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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 10

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 23 octobre 2001
(Séance de 18 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de l'Amiral Jean-Louis Battet, Chef d'état-major de la Marine

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La Commission a entendu l'Amiral Jean-Louis Battet, Chef d'état-major de la Marine, sur le projet de budget pour 2002.

Le Président Paul Quilès a observé, dans le projet de budget, une stabilisation des dépenses ordinaires. Compte tenu d'une baisse globale, d'environ 1% des dépenses de personnel, cette évolution permet une amélioration de 5% des crédits de fonctionnement et, par voie de conséquence, un redressement de l'activité des bâtiments.

En ce qui concerne les dotations d'équipement, le Président Paul Quilès a constaté une baisse de 3%, à structure budgétaire constante, des crédits de paiement. A l'intérieur de cette enveloppe les crédits de la FOST progressent fortement, de 10,8%, ce qui entraîne des contraintes réelles pour le renouvellement de la flotte classique et la mise en place des premières flottilles de Rafale.

Il a alors remercié l'amiral Jean-Louis Battet d'être venu devant la Commission pour lui livrer ses observations et commentaires sur ces évolutions budgétaires et pour présenter un bilan de la loi de programmation en cours, dont le projet de budget constitue la dernière annuité.

Après avoir souligné l'importance qui revêtait à ses yeux son audition par la représentation nationale, l'Amiral Jean-Louis Battet, Chef d'état-major de la Marine, a d'abord présenté un rapide bilan de l'exécution de la loi de programmation militaire 1997-2002 dont l'exercice 2002 sera la dernière année d'application : la réforme de grande ampleur engagée par cette loi de programmation a été marquée par différents aléas tenant à la fois à des contraintes financières en début de période, à la revue des programmes intervenue en 1998, à la révision des structures internes du titre III ainsi qu'aux enseignements tirés de l'ensemble des opérations conduites dans les Balkans. Ces éléments nouveaux ont parfois eu pour effet d'infléchir le calendrier de la programmation initiale.

S'agissant de la professionnalisation, l'Amiral Jean-Louis Battet s'est félicité de son accomplissement progressif qui a abouti à la disparition des appelés au terme de l'année 2001 et à l'arrivée d'un nombre de personnels civils en cohérence avec le volume des forces envisagées. Cette professionnalisation s'est accompagnée d'une revalorisation des dotations du fonctionnement courant, plus particulièrement en fin de période.

Le Chef d'état-major de la Marine a alors tenu à rappeler que les objectifs de la loi de programmation militaire corrigés par la revue des programmes avaient été globalement tenus : ainsi, les quatre SNLE de type Triomphant ont été commandés et les deux premiers exemplaires livrés. Le porte-avions Charles de Gaulle a été admis au service actif et la première flottille de Rafale au standard F1 devrait être opérationnelle à la fin de l'été 2002. Les missiles de croisière Scalp EG (emploi général) destinés à la frappe dans la profondeur par le Rafale ont d'ores et déjà été commandés. Pour la projection de force, les deux NTCD de type Mistral ont été également commandés. Enfin, les cinq frégates de type Lafayette et un bâtiment hydrographique et océanographique ont été livrés alors que les deux frégates Horizon ont été commandées.

L'Amiral Jean-Louis Battet a considéré que ces efforts étaient essentiels pour l'avenir de la Marine et qu'ils n'avaient d'ailleurs pu être réalisés qu'au prix de sacrifices importants dont le plus visible était la renonciation, qu'il espérait provisoire, à la permanence du groupe aéronaval en raison du retrait du service du Foch. Il a ajouté, qu'en plus des retards significatifs subis par les programmes des SNLE-NG, des frégates Horizon et du Rafale, le désarmement anticipé de la frégate Suffren concrétisait une première vraie rupture capacitaire.

