Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 3

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 10 octobre 2000
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

page

-  Audition de M. Wladyslaw Bartoszewski, ministre des Affaires étrangères de Pologne


-  Compte rendu d'une mission du Président François Loncle en République fédérale de Yougoslavie

3


7

   

Audition de M. Wladyslaw Bartoszewski, ministre des Affaires étrangères de Pologne

Le Président François Loncle a souhaité la bienvenue à M. Wladyslaw Bartoszewski, soulignant que le Ministre est l'une des consciences de la nation polonaise, connue pour son attitude particulièrement courageuse durant l'occupation allemande et pour son action en faveur de la liberté, qui l'a conduit à plusieurs reprises en prison durant la période communiste.

Il a rappelé que, dans son premier discours après sa récente réélection, le Président Aleksander Kwazniewski avait déclaré que l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne resterait la priorité de son nouveau mandat. Si la Pologne fait partie des pays les plus proches des critères économiques de Copenhague, il semble qu'il lui reste encore beaucoup à faire pour la reprise de l'acquis communautaire.

Après avoir remercié la Commission des Affaires étrangères pour son invitation, M. Wladyslaw Bartoszewski a souhaité présenter la position de son pays sur l'élargissement de l'Union européenne, sur la nouvelle architecture de sécurité européenne et sur ses relations avec la France.

Le Ministre a exprimé sa satisfaction de voir la France assumer la présidence de l'Union européenne, au moment où les préparatifs de l'élargissement touchent à leur fin et où les négociations d'adhésion achèvent l'étape technique pour entrer dans une nouvelle étape politique, car la Pologne est liée à la France par des liens historiques, une expérience commune et une réelle convergence d'intérêts. Les Polonais savent le prix d'une Europe unie, sans partages artificiels et sans rideau de fer, et considèrent que la France joue un rôle clé dans la construction européenne mais aussi dans la création d'un nouvel ordre social, économique et moral pour le monde.

Les liens forts qui unissent les deux pays s'expriment par une coopération intense dans tous les domaines, par des contacts au plus haut niveau et entre les parlementaires des deux pays. La coopération économique se développe très bien, et les investissements français occupent la première place en Pologne. D'année en année les échanges commerciaux croissent, bien que la Pologne accuse toujours un déficit important dans ce domaine et le soutien de la France visant à rétablir l'équilibre est souhaitable.

La France et la Pologne coopèrent également dans le cadre du Triangle de Weimar. Il serait souhaitable que la coopération entre les Commissions d'intégration européenne des Parlements des trois pays - Pologne, France et Allemagne - se développe davantage.

La seconde moitié de l'année 2000 sera à maints égards particulièrement importante pour l'avenir de l'Europe car le sort de l'élargissement de l'Union s'y décidera.

Lors de la dernière visite à Paris du Premier ministre polonais, l'entrée de la Pologne dans l'Union, le 1er janvier 2003, a été présentée comme un objectif réaliste bien qu'ambitieux. Pour le réaliser, il faut que la Pologne poursuive le processus d'adaptation et rattrape ses retards ; elle sera alors prête pour une adhésion à la fin de l'année 2002. Mais l'Union doit aussi être prête à recevoir de nouveaux membres à cette date, c'est pourquoi le rôle de la France pour mener à bien les réformes institutionnelles est fondamental.

La Pologne attache une grande importance aux résultats de la Conférence intergouvernementale et elle est disposée à participer à ces débats, ayant présenté en juin dernier sa position sur les questions principales. La Pologne espère que la Conférence s'achèvera à la date prévue, soit à la fin de l'année 2000, et qu'un consensus interviendra sur une ratification parallèle de la révision du traité et des traités d'adhésion avec les Etats candidats.

