LE GRENELLE DE L'ENVIRONNEMENT

 Actes des

« TABLES RONDES
SUR LE GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT »


JEUDI 24 JANVIER 2008

***

 organisées sous le haut patronage et en présence
de M. Bernard ACCOYER,

Président de l’Assemblée nationale

A l'initiative conjointe de :

M. Christian JACOB

 Président de la délégation de l’Assemblée nationale à l’aménagement et au développement durable du territoire

M. Pierre LEQUILLIER

 Président de la délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne

M. Patrick OLLIER

 Président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

   

SOMMAIRE

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Ouverture

M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale

M. Jean-Louis Borloo, ministre d’État, ministre de l’écologie, du développement et de l’aménagement durables

DÉBAT GÉNÉRAL SUR L’UNION EUROPÉENNE ET  LA LUTTE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne

M. Nicolas Théry, conseiller principal à la Direction générale « Environnement » de la Commission européenne

Mme Françoise Grossetête, membre de la commission temporaire du changement climatique au Parlement européen

Première table ronde commune sur le Grenelle de l’environnement : 
 adaptation des logements au réchauffement climatique

M. Christian Jacob, président de la délégation de l’Assemblée nationale à l’aménagement et au développement durable du territoire

Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable

M. Philippe Pelletier, président du conseil d'administration de l'ANAH

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière, filiale de la Caisse des dépôts et consignations

M. Éric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier

M. Philippe Chanal, directeur général adjoint de la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, représentant la fédération des maires des villes moyennes

Deuxième table ronde commune sur le Grenelle de l’environnement : 
transports et développement durable

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire

M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, commissaire aux transports. (Enregistrement vidéo)

M. Matthias Ruete, directeur général « Énergie et transports » à la Commission européenne

M. Guillaume Pépy, directeur général exécutif de la SNCF

M. André Douaud, directeur technique du Comité français des constructeurs automobiles

M. François Bordry, président de Voies navigables de France.

CLÔTURE DES Débats

M. Dominique Bussereau, secrétaire  d’État aux transports.

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OUVERTURE

M. BERNARD ACCOYER

PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

 

Monsieur le Ministre d’État, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Chers amis,

Je suis très heureux de vous accueillir ici à Lassay et d’ouvrir avec vous ce matin cette table ronde du Grenelle de l’environnement.

A travers l’aventure du Grenelle, nous avons pris conscience, collectivement, de nos responsabilités.

Nous avons pris conscience de la nécessité de repenser notre rapport à la nature, de réfléchir ensemble à une nouvelle forme de croissance, de production et de consommation.

Réfléchir ensemble, c’est réfléchir avec le Parlement.

La représentation nationale ne saurait être tenue écartée de ce grand débat, qui, plus qu’aucun autre sans doute, met en cause notre avenir. Je me réjouis qu’après le temps des consultations et des propositions, vienne celui de la législation, celui du Parlement.

L’Assemblée nationale, comme le Sénat, ont suivi attentivement les travaux du Grenelle de l’environnement. D’abord parce que plusieurs de nos collègues parlementaires y ont participé. Ensuite par le débat sur les suites du Grenelle qui a été organisé dans l’Hémicycle début octobre. Enfin grâce aux « Groupes de suivi », constitués dans les deux assemblées et travaillant de concert, qui ont mené de nombreuses  auditions.

Je tiens, à cet égard, à féliciter Patrick Ollier, Christian Jacob et leurs collègues. C’est grâce à eux que le Parlement  dispose aujourd’hui de l’information nécessaire pour bien légiférer.

Le Grenelle de l’environnement a été l’occasion d’un large et profond débat. La confrontation des personnes, des idées, des projets, parfois contradictoires, a permis de créer une dynamique incontestable en faveur de l’environnement. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Mais la démocratie participative ne saurait remplacer la démocratie représentative, qui seule fonde et garantit notre République. C’est désormais aux représentants de la nation qu’il revient de débattre et de trancher. C’est au Parlement qu’il revient de donner à ces propositions toute leur légitimité, et d’élaborer le cadre législatif nécessaire à leur mise en œuvre. C’est à lui qu’il revient de décider et d’engager le pays pour les prochaines décennies – et d’en porter la responsabilité.

Le chantier du Grenelle est vaste et complexe. Permettez-moi ici de formuler trois souhaits :

Le premier :

Que le gouvernement tienne régulièrement informée la représentation nationale de l’état d’avancement des travaux de ces comités et qu’il nous soumette, le plus en amont possible, un avant-projet de loi.

Le deuxième :

Que nous sachions faire la part des mesures législatives et des mesures réglementaires. Les dispositions législatives issues du Grenelle seront sans doute fort nombreuses. Elles iront d’articles de programmation ou d’orientation, à des mesures plus sectorielles. Or, sur ce sujet comme sur d’autres, la loi ne peut tout faire ni tout régler. Je souhaite qu’elle se concentre sur l’essentiel et que nous ne sortions pas de l’aventure du Grenelle de l’environnement par un texte tentaculaire dans lequel nos concitoyens ne retrouveraient plus les attentes exprimées. J’attends une grande loi, par sa qualité, sa clarté et sa sobriété – et non un catalogue sans fin de mesures noyant l’essentiel dans le secondaire.

Le troisième :

Que nous sachions, mes chers collègues, aborder des débats difficiles  - prix du carbone, fiscalité environnementale, réflexion sur notre modèle de croissance, mais aussi représentativité des acteurs associatifs – de manière responsable et pragmatique. N’opposons pas la protection de l’environnement au progrès scientifique, ni au progrès économique. Sachons mettre en œuvre une politique de l’environnement responsable, qui réponde à nos besoins de développement, qui stimule l’investissement dans la recherche, dans l’innovation, dans les nouvelles énergies et technologies, et qui ouvre la voie à une nouvelle croissance.

Cette action législative, nous devons également et résolument la situer dans une perspective européenne.

Vous avez choisi d’inviter – et je vous en félicite – des membres éminents de la Commission européenne, ainsi qu’un de nos parlementaires européens, Madame Françoise Grossetête, que je salue. Cette forte présence européenne, aujourd’hui parmi nous, est emblématique de l’engagement de l’Europe en faveur du développement durable. Elle illustre également l’éminence de la dimension européenne dans la définition de notre politique environnementale.

L’Europe est aujourd’hui le chef de file de la lutte contre l’effet de serre. Le climat sera l’une des priorités de la Présidence française de l’Union européenne. L’Europe regarde ce que nous faisons et nous serons aussi jugés par nos partenaires sur la façon dont nous aurons su traduire en actes le Grenelle de l’environnement.

Un mot, enfin, pour vous féliciter des deux grands thèmes sur lesquels vous avez choisi d’axer cette journée de réflexion.

Le bâtiment et les transports sont effectivement au cœur de ce modèle de développement différent que nous devons imaginer.

Avant de vous laisser en débattre, permettez-moi seulement une réflexion, ou plutôt une interrogation. Ce sera celle, au fond, qui donnera le ton au « Grenelle législatif » et décidera de son ampleur : jusqu’où sommes nous prêts à aller pour mettre en place une société sobre, qui ne soit pas pour autant une société plus coûteuse pour nos concitoyens ?

Car ne nous y trompons pas, nous n’aurons pas la tâche facile. La bonne volonté ne suffit pas toujours à faire de bonnes lois, et l’angélisme préside souvent aux plus brutales, aux plus injustes. Il nous faudra choisir, trancher, arbitrer, dégager des priorités, des hiérarchies. En un mot, il nous faudra être courageux. Mais en conscience nous saurons que nous n’avons pas d’autre choix.

 

M. JEAN-LOUIS BORLOO

MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE, DU DÉVELOPPEMENT
 ET DE L’AMÉNAGEMENT DURABLES
 

Monsieur le président, mesdames, messieurs, je tiens à saluer tout particulièrement les membres du collège du Grenelle de l’environnement issus du monde syndical, local, entreprenarial et associatif et qui, malgré les milliers d’heures qu’ils y ont déjà passées, continuent à participer et à débattre en tous lieux.

Je vous prie d’excuser Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État à l’écologie, qui me remplace à Bruxelles ce matin, la Commission ayant rendu son travail sur le paquet « Climat-énergie ». Nous souhaitons accélérer la procédure, pour que les rapporteurs soient désignés le plus vite possible et que le Parlement européen puisse se saisir très rapidement de ces dossiers. Nous voudrions notamment, sous la présidence française, obtenir un consensus européen sur ces sujets majeurs, si possible avant la réunion de Poznan, dernière étape avant celle de Copenhague. Ce sera en effet le moment où le monde entier décidera, ou non, d’enclencher une mutation mondiale dans le domaine du développement durable, ce qui est nécessaire au sauvetage de la planète.

Je remercie les présidents Ollier, Jacob et Lequiller d’avoir organisé ce débat dans ce lieu qui symbolise la démocratie française.

L’exercice auquel nous sommes confrontés est assez compliqué. Je me suis promené dans le monde entier et j’ai été frappé par le fait qu’il avait fallu tant de temps pour que tout le monde se mette d’accord. La réunion de Bali fut un moment extraordinaire, puisque les gouvernants de 6 milliards d’individus ont partagé le même constat, sur l’urgence à agir et sur les objectifs à atteindre. Certes, on aurait pu aller jusqu’à fixer des objectifs par pays, avec des chiffrages. Néanmoins il faut bien se rendre compte des progrès réalisés depuis la réunion de Kyoto, qui rassemblait les gouvernants de 400 millions d’habitants. À Bali, étaient présents les gouvernants de toute la planète entière.

Je pense aux parlementaires, députés et sénateurs, qui ont eu la gentillesse de nous accompagner et qui ont vécu les deux dernières nuits : le matin, alors que tout paraissait devoir exploser, la délégation américaine a fini par se lever, alors que l’on sentait une invraisemblable pression, et, à la surprise générale, nous avons entendu : « US joins the consensus ! ». Nous avons alors vu des larmes dans les yeux des délégués de tous les pays, grands et petits, puissants et pauvres. C’était un formidable espoir pour les années à venir.

 Monsieur le président, avant de prendre mes fonctions dans ce ministère, j’avais déjà une certaine perception écologique et environnementale, mais deux points m’avaient échappé : d’abord, l’extraordinaire rapidité du processus ; ensuite l’interdépendance des facteurs. Malheureusement, tout se cumule de façon exponentielle et l’on ne peut relever aujourd’hui aucun indicateur positif dans aucun domaine : le réchauffement climatique et le problème agroalimentaire ; l’eau et le réchauffement climatique ; la dégradation de l’air, cette toute petite enveloppe au-dessus de nous, qui ne fait que 15 kilomètres d’épaisseur, et la calotte glaciaire ; la dessalinisation et les ressources halieutiques. La démographie ne s’installe que dans les plaines agricoles susceptibles de produire. Le problème agroalimentaire est technique, mais il est aussi lié à l’eau, à la sécheresse, aux transports et aux mutations des habitants. Je n’avais pas perçu à ce point que la vitesse et l’accélération des différents phénomènes nous amenaient à une réelle catastrophe.

Nous avons beaucoup travaillé avec les formidables scientifiques français du GIEC, qui sont devenus prix Nobel. Entre le moment où nous sommes allés au Pôle nord, dans le fiord d’Illulissat, il y a huit mois, et le moment où les mêmes scientifiques ont rédigé le rapport de Valence, il y a cinq mois, la donne a changé : la disparition de la banquise, que l’on estimait devoir intervenir vers 2020, est désormais envisagée pour 2013 ou 2015. Les grands scientifiques eux-mêmes sont pris de vitesse !

Monsieur le président, j’ai trois remarques à formuler.

Premièrement, il est terrible de penser que, même s’il existe désormais un consensus sur les constats, et un quasi consensus sur les conséquences, personne ne sait réellement, de par la planète, régimes démocratiques ou non, comment on pourrait changer la donne. Personne n’a jamais fait, à partir d’un modèle d’une taille suffisamment pertinente, la démonstration que le développement durable était possible. Rien que sous l’aspect des émissions de CO2, on sait que les quantités soutenables pour la planète sont de trois tonnes par habitant et par an et qu’il faudra s’en tenir à cela dans la décennie qui vient. Or il faut savoir que c’est ce qu’émettent aujourd’hui les Indiens et les Chinois ; que c’est huit fois moins que ce qu’émettent nos amis américains, et quatre fois moins que l’Europe.

Nous avons appris hier que la France était l’un des deux seuls grands pays industriels au monde qui respectaient le protocole de Kyoto. Les chiffres de 2006 attestaient déjà d’une baisse de 2,5 % par rapport à 2005, ce qui signifie que tout n’a pas commencé avec le Grenelle de l’environnement, qu’il s’est passé bien des choses avant, dans l’industrie, dans l’agriculture, dans les villes et agglomérations, dans les régions et dans le comportement des citoyens. Je me souviendrai toujours de la remarque faite à Paris par nos amis Canadiens, très critiqués pour avoir suivi la position des États-Unis avant que ceux-ci ne rejoignent le processus : nous nous sommes engagés de bonne foi à faire moins 20 %, mais nous avons fait plus 20 %.

Les dirigeants du monde entier sont en plein désarroi car ils se demandent comment faire, que ce soit dans le domaine agricole ou dans celui de l’énergie. On ouvre des mines de charbon tous les jours sur l’un des plus grands continents, alors que les académies des sciences des huit plus grands pays considèrent que les chiffres du GIEC sont plutôt moins alarmistes que les leurs, qu’il faut ouvrir le plus grand chantier du monde, à savoir le chantier thermique du bâtiment – il représente 40 % de l’énergie thermique en France - et développer les énergies renouvelables, améliorer la performance énergétique et la captation. Et il est impératif de s’y mettre tout de suite !

Deuxièmement, il ne faut pas passer à côté de la nécessité d’établir un lien entre le Parlement et les tiers. Un grand débat démocratique a eu lieu pendant la campagne présidentielle. Le pacte écologique a été signé par une très grande majorité des députés de l’Assemblée nationale, tous partis confondus. Ce débat a été lancé parce que le Président de la République est convaincu que la seule action de l’État n’est pas suffisante et qu’il convient de mobiliser tous les acteurs de la société française. En région, dans les départements, dans les agglomérations, les milliers de personnes qui ont débattu se sont approprié ce processus. Dans son discours de clôture du Grenelle de l’environnement, le Président de la République a déclaré qu’il fallait une nouvelle démocratie et que les collèges devaient débattre sur les grandes infrastructures. Cela signifie que les règles d’enquête et les procédures doivent évoluer et qu’il faut établir des bilans écologiques.

Je suis heureux que nous soyons aujourd’hui au Parlement car, in fine, au moment des grands choix, c’est bien lui qui sera le lieu évident d’expression des attentes de la nation française. C’est là que se nouera le pacte national et républicain autour de l’écologie.

Nous souhaitons que les grands principes du Grenelle soient repris dans un préambule ou dans un article 1er d’une loi. Ce sera une façon de dire que nous adoptons cette stratégie générale. Ensuite, sujet par sujet, ces principes seront déclinés et validés dans la grande loi d’orientation qui sera adoptée avant l’été par le Parlement. Nous entrons donc maintenant dans le temps parlementaire, et c’était nécessaire.

Parallèlement, on observe un bouillonnement dans la société française. Je suis allé récemment à Perpignan où j’ai signé, avec Jean-Paul Alduy, le sénateur-maire, une convention dont le but est de faire de Perpignan une ville, sans doute la première, à 100 % en énergie positive, c’est-à-dire qui produise localement plus d’électricité qu’elle n’en consomme, dans un premier temps pour le résidentiel, puis, dans un deuxième temps, pour l’industriel et le résidentiel ; et avec 100 % d’électricité en énergies renouvelables : soleil, éoliennes, géothermie et chaleur. M. Alduy m’a fait remarquer que, sans le Grenelle, jamais les difficultés locales n’auraient pu être résolues, jamais une telle confiance n’aurait pu être possible. Les capacités de négociation avec des divers partenaires s’en étaient trouvées accrues.

Ce bouillonnement se manifeste partout. D’après un dernier sondage, 31 % des votes aux élections municipales se feront sur des critères environnementaux. Cela signifie que, localement, il est possible de conjuguer progrès social, amélioration de la qualité de vie, santé publique et ce grand sujet planétaire.

Ce bouillonnement se manifeste aussi lorsque l’on discute avec les constructeurs automobiles. Les conversations que nous avions avec eux il y a huit mois et celles que nous avons aujourd’hui n’ont plus rien à voir. Ils disaient alors ne pas pouvoir aller plus loin, remarquant, ce qui était exact, qu’ils avaient l’une des flottes les plus pertinentes. Aujourd’hui, ils forcent le pas à une vitesse extraordinaire. Je pense même que le débat sur le CO2 européen est daté et que, dans les années qui viennent, les voitures consommeront moins que les 120 ou 130 grammes qui correspondent à nos obligations.

Le débat est difficile en raison des habitudes, des comportements, des incertitudes et, parfois, des angoisses. Reste que le consensus qui est apparu lors du Grenelle de l’environnement a pu se réaliser à partir des constats suivants : premièrement, nous avons besoin des biotechnologies ; deuxièmement, nous avons besoin d’expérimentations, y compris en région ; troisièmement, il faut une haute autorité pour intervenir au cas par cas, parce que les sujets deviennent extrêmement divers ; enfin, on peut faire évoluer les transports sans condamner à mort la voiture. Ce n’est pas parce que nous développerons les autoroutes ferroviaires que nous n’aurons plus besoin de ce moyen de transport, dont la mobilité est nécessaire pour l’économie et la distribution des biens dans notre pays.

