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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION des AFFAIRES CULTURELLES,
FAMILIALES ET SOCIALES

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 12 mai 1999
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Jean Le Garrec, président

puis de M. Jean-Paul Durieux, vice-président.

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. André Aschieri tendant à créer une commission d’enquête sur les dangers pour la santé des populations des amalgames dentaires à base de mercure et le contrôle de leur utilisation en France – n° 1480 (M. Pascal Terrasse, rapporteur) .



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- Examen de la proposition de résolution de M. François Goulard visant à créer une commission d’enquête sur la Bibliothèque nationale de France – n° 1493 (M. Patrick Bloche, rapporteur).

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- Examen de la proposition de loi de M. Edouard Balladur relative à l’actionnariat des salariés – n° 1513 (M. Jacques Kossowski, rapporteur)


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La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Pascal Terrasse, la proposition de résolution de M. André Aschieri tendant à créer une commission d’enquête sur les dangers pour la santé des populations des amalgames dentaires à base de mercure et le contrôle de leur utilisation en France – n° 1480.

M. Pascal Terrasse, rapporteur, a indiqué que selon le texte de la proposition, la création d’une commission d’enquête permettrait, d’une part, d’analyser les possibles effets sur la santé du relargage, dans l’organisme, du mercure contenu dans les amalgames dentaires et d’autre part, de veiller à l’application des recommandations de limitation d’emploi des amalgames dentaires établies par le Conseil supérieur de l’hygiène publique de France dans son avis du 19 mai 1998.

La recevabilité de la proposition de résolution doit s’apprécier au regard des dispositions conjointes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l’Assemblée nationale.

La première condition de recevabilité est relative à la définition précise qui doit être donnée des faits pouvant donner lieu à enquête. En l’espèce, la proposition de résolution apparaît suffisamment détaillée sur les dangers pour la santé publique que pourrait entraîner, selon certaines études scientifiques, l’utilisation de mercure dans les amalgames. On peut donc considérer que cette condition est remplie.

La seconde condition, plus substantielle, concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire et interdit à l’Assemblée nationale d’enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Par lettre du 4 mai 1999 adressée à M. le Président de l’Assemblée nationale, Mme Elisabeth Guigou, Garde des sceaux et ministre de la justice, a confirmé que les faits qui ont motivé le dépôt de la présente proposition de résolution ne font pas l’objet de poursuites judiciaires.

La proposition de résolution est donc parfaitement recevable.

L’opportunité de la création d’une commission d’enquête est contestable dans la mesure où une telle commission ne semble pas être le meilleur moyen d’éclairer le Parlement sur ce problème.

De nombreuses études scientifiques présentent des résultats contradictoires sur les dangers pour la santé du phénomène de relargage du mercure contenu dans les amalgames dentaires.

L’amalgame dentaire ou « plombage » est un bio-matériau métallique constitué d’un système métallique très complexe. Il est schématiquement composé d’un alliage comprenant, pour l’essentiel, de l’argent, de l’étain et du cuivre, auxquels sont parfois ajoutés, en quantité mineure, du zinc, du palladium ou de l’indium. Cet alliage est « trituré » avec du mercure purifié, entrant à près de 50 % dans le poids du composé final. L’inquiétude est née d’une possible évolution de la structure d’une telle prothèse au sein de la cavité buccale pouvant entraîner dans l’organisme un relargage du mercure, substance très toxique.

La controverse a débuté avec les études d’une équipe canadienne dirigée par Murray Viny entre 1985 et 1990 qui estiment à 20 mg de mercure par jour pour douze amalgames le niveau d’absorption pulmonaire du mercure, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fixe à un millionième de gramme par litre le maximum admissible dans l’eau de boisson. Des expérimentations ont été menées sur les animaux, en particulier sur des brebis ayant reçu douze plombages, et ont démontré la présence de mercure dans divers organes ainsi que dans leur fœtus jusqu’à 9 mg par kilo dans les reins. Un rapport de l’Université de Tübingen en Allemagne portant sur l’analyse d’échantillons de salive prélevés sur des porteurs d’amalgames démontre par ailleurs qu’un bon tiers de ces sujets présente, dans leur salive, une teneur en mercure plus de cinquante fois supérieure au taux maximum fixé par l’OMS pour l’eau potable.

