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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 61

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 juin 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen des propositions de loi de M. Pierre Micaux relative à la création d’un ordre national de la profession infirmière - n° 967 et de M. Bernard Accoyer créant un ordre national des infirmiers et des infirmières - n° 343.

2

- Examen du rapport d’information « alcool et santé » (Mme Hélène Mignon, rapporteur).

5

- Examen du rapport d’étape de la mission d’information sur l’informatisation du système de santé (M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur).

9

- Examen, en application de l’article 88 du Règlement, des amendements au projet de loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles - n° 865 (M. Patrick Bloche, rapporteur).

12

- Communication de Mme Dominique Gillot sur son rapport au Gouvernement « Pour une politique de la famille rénovée » et sur la conférence nationale de la famille.

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Jean-Luc Préel, les propositions de loi de M. Pierre Micaux relative à la création d’un ordre national de la profession infirmière - n° 967 et de M. Bernard Accoyer créant un ordre national des infirmiers et des infirmières - n° 343.

M. Jean-Luc Préel, rapporteur, a jugé qu’un ordre des infirmiers et infirmières était aujourd’hui une nécessité urgente et correspondait à la volonté d’assurer une gestion démocratique d’une profession dont le rôle s’est accru et transformé au cours des dernières années. La spécialisation des tâches et la diversification des compétences rendent en particulier nécessaire la mise en place de structures garantissant une formation de qualité, ainsi que le respect des règles de déontologie. De plus en plus confrontés à des questions éthiques relevant par exemple du secret professionnel, les infirmiers doivent pouvoir s’appuyer sur des règles claires. Or, il n’existe aucune structure organisant la profession. Bien au contraire, on assiste à un véritable émiettement de sa représentation. Il existe environ 150 syndicats ou associations, le taux de syndicalisation est très faible, de l’ordre de 5 %, et les intérêts catégoriels sont extrêmement morcelés. Certes, il existe un Conseil supérieur des professions para-médicales - commission des infirmières et des infirmiers, mais cet organisme ne saurait être regardé comme représentatif de l’ensemble de la profession infirmière, en raison de sa composition, de son pouvoir seulement consultatif et de sa procédure de saisine, puisqu’il ne se réunit qu’à la demande du ministre chargé de la santé.

Au cours des dernières années, plusieurs professions de santé ont bénéficié de la création d’un ordre professionnel. Tel est le cas des masseurs-kinésithérapeutes et des pédicures-podologues. De très nombreux pays européens se sont par ailleurs dotés d’un ordre professionnel des infirmiers. Les propositions de lois en faveur de la création d’une telle structure sont issues des travaux menés par trois conférences de consensus organisées par un collectif d’associations et de syndicats de la profession. Ces propositions de loi répondent donc aux souhaits de la profession comme en témoignent plusieurs enquêtes menées depuis 1994. La proposition de M. Pierre Micaux confie un réel pouvoir d’action à l’ordre, que ce soit en matière du respect des règles d’éthique, de consultation sur les orientations de la politique de santé publique, de participation aux modifications des conditions d’exercice de la profession, de validation des formations initiales et continues ou du suivi statistique.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. Bernard Accoyer a déclaré s’associer totalement aux propos du rapporteur. La profession d’infirmier est confrontée à des mutations profondes. En particulier, cette profession doit faire face au maintien de malades à domicile et au soutien des personnes âgées ou dépendantes. La lourdeur et la diversité des tâches constituent un véritable défi. Parallèlement, la profession est confrontée à une situation difficile que marquent des règles contraignantes concernant notamment les conditions d’installation et de remplacement. La tarification mériterait d’être revue, de même que les modalités d’exercice de l’activité conventionnelle qui ne sont pas éloignées de la notion de quota. Certes, il existe des divergences entre les professionnels et quelques responsables syndicaux représentant les infirmiers salariés. Pour autant, il convient de faire prévaloir l’intérêt des malades et de modifier les structures qui présentent actuellement un caractère obsolète et inadapté.

M. Philippe Nauche, après avoir souligné la place essentielle des infirmiers dans un système de santé en mutation, la diversification de leurs tâches et le rôle accru de la profession en matière de prévention sanitaire, a insisté sur le problème de représentativité de cette profession. 80 % sont salariés, 20 % exercent en libéral. Or, les salariés ne manifestent aucune demande de création d’un ordre professionnel ou y sont fortement hostiles. Historiquement, les ordres professionnels n’ont pas toujours été facteurs de progrès. Il convient en outre de s’interroger sur le caractère très large des pouvoirs conférés par les propositions de lois à cet ordre et sur certaines de ses modalités de fonctionnement et d’élection.

Dans la mesure où le Gouvernement a entamé une réflexion pour modifier le décret sur les compétences des infirmiers, où le ministère ouvre une large réflexion sur la représentativité des professions paramédicales et où la création d’un ordre spécifique aux infirmiers risquerait de diviser plus encore les professions de la santé, il n’est pas opportun que la commission présente des conclusions sur ces deux textes.

M. Denis Jacquat a estimé qu’il est nécessaire de bien distinguer le rôle d’un ordre professionnel de celui des syndicats. S’il n’y avait pas d’ordre des médecins, il faudrait l’inventer, sans que cela nuise à la représentativité syndicale de cette profession. Le rôle d’une telle structure consiste à régler d’une manière interne à la profession les conflits existants. Or, s’agissant des infirmiers, ceux-ci sont de plus en plus nombreux. Il existe des problèmes internes à la profession, des problèmes de relations entre les infirmiers et les patients ou des problèmes avec les familles de ceux-ci. Potentiellement de nouveaux conflits apparaissent, par exemple pour définir le rôle des aides-soignantes dans les maisons de retraite médicalisées. L’éparpillement syndical ne doit pas exclure une réflexion sur l’opportunité de créer un ordre professionnel, lequel existe d’ailleurs pour de nombreuses professions de santé, comme les masseurs-kinésithérapeutes ou les pédicures-podologues. Il est donc indispensable de créer un tel ordre, qui fait actuellement défaut.

