Accueil > Archives de la XIe législature > Comptes rendus de la commission des Affaires étrangères (2001-2002)

ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 16 octobre 2001
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Blaise Compaoré, Président de la République du Burkina Faso

3

Audition de M. Blaise Compaoré, Président de la République

Le Président François Loncle a accueilli le Président Blaise Compaoré en rappelant que celui-ci a accédé à cette haute fonction en 1987, et a toujours été réélu depuis lors. Il a mentionné les réformes institutionnelles engagées récemment et a souhaité des informations sur leur déroulement. Il a prié le Président Blaise Compaoré d'indiquer ce que son pays attend de la France, qui est, à ce jour ? le premier bailleur de fonds du Burkina Faso.

Le Président Blaise Compaoré s'est déclaré honoré par l'accueil reçu à l'Assemblée nationale, et a indiqué que sa visite avait pour objectif d'évaluer la coopération bilatérale, mais aussi d'avoir un échange de vues avec les autorités françaises sur toutes les questions touchant la coopération bilatérale et internationale.

Le Burkina Faso fait partie des pays les plus pauvres du monde, figurant, dans le classement en fonction du développement, à côté du Niger et de la Sierra Leone, ce qui implique pour son peuple un combat de chaque jour pour mener une vie décente.

La stabilité politique s'installe. L'Assemblée nationale a connu son troisième renouvellement au mois d'avril, sur la base de la constitution de 1991. Les élections présidentielles ont eu lieu en 1991 et 1998. Ces derniers mois, des réformes institutionnelles ont été engagées ; elles ont concerné notamment la vie des partis politiques et le système judiciaire. Ces réformes confortent l'évolution démocratique du pays.

En ce qui concerne le domaine socio-économique, le Président Blaise Compaoré s'est félicité de l'engagement de la France en faveur du développement de son pays, et du mouvement associant tous les acteurs de la coopération, et notamment les ONG et les collectivités décentralisées. Le résultat de cette collaboration est à saluer : grâce à cet effort collectif, la croissance du Burkina Faso sera supérieure à 6 % en 2001. L'allégement de la dette permettra de mieux doter les domaines de la santé et de l'éducation, avec l'espoir que la pauvreté va reculer dans ce pays ; le besoin de solidarité internationale reste néanmoins très grand.

Malheureusement, la mondialisation économique n'a pas stimulé la solidarité entre les nations. L'évolution internationale depuis le 11 septembre risque d'aller dans le mauvais sens : les Etats-Unis devront mobiliser des ressources pour reconstruire et soutenir l'effort de guerre, des ressources moindres seront apportées au développement.

L'Afrique a fait l'expérience du terrorisme avec les attentats à Dar Es-Salaam, par exemple. Le modèle Taliban représente la négation même de l'homme, qu'il soit du Nord ou du Sud.

La mobilisation et la coalition internationales doivent être approuvées. Mais on peut concevoir de l'inquiétude quant à la manière dont elle s'organise : la participation de tel ou tel Etat est choisie discrétionnairement par les Etats-Unis. Il y a un problème important de communication : le peuple imagine qu'il s'agit d'une guerre de l'Occident contre l'Orient, ou des riches contre les pauvres. Or, les Burkinabés partagent des conditions de vie semblables à celles des Afghans, aussi une solidarité naturelle avec les Afghans s'éveille-t-elle.

Il y a des frustrations historiques, notamment sur la question palestinienne qui est au c_ur de la déstabilisation des relations entre l'Orient et l'Occident. Certes, le Président George Bush et le Premier ministre Tony Blair se sont prononcés en faveur de la constitution d'un Etat palestinien, mais il faut réagir très vite et convoquer une conférence internationale à ce sujet.

La pauvreté est le terreau du terrorisme car deux milliards d'hommes et femmes sont affamés et terrorisés par la faim, alors que des moyens de lutte existent. De nouvelles solidarités doivent se constituer autour de ces questions.

M. Jean-Michel Marchand, Président du groupe d'amitié France-Burkina Faso, a souligné le rôle essentiel joué par la coopération décentralisée pour l'économie du Burkina Faso. Ayant assisté à la signature en 1999 des accords bilatéraux avec la France, il a souhaité insister sur deux points importants.

La marche vers la démocratisation et l'Etat de droit est nécessaire et le Burkina Faso s'y attache comme le prouvent la récente réforme de la Cour suprême, le règlement de certaines affaires dramatiques pour le pays ou encore le déroulement des élections dont les municipales sont le dernier exemple.

S'agissant du développement économique, le rôle important que reconnaît le Président Compaoré aux entreprises privées et aux PME-PMI démontre que ce pays s'est donné les structures pour coordonner toutes les actions de développement.

