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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 44

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 6 avril 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

SOMMAIRE

 

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Audition, en présence de la presse, de M. Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), sur le plan stratégique de la CNAMTS

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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a entendu M. Jean-Marie Spaeth, président de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) sur le plan stratégique de la CNAMTS.

M. Jean-Marie Spaeth a tout d’abord observé qu’au-delà même du symbole, le fait que le débat que la CNAMTS a souhaité initier autour de ses propositions pour une évolution du système de soins débute par une rencontre avec les parlementaires est un élément majeur de l’évolution que connaît le système de protection sociale. En effet, les parlementaires ont été pendant trop longtemps exclus d’un pan entier et essentiel de la société, celui qui a trait à la santé et à la sécurité sociale.

Or, la santé a cela de caractéristique, qu’elle a à la fois une dimension strictement personnelle et même intime, qu’elle touche au cœur même de la personne humaine et qu’en même temps, le besoin de soins qu’elle appelle ne peut et ne pourra jamais être satisfait sans une intervention collective, compte tenu des coûts des traitements et des hospitalisations. C’est donc par essence un domaine où la collectivité joue un rôle irremplaçable dans la satisfaction d’un besoin des individus et donc un domaine où la Représentation nationale doit prendre toute sa place. C’est un point fort de la réforme que la CNAMTS a soutenu depuis plus de deux ans maintenant, et qui transcende désormais les clivages politiques traditionnels.

Par ailleurs, la démocratie sociale est indissociable et complémentaire de la démocratie politique incarnée par les parlementaires. La démocratie sociale, ce sont les partenaires sociaux et mutualistes, présents dans les conseils d’administration des caisses qui l’incarnent. Ils représentent les assurés sociaux et les financeurs et ont vocation à défendre leurs intérêts dans les relations avec les professionnels de santé, afin qu’ils bénéficient tous des soins de qualité qu’appelle leur état de santé. Autrement dit, l’ambition de la CNAMTS est que le système de soins se recentre sur sa seule raison d’être : le service rendu aux patients. Il y a à la CNAMTS depuis deux ans et demi une majorité de gestion qui entend assurer pleinement cette responsabilité.

C’est dans cette optique qu’après avoir, en octobre dernier, adopté des orientations stratégiques, le conseil d’administration a demandé au directeur de la CNAMTS de lui proposer un plan d’action stratégique, c’est à dire une traduction opérationnelle de ces orientations.

Le besoin de procéder à cette analyse de l’ensemble du système de soins apparaissait de façon de plus en plus évidente car, faute de recentrer le système sur sa finalité et de le faire évoluer, les investissements sans cesse croissants de la collectivité n’empêchaient pas l’exclusion d’une frange grandissante de la population et ne garantissaient pas non plus la couverture des besoins à venir ou en émergence. Or, pour préparer l’avenir, il faut pouvoir intégrer les formidables progrès techniques qui ne peuvent aller qu’en s’accélérant et faire face au vieillissement de la population. C’est une question d’équité entre les générations. Il est souhaitable de laisser aux générations futures un système de soins qui saura répondre à leurs besoins quand jusqu’à maintenant ce qu’on risque de leur laisser c’est le RDS.

L’instabilité juridique que connaissent les relations entre les professionnels de santé et les pouvoirs publics, qu’il s’agisse des décisions du Conseil d’Etat sur les conventions médicales ou de celles du Conseil constitutionnel sur certains articles de la loi de financement de la sécurité sociale adoptée à l’automne dernier, n’ont fait qu’accroître le sentiment d’urgence.

Il faut réformer le système de soins tout entier. A ne traiter pendant trop longtemps que de l’assurance maladie on aboutit successivement, alternativement ou en même temps qu’à des déremboursements ou des hausses de cotisations. Le résultat de ces politiques fondées sur des critères économiques à court terme, c’est une saturation de toute hausse de cotisation et un désengagement progressif de l’assurance maladie de base qui ne permet plus aujourd’hui un réel accès aux soins, sans l’intervention d’une couverture maladie complémentaire.

Le projet de loi sur la couverture maladie universelle constitue sans aucun doute une avancée sociale importante en faisant de l’accès à la protection sociale et aux soins un élément de citoyenneté mais sanctionne ces années de désengagement en offrant une couverture complémentaire aux populations défavorisées qui ne pouvaient la financer.