M. Wladyslaw Bartoszewski a attiré l'attention des membres de la Commission sur trois points.

Il est nécessaire de maintenir le rythme dynamique des négociations d'adhésion qui se trouvent actuellement à un moment crucial, et il est souhaitable que la Présidence française regroupe les problèmes encore en négociation selon une conception unique, en établissant la date et les conditions concrètes des adhésions. L'idée d'un "tableau de bord" évaluant l'état des préparatifs des candidats à l'adhésion peut constituer une solution intéressante. En Pologne, le processus d'adaptation du droit polonais au droit communautaire se réalise à un rythme rapide. La Pologne est parvenue à des progrès considérables dans des domaines sensibles et dans la transformation de son économie. En outre, la frontière orientale de la Pologne devient progressivement étanche.

La Pologne, avec une société jeune et bien formée, constitue un marché dynamique de 40 millions de consommateurs. Elle est un facteur de stabilité et de paix en Europe, et à ces deux titres, elle constitue dès aujourd'hui un acquis précieux pour l'Union européenne.

Evoquant la perception du processus d'élargissement dans les Etats membres, il a observé que l'attitude de la société était plus que réservée vis-à-vis de l'adhésion de nouveaux membres, ce qui rend indispensable des actions d'information et de promotion. C'est pourquoi la Pologne a lancé un programme de promotion de son adhésion en direction des Etats membres.

La Pologne compte sur une coopération créative avec la France en matière de politique étrangère afin de développer la Politique commune de sécurité et de défense, considérant que l'action commune des Européens renforcera la capacité d'action de toute la communauté euro-atlantique en situation de crise.

Les décisions du Conseil européen de Feira relatives à la Politique commune de sécurité et de défense sont une base pour des travaux ultérieurs, et la Pologne souhaite participer activement au dialogue politique avec l'Union européenne, aussi bien dans un cadre 15 + 6 que dans le cadre 15 + 15. La Présidence française de l'Union constituera sans doute une étape importante du développement de cette nouvelle politique.

La coopération directe entre l'Otan et l'Union européenne contribuera au sein de ces deux organisations à comprendre la situation particulière des pays européens qui ne sont membres que de l'une de ces organisations et répondra aux résolutions de l'Union européenne et de l'Otan sur la non-discrimination réciproque envers ces pays.

Selon la Pologne, la coopération efficace et la participation des six pays candidats à la Politique commune de sécurité et de défense doit se fonder sur deux piliers : les consultations et la coopération politique ainsi que la coopération militaire. La création prochaine d'une force de réaction rapide devrait admettre la participation de la Pologne. Les forces polonaises ont certes besoin de modernisation mais elles sont capables de participer à des actions en cas de crise, comme les soldats polonais l'ont montré en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, où ils sont présents à côté des soldats français. La Pologne souhaite aussi développer une coopération militaire avec la France.

L'achèvement de la période de confrontation idéologique sur le continent européen, le recouvrement de l'indépendance par les Etats d'Europe centrale et orientale ont ouvert de nouvelles possibilités. Le Ministre polonais a rappelé qu'il appartenait à la génération qui a connu toutes les atrocités du XXème siècle et a estimé pouvoir encore participer à la création de la nouvelle Europe pacifique, coopérante, solidaire et fondée sur les principes de la démocratie.

Faisant référence au fait que la Pologne constitue actuellement pour les investisseurs une "destination favorite" en dépit des problèmes économiques qu'elle connaît, M. Roland Blum a souhaité connaître les raisons de ce succès. Rappelant que la Pologne est membre de l'OTAN, il a demandé comment son pays pouvait participer aux efforts de construction d'une défense européenne auxquels M. Wladyslaw Bartoszewski s'est dit favorable.

M. Pierre Brana a fait part de sa surprise quant au score extraordinairement bas (0,8 %) obtenu par M. Lech Walesa aux élections présidentielles qui ont eu lieu récemment en Pologne et a demandé au Ministre polonais son analyse personnelle pour expliquer ce faible résultat. S'agissant de la date de 2003 envisagée par la Pologne pour son adhésion à l'Union européenne, M. Pierre Brana a rappelé que les plus optimistes des premiers ministres européens envisageaient la date de 2004. L'agriculture polonaise revêtant une importance particulière, comment la Pologne voit-elle son intégration dans l'UE et quelles en seront les conséquences sur le niveau de vie des agriculteurs ? Enfin, la Pologne a signé la convention portant statut de la Cour pénale internationale mais la ratification n'est pas encore intervenue. Est-ce une simple question de calendrier ou existe-t-il des réticences au sein du Parlement polonais ?