M. Patrick Bloche a considéré que la création d’un ordre constituerait une mauvaise réponse à une vraie question. La question est celle de la représentativité de la profession, compte tenu de l’évolution de son rôle, qui dépasse aujourd’hui largement les seules activités médicales et de sa division entre le secteur salarié et le secteur libéral. La profession d’infirmier est confrontée de manière croissante à des situations de détresse ou d’isolement mais aussi à des problèmes d’organisation de la profession, comme celui des seuils d’efficience ou de la tarification des actes. Au moment où le Gouvernement a ouvert un débat sur le décret de compétence, où la convention nationale des infirmiers est contestée devant le Conseil d’Etat, l’adoption des propositions de lois paraît inopportune.

M. Pierre Hellier a apporté son soutien aux propositions de lois, en jugeant, au-delà de la vieille querelle sur l’ordre des médecins qui resurgit, que la mise en place d’un ordre des infirmiers répondait à un souci d’éthique, de clarification de la déontologie et de modernisation de la profession, notamment avec le développement de l’informatisation.

Mme Jacqueline Fraysse a jugé que la profession infirmière était aujourd’hui confrontée à de nombreux problèmes d’ordre économique ou éthique. Si les aspirations sont réelles, la création d’un ordre professionnel n’est pas de nature à y répondre. Les ordres professionnels ne sont pas synonymes de démocratie ou de progrès, comme l’a montré le débat sur l’interruption volontaire de grossesse. Enfin, il convient de ne pas s’arrêter uniquement à la faible syndicalisation des infirmiers car les élections professionnelles connaissent un taux de participation de 66 %, ce qui est très satisfaisant.

M. Jean Valleix a déclaré apporter son soutien à la proposition de loi du rapporteur. L’ordre contribuera au sérieux de la pratique professionnelle, au développement de l’éthique, à la qualification des actes de soins et à la clarification du rôle des infirmiers dans la chaîne des soins. Il répondra à l’augmentation croissante des besoins de médicalisation et assurera, dans un cadre démocratique, la responsabilité et la dignité de la profession. Si l’on parle souvent de révolution, on peut se demander qui sont les révolutionnaires entre les partisans d’un changement bénéfique à une profession et ceux qui préfèrent le statu quo.

M. Laurent Cathala a souligné que cette proposition de loi présentait un caractère exorbitant par rapport au droit commun. Ainsi, le conseil de l’ordre des infirmiers aurait-il la possibilité de délivrer des agréments pour les actions de formation, ce qui est contraire au mouvement général de décentralisation. La création d’un ordre aboutirait en outre à rigidifier des pratiques de développement des réseaux de soins. Il convient donc que la commission n’adopte pas de conclusions car l’élaboration d’un décret sur les compétences est en cours, tandis qu’une mission de réflexion vient d’être entreprise et doit s’achever au mois d’octobre 1998 sur la représentativité des professions paramédicales. La proposition de loi présente par ailleurs de nombreuses imperfections rédactionnelles et techniques.

M. Jean-Paul Bacquet a souligné que la création d’un ordre national de la profession infirmière ne répondait pas aux questions soulevées par le rapporteur. En effet, l’expérience de l’ordre national des médecins montre que :

- s’agissant des remplacements, ce sont plutôt les organisations syndicales voire les organes de presse spécialisés qui permettent de satisfaire les besoins ;

- s’agissant des conflits, les sections des assurances sociales des tribunaux ne comportent qu’un nombre restreint de médecins et, par conséquent, les positions ordinales y sont minoritaires ;

- s’agissant de l’aspect technique des conventions professionnelles, il convient de rappeler qu’elles ne sont pas discutées par les ordres mais font l’objet de négociations entre les syndicats et les caisses nationales d’assurance maladie.

En outre, la création d’un ordre national de la profession infirmière, conservateur par essence, ne semble pas de nature à favoriser l’évolution de la profession, si l’on se réfère à certaines positions de l’ordre des médecins sur certaines questions, tel que l’avortement.

En réponse aux intervenants, le rapporteur, s’est félicité que le constat des problèmes de la profession soit partagé par tous et que la nécessité soit reconnue d’y remédier tant au niveau national qu’au niveau européen. Il est donc nécessaire que soit créée une organisation représentative de la profession, à moins que le ministère de la santé préfère avoir à faire à une profession éclatée.

Le contexte actuel rend cette mesure d’autant plus urgente qu’une décision récente du Conseil d’Etat a demandé que soient créées dans les meilleurs délais les commissions régionales de disciplines prévues par la loi du 12 juillet 1980 dont les décrets d’application n’ont jamais été pris.

L’ordre proposé est une structure démocratique puisque des élections par collège sont prévues par la proposition de loi de M. Pierre Micaux à tous les niveaux territoriaux. Contrairement à l’ordre des médecins, l’ordre national de la profession infirmière aurait à connaître des questions de santé publique et de formation. Il ne doit donc pas s’envisager du seul point de vue des conflits ou de la discipline mais de l’autogestion de la profession.

Le président Jean Le Garrec a estimé que la discussion avait montré l’importance des questions auxquelles est confrontée la profession infirmière. Face à celles-ci deux approches sont possibles : la première, défendue par le rapporteur, est celle de la création d’un ordre national de la profession infirmière. La seconde, soutenue par M. Philippe Nauche, consisterait pour la commission à ne pas adopter de conclusions dans la situation actuelle, les engagements du secrétaire d’Etat à la santé comme les travaux de réflexion en cours rendant la décision sur la création d’un ordre prématurée.

La commission a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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La commission a ensuite examiné le rapport d’information de Mme Hélène Mignon sur « Alcool et santé ».