Pour rompre avec les pratiques anciennes et instaurer une dynamique nouvelle, un plan a été élaboré basé sur les constats suivants : le système de soins est morcelé et n’offre pas de continuité, les responsabilités des professionnels et des patients ne sont pas clairement définies, le système manque totalement de transparence.

Le premier des cloisonnements du système amène à ne traiter que du remboursement des soins alors qu’il faudrait traiter des conditions d’accès aux soins et des conditions dans lesquelles ils sont dispensés.

Le second cloisonnement consiste à ne traiter du système de soins que par segments : médecine de ville, hôpital, médicaments alors que tous doivent répondre aux besoins sanitaires de la population. Le choix de la CNAMTS est une démarche qualité qui garantisse de façon pérenne un niveau élevé de performance du système et une maîtrise de la croissance des dépenses. Pour y parvenir, la CNAMTS propose de changer la nature des contraintes que fait peser le système de protection sociale sur les professionnels et sur les patients pour y introduire une approche médicalisée et les rendre compréhensibles et visibles par chacun.

Un premier groupe de propositions vise à favoriser l’implication des professionnels de santé dans la démarche qualité et à améliorer l’adéquation entre l’offre de soins et le besoin de soins. Parmi les mesures qui répondent à ce souci, certaines méritent que l’on s’y arrête davantage. En ce qui concerne le conventionnement des professionnels de santé, la CNAMTS propose que tous les médecins puissent se conventionner mais pas tous dans les mêmes conditions. Si un médecin choisit de s’installer là où selon l’évaluation des pouvoirs publics les besoins sont couverts, alors l’assurance maladie pourra ne pas accepter de financer ce choix comme elle le fait maintenant en prenant en charge une partie importante des cotisations sociales des médecins. A l’inverse, elle pourra augmenter sa participation pour inciter les médecins à s’installer dans des régions où les médecins manquent, c’est à dire des zones rurales ou certaines banlieues réputées difficiles par exemple. La prise en charge par les caisses des cotisations sociales des professionnels libéraux représente un investissement financier important pour la collectivité (plus de 8 milliards de francs par an), il est légitime que la collectivité veille à ce qu’il réponde aux besoins de la population. C’est dans le même esprit que la dernière loi de financement de la sécurité sociale a modifié le mécanisme de préretraite des médecins libéraux en prévoyant que les prestations versées puissent varier selon les régions et les disciplines médicales.

Le conventionnement doit permettre qu’il se diversifie dans son contenu pour tenir compte de la différenciation des besoins selon les zones géographiques et les disciplines médicales et de la spécialisation accrue qu’appellent certaines techniques médicales. En outre, le conventionnement avec l’assurance maladie doit être pour les patients une garantie de qualité. C’est pourquoi il est proposé une certification périodique des professionnels par la communauté scientifique et médicale (et non pas par l’assurance maladie) à l’aide de critères d’évaluation des compétences. L’assurance maladie ne devrait plus conventionner un praticien qui ne satisferait pas aux conditions minimales de compétence définies par ses pairs. Ce conventionnement éclairé ne porte nullement en lui-même une quelconque contestation du monopole de l’assurance maladie car il ne laisserait de côté que les rares professionnels qui pourraient éventuellement ne pas remplir les conditions minimales de compétence définies par la communauté scientifique. Dans ce cas, c’est la question même de la poursuite d’une activité médicale par ce professionnel qui se posera aux pouvoirs publics ou à l’Ordre des médecins, ou à au moins celle des modalités de sa remise à niveau.

Le deuxième groupe de propositions a trait à la participation des assurés sociaux à la démarche qualité. Paradoxalement les assurés ne seront pas forcément les plus aisés à convaincre car pendant de nombreuses années les patients ont bénéficié d’une totale liberté, la liberté de l’aveugle sans guide. Il convient d’inciter les patients à ne pas rompre la chaîne des soins pour éviter qu’un professionnel de santé ignore l’histoire sanitaire d’un patient, ses consultations précédentes, ses épisodes thérapeutiques mais seulement ce que le patient veut ou sait lui dire. Dans cette optique le carnet de santé est un outil indispensable à la qualité des soins et il serait souhaitable de faire varier le taux de prise en charge des soins selon que le patient accepte ou non de s’en servir et prévoir que les médecins ne puissent pas refuser de le remplir.

