeur ajoutée mais freinent les échanges de confections à haute valeur ajoutée, où réside précisément l'avantage comparatif de notre appareil productif.

A l'issue de ce débat, la Délégation a adopté, en les modifiant, les conclusions présentées par le rapporteur, dont le texte figure ci-après :

« La Délégation,

Convaincue de la nécessité de préserver un lieu de négociations commerciales multilatérales stable et équitable, qui repose sur le caractère contractuel des engagements et l'existence d'un système de règlement des différends impartial,

Constatant que les appels à une reprise des négociations au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ne cessent de se multiplier,

Considérant que ces négociations doivent avoir pour objectif final de favoriser les échanges de manière ordonnée et différenciée, afin de contribuer à la croissance et à l'emploi,

1.  Souhaite que toutes les conclusions soient tirées de l'échec de la Conférence ministérielle de l'OMC de Cancún, qui témoigne de la difficulté de faire converger sur vingt-deux sujets de négociation les intérêts de pays aux niveaux de développement variés ;

2.  Demande que les négociations soient relancées sur la base de l'ordre du jour agréé par tous les membres de l'OMC à la Conférence de Doha en tenant compte de trois impératifs :

- la reconnaissance d'une responsabilité commune mais différenciée des pays en développement dans la mise en œuvre des accords de l'OMC, à condition qu'elle distingue les pays émergents de ceux faiblement insérés dans le commerce international ;

- l'adoption d'initiatives spécifiques en faveur, d'une part, des pays d'Afrique subsaharienne dont la production de coton est injustement concurrencée sur le marché mondial, et, d'autre part, des pays les moins avancés, dont les préférences commerciales doivent être mieux reconnues par l'OMC ;

- l'inopposabilité des disciplines commerciales aux politiques visant à répondre aux crises sanitaires, à soutenir, à des fins de sécurité alimentaire, d'aménagement du territoire et de développement rural, la production agricole, et créer des biens culturels ;

3.  Rappelle aux membres de l'OMC que le mandat de négociation de Doha repose sur un équilibre pour favoriser les échanges dans un cadre régulé afin de permettre le développement, ce qui implique :

- une réduction des droits de douane sur les produits industriels, qui élimine les pics tarifaires, ouvre les marchés des pays émergents, en particulier dans le secteur textile, et module les engagements des pays en développement en fonction de leur situation ;

- une protection renforcée des indications géographiques, afin de garantir des conditions de concurrence loyales entre les producteurs et l'information des consommateurs ;

- l'ouverture des négociations prévues sur l'investissement, la concurrence, la transparence dans les marchés publics et la facilitation des échanges, en laissant aux membres de l'OMC la possibilité de souscrire aux nouveaux engagements ;

4.  Appelle à une réforme des procédures de négociation au sein de l'OMC, afin de les rendre plus efficaces et transparentes et d'assurer la participation effective des pays pauvres ;

5.  Invite les membres de l'OMC à réfléchir aux moyens juridiques permettant d'assurer la cohérence entre, d'une part, les règles commerciales et, d'autre part, les accords environnementaux multilatéraux et les conventions protégeant les droits fondamentaux de l'homme au travail ;

6.  Demande à l'Union européenne d'adopter une politique de communication forte sur les enjeux du cycle de Doha auprès de ses partenaires en développement, afin d'en faire des alliés dans son combat pour une mondialisation maîtrisée. »

III. Communication de M. Didier Quentin sur la proposition de décision relative au fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL) (E 2391)

Présentant la proposition de décision, M. Didier Quentin, rapporteur, a considéré qu'elle montrait les limites qui entourent le régime international de responsabilité, mais aussi le fait que les avancées intervenues dans le droit maritime international résultent de catastrophes.

Il a rappelé que la proposition avait pour objet d'autoriser les Etats membres, dans l'intérêt de la Communauté, à signer ou à ratifier le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL).

Ce protocole crée une sorte de troisième niveau, qui s'ajoutera aux deux autres niveaux sur lesquels le régime international d'indemnisation reposait jusqu'à présent.

Le premier niveau est celui de la responsabilité du propriétaire du navire, qui est régie par la convention dite CLC (Civil liability convention), convention internationale de 1969 sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures. Elle instaure une responsabilité objective du propriétaire, indépendante de toute faute ou négligence de sa part. Il est, en principe, autorisé à limiter sa responsabilité à un montant en rapport avec le tonnage du navire. Ce montant s'élève actuellement à 72 millions d'euros au maximum pour les plus gros navires.