Mme Hélène Mignon, rapporteur, après avoir remercié M. Denis Jacquat pour le travail qu’il avait accompli en qualité de précédent président et rapporteur de la mission d’information, a souligné que les récents incidents survenus à Marseille durant la coupe du monde de football illustraient une nouvelle fois les dangers de la consommation excessive d’alcool. Si les « manières de boire » étaient autrefois très différentes d’un pays à l’autre, on constate aujourd’hui une uniformisation préoccupante du « modèle nordique », caractérisé par des abus d’alcools forts en fin de semaine mais sans les interdits tacites que comporte encore ce modèle.

Le problème de l’alcoolisme reste dans notre pays mal connu et les statistiques et les études épidémiologiques disponibles sont très insuffisantes. Il est donc nécessaire de combler ces lacunes pour mieux connaître les différentes étapes du processus d’alcoolisation et pouvoir notamment distinguer les consommateurs occasionnels, les consommateurs réguliers mais non dépendants et les consommateurs dépendants. Il serait également souhaitable de pouvoir mieux chiffrer le coût de l’alcoolisme, en prenant notamment en compte ses coûts indirects, à l’instar de ce qui a été fait au Canada.

Par ailleurs l’alcoolisme fait l’objet de discours ambivalents et troublants : dans la société, il est à la fois un tabou, un élément de la culture nationale, parfois un élément d’affirmation de la virilité et donne lieu à des jugements discriminatoires, l’ivrogne suscitant la honte et l’alcoolique mondain des sourires gênés. Du point de vue de l’Etat, l’alcool est un facteur de recettes fiscales élevées et pratiques en tant que variable d’ajustement. Dans le monde médical, la manière d’aborder le problème de l’alcoolisme avec les patients reste controversé. Il est donc nécessaire de corriger l’image faussée de l’alcoolisme au sein de la société en développant une connaissance accrue de ce problème et en s’inspirant notamment de l’Italie, qui a créé un observatoire sur les jeunes et l’alcool.

L’évolution récente des modes de consommation et des comportements d’alcoolisation est à plusieurs égards inquiétante. Dans un contexte de baisse globale de la consommation, qui est passée de 22 litres d’alcool par personne et par an en 1970, à 16 litres aujourd’hui, l’augmentation de la fréquence des ivresses en fin de semaine dès l’entrée dans l’adolescence marque l’apparition d’un comportement toxico-maniaque chez les jeunes. Une étude remarquable menée par les Centres d’hygiène alimentaire et d’alcoologie (CHAA) a montré que chez 50 % des adultes, l’alcoolisation a débuté entre 7 et 22 ans - avec un âge moyen particulièrement bas dans les départements et territoires d’outre-mer. Il est également préoccupant de constater que le marketing commercial des alcooliers est de plus en plus agressif à l’égard des jeunes, comme en témoigne le lancement des premix, des « shooters » et des « ciders », ces deux derniers étant des bières et cidres titrant plus de 10°. Il est donc nécessaire d’avoir une approche globale du problème de l’alcoolisme qui suppose :

- une politique active de prévention ciblée sur les jeunes et leurs problèmes visant à les responsabiliser ;

- une éducation sanitaire approfondie associant, comme dans les pays scandinaves, l’école, les familles, les associations sportives et culturelles, les services sociaux, voire les entreprises ;

- un enseignement à la santé obligatoire dispensé par des professeurs ayant reçu une formation adéquate.

Il est établi par ailleurs qu’une majorité de consommateurs ignorent leur problème avec l’alcool, le nombre de personnes ayant une consommation excessive étant estimé en France à au moins 5 millions de personnes. Il est donc absolument nécessaire de mieux cibler les politiques de prévention et de traitement sur cette population avant qu’il ne soit trop tard et qu’elle ne tombe dans le cercle vicieux de la dépendance. Il faut donc adopter une double approche, à la fois globale et ciblée, dans le but de toucher l’ensemble de la population et les populations les plus exposées.

S’agissant des conditions de vente et de consommation de l’alcool, il paraît opportun de mettre en oeuvre des mesures de santé publique fortes et cohérentes.

Eu égard aux distorsions actuelles en matière de taxation de l’alcool, il faudrait mettre à l’étude une taxation proportionnelle au degré alcoolique. Des simulations montrent que cette proposition, à recettes égales, serait réalisable.

Les règles de commercialisation devraient être rendues plus strictes en interdisant totalement la vente dans les stations à essence, en renforçant les sanctions et en multipliant les contrôles à l’encontre de la vente d’alcool au moins de seize ans dans les commerces, en particulier dans la grande distribution et en renforçant le contrôle et les sanctions en cas de non-respect du « décret buvette », le nombre de jours de vente autorisée étant en contrepartie augmenté.

La clarification des règles régissant la publicité en faveur de l’alcool paraît également nécessaire. On peut à cet égard s’interroger sur la publicité indirecte ou sur la mise en valeur de l’alcool dans certains milieux favorisés. Par ailleurs, il serait souhaitable que l’instance d’évaluation de la loi Evin, qui doit terminer ses travaux avant la fin de l’année, fasse des propositions précises de renforcement de la réglementation de la publicité et ne se contente pas d’établir un bilan de l’application de la loi. S’agissant du problème des retransmissions télévisées d’événements internationaux, les difficultés existantes soulignent le besoin impérieux d’une législation européenne en la matière.

Dans le domaine de la sécurité routière, les résultats déjà obtenus doivent être consolidés, notamment en améliorant la connaissance épidémiologique du rôle de l’alcool dans les accidents, en améliorant l’organisation des contrôles et en poursuivant les campagnes de prévention mettant l’accent sur la responsabilisation des conducteurs.

