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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 33

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mars 1999
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

puis de M. Jean-Paul Durieux, vice-président

SOMMAIRE

 

pages

– Examen du rapport d’information sur l’application de la loi du 13 juin 1998 relative à la réduction du temps de travail (M. Gaëtan Gorce rapporteur)

2

– Examen, de la proposition de loi de M. Dominique Bussereau visant à protéger les droits des usagers, à améliorer le dialogue social et à assurer la continuité dans les services publics - n° 1404 (M. François Goulard, rapporteur)

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– Informations relatives à la commission

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le rapport d’information de M. Gaëtan Gorce, sur l’application de la loi du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur, a rappelé que le présent rapport s’inscrivait dans la volonté du président de la commission de suivi de l’application des lois. En ce qui concerne la loi du 13 juin 1998 une démarche en deux étapes a été retenue. Le présent rapport dresse un état des lieux après huit mois d’application de la loi. Il sera suivi d’un second rapport qui sera présenté vers le mois de mai et qui aura pour objet, au vu des observations de terrain et des consultations et auditions qui seront organisées, de présenter des propositions dans la perspective de la seconde loi.

En préambule, il est nécessaire de clarifier certains termes du débat sur les 35 heures qui peut être brouillé par la multiplication des commentaires et des prises de position contradictoires. Il faut prendre garde à l’effet exagérément grossissant que peut avoir l’examen à la loupe de tel ou tel accord, au regard d’une réalité plus vaste et plus diversifiée.

Plutôt que d’établir un bilan d’évaluation des 35 heures, le rapport dresse, après dix semaines d’auditions de l’ensemble des partenaires sociaux, d’une quinzaine de visites sur le terrain ainsi que de la consultation d’experts et de consultants, un constat, aussi objectif que possible à partir de données précises, sur l’application de la loi sur les 35 heures, qui pourront alimenter la réflexion des partenaires sociaux, et présente des analyses plus personnelles.

A ce stade, trois constats s’imposent.

On note en premier lieu une montée en charge progressive et significative des accords : à la fin février, 2 500 accords ont été signés qui concernent 805 000 salariés et ont permis de créer ou préserver 37 200 emplois. Si l’on ajoute les accords Robien, dont plus de la moitié ont été conclus après la conférence du 10 octobre 1997 sur l’emploi, les salaires et le temps de travail, les accords de réduction du temps de travail conclus durant les dix-huit derniers mois ont concerné un million de salariés et permis de créer ou préserver 70 000 emplois. En outre, la tendance est positive. Le nombre d’accords conclus est passé de 150 accords par mois à l’automne 1998 à plus de 550 aujourd’hui et l’on peut espérer que le mouvement va encore s’accélérer avant l’été.

En second lieu, on assiste depuis le vote de la loi à une relance sans précédent de la négociation collective : 43 accords de branche ont déjà été signés qui couvrent plus de six millions de salariés. Sur ce total, les dix accords qui ont été conclus dans l’industrie concernent 70 % des salariés couverts. En outre, 130 branches continuent de négocier. Ce mouvement de négociation justifie a posteriori l’intervention du législateur. Il faut en effet rappeler que l’accord national interprofessionnel du 31 octobre 1995 sur l’aménagement du temps de travail n’avait été suivi que d’un très faible mouvement de négociation, ce qui avait d’ailleurs déjà conduit le législateur à intervenir. Il faut par ailleurs souligner l’intérêt de la procédure du mandatement pour pallier l’absence de représentation syndicale dans les petites entreprises : la moitié des accords ont été conclus par ce moyen.

On observe enfin que les accords signés sont généralement équilibrés. Les craintes initiales de certains ne se sont pas concrétisées. Globalement, les accords qui résultent en général d’un large consensus syndical comportent des solutions de compromis équilibrées qui correspondent aux attentes des différents partenaires. Le risque d’impact négatif de la réduction du temps de travail sur les salaires qui a pu être évoqué ne s’est pas réalisé. La compensation salariale est en effet totale pour 80 % des salariés ; elle l’est toujours pour les salariés percevant les rémunérations les plus faibles notamment ceux rémunérés au SMIC. Les PME/PMI recourent plutôt à la réduction journalière ou hebdomadaire du temps de travail alors que des grands groupes font plus largement appel à l’annualisation et à la modulation.

