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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 9 octobre 2001
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. François Loncle, Président de la Commission des Affaires étrangères,
de M. Paul Quilès, Président de la Commission de la Défense nationale,

et de M. Alain Barrau, Président de la Délégation pour l'Union européenne

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères et de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la riposte aux attentats aux Etats-Unis


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Les Commissions de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que la Délégation pour l'Union européenne, ont procédé à l'audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères et de M. Alain Richard, Ministre de la Défense.

Le Président François Loncle a rappelé que cette audition des deux Ministres directement concernés par la crise actuelle, celui des Affaires étrangères et celui de la Défense, prenait place après la réunion exceptionnelle du 14 septembre et le débat en séance publique du 2 octobre. Se déroulant à huis clos, elle devrait permettre aux Ministres de répondre plus précisément aux interrogations des députés.

Le Président Paul Quilès a évoqué les deux aspects, militaire et diplomatique, nécessairement liés, de la crise actuelle, et les questions qui y sont liées. Quels sont les objectifs de guerre ? Quelle va être l'ampleur des attaques ? Les cibles seront-elles uniquement militaires ? Qu'en est-il de la protection des populations civiles ? A-t-on une idée de la durée des opérations engagées ? Quelle place vont occuper les opérations non militaires ? Quel rôle sera réservé dans le futur à l'ONU, qui jusqu'à présent a joué un rôle significatif en reconnaissant notamment le droit des Etats-Unis à se prévaloir de l'article 51 de la Charte des Nations unies.

M. Hubert Védrine a estimé que la réaction américaine était inévitable et nécessaire. Le Gouvernement français l'approuve non seulement pour des raisons de solidarité mais parce que ses objectifs sont les siens, à savoir casser les réseaux terroristes de Ben Laden. L'ONU a au demeurant légitimé une telle action en évoquant le principe de légitime défense prévu à l'article 51 de la Charte des Nations unies.

La chute du régime des Taliban n'est pas à proprement parler un objectif des actions américaines mais elle en sera la conséquence. Il est donc nécessaire d'aider à la reconstruction politique de ce pays et c'est la raison pour laquelle la France a proposé un « plan d'action Afghanistan ». Ce plan d'action vise à créer les conditions favorables afin de permettre aux Afghans de redevenir maîtres de leur destin.

La pertinence des actions américaines a été approuvée quasiment par le monde entier. Certaines opinions publiques, comme c'était prévisible, ont fait montre d'une certaine nervosité. Ces résultats globalement positifs sont dus certainement au fait que les réactions américaines ont été ciblées. C'est dans cette ligne qu'il importe de continuer.

Lorsque le Conseil de sécurité a reconnu la légitimité des réactions américaines, il n'a pas subordonné cette décision à une aire géographique. C'est la légitimité de la lutte contre les infrastructures terroristes qu'il sanctionnait. Cela ne veut pas dire bien sûr qu'il faut frapper n'importe où. Lorsque les Etats-Unis semblent annoncer la possibilité de frappes ailleurs qu'en Afghanistan, la France garde bien évidemment sa liberté d'examen. Cette question sera l'un des points sensibles des jours prochains. Il importe d'ailleurs de faire la part des choses, certaines déclarations étant probablement destinées à calmer des impatiences à l'intérieur des Etats-Unis.

La coalition contre le terrorisme se met en place et de nombreux pays sont placés aujourd'hui au pied du mur, par exemple en matière de coopération policière ou judiciaire. Les éléments de coopération non militaire sont sur le long terme très importants et sont destinés à s'inscrire dans la durée.

Sur un plan géostratégique, on assiste aujourd'hui à une redistribution des cartes. C'est manifeste en ce qui concerne les relations entre les Etats-Unis, la Russie, le Pakistan, voire le Soudan et le Proche-Orient. Cela ne veut pas dire que tout a changé ; de nombreux pays cherchent à tirer profit d'une nouvelle situation afin de servir des intérêts qui préexistaient au 11 septembre.

Au total, la France doit demeurer attentive même si aujourd'hui la réaction ciblée et légitime ne peut que la satisfaire.

