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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 8 janvier 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. François Loncle, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de Mme Catherine Tasca, Ministre de la Culture et de la Communication, sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés (ensemble une annexe) (n° 2879), M. Pierre Lequiller, Rapporteur



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Audition de Mme Catherine Tasca

Le Président François Loncle a rappelé que le calendrier prévisionnel de la Commission comportait l'examen de la convention Unidroit sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, déposée le 24 janvier 2001 sur le Bureau de l'Assemblée nationale.

Le Rapporteur, M. Pierre Lequiller, ayant fait part de ses interrogations sur l'opportunité de ratifier la convention alors que nos principaux partenaires européens, à l'exception de l'Italie, ne l'ont pas fait, souhaiterait obtenir des précisions quant aux conditions d'application de cette convention en France.

Il serait également important de connaître les mesures d'accompagnement prévues par le Gouvernement pour informer les professionnels et les particuliers des évolutions qu'entraînera l'entrée en vigueur de la convention, dans la mesure où celle-ci institue une sorte de « traçabilité » des _uvres d'art et des biens culturels en général, avec les objectifs de moralisation et de plus grande transparence des transactions dans le domaine du commerce de l'art. Pour toutes ces raisons, l'audition de la Ministre a été jugée souhaitable.

Mme Catherine Tasca a indiqué qu'à côté du marché licite de l'art s'était développé, au cours des dernières décennies, un commerce illicite de biens culturels qui repose sur le vol, le pillage des sites archéologiques, le démantèlement et la destruction, souvent irréparables, des monuments et du patrimoine culturel des pays victimes de ces actions. Ce phénomène occupe désormais une place de premier rang parmi les opérations commerciales illégales, à côté des trafics de drogue et d'armes.

Tous les Etats sont concernés par ce trafic, mais en Europe la France demeure, devant l'Italie, le pays le plus pillé. Face à l'ampleur du pillage et des vols, force est de constater l'insuffisance des instruments juridiques internationaux. A cet égard, la mise en _uvre de la convention de l'UNESCO de 1970 a démontré les insuffisances de son dispositif de restitution, limité aux seuls biens publics volés dans leur pays d'origine.

Pour lutter contre un phénomène international aux aspects multiples, il faut d'abord prévenir en amont le développement de ces trafics et, dans les pays en voie de développement notamment, généraliser les inventaires et les mesures de protection des sites et des collections. Il est nécessaire de créer dans les pays importateurs de biens culturels les conditions juridiques favorables à une plus grande transparence des transactions d'_uvres d'art, en généralisant l'obligation de vérification de l'origine et de la provenance des biens culturels proposés à la vente.

Tel est l'objet de la convention d'Unidroit de 1995 sur les biens culturels, signée par la France dès le 24 juin 1995, à l'issue de la Conférence diplomatique de Rome : créer des règles uniformes de droit privé entre les Etats parties à la convention, destinées, d'une part, à garantir la restitution des biens volés à leur propriétaire et, d'autre part, à assurer le retour matériel dans leur pays d'origine des biens culturels illicitement exportés.

La présente convention reprend les avancées normatives de la convention de l'Unesco de 1970 sur les biens culturels et de la directive communautaire 93/7 du 15 mars 1993 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un Etat membre. Pour le retour de biens illicitement déplacés, la loi du 3 août 1995, transposant la directive précitée, prévoit dans notre droit un mécanisme communautaire de retour des biens. La convention d'Unidroit institue au plan international un mécanisme similaire dans ses principes et son dispositif.

S'agissant du régime de restitution des biens volés, la convention d'Unidroit consacre les mêmes principes que ceux de la convention de l'UNESCO : le droit du propriétaire dépossédé à revendiquer son bien et le droit à indemnisation de l'acquéreur de bonne foi. Mais le champ d'application de la convention est plus vaste et couvre l'ensemble des biens culturels, incluant les biens privés et le produit des fouilles archéologiques illicites.

En outre, la convention d'Unidroit adopte un régime uniforme des règles de prescription des demandes en restitution ou en retour. Ces dispositions assurent une meilleure efficacité de la mise en _uvre de la convention, en évitant le rejet d'actions qui auraient été déclarées forcloses, par application des législations nationales.