Plusieurs éléments peuvent conduire à nuancer ces constats.

Il convient tout d’abord d’être prudent en matière de prévisions. Les résultats prometteurs actuels ne valent que pour les entreprises, en général les plus dynamiques et les plus performantes, qui ont conclu des accords. En effet, même si l’on peut penser que la reprise de la croissance devrait permettre de conforter cette année le mouvement en cours, ces résultats ne peuvent être étendus, mécaniquement, à l’ensemble des entreprises.

Les stratégies syndicales ne sont pas encore totalement stabilisées en raison notamment de la difficulté pour apprécier ce que sera le rythme et le contenu de la négociation dans les mois à venir. D’une manière générale, il faut noter qu’il existe des différences entre les postures prises par les syndicats au niveau national et au niveau local et dans les entreprises. En ce qui concerne les syndicats de salariés, le rapprochement en cours de la CFDT et de la CGT est un signe important de l’évolution du mouvement syndical. La CFDT est le syndicat le plus impliqué dans la démarche de la réduction du temps de travail ; elle est le premier syndicat signataire d’accords. L’implication progressive des grandes entreprises dans la démarche de réduction du temps de travail devrait aussi permettre de prendre la mesure des rapports de forces actuels concernant notamment certains sujets sensibles comme la prise en compte des jours fériés dans le temps de travail ou le travail du samedi et contribuer à faire évoluer le paysage syndical.

La position du MEDEF a sensiblement évolué au point qu’on peut se demander si son hostilité initiale et de principe aux 35 heures, concrétisée dans l’accord de la métallurgie, ne constitue pas une erreur de stratégie ou “ un pas de clerc ”. Le MEDEF privilégie désormais la négociation de branche dont il veut faire la référence pour la préparation de la seconde loi.

S’agissant enfin des questionnements d’ordre juridique soulevés par la première loi, il faut bien voir que les entreprises entrent dans la démarche de réduction du temps de travail à leur propre rythme. Conscientes de l’importance d’une négociation sur ce thème et de ce qu’une négociation dure six à neuf mois, elles se préparent avant de s’engager dans la démarche. On ne peut donc pas dire que les questions d’ordre juridique qui peuvent se poser, comme la prévalence du contrat de travail sur l’accord collectif, entraînent une attitude d’attentisme de la part des entreprises. Dans la perspective de la seconde loi, il pourrait cependant être utile d’apporter des réponses à certaines de ces interrogations.

Huit mois après le vote de la loi, on peut dire que le  pari des 35 heures  est en bonne voie mais qu’il n’est pas encore totalement gagné. Ce n’est qu’au moins de juin, après une année d’application de la loi qu’une évaluation plus précise pourra être faite.

Cependant, au-delà des seules données chiffrées, il importe de mettre en valeur les changements en profondeur concernant l’emploi, l’organisation du travail et le rôle respectif des partenaires sociaux et de l’Etat qui ont été provoqués par la mise en œuvre de la loi.

La réduction du temps de travail est créatrice d’emplois à court et à long terme. Si cet effet est sensible à court terme, l’impact des 35 heures ne pourra véritablement être vérifié qu’à moyen terme. Les résultats constatés pour les accords signés montrent qu’une dynamique est à l’œuvre. Sur la base de 5 emplois créés ou préservés en moyenne par accord aidé ou non et au rythme actuel de 550 accords mensuels, 5 000 accords, aidés ou non, pourraient être signés au 1er juillet 1999 permettant de créer ou préserver 55 000 à 70 000 emplois. Si ce rythme se maintient voire s’amplifie, et si l’on considère que l’engagement de grands groupes dans la réduction du temps de travail pourrait compenser l’effet qui pourrait résulter de la baisse de l’aide incitative à compter du 1er juillet 1999, on peut espérer atteindre le chiffre de 100 000 emplois créés ou préservés à la fin de l’année et un taux de couverture des salariés employés dans les entreprises de plus de 20 salariés de 15 % à 20 %. Ces chiffres sont significatifs. Ils correspondent grosso modo au scénario médian établi par la direction de la prévision du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie. Si la dynamique enclenchée se poursuit on peut faire le pronostic raisonnable de la création de 250 000 emplois créés ou préservés à l’horizon 2001 ou 2002. Si on transposait la moyenne actuelle de création d’emplois rapportées aux effectifs concernés, soit 5 %, on serait évidemment dans des chiffres très supérieurs à cette hypothèse basse de 250 000, retenue par précaution.

