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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 18 décembre 2001
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, sur la situation internationale

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Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, sur la situation internationale

Le Président François Loncle a remercié M. Hubert Védrine de sa présence devant la Commission.

M. Hubert Védrine s'est d'abord exprimé sur l'Afghanistan. Il a indiqué que des négociations étaient en cours aux Nations unies sur le mandat de la future force multinationale, et que celles-ci n'étaient pas achevées. En effet, il est indispensable de définir un mandat clair pour le rôle de la force multinationale dans la sécurisation de la nouvelle administration afghane, son encadrement dans le temps, la mise place d'une chaîne de commandement ad hoc claire et disposer d'une demande renouvelée des Afghans eux-mêmes.

Sur le Proche-Orient, les Européens ont adopté, lors du Conseil Affaires générales du 10 décembre, une déclaration particulièrement exigeante, pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Cette position a été reprise à Laeken, en spécifiant que la poursuite de la négociation exige un interlocuteur et donc la nécessité de ne pas affaiblir Yasser Arafat et la logique de l'Autorité palestinienne. A contrario, le Gouvernement israélien a demandé de suspendre tout contact officiel avec Yasser Arafat. Les Européens ont d'ailleurs confirmé leur déclaration en organisant une rencontre entre celui-ci et leurs consuls généraux présents sur place.

M. Hubert Védrine a ensuite fait le point sur le Conseil européen de Laeken qui a été un bon Conseil. S'il n'a pas été possible de trouver un accord sur la localisation du siège de certaines agences, le Conseil a permis des avancées dans des domaines tels que le volet économique et social ou le volet justice-affaires intérieures, après la résolution du blocage italien sur le mandat d'arrêt européen.

Mais c'est dans le domaine institutionnel que les avancées ont été les plus grandes. Le Conseil a adopté une déclaration sur l'avenir de l'Europe : il s'agit d'un bon texte, ambitieux, qui insiste sur ce qui reste à faire, et qui est plus ouvert, quant aux solutions à rechercher, qu'une version envisagée auparavant.

En ce qui concerne la Convention qui sera chargée de préparer la réforme des institutions, les discussions sur sa présidence, sa composition et son organisation ont abouti rapidement. La Convention se réunira du 1er mars 2002 au 1er mars 2003, puis elle présentera ses conclusions, sous la forme d'un consensus ou de différentes options, au Conseil européen. Dans le même temps, un forum sera mis en place pour élargir le débat à la société civile. Ce n'est qu'ensuite que la Conférence intergouvernementale se réunira.

Il faut rappeler que ce débat a été ouvert à Nice par le Chancelier Schröder qui craignait le vote du Bundesrat, donc des Länder, sur le Traité de Nice. Cette démarche était fondée sur la nécessité de mieux assurer le respect du principe de subsidiarité, notamment vis à vis du pouvoir des Länder. Ce n'est que dans un deuxième temps que ce débat a été élargi.

Le Président François Loncle a souligné que la procédure de la Convention était exactement calquée sur celle qui a abouti avec succès à la Charte des droits fondamentaux, avec pour seule nouveauté l'association des pays candidats à l'Union européenne. Il a également fait observer que les Parlements nationaux, associés pour la première fois à l'élaboration d'un texte, avaient beaucoup _uvré pour que la Convention soit mise sur pied ; ils ont vaincu le scepticisme d'un certain nombre de gouvernements.

S'agissant de l'Afghanistan, M. René André a fait remarquer que beaucoup de parlementaires étaient surpris de l'extrême diligence dont fait montre la Grande-Bretagne. Qu'est-ce qu'elle recherche ? D'aucuns craignent un « futur Yalta » réunissant les Américains, les Britanniques et les Russes, consacré au partage du pétrole de la Caspienne.

A propos des Balkans, il a signalé que devait se tenir prochainement une conférence des donateurs portant sur la Macédoine, et combien les attentes de ce pays à l'égard de la France étaient fortes. Dans la mesure où beaucoup d'argent va au Kosovo, il a demandé quels étaient les projets de la France à l'égard de la Macédoine qui a toujours fait preuve d'un grand sens des responsabilités.

Ayant félicité M. Hubert Védrine pour ses propos sur le Proche-Orient, M. Pierre Brana a fait part de son étonnement devant la modération de l'expression des pays arabes. Doit-on s'attendre à un changement d'attitude à l'occasion de la très prochaine réunion de la Ligue arabe ?