Il s'est félicité que la réduction du format de la Marine et les restructurations qu'elle a entreprises (restructuration territoriale et réorganisation du soutien) aient été menées à bien, soutenues par un effort financier significatif. Il a cependant estimé que le bilan de la loi de programmation militaire 1997-2002 était assez nuancé pour la Marine, même si l'essentiel avait pu être sauvegardé. Il a alors souligné que la Marine était désormais soucieuse de préserver sa cohérence d'ensemble sans laquelle tous les efforts déjà entrepris seraient vains. Il a indiqué qu'elle avait retenu comme principale priorité la flotte de surface et les sous-marins d'attaque à propulsion nucléaire (SNA), soulignant que ces deux ensembles constituaient le vivier opérationnel, technique et humain indispensable à la mise en _uvre des deux composantes principales que sont le groupe aéronaval et la FOST. L'Amiral Jean-Louis Battet a fait observer que pour conserver la cohérence de la Marine, il était indispensable de poursuivre l'effort d'augmentation du taux de présence à la mer et de conduire avec détermination et sans retard le renouvellement des frégates et des SNA. Ces nouveaux bâtiments, armés de missiles de croisière, constitueront en effet avec le groupe aéronaval le c_ur de la capacité de projection de puissance de la Marine.

L'Amiral Jean-Louis Battet a alors détaillé le projet de budget de la Marine.

Son montant est de 5 007 millions d'euros (32,8 milliards de francs), soit 17,3 % du total des crédits de la défense. En considérant les reports, la ressource disponible est de 5 125 millions d'euros (33,6 milliards de francs), soit 17,5% du total de la défense.

Les effectifs budgétaires poursuivent en 2002 leur décroissance (- 835, soit une diminution de 1,5 %). Cette baisse porte exclusivement sur les effectifs militaires (- 1 111 en brut soit - 929 à périmètre constant) alors que, dans le même temps, les effectifs civils continuent d'augmenter (+ 276). L'année 2002 sera, bien entendu, marquée par la disparition des appelés pendant que se poursuivra la montée en puissance du volontariat (+ 571).

Pour les officiers, les besoins croissants des organismes interarmées et interalliés pourront être satisfaits en 2002 par un apport de 30 officiers supérieurs gagés par la suppression de 51 postes d'officiers subalternes. La diminution des effectifs d'officiers mariniers sera amplifiée par la poursuite des mesures de dépyramidage qui concernent 153 postes. La principale préoccupation que connaîtra la Marine en 2002 en matière d'effectifs militaires sera le recrutement qui doit être vigoureusement soutenu.

Pour le personnel civil, trois défis devront être relevés en 2002 : l'achèvement de la professionnalisation, le transfert de la fonction « rechange » de la DCN vers le service de soutien de la flotte associé au commissariat de la Marine, et enfin la mise en place des mesures d'aménagement et de réduction du temps de travail.

Les moyens en effectifs nécessaires à la réalisation de ces objectifs généraux ne seront que partiellement accordés à la Marine en 2002. En effet, pour satisfaire ses besoins évalués à 460 fonctionnaires, seuls 31 postes lui sont accordés, auxquels s'ajouteront 171 postes au titre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail.

En ce qui concerne les ouvriers d'Etat, le transfert de 360 emplois d'ouvriers de DCN vers la Marine pour la fonction « rechange » n'interviendra qu'en 2003 : dans l'immédiat, ces ouvriers seront placés pour emploi par DCN auprès de la Marine. Par ailleurs, sous réserve de confirmation, la Marine devrait obtenir une centaine de dérogations à l'interdiction d'embauche d'ouvriers d'Etat. Enfin, la création de 403 postes d'agents contractuels sur les effectifs budgétaires existants découle de la reconnaissance du statut d'agent public du personnel civil relevant de la jurisprudence Berkani.

L'effectif du personnel civil employé par la Marine devrait, fin 2002, dépasser légèrement 10 000 personnes (10 180).

S'agissant des crédits du titre III, hors rémunérations et charges sociales, l'Amiral Jean-Louis Battet a relevé une évolution relativement favorable, les demandes initiales de la Marine ayant été, dans l'ensemble, prises en compte nonobstant une réduction des moyens d'entretien du matériel, désormais financés pour l'essentiel au titre V. A cet égard, il a précisé que les dépenses d'entretien programmé des matériels seront contraintes en gestion, compte tenu d'un transfert de charges vers le titre V de 23 millions d'euros (150 millions de francs) non accompagné d'un transfert correspondant de crédits.