La protection du patrimoine garantit la préservation et la transmission des valeurs culturelles profondes de chaque pays. Toute contribution à des mesures de protection des patrimoines nationaux garantit ainsi dans le présent et pour les générations futures la diversité culturelle de l'humanité. La convention permettra de mieux protéger ces patrimoines face à la passion des collectionneurs, pas toujours regardants quant à l'origine des biens qui sont l'objet de leur désir.

M. Pierre Lequiller a indiqué tout d'abord que la convention d'Unidroit n'avait été ratifiée à ce jour que par huit Etats, et cinq Etats y ont adhéré. Elle est donc entrée en vigueur à l'égard de treize pays.

L'esprit de cet instrument est louable, car il vise à lutter contre le trafic de biens culturels qui se situerait en deuxième position après celui de la drogue, auquel il est souvent étroitement lié. Les vols et les trafics touchent toutes les régions du monde - l'Europe, en particulier l'Italie, la Grèce, et la France, mais aussi l'Asie, l'Amérique du Sud, l'Afrique. Sur tous les continents, les sites archéologiques sont pillés. La convention d'Unidroit est donc un instrument de moralisation internationale.

Il a rappelé que la convention de l'UNESCO de 1970, ratifiée par 91 Etats et notamment par la France, n'entraînait qu'un engagement des pouvoirs publics sans atteindre la sphère privée. Alors que la convention de l'UNESCO ne concerne que les relations d'Etat à Etat, engageant seulement les Etats à faciliter la récupération de biens culturels classés qui de ce fait, ne doivent pas être exportés, la convention d'Unidroit a pour objectif de lutter contre le vol et le pillage des biens culturels entendus dans un sens beaucoup plus large et de favoriser la restitution ou le retour par la voie judiciaire des biens volés ou illicitement exportés, y compris ceux détenus par des propriétaires privés.

Tout en étant favorable à l'esprit et au principe de la convention d'Unidroit, il a estimé nécessaire, compte tenu des termes imprécis sur certains points de cet instrument destiné à s'appliquer à des pays aux régimes juridiques très variés, que le Gouvernement et le Parlement réfléchissent à un texte d'application, qui en préciserait l'interprétation juridique. Il a souhaité que des réponses ou des précisions soient apportées aux questions suivantes :

- La convention ne s'appliquera pas de manière rétroactive. Elle prévoit qu'il appartient à l'Etat requérant de prouver que le vol ou l'exportation illicite a eu lieu après l'entrée en vigueur de la convention. Toutefois, comment le propriétaire pourra-t-il se défendre, sachant qu'il ne connaîtra pas toujours l'historique de l'objet qui est en sa possession ? Quels moyens, quels documents devra-t-il conserver en vue de l'éventualité d'une demande judiciaire en retour du bien qu'il possède ? Comment éviter, en pratique, le risque d'une application rétroactive de fait de la convention ?

- Comment concilier les dispositions de la convention en vertu desquelles le possesseur d'un bien culturel volé ou illégalement exporté a droit à une indemnisation équitable au moment de la restitution ou du retour et le principe de la juste et préalable indemnité garantie par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ? Comment garantir que l'indemnité a été effectuée avant que le bien ne soit retourné dans son pays d'origine ?

- Comment la notion d'indemnité équitable figurant dans la convention doit-elle être comprise en droit français? S'agira t-il d'une indemnisation équivalente à la valeur du bien ou à une valeur partielle seulement ?

- en cas de contestation par le pays d'origine de la validité du certificat d'exportation accompagnant un bien culturel, il conviendrait de privilégier le principe de l'apparence en faveur de l'acquéreur et de préciser qu'il revient à l'Etat requérant d'apporter la preuve du fait que l'acquéreur a acquis le bien en étant conscient du caractère fallacieux du certificat d'exportation.

- le Syndicat national des antiquaires, ainsi que des personnes visant à représenter les collectionneurs se sont opposés à la ratification de la convention, apportant des arguments visant à montrer le caractère contradictoire de celle-ci avec les principes constitutionnels français. Quelles réponses peut-on apporter à ces arguments ?

- la convention établit que le possesseur d'un bien culturel volé a droit à une indemnisation équitable au moment de la restitution, mais uniquement s'il peut apporter la preuve qu'il n'a pas su ou pu raisonnablement savoir que le bien était volé et qu'il a agi avec diligence au moment de l'acquisition. Cette disposition entraîne un renversement de la charge de la preuve opposé à la pratique du droit français. Faut-il accepter une telle évolution ?