A propos de la déstabilisation politique provoquée par les attentats du 11 septembre dernier, ce facteur aggrave encore le déséquilibre économique, d'ailleurs exacerbé par la mondialisation économique peu favorable aux pays du Sud. M. Jean-Michel Marchand a demandé à M. Blaise Compaoré quel était son sentiment à ce sujet et quelles étaient ses propositions, peut-être en collaboration avec les pays voisins, pour trouver des solutions destinées à maintenir le continent africain dans un marché mondial.

M. Charles Ehrmann a souligné combien il était difficile pour un Etat laïque de comprendre en quoi la démocratie pouvait aller avec un Etat théocratique, au sens où lorsque la religion devient un facteur politique, c'est un problème.

Si l'avenir de la France se trouve dans l'Europe, l'avenir de la langue française est en Afrique. M. Charles Ehrmann a ainsi dit son espoir que la moitié des Africains continuent à parler français et a fait part de son sentiment que la France ne faisait pas assez pour le français au Burkina Faso.

Le Président François Loncle a tenu à remercier l'importante délégation qui accompagne le Président Compaoré. Il s'agit de M. Youssouf Ouedraogo, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, M. Alain Yoda, ministre du Commerce, de l'Industrie et de l'Artisanat, M. Salvador Yameogo, ministre des Transports et du Tourisme, Mme Anne Konate, ministre déléguée auprès du Premier ministre, ministre de l'Economie et des Finances, chargée du développement économique, ainsi que de l'Ambassadeur de France au Burkina Faso et de l'Ambassadeur du Burkina Faso en France.

Notant que l'Islam représente 30 à 35 % des pratiques religieuses au Burkina Faso, M. Pierre Brana a demandé si le Président Compaoré était inquiet des événements qui se produisent actuellement au Nigeria où l'application de la Charia est exacerbée par les attentats du 11 septembre, et s'il pensait qu'ils pouvaient avoir des répercussions au Burkina Faso.

S'agissant de M. Ouattara, M. Pierre Brana a souhaité connaître la position de M. Blaise Compaoré sur la situation en Côte d'Ivoire de l'ancien Premier ministre ivoirien qui a représenté le Burkina Faso dans plusieurs organisations internationales.

Enfin, M. Pierre Brana, s'excusant quelque peu de son impertinence, a fait référence à un hebdomadaire satirique assez décapant, Le Marabout, dont un numéro très virulent prend à partie différents Chefs d'Etat africains. Quelle est l'appréciation du Président Compaoré sur ce numéro et a-t-il été contacté à ce sujet par ses collègues africains ?

Rappelant que prochainement le franc français allait être remplacé par l'euro et que des mesures avaient été prises pour maintenir la stabilité de la zone franc, M. Paul Dhaille a demandé à M. Blaise Compaoré son analyse sur cette transformation monétaire en Europe, et ce qu'il attendait de l'Europe, comment devraient se développer les relations de son pays avec cette dernière.

Soulignant que la visite du Président Compaoré en France était ouverte et que la réunion de commission à laquelle il avait bien voulu participer était ouverte à la presse, le Président François Loncle a estimé nécessaire de poser la question que beaucoup de journalistes français et étrangers, y compris Reporters sans frontières, se posent à propos de la mort dans des conditions tragiques de Norbert Zongo et de l'enquête qui a suivi.

M. Blaise Compaoré a répondu aux intervenants.

Il n'y a pas de développement économique sans démocratisation des sociétés afin de créer les conditions d'une libre participation au programme de développement. Des mesures ont été prises au Burkina Faso pour créer un espace économique favorable au secteur privé étranger. Ainsi, ces dix dernières années, le Burkina Faso a _uvré pour réformer ses finances publiques : il n'y a donc plus d'arriérés de dette extérieure, la filière agricole et le système bancaire ont été assainis. Le pays s'efforce de travailler sur les facteurs de production pour créer un environnement fiscal et juridique attirant le secteur privé. A cela s'ajoute le bon fonctionnement de l'Union monétaire de l'Ouest africain (UMOA) grâce au soutien de l'Union européenne.

La coopération décentralisée avec les collectivités locales françaises est importante : il existe 130 jumelages. On a d'ailleurs créé une structure nationale chargée de correspondre avec ces collectivités, car une école ou un dispensaire en plus constitue un progrès.

Le principe de laïcité est reconnu. Cependant, en visitant la France, on s'aperçoit que la construction de l'Etat de droit s'est faite sur des bases historiques solides. L'Afrique connaît maintenant des difficultés. Les frontières des Etats sont issues de la colonisation, obligeant des ethnies différentes à cohabiter. A cet égard, il a estimé qu'il fallait aider les Africains à parler français, à construire des écoles. Dans certaines régions du Mali ou du Burkina Faso, ce sont les Saoudiens qui en construisent le plus, mais il s'agit d'écoles coraniques.