Avec une dotation de 326 millions d'euros (2 139 millions de francs) contre 310 millions d'euros (2 032 millions de francs) l'an dernier, les crédits de fonctionnement courant augmentent de 5 %. Les tensions structurelles de cette catégorie de dépenses devraient continuer à se réduire et permettre la poursuite de l'augmentation d'activité des bâtiments de la flotte (de 94 jours de mer actuellement à 97 jours). En revanche, la Marine n'obtient aucun moyen supplémentaire au titre des opérations de sous-traitance dont les besoins s'affirment au sein d'une armée devenue professionnelle.

La dotation en produits pétroliers progresse légèrement sur la base d'une hypothèse sur le couple dollar/baril (0,99 euros/22 $), toujours sujette à la volatilité des cours.

Pour ce qui concerne le titre V, l'Amiral Jean-Louis Battet a indiqué que la Marine avait fait le choix, comme en 2001, de poursuivre son effort de modernisation en privilégiant de nouveaux programmes indispensables pour le renouvellement aux échéances prévues des forces aéronavales. Il a souligné qu'il avait été en conséquence nécessaire de contraindre au maximum tous les autres postes.

Dans leur globalité, les crédits de paiement des titres V et VI, après la légère remontée de 2001 (3 164 millions d'euros, 20 755 millions de francs) retrouvent avec une dotation de 3 098 millions d'euros (20 320 millions de francs) qui conduit à une ressource totale de 3 217 millions d'euros, soit 21 100 millions de francs, un niveau du même ordre que celui de 2000. Il a donc fallu hiérarchiser les priorités, en raison du décalage avec les besoins pris en compte par la loi de programmation militaire.

La FOST, en plein renouvellement, a été préservée. Elle représente 20 % des crédits du titre V avec une progression de 39,9 millions d'euros (262 millions de francs). Cette augmentation (1,1 % en volume par rapport à la loi de finances initiale pour 2001) s'explique par la montée en puissance du programme de SNLE NG dont est préparé l'équipement en missiles M 51 (adaptation des SNLE au missile M 51 et construction du 4ème SNLE, le Terrible directement en version M 51).

S'agissant des programmes classiques, une priorité a été donnée aux développements pour permettre la réalisation des programmes de SNA Barracuda et de frégates multimissions dans des délais désormais fixés, qui ne comportent plus de marge de man_uvre permettant d'éviter les ruptures capacitaires. L'augmentation de 128 millions d'euros (840 millions de francs) des crédits de paiement alloués à plusieurs développements, concernant principalement le Rafale (+ 44,5 millions d'euros / 292 millions de francs), les sous-marins Barracuda (+ 36,9 millions d'euros / 242 millions de francs) et les frégates multimissions (+ 9 millions d'euros / 59 millions de francs) n'a été possible qu'au prix d'une réduction drastique des autres développements, notamment sur les lignes à flux (abattement de 110 millions d'euros / 723 millions de francs).

Pour les fabrications, l'effort a été porté sur les bâtiments de la flotte avec la montée en puissance des programmes Horizon et NTCD et de la remise à niveau des frégates F 70. Pour dégager les ressources nécessaires, il a fallu poursuivre la politique de non-modernisation des bâtiments anciens et opérer des économies sévères sur les programmes de petits bâtiments. Au bilan, c'est 45,1 millions d'euros (296 millions de francs) de réductions qui ont dû être dégagés sur ce poste.

Les constructions aéronautiques n'ont pas pu, elles non plus, être dotées à hauteur de leurs besoins. L'impact essentiel porte sur le programme Rafale. Ce programme va connaître une gestion 2002 très serrée avec un risque important de report à 2003 de la livraison d'un certain nombre de rechanges.

Enfin, l'entretien programmé du matériel avait fait l'année dernière l'objet d'une mesure technique de reprise des avances accordées au compte de commerce de DCN dans le cadre de la prise en charge de cette activité par le service de soutien de la flotte. Il est à nouveau doté à son niveau normal malgré les contraintes globales sur les ressources budgétaires.