M. Alain Richard a rappelé que l'objectif de l'intervention militaire entreprise par les Etats-Unis était la désorganisation des réseaux terroristes et le démantèlement des bases de l'organisation Al Qaida, installées avec la complicité des Taliban. Le changement d'échelle, la violence bien organisée des attentats ont obligé à attaquer le centre de l'organisation ; à défaut, la lutte contre le terrorisme n'aurait pas de sens.

Les actions sont donc centrées sur la destruction des infrastructures militaires, des liaisons du commandement militaire, sur l'élimination de la capacité de réponse anti-aérienne et la destruction des camps et autres centres de préparation des actes terroristes du régime taliban qui, il faut le rappeler, n'est pas reconnu au plan diplomatique, et n'est pas un Etat.

Les instruments de l'action sont une cinquantaine de missiles de croisières, des chasseurs-bombardiers et des bombardiers. Les frappes ont eu lieu à partir de sous-marins et de porte-avions, d'autres depuis la base de Diego Garcia, d'autres enfin depuis les Etats-Unis, d'où sont partis certains bombardiers. L'espace aérien du Pakistan a été utilisé. Des man_uvres britanniques s'étant déroulées dans la région au moment des événements, la mobilisation de ces unités a été rapide.

La réunion du Conseil de l'Alliance atlantique, le 4 octobre, a ouvert la possibilité d'un déploiement des forces navales. L'Alliance a autorisé la mise à disposition de cinq avions Awacs, chiffre qui pourrait augmenter si le rythme des missions s'accroissait.

La phase initiale a comporté la sélection des sites à détruire et démanteler : les objectifs sont nombreux et dispersés. La coopération de la France avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni s'est intensifiée ; une équipe d'officiers s'est intégrée à l'état-major américain à Tampa. Deux bâtiments ont été associés : une frégate furtive et un bâtiment ravitailleur stationné en permanence dans l'Océan indien. La forme ultérieure de l'engagement français sera décidée par l'Exécutif, en fonction des demandes des Etats-Unis.

Le Ministre de la Défense a souligné que les Etats-Unis pouvaient mener seuls les opérations, et qu'ils ont fait un choix politique en demandant l'appui de certains partenaires. L'on doit alors décider si la France s'associe à cette lutte contre l'intégrisme et la négation des droits les plus élémentaires que représentent Al Qaida et le régime taliban.

Le Ministre de la Défense a ensuite expliqué les mesures prises pour la protection du grand public (Vigipirate), la surveillance des ports et des approches maritimes (Vigimer) et la protection des installations nucléaires. Les services français de sécurité sont des contributeurs majeurs à la connaissance des réseaux terroristes et de leurs préparatifs. Ces services connaissent la localisation des membres des réseaux, aussi notre capacité de prévention peut-elle être considérée comme rassurante.

Le Président Alain Barrau a tout d'abord souhaité souligner un point important, à savoir que la lutte contre le terrorisme ne devrait pas impliquer l'extension des frappes militaires à d'autres pays. Il serait utile que les Ministres apportent plus d'informations sur ce sujet et précisent dans quelle mesure le poids politique de la France pourrait éventuellement peser pour attribuer un objectif précis à cette lutte contre le terrorisme.

Il a ensuite demandé que soit développé le thème de l'Europe de la défense, de la sécurité en général et de la situation de la Grande-Bretagne dans cette optique.

Enfin, s'agissant de l'opération humanitaire couplée aux frappes, l'on sait que le plan d'urgence humanitaire prévu par les Américains et qui passe par des largages de vivres et autres biens est assez différent de la pratique humanitaire française qui privilégie l'envoi d'hommes sur le terrain. Là aussi, la France ne pourrait-elle peser en faveur de cette pratique ?

M. Jacques Myard a estimé que la situation méritait quelques réflexions. Il s'est dit convaincu que la légitimité de la frappe américaine était admise du monde entier, y compris le monde arabe. Il reste néanmoins que les frappes sont ce qu'il y a de plus simple et que « l'après-frappes » pose notamment la question de l'état de l'opinion publique arabe au regard de l'amalgame qui pourrait en résulter.

