Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires culturelles (1998-1999)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 MARS 1999
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

pages

– Audition de Mme Dominique Voynet, ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, et de M. Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la santé, sur la sécurité sanitaire environnementale.

2

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu Mme Dominique Voynet, ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, et M. Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la santé, sur la sécurité sanitaire environnementale.

Mme Dominique Voynet a tout d’abord indiqué que les questions de sécurité sanitaire et de sécurité environnementale émergeaient désormais comme des composantes essentielles des politiques publiques impliquant l’Etat mais aussi les collectivités locales, les acteurs économiques. On peut citer à cet égard les thèmes de :

- la pollution de l’air, due aux transports ou aux sources industrielles ;

- la gestion des déchets ;

- l’exposition aux radiations ionisantes, ou à des substances chimiques dont les risques ne sont pas toujours connus avec certitude, telles les dioxines ;

- la pollution des sols par les métaux ;

- la pollution de l’eau par les nitrates, les pesticides ou les métaux ;

- les plantes génétiquement modifiées.

L’opinion publique attend des réponses claires et concrètes, une attitude objective de l’Etat, mais aussi des scientifiques. Mais les problèmes sont complexes, qu’il s’agisse d’expositions à long terme à des faibles doses de polluants ou d’expositions multiples, avec dans les deux cas des effets indirects. Aborder ces questions difficiles nécessite tout d’abord d’être très précis sur les termes utilisés, car les problématiques, les méthodes d’expertises, les acteurs scientifiques ou institutionnels sont différents. La sécurité sanitaire s’intéresse à la détection, à l’analyse et à la gestion des risques affectant la santé publique ou celle de populations plus réduites, comme des groupes de travailleurs. Le Parlement connaît bien les questions relatives à la sécurité sanitaire puisque la loi du même nom date de moins d’un an ; sa mise en œuvre est déjà largement engagée par le Gouvernement et vise notamment les produits de santé et les aliments. La sécurité environnementale a une vocation plus large, consistant à détecter, analyser et gérer les perturbations affectant l’environnement et les écosystèmes, dont certaines peuvent d’ailleurs constituer des risques de santé publique, comme le montrent les questions relatives à la pollution de l’air, à la pollution des sols par les métaux lourds, à la contamination des ressources en eau par les nitrates ou les pesticides. La sécurité environnementale joue donc simultanément un double rôle :

- détecter, évaluer et gérer les risques pesant sur les écosystèmes ;

- à intégrer, à chaque stade de la réflexion et de l’action, les enjeux de santé publique.

Il existe donc bien un champ de risques, de pollutions et de nuisances qui doivent être réduits, même si l’on se situe en-dessous des normes sanitaires actuelles : qu’il s’agisse de contamination de substances chimiques dans l’eau ou les sols, de diversité biologique, d’acidification par les pollutions par le soufre, etc.

La gestion du risque accidentel, lié notamment aux installations industrielles, comme des silos de céréales, des raffineries, ou des camions de matières dangereuses, relève d’une autre logique que celle de santé publique. Elle doit pourtant être menée avec autant de rigueur.

Pour les spécialistes de santé publique, la sécurité environnementale permet ainsi de s’attaquer aux origines essentielles des contaminations et des pollutions, s’inscrivant dans la traduction la plus concrète du principe de précaution qui, il faut bien l’avouer, a été souvent délaissé par le corps médical jusqu’à un passé récent.

Pour les spécialistes de sécurité environnementale, du risque accidentel ou chronique, les enjeux de santé publique permettent bien évidement de cibler les priorités d’action, de valider ou de faire évoluer des niveaux de normes de rejet ou des normes de qualité des milieux, qu’il s’agisse de rejets dans l’air, de l’eau, des sols, ou des écosystèmes.

La loi sur la sécurité sanitaire - dont ce n’était pas l’objet - n’apporte bien entendu pas de réponse adaptée à ces questions : ni sur le champ de la sécurité environnementale, ni sur le champ d’action conjoint entre la sécurité environnementale et la sécurité sanitaire. Conscient de la nécessité d’agir sur ces questions, le Gouvernement a souhaité, dès son arrivée, travailler sur ces thèmes. Le problème de la liaison de ces questions figure d’ailleurs à l’article 13 de la loi du 1er juillet 1998.

