Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2000-2001)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 novembre 2000
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Robin Cook, ministre britannique des Affaires étrangères

3

Audition de M. Robin Cook, ministre britannique des Affaires étrangères

Le Président François Loncle a souligné tout d'abord que c'était la première fois sous la Vème République que la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale auditionnait un ministre des Affaires étrangères britannique.

Il a ensuite présenté brièvement la biographie de M. Robin Cook en rappelant notamment que, parlementaire depuis 1974, ce dernier était devenu Ministre des Affaires étrangères en 1997 après le retour des Travaillistes au pouvoir. L'actualité, c'est-à-dire la tenue du Conseil européen de Nice prévu dans quatre semaines, donne un relief particulier à cette audition.

Le Président François Loncle a enfin fait part de l'émotion soulevée en France par les tragiques inondations qui touchent le Royaume-Uni.

M. Robin Cook a remercié la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale de l'avoir invité à s'exprimer devant elle. Venant juste d'assister aux questions parlementaires d'actualité, il s'est déclaré admiratif devant ces échanges francs et directs et a avoué craindre pour lui le moment des questions qui suivra son exposé.

M. Robin Cook a souhaité une plus grande implication des parlements nationaux dans la construction européenne. Il a cité M. Tony Blair qui a évoqué la possibilité d'une seconde chambre européenne, émanation des parlements, dont l'une des missions serait de mettre au point un programme de travail pour la Commission et le Conseil.

Le gouvernement britannique travaille d'arrache-pied afin de définir des approches communes avec la France car ces convergences de vue renforcent considérablement la construction européenne. En témoignent notamment la visite commune en Afrique de MM. Cook et Védrine et la déclaration de Saint-Malo sur la défense européenne. La présidence française _uvre aujourd'hui pour permettre la concrétisation de cette force de réaction rapide susceptible de faire face à des missions de maintien de la paix ou d'interventions humanitaires.

Ceux qu'on appelle "les grands pays" ont des intérêts communs, tout particulièrement en ce qui concerne la repondération des votes au sein du Conseil des ministres. Certes, cette repondération ne peut être simplement le reflet des différents poids démographiques de chacun des pays : les petits pays, comme les grands, sont également des Etats souverains. Mais la perspective que la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ne puissent à eux trois détenir une minorité de blocage est inacceptable, même si une telle alliance apparaît improbable pour certains.

Nice ne doit pas toutefois devenir le lieu d'un conflit entre les grands et les petits pays. Tous ont avantage à un meilleur fonctionnement du système ; tous agiront en conséquence pour un succès qui renforcera l'Europe.

Le défi de l'élargissement est important car il s'agit d'organiser la réunification de l'Europe, cinquante années après sa division. L'Europe deviendra plus forte économiquement, plus prospère, plus stable, mieux à même de lutter contre la criminalité. Les populations y gagneront en termes d'emploi et de qualité de vie.

Le débat sur l'avenir de l'Europe continuera après Nice. Le Royaume-Uni et la France savent qu'ils seront plus puissants dans l'interdépendance à condition de maintenir leur indépendance et leur qualité d'Etat nation. Les deux pays ont en partage une histoire commune mais chacun a un héritage propre. L'objectif ne doit pas être la création des Etats-Unis d'Europe mais celle d'une Europe unie des nations. Il est donc important de définir clairement ce qui relèvera de l'Union et des Etats. Il sera nécessaire d'associer les populations à ce débat, de les consulter afin de mieux connaître leurs souhaits et leurs désirs.

Saluant la présence de nombreux ambassadeurs et notamment celle de Sir Michael Jay, ambassadeur du Royaume-Uni en France, le Président François Loncle s'est déclaré, comme ses collègues, sensible au message très amical de M. Robin Cook.

Mme Yvette Roudy, présidente du groupe d'amitié France-Royaume-Uni, a observé que M. Robin Cook avait souligné l'approche commune de la France et du Royaume-Uni sur les questions européennes. Elle a souhaité savoir quels étaient, selon lui, les pays qui entreraient les premiers dans l'Union européenne et à quel moment se produirait cette adhésion. Elle a demandé quelle était la position du gouvernement britannique sur l'euro.

M. Jean-Bernard Raimond a demandé des précisions sur la politique britannique à l'égard de l'Irak. Depuis 1996, date de la résolution 986 "pétrole contre nourriture", les évolutions ont été paradoxales. La France est de plus en plus favorable à la levée de l'embargo car aujourd'hui la situation est absurde. Les sanctions n'ont pas été levées, l'embargo est de plus en plus contourné et il n'y a plus de contrôle militaire du fait du départ de l'UNSCOM. Selon lui, les positions britanniques et américaines sont voisines et les grands responsables de l'absence de solution plus logique et plus rationnelle sont les Etats-Unis qui voulaient que Saddam Hussein soit renversé. Quelle est réellement la position britannique par rapport aux Etats-Unis ?