M. François Lamy a demandé s'il existait un dispositif de réflexion sur le choix des cibles et si, dans la négative, la France avait des propositions à faire en la matière. Par ailleurs, est-elle prête à des frappes militaires sur des infrastructures terroristes dans d'autres pays ?

Tout en disant toute l'importance que cette séance d'information revêtait aux yeux des parlementaires, M. Hervé de Charette a déploré l'absence de consultation du Parlement. Certes la Constitution française ne prévoit pas l'accord du Parlement à chaque engagement de la force armée, et d'ailleurs une autorisation parlementaire systématique n'est pas nécessaire. Cependant la situation actuelle est d'une envergure particulière dans la mesure où elle engage les intérêts vitaux de la France, non seulement de par son aspect militaire mais également par d'autres aspects (enjeu politique majeur, formes de l'engagement, avenir de la France, etc.). En conséquence, il a estimé que le Gouvernement devrait s'appuyer sur un vote du Parlement.

Soulignant qu'une polémique venait d'être lancée par des ONG humanitaires à propos de l'inadaptation des largages de vivres, M. Pierre Brana a demandé si la proposition de sécuriser certains secteurs afin d'y concentrer les réfugiés et d'y organiser le retour des ONG était plausible militairement.

Sur le plan diplomatique, ayant peu soutenu par le passé le Commandant Massoud, la communauté internationale tente aujourd'hui d'imposer l'Alliance du Nord rendant peut-être difficile la position de Mohammed Zaher Shah. Quelle est la position du Ministre de la Défense sur ce point et la solution « royale » est-elle crédible ?

Estimant que l'on ne pouvait être solidaire le 11 septembre et se désolidariser le 8 octobre, M. Alain Juppé a considéré qu'il y avait, en dehors de la question de l'intérêt politique, une forme d'obligation morale pour la France à participer à la déstabilisation du régime des Taliban. Il a cependant souhaité savoir si la France avait une stratégie de remplacement et quels étaient ses objectifs.

Il a également plaidé pour plus d'informations s'agissant des formes que prendra la participation française.

Enfin, sachant que la lutte engagée sera longue et multiforme, il s'est interrogé sur les ripostes de fond à mettre en _uvre, en particulier au niveau de la France et plus largement de l'Union européenne, qui passent par la lutte contre la pauvreté mondiale, la solution politique des conflits régionaux, le dialogue entre les cultures, etc. Toutes ces questions appellent une présentation générale.

M. Philippe Douste-Blazy s'est tout d'abord dit frappé par la cassette vidéo de Ben Laden diffusée récemment et dans laquelle il fait une réelle OPA sur la cause palestinienne. Le laisser reprendre cette cause à son compte est dangereux. Y a-t-il une initiative de l'Union européenne quant à la place que celle-ci devrait occuper dans la solution du conflit au Proche-Orient ?

Il a ensuite regretté que les Ministres n'aient pas donné d'informations sur les cibles exactes et les unités françaises aujourd'hui impliquées.

M. Jean-Claude Sandrier a estimé que ce qui était en jeu n'était pas la solidarité mais le problème de l'efficacité de la lutte contre le terrorisme et ses conséquences. Il a plaidé pour une diffusion au jour le jour d'informations précises sur les bombardements, les cibles, les victimes éventuelles et les objectifs.

Il a ensuite qualifié de « bizarrerie » les conditions dans lesquelles les frappes avaient été organisées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, dont le rassemblement ainsi occasionné pourrait être une erreur car il crée un isolement susceptible de raviver le ressentiment à l'égard de la superpuissance.

Enfin, il a posé la question de savoir comment faire participer la communauté internationale à des choix politiques essentiels et a estimé qu'une meilleure association de la France et de l'Union européenne à la définition des objectifs et des moyens passait par une consultation du Parlement.

M. Hubert Védrine a répondu aux différents intervenants. Selon lui, il n'y a pas d'ambiguïté dans les positions prises par le Président Bush et M. Colin Powell. L'action se déroule de manière juste et adéquate. Aux Etats-Unis cependant certains groupes importants militent en faveur de l'extension des frappes, ce qui n'est pas la position française.

