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Document E1539
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Conseil sur le brevet communautaire.


E1539 déposé le 7 septembre 2000 distribué le 18 septembre 2000 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2000) 0412 final du 1er août 2000)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné au cours de la réunion du 14 décembre 2000

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document n'a pas encore été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne.

Base juridique :

Article 308 du traité instituant la Communauté européenne.

Procédure :

Adoption à l’unanimité au sein du Conseil après consultation du Parlement européen.

Avis du Conseil d’Etat :

Cette proposition de règlement faite par la Commission européenne au Conseil institue un droit au brevet communautaire – distinct du brevet européen établi par la Convention de Munich de 1973 – dont les principes fondamentaux relèveraient de la loi en droit français au titre du régime de la propriété et des droits réels. La proposition contient également des dispositions de compétence concernant les actions en justice relatives aux brevets communautaires qui relèveraient de la loi en droit français.

La proposition doit donc être regardée comme comportant des dispositions de nature législative.

Motivation et objet :

La proposition de règlement de la Commission européenne vise à créer un « brevet communautaire » valable dans tous les pays de l’Union européenne.

L’invention est vitale pour le progrès scientifique et technologique, mais elle peut être coûteuse en termes financiers. C’est la raison pour laquelle elle doit être protégée : sans système de brevet, les entreprises ne consentiraient pas l’investissement nécessaire.

La protection de l’innovation dans la Communauté est à l’heure actuelle complexe et coûteuse. Elle est en effet assurée par deux systèmes, les systèmes nationaux de brevets et le système européen des brevets, dont aucun n’est basé sur un instrument communautaire.

Le brevet national est apparu le premier. Il a fait l’objet d’une harmonisation dès la fin du 19ième siècle, avec la signature, le 20 mars 1883, de la Convention de Paris pour la protection de la propriété intellectuelle. Tous les Etats membres de l’Union européenne sont parties à cette Convention. Cette harmonisation s’est poursuivie avec l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce du 15 avril 1994, également ratifié par les Etats membres.

Par ailleurs, les Etats membres de l’Union européenne, ainsi que Chypre, la Suisse, le Liechtenstein et Monaco, ont signé la convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, dite convention de Munich. Cet accord intergouvernemental a institué un Office européen des brevets (OEB), ainsi qu’une procédure unique pour la délivrance des brevets européens.

La procédure de délivrance unique évite au candidat qui souhaite protéger son invention dans plusieurs pays européens d’avoir à constituer un dossier pour chacun des offices nationaux de brevets. L’OEB reçoit ainsi chaque année un nombre important de demandes de brevets : 121 750 demandes ont été ainsi déposées en 1999 et 35358 brevets ont été délivrés au cours de cette année.

L’efficacité économique et juridique du brevet européen est cependant limitée, car une fois délivré, celui-ci est assimilé à un brevet national.

D’abord, la demande de brevet doit être introduite dans l’une des trois langues officielles de l’OEB, soit l’anglais, le français ou l’allemand, mais chaque Etat membre peut ensuite exiger la traduction du brevet européen dans sa langue pour qu’il soit légalement valable sur son territoire. La validité du brevet sur le territoire communautaire suppose donc que le brevet soit traduit dans toutes les langues officielles de la Communauté européenne. Cette exigence renchérit considérablement le coût du brevet. Actuellement, un brevet européen typique (applicable dans huit Etats membres) coûte environ 30 000 euros et les frais de traduction s’élèvent à 39 % des coûts totaux. S’ajoutent à ces frais, les taxes perçues pour le dépôt, l’examen et la délivrance du brevet, qui représentent environ 29 % des coûts d’un brevet européen moyen.

Le tableau ci-dessous présente une comparaison entre le coût d’un brevet aux Etats-Unis, au Japon et au sein de l’OEB.

 

Taxes de

dépôt/

recherche

Taxe

d’examen

Taxes de

Délivrance

Taxes

Annuelles

Frais de traduction

Frais de mandataire

Total

OEB

810

+ 532

1 431

715

15 790 (1)

12 600

17 000

49 900

Etats‑Unis

690

 

1 210

2 730 (2)

N/a

5 700

10 330

Japon

210

1 100

850

5 840 (3)

N/a

8 450

16 450

 

Source : Commission européenne.

(1) 3e à 4e année (790) + 5e à 10e année (16 000) = 16 790.

(2) 3,5 années (830) + 7,5 années (1 900) = 2 730.

(3) 4e à 6e année (1 320) + 7e à 9e année (2 650) + 10e année (1 870) = 5 840.