M. Pierre Lequiller a considéré que l'objectif louable de la convention ne devait pas empêcher de consacrer une attention particulière à son application par le juge français. La convention de l'UNESCO a été peu appliquée, mais a conduit à une prise de conscience très positive. S'il en était de même pour la convention d'Unidroit, ce serait évidemment un progrès, car il est important, par la dissuasion, de sensibiliser les collectionneurs à la nécessité de vérifier l'origine et la traçabilité des objets à acquérir et de faire en sorte que les collectionneurs non vigilants et les receleurs soient sanctionnés.

Mais il convient aussi d'éviter que les acteurs français honnêtes et de bonne foi ne soient pénalisés par le manque de précision de la convention. Aussi a-t-il estimé opportun, comme le préconisait le juriste Jean-Louis Droz, qui a participé aux travaux préparatoires, qu'à l'instar de la directive européenne de 1993, une loi de transposition, d'application de la convention en droit national soit élaborée, comme cela se fait dans de nombreux pays, afin de mieux protéger ces acteurs français honnêtes contre les aléas politiques dans les pays d'origine, contre les évolutions du droit et de la jurisprudence nationaux ou même contre des pratiques illégales dont ils ont été eux-mêmes victimes, face à des Etats dont l'administration est corrompue. Ce texte pourrait être élaboré pendant le processus de ratification.

Une action doit par ailleurs être menée à l'égard des pays européens pour les inciter à mener la même démarche, car le marché de l'art français et les professions concernées ne doivent pas être pénalisés par l'entrée en vigueur de la convention. Une lettre a été adressée au Ministre des Affaires étrangères à cette fin.

En effet, ce texte comporte des contraintes importantes. Il peut moraliser le marché mais aussi avoir un impact négatif pour le marché de l'art français.

Aussi faut-il également que les pays liés par la convention améliorent leur classification des objets exportables et non exportables, qu'ils effectuent des inventaires des biens protégés, et qu'une coopération soit menée en ce sens.

Enfin, il est très important d'accompagner la ratification de la convention d'une véritable communication à destination des professions et des particuliers, dans la mesure où ceux-ci devront modifier leur comportement d'achat : quelles sont les actions prévues par le Gouvernement ? Ne pourrait-on pas confier à un organisme existant (ICOM par exemple) ou à un organisme à créer une mission d'information du public afin que des conseils y soient donnés en cas de projet d'achat d'un bien culturel important ou sur la manière dont un inventaire des collections doit être fait en prévision de l'application de la convention ?

Mme Catherine Tasca a répondu au Rapporteur.

La première question concerne la défense du possesseur de bonne foi et le risque d'application rétroactive de fait de la convention. M. Pierre Lequiller craint que dans le cadre d'une procédure en restitution ou en retour d'un bien culturel, le possesseur de bonne foi ne puisse faire la preuve de la date de l'acquisition ou de l'entrée en possession de son bien, ce qui conduirait les juges à appliquer la convention rétroactivement à des vols ou à des exportations illicites antérieures à l'entrée en vigueur de la convention entre la France et le pays requérant ou sur le territoire duquel le bien a été volé ou illicitement déplacé. En réalité, à la seule exception du renversement de la charge de la preuve en matière de possession de bonne foi, la convention d'Unidroit n'apporte aucune règle nouvelle harmonisée en matière de droit de la preuve.

Les demandes judiciaires en restitution ou en retour présentées en France seront donc régies par notre droit. En matière de possession mobilière, la preuve de la propriété peut se faire par tous moyens. Dans l'hypothèse évoquée, un particulier pourra donc produire tout acte notarié, facture, documents de famille, lettres et même témoignages. De son côté, le professionnel disposera de ses documents professionnels et de ses registres.

Mais surtout, cette recherche devrait être inutile dans la plupart des cas puisqu'en réalité, il appartiendra au propriétaire ou à l'Etat requérant de justifier en premier lieu que le vol ou le déplacement illicite du bien revendiqué est survenu à une date postérieure à l'entrée en vigueur de la convention.

La question de l'indemnisation du possesseur de bonne foi appelle les précisions suivantes. Le montant de l'indemnisation sera évalué par les juges judiciaires conformément aux principes du droit français, en matière d'indemnisation de la perte du droit de propriété ou d'atteinte grave à l'un de ses attributs. Dans toutes les situations, le possesseur de bonne foi se verra donc indemnisé de son entier préjudice, en application des dispositions de l'article 545 du Code civil.