S'agissant des autorisations de programme, l'Amiral Jean-Louis Battet a constaté une nouvelle dégradation : la dotation prévue pour 2002 n'est en effet que de 3 041 millions d'euros (19 550 millions de francs), soit une diminution de 300 millions d'euros (1 965 millions de francs) alors que le stock a été réduit au minimum nécessaire à la transition d'un exercice budgétaire à l'autre. Le Chef d'état-major de la Marine s'est déclaré d'autant plus préoccupé par les tensions résultant de cette situation que, pour satisfaire les besoins importants de la FOST, il avait été nécessaire d'augmenter très sensiblement sa dotation en autorisations de programme (+ 12 % par rapport au budget 2001). Dans ces conditions, le montant des autorisations de programme engendrera des difficultés, en particulier pour financer la version biplace du Rafale Marine, du moins au rythme initialement décidé, et pour passer la totalité de la commande du développement du sous-marin Barracuda. L'Amiral Jean-Louis Battet a alors noté que la construction en autorisations de programme du projet de budget n'avait été possible, comme pour 2001, qu'en faisant un pari sur la situation des disponibilités en fin d'exercice 2002. Or, ces disponibilités seront réduites à la portion congrue, ce qui est une situation inédite et difficilement gérable. Toutes les marges de man_uvre ayant été exploitées, toute nouvelle remise en cause aurait désormais des conséquences lourdes et immédiates sur la conduite des grands programmes.

En conclusion, le Chef d'état-major de la Marine a considéré que, si les crédits prévus pour le fonctionnement permettaient de poursuivre les efforts entrepris en 2001, ceux consacrés aux investissements ne connaissaient pas encore la remontée nécessaire et indispensable pour réaliser le renouvellement de la flotte prévu par le projet de loi de programmation militaire. Il a ajouté que, s'agissant des autorisations de programme, la situation, qui s'était encore dégradée, suscitait ses préoccupations en raison de la perspective d'absence totale de capacité de man_uvre en fin d'année.

Le Président Paul Quilès a souhaité savoir à quel moment le porte-avions Charles de Gaulle serait à nouveau à pleine capacité opérationnelle, et notamment quand il serait doté de nouvelles hélices. Evoquant ensuite l'idée de la construction d'un porte-avions dans un cadre européen, il a fait observer qu'alors qu'elle était considérée comme iconoclaste il y a quelques années encore, elle faisait l'objet de critiques moins systématiques aujourd'hui. Il a alors souhaité connaître les vues du Chef d'état-major de la Marine sur ce sujet. S'agissant enfin des opérations militaires en cours en Afghanistan, le Président Paul Quilès, notant qu'elles soulignaient l'utilité de la projection de puissance et du renseignement à très grande distance, a interrogé l'Amiral Jean-Louis Battet sur les capacités de la Marine dans ce domaine et demandé quels programmes étaient susceptibles en priorité d'améliorer ces capacités.

En écho aux questions du Président Paul Quilès sur le Charles de Gaulle, M. Jean-Yves Le Drian a souhaité connaître l'opinion du Chef d'état-major de la Marine sur ce bâtiment. Après avoir exprimé sa lassitude devant les écrits et déclarations répétant à l'envi que la France ne disposait pas de porte-avions, il a souhaité connaître l'avis de l'utilisateur du Charles de Gaulle, tout en insistant sur la nécessité de mettre fin à la campagne de dénigrement de ce bâtiment qui nuit à l'image de la France et de ses industriels. Il a ensuite demandé à l'Amiral Jean-Louis Battet de préciser ses propos relatifs à la rupture capacitaire qu'entraînait le retrait du Suffren et au risque de même nature existant sur d'autres éléments des forces navales. Enfin, il a souhaité connaître l'appréciation du Chef d'état-major de la Marine sur le bilan de la professionnalisation de son armée, s'interrogeant notamment sur le fait de savoir si elle était un atout en termes opérationnels.

Evoquant à son tour les propos de l'Amiral Jean-Louis Battet relatifs à une « rupture de capacités », M. René Galy-Dejean a fait remarquer que, jusqu'alors, seule la notion de situation à la limite de la rupture avait été évoquée par le Chef d'état-major des Armées. Il a alors souhaité savoir quelles mesures seraient susceptibles de colmater cette brèche. Puis, il s'est interrogé sur l'absence de marges de man_uvre dans le budget de la Marine, rappelant que, depuis de nombreuses années, il était fait état de l'existence d'une « bosse financière », que repoussaient devant eux tous les responsables, sans trancher dans le vif. Il s'est dit convaincu qu'aucune décision n'interviendrait en cette matière avant les échéances électorales à venir, mais qu'en revanche, une fois qu'elles seront passées, les responsables politiques seraient contraints de décider l'abandon d'un grand programme. Il a alors demandé si un programme de la Marine pourrait en pareil cas être sacrifié et lequel.