Le Burkina Faso s'efforce de se dégager de ce terreau peu démocratique. Le taux de scolarisation, qui s'élève à 40%, devrait atteindre 70% en 2007. Aujourd'hui, à travers la Francophonie, on peut soutenir la laïcité et la construction d'un Etat de droit. Le Burkina Faso accueillera d'ailleurs, en 2003, le sommets des chefs d'Etat et de Gouvernement ayant le français en partage.

La situation au Nigeria est inquiétante, d'autant que les Etats qui appliquent la Charia sont alliés au Niger. C'est pourquoi le Président Blaise Compaoré a indiqué s'être entretenu à Paris avec le Président Obasanjo pour s'organiser contre l'extension de ce phénomène.

A propos de la nationalité de M. Ouattara, il a rappelé que le Burkina Faso n'a vu ses frontières fixées qu'en 1947, alors que M. Ouattara était déjà né. Pendant toute la période coloniale, différentes ethnies vivaient à cheval sur la frontières ; de plus, pendant la colonisation, des Burkinabés étaient venus en Côte d'Ivoire travailler sur des chantiers. Certes, M. Ouattara a représenté le Burkina Faso pendant trois ans dans une instance internationale, mais il ne remplit pas les conditions de nationalité du Burkina Faso : il est né en Côte d'Ivoire, ses parents et son épouse ne sont pas Burkinabés, il n'a pas de parents au Burkina Faso et n'a pas été naturalisé.

Le Burkina Faso se réjouit d'une éventuelle réconciliation en Côte d'Ivoire, car il y gagnera lui-même en tranquillité. Ce qui demeure inquiétant en revanche, c'est la réforme agraire en cours en Côte d'Ivoire qui prévoit d'interdire aux non Ivoiriens d'être propriétaires fonciers. Trois millions de Burkinabés vivent aujourd'hui en Côte d'Ivoire dont beaucoup ont acheté des terres.

Le Président a confié n'avoir pas lu le journal Le Marabout dont il a été question, même si, bien sûr, il en a entendu parler. Il existe une trentaine de journaux au Burkina Faso, ce qui témoigne de la liberté de la presse qui peut parfois aller jusqu'à la diffamation. Il est difficile toutefois d'y remédier parce que l'on est alors accusé de porter atteinte aux droits de l'Homme.

L'arrivée de l'euro ne suscite pas d'inquiétudes particulières. Au Burkina Faso, l'inflation est faible, le déficit budgétaire limité et les réserves en devise représentent six mois d'importations. Les pays de l'UMOA (Union monétaire ouest-africaine) sont dans la même situation. Il est d'ailleurs prévu, conformément à l'accord de Cotonou entre l'Union européenne et les ACP, qu'un nouvel accord consolide les relations entre ces deux entités après le passage à l'euro. Il reste à déterminer s'il est opportun de changer le nom du franc CFA.

A la suite de la mort de Norbert Zongo, le Gouvernement burkinabé a créé une commission d'enquête comprenant notamment des ONG et a confié le dossier à un juge d'instruction qui a déjà entendu plus d'une centaine de personnes. Le juge d'instruction continue son travail ; il dispose pour ce faire des moyens qu'il demande. On attend qu'il finisse son instruction pour y voir plus clair dans cette affaire.

Le Président François Loncle a demandé dans quels délais - semaines, mois, années - il était raisonnable de prévoir la fin de cette instruction.

M. Lionnel Luca a rappelé que l'une des communes de sa circonscription était jumelée avec une ville du Burkina Faso et a demandé des précisions sur les structures économiques de ce pays.

Le Président Blaise Compaoré a répondu que l'économie du Burkina Faso est à 80 % une économie agricole. Des initiatives sont prises pour imaginer des entreprises agro-alimentaires en vue de la transformation des produits de base : sésame, tomates et maïs. Le premier produit d'exportations demeure toutefois le coton. En 2000, le Burkina Faso a exporté 270 000 tonnes de coton et 400 000 tonnes en 2001. Malheureusement, pour ces mêmes années, le prix du kilo de coton a chuté de 9 à 6,50 francs. Des études ont été lancées pour transformer le coton sur place grâce à des entreprises textiles.

Par ailleurs, un plan de lutte contre la pauvreté a été mis en place qui s'articule autour de quatre axes : le soutien de la croissance et le partage équitable de ses fruits, l'accès aux services sociaux de base, la lutte en faveur de l'emploi et la bonne gouvernance.

En ce qui concerne les délais d'instruction du dossier de Norbert Zongo, le Président Blaise Compaoré a déclaré ne disposer d'aucune information précise.

Le Président François Loncle a remercié le Président Blaise Compaoré et a souhaité que la France continue de participer activement au développement du Burkina Faso.

_______

● Burkina Faso


© Assemblée nationale