Une autre mesure consiste à offrir une meilleure prise en charge des soins aux patients qui choisissent un système organisé qu’il s’agisse d’un médecin référent ou d’un réseau de soins.

Un troisième groupe de mesures consiste à mieux cerner l’activité médicale et à adapter le paiement de cette activité à son contenu. On en trouve une illustration dans la réforme de la prise en charge de la dialyse rénale qui est particulièrement intéressante car elle montre que d’adapter une prestation à l’évolution des techniques médicales non seulement améliore la qualité du service rendu à la population mais en même temps génère des économies. En effet, les mécanismes de tarification favorisent aujourd’hui les modes de prise en charge les plus lourds.

Mais l’exemple qui occupe une place importante dans le plan de la CNAMTS est celui qui a trait à la réforme du mode de prise en charge des soins hospitaliers. En effet, le budget global a eu sans conteste son utilité lors de sa mise en place. De l’avis de tous, il est devenu désormais sclérosant, empêchant notamment les hôpitaux publics de qualité de se développer. Il convient de sortir de ce carcan et de mettre en place un mode de financement qui prenne en compte la nature et la qualité de l’activité d’un établissement et ses spécificités : il s’agit notamment de ses missions de service public. La CNAMTS propose de mener notamment avec les gestionnaires et les professionnels de l'hôpital une démarche de transparence. Il faut isoler ce qui relève de la mission de service public, la formation des professionnels de santé et la recherche, mais aussi par exemple le choix de maintenir pour des raisons géographiques et d’aménagement du territoire, un établissement à faible activité, isoler les données spécifiques aux établissements publics, liées au statut de la fonction publique hospitalière, isoler l’ensemble de ces spécificités pour en garantir le paiement, sans doute par le biais toujours d’un budget global. Il convient de rémunérer l’activité médicale proprement dite et elle devient alors comparable à ce qui se pratique dans les établissements privés lorsque les spécificités ont été prises en compte par ailleurs. Autrement dit, avec un tel mode de financement, les fonds suivent le malade et les soins dont il bénéficie au lieu de le précéder par un financement des structures, quel que soit le lieu où le patient est soigné. C’est une évolution que nombre de responsables appelle de leurs vœux. Pourquoi avoir chiffré cette mesure, si ce chiffrage avait un tel effet d’épouvantail ? Ces données appellent quelques remarques :

- Tout d’abord, ceux-là même qui reprochent ce chiffrage à la CNAMTS l’auraient accusée de vœux pieux ou d’imprécision si elle s’était contenté d’intentions.

- En second lieu, ces chiffrages dont on peut largement débattre n’émanent pas de la CNAMTS pour tout ce qui concerne le coût des spécificités des établissements publics, mais de la direction des hôpitaux elle-même et donc des établissements hospitaliers. S’ils méritent d’être révisés, corrigés, cela sera fait, bien entendu. Mais il faut préciser surtout le sens de cette donnée. L’objectif de la CNAMTS n’est pas de parvenir à une diminution des dépenses de santé, mais de préparer l’avenir. Quel secteur mieux que l’hôpital illustre mieux cette nécessaire évolution de l’offre de soins ? Quand on voit la diminution des durées moyennes de séjour, dans les maternités, en service de chirurgie notamment, comment accepter de se priver des marges de manœuvres que cela libère pour faire face aux besoins encore mal satisfaits, qu’il s’agisse des soins palliatifs, de la prise en charge des personnes âgées ou du médico-social.

Ceux qui traduisent cette proposition en nombre d’emplois qu’il faudrait supprimer raisonnent comme si le monde était figé, que les besoins de la population n’évoluaient pas.

La dernière proposition est celle qui a trait au médicament. Elle est à elle seule la synthèse de la démarche de la CNAMTS en voulant à la fois rémunérer le service médical rendu, impliquer le patient et responsabiliser le professionnel en fonction de ce qui est son rôle dans le système de soins. La CNAMTS souhaite à terme parvenir à une prise en charge des médicaments sur la base d’un forfait par classe thérapeutique. Cela ne se fera certainement pas du jour au lendemain, car cela suppose plusieurs étapes.

