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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 28

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 3 avril 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

- Information relative à la Commission

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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères

M. Hubert Védrine a tout d'abord commenté les débuts de la nouvelle administration américaine. Cette nouvelle administration a une conscience aiguë de la force des Etats-Unis et manifeste des tentations « unilatéralistes », un unilatéralisme qu'il ne faut toutefois pas confondre avec de l'isolationnisme.

Cette administration reproche à la précédente son manque de professionnalisme et ses trop grands égards vis-à-vis d'un certain nombre de pays. Son attitude n'est pas seulement de la « realpolitik » mais semble marquée d'une idéologie profonde.

Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que les Etats-Unis sont réticents à souscrire de nouveaux engagements sur la Cour pénale internationale comme sur le climat. Leur politique à l'égard de la Chine et de la Russie n'est pas encore fixée.

Tous les membres de l'administration américaine ne semblent pas avoir la même vision, sans que l'on sache, à ce jour, ce que sera la ligne définitive des Etats-Unis. Les arbitrages ne sont pas encore rendus.

Au-delà de l'expression d'une disponibilité à travailler ensemble, les Etats-Unis affirment leur façon d'être, ainsi que l'illustre leur réaction par rapport à l'effet de serre ou la Corée du Sud. Pour ce dernier pays, l'approche américano-européenne de soutien à la politique prudente du Président sud-coréen vis-à-vis de la Corée du Nord a été écartée par la nouvelle administration.

En ce qui concerne les Balkans, les actions des groupes UCK sont une conséquence des accords signés entre la Serbie et la Macédoine sur les frontières, accords qui contrarient le projet d'une grande Albanie. La réaction internationale est homogène et préconise une action en deux temps : tout d'abord, une reprise en main sur le terrain et ensuite, une réponse constructive aux aspirations de la population albanaise de Macédoine. On ne peut en effet laisser se développer le projet de grande Albanie sans remettre en cause les efforts accomplis, notamment en Bosnie.

L'arrestation de M. Milosevic n'est pas une réelle surprise. Le Président Kostunica, qui est très attaché au droit comme moyen de réapprendre la démocratie, avait déclaré qu'il ne s'opposerait pas au jugement de Milosevic dès lors que ce jugement serait équitable. Ce qui s'est passé montre qu'on a eu raison de faire confiance au processus de démocratisation à Belgrade et à la nouvelle équipe au pouvoir.

Le Conseil européen de Stockholm a été essentiellement consacré aux questions économiques et sociales. Il n'y a pas eu de décisions importantes mais les discussions ont été utiles, qui ont permis de dégager un accord franco-allemand afin de résister à l'offensive de libéralisation sur les services publics lancée par la Commission. Ce n'est pas tant la direction qui est contestable que la rigidité d'un calendrier. Le Chancelier Schröder a ainsi affiché son soutien public à une position française. Cela conforte la politique qui consiste à essayer de se mettre d'accord en priorité avec l'Allemagne sur des sujets d'actualité, plutôt que de rechercher des accords immédiats sur des projets à long terme.

S'agissant de la question franco-allemande, le Président François Loncle a confirmé que douze députés de la Commission des Affaires étrangères se rendront à Berlin le 30 mai prochain pour une rencontre avec leurs homologues du Bundestag.

Qualifiant d'inquiétante la position des Etats-Unis qui s'apparente à un retour vers le « splendide isolement » du passé, Mme Odette Trupin a demandé au Ministre des Affaires étrangères ce qu'il pensait de leur position catégorique très grave concernant les accords internationaux de Kyoto et comment on pourrait les faire fléchir.

Elle a également souhaité connaître la position du Gouvernement français devant le sort des femmes afghanes qui subissent des discriminations intolérables et contraires aux lois internationales, discriminations imposées par le régime des Taliban, alors que la communauté internationale est alertée depuis plusieurs années.

Rappelant qu'il était un Européen convaincu, M. Charles Ehrmann a demandé quel était l'état d'avancement du seul sujet qui intéresse l'Europe depuis des mois, à savoir le changement des institutions avant l'élargissement. En outre, quand utilisera-t-on le dispositif des coopérations renforcées ?

