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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 26 juin 2001
(Séance de 18 heures)

Présidence de M. François Loncle, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Bachar El Assad, président de la République syrienne

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Audition de M. Bachar El Assad, président de la République syrienne

Le Président François Loncle a indiqué que la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale se préoccupait au plus haut point de la situation au Proche-Orient et a souhaité entendre les principaux responsables politiques de la région. C'est pourquoi il avait décidé d'inviter devant la Commission des Affaires étrangères M. Ariel Sharon, premier ministre d'Israël, M. Yasser Arafat, président de l'Autorité palestinienne, et M. Bachar El Assad qui a bien voulu accepter cette invitation.

Il est pour le moins contradictoire de reprocher à la France de ne pas être présente sur la question du Proche-Orient et d'entendre dans le même temps certains critiquer ceux qui cherchent à dialoguer avec les principaux acteurs de la situation au Proche-Orient.

Le Président François Loncle a souligné que le Président Bachar El Assad était un dirigeant jeune et moderne qui suscite de grandes attentes parmi la population de son pays et au sein de la communauté internationale. Il a plus particulièrement insisté sur quelques sujets sur lesquels la Commission aimerait entendre le Président syrien, notamment les déclarations faites à l'égard d'Israël lors de la visite du Pape et sur lesquelles il a déjà apporté des éléments d'explication sur France 2, ainsi que le redéploiement des troupes syriennes au Liban et de façon plus générale la situation au Proche-Orient.

Le Président Bachar El Assad a fait part du plaisir qu'il éprouvait à rencontrer les représentants du peuple français. En effet, il est indispensable d'essayer de se comprendre entre cultures différentes. Les tensions entre les nations sont souvent liées à une mauvaise connaissance de l'autre. Il a évoqué les entretiens qu'il a eus avec le Président Jacques Chirac et le Premier ministre Lionel Jospin, au cours desquels de nombreux sujets ont été abordés dans les domaines économique, politique et culturel.

Dans le domaine politique, la question cruciale est la situation au Proche-Orient, où l'Europe doit jouer un rôle et la France tout particulièrement compte tenu de l'excellence des relations franco-arabes en général et franco-syriennes en particulier.

En 1967, suite à la guerre des six jours, de nombreuses résolutions des Nations unies ont décidé le retour à la situation antérieure par la restitution des Territoires occupés par Israël et le retour des réfugiés. Pourtant, la région est restée en situation de guerre latente jusqu'en 1991 avec la Conférence de Madrid où le principe de « la terre contre la paix » a été de nouveau proclamé. Dix ans après, le processus ne s'est pas réalisé, et à de nombreux égards, la situation s'est dégradée. Il reste néanmoins un certain espoir pour arriver à cette paix.

Quand la partie arabe, en 1991 s'est dirigée vers la paix, il n'y a pas eu de coordination mais dès le départ elle s'est référée à la légitimité internationale et aux résolutions du Conseil de sécurité. Il y eu plusieurs cycles de négociations entre la Syrie et Israël et de nombreux progrès avaient été accomplis avant l'assassinat d'Itzhak Rabin en 1995. La situation s'est dégradée avec l'arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyaou car il a remplacé le principe de « la terre contre la paix » par celui de « la sécurité contre la paix », or la sécurité fait partie de la paix. Benjamin Netanyaou a refusé le processus de Madrid et les résolutions du Conseil de sécurité.

Quand Ehud Barak est devenu Premier ministre, le monde entier était optimiste. Des négociations ont eu lieu sous l'égide des Etats-Unis. La Syrie a insisté sur l'application des résolutions du Conseil de sécurité, mais les négociations ont échoué car Israël n'a pas reconnu la légitimité internationale. Dès qu'Ariel Sharon a été nommé Premier ministre, les Israéliens ont commis des actes de violence en Palestine et au Liban, visant les troupes syriennes.

Israël croit en la force contre la Syrie or il n'y a pas de sécurité sans paix. Des voix en Occident demandent quelles sont les conditions posées par la Syrie pour arriver à la paix, mais la Syrie ne pose pas de conditions en tant que telles car elle a décidé de s'en référer aux résolutions du Conseil de sécurité auxquelles tous les Etats sont attachés. D'ailleurs en 1991 elle n'avait pas posé de conditions et s'était ralliée au principe de « la terre contre la paix », principe alors défendu par les Etats-Unis, l'Europe et les Etats arabes. La validité de ce principe a été reconnue mais Israël ne l'a jamais respecté, et s'apprête actuellement à la guerre, ce que tous les gouvernements arabes s'efforcent d'éviter.

