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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 2

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 3 octobre 2001
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen du rapport de la mission d'information sur l'entretien de la flotte

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La Commission de la Défense a procédé à l'examen du rapport de sa mission d'information sur l'entretien de la flotte.

Après avoir rappelé la composition et le mode de travail de la mission d'information sur l'entretien de la flotte, le Président Paul Quilès s'est félicité qu'elle suggère des propositions concrètes, parfois issues des équipages et des personnels civils, afin d'améliorer l'efficacité et la qualité du maintien en condition opérationnelle des bâtiments de la Marine.

Intervenant à titre liminaire, M. Charles Cova, Président de la mission d'information, a souligné que l'entretien de la flotte focalisait beaucoup moins l'attention que l'évolution des investissements de la Marine dans des matériels nouveaux à technologie avancée, tel le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle. Il a néanmoins estimé que, dès lors que l'on portait un intérêt aux acquisitions de bâtiments militaires neufs, il devait en aller de même de leur maintenance une fois que ces mêmes bâtiments sont entrés en service.

Il a observé que le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte inquiétait les personnels, rappelant notamment que le Président Paul Quilès, d'autres députés et lui-même avaient été personnellement saisis de témoignages de marins destinés à attirer leur attention sur les modalités de la prochaine période d'entretien majeur du sous-marin nucléaire lanceur d'engins (SNLE) de nouvelle génération Le Triomphant. Pour cette raison, il s'est félicité que la Commission de la Défense ait décidé, le 16 mai 2001, de créer une mission d'information consacrée à l'entretien des bâtiments de la Marine.

M. Charles Cova a indiqué que cette mission d'information avait travaillé rapidement, de manière à présenter ses conclusions au moment de l'examen du projet de loi de finances pour l'année 2002 et, hasard du calendrier, alors que le projet de loi de programmation militaire pour 2003-2008 était désormais formalisé. Il a considéré que la réflexion de cette mission était de nature à éclairer la Commission sur les problèmes posés par l'entretien des matériels de la Marine. Il a à ce propos observé que ces problèmes étaient en partie d'ordre budgétaire même s'ils ne pouvaient pas être réduits à leur seule dimension financière.

Il a précisé que les membres de la mission d'information avaient effectué deux déplacements : l'un à Toulon, les 5 et 6 juillet, et l'autre à Brest, les 10 et 11 juillet. Il a indiqué qu'à cette occasion, ils s'étaient entretenus avec des personnels de tous grades servant sur des bâtiments aussi divers que le pétrolier-ravitailleur Somme, la frégate antiaérienne Cassard, le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Casabianca, le SNLE de nouvelle génération Le Téméraire, le chasseur de mines tripartite Verseau, la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, ou encore le remorqueur Rari. Il a ajouté que les membres de la mission d'information avaient également pu mesurer que la situation actuelle était insatisfaisante, en raison notamment de délais de réparations non tenus, de défauts de qualité, ou de manque de rechanges.

M. Charles Cova a fait valoir que la mission d'information ne s'était pas contentée de dresser un constat, mais qu'elle avait aussi cherché à comprendre la situation actuelle. Il a ainsi indiqué qu'elle avait auditionné de nombreux représentants des différentes parties concernées : le directeur de DCN, ainsi que le directeur de la branche MCO de ce même industriel puis les directeurs des établissements de Toulon et Brest ; le Sous-chef d'état-major « opérations-logistique » de la Marine ainsi que les autorités organiques de la force d'action navale (ALFAN) et de la force océanique stratégique (ALFOST) ; le directeur central du service de soutien de la flotte (SSF) ainsi que son directeur adjoint et les directeurs des antennes de Toulon et Brest. Il a mentionné que les représentants des fédérations syndicales de DCN avaient également été entendus.