Le sujet est vital ; il commande notre croissance d’aujourd’hui et de demain. Nous avons des besoins en eau, en énergie et en terres de qualité. La France est l’un des pays les mieux armés au monde, au plan technologique, pour réussir cette nécessaire mutation dans le domaine agricole, énergétique ou dans le domaine du bâtiment. Jusqu’à présent, étant un pays de climat tempéré, elle avait assez peu développé ce dernier domaine, mais ses capacités de progression sont considérables. C’est probablement le premier pays au monde dont l’industrie ancienne était fondée sur les énergies fossiles. C’est le seul qui puisse démontrer qu’un autre mode de développement est possible, donc parler avec les Chinois ou avec les Indiens.

Cela risque d’être difficile et compliqué. Néanmoins la France, avec son mode d’organisation, notamment ses délégations de service public qui sont une invention française, avec ses capacités technologiques, est capable de prouver sans arrogance au monde entier qu’un développement durable est possible. Au plan diplomatique, c’est devenu le sujet numéro 1.

Troisièmement ce n’est pas qu’un problème technique et technologique d’importance vital ; ce n’est pas qu’un problème d’opportunité économique. Il s’agit de replacer l’homme au milieu de la planète et dans son écosystème. Au final, c’est toujours la terre qui nous nourrit. Nous avons sans doute à opérer la réconciliation du progrès social et du progrès technologique.

Le développement durable est probablement le plus grand combat qui s’offre à nous. L’Europe est un grand espace de démocratie. Elle est à l’avant-garde. Dans l’Europe, la France, discrètement, sans faire de bruit, est à l’avant-garde. Elle a fait du développement durable le premier ministère opérationnel du pays. Elle l’a placé en tête dans la hiérarchie gouvernementale pour pouvoir diffuser, soutenir, proposer et faire évoluer le concept même du Grenelle et de ses collèges. Tout cela est regardé avec beaucoup d’intérêt par tout le monde. Chacun se demande si le développement durable est possible et si l’on ne risque pas d’aller à l’affrontement entre ceux qui ont besoin de manger et d’avoir un pouvoir d’achat convenable, et ceux qui voudraient arrêter la croissance et le développement. Cela donne le vertige.

J’ai été frappé par l’avancée des discussions auxquelles ont participé les parlementaires, qui ont été très présents dans les collèges et les groupes de travail, contrairement à ce qu’on a prétendu. Même si l’on ne s’en rend pas toujours compte lorsque l’on travaille énormément, les choses vont devenir possibles sur le plan pratique. Les membres du Grenelle sont ainsi parvenus à des accords. Seulement, en retournant dans sa famille d’origine, chacun risque de vivre un décalage entre ce qu’il a dit ou accepté lors du Grenelle, et la perception de son propre système. D’où parfois, certaines tensions.

En conclusion, pour cette journée qui est si importante, j’aimerais faire passer deux messages.

Le sujet des deux tables rondes renvoie à l’essentiel, ou presque : le bâtiment et les transports. Les experts du bâtiment sont convaincus que la réduction des émissions de CO2, qui doit être de 20 %, peut aller jusqu’à 40 % dans ce secteur. Cela demande bien sûr beaucoup de technicité, car le problème est très complexe. Je tiens à remercier du fond du cœur ceux qui appartenaient au groupe de travail mené par Jean Cluzel et qui continuent à travailler depuis.

Le groupe opérationnel présidé par Philippe Pelletier a quant à lui remis un rapport dès le 7 janvier. Je précise que l’objectif des trente-trois groupes opérationnels est d’apporter au Parlement des éléments d’intelligence opérationnelle pour que ses membres puissent faire leur travail de législateurs et de cadreurs. Ce rapport tourne actuellement sur Internet, afin de susciter les observations ; un rapport d’étape est prévu le 28 janvier. Il sera définitif le 15 février. La journée d’aujourd’hui devrait permettre d’améliorer les propositions présentées dans ce domaine. Elle s’inscrit donc tout à fait dans le débat.

On l’a vu, la tâche est immense, multifactorielle. Il faudra de la confiance ; il faudra surmonter un certain nombre de difficultés, mais je suis absolument convaincu de l’intelligence des hommes et des femmes de ce pays et de la capacité de celui-ci à réussir ce qui sera probablement la plus grande mutation de l’histoire de l’humanité. (Applaudissements.)

 Débat général sur l'union européenne
Et la lutte contre le  réchauffement climatique

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Je ne reviendrai pas sur le fait que le Grenelle de l’environnement fera date, non seulement en France mais aussi en Europe, tant par ses résultats qu’en raison de l’élan qu’il a su initier dans notre pays et de celui qu’il initiera en Europe. Engagé sous le regard souvent sceptique de nombreux observateurs, il a permis d’arrêter de multiples décisions, inconcevables il y a quelques mois.

Si j’interviens ici en tant que président de la délégation pour l’Union européenne, c’est parce que les questions environnementales, de lutte contre le changement climatique ne peuvent pas être traitées en ignorant l’échelon communautaire. Même s’il n’existe pas de statistiques très précises, il est généralement admis que 80 % de la réglementation environnementale applicable dans notre pays est d’origine communautaire. De même, il est évident que la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne peut pas se limiter aux frontières d’un seul pays ; les efforts doivent être poursuivis et soutenus à l’échelon continental, et même mondial.

Le récent traité de Lisbonne, que la France s’apprête à ratifier, et qui le sera, du moins je l’espère, dans l’ensemble de l’Union européenne, donne un statut prioritaire à la lutte contre le changement climatique, établit un lien indispensable entre la préservation et l’amélioration de l’environnement d’un côté et la politique énergétique de l’autre.

On comprend mieux dès lors que le Président de la République ait souhaité présenter les conclusions du Grenelle de l’environnement en présence du président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso. Cette présence symbolisait la nécessaire synergie des actions nationales et communautaires. C’est d’ailleurs pour cette raison que, lors de l’examen par notre Assemblée de la Charte de l’environnement, j’avais jugé nécessaire qu’un rapport d’information de la délégation pour l’Union européenne évalue la compatibilité du droit de chaque pays avec le droit communautaire.

La France a besoin que l’Europe approuve ses initiatives nationales, les fasse siennes et les porte dans les négociations internationales. L’appui des autorités communautaires sera également indispensable si l’on veut mettre en place une TVA à taux réduit sur les produits écologiques respectant le climat et la biodiversité.

Toujours en matière fiscale, une autre grande proposition issue du Grenelle de l’environnement concerne la taxe carbone.

Les entreprises européennes sont soumises à un système de quotas visant à limiter voire à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Or elles sont concurrencées sur le marché par des produits importés de pays n’étant pas assujettis aux obligations du protocole de Kyoto. Il en résulte un véritable dumping environnemental que la France juge anormal et que le Président Sarkozy a fortement dénoncé. Notre pays demande donc la mise en place d’un mécanisme d’ajustement aux frontières : une taxe carbone qui non seulement autoriserait une concurrence plus équitable, mais contribuerait au financement de la lutte contre le changement climatique. Ce serait à la fois un volet de l’Europe-protection, attendu par ses citoyens, et un instrument incitant à la limitation des émissions de gaz à effet de serre.

Hier, la Commission européenne a présenté le paquet Energie-climat. Malheureusement, elle n’a pas saisi l’occasion de reprendre à son compte le projet de taxe carbone. Le représentant de la Commission qui est présent et qui interviendra après moi, M. Théry, aura le loisir de s’en expliquer, mais le débat n’est pas clos pour autant. La France s’efforcera, dans les prochains mois, de convaincre ses partenaires européens de la soutenir dans sa démarche.

On ne saurait réduire le rôle de l’Union européenne à un simple soutien des initiatives nationales. La France, de son côté, devra se montrer exemplaire dans les négociations et dans la mise en application des propositions communautaires touchant à l’environnement. Je pense à la transposition des directives, dont le délai d’exécution est plus long chez nous que chez nos partenaires.

La France a fait également l’objet de plusieurs procédures d’infraction. Nombre de ces contentieux, liés à la mauvaise application des textes communautaires, concernent l’environnement. Les élus et l’administration française doivent se mobiliser sur ces dossiers pour faire de la France un partenaire totalement respectueux de la législation européenne. Cela est possible. L’exemple des nitrates en Bretagne en témoigne. L’engagement du Premier ministre François Fillon, l’implication des ministres de l’écologie et de l’agriculture, Jean-Louis Borloo et Michel Barnier, et les efforts consentis par les agriculteurs bretons ont permis de résoudre un conflit qui durait depuis plusieurs années et d’éviter la saisine de la Cour de justice des Communautés européennes.

Les autorités françaises ont déjà fait savoir que la réponse au défi climatique constituerait la priorité absolue en matière d’environnement. La présidence française attachera donc une grande attention au suivi du paquet Energie-climat présenté hier par la Commission, plus particulièrement à la révision du système communautaire établissant des quotas sur les émissions de gaz à effet de serre. Il nous faudra veiller tout spécialement à l’articulation de l’examen de ce paquet avec les échéances internationales visant à définir un mécanisme pour l’après Kyoto, c’est-à-dire après 2012. Il importe en effet que l’adoption du paquet Energie-climat soit menée à bien avant la conférence de Copenhague de décembre 2009, de manière que l’Union européenne conserve un rôle moteur sur le plan international.

D’autres dossiers environnementaux importants seront inscrits au calendrier de la présidence française, comme la directive sur la qualité des carburants et le règlement visant à réduire les émissions de CO2 des automobiles, la directive sur les pollutions des sols, la directive sur la protection de l’environnement par le droit pénal.

L’intérêt de ce dernier texte mérite un bref commentaire. La récente condamnation du groupe pétrolier Total pour les dommages causés par le naufrage de l’Erika a permis la reconnaissance du préjudice écologique. Cette innovation jurisprudentielle a été saluée à juste titre, mais il faut savoir que la reconnaissance du préjudice environnemental figurait déjà dans une directive sur la responsabilité environnementale.

Enfin, le Grenelle de l’environnement a retenu toute l’attention de l’Europe, en raison non seulement de ses résultats, mais aussi de la méthode utilisée. Lors de son audition par la délégation pour l’Union européenne, le 17 octobre dernier, le président de la commission temporaire du Parlement européen sur le changement climatique, Guido Saconi, a fait état de son vif intérêt pour la procédure suivie par la France et pour les résultats obtenus lors du Grenelle de l’environnement. Les institutions communautaires ont, depuis longtemps, pris l’habitude d’user de larges consultations publiques, notamment sous la forme de Livres verts. Elles pourraient compléter leur arsenal consultatif par des procédures du type de celles que vous avez mises en œuvre.

Je vais maintenant laisser la parole à Nicolas Théry, conseiller du directeur général pour l’environnement de la Commission européenne. Ensuite Françoise Grossetête, députée du Parlement européen, pourra s’exprimer. (Applaudissements.)

M. Nicolas Théry, conseiller de la direction générale « Environnement » de la Commission européenne. Je suis très heureux d’être devant vous aujourd’hui. Je vous prie d’accepter les excuses de M. Stavros Dimas, commissaire pour l’environnement, que je vais tenter de représenter le plus efficacement possible : il se trouve lui aussi à Bruxelles.

Il convient de saluer l’exercice du Grenelle, exercice significatif qui a été très remarqué au niveau européen, par les États membres et au sein de la Commission.

Monsieur le ministre d’État, vous avez parlé d’un nouveau modèle de développement. Il s’agit au fond d’un nouveau modèle de développement politique. Cela m’a rappelé le livre de Pierre Rosanvallon sur la démocratie complexe. La démocratie, pourrait-on dire, se nourrit d’un mélange subtil d’acteurs sociaux et de démocratie représentative pour opérer des choix de manière efficace. Le Grenelle répond au souci de trouver un équilibre entre l’économie environnementale et le globe social. Au final, les choix environnementaux sont aussi des choix sociaux qui doivent être mesurés, assumés et dont l’intérêt est d’être remis en perspective dans un souci d’équilibre.

L’Union européenne partage ce souci ; Mme Grossetête pourrait en témoigner. Dans les relations entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil, on tente de faire participer les acteurs sociaux et les ONG et de trouver un point d’équilibre entre le social, l’environnemental et l’économique.

S’agissant du paquet Energie-climat qui a été adopté hier matin, on peut remarquer que le constat scientifique est établi et bien partagé. On peut aussi remarquer la volonté européenne de dépasser le dilemme du lièvre et de la tortue. En d’autres mots, fallait-il attendre que nos grands partenaires internationaux rejoignent la dynamique collective pour engager quelque chose, ou agir d’ores et déjà nous-mêmes pour encourager les autres ? Je crois que nous avons choisi de faire les deux.

Ce paquet, qui concrétise l’engagement pris par le Conseil européen de mars 2007 de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 par rapport à 1990, en est l’illustration. L’engagement porte sur une réduction de 20 %, mais il peut valoir pour un taux de 30 % si les pays développés nous rejoignent dans cette démarche. Notre position a été mise aux enchères, en quelque sorte et nous leur disons : nous sommes suffisamment sérieux pour faire moins 20 %, mais nous sommes tout aussi sérieux pour être prêts à faire moins 30 % si vous nous rejoignez dans cette dynamique.

C’est dans cet esprit qu’ont été développées plusieurs initiatives : la directive sur la qualité des carburants ; la proposition de règlement sur les émissions de CO2 des voitures ; la proposition de directive sur les énergies renouvelables et les biocarburants ; la directive, proposée à la fin de l’année dernière, sur les émissions industrielles de CO2 qui ont un impact considérable sur la qualité de l’air et sur le climat.

Le principal intérêt de la proposition adoptée hier est de développer une jambe européenne et une jambe nationale, plus exactement de passer la balle aux États dans un certain nombre de domaines.

La jambe européenne, c’est le marché du carbone. Celui-ci existe et fonctionne déjà. On propose d’y intégrer plus de gaz, plus de secteurs comme ceux de l’aluminium et de l’ammoniac, ainsi que davantage d’harmonisation. Les fonctionnaires nationaux seront heureux de constater que les plans nationaux d’allocation de quotas seraient susceptibles de disparaître et de laisser la place à une harmonisation européenne. Ce serait un élément de simplification pour les acteurs économiques.

La Commission propose enfin de donner un signal de prix plus clair et plus fort par la mise aux enchères des quotas. Cela pourrait intervenir dès 2013 pour la production d’électricité, et progressivement entre 2013 et 2020 pour les autres secteurs industriels. Cela pourrait également valoir pour la taxe carbone que l’on appelle aussi, dans le jargon technocratique, « l’inclusion des importateurs dans le marché carbone ».

Le signal est clair : on fait le maximum pour parvenir à Copenhague à un accord carbone au niveau international. C’est la bonne solution pour que tout le monde rejoigne la dynamique collective. Au vu de cette négociation internationale, et après consultation des partenaires sociaux, la Commission fera un rapport sur les industries fortement consommatrices d’énergie et proposera des mesures appropriées, comme le maintien de l’allocation gratuite pour les industries concernées, jusqu’à 100 % de leurs besoins, et la compensation à la frontière sous forme d’inclusion des importateurs dans le marché carbone, qui devraient acheter des quotas comme nos producteurs doivent eux-mêmes le faire. L’idée est assez simple : il faut réduire nos émissions de 21 % entre 2005 et 2012, pour les 10 000 installations inscrites dans le marché carbone,

Qu’en est-il de la jambe nationale, plus précisément de la jambe française ?

Avant, on parlait du partage du fardeau. Aujourd’hui, on parle du partage de l’effort. L’idée est de réduire, dans les secteurs du bâtiment et du logement, de l’agriculture et des déchets, les émissions européennes de 10 % entre 2005 et 2020, la part de la France étant appelée à diminuer de 14 %.

Les parts nationales sont fixées selon un seul critère : la richesse par tête. Dans une Union européenne solidaire, qui se veut un instrument de progrès et de justice, la Bulgarie, dont le PNB par habitant représente un huitième de la moyenne européenne, doit bénéficier d’une possibilité de développement, donc d’accroissement de ses émissions, tandis que les pays les plus riches doivent diminuer leurs émissions de 20 %. La France, avec une réduction demandée de 14 %, n’est pas parmi les pays les plus maltraités. Il nous a semblé que ce critère, qui est le plus simple, était le plus représentatif de l’ambition à la fois environnementale et sociale de l’Union.

S’agissant de la directive sur les énergies renouvelables, l’objectif est d’atteindre, pour l’ensemble des énergies renouvelables, 20 % du bouquet énergétique en 2020. La proposition pour la France est de 23 %. On a pris en compte, pour moitié la même progression et pour moitié la richesse par tête.

Ce paquet a un coût. M. Barroso a parlé de 3 euros par semaine et par Européen en 2020. Il convient cependant de souligner qu’il s’agit en fait non d’un coût mais d’un investissement. Les économies réalisées sur la facture pétrolière et gazière sont en effet du même ordre de grandeur. Du point de vue économique, l’investissement réalisé dans les technologies à faible teneur en carbone et dans les technologies renouvelables se compense par les réductions d’importation de pétrole et de gaz.