La crise actuelle n'a pas de réelle influence sur l'Europe de la Défense ; le fait que la Grande-Bretagne joue un rôle particulier ne modifie pas le programme de défense européenne. Il n'a jamais été question de fabriquer un corps expéditionnaire européen capable d'intervenir à l'autre bout du monde.

Sur l'action humanitaire française, il a salué la position prise par M. Bernard Kouchner sur l'utilité des largages et selon laquelle il fallait écouter l'avis des réfugiés. Au demeurant, quand l'humanitaire fait faire des progrès au militaire il faut s'en réjouir. Cependant il ne s'agit pas pour la France de confondre l'action humanitaire avec les parachutages de vivres, car la plupart des actions humanitaire ont lieu à partir des camps de réfugiés (en Iran, au Turkménistan, au Tadjikistan, au Pakistan) qui rassemblent près de 7 millions d'Afghans sur moins de 25 millions. Les parachutages de vivres sont l'un des éléments de l'action humanitaire ; il faut surtout de renforcer l'action humanitaire de la France et de l'Union européenne, sous l'égide du PAM et du HCR. L'action américaine supplémentaire a nourri la polémique sur laquelle a pris position M. Bernard Kouchner. En tout état de cause, il faut que l'aide arrive à ceux qui en ont besoin.

S'agissant du plan d'action sur l'Afghanistan, M. Hubert Védrine a rappelé que ce pays avait été martyrisé par vingt ans de guerre et une forte sécheresse frappant une population rurale à 80 %. On insiste donc sur la reconstruction de ce pays. Selon lui, si dans le plan Afghanistan on n'a pas souhaité privilégier une formule, c'est parce qu'on connaît trop l'histoire de ce pays et le malheur engendré par ses divisions, aussi faut-il rassembler toutes les bonnes volontés (les pays voisins, ceux qui sont engagés, le Conseil de Sécurité) pour créer une situation permettant aux Afghans de réorganiser leur avenir. On cherche à fédérer, à regrouper les parties en présence car il n'y aura pas de solution politique sans la représentation de toutes ces forces. L'ancien Roi est à même de jouer un rôle utile. Ceux qui s'y sont opposés ont évolué ; le Pakistan a accepté de prendre contact avec lui.

Le plan d'action présenté par la France est évolutif. Il sera débattu avec les Américains, les pays européens impliqués (Italie, Allemagne, Royaume-Uni). On est en contact avec les Iraniens, les Russes et les Pakistanais. A cet égard, le Ministre des Affaires étrangères a déclaré qu'il rencontrerait très prochainement M. Brahimi, nommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afghanistan.

En ce qui concerne l'opinion publique arabe, on ne dispose pas de moyens fiables pour mesurer son état d'esprit. Les gouvernements arabes se sont ralliés à la coalition anti-terroriste. Le terrorisme a d'ailleurs fait beaucoup plus de victimes dans le monde arabo-musulman qu'en Occident. Certes, on voit des manifestations contre la coalition, mais ce phénomène est peut-être exagéré, on a peu d'indications à ce sujet. Cependant, tous les dirigeants arabes ont estimé que si les attaques étaient ciblées sur les extrémistes et les terroristes, elles seraient acceptables.

Quant à la demande de vote du Parlement sur l'engagement des forces françaises, elle sera transmise à qui de droit.

Sur les ripostes de fond, chacun sait que la France n'a pas attendu le 11 septembre pour s'alarmer des situations intolérables dans le monde. La conférence de Durban a vu s'exprimer de manière choquante mais révélatrice le fait que la communauté internationale n'existe pas. Or, il n'y a pas de politique étrangère qui se soit plus investie que la nôtre sur le décalage entre pays développés et pays pauvres, sur la question de la dette, sur les conflits en Afrique et sur le Proche-Orient. En ce qui concerne le Proche-Orient, les évolutions des Européens sont largement dues à la ténacité de la politique française. Le Président Bush s'est prononcé en faveur d'un Etat palestinien ; c'est la position des Européens depuis trois ans et celle de la France depuis dix-neuf ans. Celle-ci use actuellement de son influence pour contrecarrer ceux qui, de part et d'autre, agissent pour casser le nouvel espoir apparu avec la rencontre entre Shimon Pérès et Yasser Arafat. Il convient de déjouer man_uvres et provocations à ce sujet.