Rappelant que le Royaume-Uni était réticent à l'extension du vote à la majorité qualifiée sur un certain nombre de sujets tels que la fiscalité, la protection sociale, la lutte contre la fraude, M. Pierre Brana a demandé à M. Robin Cook quel était son sentiment sur ce point. Quelles en sont les raisons ? S'agissant du réseau "Echelon" que le Royaume-Uni aurait créé avec les Etats-Unis et qui intercepterait jusqu'aux communications privées protégées par la loi, il a souhaité savoir s'il y avait eu un débat à la Chambre des Communes sur ce sujet. Comment l'opinion publique britannique réagit-elle sur cette question ?

Evoquant les propos de M. Robin Cook selon lesquels la Grande-Bretagne n'a pas d'objection politique à son entrée dans l'euro mais des préoccupations économiques, M. Edouard Balladur a demandé quels résultats économiques celui-ci souhaitait obtenir avant de décider d'entrer dans la zone euro. Par ailleurs, pourquoi est-ce plus difficile pour la Grande-Bretagne sur le plan économique que pour d'autres pays qui ne s'en sont pas mal trouvés ?

Répondant à ces intervenants, M. Robin Cook a estimé que si sur certaines questions, les points de vue français et britannique n'étaient pas identiques, ce n'était pas le cas de l'élargissement. Sur treize pays ayant entamé leur processus d'adhésion, six sont très avancés et il faut appliquer le principe de différenciation de chacun d'entre eux. Dans son rapport annuel sur l'élargissement de l'Union européenne, la Commission européenne a fait des propositions constructives. Il convient d'adopter une approche juste et réaliste.

Selon le gouvernement britannique, le Royaume-Uni pourrait tirer des avantages économiques en entrant dans la zone euro. Cette position n'est pas partagée par l'opposition pour des raisons politiques. Pour que le Royaume-Uni rejoigne cette zone, il faut que les conditions économiques soient adaptées et donc procéder à une évaluation ; cette entrée pourrait se faire après les prochaines élections. La population serait alors consultée par référendum.

En 1997, quand les Travaillistes ont remporté les élections, le Royaume-Uni était à un point fort de son cycle économique, à la différence des autres pays du continent. Ses besoins étaient donc différents. Depuis, les taux de change ont divergé. Or, pour emporter l'adhésion des populations à l'euro, on doit démontrer qu'il présente des avantages incontestables, et avoir des économies convergentes.

S'agissant de la Conférence intergouvernementale, il s'est étonné de la manière dont les médias britanniques avaient rendu compte de la position du Royaume-Uni sur la majorité qualifiée. Celui-ci n'est pas isolé et a trouvé des appuis sur un certain nombre de cas, même si la fiscalité reste un problème pour lui. Son expérience du vote à la majorité qualifiée montre qu'il a perdu moins souvent que la France qui, elle, est isolée sur la question du vote à majorité qualifiée en matière de politique extérieure.

Quant au réseau "Echelon", c'est un système d'interception des communications utile pour un pays qui, comme le Royaume-Uni, a été confronté au terrorisme. Un dispositif de contrôle de ces interceptions a été mis en place par une loi récente qui offre des mesures sûres de protection avec un système d'inspection. Le réseau Echelon a pour but de combattre le terrorisme et le crime organisé.

En ce qui concerne l'Irak, M. Robin Cook a reconnu que l'on n'avait pas obtenu de progrès significatifs. La résolution 1284 du Conseil de Sécurité offrait à l'Irak des perspectives de suppression des sanctions contre un progrès en matière de désarmement. Or, Saddam Hussein n'a jamais voulu tenir compte de cette résolution, ni accepter un nouveau système d'inspection sur les armes chimiques et bactériologiques. Dans ces conditions, on voit mal comment mettre fin aux sanctions. Il faut cependant noter que la résolution 1284 a aboli le plafond sur le volume de pétrole que l'Irak est autorisé à exporter et l'Irak a du reste exporté cette année un volume de pétrole record, supérieur à celui du Venezuela ou de l'Iran. Dans ces conditions, il est difficile de comprendre pourquoi et comment la population irakienne est privée de médicaments et de nourriture.

