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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 novembre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Moscovici, Ministre délégué chargé des Affaires européennes, sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (n° 3329) (Mme Bernadette Isaac-Sibille, Rapporteure), et suite de l'examen de ce projet





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Audition de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des Affaires européennes

Le Président François Loncle a rappelé que c'était la deuxième fois que la Commission des Affaires étrangères se réunissait pour examiner le contenu de cette convention sur la libre circulation des personnes. Un premier examen avait suscité un certain nombre d'interrogations et demandes d'informations complémentaires auxquelles M. Pierre Moscovici se propose de répondre.

M. Pierre Moscovici a tout d'abord rappelé qu'à la suite de l'échec du référendum de décembre 1992 et du gel de la candidature de la Confédération helvétique à l'Union, la Suisse et l'UE avaient engagé de nouvelles négociations, en décembre 1994, dans un nombre limité de domaines. Celles-ci ont abouti à la signature de sept accords à Luxembourg, le 21 juin 1999. Le projet de loi de ratification de l'accord relatif à la libre circulation des personnes, qui conditionne l'entrée en vigueur des six autres, a été adopté par le Sénat, le 11 octobre dernier, à l'unanimité moins deux voix.

Le contenu de ces accords étant connu de tous, il a estimé plus utile de se concentrer sur quelques points essentiels, notamment afin de répondre à un certain nombre d'interrogations apparues lors de la réunion de la Commission des Affaires étrangères du 6 novembre dernier. Si elles semblent légitimes, un examen sérieux et approfondi des accords permet, toutefois, de montrer qu'ils ne comportent pas les défauts qui leur sont reprochés.

En premier lieu, certains se sont demandés si ces accords n'étaient pas déséquilibrés, s'ils ne faisaient pas la part trop belle à nos voisins helvétiques. Il est exact que même si ces accords reposent sur le principe de réciprocité, ils comprennent certaines dispositions qui ne sont pas parfaitement identiques pour les deux parties, mais il ne faut pas pour autant juger l'accord « déséquilibré ». Certaines différences, outre qu'elles sont toujours limitées et temporaires, se justifient par les différences objectives de situation entre une Union de 370 millions d'habitants et un Etat enclavé, qui ne compte qu'un peu moins de 7 millions de citoyens.

Ainsi, au titre des dispositions transitoires de l'accord sur la libre circulation des personnes, la Suisse pourra maintenir, pendant les cinq années suivant l'entrée en vigueur du texte, des limitations quantitatives concernant l'accès à une activité économique. Il convient de signaler toutefois qu'elle n'aura pas le droit de fixer un seuil inférieur aux statistiques actuelles, et que ces limitations ne sont pas opposables aux travailleurs déjà autorisés à exercer une activité en Suisse. Par la suite, après la cinquième année et jusqu'à douze années après l'entrée en vigueur de l'accord, les autorités suisses auront la faculté, si elles le souhaitent, de limiter l'accroissement éventuel du nombre de nouveaux titres de séjour délivrés.

Cette asymétrie s'explique évidemment par la différence de poids démographique entre l'UE et la Suisse, et par le fait qu'un plus grand nombre de citoyens de l'UE demandent à s'installer en Suisse que l'inverse. Après la suppression des contingents, il est normal que la Suisse ait la possibilité, pendant un certain temps, de mettre en _uvre une clause de sauvegarde afin de contrôler un éventuel afflux massif de migrants - ce n'est pas le plus probable, mais nul ne connaît l'avenir et notamment l'effet de cet accord sur les mouvements migratoires. Au-delà de cette période, ne trouverait plus à s'appliquer qu'une clause de sauvegarde, cette fois-ci réciproque, pour les cas de « difficultés sérieuses d'ordre économique ou social ».

Contrairement à certaines interprétations, le texte de l'accord contient des clauses de révision et de dénonciation qui s'appliquent dans les mêmes conditions à l'Union et à la Suisse. L'Union, comme la Suisse, peut ainsi dénoncer l'accord à tout moment sous la réserve d'un préavis de six mois, les seules différences à cet égard tenant aux règles internes propres aux deux parties. On ne peut donc dire que la Suisse jouit seule du droit de remettre en cause les accords unilatéralement.