M. Jacques Myard a fait remarquer que, d'une part, l'unilatéralisme américain montrera rapidement ses limites et, d'autre part, il permettra d'introduire un peu de réalisme dans l'internationalisme militant et utopique puisque l'on croyait vivre dans un monde qui n'existait pas. Il a déclaré ne pas avoir compris pourquoi le Ministre des Affaires étrangères s'était précipité à Washington pour voir la nouvelle administration américaine. Il eût été plus normal que ce soient les Américains qui viennent. Cela aurait montré que nous ne sommes pas à leurs ordres.

Sur le plan européen, une page de l'histoire est tournée puisque l'ordre du jour de Stockholm démontre le retour à des choses plus réalistes, c'est-à-dire la fin des agendas dithyrambiques. La seule question est de savoir si la crise interviendra avant 2004 ou après.

Le Président François Loncle a félicité au nom de la France M. Hubert Védrine pour avoir fait le voyage à Washington dans les circonstances où il l'a fait.

M. Pierre Brana s'est dit étonné par le contenu d'une tribune libre publiée récemment dans le journal Le Monde par Lord David Owen, l'ancien Secrétaire d'Etat britannique et envoyé de l'Union européenne pour la paix dans les Balkans. Il y parlait en effet d'indépendance du Kosovo, de modifications des frontières internationales, d'un couloir dans le Monténégro pour que la Serbie ait un accès à la mer et d'un échange avec une partie de la Republika Srspka de Bosnie. Est-ce dans l'air du temps ou les frontières internationales restent-elles intangibles ?

M. Pierre Brana a ensuite reconnu avoir apprécié la position du Ministre des Affaires étrangères sur le Proche-Orient, à savoir son scepticisme s'agissant de la résolution prévoyant l'envoi d'observateurs sur le terrain et sa préconisation d'une résolution basée sur le gel de la décolonisation et le bouclage des territoires occupés. Son prochain rendez-vous avec M. Shimon Peres lui donnera-t-il l'occasion de rebondir sur cette question ?

Enfin, il lui a demandé de dire quelques mots sur sa rencontre récente avec le Ministre des Affaires étrangères chinois, notamment sur les accords industriels entre des Français et Taiwan.

M. René André a tout d'abord salué la démarche consistant à montrer que la France restait attachée à un monde multipolaire.

Il a ensuite posé la question de savoir ce que faisait l'Europe pour la Macédoine dont la conduite est admirable à bien des égards. L'aide apportée est-elle suffisante et au niveau des mérites de ce pays ?

Enfin, il a souhaité savoir à quel stade était l'application du Pacte de stabilisation pour l'Europe du Sud-Est alors que les différents pays bénéficiaires font remarquer qu'il y a de belles promesses mais peu de réalisations. Quelle est l'évolution de la Résolution 1244 de l'ONU sur le Kosovo qui prévoyait un désarmement de l'UCK dont on sait qu'il n'en est rien, un retour des réfugiés serbes et une tentative de faire coopérer les Serbes et les albanophones ?

Soulignant que l'attitude de la nouvelle administration américaine n'était pas nouvelle dans le sens où dans le passé les Etats-Unis avaient déjà renié leurs engagements à l'OMC par exemple en subventionnant leur agriculture, M. François Guillaume a estimé qu'il était important de savoir la réaction de l'Europe face à ce comportement et comment la France va inciter l'Union européenne à adopter des positions fermes.

M. Paul Dhaille a souhaité aborder la question de la ratification par le Parlement français du Traité d'extradition entre la France et les Etats-Unis d'Amérique qui touche au problème de la peine de mort aux Etats-Unis. La Commission des Affaires étrangères a récemment examiné le projet de loi autorisant la ratification de ce texte mais a, grâce à son Président, habilement évité un vote qui risquait de déboucher sur un avis négatif sans préjuger de ce qui se passerait ensuite en séance publique. Pourquoi une convention signée en 1996 arrive-t-elle à l'Assemblée nationale peu de temps après l'élection de Georges W. Bush et alors que l'on connaît son attitude face à la peine de mort ? La situation actuelle en matière d'extradition de personnes risquant la peine de mort qui est soumise au contrôle du Conseil d'Etat et couverte par la Convention des droits de l'Homme est satisfaisante. Est-il donc opportun de maintenir ce texte à l'ordre du jour ?

