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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 32

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 mai 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, président,

et de M. Alain Barrau,
président de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, et de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes, sur le Traité de Nice et la construction européenne

- Information relative à la Commission


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Audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, et de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes, sur le Traité de Nice et la construction européenne.

Le Président François Loncle a introduit l'audition des ministres en rappelant que le projet de loi, autorisant la ratification du Traité de Nice, avait été adopté par le Conseil des Ministres le 9 mai dernier, date à laquelle il a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale. La date du 5 juin est envisagée pour l'examen du projet de loi en séance publique, de sorte que la France pourrait être, après l'examen du texte par le Sénat, l'un des premiers pays, voire le premier, à achever la ratification du traité. La Commission des Affaires étrangères examinera quant à elle le projet de loi le 29 mai.

M. Hubert Védrine a rappelé que M. Pierre Moscovici et lui-même étaient venus présenter devant la Commission et la Délégation, le 13 décembre dernier, le bilan de la Présidence française, et en particulier la conclusion de la Conférence intergouvernementale. Ils avaient alors souligné que l'accord de Nice était, vu le contexte difficile de la négociation, le meilleur possible, et que le résultat obtenu - qui permettra à l'Union de dépasser des blocages vieux de dix ans - serait peu à peu reconnu à sa juste valeur. L'accord de Nice a été assez injustement critiqué : par les commentateurs français, un peu en Allemagne, et surtout par le Parlement européen et la Commission. En revanche, les autres gouvernements européens et les pays candidats à l'adhésion ont tous marqué leur satisfaction.

L'accord de Nice ouvre d'abord la voie à l'élargissement de l'Union : les négociations d'élargissement sont entrées dans le vif du sujet et n'éludent plus les vrais problèmes, auxquels l'on s'efforce de trouver des solutions au fur et à mesure. Ensuite, le débat sur l'avenir de l'Union est lancé ; il se développera au plan national selon des modalités qui ont été choisies par le Président de la République et le Premier Ministre. Ce débat, que l'on souhaite large et démocratique, se poursuivra au moins jusqu'à la fin de l'année. Au plan européen, la méthode qui permettra de structurer la réflexion jusqu'à la Conférence intergouvernementale de 2004 devrait être définie au Conseil européen de Laeken, fin décembre 2001, sous Présidence belge.

M. Hubert Vedrine a brièvement rappelé les principales réformes institutionnelles prévues par le traité, et qui permettront de faire face à l'élargissement :

- l'introduction du principe du plafonnement de la Commission européenne, même si le nombre des commissaires ne sera défini que plus tard ;

- le renforcement des pouvoirs du président de la Commission sur le collège et la nomination de tous les commissaires, y compris du président, à la majorité qualifiée ;

- une nouvelle pondération des voix au Conseil permettant de préserver un équilibre entre Etats les plus peuplés et les moins peuplés ;

- une nouvelle répartition des sièges au Parlement européen pour permettre l'arrivée des parlementaires des nouveaux Etats membres ;

- une réforme importante de la Cour de justice et du Tribunal de première instance ;

- l'assouplissement du mécanisme des coopérations renforcées, qui sont étendues à la Politique extérieure et de sécurité commune (PESC) ;

- l'extension de la majorité qualifiée à vingt-sept nouveaux domaines, tout en préservant l'unanimité dans certains domaines essentiels comme la propriété intellectuelle, la culture, la santé et l'éducation.

Enfin, d'autres perfectionnements ont été apportés aux traités : l'amélioration de l'article 7 relatif au mécanisme d'alerte en cas de menace de violation des droits fondamentaux, la mise en place du Comité politique et de sécurité.

La plupart des Etats membres ont engagé les procédures de ratification, qui devront s'achever soit à la fin de cette année, soit en 2002. Seule l'Irlande a choisi de recourir au référendum qui aura lieu le 7 juin. Si le calendrier envisagé est tenu, et si le vote est celui espéré par le Gouvernement, la France sera en effet parmi les premiers pays à accomplir la procédure, ce qui sera un signal fort à l'intention de nos partenaires européens.

