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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 décembre 2000
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Michel Debout, rapporteur du Conseil économique et social, sur le harcèlement moral

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- Examen en quatrième et dernière lecture, du projet de loi, modifié par le Sénat, relatif à l'archéologie préventive.

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- Informations relatives à la commission

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La commission a entendu M. Michel Debout, rapporteur du Conseil économique et social (CES) sur le harcèlement moral.

Le président Jean Le Garrec a indiqué que le Premier ministre avait saisi le Conseil économique et social de la question du harcèlement moral. Il a salué la présence de M. Georges Hage, auteur d'une proposition de loi sur ce sujet.

M. Michel Debout a rappelé que la réflexion du CES sur le thème du harcèlement moral - auquel aurait pu être préférée la notion de harcèlement psychologique - avait été précédée d'une étude sur la violence dans l'environnement du travail.

Le CES a été saisi par le Premier ministre en mai dernier mais la section du travail a été, ces derniers mois, prioritairement mobilisée par le sujet de la place des femmes dans les lieux de décision. Elle a néanmoins procédé aux auditions concernant le harcèlement moral et le rapport devrait être disponible au mois de février prochain. La complexité et la difficulté de cette étude tiennent non au constat de l'existence du harcèlement moral mais aux réponses à apporter. L'élaboration de ces réponses demande du temps.

M. Michel Debout a par ailleurs indiqué que la section du travail l'avait nommé rapporteur en raison de sa formation de psychiatre, de sa profession de médecin universitaire et de son expérience professionnelle puisqu'il a ouvert voici vingt ans l'une des premières consultations pour les victimes de violences et d'agressions. Le public recourant à ce type de consultation a d'ailleurs évolué durant cette période. Alors qu'il était jadis formé de victimes d'agressions dans leur vie quotidienne, notamment familiale, sont apparues de plus en plus nombreuses des victimes de violences et de souffrances au travail, notamment chez les salariés des transports urbains.

Le terme de « harcèlement moral au travail » recouvre une grande diversité de situations vécues par des personnes exprimant de la souffrance psychique. Pendant longtemps, il n'y a pas eu de mot pour qualifier celle-ci. La parution du livre de Marie-France Hirigoyen « Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien » a été le catalyseur de l'expression sur ce phénomène, parce qu'il a permis à beaucoup de personnes de reconnaître et de nommer les souffrances qu'elles enduraient.

Un problème de frontière se pose lorsque l'on cherche à le définir. Le harcèlement moral au travail renvoie au stress professionnel et une confusion est souvent faite par les victimes car les symptômes sont les mêmes. L'existence de situations à la fois voisines et dissemblables, aux conséquences communes, implique une grande difficulté de définition et rend celle-ci d'autant plus nécessaire.

Ainsi, il n'est pas question de réduire le harcèlement moral à de simples conduites individuelles. La commission nationale consultative des droits de l'homme a souligné la dimension collective du harcèlement au travail. Elle a distingué trois types :

- institutionnel, caractéristique des stratégies de gestion de l'ensemble du personnel dans une entreprise, d'une certaine conception du « management » contemporain ;

- professionnel, il s'agit des pressions exercées sur un ou quelques salariés en vue d'obtenir des résultats ;

- personnel, c'est le fait d'un individu d'une certaine perversité harcelant une ou des personnes précises.

On pourrait discuter de la pertinence de cette typologie, on ne peut contester la complexité du phénomène et donc des réponses à apporter. Si elles sont relativement simples face aux manifestations individuelles, s'agissant d'une stratégie d'entreprise, la réponse est singulièrement difficile à apporter. Par ailleurs, ce sont ces pratiques collectives qui font le lit des conduites individuelles.

De nombreux auteurs se sont penchés sur la question du harcèlement moral afin de le définir et de formuler des propositions. Bien entendu, des définitions, et partant, des propositions de réponses différentes ont résulté de ces travaux même si elles comportent un fond commun. Dans ces conditions, on imagine aisément la complexité que revêt l'élaboration de nouvelles normes pénales.