Le président de la mission d'information a estimé qu'avec le recul, la dégradation du MCO semblait être le résultat de processus cumulatifs, à savoir : les difficultés du service de soutien de la flotte (SSF), maître d'ouvrage créé il y a à peine 15 mois, et des industriels maîtres d'_uvre, DCN notamment, à se familiariser avec le mécanisme de contractualisation des opérations de réparation ; l'application de règles inadaptées, issues du Code des marchés publics ; la continuelle restructuration de l'industriel de référence, DCN, qui s'en est trouvé complètement désorganisé ; une contrainte budgétaire bien réelle.

Observant que le cadre de l'entretien de la flotte était en pleine mutation, il a convenu que la Marine et DCN se trouvent confrontés à un changement de repères, de mentalités et d'exigences. Néanmoins, il a insisté sur le fait que les mesures décidées par le Gouvernement concernant les rechanges et le statut de DCN ne devraient pas aboutir à des résultats tangibles avant dix-huit mois alors que les attentes des équipages sont fortes. Il a souhaité que ces attentes soient satisfaites, ne serait-ce que pour assurer la fidélisation des nouveaux engagés.

Concluant son propos, M. Charles Cova a souhaité saluer le caractère constructif des débats de la mission d'information. Il a fait valoir que, comme il est de tradition au sein de la Commission de la Défense, le travail de la mission d'information sur l'entretien de la flotte avait dépassé les clivages partisans en se préoccupant uniquement de l'intérêt de la Marine, de ses personnels et de l'industrie française de la construction navale.

M. Jean-Noël Kerdraon, rapporteur, a tout d'abord indiqué que le maintien en condition opérationnelle (MCO) de la flotte visait tout à la fois à préserver et à optimiser les fonctions opérationnelles des bâtiments, en particulier lors des entretiens courant et intermédiaire, et à en garantir l'intégrité structurelle au moyen des réparations d'entretien majeur. Il a ensuite distingué les interventions préventives, qui visent à remplacer des équipements usagés avant qu'ils ne soient défaillants, des interventions correctives, purement réparatrices.

Le rapporteur a souligné que l'ensemble des personnes auditionnées par la mission d'information avait convenu que l'organisation et la qualité de l'entretien des navires ne sont pas satisfaisants. Il a étayé ce constat en se fondant sur trois critères.

Il a indiqué, en premier lieu, que les délais de réparation n'étaient pas souvent respectés. Précisant que cette situation affectait tout particulièrement la flotte de surface, il a cité les exemples de la frégate antiaérienne Cassard, dont l'indisponibilité périodique pour entretien et réparation (IPER) a pris quatre mois et demi de retard, et du chasseur de mines tripartite Verseau, immobilisé sept mois pour un problème de joints. Il a observé que les sous-marins n'étaient pas épargnés par ce phénomène. Il a ainsi souligné que le SNA Améthyste ne pouvait pas être caréné cette année comme prévu et devait par conséquent rester à quai. Il a ajouté que l'indisponibilité pour entretien (IE) longue du SNLE Le Téméraire avait commencé avec un mois de retard.

Le rapporteur a précisé, en second lieu, que les équipages constataient des défauts de qualité dans les travaux de réparation. Il s'est référé au cas du pétrolier-ravitailleur Meuse, retourné à quai peu après son IPER. Il a également cité l'exemple de travaux exécutés sans logique.

M. Jean-Noël Kerdraon a fait valoir, en dernier lieu, que les équipages manquaient de rechanges. Il a indiqué que certains interlocuteurs de la mission d'information avaient critiqué la gestion des magasins de DCN, faisant référence notamment à l'existence de pièces non nomenclaturées, de pièces en stocks ne correspondant plus aux bâtiments en service, de pièces cassées, ou de pièces inventoriées mais inexistantes. Il a ajouté que des membres d'équipage n'hésitaient plus à acheter à leur frais des pièces accessibles immédiatement dans le commerce civil local pour un coût dérisoire. Il a enfin cité quelques exemples de délais de fourniture excessifs : 71 semaines pour la réparation de la turbine à gaz bâbord de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, 85 semaines pour les rechanges de son pupitre de tir de 100 mm et 23 semaines pour la réparation de son séquenceur de missiles Crotale.