M. Pierre Moscovici a précisé que les trois principales questions traitées à Nice, dites « reliquats d'Amsterdam », avaient connu une impasse à plusieurs reprises. Chacun en connaissait la très grande difficulté ; c'est pourquoi le Gouvernement avait souhaité, et c'était l'objet de la déclaration commune franco-belgo-italienne, inscrire dans un texte solennel, annexé au Traité d'Amsterdam, la nécessité de résoudre ces trois questions avant le prochain élargissement. Le Parlement français a également marqué cette préoccupation en adoptant l'article 2 du projet de loi de ratification du Traité d'Amsterdam, qui rappelait la nécessité de progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions préalablement à la conclusion des négociations d'élargissement.

Le Gouvernement a considéré qu'élargir d'emblée le débat à de nombreuses autres questions, ce qui était suggéré par certains de nos partenaires, le Parlement européen et la Commission européenne, risquait de créer une certaine confusion. Ces questions diverses et importantes, qui seront évoquées dans les prochains mois dans le cadre du débat sur l'avenir de l'Union, auraient fourni un habillage commode à un éventuel nouvel échec sur les reliquats d'Amsterdam. Ainsi a été traitée séparément la Charte des droits fondamentaux, dont la négociation a commencé dans le scepticisme voire l'hostilité, et elle a été un succès à la fois sur le fond et dans la méthode nouvelle qui a été retenue, celle de la convention.

Le Ministre a indiqué que, sur la repondération des voix au Conseil et sur les coopérations renforcées, l'objectif fixé avait quasiment été atteint. A défaut de ce changement, le système de pondération existant aurait conduit l'Union à l'enlisement même en l'absence d'élargissement. On aurait voulu et du obtenir une Commission européenne resserrée, et il est regrettable que le soutien de nos partenaires habituellement les plus fervents défenseurs de la tradition communautaire ait manqué ; de même, la Commission européenne s'est peu engagée dans ce débat et ne s'est en l'occurrence pas montrée garante de l'intérêt supérieur européen, comme cela aurait dû être son rôle. Enfin, si les résultats sont sans doute insuffisants en ce qui concerne l'extension de la majorité qualifiée, au moins la France a t-elle fait preuve de flexibilité, ce qui n'a pas été le cas de tous nos partenaires. Un autre point mériterait d'être souligné : la modification apportée à l'article 7 relatif au respect des valeurs et droits fondamentaux de l'Union.

Le Ministre a conclu son propos en soulignant que la déclaration sur l'avenir de l'Europe ouvrait un débat plus large auquel la Commission des Affaires étrangères comme la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne devront contribuer. Il est souhaitable que nous soyons aussi les premiers à ouvrir ce débat, qui doit approfondir la réflexion sur l'Europe que nous voulons, sans se limiter aux questions institutionnelles.

M. Michel Vauzelle, rapporteur, a considéré que le Traité de Nice était indispensable en tant qu'étape nécessaire après l'échec d'Amsterdam. Il a demandé quels avaient été les domaines sur lesquels la négociation sur la majorité qualifiée n'avait pu aboutir et quels étaient les Etats membres qui s'étaient opposés à l'extension de cette procédure.

S'agissant des coopérations renforcées, il s'est interrogé sur les domaines où une telle coopération pourrait être initiée, et s'est enquis de l'objet éventuel de ces coopérations dans le deuxième pilier si les questions ayant des implications militaires ou de défense en sont exclues.

Il a regretté qu'une hiérarchie des normes n'ait pas été formulée, notamment en ce qui concerne le travail du Parlement européen, l'absence d'une telle hiérarchie étant l'un des éléments, parmi d'autres, qui nuisent à la lisibilité des institutions européennes.

Enfin, que peut-on attendre du Livre blanc sur la gouvernance préparé par le Président Prodi : ce document ne risque t-il pas de demeurer un simple catalogue de bonnes intentions comme on en a déjà vu sur le thème de « légiférer moins et mieux » sans que pour autant on ait constaté les résultats attendus de ce genre de formule ?