M. Jacques Myard s'est étonné de la position dure du Royaume-Uni sur la question de l'embargo, alors qu'il sait, depuis Napoléon, que tous les embargos sont voués à l'échec. On aurait plus de chance de se débarrasser de Saddam Hussein en ouvrant les négociations et en instaurant la paix plutôt qu'en le contraignant à une hostilité à l'encontre des Occidentaux. Il a estimé que l'entrée de la Grande-Bretagne dans la zone euro devrait se faire le jour où l'euro sera un succès, ce qui n'est pas près d'arriver car l'euro n'est pas près de réussir. Il a félicité M. Robin Cook pour sa formule prônant une Europe unie des Etats plutôt que des "Etats-Unis d'Europe", question qui est au centre de la construction européenne. Ne vaut-il pas mieux adopter des formules plus souples et moins intégristes que la méthode communautaire ?

M. Paul Dhaille a souhaité connaître la position du Royaume-Uni sur la nécessité d'un nouveau texte fondateur pour l'Union européenne, que ce soit un traité ou une constitution européenne. Rappelant que la France a subi à deux reprises des pollutions liées à des naufrages de navires en très mauvais état, il a souhaité que des mesures fortes soient prises au niveau européen. Malheureusement, le Royaume-Uni semble très réservé à ce sujet pour des raisons traditionnelles de libéralisme économique et commercial. Il a demandé à M. Robin Cook son avis sur un éventuel durcissement des règles en la matière.

M. Pierre Lequiller s'est félicité de l'impulsion donnée à Saint-Malo par le Royaume-Uni sur l'Europe de la défense et a regretté la division de l'Union dès qu'il s'agit de traiter de sujets qui n'obtiennent pas l'accord des Etats-Unis. Il a demandé à M. Robin Cook comment il jugeait la PESC, ses progrès, ses lacunes, le rôle de M. PESC, etc. Quelle peut être l'autonomie de l'Europe de la défense par rapport à l'OTAN et aux Etats-Unis ? Il s'est enquis de sa position sur la réforme des institutions européennes en vue du Conseil européen de Nice.

Le Président François Loncle a demandé à M. Robin Cook comment il percevait les relations entre les Etats-Unis et l'Europe, avec l'arrivée d'un nouveau président à la Maison Blanche.

M. Robin Cook a estimé qu'il fallait d'abord respecter le choix du peuple américain. Mais de toute façon, il ne faut pas exagérer les conséquences de l'élection sur le reste du monde. Quel que soit le vainqueur, il travaillera sans problème avec lui.

Sur l'Irak, la paix et la réconciliation avec ce pays seraient souhaitables. M. Robin Cook s'est déclaré prêt à aller lui même à Bagdad pour conclure une telle paix, si les autorités irakiennes exprimaient un tel désir de réconciliation. Depuis que Saddam Hussein est au pouvoir, il a toujours montré un désir de domination sur la région en maintenant un état de guerre ininterrompu avec ses voisins, voire avec sa propre population kurde, contre laquelle il n'a pas hésité à utiliser des armes de destruction massive. Or il n'a pas aujourd'hui changé et il faut donc éviter que son régime puisse se refaire une santé financièrement car cela pourrait avoir des conséquences dramatiques.

Quant à l'éventualité d'un nouveau texte fondateur de la construction européenne, il est indispensable de bien réfléchir avant de réécrire l'ensemble du Traité car cela pourrait tout paralyser. L'expérience des deux récentes conférences intergouvernementales a montré la difficulté d'un tel exercice. Cependant, il y a un manque réel de clarté dans les objectifs et les compétences de l'Union européenne.

La pollution marine est un sujet sur lequel la Grande-Bretagne, nation maritime historique, a beaucoup travaillé. Le non-respect des conditions de sécurité par certains navires est préoccupant. Ce sujet a été évoqué au Conseil de Biarritz où un accord est apparu sur la nécessité de définir des critères très stricts sur la coque des navires. Ce serait tromper l'opinion que de faire croire qu'une décision européenne suffira à résoudre les problèmes car, pour être réellement efficace, une telle décision doit cependant être prise au niveau international.

Sur la politique européenne et de sécurité commune, M. Robin Cook a dit son enthousiasme sur les progrès réalisés, notamment depuis Saint-Malo. Toutefois, il est normal qu'à la marge sur certains sujets des divergences persistent, souvent pour des raisons historiques. Il est indéniable que l'Europe est beaucoup plus forte quand elle parle d'une seule voix. L'exemple du Sommet de Charm el-Cheikh avec la présence de M. Javier Solana l'a amplement démontré.

Avec l'élargissement, la Commission européenne ne peut pas continuer à enfler, sinon, lorsqu'il y aura 27 Etats dans l'Union européenne, la Commission sera pléthorique et ne pourra plus travailler efficacement. Il est possible de supprimer le deuxième commissaire des cinq grands pays, mais à condition d'obtenir une repondération des voix satisfaisante au Conseil européen et d'opérer une restructuration de la Commission européenne.

_______

Irak

Royaume-Uni

Union européenne


© Assemblée nationale