Les données médicales sur la toxicité du mercure inorganique dans l’organisme pour des expositions supérieures à cinquante microgrammes/m3 démontrent de manière indubitable que ces intoxications mercurielles peuvent provoquer des stomatites, des atteintes neurologiques portant essentiellement sur le système nerveux avec modification des fonctions supérieures (mémoire, concentration), des asthénies, céphalées et troubles de l’humeur. Par ailleurs, il est prouvé que la pose et la dépose d’amalgames, la mastication de gomme à mâcher, le bruxisme (grincement des dents) et à un degré moindre le brossage des dents peuvent aggraver le relargage du mercure présent dans les amalgames.

Cependant, des contre-études scientifiques démontrent que des erreurs de calculs provenant de fausses interprétations du volume d’air, des quantités exhalées ou avalées et de la durée de la collecte auraient pu être commises et ont faussé les conclusions des études précitées. Les calculs sur l’expérimentation animale ont ainsi été repris dans une étude qui a montré qu’en réalité ces moutons présentaient une fonction rénale améliorée et que la baisse des « filtrations glomérulaires » provenait plus d’une diminution de la prise alimentaire que de la présence d’amalgames. D’autres études plus fiables tenant compte, en particulier, de la physiologie de la respiration restent bien en-dessous des seuils minimaux fixés par l’OMS.

L’OMS a organisé, en mars 1997, une réunion d’experts internationaux. Ils ont considéré que l’utilisation des matériaux courants de restauration, y compris l’amalgame, est sûre et efficace et que l’amalgame offre, en particulier, des avantages certains tels que d’excellentes propriétés physiques et un bon rapport coût-efficacité.

La Commission européenne a engagé des travaux sur ce thème dès 1995 et a communiqué au ministère de la santé un projet de rapport qui conclut qu'aucune donnée ne prouve que les amalgames dentaires feraient courir un risque inacceptable pour la santé de la population. Les niveaux de mercure trouvés dans les tissus, le sang et les urines des porteurs d’amalgames sont très inférieurs aux taux d’alerte (taux de dépendance). Rien ne justifie donc la dépose des amalgames en dehors d’un diagnostic confirmé d’allergie à ce matériau.

L’avis du Conseil d’hygiène publique de France du 19 mai 1998 relatif à l’amalgame dentaire déclare ainsi que « la dose quotidienne absorbée est généralement inférieure à 5 microgrammes et que d’une manière générale, l’apport de mercure lié à l’amalgame en bouche est insuffisant pour produire des effets pathologiques liés à la dose ». Les amalgames dentaires libèrent certes de faibles quantités de mercure mais celles-ci sont partiellement absorbées. Une seule pathologie s’avère liée aux amalgames avec la survenue, qualifiée d’exceptionnelle, de réactions locales lichénoïdes, souvent associées à une allergie au mercure. Dans ces cas rares d’allergies, la dépose des amalgames et leur remplacement par d’autres matériaux entraînent dans 90 % des cas la disparition totale ou partielle des signes cliniques. Le Conseil d’hygiène publique de France en conclut qu’en l’état des données disponibles, étant donné l’évaluation du rapport bénéfice-risque, « l’interdiction des obturations à base d’amalgames ne se justifie pas, non plus que leur retrait systématique ».

De la même façon, dans le rapport du 9 novembre 1998 élaboré par sa commission d’enquête sur l’amalgame, le conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes considère que « l’analyse détaillée de la littérature scientifique ne montre pas pour (le mercure) d’effets secondaires nocifs pour l’organisme humain à l’exception de rares cas d’allergies et de réactions locales de type lichénoïde ». En revanche, le rapport met également en évidence les sérieuses difficultés qu’il y aurait à vouloir utiliser d’autres matériaux (résines composites, ciments, verre ionomère, composés hybrides, céramique et gallium) tant du point de vue économique que du fait d’autres risques sanitaires potentiels (infection microbienne).

Un certain nombre de précautions sont préconisées par ces deux instances. Le secrétariat d’Etat à la Santé a suivi ces recommandations. L’objectif du ministère n’est pas d’interdire les amalgames dentaires ou de recommander leur retrait mais de rappeler et de diffuser un certain nombre de précautions d’emploi.