M. Pierre Moscovici a précisé que le vote à la majorité qualifiée avait été étendu par le Traité de Nice à vingt-sept nouveaux articles, résultat obtenu après de très nombreuses heures de négociation. Ainsi, la nomination du président et des membres de la Commission, de Monsieur PESC et de son adjoint, la définition de certaines politiques internes (cohésion, industrie, modernisation des systèmes de protection sociale par exemple), les questions économiques et financières, certaines mesures nécessaires à l'introduction de l'euro, notamment, seront décidées à la majorité qualifiée. Il en va de même des négociations commerciales dans le domaine des services (article 133). La France, qui était sur la sellette sur ce sujet, a d'ailleurs accepté le principe du vote à majorité qualifiée en obtenant des limitations : les accords concernant les services culturels et audiovisuels, les services d'éducation, les services sociaux et de santé humaine relèvent désormais de manière explicite d'une compétence partagée entre la Communauté et les Etats membres. Les accords qui portent sur la propriété intellectuelle sans présenter d'aspect commercial restent exclus du champ de la politique commerciale commune.

En outre, le vote à la majorité qualifiée a été étendu à l'asile, l'immigration et la libre circulation des personnes, mais la France a obtenu que le calendrier prévu par le traité d'Amsterdam soit respecté. L'extension du vote à la majorité qualifiée s'appliquera dès la date d'entrée en vigueur du traité à la coopération judiciaire civile, aux dispositions relatives à l'asile et aux réfugiés, à partir du 1er mai 2004 à la coopération administrative en vertu d'un protocole, et dans les autres domaines comme prévu à Amsterdam.

Les sujets de déception portent en particulier sur la fiscalité (même environnementale) et la coordination des régimes de sécurité sociale : ces sujets ont souffert du blocage prévisible de la Grande-Bretagne et de l'absence d'un soutien suffisant de l'Allemagne. On aurait attendu un volontarisme plus grand des Etats membres sur ces sujets.

S'agissant des coopérations renforcées, leur mise en _uvre est assouplie, le nombre minimal d'Etats membres participants est fixé à huit, le droit de veto est supprimé dans les premier et troisième piliers. La possibilité d'y recourir est ouverte dans le deuxième pilier.

Le problème de la hiérarchie des normes est clairement posé dans le débat sur l'avenir de l'Union européenne qui englobe quatre questions : la répartition des compétences, le statut de la Charte des droits fondamentaux, la simplification et la réécriture des traités (avec les modes de votation), la participation des parlements nationaux, dans laquelle s'inscrira aussi la réflexion sur une éventuelle deuxième chambre.

Le Ministre a estimé que le Livre blanc sur la gouvernance était un travail consistant qu'effectue la Commission, et qui sera assorti de propositions concrètes.

M. Hubert Védrine a ajouté qu'il avait été impossible d'étendre les coopérations renforcées dans le deuxième pilier à la défense en raison de l'opposition radicale de la Grande Bretagne et de la Suède. Il a précisé que les coopérations renforcées étaient une faculté et que des initiatives hors traité pouvaient continuer à être prises par les Etats membres en matière de défense.

M. Alain Barrau a tout d'abord rappelé qu'il avait déjà donné son sentiment sur le Traité de Nice et qu'il avait été choqué par les critiques assez injustifiées sur l'aboutissement de la négociation étant donné la difficulté de la tâche. Il s'est dit heureux de voir que la procédure de ratification devrait aboutir avant la fin du mois de juin.

S'agissant du mécanisme de Nice, deux choses sont surprenantes. D'une part, la contribution de la Commission a été un peu flottante et, d'autre part, la coopération franco-allemande ne s'est pas montrée très efficace quant au résultat final de la négociation. Il y a là deux décalages par rapport à ce que l'on attendait.

A propos de « l'après Nice », on peut penser que le Parlement européen adoptera fin mai un texte globalement favorable au Traité de Nice et dans l'ensemble, on peut penser que les ratifications se passeront convenablement dans les pays européens.