Il a relativisé ce constat en évoquant le cas de bâtiments qui, à l'instar de la frégate furtive Courbet, étaient entretenus dans des conditions donnant entière satisfaction à la Marine. Il a néanmoins convenu que, d'une manière générale, la motivation des personnels et les capacités opérationnelles de la flotte étaient affectés.

Le rapporteur a ainsi souligné que le taux de disponibilité des bâtiments de la Marine se situait actuellement aux alentours de 65 % alors qu'il devrait avoisiner les 80 %. Il a précisé que la permanence des patrouilles de SNLE était assurée à raison d'un taux de présence à la mer avoisinant les 1,5 bâtiments et que la force océanique stratégique (FOST) était constamment en mesure d'aligner si nécessaire deux unités à la mer, conformément aux objectifs qui lui sont assignés. Il a indiqué que le taux de présence à la mer des SNA était plus proche de 3 voire de 2,5 que de l'objectif de 3,5 et ajouté que le nombre de bâtiments déployables pouvait même être inférieur dans certaines circonstances exceptionnelles.

Il en a déduit un niveau d'activité opérationnelle relativement faible pour une flotte de 76 bâtiments de combat. Il a également attiré l'attention sur les précautions à prendre pour interpréter les statistiques de présence à la mer, le fait qu'un bâtiment navigue ne signifiant pas nécessairement qu'il soit au maximum de son potentiel de combat. Il a ainsi observé que, dans la nécessité de réaliser des économies, les commandants étaient conduit à effectuer des choix entre les équipements à réviser en priorité et ceux dont l'entretien pouvait attendre. Il a souligné que les systèmes mécaniques étaient souvent privilégiés par rapport aux systèmes d'armes ou aux radars, dont certains ne sont pourtant plus de toute première jeunesse.

Abordant la question du moral des équipages, M. Jean-Noël Kerdraon a admis qu'il était affecté. Il en a attribué la raison au fait que la participation des équipages à l'entretien des matériels était devenue plus fastidieuse. D'une part en effet, la réduction des effectifs a conduit à accroître corrélativement la charge de la maintenance assurée par chacun et, d'autre part, les personnels embarqués assument de plus en plus le rôle de cadres intermédiaires du maître d'_uvre en surveillant et en orientant le travail des équipes d'ouvriers intervenant sur les bateaux. Il a souligné à ce propos que certains commandants devaient sans cesse effectuer des démarches auprès des responsables de chantier pour obtenir la venue de personnels d'exécution, en plus de l'exercice de leurs responsabilités normales.

Le rapporteur a observé que des jeunes recrues rencontrées par la mission jugeaient que, pour elles, le métier du bord s'était principalement résumé à la coordination des travaux au cours de l'indisponibilité pour entretien de leur bâtiment. Il s'est interrogé à cet égard sur la situation des commandants, pour qui l'exercice d'une responsabilité opérationnelle pendant deux ans devient plus rare, compte tenu du désarmement de nombreux bâtiments.

M. Jean-Noël Kerdraon a alors relevé l'accumulation de processus qui se conjuguent et amplifient leurs effets. Il a rappelé qu'en l'espace de dix ans, le cadre du MCO avait profondément évolué, les fonctions de maître d'ouvrage et de maître d'_uvre ayant progressivement été dissociées alors qu'auparavant elles étaient assumées par la même entité : la direction des constructions navales.