Parmi ces précautions, on peut citer :

- l’utilisation des amalgames dits « de nouvelle génération » qui doivent être utilisés sous un conditionnement en capsules pré-dosées. Cette recommandation présente un double intérêt : d’une part, elle permet de réduire de façon conséquente les émissions de vapeur de mercure lors de la préparation de l’amalgame car le conditionnement sous forme pré-dosée réduit la manipulation du mercure, d’autre part les nouveaux amalgames libèrent moins de mercure car ils sont plus résistants à la corrosion. Un arrêté est en préparation dans cette optique ;

- l’usage de techniques adhésives dans le cas de petites lésions ;

- la réalisation sous refroidissement et aspiration des opérations de fraisage et de polissage des amalgames afin de limiter la volatilisation du mercure lors de son utilisation ;

- la prudence dans la pose et la dépose d’amalgames pour les femmes enceintes ou allaitantes, la libération de mercure lors de ces opérations pouvant conduire à une exposition fœtale dont les effets ne peuvent pas actuellement être définis ;

- l’arrêt de consommation fréquente de gomme à mâcher.

En outre, suite aux travaux et discussions évoqués précédemment, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a été chargée de mettre au point une norme de dosage du mercure afin de réduire le phénomène de relargage de celui-ci. Des niveaux de sécurité au risque mercuriel des amalgames peuvent être définies par un test électrochimique. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé organise des essais inter-laboratoires pour élaborer ce test qui déterminera le niveau de sécurité des amalgames vis-à-vis du relargage du mercure. Les résultats de ces essais permettront d’identifier les dispositifs dangereux qui pourront être interdits en application de l’article L. 793-5 du code de la santé publique.

De réelles mesures de précaution vont donc être mises en place.

En conclusion, malgré les controverses concernant l’amalgame, aucun pays n’a interdit son utilisation. Mais certains pays ont recommandé de limiter l’usage des amalgames pour les femmes enceintes, les jeunes enfants et les insuffisants rénaux (Allemagne, Suède, Canada …)

Le problème posé par les amalgames dentaires est donc un problème sanitaire important mais ce n’est pas une commission d’enquête qui pourra le résoudre. Une commission d’enquête n’a pas les capacités techniques d’une telle expertise scientifique. En revanche, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques serait à même de réaliser une telle expertise. En effet, selon l’article 6 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée, l’Office « a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses décisions. A cet effet, il recueille des informations, met en œuvre des programmes d’études et procède à des évaluations. ». Il est donc tout à fait approprié pour faire procéder à un bilan de l’état des connaissances en matière d’amalgames dentaires et formuler des recommandations sur leur usage.

Au bénéfice de l’ensemble de l’ensemble de ces observations, il convient de rejeter la proposition de résolution n° 1480.

Après l’exposé du rapporteur, M. André Aschieri a tout d’abord rappelé que lors de l’examen du projet de loi relatif à la sécurité sanitaire, il avait déposé un amendement tendant à ce que le contrôle des amalgames dentaires entre dans la compétence de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé d’avancer déjà dans l’étude de la question.

Il s’est ensuite félicité de la qualité des informations fournies par le rapporteur. Il faut toutefois ajouter que dans certains pays les amalgames au mercure sont interdits. En outre, le Conseil supérieur de l’hygiène public, si il n’a pas établi de dangers directs, a bien mis en avant les risques que ces amalgames pouvaient faire courir dans certains cas, par exemple aux femmes enceintes ou aux personnes souffrant d’insuffisance rénale, et a convenu que des précautions devaient être prises.

Cinquante plaintes relatives à ce sujet ont été déposées en France et la justice est également saisie en Allemagne pour mille cinq cent cas.

Le livret de l’Ordre des chirurgiens-dentistes expose que des données concordantes confirment le passage du mercure vers les organes cibles de l'organisme et indiquent les précautions à prendre. Il serait souhaitable que la mise sur le marché des amalgames passe par la procédure de l’autorisation ce qui n’est pas le cas car ils ne sont pas considérés comme des médicaments. En effet, pour redonner confiance aux gens, il faut leur dire la vérité.

Même si cela doit passer par une autre procédure que la création d’une commission d’enquête, il importe donc de faire toute la lumière sur cette question pour qu’on ne puisse pas ensuite reprocher aux responsables politiques de ne pas avoir agi à temps et pour tranquilliser la population. En effet pour redonner confiance aux gens, il faut leur dire la vérité.