En ce qui concerne l’assistance et les soins aux personnes ayant un problème avec l’alcool, il conviendrait de favoriser la coordination de tous les intervenants en multipliant et en soutenant davantage la création de réseaux liant l’hôpital, le corps médical, les associations et les associations spécialisées, lesquelles devraient être soutenues. Cette coordination doit notamment permettre d’assurer un suivi dans le temps du malade après le démarrage des premiers soins. Par ailleurs, le secteur hospitalier doit être mieux impliqué dans la lutte contre l’alcoolisme, notamment en systématisant dans les CHR et les CHU la formation d’équipes multidisciplinaires autour d’un médecin coordonateur référent. Enfin, le corps médical doit être davantage sensibilisé à ces questions dans le cadre privilégié de la formation continue.

La proposition finale de la mission est d’instaurer, sur le modèle de la journée sans tabac, une journée sans alcool qui serait l’occasion d’organiser des actions de sensibilisation et de prévention dans les écoles, les entreprises et les établissements de soins, notamment.

Le président Jean Le Garrec a souligné l’intérêt du rapport présenté par Mme Hélène Mignon et a souhaité que sa publication soit autorisée par la commission. Il est important de briser le tabou de l’alcoolisme qui reste fort comme l’ont montré les débats sur un amendement au projet de loi sur l’exclusion, sur le statut des CHAA.

Les études faites dans la région Nord-Pas-de-Calais montrent que les inégalités régionales en matière de santé ne sont que partiellement dues à l’insuffisance des structures de soins et relèvent aussi de différences de comportement, particulièrement en ce qui concerne l’alcoolisme.

M. Denis Jacquat, après s’être félicité du caractère consensuel de cette mission d’information, a regretté que le Gouvernement ne s’intéresse pas davantage au travail parlementaire. Il est en effet singulier de constater que la presse se fait actuellement l’écho d’un rapport demandé à des experts par le Gouvernement, sans que la mission ait été informée de la commande et de la remise de cette étude. Une fois de plus les parlementaires sont les derniers informés des initiatives de l’exécutif.

Sur le fond, le développement récent des polytoxicomanies qui conduit au mélange d’alcool, de drogues et de médicaments psychotropes constitue un phénomène particulièrement préoccupant. On notera à cet égard qu’aux Pays-Bas, 75 % des personnes consommant des drogues dures ont auparavant pris des drogues douces et que 7 % des personnes n’ayant consommé que des drogues douces présentent néanmoins des troubles neuro-psychiatriques. Il paraît donc particulièrement de ne pas banaliser certains comportements pouvant avoir des conséquences préoccupantes.

M. Bernard Accoyer a regretté que nombre d’affaires importantes se traitent exclusivement entre le Gouvernement et les médias, le Parlement étant tenu à l’écart. Face à ce problème de fond qui touche au fonctionnement de la démocratie, il conviendrait d’adresser une protestation solennelle au Gouvernement : si les choses ne changent pas, on sera bientôt amené à s’interroger sur l’utilité des travaux de la commission, compte tenu de leur caractère quasi-confidentiel et du fait que les débats se déroulent dans les médias.

En ce qui concerne le rapport sur la dangerosité relative des drogues légales ou illégales qui vient d’être rendu public, on peut se demander si la consommation de cannabis ne risque pas d’être banalisée au point d’être assimilée à celle de vitamines.

Le président Jean Le Garrec, après avoir indiqué qu’il souhaitait que soit mieux reconnue l’importance des travaux parlementaires, a souligné qu’il entendait en conséquence développer la pratique consistant à désigner un rapporteur pour suivre l’application des lois importantes, ainsi que cela a déjà été fait pour les « emplois-jeunes » et est prévu pour les trente-cinq heures.

S’agissant du présent rapport, il a indiqué qu’il comptait le transmettre officiellement aux ministres concernés, en leur demandant de rencontrer ses auteurs.

Mme Odette Grzegrzulka a regretté que le rôle de l’alcool dans les accidents de la route soit parfois passé sous silence et a souligné que, dans l’exemple des accidents récents ayant impliqué Gérard Depardieu et un ancien député, l’existence d’un fort taux d’imprégnation alcoolique (2,7 g en fin de matinée dans les deux cas) n’avait été révélée que plusieurs jours après les faits, sans qu’elle provoque une réelle indignation.

M. Pierre Hellier a souhaité connaître les conséquences des mesures fiscales prises à l’encontre des premix dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997, à l’initiative de la commission.

Le rapporteur a indiqué que la consommation de premix était en chute libre grâce à l’augmentation de leur taxation et qu’il conviendrait de prendre des mesures analogues pour les cidres et les bières fortes, qui font également des ravages dans la jeunesse.

M. Jean-Pierre Baeumler, après avoir souligné la qualité du rapport présenté par Mme Hélène Mignon, a souhaité connaître son appréciation sur le dispositif français de prise en charge des personnes souffrant d’alcoolisme et a souligné l’importance des actions de prévention et d’éducation pour lutter efficacement contre l’alcoolisme.

Le rapporteur a indiqué que, si les personnes déjà dépendantes vis à vis de l’alcool étaient globalement prises en charge de manière convenable, celles qui consomment de l’alcool de manière excessive sans être dépendantes sont trop souvent oubliées par notre système de soins.

M. Bernard Accoyer a souligné l’importance du problème des polytoxicomanies chez les jeunes, la perte de capacité de jugement et de réflexe due à l’association cannabis-alcool étant à l’origine de nombreux accidents de la circulation mortels. Les habitudes prises dès la petite enfance ayant une part de responsabilité importante dans le développement de l’alcoolisme de l’adulte, il est indispensable de développer une politique de prévention active, la France étant dans ce domaine très en retard par rapport aux autres pays développés. La dernière Conférence nationale de santé demande d’ailleurs que les dépendances au tabac, à la drogue et à l’alcool soient traitées de la même manière, car elles sont étroitement liées.