M. Jacques Myard a demandé comment la Pologne envisageait ses relations avec la Russie.

Le Président François Loncle a regretté que le français ne figure plus qu'au quatrième rang des langues étudiées en Pologne, derrière l'anglais, l'allemand et le russe.

M. Wladyslaw Bartoszewski a répondu aux intervenants.

Faisant part de son analyse personnelle du faible résultat obtenu par M. Lech Walesa, il a estimé que celui-ci ne comptait plus dans l'arène politique et que sa biographie ne suffisait plus. Sans estimer si cela était juste ou pas, il a précisé que la Pologne est un pays de jeunes électeurs et M. Lech Walesa est maintenant un personnage comme on en trouve dans les livres. En outre, la Pologne est actuellement en train de changer violemment sur le plan culturel : si un simple ouvrier a jadis joué un rôle c'est très romantique mais les Polonais veulent maintenant une personnalité éduquée, avec une position sociale forte.

En matière économique, il n'y a pas de recette de succès mais il faut reconnaître que M. Balcerowitz est à présent invité dans certains pays en période de transition comme expert économique. Les Polonais ont accepté des réformes très douloureuses, au prix d'un mal-être, qui leur permettent aujourd'hui de vivre à la mode capitaliste. La monnaie est stabilisée, l'inflation annuelle est de 10 %. Il importe de comparer ces résultats non pas avec les vieux pays démocratiques mais avec d'autres pays qui sont dans la même situation.

M. Wladyslaw Bartoszewski a exprimé le souhait de la Pologne de participer à l'Europe de la politique étrangère et de la défense pour défendre les valeurs de la démocratie. Faisant référence à un courrier qu'il avait envoyé à M. Vojislav Kostunica, encore simple candidat à l'élection présidentielle yougoslave, le Ministre polonais a expliqué que la Pologne veut être au premier rang partout où la démocratie s'établit et participer à des actions concrètes dans ce sens comme elle le fait d'ores et déjà avec l'envoi de soldats au Kosovo ou au Golan.

En ce qui concerne la convention portant statut de la future Cour pénale internationale, la Pologne ne l'a pas encore ratifiée, cela ne tient pas à des réserves de fond mais à des questions de calendrier.

L'agriculture polonaise doit être réformée : celle-ci n'a jamais été collectivisée pendant la période communiste mais il n'existait tout de même pas d'exploitations de grande taille. Ainsi, les structures agricoles sont aujourd'hui inadaptées, ce qui pose des problèmes dans la mesure où elles emploient entre 10 et 12 % de la population active. Tout le monde est d'accord pour dire que les réformes sont indispensables, mais il faut prendre en compte cette donnée et trouver du travail pour les personnes en sureffectif dans le secteur agricole. Plus globalement, les Polonais sont parfaitement conscients du besoin de normes européennes, dans le domaine économique, mais aussi politique.

La relation avec la Russie a été, est et sera très importante. Les visites officielles entre les deux pays ont repris et la Pologne regarde avec espoir la démarche de M. Vladimir Poutine même si sa détermination n'est pas toujours du goût des Polonais. Sur la question de la Tchétchénie en particulier, la Pologne partage les préoccupations des pays démocratiques mais considère qu'ils ne sont pas autorisés à faire la morale. S'agissant de l'enclave de Kaliningrad, c'est pratiquement une question russo-européenne puisque tous les pays qui entourent cette région feront bientôt partie de l'Union européenne. Il y a des problèmes écologiques mais aucun problème de minorités, pas d'adversité ou d'incidents. Certes, il faut reconnaître que la Russie n'aime pas la participation de la Pologne à l'OTAN. Enfin, il y a beaucoup d'intérêts économiques, humains, écologiques, qui rapprochent les deux pays et parfois cette proximité peut devenir une gêne.

