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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 décembre 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Charles Josselin, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, sur la situation humanitaire en Afghanistan


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Audition de M. Charles Josselin, Ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, sur la situation humanitaire en Afghanistan

Le Président François Loncle s'est félicité d'entendre M. Charles Josselin, qui revient d'Afghanistan. Il a rappelé que ce déplacement, auquel il a lui-même participé, était la première visite ministérielle française dans ce pays depuis 1974. Cette visite s'est déroulée le jour même de l'arrivée à Kaboul du nouveau Gouvernement qui sera officiellement installé le 22 décembre prochain.

M. Charles Josselin a exposé le sens de sa mission en Afghanistan. Il s'agissait de rappeler aux Afghans la disponibilité de la France pour la reconstruction de leur pays, la mise en place des institutions démocratiques et leur développement économique.

La situation en Afghanistan est instable en raison de la présence de chefs de guerre dont les comportements ne sont pas marqués du sceau de la démocratie. Les problèmes de sécurité sont importants, qu'ils concernent le nouveau Gouvernement ou les actions humanitaires et de reconstruction. Dès le début, la France a indiqué sa volonté d'aider l'Afghanistan au plan humanitaire. Un premier avion affrété par des ONG françaises s'est posé à Douchambe et de là, l'aide a été acheminée en Afghanistan. Un deuxième avion a atterri à Termez où il fut difficile de l'en sortir, mais ce problème a été réglé 48 heures après la visite en Ouzbékistan du Ministre Charles Josselin. Le matériel a été transporté par barge sur l'Amou-Daria.

Depuis, des progrès ont été accomplis, le pont de Termez a été remis en état et rouvert, ce qui facilite la communication entre l'Ouzbékistan et l'Afghanistan. Du côté de la frontière avec l'Iran, cela se passe bien, 1 300 tonnes de céréales ont été acheminées. L'aéroport de Bagram bien qu'encore miné - c'est chaque jour que les mines tuent en Afghanistan, notamment des enfants - est ouvert. Un avion transportant du matériel et une équipe médicale de Lyon a pu y atterrir ce jour.

Le Ministre a fait valoir qu'il fallait être attentif à la présence française dans ce pays, d'autant que le chef du Gouvernement, M. Ahmid Karzaï, a eu des liens avec la France : il a fréquenté l'école de journalisme de Lille. Le Ministre des Affaires étrangères est également proche de la France. La présence française pourrait s'affirmer dans des actions de coopération au niveau de l'enseignement et de la sauvegarde du patrimoine afghan, aujourd'hui fortement endommagé et dispersé. Il en est ainsi des collections du Musée de Kaboul. Kaboul laisse d'ailleurs une étrange impression de ville à moitié rasée. Elle le fut en partie par les Afghans eux-mêmes car chaque renversement de pouvoir a provoqué des destructions.

L'action humanitaire est importante. Le programme alimentaire mondial est suffisant mais l'acheminement de l'aide vers les populations qui en ont besoin reste difficile. La sécheresse grave qui sévit actuellement a transformé la plaine de Chamari en un désert. Les réfugiés afghans sont nombreux : 4 millions et demi, environ 2 millions en Iran et 2,5 millions au Pakistan. On peut penser que ceux-ci vont rentrer progressivement en Afghanistan car ils constituent une richesse pour ce pays.

Il est important d'identifier les personnalités afghanes, actuellement en exil en Europe, qui sont susceptibles de jouer un rôle dans la reconstruction de l'Afghanistan et qu'il faut aider à trouver leur place dans ce processus.

La réunion prévue le 19 décembre à Bruxelles rassemblera des représentants du PNUD, des agences des Nations unies, de la Banque Mondiale, de la Banque asiatique, de l'US Aid et de la Commission européenne. Son objectif sera de préparer la conférence ministérielle de Tokyo de janvier prochain, qui actera un plan de reconstruction dans de nombreux domaines : structures publiques, système scolaire, adduction d'eau, transports. Il s'agira aussi de bâtir des stratégies de développement, et notamment de prévoir des cultures de substitution pour éviter que l'économie de l'Afghanistan ne continue à se fonder principalement sur la culture du pavot.

Il est certain que l'Afghanistan, par sa situation au c_ur d'une région pétrolière et gazière, est un enjeu stratégique. Sa stabilité est encore incertaine. Parmi les autres inquiétudes que l'on peut avoir, il y a celle de l'évolution du Pakistan, qui soutenait les Talibans, et qui risque de connaître, à court terme, une nouvelle instabilité en lien avec la question du Cachemire. L'attentat récent au Parlement indien montre que ce conflit déjà ancien, risque de revenir sur le devant de l'actualité.