Dans sa lettre de mission à Mme Grzegrzulka et à M. Aschieri, députés, le Premier ministre a formulé plusieurs souhaits permettant d’éclairer les options du Gouvernement en la matière, concernant principalement :

- les moyens consacrés aux capacités de recherche, d’évaluation des risques et des contrôles dans ce domaine ;

- l’organisation institutionnelle de ces moyens (d’où l’idée de créer une agence de sécurité environnementale).

Le Premier ministre a aussi rappelé dans sa lettre la nécessaire séparation entre les fonctions : la fonction d’expertise, d’évaluation des risques et la fonction de décision, du contrôle, de la gestion de ces risques. Si la première repose largement sur des compétences scientifiques et techniques largement répandues en dehors de l’appareil d’Etat, la fonction régalienne du contrôle et de la décision est du ressort du politique qui est directement responsable de sa bonne mise en œuvre. Enfin, le recours à l’analyse des expériences étrangères est fondamental.

A la fin de l’année 1998, le Gouvernement a reçu le rapport des deux députés déjà cités. Celui-ci a permis d’étudier un champ large, très large, sous le vocable « santé-environnement ». Le rapport a même formulé plusieurs recommandations relatives à la prévention des risques professionnels et à la santé du travail.

En complément de la mission antérieurement confiée à M. Le Déaut sur la radioprotection, cette nouvelle mission s’est principalement centrée sur les risques chroniques ou accidentels présentés par les substances chimiques. Elle a formulé seize propositions relatives à la mise en cohérence de moyens de recherche et d’expertise, la recherche de synergies au niveau du contrôle, la mise en place d’une approche analogue et concertée entre les différents départements ministériels concernés dans l’analyse de certains risques et leur gestion, y compris en termes de concertation et d’information du public.

Le constat est clair et a mis en évidence :

- l’insuffisance des ressources,

- la nécessité d’établir ou de renforcer, entre les acteurs les liens, qu’il s’agisse des milieux scientifiques, des experts du risque, des multiples services de l’Etat qui interviennent au niveau central ou déconcentré sur ces questions.

Le Gouvernement partage ce constat. L’heure est venue d’agir en s’appuyant sur les principes établis par la loi sur la sécurité sanitaire qui distingue notamment la veille et l’expertise des risques. La veille est assumée par l’Institut de veille sanitaire (IVS), l’expertise est effectuée, avec notamment la création de deux agences dans les domaines des aliments et des produits de santé.

Dans le domaine de l’environnement, la veille consiste à identifier les risques pour l’environnement ou les risques pour l’homme transférés par l’environnement. Le dispositif de veille environnementale existant est assez complet et largement déconcentré puisqu’il vise à détecter les contaminations dans les différents milieux : l’air, l’eau, les sols, .... Les associations de surveillance de la qualité de l’air, par exemple, sont des instances financées à parts égales entre l’Etat, les collectivités locales, les industriels. Les collectivités locales sont attachées à ce dispositif, que le Gouvernement a souhaité préserver et développer, comme en témoigne le décret du 5 mai 1998 qui régit leur organisation. Ainsi, ce pluralisme est gage d’indépendance. Les moyens croissants qui y sont consacrés garantissent la qualité et la cohérence des données communiquées au public.

Un institut a vocation à rassembler, à synthétiser et à diffuser l’ensemble des informations relatives à l’aménagement de l’espace et à l’environnement. Il s’agit de l’IFEN, Institut français de l’environnement, qui assure la fonction de veille environnementale globale, ce qui consiste à établir des cartographies de contamination, à informer sur l’état de dégradation des ressources en eau ou des autres milieux de vie.

Comme le souligne le rapport de Mme Odette Grzegrzulka et de M. André Aschieri, l’IVS et ces acteurs - IFEN et structures locales d’observation et de veille environnementale - doivent échanger leurs informations, agir en synergie pour aider les experts et le politique à disposer d’une vision hiérarchisée des problèmes. Concrètement, un ou plusieurs protocoles peuvent formaliser cet engagement, déjà effectif comme en témoignent les travaux récents de l’IFEN ou du Réseau national de santé publique. Les ressources consacrées à ces études conjointes seront maintenues et développées.