Le régime CLC est complété par le FIPOL, lequel peut être saisi dans trois cas : lorsque les dommages dépassent la responsabilité maximale du propriétaire ; lorsque ce dernier peut invoquer des cas d'exonération prévus dans la convention CLC ; ou lorsque le propriétaire est dans l'impossibilité matérielle de remplir ses obligations. Le plafond de l'indemnisation s'élève à 162 millions d'euros. Il est financé notamment par les compagnies pétrolières et, en cas de dommages, les entités concernées contribuent à l'indemnisation à condition qu'il soit prouvé que le dommage a été causé par un pétrolier. Les victimes peuvent introduire leur demande d'indemnisation directement auprès du FIPOL. Si le total des demandes jugées recevables dépasse le plafond, elles sont toutes réduites en proportion. Les requérants peuvent aussi saisir les tribunaux de l'Etat où les dommages se sont produits. Le rapporteur a fait observer que la catastrophe de l'Erika avait montré que les plafonds d'indemnisation étaient trop bas. C'est pourquoi un groupe de travail a été mis en place par le Fonds FIPOL pour étudier les possibilités d'améliorer les mécanismes existants. Il a proposé la création d'un fonds complémentaire facultatif, qui a fait l'objet d'un projet de protocole. Celui-ci a été adopté par une conférence diplomatique de l'OMI le 16 mai 2003 à Londres. Le Fonds complémentaire, qui est étroitement lié au FIPOL, puisque la participation à ce dernier conditionnera l'acceptation du protocole, pourra indemniser à hauteur de 920 millions d'euros, soit un milliard de dollars.

M. Didier Quentin a noté que ce dispositif était comparable à celui que la Commission avait proposé dans un projet de règlement. Le Fonds européen complémentaire
- dit Fonds COPE - était ainsi destiné à indemniser les victimes des marées noires survenues dans les eaux européennes, qui ne pourraient pas être indemnisées au titre du FIPOL du fait du jeu des plafonds trop bas. Il a rappelé que le Conseil « Transports » de juin 2003 avait toutefois préféré défendre une approche commune à l'OMI (Organisation maritime internationale) en ce qui concerne, d'une part, la mise en place d'un troisième niveau de compensation et, d'autre part, l'engagement des Etats parties aux conventions CLC et FIPOL à y participer.

Abordant le dispositif de la proposition de décision, le rapporteur a relevé qu'elle était justifiée, par le fait qu'il n'existe pas de mécanisme communautaire d'indemnisation des victimes de marées noires. En outre, le protocole relatif au Fonds complémentaire contient des dispositions concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions relatives à l'application de la convention, qui ont des incidences sur un règlement n° 44/2001. Celui-ci définit des règles communes en ce qui concerne la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

C'est pourquoi, en vue de rendre compatibles les dispositions du protocole avec celles du règlement (CE) n° 44/2001, la Commission a demandé au Conseil de lui donner mandat pour négocier certaines parties du protocole. A ce titre, la Commission a soumis une proposition à la conférence diplomatique, qui a pour objet de permettre aux Etats membres de concilier le respect de la législation communautaire et les obligations du protocole, ce que la conférence diplomatique a accepté. La proposition de décision est donc destinée à préserver les intérêts de la Communauté en matière de compétence externe tout en permettant aux Etats membres de ratifier le protocole. C'est pourquoi le Conseil doit arrêter une décision autorisant les Etats membres à y procéder.

M. Didier Quentin a indiqué que la présidence italienne avait repoussé la date limite de signature ou de ratification à juin 2004 à la demande de certains Etats, alors que la France a proposé de retenir février 2004, en vue de tenir compte du délai dont le Parlement européen doit disposer pour l'examen de la proposition.

En conclusion, il a déclaré se réjouir du relèvement du plafond d'indemnisation et du rôle - fût-il indirect - joué par l'Union. Pour autant, il a déploré que les victimes du Prestige ne puissent en bénéficier, en l'absence de rétroactivité du dispositif. En outre, il a estimé que le système de réparation international, s'il était nécessaire, ne suffisait toutefois pas à faire respecter le principe pollueur-payeur, invoquant le fait que les dommages subis par les seules victimes espagnoles du Prestige sont évalués à 5 milliards d'euros, ce qui montre la nécessité d'instaurer un véritable système de sanctions, notamment pénales.