Les chiffres montrent que les femmes subissent deux fois plus ce phénomène que les hommes. Par ailleurs, c'est dans le secteur public que le harcèlement est le plus couramment constaté, ce qui remet en question l'image classique du harcèlement ayant pour finalité le licenciement abusif. Une étude conduite dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur indique que les cas de harcèlement concernent 0,8 pour mille des salariés du secteur privé contre 1,45 pour mille de ceux du secteur public. Ces chiffres ne relèvent cependant pas d'une démarche scientifique : une véritable enquête épidémiologique reste à produire. Les professions les plus souvent concernées sont les professions commerciales, les services de santé et les services sociaux. Même le monde associatif est concerné.

Ces éléments traduisent la réalité des changements intervenus au cours du siècle. En effet, la pénibilité du travail était, par le passé, principalement physique. Aujourd'hui, cette pénibilité revêt de nombreux aspects psychiques. L'investissement demandé aux salariés relève le plus souvent d'un engagement personnel : en plus de sa force de travail, le salarié vend ses qualités relationnelles. Dans un tel contexte, si la perversité de certains ou des pressions s'exercent sur lui, c'est une véritable destruction de l'individu qui est à redouter, pouvant conduire, dans les cas extrêmes, au suicide.

Il faut maintenant s'interroger sur les réponses qui doivent être apportées pour faire face à ces situations.

Faut-il légiférer ? Créer une nouvelle infraction pénale qui s'ajoutera aux 10 100 infractions prévues par le code pénal, sachant que seules deux cents d'entre elles sont effectivement utilisées ? Faut-il au contraire s'en tenir aux textes qui existent et qui sanctionnent la provocation au suicide, les discriminations, les conditions de travail contraires à la dignité humaine ou qui permettent d'engager des actions civiles ? Ne peut-on se contenter d'en renforcer l'application par des directives aux parquets ?

Il faut savoir que, par exemple, la loi sur le harcèlement sexuel donne lieu à trentaine d'actions judiciaires par an, alors que les enquêtes de victimisation révèlent une réalité bien supérieure.

M. Michel Debout a indiqué, qu'à titre personnel, une loi lui semblait utile pour préciser la notion de harcèlement moral. En outre, la loi a une force symbolique qui permettrait d'affirmer que ces comportements ne sont pas acceptables. Elle pourrait avoir un effet préventif des comportements individuels mais aussi de certaines pratiques de « management » dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Dès lors, se pose le problème de la définition du harcèlement moral au travail. Une définition trop large risque de judiciariser la vie en entreprise et d'aboutir à ce que le juge cerne lui-même les contours de l'infraction. Trop étroite, elle manquera son but.

A la question de la définition s'ajoute celle de la mise en _uvre de l'action. La difficulté de réunir les preuves, en particulier les témoignages, suppose qu'une protection des témoins soit assurée.

Il ne faut pas perdre de vue que la loi est, en la matière, un constat d'échec. En effet, la sanction n'interviendra qu'à l'issue d'un processus pendant lequel la victime aura été confrontée à de nombreuses difficultés. Une procédure d'alerte est donc indispensable. L'exemple suédois montre qu'un effort est nécessaire pour permettre aux salariés d'être conscients de ces situations pour les repérer au plus tôt.

Enfin, la prise en charge de la victime devrait être assurée. Sur quelle base sera prononcé un éventuel arrêt de travail ? D'une maladie, d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ? Le harcèlement moral étant un processus qui s'inscrit dans le temps, cette dernière solution semble la plus adaptée. Il faut d'ailleurs rappeler que lorsqu'un médecin du travail déclare un salarié inapte, il retire la victime de son lieu de travail, ce qui est finalement le but que recherchait l'auteur du harcèlement.

Le président Jean Le Garrec, après avoir félicité M. Michel Debout pour la qualité de son intervention, a considéré que le problème réel du harcèlement moral au travail posait des questions de fond auxquelles des réponses directes n'étaient pas évidentes.

M. Georges Hage, après avoir exprimé son grand intérêt pour les propos de M. Michel Debout, a fait les observations suivantes :

- Les chiffres cités par M. Debout sont contestables. Le nombre de suicides causés par des phénomènes de harcèlement moral au travail semble en particulier largement sous-estimé. Selon les experts de l'Office mondial de la santé (OMS), les statistiques sont alarmantes : le nombre des suicides atteindrait un niveau très important mais difficile à évaluer.