Il faut cependant rappeler que la réduction du temps de travail n’est pas, comme on le dit trop souvent, une solution pour partager le travail, mais bien davantage un moyen pour modifier le partage des revenus de la croissance et l’enrichir en emplois. De fait, le financement de la réduction du temps de travail traduit l’effort consenti par les différents acteurs : les entreprises, les salariés et la collectivité nationale, un léger surcoût pouvant finalement rester à la charge des premières.

Les négociations multidimensionnelles sur la réduction du temps de travail qui rompent avec l’approche traditionnelle de la négociation segmentée débouchent le plus souvent sur d’importantes réorganisations du travail. Elles permettent que soit abordé l’ensemble des problèmes qui se posent dans l’entreprise : 80 % des accords signés s’accompagnent d’une réorganisation du travail. Plus significatif, 60 % d’entre eux combinent les différentes modalités de modulation du temps de travail faisant ainsi du “ sur mesure ” et ceci même dans les petites entreprises. Les solutions trouvées dans le cadre des négociations sur la réduction du temps de travail permettent, en outre, de répondre aux aspirations des salariés à davantage de temps libéré et aux besoins de souplesse des entreprises. Elles sont aussi un moyen de développer la flexibilité interne plutôt que la flexibilité externe. La réduction du temps de travail constitue de ce fait un levier de changement des conditions du dialogue social et une véritable avancée sociale, même si un certain délai sera nécessaire pour en mesurer les effets en profondeur.

Enfin, la réduction du temps de travail qui conduit à des compromis donnant-donnant a permis d’engager une modification en profondeur des pratiques du dialogue dans l’entreprise. Etat et partenaires sociaux ont été placés devant leurs nouvelles responsabilités. le véritable enjeu réside dans la capacité de l’ensemble des partenaires à initier de nouvelles pratiques d’élaboration des normes sociales. A cet égard, le positionnement du MEDEF vis-à-vis de la deuxième loi sera très important. Il serait en effet paradoxal que le précédent constitué par l’accord de la métallurgie ne conduise l’Etat et les organisations syndicales à souhaiter le vote de dispositions plus rigoureuses que celles initialement envisagées alors que la négociation a abouti, généralement, à des résultats équilibrés.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

Le président Jean Le Garrec, après avoir remercié le rapporteur pour la qualité et de l’ampleur du travail mené, a souligné que ce rapport d’étape illustrait l’intérêt de la pratique de suivi de l’application des lois les plus importantes, procédure que la commission a amorcée à la suite du vote de la loi sur les emplois-jeunes. Le rapport d’information de M. Gaëtan Gorce présente l’avantage d’établir un état des lieux très complet sur les accords, déjà nombreux, ayant été signés depuis l’adoption de la loi. Ce document à la fois objectif et argumenté sera suivi d’un deuxième rapport destiné à préparer la discussion sur la deuxième loi relative à la réduction du temps de travail.

M. François Goulard a, à son tour, souligné l’intérêt des rapports de suivi qui permettent d’apprécier l’application et les conséquences des lois adoptées. Il a également tenu à s’associer aux propos du président de la commission pour saluer le caractère impartial et non militant des propos du rapporteur qui, relativement aux faits observés, développe une approche et des estimations prudentes. Il convient toutefois de faire quelques observations :

- Les chiffres prévisionnels avancés dans le rapport - 100 000 emplois créés d’ici la fin de l’année et environ 250 000 créations attendues d’ici le début de 2002 - sont très inférieurs aux annonces faites au moment du vote de la loi. La ministre prévoyait alors la création prévisible de 400 000 emplois, alors que le contexte de croissance économique est plus favorable que prévu.

