Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires culturelles (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 65

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 23 septembre 1998
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

Auditions, en présence de la presse, dans le cadre de la préparation de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 :

 

– M. François de Paillerets, président de la Conférence nationale de santé ...

2

– M. Yves Matillon, directeur de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES)


8

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. François de Paillerets, président de la Conférence nationale de santé, accompagné de MM. Jacques Vleminckx, Matthieu Méreau et Jean-François Collin, membres du bureau de la Conférence, dans le cadre de la préparation de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

Le président Jean Le Garrec a souligné l’importance de l’audition des représentants de la Conférence nationale de santé en faisant valoir que les choix du législateur en matière de santé publique devaient être éclairés par les travaux de cette instance qualifiée, travaux qui font la synthèse de ceux des conférences régionales de santé et permettent de mobiliser l’ensemble des professionnels de santé.

M. François de Paillerets a estimé que cette audition représentait le point d’orgue de la mission de la Conférence nationale de santé. Celle-ci s’est tenue au mois de juin dernier, dans la lignée des conférences précédentes. Il s’agit d’abord d’une continuité méthodologique puisque la conférence a travaillé à partir du rapport du Haut comité de la santé publique. Il convient d’ailleurs de rendre hommage à la qualité du travail accompli par les membres actuels du Haut comité de la santé publique, dont le mandat arrive à expiration.

La continuité des travaux de la Conférence nationale de santé est également thématique, dans la mesure où les trois sujets de réflexion retenus cette année (inégalités de santé inter et intra-régionales, accidents iatrogènes et diabète) avaient déjà été abordés et figuraient parmi les dix priorités dégagées par la première Conférence nationale de santé. La Conférence nationale de santé de 1998 a retenu trente-neuf propositions se rattachant, pour les plus importantes d’entre elles, aux trois thèmes précités. Le thème sans doute le plus difficile mais également le plus porteur d’avenir est celui de la réduction des inégalités de santé inter et intra-régionales qui sera traité par M. Jacques Vleminckx, qui avait animé le groupe de travail correspondant.

M. Jacques Vleminckx a rappelé qu’en 1997, la Conférence nationale de santé avait souhaité une plus grande transparence de l’action du Gouvernement en ce qui concerne les méthodes et les critères utilisés pour opérer les redistributions inter-sectorielles et inter et intra-régionales, d’une part, et d’autre part, l’amélioration de la collecte des données ainsi que la recherche et le développement de nouveaux indicateurs au niveau inter et intra-régional, notamment en ce qui concerne la morbidité. Il apparaissait en particulier nécessaire de mieux cerner la question de l’inégalité de l’accès aux soins et, dans le domaine de la répartition des ressources, celle de la démographie des professionnels de santé et de la localisation des structures de soins.

Au terme des travaux de la Conférence nationale de santé de 1998, deux constatations s’imposent en matière d’inégalités. En premier lieu, les réflexions de la Conférence se sont limitées aux inégalités inter et intra-régionales d’accès aux soins de santé. En effet, l’accès aux soins n’est qu’un des facteurs de santé parmi d’autres, au nombre desquels on citera le logement, l’emploi, l’éducation, l’environnement et le niveau ou le mode de vie, cette conception extensive étant illustrée par la définition de la santé donnée par l’OMS, à savoir « un état complet de bien-être physique, mental et social, et non seulement une absence de maladie ou d’infirmité ».

En second lieu, il apparaît que l’un des principes fondamentaux d’une politique de santé est de garantir à chacun, quels que soient son lieu d’habitation et sa situation sociale, l’accès à des prestations sanitaires de qualité.

A partir de ces constatations d’ordre général, les propositions de la Conférence de 1998 relatives à la réduction des inégalités sont structurées autour de quatre orientations. La première consiste à renverser la logique du système, pour passer d’un dispositif centré sur l’offre de soins, et principalement d’ailleurs sur celle des soins médicaux au détriment des soins para-médicaux et des services médico-sociaux, à une démarche fondée sur le besoin de prestations sanitaires. Il faut donc permettre l’accès et l’analyse des différentes données statistiques, valider et contrôler ces informations dans le cadre de banques de données régionales et renforcer les observatoires régionaux de la santé. Le recentrage sanitaire ainsi proposé doit déboucher sur l’élaboration de critères permettant de calculer les allocations régionales de ressources en partant des besoins et en se démarquant de l’organisation actuelle du système de santé.