En France deux questions se posent. Nous avons rattrapé un handicap collectif dans le sens où certains pays candidats considéraient que la France ne voulait pas de l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale. A présent que la France a fait son travail et qu'aucun reliquat ne demeure, comment considère-t-elle le rôle politique qu'elle a à jouer dans l'élargissement ?

Enfin, si Amsterdam a donné plus de pouvoirs au Parlement européen, Nice doit déboucher sur plus de pouvoirs pour les parlements nationaux dans leur travail de contrôle de l'action communautaire. Il faut un grand débat politique national sur cette question. Comment l'exécutif prépare-t-il la place accrue des parlements nationaux dans le contrôle démocratique national des questions européennes ?

M Pierre Moscovici a estimé qu'il n'y avait pas lieu de porter un jugement si sévère sur l'attitude de la Commission européenne. Dès novembre 1999, elle avait apporté, à travers son rapport, une contribution utile et précoce au débat. Quant au commissaire chargé des questions institutionnelles, M. Michel Barnier, il a fait un travail honnête et sérieux. Plus décevant avait été le rapport commandé à un comité de sages sous l'impulsion de M. Dehaene, car il traitait finalement surtout du renforcement du rôle de la Commission. Pour autant, il est vrai que la position de la Commission a été insuffisamment évolutive au cours de la négociation, et notamment à Nice, ce qui n'a pas permis de profiter des légères inflexions de la position de certains pays afin d'inventer d'autres solutions plus créatives. Il est vrai que la présidence a été à l'origine des compromis alors que le président de la Commission a eu une influence limitée.

M. Hubert Védrine a observé que si les gouvernements ont beaucoup été critiqués à Nice pour avoir fait prévaloir leurs intérêts nationaux, c'est une attitude que l'on retrouve dans toutes les institutions, y compris la Commission.

Sur la relation franco-allemande, il ne faut pas mal interpréter la signification des tensions intervenues pendant la négociation ; ce type de négociations est toujours difficile par essence, comme ce sera encore le cas en 2004. Il faut pourtant reconnaître l'absence de position harmonisée entre la France et l'Allemagne préalablement à la négociation de Nice. Cette période a été assez difficile, l'Allemagne, très légitimement, défendant comme tous les Etats ses intérêts. Depuis Nice, les dirigeants allemands ont montré une disponibilité assez nouvelle pour rapprocher les positions entre nos deux pays.

M. Pierre Moscovici a expliqué comment il était possible d'afficher une volonté politique forte sur l'élargissement. La première étape consiste à ratifier au plus vite le Traité de Nice, d'où le calendrier choisi par la France en accord avec le Parlement. Ensuite, il convient d'engager le débat sur l'avenir de l'Europe, en associant les pays candidats, notamment en faisant participer leurs représentants aux forums décentralisés régionaux qui se tiendront. Enfin, il faut se rendre dans les pays candidats pour parler avec leurs dirigeants dans le cadre de tournées comme celle que vont faire les ministres des affaires étrangères et des affaires européennes prochainement, et de visites prévues par le Président de la République et le Premier ministre. La France devrait, comme l'Allemagne, pouvoir être considérée comme l'avocat ardent de la cause des pays candidats.

La place des parlements nationaux sera un des sujets majeurs du débat qui débouchera en 2004, sujet sérieux et difficile qui touche aux pouvoirs et à la souveraineté, pour lequel les idées émanant de l'Assemblée nationale comme du Sénat seront les bienvenues.

Sur l'élargissement, M. Hubert Védrine a rappelé que la France avait longtemps été seule à insister sur la nécessité de traiter très sérieusement cette question, ce qui lui a valu de nombreuses critiques. Aujourd'hui il est admis que l'essentiel est de réussir l'élargissement plutôt que de le réaliser le plus vite possible. C'est pourquoi la France est opposée à la fixation purement artificielle et politique de dates précises d'adhésion car cela signifierait que la négociation en cours n'est pas sérieuse. Nous avons sur ce point une approche commune avec l'Allemagne.

En ce qui concerne le rôle des parlements nationaux, il y a une réelle nécessité démocratique à trouver avant 2004 une façon de les faire participer plus activement au fonctionnement de l'Union.

