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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 25

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 janvier 2002
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition des représentants de l'industrie française d'armement sur les exportations d'armement

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La Commission a entendu les représentants de l'industrie française d'armement sur les exportations d'armement.

Le Président Paul Quilès a accueilli MM. Philippe Camus, co-président exécutif d'EADS et Président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), Charles Edelstenne, Président Directeur général de Dassault Aviation, Jean-Marie Poimboeuf, Directeur de DCN, Pierre Colmant, Directeur commercial de Giat-Industries, Philippe Humbert, Directeur des Affaires internationales de SNECMA, Jean-Paul Perrier, Président Directeur Général de Thales international, Guy Rupied, Délégué général du CIDEF et Jacques Moureu, Secrétaire général du CIDEF. Il les a remerciés d'avoir répondu a l'invitation de la Commission pour exposer le point de vue des industriels sur la situation des exportations françaises d'armement et la politique menée par le Gouvernement en ce domaine.

Il a rappelé que leur audition intervenait à la suite de la publication par le Gouvernement de son troisième rapport au Parlement sur les exportations d'armement de la France au cours de l'année 2000.

Il a par ailleurs indiqué que la Commission auditionnerait, la semaine suivante, le Ministre de la Défense sur les exportations d'armement afin de l'interroger notamment sur les observations et les informations recueillies auprès des organisations non gouvernementales (ONG) et des industriels.

M. Philippe Camus, co-président exécutif d'EADS et Président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), a tout d'abord insisté sur la légitimité des exportations d'armement en soulignant que le récent rapport du Gouvernement sur ces exportations se référait à la reconnaissance par la Charte des Nations Unies du droit de légitime défense de tout Etat membre.

La France a développé pour sa propre défense et sa sécurité des capacités technologiques de premier plan qui s'appuient sur le principe d'autonomie : elle dispose encore de l'une des industries d'armement les plus fortes du continent qui constitue un des piliers de la défense européenne face à la toute puissance américaine.

Son industrie d'armement est par ailleurs un des outils qui lui permet de rayonner au niveau mondial. Elle lui donne la possibilité d'exprimer concrètement sa volonté d'entretenir des relations de confiance et d'amitié avec les pays qui font appel à elle pour qu'elle les aide dans un domaine de souveraineté comme celui de la défense.

Les exportations d'armement françaises sont parfaitement légitimes puisqu'elles s'effectuent avec l'autorisation du Gouvernement et qu'elles s'inscrivent dans le cadre de sa politique étrangère.

M. Philippe Camus a ensuite souligné l'importance de l'impact des exportations sur l'économie nationale : lorsque des sociétés réalisent de façon quasi permanente dans le secteur de la défense un chiffre d'affaires à l'exportation représentant près d'un tiers de leur chiffre d'affaires total, elles contribuent à l'amélioration de la balance commerciale du pays, d'autant plus que, contrairement à certaines idées répandues, la part d'équipements importés pour la réalisation des matériels exportés est très faible. Le solde des transferts d'armements s'élève, en moyenne, à 3,8 milliards d'euros par an.

Les exportations contribuent aussi largement au maintien d'emplois qualifiés, tant au niveau des maîtres d'_uvre que des équipementiers. Elles favorisent le maintien de l'activité proprement dite comme le développement des compétences. M. Philippe Camus a ajouté que les aides de l'Etat destinées au développement des matériels d'armement étaient largement compensées par les retours sur investissement, que ce soit par les effets de série et de lissage sur les échéanciers de production qui permettent de diminuer ou de maintenir le coût unitaire des matériels destinés au client national, ou encore par les versements de redevances et les autofinancements des industriels.

S'agissant du contrôle des exportations d'armement, M. Philippe Camus a rappelé que la France avait mis en place un dispositif des plus rigoureux et qui fonctionnait : l'industrie française s'y soumet totalement. Toutes les opérations illégales telles que le trafic d'armes, qui d'ailleurs ne s'inscrivent pas dans le cadre de la fabrication et du commerce d'armements et qui ne sont pas le fait des industriels, ternissent l'image du secteur.