- Les chiffres sur les créations d’emplois sont biaisés dans la mesure où ils comprennent ceux créés dans les entreprises publiques. En effet, ces créations d’emplois se font nécessairement au détriment des entreprises du secteur marchand, car elles engendrent pour ces dernières un renchérissement du coût des services rendus à leur clientèle. L’exemple d’EDF est significatif à cet égard.

- La notion d’emploi sauvegardé doit également être considérée avec la plus extrême prudence. Afin d’obtenir un montant maximal d’aides, les entreprises ont généralement tendance à présenter des plans de suppression d’emplois les plus larges possibles. Par construction, on peut estimer que le nombre d’emplois sauvegardés comptabilisé par l’administration est globalement surévalué.

- Le nombre d’emplois créés paraît lui-même contestable, car on ne peut savoir quel comportement l’entreprise aurait adopté en l’absence de législation sur la réduction du temps de travail.

De façon plus générale, il faut souligner que la France, qui se singularise par une législation originale relative à la réduction du temps de travail, conserve pour autant un taux de chômage sensiblement supérieur à la moyenne de ses partenaires européens. C’est la question de l’efficacité des politiques de lutte contre le chômage qui se pose aujourd’hui avec l’acuité la plus grande.

M. Jean-Paul Durieux, après avoir insisté sur l’intérêt du rapport d’étape, qui permet de mesurer les dispositions devant être mises en œuvre par la deuxième loi, a formulé les observations suivantes :

- L’un des grands mérites de la loi consiste à relancer et enrichir le dialogue social. Cette redynamisation a permis que s’engage au sein des entreprises une réflexion sur l’organisation du travail. Il faut noter, en particulier, que l’attitude des entreprises de moins de 20 salariés n’a pas été attentiste comme on aurait pu le craindre. La position d’une organisation comme la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), à la fois favorable et pragmatique, est intéressante de ce point de vue.

- La comptabilisation du nombre d’emplois créés ou sauvegardés peut, certes, faire l’objet de discussions. Mais il faut noter que, de façon plus générale, la politique économique conduite par le Gouvernement comporte une incidence positive sur la croissance et son aptitude à créer des emplois.

- L’annualisation du temps de travail est bien souvent un enjeu de la négociation ; il faudra veiller cependant à ce que cela ne se solde pas par une dégradation des conditions de travail.

- Enfin, deux questions difficiles restent en suspend : il s’agit de la réduction du temps de travail pour les cadres et du risque de précarisation du travail, qui apparaît notamment au travers du niveau d’activité des entreprises d’intérim.

Mme Muguette Jacquaint a rappelé que le retour de la croissance devait beaucoup à la hausse du pouvoir d’achat et de la consommation, elle-même liée aux créations d’emplois générées par la réduction du temps de travail. Il convient donc que la deuxième loi permette de préserver cet acquis en prévoyant la mise en place de garanties salariales et en permettant d’aller plus loin en termes de création d’emplois. Il conviendra également d’être vigilants quant aux modalités retenues dans les accords en matière d’aménagement du temps de travail et de réorganisation du travail, afin d’éviter une précarisation des conditions d’emploi, un recours excessif aux heures supplémentaires et une extension de la pratique du temps partiel imposé, notamment dans le secteur de la grande distribution. Il faut, enfin, être vigilant concernant la volonté patronale de limiter le plus possible le coût du travail et donc le salaire.

M. Alfred Recours a constaté qu’avec les 35 heures, la France jouait en effet, à nouveau, un rôle de précurseur social en Europe, comme en 1936 avec la semaine de 40 heures et les congés payés. Contrairement aux prévisions pessimistes émises par certains membres de la commission, lors de l’examen de la loi sur la réduction du temps de travail il y a un an, lesquels annonçaient jusqu’à 60 000 destructions d’emploi à cause du passage aux 35 heures, les résultats confirment le bien-fondé de cette initiative.

En outre, il faut garder à l’esprit que la réduction du temps de travail ne représente qu’un des éléments de la politique globale de l’emploi menée par le Gouvernement. Les emplois-jeunes, qui ont permis d’embaucher 150 000 personnes, le soutien de la croissance économique par une politique budgétaire adaptée, ainsi que les prochaines réformes de la taxe professionnelle (avec la suppression de la part assise sur les salaires) et des cotisations patronales, participent également d’une politique de l’emploi rénovée.