M. Valéry Giscard d'Estaing a noté que le débat sur le Traité de Nice allait se dérouler à la lumière de deux éclairages nouveaux, à savoir la proposition du Chancelier Schröder et la réaction du Gouvernement français à celle-ci.

S'agissant du texte du traité lui-même, la question se pose de savoir si on a une idée de quelque coopération renforcée que ce soit. Quelle sera la prochaine ? Est-ce une fausse fenêtre, comme il le croit, ou bien y a t-il une substance prévisible à cette notion ?

Concernant la réduction du nombre des commissaires voulue par le Gouvernement, il s'est demandé quelle logique avait prévalu. Pourquoi la France a t-elle accepté de sacrifier l'un de ses deux commissaires alors que la réduction du nombre des membres de la Commission n'aura pas lieu et qu'en outre, le nombre des membres de la Commission augmentera à vingt-sept, ce qui par ailleurs sera ingérable ? En outre, sur les vingt-sept commissaires, quatre seulement seront originaires des grands pays historiques de l'Union représentants le noyau fondateur, ce qui signifie une Commission très faible sur le plan politique et de la culture européenne.

On peut également s'interroger sur la disposition bizarre qui consiste à décider que toutes les réunions du Conseil européen se tiendront dorénavant à Bruxelles. Ayant été à l'origine de la tenue pour la première fois d'un Conseil européen en France, M. Valéry Giscard d'Estaing a souhaité savoir qui a proposé une telle mesure et qui a l'a acceptée, renonçant ainsi à ce que des Conseils se tiennent à l'avenir en France.

Souhaitant revenir sur l'articulation entre les propositions du Chancelier Schröder et le Traité de Nice, M. Valéry Giscard d'Estaing a observé que la France tenait à ce que quatre sujets soient traités en 2004, à savoir la répartition des compétences entre le niveau européen, le niveau national et le niveau des collectivités locales, le statut de la Charte des droits fondamentaux, la simplification des traités et le rôle des Parlements nationaux. Il ne s'agissait dans un premier temps que de traiter ces questions (dont la première semble d'ailleurs complètement oubliée), et il ne s'agissait pas de remettre en chantier l'ensemble de la construction européenne. Or M. Gerhard Schröder vient de proposer une révision complète du système institutionnel de l'Union européenne, ce qui est donc en désaccord avec les souhaits français. Ce désaccord a-t-il été dissipé, la France acceptant cette révision de l'architecture européenne, ou notre pays reste t-il sur sa position antérieure ?

La question est importante car si on se situe dans la ligne du Chancelier Schröder, deux aspects posent problème. Tout d'abord la prépondérance institutionnelle du Parlement européen, où le poids de l'Allemagne sera renforcé alors que d'autres grands Etats dont le nôtre auront une représentation diminuée. L'équilibre historique sera ainsi modifié en faveur de l'Allemagne au moment où celle-ci propose que le Parlement européen soit un pivot du système. Ensuite, il est proposé que la Commission devienne le gouvernement européen, idée saugrenue quant on voit ce que deviendra la Commission, mais c'est l'idée initiale du Traité de Rome. Si un jour elle était acceptée, elle serait incompatible avec le Traité de Nice puisque l'on aurait alors un gouvernement en Europe avec par exemple trois membres baltes et un membre allemand ou français. Il nous est ainsi demandé de ratifier un traité qui est incompatible avec les propositions du Chancelier Schröder, ce qu'il reconnaît d'ailleurs. Que doit-on faire alors ?

Enfin, la préférence française allant dans le sens d'un rôle important du Conseil, pourquoi le Gouvernement a t-il accepté que la pondération des voix de la France soit plus faible que son poids démographique et économique ? Quelle est la logique du Traité de Nice par rapport aux options futures sur l'organisation des institutions de l'Union ?