Commentant l'ère de la concertation avec l'ensemble des pays dans laquelle les Etats-Unis semblaient s'être engagés après les événements du 11 septembre, il s'est déclaré très réservé, et a estimé que les événements récents, à savoir la position radicale adoptée par le Congrès américain sur la Cour pénale internationale, prouvaient que les Etats-Unis étaient toujours sur la même ligne unilatéraliste. La présidence belge de l'Union européenne étant intervenue sur ce sujet auprès des Etats-Unis, il a demandé à M. Hubert Védrine si les différents représentants français à l'ONU et aux Etats-Unis avaient reçu des instructions en la matière.

Notant que la récente déclaration européenne sur le Proche-Orient avait été interprétée par les Palestiniens comme une mise en cause et par beaucoup d'observateurs comme plutôt favorable aux Israéliens, M. Paul Dhaille a dit partager cette interprétation. Le Gouvernement d'Ariel Sharon a franchi plusieurs degrés dans l'escalade. Yasser Arafat est marginalisé et on a du mal à comprendre la position américaine qui laisse faire les Israéliens. C'est pourquoi il a souhaité obtenir une analyse plus fine de la situation dans cette région.

A cet égard, le Président François Loncle s'est dit lui aussi frappé par le nouveau retournement américain en faveur d'Israël. Ce parti pris retrouvé est inquiétant.

M. Jacques Myard a souhaité obtenir un point de situation s'agissant du « nettoyage » du terrorisme sur la planète avant de revenir au problème essentiel et lancinant du Proche-Orient. Il a fait part de son étonnement devant le silence de la France toutes proportions gardées. Les positions communes au sein de l'Union européenne étant discréditées, pourquoi la France n'a-t-elle pas saisi le Conseil de sécurité des Nations unies pour susciter un débat et dire son désaccord avec les Etats-Unis ? En jouant le consensus européen mollasson, la France manque à son devoir puisqu'elle ne rappelle pas aux Etats-Unis que trop c'est trop.

Déclarant partager les propos précédents, M. René Mangin a demandé où se situait l'équilibre en la matière, dans la mesure où on met à l'index de la même façon Israël et les Palestiniens. Que peut faire Yasser Arafat quand il ne dispose pas des moyens de réagir ? La voix de la France doit se faire sentir plus fortement, notamment au Proche-Orient.

M. Hubert Védrine a indiqué que les missions de la Convention formée en 2000 pour rédiger la Charte des droits fondamentaux de l'Union et celles de la future convention préparatoire à la CIG de 2004 sont de nature et de difficulté très différentes. La Convention qui a élaboré la Charte portait sur un sujet unique et spécifique et le débat qui s'y est déroulé n'était pas très complexe, la seule dissension importante étant la valeur juridique conférée à la Charte. Le débat qui s'ouvrira au sein de la future Convention est beaucoup plus complexe, de nature réellement existentielle, et qui de plus a lieu dans le cadre de l'Europe élargie.

Il est vrai que les partisans de la Convention ont dû vaincre l'hostilité de plusieurs Etats qui craignaient qu'elle ne s'attribue le rôle d'une assemblée constituante alors qu'elle n'en a pas la légitimité. La Convention devra « décanter » les questions, animer le débat public, jouer un rôle préparatoire et définir des options qui serviront de base à la négociation de la CIG. Ses conclusions ne lieront pas les Gouvernements.

Le mécanisme d'aide à la Macédoine se met en place, de la façon la plus logique possible étant donné les circonstances qui obligent les Européens à intervenir de façon rapide à la façon des pompiers. Les travaux de préparation conduits par Javier Solana, puis par François Léotard, ont été excellents, comme l'est le travail d'Alain Leroy.

En ce qui concerne les enjeux pétroliers en Asie centrale, le Ministre a jugé que les puissances intéressées par le pétrole de la mer Caspienne n'ont nullement besoin de cet engrenage en Afghanistan. Le conflit en Afghanistan est sans lien avec les enjeux économiques. Les pays d'Asie centrale ont aujourd'hui une conscience accrue de leur importance.

L'attitude du Chef de Gouvernement britannique s'explique par une double préoccupation : d'une part, donner une autre image de la Grande-Bretagne que celle d'une base arrière du terrorisme islamiste du fait de l'attitude de la justice britannique et d'autre part, établir une relation spéciale forte avec le nouveau Président américain George Bush.

Le Chancelier Schröder a quant à lui souhaité, à l'occasion du conflit afghan, réintégrer l'Allemagne dans une action internationale « normale » incluant l'envoi de troupes au sein d'une force multinationale, ce qui l'a poussé à proposer de tenir la Conférence sur l'Afghanistan au centre de conférences de Pétersberg. Cette politique a été appuyée par le Bundestag, mais avec seulement deux voix de majorité.

Pour l'instant, le Président Bush n'a rien décidé. L'administration américaine est concentrée sur la destruction d'Al Qaida et aucune autre décision n'a été prise concernant des opérations au Yémen ou au Soudan. Pour la Somalie, la situation est différente. S'agissant d'une action éventuelle contre l'Irak, la France comme d'autres pays européens a dit ne pas l'approuver.