Pour terminer sur ce point, M. Pierre Moscovici a souhaité insister sur un fait essentiel, et à son avis un peu perdu de vue. Comme rappelé initialement, ces accords font suite au gel, imposé par les électeurs suisses, de la candidature de la Suisse à l'Union. Leur objet consiste fondamentalement à élargir à la Suisse, malgré tout, une partie de l'acquis communautaire. D'ailleurs, en pratique, on sait bien que notre voisin sera conduit, dans ces différents domaines, non seulement à reprendre l'acquis actuel, mais aussi à se conformer aux développements futurs du droit européen, sauf exception. A cet égard, l'effort d'adaptation apparaît donc plus grand de la part de la Confédération que de l'Union.

Il ne faut donc pas seulement regarder la ligne d'arrivée mais se souvenir du point de départ de chacun. A cette aune, la balance, si elle doit pencher, ne le fait pas toujours du côté que l'on croirait de prime abord. Naturellement, chaque partie, chaque Etat membre, attache plus ou moins d'intérêt à tel ou tel de ces sept accords, mais ils forment un tout équilibré et indissociable.

En second lieu, et en fait cette critique prolonge la première, certains se sont interrogés sur le risque, en concédant graduellement aux Suisses tous les avantages liés à l'appartenance à l'Union, d'affaiblir l'incitation à y adhérer.

Tout d'abord, M. Pierre Moscovici a estimé que l'on ne pouvait faire cette lecture des accords ; ils entraînent également de nouvelles contraintes pour la Suisse. Ensuite, il a souligné que ces accords s'inscrivaient dans une stratégie globale de rapprochement progressif de la Suisse et de l'Union européenne, et que l'un de ces objectifs était bien de faciliter l'adhésion de la Suisse à l'Union.

Une remarque est essentielle à cet égard. L'on ne saurait préjuger de l'avenir et des choix fondamentaux que fera le peuple suisse. L'hypothèse d'une nouvelle candidature ne sera de toute façon pas examinée avant plusieurs années, a priori plutôt à la fin de la législature suisse 2003-2007. Dans ces conditions, il nous appartient d'améliorer autant que possible nos rapports au quotidien avec un pays qui est un de nos plus proches voisins et un de nos principaux partenaires économiques. Au surplus, M. Pierre Moscovici a estimé que la meilleure manière de convaincre la population de la Confédération de l'opportunité de l'adhésion de celle-ci à l'Union était de l'acclimater à cette perspective, de lui montrer les avantages de la coopération européenne, en même temps que de démythifier et parfois, de « dédiaboliser » l'Union et son fonctionnement aux yeux d'une partie d'entre elle. L'Histoire peut faire son chemin ainsi.

Il ne s'agit pas de « forcer » la Suisse à adhérer à l'Union, ce qui pourrait d'ailleurs avoir l'effet inverse du but recherché, mais de l'y inciter positivement.

Enfin, le Ministre a voulu revenir sur une difficulté rencontrée par la ratification de cet accord dans notre pays, une difficulté, certes réelle, mais aujourd'hui derrière nous et qu'on ne peut plus mettre en avant. Il s'agit du dossier de l'assurance-maladie des travailleurs frontaliers. La solution que le Gouvernement a trouvée par la concertation, et que le Ministre a exposée lors de l'examen du projet de loi au Sénat, constitue un compromis satisfaisant entre les règles communautaires, les principes qui fondent notre sécurité sociale nationale et les revendications de nombreux travailleurs frontaliers. En attestent les réactions positives des associations, qui demandent à l'Assemblée nationale de ratifier dans les mêmes termes que le Sénat, et des élus concernés : ils saluent, en particulier, la possibilité reconnue aux frontaliers d'être assurés, comme aujourd'hui, auprès de la compagnie privée de leur choix, pendant une période de sept ans.

C'était une question importante et épineuse. Le choix fait au départ n'avait rien d'absurde ; il était cohérent avec l'objet de ces accords qui, comme il a été dit, consiste à rapprocher la Suisse de la norme européenne. Or, en l'espèce, la règle communautaire est bien celle de l'affiliation dans le pays d'emploi. Mais le Gouvernement a entendu les revendications des personnes concernées et pris ses responsabilités ; et ce n'est pas un secret de dire que la formule finalement retenue par le Premier ministre, à la demande de M. Pierre Moscovici, s'écarte de la position défendue par le ministère principalement concerné. Il ne serait donc pas sensé, maintenant, d'en demander plus que les intéressés eux-mêmes.