M. Edouard Landrain a regretté que la proposition de décision du Conseil ne prévoie aucune mesure de solidarité européenne en matière de prévention, et a mentionné : l'acquisition de remorqueurs à forte puissance ; la propriété commune de navires dépollueurs ; l'inspection des navires dans les grands ports européens.

Le rapporteur s'est associé aux observations formulées par son collègue tout en faisant valoir qu'elles n'étaient pas directement liées à l'objet du texte.

M. Jacques Myard a estimé qu'il revenait aux Etats membres, et non à l'Union d'agir dans ce domaine. S'il est plus que souhaitable de ratifier le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création du FIPOL, rien ne justifie que cela se fasse sur le fondement d'une proposition européenne. Car la compétence externe de l'Union, c'est l'effacement de la France. Il s'est ainsi déclaré favorable sur le fond, mais en désaccord sur la forme en raison d'une violation manifeste du principe de subsidiarité.

Le Président Pierre Lequiller a précisé qu'en l'espèce, les difficultés constatées proviennent en grande partie de la carence des Etats dans la mise en œuvre des directives et règlements communautaires.

Sur la proposition du rapporteur, la Délégation a approuvé la proposition de décision, sous réserve des conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de décision autorisant les Etats membres à signer ou à ratifier, dans l'intérêt de la Communauté européenne, le protocole de 2003 à la convention internationale de 1992 portant création d'un Fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, ou à y adhérer, et autorisant l'Autriche et le Luxembourg à adhérer, dans l'intérêt de la Communauté européenne, aux instruments de référence [COM (2003) 532 final/Document E 2391],

Considérant qu'il importe que la réforme du régime international des dommages causés par la pollution due aux hydrocarbures préconisé par le Protocole susvisé entre en vigueur le plus rapidement possible ;

Considérant que, compte tenu des conditions requises par l'article 21 du Protocole susvisé, les Etats membres peuvent à eux seuls donner effet à ce dernier ;

1. Regrette que la Présidence du Conseil ait proposé de reporter à juin 2004 la date limite à laquelle les Etats membres sont tenus de signer ou de ratifier le Protocole ;

2. Demande aux autorités françaises d'obtenir du Conseil de fixer cette
date-limite à février 2004.
 »

IV. Communication de M. Guy Lengagne sur les propositions relatives à l'introduction de sanctions en cas d'infractions de pollution maritime (E 2244 et E 2291)

M. Guy Lengagne, rapporteur, a fait part de son inquiétude quant à la volonté des Etats membres de se doter d'un tel dispositif de sanctions, notamment pénales, en cas de pollution causée par les navires, avant la fin de l'année, conformément aux conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 20 et 21 mars 2003. Il a considéré que cette attitude résultait du fait que s'estompaient l'émotion et la pression médiatique qu'avait suscitées le naufrage du Prestige.

Il a estimé que si l'évolution récente des discussions confirmait une telle impression, celle-ci était déjà apparue lorsque le 28 mai 2003 la Délégation a examiné la proposition de directive.

Rappelant le contenu de cette dernière, il a indiqué que la proposition érigeait en infraction pénale les rejets effectués en violation du droit communautaire et prévoit que des sanctions, notamment pénales, seront infligées aux personnes reconnues coupables d'un tel acte ou d'y avoir contribué, intentionnellement ou par négligence grave. En ce qui concerne les personnes physiques, les sanctions peuvent aller, dans les cas les plus graves, jusqu'à des peines privatives de liberté. Ce texte a soulevé d'emblée de fortes réserves, car il a été jugé comme n'étant pas pleinement conforme aux exigences du droit communautaire ou à celles du droit international.

Sur le premier point, les Etats membres ont posé la question de la base juridique, en contestant que la Commission puisse recourir à une directive pour définir le régime des sanctions pénales, matière qui, selon les Etats membres, relève du troisième pilier. C'est pourquoi, la Commission a présenté le 2 mai 2003 une proposition de décision-cadre qui a pour objet de préciser les modalités d'application de la proposition de directive.

En second lieu, à divers égards, la proposition de directive va au-delà des conventions internationales - par exemple la convention MARPOL - en incluant dans son champ d'application les pollutions provenant des avaries.

Pour cet ensemble de raisons, mais également parce que la proposition de décision-cadre n'avait pas encore été transmise officiellement à l'Assemblée nationale, la Délégation, avait décidé de procéder à un examen plus approfondi.

Abordant l'évolution des discussions au plan communautaire, le rapporteur a déclaré, d'une part, que les travaux au sein du Conseil étaient d'autant plus complexes que la controverse sur la base juridique est vive, et, d'autre part, que le Parlement européen avait voté des amendements qui pouvaient avoir pour effet de retarder l'adoption de la proposition de directive.