Toutefois, il convient de distinguer les deux hypothèses d'indemnisation prévues respectivement aux premiers paragraphes de l'article 4 et de l'article 6 de la convention. En cas de restitution d'un bien culturel volé à son propriétaire, les tribunaux judiciaires indemniseront le possesseur de bonne foi de la perte totale de la valeur du bien au jour de la demande judiciaire.

Le cas du possesseur de bonne foi, contraint de retourner le bien illicitement exporté, dans son pays d'origine, est différent car il peut en demeurer propriétaire. Dans ce cas, le montant de son indemnisation dépendra de la nature et de l'importance des limites apportées à son droit de propriété par la décision de retour. L'indemnisation pourra être équivalente à la valeur du bien, en cas de restrictions importantes à ses droits de propriétaire.

Il convient aussi d'assurer au possesseur de bonne foi le principe - posé aux articles 4 et 6 - de simultanéité de la restitution ou du retour du bien, ordonné par le juge, et de l'indemnisation du possesseur.

Bien évidemment, il importe que soit garantie l'entière exécution par le propriétaire initial ou par l'Etat requérant de leur obligation de payer l'indemnité mise à leur charge. En particulier, il serait choquant, et contraire aux dispositions de la convention, qu'un Etat puisse se retrancher derrière son privilège d'immunité d'exécution pour ne pas respecter la décision judiciaire rendue en France. Mais notre droit donne aux parties et aux juges tous les moyens juridiques de garantir au possesseur de bonne foi le paiement effectif de l'indemnité, en particulier, dans le cas de la consignation des sommes ou de la mise sous séquestre du bien dans l'attente du paiement.

Dans le cas d'une contestation de la validité d'un certificat d'exportation, il incombera effectivement à l'Etat requérant d'apporter la preuve de la mauvaise foi de l'acquéreur.

Le Gouvernement a pris connaissance des griefs d'inconstitutionnalité soulevés par le Syndicat des antiquaires, qui ne lui sont pas apparus fondés. Cette question de la constitutionnalité a été examinée au cours des travaux interministériels et devant le Conseil d'Etat. La convention consacre le droit à indemnisation du possesseur de bonne foi à l'issue d'une procédure judiciaire respectant les principes de notre droit. Elle consacre aussi les acquis du droit communautaire et notamment du régime communautaire de la restitution, déjà admis comme conforme à la Constitution.

Pour privilégier les droits du propriétaire victime du vol d'un bien culturel, la convention d'Unidroit consacre deux règles nouvelles par rapport à notre régime de revendication des biens volés.

La première a trait au renversement de la charge de la preuve en matière de possession mobilière. Toutefois, il faut souligner que ce renversement n'aura, dans la pratique, que des effets limités par rapport à l'application de la présomption édictée à l'article 2279 du Code civil, en faveur du possesseur de bonne foi. En effet, cette présomption n'est pas irréfragable et tombe devant toute preuve contraire. Actuellement, le revendiquant d'un bien volé peut toujours détruire cette présomption par tous moyens de preuve. La convention institue une nouvelle présomption simple en faveur du propriétaire dépossédé, qui pourra être combattue par tous moyens de preuve. Le possesseur pourra faire valoir un faisceau de preuves pour voir reconnaître sa bonne foi et obtenir l'indemnisation.

Le second apport réside dans un nouveau régime de prescription des revendications de biens culturels, qui tient compte à la fois des particularités du marché de l'art et de la sécurité juridique des transactions légalement conclues. Par exemple, la prescription triennale de l'article 2279 du Code civil n'a pas une portée absolue : la revendication de biens volés demeure possible sans délai en cas de détention précaire ou de possession « viciée ».

La lutte contre le commerce illicite des biens culturels passe nécessairement par l'adoption de moyens juridiques nouveaux. Cette convention vise à la moralisation du marché, ce qui explique les choix des rédacteurs, qui ont tenu compte du caractère très particulier de ces flux alimentés par l'absence de vigilance des acquéreurs. Sans inversion du régime de la preuve, la convention serait inopérante.