Pour opérer ce changement, la Conférence nationale demande le développement des actions de santé en créant une enveloppe spécifique complémentaire des autres enveloppes existantes de soins. La conférence donne à cette demande d’enveloppe supplémentaire trois justifications :

- permettre le développement du préventif au-delà du curatif ;

- inciter les différents acteurs de santé à travailler ensemble et de manière coordonnée sur des programmes régionaux de santé incluant par définition une dimension préventive ;

- permettre à terme la fongibilité des enveloppes existantes, les dépenses financées dans le cadre de l’enveloppe supplémentaire qui correspondent à des activités devenues pérennes pouvant être progressivement basculées sur ces enveloppes.

La deuxième orientation vise à promouvoir le niveau régional dans les politiques de santé, non seulement en développant les capacités d’observation et de décision à l’échelon des régions, mais aussi en renforçant le rôle des conférences régionales chargées d’établir des programmes régionaux, en y associant les collectivités territoriales.

La troisième orientation porte sur l’adaptation du fonctionnement des établissements et des professions de santé grâce à la promotion des mécanismes de financement qui permettent de garantir le respect de critères de qualité et le développement, en concertation avec les intéressés, des procédures d’incitation et de limitation à l’installation des médecins dans certaines zones géographiques ou situations données. Dans le même esprit, il faut favoriser la représentation et l’expression des usagers dans toutes les instances où se négocient les orientations de santé.

La quatrième orientation consiste à prendre en compte la situation des plus démunis, étant rappelé que la pauvreté demeure le principal problème à traiter pour protéger la santé. Dans ce but, il serait souhaitable de présenter rapidement un projet de loi complet et précis sur l’allocation autonomie, de favoriser l’installation d’établissements et de professionnels de santé dans les zones défavorisées afin de corriger les inégalités de répartition géographique, et d’assurer l’accès aux soins pour les personnes ayant des revenus modestes, en mettant en place la couverture maladie universelle et en garantissant aux intéressés la gratuité totale des soins. Il convient de noter que si la Conférence nationale de santé a retenu dix-huit des quarante propositions élaborées par le groupe de travail sur la réduction des inégalités, les autres propositions ne sont pas abandonnées et pourront être reprises par la conférence de 1999.

M. François de Paillerets, évoquant le thème du diabète abordé par la Conférence nationale de santé de 1998, a souligné que cette maladie touchait 1,5 million de Français et que ce nombre était susceptible de croître dans des proportions importantes si rien n’était fait pour l’empêcher. Par ailleurs, cette maladie a des conséquences à la fois très graves, puisque souvent mortelles, et très coûteuses. Il s’agit donc d’une question exemplaire au regard du difficile problème que constitue la prise en charge des maladies chroniques. Trois des dix recommandations émises sur ce thème par la Conférence nationale de santé seront détaillées.

Il faut d'abord mettre en place un dépistage systématique de cette maladie qui permette d’éviter ou de retarder l’apparition des complications qu’elle entraîne. Il convient de souligner que ce dépistage est simple et peu coûteux, puisqu’il consiste en une prise de sang pour doser la glycémie. Il doit être ciblé sur les personnes à risques, c’est-à-dire sur celles qui sont âgées de plus de quarante-cinq ans et sont apparentées à une personne atteinte de diabète.

La situation actuelle étant caractérisée par le fait que trop de personnes atteintes d’un diabète simple sont traitées à l’hôpital, alors qu’à l’inverse, trop de diabètes lourds sont uniquement pris en charge dans le cadre de la médecine ambulatoire, il faut en second lieu coordonner de manière plus rationnelle les interventions des différents acteurs en mettant en place un « chaînage » comportant un maillon de proximité, un maillon spécialisé et un maillon de référence ultra spécialisé.