L’expertise des risques constitue sans doute le maillon qui mérite la plus grande rigueur dans sa définition, tant sont grandes les possibilités d’amalgames ou de confusion. Plusieurs organismes participent à cette mission, indispensable à la bonne décision au niveau local ou national, qui met en forme les données scientifiques, évalue le risque et assoit la décision prise au niveau politique. Dans leur rapport, les parlementaires ont identifié de nombreux acteurs, comme :

- l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), qui réalise près de 40 % de ses activités en recherche et expertise dans ces domaines ;

- l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) qui est un expert indispensable à l’analyse des risques liés aux activités industrielles, pour l’homme et l’environnement. Ses activités sont notamment essentielles sur les questions de risques accidentels. Il consacre la moitié de ses ressources au risque technologique et à l’environnement industriel, 17 % aux risques liés au sous-sol, pour le compte du ministère chargé de l’industrie, et 10 % de son activité au thème santé-environnement, souvent réalisé en partenariat. D’autres ministères, comme celui de la santé, des transports, du travail, participent depuis plusieurs années déjà aux instances dirigeantes de l’INERIS. Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont traduit l’effort particulier mis par le Gouvernement et le ministère de l’environnement dans le renforcement de cet institut.

En outre, l’INERIS et l’INRS disposent d’un protocole d’accord depuis le 23 juillet 1991, avec un programme de travail dans deux domaines (“ explosions-incendies et “ électronique  et sécurité des personnes ”). Le directeur scientifique de l’INERIS est aussi président de la commission ad hoc de l’INRS et réciproquement. Des conventions techniques additionnelles sont signées, au fur et à mesure des besoins. L’INRS et l’INERIS participent aussi conjointement à un programme européen.

En outre, les deux organismes se répartissent de façon permanente les dossiers de notification des substances chimiques en fonction de leurs compétences (toxicologie pour l’INRS et éco-toxicologie pour l’INERIS).

Le rapport préconise non seulement le développement des coopérations entre l’INRS et l’INERIS mais aussi que d’autres organismes puissent participer à ces expertises : l’INSERM, le CSTB, l’IFREMER ou l’ADEME, etc. Le Gouvernement considère qu’une structure de soutien à des projets, telle qu’un groupement d’intérêt scientifique “ Santé-Environnement ” pourrait efficacement associer tous ces partenaires, selon la nature des projets dont il serait chargé d’assurer la définition, le pilotage et l’évaluation, pour le compte des pouvoirs publics mais aussi d’autres acteurs, comme les collectivités locales, qui le saisiraient.

Le ministère de l’environnement pilote, depuis trois ans, un programme “ environnement-santé ” doté de 10 millions de francs par an, soit 12 % de son effort de recherche. Le programme “ environnement et santé ”, ainsi que le volet santé du programme « Primequal » relatif à la pollution atmosphérique, ont pour but d’orienter les politiques, et de fonder les réglementations et les normes sur des bases scientifiques solides. Il donne lieu à une communication large vers tous les acteurs publics et privés concernés. Mais ces sommes restent faibles au regard des enjeux environnementaux ou sanitaires qu’ils sous-tendent.

Il est clair que les ressources consacrées à cette coopération doivent être maintenues et développées.

Il convient de définir prochainement la meilleure façon de répondre à ce besoin, dans un contexte de montée en puissance de l’ensemble des risques auxquels l’Etat et les collectivités locales doivent faire face, comme les risques d’affaissement minier.

En ce qui concerne la gestion des risques, le rapport a formulé plusieurs propositions, visant à formaliser ou à faciliter des coopérations au niveau d’administrations centrales, de services déconcentrés, de collectivités locales. Certaines, comme la création d’un comité de liaison entre les directions administratives concernées, doivent sans doute pouvoir être formalisées sans délai. D’autres, comme les contrats locaux sur la santé et l’environnement, doivent faire l’objet, préalablement, d’une discussion approfondie avec les collectivités locales qui le souhaitent.

