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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 mai 1998
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Didier Boulaud, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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– Audition de Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, sur le projet de loi (n° 677) portant réforme du code de justice militaire


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– Information relative à la Commission

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La Commission de la Défense a procédé à l’audition de Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, sur le projet de loi (n° 677) portant réforme du code de justice militaire.

Mme Elisabeth Guigou, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, a rappelé que le projet de loi portant réforme du code de justice militaire s’inscrivait dans le cadre plus général de la réforme de la justice, dont les principales orientations ont été exposées devant l’Assemblée nationale en janvier dernier. Elle a souligné que ce texte, bien que ne représentant qu’une petite partie d’un ensemble plus vaste, n’en revêtait pas moins, compte tenu de son objet, une importance particulière.

La Ministre de la Justice a tout d’abord rappelé les principales dispositions du droit actuel et souligné que le terme général de procédure pénale applicable en matière militaire recouvrait, en réalité, trois cas de figure distincts.

Le premier de ces cas de figure concerne les infractions militaires -comme par exemple la désertion ou le refus d’obéissance- et les infractions de droit commun commises par des militaires dans l’exécution du service, sur le territoire national et en temps de paix. Ces infractions sont de la compétence des juridictions de droit commun spécialisées, régies par les articles 697 et suivants du code de procédure pénale. La composition des juridictions et la procédure suivie sont celles du droit commun, sous réserve de quelques règles spécifiques dont la Ministre a présenté les principales :

— une compétence géographique étendue des juridictions -une par cour d’appel- ;

— l’attribution au parquet du pouvoir exclusif de mettre en mouvement l’action publique, hormis les cas d’infractions graves contre les personnes (décès, infirmité permanente ou mutilation) dans lesquels la partie civile peut également, à titre dérogatoire, engager les poursuites ;

— l’exigence, sauf en cas de flagrance, d’un avis du Ministre de la Défense, préalablement à l’engagement des poursuites ;

— l’absence de jury dans les cours d’assises, dès lors qu’existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale.

Le deuxième cas de figure concerne les infractions militaires ou les infractions de droit commun commises par des militaires, en temps de paix mais hors du territoire national. Ces faits sont jugés, soit selon les procédures spécifiques du code de justice militaire, par les tribunaux aux armées institués à l’étranger -dont il n’existe aujourd’hui qu’un seul exemple, en Allemagne- soit, à défaut, par les juridictions de droit commun spécialisées. Toutefois, en application d’accords de coopération passés avec plusieurs Etats africains, les infractions commises sur le territoire de ces Etats sont jugées selon les procédures du code de justice militaire par le tribunal des forces armées de Paris.

Mme Elisabeth Guigou a souligné que la procédure suivie devant les tribunaux aux armées et le tribunal des forces armées de Paris présentait une spécificité plus grande que celle suivie devant les juridictions de droit commun spécialisées, dans la mesure où elle ne comportait pas de droit d’appel et où les modifications intervenues ces dernières années -notamment le remplacement de l’inculpation par la mise en examen et la création des nouveaux droits de la défense qui y sont attachés- n’y étaient pas applicables. Elle a fait valoir que le fossé entre le droit commun et la procédure pénale militaire s’était ainsi élargi dans la période récente.

Le troisième cas de figure concerne les infractions commises en temps de guerre, dont le code de justice militaire prévoit qu’elles sont jugées par des tribunaux territoriaux des forces armées et par des tribunaux militaires aux armées, composés à la fois de magistrats militaires et de juges militaires, selon des procédures simplifiées. La Ministre de la justice a précisé que l’application de ces dispositions du code de justice militaire, qui datent de 1965, était subordonnée à une déclaration de guerre au sens de l’article 35 de la Constitution et qu’elles présentaient par nature, en droit comme en pratique, un caractère plus qu’exceptionnel dont il fallait espérer qu’elles ne s’appliqueraient pas plus dans l’avenir qu’elles ne s’étaient appliquées dans le passé.