Le troisième aspect sur lequel il convient de mettre l’accent relève de l’éducation sanitaire. En effet, le traitement du diabète ne peut se faire seulement sur ordonnance et implique en quelque sorte de « négocier » avec le patient, afin que celui-ci puisse s’approprier une partie de son traitement et de son suivi. De bons résultats ont déjà été obtenus sur ce point en France pour les enfants diabétiques et à l’étranger pour les personnes d’âge mûr. Il est souhaitable de professionnaliser les actes éducatifs qui s’avèrent nécessaires pour atteindre cet objectif en formant à cette démarche éducative les professionnels de santé concernés et en rémunérant lesdits actes. De manière générale, il faut aussi agir plus en amont pour déjouer le piège que constituent les habitudes alimentaires et la sédentarité propres à nos sociétés développées.

Le troisième grand thème retenu par la Conférence nationale de santé est celui du risque iatrogénique, qui, abordé sous l’angle plus général des infections nosocomiales, avait déjà fait l’objet de recommandations l’année dernière. Certaines de ces recommandations ont été reprises dans le rapport du Gouvernement annexé au projet de loi de financement et leur mise en œuvre a commencé, ce dont il faut évidemment se féliciter.

L’attention de la conférence s’est cette année focalisée sur les accidents iatrogènes liés aux médicaments. Le constat en la matière est inquiétant, puisque pas moins de 5 % des hospitalisations ont un lien avec un accident médicamenteux, — que cet accident soit la cause de l’hospitalisation ou qu’il survienne pendant une hospitalisation — et que le nombre de décès imputables à ce type d’accident est de l’ordre de mille par an, dont le tiers est considéré comme évitable. Parmi les onze propositions formulées par la Conférence nationale de santé, on retiendra particulièrement l’amélioration du dispositif de pharmaco-vigilance et le développement de l’information des acteurs de santé et des citoyens. Sur ce dernier point, il convient de souligner, d’une part, que le risque zéro n’existe pas et ne saurait exister dans le domaine de la prescription médicamenteuse et, d’autre part, que prescrire mieux consiste souvent à prescrire moins. En tout état de cause, il est important de débattre d’un sujet qui est trop souvent resté soumis à la loi du silence.

Il faut espérer que la conférence de 1998 ait des conséquences positives, comme cela a été le cas pour la conférence de 1997. Parmi les recommandations de cette dernière conférence qui ont été mises en œuvre, on citera le développement de l’éducation à la santé en milieu scolaire, la restructuration des soins en matière de cancérologie et le déroulement de la Coupe du monde de football sans publicité pour l’alcool, mesures qui participent au nécessaire développement d’une culture de santé publique.

L’avancement au printemps de la prochaine conférence constitue par ailleurs un point positif et devrait permettre à cette instance d’intervenir plus en amont dans le processus d’élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Enfin, des améliorations peuvent certainement encore être apportées au travail de la Conférence nationale de santé, notamment en ce qui concerne son articulation avec les conférences régionales.

Après avoir souligné le grand intérêt des travaux de la Conférence en 1998, le président Jean Le Garrec s’est réjoui de la modification du calendrier de ses travaux qui permettra à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales d’avancer l’audition annuelle du bureau de la conférence. Il a ensuite estimé que les inégalités interrégionales devant la mort étaient en effet liées non seulement à l’offre de soins, mais aussi au mode de vie ou aux habitudes alimentaires. On ne peut qu’approuver la formule « soigner mieux c’est souvent moins prescrire » ainsi que les recommandations de la conférence sur la diffusion de l’information et le développement d’une analyse des politiques de santé au niveau régional.

M. Claude Evin, rapporteur pour l’assurance maladie et les accidents du travail, a posé deux séries de questions portant, la première, sur la méthodologie, la deuxième, sur le fond. Concernant la méthodologie, il convient de s’interroger sur le partage des compétences et l’articulation des travaux entre le Haut comité de la santé publique d’une part, et la Conférence d’autre part. Comment les travaux des conférences régionales sont-ils pris en compte et quelles sont les améliorations possibles, notamment en ce qui concerne l’élaboration des nouveaux Schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) ? Enfin, s’il est logique que la Conférence nationale soit composée en partie de professionnels de grand renom, on peut cependant s’interroger sur sa composition actuelle.

Concernant les questions de fond, en premier lieu, la lutte contre les inégalités pose le problème de l’articulation entre les constats établis par la Conférence et les critères d’attribution des enveloppes déterminées à partir de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie. Un effort a été accompli en ce sens en 1998. Est-il ou non suffisant ?