M. Philippe Nauche a souligné la nécessité d’une prise en charge précoce de l’alcoolisme et a souhaité que la consultation d’un spécialiste soit proposée aux personnes admises aux urgences dans les établissements de soins dans un état d’ivresse. Par ailleurs, il convient de renforcer le rôle des CHAA, afin qu’ils puissent servir de base au développement des réseaux proposé par la mission.

Le rapporteur a souligné que le statut juridique donné à ces centres dans un article additionnel au projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions devait permettre de les aider à accomplir leurs missions.

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

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La commission a examiné le rapport d’étape de la mission d’information sur l’informatisation du système de santé présenté par M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur.

M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur, a indiqué que le travail de la mission sur l’informatisation du système de santé s’inscrivait dans le cadre général de la définition d’une véritable politique de santé publique, et qu’en l’absence d’objectifs clairs dans ce domaine essentiel le projet d’informatisation ne pourrait aboutir à des résultats véritablement utiles en termes d’amélioration de la qualité des soins. Au cours de ses travaux et au fur et à mesure des auditions auxquelles elle a procédé, la mission est en fait passé d’un optimisme béat à un pessimisme béant, ce qui atteste de l’existence d’un certain nombre de problèmes.

L’objectif d’informatiser le système de santé a été abusivement réduit à la télétransmission des feuilles de soins électroniques. Une ambition nationale a été ainsi confondue avec un sous-projet à caractère administratif et financier. Or, il convient bien d’afficher à l’égard du monde médical et de la population la véritable hiérarchie des objectifs : d’abord informatiser les professions de santé pour améliorer la qualité des soins et la gestion de la santé publique, et ensuite seulement, à titre accessoire, dématérialiser les échanges de feuilles de soins en vue de contribuer à la maîtrise des dépenses d’assurance maladie.

En ce qui concerne l’informatisation du système de santé dans son ensemble tout d’abord, l’Etat se doit de définir et de conduire une stratégie de développement coordonné. Les multiples acteurs de l’informatisation ne disposent pas d’un document de référence énonçant clairement les objectifs visés et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Il appartient à l’Etat d’établir un programme ou un plan pluriannuel d’informatisation qui pourrait être soumis à l’approbation du Parlement à l’occasion de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour l’an 2000.

Les difficultés de mise en œuvre du projet Sésam-Vitale ont mis en évidence une absence de pilotage politique. L’intervention de l’Etat est donc indispensable et devrait se concentrer sur les fonctions suivantes :

- communiquer sur les objectifs généraux de l’informatisation ;

- garantir la qualité, la sécurité et le partage des informations de santé par la définition de cahiers des charges et la labellisation des logiciels et autres produits ;

- soutenir les initiatives qui ne peuvent être financées entièrement par le marché comme les banques de données scientifiques ou les échanges de données médicales.

En ce qui concerne plus particulièrement le projet Sésam-Vitale ensuite, la mission rejette l’idée d’un moratoire, c’est-à-dire d’une suspension de la distribution des cartes de santé en Bretagne et dans toute autre région avec report des délais impartis aux professionnels de santé pour télétransmettre les feuilles de soins. Elle est en accord avec la position exprimée par plusieurs de ses interlocuteurs selon laquelle un démarrage hésitant vaut mieux qu’un report signifiant clairement l’abandon du projet.

La mission ne croit pas utile d’attendre que la carte Vitale 1 fonctionne totalement en Bretagne pour être déployée en Champagne-Ardenne puis dans le reste de la France. Le déplacement de la mission en Bretagne a montré que la montée en charge serait très progressive mais qu’il n’y avait pas d’obstacle technique insurmontable à la télétransmission des feuilles de soins.

Pour la carte Vitale 2, le volet d’informations ne doit pas être un carnet médical informatisé mais doit se limiter aux informations permettant de traiter l’urgence ou mettant en péril la vie du patient ainsi qu’à des pointeurs, c’est-à-dire des clés d’accès aux éléments du dossier médical conservé par divers praticiens et établissements.

L’adhésion de tous les professionnels de santé est une des conditions essentielles de la réussite du projet. Pour obtenir cette adhésion, il faut d’abord changer le discours qui met l’accent sur la télétransmission aux dépens de l’informatisation. Il faut également négocier avec les professionnels sur deux points qui font blocage : la responsabilité du médecin en matière de télétransmission et la compensation des transferts de charges opérés.

La mission s’interroge en effet sur la pertinence du système retenu jusqu’à présent, à savoir une aide de 2 000 F pour couvrir les coûts de fonctionnement de la télétransmission et versée en une fois pour solde de tout compte, alors qu’une grande partie des professionnels de santé réclament une rémunération annuelle des frais réels de saisie et de télétransmission, y compris ceux induits par la nécessité d’une maintenance.

La mission considère également que le niveau de sécurité actuel de Sésam-Vitale et du réseau santé social (RSS) est satisfaisant tant que la transmission de données se limite aux renseignements administratifs et aux actes pratiqués. En revanche, une sécurisation des échanges de dossiers médicaux personnels exigera un degré plus élevé de cryptage qui devra être au moins aussi important que celui utilisé pour les cartes bancaires. De même, la mise en réseau des postes informatisés des médecins crée des risques d’intrusion à distance à l’égard desquels les professionnels de santé sont mal informés et mal armés.

Enfin, concernant le coût financier de l’opération, la mission s’en remet à la Cour des Comptes pour examiner le bien-fondé des sommes dépensées jusqu’en 1997 dans le cadre de ce projet. Celles-ci sont estimées à 570 millions de francs, alors que trois milliards de francs au total devraient être nécessaires pour financer le déploiement de Vitale 1. Une interrogation forte subsiste sur le rapport entre les coûts et les gains attendus, compte tenu d’un objectif prévisionnel de seulement 25 % de feuilles de soin télétransmises en Bretagne en l’an 2000. Les coûts de gestion ne devraient donc pas diminuer autant que l’avance la CNAM.

