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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 6

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 17 octobre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence

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Audition de M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence

M. François Loncle a remercié M. Mario Monti, commissaire européen à la concurrence depuis septembre 1999, d'avoir accepté l'invitation de la Commission des Affaires étrangères. Il a rappelé que M. Mario Monti, professeur d'économie, a été nommé au sein de la Commission européenne en 1995, et qu'il est considéré comme un membre particulièrement actif de cette institution, même si certains de ses adversaires lui reprochent son ultra-libéralisme.

Le Président a rappelé que la Commission européenne a proposé, dans un Livre Blanc du 28 avril 1999, la modernisation des règles d'application de la politique de concurrence. Cette modernisation permettrait de décentraliser vers les Etats-membres les dossiers concernant les accords entre sociétés à portée nationale ou régionale. La Commission européenne pourrait ainsi se concentrer sur les affaires importantes tels les cartels, les "mégafusions" et abus de position dominante sur le marché communautaire par les multinationales. Il a souhaité savoir à quel stade se trouvent à présent ces projets de réforme.

M. Mario Monti a remercié la Commission des Affaires étrangères de l'avoir invité à s'exprimer pour traiter de sujets importants pour la politique européenne de concurrence qui doit faire face à de nombreux défis. Les évolutions du monde contemporain imposent aux autorités chargées du contrôle des marchés des adaptations nécessaires pour que la concurrence y demeure efficace.

Le monde économique actuel se caractérise par des bouleversements très rapides, que chacun connaît. En Europe, dans la plupart des Etats membres, la monnaie unique est utilisée, et l'Union se prépare à l'entrée de nouveaux pays candidats dans les prochaines années. Mais ces nouvelles données à caractère économique et politique changent profondément la nature et la dimension des tâches de la Commission européenne dans le domaine de la concurrence, qui est une des plus anciennes politiques européennes, née à Rome en mars 1957 en même temps que le Traité. Dans ce contexte, le commissaire européen a souhaité aborder trois sujets majeurs : le contrôle des concentrations d'entreprises, la modernisation du droit anti-trust et le renforcement de la coopération internationale. Dans chacun de ces domaines, l'action de la Commission européenne représente une réponse, rendue nécessaire par les changements du monde contemporain.

S'agissant du contrôle des concentrations d'entreprises, l'Union européenne n'est pas à l'écart du mouvement de concentrations d'entreprises qui a marqué la fin de la décennie. En 1999, l'activité mondiale en matière de concentrations a représenté plus de 3 000 milliards d'euros. On assiste à une augmentation très importante du nombre des notifications d'opérations de fusions et d'acquisitions faites à la Commission européenne. Si ces notifications se chiffraient au début des années 90 à environ 60 opérations, elles se sont élevées à près de 300 l'an dernier. Aucun signe de ralentissement n'est visible pour l'instant. Les raisons d'une telle poussée sont liées au développement technologique, à la convergence des secteurs des télécommunications, de l'informatique et des médias, qui conduit à des regroupements d'entreprises impressionnants comme ceux sur lesquels la Commission a eu récemment à se prononcer : AOL et Time Warner avec Emi ou Vivendi-Canal Plus avec Seagram. De même la libéralisation des industries de réseaux, notamment dans les télécommunications ou l'énergie, a favorisé alliances et restructurations.

L'approfondissement du marché intérieur et l'adoption de la monnaie unique ont poussé les entreprises européennes à rechercher la taille critique suffisante pour leur permettre d'être compétitives. A cet égard, le commissaire européen a jugé qu'au delà de l'aspect selon lui secondaire du taux de change actuel de l'euro, la monnaie unique a joué un rôle favorable à la modernisation structurelle de l'économie européenne.

Face à cette vague de concentrations d'entreprises, la Commission européenne a pour rôle de vérifier que celles-ci ne conduisent pas à la création ou au renforcement d'une position dominante qui pourrait se traduire pour les utilisateurs intermédiaires et pour les consommateurs finaux par un renchérissement du coût des produits et services et par une raréfaction de l'offre de produits innovants. Elle dispose d'un instrument juridique qui a montré son efficacité. Il s'agit du règlement sur le contrôle des concentrations dont on vient de fêter le dixième anniversaire.