Le cloisonnement actuel des enveloppes pose le problème du financement des activités d’expérimentation et de prévention. A supposer que la création d’une cinquième enveloppe relève de la compétence du législateur, il incomberait à celui-ci de définir les modalités de gestion de cette enveloppe et les formes de financement auxquelles elle donnerait lieu.

Enfin, le dépistage systématique du diabète, maladie à laquelle il convient effectivement d’être très attentif, pose la question du financement de cette activité, comme, plus généralement, celle de la rémunération de « l’activité pédagogique » qui doit être menée en matière médicale.

En réponse, M. François de Paillerets a indiqué que l’articulation entre le Haut comité de santé publique et la conférence nationale ne posait pas de problème. En effet, le Haut comité intervient en amont et effectue un travail d’expertise préalable à celui de la conférence, laquelle s’appuie sur ce travail pour le confronter à la problématique de la santé sur le terrain et définir des priorités. En privilégiant l’analyse de la santé publique à long terme, la conférence ne peut répondre à toutes les questions qui se posent légitimement à un moment donné. S’agissant de la composition de la Conférence, celle-ci inclut, certes, des professionnels, mais également des non-professionnels intéressés par la politique de la santé. L’apport des collèges régionaux est tout à fait fondamental. Il faut de surcroît souligner que si la conférence annuelle dure trois jours et se tient à huis clos, en amont, un travail est réalisé également tout au long de l’année et mobilise tous les acteurs de la conférence.

M. Jean-François Collin a confirmé qu’il existait une grande différence entre les régions en ce qui concerne le développement et l’activité des conférences régionales, même si la situation évolue rapidement. Ainsi, une soixantaine de programmes régionaux de santé sont désormais en cours d’élaboration, à partir des recommandations des conférences. Celles-ci ne se réunissant qu’une seule fois par an, l’instauration d’un véritable dialogue entre les différentes parties prenantes, et notamment entre les professionnels de santé et les usagers, prendra cependant un certain temps. De plus, l’élaboration des SROS continue à être réalisée sans que les représentants des usagers puissent intervenir. Cependant, la réunion des états généraux de la santé permettra aux usagers de s’exprimer.

Les directions régionales de l’action sanitaire et sociale (DRASS) assurent aujourd’hui la coordination et le secrétariat des différentes actions (conférences régionales, SROS, états généraux). Dans certaines régions, les DRASS qui, en plus, ont fourni du personnel aux Agences régionales d’hospitalisation (ARH), n’ont pas toujours les moyens d’assurer ces nouvelles tâches, ce qui est susceptible de créer des goulots d’étranglement.

Par ailleurs, l’ensemble des actions de prévention connaissent des problèmes de financement puisque les crédits prévus pour 1998 au titre des fonds de prévention ne sont toujours pas parvenus dans les régions, alors qu’ils doivent être consommés avant la fin de l’année.

M. Matthieu Méreau, après avoir rappelé que les inégalités et disparités entre les services déconcentrés de l’Etat n’étaient pas un phénomène propre à la santé, a souligné que ce secteur était, au niveau régional, caractérisé par une grande multiplicité des décideurs. On peut citer les unions régionales des médecins libéraux, les unions régionales des caisses d’assurance maladie, les agences régionales d’hospitalisation et les directeurs d’hôpitaux).

Il est tout à fait certain que les inégalités constatées aujourd’hui entre les régions en matière de santé publique sont inacceptables politiquement. Il reste à définir les modalités techniques de réduction de ces inégalités et donc à réaliser des arbitrages entre différentes possibilités de répartition des enveloppes nationales. Plusieurs questions doivent à ce sujet être tranchées :

- quelle référence faut-il adopter en tant que norme : une dotation cible ou bien une moyenne nationale ?

- quels critères faut-il retenir pour le calcul de l’allocation des ressources : les besoins démographiques, la morbidité, la mortalité, des facteurs d’ordre économique, culturel ou environnemental ?

- quel doit être l’objet de cette répartition : l’enveloppe des praticiens libéraux ou bien seulement la dotation du secteur hospitalier ?

On demeure ici encore largement dans le domaine de la recherche et l’intégration de ces différents facteurs dans des équations de calcul et de péréquation est particulièrement complexe. Du temps est donc encore nécessaire pour affiner la réflexion. On peut cependant d’ores et déjà dire que les critères retenus devront être tout à la fois conformes aux réalités des besoins de santé, simples et facilement accessibles pour qu’une multiplicité de décideurs puissent s’entendre.