M. Charles Cova a interrogé l'Amiral Jean-Louis Battet sur les modalités et les objectifs de la réforme de DCN, qui lui a semblé déboucher sur sa privatisation. Evoquant ensuite les propos anciens d'un amiral qui jugeait que, si la France souhaitait se doter d'une Marine riche à hauteur de sa politique, il lui fallait construire des sous-marins nucléaires, mais que, pour une Marine efficace, il fallait des TCD, il a demandé au Chef d'état-major de la Marine si les NTCD ne seraient pas complémentaires du porte-avions.

Revenant sur la notion de rupture capacitaire, M. Jean-Noël Kerdraon a noté qu'elle posait non seulement le problème de la diminution du nombre de bâtiments à construire, mais également la question de l'utilisation optimale de ceux qui existaient déjà. Soulignant que la disponibilité opérationnelle des bâtiments n'était aujourd'hui que de 65 %. M. Jean-Noël Kerdraon a estimé que, pour atteindre l'objectif assigné de 80 %, DCN devrait faire des efforts importants dans le cadre de sa réforme dont il a estimé qu'elle n'était pas une privatisation mais une nationalisation. S'agissant du service de soutien de la flotte, dont il a noté qu'il était encore jeune puisque sa création remontait à dix-huit mois, il a attiré l'attention de l'Amiral Jean-Louis Battet sur la trop grande mobilité des personnels militaires qui lui sont affectés, alors que les personnels civils sont stables. Il a également souhaité connaître la position actuelle de la Marine sur les contrats courts. Enfin, s'agissant des NTCD, qui sont des bâtiments polyvalents de transport et de commandement, il a jugé nécessaire d'en modifier l'appellation.

M. Robert Gaïa a demandé pourquoi, dans le contexte géostratégique actuel, la Marine avait décidé de ne conserver qu'une seule base de sous-marins, dans l'Atlantique. Il s'est également interrogé sur l'évolution des rapports entre la Marine et DCN, se prononçant pour une répartition claire des tâches dans le cadre d'un partenariat. Estimant qu'une certaine cacophonie se faisait entendre à ce propos dans les bases et les ports, il a demandé à l'Amiral Jean-Louis Battet si la Marine recherchait d'autres industriels.

M. Alain Clary a souhaité des précisions sur l'avenir de la base de Nîmes-Garons.

L'Amiral Jean-Louis Battet a alors apporté les éléments de réponse suivants :

- le porte-avions Charles de Gaulle est sorti du bassin et sa période d'entretien prendra fin le 26 octobre. Les essais à la mer et la requalification des pilotes occuperont le mois de novembre, le navire devant être opérationnel le 1er décembre.

Le Charles de Gaulle peut remplir normalement toutes ses fonctions opérationnelles actuelles avec les hélices de rechange du Foch. La poussée produite par ces hélices ne serait insuffisante que pour la mise en _uvre de la version F3 du Rafale, à partir de 2008. Les nouvelles hélices, qui ont été commandées, seront montées à la mi-2003, à l'occasion d'un passage au bassin programmé.

Le Charles de Gaulle est un véritable chef d'_uvre. Sa mise en service opérationnel aura certes été précédée de quelques péripéties comme l'avarie, rarissime, survenue sur une pale d'hélice ou la nécessité d'agrandir le pont d'envol en raison de l'arrivée, non prévue à l'origine, du Hawkeye. Mais les véritables difficultés techniques liées, par exemple, à la mise au point du système de stabilisation de la plate-forme ou des systèmes de combat ont été parfaitement résolues.