Concernant la place traditionnellement importante de la langue française depuis le début du XVIIIème siècle, M. Wladyslaw Bartoszewski a estimé que celle-ci occupait plutôt la troisième position. Ce n'est pas si grave si l'anglais joue maintenant un rôle important, ce n'est que la reprise par la Pologne d'une tendance générale et avec la prochaine génération on arrivera à un équilibre. L'américanisation idiote n'est qu'une mode passagère.

Compte rendu d'une mission du Président François Loncle en République fédérale de Yougoslavie

Le Président François Loncle a expliqué qu'il avait pris l'initiative de se rendre à Belgrade pour assister notamment à la prestation de serment du nouveau président yougoslave, M. Vojislav Kostunica, pour plusieurs raisons. Il est trop rare de pouvoir vivre des événements heureux en politique étrangère, la défaite de Milosevic qui constitue l'aboutissement du processus initié par la chute du mur de Berlin est un de ceux-là. Cette mission a permis des rencontres avec les futurs dirigeants du pays, utiles pour connaître leurs analyses et leurs attentes.

Le niveau de vie en Serbie est le plus bas en Europe, le salaire moyen ne dépasse pas 5 000 francs par an et le taux de chômage est de 50 %. Il y a donc beaucoup à faire, mais l'Europe et plus particulièrement la France paraissent très bien placées pour contribuer à cette reconstruction. A cet égard les entreprises françaises doivent se tenir prêtes et ne pas arriver en retard par rapport à leurs homologues allemandes ou italiennes, généralement plus réactives. Les besoins de la Yougoslavie sont immenses, et ils concernent tout d'abord les aspects les plus concrets ; le Maire de Belgrade a par exemple indiqué que ses principales priorités concernaient le secteur de la propreté et des transports publics.

M. Pierre Brana a exprimé sa joie devant l'heureux aboutissement des événements de Yougoslavie mais il s'est inquiété de la profession de foi nationaliste du nouveau Président. Il a également demandé comment M. Vojislav Kostunica voyait les relations futures avec le Monténégro et le Kosovo.

Le Président François Loncle a estimé que le soi-disant nationalisme de M. Vojislav Kostunica était parfaitement compréhensible compte tenu des événements récents qui ont frappé son pays. Son nationalisme n'a rien de belliqueux et lui-même le compare souvent à celui de De Gaulle ou de Churchill, d'abord soucieux de défendre son pays. Dans son discours devant la foule réunie devant le Parlement, il a ainsi exprimé son souci d'indépendance tant par rapport à Moscou que par rapport à Washington et a au contraire montré son désir d'un rapprochement avec l'Europe et particulièrement avec la France. Il ne faut pas faire preuve d'angélisme, mais M. Vojislav Kostunica est un authentique démocrate profondément européen.

Que ce soit vis-à-vis du Monténégro ou du Kosovo, il est très attaché à l'intégrité territoriale de la Yougoslavie mais il l'est également au respect du droit international et compte notamment appliquer la résolution 1244 du Conseil de sécurité.

M. Jean-Bernard Raimond a souligné que c'est justement grâce à son nationalisme que M. Kostunica a pu remporter l'élection et mettre fin au système communiste. Les Occidentaux se demandaient comment se débarrasser de Milosevic, finalement c'est le peuple serbe qui l'a fait lui-même.

M. Roland Blum s'est interrogé sur la possibilité que Milosevic soit traduit rapidement devant le Tribunal pénal international de La Haye.

Le Président François Loncle a jugé indispensable de ne pas céder sur ce point. Pour autant ce n'est pas la priorité absolue dans le contexte actuel. Milosevic et le système mafieux qu'il a engendré font l'objet d'un rejet absolu, qui pourrait déboucher sur un procès en Yougoslavie même. Mais le moment venu, Milosevic devra répondre de tous ses crimes, y compris devant le TPI.

_______

Pologne

Union européenne

République Fédérale de Yougoslavie


© Assemblée nationale