Je suis frappé de constater à quel point Europe et environnement vont de pair. Le débat sur le climat et l’énergie est une occasion de relance interne. Quand on relit l’Acte unique de 1986, on se rend compte que M. Delors avait mis en avant le développement durable avant la lettre. Cet Acte a établi tout à la fois la base du marché unique, avec le pilier croissance, la base juridique pour l’environnement, et le dialogue social au niveau européen. C’est une belle démonstration de la manière dont l’environnement avait été conçu il y a déjà vingt ans.

Autre exemple d’intégration entre l’Europe et l’environnement : le protocole de Kyoto est entré en vigueur en 2005 parce que la Russie l’a ratifié. Elle l’a fait parce que Pascal Lamy avait conditionné l’entrée de la Russie à l’OMC à la ratification du protocole de Kyoto. L’Europe a donc, en matière d’environnement, une diplomatie mondiale qui se traduit dans les faits.

J’ai par ailleurs le sentiment que nous avons, en matière d’environnement, les atouts qui nous permettent le succès européen : premièrement, il est évident que le défi global est partagé ; deuxièmement, les 27 États membres sont d’accord sur le concept ; troisièmement, il existe maintenant une base juridique permettant d’avancer concrètement. Certes il nous manque encore une unité de représentation externe. Cela progressera, mais il n’empêche que nous nous trouvons dans une situation où nous parlons encore à 28 : 27 États membres plus la Commission ! Ce n’est pas le plus efficace.

Enfin, nous avons beaucoup d’espoirs et d’attentes en ce qui concerne la présidence française. Nous sommes prêts à aider celle-ci à obtenir le maximum d’accords avec le Parlement européen sur les propositions qui ont été avancées. Il est clair que, pour des raisons politiques qui tiennent notamment au Grenelle de l’environnement et aux priorités très claires affichées par le Président de la République, pour des raisons économiques qui tiennent au fait que la France est une bonne spécialiste de ces sujets et pour des raisons européennes qui placent notre pays en situation de compromis entre les différents intérêts des nouveaux États membres et des États les plus sensibles à l’environnement, la France est assez naturellement placée pour aboutir, lors de la présidence française, à un vrai succès en ce domaine. (Applaudissements.)

Mme Françoise Grossetête, membre de la commission temporaire du changement climatique du Parlement européen. Monsieur le président de l’Assemblée nationale, Monsieur le ministre d’État, chers collègues parlementaires, Mesdames, Messieurs, beaucoup de choses ont été dites, mais, puisque le Parlement européen est colégislateur avec le Conseil de l’Union sur ces questions d’énergie-climat, je vous donnerai tout de même le point de vue du parlementaire européen sur le paquet qui a été présenté hier par M. Barroso dans une séance extraordinaire du Parlement européen. Je ne reviendrai pas sur le détail des explications données par M. Théry, mais je rappellerai la position très particulière de notre pays.

Grâce à l’hydraulique, la France a atteint aujourd’hui 7 à 8 % d’énergies renouvelables, ce qui est déjà considérable. Toutefois, parce qu’elle a une position spécifique au sein de l’Union européenne, parce qu’elle a aujourd’hui certains avantages qui découlent de ses choix passés, on va lui demander un peu plus d’efforts. Certes, une politique d’énergies renouvelables est indispensable. Reste que les députés européens français demandent que l’on tienne compte de la position spécifique de la France.

La volonté des Européens d’imposer cet objectif ambitieux en matière de production d’énergies renouvelables est justifiée par la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre en Europe. Je remarque que, si la France a opéré de bons choix dans le passé, on ne peut pas toujours la considérer comme une bonne élève lorsqu’il s’agit de transposer ou d’appliquer les directives. Je reconnais, monsieur le président, qu’elle accomplit un effort considérable depuis quelques années pour mettre en place les procédures susceptibles de rattraper son retard. Cependant l’exemple de la pollution des eaux souterraines en Bretagne n’a pourtant pas de quoi nous rendre fiers.

La méthode choisie par la Commission européenne et qui a été exposée par M. Théry consiste à imposer une augmentation de 5,75 % de la consommation d’énergies renouvelables dans tous les États membres de l’Union européenne, puis à procéder à une modulation en fonction du PNB de chaque État membre. C’est sur ce point que je me suis permis d’interpeller hier M. Barroso. Au nom de la solidarité entre États membres, que je ne conteste pas, on va demander un effort supplémentaire à la France, qui a fait le choix du nucléaire et qui a su développer son hydraulique. Notre pays, qui est déjà bon élève en matière d’énergies renouvelables, est considéré comme riche, et il sera pénalisé. On lui demandera un peu plus d’efforts qu’aux autres.

Cela me dérange un peu ! Prenons l’exemple de la Grèce et du Portugal, qui sont de gros émetteurs d’émissions carbonées. Comme leur PIB est inférieur au nôtre, ils seront très aidés par la Commission pour investir dans les énergies renouvelables. La France est tout à fait pour la solidarité. Néanmoins encore faut-il que, lorsque l’on évalue cette solidarité, on prenne en compte tous les tenants et les aboutissants. (Très bien ! sur plusieurs bancs.)

J’ai été la seule à intervenir sur ce sujet hier. Il faut dire que je m’étais entretenue auparavant avec un certain nombre de nos partenaires, avec lesquels nous travaillons, et qu’ils avaient su appeler mon attention à ce propos. Je pense que le débat sera difficile. M. Barroso m’a en effet répondu en maintenant les explications qui vous ont été données par M. Théry. J’espère néanmoins que nous obtiendrons une proposition équilibrée pour la France.

Le Grenelle de l’environnement a permis de rappeler l’importance de l’éolien, de la biomasse, de la géothermie, du photovoltaïque et du solaire, pour augmenter de 20 millions de tonnes/équivalent pétrole la production d’énergie renouvelable d’ici à 2020. Son programme en faveur des énergies renouvelables est très intéressant. Il va dans le sens voulu par les institutions européennes et aboutira à un plan, le plan national « bâtiments-soleil ». Plus généralement, il va dans le sens de l’efficacité énergétique.

Au mois de décembre, j’ai été invitée à l’assemblée générale de la CAPEB – qui regroupe des artisans du bâtiment – dans le département de la Haute-Savoie, pour parler du futur plan énergie-climat. J’avais alors dit aux artisans, qui étaient soucieux de l’avenir de leur profession, que, à mon sens, ils n’avaient aucun souci à se faire et qu’ils auraient du travail par-dessus la tête au moins pour les quarante prochaines années. Les types de construction vont évoluer. Le code de l’urbanisme devra intégrer certains conseils, pour prendre en compte les conséquences du changement climatique dans les constructions nouvelles. Il faudra aussi travailler sur les bâtiments existants.

Le Grenelle de l’environnement s’est aussi intéressé à l’agriculture. Il s’est prononcé notamment pour la valorisation du potentiel de production énergétique de chaque exploitant, afin de permettre à celui-ci d’arriver à l’autonomie énergétique. Je suis présidente d’un parc naturel régional et je travaille avec de nombreux petits agriculteurs. Il me semble qu’il faudrait réaliser des expérimentations dans nos parcs, avant de les étendre à d’autres territoires.

Vis-à-vis de la Commission européenne, il ne faut pas confondre objectifs et moyens. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’objectif européen est bien de parvenir à une décarbonisation de l’économie, par une réduction des émissions de 20 %. Néanmoins laissons chaque État membre faire les choix de ses outils pour atteindre cet objectif.

Le rôle prépondérant des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique a bien été souligné, mais il ne faut pas oublier celui des nouvelles technologies, qui devraient permettre de développer tout un nouveau pan de l’économie. Plus généralement, nos économies vont être bouleversées ; de nouveaux axes vont apparaître, mais il faudra aller vite dans la recherche, donc accorder à celle-ci le maximum de moyens.

Le nucléaire était un sujet tabou il y a encore six ou huit mois dans l’enceinte du Parlement européen, et encore plus dans celle de la commission « Environnement-santé publique » à laquelle j’appartiens. Il m’arrivait cependant d’en parler, soutenue par quelques collègues britanniques.

La France a son énergie nucléaire. Certes, tous les problèmes ne sont pas résolus, comme par exemple celui posé par les déchets, mais, si nous devons imaginer, comme le propose la Commission européenne, le captage et le stockage du CO2, on peut se demander comment nous allons faire.

Quelques expériences de captage et de stockage du CO2 ont été réalisées par Total dans le bassin de Lacq, sur une petite échelle, mais rien ne prouve que cela soit réalisable à grande échelle. Par ailleurs, il conviendra de trouver des lieux de stockage. Encore faudra-t-il que l’opinion publique soit bien préparée et l’accepte. Il s’agira de prendre toutes les précautions nécessaires. Chacun peut donc constater les difficultés politiques auxquelles nous sommes confrontées.

 Nous sommes à un virage de notre réflexion en ce domaine. Il faudra que nous sachions parler régulièrement avec les citoyens européens et avec les citoyens français, pour qu’ils ne soient pas étonnés de ce que nous pourrons être amenés à leur proposer à un moment où à un autre. Ce dialogue, que vous avez permis d’organiser en France, est indispensable. Il faut absolument le maintenir pour que les citoyens soient totalement informés.

Sachez qu’au Parlement européen, nous serons très actifs. Moi-même, je mène un petit combat au sein de la commission « industrie », où je suis suppléante. J’essaie d’être rapporteur pour les énergies renouvelables, au nom de mon groupe, qui est tout de même le plus grand groupe du Parlement européen. Malheureusement, face aux Verts et aux Allemands qui sont très nombreux et prennent les meilleurs postes, je ne sais pas si j’y parviendrai. Quoi qu’il en soit, je compte bien m’investir totalement. (Applaudissements.)

Première table ronde commune
sur le Grenelle de l’environnement :
adaptation des logements au réchauffement climatique

 Conduite par
M. Christian Jacob, président de la délégation
à l’aménagement et au développement durable du territoire

 

Interventions de :

Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable,

M. Philippe Pelletier, président du conseil d’administration de l’ANAH,

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière, filiale de la Caisse des dépôts et consignations,

M. Éric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier,

M. Philippe Chanal, directeur général adjoint de la communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne, représentant la fédération des maires des villes moyennes.

PRésentation de la première table ronde
et des intervenants

M. Christian Jacob, président de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire. Mesdames, messieurs, si la première de nos deux tables rondes, organisées par Patrick Ollier et par Pierre Lequiller, avec l’aide de Bernard Accoyer, que je remercie de nous accueillir, a trait au logement, c'est d’abord parce que ce dernier est un secteur majeur en termes de consommation d’énergie – puisqu’il représente 46 % de la consommation d’énergie totale contre 28 % pour l’industrie et 24 % pour les transports –, mais également en termes d’émissions à la fois de CO2, avec 100 millions de tonnes émises chaque année, chiffre qui pourrait augmenter de 20 % voire davantage si rien n’était fait, et de gaz à effet de serre dont le logement est la deuxième source d’émission.

Ces seuls chiffres montrent l’ampleur du travail à réaliser tant dans le neuf que dans l’ancien, sachant, d’une part, qu’un tiers du parc immobilier, soit vingt millions de logements, a été construit avant 1975, époque où les économies d’énergie n’étaient pas la préoccupation première, et, d’autre part, que l’objectif fixé par le Grenelle est d’atteindre, d’ici à 2020, le pourcentage de 20 % en matière tant de diminution des gaz à effet de serre que d’augmentation des économies d’énergie et des énergies renouvelables.

Pour ce qui est du secteur plus spécifique du bâtiment, l’objectif est de parvenir à 50 kilowattheures d’énergie consommée par mètre carré et par an d’ici à 2012, contre 150 à 200 kilowattheures aujourd’hui, ce qui laisse une grande marge de progression possible, et de doubler la rénovation des logements en parvenant au chiffre de 400 000 par an. Sera-t-on capable d’attendre cet objectif, de quelle manière et avec quels outils ?

Telles sont, parmi d’autres, les quelques questions auxquelles essaieront de répondre successivement les intervenants suivants :

Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable, qui apportera des précisions sur les capacités d’adaptation au réchauffement climatique dans le secteur du logement ;

M. Philippe Pelletier, président du conseil d’administration de l’ANAH et président du comité opérationnel du Grenelle sur la rénovation des bâtiments existants, qui donnera son avis sur la crédibilité du chiffre de 400 000 logements rénovés par an ;

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière, filiale de la Caisse des dépôts et premier bailleur social avec 260 000 logements, qui présentera sa stratégie en matière énergétique ;

M. Éric Mazoyer directeur général délégué de Bouygues immobilier, entreprise qui a récemment reçu le grand prix écobuilding performance 2007 pour la rénovation de la tour Mozart à Issy-les-Moulineaux, qui reviendra sur l’alliance des trois énergies – solaire, éolien et biomasse – envisagée à Meudon ;

M. Philippe Chanal, directeur général adjoint de la communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne, représentant M. Bruno Bourg-Broc, président de la fédération des maires des villes moyennes, qui interviendra à propos des moyens dont les collectivités disposent pour lancer ou pour déléguer les constructions, sans oublier, ici présent dans la salle, le maire de Château-Thierry et président des villes HQE, qui pourra faire part des contraintes des collectivités en la matière.

Mme Michèle Pappalardo, commissaire générale au développement durable. Mesdames, messieurs, je m’emploierai, en premier lieu, à bien cadrer le sujet à traiter afin de montrer son ampleur et de souligner la nécessaire cohérence des actions à mener.

L’objectif du Grenelle est de parvenir à un bâti plus efficace en termes de consommation d’énergie, notamment fossile, en travaillant sur le bâtiment lui-même, qu’il s’agisse d’une construction ou d’une rénovation, mais également en s’interrogeant sur son implantation, afin de prendre en compte les problématiques, par exemple de transport en commun ou de densité urbaine.

La priorité donnée à l’amélioration de l’efficacité énergétique du bâtiment tient à plusieurs raisons : d’une part, les bâtiments représentent en France plus de 40 % de la consommation d’énergie, et un quart, soit une augmentation de plus de 15 % depuis 1990, des émissions de gaz à effet de serre ; d’autre part, le savoir-faire technique en la matière s’est amélioré, en tout cas sur le papier ; par ailleurs, la France est en retard dans le domaine de l’efficacité énergétique par rapport à d’autres pays, comme le Danemark ou les Pays-Bas, avec 240 kilowattheures d’énergie consommée par mètre carré et par an pour l’ensemble du parc ; enfin, ce sujet permet également d’aborder des questions aussi essentielles que celles de l’indépendance énergétique, de la réduction des gaz à effet de serre ou encore de l’augmentation du coût de l’énergie, question d’ordre social puisque source d’inégalités, le chauffage représentant pour le dernier quintile de la population française 10 % de son budget contre 8 % pour le quintile le plus élevé.

Tout le travail des comités opérationnels du Grenelle est de se pencher sur les moyens d’atteindre les objectifs visés avant qu’ils ne soient traduits en termes législatifs. En l’occurrence, la réflexion s’organise principalement autour de deux grands axes : d’abord la rénovation énergétique des bâtiments, axe dont on attend les plus grands résultats et que M. Pelletier pourra vous présenter, ensuite, la construction d’ici à 2012 de bâtiments basse consommation uniquement, c’est-à-dire consommant 50 kilowattheures d’énergie par mètre carré et par an, alors que la réglementation aujourd’hui prévoit une consommation entre 80 et 120 kilowattheures selon les zones.

L’objectif est de parvenir en 2020 soit à des bâtiments passifs, c’est-à-dire consommant 15 kilowattheure d’énergie par mètre carré et par an, soit à des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire des bâtiments qui non seulement consomment très peu, mais produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Cela suppose incitation et réglementation, et c'est sur cet axe que travaille le comité opérationnel sur les bâtiments neufs publics et privés, piloté par Alain Maugard, président du CSTB.

Afin que les politiques menées restent cohérentes, un travail transversal est nécessaire, outre celui sur le financement : d’abord, connaître la consommation du parc, logements ou bureaux, au moyen du diagnostic de performance énergétique, ou DPE, qu’il faut rendre encore plus fiable ; ensuite, adapter les professionnels aux nouvelles technologies, ce qui implique de recruter et de former 225 000 personnes par an pendant dix ans ; imaginer, également, un système de reconnaissance et de contrôle de la qualité, afin de ne disposer que de programmes sérieux et d’aider les consommateurs à aller vers les bons produits ; favoriser, de même, la recherche afin de trouver de nouvelles techniques et de diminuer le coût des actuelles ; enfin, adapter au changement climatique les bâtiments que l’on construit ou que l’on rénove car on ne peut plus se contenter de prévenir le changement climatique en réduisant les consommations et les émissions. C'est un domaine où les performances sont encore insuffisantes, et ce sera donc l’un des chantiers auxquels devra s’attaquer le commissariat général au développement durable.

J’en viens, enfin, aux questions de coût.

Aujourd’hui, en moyenne, 12 % des ménages entreprennent chaque année des travaux de rénovation énergétique, et ils devraient investir en moyenne 180 euros par mètre carré et par an d’ici à 2050. L’objectif est, selon les logements, de parvenir à un investissement de l’ordre de 200 à 400 euros par mètre carré et par an d’ici au même horizon, c’est-à-dire à un doublement ou à un triplement selon les cas, ce qui suppose une action cohérente en matière à la fois d’incitation et de réglementation. Un tel objectif impose non seulement de réduire les coûts au moyen de la recherche, de la formation et du recrutement, mais également de briser les contraintes qui pèsent sur les copropriétés, en agissant sur la répartition du poids entre les propriétaires et les bailleurs ou encore sur les réglementations en matière d’urbanisme, et d’aider ceux qui en ont le plus besoin, et qui, souvent, se trouvent dans les bâtiments qui consomment le plus, en élaborant un système d’aide à dimension sociale.