Il a estimé que la contractualisation des opérations de réparation était la conséquence logique de cette évolution, tout en insistant sur les défaillances de ce mécanisme supposé permettre une bonne planification des travaux, et par conséquent des économies. Il a précisé qu'un protocole entre le service de soutien de la flotte et DCN prévoyait la présentation du devis initial au maître d'ouvrage 18 mois avant le début des travaux, le contrat « A 0 » devant quant à lui intervenir 12 mois avant l'opération afin de permettre le lancement des approvisionnements de longue échéance. Il a observé que, dans les faits, le délai moyen entre la formulation de la demande de prix initial et le début des travaux était de 12 mois, alors que le délai entre le contrat A 0 et le début des travaux s'établissait à un peu plus de 3 mois. Il a ajouté que, bien souvent, le contrat fixant la nature des réparations était conclu juste au début des opérations de maintenance, parfois même après.

Le rapporteur a identifié plusieurs raisons pour expliquer ces retards. Il a mentionné les normes du Code des marchés publics, qui ne favorisent ni les ajustements parfois nécessaires, ni les négociations, malgré les dérogations fort opportunément accordées à DCN par un décret en date du 31 juillet 2001. Il a souligné en outre que les délais d'approvisionnement étaient trop longs et que la mise en concurrence ne se justifiait pas toujours, surtout dans les DOM-TOM où les chantiers locaux sont rares.

Il a évoqué également le déficit de personnels qualifiés dans le domaine des achats au sein du service de soutien de la flotte et de DCN. Il a à ce propos souligné que DCN était de surcroît confronté à un réel problème de pertes de compétences dû, d'une part, à la réduction aveugle des effectifs par mesures d'âge, et d'autre part, à un défaut d'encadrement intermédiaire et supérieur. Il a enfin fait état d'une mauvaise anticipation des besoins de la Marine, de nombreux travaux étant reportés au dernier moment. Sur ce dernier point, il a cité l'exemple de l'IPER de la frégate de lutte anti-sous-marine Latouche-Tréville, programmée initialement en septembre 2000, dont le report de huit mois avec une révision à la baisse des prestations n'avait pas empêché un retard dans la signature du contrat.

M. Jean-Noël Kerdraon a également insisté sur la situation de restructuration continue que connaissait DCN depuis dix ans, soulignant ses incidences importantes sur les compétences de l'industriel étatique. Il a également indiqué que les pièces de rechanges de nombreux équipements plutôt récents n'étaient plus produites, mettant plus particulièrement en cause l'étalement des programmes.

Il a ensuite observé que la gestion des stocks de rechanges de DCN se trouvait pénalisée par un mécanisme de préemption généralisé à l'ensemble des ministères qui ne se justifiait pas dans tous les cas. Il a souligné qu'il en résultait des difficultés pour la vente de pièces susceptibles d'intéresser le marché d'occasion.

Le rapporteur a souligné que la question des dotations budgétaires n'était pas secondaire. Indiquant que le niveau des crédits alloués à l'entretien de la flotte semblait satisfaisant, puisqu'il s'élevait à 533,5 millions d'euros (3,5 milliards de francs), dont 50 % étaient affectés au maintien en condition opérationnelle des onze bâtiments de la Marine à propulsion nucléaire, il a néanmoins considéré qu'il fallait désormais prendre en considération deux contraintes supplémentaires : le renchérissement du coût de la maintenance des équipements et le respect des normes environnementales, qui implique des adaptations des bâtiments pour satisfaire notamment aux obligations de désamiantage et d'interdiction des rejets d'eaux noires.

Il a estimé que le niveau actuel des crédits de MCO serait vraisemblablement insuffisant pour faire face à ces charges nouvelles, à moins que les gains de productivité escomptés de la réorganisation de l'entretien et de DCN ne permettent de dégager de nouvelles marges de man_uvre.

M. Jean-Noël Kerdraon, rappelant les réformes engagées par le Gouvernement depuis l'an passé, s'est déclaré confiant quant à leur aboutissement.

Il a ainsi souligné que la responsabilité de la gestion proprement dite des stocks de rechanges réparables était en cours de transfert au service de soutien de la flotte, avec pour échéance 2002-2003. Il a ajouté que le magasinage et la délivrance des stocks seraient progressivement confiés au Commissariat de la Marine, le processus ayant d'ores et déjà commencé en juin à Toulon et en septembre à Brest pour se terminer en août 2003 à Toulon et en 2004 à Brest.