Tout d’abord, concentrer le rôle du médecin sur ce qui est sa fonction noble, celle du diagnostic et du choix de la thérapeutique. Cela passe par la prescription d’une molécule. En revanche, le choix de la marque industrielle de la molécule n’est pas un élément intrinsèque de la décision médicale. D’ailleurs les médecins apprennent à prescrire par molécules, ce n’est qu’ensuite qu’ils sont démarchés par les marques et la France est un des rares pays où la législation interdit aux médecins de prescrire par molécule.

Ensuite, redonner au pharmacien un rôle de professionnel de santé, compte tenu de ses connaissances en pharmacologie, c’est-à-dire lui donner le rôle du choix du produit et de sa marque, qui correspondent au choix thérapeutique du médecin. Enfin, informer le malade, afin qu’il s’enquière auprès du pharmacien des conditions de remboursement du produit qui lui est délivré.

Tout cela prendra du temps, c’est pourquoi, là comme ailleurs, une démarche progressive est proposée.

Il faut maintenant préciser ce que ce plan n’est pas.

Tout d’abord, ce n’est pas un plan d’économies. Il a pourtant été présenté comme tel par de nombreux commentateurs. C’est là un effet de l’habitude, ou de la facilité. Si tel avait été l’objectif, les recettes sont connues et beaucoup plus simples, même si elles sont injustes : il suffisait de prôner des déremboursements. C’est un plan d’action sur le système de soins et cela n’empêche pas qu’en agissant de la sorte, il est certain que des marges financières seront dégagées. Voilà la raison des chiffrages auxquels il a été procédé. Les chiffres attirent toujours davantage l’attention que les idées. Car les orientations stratégiques, non chiffrées, que le conseil avait adoptées en octobre dernier n’avaient pas attiré autant de commentaires, bien qu’elles aient comporté les mêmes lignes directrices que le plan d’action qui en est aujourd’hui la traduction opérationnelle.

L’objectif n’est pas de diminuer les dépenses, mais d’en contrôler l’évolution pour faire face à l’avenir, et si l’ensemble des mesures qui sont proposées ont une incidence financière, c’est bien parce que le système est aujourd’hui complètement inorganisé. Un quotidien révélait récemment qu’au sein du tout nouvel Institut national de la veille sanitaire, il avait été présenté le bilan des programmes de dépistage du cancer du sein développés dans une trentaine de départements pilotes. Il en ressort qu’en France 30 % des appareils de mammographie ne seraient pas aux normes. Or, la qualité du diagnostic dépend pour une large part de la qualité du matériel radiologique. Le président du principal syndicat des radiologues, qui ne nie pas cette situation, préconise aux femmes déjà dépistées de refaire cet examen de dépistage pour être vraiment fixées. On peut aisément mesurer les risques individuels que fait courir aux femmes cette absence de qualité, mais on mesure également les conséquences financières qu’elle fait supporter à la collectivité qui devra prendre en charge un second examen, pour compenser les défauts du premier. Cet exemple montre qu’il n’est pas proposé de réserver certaines pratiques médicales à des professionnels habilités pour faire des économies. En revanche, il est certain qu’en mettant en œuvre cette habilitation, la qualité des soins sera améliorée et qu’en même temps les dépenses qui y sont liées seront mieux maîtrisées.

Le plan d’action de la CNAMTS n’est pas non plus un plan d’autonomie ni une revendication de pouvoir pour le pouvoir. Ce plan s’inscrit, à chaque ligne, dans une démarche de santé publique, prérogative première des pouvoirs publics et du Parlement en premier lieu. Aux pouvoirs publics de définir les besoins de soins et, par voie de conséquence, les besoins en professionnels de santé. La CNAMTS n’entend nullement se substituer à cette responsabilité des pouvoirs publics. A l’inverse même, dans les orientations qui ont été votées en octobre dernier, la CNAMTS appelait de ses vœux non seulement le vote annuel d’une loi de financement de la sécurité sociale, mais plus avant, une loi-cadre pluri-annuelle de santé publique qui aurait été le cadre de l’action de chacun des acteurs du système. Cette demande ne sera en rien changée, car les questions de santé publique méritent de se placer dans une perspective plus longue que l’année civile.

Après la définition des besoins, la notion de qualité des soins, qu’il s’agisse de référentiels de bonne pratique ou des critères de compétence qui permettront de certifier les médecins ne sont pas non plus définis par la CNAMTS ; ils le sont par la communauté scientifique et médicale. En revanche, ce que la CNAMTS estime relever de sa compétence, c’est tout d’abord, par une expertise conjointe de son service médical et de la communauté scientifique, la mesure de l’utilité des soins. C’est ensuite, et c’est là une responsabilité entière, le coût des soins.

