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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 mai 2001
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Communication de Mme Odette Grzegrzulka sur l'application de la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné la communication de Mme Odette Grzegrzulka sur l'application de la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.

Mme Odette Grzegrzulka, rapporteure, a indiqué que sa troisième communication sur l'application de la loi créant la couverture maladie universelle (CMU) s'intéresse plus spécifiquement à l'effet de seuil créé par l'application du niveau de ressources posé pour l'ouverture des droits à la CMU.

La CMU s'avère un succès indiscutable. Selon le dernier recensement établi par le fonds de financement de la CMU, il existait 5 169 929 bénéficiaires de la CMU. Si l'on déduit de ce total plus de 3 000 000 de personnes qui étaient hier titulaires de l'aide médicale, on peut dire que la CMU a permis à 1 700 000 personnes supplémentaires de bénéficier d'une protection complémentaire en matière de santé.

La répartition géographique des bénéficiaires de la CMU est sensiblement identique à celle des bénéficiaires du RMI. Les bénéficiaires de la CMU complémentaire représentent 7,5 % de la population en métropole, 36 % dans les DOM et 8,3 % pour la France entière. La région méditerranéenne, la région Nord Pas-de-Calais et la Seine-St-Denis ont des taux supérieurs à 10 %. Les départements ruraux ont souvent un taux faible. Il s'agit d'une population plutôt jeune. En effet l'âge moyen est de 27 ans contre 38 ans pour les autres assurés du régime général. Il existe une surreprésentation des moins de 20 ans.

La CMU a permis un accès facilité aux soins pour une population en moins bon état de santé que l'ensemble des assurés sociaux. En effet, aux mêmes âges 10 % des patients de la CMU sont atteints d'une affection de longue durée contre 6,6 % des autres patients du régime général. Les bénéficiaires de la CMU consultent davantage les médecins généralistes que les autres patients du régime général mais ont sensiblement moins recours aux spécialistes. La consultation des ophtalmologistes et des dentistes en particulier reste moins courante malgré la couverture mise en place. Ce comportement est traditionnel parmi les catégories sociales les plus démunies pour qui le médecin généraliste joue le rôle de porte d'entrée dans le système de santé. Globalement la consommation moyenne de médicaments par patient est légèrement plus faible pour les bénéficiaires de la CMU que pour les autres patients.

En réalité le coût pour le régime général est modéré et inférieur aux prévisions. La dépense moyenne des bénéficiaires de la CMU s'élève à 4 565 F et est inférieure de près de 10 % à celle des autres patients du régime général. La meilleure prise en charge des plus démunis n'a pas eu d'impact notable sur les dépenses remboursées par le régime général.

Le succès remporté par la CMU est donc réel mais il est atténué par un effet de seuil préoccupant. S'il est vrai que l'établissement d'un seuil de ressources à partir duquel le bénéfice d'une prestation est refusé engendre nécessairement un effet de seuil, force est de reconnaître que le montant choisi pour la CMU est particulièrement injuste. Le plafond de ressources mensuel a été fixé par voie réglementaire au 1er janvier 2000 à 3 500 F. Ce plafond a été relevé de 100 F le 1er janvier 2001.

Ce relèvement est en réalité sans effet pour les bénéficiaires des minima sociaux et de l'allocation adultes handicapés (AAH) contrairement au souhait exprimé par la rapporteure à l'occasion du débat sur le projet de loi pour le financement de la sécurité sociale pour 2001. En effet l'AAH ainsi que les minima sociaux ont été revalorisés de 2,2 % au 1er janvier 2001 passant à 3 652 F. Ainsi pour environ 52 F par mois cette population restera exclue de la CMU. Paradoxalement les effets de seuil ont donc exclu de la CMU certaines personnes qui bénéficiaient d'une aide médicale départementale. La CMU a été conçue pour mettre fin au système des aides médicales qui avaient l'inconvénient d'être très inégales selon les départements. Or une dizaine de départements proposaient une aide médicale aux personnes dont les revenus mensuels dépassaient 3 500 F.

Cet effet de seuil préoccupant est renforcé par l'incapacité de la majorité des départements à financer un dispositif complémentaire. De surcroît les mutuelles et compagnies d'assurance sont encore peu actives dans l'accompagnement social. Le fonds d'accompagnement à la protection complémentaire prévue par la loi pour les organismes complémentaires n'a jamais vu le jour. Cependant il semble qu'une réelle volonté existe depuis peu en faveur d'une aide à la mutualisation des personnes au dessus du seuil de la CMU qui pourrait prendre la forme d'une APS (Allocation personnalisée santé).