D’autres recommandations, enfin, visent à améliorer les conditions d’organisation des débats publics, à associer plus étroitement le Parlement à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques concernées ou à renforcer significativement l’effort porté sur la formation des divers acteurs spécialisés ou du public à des sujets souvent complexes ou consacrés à la recherche scientifique alimentant l’expertise. Le Gouvernement s’associe à ces recommandations.

Du travail effectué par M. Aschieri et Mme Grzegrzulka ressortent plusieurs constats :

- l’insuffisance des ressources consacrées à la recherche, à l’expertise dans ces domaines, pourtant essentiels à une application intelligente du principe de précaution ;

- le grand nombre d’acteurs ayant des compétences en toxicologie, écotoxicologique, épidémiologie, hyrogéologie qui participent à cette expertise. Ces compétences sont d’abord constituées à partir des missions premières des organismes qui les ont constituées (INSERM, CNRS, INERIS, INRS, .etc ...) ;

Il convient aujourd’hui de développer une culture de réseau plutôt que d’institutions monolithiques, calées sur leurs frontières et sur leur environnement administratif. Dans ce cadre, la circulation et la diffusion de l’information sont essentielles et ont une importance aussi grande que celle s’attachant aux problèmes institutionnels.

La prévention, la précaution et la transparence doivent ainsi être au cœur des préoccupations du Gouvernement qui achève actuellement le rapport qu’il transmettra très prochainement au Parlement, en application de l’article 13 de la loi du ber juillet 1998.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la santé et à l’action sociale, a tout d’abord rappelé que cette audition prenait une dimension particulière en raison du rapport rédigé par M. André Aschieri et Mme Odette Grgegrzulka, remis le 13 novembre dernier à M. le Premier ministre, travail qui apporte une contribution utile à la réflexion sur des questions touchant concrètement à la vie et à la santé des Français.

Ce rapport, d’excellente qualité, établit un constat qui, tout en rappelant le travail important accompli par les services avec compétence, est relativement sévère sur certains points :

- La coordination interministérielle entre santé, environnement, industrie et agriculture semble faire défaut ; à l’opposé, le chevauchement des compétences a parfois pour conséquence un manque de cohérence des décisions.

- D’une manière générale, une absence de séparation claire entre contrôleurs et contrôlés est notée.

- Il n’y a pas d’énoncés des risques environnementaux ni suffisamment d’outils d’évaluation indispensables aux prises de décisions politiques.

- Le manque de transparence a pour effet de provoquer des psychoses dans une population désinformée.

- Enfin, la France est en retard par rapport à ses partenaires européens en ce qui concerne la connaissance et l’évaluation des risques environnementaux, tout comme sa participation à l’élaboration des directives européennes qui sont, de ce fait, davantage subies que souhaitées.

Face à ce constat, il paraît nécessaire de resituer le cadre dans lequel s’inscrit l’action des pouvoirs publics. La loi du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l’homme a permis la mise en œuvre d’un dispositif rénové de sécurité sanitaire, fondé sur une nouvelle doctrine. Cette doctrine repose sur des principes cohérents : une expertise scientifique forte et indépendante ; une sécurité assurée sur l'ensemble des différentes chaînes des différents produits destinés à l'homme ; une indépendance par rapport aux intérêts économiques sectoriels ; une transparence dans la décision et des responsabilités clairement identifiées ; enfin, une capacité d'alerte rapide. L’Institut de Veille Sanitaire (INVS) et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) viennent d’être créées. Le dispositif sera complété dans les prochains jours par la mise en place de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA).

