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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 décembre 1998

(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

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Examen du projet de loi créant le Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ” - n° 11 - (Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur).

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau, le projet de loi créant le Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ” - n° 11.

Le rapporteur a tout d’abord indiqué que le présent projet de loi était le résultat d’une réflexion engagée depuis plusieurs années par les Compagnons de la Libération, légitimement inquiets pour la pérennité de leur Ordre. Dès avril 1996, la chancellerie de l’Ordre a communiqué un avant-projet de loi au ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre de l’époque, M. Pierre Pasquini, qui a bien voulu accepter, à la demande du Président de la République, de mener à terme la présentation du projet de loi. Un projet de loi a ainsi été établi en novembre 1996 et déposé, au nom de M. Alain Juppé, Premier ministre, par MM. Pierre Pasquini et Jacques Toubon, garde des sceaux et ministre de la justice, à l’Assemblée nationale le 16 avril 1997 (projet de loi n° 3500). Après la dissolution de l’Assemblée nationale, le nouveau Gouvernement de M. Lionel Jospin a souhaité redéposer ce même projet en l’état, ce qui a été fait le 19 juin 1997.

De par son parcours, le présent projet de loi présente donc une caractéristique politique notable : il a été déposé à deux reprises à l’Assemblée nationale dans les mêmes termes par le précédent et l’actuel gouvernement, ce qui témoigne du consensus fort qui existe pour faire aboutir un projet devant permettre d’assurer la pérennité des traditions et des valeurs de l’Ordre de la Libération. Au-delà des clivages politiques du moment, ce texte répond à un souci qui doit rassembler tous les républicains qui souhaitent ne pas oublier les sacrifices que certains hommes et certaines femmes ont consentis, à partir de 1940, pour libérer la France de ses occupants.

L’Appel du 18 juin, qui visait à obtenir le ralliement de toutes les valeurs et de toutes les énergies françaises, annonce la création de l’Ordre de la Libération. Dès juin 1940, il apparut en effet au chef de la France libre qu’il convenait de récompenser d’une manière tout à fait originale le dévouement de ceux qui, bien peu nombreux au départ (environ un millier le 14 juillet 1940), avaient accepté de tout risquer pour participer à une aventure dont chacun ignorait en 1940 l’aboutissement. Le souhait du général de Gaulle devait se réaliser rapidement, puisque le 16 novembre 1940, à Brazzaville, capitale du Congo et de l’Afrique équatoriale française, ralliée à la France libre, il signait l’ordonnance n° 7 créant l’Ordre de la Libération. Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance, “ l’insigne unique de cet Ordre est la Croix de la Libération ”. Selon l’article 3, “ l’admission dans l’Ordre de la Libération est prononcée par le chef des Français Libres. ”

Il est intéressant de noter que, dans les premiers projets élaborés, l’Ordre devait s’appeler l’Ordre de la Délivrance ; ses membres auraient ainsi pris le titre de “ Croisés de la Délivrance ”. Cette appellation de “ croisés ” témoigne bien de l’idée qui se trouvait à l’origine de l’Ordre : celle d’une nouvelle chevalerie regroupant les serviteurs d’une cause et d’un idéal. Rapidement, le terme de “ croisés ” apparut cependant quelque peu emphatique et fut remplacé par le professeur René Cassin et ses collaborateurs par celui de “ Compagnons ”.

L’aspect premier de l’Ordre de la Libération est élitaire. Le 3 décembre 1945, alors qu’on lui suggérait d’allonger la liste des titulaires, le général de Gaulle déclara : “ On me propose des candidats qui, bien que très dignes et vaillants combattants, ne répondent pas aux conditions tout à fait exceptionnelles qui justifient l’accession dans l’Ordre ”. Le deuxième caractère de l’Ordre est de n’être pas, comme la croix de guerre, exclusivement militaire. Il accueille aussi des civils. L’Ordre est également égalitaire : il ne saurait y avoir de hiérarchie entre les titulaires ; il n’admet qu’une personnalité au-dessus des autres : celle du fondateur-initiateur.

Le recrutement est limité dans le temps et les critères d’admission nécessairement stricts. L’article premier de l’ordonnance de novembre 1940 précise que cet “ Ordre est destiné à récompenser les personnes ou les collectivités qui se sont signalées dans l’oeuvre de la libération de la France et de son Empire ”. Aucun critère d’âge, de sexe, de grade, d’origine, ni même de nationalité, n’est exigé. Ne comptent que la valeur et la qualité des services rendus. Lorsque, le 23 janvier 1946, est signé le décret portant qu’à cette date, il ne sera plus procédé à l’attribution de la Croix de la Libération, le nombre des Compagnons s’élevait à 1036. Parmi ceux-ci, 238 reçurent cet insigne à titre posthume.