Ce plan n’est pas non plus une approche institutionnelle du système de soins. La volonté de replacer le patient au cœur des préoccupations amène à présenter un ensemble cohérent de la chaîne de soins. Peu importe dans cette approche qui est responsable, de l’Etat ou de l’assurance maladie, ce qui importe c’est que les besoins de soins soient satisfaits et dans les meilleures conditions. Aux institutions ensuite de s’adapter, et non pas l’inverse. C’est ce qui est proposé.

Selon certains, la CNAMTS s’occuperait de ce qui ne la regarde pas, son domaine d’intervention serait la médecine de ville, le reste relevant de la responsabilité des pouvoirs publics. Il faut aller beaucoup plus loin et il ne s’agit pas d’une quelconque boutade. La médecine de ville, comme l’hôpital, relève de la responsabilité des pouvoirs publics, il n’y a pas de frontière institutionnelle en la matière, car ce sont les pouvoirs publics qui doivent définir la politique de santé, les besoins, y compris en médecine de ville. L’assurance maladie, et les partenaires sociaux et mutualistes qui la gèrent ne revendiquent pas de décider de la politique de santé, ils demandent à disposer des moyens nécessaires pour s’inscrire dans le cadre défini par la puissance publique et répondre aux objectifs qui lui auront été fixés.

Lorsque ce cadre est défini, alors la délégation de gestion confiée aux partenaires sociaux peut s’exercer, et il est vrai que des progrès sont encore à faire dans la définition de cette délégation de gestion et les moyens qui lui sont dévolus, ce sera l’objet de la deuxième convention d’objectifs et de gestion qui doit être conclue entre l’Etat et la Cnamts d’ici la fin de l’année 1999, pour les trois années suivantes.

Au demeurant, la quasi-totalité des mesures que contient le plan de l’assurance maladie, y compris celles qui ont trait à la médecine de ville, ne peuvent avoir un début de mise en œuvre qu’à la condition qu’elles recueillent l’accord des pouvoirs publics et du Parlement en particulier car elles appellent toutes des modifications de textes, législatifs pour un bon nombre d’entre eux.

Ce plan n’est pas non plus une reprise en main du plan national au détriment d’une approche plus locale. Les propositions qui sont faites peuvent parfaitement, elles le doivent même, impliquer les acteurs locaux, au niveau de la région notamment. Pour que l’action des pouvoirs déconcentrés soit efficace et s’inscrive dans le respect de l’équité nationale, il est nécessaire en amont de disposer d’une politique nationale claire et déterminée et des outils juridiques adéquats. Tel est bien la philosophie de cette démarche. De la même façon, la concertation qui est ouverte doit également se dérouler au plan local, les députés mesurant mieux que quiconque la nécessité de ce débat de proximité, avec la population comme avec les professionnels de la santé.

Ce n’est pas non plus un plan liberticide, bien au contraire car il multiplie à l’inverse les possibilités de choix individuels, qu’il s’agisse des patients ou des professionnels. Ce qu’il introduit, mais c’est intrinsèque à l’exercice d’une liberté de choix, c’est l’explicitation ouverte et claire des conséquences des choix offerts.

Enfin, ce n’est pas le plan d’un seul homme, ni même d’une seule administration, c’est un plan porté par une large majorité du conseil d’administration de la Cnamts, un plan qui traduit l’engagement d’une majorité de gestion, composée des partenaires sociaux et mutualistes. Derrière ce plan, derrière l’avenir qu’il propose pour le système de soins et pour l’assurance maladie, c’est aussi une forme du contrat social en France qu’il met en jeu.

Voilà les grandes lignes de l’ambition de l’assurance maladie pour le système de soins du troisième millénaire. Voilà ce dont il va être débattu avec le plus grand nombre, pour enrichir, amender et compléter cette approche d’ensemble du système afin que chacun, ensuite, puisse agir au service de la santé de la population.