M. Yves Bur a estimé qu’il serait inopportun de créer une commission d’enqupete sur chaque produit sanitaire faisant l’objet de controverse.

L’Allemagne et la Suède sont à l’origine du questionnement actuel sur les amalgames dentaires contenant du mercure, sous l’influence du lobby des métaux précieux. Les dentistes concernés ont pris le problème au sérieux : le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes a publié un fascicule contenant un certain nombre de précautions d’emploi et n’a pas conclu à une dangerosité particulière de ces produits. En réalité, les doses de mercure libérées sont huit fois inférieures au niveau considéré comme dangereux.

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia a déclaré partager cette analyse et a indiqué que le port d’un amalgame dentaire équivalait, en termes de quantités de mercure libéré dans l’organisme, à la consommation d’un repas hebdomadaire de poisson.

M. Edouard Landrain a signalé que, pour autant qu’il existait, le problème de la dangerosité du port d’amalgames dentaires était surtout d’ordre électrique en raison des phénomènes d’électrolyse, de niveau comparable au risque encouru lors de l’utilisation de fours à micro-ondes ou de téléphones portables.

M. René Couanau s’est exprimé également contre la multiplication des commissions d’enquêtes. Sur le sujet des amalgames, le Conseil de l’Ordre des chirurgiens-dentistes ainsi que le Conseil d’hygiène publique ont pris position.

Si le pouvoir politique, par le biais d’une commission d’enquête, se substitue aux professionnels compétents, il prend le risque de les déresponsabiliser et de remettre en cause l’existence et le rôle des organismes techniques chargés d’étudier ce type de problème. Il convient donc que chacun reste dans son domaine de compétence.

Le président Jean Le Garrec a exprimé son accord avec MM. Yves Bur et René Couanau sur la nécessité d’user avec mesure de la création de commissions d’enquêtes parlementaires. Il a indiqué que si la commission rejetait la proposition de résolution, il saisirait l’Office des choix scientifiques et technologiques.

M. André Aschieri a rappelé que le mercure ingéré aboutissait toujours dans le cerveau et, qu’à ce jour, aucune étude épidémiologique systématique n’avait été effectuée en France au sujet des amalgames dentaires.

Le rapporteur a estimé que si le sujet ne nécessitait pas la création d’une commission d’enquête, des précautions demeuraient à prendre tant pour les patients que pour le praticien, comme la diffusion des amalgames pré-dosés. Il importe cependant de ne pas affoler la population, la dépose inconsidérée des amalgames présentant des risques certains.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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La commission a examiné, sur le rapport de M. Patrick Bloche, la proposition de résolution de M. François Goulard visant à créer une commission d’enquête sur la Bibliothèque nationale de France – n° 1493.

M. Patrick Bloche, rapporteur, a tout d’abord rappelé que cette proposition reprenait les faits exposés dans le dernier rapport annuel de la Cour des comptes et dans celui réalisé en mars dernier par M. Albert Poirot, inspecteur général des bibliothèques.

Aucun argument ne s’oppose à la recevabilité de cette proposition qui concerne la gestion d’un établissement public à propos duquel aucune procédure judiciaire n’est en cours.

Les difficultés rencontrées par la BNF ne sont pas contestables, les faits sont bien connus. Le sujet a donné lieu à quinze rapports. Le principal problème a résidé dans la redéfinition tardive des missions de l’établissement qui en a compliqué la construction.

Dès le 14 juillet 1988, date de l’annonce du projet, il a donné lieu à discussion et à polémiques. L’établissement a connu trois tutelles successives et les travaux ont débuté avec retard. Le principal facteur de désordre dans la réalisation vient du revirement opéré sur la répartition des collections entre les sites Richelieu et Tolbiac initialement envisagée. Alors que le futur site François Mitterrand devait accueillir quatre millions d’imprimés et de périodiques, la modification du projet conduit à en stocker trois fois plus sans que le bâtiment ait fait l’objet de modifications fondamentales.

Un second élément perturbateur tient à l’ouverture de la bibliothèque au public. Ce n’est qu’en octobre 1990 qu’il a été décidé d’opérer une distinction entre les chercheurs et les lecteurs. Cette décision a provoqué une modification de l’organisation des bâtiments, de la conception des accès et de la circulation des documents.