Ainsi, le coût du brevet européen actuel apparaît comme étant trois voire cinq fois supérieur à celui des brevets américains ou japonais.

Ensuite, les tribunaux nationaux sont actuellement compétents dans les cas de différends relatifs aux brevets européens, étant donné que ceux-ci sont traités en tant que brevets nationaux. Aussi, lorsqu’un détenteur de brevet européen souhaite engager une action en contrefaçon de son brevet, il est amené à le faire dans un certain nombre d’Etats membres. De la même manière, lorsqu’une personne souhaite contester la validité d’un brevet européen, elle peut être obligée d’intenter des poursuites dans tous les Etats membres où ce brevet européen est valable. Cette exigence n’est pas seulement coûteuse : comme les procédures peuvent être différentes d’un Etat à l’autre et qu’il peut y avoir, en principe, quinze interprétations différentes de l’application de la convention de Munich dans un cas particulier, ce système de protection n’offre pas au détenteur du brevet toutes les garanties en matière de sécurité juridique.

Le système actuel constitue donc un obstacle à la recherche, au développement et à l’innovation, particulièrement pour les petites et moyennes entreprises qui investissent dans la nouvelle économie. La situation est d’autant plus regrettable que l’Europe possède une tradition très forte en matière d’innovation.

Le Livre vert sur le brevet communautaire et le systèmes des brevets en Europe de la Commission, qui s’inscrivait dans la foulée du Premier Plan d’action pour l’innovation en Europe, a ouvert en 1997 le débat sur la nécessité de prendre de nouvelles initiatives en matière de brevets. La proposition de règlement soumise à l’examen de la Délégation marque l’aboutissement de cette réflexion. Elle permettra de réduire de façon significative le coût des brevets et d’assurer, en même temps, un haut niveau de protection de l’innovation dans la Communauté européenne.

Appréciation au regard du principe de subsidiarité :

Cette proposition vise à adapter aux dimensions de la Communauté les processus de fabrication et de distribution des produits brevetés. Cet objectif transfrontalier ne peut être réalisé par les Etats membres individuellement ou collectivement : il doit donc être réalisé au niveau communautaire.

Contenu et portée :

L’objet de la proposition de règlement est d’instituer un brevet communautaire qui soit valable, une fois délivré, sur tout le territoire communautaire. Les systèmes actuels de brevets nationaux et de brevets européens coexisteront avec le système communautaire, mais on peut penser que ce dernier sera vite choisi par la plupart des déposants.

L’article 2 de la proposition de règlement précise que le brevet communautaire a un caractère unitaire. Il ne peut être délivré, transféré, annulé ou s’éteindre que pour l’ensemble de la Communauté européenne.

Ce caractère unitaire s’appliquera à tout brevet délivré par l’Office européen des brevets en vertu de l’article 1 de la proposition de règlement. La proposition de règlement créé ainsi une symbiose entre un instrument communautaire et un instrument interétatique classique, la convention de Munich.

Cette construction juridique ne pourra être achevée qu’à la condition que la Communauté européenne adhère à la convention de Munich. Cette adhésion aura pour effet de rendre le brevet communautaire valable, une fois publié et délivré selon le système de l’OEB, sur tout le territoire communautaire, sans traduction ultérieure.

L’exigence actuelle voulant que les brevets doivent être traduits dans toutes les langues officielles de la Communauté européenne pour être légalement valables dans tous les Etats membres sera donc supprimée. Le régime linguistique du brevet communautaire sera celui de la convention de Munich : la demande de brevet sera toujours examinée, délivrée et publiée dans une des trois langues de travail de l’OEB (anglais, français, allemand), avec une traduction des revendications (partie de la demande de brevet où l’on désigne les principales caractéristiques de l’invention que l’on souhaite protéger) dans les deux autres langues de procédure.

On observera que les traductions de demandes dans les langues autres que l’anglais sont très rarement consultées. En France, par exemple, l’Institut national de la propriété intellectuelle indique que ces traductions sont consultées dans seulement 2 % des cas.

La délivrance du brevet communautaire par l’OEB implique non seulement l’adhésion de la Communauté européenne à la convention de Munich, mais aussi une modification de la convention de Munich pour donner à l’Office de pouvoir de délivrer des brevets communautaires. La Commission a présenté à cet effet une recommandation de mandat de négociation au Conseil. Elle a participé, avec le statut de délégation spéciale n’ayant pas le droit de vote, aux travaux de la Conférence diplomatique de Munich, réunie du 20 au 29 novembre 2000, qui était chargée de réviser la convention sur la délivrance des brevets européens. Cette Conférence n’a pas permis d’avancer sur la question du brevet communautaire.