L'absence d'un deuxième porte-avions et les problèmes de disponibilité qui en découlent sont les seuls soucis que cause le bâtiment, le choix de la propulsion nucléaire imposant par ailleurs des contraintes. Le Charles de Gaulle est un objet de fierté pour la Marine ;

- dans le projet de loi de programmation militaire pour les années 2003 à 2008, seuls des crédits d'études ont été prévus en faveur du deuxième porte-avions en fin de période. Les frégates multimissions et les SNA destinés à constituer la base des forces navales ont en effet bénéficié d'une priorité à l'intérieur de l'enveloppe financière allouée.

Les Britanniques étudient la construction de deux porte-avions de 40 000 tonnes à l'horizon 2012-2013. D'ici là, le Charles de Gaulle sera le seul véritable porte-avions en Europe, les autres bâtiments à capacité aéronavale en service dans les marines britannique, italienne et espagnole n'étant que des porte-aéronefs mettant en _uvre des hélicoptères ou des avions à décollage vertical, bien moins performants que les avions de combat utilisant les catapultes et brins d'arrêt. Dans l'hypothèse où les Britanniques retiendraient la solution des catapultes et brins d'arrêt pour leurs porte-avions, il pourrait être concevable de construire un troisième bâtiment de la même série pour les forces navales françaises. Ce bâtiment serait moins coûteux que le Charles de Gaulle en raison de l'effet de série et de la bien moins grande sophistication de ses équipements. Le besoin européen en porte-avions de cette classe est évalué à 4-5 bâtiments. Un second porte-avions français y aurait donc toute sa place ;

- les travaux relatifs à l'évolution de la menace et aux besoins capacitaires futurs réalisés depuis 1995 correspondent assez bien à la réalité actuelle, bien que l'attention ait été davantage portée sur les pays perturbateurs ou « rogue states » que sur le terrorisme international. Il en est résulté en particulier la création de la DRM et du COS. Le modèle retenu par la Marine, qui offre par nature une capacité de projection à grande distance, notamment avec son groupe aéronaval et ses TCD, paraît bien adapté à l'évolution de la menace. Elle disposera, d'ici une dizaine d'années sur ses frégates et SNA du missile de croisière Scalp naval qui lui donnera une capacité considérable d'action contre la terre.

Certains infléchissements paraissent aujourd'hui nécessaires, par exemple, dans le domaine de l'embarquement des commandos sur les SNA. Un second bâtiment Minrem de renseignement serait également utile ;

- ces dernières années, pour faire face aux contraintes liées aux restructurations, la Marine n'a pas pu accorder une attention prioritaire à la sécurité des côtes françaises et de leur approches maritimes. Une première alerte a eu lieu au printemps avec l'échouage d'un navire chargé de réfugiés. Des menaces terroristes venant de la mer sont également concevables.

La Marine entend aujourd'hui s'impliquer à nouveau pleinement dans cette mission de surveillance et de sécurisation des côtes, d'autant plus qu'elle n'est pas des plus onéreuses : le réseau de sémaphores, qui devra être équipé de radars et de moyens de transmissions, est en cours de réactivation de manière à offrir une image continue des côtes aux commandements de Brest et de Toulon. Avec le Falcon 50M, la Marine dispose d'un bon outil qui permettra le développement des activités de surveillance maritime. Enfin, une pratique de coopération plus active est actuellement instaurée avec l'administration des affaires maritimes ;

- les problèmes de maintenance rencontrés sur le Suffren ont obligé à le désarmer avant l'arrivée de la première frégate de la classe Horizon, reportée à 2006. La Marine ne dispose donc plus que de trois frégates antiaériennes, l'une ancienne, le Duquesne, et deux plus modernes, le Jean-Bart et le Cassart, équipés du missile Tartar. Elle ne respecte plus l'objectif de capacité de quatre frégates antiaériennes prévu par son modèle d'armée. Ce chiffre est à rapprocher de celui des douze frégates antiaériennes en cours de développement du programme britannique.