M. Hubert Védrine s'est félicité de la récente initiative du Roi du Maroc qui va réunir le forum méditerranéen rassemblant les pays des deux rives de la Méditerranée, estimant que c'est la structure la plus appropriée à l'échelle de la Méditerranée pour permettre le dialogue des cultures, le dialogue contre le clash et contre l'amalgame.

Quand on connaît la rhétorique Ben Laden, on est surtout frappé par son obsession de l'occupation de l'Arabie Saoudite par des forces américaines et occidentales. Le conflit israélo-palestinien, la question irakienne, viennent au second plan. Cependant, dans la guerre de propagande qui s'ouvre, ce discours évolue. Il faut donc montrer par un engagement euro-américain une forte convergence.

M. Alain Richard, Ministre de la Défense, a apporté les précisions suivantes :

- des pays comme le Royaume-Uni et la France ne sauraient résumer l'ensemble de leur politique de sécurité à l'Europe de la défense ; leur champ de préoccupation est nécessairement plus large. La présidence belge de l'Union européenne a toutefois accompli un excellent travail qui pourrait se concrétiser dans les prochains mois par la prise en charge par l'Union de responsabilités concrètes dans la poursuite des actions de stabilisation en Macédoine et en Bosnie-Herzégovine, comme les Etats-Unis en ont d'ailleurs exprimé le souhait ;

- le Gouvernement britannique a manifesté, notamment auprès de la France sa volonté d'accentuer la coopération de défense dans le contexte de crise en cours ;

- s'agissant des opérations humanitaires, la délimitation de couloirs ou de zones sécurisés ne pourrait résulter que d'une opération terrestre qui n'est pas à l'ordre du jour. La France dispose d'ores et déjà d'une capacité prépositionnée de largage de secours humanitaires de l'ordre de 50 tonnes par jour ;

- pour ce qui concerne la détermination des cibles à traiter, une concertation entre Alliés peut avoir lieu de fait sur la base des apports d'informations que chacun des pays est en mesure de fournir. Cette concertation implique évidemment la France, bien que les choix tactiques relèvent des seuls États qui exécutent actuellement les frappes ;

- l'existence, au c_ur de l'Afghanistan, d'infrastructures servant directement aux réseaux terroristes rend pleinement légitimes les opérations de frappe actuellement conduites pour les détruire ; le système taliban manifestant une large convergence d'intérêts et de théories avec les groupes terroristes, les actions visant à y mettre fin sont justifiées. En revanche, s'agissant d'éventuelles frappes à l'égard d'autres pays, il conviendrait, au préalable, d'évaluer l'attitude des gouvernements concernés et les éventuels soutiens qu'ils accorderaient aux actions à visées terroristes ;

- eu égard au caractère fragile et fragmenté du système de pouvoir taliban, il est possible que des évolutions en son sein favorisent l'apparition d'une véritable alternative politique pour l'Afghanistan ;

- il est encore trop tôt pour préciser les formes possibles d'une participation complémentaire de la France aux opérations militaires, les Etats-Unis n'ayant formulé de demande en ce sens qu'au début de la semaine passée. De ce fait, le dialogue entre états-majors se poursuit. L'analyse de la situation et les différentes options de planification font l'objet d'un processus itératif au niveau du commandement français ;

- il n'est pas possible de prévoir la durée des opérations en cours tant que l'évaluation des résultats n'a pu être faite, cette évaluation supposant un recours à de nombreuses sources de renseignements.

M. Jacques Godfrain, évoquant le rôle que pourrait jouer la base militaire française de Djibouti dans de futures opérations, a demandé au Ministre de la Défense si des démarches avaient d'ores et déjà été entreprises auprès du Gouvernement de la République de Djibouti dans ce sens. Il l'a également interrogé sur le renforcement des mesures de sécurité autour des bases militaires françaises en Afrique.

Estimant que des frappes aériennes, même chirurgicales et précises, n'auront que des résultats illusoires, compte tenu du relief de l'Afghanistan, et qu'une intervention des forces terrestres sera nécessaire, M. Bernard Grasset a souhaité connaître de quels moyens pourrait alors disposer le gouvernement français pour participer à cette intervention. Il a par ailleurs demandé quelles orientations étaient retenues pour le renforcement de la coopération entre les services de police et les systèmes judiciaires des différents pays, notamment au sein de l'Union européenne.