Des tentatives comme le rapport Mitchell et l'initiative jordano-égyptienne ont permis d'établir un dialogue dans la région. La Syrie n'a pas d'objections de principe sur ces initiatives même si l'on doit distinguer entre celles qui proposent un cessez-le-feu et celles qui visent à établir la paix par l'application des résolutions du Conseil de sécurité. En effet, si l'on ne se fonde pas sur la légitimité internationale, on risque de créer la confusion et de porter atteinte aux Nations unies. Ainsi le rapport Mitchell insiste sur le gel des colonies de peuplement mais les résolutions appellent à leur démantèlement. Il n'est pas facile de trouver une solution alternative à la légitimité internationale. Certains se demandent si Ariel Sharon est prêt à faire la paix, personne n'y croit ni dans le monde arabe ni ailleurs.

On a demandé si la Syrie était prête à faire la paix avec Ariel Sharon. Elle a des droits qu'il lui importe de faire valoir sur ses terres, les autres questions ne sont pas de son ressort. L'élection d'Ariel Sharon a donné l'impression que les Israéliens n'aspiraient pas à la paix alors que Shimon Peres la symbolisait. Il n'y a donc pas de réponse claire, seuls les Israéliens sont à même de répondre.

La Syrie n'a pas changé de position malgré les événements récents. Deux principes inspirent toujours sa position : le désir d'une paix globale et juste, avec la reconnaissance de ses propres droits ainsi que des droits des autres Etats arabes, et le respect des résolutions du Conseil de sécurité et de la Conférence de Madrid. Mais il semble que la recherche de la paix ne peut plus se faire selon les méthodes du passé, qui ont échoué. La France, les autres pays européens devraient en tenir compte et rechercher une nouvelle méthode en se posant par exemple les questions suivantes : quelles sont les références en politique internationale ? Qui les a respectées et qui ne l'a pas fait ? Le rôle actif tant de l'Europe que des Etats-Unis reste nécessaire pour instaurer la paix. Par ailleurs, la Syrie a confiance en la France comme en l'Union européenne.

Le Gouvernement syrien met actuellement en _uvre un programme global de développement économique, social et aussi culturel, en concentrant ses efforts sur la formation. Dans ce dernier domaine, le Président Bachar El Hassad a fait part au Président Chirac de son souhait de voir s'ouvrir en Syrie des antennes des universités françaises. La présence française a été faible dans le pays pendant les années 80 et 90 ; il serait souhaitable qu'elle soit plus palpable ; une amélioration se produit peu à peu depuis la visite de M. Chirac en 1996.

Evoquant « l'ère nouvelle », terme généralement utilisé pour qualifier la succession de M. Bachar El Assad à son père, Mme Odette Trupin lui a demandé s'il pensait signer un jour un accord de paix avec Israël, et qu'elle était selon lui la condition de la paix avec cette nation.

Le Président Bachar El Assad a répondu que la Syrie n'imposait aucune condition à la paix au Proche-Orient. Ou bien l'on pourrait parler d'une condition qui s'impose à tous les pays du monde, soit le respect des résolutions du Conseil de sécurité. La France a d'ailleurs voté ces résolutions. La Syrie est déterminée à déployer tous ses efforts, car si la paix ne s'établit pas, ce sera le chaos. Elle a déjà agi sur le plan intérieur en préparant le peuple syrien à la paix avec Israël, qui a été son ennemi pendant plusieurs décennies.

Soulignant que depuis plusieurs années des associations humanitaires et de défense des droits de l'Homme faisaient état d'arrestations arbitraires et d'actes de torture à l'encontre de Libanais en Syrie, M. François Rochebloine a souhaité savoir si le Président Bachar El Assad pouvait assurer aux parlementaires français que ces prisonniers libanais détenus en Syrie seraient rapidement libérés ou remis aux autorités libanaises.

Le Président Bachar El Assad a précisé que tous les prisonniers libanais détenus dans les prisons syriennes ont été libérés. Bien que ces prisonniers aient été les auteurs de tueries contre les soldats syriens au Liban, des accords d'extradition ont été passés entre la Syrie et le Liban et les prisonniers ont été extradés. Le Gouvernement est prêt à étudier les plaintes éventuelles que lui présenteraient les autorités libanaises.

M. Pierre Brana s'est dit heurté et choqué, comme de nombreux citoyens et parlementaires français, par les propos prononcés par le Président Bachar El Assad début mai à Damas devant le Pape Jean-Paul II, où il accusait Israël de « tenter de tuer tous les principes des religions célestes, de la même manière qu'ils (les Juifs) avaient trahi Jésus et essayé de tuer le prophète Mahomet » et par l'affirmation, émise lors d'un sommet arabe réuni à Amman, selon laquelle « le racisme des Israéliens avait surpassé le nazisme ». Peut-il confirmer ces propos ?

Le Président Bachar El Assad a répondu qu'il souhaitait un dialogue et une compréhension mutuelle entre les différentes cultures. Il y a eu un malentendu. La Syrie a de nombreux problèmes avec Israël avec qui elle partage des frontières communes. Ces problèmes existent depuis 1948, et même avant. L'aviation israélienne bombarde régulièrement la Syrie qui accueille 500 000 Palestiniens, dont une partie de la famille vit dans les Territoires occupés. Chaque jour, on compte en Syrie un ou plusieurs morts.