Pour cette raison, M. Philippe Camus s'est déclaré d'accord avec la mise en place d'une législation spécifique aux opérations d'intermédiation, tout en insistant sur le fait qu'elle ne devait pas se tromper de cible et se traduire par un empilement de nouvelles contraintes administratives pour les entreprises. En effet, face à la concurrence, sur les marchés à l'exportation en particulier, des industriels des Etats-Unis qui bénéficient de soutiens publics très puissants, de telles contraintes se traduiraient par des distorsions accrues alors que l'agressivité commerciale américaine est de plus en plus forte à l'égard de l'industrie européenne, et en particulier française.

Puis, abordant le troisième rapport au Parlement sur les exportations françaises d'armement en 2000, M. Philippe Camus a observé qu'une très large partie de ce document était consacrée aux procédures de contrôle mises en _uvre en France. Il a alors jugé que ce rapport public devrait aussi s'attacher à renforcer de manière plus marquée la légitimité des exportations d'armement.

Après avoir relevé un des passages du rapport indiquant que « l'exportation des Mirage 2000 et de leurs missiles MICA aurait engendré plus de 3 milliards de francs d'économies budgétaires », il a jugé cette remarque essentielle, en particulier au moment où les Etats-Unis affirment une volonté hégémonique.

Comme pour les autres pays occidentaux ayant une industrie de défense puissante, les exportations ont effectivement été pour la France un moyen de contribuer au développement de ses propres capacités industrielles malgré un marché domestique à l'évidence beaucoup trop étroit pour assurer leur pérennité. M. Philippe Camus a alors rappelé que sur la période 1991-2000, les dépenses militaires en capital (aux normes de l'OTAN) avaient diminué en volume de 40 % en France.

Aux Etats-Unis ce même agrégat a diminué de 29 %. Toutefois les autorités américaines ont largement utilisé le système des ventes FMS, « Foreign Military Sales », spécifique à leur environnement mais qui montre bien toute l'importance politique que les Etats-Unis accordent à leurs exportations d'armements pour assurer leur rayonnement dans le monde entier et pour apporter tout le soutien nécessaire à leur propre industrie. Tant que le marché domestique était suffisant pour assurer les plans de charges de l'industrie américaine, la part de marché de cette dernière à l'exportation est restée en dessous de 25 %. Depuis la réduction des budgets de défense américains, elle est passée à 50 %.

S'agissant ensuite du soutien accordé par la France aux exportations d'armements, M. Philippe Camus a considéré que l'industrie se satisfaisait de certaines avancées significatives, tout en jugeant qu'il restait encore beaucoup à faire.

Il a rappelé un passage du Livre Blanc sur la défense de 1994 soulignant qu'« à l'instar de la plupart de leurs homologues, nos armées doivent être davantage associées aux opérations d'exportation d'armement, en amont des contrats et au cours de leur exécution ». Il s'est alors félicité de la très nette prise en compte de cette recommandation au cours des dernières années: les armées se sont impliquées dans le dispositif d'exportation d'armement et apportent aux industriels un large soutien au plan opérationnel.

M. Philippe Camus a ajouté que la DGA y apportait également sa contribution.

Il a en revanche rappelé la recommandation du Livre Blanc de 1994 selon laquelle « les exportateurs doivent recevoir, quand cela est nécessaire, un soutien gouvernemental et politique du niveau de celui dont jouissent nos concurrents ». Après avoir souligné que les industriels américains bénéficiaient d'un large soutien financier et logistique de leurs pouvoirs publics qui mettent au service de l'industrie toute leur puissance politique et administrative, il a jugé que l'implication de la France n'apparaissait pas tout à fait à la hauteur des enjeux. Il a alors cité, en conclusion de son intervention, les programmes actuellement en compétition :

· Leclerc en Grèce, en Turquie et en Arabie Saoudite ;

· produits de la DCN en Malaisie, en Inde et au Portugal ;

· Rafale en Corée, à Singapour et aux Pays-Bas ;

· Mirage 2000 au Brésil.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions de commissions dont ils ne sont pas membres, M. Jacques Myard a fait mention de la surcapacité de l'offre industrielle en matière d'armement, en souhaitant connaître les perspectives d'exportation qu'il serait possible de déduire des besoins par type de matériel, à l'échelle mondiale et à l'horizon de 5 à 10 années.