Evoquant le débat d'orientation du 9 octobre 2003 qui s'est déroulé au sein du Conseil « Transports », il a relevé que sur la quasi-totalité des points qui ont été alors abordés, des désaccords sont apparus soit entre Etats membres, soit entre ces derniers et la Commission. Il a indiqué que lors de son entretien avec M. François Lamoureux, directeur général des transports et de l'énergie des services de la Commission, ce dernier avait déploré que, pour des raisons purement idéologiques, tous les Etats membres aient invoqué la nécessité de recourir à une proposition de décision-cadre, alors que l'article 80, paragraphe 2, du Traité, relatif aux mesures que le Conseil peut prendre pour la navigation maritime et aérienne, constitue la base juridique, qui autorise la Commission à imposer aux Etats membres l'obligation d'édicter des sanctions pénales. Au demeurant, il existe déjà diverses réglementations communautaires, en particulier dans le cadre de la politique commune de la pêche, qui prévoient les sanctions applicables à l'encontre des personnes physiques ou morales.

En revanche, certains Etats membres - dont la France - reprochent à la Commission d'avoir non pas apaisé le débat sur la base juridique mais au contraire de l'avoir avivé en feignant d'ignorer la distinction entre les premier et troisième piliers.

Dans ce contexte, M. Guy Lengagne s'est demandé si le texte que la Présidence italienne a présenté et dont le groupe de travail a entamé l'examen le 11 novembre dernier, était de nature à introduire des avancées. Ce texte prévoit principalement deux séries de modifications :

- à l'article 5, relatif aux mesures que les Etats membres peuvent prendre à l'encontre des navires en transit suspectés d'avoir procédé à des rejets illégaux, le dispositif proposé pourrait permettre une interprétation uniforme au sein de l'Union européenne des dispositions du droit international contenues dans la Convention MARPOL et dans les articles 218 et 220 de la Convention sur le droit de la mer. Ces articles définissent les pouvoirs respectifs de l'Etat du port et ceux de l'Etat côtier en cas de rejet effectué au-delà des eaux intérieures, de la mer territoriale et de la zone économique exclusive. En second lieu, la nouvelle rédaction de l'article 5 impartit diverses obligations aux Etats membres, alors que les articles 218 et 220 ne mettent que des recommandations à leur charge. En ce qui concerne l'article 6, relatif aux sanctions, que le groupe de travail n'a pu encore examiner, le rapporteur a noté que la référence aux peines privatives de liberté avait été supprimée et est remplacée par un renvoi aux sanctions, y compris les sanctions pénales conformément aux dispositions du droit national. En outre, le texte de la Présidence italienne, du fait des demandes exprimées par certains Etats membres qui ont invoqué la nécessité de leur transfert dans la proposition de décision-cadre, ne reprend pas les dispositions du cinquième paragraphe, qui définit les sanctions applicables aux personnes physiques et morales.

M. Guy Lengagne a déclaré que la Commission, avait salué la volonté de la Présidence de traiter la question des sanctions dans le cadre du premier pilier, tout en estimant, d'une part, qu'il faudra attendre les résultats de la réunion du groupe de travail du 21 novembre 2003, pour connaître la réaction des Etats membres sur l'article 6 relatif aux sanctions. D'autre part, la Commission regrette que le texte de la Présidence fasse allusion à la proposition de décision-cadre : c'est ainsi que les dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 4, relatifs aux mesures d'application en ce qui concerne les navires dans un port d'un Etat membre, ont été supprimées, la Présidence suggérant de les transférer dans la proposition de décision-cadre.

Evoquant ensuite les discussions sur la proposition de décision-cadre, le rapporteur a rappelé que le texte présenté par la Commission le 2 mai 2003 visait à introduire des dispositions plus détaillées sur les sanctions à prévoir, ainsi que des dispositions relatives à la compétence juridictionnelle et à la coopération entre Etats membres dans la lutte contre les infractions visées. Soulignant les difficultés auxquelles se heurtent les discussions, il a indiqué qu'il apparaissait très délicat de poursuivre l'examen de la plupart des questions techniques qui restent à régler, tant qu'un accord n'interviendrait pas sur la proposition de directive, puisque les deux instruments sont étroitement liés. En outre, il a relevé que les positions adoptées par de nombreux Etats membres au cours des réunions du groupe de droit pénal matériel du mois d'octobre 2003 avaient pour effet de limiter la portée du texte. C'est pourquoi, en vue de prévenir l'adoption de dispositions restrictives, il a souligné que la France avait présenté des amendements qui ont notamment pour objet de préciser clairement dans quelles conditions les peines d'emprisonnement sont applicables ou encore d'envisager l'application de peines d'emprisonnement pour tous les faits commis par les navires de l'Union européenne.