- Le harcèlement moral constitue un phénomène aujourd'hui malheureusement banal, pouvant prendre des formes très diverses. En effet, il existe toute une palette de comportements de harcèlement moral allant du silence le plus subtil qui fait douter la victime de ses capacités professionnelles et même de sa propre identité, aux paroles agressives, voire aux gestes violents et aux attitudes perverses. Tous ces comportements mènent à une dégradation délibérée des conditions de travail. Aussi faut-il préconiser une définition du harcèlement moral conçu comme une dégradation volontaire des conditions de travail.

- Légiférer dans ce domaine est devenu indispensable et urgent car il s'agit d'un phénomène qui a tendance à se diffuser aujourd'hui tant sur le plan national qu'au niveau local. Aussi M. Georges Hage a souligné la nécessité de discuter des amendements qu'il a préparés sur ce sujet, dans le cadre du projet de loi de modernisation sociale devant être examiné en séance publique en janvier 2001.

Mme Catherine Génisson a fait les remarques suivantes :

- Si le harcèlement moral est un phénomène que l'on retrouve souvent dans le secteur public, c'est peut-être parce qu'y a parfois été négligée la qualité des relations sociales. On peut même se demander si la notion de sécurité de l'emploi n'encourage pas le développement de comportements de harcèlement moral.

- Si le harcèlement moral par la hiérarchie constitue une réalité avérée, le même type de phénomène peut également exister entre simples collègues. Cette dimension du problème ne doit pas être négligée.

- Il serait utile de définir des lieux d'enregistrement des plaintes de harcèlement moral ainsi que la personne compétente ayant le pouvoir d'expertise en la matière. Le médecin du travail ne semble pas nécessairement le plus compétent en ce domaine car il n'est ni psychologue ni psychiatre.

M. Bernard Perrut a fait les observations suivantes :

- Les médecins du travail ne sont pas assez nombreux et ne disposent pas de moyens suffisants pour repérer et faire cesser les cas de harcèlement moral qu'ils seraient amenés à constater.

- Dans la vie de couple, des formes de harcèlement moral peuvent également se développer. Il est donc nécessaire d'inclure dans la procédure du divorce pour faute ce critère en s'appuyant dans ce cas sur une expertise psychiatrique.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler a observé qu'il existait une similitude entre le harcèlement au travail et le harcèlement de voisinage. Ce dernier type de harcèlement a en effet les mêmes conséquences désastreuses pour les victimes. Celles-ci peuvent n'avoir d'autre choix que la fuite du lieu d'habitation. On dénombre également des cas de suicide dans les situations extrêmes.

Mme Brigitte Douay a demandé où en était le projet de mission d'information sur ce sujet au sein de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Le président Jean Le Garrec a rappelé que la démarche logique suivie par la commission avait été de laisser le Conseil économique et social mener à terme ses travaux sur le harcèlement moral. Les suites à donner à ce travail sur le plan législatif feront l'objet d'une réflexion ultérieure.

M. Germain Gengenwin a observé qu'il était périlleux, voire impossible, de légiférer en matière de harcèlement moral tout simplement parce que cette question renvoie aux relations humaines en général. Celles-ci semblent avoir souvent été négligées dans les entreprises, comme l'atteste la dénomination même de directeur des ressources humaines qui devrait être plutôt désigné sous le nom de directeur des relations humaines. Ainsi, plutôt que de légiférer, il conviendrait de développer une approche plus humaine dans ce domaine.

M. Edouard Landrain a formulé les observations suivantes :

- Le phénomène de harcèlement moral pose un réel problème de définition, car il est difficile de faire une distinction nette entre ce qui relève du comportement pathologique et ce qui n'en relève pas.

- Il faut réfléchir aux moyens de renforcer la prévention de tels comportements.

M. Georges Colombier a jugé particulièrement injuste le fait que ce soit, dans bien des cas, la personne harcelée qui se trouve pénalisée. C'est en effet la victime qui doit fuit le lieu de travail tandis que le harceleur reste, quant à lui, en poste.