La mobilisation, qui était déjà générale avant que Grenelle ne la cristallise, permettra de se doter des moyens les plus efficaces pour atteindre les différents objectifs visés.

M. Christian Jacob, président de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire. Nous en venons à l’objectif des 400 000 logements à rénover par an et aux outils techniques, fiscaux, législatifs ou réglementaires qui pourront inciter les bailleurs à effectuer les travaux nécessaires.

M. Philippe Pelletier, président du conseil d’administration de l’ANAH. Après avoir défini les objectifs, travail que Michèle Pappalardo vient d’effectuer, il convient, en effet, de s’interroger sur les moyens de les atteindre. Le problème concerne à la fois le parc d’un peu plus de 30 millions de logements, constitué majoritairement de maisons individuelles, et le parc dit tertiaire, soit 800 à 850 millions de mètres carrés de bureaux, de commerces, d’entrepôts, etc., tous éléments appelant un traitement différencié.

Pour traiter le sujet, le comité opérationnel que je préside a choisi comme formule « aider puis contraindre », c’est-à-dire ni aider à perpétuité sans contraindre, ni contraindre sans aider préalablement toute cette population de maîtres d’ouvrage que constituent les dizaines de millions de petits propriétaires.

Avant d’aider, il convient toutefois de « mesurer » la performance énergétique. À cet égard, si un outil existe déjà, à savoir le diagnostic de performance énergétique, ou DPE, encore convient-il de l’ajuster afin de mieux répondre à notre attente. Ainsi il sera possible, à partir du constat, de savoir quels travaux il convient d’engager, étant entendu que la mesure de la performance énergétique du logement devra être rendue visible, c’est-à-dire qu’elle devra figurer dans les petites annonces de vente ou de location à côté des caractéristiques habituelles du logement. Les esprits doivent s’habituer à faire de la performance énergétique du logement un élément intrinsèque à celui-ci.

Enfin, s’il faut « mesurer », « aider » puis « contraindre », il convient également de « garantir ». On ne motivera pas en effet une population aussi disparate et aussi peu solvable que celle des propriétaires de l’immense parc de logements actuel sans garantir à ceux-ci un certain résultat. Ce n'est plus seulement de retour sur investissement dont il faut parler ou de telle ou telle mesure. Il convient de passer d’une phase impressionniste à une phase qui donne de la garantie. De la même façon qu’une ville passant un contrat de performance énergétique pour un système de chauffage collectif sait que si le résultat garanti n'est pas atteint elle pourra se retourner contre l’installateur, il va falloir sécuriser les propriétaires quant aux résultats avant de les engager sur un parcours coûteux. On peut donc s’attendre à ce qu’une profession ou un corps se développe pour vendre de la garantie.

Pour agir, il faudra donc être simple, car l’on s’adresse à la masse, ce qui nous a conduits à l’idée du bouquet de travaux, c’est-à-dire à l’instauration d’un ensemble normé, en mettant en avant ce qu’il y a de plus efficace : montrer, par exemple, que l’isolation du toit d’une maison individuelle est plus efficace en termes d’isolation thermique qu’un changement des vitres, lequel n’est efficace qu’en termes d’isolation phonique. Il faut arrêter d’engager au petit bonheur l’argent public par le biais des crédits d’impôt en proposant des produits normés efficaces et utiles.

Il va falloir procéder à des changements mais ils ne seront pas si dramatiques.

S’agissant des copropriétés, le ministère de la justice a pratiquement accepté nos propositions. L’assemblée de copropriété pourrait délibérer sur les fenêtres, considérées comme des « parties privatives d’intérêt commun », concept intelligent qui recevra sûrement l’aval des parlementaires. Par ailleurs, les règles de majorité pourraient être revues.

En matière d’urbanisme, l’ajout d’une cloison extérieure de huit à seize centimètres sera plus difficile à faire accepter si elle se traduit par un débordement sur la voie publique ou la propriété du voisin. Est-on prêt à changer nos règles ?

Les locataires endossent le coût de la consommation énergétique et profiteront de l’amélioration de la performance énergétique, mais c’est au bailleur d’engager cette dépense d’investissement. Les associations de locataires ont compris le problème. Il pourrait être réglé par une contractualisation, le locataire s’acquittant d’une petite partie de l’investissement et bénéficiant de garanties.

Aider passe par un ajustement des mécanismes existants et la création d’un « écoprêt » de longue durée à taux zéro, très largement ouvert – sans condition de ressources et ne se limitant pas aux accédants à la propriété –, qui apporterait les 20 000 à 30 000 euros nécessaires.

Contraindre est indispensable. Pour stimuler l’action, il faudra annoncer à l’avance que des contraintes seront mises en place. Nous ignorons cependant encore quel type de contrainte il convient de choisir. Certains estiment qu’elle devra intervenir à l’occasion de la vente, 800 000 logements environ changeant de mains chaque année ; d’autres considèrent que cela perturberait le marché immobilier. Il semblerait logique de s’attaquer aux logements les moins performants sur le plan énergétique, de catégorie G, mais cela s’apparenterait à une double peine, car cela toucherait plutôt les personnes assez modestes.

Une autre piste est celle des équipements anciens, notamment les quelque 3,5 millions de chaudières de plus de vingt ans. Nous ne savons pas encore ce qui sera proposé et nous ne savons pas non plus s’il convient d’annoncer tout de suite la contrainte qui sera appliquée en 2012.

Pour ce qui concerne le parc de 850 millions de mètres carrés de locaux tertiaires, nous pensons qu’il est possible de se montrer plus incisifs en posant l’obligation plus tôt. L’idée, inspirée du modèle suédois, serait de faire payer une taxe aux propriétaires refusant de s’engager dans un processus vertueux et d’en reverser le produit à ceux qui participent au mouvement. Cette mesure ne coûterait donc pas un euro à l’État. Nous essayons d’adapter au système français ce qui fonctionne bien ailleurs.

Bien entendu, pour le parc de logements comme pour le parc tertiaire, il faut aider puissamment les plus fragiles. Des ménages, y compris des propriétaires, souffrent du froid parce qu’ils ne peuvent remplir leur cuve de fioul pour toute la saison. Les petites entreprises du secteur tertiaire qui ne pourront faire face aux dépenses seront aidées par des mécanismes, notamment fiscaux, à travers la mobilisation de la garantie d’OSEO.

Bref, nous vous proposons une action publique équilibrée.

M. Christian Jacob. M. André Yché, président du directoire de la Société civile nationale immobilière, va nous exposer les objectifs de son groupe ainsi que ses prévisions en matière de retour sur investissement et d’impact sur les loyers, sans oublier la problématique de la rénovation.

M. André Yché, président du directoire de la SNI. La Société nationale immobilière possède 260 000 logements. Elle construit 5 000 logements nouveaux et réalise 10 000 réhabilitations chaque année. Parallèlement, notre groupe a développé une activité de reprise d’actifs immobiliers avec vingt-cinq conseils généraux, les gendarmeries départementales et les services d’incendie et de secours, les SDIS. Nous avons créé une filiale avec Dexia pour étendre ces initiatives, notamment au parc scolaire.

La qualité environnementale s’inscrit nécessairement dans une approche globale incluant d’autres dimensions, notamment le renouvellement urbain et la cohésion sociale. D’autres thèmes méritent d’être anticipés dès maintenant car les problèmes se poseront avec une acuité croissante. Je pense en particulier à la question de l’accessibilité des logements aux populations vieillissantes ou bien au logement dans des conditions normales des jeunes actifs âgés de vingt à trente ans – dans le parc locatif, cette dernière catégorie représente 80 % de la mobilité.

J’aborderai trois sujets : la nécessité de concevoir la stratégie de façon globale ; la nécessité d’adopter une approche rationalisée ; la nécessité de faire bouger des lignes pour aboutir.

Notre objectif à l’horizon 2020 est de réduire de 30 % la consommation moyenne sur l’ensemble de notre parc et de porter à 10 % le recours aux énergies renouvelables. Sur l’objectif de moins 30 %, un gain de 20 % sera obtenu grâce aux travaux de réhabilitation et un gain de 10 % découlera de la substitution d’un patrimoine neuf au patrimoine ancien voué à la démolition. Le surinvestissement sera de l’ordre de 500 millions d’euros pour les travaux de réhabilitations et de l’ordre de 180 millions d’euros pour les constructions neuves.

Nous pensons être en mesure d’atteindre ce résultat, mais des choix s’imposeront : nous ne pouvons nous permettre de concentrer nos efforts sur des opérations particulièrement exemplaires et performantes, car l’efficacité moyenne de notre démarche s’en trouverait réduite. Nous travaillons du reste à l’élaboration d’un outil essentiel pour mesurer notre taux de rendement énergétique interne : quel est le montant des économies générées par euro investi ? Nous devons en effet nous assurer que nous investissons suffisamment mais que les sommes consacrées à une opération donnée ne dégradent pas notre efficacité moyenne.

Nous estimons que ramener la consommation moyenne autour de 150 ou 160 kilowatts au mètre carré, cible moyenne à l’horizon 2020, coûtera 8 000 euros par logement. Si l’objectif est porté à 160 kilowatts au mètre carré, le coût montera entre 10 000 et 12 000 euros par logement. À 70 ou 80 kilowatts au mètre carré, ce qui correspond à une très haute performance énergétique, le coût grimpera à quelque 20 000 euros par logement. Enfin, pour atteindre 50 kilowatts au mètre carré, il faudra prévoir au moins 25 000 euros par logement.

Pour l’objectif de 150 ou 160 kilowatts au mètre carré, 4 000 euros de travaux déjà programmés peuvent être redéployés. Outre cette somme, nous percevrons des subventions. Nous sommes aussi en négociation étroite avec EDF à propos de la finance carbone, avec l’espoir raisonnable d’obtenir 1 500 à 2 000 euros par logement. À titre personnel, je pense que ce financement ira au-delà, mais il sera conditionné par l’évolution de quotas définis nationalement – l’objectif est aujourd’hui de 54 térawatts – et par la part consacrée aux catégories les plus modestes.

La stratégie doit être globale, car il est hors de question d’effectuer trois séries de travaux, pour l’entretien courant, la performance énergétique et l’accessibilité en faveur des personnes âgées. Nous devons donc mener de front tous ces chantiers tout en développant notre patrimoine ainsi que l’accession à la propriété, dans l’ancien comme dans le neuf, car la loi DALO – développement et amélioration de l’offre de logement – nous assigne cet objectif.

Au demeurant, pour réaliser l’ensemble des objectifs gouvernementaux, y compris la construction de 400 000 logements d’urgence, chaque propriétaire de logement social devrait intervenir sur 6,5 à 7 % de son patrimoine, alors que le taux se situe actuellement entre 4 et 4,5 %. L’effort à réaliser est donc considérable.

Il faut faire bouger les lignes dans plusieurs champs.

Dans le champ technique, l’une des pistes d’énergie renouvelable les plus intéressantes est le photovoltaïque. Nous possédons 1 million de mètres carrés de terrasses mais cette surface est très découpée, très fractionnée, et le coût de raccordement est extrêmement élevé. Le modèle économique ne fonctionne pas encore et ce n’est pas notre métier : nous devons faire appel à des opérateurs professionnels dans les domaines de la réalisation et de l’exploitation.

Les pompes à chaleur, au vu de leur facteur multiplicatif d’efficacité, entrent dans la catégorie des énergies renouvelables. Cette réponse est pertinente pour les constructions neuves alors que, dans les bâtiments anciens, nous rencontrons des problèmes au niveau des réseaux plutôt que de la production car il faut y injecter du liquide à soixante degrés.

La dépense d’économie d’énergie doit être conçue comme un investissement et être amortissable. D’une manière ou d’une autre, une partie doit donc pouvoir être répercutée à son bénéficiaire. Il nous paraît important de travailler avec les associations de locataires pour changer de point de vue et faire progressivement évoluer les loyers du secteur HLM afin de passer à une culture de la quittance globale, loyer plus charges. Dans cette logique, nous devons examiner l’opportunité, sous certaines conditions de « supportabilité » de l’effort, d’un supplément de loyer ou de la création d’une catégorie de charges.

Enfin, dans l’ensemble des démarches engagées, nous devons avoir un souci d’approche rationalisée et de vision globale. Je prendrai un exemple très simple. Un effort doit être accompli sur la performance énergétique des ensembles immobiliers. Parallèlement, il faut développer des énergies renouvelables. Dans la programmation opérationnelle, nous devons par conséquent être attentifs à ce qu’un maximum d’économies soient obtenues sur les énergies renouvelables. Autrement dit, les ensembles immobiliers en milieu dense étant chauffés au gaz, au bois ou à la cogénération, ce n’est pas nécessairement là qu’il faudra chercher à descendre à 80 ou 50 kilowatts, car nous pouvons nous contenter d’une performance moindre et investir massivement dans les énergies conventionnelles.

M. Christian Jacob. M. Éric Mazoyer, directeur général délégué de Bouygues Immobilier, va nous présenter le point de vue du constructeur. Il va nous parler d’innovation et nous éclairer sur la réactivité du marché vis-à-vis de ce type de produits et sur la formation de la main-d’œuvre.

M. Éric Mazoyert, directeur général délégué de Bouygues Immobilier. Bouygues Immobilier est un promoteur généraliste qui intervient dans sept pays en Europe. Je remarque d’ailleurs que la vision du développement durable est très différente suivant que l’on se trouve en Allemagne, en Espagne ou au Portugal. Nous concevons, nous construisons et nous vendons chaque année 12 000 logements et 400 000 mètres carrés de bureaux.

Il y a trois ans, nous avons décidé de certifier toute notre production de logements et de bureaux en HQE, haute qualité environnementale. Nous avons alors découvert que le système HQE ne pousse pas forcément à l’excellence car il présente un point commun avec le baccalauréat : on peut l’obtenir de façon passable ou avec mention. En réalité, sur les quatorze cibles de la charte, une seule – la cible 4 – est directement tournée vers la problématique énergétique. Nous avons donc créé une task force complètement externalisée pour mettre à plat tous nos processus et concevoir un bâtiment à énergie positive, c’est-à-dire produisant davantage d’énergie qu’il n’en consomme.

Notre bâtiment est assez révolutionnaire.

Situé à Meudon, en bordure d’un bois, à proximité de services, sur un site tertiaire reconnu, il produit un niveau d’énergie finale – à ne pas confondre avec l’énergie primaire – en baisse de 120 à 31 kilowattheures par mètre carré et par an. Il a demandé énormément d’assistance informatique de la part de spécialistes car il est bardé de systèmes de régulation des apports calorifiques et frigorifiques afin d’atteindre l’équilibre bioclimatique : c’est vraiment une formule 1.

Puis, pour assurer l’énergie positive, nous produisons 62 kilowattheures sur le site, c’est-à-dire le double de la quantité consommée, à partir de trois sources : un panneau d’un mètre carré en monocristal de silicium – toutes les études américaines tendent à démontrer que le rendement de ces installations devrait doubler en quatre ans pour passer à 35 %, ce qui fera considérablement baisser leur prix et par conséquent le seuil d’accessibilité au marché –, une chaudière biomasse à génération dégageant un rendement excellent, qui fonctionne avec des billes de bois reconstituées ou, mieux, de l’huile végétale, et une éolienne en complément, par souci de marketing plus qu’autre chose, à titre de symbole.

Cet immeuble coûtera 15 % supplémentaire à la construction, soit un surcoût de 5 à 7 % puisque la construction représente un peu moins de la moitié du prix de l’ensemble. Grâce à l’économie d’énergie, valorisée entre 0,09 et 0,12 euros du kilowattheure, en transférant une partie des charges sur le bénéficiaire principal, nous atteindrons presque l’équilibre économique, nous serons pratiquement capables d’autofinancer sa réalisation.

Trois constats s’imposent.

Premièrement, pour réussir à réaliser ce projet en neuf mois, il a fallu créer une task force qui remette en cause toutes les habitudes de conception. La profession vit depuis de nombreuses années sur une technologie vieillissante et va devoir s’adapter à une technologie beaucoup plus évoluée.

Deuxièmement, un groupe de 250 000 salariés comme le nôtre peut financer de tels investissements mais, dans une profession aussi éparpillée, je me demande comment les petits opérateurs auront accès aux technologies requises.

Troisièmement, ces bâtiments sophistiqués intègrent de plus en plus de connectique et de haute technologie pour lesquelles nous n’avons pas formé une génération de collaborateurs.

Après deux ans de travaux, c’est une formule 1 naissante. Sur le plan commercial, nous n’avons aucun problème pour la louer ; nous en occupons nous-mêmes la moitié pour nos collaborateurs, pour crédibiliser le projet. L’avenir consiste à mettre la formule 1 que nous avons bâtie entre les mains d’un pilote formé pour la conduire et la maintenir en équilibre. Nous avons monté une société à cet effet, car les exploitants sont aujourd’hui incapables de gérer des systèmes aussi perfectionnés.

Enfin, il ne sert pas à grand-chose de fabriquer un immeuble extrêmement performant en termes de maîtrise énergétique si l’on augmente le niveau de climatisation lorsque l’on a trop chaud. Afin de responsabiliser chaque collaborateur, nous avons donc mis sur pied, avec Cisco System, un matériel didactique qui fait converger le système d’information et le système de pilotage.