Après avoir souligné que la réforme proposée par le Gouvernement ne concernait que les infractions commises en temps de paix, Mme Elisabeth Guigou a indiqué que, s’agissant de la procédure concernant les infractions commises hors du territoire, le projet de loi visait, d’une part, à y introduire un mécanisme d’appel et, d’autre part, à lui appliquer les réformes intervenues ces dernières années. Elle a ajouté que le projet de loi visait par ailleurs à renforcer la cohérence générale des dispositions concernant le jugement des infractions relevant du code de justice militaire et des articles 697 et suivants du code de procédure pénale.

Elle a fait valoir qu’en rapprochant, souvent jusqu’à les confondre, la procédure militaire et la procédure de droit commun, le projet de loi s’inscrivait dans la continuité de la réforme de 1982 qui avait supprimé les tribunaux permanents des forces armées. Elle a souligné que le projet de loi aurait ainsi pour conséquence d’apporter à la justice militaire les nouvelles et nombreuses garanties qu’offre le code de procédure pénale depuis 1993, et notamment l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue, le remplacement de l’inculpation par la mise en examen, le renforcement des droits de la défense au cours de l’instruction et les dispositions sur le référé-liberté en matière de détention provisoire.

Elle a également mis en exergue les avantages, pour les justiciables, de la nouvelle présentation du code de justice militaire résultant du projet de loi, les différentes parties de ce code commençant désormais par un article renvoyant aux dispositions de droit commun, à l’exception de quelques rares cas où des dispositions particulières préciseront la nature des règles spécifiques à la matière militaire, ce qui entraînera l’extension de plein droit des réformes de procédure pénale à venir aux personnes jugées en application du code de justice militaire, pour des infractions commises en temps de paix. Elle a fait observer que, de la sorte, les projets de réforme en cours de préparation, en vue notamment d’instituer des délais d’enquête ou d’instruction ou de prévoir l’intervention d’un avocat dès le début de la garde à vue, seront automatiquement et sans délai applicables, dès leur adoption par le Parlement, à la procédure pénale militaire en temps de paix.

Mme Elisabeth Guigou a ensuite abordé l’exposé des dispositions du projet visant à renforcer la cohérence de la procédure pénale en matière militaire.

Elle a indiqué à ce propos que la compétence du tribunal aux armées de Paris -actuellement dénommé tribunal des forces armées de Paris- serait étendue aux infractions commises par des militaires hors du territoire lorsqu’aucun tribunal aux armées n’a été institué, estimant que ce regroupement des procédures éviterait des difficultés pour le jugement d’infractions commises à l’étranger par des militaires originaires de régiments différents.

Elle a ensuite fait valoir que la disposition requérant l’avis du Ministre de la Défense, lorsque des poursuites sont engagées par la victime, participait également de l’objectif de renforcement de la cohérence du droit, tout comme la possibilité de prononcer le huis clos des débats en cas de risque de divulgation d’un secret de la défense nationale.

Elle a souligné que la même préoccupation de cohérence avait conduit le Gouvernement à proposer d’étendre la compétence des juridictions de droit commun spécialisées aux infractions commises par des militaires dans une enceinte militaire et de définir de manière plus restrictive la notion de flagrance, qui permet la mise en mouvement de l’action publique sans avis préalable du Ministre de la Défense.

Sur ces deux derniers points, Mme Elisabeth Guigou a toutefois précisé que la position du Gouvernement était susceptible d’être modifiée, notamment au vu des observations formulées par M. Jean Michel, rapporteur du projet de loi.

Concluant son exposé, la Ministre de la Justice a souligné qu’il paraissait indispensable au Gouvernement de maintenir une certaine spécificité à la procédure pénale militaire, même si cette spécificité devenait extrêmement limitée.