Le rapporteur a précisé que, jusqu'à présent, les pièces de rechanges étaient commandées, stockées, répertoriées et délivrées par DCN. Il a ajouté que le service de soutien de la flotte, afin de pallier l'émiettement des bases de données, assurera la gestion des rechanges grâce à un nouveau système d'information qui intégrera l'ensemble des éléments concernant les opérations d'entretien de tous les bâtiments. Les bâtiments pourront ainsi informer les ports d'attache de leurs avaries, leur demander des réparations ou des expertises. Ils pourront également renouveler leurs rechanges en temps réel à quai.

Après avoir indiqué que les responsables du service de soutien de la flotte estimaient que les effets bénéfiques de la nouvelle organisation des rechanges se feraient sentir à partir de 2002, il a observé que ce service, tout comme DCN jusqu'à présent, devra se conformer aux règles du Code des marchés publics, ce qui nécessitera de sa part une réelle capacité d'anticipation des besoins pour donner pleinement satisfaction aux équipages. Il a ajouté que le service de soutien de la flotte devra aussi, pour mener à bien la réforme, s'attacher durablement les services de ses personnels militaires, en minimisant l'effet de rotation induit par leurs obligations de mobilité.

M. Jean-Noël Kerdraon s'est ensuite félicité de la réforme du statut de DCN, dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2003. Il a souligné que cette réforme conférerait davantage de souplesse et de réactivité à l'industriel maître d'_uvre. Il a fait valoir que la société d'Etat disposera d'un capital social, qu'elle sera propriétaire d'un fonds de commerce et qu'elle pourra mener une véritable politique de ressources humaines dans un cadre juridique de droit commun, notamment pour passer des contrats de sous-traitance. Il a exprimé le souhait que DCN puisse recruter rapidement les effectifs nécessaires dans les spécialités où les manques sont les plus flagrants.

Tout en reconnaissant l'intérêt de ces initiatives gouvernementales, il a estimé qu'elles ne semblaient pas pour autant suffisantes, notamment dans la perspective de la période transitoire qui s'ouvre actuellement. Il a observé que la conjoncture était propice à une réflexion plus profonde sur le maintien en condition opérationnelle de la flotte, soulignant entre autres que les équipages accepteront des réformes si celles-ci leur apparaissent clairement de nature à améliorer l'entretien de leurs bâtiments. Il a également fait valoir que DCN négocie les conditions d'accompagnement de son évolution statutaire, ce qui donne à l'Etat l'occasion de faire respecter un certain nombre d'exigences.

Le rapporteur a alors présenté les propositions de la mission d'information. Il a souligné la nécessité de clarifier les rôles respectifs de DCN et des ateliers militaires de la flotte, au besoin en confiant davantage de responsabilités à ces derniers dans les réparations mécaniques, sous réserve d'investissements en ressources humaines et en équipements.

Il a ensuite souligné la force des arguments en faveur du transfert progressif des SNA à Brest à partir de 2006, étant donné qu'à cette date le chantier de Toulon ne sera pas en mesure d'assumer de front une IPER du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle et une IPER de SNA. Il a insisté sur les implications d'une telle éventualité, notamment en termes d'investissements à Brest, de compensation de plan de charge à Toulon et de délais d'annonce aux équipages, pour ne pas les laisser dans l'expectative.

Il s'est également prononcé en faveur d'une révision du rôle et de la place des équipages lors des opérations d'entretien majeur, de manière à permettre la conduite des IPER sans leur présence permanente à bord. Il a toutefois souligné la nécessité d'une expérimentation préalable et d'un engagement clair du maître d'_uvre sur la qualité de ses prestations. Il a fait valoir que, dans cette même optique, il paraissait indispensable d'intéresser le maître d'_uvre au respect des engagements contractuels, comme le Code des marchés publics en ouvre la possibilité, sans que l'éventualité de pénalités de retard ne soit exclue pour autant.