Il convient de distinguer trois catégories de Compagnons :

- les personnes physiques qui représentent les Compagnons auxquels l’opinion publique se réfère le plus spontanément ;

- certaines unités combattantes, au nombre de dix-huit ;

- enfin, cinq villes ou communes qui ont consenti des sacrifices tels en faveur de la Libération qu’elles devaient en être récompensées de manière spécifique. Les premières villes Compagnons furent Nantes, dès le 11 novembre 1941, puis Grenoble, en mai 1944 ; se sont par la suite ajoutés le village de Vassieux-en-Vercors, Paris et l’île de Sein.

L’ordonnance du 10 août 1945 portant organisation de l’Ordre de la Libération a doté l’Ordre de la personnalité morale et de l’autonomie financière, ce qui se traduit notamment par l’existence d’un budget annexe au ministère de la justice, qui assure la tutelle de l’Ordre. Dans la loi de finances pour 1999, la subvention attribuée à l’Ordre s’est montée à plus de cinq millions de francs.

Le premier personnage de l’Ordre est son chancelier, qui est dépositaire du sceau de l’Ordre et seul qualifié pour le représenter. Depuis 1978, le général d’armée Jean Simon, Compagnon lui-même, occupe cette fonction. Il est choisi par le Conseil en son sein et proposé à la ratification du président de la République. La nomination est alors officialisée par décret. C’est le chancelier qui assure l’administration de l’Ordre (qui comprend 13 personnes), du musée de l’Ordre, ainsi que celle des services des médaillés de la Résistance.

On peut relever la diversité des activités menées par l’Ordre, qui organise les cérémonies commémoratives du 18 juin selon le plan fixé par le général de Gaulle, veille à la préservation du musée de l’Ordre de la Libération et de la déportation, et assure le service de la médaille de la résistance française. Notons que cette distinction a été attribuée à 42 902 personnes, dont 19 000 à titre posthume, à dix-huit communes et au Territoire de la Nouvelle Calédonie, ainsi qu'à dix-sept autres entités (des régiments, des bateaux de guerre, deux communautés religieuses et un lycée).

L’élément déclencheur de l’applicabilité du présent projet de la loi sera la diminution du nombre des compagnons à quatorze. 174 Compagnons de la Libération sont en vie aujourd’hui. Leur âge moyen est de 83 ans. La date d’entrée en vigueur de la loi est donc aléatoire, même si on peut supposer que la loi entrera en vigueur dans la décennie à venir.

Le système proposé repose sur un conseil national regroupant les cinq communes compagnons. L’article premier du projet de loi établit clairement que cet établissement public national à caractère administratif est créé “ en vue de succéder au Conseil de l’Ordre de la Libération ”. Il demeure sous la tutelle du ministère de la justice, à l’instar de l’Ordre de la Libération qui, comme les autres Ordres nationaux, est rattaché à ce ministère et se voit affecté une ligne dans le budget de ce dernier. Le fait que la tutelle reste identique permettra également de pérenniser la valeur symbolique d'une décoration. Il faut insister sur le fait que l’Ordre de la libération lui-même n’est pas dissous par le projet de loi. Seul le Conseil de l’Ordre est formellement appelé à disparaître.

L’article 2 définit les tâches qui reviendront à cette nouvelle instance : elle devra, non seulement, assurer la continuité des traditions de l’Ordre de la Libération et porter témoignage de cet Ordre devant les générations futures, mais également, mettre en oeuvre toutes les initiatives jugées utiles dans les domaines pédagogique, muséographique ou culturel. Entreront, en outre, dans ses attributions trois tâches supplémentaires : la protection du musée déjà cité, l’organisation des cérémonies du 18 juin, et l’aide morale et matérielle à apporter aux veuves et aux enfants des Compagnons de la Libération. D’une manière générale, c’est au Conseil national qu’incombera, à terme, le devoir de mémoire aujourd’hui assumé par la chancellerie de l’Ordre.

Afin d’assurer à ce futur établissement à la fois un caractère technique, symbolique et une caution historique, ce conseil national se composera, aux termes de l’article 3, de trois types de membres :

- d’un délégué national nommé par décret du chef de l’Etat après avis des autres membres du conseil d’administration ;

- des maires en exercice des cinq communes Compagnon ;

- des personnes physiques titulaires de la Croix de la Libération.

A terme, le conseil d’administration ne comportera plus que six membres : les cinq élus et le délégué national.

Selon l’article 5 du projet, le conseil d’administration aura pour objet de fixer les orientations de l’établissement public et d’arrêter ses programmes et pour fonction de voter le budget et d’approuver les comptes de l’établissement.

Le projet de loi prévoit, par ailleurs, l’institution centrale d’un délégué national qui, dans le système envisagé, reprendrait notamment les fonctions actuellement dévolues au chancelier de l’Ordre de la Libération. Aussi celui-ci présidera-t-il de manière continue le Conseil national, tâche qu’il partagera avec l’un des cinq maires de commune Compagnons de la Libération. Ceux-ci en exerceront la co-présidence à tour de rôle pour une période d’un an, comme cela est prévu dans l’article 4 du projet de loi.