Le président Jean Le Garrec, après avoir considéré qu’il était important d’insister sur la responsabilité du Parlement en matière d’évolution du système de santé, comme en témoignent la réflexion préparatoire actuellement menée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale et la demande faite au Gouvernement d’un débat en séance publique sur le bilan des états généraux, s’est félicité de la volonté de la CNAMTS d’organiser une réflexion stratégique dans une perspective de long terme. Il convient cependant de distinguer, parmi les moyens d’action retenus, ceux dont l’application peut être immédiate, ceux qui nécessitent des modifications législatives et ceux qui relèvent, pour le moment, d’une réflexion s’inscrivant dans la longue durée.

Il a ensuite posé des questions sur la façon dont la CNAMTS aborde l’informatisation – sachant qu’il faut bien distinguer la télétransmission des feuilles de soins de l’informatisation des professionnels de santé en vue d’améliorer leurs pratiques – et la régionalisation.

M. Claude Evin s’est également félicité de l’initiative prise par la CNAMTS de mener une réflexion stratégique non seulement sur la prise en charge des remboursements mais également sur la politique nationale de santé publique. Il convient cependant de ne pas tomber dans le piège de l’élaboration d’un énième plan censé régler de manière immédiate et définitive tous les problèmes de l’assurance maladie, alors que l’expérience a montré que toute évolution dans ce domaine est lente et difficile, et nécessite énormément de détermination.

Il a ensuite formulé les observations suivantes :

- Il est anormal que le Parlement soit désormais obligé de « valider» la quasi totalité des conventions nationales passées entre les caisses et les praticiens, suite aux annulations par le Conseil d’Etat ou que faute de convention avec les spécialistes, l’Etat soit obligé de conduire les négociations avec chaque profession, en lieu et place des partenaires sociaux. Il faut donc se demander si le mécanisme de convention nationale créé par la loi du 3 juillet 1971 est toujours adapté.

- Pour ce qui est de la régionalisation, on assiste clairement depuis quelques années à une réorganisation du système de santé autour de ce principe, comme en témoignent la création des agences régionales de l’hospitalisation, des conférences régionales de santé, des unions régionales des caisses d’assurance maladie ou encore des unions régionales de médecins. La régionalisation permet notamment une meilleure connaissance des besoins de santé et doit être encore développée.

- Enfin, il serait intéressant de connaître les suites que la CNAMTS entend désormais donner à sa réflexion stratégique.

En réponse, M. Jean-Marie Spaeth a donné les indications suivantes :

- Le document de réflexion présenté aujourd’hui ne constitue pas un plan supplémentaire, il a pour but de donner à la CNAMTS un fil conducteur pour son action à long terme.

- Développer une approche régionale ne peut exonérer d’une réflexion globale sur le système, la qualité et l’organisation des soins. Si les décisions peuvent être déconcentrées, la réflexion préalable sur les orientations fondamentales n’en est pas moins indispensable.

- Contrairement au droit du travail qui fixe des règles de base mais laisse aux partenaires sociaux une marge de manœuvre suffisamment large pour pouvoir négocier, la loi, en matière de sécurité sociale, est tellement précise et contraignante que la liberté de négociation laissée aux caisses et aux prestataires de soins est quasiment inexistante. Le mécanisme conventionnel est donc à revoir dans son ensemble.

- Il existe effectivement deux questions distinctes en matière d’informatisation. La question de l’équipement des cabinets relève du libre choix des praticiens, même si un système d’aide a été mis en place. En revanche, en matière de transmission des feuilles de soins, le rôle incitatif de la CNAMTS pourrait être renforcé par la mise en place d’une aide spécifique et pérenne de trente centimes par feuille de soins télétransmise. Des freins techniques doivent cependant encore être levés afin d’assurer la compatibilité du logiciel retenu pour la télétransmission avec n’importe quel type autre de système.

- Enfin, pour ce qui concerne les suites données à ce plan stratégique, la CNAMTS organisera tout d’abord le 19 avril prochain une réunion de l’ensemble des directeurs régionaux et des médecins-conseils. Des rencontres avec les responsables de caisses primaires et avec les différents responsables syndicaux sont également envisagées. Il serait aussi souhaitable de mener le débat au niveau local avec les professionnels de santé et les assurés sociaux eux-mêmes. L’ensemble de ces consultations permettra à la CNAMTS de déterminer les modifications juridiques attendues.