Le Président Bachar El Assad a précisé que, parlant devant une autorité religieuse, il avait établi une analogie entre les souffrances des Palestiniens et de Jésus. Il a parlé d'Israël, pas des Juifs, d'Israël qui torture les Palestiniens. La Syrie reconnaît le judaïsme qui s'inspire du même Dieu que les Chrétiens ou les Musulmans ; des Juifs habitent la Syrie. Les propos cités n'avaient d'autre but que d'établir une analogie entre deux souffrances. Les Allemands d'aujourd'hui ne sont en rien responsables des crimes de leurs pères. La Syrie n'a pas de complexe vis-à-vis du nazisme. La notion de souffrance est universelle et peut être ressentie par tous les hommes. C'est la vérité de dire qu'Israël perpétue des tueries. La France, qui se veut la patrie des droits de l'Homme, ne peut accepter cette situation.

M. Jacques Myard a rappelé que dans le conflit arabo-israélien existait un autre conflit qui touche les Français, à savoir la situation du Liban. A cet égard, la restauration d'un Liban libre, totalement souverain et non occupé par des troupes étrangères ne constituerait-elle pas un premier pas vers la résolution du conflit arabo-israélien et ainsi n'apporterait-elle pas une crédibilité plus grande au désir de paix de la Syrie ?

Le Président Bachar El Assad s'est déclaré en accord avec M. Jacques Myard. La Syrie a pris des mesures en coordination avec les autorités libanaises pour le redéploiement de son armée au Liban. Cela s'est effectué parallèlement à la restitution de Territoires occupés par Israël. La présence syrienne au Liban a diminué par rapport au passé et a vocation à disparaître. Des accords sont conclus pour préparer l'armée libanaise à être en mesure d'assurer son rôle de sécurité et de défense.

M. Georges Hage a annoncé que lui revenaient la lourde tâche et l'insigne honneur de conduire, à l'automne, une délégation de la Commission des Affaires étrangères en Jordanie, au Liban et en Syrie, qui constituera une sorte « d'épreuve-terrain de vérité ». Il a donc souhaité que les autorités syriennes facilitent la réussite de cette mission qui sous-tend la paix au Proche-Orient.

Le Président Bachar El Assad a observé que la mission de M. Georges Hage au Proche-Orient sera un succès dès lors qu'il viendra armé des résolutions de l'ONU.

Soulignant la place stratégique importante occupée par la Syrie dans cette région du monde qui, avec le futur élargissement de l'Union européenne mettra ce pays aux portes de l'Europe, M. René Mangin a demandé au Président Bachar El Assad comment la Syrie pouvait intervenir pour arrêter le drame des peuples en Irak et mettre un terme à ce gâchis humain.

Le Président Bachar El Assad s'est déclaré très heureux d'entendre un député français évoquer cette question. L'embargo contre l'Irak n'est plus un problème politique mais humanitaire. Des souffrances supplémentaires sont infligées à l'Irak qui ne sont pas prévues dans les résolutions du Conseil de sécurité, comme par exemple la mise en place de zones interdites. La France a d'ailleurs refusé de s'associer aux opérations de bombardements qui tuent des civils irakiens. La Syrie a eu des différends avec Saddam Hussein. Mais aujourd'hui, ce pays est détruit et il convient de tout faire pour soulager ce peuple. Jusqu'à quand vont durer ces sanctions ? L'Irak possède-t-elle encore des armes ? Certains affirment même que les armes introuvables en Irak seraient cachées en Syrie. Tout cela est risible. Il est horrible de laisser tuer le peuple irakien de façon aussi barbare. Il est normal que les peuples de la région se révoltent devant ce spectacle. Les résolutions du Conseil de sécurité peuvent-elles encore prétendre incarner le droit et la justice ? La Syrie appelle la France, dont elle salue les efforts, à prendre une initiative sur ce dossier.

A l'instar de nombre de ses collègues, le Président François Loncle s'est inquiété de la situation de la minorité kurde en Syrie et a souhaité connaître l'appréciation du Président Bachar El Assad sur leurs problèmes et leur avenir.

Le Président Bachar El Assad a rappelé que la Syrie était une mosaïque de peuples, de civilisations et de confessions ; c'est pourquoi elle refuse la dénomination de minorité à l'une de ses composantes démographiques ou sociales. L'étude historique du croissant fertile syrien montre qu'il n'y a jamais eu de confrontation entre la Syrie et les Kurdes ; les Kurdes de Syrie sont des Syriens et traités comme des citoyens à part entière. La Syrie n'est nullement à l'origine des difficultés qui ont conduit des Kurdes à émigrer par bateau à destination du sud de la France.

Le Président François Loncle a remercié le Président Bachar El Assad de s'être exprimé en toute liberté et en toute franchise.

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