L’article 13 de cette loi prévoyait l’examen « de l’opportunité et de la faisabilité de la création d’une agence de sécurité sanitaire de l’environnement ». Le Premier ministre a souhaité confier cette mission, avec le plein accord des ministres concernés, à deux députés, membres de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Les dernières crises sanitaires, telles celles de l’amiante et du saturnisme, imposent en effet de mieux connaître les risques environnementaux et de renforcer la veille sanitaire. Aujourd’hui, le regard sur ces risques se doit d’être à la fois plus aigu et plus large :

- plus aigu car il intègre des nouveaux aspects allant au-delà du seul risque infectieux immédiat et doit prendre en compte les effets à long terme de risques chroniques ;

- un regard plus large car au-delà de la sécurité de l’environnement, au sens écologique, il s’agit de prendre en compte l’impact sanitaire des milieux de vie, y compris des milieux professionnels. Pour ces derniers, il faut aussi intégrer l’impact des risques physiques et chimiques sur les conditions de vie des salariés, de leurs proches mais également des tiers.

Ce nouveau regard doit amener à dépasser les cloisonnements traditionnels des politiques de prévention qui réduisent leur efficacité :

- les problèmes de pollution environnementale ou de santé au travail peuvent être des alertes pour la santé de la population en général ;

- inversement, la détection d’un problème de santé publique doit constituer un signal d’alarme pour les acteurs de la prévention des risques professionnels ou environnementaux.

C’est pourquoi, plus que jamais, la prévention de ces risques doit prendre en compte les impératifs de sécurité sanitaire. Or, en matière de santé environnementale, nous sommes aujourd’hui confrontés à des risques aux effets très différés, à des maladies plurifactorielles, et à la reconstitution complexe d’expositions passées.

Il faudra donc travailler sur deux registres.

Le premier registre est celui de la connaissance des dangers intrinsèques des produits, essentiellement par des études toxicologiques. Ainsi, concernant les produits chimiques, c’est cette connaissance qui permet de les classer et, à partir de là, d’alerter sur les dangers, les précautions à prendre, les normes à établir.

A partir du contrôle opéré sur les substances nouvelles mises sur le marché, il nous faut développer l’expertise sur les produits existants.

Mais ces produits chimiques, classifiés par destination, ne constituent pas notre seule préoccupation. Il est aussi nécessaire de prendre en compte toutes les substances présentes dans l’environnement, soit à l’état naturel, soit parce qu’elles ont résulté directement ou non de processus industriels, de traitement de déchets. Le cas des dioxines illustre parfaitement le champ à couvrir, ils font partie des sujets communs entre l’environnement et la santé, sur lesquels nous travaillons en liaison très étroite. L’évaluation des risques présentés par ces substances chimiques fait actuellement intervenir dix ministères et diverses instances d’expertise. Le système apparaît écartelé et peu compréhensible.

Pour pouvoir mettre en œuvre dans des conditions raisonnables le principe de précaution, les pouvoirs publics devraient pouvoir s’appuyer sur un processus organisé et professionnalisé de vigilance, de veille scientifique et d’évaluation des risques. L’Etat doit à cet effet disposer, pour assumer ses responsabilités de sécurité sanitaire, de services propres d’expertise. Ce constat apparaît très nettement dans le rapport. C’est une analyse partagée avec le Gouvernement. Elle conduit à adopter la même démarche que dans d’autres secteurs. Elle peut avoir plusieurs traductions administratives.

Le rapport ouvre plusieurs pistes. Il montre bien la complexité liée à la nature très diverse des produits et des expositions en cause, des procédures et de la réglementation, sans oublier l’importance qu’il convient de souligner de l’articulation avec les procédures européennes.

La création d’une instance ayant pour objet d’assurer la veille scientifique, de valider les expertises externes et de développer l’évaluation des risques, notamment en ce qui concerne les produits et substances chimiques, pourrait contribuer à atteindre cet objectif. Cette instance pourrait être un appui précieux pour les ministres chargés de la santé, du travail et de l’environnement, qui ont en charge d’établir des normes dans ce domaine.

D’ailleurs, il est important dans l’établissement de ces normes de prendre en compte l’ensemble des voies d’exposition : exposition dans l’habitat, en milieu professionnel, dans la nutrition, dans les milieux de vie. Le saturnisme en serait un exemple. La question se pose en particulier pour la protection des enfants. Pour que, dans chacun de ces champs, soient définies des normes adaptées, il convient de bien évaluer les conséquences de chacune de ces expositions et d’en effectuer une synthèse pour assurer une cohérence dans des normes destinées à protéger l’ensemble de la population.