M. Philippe Camus a précisé que les industriels français étaient systématiquement confrontés aux mêmes concurrents, pour l'essentiel d'origine anglo-saxonne, dans chacun de leurs domaines d'excellence.

M. Charles Edelstenne, Président Directeur général de Dassault Aviation, a considéré que si les Etats-Unis souhaitaient servir tous les clients potentiels à l'échelle mondiale, ils en avaient la capacité, notamment en raison de la dimension et de la flexibilité de leur appareil industriel. Il a toutefois rappelé que les industriels français avaient également fait preuve de flexibilité au regard des fluctuations du marché des armements. Il a également souligné que le marché des armements était foncièrement distinct des marchés civils y compris dans les domaines industriels et techniques.

Il a rappelé que, pour ce qui concerne les flottes aériennes de combat, qui se composent actuellement d'environ 26 000 avions au total, 10 000 de ces appareils appartenaient à des pays qui ne disposaient pas d'un industriel national capable de les produire. En considérant que la durée de vie moyenne d'un appareil est de 30 à 40 années, des perspectives importantes de renouvellement se dessinent dès lors que la dernière grande vague d'acquisition date des années 70. M. Charles Edelstenne a toutefois insisté sur l'évolution du contexte stratégique et des technologies qui laissait d'ores et déjà entrevoir que le renouvellement des appareils ne s'effectuerait pas nombre pour nombre mais probablement, selon la plupart des experts, à raison d'un pour deux.

M. Charles Edelstenne a ensuite rappelé que la France avait détenu au cours des 25 dernières années entre 12 et 14 % du marché mondial des avions de combat, relevant d'ailleurs qu'il convenait d'apprécier ce résultat au regard des pratiques d'approvisionnement de certains pays, toujours considérés comme des « chasses gardées » américaines pour leur équipement militaire aérien. Il a alors considéré qu'en termes de compétition, la France, sans faire tout à fait jeu égal avec les constructeurs américains, obtenait encore des résultats significatifs, y compris dans des pays traditionnellement clients des industries américaines. Il a cité à cet égard les exemples de la Corée du sud, pays dans lequel le Rafale était arrivé en tête des évaluations opérationnelles et des Pays-Bas jusqu'alors considérés comme un client exclusif des producteurs américains et où, devant une Commission spécialisée, le Rafale venait d'obtenir une note d'évaluation de 6,95 alors que son principal concurrent américain le Joint Strike Fighter (JSF) obtenait dans le cadre du même processus d'évaluation la note de 6,97, et que le Typhoon obtenait 5,83 sur un total de points de 8,5.

Puis, il a insisté sur l'importance des financements budgétaires notamment en faveur de la recherche et du développement technologique afin de permettre à la France de conserver ses centres d'excellence et notamment ses bureaux d'étude. Il a estimé qu'à défaut d'un soutien suffisant, les industriels français perdraient à terme leurs compétences et se transformeraient alors, dans la meilleure des hypothèses, en des pôles de sous-traitance au service de producteurs anglo-saxons.

M. Pierre Lellouche a rappelé que, sous la Vème République, la doctrine de la France en matière d'exportations d'armement était fondée sur la volonté de diminuer les coûts marginaux de produits construits dans un cadre strictement national, dans une volonté d'autonomie politique et stratégique : l'Etat français était le client prioritaire de produits français dont le surplus était exporté. Il a fait observer que la situation était aujourd'hui radicalement différente dans la mesure où l'Etat français achète désormais peu, - au compte gouttes dans le cas du Rafale - voire n'est pas client d'armements qui sont exportés. Il a jugé également nécessaire de prendre en compte l'écart croissant entre l'Europe et les Etats-Unis en matière d'effort de défense. Il a rappelé à ce propos que le budget de la défense des Etats-Unis, qui s'est accru de 48 milliards de dollars depuis le 11 septembre, devrait augmenter encore de 15 % pour le prochain exercice. Cette situation risque de créer un écart de capacités technologiques irréversible aux conséquences majeures pour la compétitivité de l'industrie française d'armement. M. Pierre Lellouche a alors interrogé les représentants de l'industrie d'armement sur leurs estimations du niveau de commandes nationales permettant d'exporter dans de bonnes conditions. Il a souhaité par ailleurs savoir où en était la réflexion des industriels français de l'armement sur les conséquences des événements du 11 septembre pour l'évolution de leurs marchés. Après avoir relevé une redéfinition de la politique américaine au Proche-Orient, et notamment vis-à-vis de l'Arabie Saoudite, il s'est interrogé sur l'existence de nouvelles fenêtres d'opportunité pour l'industrie française. Puis il a conclu à la nécessité d'une réflexion plus globale sur les conséquences d'un budget de la défense qu'il a jugé en déconfiture pour l'industrie d'armement française et ses capacités d'exportation.