M. Denis Jacquat s’est tout d’abord déclaré quelque peu surpris par la formule « moins prescrire c’est mieux prescrire », étant donné que l’immense majorité des médecins établissent leurs prescriptions en leur âme et conscience.

Il a ensuite posé une question sur les problèmes de répartition géographique des praticiens, auxquels il est actuellement très difficile de remédier en raison du principe de liberté d’installation. Il y a quelques années, il a été décidé d’imposer aux infirmières un passage de trois ans en milieu hospitalier avant qu’elles puissent s’installer en libéral. Une mesure de ce type, qui permettrait d’orienter les nouveaux diplômés vers des établissements hospitaliers en manque de médecins puis vers les zones rurales entourant ces établissements, a-t-elle été envisagée par la Conférence nationale ?

M. André Aschieri a regretté que le rapport de la Conférence nationale ne consacre que très peu de développements à la prévention, alors que celle-ci représente un enjeu prioritaire pour notre système de santé. Vingt heures par an consacrées à l’action auprès des publics scolaires constitue une bonne mesure mais plus doit être fait si l’on souhaite rattraper le retard de notre pays par rapport aux autres pays développés. Dans ce même esprit, il est dommage que le rapport n’évoque pas les dispositions adoptées dans le cadre de la loi sur la veille sanitaire et le projet d’agence de sécurité sanitaire de l’environnement.

M. Pierre Hellier, après avoir rappelé que le rapport de la Conférence nationale avait retenu trois thèmes de réflexion majeurs, a souhaité savoir quel aurait pu être le quatrième thème.

M. François de Paillerets, président de la Conférence nationale de santé, a apporté les éléments de réponse suivants :

- La phrase utilisée en ce qui concerne les accidents iatrogènes est très exactement : « mieux prescrire c’est souvent moins prescrire ». Le mot « souvent » a son importance et renvoie à la fin du chapitre relatif à ces questions. Celui-ci souligne que si parfois le médicament peut être néfaste, dans la très grande majorité des cas, il permet de soulager, de soigner et de guérir. Le propos n’était donc en rien agressif mais avait simplement pour but de refléter les débats qui ont eu lieu sur ce sujet durant la conférence.

- En ce qui concerne la prévention, la Conférence nationale de santé a le sentiment de participer très activement à l’effort de promotion d’une politique nationale de prévention. L’enveloppe spécifique régionale de santé, le dépistage du diabète et les actes éducatifs qui l’accompagnent recouvrent très précisément des actions de prévention. Il convient cependant, en la matière, d’avancer tout à la fois de façon déterminée et avec précaution, car il ne faudrait pas heurter de front un système d’assurance maladie essentiellement dirigé vers le curatif. L’évolution doit donc être progressive. Il n’est cependant pas normal que, aujourd’hui, alors que les dépenses de santé s’élèvent à 12 000 francs par an et par personne, sur cette somme, seulement 1 franc soit consacré à l’éducation à la santé et 10 francs à la prévention.

- Le débat sur la démographie médicale est particulièrement difficile. Durant les travaux de la conférence, certains participants souhaitaient le maintien du statu quo alors que d’autres plaidaient pour l’instauration de numerus clausus géographique et disciplinaire. Le rapport a adopté une position médiane en proposant de fixer des plafonds dans certaines régions pour quelques disciplines, en concertation avec les professionnels.

M. Jacques Vleminckx a souligné que la Conférence nationale de santé et le Haut comité de santé publique ne s’opposaient pas, mais étaient au contraire complémentaires. Au sein de la conférence, le poids des corporatismes s’atténue et des consensus impossibles à réaliser il y a trois ans se créent.

En ce qui concerne l’enveloppe nouvelle consacrée à la prévention, sa gestion devrait être pluripartite entre l’ARH, le comité permanent de la Conférence régionale de santé et d’autres partenaires. Il semble souhaitable, enfin, qu’elle soit intégrée dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) afin d’être soumise au contrôle du Parlement et ce, en dépit de sa spécificité.

