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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 1er décembre 1998

(Séance de 18 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président,

SOMMAIRE

 

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– Audition, en présence de la presse, de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi portant modification du titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relatif au secteur public de la communication audiovisuelle et transposant diverses dispositions de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997 (n° 1187) (M. Didier Mathus, rapporteur)

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La commission a entendu Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur le projet de loi portant modification du titre III de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relatif au secteur public de la communication audiovisuelle et transposant diverses dispositions de la directive 89/552/CEE du 3 octobre 1989 modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997 - n° 1187.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, a tout d’abord fait part de sa conviction que le projet de loi, tel qu’il est présenté et qu’il pourra être enrichi par le Parlement, est la dernière chance de l’audiovisuel public. Ce texte permet enfin de sortir d’une ère où la télévision était considérée comme un instrument au service du pouvoir politique et où la succession de commissions et de rapports inapplicables tentait de cacher l’absence d’un projet véritable pour le service public.

Ce projet de loi prend acte que la télévision, aujourd’hui et plus encore demain, est bien davantage qu’un outil d’information : elle est devenue un mode de culture. Il est donc temps que la politique audiovisuelle, comme la politique du livre, des arts plastiques ou du cinéma, s’intéresse non seulement aux contenus mais aussi aux usages. Les Français consacrent chaque jour trois heures de leur temps à la télévision. La télévision est devenue l’instrument populaire et quotidien d’information, de divertissement, d’éducation et de culture. Elle est, comme le disait récemment M. Michel Françaix, « la deuxième école de la République » et constitue donc, à l’évidence, un véritable enjeu de citoyenneté et de démocratie.

L’Etat garant de l’intérêt général peut-il et doit-il continuer à se désengager financièrement d’un tel secteur, alors même que la mondialisation et les mutations technologiques en transforment l’économie, les règles du jeu et les conséquences sur notre identité nationale et notre culture ? Peut-il laisser le champ libre à la seule initiative privée ou, ce qui revient au même, laisser les seules lois du marché régir l’ensemble du système ?

Pour le Gouvernement, la réponse est claire : l’initiative privée ne peut suffire à assurer à l’ensemble des Français un accès égal à des programmes diversifiés et de qualité ainsi qu’aux nouveaux services de l’ère numérique. Dès lors, l’affirmation d’un service public fort est non seulement légitime mais essentielle, car le rôle de l’Etat ne peut se limiter à une mission de régulation en laissant le secteur public périr progressivement. L’Etat doit également agir pour que ce formidable instrument d’éducation, d’information et de culture qu’est la télévision publique joue vraiment son rôle à l’intention des téléspectateurs et assure ces missions essentielles en direction de tous les publics. Il en va de notre pacte républicain, il en va du pluralisme démocratique et culturel, il en va enfin de la capacité de notre pays à maintenir sa place dans le concert de la création.

Cette position fondamentale n’est pas seulement celle du Gouvernement français ; elle est partagée par tous nos partenaires de l’Union européenne puisque le Conseil des ministres européens de la culture a réaffirmé, le 17 novembre dernier à Bruxelles, la légitimité des Etats à déterminer le rôle, les missions et le mode de financement du service public de télévision qu’ils souhaitent promouvoir. Ce conseil a également confirmé la vocation du service public à proposer toute la gamme des programmes et services rendus possibles par le numérique. La France s’est particulièrement impliquée et engagée dans ce débat et est particulièrement satisfaite de l’écoute et de la large adhésion des autres Etats-membres sur cette question.

Ce choix politique majeur doit s’appuyer sur une démarche qui garantisse la spécificité de la télévision publique face aux télévisions commerciales. Spécificité dans les missions, mais également égalité dans la compétition pour les programmes et le développement de nouveaux services. L’objectif est bien en effet d’assurer un équilibre entre le service public et le secteur privé. En effet, si un écart irrattrapable se creuse entre les moyens du service public et ceux des télévisions privées, si les chaînes publiques ne disposent pas des moyens nécessaires pour investir dans les nouveaux services et dans des programmes de qualité, celles-ci sont, à terme, condamnées. C’est de ces principes que découle l’économie du projet de loi.