Enfin, la réduction du temps de travail à 35 heures par semaine, voire moins, s’inscrit dans un mouvement historique général allant dans le sens de l’amélioration des conditions de travail des salariés. La démarche leur permet de bénéficier de gains de temps ; elle facilite également du point de vue de l’entreprise une meilleure organisation du travail.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a donné les indications suivantes :

- La réduction du chômage et les créations d’emploi s’expliquent non seulement par la réduction du temps de travail mais aussi par la croissance et la mise en place des emplois-jeunes.

- Il convient de rester modeste quant aux chiffres qui sont avancés. Il ne s’agit pas de présenter des performances mais d’illustrer ce que sont les 35 heures et quelles sont leurs conséquences sur les entreprises et sur l’économie. Dans les conditions macro-économiques actuelles, à savoir une reprise de la croissance, une modération salariale et un allongement de la durée d’utilisation des équipements dans les entreprises, il semble raisonnable de prévoir que la réduction du temps de travail permettra la création de 250 000 emplois à l’horizon 2002. Par contre, si l’on se place dans une optique plus mécanique, l’application systématique de la loi pourrait générer 450 000 emplois. Il existe donc un potentiel qu’il faudrait parvenir à exploiter. Sur la première année, 50 à 70 000 emplois auront au total été créés ou préservés grâce aux accords de réduction du temps de travail négociés, ce qui correspond au déficit de création d’emplois lié au ralentissement de la croissance constaté l’an passé.

- Les accords défensifs sont peu nombreux : actuellement environ 150 ; ils correspondent à 8 % des accords et ont permis de préserver 3 000 emplois.

- En ce qui concerne l’accord 35 heures signé à EDF-GDF, il convient de préciser qu’il n’entraînera pas de surcoût pour l’entreprise, la masse salariale étant stabilisée pendant trois ans, et n’aura donc pas d’effet sur le prix de l’électricité.

- Il faut se féliciter que les petites entreprises commencent à s’impliquer dans la démarche de réduction du temps de travail car si les grandes entreprises sont maintenant plus actives dans la négociation, plus de 50 % des salariés concerné par les accords sont employés par des PME.

- Des inquiétudes ont été exprimées en ce qui concerne les risques de dégradation des conditions de travail lors du passage aux 35 heures. Si, dans les accords signés jusqu’à présent, cette dégradation n’apparaît pas, il convient néanmoins de rester très attentif non seulement sur les heures supplémentaires mais également sur le délai de prévenance et l’amplitude maximale des horaires. On doit cependant souligner que, notamment sous l’effet de la majoration de l’aide incitative, plus des deux tiers des accords se traduisent aujourd’hui par la signature de contrats à durée indéterminée : la réduction du temps de travail permet donc d’enrichir la croissance en emplois stables.

Le président Jean Le Garrec a rappelé que pour faire diminuer le chômage d’une unité, il faut créer deux emplois puis a souligné l’importance de la croissance pour développer l’emploi et souhaité un repyramidage des cotisations sociales pouvant contribuer à la lutte contre le chômage. L’hypothèse présentée dans le rapport, qui correspond au scénario médian qui a été évoqué lors de la discussion de la loi, de 400 000 emplois créés ou préservés sur trois ans grâce à la réduction du temps de travail est très prudente. On peut penser que le résultat final sera supérieur. Cependant, au-delà des effets directs, il convient de prendre en compte des effets indirects qui peuvent résulter de l’augmentation du temps libéré mais qui sont plus difficiles à mesurer.

La commission a décidé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication

*

La commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. François Goulard, la proposition de loi de M. Dominique Bussereau visant à protéger les droits des usagers, à améliorer le dialogue social et à assurer la continuité dans le service public - n° 1404.

M. François Goulard, rapporteur, a souligné que cette proposition de loi visait à concilier deux exigences, la continuité du service public et le droit de grève qui sont tous les deux des droits constitutionnels. La continuité du service public est une notion juridique qui a traduction bien réelle, notamment pour les usagers des grandes agglomérations qui souffrent particulièrement des conflits du travail dans le secteur des transports.