M. Yves Bur, après avoir souligné la nécessité de ne pas reporter sur les futures générations les conséquences de l’incapacité actuelle à ne pas maîtriser les dépenses de santé, a insisté sur le mauvais fonctionnement du système de soins, que démontre d’ailleurs le débat sur la couverture maladie universelle (CMU). Il a ensuite posé des questions sur :

- l’avenir de la démocratie sociale ;

- la nécessité d’obtenir un consensus large sur les réformes plutôt que de voir, comme depuis deux ans, un gouvernement alterner la prudence excessive puis la réforme brutale ;

- les répercussions du système du tiers-payant sur l’évolution des dépenses ;

- les conséquences financières de la mise en place de la CMU sur les comptes de la sécurité sociale ;

- les moyens concrets qui permettent d’escompter la réalisation de quinze milliards de francs d’économies grâce au plan stratégique de la CNAMTS.

M. Jean-Michel Dubernard a rappelé que si tout le monde s’accordait sur l’objectif consistant à replacer le malade au cœur du système de santé, la vision quotidienne que pouvait avoir le praticien était loin de permettre de juger que cet objectif était atteint. A l’heure actuelle, la qualité des soins diminue et les inégalités s’aggravent. Le plan présenté par la CNAMTS s’ajoute aux réformes précédentes, il est élaboré par des intellectuels qui ne songent qu’à copier des réformes menées dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis et au Canada alors que ces réformes ont en grande partie échoué.

Il est indispensable de partir des besoins du malade ou plus exactement de l’interface qui existe entre le malade et le système de soins. Dans cette perspective, le constat qui peut être mené à partir de la vie à l’hôpital est particulièrement préoccupant. Les professionnels manquent parfois même d’ustensiles de base.

Il convient donc d’harmoniser les moyens de financement entre hôpitaux privés et hôpitaux publics et de sortir des systèmes actuels de budget global et de PMSI au profit d’un système permettant d’avoir un coût par type de pathologie. De surcroît, il faut donner toute sa mesure à l’ordonnance de 1996 en réorientant les petits hôpitaux qui fonctionnent parfois avec des médecins non qualifiés et en redéployant les moyens au sein des centres hospitaliers universitaires.

M. Pierre Hellier a posé des questions sur :

- l’implantation géographique des médecins ;

- le carnet de santé obligatoire qui impliquera la mise en circulation d’un nouveau document mais aussi un consensus sur son utilisation ;

- le rôle des mutuelles et son évolution compte tenu de la mise en place de la CMU.

M. Bernard Accoyer, après avoir souligné que Mme Martine Aubry avait longtemps nié la réalité, c’est-à-dire le retour du déficit pour l’assurance-maladie, a indiqué qu’un effort particulier devait désormais être mis en œuvre en matière de qualité des soins, de procédures d’accréditation et d’outils d’évaluation. L’article 37 du projet de loi sur la CMU va à l’encontre de ce qui est recherché à travers le codage des actes. Il est prévisible que le nouveau système, c’est à dire le volet médical pour la carte santé, ne fonctionnera pas mieux que l’ancien. Il convient donc de s’interroger sur l’avenir de l’assurance maladie : si la CNAMTS choisit ses partenaires, son monopole pourrait être remis en cause.

M. Jean-Paul Bacquet, après avoir indiqué que l’adhésion des médecins à une stratégie de réforme était fondamental, a posé des questions sur :

- l’implantation géographique des médecins ;

- l’aberration consistant dans la baisse de la valeur de l’acte, et donc dans la multiplication des actes ;

- la nécessité d’évaluer les pratiques médicales plutôt que les connaissances hospitalo-universitaires ;

- la mise en place de système d’évaluation, notamment par les pratiques de codage, permettant d’aboutir à ce qu’un psychiatre très bien rémunéré n’ait pas, comme on a déjà pu le constater, seulement trois patients réguliers ;

- la nécessité d’encourager l’informatisation par des mécanismes d’intéressement tel qu’une dispense du droit de substitution pour tout médecin disposant d’un logiciel de génériques à jour ;

- la mise en place du guichet unique, seul système permettant d’assurer le fonctionnement du tiers-payant.