Aujourd'hui plusieurs circonstances militent en faveur d'une révision du seuil de ressources. Un nouveau report au 31 décembre  2001 a été annoncé par la ministre de l'emploi et de la solidarité pour les personnes situées sous le seuil des 4 000 F de revenus individuels et mensuels. Cette solution retenue par le Gouvernement crée un véritable effet d'aubaine pour certaines personnes alors qu'à revenus égaux d'autres sont exclues de la CMU. De surcroît, des ressources financières sont disponibles. Le nombre des bénéficiaires de la CMU complémentaire est inférieur de près d'un tiers au nombre attendu de six millions de personnes, ce qui permet de dégager des possibilités de financement importantes. On prévoyait en effet un coût annuel de 9 milliards de francs correspondant à six millions de bénéficiaires à 1 500 F par an. En 2000, les ressources du fonds se sont élevées à 8,3 milliards de francs mais seuls 5,7 milliards de francs ont été dépensés. Ainsi même si l'on atteint cinq millions de bénéficiaires il restera une marge de man_uvre financière non négligeable d'autant qu'une partie des anciens bénéficiaires de l'aide médicale vont sortir du dispositif au 30 juin 2001 si leurs ressources mensuelles dépassent 4 000 F ou au 31 décembre 2001 pour les autres selon les nouvelles modalités de sortie du dispositif CMU. Le nombre de bénéficiaires de la CMU devrait donc à terme diminuer d'un million de personnes.

La rapporteure a estimé qu'il y avait différentes solutions pour corriger cet effet de seuil préoccupant, sa préférence allant à l'augmentation du seuil de ressources. Elle a rappelé qu'elle avait déposé un amendement en ce sens à l'occasion de la première lecture du projet de loi portant diverses mesures d'ordre social, éducatif et culturel qui a été adopté par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, puis retiré en séance publique le 10 mai 2001.

Le niveau du seuil de ressources affiché à 3 500 francs, réévalué à 3 600 francs est trompeur. Aucun citoyen ayant ce modeste montant de ressources n'en bénéficie car un forfait de 306 francs pour une personne seule et 536 francs pour un couple correspondant au chiffrage de l'avantage du versement d'une allocation personnalisée pour un logement est prise en compte pour l'appréciation des revenus. Cela concerne également les propriétaires d'un logement même lorsque celui-ci est modeste, voire insalubre.

D'autres solutions peuvent également être envisagées :

- reconnaître aux bénéficiaires de l'AAH et du minimum vieillesse le bénéfice de la CMU en considérant que ces personnes ont des problèmes de santé graves et irréversibles,

- modifier le mode d'appréciation des ressources des demandeurs en réduisant le montant du forfait APL ajouté aux ressources prises en compte,

- encourager les caisses primaires à utiliser leur fonds d'action sociale,

- encourager les mutuelles et les compagnies d'assurance à créer un produit spécifique pour les personnes placées juste au dessus du seuil,

- ou encore inciter les collectivités locales à créer un dispositif d'aide aux exclus de la CMU.

La solution envisagée par le Gouvernement consistant à pérenniser le maintien des bénéficiaires de la CMU qui se trouvent juste au-dessus du seuil est une fausse bonne solution. Non seulement elle ne règle pas le problème des bénéficiaires de l'AHH et du minimum vieillesse mais en plus elle créée un rupture d'égalité entre les personnes dont les revenus se situent entre 3 600 et 4 000 francs par mois et qui ne bénéficient pas aujourd'hui le CMU. Cette mesure conduit à instaurer une véritable CMU à deux vitesses.

Enfin, la rapporteure a proposé des solutions aux problèmes liés à la mise en place de la CMU. Une plus grande mobilisation de tous les acteurs de l'Etat est nécessaire : les comités départementaux de suivi de l'application de la loi doivent être réactivés. Un partenariat avec les organismes complémentaires doit faire l'objet d'efforts répétés et continus. Enfin, il convient d'améliorer le contenu du panier de soins notamment en matière de soins dentaires et d'optique. Le panier de la CMU se situe dans la bonne moyenne. Mais, la projection du dispositif à quelques années conduit à envisager une forte augmentation des besoins de soins dentaires en raison d'un état dentaire très détérioré des futurs bénéficiaires. Il faut donc s'attendre à ce que les interventions puissent dépasser le plafond de 2 600 francs.