Le Président Paul Quilès a estimé que ces déclarations ne résistaient ni à l'analyse ni aux données statistiques figurant, par exemple, dans le rapport au Parlement sur les exportations d'armement. Il a fait valoir que ces données infirmaient la thèse d'un lien automatique entre consommation nationale et exportation.

M. Philippe Camus a jugé nécessaire d'adosser les productions destinées à l'exportation à un volume significatif de commandes nationales, rappelant qu'il n'existait pas d'exemple de grand programme exclusivement destiné à l'exportation dans l'histoire française de l'armement. Il a expliqué que l'exécution des budgets de la défense en France avait, au cours des dix dernières années, gêné le lancement de nouveaux programmes, ce qui, dans un secteur comme celui des missiles, plaçait la France en difficulté face au Royaume-Uni dont la politique est beaucoup plus active. Quant à définir un seuil minimal de commandes nationales, il a jugé que les industriels n'avaient aucune légitimité à le faire mais a estimé que quelques milliards d'euros supplémentaires suffiraient à faire évoluer très favorablement les positions de l'industrie française en Europe.

S'agissant de l'écart entre les débouchés des industries d'armement européennes et américaines, M. Charles Edelstenne a fait observer, que même si la tendance actuelle pouvait nourrir certaines inquiétudes, cet écart avait toujours existé dans une proportion de 1 à 10. Les niveaux de commandes comparés du F16 et du Mirage 2000 sont aussi ceux du JSF américain (3 000) et du Rafale (294). M. Charles Edelstenne a cependant jugé que la difficulté fondamentale qui, sans être nouvelle, prenait des dimensions toujours plus aiguës, concernait les niveaux respectifs d'investissement dans la recherche-développement. Expliquant que l'industrie française avait, dans ce domaine, réussi à ne pas se laisser distancer par les Etats-Unis, il a constaté que l'écart se creusait aujourd'hui. Il a, à son tour, jugé que quelques milliards d'euros suffiraient à maintenir les cadences de production à un niveau acceptable tout en autorisant un budget de recherche et développement adapté.

S'agissant des cadences de production pour le marché national, il a constaté, dans le cas précis du programme Rafale, qu'elles avaient été contraintes en permanence depuis 10 ans, ce qui expliquait la livraison au compte gouttes de l'avion aux armées. Il a alors souligné que la production du Rafale représentait pour l'industrie aéronautique une charge financière de 12 milliards de francs correspondant au financement de 25 % du développement, Dassault Aviation assumant 40 à 50 % de cette charge. Il a ajouté que, du fait des retards pris dans le calendrier des livraisons, qui a glissé de 1996 à 2005 pour les premières d'entre elles, les industriels devaient payer encore 7 à 8 milliards de francs.

Evoquant les conséquences de l'évolution de la situation internationale depuis le 11 septembre, M. Jean-Paul Perrier, Président Directeur Général de Thales International, a indiqué que, pour son entreprise, des demandes nouvelles étaient apparues en matière de systèmes de commandement et de contrôle, de renseignement et de guerre électronique. Il a évoqué à ce propos les préoccupations actuelles d'un pays comme l'Arabie Saoudite qui cherche à renforcer ses moyens de surveillance de ses frontières. Il a expliqué que, dans ce domaine, le seul concurrent était américain, que le succès sur des marchés tels que ceux des communications et du renseignement nécessitait un soutien politique fort et que la compétitivité des produits offerts passait obligatoirement par un effort soutenu de recherche et développement.