Quant aux débats du Parlement européen, M. Guy Lengagne a relevé que, s'agissant de la proposition de directive, il a jugé positifs certains amendements adoptés, comme celui qui vise à inclure les autorités portuaires, ou autres autorités responsables, dans le cercle des personnes responsables. En revanche, il s'est interrogé sur l'opportunité d'un autre amendement qui invite la Commission à présenter dans un délai de six mois, suivant l'entrée en vigueur de la directive, une proposition visant à la création d'un corps européen de gardes-côtes. Il a émis la crainte qu'un tel amendement, compte tenu de l'opposition probable de la Commission et du Conseil - n'ait pour effet de retarder davantage l'adoption de la proposition de directive, d'autant que le vote en séance plénière ne devrait intervenir qu'au mois de janvier, le Parlement européen attendant les résultats du Conseil « Transports » du 4 décembre 2003.

En ce qui concerne la proposition de décision-cadre, le rapporteur a rappelé que le Parlement européen était simplement consulté pour avis. Il a observé que les amendements adoptés pourraient avoir pour effet de rendre plus difficile la coordination avec la décision-cadre du 27 janvier 2003 relative à la protection de l'environnement par le droit pénal.

En conclusion, le rapporteur a déploré que l'évolution des débats au sein du Conseil aille à l'encontre des efforts menés par l'Assemblée nationale et la Commission en vue de renforcer la sécurité maritime dans l'Union européenne. Sans méconnaître les difficultés d'ordre juridique posées par la proposition de directive au regard du droit communautaire, il a néanmoins souligné, en citant plusieurs exemples, que les avancées du droit maritime résultaient souvent d'entorses à ce dernier. En vue de prévenir l'enlisement du débat, il a estimé nécessaire que M. Didier Quentin et lui-même, puissent être autorisés par la Délégation à s'entretenir à ce sujet avec le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer avant que le groupe de travail ne poursuive - le 21 novembre 2003 - l'examen de la proposition de directive, en particulier l'article 6 relatif aux sanctions.

M. Jacques Myard a précisé que la Cour de justice de l'Union européenne était compétente en cas de difficulté juridique. Il a estimé que le recours à la technique de l'accord international entre les Etats membres serait plus judicieux que l'adoption d'une directive pour prévoir des sanctions pénales. Mais la Commission y est hostile car elle se verrait alors dépossédée de sa compétence externe.

Le rapporteur a réitéré les inconvénients du recours à une décision-cadre qui nécessite l'unanimité des Etats membres. Or la perspective de l'adhésion de Chypre et de Malte le 1er mai 2004 risquerait de compromettre sérieusement son adoption, même s'il est vrai que ces deux pays font preuve de bonne volonté en ce qui concerne les pavillons de complaisance. Il a également mentionné l'existence de précédents, notamment dans le secteur de la pêche, s'agissant de sanctions pénales prévues dans des directives. Pour que les dossiers soient suivis régulièrement, la Commission doit pouvoir exercer un contrôle approprié, ce que ne permet pas l'instrument juridique de la décision-cadre. En outre, le Parlement européen
- qui vient de présenter des amendements intéressants sur le projet de texte - n'est dans ce cas saisi que pour avis, alors qu'il intervient selon la procédure de codécision lorsqu'il s'agit d'une directive. Il a enfin rappelé que le plus grand boulevard maritime du monde se situe devant les côtes françaises ; or il est illusoire de penser que la France a la capacité d'agir seule.

M. Jacques Myard a souligné que la convention des Nations unies sur le droit de la mer donnait à notre pays les moyens d'action adéquats.

M. Didier Quentin a rappelé que la sécurité maritime est le domaine par excellence dans lequel les pays européens ont une obligation de résultat. Il y va de leur crédibilité et de celle de l'Union. Un échec des négociations, dans la perspective proche de l'élargissement, provoquerait, à juste titre, la colère de nos concitoyens.