M. Hubert Védrine a considéré que la déclaration de M. Tony Blair aux autorités pakistanaises selon laquelle aucun régime politique ne saurait être durablement instauré en Afghanistan sans participation pachtoune ne relevait nullement d'une action d'ingérence mais exprimait une position partagée par tous.

M. Alain Richard a répondu que le fait de ne pas envisager d'opération terrestre d'envergure reflétait un choix politique et non des limites capacitaires, la France étant, pour sa part, capable de projeter environ 15 régiments en moins de deux mois. Il a ajouté que très peu de raisons pourraient justifier aujourd'hui l'option terrestre, le choix actuel étant, en matière d'action au sol, d'envoyer des forces spéciales, non pas en vue d'un contrôle territorial de l'Afghanistan, mais afin de vérifier la destruction des cibles frappées par les bombardements. Il a enfin déclaré que tout ce qui devait être dit sur la présence d'agents spéciaux en Afghanistan l'avait été.

M. Claude Goasguen, estimant que la France et l'Europe se trouvaient relativement marginalisées dans les opérations en cours, a souhaité savoir sur quelle base s'était réalisée la coopération entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Puis il a demandé au Ministre des Affaires étrangères si la notion de « légitimité des régimes » devait être le critère déterminant pour juger du bien-fondé d'une action militaire contre les réseaux terroristes. Il s'est à ce propos demandé si la France pourrait invoquer cette notion pour ne pas intervenir contre des régimes reconnus, tels l'Irak et le Soudan, s'il était avéré qu'ils apportent un soutien à des réseaux terroristes. Estimant que, en cas d'engagement militaire français, la consultation du Parlement, suivie par un vote, est nécessaire, il a souhaité une initiative de l'exécutif en ce sens.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu que la question n'était certainement pas de savoir s'il fallait ou non bombarder les pays non démocratiques. Le cas de l'Afghanistan, où l'on observe une conjonction entre un système terroriste, l'organisation Al Qaida, et un « régime » politique, celui des Taliban, qui partagent les mêmes infrastructures et les mêmes réseaux de pouvoir, est absolument unique. Peut-être existe-t-il ailleurs des infrastructures du réseau terroriste Al Qaida mais nulle part n'observe-t-on une conjonction identique, en fait ou en droit, avec le pouvoir en place.

Le Président François Loncle a fait remarquer que l'on pourrait envisager plusieurs votes successifs du Parlement, à différents moments des opérations militaires.

M. Georges Hage, tout en soulignant la nécessité de la consultation et du vote du Parlement en cas d'engagement militaire français, a estimé que le terrorisme subsisterait tant que l'on ne s'attaquerait pas à ses véritables causes comme l'absence de règlement du conflit du Proche-Orient.

Le Ministre des Affaires étrangères a observé que le dévoiement de l'Islam par des groupes extrémistes était bien antérieur à la question du Proche-Orient : en l'occurrence, dans le cas du réseau Al Qaida, les problèmes du Proche-Orient ne font pas partie des raisons premières de sa constitution qui tiennent plutôt à la contestation du régime saoudien. Cela ne signifie pas naturellement qu'il n'y ait pas aujourd'hui une utilisation de la question du Proche-Orient à des fins de propagande par les terroristes d'Al Qaida ni que ces problèmes ne viennent pas alimenter le terrorisme. Ajoutant qu'il était vain de chercher des explications compliquées au terrorisme, il a estimé que l'objectif de paix au Proche-Orient se justifiait en soi.

M. René André a interrogé le Ministre des Affaires étrangères sur le renforcement, qu'il a jugé indispensable, de la coopération européenne en matière de justice et de police, ainsi que sur les initiatives prises ou envisagées par la France en ce domaine. Il a ensuite demandé au Ministre de la Défense des informations sur les mesures de sécurité prises pour protéger les sites nucléaires, comme ceux de La Hague et Flamanville.