Un débat a suivi l'exposé de la rapporteure.

M. Edouard Landrain, après avoir souligné la densité des sujets traités par la rapporteure, s'est étonné du nombre plutôt réduit de bénéficiaires de la CMU dans les départements ruraux : est-ce dû à une sorte de pudeur à faire valoir ses droits ou à des solidarités familiales plus développées ? S'agissant de la faible implication des mutuelles et des compagnies d'assurance dans le dispositif, qui était prévisible, il serait effectivement souhaitable de prévoir un mécanisme d'incitation à leur égard. Il a ensuite souhaité obtenir des précisions sur la crainte exprimée par la rapporteure d'une « CMU à deux vitesses ».

M. Marcel Rogemont a fait les observations suivantes :

- Le problème réel de l'effet de seuil ne doit cependant pas occulter l'avancée très positive qu'a constituée la mise en place de la CMU grâce à laquelle 1,7 million de personnes ont eu accès à une couverture complémentaire.

- Il serait intéressant de disposer de données sur la répartition des personnes en fonction de leurs revenus qui bénéficiaient de l'aide médicale gratuite et qui n'auront plus droit à la CMU lors du réexamen de leurs droits.

- De même, il serait utile de savoir comment sont utilisés et avec quels résultats les 400 millions de francs qui sont à la disposition des CPAM pour financer l'accompagnement des « sortants » de la CMU et quels sont les dispositifs d'accompagnement que les départements ont mis en place.

Après avoir rappelé que la CMU a été créée pour lutter contre les inégalités de l'accès au soin, M. Jean-Paul Bacquet a estimé qu'une nouvelle inégalité était créée par le retard considérable dans le traitement des feuilles de maladie. Plus de 15 millions de feuilles sont actuellement en souffrance, ce qui, paradoxalement, menace l'effectivité de l'accès aux soins des personnes aux revenus modestes se situant juste au dessus du seuil de la CMU. En effet, cette population ne bénéficie pas du tiers payant et doit faire l'avance des frais ; dans l'attente de remboursements depuis des mois, elle peut tout à fait hésiter à se faire soigner.

Il a ensuite souhaité savoir si la rapporteure disposait d'information d'une part sur les caractéristiques de la consommation médicale des bénéficiaires de la CMU en fonction de leur catégorie socio-professionnelle et d'autre part sur la façon dont la CMU permettrait de promouvoir la médecine préventive, avec laquelle ses bénéficiaires sont peu familiarisés.

M. Jean Rouger s'est félicité que l'on puisse désormais, après plus d'une année d'application de la CMU, disposer d'une bonne connaissance des bénéficiaires et des profils de leur consommation de soins. La présente communication permet ainsi de combattre certains préjugés à l'encontre de la CMU. D'aucuns avaient notamment annoncé que la création de la CMU entraînerait une surconsommation des soins : on sait désormais qu'il n'en est rien, les bénéficiaires s'adressant plus aux généralistes qu'aux spécialistes et consommant un peu moins de médicaments que la moyenne des assurés. Les calculs et projections savants effectués lors de l'examen de la loi sur la CMU, qui ont conduit à des estimations très lointaines de la réalité, montrent qu'il ne faut pas se fier aux extrapolations sur le coût et le nombre de bénéficiaires de la CMU.

La présente communication a aussi le mérite de confirmer ce que tout le monde redoutait, c'est à dire les conséquences néfastes de l'effet de seuil, et de présenter toutes les possibilités ouvertes pour l'atténuer. Il est regrettable que la hausse du seuil de 3500 à 3600 francs obtenue par les parlementaires en octobre 2000 n'a eu en pratique aucun effet pour les titulaires des minima sociaux puisqu'elle a été suivie d'une hausse concomitante de ces minima. Il convient d'autre part de prêter une attention particulière aux observations de la rapporteure en ce qui concerne l'accès aux soins dentaires et optiques ; les insuffisances dénoncées, qui sont pour la plupart liés aux problèmes propres à la profession de dentiste, doivent trouver une solution.

S'agissant de l'accompagnement social par les CPAM des personnes se situant au-dessus du seuil, il est regrettable que les choix différents qui seront opérés par chaque caisse aboutissent à une situation hétérogène sur le territoire, ce qui trahit l'esprit initial d'universalité de la loi et illustre bien les dangers d'une CMU à deux vitesses.