Par ailleurs, pour dégager les moyens du programme de frégates multimissions la Marine a renoncé à la modernisation des frégates de la classe 70 (Georges Leygues). Leurs commandants se plaignent d'ores et déjà de baisses de performance opérationnelles pour certains équipements embarqués. En outre, elles ne peuvent pas mettre en _uvre les hélicoptères NH90, qui sont déjà commandés. Le programme des frégates multimissions qui accueilleront ces aéronefs doit donc être conduit sans retard. De même, les sous-marins nucléaires d'attaque de la classe Rubis ne pourront pas être prolongés au-delà de la date prévue pour l'entrée en service des Barracuda, appelés à leur succéder ;

- la Marine comportait 20 % environ d'appelés sur ses bâtiments. Pour les remplacer a été créé le système des Contrats courts Marine de deux ans. Par ailleurs, la réussite opérationnelle de la professionnalisation est patente, une Marine professionnelle étant notamment plus facile à entraîner. La difficulté est qu'une Marine professionnelle entraîne des demandes continues d'amélioration de la condition militaire, qui risquent de peser sur l'équipement des forces. Le défi est donc pour les années qui viennent d'arriver à améliorer la condition militaire dans le cadre d'un titre III constant en pouvoir d'achat ;

- le modèle d'armée 2015 est le dernier modèle qui a pu être construit de manière homothétique. Les conditions mêmes de construction du budget d'équipement font apparaître par nature une bosse de financement au-delà des années couvertes par la programmation. Ce phénomène a pu être atténué dans la période récente par des abandons de programmes (Milas et ANF) mais aussi par des réductions de coûts. La situation des moyens de la Marine au regard de ses missions fait qu'aujourd'hui l'abandon d'un grand programme n'est pas envisageable ;

- la décision prise pour transformer DCN en société compétitive, notamment à l'exportation, est bonne. Pour accompagner cette évolution majeure, il est logique de soutenir DCN à l'aide d'un contrat d'entreprise, sous forme d'un volume garanti de commandes de bâtiments neufs et d'opérations de maintien en condition opérationnelle. En revanche, cette garantie doit s'accompagner d'obligations de gains de productivité pour le temps qu'elle durera. Enfin, le nouveau régime de DCN sera, pour les quelques années à venir, source d'augmentation de coûts en raison de la nécessité où elle se trouve d'investir, d'embaucher les ingénieurs et les cadres dont elle a un besoin criant, et de se ménager des marges pour aléas et des marges bénéficiaires. L'assujettissement de l'ensemble de sa production à la TVA contribuera également au renchérissement de ses fabrications et prestations. L'impact pourrait être au total de 700 millions à 1 milliard de francs par an pour la Marine. Il est donc indispensable de prévoir des dispositifs transitoires pour absorber cette surcharge financière ;

- la réforme de l'entretien de la flotte devrait réussir. En effet, avec son nouveau statut, DCN libérée des contraintes du Code des marchés publics, mieux organisée et mieux encadrée, gagnera en efficacité. De son côté, la Marine reprend d'ores et déjà très vigoureusement en main la gestion des rechanges. 200 officiers et sous-officiers y seront prochainement affectés, la réussite de cette opération étant une de ses priorités ;

- il n'y a pas lieu d'entretenir la rivalité entre Brest et Toulon. A l'avenir, l'essentiel de la flotte sera entretenu à Toulon, Brest devenant le pôle de maintenance des sous-marins. Le transfert des sous-marins à Brest n'obéit pas à des considérations opérationnelles dès lors que l'activité de ces bâtiments se répartit entre l'Atlantique et la Méditerranée. Il est motivé par les avantages liés à la concentration des activités d'entretien des 10 sous-marins, 4 SNLE et 6 SNA sur un même site. Il est notamment justifié par la nécessité d'améliorer les contacts entre les flottilles de SNA et de SNLE pour amplifier le retour d'expérience, qui est aujourd'hui limité. Il est souhaitable que la décision soit prise rapidement afin de lever l'incertitude qui pèse sur les personnels et d'entreprendre à Brest les travaux d'infrastructure nécessaires sachant qu'un long délai de préavis sera requis, notamment pour ménager les transitions industrielles, avant le transfert, qui pourrait intervenir au moment de la première IPER du Charles de Gaulle en raison de sa coïncidence avec des périodes d'entretien des sous-marins ;

- le modèle de Marine 2015 prévoit quatre bâtiments d'opérations amphibies. Ces 4 TCD seront tous des bâtiments récents ;

- il n'est pas envisagé actuellement de mesure particulière concernant la base d'aéronautique navale de Nîmes-Garons.


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