M. Hubert Védrine s'est dit pleinement favorable à l'intensification de la coopération européenne en matière d'affaires intérieures et de justice, notant que, du fait des tragiques événements du 11 septembre, l'harmonisation des procédures en matière de mandat d'arrêt ou d'extradition pourrait être menée à bien en douze ou dix-huit mois, là où dix ans eurent été normalement nécessaires.

Il a ajouté qu'en matière de terrorisme, l'action punitive était insuffisante et devait s'accompagner d'une stratégie préventive globale touchant aux moyens financiers, aux fondements idéologiques et au traitement des crises dont se nourrit le phénomène.

M. Alain Richard s'est interrogé sur la possibilité d'écarter toute espèce de risque, soulignant que la liste des sites ou des lieux de rassemblement de la population sur lesquels la chute d'un avion détourné entraînerait des dommages massifs serait extrêmement longue. Il a alors estimé que les risques liés au terrorisme étaient loin de concerner les seules centrales nucléaires dont la sûreté fait l'objet d'un examen spécifique. Il a par ailleurs souligné que le Gouvernement veillait à la flexibilité et à la rapidité de mise en _uvre du dispositif de sécurité aérienne observant que les procédures techniques de surveillance des vols civils aboutissaient, in fine, à des questions éthiques. Il a enfin estimé que la décision de sécuriser certains sites plus que d'autres était de nature politique et nécessiterait de ce fait un débat démocratique.

M. Etienne Pinte a regretté qu'il ait fallu attendre les attentats du 11 septembre pour que s'intensifie dans le domaine de la lutte antiterroriste la coopération judiciaire entre le Royaume-Uni et la France, comme en témoigne l'extradition de Rachid Ramda. Il a également demandé des précisions sur l'aide humanitaire d'urgence que la France envisageait d'accorder à l'Afghanistan et notamment sur son prépositionnement.

M. Hubert Védrine s'est félicité que la demande française d'extradition de Rachid Ramda ait été acceptée par les autorités britanniques, considérant que l'essentiel était son aboutissement.

M. Alain Richard a fait valoir que des parachutages d'aide humanitaire dans la phase d'intervention en cours supposaient la mise en _uvre d'avions de transport et une importante coordination de la circulation aérienne sur le théâtre d'opérations. Il a ajouté que ces mesures faisaient actuellement l'objet de discussions concrètes entre les pays concernés.

M. Gérard Charasse a demandé comment avait été perçu par nos partenaires européens le plan d'urgence humanitaire présenté au nom de la France par le Ministre des Affaires étrangères.

M. Hubert Védrine a remarqué que le Royaume-Uni et l'Allemagne avaient formulé des propositions d'inspiration semblable qui visaient elles aussi à mettre en place une aide humanitaire, un processus politique et une contribution internationale au développement. Il a précisé qu'un consensus s'était dégagé que ces trois points lors de la réunion des Ministres des Affaires étrangères des pays de l'Union européenne, le 8 octobre. Il a alors indiqué que des discussions étaient désormais en cours à ce sujet avec les Etats-Unis. Il a cependant observé qu'aucun plan en faveur de l'Afghanistan ne saurait être imposé au peuple afghan, ce qui suppose d'adapter les mesures envisagées à la demande des parties concernées.

M. Alain Moyne Bressand a souhaité savoir quel était le rôle de la Russie dans la crise actuelle.

M. Hubert Védrine a souligné que les conséquences géopolitiques des événements pouvaient être considérables pour la Russie. Il a observé que le Président Vladimir Poutine avait conscience des chances qui s'offrent à son pays puisqu'il avait décidé de nouer un partenariat étroit avec les Etats-Unis et les pays occidentaux dans leur lutte contre le terrorisme international malgré les réticences des ministères des Affaires étrangères et de la Défense russes. M. Hubert Védrine a ajouté qu'au delà de la coopération immédiate, la Russie avait fait un choix stratégique aux conséquences plus larges. Il a également considéré que si le Président russe avait certainement des arrière-pensées quant à la légitimation de l'intervention russe en Tchétchénie, il n'était pas non plus exclu que sa position sur le conflit tchétchène évolue comme pouvaient le laisser entrevoir certains signes.

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