Il convient de souligner que des moyens nouveaux devront être dégagés pour une telle instance si tel est le choix retenu, dont la montée en charge ne pourrait se faire au détriment des autres activités de sécurité sanitaire et de prévention des risques.

Le deuxième registre est la nouvelle impulsion à donner au développement de l’épidémiologie.

La création de l’Institut national de veille sanitaire (IVS), qui se substitue au réseau national de santé publique créé en 1992 sous forme de groupement d’intérêt public, doit permettre de développer la surveillance épidémiologique. En effet, la mission générale de l’IVS est de surveiller, en permanence, l’état de la santé de la population et son évolution. De nouveaux champs d’application seront ainsi développés : maladies chroniques, santé au travail, risque d’origine nucléaire. Ce dispositif national « renforcé » de veille sanitaire doit permettre d’alerter efficacement les pouvoirs publics pour qu’ils puissent réagir précocement aux situations d’urgence sanitaire telles que les épidémies, la pollution de l’environnement.

Par ailleurs, il vise à mieux étayer les décisions en matière de protection de la santé et de la prévention. L’application à ces pathologies du principe de déclaration obligatoire devrait permettre de renforcer les mesures actuelles, telles que celles concernant le saturnisme infantile.

La mise en œuvre de systèmes d’information organisés pour le recueil de la pathologie d’origine environnementale fait partie des priorités de l’unité santé-environnement de l’IVS, au-delà des risques infectieux traditionnels. C’est la même évolution que celle effectuée par les américains. Le CDC était à l’origine le « Center of communicable Disease Control ». En gardant les mêmes initiales, mais en élargissant très largement ses missions, il est devenu le « Center for Disease Control and Prevention ».

Le mécanisme des déclarations obligatoires sera refait sur la base de la loi de 1998 en distinguant la déclaration destinée à la surveillance épidémiologique et celle destinée à l’alerte.

Toutefois, comme le montre l’exemple de la pollution industrielle de Bourg-Fidèle, commune des Ardennes, les données collectées sur le terrain seront essentielles à l’IVS pour qu’il puisse pleinement jouer son rôle d’alerte en croisant des données relatives à la santé et aux expositions. Ceci implique une structuration renforcée voire centralisée, de la veille environnementale qui doit être accessible à l’IVS.

En tout état de cause, une synthèse des connaissances disponibles réalisée de façon indépendante est indispensable. Ceci est un préalable à toute décision concernant les modalités de gestion du risque. C’est pourquoi, sur des sujets importants, les pouvoirs publics ont eu et auront davantage recours à une expertise indépendante et interdisciplinaire. C’est ce qui a été fait par l’INSERM pour l’amiante, les fibres de substitution, le plomb et aujourd’hui, les éthers de glycol pour lesquels des résultats sont attendus dans les prochaines semaines.

Ces avances en matière de connaissance des risques et de veille sanitaire sont nécessaires pour améliorer et adapter les dispositifs de prévention.

Enfin, le rapport a insisté sur le fait que la création d’une structure de sécurité sanitaire environnementale ne constituait pas, à elle seule, une mesure suffisante pour améliorer la protection vis-à-vis des risques pour la santé, dus à l’environnement. Les propositions du rapport portent aussi sur la recherche de synergies au niveau du contrôle, la mise en place d’une approche concertée entre les différents départements ministériels concernés dans l’analyse de certains risques et leur gestion, y compris en termes de concertation et d’information du public.

Ces propositions reçoivent un accueil favorable et la coopération interministérielle devrait être renforcée en ce sens.

La 3e conférence des ministres de la santé et de l’environnement, organisée par l’Organisation mondiale de la santé et la CEE en juin prochain, à Londres, pourrait être l’occasion pour le Gouvernement pour présenter les premières orientations de cette stratégie. L’élaboration de ce plan pluriannuel sera confiée à un comité ad hoc réunissant les directeurs d’administration centrale concernés auquel il serait souhaitable que soit associé le ministère du travail dans le cadre de ses attributions en matière de prévention des risques professionnels. La sécurité sanitaire environnementale et la prévention des risques auxquels se trouvent exposés les travailleurs doivent en effet être mieux articulées.