Le règlement permet à la Commission européenne de contrôler avant leur réalisation les opérations de dimension communautaire. Cette dimension est évaluée à partir de seuils établis sur le chiffre d'affaires des entreprises parties à la concentration. On peut s'interroger sur le niveau du seuil, considéré comme trop élevé par beaucoup d'entreprises en Europe. Une révision de l'ensemble du dispositif est actuellement en cours, et l'évolution des seuils pourrait intervenir.

Lorsqu'elle est saisie et qu'elle constate un risque de création ou de renforcement de position dominante, la Commission européenne a le pouvoir d'interdire l'opération. Elle n'y recourt pas souvent : 13 interdictions seulement peuvent être relevées depuis 1990. La Commission européenne peut aussi autoriser l'opération sous condition de modifications au projet initial. Ce sont les fameux remèdes qui pour l'essentiel consistent dans des cessions d'actifs. Récemment, la Commission européenne a accepté la fusion TotalFina-Elf sous réserve d'importantes cessions. TotalFina s'est notamment engagé à revendre 70 stations d'essence sur les autoroutes françaises. La Commission européenne doit veiller à ce que les repreneurs de ces stations-service soient suffisamment compétitifs, de sorte que la concurrence soit maintenue sur les autoroutes françaises et que le consommateur puisse y bénéficier des meilleurs prix à la pompe. C'est animée par cette préoccupation qu'elle a rejeté le mois dernier une première liste d'acquéreurs soumise par TotalFina-Elf car ce paquet d'acquéreurs n'aurait pas garanti une concurrence suffisamment vivace.

Plus récemment, la Commission européenne a pu déclarer la fusion entre Vivendi, Canal Plus et Seagram compatible avec le Marché commun, les sociétés ayant souscrit des engagements importants, notamment la vente par Vivendi de sa participation au capital de Bskyb, la garantie pour d'autres opérateurs à péage d'accéder aux films d'Universal et l'accès en ligne à la musique d'Universal pour une durée de cinq ans.

La Commission européenne dispose donc d'un instrument de contrôle adapté et efficace, qui pourrait encore être amélioré par la publication des communications sur certains points de procédure comme les remèdes proposés par les entreprises concernées.

M. Mario Monti a indiqué qu'un autre aspect de l'activité de la Direction de la concurrence concerne la modernisation de la législation anti-trust. Les changements économiques ont aussi pour conséquence que certaines entreprises retardent les adaptations nécessaires et préfèrent recourir à des accords (les cartels) pour neutraliser la concurrence, ce qui est particulièrement néfaste pour la concurrence et les consommateurs.

La Commission européenne souhaiterait modifier le règlement communautaire qui lui permet de lutter contre les ententes et les abus de position dominante, à savoir le règlement n° 17 de 1962. En vertu de ce règlement, les accords anticoncurrentiels sont interdits, avec une possibilité d'exemptions prononcées par la seule Commission européenne. Le monopole de l'exemption confié à la Commission européenne et le système centralisé de notification préalable de tous les accords entre entreprises a abouti à un engorgement des services de la Commission européenne, saisis d'environ 500 notifications par an, dont la plupart sont innocentes et ne posent aucun problème de concurrence. En revanche, les cartels ne sont évidemment jamais notifiés et ils appellent la plus grande attention de la part des services de la Commission européenne.

La réforme consisterait à supprimer le monopole de la Commission européenne et à mettre fin au système de notification. Les autorités nationales de concurrence et aussi les juridictions nationales feraient appliquer le droit communautaire de la concurrence (les articles 81 et 82 du Traité instituant la Communauté européenne) et détiendraient le pouvoir d'accorder les exemptions. Cette évolution ne devrait pas porter tort à la cohérence des décisions car il existe à présent une culture de la concurrence dans les Etats membres, où des autorités ont été instituées et une jurisprudence élaborée par les tribunaux.