M. Jean-Noël Kerdraon a aussi souligné que les procédures applicables à l'entretien devaient être plus souples, ce qui suppose une délégation d'engagement de crédits du service de soutien de la flotte aux commandants des ateliers militaires et aux équipages, cette délégation permettant de réaliser de petits approvisionnements auprès des fournisseurs locaux. Il a enfin jugé nécessaire d'adopter une logique de coûts de possession et de ne plus raisonner en termes de coûts d'acquisition. Il lui a ainsi paru utile de revoir la politique de rechanges en prévoyant notamment, dès l'entrée en service des bâtiments, une provision budgétaire pour renouvellement des composants dont rien n'indique qu'ils seront toujours fabriqués à une échéance de 10-15 ans. Dans le même ordre d'idées, il a souhaité que DCN rapproche les bureaux d'études de ses différentes branches de manière à développer les synergies entre la construction de navires neufs et leur entretien dans la durée.

Après avoir félicité le Président et le rapporteur de la mission pour la concision de leurs propositions, M. Gilbert Meyer s'est demandé s'il ne pourrait pas être remédié à la souplesse insuffisante des conditions d'entretien courant des navires par l'instauration dans chaque bâtiment d'une régie d'avance permettant de faire face aux petites dépenses. Il s'est également interrogé sur le dispositif d'incitation proposé par la mission d'information, en s'étonnant qu'une prime puisse être attribuée au seul motif d'une bonne exécution d'obligations contractuelles.

M. Charles Cova a répondu que le montant des régies d'avance autorisé aujourd'hui était insuffisant et que la mise en _uvre dans des conditions satisfaisantes de la solution proposée par M. Gilbert Meyer supposait l'élaboration d'un texte législatif, dont les membres de la mission d'information entendaient bien prendre l'initiative.

M. Jean-Noël Kerdraon a indiqué que, indépendamment du système de pénalités pour retard actuellement appliqué, il fallait imaginer un dispositif d'incitation à la réalisation des travaux dans les meilleures conditions de délai et de qualité. Il a justifié cette proposition par la diminution de l'implication de DCN et du service de soutien de la flotte dans le suivi des travaux. En effet, les fortes réductions d'effectifs ont obligé DCN à avoir recours très largement à la sous-traitance et le service de soutien de la flotte ne remplit pas encore intégralement son rôle de maître d'_uvre.

Le Président Paul Quilès s'est alors interrogé sur le partage des tâches entre les ateliers militaires de la flotte et DCN.

M. Charles Cova a répondu que les ateliers de la flotte, armés par des personnels militaires, avaient toujours eu l'avantage de la réactivité par rapport à DCN pour des réparations courantes et ponctuelles telles que des travaux de soudage ou des interventions sur les moteurs Diesel. Il a considéré que les ateliers de la flotte devaient perdurer sans sortir de ce cadre.

M. Robert Gaïa, observant que les outils d'une meilleure gestion des activités d'entretien de la flotte se mettaient en place, a souligné la nécessité d'y intégrer une dimension de ressources humaines. Il a estimé que les mesures d'âge prises à DCN avaient abouti au départ de spécialistes tels que les dieselistes ou les soudeurs sans qu'ils soient remplacés. Les déséquilibres ainsi créés, couplés avec les effets de la séparation entre les secteurs étatique et industriel, ont abouti à une situation où l'entretien de la flotte se caractérise par un recours étendu au système D. Il a estimé que, pour en finir avec cette situation, la Marine devait assumer désormais une culture de client tandis que le service de soutien de la flotte et DCN devaient quant à eux acquérir une culture de service.

Il s'est également prononcé pour une politique de repyramidage des âges et de recrutement dans les qualifications manquantes au sein de DCN au cours de la période de transition précédant son changement de statut.