Le président Jean Le Garrec a souhaité que les ministres compétents sur ce dossier ainsi que le Premier ministre soient saisis du rapport d’étape afin d’ouvrir le débat avec le Gouvernement sur le problème fondamental que constitue le manque de pilotage de l’informatisation médicale. Il est indispensable de définir nettement, au niveau politique, les objectifs et ensuite de les présenter clairement aux professionnels de santé.

M. Pierre Hellier, membre de la mission d’information, a exprimé sa crainte que la télétransmission n’ait pas d’issue très favorable à court terme. Elle risque donc, non de favoriser l’informatisation des médecins, mais au contraire de la freiner. Les professionnels de santé en général n’ont pas été assez associés à la mise en oeuvre du projet et demandent légitimement une compensation financière du transfert de charges qui résultera pour eux de la saisie et de la télétransmission des feuilles de soins, par exemple sur le modèle de ce qui avait été fait quand les ordonnances dupliquées ont été imposées aux médecins.

Un certain nombre de problèmes techniques ne sont toujours pas résolus, faute de positionnement politique sur le problème. Il est ainsi souhaitable que les logiciels ne soient pas labellisés uniquement sur un critère de télétransmission mais aussi et surtout au vu de leur apport à la pratique médicale. Le volet d’informations médicales de Vitale 2 ne devra comporter que quelques informations d’urgence et surtout des pointeurs permettant aux professionnels de santé d’échanger entre eux, ce qui permettra de régler le problème de la sécurisation de la carte. En tout état de cause, on ne peut se satisfaire d’une sécurisation inférieure à celle existant pour les cartes bancaires.

En conclusion M. Pierre Hellier a indiqué qu’il était globalement d’accord avec les positions exprimées par le rapporteur.

M. Bernard Accoyer, membre de la mission d’information, a considéré que la CNAM entretenait volontairement une confusion entre la télétransmission et l’informatisation médicale. Alors que cette dernière est souhaitée par tous pour améliorer la pratique médicale, l’envoi de feuilles de soins électroniques aux caisses ne constitue qu’un problème de gestion administrative et financière interne à celles-ci. La mission a pu constater lors de son déplacement en Ille-et-Vilaine que l’acceptation de la télétransmission nécessitait une modification préalable du rapport conventionnel avec les professionnels de santé.

Contrairement à ce que conclut le rapporteur, il n’est par contre pas souhaitable de vouloir généraliser tout de suite Sésam-Vitale à l’ensemble du territoire, compte tenu de l’existence d’importants dysfonctionnements dans l’opération menée en Bretagne. Il ne s’agit pas de préconiser ainsi un moratoire mais d’éviter une dérive des coûts à laquelle la Cour des comptes doit être attentive. Il est également tout à fait irréaliste de croire que Vitale 2 pourra être un jour opérationnelle au vu de la difficulté de garantir la confidentialité des informations médicales qui y figureront. La CNAM a ainsi utilisé le faux appât du volet d’informations médicales alors que le réseau santé social permettra de s’en passer.

Il faut enfin signaler l’absence de lien entre les expériences déjà menées et l’informatique hospitalière, ce qui aboutit là encore à un gâchis financier puisque chaque CHU a développé sa propre informatique sans s’assurer de sa compatibilité avec l’ensemble du système.

M. Claude Evin a insisté sur la nécessité de déterminer rapidement un pilote politique pour l’informatisation car il n’est plus possible de continuer, après vingt ans, à ne pas savoir où l’on va et ce que l’on veut faire. Il est à cet égard essentiel d’inscrire l’informatisation dans une démarche de santé publique et de déterminer en quoi elle permettra d’améliorer la qualité des soins, par exemple par l’aide à la prescription. Une telle définition claire des objectifs permettra sans aucun doute de lever les réticences des professionnels de santé. Il convient également à cet égard de se prémunir contre tout risque de commercialisation des informations d’ordre médical qui pourraient être collectées sur un réseau par un opérateur privé.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur, a fait les observations suivantes :

- Il n’est pas juste de parler de tromperie de la part de la CNAM mais seulement de confusion des objectifs.

- Etant donné qu’on peut raisonnablement prévoir la télétransmission de 25 % de feuilles de soins électroniques en l’an 2000 en Bretagne, il ne faut pas attendre d’atteindre dans cette région l’objectif de 90 % avant d’étendre Vitale 1 à l’ensemble du pays. En outre, la montée en charge pourrait être accélérée si la négociation avec les professionnels de santé est correctement menée au niveau national.

- Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités sur les incertitudes du projet. On peut notamment se demander si Vitale 1 aura encore une signification dans le cadre de la couverture maladie universelle et si Vitale 2 sera utile avec l’existence d’un RSS performant.

- L’informatisation n’aura de sens que si elle aboutit à faciliter la réalisation des objectifs de santé publique définis au niveau politique et si elle aide les médecins à améliorer leur pratique. Il est heureux que les caisses d’assurance maladie ne soient pas seules destinataires des informations recueillies sur le réseau et que les unions régionales de médecins libéraux puissent les obtenir aussi.

- On peut s’interroger sur la capacité effective de la CNAM à répondre au défi que représente l’informatisation pour l’évolution du système de santé. L’échec du projet Médicis a révélé les difficultés que rencontre cet organisme, notamment au plan interne, pour conduire des projets globaux. Il aurait fallu dès le départ s’appuyer sur le service médical des caisses afin de promouvoir une informatisation ayant pour objet une meilleure connaissance épidémiologique plutôt que de viser seulement la transmission de données administratives.

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La commission a ensuite examiné, en application de l’article 88 du Règlement, sur le rapport de M. Patrick Bloche, les amendements au projet de loi portant modification de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles - n° 865.