M. Hubert Védrine a rappelé que M. Valéry Giscard d'Estaing avait déjà eu l'occasion de faire part de ses analyses incisives sur le Traité de Nice et qu'il y avait alors répondu. L'octroi à la Belgique de l'organisation de tous les Conseils européens à Bruxelles a résulté de la nécessité de trouver une compensation de nature à obtenir l'accord de ce pays, qui y restait seul opposé, sur le résultat global de la négociation, sans retoucher aux délicats équilibres qui avaient été obtenus. Pour autant, cette proposition était également inspirée par des préoccupations pratiques, les Conseils européens étant difficiles et coûteux à organiser alors que la ville de Bruxelles possède les installations permettant d'accueillir facilement ces conseils et d'arrêter cette « errance ».

Concernant l'articulation entre le Traité de Nice et les propositions du Chancelier Schröder, il faut d'abord voir qu'actuellement tous les Etats membres, dont l'Allemagne, ne sont engagés que par le Traité de Nice, complété par la Déclaration annexe sur la préparation de l'échéance de 2004, réclamée par l'Allemagne au nom de la protection du principe de subsidiarité. Mais cela n'empêche aucunement les uns et les autres de formuler des souhaits et des propositions sur l'avenir à long terme de l'Europe. La proposition Schröder reprend d'ailleurs les idées classiques du SPD sur la question ; elle est cependant assez habile car elle combine une vision très européenne et fédéraliste et une baisse de la contribution financière de l'Allemagne. En Belgique, cette proposition a reçu un écho favorable. Le débat ne fait que s'engager, même en Allemagne, il n'est pas clarifié car s'il y a la proposition Schröder, il y a aussi le discours de l'an dernier de Joschka Fischer, lequel s'est distancié de l'approche du SPD et s'est montré compréhensif vis à vis de la vision française. Les positions sont très mouvantes et elles vont encore évoluer d'ici 2004 ; il faut que la phase de foisonnement d'idées continue avant que le débat puisse se clarifier.

M. Pierre Moscovici a rappelé que la question du renoncement des grands Etats à leur deuxième commissaire avait été pratiquement réglée à Amsterdam, du fait du lien établi dans le Protocole sur les institutions entre ce sujet et la repondération des voix. Sans la garantie du maintien d'un commissaire par Etat membre, les petits Etats membres n'auraient pas accepté la repondération. Plusieurs Etats membres voient leur poids se réduire quelque peu dans la nouvelle pondération, mais il faut considérer que la prise de décision au sein du Conseil sera facilitée. Par ailleurs l'on a obtenu le maintien de la parité des quatre grands Etats au Conseil. Enfin, si l'on traite au fond des choses les quatre sujets listés en annexe au Traité de Nice, on n'est en réalité pas loin d'élaborer une nouvelle architecture de l'Union.

Signalant que le Premier ministre belge venait d'annoncer que l'accord Eurojust serait la priorité de la Présidence belge, M. Pierre Brana a souhaité savoir si à Nice, où d'ailleurs l'on n'avait pas avancé sur ce point, des oppositions, des discussions étaient apparues.

Concernant la question des modalités de vote au conseil, M. Gérard Fuchs a estimé que la double majorité population/Etats aurait été plus compréhensible pour le grand public, tout en étant assez proche des résultats obtenus.

Concernant les coopérations renforcées, il a estimé qu'elles avaient deux vertus, celle de nouer des coopérations entre un groupe limité d'Etats membres pour aller de l'avant et celle d'être un argument de négociation pour décider certains Etats membres réticents en matière fiscale par exemple, à se rallier à une position commune. A t-on des exemples de mise en _uvre possible de ce dispositif ?

S'interrogeant sur une méthode pour l'avenir, il s'est dit favorable à l'introduction d'une étape préalable à la CIG, qui sera nécessaire compte tenu des enjeux, étape qui permettrait d'élaborer un projet cohérent dont celle-ci débattrait ensuite, avant de terminer par la négociation elle même. Quelles leçons peut-on tirer en la matière de la préparation de Nice ?

M. Jacques Myard a estimé que l'on y voyait moins clair après Nice qu'avant. Le système est devenu très complexe et les peuples ne s'y retrouvent pas ; la France surtout est maintenant de plus en plus dans une position minoritaire au sein de l'Union européenne. En outre, il est regrettable que le peuple français ne soit pas consulté par référendum sur la ratification du Traité de Nice, d'autant qu'après la ratification, le Gouvernement dit vouloir lancer un débat pour essayer de populariser cette idée européenne qui échappe à tout le monde.