Il a ensuite fait observer que, mis à part les sous-marins, chaque bâtiment de la Marine était une pièce unique dont la maintenance était nécessairement plus coûteuse que celle de matériels de série. Il en a conclu que les gains de productivité les plus importants seraient obtenus par la construction en série de bâtiments du même type et par l'intégration des préoccupations de maintenance dès leur conception et leur construction.

Enfin, à propos du transfert de la maintenance des SNA sur un seul site, il a estimé que, si l'on pouvait comprendre les objectifs opérationnels de la Marine, il fallait aussi prendre en compte ses conséquences industrielles. Il a jugé qu'un site qui aurait vocation à assurer l'entretien d'un porte-avions nucléaire devrait, ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, conserver une compétence nucléaire permanente, d'autant plus que les SNA sont amenés à naviguer essentiellement en Méditerranée. Il a également souligné qu'il convenait d'éviter, pour des raisons industrielles, que le site de Toulon connaisse des variations de charges trop prononcées, dues à une dépendance excessive à l'égard du cycle d'entretien du porte-avions nucléaire. Il a alors considéré que le départ progressif des SNA ne pourrait être envisagé qu'avec des compensations de plan de charge pour DCN Toulon, par exemple sous forme d'IPER de frégate.

M. Jean-Noël Kerdraon a évoqué les différents aspects de la question du transfert éventuel des SNA de Toulon à Brest, en indiquant qu'il convenait de tenir compte, tout à la fois, de données d'ordre stratégique, de nécessités de cohérence industrielle, des difficultés du bassin d'emploi de Toulon, ainsi que des conséquences de ce transfert sur les conditions de vie des sous-mariniers.

M. Jean-Louis Bernard, soulignant qu'il convenait de ne pas donner une vision indûment pessimiste de la situation de la flotte, a fait valoir que les capacités opérationnelles de la Marine se situaient à un niveau élevé et que des efforts importants étaient consentis en faveur de la maintenance des bâtiments. Il a estimé qu'il convenait d'éviter de donner à l'opinion un sentiment d'inquiétude en favorisant certains commentaires grinçants tels que ceux qui sont parus dans la presse lors de l'avarie d'hélice du porte-avions Charles de Gaulle.

Le Président Paul Quilès, a déclaré partager cette préoccupation en soulignant que les travaux de la mission d'information ne permettaient pas de tirer des conclusions de style misérabiliste sans rapport avec l'exacte situation des forces navales.

Après avoir souligné que le souci principal de la mission d'information était de voir remonter le taux de disponibilité des bâtiments de 60 ou 65 % à 80 %, M. Charles Cova a insisté sur le caractère argumenté de ses propositions qui ne pouvaient en aucun cas constituer des éléments de démoralisation pour les marins.

M. Bernard Grasset a insisté sur le rôle essentiel des ateliers militaires de la flotte qui, pour certaines opérations, faisaient preuve d'une bonne réactivité, en raison notamment, des liens de camaraderie et de solidarité que leurs personnels entretenaient avec les équipages.

M. Jean-Yves Le Drian a souhaité connaître la position exacte de la Marine à l'égard de la proposition consistant à faire réaliser des IPER ou des IE sans équipages, à l'instar de ce qui est généralement pratiqué par de nombreuses marines étrangères. Il a en outre indiqué qu'il formulerait, au titre de sa fonction de rapporteur pour avis des crédits de la Marine, une autre proposition préconisant, dès l'année 2002, une expérimentation de cette nature concernant un ou deux bâtiments.

M. Charles Cova a précisé qu'il conviendrait de commencer par de petites unités comme des patrouilleurs côtiers, sans exclure toutefois l'hypothèse d'engager cette expérimentation sur un SNA.

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La Commission a alors décidé à l'unanimité d'autoriser, conformément à l'article 145 du Règlement, la publication du rapport d'information sur l'entretien de la flotte.


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