Le rôle du délégué national est précisé dans l’article 6 qui indique que celui-ci a un travail de préparation et d’exécution des délibérations du conseil d’administration et une fonction de représentation de l’établissement devant la justice, en cas de besoin. En outre, toutes les décisions, d’ordre mineur ou relevant de la gestion quotidienne, qui ne relèvent pas de la compétence du conseil d’administration, seront de son ressort. Pour l’exercice de ses missions, il bénéficiera de l’aide de plusieurs collaborateurs, et notamment d’un secrétaire général, les autres collaborateurs devant appartenir à des corps de fonctionnaires, soit, de l’Etat, soit, des collectivités locales.

Selon l’article 7, le même délégué présidera la commission de la Médaille de la résistance française, décoration dont le Conseil national assurera le service. Il faut d’ailleurs se féliciter que l’esprit de résistance qui a animé le fondateur de l’Ordre de la Libération soit ainsi respecté par ce projet de loi.

L’article 8 détaille la nature des ressources budgétaires qui devront être attribuées au conseil national : celles-ci peuvent avoir deux origines : elles proviennent, soit, de crédits de l’Etat sous forme de subventions inscrites au budget de l’établissement public, soit, de dons et de legs émanant de personnes ou d’institutions privées. Cette question des financements apparaît centrale. En effet, l’une des raisons ayant motivé la création d’un établissement public a été précisément la volonté de protéger l’Ordre de la Libération contre d’éventuelles restrictions budgétaires. Ainsi rédigé, ce projet de loi doit contribuer à mettre l’Ordre à l’abri de décisions hâtives dictées par la volonté de faire des économies. La contrepartie de la création d’un établissement public est que celui-ci doit être, comme c’est l’usage, soumis au contrôle administratif et financier de l’Etat, ainsi que le rappelle l’article 9.

Enfin, l’article 10 fixe les modalités d’entrée en application de la loi.

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Après l’exposé du rapporteur, M. Jean-Paul Durieux, président, a considéré que ce projet de loi était susceptible de rassembler tous les groupes politiques et que le devoir de mémoire s’appliquait aussi bien à l’égard du fondateur de l’Ordre de la Libération, le général de Gaulle, qu’à l’égard de ceux qui choisirent de le rejoindre dès 1940 et adoptèrent la cause de la France libre. Il a ensuite interrogé le rapporteur sur le statut des unités combattantes Compagnons de la Libération dans le projet de loi.

Le rapporteur a indiqué qu’étant donné que les unités combattantes ne faisaient pas actuellement partie du Conseil de l’Ordre, les auteurs du projet n’avaient pas jugé utile d’intégrer ces unités, dont certaines sont aujourd’hui dissoutes, dans la future organisation du Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ”.

La commission est ensuite passée à l’examen des articles.

Article premier - Création du Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ”

La commission a adopté l’article premier sans modification.

Article 2 - Missions du Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ”

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteur, a présenté un amendement tendant à préciser dans le dernier alinéa de cet article que l’aide morale et matérielle susceptible d’être apportée par le futur Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ” pouvait également venir en aide aux Compagnons eux-mêmes ainsi qu’aux médaillés de la résistance, et non pas uniquement à leurs familles et enfants.

La commission a adopté cet amendement. Puis elle a adopté l’article ainsi modifié.

Article 3 - Composition du conseil d’administration du Conseil national des communes “ Compagnon de la Libération ”

Le rapporteur a présenté un amendement tendant à indiquer de manière explicite que le mandat du délégué national du Conseil national des communes “ Compagnons de la Libération ” est de quatre ans renouvelable plusieurs fois. En effet, dans sa version initiale, le projet prévoit qu’il s’agit d’un mandat renouvelable de quatre ans, sans apporter plus de précisions.

La commission a adopté cet amendement. Puis elle a adopté cet article ainsi modifié.

Elle a ensuite adopté sans modification les articles 4 - Présidence du Conseil national, 5 - Fonctions du conseil d’administration, 6 - Fonctions du délégué national, 7 - Service de la médaille de la Résistance française, 8 - Ressources du Conseil national et 9 - Contrôle du Conseil national.

Article 10 - Entrée en vigueur de la loi

Le rapporteur a présenté un amendement visant à rédiger de manière plus claire cet article afin de préparer au mieux le passage de l’ancien système au nouveau mécanisme. Cet amendement tend à indiquer que la loi entrera en vigueur dès que le nombre de titulaires de la Croix de la Libération sera inférieur à quinze, le décret du président de la République devant intervenir pour modifier le titre de chancelier de l’Ordre de la Libération, qui devient “ délégué national du Conseil national des communes Compagnon de la Libération ”.

La commission a adopté cet amendement. L’article 10 a été ainsi rédigé.

La commission a adopté le projet de loi à l’unanimité.


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