M. Philippe Humbert, Directeur des Affaires internationales de Snecma, a estimé que le rapport d'information de la Commission sur les conséquences pour la France des attentats du 11 septembre analysait de manière appropriée les enjeux du contexte géostratégique actuel pour les industriels. Prenant l'exemple des hélicoptères dont il a jugé que la demande allait croître, il a souligné la place de premier plan occupée sur ce marché, à l'échelle mondiale, par les sociétés Eurocopter et Turbomeca en raison notamment de leurs capacités technologiques de pointe. Il a également mis en exergue la compétence des industries françaises dans le domaine des avions sans pilote (UCAV) à vocation offensive ou de renseignement, dont il a mis en avant le potentiel de développement. Il a par ailleurs déploré que la DGA ait abandonné son programme de propulsion de nouvelle génération pour hélicoptères (ASTEC) alors même que les sociétés américaines Pratt & Whitney et General Electric s'étaient alliées pour développer de nouveaux moteurs. Il a insisté, en conséquence, sur le besoin des motoristes et des équipementiers français en financements publics de recherche et technologie (R et T).

M. Pierre Colmant, Directeur commercial de Giat-Industries, a fait valoir quant à lui que le respect des commandes prévues pour les armées était essentiel, rappelant que le programme du char Leclerc avait été défini sur la base d'une cible de 1 400 unités alors que seulement 406 exemplaires ont été commandés par l'armée de Terre.

Sur ce point précis, le Président Paul Quilès a rappelé que les pouvoirs publics n'avaient fait que tirer les conséquences stratégiques de la chute du Mur de Berlin en 1989 et de l'effondrement de l'URSS en 1990.

M. Pierre Lellouche a observé que si la baisse du nombre de commandes de chars Leclerc était justifiée par l'évolution du contexte géostratégique, Giat-Industries n'avait pas pour autant vu son plan de charges compensé par la commande des blindés légers dont l'armée de Terre avait pourtant besoin.

M. Philippe Camus a regretté que l'effort public de recherche et développement ait été divisé par deux en dix ans alors qu'il est essentiel pour la compétitivité des industriels.

M. Pierre Lellouche a souligné que ce constat découlait de la baisse globale des crédits de la Défense dont il avait fait état précédemment.

Le Président Paul Quilès a indiqué que la Commission de la Défense avait déjà dressé le constat d'un niveau insuffisant des crédits de R et D à l'occasion de la publication d'un rapport d'information sur le sujet au cours de l'année 2000. Il a estimé que cette question serait inévitablement débattue lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire pour les années à venir.

Observant que les représentants de l'industrie française d'armement effectuaient essentiellement des comparaisons avec les Etats-Unis, M. Robert Gaïa a souhaité qu'ils situent la politique industrielle du Gouvernement dans leur secteur ainsi que l'effort public de défense de la France dans le contexte des actions menées par les autres pays européens.

M. Philippe Camus a indiqué que, selon les études effectuées à ce sujet, la France se situait à mi-chemin entre le Royaume-Uni, qui consacrait en Europe le niveau le plus élevé de ressources à la défense, et l'Allemagne, qui, comme l'illustrent ses difficultés à financer l'achat de 73 A 400 M, occupe un rang intermédiaire en dépit d'une réévaluation de son budget militaire par l'adoption d'une loi de finances rectificative à la suite des attentats du 11 septembre. L'Italie et l'Espagne se situent à des niveaux de comparaison et de compétition inférieurs.

Le Président Paul Quilès a alors fait valoir que l'impossibilité d'asseoir le développement de capacités industrielles complètes dans le domaine de l'armement sur les seules ressources nationales justifiait la création de sociétés de dimension européenne à stratégie globale.

M. Jean-Paul Perrier a élargi ce raisonnement à l'échelle mondiale, en s'appuyant plus particulièrement sur l'exemple de la filiale commune à Thales et Raytheon, qui permettra à l'électronicien européen d'accéder aux crédits de R et D américains.