Ce comité, qui porte en germe une meilleure concertation interministérielle, répondra au souci des deux rapporteurs de voir se constituer un comité de liaison interministériel de sécurité sanitaire environnementale (CLISSE). Afin d’assurer une efficacité et une cohérence accrues, le CLISSE rendra compte de ses actions au comité national de sécurité sanitaire (CNSS) instauré par la loi du 1er juillet 1998. Dans ce cadre le ministère de l’environnement comme celui chargé du travail seront associés aux travaux du CNSS.

En conclusion, le ministre a précisé que la mission du CNSS était à ses yeux, particulièrement importante, car elle répondait à une préoccupation majeure, à savoir la coordination de l’action des différentes structures en place : veiller à ce que les problèmes connus ou émergents soient pris en compte par l’ensemble des différents acteurs ; confronter les méthodes, les informations disponibles, les résultats des analyses, les propositions d’action préconisées par les uns et les autres. Il ne s’agit pas seulement d’une coordination administrative, c’est une culture commune qu’il nous faut forger, culture centrée sur la protection de la santé de l’homme.

Après les exposés des ministres, Mme Odette Grzegrzulka a formulé les observations suivantes :

- La mise en réseau des informations et des ressources est la condition préalable à toute avancée en matière de risques sanitaires environnementaux ainsi qu’il ressort de l’audition d’une centaine d’experts lors de l’élaboration du rapport demandé aux parlementaires par le Premier ministre mais ce préalable est insuffisant en l’absence d’une architecture d’ensemble cohérente ; or le rapport préconise d’une part, la création d’un Institut de la veille environnementale afin de renforcer les moyens d’expertise et de recherche et d’autre part, celle d’une agence de sécurité sanitaire environnementale. Il est décevant de constater que le Gouvernement considère que l’IFEN remplit déjà la fonction de veille environnementale et n’envisage pas de créer une agence de sécurité sanitaire environnementale. Le problème de la coordination va donc rester entier.

- Il est également important d’insister sur la nécessaire information du citoyen dans ce domaine afin d’apaiser les craintes qui peuvent exister. A cet égard, l’expérience de la conférence de consensus sur le maïs transgénique pourrait servir d’exemple.

- Une dernière interrogation concerne les suites qui pourront être apportées aux conclusions du rapport en matière de médecine du travail et de médecine scolaire.

M. André Aschieri a tout d’abord rappelé que l’étude de l’opportunité de créer une troisième agence consacrée à la sécurité sanitaire environnementale résultait d’un amendement de cette commission, qu’il avait lui-même cosigné avec M. Jean-François Mattei. Les propositions du Gouvernement sont insuffisantes en raison du retard pris par la France dans ce domaine en matière de recherche et de moyens techniques sur d’autres pays et du caractère alarmant de certaines statistiques en matière sanitaire, qui laissent craindre l’explosion de nouvelles crises. Il est nécessaire de créer rapidement de véritables structures tels que l’Institut de veille environnementale et l’agence de sécurité sanitaire environnementale, les procédures actuelles de coordination s’avérant insuffisantes.

Comme le rapport le préconise, il faut assurer l’indépendance des structures d’évaluation à l’égard tant du pouvoir économique que du pouvoir politique, la transparence des résultats de cette évaluation pour redonner confiance aux citoyens et la séparation des fonctions d’évaluation et de gestion, cette dernière devant en toute logique demeurer de la compétence de l’Etat.

A l’évidence, la loi du 1er juillet 1998 doit être complétée car les questions soulevées engagent la pleine responsabilité des acteurs politiques.

M. Alain Calmat, après s’être réjoui de la publication d’une partie des décrets d’application de la loi du 1er juillet 1998, a estimé que la loi du 1er juillet 1998 apportait certaines réponses aux questions soulevées par le rapport ; ainsi, l’Institut de veille sanitaire couvre l’ensemble des risques, qu’ils soient sanitaires ou environnementaux ; de la même façon, le Conseil national de la sécurité sanitaire inclut les aspects environnementaux et leurs conséquences sur la santé.