M. François de Paillerets a déclaré retenir, pour sa part, comme quatrième thème prioritaire, les problèmes liés au vieillissement de la population qui doivent dès maintenant être pris à bras le corps.

M. Matthieu Méreau a préféré mettre en avant la promotion de la santé des enfants et des adolescents, thème mis en avant par la conférence en 1997.

Mme Catherine Génisson a observé que si le slogan « prescrire moins pour mieux soigner » était séduisant, la iatrogénie était moins le produit de la surprescription médicale, que des incompatibilités médicamenteuses et de gestes médicaux inappropriés.

M. François des Paillerets a fait remarquer qu’effectivement, un tiers des accidents iatrogéniques étaient évitables, dont ceux liés aux gestes médicaux, mais que les deux autres tiers, liés aux risques médicamenteux, ne l’étaient pas, ce que traduit la formule : « le risque zéro n’existe pas ».

*

* *

La commission a ensuite entendu M. Yves Matillon, directeur général de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES), accompagné de Mme Claudine Renou-Fages, secrétaire générale et du docteur Hervé Maisonneuve, directeur de l’évaluation.

Le président Jean Le Garrec, rappelant que la commission avait entendu M. Matillon il y a un an, lui a demandé de faire le point sur l’avancement des travaux de l’ANAES depuis cette date.

M. Yves Matillon a indiqué que, depuis sa précédente audition par la commission, le conseil scientifique de l’Agence, divisé en deux sections, avait été mis en place en octobre 1997, et que, depuis lors, ce conseil scientifique et le conseil d’administration avaient effectué un travail très important. L’activité de l’Agence a notamment été marquée par la parution d’un manuel d’accréditation — le plus léger de tous les manuels parus dans le monde — édité au début du mois de septembre 1998, et qui est à l’heure actuelle envoyé aux 3 700 établissements concernés. L’effectif théorique de 130 personnes employées par l’Agence est en voie d’être atteint, puisque celle-ci emploie aujourd’hui 95 personnes.

S’agissant de l’évaluation, l’Agence a fait porter ses travaux sur les référentiels professionnels et les recommandations de bonne pratique. La production de 1997 a été diffusée tandis que des référentiels professionnels nouveaux étaient mis en chantier. L’évaluation concerne également les pratiques professionnelles, tant la pratique libérale que le secteur hospitalier. L’Agence développe, en outre, une réflexion relative aux nouvelles technologies, qui s’avérera particulièrement efficace si elle contribue à une réforme des nomenclatures. Enfin, une approche médico-économique se développe. Il faut préciser que l’évaluation porte exclusivement sur les pratiques professionnelles et ne s’intéresse pas actuellement aux compétences individuelles. Ce chantier sera considérable, mais devra être engagé à terme.

S’agissant de l’accréditation, la procédure qui s’est mise en place depuis 1990 évolue lentement. Elle nécessite en effet une démarche partagée avec l’ensemble des professionnels et des établissements. Une brochure sur l’accréditation a été tirée à 150 000 exemplaires.

La rédaction du manuel d’accréditation a constitué la première étape du processus. La deuxième consiste dans le recrutement d’experts visiteurs. Après une présélection sur 2 560 candidats, 300 ont été soumis à sélection et 70 recrutés. Ces derniers suivent aujourd’hui une formation. A partir du mois prochain, ils vont commencer leurs visites dans quarante établissements publics et privés, dont trois hôpitaux locaux, un hôpital militaire, un centre de recherche. Plus de deux cents établissements s’étaient déclarés initialement intéressés et, suite à l’édition du manuel, 120 ont confirmé vouloir entrer dans la démarche. Le bilan de l’étude des 40 établissements pionniers sera établi à la fin de cette année. En 1999, cette démarche pourrait toucher 2 à 300 établissements, avant d’être généralisée.

Le président Jean Le Garrec s’est interrogé sur le statut et le mode de recrutement des visiteurs et sur la manière dont l’Agence jugeait le « palmarès » des hôpitaux, publié par la revue « Sciences et avenir » et faisant état d’un risque de mortalité allant, selon les établissements, de 1 à 20.