V. Communication sur le projet de décision-cadre relative au principe « non bis in idem » (E 2236)

M. Daniel Garrigue, rapporteur, a rappelé la signification de la règle « non bis in idem », selon laquelle nul ne peut être poursuivi, jugé ou puni deux fois pour la même infraction. Connu du droit romain, ce principe répond à des préoccupations évidentes de sécurité juridique et d'équité. Son respect est bien assuré au niveau national, à l'intérieur d'un même Etat (c'est-à-dire de manière verticale), mais son application horizontale, entre Etats membres, pose des difficultés. La diversité des règles régissant ce principe dans les différentes conventions internationales applicables et des pratiques nationales divergentes créent en effet une insécurité juridique, qui rend la définition de règles communes indispensables.

La convention de Bruxelles du 25 mai 1987 conclue entre les Etats membres des Communautés européennes et relative à l'application du principe non bis in idem et l'article 54 de la Convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990, comportent des dispositions sur ce sujet. Ces deux textes prévoient cependant de nombreuses exceptions. La première est que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie, ou soit en cours d'exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l'Etat de condamnation. Les trois autres sont facultatives, chaque Etat signataire pouvant décider ou non, par une déclaration déposée lors de la ratification de la convention Schengen, d'en faire application :

- l'Etat partie peut ainsi refuser d'appliquer la règle « non bis in idem » lorsque les faits incriminés ont eu lieu sur tout ou partie de son territoire ;

- il peut déroger au principe pour les infractions contre la sûreté de l'Etat ou contre ses intérêts essentiels ;

- il peut écarter la règle pour les faits ayant été commis par un fonctionnaire de son ressort en violation des obligations de sa charge.

Six Etats membres ont fait une telle déclaration (Finlande, Suède, Danemark, Allemagne, Grèce et Autriche). La France en avait fait une, mais il semblerait, qu'à la suite d'un dysfonctionnement administratif, cette déclaration n'a jamais été transmise au dépositaire de la Convention Schengen (le Luxembourg). Elle est donc dépourvue de toute validité.

Les contours du principe restent, en outre, mal définis :

- La définition du terme « idem » (ou « mêmes faits ») varie selon les Etats membres. La Cour européenne des droits de l'homme elle-même semble hésiter entre deux conceptions. D'après la première, restrictive, le deuxième acte punissable doit faire l'objet de la même qualification juridique que le premier. Selon la seconde, plus large, le deuxième comportement punissable doit résulter des mêmes circonstances ou de circonstances en substance similaires, qu'il fasse ou non l'objet de la même qualification juridique.

- La règle « non bis in idem » ne concerne que les décisions définitives. En conséquence, une procédure déjà engagée, mais non encore définitivement terminée, ne ferait pas obstacle à une autre procédure. Il serait souhaitable de prendre en compte les procédures en cours : c'est ce que l'on appelle l'effet de litispendance.

- L'expression « définitivement jugée » employée par l'article 54 de la Convention Schengen peut faire l'objet de plusieurs interprétations. La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi eu à se prononcer récemment sur l'application de l'article 54 aux transactions pénales éteignant l'action publique. La Cour a répondu par l'affirmative, en dépit du fait qu'aucune juridiction ne soit intervenue et que la décision prise ne revête pas la forme d'un jugement. Elle a en effet jugé que la Convention Schengen ne subordonne l'application du principe « non bis in idem » à aucune condition de procédure ou de forme de ce type.

L'adoption de règles communes harmonisant l'application du principe « non bis in idem » est donc indispensable. L'Europe judiciaire repose sur le principe de reconnaissance mutuelle, qui a pour objectif qu'une décision pénale rendue par une autorité d'un Etat membre soit exécutée par les autorités d'un autre Etat membre comme si cette décision avait été rendue dans ce dernier. Le Conseil européen de Tampere, en octobre 1999, a fait de ce principe la « pierre angulaire » de l'espace judiciaire européen, et le projet de Constitution européenne envisage de le constitutionnaliser. Cette reconnaissance mutuelle repose sur la confiance réciproque des Etats membres dans leur système de justice pénale, et a notamment pour corollaire l'application du principe « non bis in idem ». Les pratiques divergentes dans l'application de cette règle doivent par conséquent être supprimées, et les exceptions qui peuvent lui être apportées réduites, dans la mesure compatible avec nos exigences constitutionnelles. La perspective d'une « constitutionnalisation » de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et notamment de son article 50, invite également à progresser en ce sens.

La proposition de décision-cadre déposée par la Grèce le 13 février 2003 a pour objectif de parvenir à une application uniforme du principe « non bis in idem ». Elle remplacerait, à cette fin, les articles 54 à 57 de la Convention Schengen.