La ministre a ensuite rappelé que renforcer le service public consistait, avant tout, à l’extraire de la logique commerciale dans laquelle il avait été enfermé. La limitation de la publicité à cinq minutes par heure, mesure réclamée de longue date par tous ceux qui défendent le service public, s’inscrit dans cette logique. C’est une mesure massivement approuvée par les Français qui conduira à une amélioration substantielle des programmes et du confort d’écoute du service public. Mais c’est également une mesure qui peut avoir des effets dévastateurs si elle n’est pas accompagnée de garanties suffisantes. Il était donc absolument nécessaire de prévoir une compensation pour l’an 2000 et les années suivantes.

A la demande du ministère de la culture, le Premier ministre a accepté de reprendre les propositions de financement qui avaient été faites au moment de la préparation du texte afin de remplacer les ressources publicitaires, qui sont elles-mêmes des ressources volatiles, fragilisées par la multiplicité des offres concurrentes et sujettes à la conjoncture économique, par un financement assuré et de préférence en expansion. Le Gouvernement a donc décidé de compléter le texte par un amendement prévoyant que les exonérations de paiement de la redevance seront intégralement compensées par des crédits budgétaires affectés au compte d’affectation spéciale de la redevance. Cette affectation, qui transformera des crédits budgétaires en redevance, protégera ainsi la télévision publique des régulations budgétaires intervenant de façon trop fréquente en cours d’année. Cette mesure sera par ailleurs favorable à la production, puisque ces ressources seront prises en compte dans l’assiette de calcul des obligations de production et de la taxe finançant le compte de soutien à l’industrie de programmes, ce qui n’est pas le cas des dotations budgétaires.

Ainsi, la baisse des recettes publicitaires sera pleinement compensée, de manière pérenne et garantie, par une mesure réclamée depuis longtemps. En effet, les entreprises publiques de l’audiovisuel n’ont pas à payer le prix d’une politique sociale aussi justifiée soit-elle. En compensant les exonérations, l’actionnaire qu’est l’Etat ne fera en quelque sorte que rendre son dû à l’audiovisuel public. La somme des remboursements correspond environ à 2,6 milliards de francs : c’est un montant considérable mais qui néanmoins n’est pas suffisant si l’on souhaite garantir au service public les moyens de son développement.

C’est pour cette raison que le choix n’a pas été fait de financer la baisse des recettes publicitaires par une augmentation de la redevance. Il n’y aurait plus eu, en effet, de marge de manœuvre pour accroître les ressources du service public et financer une amélioration de ses programmes et de ses investissements dans les nouveaux services et les nouveaux modes de diffusion. Des ressources supplémentaires peuvent en effet être trouvées grâce à une extension de l’assiette de la redevance, à une meilleure efficacité de son recouvrement, à une éventuelle modification de son mode de perception, mais aussi par une augmentation du taux qui ne peut être exclue dès lors qu’elle sera justifiée aux yeux des téléspectateurs par une amélioration du service rendu.

Il ne s’agit pas là de petites sommes, puisque en 1998 le simple accroissement spontané des bases de la redevance a été de 435 millions de francs. Des mesures simples, comme le croisement des fichiers de la redevance avec ceux des opérateurs de chaînes ou de bouquets payants, l’assujettissement automatique des résidences soumises à la taxe d’habitation permettraient très certainement d’améliorer encore cet effet d’assiette. Mme Frédérique Bredin, chargée d’une mission auprès du Premier ministre sur le financement du service public, devra donc proposer la formule permettant d’assurer le meilleur rendement de cette taxe sans qu’elle pèse trop fortement sur les ménages.

Ces mesures de financement viendront donc renforcer les moyens de l’audiovisuel public mais permettront également aux chaînes d’offrir aux téléspectateurs la variété et la qualité des programmes qu’ils souhaitent. Il est par ailleurs nécessaire de créer un mécanisme de soutien complémentaire permettant de favoriser la production de programmes pour la jeunesse et de documentaires. La réforme engagée par le Gouvernement conduira donc à un accroissement très substantiel des ressources des chaînes publiques. Il reviendra aux premiers contrats d’objectifs et de moyens, qui prendront effet dès l’année 2000, de programmer précisément cette évolution des ressources afin qu’elle soit conforme aux besoins des entreprises.