M. Christian Jacob. Dans ce domaine, l’innovation joue vraiment un rôle essentiel.

M Philippe Chanal, directeur général adjoint de la communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne, va témoigner des initiatives prises par les collectivités locales. Le conseil général de Lozère, par exemple, a lancé un projet de construction d’un bâtiment de 9 000 mètres cubes en basse consommation voire passif. Limeil-Brévannes porte un projet d’école avec une consommation très basse puisque l’objectif est de 23 kilowattheures au mètre carré par an. Ces projets sont-ils dus à des maires pionniers ou à des collectivités très riches ? Est-il possible de les généraliser ? Quelles contraintes les opérateurs publics rencontrent-ils ?

M. Philippe Chanal, directeur général adjoint de la communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne. Bruno Bourg-Broc, dans ses vœux à la communauté d’agglomération, le 17 janvier dernier, a fait la déclaration suivante : « Les programmes retenus dans le cadre du Grenelle de l’environnement concernent très largement l’échelon communal et intercommunal. Nous sommes prêts à relever ce défi car il en va de la qualité de vie de nos concitoyens. »

Au-delà des réalisations emblématiques comme celles que vous avez citées, des collectivités communales et intercommunales agissent au quotidien. Cela commence par un diagnostic énergétique de l’ensemble des bâtiments pour mettre en œuvre une véritable stratégie patrimoniale.

Lorsque l’on construit de nouveaux bâtiments, il n’est plus possible de ne pas avoir ce regard sur les économies d’énergie. La première difficulté est peut-être de partager les expériences et de disposer d’éléments chiffrés. Les élus communaux et intercommunaux participent à l’aménagement concerté. Pourra-t-on, demain, se passer d’un regard sur ces problèmes énergétiques ? À quelle échelle les chaufferies collectives au bois sont-elles imaginables ?

Les élus de la communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne ont décidé de réaliser une étude thermographique, qui se concrétisera dans les jours prochains et constituera un vecteur de communication sur cette problématique car elle sera mise en ligne. Nous avons rencontré des partenaires, dont l’ADEME et l’ANAH, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie et l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat. Notre objectif est de sensibiliser aux économies.

La communauté d’agglomération de Châlons-en-Champagne bénéficie depuis trois ans des aides à la pierre de l’État. Nous sommes en train de renouveler ces conventions pour six ans. Les aides cumulées de l’État et de la collectivité peuvent produire un effet de levier vis-à-vis des organismes bailleurs comme des particuliers.

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Je remercie chacune et chacun d’entre vous pour ces propos extrêmement intéressants.

Le Parlement doit traduire en loi, du point de vue des instruments comme des financements, les innovations technologiques que l’intelligence des équipes rend possibles.

En matière d’instruments, je m’étonne que personne n’ait évoqué les plans locaux d’urbanisme, les PLU. En effet, si nous n’imposons pas aux élus locaux la nécessité d’inclure des règles dans les PLU, nous n’arriverons pas à ces objectifs et nous en resterons aux effets d’annonce. Une harmonisation nationale, sur quelques règles, ne pourrait-elle pas être envisagée ? Il s’agirait par exemple d’exiger que les travaux d’urbanisme respectent les normes HQE.

S’agissant du solaire, je partage votre raisonnement. En revanche, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que l’énergie éolienne a un rendement insuffisamment convaincant pour être érigée en système sécurisé de production d’électricité. Au passage, installer une éolienne sur un immeuble va à l’encontre de la disposition instituant des zones de développement des éoliennes, les ZDE.

En matière de financements, quels sont les leviers ? Comment parvenir à investir davantage sans accroître les impôts locaux ? L’État peut apporter son aide. Le partenariat public-privé constitue une autre piste et l’Europe est susceptible de contribuer financièrement.

Je souscris totalement aux propos de Mme Françoise Grossetête : il est illogique que l’Union européenne sanctionne par le biais du seul critère du PIB des pays ayant déjà accompli des efforts. Avec Christian Jacob, nous sommes décidés à aller le plus loin possible en nous montrant innovants et dynamiques.

Bref, j’aimerais que vous nous éclairiez sur les instruments et les financements.

M. Christian Jacob. Je propose à Mme Pappalardo de répondre au président de la commission.

Mme Michèle Pappalardo. Même si je ne me suis pas étendue sur ce sujet, j’ai indiqué que la question des plans locaux d’urbanisme fait partie des thématiques importantes. Un comité opérationnel existe sur ce sujet et le Grenelle, à ce propos, comporte des orientations plutôt que des engagements. Un « sur-COS » – coefficient d’occupation des sols – peut être accordé pour les maisons particulièrement efficaces sur le plan énergétique. L’idée est de permettre aux collectivités locales, dans un premier temps, de prendre des initiatives puis de rendre les mesures obligatoires. En matière d’urbanisme, cette logique de pionniers est intéressante avant d’évaluer une disposition puis de l’imposer et de la généraliser.

Le concept d’« écoquartiers » concerne les collectivités d’une certaine taille qui se lancent dans des opérations d’urbanisme.

Les zones bien desservies par les transports en commun pourraient être densifiées.

Sur un certain nombre de pistes de ce type, des comités opérationnels vont faire des propositions. Il sera ensuite décidé de les appliquer systématiquement ou d’en faire des orientations.

La HQE n’est pas une norme ni la preuve d’un bon niveau de performance énergétique mais une démarche de construction ; l’ADEME a toujours été très prudente sur ce point. Cela dit, les normes catégorielles qui s’appliquent maintenant pour les maisons individuelles ou le tertiaire comprennent des critères énergétiques et thermiques. C’est compliqué, tout le monde s’y perd, mais, au-delà de la réglementation, un système de normes HQE avec une dimension énergétique est en train de se généraliser.

S’agissant des financements, les comités opérationnels s’efforcent de déterminer comment emboîter le plus efficacement possible et au moindre coût pour les finances publiques les systèmes d’obligation et d’incitation. Le financement peut reposer essentiellement sur les économies d’énergie réalisées grâce aux travaux. Le problème, c’est qu’un crédit d’impôt ne couvre pas la totalité de la dépense. Quoi qu’il en soit, les outils innovants s’appuyant sur cette logique ont commencé à faire leur preuve.

M. Christian Jacob. Je donne la parole à M. Dominique Jourdain, maire de Château-Thierry et président de l’association HQE.

M. Dominique Jourdain. Des institutions comme l’association HQE, l’ADEME ou les agences de l’eau ont commencé à bouger avant le Grenelle. Celui-ci nous appelle à une sorte de big-bang, mais plusieurs institutions préparaient le terrain depuis des années.

La HQE reste effectivement une démarche, initiée il y a une dizaine d’années, même si nous introduisons la notion de performance énergétique dans cette démarche de qualité environnementale.

La performance énergétique est capitale mais les enjeux du Grenelle doivent être intégrés dans un agrégat un peu plus complexe. Afin de rendre l’approche lisible et compréhensible pour les citoyens comme pour les maîtres d’ouvrage privés et publics, elle doit être politique.

Par ailleurs, pourquoi faire appel à des labels anglo-saxons alors que nous avons un enjeu économique français à défendre dans la perspective de la Présidence française qui approche ?

Notre démarche est globale, tout comme celles de l’ADEME et des agences de l’eau. Nous sommes donc confrontés à plusieurs questions. Quel est le périmètre de l’action publique ? L’État réglemente, légifère. Le niveau local intervient à travers les SCOT – schémas de cohérence territoriale – et les PLU, mais comment l’action est-elle solvabilisée ? Convient-il de laisser circuler les flux financiers, fiscaux, économiques, y compris pour les entreprises de bâtiment ? À cet égard, la question de l’outil me semble cruciale.

Une idée vient de m’apparaître.

Il y a quarante ans, quand les agences de l’eau ont été créées, des préoccupations du même type ont surgi. Tous les acteurs ont été réunis pour dialoguer de manière permanence et fixer des schémas d’intervention politique. Il importe de mettre tout le monde en mouvement. Une réflexion doit être menée sur la notion de périmètre territorial de l’action publique et sur les modalités de mobilisation des acteurs.

Je ne peux pas en dire davantage car je n’y ai pas encore réfléchi, mais tout passe par l’Europe et les territoires.

M. Christian Jacob. La parole est à M. Serge Poignant.

M. Serge Poignant. Cet échange est intéressant. Je ne reviendrai pas sur la question du financement. Je suis partisan des PLU plutôt que des SCOT.

Je suis tout à fait d’accord avec l’idée de « mesurer » et de « garantir ». Le président Ollier m’a chargé du contrôle de l’application de la législation, en particulier de la loi de 2005 dont j’avais été le rapporteur. Il faut certes inciter, mais à quel stade s’engager dans la contrainte vis-à-vis des élus, des entreprises comme des consommateurs ? L’action en direction des démonstrateurs est tout aussi essentielle ; un bouquet efficace doit être mis en place, d’un bout à l’autre de l’installation.

Enfin, ne confondons pas énergie finale et énergie primaire. Il importe de ne pas décourager d’autres pays sur la question du nucléaire.

Pour être efficace, il faut appréhender la question dans son ensemble.

M. Christian Jacob. La parole est à Mme Françoise Grossetête.

Mme Françoise Grossetête. Députée européenne mais aussi élue locale dans une grande ville, je fais le lien entre l’Europe et les territoires. En vous écoutant, j’ai eu le sentiment que nous en étions encore au stade de l’expérimentation, ce qui signifie que nous avons pris du retard. Dans quelques mois, ma ville, Saint-Étienne, inaugurera cependant un Zénith et un centre européen du design HQE et particulièrement performants du point de vue énergétique.

Les chaufferies bois collectives sont à recommander, mais à condition que les opérateurs soient sérieux et prévoient le traitement des fines particules cancérigènes dans le coût de leurs installations. Les élus en ont assez d’être trompés.

Pour être crédibles et entendus au niveau européen, il faut montrer que nous sommes capables de sortir rapidement de la phase expérimentale.

Les PLU et les SCOT constituent un tout fondamental pour l’urbanisation. Je préside depuis près de dix-neuf ans un parc naturel régional périurbain, créé en 1974 pour lutter contre la désertification rurale. Ensuite, les populations urbaines se sont déplacées vers la campagne, à la recherche de la qualité de vie et du moindre coût de construction. Aujourd’hui, avec le coût des transports et les coûts environnementaux, on va de nouveau attirer les gens vers la ville. Nous passons notre temps à changer de positionnement, mais nous n’avons plus le droit de ne pas penser les choses globalement.

La Présidence française sera crédible si nous montrons que nous allons très vite après le Grenelle de l’environnement et que nous savons passer de l’expérimentation à la généralisation. Pourquoi les pays nordiques parviendraient-ils à construire beaucoup de maisons passives et pas nous ?

M. Patrick Ollier. Il est indispensable que certaines règles environnementales générales deviennent obligatoires dans le cadre de la mise en œuvre des plans locaux d’urbanisme. La liberté des élus locaux ne s’en trouvera pas pour autant entravée.

M. Christian Jacob. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Je ressens deux inquiétudes.

Premièrement, la question de l’habitat social est centrale pour répondre à deux enjeux : celui du logement et celui des économies énergétiques. Comment éviter l’effet de ciseau produit par l’exigence très forte de construire davantage de logements ? L’application de la loi SRU et le respect du taux de 20 % par toutes les communes permettraient sans doute en grande partie de répondre au problème. J’ai trouvé très intéressante l’intervention de M. Yché. Entre 8 000 euros et 25 000 euros, il y a une marge. La question du logement social sera centrale.

Deuxièmement, les territoires ruraux, qui devraient être les plus sauvegardés du point de vue environnemental, subiront directement les conséquences des ambitions que nous nous fixons, sur les dossiers de l’assainissement de l’eau, du transport public et de l’habitat. Au final, les territoires ruraux se désertifieront encore davantage faute de pouvoir faire face aux nouvelles obligations.

M. Christian Jacob. M. Mazoyer voudrait réagir.

M. éric Mazoyer. Le Grenelle de l’environnement, si j’ai bien compris, a prévu le bâtiment à énergie positive pour 2020 alors que nous livrerons le premier en 2010. Nous sommes des industriels, alors faites-nous confiance : le jour où nous comprendrons les mécanismes, où nous saurons exploiter ce bâtiment et garantir son équilibre, nous entrerons dans une seconde phase.  Nous avons la responsabilité de nous assurer que notre prototype fonctionnera bien pendant quinze ans.

M. Christian Jacob. La parole est à M. Pelletier.

M. Philippe Pelletier. Le comité opérationnel dont je m’occupe est animé par une conscience aiguë de l’urgence mais j’aime bien cet adage : « Allons doucement, nous sommes pressés. » En d’autres termes, nous lançons un mouvement de rupture pour changer de mentalité et de comportement avant 2012. Ce mouvement mobilisera certainement beaucoup d’argent mais, au vu des aides proposées, des actions pilotes seront engagées pour modifier notre relation à la performance énergétique en lui donnant de la visibilité. Je crois beaucoup à l’exemplarité des corps intermédiaires et des groupements professionnels, avec lesquels nous passerons des accords très rapidement.

Il faut faire simple, lisible ; c’est l’idée du bloc ou du bouquet de travaux. Pour ne pas avoir à effectuer plusieurs séries de travaux, il importe de viser juste dès le début. Et, puisque ce programme nous mènera jusqu’en 2050, nous avons presque tous l’intuition que les équipements, les techniques d’installation et de maintenance et les prix qui seront mis en œuvre d’ici là ne seront plus ceux d’aujourd’hui : nous raisonnons sur un mauvais modèle économique, car nous allons passer d’une économie de prototype ou relativement confidentielle à une économie de masse. Les industriels restent figés et attendent encore un signal législatif pour être sûrs que le Grenelle n’est pas un feu de paille, après quoi ils développeront leur recherche.

Nous estimons que la date à partir de laquelle la contrainte interviendra doit être annoncée, même si la nature de la contrainte reste encore imprécise. Juste avant, il faudra injecter une aide massive pour lancer le mouvement. Ensuite, il conviendra de maintenir des aides pour les acteurs les plus fragiles et pour ceux des territoires les plus fragiles.

Avant la loi SRU, les deux tiers des dépenses de l’ANAH étaient concentrées sur les territoires ruraux, mais la représentation nationale nous a enjoint de nous engager davantage sur les tissus urbains denses. À enveloppe budgétaire inchangée, et même en légère diminution, nous avons dû nous désengager des territoires ruraux, ce dont vous me voyez navré.

M. Christian Jacob. La parole est à M. Yché.

M. André Yché. Outre les « écoquartiers » ou « écopolis », il faut s’intéresser à la filière des produits modulaires, qui permettront de réduire notre production de l’ordre de 25 %. De ce point de vue, il y a un vrai travail à accomplir.

M. Christian Jacob. La parole est à Mme Pappalardo.

Mme Michèle Pappalardo. Nous lançons de nombreux projets qui ne sont pas encore visibles. L’émulation, chez les constructeurs, est nette. Il manque toutefois encore les déclics pour aller vers la généralisation. Nous n’attendons pas l’arme au pied.

Des appels d’offres ont été passés et 200 projets sont en cours de développement ou de démonstration.

Le Grenelle prévoit aussi un outil pour les territoires ruraux : le plan climat énergie territoriale. Aucune mesure ne sera généralisable si le sujet n’est pas pris en compte dans sa globalité, qui englobe les dimensions de l’urbanisme, de la construction, des transports et des énergies renouvelables. Les territoires ruraux sont évidemment incontournables.

M. Christian Jacob. Je remercie chaleureusement tous les intervenants.

Deuxième table ronde commune
sur le Grenelle de l’environnement :
transports et développement durable

 Conduite par

M. Patrick Ollier, président de la commission
des affaires économiques, de l’environnement et du territoire

Interventions de :

M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, commissaire aux transports (vidéo)

M. Matthias Ruete, directeur général « Énergie et transports » à la Commission européenne,

M. Guillaume Pépy, directeur général exécutif de la SNCF,

M. André Douaud, directeur technique du Comité français des constructeurs automobiles,

M. François Bordry, président de Voies navigables de France.

PRésentation de la deuxième table ronde
et des intervenants

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Mes chers collègues, mesdames et messieurs, notre table ronde de cet après-midi sera consacrée aux transports, après que nous avons constaté ce matin, au sujet de l’habitat, les impératifs urgents qui se présentent aux législateurs français et européen.

Je salue le président de la délégation à l’aménagement et au développement durables du territoire, M. Christian Jacob, et le président de la délégation pour l’Union européenne, M. Pierre Lequiller, qui sont les coorganisateurs de cette réunion, ainsi que M. Serge Poignant, vice-président de la commission des affaires économiques.

Je suis heureux d’accueillir

M. Matthias Ruete, directeur général « Énergie et transports » à la Commission européenne,

M. Guillaume Pépy, directeur général exécutif de la SNCF,

M. André Douaud, directeur technique du Comité français des constructeurs automobiles, et

M. François Bordry, président de Voies navigables de France.

Nous allons ouvrir notre débat dans quelques minutes par un message vidéo de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne et commissaire aux transports, qui n’a pu nous rejoindre aujourd'hui mais qui suit de très près les travaux de l’Assemblée nationale.