M. Charles Josselin a indiqué qu'il avait rencontré le chef du Gouvernement transitoire, M. Hamid Karzaï, ainsi que les Ministres de l'Intérieur et de la Défense. Ce Gouvernement, considéré comme représentatif par la Conférence de Bonn, est cependant critiqué par la communauté pachtoune qui estime être insuffisamment représentée.

Le Conseil de sécurité des Nations unies devra par ailleurs définir le mandat de la force multinationale qui doit aider à la sécurité de Kaboul. Il apparaît que si le principe de la force multinationale était accepté par le Gouvernement afghan, c'est une composante surtout américaine et européenne qui serait préférée. La part de la Russie dans la reconstruction est encore inconnue, mais sa présence est déjà significative à travers l'action humanitaire et aussi la tenue de la frontière avec le Tadjikistan par des soldats russes. La France est disposée à envoyer quelques centaines d'hommes, ainsi que l'a annoncé le Premier ministre. Les missions de la force multinationale seraient centrées sur la protection des personnalités et des bâtiments officiels ; la question de leur plus ou moins grande visibilité n'est pas réglée.

Le Président François Loncle a insisté sur la nécessité de trouver un équilibre difficile entre la stabilisation du pays et la volonté exprimée par ses dirigeants d'y parvenir par eux-mêmes. L'Europe semble être la mieux placée par rapport aux Etats-Unis pour éviter une quelconque tutelle. C'est pourquoi l'Europe, et en particulier la France, doit suivre à la fois l'action de la force internationale de sécurisation mais aussi les actions de coopération. Enfin, lorsque Ben Laden sera capturé, les deux objectifs énoncés au lendemain des attentats du 11 septembre seront réalisés mais il ne faudra pas pour autant « laisser tomber » l'Afghanistan.

Considérant que sa question était peut-être prématurée au regard de la confusion qui semble régner à Kaboul, Mme Odette Trupin s'est interrogée sur la réouverture du lycée français de Kaboul. La langue française et l'enseignement du français méritent d'être repris dans ce pays qui fait l'objet d'une course aux influences.

M. Georges Hage s'est demandé si on ne pouvait pas, presque rhétoriquement, exposer d'abord ce que représente l'Afghanistan économiquement et stratégiquement pour expliquer ensuite l'attitude que l'on peut adopter à un certain niveau au sujet de ce pays.

M. Pierre Brana a émis la crainte, une fois la paix revenue, d'un abandon de l'Afghanistan. Mais l'inverse, c'est-à-dire la présence d'un nombre incalculable d'ONG sur le terrain « se marchant sur les pieds » comme au Timor, ne serait pas forcément un plus. A cet égard, la France envisage-t-elle d'inscrire l'Afghanistan dans sa zone de solidarité prioritaire afin de mieux structurer l'aide ?

S'agissant de la compétition entre les Etats-Unis et l'Europe, il a rappelé que les Etats-Unis avaient, déjà sous le règne des Talibans, signé des accords avec ces derniers, notamment dans le secteur énergétique, à l'instar de l'accord signé par la compagnie américaine UNOCAL prévoyant la réalisation d'un oléoduc entre la Caspienne et l'Océan indien via le Pakistan pour contourner l'Iran.

M. Paul Dhaille a fait observer que l'on envisageait l'envoi d'une force multinationale sous l'égide de l'ONU alors même que les opérations militaires américaines continuent. Sait-on approximativement à quel moment les Etats-Unis vont cesser leurs opérations et comment se fera la transition ? Quel sera par ailleurs le processus de retrait ou de maintien des forces américaines ?

Rappelant que le ministère de la Coopération était éminemment politique et que l'Etat ne pouvait pas tout faire, M. René Mangin a souligné que les collectivités territoriales demandaient fortement à participer à la politique de coopération menée par la France et que chacune d'entre elles avait des compétences à faire valoir. Sur ce sujet, beaucoup a été fait mais des points restent à parfaire. Il faut notamment créer une vraie cellule destinée à aider les collectivités qui veulent s'associer dans une _uvre telle que la création d'une école par exemple.