M. Charles Ehrmann a regretté que l'Union européenne n'aille plus autant de l'avant que dans les années précédentes sous l'impulsion de la Commission européenne, et que l'idée d'un nécessaire approfondissement avant l'élargissement soit abandonnée.

Mme Nicole Catala a dit avoir le sentiment que Nice consacrait une prééminence de l'Allemagne qui est gênante. Or l'Union européenne était fondée sur le principe de la parité entre les pays fondateurs, parité qui a été abandonnée. Le SPD allemand cherche à travers ses propositions à utiliser cette prééminence, ce qui est inquiétant.

L'Allemagne, sous la pression de ses Länder, préconise une subsidiarité qu'elle-même réclame depuis des années sous la forme d'une répartition des compétences. Mais la subsidiarité telle que voulue par les Länder allemands ne va-t-elle pas remettre en cause ce qui a été transféré à l'Union européenne. Il semble en outre que le Traité de Nice transfère certaines compétences puisque dorénavant, l'Union européenne traitera de la modernisation des systèmes de protection sociale, ce qui soulève des questions.

Enfin, comment fonctionnera la CIG de 2004 ? Devra t-on faire intervenir des experts, des diplomates, ou fera-t-on appel à une convention sur le modèle de celle qui a permis l'élaboration de la Charte des droits fondamentaux ?

M. Hubert Védrine a précisé que la faculté de recourir plus facilement à la coopération renforcée est importante même si l'on n'a pas de projet précis à l'heure actuelle ; cette procédure permettra peut être des progrès techniques dans un certain domaine, ou bien des progrès politiques.

Il est trop tôt pour ce prononcer sur ce que sera la prochaine CIG, et la façon dont elle peut être précédée d'une convention, voire d'un comité des sages que certains voient d'ailleurs intervenir avant ou après la convention. La subsidiarité est en effet l'un des sujets majeurs qui seront abordés.

Le SPD allemand réfléchit depuis longtemps à ces questions, mais l'on y prête sans doute davantage attention aujourd'hui. Il ne faut pas craindre l'influence allemande dans ces débats, mais considérer que l'influence de la France est importante aussi.

M. Pierre Moscovici a ajouté que des coopérations renforcées dans le premier pilier sont envisageables, bien que délicates : ainsi, elles pourraient être inaugurées dans le domaine de l'éducation ou de la recherche, ou dans le domaine universitaire, par exemple. Elles seraient particulièrement pertinentes dans les domaines de coopération policière et judiciaire pour aller progressivement vers un espace judiciaire commun. Les dispositions relatives à Eurojust ont été incluses dans le Traité à l'initiative de la France.

Le nouveau système de votation du Conseil ne sera pas forcément plus complexe. La première « clé », qui est celle des voix, respecte toujours la parité entre les grands Etats. Le cas de figure d'une alliance des petits pays pour bloquer un projet au moyen de la deuxième clé, celle des Etats, n'a jamais eu lieu en pratique jusqu'à présent. Enfin, la troisième clé, celle de la majorité des populations, ne jouera qu'exceptionnellement. Il y aura donc, en pratique, peu de différence avec le système actuel.

Le Traité de Nice ne comporte pas de transfert de compétences , ce qui a été vérifié par le Conseil d'Etat. C'est d'ailleurs pourquoi le Danemark ne l'a pas soumis au référendum. En revanche, il est certain que l'ouverture du débat sur la répartition des compétences entre les différents niveaux d'administration en Europe permettra des évolutions vers le haut ou vers le bas en ce qui concerne les compétences confiées à l'Union européenne.

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Information relative à la Commission

A été nommé, le mercredi 15 mai 2001 :

- M. Michel Vauzelle, rapporteur pour le projet de loi n° 3045 autorisant la ratification du Traité de Nice.

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● Traité de Nice

● Union européenne


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