M. Charles Edelstenne a souligné que, s'il n'était pas accompagné d'un effort budgétaire suffisant, le processus de regroupement des industries d'armement à l'échelle européenne comportait à terme une sanction sous la forme d'un déplacement de la localisation des centres de décision et d'excellence des futurs programmes majeurs vers le pays consacrant le plus de ressources à la recherche.

M. Robert Gaïa a fait valoir que la constitution de groupes européens offrait de réelles possibilités d'accès à de nouveaux marchés à l'exportation.

M. Philippe Camus a estimé que le regroupement des industries européennes favorisait une meilleure répartition de charge et un maintien de la compétitivité industrielle. Il a toutefois exprimé la crainte que, faute d'un soutien politique et budgétaire suffisant, l'industrie française de l'armement, qui possédait il y a encore peu de temps une position incontournable en Europe, ne joue plus à terme le rôle d'entraînement qui avait toujours été le sien et qu'elle perde des compétences et des centres de recherche.

A l'appui de ce constat, M. Charles Edelstenne a cité l'exemple du secteur des missiles, faisant valoir que le marché français ne déterminait plus à présent sa configuration. Il a estimé qu'à terme les autorités politiques britanniques pourraient être en mesure, par leurs commandes, d'attirer vers leur pays les centres de décision des missiliers, même si des sociétés françaises conservent une présence significative au capital de ces derniers.

Le Président Paul Quilès a demandé si les industriels français de l'armement évoquaient les problèmes qu'ils venaient d'exposer à la Commission avec leurs partenaires européens.

M. Charles Edelstenne a tout d'abord observé que les industriels britanniques se trouvaient actuellement dans une situation confortable dans la mesure où ils participaient à des programmes majeurs de chaque côté de l'Atlantique. Il en a déduit que le centre d'influence européen en matière d'armement pourrait se situer dans quelques années au Royaume-Uni. Il a ensuite insisté sur le fait que les rapports entre les industriels français et leurs homologues européens se bornaient à des relations d'affaires.

M. André Vauchez, après avoir remarqué que la domination américaine était ancienne, a souligné que la construction de l'Europe constituait un processus irréversible. Il a alors demandé aux représentants de l'industrie française d'armement ce qu'ils attendaient de l'Europe pour résister à la concurrence américaine et comment eux-mêmes, industriels européens, envisageaient de s'appuyer mutuellement.

M. Charles Edelstenne a souligné que l'Europe était un fait dont il fallait tenir compte, mais que sans la volonté politique de conserver une industrie française d'armement de premier plan et sans les efforts budgétaires correspondants, les capacités de recherche et de développement de cette industrie s'étioleraient.

Après avoir souligné l'importance du lien entre l'industriel fournisseur d'armement et l'Etat client, M. Philippe Camus a fait valoir que les pays dont la politique d'acquisition et de financement est la plus active se dotent des moyens qui leur permettront d'attirer sur leur territoire les centres de décision. Il est donc essentiel dans les coopérations européennes de maintenir un effort budgétaire national adéquat pour conserver un rôle de Nation cadre.

Après avoir estimé que le leadership européen réclamait des moyens, M. Jean-Paul Perrier a regretté l'alourdissement des procédures administratives de contrôle des exportations d'armement, qu'il a jugé de plus en plus contraignantes, en raison notamment de l'introduction de règles européennes nouvelles comme celles de la LoI.

M. Jean Briane, remarquant que l'opinion publique était plus réticente en Europe qu'aux Etats-Unis pour consentir un effort budgétaire soutenu en faveur de la défense, s'est demandé comment construire, dans ces conditions, une industrie européenne de l'armement compétitive. Il a estimé que, sans une Europe politique capable de définir des orientations communes en matière de défense, les pays européens risquaient de devenir dépendants des Etats-Unis pour leur armement.

Tout en déclarant comprendre cette analyse, M. Charles Edelstenne a souligné qu'en tant qu'industriel il devait adopter une démarche pragmatique.

Après avoir rappelé la dynamique créée depuis 10 ans dans le domaine de l'intégration européenne, le Président Paul Quilès a fait remarquer que les responsables politiques et les industriels ne raisonnaient pas toujours en fonction des mêmes horizons de réalisation. Il a indiqué qu'il était personnellement favorable à la rédaction d'un Livre Blanc européen de la défense qui pourrait aboutir à la mise en place d'une programmation militaire commune pour l'équipement des forces.