Se réjouissant de la visite en France du commandant Massoud, M. Paul Dhaille a dit avoir le sentiment que le Ministre des Affaires étrangères n'avait pas grand-chose à lui dire pour soutenir et encourager son admirable combat.

Le Président François Loncle a précisé que ledit traité avait été retiré de l'ordre du jour de la séance publique du 5 avril prochain.

Rappelant que la France était coprésidente avec la Russie du Groupe de Minsk, M. François Rochebloine s'est inquiété de la situation au Haut-Karabakh. Certes aujourd'hui le cessez-le-feu est respecté par l'Arménie et l'Azerbaïdjan mais peut-on espérer une solution dans des délais relativement proches ?

Le Président François Loncle a jugé que c'était tout le problème de la capacité de concertation et de décision de l'Union européenne par rapport aux années 80.

M. Hubert Védrine a répondu aux intervenants.

Il a réaffirmé que l'administration Bush n'était pas isolationniste, elle est plutôt de tendance unilatéraliste. En effet, elle est très consciente de son pouvoir et de ses responsabilités sur le reste du monde, mais elle ne souhaite pas avoir à négocier avec d'autres au sujet de ces responsabilités.

Le refus du protocole de Kyoto est bien évidemment inacceptable. Les autres nations sont très conscientes que le réchauffement climatique est un vrai danger qui concerne l'ensemble de la planète. Un pays qui représente 3 % de la population mondiale et 25 % des émissions de gaz à effet de serre ne peut pas se désintéresser de ce phénomène. D'ailleurs, le débat ne fait que commencer aux Etats-Unis qui restent obsédés par la question de l'approvisionnement énergétique. Il faudra donc s'intéresser à l'évolution de la position de l'industrie pétrolière et à la réflexion qui pourrait naître sur le développement de l'électricité nucléaire. L'attitude des opinions publique et de la communauté scientifique pourrait être déterminante.

La situation des femmes afghanes est particulièrement choquante, même si l'ensemble de la population de ce pays subit des conditions de vie très difficiles. Il est très compliqué de faire pression sur l'Afghanistan, pays dans lequel il n'y a pas vraiment d'Etat et qu'aucune puissance n'a jamais réussi à coloniser. Ainsi personne ne peut vraiment influencer les Taliban, y compris ceux qui les soutiennent, comme le Pakistan. Faut-il alors garder des contacts avec les Taliban, recevoir leurs responsables quand ils vont à Paris... ? La France est l'un des rares pays à avoir des contacts avec les Taliban, car de nombreuses ONG françaises sont présentes en Afghanistan, et elles pensent comme nous que cela est utile. En effet, les Taliban occupent des territoires dans lesquels vivent 95 % de la population : selon les ONG présentes dans le pays, couper les liens avec ce régime rendrait la situation de la population encore plus difficile.

Le Conseil européen de Nice a fixé à 2004 le prochain rendez-vous institutionnel. Celui-ci sera précédé d'un débat public le plus large possible, qui pourra notamment passer par la mise en place d'une convention chargée de proposer des options. Ensuite, une conférence intergouvernementale brève sera organisée en 2004, laquelle débouchera sur un Conseil européen spécial. La réflexion préalable sera d'autant plus importante que les enjeux sont fondamentaux : il s'agira en effet de déterminer la répartition des pouvoirs entre les différents niveaux de compétence et de décider de la manière dont le pouvoir devra être exercé au niveau européen, de façon intergouvernementale ou supranationale.

Répondant à M. Jacques Myard au sujet de son voyage aux Etats-Unis, M. Hubert Védrine a estimé qu'il n'était pas anormal, mais au contraire utile, d'aller rendre visite fin mars à une nouvelle administration installée fin janvier. Actuellement, sur la scène mondiale, il faut se situer vis à vis des Etats-Unis. Pour autant, M. Hubert Védrine a contesté s'être précipité pour se rendre aux Etats-Unis, où il a d'ailleurs été précédé par la majorité des partenaires européens de la France. Concernant l'unilatéralisme américain, il faut préciser qu'il s'agit davantage d'une tentation que d'une réalité car la nouvelle administration n'a pas encore arbitré sur de nombreux sujets, dont la défense antimissiles.