Je ne voudrais pas que la presse laisse entendre que, pour nous, tout commence aujourd'hui. L’Assemblée s’intéresse depuis longtemps au problème de l’effet de serre et, plus généralement, au développement durable. Il faut saluer à cet égard les travaux de la mission d’information sur l’effet de serre, présidée par M. Jean-Yves Le Déaut et dont Mme Nathalie Kosciusko-Morizet était le rapporteur. Les conclusions de cette mission, en tous points remarquables, constituaient un « Grenelle » avant l’heure.

La loi d’orientation sur l’énergie, sur laquelle nous avons travaillé il y a deux ans et dont M. Serge Poignant était le rapporteur, a également permis d’affirmer certains principes au sujet du climat et des émissions de CO2. Nous nous sommes donc efforcés d’être au rendez-vous sur le plan national pour engager des décisions essentielles pour l’avenir de notre planète.

Les transports sont le secteur qui émet le plus de CO2 : 146 millions de tonnes d’équivalent CO2 émis en 2005, dont 135,2 millions pour le seul secteur routier. Aurons l’intelligence d’organiser des transferts vers d’autres modes de transport et d’adopter, pour les déplacements absolument nécessaires au développement de notre économie, des pratiques plus économes ? L’Assemblée est décidée à aller très vite et très loin. La commission des affaires économiques, avec la délégation à l’aménagement du territoire et l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, est déterminée à apporter, lors de l’examen des textes qui lui seront proposés dès avril prochain, la preuve de sa volonté d’aller jusqu’au bout de logiques qui ne sont ni de droite ni de gauche, mais d’intérêt général. La population doit savoir que la représentation nationale est décidée à engager les actions nécessaires avec courage et en évitant le débat politicien. L’Union européenne, pour sa part, doit être assurée que nous sommes des alliés résolus à avancer rapidement et vigoureusement.

M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne, commissaire aux transports. (Enregistrement vidéo.) Chers amis, je ne peux être des vôtres aujourd'hui car je me trouve au forum de Davos, où je vais également aborder la question cruciale de la mobilité durable. Je félicite MM. Patrick Ollier, Pierre Lequiller et Christian Jacob pour leur excellente initiative.

L’Union européenne a pris la tête de la bataille mondiale contre le changement climatique. La France a rejoint en force les rangs avec le Grenelle de l’environnement, dont les conclusions en matière de transports convergent avec les objectifs européens.

Réfléchir à la traduction des engagements en actes et à leur cohérence avec la politique européenne est essentiel. Le changement climatique a modifié le climat politique et l’union fera, comme toujours, la force.

Je remercie M. Matthias Ruete, directeur général de l’énergie et des transports à la Commission européenne, d’avoir bien voulu me représenter. Je ne doute pas que son expertise vous sera fort utile. M. Ruete vous expliquera les politiques que nous mettons en place pour une mobilité durable et le triple impératif que nous suivons.

Premièrement, accroître l’usage des modes de transport moins polluants que la route, en favorisant les investissements, en faisant tomber les barrières nationales, en développant l’articulation des différents modes de transport et l’excellence logistique. L’Union européenne construit ainsi un vaste réseau au service du marché intérieur. Le chemin de fer, la mer et le fleuve ont vocation à devenir des leviers puissants de la compétitivité européenne. Nous devons également arriver à la meilleure tarification possible de l’usage des infrastructures routières. C’est le sens de ce cadre juridique que constitue l’« eurovignette », cadre dans lequel doit s’inscrire le projet français d’écoredevance kilométrique sur les poids lourds. Au mois de juin prochain, je présenterai des mesures sur l’internalisation des coûts externes. Cette révision de la directive Eurovignette permettra de calculer les pollutions générées par les camions, de les prendre en compte dans les tarifs des péages et, bien sûr, d’affecter les recettes aux investissements durables.

Deuxièmement, rendre la route et le ciel plus verts. La route reste irremplaçable sur des courtes distances. L’avion est le mode de transport du monde globalisé. Il faut donc les rendre durables en développant la recherche sur les nouveaux moteurs, les nouveaux carburants, la gestion du trafic aérien.

Troisièmement, favoriser la révolution des comportements. Une nouvelle culture de la mobilité doit naître :

– culture de la sécurité routière : la France, à cet égard, a donné de bons exemples à l’Europe, mais quarante mille vies sont encore fauchées chaque année sur les routes de l’Union européenne. Nous devons poursuivre le combat sans relâche. La proposition législative sur les poursuites transfrontalières en cas d’infraction grave, que je présenterai en février, sera un outil supplémentaire dans la guerre que nous menons contre l’insécurité routière ;

– culture de la mobilité urbaine, avec le plan d’action que je présenterai à l’automne prochain ;

– culture de la mobilité organisée et efficace, grâce à l’usage de la navigation par satellite pour éviter les encombrements et les trajets inutiles. GALILEO sera un vecteur essentiel de ce transport intelligent.

Je vous laisse maintenant à vos travaux, que je souhaite les plus fructueux possibles et dont M. Ruete me rendra compte. La France doit continuer sur sa lancée pour être un leader de la mobilité durable, à la pointe de l’Europe, qui doit être elle-même à la pointe du monde. Encore bravo pour cette initiative. Je regrette beaucoup de ne pouvoir être parmi vous.

M. Patrick Ollier. Je remercie M. Jacques Barrot et souhaite qu’il élabore de bonnes décisions à Davos.

Les transports représentent 26 % des émissions de gaz à effet de serre, contre 19 % pour le bâtiment. Ils ont émis 146 millions de tonnes d’équivalent CO2 en 2005 contre 113 millions en 1990.

Je souhaiterais, monsieur Ruete, que vous nous informiez de ce que l’Union européenne prépare, mais j’aimerais également recueillir votre avis sur les idées soulevées lors du Grenelle de l’environnement, comme le système de bonus-malus, l’écopastille, le projet de taxe sur les poids lourds, ainsi que sur la taxe carbone. Nous voulons que ces dispositifs soient mis en place à fiscalité constante. Dans cet exercice d’équilibrisme, vos conseils seront les bienvenus.

M. Matthias Ruete, directeur général « Énergie et transports » à la Commission européenne. M. Jacques Barrot a déjà tracé dans son message les grandes lignes d’action qui s’imposent. Hier était un grand jour pour l’Europe, puisque nous avons présenté à Bruxelles les éléments concrets pour réaliser l’objectif des « 20-20-20 en 2020 » fixé par nos chefs d’État et de gouvernement : 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre, 20 % de gain d’efficacité énergétique et 20 % d’énergies renouvelables.

Nous postulons d’abord que tous les modes de transport doivent devenir plus propres. Le train, par exemple, ne représente pas le même bilan selon la façon dont est produite l’électricité qu’il consomme. À l’heure actuelle, la production la plus propre est le nucléaire, et le renouvelable représente une proportion bien inférieure de la production d’électricité partout en Europe.

Il faut être conscient que le transport routier restera prédominant. Même si nous remplissons tous nos objectifs en matière de report modal - modal shift -, il ne s’agira pas d’un changement radical mais d’un changement à la marge. C’est pourquoi M. Barrot et moi-même avons aussi orienté notre politique pour encourager la recherche sur des voitures et des camions plus propres. La politique européenne a déjà enregistré des succès, notamment en matière de normes d’émission. La proposition récente sur les émissions de CO2 par les automobiles, assez discutée, me vaut le surnom de « monsieur 10 grammes », puisque je suis responsable de la promotion des pneus verts et des biocarburants.

Nous avons également présenté en décembre dernier une proposition de directive relative à la promotion des véhicules de transport routier propres et économes. L’idée est d’amener progressivement les États membres à prendre en considération les véhicules propres dans les marchés publics. Lorsque les maires choisissent des véhicules pour leur municipalité, il faut qu’ils réfléchissent à leur cycle de vie. Avec les normes que nous mettons à leur disposition, il apparaîtra qu’une automobile qui semble moins chère au départ sera en réalité beaucoup plus coûteuse, car plus polluante, sur l’ensemble de son cycle de vie.

En outre, la Commission a proposé l’objectif de 10 % de biocarburants dans la consommation globale du secteur routier en 2020. Cela mérite explication car les biocarburants, considérés un moment comme la panacée, sont soumis maintenant à des critiques assez vives. Nous avons beaucoup travaillé à l’élaboration d’une définition des « biocarburants soutenables ». Celle-ci a fait l’objet de négociations assez difficile avec mes collègues de l’agriculture et de l’environnement, mais, une fois adoptée, elle permettra de fixer des normes et de s’assurer que ces biocarburants garantissent une réduction d’au moins 35 % – et sans doute beaucoup plus – des émissions de gaz à effet de serre.

Nous n’avons néanmoins pas fixé la trajectoire pour parvenir à cet objectif de 10 % en 2020, ce qui laisse un espace pour les biocarburants de la deuxième génération. Chaque État membre pourra définir le rythme selon lequel il compte arriver aux 10 %.

Un autre axe de notre politique est la lutte contre les gaspillages occasionnés par la congestion. Pour assurer une meilleure gestion des flux de transport, il est nécessaire de mieux les connaître et de disposer d’outils efficaces. Nous avons essayé de mettre en place différentes technologies, comme le RTMS – rail traffic management system – européen, qui est encore un peu contesté, mais qui permettra, une fois réalisé, de gérer des sillons ferroviaires partout en Europe, de manière analogue à ce qui se passe pour le trafic aérien. Dans ce dernier domaine, d’ailleurs, nous participons à l’ambitieux projet, nommé CESAR – cost effective small aircraft –, qui introduit la nouvelle génération de systèmes de gestion du trafic et vise à réaliser d’importantes économies d’énergie et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le système Safe sea net permettra pour sa part de suivre le trafic des navires autour de l’Europe. Enfin, GALILEO nous offrira d’ici à 2013 un système de navigation par satellite. C’est la première infrastructure dont l’Union européenne sera le propriétaire, ce qui implique pour nous de nouvelles responsabilités.

Il faut aussi changer nos comportements par une tarification verte reflétant mieux les coûts réels occasionnés par les différents modes de transport. Les études montrent que les taxes et redevances actuelles ne traduisent pas les coûts environnementaux, notamment en ce qui concerne la qualité de l’air et les nuisances sonores. Nous voulons élaborer un outil pour combler cette lacune et allons proposer une stratégie pour internaliser les coûts externes, tout en proposant, comme l’a annoncé M. Jacques Barrot, une modification de la directive Eurovignette en juin, en espérant que cette réforme pourra être adoptée par le Parlement européen avant les élections de 2009.

Nous souhaitons également promouvoir une approche plus transversale des modes de transport. La notion de « co-modalité » que Jacques Barrot veut imposer au niveau européen traduit bien notre volonté de tirer le meilleur parti des différents moyens de transport. Si le camion a sa place dans cette stratégie, nous devons développer bien plus les corridors de fret ferroviaire. C’est sous l’impulsion de la France et de Jacques Delors que les réseaux transeuropéens ont été initiés. Dans le cadre du traité de Maastricht, ceux-ci devaient former l’armature du marché intérieur en constitution. Aujourd'hui, ils sont d’excellente qualité pour le transport de passagers, mais pas pour celui des marchandises. Le nouveau réseau que nous souhaitons mettre en place sera fortement focalisé sur le fret ferroviaire et sur les autoroutes de la mer.

La logistique, qui est un autre thème transversal, a sans doute été le parent pauvre de la réflexion européenne. On n’a pas assez pensé en termes d’interconnexions. Notre travail porte donc sur les goulets d’étranglement en matière de logistique et sur ce qui pourrait améliorer la fluidité des transports.

Enfin, une réflexion sur la mobilité urbaine a pu s’engager au niveau européen malgré le principe de subsidiarité – alors que, il y a dix ans, celui-ci était opposé par les maires à la Commission lorsqu’elle abordait le sujet. À vrai dire, nous pratiquons déjà une politique de la mobilité urbaine par nos règles de marchés publics, par nos subventions, etc., mais les villes, qui sont avides d’expertise en matière de bonnes pratiques, commencent à se tourner vers nous. Un plan d’action sur la mobilité urbaine sera certainement présenté dans le courant de cette année.

Vous le voyez, l’Europe partage largement les objectifs que la France s’est fixés pour réussir la lutte contre le changement climatique. Le transport doit jouer son rôle dans ce combat, mais une approche qui viserait à entraver la mobilité serait vouée à l’échec. Ce qu’il faut encourager, c’est une mobilité plus propre.

M. Patrick Ollier. Comme vous devez quitter notre réunion plus tôt, monsieur Ruete, nous allons prendre une première série de questions qui vous sont adressées. Je souhaite pour ma part que vous nous apportiez des précisions sur les transports fluviaux.

M. Serge Poignant. J’apprécie cette notion de mobilité propre, qui englobe tous les modes de transport. M. Jacques Barrot a évoqué le rôle de la route pour les courtes distances, mais j’attire votre attention sur l’insuffisance des infrastructures pour les poids lourds qui remontent du Sud de l’Europe par Bordeaux, Angoulême, Limoges et Mâcon. Comment envisagez-vous cette question ?

M. Barrot a évoqué l’écotaxe sur les poids lourds, qui pourrait s’inscrire dans le cadre de l’eurovignette, mais qu’en est-il de la position européenne sur la fameuse taxe carbone aux frontières, dite « taxe Cambridge » ?

M. Alain Gest. Vous souhaitez inciter les communes à faire preuve de discernement lorsqu’elles choisissent de leurs véhicules, mais les élus aimeraient avoir un choix plus étendu en matière de véhicules propres, notamment français et européens.

S’agissant des biocarburants, la décision que vous avez prise hier est très importante. Il y a deux ou trois ans, on considérait, de manière évidemment excessive, qu’ils étaient la panacée. Aujourd'hui, on les charge de tous les péchés du monde. La juste position est à l’évidence intermédiaire. Le Conseil des ministres de l’environnement doit étudier prochainement un projet de directive sur la qualité des essences qui devrait permettre l’adjonction directe de bioéthanol, notamment, dans les essences. La France a pris position en faveur de cette mesure. Qu’en est-il des autres pays européens et de la Commission ?

M. Christian Jacob, président de la délégation à l’aménagement et au développement durable du territoire. Le secteur des biocarburants est en plein développement et nous offre de nombreuses perspectives, notamment en matière de recherche, là où, depuis plus d’un siècle, toute la recherche agricole était orientée vers l’usage alimentaire des produits. Le lien doit être fait avec un autre sujet européen d’importance, aujourd'hui sensible en France, celui des OGM. Dans l’un et l’autre cas, nous avons tout intérêt à faire avancer très vite la recherche pour obtenir des biocarburants qui deviendront très compétitifs. Si l’on peut comprendre les critiques émises aujourd'hui, il faut à tout prix éviter les procès d’intention et préserver nos chances pour l’avenir.

En outre, la fabrication de biocarburants produit également des tourteaux, ce qui se traduit par un abaissement du coût de l’alimentation des bestiaux très important, de l’ordre de 25 à 30 % pour le porc ou la volaille, où ce poste représente la charge principale.

Pour ce qui est de la mobilité, si beaucoup reste à faire pour les routes, ce serait une hérésie de se passer d’une approche européenne pour le rail et les voies navigables. Nous avons tout intérêt à travailler dans le cadre de schémas européens.

M. Philippe Plisson. Il faut bien distinguer les biocarburants issus d’huiles végétales et ceux que l’on obtient à partir de maïs arrosé, cultivé avec des désherbants et des engrais. Les premiers doivent être encouragés, les seconds absolument écartés.

Au nord de Bordeaux, les encombrements dus au trafic de camions sont considérables. Le projet de grand contournement de la ville a été considéré, dans le cadre du Grenelle de l’environnement, comme un « aspirateur à camions ». Si l’on ne trouve pas le moyen de réguler la circulation des poids lourds par une écotaxe, ce sera la thrombose.

M. Jean Proriol. Quel est le pays européen où le fret ferroviaire fonctionne le mieux ? Nous sommes attentifs aux plans de la SNCF pour améliorer ce secteur. Le ferroutage reste-t-il une vue de l’esprit du fait de la différence entre les gabarits ? L’Union européenne travaille-t-elle à l’unification de ces gabarits ?

Le projet ALTRO, censé relier le Portugal et l’Espagne à l’Europe centrale et orientale via Bordeaux, le Massif central, Lyon et Turin, est-il, lui aussi, tout théorique ? À quel horizon fixeriez-vous sa concrétisation ?

M. Pierre Lequiller, président de la délégation pour l’Union européenne. Vous avez remarqué que le principe de subsidiarité s’appliquait à la question de la mobilité urbaine. Alors que le Traité de Lisbonne confère aux parlements nationaux des compétences élargies en matière de contrôle de ce principe, quelles sont vos intentions dans ce domaine ? Comptez-vous réglementer ? Existe-t-il, au sein de la Commission, un service qui se consacre à la mobilité urbaine et qui compare les différentes expériences des villes européennes.

M. Claude Gatignol. S’agissant des biocarburants, que l’on pourrait aussi appeler agrocarburants, faites-vous une différence entre l’éthanol, dont le bilan environnemental et les conséquences pour les surfaces cultivées sont mauvais, et les huiles servant de succédané au gazole, qui présentent un intérêt indubitable. Entendez-vous préciser les choses et dire enfin la vérité au consommateur ?

Par ailleurs, des mesures vont-elles être prises pour faciliter le ferroutage ? Dans mon département, le port de Cherbourg se situe en plein sur la verticale Nord-Sud.