M. Charles Josselin a répondu aux intervenants.

L'Afghanistan représente en superficie 650 000 km² et 25 millions d'habitants. C'est un pays montagneux partageant des frontières avec le Pakistan, la Chine, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan et l'Iran. Cette situation géographique explique en grande partie les enjeux stratégiques attachés à ce pays. Il est exact qu'un accord déjà signé prévoit un gazoduc passant par l'Afghanistan mais ce gazoduc doit également traverser le Pakistan.

On peut s'interroger sur la volonté des Etats-Unis de rester en Afghanistan, autrement que par l'intermédiaire d'entreprises privées. Le Japon pour sa part souhaite s'impliquer davantage dans la reconstruction et a renforcé sa position diplomatique.

Aujourd'hui, la situation économique de l'Afghanistan est très difficile : ce pays, qui connaît la guerre depuis 22 ans, a presque été totalement détruit et subit actuellement une sécheresse.

Il faut éviter toute comparaison hasardeuse, chaque situation étant nouvelle. Au Kosovo par exemple, il n'existait pas de Gouvernement alors que le processus de Bonn a permis d'en créer un en Afghanistan. Il est essentiel de ne pas donner l'impression de vouloir occuper militairement l'Afghanistan et c'est pour cela qu'une force internationale sous chapitre VI serait sans doute préférable à une force sous chapitre VII.

La reconstruction de l'Afghanistan coûtera très cher et il est bien sûr hors de question pour la France d'assumer seule de gros projets. Elle agira en partenariat avec d'autres pays, l'Allemagne par exemple, ou des institutions internationales comme la Banque mondiale ou l'UNICEF.

Les opérations militaires ne sont pas tout à fait terminées. Les recherches pour retrouver Ben Laden se poursuivent. Certains estiment qu'il est toujours en Afghanistan, d'autres pensent qu'il s'est réfugié dans un autre pays et on cite couramment le Pakistan, la Somalie, le Soudan, le Yémen ou l'Irak.

La force internationale aura pour principal objectif de faciliter la transition et non de se substituer au Gouvernement. Elle contribuera à assurer la sécurité des personnes et des biens.

M. Charles Josselin a observé que le format actuellement envisagé de la force multinationale (5 000 hommes), ne permettait à l'évidence pas de sécuriser un pays comme l'Afghanistan.

Le développement de la coopération décentralisée semble très adapté pour l'Afghanistan, pays qui pourrait s'orienter vers une structure de type fédéral. Le Ministre de l'intérieur afghan, interrogé sur le sujet, s'est montré très intéressé.

Pour se développer, la coopération française a besoin d'une cellule d'appui de son action sur place : le chargé d'affaires français à Kaboul est encore un peu seul, dans l'attente de la nomination d'un Ambassadeur de plein exercice. D'ores et déjà des missions ont été envoyées dans le domaine de la santé et de l'éducation. La France souhaite rénover les lycées francophones existant à Kaboul. L'objectif d'une réouverture le 21 mars du lycée pour garçons semble un peu ambitieux car il va falloir réunir des professeurs. Cet enseignement devra comporter une partie d'apprentissage de notre langue, mais il ne s'agira pas strictement d'un lycée français. Le lycée de filles quant à lui devrait pouvoir être ouvert plus tôt.

M. Charles Josselin a indiqué ne pas avoir vu beaucoup de femmes à visage découvert lors de son voyage à Kaboul, bien que cela ne soit plus interdit. En effet, les femmes portaient la burqa avant les Talibans et continuent donc de la porter malgré leur départ. Une femme a dit au Ministre « vous verrez notre visage lorsque vous aurez donné un autre visage à Kaboul ». Un signe encourageant réside dans la présence dans le nouveau Gouvernement d'une femme en charge du portefeuille de la santé, ce qui est plus qu'un symbole dans la mesure où les femmes avaient été exclues du système de santé par les Talibans.

Le Président François Loncle a fait observer que l'opération de rénovation et de réouverture des lycées, en particulier le lycée de filles, lui avait paru tellement forte symboliquement qu'il a souhaité impliquer le Président Raymond Forni pour que l'Assemblée nationale débloque une somme symbolique lui permettant d'y participer.

Par ailleurs, il a proposé, en commun avec le Président Raymond Forni et M. Richard Cazenave, Président du groupe d'amitié, de demander à chaque député de participer à titre personnel à une souscription pour la réouverture du lycée de filles.

Souhaitant revenir sur la question de la sécheresse, le Président François Loncle a signalé que la culture de mort qui animait les Talibans les conduisait parfois à tuer sans motif des animaux et à détruire des cultures, en particulier la vigne.

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