Le commissaire européen a ensuite souligné que l'intégration croissante des économies appelle une intégration équivalente des autorités de concurrence ; il est indispensable d'établir une coopération entre les autorités de contrôle. C'est pourquoi la Commission européenne a entrepris une coopération avec les Etats-Unis et avec le Canada, pays avec lesquels un accord a été signé, et un mandat lui a été donné pour négocier un accord de coopération avec le Japon. L'expérience de la coopération avec les Etats-Unis s'est avérée très satisfaisante, en particulier dans le domaine du contrôle des concentrations. Des liens étroits ont été noués avec la division anti-trust du Ministère de la Justice ou de la Commission fédérale du Commerce. Il existe une très grande convergence d'analyse entre la Commission européenne et les autorités américaines sur la plupart des affaires qui font l'objet de la procédure de coopération, ce qui est un encouragement à intensifier la coopération dans le monde.

A plus long terme, il faudra parvenir à la mise en place d'un cadre multilatéral de règles fondamentales en matière de concurrence dont la Commission européenne, soutenue par les Etats membres, est le défenseur dans le cadre du groupe de travail "commerce et concurrence" de l'OMC.

En conclusion, M. Mario Monti a observé qu'en Europe, et en France en particulier, l'on convient de l'inéluctabilité de la globalisation et de ses avantages. Mais on a tendance à oublier la disparité énorme entre la globalisation avancée des marchés et le retard qu'accuse la globalisation de la gouvernance. Or, l'acceptation sociale et même psychologique de la globalisation serait meilleure si l'on développait en réponse des formes d'intégration des pouvoirs publics. Pourtant, le fait que la Commission européenne et les autorités anti-trust américaines arrivent à une coïncidence d'analyses sur les dossiers de très grandes fusions transatlantiques qui leur sont soumis donne l'espoir que la capacité de régulation des pouvoirs publics sur les marchés va s'accroître, et que l'on peut assister à une intégration des pouvoirs publics dans ce but.

M. Georges Sarre s'est interrogé sur l'opportunité de la décision de la Commission européenne concernant les 70 stations d'essence, observant qu'il y a une différence infime entre le prix de l'essence à la pompe quelle que soit la firme.

Il a par ailleurs estimé qu'il ne faut pas s'en remettre à la globalisation libérale qui progressivement doit permettre l'instauration d'une gouvernance mondiale par le marché, la concurrence et les multinationales, mais plutôt aux Etats. Prenant en exemple les fusions dans le secteur bancaire et l'échec du rapprochement BNP-Paribas-Société générale, il a demandé à M. Mario Monti s'il se sent autorisé à soutenir tout effort pour empêcher la France de se doter d'une politique industrielle conforme à ses intérêts.

M. Georges Sarre a ensuite posé la question de la garantie des services publics auxquels la France reste très attachée, rappelant par exemple que la Commission européenne tente actuellement de faire passer une directive postale de libéralisation qui aura pour effet de faire disparaître la majeure partie du réseau français des bureaux de poste, qui participe de façon essentielle à l'aménagement du territoire, et contribue à l'égalité des citoyens devant le service public, ce qui n'est guère pris en compte par la politique de la Commission européenne.

Enfin, il a demandé à M. Mario Monti quelle garantie il peut donner quant à l'avenir de l'industrie du livre et la pérennité du système du prix unique.

M. Roland Blum a rappelé qu'après avoir autorisé la fusion Vivendi-Canal Plus avec Seagram, la Commission européenne s'est opposée au rachat de l'éditeur de musique EMI par Time Warner et a souhaité connaître les motifs de ce refus. Par ailleurs, M. Mario Monti considérant que la faiblesse de l'euro ne représente pas un handicap pour l'économie européenne, M. Roland Blum s'est dit convaincu du contraire et a demandé au Commissaire européen de préciser son point de vue.