Mme Brigitte Douay s'est réjouie de la tonalité positive de la présente communication qui montre bien que le dispositif est désormais bien installé et qu'il apporte pleine satisfaction à ses bénéficiaires. Il y a lieu, néanmoins, de signaler l'existence d'un débat récurrent entre les CPAM et les organismes complémentaires qui se comportent toujours en acteurs concurrents de la couverture complémentaire maladie.

M. Jean-Jacques Denis s'est inquiété de la situation des nombreux jeunes médecins exerçant dans des quartiers difficiles qui se plaignent de la longueur des délais de remboursement de leurs actes par la sécurité sociale. Il serait souhaitable, dans le cadre du suivi de l'application de la CMU, de collecter des éléments chiffrés sur ce sujet.

En réponse aux intervenants, la rapporteure a fourni les informations suivantes :

- Le faible nombre de bénéficiaires de la CMU en milieu rural tient sans doute d'une part à une sous-estimation des revenus dans le secteur agricole et d'autre part à une méconnaissance de nombreux salariés agricoles de leurs droits à la CMU.

- Le pourcentage d'adhésion à des organismes complémentaires a lentement progressé pour atteindre aujourd'hui près de 13% ; la concurrence qui existait au départ entre les CPAM et les organismes complémentaires s'est fortement atténuée mais il est certain qu'une plus grande coopération entre tous les acteurs donnerait de meilleurs résultats. Dans certains départements, la liste des mutuelles et compagnies d'assurance participant au dispositif n'offre pas hélas un grand choix.

- On peut aujourd'hui parler de CMU à deux vitesses pour deux raisons distinctes : d'une part, il existe, de facto, une inégalité de traitement entre les personnes ayant les mêmes revenus selon qu'elles bénéficiaient, ou non, de l'aide médicale gratuite. En effet, le Gouvernement a choisi de maintenir dans le dispositif de la CMU, jusqu'au 31 décembre 2001, les anciens bénéficiaires de l'aide médicale jusqu'à 4000 francs de revenus, alors que dans le même temps, les personnes recevant le minimum vieillesse ou l'AAH, et ayant donc un revenu comparable, se voient refuser le droit à la CMU ; d'autre part, les dispositifs d'accompagnement social de sortie de la CMU risquent d'être très inégaux selon les départements en fonction de la motivation et des solutions qui seront retenues par les partenaires. Les conseils généraux en particulier n'ont pas tous fait le choix d'utiliser leur budget d'action sociale, allégé de la charge de l'ancienne aide médicale gratuite, pour atténuer l'effet de seuil. Il serait pourtant souhaitable que tous les sortants de la CMU puissent recevoir une aide à la mutualisation sous la forme d'une « APS », aide personnalisée santé, à l'instar de l'initiative développée en Charente-maritime.

- Les titulaires de l'AAH et du minimum vieillesse vivent leur impossibilité d'accéder à la CMU comme une exclusion qui se cumule avec le handicap qui est le leur. Les statistiques demandées par M. Marcel Rogemont ne sont pas disponibles car on vient juste de connaître le nombre de personnes, anciens bénéficiaires de l'aide médicale, situées au-dessus des 3 600 F qui est de 1,2 million.

- S'agissant du Fonds national de prévention, d'éducation et d'information sanitaires de la CNAM, il convient de rappeler que les CPAM, au nombre d'une centaine, disposent d'un pouvoir autonome vis à vis de la caisse nationale pour décider de l'utilisation de ce fonds. Ce fonds national existait avant la loi créant la CMU ; une partie des sommes disponibles, soit 400 millions de francs, doit, sur décision de la ministre de l'emploi et de la solidarité, être consacrée à l'accompagnement social des personnes se situant juste au-dessus du seuil. Le Gouvernement étudie actuellement l'opportunité de doubler cette somme.

- Les bénéficiaires de la CMU se caractérisent par une consommation moyenne de médicaments plus faible que celle des autres patients. Le type de médicaments qu'ils consomment - produits agissant sur le système nerveux central, les voies digestives et le métabolisme - est symptomatique des conditions de vie difficiles qui sont les leurs. En outre, ils consultent principalement des médecins généralistes et ont davantage recours aux matériels et appareillages légers divers.

- Enfin, il faut se féliciter de l'implication des médecins dans la CMU, les cas de refus de soins ayant considérablement diminué.


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