Vous n’avez pas évoqué les nouveaux véhicules électriques ou fonctionnant à l’hydrogène. Faudra-t-il attendre une directive européenne pour que le Parlement français autorise enfin les véhicules à hydrogène à rouler en France, comme cela est le cas en Allemagne par exemple ?

Mme Françoise Grossetête. Les membres de la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen se posent beaucoup de questions au sujet des agrocarburants. Ne parlons plus de ceux de la première génération et la deuxième génération soulève de nombreuses interrogations.

Lorsque l’on a commencé à développer cette filière, on avait besoin de trouver de nouveaux débouchés pour nos agriculteurs. Maintenant que l’on s’aperçoit qu’il faut nourrir la planète, l’inquiétude au sujet des débouchés s’est dissipée et l’on se demande même comment l’on pourra produire suffisamment pour l’alimentation. Cela change la donne. Peut-être faut-il chercher à élaborer des agrocarburants à partir de déchets végétaux, mais les perspectives restent mal définies. C’est pourquoi la commission de l’environnement pense qu’il faut trouver d’autres solutions et s’emploie plutôt à faire pression sur les constructeurs automobiles pour qu’ils fassent preuve d’innovation en matière de moteurs propres et de nouvelles technologies.

Comme je suis persuadée que c’est dans cette direction qu’il faut travailler, les propos que le président Barroso a tenus hier sur les agrocarburants ne m’ont pas totalement convaincue.

M. Philippe Vigier. Il me semble que l’Union européenne pourrait s’employer à établir un écobilan global qui serait ensuite opposable à tous les États membres.

Ensuite, où en est-on des autoroutes ferroviaires, sur lesquelles le Grenelle de l’environnement a formulé des conclusions intéressantes ? Il existe des projets en France. La Commission compte-t-elle s’engager aux côtés des États et des collectivités sur cette voie prometteuse ?

Enfin, il faudrait veiller à harmoniser les taxes carbone sur les transports. Les disparités de niveau entre les pays de l’Union, qui entraînent des problèmes de concurrence déloyale, ne sont pas supportables.

M. Matthias Ruete. Les biocarburants sont l’un des grands sujets de la proposition que nous avons faite hier. À mon sens, il faut dépassionner le débat et examiner tous les éléments que la directive Énergies renouvelables apporte en la matière. Nous établissons une méthodologie pour définir les biocarburants soutenables et pour évaluer les différentes matières premières et formes de production. La base de comparaison que nous avons retenue pour mesurer les émissions CO2 est le pétrole extrait dans les conditions les plus favorables, celui du Moyen-Orient par exemple.

L’argument selon lequel la production de biocarburants menacerait la production alimentaire ne nous semble par pertinent, car il procède d’une analyse effectuée aux États-Unis sur la production d’éthanol et que l’on ne peut appliquer à l’Europe. Cela ne nous empêche pas de prévoir, dans la directive, un outil permettant d’observer les incidences sur les prix agricoles.

Le débat doit entrer dans une phase technique au cours de laquelle on confrontera les différentes études. Il y a un an et demi, j’étais plutôt sceptique, mais plusieurs éléments m’ont amené à évoluer. Il faut savoir que nous n’avons pas d’alternative, pour l’instant, à la propulsion par le pétrole. Même si nous travaillons sur les véhicules électriques et à hydrogène, la seule perspective d’évolution dans le court terme repose sur les biocarburants. Si nous ne suivons pas cette piste pour réduire la pollution provoquée par les transports, il sera vain d’accuser ce secteur d’activité d’être polluant.

Je m’en veux de ne pas avoir mentionné les voies navigables dans mon exposé. Vous connaissez, monsieur le président Ollier, l’intérêt que nous leur portons et les fonds que nous leur consacrons. C’est un secteur très prometteur mais encore sous-développé. Je suis un fervent partisan des projets de connexion entre la Baltique et la mer Noire via la Volga ou le Danube. Certaines voies navigables, aux Pays-Bas par exemple, sont utilisées de façon remarquable parce qu’elles bénéficient d’une réelle connexion avec les ports. Ce n’est pas encore le cas en France.

Cela m’amène à la question de la politique intégrée des transports, qui doit mettre l’accent sur les connexions entre les ports et les hinterlands.

Dans de grands ports tels que Rotterdam, Anvers ou Hambourg, des trains partent très régulièrement vers la Roumanie, l’Italie, le Portugal, l’Espagne. Il est d’ailleurs paradoxal que des bateaux qui sont passés par le canal de Suez soient déchargés dans les ports du Nord de l’Europe et que les marchandises soient ensuite acheminées, par train ou par camion, vers les pays méditerranéens. Nous prévoyons d’ouvrir la question dans le cadre de la réflexion sur les réseaux transeuropéens.

En ce qui concerne le débat sur le contournement de Bordeaux, l’Europe ne peut prendre parti. Il appartient à l’État français et aux collectivités locales de fixer des priorités. En général, il est de bonne logique d’investir dans les infrastructures routières là où existent de vrais problèmes de congestion.

L’Union européenne n’introduira de réglementation en matière de mobilité urbaine que là où il pourra s’avérer nécessaire de garantir une interopérabilité. On peut imaginer que la mairie de Londres se tourne vers nous pour poursuivre les automobilistes étrangers qui violent les règles de péage, mais il n’appartient pas à l’Europe de réglementer ce qui relève de la liberté des villes. Au contraire, chaque fois que nous élaborons une législation, nous veillons à préserver la liberté que les villes doivent avoir pour développer leurs politiques. L’intervention de l’Europe se fera plutôt au travers de subventions et de recommandations de bonnes pratiques.

S’agissant de la taxe carbone, nous avons annoncé hier qu’il était possible de contraindre les importateurs de marchandises de pays tiers à participer au système de certificats d’émissions pour les produits qu’ils importent. À défaut d’un accord mondial dans le cadre du post-Kyoto, c’est ce qui nous semble le plus conforme aux règles de l’OMC.

M. Patrick Ollier. C’est en effet une bonne approche du problème. Je vous remercie pour ces réponses, monsieur le directeur général, et je formule le souhait que la commission des affaires économiques maintienne des contacts réguliers avec votre direction générale.

M. Guillaume Pépy, directeur général exécutif de la SNCF. Je vous prie d’excuser l’absence de Mme Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF, qui participe elle aussi au forum de Davos.

Les décisions du Grenelle de l’environnement constituent sans doute la meilleure nouvelle pour la SNCF depuis des décennies, puisque notre raison d’être est la mobilité durable. Cette bonne nouvelle concerne aussi nos concurrents dans le domaine du fret, la Deutsche Bahn et Veolia Cargo, qui, dix-huit mois après l’ouverture du marché français, en ont déjà pris 10 %.

Le Grenelle de l’environnement donne une priorité claire aux investissements en matière de rail et de voies d’eau. Les mécanismes incitatifs qu’il propose en faveur du report modal faisaient gravement défaut pour atteindre les objectifs de l’Union européenne ou celui, fixé par le Président de la République, de l’augmentation de 25 % de notre part modale.

Le Grenelle sert et oblige tout à la fois la SNCF. Ce sera notre fil rouge dans les prochaines années. Il existe désormais une forte pression des consommateurs. Nous allons généraliser les éco-comparateurs, qui leur permettront de mesurer quel est l’impact de leur choix de mode de transport en termes d’émissions de gaz à effet de serre.

Si le train présente des atouts écologiques dans 90 % des cas, il faut aussi reconnaître qu’il se révèle parfois décevant lorsqu’il est mal utilisé. Le bilan d’une micheline transportant quinze voyageurs en traction diesel est très mauvais. Un locotracteur qui crachote en tirant trois wagons vers une coopérative céréalière, c’est attendrissant mais c’est une catastrophe en termes d’impact sur l’effet de serre.

Nous entendons donc faire du développement durable à la fois un business et un ensemble de valeurs.

L’un des projets qui nous tiennent le plus à cœur est celui des « trains de l’après-pétrole ». Le ferroviaire ne représente que 0,7 % des émissions de gaz à effet de serre, mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’en préoccuper. Nous travaillons ainsi sur l’idée de trains « bi-mode », tantôt électriques, tantôt diesel. En France, beaucoup de trains à traction diesel circulent, faute de locomotives adaptées, sur des voies électrifiées. Nous travaillons aussi à des locotracteurs ou des locomotives à pile à combustible et à moteur hybride. Nous testons enfin des technologies toutes nouvelles consistant à recouvrir de films photovoltaïques les parois de certains trains pour alimenter leurs batteries.

Les deux expérimentations de biocarburant de type B30, que nous menons avec les régions, ont donné de premiers résultats qui dépassent nos attentes.

Une compagnie comme Eurostar a décidé de rendre les voyages entre Paris, Londres et Bruxelles neutres du point de l’environnement, moyennant un abaissement de la consommation d’énergie et un rachat de certificats sans aucune répercussion sur les consommateurs.

En matière de fret ferroviaire, bien que le ton général soit à la complainte, nous restons optimistes car nous observons que les chargeurs – c'est-à-dire les clients – sont en train de changer. Nous avons par exemple signé avec des groupes agroalimentaires un accord de globalisation des flux ferroviaires. Alors que nous faisions jusqu’à présent de l’épicerie fine, pour ainsi dire, nous regroupons désormais les flux sur des plateformes d’éclatement de manière à former des trains beaucoup plus longs. Nous évitons ainsi les pertes que nous avons connues dans ce secteur et nous apportons la preuve que les entreprises peuvent être parties prenantes de la renaissance du fret ferroviaire.

Nous croyons aussi aux autoroutes ferroviaires. Ce sont des projets de long terme nécessitant d’importants investissements : raison de plus pour les engager maintenant ! Le Grenelle de l’environnement se réfère à deux projets, l’un partant du Kent, passant par Lille et descendant vers le Sud-Ouest pour rejoindre Vittoria en Espagne, l’autre reliant Luxembourg à Marseille, Perpignan et l’Espagne. Il est urgent de lancer ces projets pour qu’ils donnent leur plein effet dans dix ou quinze ans. Nous souffrons actuellement du fait que les générations précédentes n’ont pas privilégié le fret dans leurs investissements.

Il faut aussi réaliser l’Europe des voyageurs et des chargeurs. Un des projets de dimension européenne, CAREX, consiste à utiliser le réseau européen à grande vitesse pour du fret ferroviaire et notamment de la messagerie express. Malgré les problèmes que l’on ne manquera pas de mettre en avant, on y arrivera, ce qui permettra de supprimer les avions court-courriers que Fedex, DHL et l’ensemble des postes européennes utilisent actuellement. En France, la SNCF et La Poste ont élaboré le même projet de TGV acheminant non seulement des lettres, mais aussi des colis. Sa mise en œuvre interviendra à la fin de 2008 ou en 2009. Nous retirerons alors des rames de TGV du service voyageurs pour les affecter au fret.

Je conclurai par l’évocation de deux problèmes importants pour l’avenir.

D’abord celui des péages. Prenons l’exemple d’Eurostar : en France, le péage est calculé au train, dans le tunnel il l’est au passager et en Grande-Bretagne il l’est au forfait. Cette absence d’harmonisation est un obstacle au développement du transport ferroviaire.

Ensuite celui des sillons. Plus on met en service de trains régionaux, plus on rend difficile la circulation du fret en Europe. C’est un véritable casse-tête que d’organiser des longs parcours pour des trains de marchandises. Si, par des décisions politiques fortes, on n’accorde pas la priorité au fret européen, celui-ci fera des sauts de puce alors qu’il a besoin d’aller tout schuss.

M. François Bordry, président de Voies Navigables de France. En France, le  fluvial a été en régression jusqu’en 1995. L’on a même cru qu’il avait complètement disparu. Si la France a toujours le réseau fluvial le plus long d’Europe, il est loin d’être le plus moderne, comme c’était le cas avant la guerre. En effet, depuis les années soixante, notre pays a préféré investir dans les autoroutes plutôt que dans les voies d’eau.

La France dispose aujourd’hui d’infrastructures fluviales aux réserves de capacité dans le fret considérables, sur des axes par ailleurs  largement saturés pour les autres modes de transport. L’on peut ainsi multiplier par quatre ou cinq le trafic sur la Seine à travers Paris, par six, sept ou huit celui sur le Rhône et la Saône. De surcroît, ces infrastructures, disponibles, n’ont pas besoin de gros travaux.

La problématique est la même pour les ports.  Contrairement à Anvers ou Rotterdam, la France n’a pas l’habitude de travailler à partir de hubs à l’intérieur des terres. Les dirigeants des ports maritimes ont trop souvent négligé les dessertes terrestres. Or, lorsqu’un navire décharge trois mille  conteneurs, de très nombreux trains, convois fluviaux, camions, sont nécessaires par la suite. La massification fluviale suppose d’organiser des interfaces fleuve/ mer/ train afin d’assurer le plus rapidement possible et en toute sécurité l’évacuation des marchandises vers  des plateformes intérieures, à partir desquelles elles seront redistribuées dans toutes les directions et selon tous les modes disponibles.

Duisburg a pu prendre cet essor considérable parce que les millions de tonnes de marchandises qui y arrivent chaque jour sont réacheminées par le Rhin, ou par les cinquante navettes ferroviaires qui desservent 80 destinations. Il faudrait inciter les opérateurs ferroviaires à traverser Paris par le fleuve, et à organiser la reprise à l’Est de Paris, ce qui permettrait d’afficher 25 % d’augmentation des modes alternatifs selon l’objectif fixé par le Président de la République.

Au Nord de Lyon, les conteneurs pourraient ainsi repartir de Chalon-sur-Saône à partir de plateformes vers toutes les destinations ferroviaires du Nord et de l’Est de la France ou d’Europe. Le fleuve permettrait de traverser Lyon dans de meilleures conditions, avec des capacités bien augmentées.

Il reste beaucoup à faire pour que la complémentarité entre les modes massifiés s’affiche et progresse.

Enfin, la liaison Seine-Nord Europe permettra d’opérer un changement considérable en France. Ce projet de canal, qui attend sa déclaration d’utilité publique pour les prochains mois, devrait être achevé en 2014. Il a reçu un très fort soutien de la Commission européenne à la demande du Gouvernement français, et il permettra de réaliser les cent kilomètres qui manquent entre la Vallée de l’Oise et le Nord, pour relier l’ensemble de la vallée de la Seine à tout le Nord européen, voire la mer Noire et la Baltique. Il sera alors possible, le long de la Seine, de l’Oise, sur les canaux du Nord, de se réapproprier en France la logistique d’une façon massifiée et d’acheminer de cette manière les marchandises vers l’ensemble des ports d’Europe du Nord, à condition toutefois de bien avoir réfléchi aux nœuds de connexion avec les autres modes de transport.

C’est la première fois en Europe que, sur les infrastructures de transport, on inscrit des plateformes multimodales dans le périmètre de la déclaration d’utilité publique. La logistique doit s’installer le plus près possible des zones de consommation. Alors que la Hollande compte un millier de zones logistiques de taille européenne, et la Flandre trois ou quatre cents, on n’en trouve pas cent en France.

M. Patrick Ollier. Vous venez de tenir des propos de bons sens. La connexion, en termes parlementaires et politiques, cela s’appelle l’aménagement du territoire. Or, à notre grand regret, il n’y a plus de véritable volonté d’aménager le territoire, depuis la loi de 1994. Les conséquences sont graves.

M. André Douaud, directeur technique du Comité français des constructeurs automobiles. L’automobile est aujourd’hui un élément clé de la société, en termes de mobilité, et il faut prendre en compte plusieurs points si l’on veut déterminer son impact en matière d’émission de gaz à effet de serre.

Tout d’abord, moins un véhicule consomme d’énergie pour rouler, meilleur ce sera pour les émissions de CO2. Il faut bien comprendre que l’émission de CO2 est directement liée à la consommation de carburant. Quel que soit l’endroit où se trouve le véhicule, la consommation d’un litre d’essence produira toujours la même quantité de CO2 par kilomètre. Or, souvent, le citoyen auquel on demande de faire des efforts pour rouler propre confond les polluants qui dégradent la qualité de l’air et le CO2, lequel n’est pas un produit toxique pour la santé.

Par ailleurs, pour ce qui est des véhicules, le CO2 est quasiment le seul gaz à effet de serre. Or le pétrole représente  aujourd’hui 98 % de l’énergie que les transports utilisent. Il contient du carbone fossile qui, lorsqu’il brûle dans un moteur, produit du CO2, lequel se retrouve dans l’atmosphère. Il faudrait donc utiliser des énergies qui contiennent moins, voire pas du tout, de carbone fossile.

La molécule de biocarburant contient ainsi du carbone issu des plantes qui ont absorbé le CO2 de l’atmosphère. En brûlant, il produira du CO2, mais qui ne sera pas d’origine fossile, et ne contribuera donc pas à augmenter l’effet de serre. Malheureusement, pour fabriquer des biocarburants, il aura sans doute fallu utiliser un tracteur, par conséquent, du pétrole. Ainsi, la fabrication d’éthanol américain nécessite de consommer beaucoup de pétrole. Ce n’est pas du tout le cas, en revanche, pour l’éthanol brésilien. Entre ces deux extrêmes, il reste une place importante pour la filière des biocarburants. Pour l’automobile on est en effet obligé de stocker l’énergie à bord du véhicule, et la forme liquide permettant un stockage à très forte densité ; toute énergie liquide qui ne contiendra pas de carbone fossile sera la bienvenue.