Cette proposition de loi permet d’aborder trois questions : la multiplication des conflits du travail dans le secteur public, les carences de dialogue social dans ce secteur et la possibilité de réglementer le droit de grève.

On relève, à l’examen du nombre de journées individuelles non travaillées, une multiplication des arrêts de travail dans le secteur public, surtout dans le secteur des transports. Il faut préciser que ce constat n’est en rien une remise en cause de la légitimité de ces conflits qui ont souvent des motifs tout à fait compréhensibles, tels que l’insécurité ou la montée de la délinquance.

Pour ce qui est du dialogue social, la situation dans le secteur public est paradoxale. En effet, alors que ce dialogue social est apparemment plus institutionnalisé, plus organisé que dans le secteur privé, il fonctionne moins bien. Le rapport au Conseil économique et social de M. Guy Naulin souligne ce paradoxe en rappelant que dans les entreprises publiques, la capacité des parties à négocier se trouve trop souvent obérée par la centralisation de la plupart des décisions au niveau politique. Malgré une syndicalisation plus forte que dans le secteur privé et un cadre réglementaire favorisant en principe les relations entre partenaires sociaux, il en résulte une faible aptitude à la concertation et au compromis et ce déficit de dialogue social prend un relief particulier au moment où ces entreprises se trouvent dans un contexte d’ouverture à la concurrence.

S’y ajoute la quasi-désuétude dans laquelle sont tombées les procédures légales de prévention des conflits prévues par le Code du travail, que ce soit la conciliation, la médiation ou encore l’arbitrage.

Or des initiatives prises dans certains services publics montrent que des solutions négociées reposant sur l’engagement des partenaires sociaux et de la direction peuvent, au contraire, être efficaces. Le protocole d’accord du 11 juin 1996 relatif au droit syndical et à l’amélioration du dialogue social à la RATP a permis de réduire de 800 à 200 le nombre annuel de préavis, sachant que, sur ces 200 préavis, 170 sont des préavis locaux. En 1998, comme en 1997, une centaine “ d’alarmes sociales ” ont été déposées et ont donné lieu à la recherche d’accords qui ont abouti dans les deux tiers des cas. Seules 6 ou 7 des alarmes s’étant conclues par un désaccord ont donné lieu à un préavis effectif.

Enfin, la réglementation du droit de grève peut être juridiquement fondée. Comme l’a reconnu le Conseil constitutionnel, en particulier dans sa décision n° 79-105 du 25 juillet 1979, “ les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu’il a des limites et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte. ”

Le législateur est fondé à instituer un “ service minimum ” dans certains secteurs, ce qui a été fait en 1979 dans l’audiovisuel et en 1984 dans les services de la navigation aérienne. Cela a été également le cas pour les “ services essentiels ” en Allemagne, en Italie, en Espagne, au Portugal ou encore au Québec, selon une étude menée par le service des affaires européennes du Sénat.

Par contre, en l’absence de règles de valeur législative, le juge administratif considère qu’il appartient à l’autorité compétente, responsable d’un service ou à la direction d’un établissement public sous tutelle de prendre sous son contrôle les mesures qui s’imposent.

Le champ de la présente proposition de loi est défini, de façon générale, dans son article premier par référence à l’article L. 521-2 du Code du travail qui définit les personnels soumis à l’obligation du dépôt d’un préavis de grève parce que participant au service public.

L’article 2 de la proposition de loi tend, à la lumière des expériences déjà menées dans certains services publics, à donner une impulsion nouvelle aux procédures permettant l’amélioration du dialogue dans les entreprises, organismes et établissement chargés de la gestion d’un service public, selon une formulation qu’il conviendrait de modifier afin “ d’inviter ” les partenaires sociaux à y procéder.

L’article 3 fait obligation aux dirigeants et aux salariés de négocier des conventions visant à améliorer le dialogue social et d’y faire figurer une procédure d’anticipation des conflits, à laquelle il serait obligatoire de recourir avant le dépôt d’un préavis de grève. Il serait souhaitable, cependant, de prévoir une limite de deux jours à la durée de la phase pendant laquelle se déroule la procédure d’anticipation des conflits, puisqu’elle revient à allonger la durée du préavis.