Indiquant qu'une "mégafusion" entre Chevron et Texaco se prépare malgré l'opposition des autorités antitrust américaines, M. Pierre Brana a estimé que cela relativise l'influence des pouvoirs publics face à ces fusions. Il a demandé à M. Mario Monti son sentiment sur ce sujet. Faisant plus précisément référence à une possible fusion du groupe pétrolier italien ENI soit avec TotalFina-Elf, soit avec le groupe espagnol Repsol, il a demandé si ceci serait acceptable notamment par rapport à la fusion américaine. Par ailleurs, s'agissant de la lutte que l'Union européenne mène contre le dumping, il a estimé que les entreprises européennes ne luttent pas à armes égales avec les entreprises américaines. Qu'en est-il alors des règles multilatérales de l'OMC dans ce domaine ?

M. François Guillaume a fait part de ses inquiétudes quant aux intentions de la Commission européenne de s'attaquer aux aides servies par les Etats membres à leur production cinématographique déjà moribonde, fortement pénalisée par la domination américaine. N'y a-t-il pas une contradiction - d'ailleurs permanente - entre, d'une part, l'ouverture du marché, et, d'autre part, la tentative actuelle de mise en place d'un nouveau programme Media pour soutenir la production cinématographique et audiovisuelle ?

Abordant la question de l'agriculture, il a rappelé que la France est depuis 1987 favorable à des accords interprofessionnels dans les filières agricoles permettant de contrôler la qualité, les quantités et le respect minimal des prix, alors que la Commission européenne y est hostile. Au moment où la globalisation affaiblit les organisations communes de marché et où il n'y a pas de possibilité d'achats publics pour soutenir les cours, ces accords interprofessionnels sont un moyen d'organisation des marchés, alors que la Commission européenne les considère à tort comme des ententes, comme l'a montré l'exemple du démantèlement du bureau interprofessionnel du cognac.

M. Michel Terrot a regretté que l'on envisage de mettre fin au régime dérogatoire dont bénéficient les concessions automobiles, secteur riche en emplois directs et dérivés, donnant ainsi l'avantage à la grande distribution déjà très dominante en France. Il a demandé au Commissaire européen s'il a bien saisi toute l'importance de cette question. Les professionnels craignent que la grande distribution ne s'empare que de la vente de véhicules neufs au détriment de la vente de véhicules d'occasion et des réparations, provoquant ainsi la disparition d'une profession, sans bénéfice aucun pour la collectivité.

M. Jacques Myard s'est déclaré en désaccord avec les propos de M. Mario Monti sur l'euro, qui est un échec. Les concentrations ne sont pas facilitées par la faiblesse de la monnaie unique mais par la libre convertibilité des monnaies et par la totale libéralisation dans un certain nombre de domaines. L'euro est incompréhensible pour les marchés et inadapté à la croissance européenne.

La démarche de M. Mario Monti est trop théorique, voire idéologique : concurrence et marché sont les principaux éléments d'explication du monde pour lui. Pourtant, il est nécessaire de mettre en place un encadrement du marché, comme la France l'a fait longtemps dans le secteur textile pour préserver l'emploi, politique qui a été condamnée par la Commission européenne. En outre, la mondialisation étant financière, les marchés amplifient les mouvements, les politiques sont donc indispensables pour stabiliser et organiser, notamment par une politique industrielle, qui n'existe pas au niveau européen. Celle-ci est indispensable, à l'image de ce qui a été réalisé avec la politique agricole commune.

M. Charles Ehrmann s'est étonné que seulement 30 % des transactions entre les onze pays de la zone euro se fassent en euro. L'euro pourra-t-il trouver une place lui permettant de tenir tête au dollar ? S'agissant des concentrations, il s'est demandé si la Commission européenne dispose réellement des moyens nécessaires pour prendre les décisions qui s'imposent, en particulier face aux paradis fiscaux. Enfin, il a rappelé que les progrès de la science et la concurrence ont fait disparaître des corporations mais ont permis une augmentation de la qualité des produits et l'instauration de bas prix.