Selon le Ministre des Affaires étrangères, le monde d'aujourd'hui ne progresse ni vers un consensus universel, ni vers le multilatéralisme. Les Etats-Unis continuent de s'opposer à tout engagement qui réduirait leur souveraineté ou leur marge de man_uvre. L'initiative du Sénateur Helms qui menace de sanctions les Etats qui coopèrent avec la Cour pénale internationale est un exemple. Les Etats-Unis se sont retirés du traité ABM, ils n'ont signé ni la Convention sur les armes chimiques, ni celle sur les mines antipersonnel. Les Etats-Unis sont véritablement une « hyperpuissance unilatéraliste » sans être isolationniste, et utilitariste. Ils réunissent, si nécessaire, des coalitions au cas par cas.

S'agissant du Proche-Orient, la France a pris des initiatives au Conseil de sécurité mais s'est heurtée au veto des Américains. Elle n'est donc pas restée silencieuse. En réalité, Ariel Sharon n'a jamais reconnu la légitimité de l'Autorité palestinienne et n'a d'ailleurs voté aucun des accords de paix signé par Israël. Il n'a pas évolué et a toujours conservé les conceptions radicales qu'il avait à ses débuts. De ce fait, quand il fut membre de précédents gouvernements, il a mené délibérément une politique de colonisation.

Pour le Hamas, la politique conduite par Ariel Sharon constitue une aubaine car le Hamas serait menacé par la création d'un Etat palestinien viable. Il est aidé par l'aspiration de la population palestinienne à la démocratie. Toute la politique d'Ariel Sharon consiste à démontrer qu'il n'y a pas d'interlocuteur palestinien crédible.

Au lendemain du 11 septembre, Ariel Sharon a tenté de faire accepter l'amalgame entre Yasser Arafat et Oussama Ben Laden. Colin Powell a alors rappelé que les événements du 11 septembre étaient une raison supplémentaire de trouver une solution au Proche-Orient. George Bush a lui-même évoqué un Etat palestinien.

Ce que Ariel Sharon n'a pu obtenir dans un premier temps, il l'a finalement emporté dans une seconde phase, sous l'effet de deux événements : l'assassinat d'un ministre et la récente vague d'attentats suicides. Ariel Sharon a dénié à Yasser Arafat la qualité de partenaire pour la paix. Les Etats-Unis ne contestent pas cette politique.

Il est souvent difficile pour les Européens de trouver un consensus sur le Proche-Orient. Ce consensus a été remis en cause par la situation de crise aiguë que nous connaissons. Ce consensus a été retrouvé grâce à la Déclaration très exigeante adoptée avant Laeken. Lors du sommet de Laeken, la France a demandé que l'on rappelle, à la suite des offensives israéliennes, que l'Autorité palestinienne était le seul interlocuteur possible, et qu'il fallait cesser de l'affaiblir. La déclaration adoptée est une déclaration juste, qui tire les conséquences de la situation sur le terrain.

La France a saisi le Conseil de sécurité pour faire intervenir des observateurs internationaux. Cette proposition s'est heurtée au veto américain.

M. Jacques Myard a fait observer que certes, en écoutant les propos du Ministre des Affaires étrangères, on ne pouvait qu'être d'accord, mais le sentiment que tout exercice européen débouche sur une paralysie à force de ménager la chèvre et le chou est tout de même fortement prégnant. Si la France prenait position seule, ce pourrait être un facteur déclenchant car à vouloir entraîner tout le monde avec elle, elle pratique la diplomatie du plus petit dénominateur commun et en ce sens elle a tort.

Le Président François Loncle s'est demandé à partir de quelle catastrophe l'initiative de convoquer une conférence internationale avec tous les protagonistes s'imposerait.

Répondant à M. Jacques Myard, M. Hubert Védrine a estimé qu'il est possible de dire des choses vraies et fortes. C'est par exemple la France qui a imposé progressivement la nécessité d'un Etat palestinien viable. Il est possible de parler fort, mais dans le contexte actuel cela se ferait au détriment de notre capacité d'influence.

En ce qui concerne l'attitude des pays arabes, leur marge de man_uvre est limitée, entre une opinion publique révoltée et la politique américaine.

Il ne faut pas croire qu'il y a des mécanismes qui n'ont pas encore été utilisés. Les Israéliens refusent toute internationalisation du conflit ; les Américains les soutiennent sur ce point. Les Etats-Unis avaient par exemple accepté lors du G8 un mécanisme, peu contraignant, d'envoi d'observateurs, mais ils sont très rapidement revenus dessus au Conseil de sécurité.

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