L’accroissement des ressources du service public ne servirait cependant pas à grand chose si l’on devait dans le même temps accroître dans des proportions bien supérieures celles des chaînes privées. C’est à la fois pour éviter de creuser un écart irréparable entre le privé et le public et pour ne pas provoquer d’enrichissement sans cause des chaînes privées qu’une grande partie de « l’effet d’aubaine » doit être recyclée au bénéfice de la production, notamment sous la forme d’un prélèvement additionnel affecté au compte de soutien à l’industrie de programmes cinématographiques et audiovisuels (COSIP).

Une telle mesure était indispensable et il est souhaitable que les débats de l’Assemblée nationale permettent d’élaborer un dispositif juste répondant à cet enjeu. Cette décision constituerait une rupture très nette avec des politiques audiovisuelles précédentes qui ont abouti à un affaiblissement progressif du service public.

Un rapide retour en arrière permet en effet de mettre en perspective la réforme aujourd’hui proposée par le Gouvernement. La loi de 1974 a ainsi provoqué une mise en concurrence stérile des chaînes publiques entre elles sans mettre fin au monopole public ni couper le lien entre l’information radiotélévisée et le pouvoir politique de l’époque. Le choix aberrant fait en 1986 de privatiser le navire amiral de la télévision publique qu’était alors TF1 ne pouvait que déstabiliser gravement et pour longtemps le service public. Entre 1993 et 1997, cette politique destructrice s’est poursuivie chaque fois que l’occasion s’est présentée par des mesures d’étranglement financier. France 2 et France 3 ont ainsi été contraintes, pour compenser l’absence de financement pérenne de La Cinquième et d’ARTE, de doubler en cinq ans le temps qu’elles consacraient à la publicité. Cette dépendance accrue à l’égard de la ressource publicitaire a donc été cyniquement organisée par ceux-là mêmes qui feignaient de déplorer la transformation progressive de France 2 et France 3 en chaînes commerciales d’Etat. La crise d’identité que traversent ces deux chaînes n’a pas d’autre origine. L’aboutissement d’un tel processus était à l’évidence la privatisation à brève échéance de France 2, ce qui n’aurait plus laissé à la télévision publique qu’une place marginale au plan national et international.

A l’opposé de cette stratégie de dépérissement du service public, les gouvernements de gauche ont mis en place des mécanismes propres à assurer l’indépendance des dirigeants de la télévision publique avec la création de la première autorité indépendante de l’audiovisuel, la suppression du monopole de la télévision publique et, en 1989, l’instauration par Mme Catherine Tasca de la présidence commune. C’est encore aujourd’hui un gouvernement de gauche qui se doit d’aller jusqu’au bout de son choix de renforcement de service public tant du point de vue de son financement que de ses structures.

Renforcer le service public c’est effectivement moderniser ses structures et lui permettre de développer un projet éditorial et industriel cohérent qui s’inscrit dans la durée. On ne peut ainsi pas ignorer que depuis la mise en place de la présidence commune deux nouvelles chaînes publiques hertziennes, ARTE et La Cinquième, ont été créées. Le nouveau groupe de télévision publique ne pouvait pas les laisser à l’écart et, si le Parlement le souhaite, RFO les y rejoindra. Réunissant ainsi toutes les chaînes de télévision publique, ce groupe aura la taille critique lui permettant d’affronter la concurrence internationale. Regroupement ne signifie cependant pas uniformité. Le groupe France Télévision aura tout au contraire vocation à garantir la diversité et la complémentarité éditoriales des sociétés de programmes ainsi que la cohérence de leur développement technique et industriel. Ce regroupement se fera dans des conditions qui garantissent l’indépendance des dirigeants, dont le mandat sera porté à cinq ans, et la cohérence de leur développement technique et industriel.

Le Gouvernement en profitera également pour moderniser et rationaliser les relations entre les entreprises audiovisuelles et l’Etat, notamment grâce à la négociation et à la conclusion de contrats d’objectifs et de moyens.