Le projet, dans sa version initiale, prévoyait ainsi, par rapport au droit actuel :

- de prendre en compte la litispendance, définie comme la situation née du fait que des poursuites ont été engagées contre une personne dans un Etat membre et n'ont pas encore abouti à un jugement. Dans cette hypothèse, la procédure pénale engagée dans un autre Etat membre serait suspendue d'office ;

- d'adopter la définition la plus large donnée par la Cour européenne des droits de l'homme des « mêmes faits », c'est-à-dire quelle que soit leur qualification juridique ;

- de supprimer l'exception territoriale, qui permet à un Etat de refuser d'appliquer la règle « non bis in idem » lorsque les faits incriminés ont eu lieu sur tout ou partie de son territoire ; les autres exceptions prévues par la Convention Schengen étant en revanche maintenues, sur déclaration.

La rédaction de la proposition a, depuis, été considérablement améliorée :

- la notion de « décision définitive » a ainsi remplacé celle de « jugement », afin de prendre en compte les procédures mettant fin à l'action publique sans qu'une juridiction ne soit nécessairement intervenue.

- La subordination de l'application du principe « non bis in idem » à l'exécution de la sanction imposée a été maintenue, mais l'Etat membre souhaitant engager de nouvelles poursuites devra privilégier l'exécution de la sanction déjà prononcée, soit en demandant un transfert de son exécution, soit en remettant la personne condamnée à l'Etat de condamnation. Ce n'est que si un transfert de l'exécution ou une remise de la personne ne sont pas possibles que de nouvelles poursuites pourront être engagées.

- Les règles relatives à la litispendance ont été contestées, en raison notamment de l'absence de hiérarchisation des critères permettant de désigner l'Etat du for. Il a été convenu de maintenir cet article, les critères étant facultatifs, et d'adopter une déclaration du Conseil invitant la Commission à déposer une proposition plus complète sur le sujet.

Certains points doivent cependant encore être clarifiés. Le gouvernement français pose le problème de la constitutionnalité du projet de décision-cadre. Dans une décision du 17 juillet 1980, le Conseil constitutionnel a rappelé la règle, qui découle du principe de la souveraineté nationale, selon laquelle les autorités judiciaires françaises sont seules compétentes pour accomplir en France les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire en matière pénale. Le gouvernement français en conclut que la jurisprudence constitutionnelle exige que toutes les exceptions existantes au principe « non bis in idem » soient maintenues.

Cette interprétation n'est pas absolument certaine. Plusieurs éléments plaident en effet en faveur de la conformité à la Constitution d'une suppression éventuelle de certaines des exceptions actuelles :

- la Convention Schengen a été soumise au Conseil constitutionnel en 1991 et celui-ci n'a relevé aucune inconstitutionnalité ni émis de réserve d'interprétation concernant les dispositions relatives au principe « non bis in idem », alors que la France n'avait, à l'époque, pas encore déposé - ni même, à notre connaissance, envisagé de déposer - de déclaration au titre de l'article 55 ;

- en l'espèce, la souveraineté nationale doit se concilier avec un autre principe constitutionnel, le principe de nécessité des peines, auquel le Conseil d'Etat rattache la règle « non bis in idem » (avis du 29 février 1996) ;

- une convention ratifiée par la France exclut déjà le jeu de l'exception territoriale : la convention sur les stupéfiants du 30 mars 1961, et la Cour de cassation l'a d'ailleurs interprétée comme conférant l'autorité négative de la chose jugée à une décision étrangère alors même qu'un trafic de stupéfiants a eu lieu en France ;

- la révision constitutionnelle du 17 mars 2003 a habilité le législateur à fixer les règles relatives au mandat d'arrêt européen. La règle « non bis in idem » fait partie des motifs obligatoires de refus d'exécution d'un mandat d'arrêt européen. La présente décision-cadre précise la définition de ce principe entre les Etats membres et sa transposition entre dès lors dans le champ d'habilitation de l'article 88-2 modifié de la Constitution, qui ne se limite pas à la décision-cadre du 13 juin 2002.

Aucun de ces éléments n'est, à lui seul, déterminant, mais leur combinaison conduit cependant à s'interroger sur l'interprétation a contrario qui a été faite de la décision du 17 juillet 1980. Une clarification des contraintes constitutionnelles existant en la matière serait donc opportun. La saisine du Conseil d'Etat par le gouvernement de la conformité à la Constitution de la suppression des exceptions envisagées, en application de la circulaire du Premier ministre du 30 janvier 2003, permettrait d'opérer une telle clarification.