L’article 4 rend obligatoire la comparution des parties devant les commissions de conciliation en l’absence d’accords prévoyant une procédure conventionnelle d’anticipation des conflits. Ici encore, il y a lieu, pour éviter toute manoeuvre dilatoire faisant obstacle à l’exercice du droit de grève, de fixer un délai maximum.

Abordant l’article 5 qui rend obligatoire la consultation des salariés concernés sur le déclenchement ou la poursuite de la grève par un vote au scrutin secret et précise que la décision doit être prise à la majorité, le rapporteur a jugé cette disposition contestable, au motif que même si le droit de grève s’exerce collectivement, il s’agit d’un droit individuel. La majorité n’a pas le droit d’interdire à la minorité de recourir à la grève. Il serait donc souhaitable que cet article soit modifié et reprenne le dispositif adopté par le Sénat, c’est-à-dire l’obligation de recours à un scrutin secret s’il est procédé à une consultation des salariés sur le principe d’une grève.

Enfin les articles 6 et 7 prévoient l’instauration d’un service minimum dans les transports. La mise en place de ce service se fera d’abord par voie contractuelle, ou, à défaut, sera fixée dans le respect des principes posés par ces articles, en retenant qu’aux heures d’affluence des moyens de transports “ suffisants ” doivent être mis à la disposition des usagers plutôt que l’ensemble de ceux-ci. Sous réserve de ces modifications, il convient d’adopter cette proposition.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

Après avoir rappelé que le droit de grève faisait partie du bloc de constitutionnalité, tout comme la continuité du service public, le président Jean Le Garrec a souligné que la loi ne devait pas remettre en cause l’équilibre entre ces deux principes. Il a noté la divergence entre les auteurs de cette proposition et le rapporteur sur la question du déclenchement de la grève par une décision majoritaire prise par un vote à bulletin secret, ainsi que la grande prudence du Sénat sur l’instauration d’un service minimum dans les transports publics.

Mme Muguette Jacquaint a insisté sur le fait que cette proposition de loi était une nouvelle tentative, suivant des précédents fort nombreux, de remise en cause du droit de grève dans le secteur public. Il est donc provocateur de voir ce texte s’assigner l’objectif d’amélioration du dialogue social alors qu’il porte atteinte à un droit fondamental des travailleurs. La grève est bien souvent dans les services publics un moyen de poser la question de l’amélioration du service, notamment dans les transports en commun. Comme l’ont montré les mouvements sociaux de 1995, la manoeuvre consistant à opposer les salariés du secteur public et les usagers est vouée à l’échec. Il n’y a donc pas lieu de débattre des articles d’une telle proposition de loi.

M. Pierre Hellier a rappelé que ce texte visait à mieux respecter les usagers du service public, sans pour autant nier l’exercice du droit de grève. Sur la question du vote, il a déclaré préférer le texte initial à la suggestion du rapporteur.

M. Jean Rouger a rappelé que ce texte s’inscrivait dans une longue tradition tentant de concilier des principes contraires : la continuité des services publics, les droits des usagers et le droit de grève. Mais en réalité, son dispositif porte de nombreuses atteintes à ce dernier. La proposition de loi revoit le contenu du dialogue social en exigeant la mise en place d’une conciliation préalable, en encadrant le préavis et en réservant le déclenchement de la grève à la décision d’une majorité, prise par un scrutin secret, ce qui nie l’existence d’un droit individuel reconnu par le Préambule de la Constitution de 1946.

Par ailleurs le service minimum en matière de transports aux heures de pointe aboutit, en fait, à exiger un fonctionnement normal de l’ensemble des moyens de transports publics pendant ces périodes. Si le service minimum fonctionne dans certains secteurs, comme à l’hôpital, son application aux transports publics ne donne pas satisfaction à personne, et cette proposition n’améliorerait pas les choses. En vigueur à la SNCF, par exemple, il n’a pas permis aux usagers de bénéficier d’un fonctionnement normal. Le texte se traduirait, enfin, par un allongement de la durée des procédures et par une détérioration de la qualité du service public.