M. Claude Evin, rapporteur pour l’assurance maladie et les accidents du travail, a posé des questions sur la manière dont l’évaluation était ressentie par les professionnels concernés, notamment les unions professionnelles, sur l’évaluation des pratiques professionnelles confrontées aux techniques nouvelles, par exemple les prothèses. En effet, cette problématique n’est pas résolue à l’heure actuelle, et le développement de recommandations de bonnes pratiques pourrait faire évoluer les comportements en la matière. En ce qui concerne l’évaluation des compétences des médecins, on note une absence de consensus mais il s’agit d’une mission qu’à terme, l’ANAES devrait assumer. S’agissant de l’accréditation, si l’on peut manifester une certaine impatience, il serait utile de pouvoir établir des éléments de comparaison avec les démarches menées à l’étranger.

En réponse, Mme Claudine Renou-Fages a indiqué que les experts visiteurs avaient le statut de collaborateurs temporaires de l’Agence. Celle-ci s’est adressée, par voie d’appel d’offres, à des professionnels ayant une expérience en établissement. La sélection aboutit ensuite au recrutement et à la signature de contrats de collaboration qui leur permet à la fois de bénéficier d’une formation et de se rendre dans les établissements au rythme de quatre visites par an, tout en continuant leur activité professionnelle, réserve faite de six semaines d’absence. L’objectif est d’aboutir au recrutement de 800 experts, mobilisables sur l’année. Le financement de leur activité se fera par le biais de la redevance d’accréditation. Un décret est d’ailleurs en cours d’examen par le conseil d’Etat.

M. Yves Matillon a souligné que la compétence de l’Agence s’étendait à la fois au secteur public et au secteur privé, et que les experts visiteurs venaient de l’un et l’autre secteurs.

En ce qui concerne la publication de l’article de la revue « Sciences et Avenir », deux remarques peuvent être formulées :

- d’une part, il convient d’assurer la transparence qui s’impose en matière d’évaluation des établissements de soins et des pratiques médicales ; l’ANAES a d’ailleurs prévu la participation des usagers dans les procédures d’élaboration du manuel d’accréditation ;

- d’autre part, il faut mettre en perspective les statistiques collectées concernant les pratiques médicales de manière à éviter les biais statistiques tenant par exemple aux populations (âges, publics....) traitées.

M. Hervé Maisonneuve a indiqué que le succès de la démarche d’évaluation, devant déboucher finalement sur un changement des pratiques médicales, supposait une mise en œuvre progressive et un minimum de temps. Il est clair que les incitations les plus efficaces visant à modifier ces pratiques sont d’ordre financier, mais celles-ci ne relèvent pas de l’ANAES. Dans l’échelle de l’efficacité viennent ensuite, dans l’ordre, l’action des leaders d’opinion notamment les sociétés savantes, les outils d’aide à la décision face au malade, l’audit clinique des pratiques professionnelles individuelles ou des équipes médicales - moyen efficace mais difficile à mettre en œuvre -, les visites médicales et la formation médicale continue (FMC), cette dernière ayant toutefois relativement peu d’impact. Actuellement, la politique d’incitation à la modification des pratiques médicales définies par l’ANAES est mise en œuvre par cinquante médecins libéraux et cinquante médecins hospitaliers dont chacun a pour mission de susciter l’engagement dans cette démarche de cent à trois cents professionnels de santé.

M. Yves Matillon a souligné la difficulté de modifier les pratiques professionnelles et a insisté sur l’importance d’une action partenariale de l’ANAES avec les unions régionales des médecins libéraux (URML) pour diffuser les nombreux référentiels produits par l’ANAES et susciter progressivement des changements de comportement.

M. Claude Evin s’est interrogé sur l’efficacité de la publication au mois de mars 1997 de 243 références médicales opposables (RMO) sur 60 thèmes, ce nombre pouvant apparaître trop élevé, et a demandé comment la procédure des RMO était articulée avec la procédure d’accréditation et d’évaluation.

M. Yves Matillon a souligné l’intérêt de la mise en œuvre des RMO qui constituent un moyen d’engager la démarche de modification des pratiques médicales et a estimé souhaitable de limiter le nombre de celles-ci afin d’en assurer la plus grande efficacité possible.