Il a, dans un premier temps, été envisagé que le bâtiment reste totalement inaccessible pendant trois ans et demi. L’impatience des chercheurs a conduit à l’ouvrir au public avant cette date. Le déménagement des fonds et le transfert des personnels ont révélé l’inadaptation du bâtiment. Le stockage dans les tours s’avère une lourde erreur, le personnel de service travaille dans des conditions de total inconfort, bref, le bâtiment n’est pas conçu pour une bibliothèque fonctionnelle.

S’ajoute à ces défauts de construction l’erreur de conception du système informatique : on a choisi une centralisation qui, en cas d’incident même mineur, conduit à sa totale paralysie.

Cependant, toutes ces difficultés ont trouvé des solutions adaptées et proportionnées. Par ailleurs, la BNF essaie de surmonter ses handicaps de départ.

Il faut noter que le dépassement d’investissement des coûts est resté modéré, et que l’enveloppe des coûts de fonctionnement est respectée, ceci en dépit de la dispersion des sites. Le succès rencontré par la BNF est réel : elle a délivré 11 000 cartes (contre 8 500 autrefois à Richelieu) et les salles ouvertes au grande public sont régulièrement saturées.

Enfin, il ne faut pas oublier l’un des aspects les plus innovants de la BNP : le recours à la numérisation et les liens développés avec Internet

En conclusion le rapporteur a indiqué que les erreurs d’origine qui portaient sur l’aménagement des bâtiments, l’informatisation ou les conditions de travail sont parfaitement connues ; les responsabilités des uns et des autres étant par ailleurs répertoriées dans les quinze rapports déjà publiés et les solutions à mettre en œuvre identifiées, la création d’une commission d’enquête sur la Bibliothèque nationale de France n’est pas justifiée.

Après l’exposé du rapporteur, M. Edouard Landrain a regretté que M. Biasini, alors ministre chargé des grands travaux n’ait pas exercé avec suffisamment d’efficacité la surveillance de la construction de cette œuvre « pharaonique » dont on aurait pu faire l’économie et dont les défauts ainsi que l’inadaptation aux besoins avaient, dès l’origine, été dénoncés par un certain nombre de scientifiques. La mise en réseau des documents de la Bibliothèque, solution qui avait été également retenue alors en Grande-Bretagne est, en revanche, un élément positif. Il est vrai que toutes les données sont bien connues à travers les quinze rapports déjà établis et qu’une commission d’enquête ne s’impose pas. Encore faudrait-il ne pas avoir la mémoire courte au sujet des responsables de ces erreurs.

M. Bernard Perrut a exposé qu’un grand nombre de citoyens s’interroge sur le fonctionnement de la Bibliothèque de France. Il appartient donc bien au Parlement d’exercer son pouvoir de contrôle et d’en tirer les enseignements pour l’avenir. L’analyse faite par le rapport ne porte que sur les aspects techniques des dysfonctionnements de la Bibliothèque. Il faut, tout en étant conscient que la commission d’enquête ne saurait remédier aux problèmes d’informatisation, de classement des ouvrages ou de conditions de travail qui ne répondent pas aux besoins, déterminer les responsabilités de chacun.

M. Yves Nicolin a indiqué que la création de la BNF est l’origine d’une situation ubuesque dont les contribuables ont fait les frais tout en portant préjudice à d’autres réalisations qui étaient indispensables tant en province qu’à Paris. Il paraît curieux que si les lacunes et les malfaçons ont pu être mises en évidence, les responsabilités des concepteurs, notamment des architectes, n’ont toujours pas été déterminées, leur permettant ainsi de poursuivre leurs activités.

La commission d’enquête devrait permettre notamment d’établir le coût du rattrapage des erreurs commises lors de la réalisation de la Bibliothèque. Il serait donc dommage de conclure trop rapidement au rejet de sa constitution.

En réponse, le rapporteur a rappelé que la création d’une commission d’enquête ne pouvait se justifier que dans le cadre d’une recherche spécifique en particulier pour lever des secrets ou déterminer de nouvelles responsabilités, ce que les quinze rapports déjà existants ont déjà en fait, tout en proposant des solutions aux problèmes posés par le fonctionnement de la Bibilothèque, largement répertoriés.