Article 4 (article 4 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles) : Délivrance et retrait de la licence d’entrepreneurs de spectacles vivants

La commission a accepté l’amendement n° 6 du Gouvernement visant à autoriser les administrations et organismes chargés d’assurer le respect du droit du travail et de la sécurité sociale ainsi que la protection de la propriété littéraire et artistique à communiquer à l’autorité chargée de délivrer les licences toute information relative à la situation des entrepreneurs de spectacles au regard de leurs obligations légales.

Article 6 (article 10 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles) : Spectacles occasionnels

La commission a accepté l’amendement n° 7 du Gouvernement dispensant de l’obligation de détenir une licence, dans la limite de six représentations par an, les groupements d’artistes amateurs bénévoles faisant occasionnellement appel à un ou plusieurs professionnels du spectacle percevant une rémunération.

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La commission a entendu une communication de Mme Dominique Gillot sur son rapport au Gouvernement « Pour une politique de la famille rénovée » et sur la conférence nationale de la famille du 12 juin 1998.

Mme Dominique Gillot a tout d’abord précisé que le rapport « pour une politique de la famille rénovée » avait été rédigé à la demande du Premier ministre qui en a repris certaines des propositions. En effet, lors du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale de l’automne dernier, le souci de restaurer l’équilibre de la branche famille par des mesures visant à plus de solidarité et de redistribution avait conduit à la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Celle-ci avait toutefois été annoncée comme provisoire et devant être réétudiée dans le cadre d’un examen plus global de la politique familiale.

L’élaboration de ce rapport a donné lieu à de très larges consultations et s’est appuyé sur les trois expertises techniques de M. Claude Thélot et de Mmes Irène Théry et Michèle André portant respectivement sur l’efficacité des aides financières, le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée et la vie quotidienne des familles. Elle a été guidée par le souci de parvenir à plus de justice dans les transferts financiers vers les familles, tout en recueillant la plus large approbation sur la politique familiale menée et en ayant la volonté de restaurer l’équilibre de la branche famille. Il est apparu clairement à cette occasion que les mesures de redistribution rencontrent en réalité une forte adhésion des partenaires sociaux même si la mise sous condition de ressources des allocations familiales reste critiquée et que chacun s’accorde à dire que l’impôt doit être l’outil de la redistribution.

Le rapport de M. Claude Thélot propose d’abaisser le plafond du quotient familial ce qui paraît le mieux à même de faire jouer la solidarité entre les familles et de restaurer l’équilibre financier tout en préservant les conditions d’un dialogue fructueux avec l’ensemble des partenaires. Dans l’attente d’une réforme plus globale de la fiscalité, cette mesure permet en outre d’envisager les conditions d’une réorientation de la politique familiale. Le Premier ministre a repris cette proposition et proposé un réexamen de la politique familiale en poursuivant trois objectifs : mettre en oeuvre une politique familiale plus juste, faciliter la vie quotidienne des familles et valoriser le rôle des parents et soutenir les familles.

La branche famille tend aujourd’hui vers l’équilibre, l’effort entamé doit cependant être poursuivi notamment en opérant une redistribution mieux ciblée vers les familles les plus en difficulté et en accroissant la portée de certaines mesures. La baisse du quotient familial et le recyclage des sommes ainsi dégagées devrait permettre d’accroître l’aide au logement familial pour 550 000 familles, d’étendre l’allocation de rentrée scolaire, versée sous condition de ressources, aux familles n’ayant qu’un seul enfant et de permettre de tenir compte des majorations pour âge pour les familles allocataires du RMI.

Faciliter la vie quotidienne des familles reste un domaine à explorer. Cela suppose qu’existent partout sur le territoire des services familiaux qui correspondent aux besoins, que la diversité des modes de garde soit préservée et que ceux-ci soient rendus compatibles avec les moyens des familles et leurs contraintes professionnelles. Cela suppose également qu’il soit mieux répondu aux besoins en matière de logement, que la dimension familiale soit prise en compte dans les négociations sociales et notamment dans les incitations à la réduction du temps de travail. De même les congés parentaux devraient pouvoir être pris hors de la période des trois premières années de l’enfant.

Enfin, en liaison avec l’ensemble des travailleurs sociaux et des professionnels concernés il faudra conforter le rôle éducatif des parents. A cet effet, il devrait être mis en place des mesures de dépistage et d’intervention précoces. Il conviendrait d’assurer une meilleure prise en charge des enfants de 6 à 15 ans hors du temps scolaire tout en améliorant les liens entre l’école et la famille et en valorisant l’autorité parentale. Mme Elisabeth Guigou a d’ailleurs constitué un groupe de travail chargé d’étudier les évolutions du droit de la famille dans l’objectif de garantir à l’enfant le droit à ses deux parents.

Ce rapport sur la politique familiale expose les possibilités de réorientation de la politique familiale. Celle-ci trouvera sa réalité dans la mise en cohérence des politiques publiques dont la nomination d’un délégué interministériel à la famille est l’amorce.

Le président Jean Le Garrec a souligné qu’il était apparu au travers des nombreuses interventions lors de la conférence de la famille où il représentait la commission qu’un accord se dessinait sur la nécessité d’une politique axée sur la solidarité et la redistribution. Les mesures annoncées par le Premier ministre vont dans ce sens et les questions qui demeurent devront être abordées dans la suite du débat. Il faudra en particulier être très attentif à la question du recyclage des sommes dégagées afin que ne se pose pas chaque année le problème de leur affectation à la branche famille.

M. Denis Jacquat, après avoir regretté que le rapport de Mme Dominique Gillot n’ait pu être présenté à la commission avant la conférence de la famille, a formulé les remarques suivantes :

- le problème du financement des mesures est essentiel car il est le facteur qui a bloqué le versement des allocations familiales au premier enfant et rendu difficile l’accroissement de l’âge de prise en charge ;

- un bilan devrait être établi des conséquences en matière d’emploi de la réforme de l’AGED ;

- les majorations pour âge accordées aux bénéficiaires du RMI ne doivent pas faire oublier qu’il est nécessaire d’activer les dépenses passives.