M. Bernard Accoyer a regretté la politique de temporisation coupable du Gouvernement dans la nécessaire mise en oeuvre de la réforme de 1996 dont l’accréditation représentait un axe majeur. En dépit d’un accord de principe sur la politique d’accréditation et sur la nécessité d’améliorer la qualité des soins, depuis un an et demi, il est à craindre que les retards qui se sont accumulés auront des conséquences néfastes sur l’état de santé de la population. De plus, le risque apparaît que l’accréditation des établissements et des services se transforme en une accréditation des seuls établissements alors que c’est l’accréditation des centres de décision, c’est-à-dire des services, qui doit être privilégiée. En outre, il serait souhaitable que l’évaluation des médecins libéraux soit mise en œuvre rapidement sous réserve de réunir les moyens nécessaires pour une politique de formation professionnelle continue (FMC) des médecins efficace. Enfin, il serait opportun que l’ANAES se mobilise sur plusieurs thèmes prioritaires : le financement des pathologies nouvelles, les nouveaux médicaments et les problèmes liés à l’allongement de la vie.

M. Denis Jacquat s’est interrogé sur les sanctions pouvant être prises à la suite d’une appréciation négative dans le cadre d’une procédure d’accréditation, en liaison avec les agences régionales d’hospitalisation (ARH) et les DRASS. Il s’est enquis des moyens permettant d’assurer la publicité des comptes rendus auprès des usagers.

M. Pierre Hellier a estimé que, si un certain temps était nécessaire pour mettre en place les outils de l’accréditation et de l’évaluation, il convenait dorénavant de passer à la pahse de l’application et a demandé dans quel délai tous les établissements hospitaliers auraient fait l’objet de la procédure d’accréditation.

Mme Catherine Génisson, après avoir souligné l’importance du rôle que peuvent jouer les usagers pour faire évoluer les pratiques médicales et sortir d’une évaluation purement professionnelle, a demandé des précisions concernant le profil professionnel des visiteurs experts pour l’accréditation et les conditions de leur intervention dans les établissements.

M. Claude Evin a tenu à souligner que le retard pris par l’ANAES était dû non au gouvernement actuel mais au précédent qui n’a publié les décrets nécessaires qu’au printemps 1997, alors que la création de l’ANAES était prévue par l’ordonnance du 24 avril 1996. De surcroît, le choix pour l’ANAES du statut d’établissement public administratif — choix fait par le gouvernement Juppé et non remis en cause par son successeur — explique certainement la lourdeur du système. Toutes les expériences étrangères montrent qu’il ne s’agit pas là de la bonne formule.

En réponse, M. Yves Matillon a donné les précisions suivantes :

- Le manuel d’accréditation a demandé trois ans de travail. L’ANAES a développé de manière considérable ses relations avec les structures d’accréditation étrangères pour pouvoir pleinement bénéficier de leurs expériences.

- La démarche première de l’ANAES a consisté à ne pas opposer accréditation des services et accréditation des établissements, en choisissant la voie médiane de l’évaluation de l’activité. Cette démarche pourra être poursuivie pour parvenir, à terme, à une évaluation des pratiques professionnelles.

- Le rapport d’accréditation a comme premier objectif d’aider l’établissement dans le cadre de la contractualisation avec l’Agence régionale de l’hospitalisation. Il est également destiné à être accessible au public.

- Les visites d’accréditation sont réalisées par trois ou quatre experts-visiteurs par établissement. Il s’agit le plus souvent d’un directeur d’établissement, d’un médecin et d’un autre professionnel médical.

- L’ANAES ne se livre pas à l’évaluation des médicaments qui relève des compétences de l’Agence du médicament. En revanche, elle procède à l’évaluation du coût des pathologies et à celle, très importante, des nouvelles technologies. Pour ce dernier domaine, le principal problème consiste dans l’absence de lien entre l’évaluation et les décisions en matière de nomenclature et de prise en charge des soins.

- En 1999, trois cents établissements feront l’objet d’accréditation. A partir de l’an 2000, l’objectif de l’ANAES est d’atteindre 750 à 800 établissements par an. En Grande-Bretagne, quarante établissements sont évalués, mais l’agence ne compte que quarante agents. Au Canada, le rythme est très rapide, comme aux Etats-Unis qui bénéficient de près d’un siècle d’expérience dans ce domaine. En France, le problème n’est pas l’augmentation des moyens mais plutôt l’évolution des mentalités car la procédure d’accréditation est inédite.


© Assemblée nationale