On peut donc affirmer que le public est largement informé de ces difficultés. Par ailleurs, au plan des dépenses publiques, un certain nombre de procédures contre les entreprises responsables de surcoûts font l’objet de poursuites judiciaires qui devraient permettre d’en récupérer une partie.

La création d’une commission d’enquête apparaît moins utile, dans ces conditions qu’un suivi régulier du dossier à l’occasion de l’examen de la loi de finances.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution.

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La commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Jacques Kossowski, la proposition de loi de M. Edouard Balladur relative à l’actionnariat des salariés – n° 1513

M. Jacques Kossowski, rapporteur, a tout d’abord rappelé que l’idée de l’actionnariat des salariés s’inscrit dans la droite ligne des thèses développées par le général de Gaulle qui militait pour une étroite association entre le capital et le travail afin d’établir en France un véritable « capitalisme populaire ».

Diverses dispositions ont été prises durant ces quarante dernières années qui ont visé à instituer la participation et l’intéressement des salariés.

L’ordonnance de 1967 a encouragé la mise en place de plans d’épargne d’entreprise favorisant l’épargne individuelle et salariale. Ce texte sera ensuite modernisé par une autre ordonnance en 1986.

La loi du 31 décembre 1970 a introduit le mécanisme des options de souscriptions d’actions grâce auquel des salariés, en pratique essentiellement des cadres, peuvent souscrire ou acheter des actions de la société qui les emploie dans des conditions avantageuses.

La loi du 27 décembre 1973 a eu essentiellement pour objet d’offrir aux salariés l’achat, à des conditions avantageuses, d’actions de leur société, en bourse ou à l’occasion d’une augmentation de capital.

Mais l’actionnariat des salariés a pris un véritable essor durant les premières privatisations de 1986 à 1988. Celles-ci ont constitué une étape essentielle dans le processus d’association liant des Français modestes aux fruits de l’économie. De nombreux salariés ont exprimé alors une forte volonté d’être associés au capital de leur entreprise et ont massivement répondu à l’offre qui leur réservait 10 % des titres mis sur le marché et leur proposait un rabais attrayant de 20 %. Ainsi, aujourd’hui 75% des salariés des groupes privatisés sont encore aujourd’hui actionnaires de la société où ils travaillent. C’est un succès incontestable qu’aucun Gouvernement n’a souhaité remettre en cause. Bien au contraire, l’actionnariat populaire est devenu une véritable composante de notre économie.

Le Gouvernement actuel a intégré cette donnée puisqu’il vient de faire, dans le cadre de la procédure de privatisation, une offre d’une taille considérable aux salariés du Crédit Lyonnais en leur réservant 2,5 à 3 milliards de francs pour une opération estimée globalement à 50 ou 60 milliards de francs.

Il est aujourd’hui important de franchir une nouvelle étape dans le développement de l’actionnariat salarié pour deux raisons essentielles.

Premièrement, ce type d’actionnariat répond à une vraie attente dont la preuve est l’essor sans précédent qu’il connaît depuis 1990. Cet essor résulte évidemment d’une cause structurelle liée à l’accroissement de l’épargne salariale qui a atteint quelque 230 milliards de francs fin 1998. Mais l’actionnariat salarié est désormais une réalité incontournable. 500 000 salariés sont aujourd’hui actionnaires de leur entreprise et 20 000 entreprises ont des salariés actionnaires.

Dans une étude récente, la COB montre que la poursuite de la progression de l’épargne salariale ne s’explique pas seulement par la remarquable tenue du marché des actions en 1998 et par l’importance des opérations de privatisations intervenues cette même année, mais aussi par le succès croissant, au sein des entreprises et auprès des salariés, des mécanismes de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié. Un sondage paru récemment dans Les Echos fait apparaître que 85 % des employés du Crédit Lyonnais veulent devenir actionnaires de leur entreprise.

Deuxièmement, il faut franchir une nouvelle étape dans le développement de l’actionnariat salarié afin que tous les employés se voient ouvrir la possibilité de devenir actionnaire. Les « stock-options » sont ciblées au profit des seuls cadres alors qu’il est important de pouvoir associer au capital de l’entreprise des actionnaires « plus modestes ». C’est ainsi que l’on construira le « capitalisme populaire ».

La proposition de loi poursuit donc deux objectifs : un objectif social et un objectif économique.