Considérant que le service public audiovisuel a un sens et un avenir, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication a ensuite rappelé qu’elle avait toujours été favorable à ce que soit prise dans ce texte la disposition permettant la diffusion satellitaire des chaînes publiques sur l’ensemble des bouquets. Ce principe se justifie plus par la nature même du service public que par des règles de concurrence. Cette conception prévaudra puisque le Gouvernement soutiendra l’amendement du rapporteur, M. Didier Mathus, mettant fin à l’exclusivité de la diffusion de France 2 et de France 3 sur le bouquet TPS et organisant la reprise de toutes les chaînes hertziennes publiques sur l’ensemble des bouquets, dans des conditions conformes aux intérêts des téléspectateurs et des entreprises publiques.

En ce qui concerne plus largement la régulation et la nécessaire clarification des règles de concurrence dans le secteur privé, des propositions ont été faites sur ces questions, comme en matière de modernisation du régime du câble, du satellite, des nouveaux services ou de la diffusion numérique de terre. En quelques jours, une alliance a été annoncée entre TF1 et le groupe Murdoch, inquiétante en ce qu’elle fait entrer l’opérateur australo-américain tout à la fois en Italie et en France, et un changement très important de l’actionnariat de cette même chaîne ont été annoncés. Même si l’ordre du jour du Parlement est particulièrement chargé dans les mois qui viennent et que de nombreuses réformes ont un caractère d’urgence, plus que jamais, des mesures semblent nécessaires afin de maîtriser les mouvements de capitaux dans l’industrie de l’audiovisuel et les alliances entre grands groupes. Il n’est pas question ici d’empêcher la constitution de groupes nationaux puissants et aptes à affronter la concurrence internationale dans un monde audiovisuel en pleine mutation, mais de veiller à ce que la constitution de tels groupes ne se fasse pas aux dépens de l’intérêt du public et du pluralisme. Un second train de mesures devra donc pouvoir être débattu et adopté le plus rapidement possible.

Quant au présent projet de loi, une fois enrichi par le travail parlementaire, il constituera un instrument permettant de renforcer le secteur public et l’équilibre du paysage audiovisuel en France. Il était également temps qu’un véritable débat ait lieu sur les missions et le contenu de la télévision publique.

Au terme de son exposé, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, a alors annoncé qu’en raison de l’encombrement de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, de l’importance de ce texte et de la nécessité pour l’Assemblée nationale d’avoir un débat approfondi sur les questions qu’il soulève, l’inscription du texte à l’ordre du jour prioritaire, initialement envisagée les 15, 17 et 18 décembre prochains allait, à sa demande, être reportée de quelques semaines. Ce report permettra à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales d’approfondir son dialogue avec le Gouvernement sur les enjeux de ce texte et notamment sur les solutions proposées en matière de financement. Il convient de ne pas perdre de vue que l’enjeu fondamental de ce texte est d’améliorer la situation des téléspectateurs et de répondre à la conception de la télévision du prochain millénaire : il est donc préférable de reporter le débat parlementaire afin qu’il puisse se dérouler dans les meilleurs conditions possibles.

Le président Jean Le Garrec a rappelé que le Gouvernement était maître de l’ordre du jour et que les dates choisies pour l’inscription de ce texte auraient effectivement conduit à un débat morcelé sur plusieurs jours. Les évolutions du paysage audiovisuel et les questions du financement, que seul le Gouvernement peut prendre en compte, sont tout à fait fondamentales et le souhait d’organiser un débat de qualité sur ces questions justifie le report de ce texte et correspond à une attitude de sagesse. Dans ces conditions, il serait déraisonnable d’engager aujourd’hui en commission le débat sur le contenu du texte lui-même et, a fortiori, sur les amendements.

Après que M. Bruno Bourg-Broc s’est déclaré très étonné par le report de l’examen de ce texte, qu’il a qualifié de palinodie, et que M. Christian Kert a souhaité que le projet de loi sur l’audiovisuel public soit couplé à celui relatif aux services privés, M. le président Jean Le Garrec a levé la séance de la commission.


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