M. Pierre Lequiller a évoqué la nécessité d'un projet de loi destiné à adapter notre droit à la convention.

Remerciant le Rapporteur d'avoir appelé son attention sur ces questions de droit privé, Mme Catherine Tasca a reconnu la légitimité de ces préoccupations.

Néanmoins, les travaux interministériels préalables au dépôt du présent projet de loi, conduisent à considérer a priori que notre droit permet d'y apporter toutes les solutions conformes à notre tradition juridique et à notre Constitution. Cependant Mme Catherine Tasca a indiqué qu'elle avait demandé au Ministère de la Justice de faire examiner ces questions, très rapidement et de manière approfondie. Si des modifications de notre droit se révélaient nécessaires, le Gouvernement serait prêt à mettre à l'étude un projet de loi comportant les évolutions juridiques impliquées par la convention. En tout état de cause, ceci ne devrait pas retarder l'adoption du projet de loi de ratification.

La présente convention ne doit pas être regardée comme une source de contraintes et de sujétions supplémentaires pour notre marché de l'art. Au contraire, la place de Paris a tout à gagner, y compris à l'égard de ses concurrents britanniques, pour se développer et garantir à sa clientèle une meilleure transparence des transactions, par la vérification de la provenance et de l'origine de propriété des _uvres d'art. En effet, la ratification de la convention représentera à terme une garantie supplémentaire pour les acheteurs qui seront sûrs de pouvoir acquérir des _uvres dans le respect des législations des pays d'origine.

La Ministre s'est dite profondément persuadée que la ratification de la convention d'Unidroit n'engendrera aucune difficulté pour le marché de l'art et aucun risque de voir le marché français « contourné » au profit de la place de Londres, par exemple.

Il est vrai que nos partenaires européens sont en retard, sauf l'Italie qui a ratifié la convention et les Pays-Bas qui ont engagé le processus de ratification. Néanmoins, la France les convaincra d'autant mieux qu'elle aura elle-même ratifié, ce qui pourra servir de base à des discussions bilatérales ou multilatérales.

La coopération avec les pays du Sud, les plus victimes du trafic, doit être en effet un volet actif de notre politique culturelle extérieure. La France a une expertise qui devrait lui permettre d'assister ces pays le mieux possible.

Enfin, il importe de sensibiliser le plus large public à ces questions. La protection du patrimoine n'est pas uniquement la «chose » des professionnels du marché de l'art ou de l'Etat. Une meilleure protection du patrimoine passe par la prise de conscience de la gravité du commerce illicite, qu'il soit celui de réseaux organisés ou, dans une moindre mesure, de particuliers à l'occasion de voyages touristiques. Une véritable pédagogie doit être entreprise.

Le ministère étudie en effet les actions qui seront mises en place pour informer le grand public des conséquences de l'entrée en vigueur de la convention. Il importe de dépasser, en France, l'approche souvent manichéenne entre marché et culture.

Mme Catherine Tasca a par ailleurs estimé que la préoccupation de disposer d'un texte national éclairant l'application de la convention pouvait sembler légitime. Mais les discussions interministérielles ont montré que l'arsenal juridique français actuel était suffisant. Cependant, il sera demandé à la Ministre de la justice d'examiner les questions soulevées par le Rapporteur ; et s'il s'avère que des évolutions législatives supplémentaires sont nécessaires, notamment pour garantir le droit de propriété, le Gouvernement proposera un projet de loi pour y répondre.

Pour autant, il est indispensable de ne pas retarder la ratification de la convention. Compte tenu des engagements de la France pour la défense des cultures, sa position est très attendue dans le monde entier.

M. Pierre Brana a demandé quel était le nombre minimum requis de pays ayant ratifié la présente convention pour permettre son entrée en vigueur et s'est interrogé sur le risque de déséquilibre évident si la convention était essentiellement ratifiée par les pays pillés, les pays profitant de ces pillages s'abstenant. Il a par ailleurs souhaité connaître la position des Etats-Unis sur ce texte, mais également les arguments avoués des marchands d'art qui se déclarent inquiets.

M. Pierre Lequiller a fait observer que la question de M. Pierre Brana était fort justifiée dans la mesure où les huit pays qui ont déjà ratifié le présent texte sont la Lituanie, le Paraguay, la Roumanie, le Pérou, la Hongrie, la Bolivie, la Finlande et l'Italie.