Il y aurait par ailleurs un milliard de véhicules sur la planète. Le marché moyen annuel mondial étant de l’ordre de 60 à 70 millions, il faut plus de dix ans pour rénover le parc mondial. Si l’on veut se fixer des objectifs en matière d’émission de CO2 pour 2020, il ne faut pas se préoccuper des seuls véhicules nouveaux qui sont mis sur le marché. 

Enfin, il convient de ne pas oublier que  les constructeurs français Renault et PSA sont avant tout des constructeurs mondiaux avec six millions de véhicules par an dans le monde, contre un en France. Ils ont ainsi une vision mondiale des technologies, et ils vont faire des recherches dans toutes les directions possibles. Cependant, le véritable problème d’un constructeur mondial n’est pas tant la recherche que l’aspect économique. S’il doit vendre des millions de véhicules, il faut qu’ils soient à un prix acceptable. Un véhicule propre n’aura jamais le moindre impact sur les émissions de CO2 du transport routier s’il n’intègre pas massivement  le marché. Ainsi, sur les 600 millions de véhicules vendus dans le monde en dix ans, seul un million étaient hybrides.

Quant aux véhicules flexfuel, qui peuvent fonctionner avec n’importe quel mélange essence alcool, seuls dix millions circulent, essentiellement aux États-Unis et au Brésil. Il ne s’en vend que deux cents par an en France, faute de dynamique de marché. C’est un échec retentissant.

M. Patrick Ollier. Monsieur Douaud, cela fait dix ans que la commission des affaires économiques interpelle les constructeurs automobiles et les grands pétroliers sur les perspectives d’avenir des véhicules propres, sans réponse. Il aurait fallu anticiper les difficultés, et préparer le marché. Les fabricants et les pétroliers ne donnent pas le sentiment de s’être investis dans la lutte contre l’émission de gaz à effet de serre.

M. Serge Poignant. La notion d’intermodalité est essentielle. Où en est à cet égard l’aéroport Notre-Dame des Landes ?

La question des ports est tout aussi fondamentale.  Peut-on donner de vraies priorités à ces dessertes autant en marchandises, en fret qu’en voyageurs, y compris dans les plus petits territoires ?

Par ailleurs, à quelle échéance les constructeurs français s’engagent-ils sur les véhicules hybrides, et quel pourrait être l’avenir des véhicules électriques si l’on parvient à stocker plus facilement l’électricité ?

M. Philippe Vigier. Au moment où  les opérateurs se mettent en place pour l’autoroute ferroviaire, il convient de dégager deux ou trois priorités. L’on n’avancera pas si l’on ne hiérarchise pas les priorités.

Mme Françoise Grossetête. Où en sont les autoroutes maritimes, qui sont un projet de Jacques Barrot ? Qu’en est-il également du canal Rhin-Rhône ?

Vous avez parlé de la Seine : nous avions de belles perspectives, mais nous nous sommes tiré une balle dans le pied !

S’agissant par ailleurs des véhicules hybrides, les constructeurs automobiles ont beau jeu de se plaindre du manque d’acheteurs, quand on sait combien il est compliqué de s’approvisionner. Il n’y a pas eu la volonté de développer dans le même temps les équipements et les infrastructures nécessaires.

Concernant la SNCF,  il est temps de  rattraper le retard accumulé sur le fret, mais comment ne pas s’inquiéter de votre intention de le développer au détriment du transport voyageur quand il reste tant à faire sur les lignes régionales.

A propos de la mobilité urbaine, et d’une éventuelle nouvelle directive européenne, je rappelle que nous disposons de toutes les directives nécessaires sur la qualité de l’air !

Quant aux biocarburants, ne parlons pas que du carbone ! L’on ne peut négliger la question des émissions dangereuses pour la santé. Attention aux biocarburants qui pourraient émettre des produits cancérigènes.

M. Christian Jacob. Puisque vous parlez de biocarburant, je rappelle que l’on produit aussi des protéines pour l’alimentation animale qui baissent le coût de l’alimentation humaine, et qu’il vaut mieux utiliser nos produits plutôt que d’importer du soja ou d’autres produits  de pays qui se préoccupent moins que nous des gaz à effet de serre.

Je voudrais savoir si les intervenants travaillent ensemble sur le multimodal ?

M. Guillaume Pépy. Monsieur Poignant, c’est vrai, nous n’avons pas assez  anticipé dans le passé.

S’agissant de Notre-Dame des Landes, nous avons heureusement anticipé une desserte ferroviaire.

Concernant le port du Havre, il est dommage que Port  2000 ait ouvert avant l’achèvement de la totalité des travaux d’accès ferroviaires. Nous devons absolument corriger ce manque d’anticipation.

Monsieur Vigier, il faut en effet prioriser. Nous venons ainsi de créer avec les élus et le soutien des pouvoirs publics un concept entièrement nouveau en fret, les opérateurs ferroviaires de proximité, sortes de PME ferroviaires qui permettront de développer un tissu ferroviaire dans le centre, en Auvergne et en Midi-Pyrénées.

Le fluvial et le ferroviaire n’étaient pas connectés. Nous nous sommes mis au travail, mais tard.

M. Patrick Ollier. En 1994, nous avons voté la loi sur l’aménagement du territoire. En 1997, Mme Voynet l’a abrogée. Nous sommes furieux, car ce temps perdu ne se rattrapera jamais.

M. André Douaud. En ce qui concerne la production locale, les émissions polluantes des véhicules ont été divisées par 100, à la demande du réglementateur européen. Nous sommes aujourd’hui sous le coup de Euro 4, et il reste encore deux polluants à traiter, par Euro 5 à partir de 2009, avec la généralisation des filtres à particules sur tous les diesels. Selon, notamment, une étude de l’ADEME, un véhicule diesel avec filtre à particules émettra moins de particules que n’importe quel autre véhicule utilisant n’importe quel carburant y compris du gaz naturel.

Cela ne fait que dix ans que l’on se préoccupe vraiment des questions de CO2, d’émission de gaz à effet de serre et de consommation parce que les prix du pétrole montent. Depuis dix ans, la baisse de consommation des automobiles, et la baisse des émissions de CO2 sont significatives. Les constructeurs européens se sont engagés à atteindre 140 grammes de CO2 par kilomètre en 2008. La France y est parvenue, mais pas le reste de l’Europe.  En 2007, pour la première fois en France, plus d’un million de véhicules émettant moins de 140 grammes de CO2 par kilomètre ont été mis sur le marché. C’est la moitié du marché.

J’étais la semaine dernière avec le directeur de l’agence américaine de protection de l’environnement. Les États-Unis sont en train de mettre en place des directives très sévères pour faire baisser la consommation, et ils se demandent comment la France est parvenue à une telle performance. J’entends dire que les Français ne font rien, mais je trouve qu’ils sont plutôt exemplaires en la matière !

Pour ce qui est de l’échéance hybride, les constructeurs français disposent de la technologie, mais il faut faire baisser les coûts. Le groupe PSA a annoncé un véhicule hybride à l’horizon 2010. Cela étant, la technologie hybride d’aujourd’hui n’est pas la technologie d’avenir. Ainsi, le groupe Toyota a orienté son hybridation vers les véhicules très haut de gamme Lexus, afin de diviser par deux la consommation très élevée de ces voitures. La bonne piste serait plutôt l’inverse. Un véhicule hybride ne fonctionne aujourd’hui qu’avec de l’essence ou du gazole, pas à l’électricité, du fait du coût des batteries – environ 20 000 euros. C’est un coût bien trop élevé pour le marché des petites voitures ou des voitures généralistes.

Madame Grossetête, vous avez posé la question de l’approvisionnement, mais aujourd’hui, tous les véhicules hybrides ne fonctionnent qu’à l’essence, ou au gazole. Peut-être parliez-vous des véhicules à gaz naturel, ou des flexfuel ?

Concernant les véhicules à gaz naturel, il faudrait là encore avoir une vision globale. Il est à peu près certain que la meilleure utilisation du gaz naturel consiste à le substituer au pétrole dans les installations fixes - c’est là que l’on gagne le plus de millions de tonnes de CO2. Je ne vois pas pourquoi un pays qui n’a pas de raison particulière de développer ses flottes de véhicules au gaz naturel, le ferait.

Quant aux biocarburants, il est évident que personne ne met du pétrole brut dans le réservoir d’une voiture. On le raffine pour répondre aux normes anti-pollution. Or, aujourd’hui, on accepte d’utiliser en France de l’huile pure dans les véhicules et en milieu urbain. L’ADEME l’a prouvé : l’utilisation d’huile pure dans des véhicules classiques produit des substances cancérigènes, contrairement à la combustion du gazole.

M. François Bordry. Le ferroviaire et le fleuve ne travaillent pas suffisamment ensemble. Je suis ravi qu’une navette régulière relie enfin le port du Havre à la Seine, d’où part régulièrement un train toutes les semaines vers l’Italie ; je regrette d’ailleurs que ce ne soit pas l’opérateur historique qui l’assure. Il est également dommage que ce train parte de l’Ouest de Paris pour l’Est en passant par la banlieue, plutôt que de partir de l’Est vers l’Ouest en traversant Paris par le fleuve.

L’unité intermodale de transport pose un autre problème. Le conteneur maritime ne permet pas de ranger trois palettes à côté les unes des autres. La caisse mobile qui va sur le camion et le fer, le permet. Malheureusement, les caisses mobiles ne peuvent pas s’empiler les unes sur les autres, ce qui pose des problèmes d’espace sur les zones de manutention. Du coup, le fleuve n’est pas compétitif. L’Europe pourrait peut-être nous aider à avancer vers l’unité intermodale.

Quant à la réforme portuaire, les ports doivent pouvoir imposer aux manutentionnaires qu’un pourcentage minimal de marchandises parte par les modes alternatifs à la route. La massification doit s’opérer à partir des ports. Il est aujourd’hui très difficile de surmonter les obstacles législatifs, réglementaires et culturels.

M. Matthias Ruete. Vous avez raison, Madame Grossetête, j’aurais dû parler davantage des autoroutes de la mer, sur lesquelles nous allons travailler.

CLÔTURE DES DÉBATS

m. dominique bussereau
Secrétaire d’état aux transports

Merci à tous de votre participation. Comment souhaitons-nous mettre en œuvre les orientations du Grenelle de l’environnement dans le domaine des transports, aujourd’hui que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne ?

Au moment du Grenelle de l’environnement, le Président de la République a rappelé un objectif, diminuer de 20 % l’émission de gaz à effet de serre par les transports d’ici 2020. Il faut donc agir dans le domaine de la technologie, de l’urbanisme, et au niveau de tous les modes de transport, en tenant  compte des exigences économiques et territoriales.

Le Grenelle de l’environnement, ce ne sont pas seulement des paroles, ce sont aussi 33 groupes mis en place pour suivre de manière opérationnelle les décisions. Un certain nombre sont consacrés aux transports ; ainsi Michel Destot, maire de Grenoble, anime le groupe sur les transports urbains et périurbains.

Ces groupes ont un calendrier de travail très serré, pour que les mesures qui relèvent du législatif puissent arriver fin février/début mars devant le Conseil d’État, et que nous puissions déposer devant le Parlement une loi de programmation avant l’été.

Sur le transport de marchandises, le Président de la République a annoncé un objectif, lors de l’inauguration d’une nouvelle aérogare à Roissy : augmenter d’un quart d’ici à 2012 la part du fret. Nous en aurons ainsi fini avec la spirale du déclin du fret ferroviaire, qui est une spécificité française, puisque, dans les autres pays européens, la part du réseau ferré augmente. Nous devrons renforcer les marchés traditionnels que sont les trains entiers de transport combiné, réfléchir à  des solutions innovantes, comme les autoroutes ferroviaires.

Cela exige un fret SNCF qui fonctionne bien, mais aussi de la concurrence, car fin 2007, 6 ou 7 % du trafic ferroviaire ont déjà été assurés par des entreprises concurrentielles, françaises ou européennes.

Si le fret ferroviaire ne suit pas, Deutsche Bahn risque d’assurer tout le trafic en France ; elle a déjà acheté une société en Espagne et une en Grande-Bretagne.

Nous proposerons, dans quelques mois au Parlement, la création d’une autorité de régulation ferroviaire pour que l’accès au réseau puisse se faire en toute égalité.

Au moment où le trafic mondial des conteneurs se développe, nous devons favoriser le transport combiné. Ainsi, 50 % des trafics du port de Hambourg en conteneurs partent par le fret ferroviaire. Nous sommes  loin de ce résultat au Havre.

Nous devons également travailler sur des trains plus longs, sur les grands axes Nord-Sud, et engager les investissements nécessaires.

Les autoroutes ferroviaires commencent à bien fonctionner, et  nous allons poursuivre avec une autoroute ferroviaire atlantique que nous souhaitons mettre en service en 2009, sur un axe Île-de-France/Espagne. Tout cela doit s’inscrire dans une dynamique européenne d’un réseau ferroviaire à dominante fret, bien inter-opérable.

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé la semaine dernière un plan de relance des ports, lesquels ont perdu des parts de marché importantes. Nous sommes en pleine concertation avec les organisations syndicales et professionnelles. Il faudra bien sûr améliorer la desserte de ces ports.

Quant aux autoroutes de la mer, nous avons été déçus par le premier appel d’offres. Nous sommes bien conscients cependant de tous les avantages de ces transports à haute fréquence et à haute productivité, type de ce qui existe déjà entre la France et les îles britanniques.

La voie fluviale regagne des parts de marché, discrètement mais efficacement. Nous allons réaliser Seine Nord et, plus généralement, nous devrons rénover totalement le transport fluvial, qui est un atout fantastique pour notre pays, en liaison avec les autres modes de transport.

Quant au mode routier, il suivra sa marche, et nous allons essayer d’améliorer ses performances environnementales, par le biais de l’Écotaxe, afin qu’il participe au financement des infrastructures de transport. Le texte de loi viendra devant les assemblées prochainement.

S’agissant du transport de voyageurs, nous devons moderniser notre réseau classique sur lequel nous avons sous-investi – aujourd’hui, des TER très modernes circulent sur des voies ferrées très anciennes. Nous devons renouveler notre réseau secondaire et para secondaire. Nous confirmerons prochainement le réseau de ligne à grande vitesse, les 2 000 kilomètres que nous souhaitons engager et mener à bien d’ici à 2020 et les 2 500 kilomètres supplémentaires qui ont été annoncés par le Grenelle de l’environnement.

Ne croyez pas pour autant qu’il n’y aura plus de route dans notre pays. Nous maintiendrons le développement de notre réseau routier aux cas de résorption des points de congestion, des points de sécurité, sans oublier l’intérêt vital des territoires, chaque parlementaire ayant quelques idées en la matière.

Concernant le transport aérien, je signerai la semaine prochaine avec Jean-Louis Borloo  une première charte avec les entreprises de transport aérien. Jacques Dermagne, le président du Conseil économique et social, travaillera, d’ici à l’été, à la Charte du développement durable autour de Roissy, et nous réfléchirons à la manière de moderniser la flotte, de développer nos aéroports.

Vous évoquiez Notre-Dame des Landes, dernier grand aéroport en métropole bâti dans le respect des normes environnementales, avec une desserte en site propre au départ de Nantes.

Pour ce qui est des transports urbains, toutes les villes de France ont actuellement des grands projets,  qui seront débattus au moment des élections municipales. Nous devrons améliorer le rôle des autorités responsables de transport, développer des moyens nouveaux de passer simplement d’un transport à l’autre, et nous préparons un plan de 1 500 kilomètres de lignes nouvelles de tramway, de bus, en sites propres. C’est un projet considérable qui a été retenu par le Grenelle de l’environnement, dans le cadre du plan banlieue, avec une réflexion sur le désenclavement des quartiers sensibles.

En Île-de-France, le métro périphérique autour de Paris, fait partie, entre autres, des grands projets.

Le vélo peut aujourd’hui être considéré comme un mode de transport majeur dans notre pays, et nous avons des plans vélo d’accompagnement dans nos villes et en milieu périurbain.

Il s’agit, vous l’aurez compris, de mettre en place des modes de transport respectueux de l’environnement, mais aussi d’évaluer l’ensemble de ces projets, financièrement et socio-économiquement. Nous aurons besoin des parlementaires à cet égard.

Le projet de loi que nous vous présenterons intégrera les principes du Grenelle dans le droit français, fixera les moyens budgétaires de l’État, inclura de nouvelles dispositions législatives comme l’Autorité de régulation ferroviaire ou la taxe d’usage des infrastructures pour les poids lourds, dans une dimension européenne.

Nous travaillerons avec Jacques Barrot à la mise en œuvre de son Livre vert sur les transports urbains. Nous essaierons d’avancer en matière de sécurité dans les transports, qu’il s’agisse de la sécurité routière, aérienne ou maritime. Nous souhaitons progresser sur de nouvelles directives européennes. En particulier, nous tiendrons un conseil informel sur les transports à La Rochelle cet automne.

Nous croyons beaucoup au projet d’Union méditerranéenne, et nous souhaitons lui donner du contenu.

Enfin est menée au niveau européen une réflexion pour améliorer la sécurité aérienne, et mener des activités aériennes plus protectrices de l’environnement.

Il reste beaucoup à faire. (Applaudissements)

M. Patrick Ollier. Nous vous remercions de votre intervention qui témoigne de la volonté du Gouvernement de renouer avec la politique d’aménagement du territoire.

Nous tenons à remercier les organisateurs, M. Christian Jacob, M. Pierre Lequiller, ainsi que les intervenants.