Enfin, l’article 30 de la proposition de règlement prévoit de confier l’ensemble des différends relatifs à la contrefaçon et/ou à la validité des brevets communautaires à un « tribunal communautaire de propriété intellectuelle », comportant une chambre de première instance et une chambre de recours dont la compétence s’étendra sur tout le territoire de la Communauté. Ce tribunal donnera au détenteur du brevet communautaire la sécurité juridique qui fait défaut au brevet européen en centralisant au sein d’une instance juridictionnelle unique le traitement des affaires relatives au brevet communautaire.

La Commission n’envisage pas de possibilité de pourvoi direct devant la Cour de justice des Communautés européennes contre les décisions de la chambre de recours de ce tribunal. En revanche, elle considère qu’il est souhaitable d’instaurer un mécanisme de saisine de la Cour dans l’intérêt de la loi, car il permettra de vérifier si l’interprétation du droit communautaire par le tribunal communautaire de propriété intellectuelle est en contradiction ou non avec l’interprétation donnée par la Cour de justice.

L’institution de ce tribunal nécessitant une révision du traité instituant la Communauté européenne, la Commission a suggéré, dans ses avis du 26 janvier et du 1er mars 2000 sur le mandat de la Conférence intergouvernementale, que la Conférence aborde cette question.

Textes législatifs nationaux susceptibles d'être modifiés :

Livre VI relatif aux protections des inventions et des connaissances techniques du Code de la propriété intellectuelle.

Réactions suscitées :

La proposition de règlement suscite des réserves chez certains Etats membres, mais elle est accueillie très favorablement par les industriels européens.

En premier lieu, les aspects linguistiques de la proposition de règlement suscitent quelques réticences chez les Etats membres dont la langue ne fait pas partie des trois langues officielles de l’OEB.

En second lieu, l’adhésion de la Communauté européenne à la convention de Munich rencontre suscite des réserves. L’Allemagne en particulier y est opposée, car elle voudrait donner au système communautaire de brevet une plus grande autonomie par rapport à l’OEB.

De plus, la question de la place des offices nationaux des brevets dans le dispositif du brevet communautaire est soulevée par la Finlande, le Luxembourg et le Danemark, ce dernier souhaitant notamment attribuer aux offices nationaux un rôle de traitement des demandes de brevets communautaires.

Enfin, et il s’agit du point le plus important, le mécanisme juridictionnel proposé par la Commission européenne n’a pas été retenu par les négociateurs de la CIG. Les Etats membres se sont en effet opposés à l’instauration d’un tribunal de la propriété intellectuel dépourvu de tout lien avec le système juridictionnel communautaire. La France a notamment proposé de créer des chambres juridictionnelles spécialisées, adjointes au Tribunal de première instance.

Le traité instituant la Communauté européenne a été révisé dans ce sens par le Traité de Nice. Celui-ci introduit un nouvel article 225 bis dans le Traité instituant la Communauté européenne, aux termes duquel le Conseil pourra décider de créer à l’unanimité des chambres juridictionnelles chargées de connaître en première instance de certaines catégories de recours formés dans des matières spécifiques. Il introduit également un nouvel article 229 bis, qui permet au Conseil, statuant à l’unanimité, de donner à la Cour de justice des Communautés européennes la compétence nécessaire pour connaître les litiges matière de propriété intellectuelle. L’attribution de cette compétence doit être en outre ratifiée par les Etats membres.

L’unanimité étant requise pour instituer une juridiction spécialisée statuant sur les litiges relatifs à la contrefaçon du brevet communautaire, il sera difficile de mettre en place ce système juridictionnel. Si la plupart des Etats membres reconnaissent qu’une centralisation des procédures d’appel est nécessaire au niveau communautaire, quelques-uns, dont l’Allemagne, veulent attribuer au juge national, statuant comme juge communautaire, une compétence exclusive en premier ressort.

Conclusion :

La proposition est l’aboutissement de trois décennies de tentatives pour créer un brevet communautaire unique. La Convention de Luxembourg de 1975 prévoyait déjà la création d’un tel instrument, mais elle était restée lettre morte, faute d’un nombre suffisant de ratifications nationales.

La proposition de règlement sur le brevet communautaire comblera une lacune juridique qui pèse sur les entreprises européennes. La réputation de l’Europe pour la recherche se traduira ainsi par des applications concrètes dans les domaines de l’industrie et du commerce, qui pourront être protégées efficacement.

La Délégation a décidé, au cours de sa réunion du 14 décembre 2000, de lever la réserve d’examen parlementaire sur ce texte.