M. Jean-Luc Préel a posé des questions sur l’état des relations entre l’Etat, les caisses d’assurance maladie et les professionnels de santé, d’une part, et d’autre part, l’accord signé, dans la perspective de la mise en place de la couverture maladie universelle, entre la CNAMTS et les pourvoyeurs d’assurances complémentaires, à savoir les associations de prévoyance, les assurances, et les mutuelles.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Marie Spaeth, président de la CNAMTS, a donné les éléments suivants :

- Les fondateurs de la sécurité sociale ont considéré, dès l’origine, qu’à côté de la démocratie politique devait se développer une véritable démocratie sociale. Alors que de nombreuses élections professionnelles ont lieu régulièrement dans le secteur social, elles sont plus difficiles à mettre en place dans celui de la santé ; mais on peut s’interroger sur l’intérêt d’élire des personnes qui ne disposeront ensuite que de faibles pouvoirs. C’est une des raisons pour lesquelles il convient aujourd’hui de définir un véritable champ de compétence pour les partenaires sociaux.

- Ce qui nuit au bon fonctionnement de la CNAMTS est la mauvaise articulation entre la caisse elle-même et le système de soins. Il convient aujourd’hui de replacer l’assurance maladie dans un cadre plus large et de construire un système de santé qui parte réellement des besoins des patients.

- Il n’est nullement question de mettre en œuvre un système de conventionnement des professionnels de santé fondé sur l’exclusion de certains d’entre eux. Cependant, tous ces professionnels ne pourront pas être conventionnés selon les mêmes modalités. Il est clair qu’aujourd’hui l’offre de soins n’apparaît pas adapté à la demande.

- En ce qui concerne l’hôpital, le système du coût à la pathologie doit être mis en place mais en partant de l’outil que constitue le PMSI.

- Pour ce qui est de l’accord signé avec les complémentaires dans le cadre de la couverture maladie universelle, il n’est nullement besoin de conférer à cet accord une base législative. Les relations entre la Caisse et ceux-ci doivent rester dans la sphère contractuelle.

- S’agissant du tiers-payant et de son éventuel effet inflationniste sur le niveau des dépenses de santé, il faut rappeler que l’option retenue dans notre pays a d’abord consisté à solvabiliser les patients alors que d’autres pays se sont attachés à répondre à la demande de soins. Il a ensuite fallu organiser un autre système dans lequel le prix des consultations est dans un premier temps à la charge des patients mais il est clair que le patient n’entretient pas une relation d’égal à égal avec son médecin. Le plan Juppé avait d’ailleurs cherché à responsabiliser davantage les prescripteurs, et non les seuls assurés. La proposition de la CNAMTS consiste aujourd’hui à assurer un équilibre plus satisfaisant entre ces deux acteurs essentiels du système de santé.

- Concernant les relations entre les responsables de la CNAMTS et le Gouvernement, il faut relever que l’existence d’ambiguïtés structurelles dans le système actuel de santé implique automatiquement des difficultés de compréhension. Cependant, il convient de souligner la convergence de vues entre le président de la Caisse et la ministre de l’emploi et de la solidarité en matière de qualité des soins et d’égalité de l’accès aux soins.

- Il convient de s’interroger sur le niveau du prix de l’acte. Il est avéré qu’en France, les médecins ont tendance à prescrire de façon excessive. Certes une certaine pression de leurs propres patients peut s’exercer sur eux. Il n’en reste pas moins urgent de mettre en place une démarche partenariale associant l’ensemble des professionnels de la santé sur ce problème spécifique à la France.

M. Gilles Johanet, directeur général de la CNAMTS, a fourni les informations suivantes :

- Le codage de la biologie est achevé et va permettre des gains de productivité considérables. Il s’est toutefois heurté à un problème d’obsolescence de la nomenclature qui a nécessité au préalable une redéfinition complète des actes. Cet exemple montre que les outils sont complètement périmés.

- La réalisation du guichet unique repose sur la bonne volonté des quinze régimes généraux d’assurance maladie ainsi que des sept cents caisses d’assurance maladie complémentaire. Il est permis d’affirmer que le dialogue, entamé il y a dix ans, est sur la bonne voie.

Le professeur Hubert Allemande, médecin-conseil de la CNAMTS, a souhaité que les références médicales opposables (RMO) conduisent à une bonne pratique de qualité. Si l’on veut parvenir à réduire l’énorme gaspillage actuel, il est indispensable de coordonner l’habilitation, l’encadrement de certaines pratiques ainsi que l’établissement du carnet de santé. Il est grand temps de passer des constats de dysfonctionnements d’un système de soins très luxueux à la mise en œuvre de propositions concrètes.


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