Ces accords entre l'UE et la Suisse constituent donc des avancées précieuses et prometteuses, qu'il faut s'efforcer de mettre en _uvre le plus rapidement possible, dans l'intérêt de l'Union européenne, de la France et de ses régions frontalières - à cet égard, M. Pierre Moscovici a rappelé qu'il était lui-même élu d'une circonscription frontalière avec la Suisse. Notre pays compte, avec la Belgique et l'Irlande, parmi les trois derniers Etats membres à n'avoir pas ratifié l'accord de libre circulation des personnes. Le moment est maintenant venu de le faire, et dans le souci de faire partager cette conviction à tous les commissaires, le Ministre s'est dit prêt à répondre à leurs questions.

Le Président François Loncle a informé la Commission de l'intention du groupe UDF de déposer une motion d'ajournement sur ce texte.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a rappelé que lors de sa réunion du mardi 6 novembre dernier consacrée à l'examen du projet de loi autorisant la ratification de l'accord entre l'Union européenne et la Suisse sur la libre circulation des personnes, la Commission des Affaires étrangères avait décidé de reporter sa décision sur cet accord car celui-ci pose une série de questions sur lesquelles M. Pierre Moscovici a apporté des réponses qui ne fournissent pas d'explications.

La première question est la suivante : cet accord est-il équilibré entre l'Union européenne et la Suisse ?

La deuxième est : au sein des concessions faites par l'Union européenne, la répartition entre les Etats membres a-t-elle été équitable ? En toute franchise, la Rapporteure a dit avoir quelques doutes ; les intérêts de la France ont été mal défendus. Le sentiment est très net que tant les populations frontalières que les collectivités territoriales, notamment du Pays de Gex et du Chablais, ont été tout simplement oubliées ou sacrifiées, et que ces accords vont avoir des conséquences en cascade dont personne ne mesure les graves effets.

La troisième est une question de fond. Cet accord constitue-t-il un premier pas de la Suisse dans la bonne direction, c'est-à-dire vers l'adhésion à l'Union européenne que la Rapporteure souhaite ou bien l'inverse, nombreux étant ceux qui pensent que les Suisses ayant désormais obtenu tous les avantages des Etats membres refuseront définitivement l'adhésion puisqu'ils seront obligés d'accepter ces contraintes. De plus, la Communauté européenne a signé un accord avec l'Europe des Quinze, quelle sera son attitude avec l'élargissement de l'Europe dont elle devra accepter les ressortissants ? C'est pourquoi le vote de la Commission des Affaires étrangères devrait dépendre de l'assurance de l'inscription d'une clause générale de révision au bout de trois ans.

Ce sont les trois questions essentielles qui doivent déterminer notre vote sur cet accord.

M. Pierre Moscovici a estimé avoir répondu aux interrogations de la Rapporteure même si ses arguments ne l'ont pas convaincue. Un accord qui n'est pas identique de part et d'autre n'est pas forcément un accord déséquilibré, en raison notamment de la différence démographique entre les Parties. Il a déclaré assumer les négociations de cet accord sur lequel il a passé beaucoup de temps. Les frontaliers attendent sa ratification. Le Sénat l'a déjà autorisée à une majorité de 317 voix contre 2.

Il est heureux que le Parlement ne demande pas pour rédiger ses rapports le temps que l'on accorde pour préparer une thèse : le rythme de l'activité législative en serait considérablement ralenti.

Il est impossible aujourd'hui de modifier cet accord, il faut l'accepter ou le refuser. La question du lien entre ces accords et l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne est une bonne question. Certains estiment qu'ils peuvent s'y substituer, d'autres qu'ils la préparent. Dans tous les cas, ils traduisent que la porte reste ouverte pour une future adhésion. Il faudrait au demeurant s'interroger si la France souhaite l'adhésion de la Suisse à l'Union européenne.

La ratification de cet accord est attendue avec impatience par les Suisses, le retard pris dans la procédure a suscité un grand émoi à Berne. La sagesse est de l'approuver.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a remercié le Ministre d'avoir enfin accédé aux désirs des associations de travailleurs frontaliers en permettant à ces derniers pendant encore sept années de pouvoir choisir entre les différentes options d'assurance maladie. Mais elle a regretté toutefois que ce libre choix ne figure pas dans la convention elle-même, signifiant ainsi que cela restera au bon vouloir des Ministres qui lui succéderont.

Le Président François Loncle s'est félicité du dialogue entre le Ministre Pierre Moscovici et la Rapporteure. Il a estimé que les arguments du Ministre sont de nature à justifier l'adoption de cet accord, même si les appréhensions de la Rapporteure étaient légitimes.

Après l'audition de M. Pierre Moscovici, la Commission a repris, sur le rapport de Mme Bernadette Isaac-Sibille, l'examen du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Confédération suisse, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (n° 3329).