M. Jean-Michel Dubernard a regretté l’absence du ministre de l’agriculture et de la pêche, compétent en matière de sécurité des produits alimentaires. La création de trois structures différentes chargées respectivement des produits de santé, des aliments et de l’environnement risquerait d’alourdir les procédures et de renforcer la force des lobbies. Une telle organisation ne pouvait que nuire à l’efficacité de l’ensemble même si des progrès ont été réalisés. La question d’une structure unique chargée de l’ensemble de la sécurité sanitaire, préférable à une « usine à gaz », peut à nouveau légitimement se poser. Il est donc nécessaire que le cloisonnement des structures disparaisse et que le conseil scientifique commun aux deux agences actuelles, tel qu’il a été souhaité lors de l’adoption de la loi du 1er juillet 1998, soit mis en place pour réaliser une expertise scientifique commune.

En réponse aux intervenants, Mme Dominique Voynet a indiqué que le débat n’était pas sur la répartition des attributions ministérielles mais sur la question de définition du champ d’intervention. Il s’agit de savoir si l’on parle de la sécurité sanitaire de l’environnement ou de la sécurité environnementale. La première traite des conséquences sur la santé des risques environnementaux et n’est donc qu’une partie de la sécurité environnementale.

En ce qui concerne la création d’une « agence », ce terme d’agence a une connotation anglo-saxonne très forte qui induit une confusion entre les missions d’expertise et de contrôle. Or le contrôle doit demeurer de la responsabilité de l’Etat. Ainsi, dans le cas précédemment évoqué de Bourg-Fidèle, les textes existaient mais n’ont pas été respectés et le contrôle s’est avéré insuffisant.

L’environnement est un problème par définition large qui doit mobiliser tous les ministères. Il faut donc réfléchir à la meilleure façon d’assurer une coordination efficace des outils d’intervention existants, aujourd’hui dispersés. Il pourrait être envisagé de créer une structure de petite dimension chargée de mobiliser l’ensemble des intervenants. La création d’une agence ne résoudrait pas tous les problèmes, notamment celui de la dispersion des moyens et du caractère interdisciplinaire des interventions. De plus, elle se heurterait au poids des lobbies et des intérêts économiques.

M. Bernard Kouchner, tout en se déclarant, à titre personnel, favorable à la création à terme de l’institut et de l’agence préconisés par le rapport, a souligné la nécessité de mettre en réseau les différentes structures existantes préalablement à une modification des structures.

Il a ensuite apporté les précisions suivantes :

- Pour ce qui est de la médecine du travail, plus qu’une mauvaise prise en compte des risques environnementaux, il est essentiel de réformer en profondeur les relations avec les employeurs. Il n’est pas souhaitable de distinguer la santé au travail de la santé publique, la première ayant des incidences directes sur la seconde.

- S’agissant de l’aggravation de certaines pathologies, on ne peut, en l’état actuel des connaissances scientifiques, affirmer leur lien de causalité avec l’environnement. Ainsi si une augmentation du nombre des lymphomes et des tumeurs du cerveau a bien été constatée, la responsabilité de la proximité des lignes électriques à haute tension n’est pas à ce jour établie.

- En tout état de cause, il faut consacrer plus de moyens à la recherche et garantir en permanence une transparence de l’information vis-à-vis de l’opinion publique.

- Le conseil scientifique prévu par la loi du 1er juillet 1998 n’a pas encore été créé ; il devait prochainement faire l’objet d’un décret à la suite de la création de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments.

En conclusion, le président Jean Le Garrec a considéré que le rapport remis au Gouvernement, tout en soulignant l’impérieuse nécessité d’une action urgente dans le domaine de la sécurité sanitaire environnementale, laisse une large ouverture sur l’ensemble de la question. Il faut souligner que l’audition des deux ministres sur un rapport fait à la demande du Gouvernement - procédure inédite - a eu le mérite de contraindre celui-ci à définir sa position. Il est clair qu’il y a un écart entre cette position et les recommandations du rapport. Le débat est donc ouvert et devra se poursuivre.


© Assemblée nationale