Sur la présidence française de l'Union européenne, les résultats ont été nombreux. Tout d'abord, les questions institutionnelles en suspens depuis Amsterdam ont été réglées. De plus, en dehors de la CIG, le bilan de la présidence française est l'un des plus importants depuis 4 ou 5 présidences : cela peut expliquer que la Suède mette en avant des thèmes moins directement concrets.

Selon M. Hubert Védrine, le Ministre chinois des Affaires étrangères est en phase d'interrogation sur la nouvelle politique américaine ; il a posé des questions à ce sujet. Il a constaté que dans l'administration américaine certains souhaitent durcir le ton avec la Chine, mais on sait qu'il y a d'immenses intérêts dans l'autre sens. Pour les Américains, la Chine semble davantage être un adversaire stratégique potentiel qu'un partenaire stratégique, mais on ignore quelle en sera la traduction concrète. Il n'en ira pas forcément de même avec la Russie. En ce qui concerne la France, avec les rencontres entre le Président Chirac et le Président Zemin, il a été considéré depuis octobre dernier que l'on continuerait à développer des relations bilatérales politico-stratégiques et économiques normales.

Au Proche-Orient, la situation est très difficile. On avait le choix entre deux résolutions, l'une palestinienne et arabe exigeant beaucoup et exposée au veto américain, et une autre résolution, dont la France avait pris l'initiative, plus équilibrée. Elle prévoyait que chacune des parties devait s'efforcer de réduire le niveau de violence, que les Israéliens devaient lever le bouclage des territoires, chacun s'abstenant de toute décision unilatérale. Les Américains ont découragé les Européens à aller de l'avant et mis leur veto à la résolution palestinienne. Le texte français subsiste donc sans veto. On attend la venue prochaine de M. Shimon Peres en France.

S'agissant de l'article de Lord David Owen, il émane d'un excellent connaisseur des problèmes, mais qui n'est pas aux responsabilités. On ne peut envisager, sans risques majeurs, de remettre en cause les frontières.

Sur la Macédoine, beaucoup a été fait sur tous les plans, notamment depuis le début de la crise. L'Union européenne a conforté l'armée macédonienne, la France a fourni des drônes. Cependant les Européens ont aussi demandé aux dirigeants macédoniens de répondre de façon politique aux revendications légitimes de la communauté albanaise de Macédoine, qui représente 25 % à 30 % de la population de ce pays et ne détient que 3 % des postes dans la fonction publique. A défaut, l'action des petits groupes risque d'entraîner des fractures au sein des partis politiques albanais qui participent au Gouvernement macédonien. L'Union européenne organise des tables rondes pour faciliter les contacts entre les communautés, mais se garde de proposer un changement de constitution en fédéralisant le système politique.

Le Pacte de stabilisation avance mieux qu'on ne le pense, et permet à tous les pays des Balkans d'inventer de nouvelles relations entre eux. M. Hombach effectue un bon travail, particulièrement perceptible depuis la chute de Milosevic.

Sur l'application de la Résolution 1244, les élections municipales au Kosovo ont eu lieu, les élections générales sont en préparation, mais il faut bien définir les pouvoirs de l'Assemblée qui en sera issue. Le désarmement de l'UCK a été en partie seulement effectué. Les réfugiés serbes ne peuvent toujours pas revenir. Cependant, on n'a pas appliqué toutes les clauses, par exemple celle prévoyant le retour de l'armée yougoslave aux frontières externes. En dépit du travail remarquable accompli par M. Bernard Kouchner, on n'a pas pu encore recréer de conditions de cohabitation paisible entre les communautés, mais on a assuré la paix, créé une administration civile et un début de gouvernement démocratique.

Information relative à la Commission

A été nommé, le mardi 3 avril 2001 :

- M. Guy Lengagne, rapporteur pour le projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat, autorisant l'approbation du Protocole additionnel au Protocole de Sangatte entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif à la création de bureaux chargés du contrôle des personnes empruntant la liaison ferroviaire reliant la France et le Royaume-Uni.

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● Afghanistan

● Balkans

● Etats-Unis

● Ex-Yougoslavie


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