Mme Hélène Mignon a souligné que c’était la première fois que l’on prenait aussi bien en compte l’enfant au sein de sa famille et de la société.

M. Bernard Perrut a observé qu’il était paradoxal de parler de redistribution envers les familles pour un montant de 2,6 milliards de francs alors que dans le même temps on baissait le plafond du quotient familial.

Par ailleurs, aucune mesure spécifique n’est proposée à l’égard des familles ayant à charge des personnes handicapées alors que leur attente est immense.

Enfin, on peut s’étonner des propositions du rapport de Mme Dominique Gillot relatives à la suppression de l’allocation parentale d’éducation (APE) à taux plein pour les familles de deux enfants et par la baisse du montant des allocations familiales versées au troisième enfant. De même il est prévu de redéployer les économies réalisées sur l’APE vers les crèches alors qu’il n’y a pas de lien financier direct entre les deux.

M. René Couanau a observé que l’attitude actuelle de la majorité à l’égard de la politique familiale confirme que les décisions prises à l’automne n’avaient d’autre objet que de combler le déficit de la branche famille de la sécurité sociale. A cet égard, les décisions issues de la conférence de la famille mériteraient d’être accompagnées de précisions sur leur financement. En effet, les mesures telles que celles relatives aux loisirs et à l’encadrement des jeunes hors du temps scolaire supposent des moyens qui ne seront pas dégagés par l’Etat et qui donc reviendront à la charge des collectivités locales. Enfin, il ne faut pas perdre de vue les problèmes rencontrées par les familles ayant à leur charge un enfant ou un adulte handicapé.

M. Marcel Rogemont s’est félicité que le débat sur la politique familiale ait pu être relancé car il a permis de souligner que cette politique ne repose pas sur une mesure isolée mais nécessite une approche globale qui justifie que le Premier ministre ait proposé de revenir sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales qui pourtant constituait une mesure positive. L’équilibre des comptes de la branche famille reste à consolider mais ce souci ne doit pas faire oublier que des choix doivent être faits en fonction de la situation des familles et de leurs ressources. Enfin, en matière de garde des enfants, il serait intéressant d’analyser les concurrences entre les prestations individuelles et les prestations collectives.

M. Bernard Accoyer a observé que le rapport de Mme Dominique Gillot contenait une série d’intentions louables qui n’avaient pour seul objet que de faire admettre la baisse du plafond du quotient familial. Alors qu’en 1994, des avancées réelles avaient eu lieu, aujourd’hui seuls les Français ayant des enfants seront taxés et particulièrement les parents isolés.

M. Jean-Pierre Baeumler a salué la qualité du travail de Mme Dominique Gillot et en particulier son souci de placer l’enfant au coeur de la politique familiale en affirmant que la famille c’est d’abord l’enfant. Promouvoir le soutien aux parents en difficulté pour assurer leurs missions éducatives est tout à fait positif et les modalités devront en être étudiées.

En réponse aux intervenants, Mme Dominique Gillot a apporté les précisions suivantes :

- Certains membres de l’opposition sont favorables à la baisse du plafond du quotient familial, en raison de son effet anti-redistributif. Cette baisse ne pénalise pas les familles nombreuses mais au contraire améliore leur situation. Il ne s’agit pas de taxer l’enfant mais de réduire des avantages fiscaux qui ne sont pas redistributifs.

- La mise sous condition de ressources des allocations familiales a conduit à la réalisation d’une économie estimée en 1998 à 1,4 milliards de francs. La baisse du plafond quotient familial d’environ 16 000 F à 11 000 F a été calculée pour permettre de dégager une somme équivalente. Toutefois, la nécessaire préservation de certaines familles conduira à un rendement inférieur. Le détail de ces questions sera examiné à l’automne.

- L’équilibre vers lequel tend la branche famille permettra le financement de mesures nouvelles : l’extension du versement des allocations familiales jusqu’aux 20 ans de l’enfant, le versement de l’allocation de rentrée scolaire sous condition de ressources aux familles ayant un enfant et la prise en compte de l’âge des enfants dans l’allocation de RMI. Des crédits nouveaux seront également dégagés pour le financement des modes de garde des enfants. Les modifications des aides à la garde qui ont eu lieu ces dernières années ont conduit à ce que les familles à faible revenu s’orientent vers des modes de garde collectifs alors que les familles les plus favorisées recouraient à des gardes individuelles. La question de l’AGED reste à l’étude dans l’objectif d’une harmonisation de l’aide publique aux modes de garde et d’une modulation du taux d’effort en fonction des ressources des familles. En effet, des familles modestes peuvent aussi avoir des contraintes professionnelles lourdes.

- Un rapport est actuellement en préparation sur la réforme des aides à domicile qui inclut la question des personnes handicapées.

- Les conséquences d’un arrêt prolongé de l’activité professionnelle dans le cadre du congé parental d’éducation en termes d’éloignement du marché du travail expliquent la proposition consistant à réserver le bénéfice de l’allocation parentale d’éducation à taux plein à la naissance du troisième enfant. Il semble en effet plus souhaitable d’encourager les mères de deux enfants à conserver une activité professionnelle au moyen du temps partiel, l’allocation parentale d’éducation n’étant alors versée qu’à taux partiel. Cette proposition devrait évidemment s’accompagner de mesures permettant une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

Le président Jean Le Garrec, après avoir souligné l’importance de la question de la prise en compte de la situation des personnes handicapées devenues adultes, a rappelé que le débat sur les orientations et le financement de la politique familiale aurait lieu au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 1999.


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