Au-delà se pose la question de la maturité de ce projet de décision-cadre. Soutenue par de nombreuses délégations, le gouvernement français a obtenu que l'exception territoriale soit rétablie. Mais le compromis proposé par la présidence n'est pas pleinement satisfaisant pour la délégation française :

- l'exception relative aux « autres intérêts essentiels », permettant d'exclure l'application du principe « non bis in idem » pour les infractions portant atteinte à ces intérêts, a été supprimée ;

- une « clause de révision renforcée » a été introduite, aux termes de laquelle le Conseil, dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur de la décision-cadre, décidera de proroger ou non l'article permettant de maintenir des exceptions au principe « non bis in idem » ;

- seuls les Etats membres ayant fait une déclaration lors de la ratification de la Convention Schengen pourront faire une déclaration leur permettant de maintenir les exceptions prévues. C'est cette disposition qui a mis en évidence que la déclaration française relative à la Convention Schengen n'a jamais été transmise au dépositaire de la Convention. La France serait par conséquent dans l'impossibilité de faire une déclaration au titre de la décision-cadre.

La délégation française souhaite donc :

- que la possibilité de faire une déclaration soit offerte à tous les Etats membres, sans que leur situation au regard de la Convention Schengen ne soit prise en compte ;

- que l'exception relative à l'atteinte « aux autres intérêts essentiels » soit rétablie ;

- que la « clause de révision renforcée » figurant à l'article 8 du projet ne soit pas une clause de caducité, et invite seulement à une évaluation de la situation par le Conseil dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur de la décision-cadre.

M. Daniel Garrigue a indiqué partager largement la position de la délégation française. Il lui apparaît qu'une discussion plus approfondie entre les Etats membres permettrait de rapprocher et de clarifier les positions. En particulier, des progrès pourraient être réalisés sur l'exception territoriale, laquelle paraît restreindre beaucoup la notion d'espace judiciaire européen, et permettre peut-être de renoncer à celle-ci. De même, l'exception concernant les infractions commises par les fonctionnaires mérite d'être encore discutée.

Par contre, les exceptions relatives aux infractions contre la sûreté de l'Etat devraient pouvoir continuer à être invoquées. La limitation de la possibilité de déposer une déclaration aux seuls Etats qui en ont fait une dans le cadre de la Convention de Schengen créerait une profonde asymétrie entre Etats membres, et la procédure de révision renforcée gagnerait à être assouplie pour permettre une évaluation sereine, le moment venu.

M. Jacques Myard a observé que si le principe « non bis in idem » était universellement reconnu, on avait eu chaque fois les plus grandes difficultés à le définir, compte tenu de la diversité des réglementations nationales existantes. Il a souhaité savoir si le projet de décision-cadre visait seulement la convention de Schengen ou avait une portée plus vaste.

Le rapporteur a confirmé que le champ d'application du projet de décision-cadre était plus large que celui de la convention de Schengen.

A la suite de ce débat, la Délégation a adopté les conclusions suivantes :

« La Délégation,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le projet de décision-cadre relative à l'application du principe « non bis in idem » (6356/03/n° E 2236),

1. Se félicite de la volonté de renforcer la portée de la règle « non bis in idem », corollaire du principe de reconnaissance mutuelle, exprimé par cette proposition, grâce à la prise en compte des procédures mettant fin à l'action publique sans qu'une juridiction soit nécessairement intervenue et à la définition privilégiant la notion de « mêmes faits » quelle que soit leur qualification juridique.

2. Recommande que le champ d'application de la décision-cadre soit précisé, en clarifiant la définition des « décisions définitives » visées à l'article 1er.

3. Approuve l'invitation adressée à la Commission européenne de déposer une proposition plus complète sur la litispendance.

4. Souhaite que la question du maintien de l'exception territoriale, qui limite fortement la notion d'espace judiciaire européen, fasse l'objet d'un débat approfondi avec les autres Etats membres.

5. Estime par contre que les exceptions à la règle « non bis in idem » jugées nécessaires à la préservation des conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale soient maintenues.

6. Recommande enfin que la possibilité de faire une déclaration soit ouverte à tous les Etats membres, qu'ils en aient ou non déjà fait une dans le cadre de la Convention d'application de l'accord de Schengen, et que la clause de « révision renforcée » prévue par le projet soit atténuée dans sa portée, pour permettre une véritable évaluation du dispositif de la décision-cadre. »