Mme Bernadette Isaac-Sibille a rappelé qu'il était courant que certains objets privés fassent l'objet d'une vente avant même d'être volés. Par exemple, il a déjà été prouvé que des objets d'art avaient figuré dans un catalogue dont la date d'édition était antérieure à la date du vol de ceux-ci. Des parades en la matière sont-elles prévues par la présente convention ?

Déclarant entendre parler des artifices attachés au mercantilisme relatif aux _uvres d'art, M. Georges Hage s'est demandé quel métier faisaient les députés. Le fait de placer son argent pour spéculer, c'est-à-dire le faire fructifier dans les _uvres d'art, témoigne, si vicieux que cet acte puisse être, d'une certaine croyance en la permanence, en l'éternité de l'art et autoriserait presque que l'on pardonne aux mercantiles. Mais une question, même d'un amateur, mérite d'être posée. Ainsi, place de la Concorde, une roue, qu'il a personnellement jugée abominable, tourne toujours et l'on en est à disserter sur son sort ; une controverse s'installe même. Or, pendant que l'on amuse la galerie, tout à côté demeure l'obélisque de Louxor, dont on pourrait se demander si, un jour, l'Egypte n'aurait pas le droit de nous le réclamer.

Mme Catherine Tasca a répondu aux différents intervenants.

Huit Etats ont déjà ratifié la convention, et cinq y ont adhéré, ce qui produit le même effet. La convention est entrée en vigueur après la cinquième ratification. Il faut noter que plusieurs grands pays sont prêts de ratifier la convention ; l'Italie l'a déjà ratifiée et les Pays-Bas ont entrepris la ratification. De plus, on peut espérer que de nombreux pays de l'Union européenne se joindront assez rapidement à la liste si la France, qui est très regardée sur ce sujet, montre l'exemple. A défaut d'une ratification par la France, le train risque de rester en gare. Quant aux Etats-Unis, ils semblent assez prêts à ratifier la convention, mais il faudra juger sur leurs actes.

Les réticences des professionnels du marché de l'art s'expliquent par la crainte assez naturelle de l'entrée en vigueur de nouvelles règles dans un secteur prospère. Ils craignent de nouvelles contraintes, mais celles-ci ne sont pas fondées. Pourtant, les professionnels sont déjà soumis à une obligation générale de renseignement vis-à-vis de leur clientèle. Plus particulièrement, dans le domaine des transactions des _uvres d'art, les tribunaux judiciaires considèrent comme de nature à engager la responsabilité professionnelle du vendeur ou du mandataire l'absence d'information ou la communication d'information erronée sur l'origine de propriété des biens. Sur ce plan, les obligations découlant de la convention pour les professionnels sont donc en parfaite concordance avec les dispositions de notre droit interne. Au contraire, le nouveau système devrait valoriser leur profession en assainissant le marché des flux peu recommandables.

Mme Catherine Tasca a estimé que les anecdotes rapportées par Mme Bernadette Isaac-Sibille étaient révélatrices du caractère très organisé des trafics d'_uvres d'art. L'un des intérêts de la convention sera justement de freiner les agissements de tels vendeurs peu scrupuleux, en agissant sur la demande, puisque c'est l'existence d'un acheteur qui déclenche le vol.

En réponse à M. Georges Hage, Mme Catherine Tasca a rappelé que l'obélisque de la place de la Concorde avait été offert à la France, même si certains pourront discuter des circonstances historiques qui ont conduit à ce présent. La non-rétroactivité de la convention nous protège en tout cas formellement d'une demande de retour.

Quant à la grande roue installée sur la place de la Concorde, la Ministre de la culture considère que l'occupation du site, qui a fait l'objet d'une autorisation temporaire prolongée jusqu'en mai 2001, est illégale. Elle soutient donc la démarche du Maire de Paris visant à porter l'affaire devant les tribunaux.

Il serait souhaitable que les parlementaires fassent _uvre de pédagogie envers les citoyens qui peuvent se laisser influencer par des propos démagogiques. Chacun doit avoir conscience de la nécessité de respecter les lois de protection des monuments historiques et de résister aux menaces et au chantage. Le rappel à la loi que nous souhaitons pour les délinquants doit valoir pour tous.

Le Président François Loncle a remercié Mme Catherine Tasca d'avoir été si complète dans ses réponses aux nombreuses questions et a annoncé que le Rapporteur envisageait une présentation de son rapport en Commission le mercredi 16 janvier prochain.

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