Mme Bernadette Isaac-Sibille a insisté sur le fait qu'elle n'était pas contre le principe d'autoriser la ratification de cet accord mais qu'elle estimait nécessaire de retarder cette adoption dans l'attente de disposer de toutes les informations nécessaires à une étude approfondie.

L'enthousiasme des Suisses à faire voter cette série d'accords est en effet inquiétant. Beaucoup de parutions en Suisse, en particulier celles de l'Institut européen de l'Université de Genève, ont produit énormément de documentation sur ces accords alors qu'en France une seule source de renseignement est disponible, et il s'agit de la thèse d'un étudiant qui se penche sur la question depuis maintenant dix-huit mois alors que le Parlement ne dispose que de trois semaines.

Par ailleurs, si un seul accord est soumis au vote du Parlement, il y en a également six autres dont les avantages pour la Suisse sont indéniables. En ratifiant cette série de sept accords, on ne mesure absolument pas les inconvénients pour les régions frontalières qui vont en découler en cascade.

La Rapporteure a également souligné que la Suisse n'adhérera jamais à l'Union européenne étant donné que la votation, qui est la base de sa démocratie, ne pourra jamais être acceptée par l'UE dans le cas d'une adhésion de la Suisse, or celle-ci ne renoncera jamais à la votation. Avec ces accords, on offre ainsi à la Suisse les avantages de l'UE sans que celle-ci cotise au budget européen. Si l'on veut ratifier ces accords, il apparaît donc indispensable d'introduire une clause générale de révision au bout de trois ans. Si nous sommes « suissophiles », nous sommes également « europhiles » et chacun doit trouver sa place dans le respect des spécificités de l'autre.

C'est pourquoi la Rapporteure s'en est remise à la sagesse de la Commission des Affaires étrangères et de ses commissaires.

M. Pierre Brana s'est déclaré convaincu par les arguments du Ministre. Il a demandé quelles étaient les associations qui se sont déclarées contre l'accord et sur quels arguments.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a répondu qu'une association de frontaliers s'était prononcée pour et qu'en revanche plusieurs autres étaient violemment contre.

M. Joseph Parrenin a rappelé que les réserves qu'il avait pu exprimer sur cette convention lors de la précédente séance étaient justifiées non par des clauses de cet accord mais en raison de certains manques. Cette convention est de nature à améliorer certaines situations mais pas toutes. Les associations des frontaliers se sont exprimées en ce sens.

Il a rappelé que les grandes formations politiques suisses étaient favorables à l'adhésion à l'Union européenne, mais que le peuple suisse y était réticent. La pression foncière existe et continuera d'exister, avec ou sans cet accord. En revanche, cet accord ouvre la possibilité d'étendre la zone de résidence des travailleurs frontaliers, ce qui est positif pour la France.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a tenu à souligner que lors du référendum d'initiative populaire organisé le 4 mars 2001 intitulé « Oui à l'Europe », le non l'avait emporté à plus de 76 %.

M. Joseph Parrenin a répondu que le référendum en question n'avait pas été soutenu par les formations politiques et qu'il avait recueilli une très faible participation. Il ne peut donc être considéré comme représentatif.

M. Bernard Bosson a déclaré qu'il votera contre cette convention.

Il a regretté tout d'abord l'indifférence dans laquelle cet accord a été négocié. Ce contexte explique le triomphe de la diplomatie suisse sur le contenu de ce texte.

Il a estimé ensuite qu'il était inconcevable, dès lors que l'on avait de cette convention une conception d'accord de partenariat, que l'on fasse porter les contraintes davantage sur une Partie que sur l'autre.

Enfin, il a prédit que l'adoption de cet accord ferait resurgir à moyen terme une atmosphère dangereuse entre Français et Suisses en Haute-Savoie. En effet, en permettant aux travailleurs suisses et frontaliers européens travaillant en Suisse de s'installer librement en France, cet accord va conduire à une flambée des prix sur l'immobilier. Les Français ne pourront pas suivre et devront reculer devant cette nouvelle forme de colonisation, ce qui attisera les ressentiments.

M. Bernard Bosson aurait souhaité pour cette convention l'introduction de paliers quantitatifs pour éviter ce brutal déséquilibre.

M. Charles Ehrmann a rappelé qu'il existait une opposition entre la Suisse romande et alémanique. Il a estimé que la Suisse avait pour stratégie de bénéficier des avantages de l'Union européenne sans vouloir y entrer. L'intérêt de la France est à l'évidence de retarder cet accord.

La Commission a adopté le projet de loi (n° 3329).

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