M. Léonce Deprez a souhaité préciser qu'à son sens les membres de l'Assemblée nationale ne sont pas favorables à un ultralibéralisme mais plutôt à une politique sociale libérale, c'est-à-dire pour un juste milieu entre une économie libérale et la nécessité d'un Etat qui doit être fort. La question se pose alors de savoir si pour réguler les marchés, il ne vaut pas mieux "plus d'Europe". L'Europe politique n'est-elle pas finalement une nécessité pour assurer les régulations nécessaires face à la globalisation du monde ?

M. Mario Monti a répondu aux intervenants.

En ce qui concerne l'état du marché de la distribution d'essence sur les autoroutes, le Commissaire européen a répondu qu'il est délicat d'apprécier l'état de la concurrence dans un certain marché à partir des seuls prix. Parfois c'est précisément l'existence d'une concurrence parfaite qui porte à l'alignement des prix. Une évidence de prix identiques peut être le signe d'un marché parfaitement concurrentiel et aussi d'une collusion entre les entreprises. La grande distribution a en général un rôle très percutant en faveur de la concurrence face aux grandes sociétés pétrolières.

M. Mario Monti partage l'avis de M. Georges Sarre sur la nécessité d'encadrer la globalisation. Celle-ci pourtant ne peut, ni ne doit d'ailleurs être entravée : les pouvoirs publics doivent donc dans une certaine mesure la maîtriser. Mais les autorités nationales seront de plus en plus impuissantes face aux marchés, d'où la nécessité d'instances supranationales comme la Commission européenne, tout en respectant un esprit de subsidiarité et donc en conférant les seuls pouvoirs nécessaires à ce niveau supranational.

Sur les opérations dans le secteur bancaire, M. Mario Monti a souligné que l'intérêt national, souvent invoqué pour s'opposer à certaines fusions, est trop souvent calqué sur l'intérêt des producteurs nationaux, parfois même au détriment des consommateurs ou des travailleurs nationaux. En tout état de cause, si une fusion envisagée est de dimension communautaire, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire bancaire mentionnée par M. Georges Sarre, il appartient à la seule Commission européenne de se prononcer : c'était par exemple le cas pour l'opération Banco Santander-Central Hispano/Champalimaud, à laquelle voulait pourtant s'opposer le gouvernement portugais, mais par pour la fusion BNP/Paribas.

La Commission européenne est très attachée au service public, elle a toujours eu, comme le Conseil européen, une approche visant à sauvegarder le service universel. On a souvent même reproché à la Commission européenne une certaine timidité dans la libéralisation de l'économie. Une communication de la Commission du 20 septembre dernier sur les services d'intérêt économique général montre de nombreuses préoccupations proches de celles que l'on peut observer en France par exemple. Mais la concurrence ne doit pas être considérée comme un ennemi du service public, elle peut même être son allié.

En ce qui concerne le prix unique du livre, l'imposition d'un prix fixe peut être fondée sur une législation nationale, comme la loi Lang, ou sur un accord entre entreprises. Il s'agit d'une compétence nationale, la Commission européenne n'a pas l'intention de s'attaquer à ce système, elle veille simplement à ce qu'il n'induise pas des distorsions de concurrence. M. Mario Monti s'est ainsi déclaré opposé à une directive sur ce sujet.

Concernant les opérations de fusion en cours dans le secteur des communications, il a rappelé que la Commission européenne ne s'est pas opposée au rapprochement Time Warner/EMI puisque les parties ont retiré leur demande avant que celle-ci ne se prononce. Mais cette fusion posait un certain nombre de problèmes non résolus, notamment dans le domaine de l'édition musicale sur certains marchés nationaux. Pour l'opération Vivendi/Seagram, il y avait des sujets de préoccupations réels, qui ont pu être surmontés grâce à des engagements très substantiels.

L'euro joue un rôle dans la solidité de l'économie européenne, et son importance structurelle est aujourd'hui acquise. Pour autant, M. Mario Monti n'a pas voulu se prononcer sur le taux de change de l'euro, ou sur l'avantage ou l'inconvénient d'un Euro faible.