M. Jacques Myard a convenu de l'utilité de certaines coopérations dans le domaine industriel, même si elles apparaissaient souvent laborieuses, comme le montrait le programme d'hélicoptère franco-allemand Tigre. Il a toutefois jugé que ces quelques exemples ne suffisaient pas à démontrer la pertinence d'une politique étrangère et de défense commune, d'autant que, dans la plupart des crises récentes et notamment dans le conflit d'Afghanistan, chacun des grands pays européens avait agi de façon solitaire. M. Jacques Myard a également dénoncé l'attitude de certains pays comme les Pays-Bas qui, sous couvert d'une façade très européenne, menaient des politiques très protectionnistes, spécialement dans le domaine des brevets.

M. Robert Gaïa a considéré qu'il était naturel pour des industriels de demander des augmentations de crédits. Il a toutefois souligné la nécessité de réfléchir également à la constitution en Europe de pôles d'excellence durables qui reposeraient, le cas échéant, sur des partages de compétences industrielles, compte tenu de l'étroitesse des marchés intérieurs de chacun des pays européens.

M. Charles Edelstenne a tenu a rappeler que la répartition des capacités industrielles entre pays restait un domaine crucial, en citant l'exemple de la compétition entre Hambourg et Toulouse pour la fabrication des Airbus. Plus généralement, il a considéré qu'il était impossible de traiter différemment les crédits de recherche développement et d'acquisition, tant ils étaient également déterminants pour la pérennité des industries françaises d'armement.

M. Jean-Claude Viollet a estimé que la seule question valable aujourd'hui était de savoir, au regard des évolutions stratégiques, quels étaient les secteurs pour lesquels la France disposait de pôles d'excellence susceptibles de déboucher sur des partenariats, étant acquis que notre pays ne pourrait pas être leader sur tous les segments du marché de l'armement. Il a ensuite évoqué la distinction entre coût d'usage et coût d'acquisition et souhaité savoir quel était l'impact du coût d'usage sur nos exportations. Il a demandé s'il s'agissait d'un aspect déterminant et quel poids jouait le maintien en condition opérationnelle dans les exportations françaises.

M. Robert Gaïa a souhaité connaître le rôle joué par les compensations en matière d'exportation.

M. Philippe Humbert a indiqué que, dans le domaine d'intervention de son entreprise, les compétences de l'industriel en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO) servaient les intérêts des forces, qui pouvaient alors se recentrer sur leur rôle. Il a ajouté que, pour l'armée de l'Air française, il existait encore en ce domaine beaucoup de marges de progrès au-delà des contrats à long terme de MCO pour les moteurs d'hélicoptères et d'avions de patrouille maritime (Tyne).

M. Philippe Camus a expliqué que le meilleur critère pour déterminer quels devaient être les pôles d'excellence français était celui des positions à l'exportation : il suffit de jeter un regard rétrospectif sur les succès français à l'exportation depuis 10 ans pour voir où se situent nos pôles d'excellence.

M. Charles Edelstenne a confirmé que les domaines d'excellence étaient sanctionnés par le marché, ajoutant qu'il fallait préserver les secteurs de haute technologie. Il a fait observer que la méconnaissance du critère de l'excellence était systématiquement sanctionnée : ainsi, le programme Eurofighter, dans lequel les partenaires concernés se sont réparti les rôles, non pas en fonction des compétences qu'ils détenaient, mais en fonction de celles qu'ils voulaient acquérir, se solde au total par un coût d'acquisition supérieur de 15 % à celui du Rafale.

Le Président Paul Quilès a souligné que le mode d'organisation décrit par M. Charles Edelstenne caractérisait les mauvaises coopérations. On ne saurait toutefois en tirer argument pour refuser le principe même de la coopération européenne en matière d'armement. Concluant les débats qu'il a jugé utiles et intéressants, il a estimé que la représentation nationale et les industriels français de l'armement seraient amenés à poursuivre leur dialogue lors de l'examen du projet de loi de programmation militaire pour les années à venir.


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