D’une part, ce texte initie une nouvelle organisation de l’entreprise reposant sur un partenariat. Il rompt avec le traditionnel antagonisme entre le capital et le travail et favorise aussi une alliance d’intérêts mutuels entre le chef d’entreprise et l’ensemble des salariés. Ces derniers deviennent des « associés » et non plus de simples employés. Il faut souligner que le dispositif proposé est ouvert à tous les salariés qui le souhaitent.

Ce dispositif introduit également un peu plus de démocratie dans l’entreprise. Certes, avec seulement 5 % des actions nouvellement émises, il s’agit d’un pas modeste mais qui ouvrira la voie à d’autres développements plus ambitieux.

Il peut aussi favoriser une épargne de long terme et, pourquoi pas, un complément de retraite facultatif. Face aux importantes difficultés que vont connaître les régimes de retraites dans les décennies à venir, un complément pourrait ainsi être ouvert aux salariés s’ils le souhaitent et l’introduction d’une part de capitalisation individuelle permettrait de dépasser le débat récurrent entre retraite par répartition et par capitalisation.

D’autre part, cette proposition de loi poursuit un objectif économique de responsabilisation des salariés. Quand ces derniers deviennent actionnaires, ils sont plus impliqués dans la stratégie et les résultats de leur entreprise. Leur « intérêt » rejoint celui de la société où ils travaillent pour que la profitabilité soit la plus élevée possible. Permettre aux salariés d’accéder aux produits financiers dégagés par l’entreprise ne peut que produire une saine émulation et une motivation nouvelle aux conséquences positives sur les résultats et l’efficacité économique de l’entreprise. Le partage du profit est donc un moteur pour la croissance et bien sûr pour l’emploi.

Enfin, dernier avantage sur le plan économique l’actionnariat des salariés permet une meilleure stabilité du capital, élément important dans le cadre actuel de la mondialisation des marchés financiers. Un actionnariat salarié fort, peut permettre la constitution d’un pôle de résistance national contre d’éventuels raids étrangers inamicaux.

Il est donc proposé, par l’article 1er de cette proposition de loi, que 5 % des actions nouvellement émises lors d’une augmentation de capital soient offertes aux salariés de l’entreprise à un prix qui devra être inférieur de 50 % au prix d’émission.

Ce régime est obligatoire pour les sociétés cotées en bourse. Ce caractère volontariste du texte est important. En effet, il apparaît normal que la très grande majorité des salariés puissent avoir accès à cette offre et non seulement quelques uns.

Ce régime est en revanche facultatif pour les sociétés non cotées afin de ne pas prendre un risque de déstabilisation dans l’hypothèse où elles n’auraient pas forcément une assise financière suffisante. Cependant, si l’assemblée générale en émet le souhait, ce type de société pourra également faire bénéficier son personnel de cette offre préférentielle.

Pour ce qui est des salariés, le régime est relativement souple, réservant leur choix puisqu’il ne crée aucune obligation de répondre favorablement à cette offre.

Deux limites sont toutefois posées par le texte : d’une part, la valeur des actions proposées ne pourra excéder 100 000 francs, ce qui est déjà un plafond conséquent. Il convient de proposer un dispositif suffisamment intéressant fiscalement, pour rencontrer un écho favorable auprès des salariés les plus modestes tout en ne constituant pas une opportunité trop séduisante pour les personnels d’encadrement bénéficiant déjà des stocks options. D’autre part, les salariés actionnaires devront garder au moins trois ans leurs titres. Il s’agit là de veiller à la stabilité du capital tout en ne créant pas une contrainte trop forte pour les salariés.

En conclusion, il faut insister sur l’actualité d’une telle proposition de loi. De plus en plus d’entreprises multiplient les initiatives dans ce domaine, il serait paradoxal que les responsables politiques n’accompagnent pas cette démarche positive. Il est du devoir de l’Assemblée nationale d’être en phase avec la réalité économique et de répondre favorablement à l’attente de nombreux salariés. Au-delà des clivages politiques, il est difficile d’être opposé à la philosophie générale de ce texte.

Après l’exposé du rapporteur, Mme Nicole Bricq a tout d’abord observé que la référence faite par le rapporteur au général de Gaulle, fervent partisan de la participation, s’imposait mais qu’il ne fallait pas oublier que lui-même avait déclaré que le capitalisme était une « infirmité morale ».