Le président Jean Le Garrec a fait les remarques suivantes :

- En ce domaine, il faut mettre en avant la vertu symbolique ainsi que le caractère dissuasif de la loi. Il apparaît donc nécessaire de traduire en termes législatifs les réflexions actuellement menées sur le harcèlement moral au travail.

- Le secteur public doit être impérativement pris en compte dans cette réflexion globale.

- La véritable difficulté dans ce domaine consiste à trouver la définition juste et équilibrée du phénomène, définition qui ne doit être ni trop large ni trop restrictive.

M. Michel Debout a souligné qu'il ne pouvait pas à ce stade proposer une définition au harcèlement moral, le Conseil économique et social ne s'étant pas encore prononcé sur ce sujet.

Le président Jean le Garrec s'est félicité de ce que le Conseil, qui réunit des représentants de divers milieux, et notamment des personnes issues du monde de l'entreprise, du secteur public, des organisations patronales ou syndicales ou du monde associatif, puisse proposer une définition commune du phénomène de harcèlement moral. Il est indispensable que l'Assemblée nationale s'appuie sur cette réflexion collective.

En réponse aux intervenants, M. Michel Debout a fourni les éléments de réponse suivants :

- En matière de harcèlement moral, il est exact que la personne harcelée est doublement victime puisque, non seulement, elle souffre sur le plan psychique, mais elle doit, en outre, souvent fuir le travail soit en démissionnant, soit en multipliant les arrêts-maladie. C'est une injustice qu'il faut dénoncer avec force.

- Les situations pathologiques doivent être repérées le plus rapidement possible avant même que la victime se trouve en état de souffrance psychique. En effet, il s'agit d'abord d'éviter que ne se développent les conduites perverses et limiter ainsi les conséquences particulièrement graves pouvant résulter de telles situations.

- Les souffrances psychiques sont une réalité. Elles peuvent se traduire par des crises d'angoisse ou par un état de dépression caractérisée. Ces manifestations sont aujourd'hui bien connues et identifiées par le corps médical et les spécialistes.

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La commission a ensuite examiné en quatrième et dernière lecture, sur le rapport de M. Marcel Rogemont, le projet de loi relatif à l'archéologie préventive - n° 2826.

M. Marcel Rogemont, rapporteur, a rappelé que le Sénat a, en nouvelle lecture, confirmé la version du texte qu'il avait adoptée en deuxième lecture et sur laquelle un accord n'avait pu être trouvé en commission mixte paritaire. Les points majeurs de désaccord qui avaient été soulignés lors de la troisième lecture par l'Assemblée nationale demeurent donc.

L'Assemblée nationale est désormais saisie par le Gouvernement d'une demande tendant à ce qu'elle statue définitivement, conformément à l'article 45, alinéa 4 de la Constitution. La commission mixte paritaire ayant échoué, l'Assemblée nationale ne peut donc se prononcer que sur le dernier texte voté par elle, le 6 décembre dernier.

Il serait cependant souhaitable de prendre en considération un amendement de précision adopté par le Sénat à l'occasion de la nouvelle lecture, sur proposition du Gouvernement, qui permet de remédier à une petite lacune du texte.

La commission est ensuite passée à l'examen de l'amendement.

Article 4 : Redevances d'archéologie préventive

La commission a adopté un amendement du rapporteur, reprenant un amendement adopté par le Sénat en nouvelle lecture et permettant l'application dans les départements d'outre-mer de l'exonération de la redevance d'archéologie préventive prévue pour les constructions de logements sociaux au bénéfice des bailleurs sociaux.

Le président Jean Le Garrec a ensuite proposé que M. Marcel Rogemont assure un suivi de l'application de cette loi et rende compte à la commission, au début de la prochaine session, du contenu des décrets d'application ainsi que de la mise en place de l'établissement public et des premières opérations réalisées sous sa responsabilité.

Informations relatives à la commission

- La commission a nommé M. Marcel Rogemont président et rapporteur d'une mission d'information sur le cinéma dont les neuf autres membres seront désignés ultérieurement.

- La commission a nommé M. Marcel Rogemont rapporteur d'information sur l'application de la loi relative à l'archéologie préventive.


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