Aucune des deux fusions évoquées par M. Pierre Brana pour le secteur pétrolier n'a été notifiée à la Commission européenne. Celle-ci ne dispose en conséquence d'aucun élément d'appréciation. Dans le cas toutefois où celle-ci serait un jour amenée à se prononcer, M. Mario Monti a préféré ne faire aucun commentaire préalable. Une chose est toutefois certaine : si les autorités anti-trust américaines s'opposent à la fusion annoncée entre Chevron et Texaco, celle-ci ne pourra avoir lieu.

En ce qui concerne le cinéma, l'activité menée par la Commission européenne est simple : elle s'en tient à la décision prise en 1998 sur les aides françaises à l'industrie cinématographique. Des consultations ont eu lieu avec les Etats membres, et des discussions ont eu lieu récemment avec Mme Catherine Tasca ; d'autres, à caractère plus technique, sont également programmées. Aucune mesure offensive ou défensive n'est en tout cas prévue.

La politique de concurrence communautaire s'applique dans les limites des objectifs de la politique agricole commune (PAC). Ce n'est donc pas par le biais de la politique de concurrence qu'on modifiera la PAC. M. Mario Monti a salué l'attention portée par M. François Guillaume à l'évolution de structures de ses services et il demandera sur ce sujet des informations complémentaires.

En 1995, la Commission européenne a adopté un règlement d'exemption des règles de la concurrence pour le secteur de la distribution des véhicules à moteur. Cette exemption doit prendre fin en septembre 2002. Un rapport factuel est en préparation sur le fonctionnement du régime instauré en 1995 et c'est sur cette base que seront proposées des modifications éventuelles. Il existe trois hypothèses : le maintien du système actuel ; la fin de l'exception et le retour à des règles normales ; une solution intermédiaire entre les deux précédentes. Le futur rapport mettra en évidence un certain nombre de faits peu encourageants quant à l'efficacité du régime actuel. Mais toutes les parties concernées seront associées à la recherche d'une solution à ce problème.

M. Mario Monti a remercié M. Jacques Myard pour ses questions essentielles, se défendant toutefois d'être ultra-libéral, ainsi que pourraient l'attester certains commentaires du Wall Street Journal sur les décisions anti-concentration rendues par la Commission européenne. Ne pouvant énumérer l'ensemble des facteurs qui contribuent à la vague actuelle des concentrations, il estime cependant que l'existence de l'euro est l'un d'eux. Ne considérant nullement que le marché constitue l'alpha et l'omega de la politique économique, il défend au contraire des initiatives ayant pour but d'apporter des régulations telle la coordination des fiscalités. Une telle avancée permettrait par exemple d'éviter que toute la fiscalité ne pèse que sur les revenus du travail dans une Europe où les mouvements de capitaux ne répondraient qu'à la loi du marché : encore faudrait-il pour cela que la règle de l'unanimité laisse la place en ce domaine à la majorité qualifiée.

En ce qui concerne le besoin de "plus d'Europe" ressenti par certains, M. Mario Monti a estimé que l'activité de l'Union doit se concentrer sur un nombre réduit par rapport à aujourd'hui de fonctions essentielles, dans lesquelles elle doit détenir des pouvoirs très importants, les fonctions non essentielles étant décentralisées : c'est l'optique du "Livre Blanc" sur la gouvernance préparé par le Président Romano Prodi, qui sera présenté le mois prochain, et devrait esquisser un modèle à cet égard.

Le Commissaire européen s'est dit convaincu que l'euro pourra faire face au dollar. Il a souligné que si l'euro n'existait pas, nous aurions actuellement un taux de change moyen des monnaies européennes par rapport au dollar pas très différent de celui de l'euro aujourd'hui, mais l'on assisterait à des requêtes pressantes pour permettre des aides aux industries des pays industrialisés à monnaie forte, qui estimeraient subir la concurrence déloyale des pays à monnaie faible. Il y a donc dans ce domaine un avantage structurel de l'euro.

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