Si l’on prend l’exemple du protocole signé à la RATP, et longuement négocié, on s’aperçoit que le respect du droit syndical, de la liberté des partenaires sociaux et des mécanismes contractuels sont les seuls instruments permettant la diminution du nombre des conflits. Ce protocole démontre à l’évidence que le recours à des processus de négociation et de contractualisation est bien meilleur que ce qui est préconisé par la proposition de loi. Dans la mesure où celle-ci porte atteinte au droit de grève sans pour autant parvenir à résoudre les problèmes rencontrés, il ne paraît pas utile de l’examiner.

M. Alfred Recours a tenu, tout d’abord, à rendre hommage aux efforts du rapporteur pour donner une allure plus respectable à cette proposition de loi. Il s’agit incontestablement d’un texte important pour l’opposition puisque ses trois présidents de groupe l’ont cosigné. Sous couvert de respecter le droit de grève il aboutit en fait à le dénier. Il convient donc de ne pas en examiner les articles, d’autant que les membres de l’opposition ne semblent pas avoir réussi pour l’instant à se mettre d’accord sur la procédure de vote de la grève.

M. Bernard Perrut a indiqué que la volonté des auteurs de cette proposition de loi n’était pas de porter atteinte au principe du droit de grève mais, au contraire, de restaurer le dialogue social et de permettre de régler les conflits par anticipation, en ayant recours à une procédure de prévention. Engager le dialogue plus en amont devrait permettre d’éviter le déclenchement des conflits et donc de préserver d’autres droits fondamentaux tels que celui de circuler librement ou celui de produire. Ce texte réaliste aboutit à un équilibre entre ces diverses préoccupations.

En réponse aux intervenants, M. François Goulard, rapporteur, a rappelé que les services publics, notamment ceux de transport, concentrent un nombre important de conflits du travail, ce qui n’est pas en soi le signe d’un dialogue social de qualité et que ce constat est dressé, à leur détriment, par les usagers eux-mêmes.

La nécessité de réglementer le droit de grève dans les services publics n’a été contestée par aucun des orateurs et le système mis en place à la RATP a bien entendu inspiré les auteurs de la proposition de loi, qui vise justement à ce que ce type d’accord puisse se multiplier.

En ce qui concerne la procédure prévue à l’article 5 de la proposition qui requiert un vote majoritaire pour le déclenchement d’une grève, il paraît préférable de s’inspirer du dispositif retenu par le Sénat qui propose, pour plus de transparence, que les votes consultatifs sur le recours à la grève aient lieu par un scrutin secret, sans empêcher son déclenchement par une minorité. Il n’est pas inutile de rappeler, à ce sujet, qu’une proposition de loi signée par Jules Guesde et Jean Jaurès préconisait que la grève soit décidée dans les entreprises au scrutin majoritaire.

En conclusion, M. Jean-Paul Durieux, président, après avoir mis en garde le rapporteur sur l’utilisation de références historiques sorties de leur contexte, a soumis à la commission la demande présentée par Mme Muguette Jacquaint, M. Jean Rouger et M. Alfred Recours de ne pas engager la discussion des articles de la proposition de loi et donc de suspendre les travaux de la commission.

La commission a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.

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Informations relatives à la Commission

La commission a nommé :

Sur le projet de loi portant création d’une couverture maladie universelle - n° 1419 :

M. Jean-Claude Boulard, rapporteur pour les titres préliminaires, I, II, III et V du projet ;

M. Alfred Recours, rapporteur pour les titres IV du projet ;

M. Alain Calmat, rapporteur sur la proposition de résolution de M. André Thien Ah Koon tendant à la création d’une commission d’enquête portant sur le fonctionnement du service public hospitalier dans le département de la Réunion - n° 1372 ;

M. Bertrand Kern, rapporteur sur la proposition de résolution de M. Bernard Accoyer tendant à créer une commission d’enquête sur la gestion de la Caisse autonome de retraite des médecins français - n° 1338 ;

Mme Gilberte Marin-Moskovitz, rapporteur sur sa proposition de loi tendant à renforcer la protection des personnes dans le domaine sanitaire et social - n° 798.


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