Les résultats de la participation restent faibles en France puisque si quatre millions d’actifs possèdent des actions, seulement 3 % des salariés possèdent des actions de leur propre entreprise.

Même si, comme l’a souligné le rapporteur, la nécessité de développer l’actionnariat est évidente, le mécanisme élaboré par la proposition de loi de M. Edouard Balladur est inadapté et inopportun. En effet, il s’agit d’une approche très rudimentaire de la participation puisque le mécanisme prévu est automatique alors que la participation demande justement une certaine souplesse propre à recueillir l’adhésion des salariés. On cherche, en réalité, à travers cette proposition de loi à faire adhérer les salariés à la philosophie des actionnaires majoritaires.

De plus, la proposition de loi rend l’offre d’actions dépendante des augmentations de capital alors qu’on constate au contraire que les sociétés procèdent aujourd’hui souvent au rachat de leurs propres actions.

La réforme des stock options n’est pas abordée alors qu’elle est nécessaire et devrait porter tant sur le plan de la transparence que de la fiscalité et des prélèvements sociaux.

Enfin, la place des salariés dans les entreprises n’est pas traitée dans cette proposition de loi, alors que Mme Elisabeth Guigou, ministre de la justice, est en train d’élaborer une réforme importante du droit des sociétés qui prendra en compte cette préoccupation.

En outre, un certain nombre d’arguments plus techniques vont dans le sens d’un rejet de la proposition de loi.

Le caractère général et automatique du dispositif ne permet pas de prendre en compte la diversité des entreprises. Les critères d’attribution des actions semblent être le fait des seuls dirigeants des entreprises. Surtout cette proposition de loi présente le grave défaut de favoriser un certain type de salariés en raison des conditions de l’offre des actions : délai d’achat d’un mois, plafond de 100 000 francs, avantage fiscal dont le montant est proportionnel au niveau de revenus et, surtout, absence de mécanisme d’abondement par l’employeur qui est pourtant un des principes essentiels de la participation. Cette proposition de loi ne s’adressera pas aux salariés les plus modestes.

Il faut s’opposer à la proposition de loi de M. Edouard Balladur pour l’ensemble de ses défauts, tant techniques que de fond. Une telle réforme ne peut pas, en effet, être traitée de cette manière par un texte qui s’apparente à un trompe l’œil. Il convient donc que la commission suspende ses travaux avant de passer à l’examen des articles et ne présente pas de conclusions.

Mme Jacqueline Mathieu-Obadia a indiqué que le texte s’inscrivait bien dans l’esprit de la participation telle qu’elle avait été conçue par ses fondateurs dès lors qu’il était justement proposé d’ouvrir une partie du capital à l’ensemble des salariés. Il serait par ailleurs curieux que le Gouvernement qui procède à des privatisations interdise dans le même temps, en s’opposant à cette proposition de loi, que le plus grand nombre de salariés puisse accéder au capital de leur entreprise.

Le rapporteur a indiqué que la proposition de loi visait à mettre en place un dispositif dont l’ensemble des salariés pourrait profiter. Il constitue une avancée sociale pour ces derniers et une possibilité nouvelle offerte aux entreprises. L’exemple du groupe Vivendi, où les salariés ont pu obtenir des financements à taux zéro pour l’achat de leurs actions témoigne que l’accès à l’actionnariat n’est pas nécessairement réservé aux seuls salariés qui en auraient les moyens. Enfin l’actionnariat salarial peut constituer un moyen de stabilisation du capital.

Le président Jean Le Garrec a tout d’abord relevé que la proposition de loi s’inscrivait dans la volonté, affirmée notamment par les gaullistes de gauche comme M. René Capitant ou M. Louis Vallon, de développer une forme de capitalisme populaire en France. Cependant, il est sans doute hasardeux de prétendre que son adoption permettrait de réduire l’antagonisme entre le capital et le travail et qu’une véritable démocratie pourrait ainsi s’instaurer au sein de l’entreprise. Pour autant, l’examen de cette proposition permet d’engager le débat sur lequel des réflexions sont en cours.

Le président Jean Le Garrec a soumis à la commission la proposition présentée par Mme Nicole Bricq de ne pas engager la discussion des articles de la proposition de loi et donc de suspendre les travaux de la commission.

La commission a décidé de suspendre l’examen de la proposition de loi et de ne pas présenter de conclusions.


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