Après avoir cité la déclaration faite par le Président de la République, en février 1996, à l’Ecole militaire, selon laquelle la France devait être capable de projeter dans des délais très courts, partout où la situation l’exigerait, une force significative, la Ministre a estimé que le projet de loi, tout en préservant les conditions de mise en oeuvre de cet objectif fondamental, limitait la spécificité du droit militaire en temps de paix à ce qui était strictement nécessaire à la vie des armées, en y incorporant, dans toute la mesure du possible, les garanties nouvelles offertes à l’ensemble des justiciables et en répondant aux exigences de l’Etat de droit, telles qu’elles sont prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

M. Jean Michel, rapporteur, s’est tout d’abord interrogé sur l’application du code de justice militaire en temps de guerre. Il a relevé à ce propos que, d’après l’article 52 du projet de loi, il serait fait application des dispositions du code de justice militaire « tel qu’il résulte de la loi n° 82-621 du 21 juillet 1982 relative à l’instruction et au jugement des infractions en matière militaire et du code de procédure pénale en vigueur avant l’entrée en application de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant de la réforme de la procédure pénale », ce qui signifie qu’il était fait, dans le dispositif proposé, référence à des textes abrogés par le projet de loi lui-même.

Abordant les dispositions relatives à la justice militaire en temps de paix hors du territoire de la République, et rappelant qu’il n’avait été établi qu’un seul tribunal aux armées, à Landau, alors que les forces françaises stationnaient dans d’autres territoires, il s’est félicité que le projet mette fin à la complexité des compétences juridictionnelles. Il s’est cependant demandé s’il n’était pas souhaitable de supprimer toute possibilité de création d’un tribunal aux armées en dehors du territoire de la République et de confier la compétence du jugement des infractions commises en temps de paix hors du territoire de la République au seul tribunal aux armées de Paris. De même, il s’est interrogé sur le maintien, en première instance, des juridictions spécialisées alors que seules seront compétentes en appel des formations de droit commun.

M. Jean Michel a également exprimé ses réserves à l’égard de la disposition étendant la compétence des chambres spécialisées aux infractions commises dans un établissement militaire. Il a souligné les risques de distorsion de traitement liés à l’introduction de ce second critère qui s’ajouterait à celui de l’infraction commise dans l’exécution du service.

Evoquant le projet de loi portant réforme de la procédure pénale qui devrait renforcer l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis du Garde des Sceaux, il s’est demandé si l’exigence d’avis préalable du Ministre de la Défense, en cas de mise en examen d’un militaire, ne devait pas être restreinte aux infractions militaires.

Il s’est enfin prononcé en faveur d’une extension de la possibilité, pour la partie lésée, de déclencher l’action publique.

Mme Elisabeth Guigou a reconnu que faire référence à des textes abrogés ne constituait pas une solution satisfaisante et qu’il conviendrait sans doute de réformer le code de justice militaire pour le temps de guerre. Elle a indiqué que le Gouvernement ne serait pas hostile à un amendement fixant, pour cette réforme, un délai raisonnable. Elle a précisé que la diminution du nombre de troupes françaises stationnées en RFA et le tarissement du contentieux en résultant entraîneraient, à terme, la suppression du tribunal aux armées de Landau. Elle ne s’est toutefois pas déclarée favorable à une suppression précipitée de cette juridiction.

Evoquant l’hypothèse de violences conjugales commises dans un établissement militaire par un militaire ou celui de crimes commis par des militaires dans un établissement militaire, sans relation avec le service, qui seraient alors jugés par des juridictions de droit commun spécialisées et, éventuellement, des cours d’assises composées seulement de six magistrats professionnels pour les affaires criminelles dans lesquelles existe un risque de divulgation d’un secret de la défense nationale, elle a convenu que le projet d’extension de la compétence des juridictions spécialisées de droit commun par l’introduction du critère de l’établissement militaire présentait plus d’inconvénients que d’avantages. Elle a alors précisé qu’elle ne serait pas opposée à un amendement tendant à supprimer cette disposition dans le texte en discussion.

Indiquant que l’un des projets de loi portant réforme de la procédure pénale prévoyait de supprimer, de façon générale, la notion de flagrance par assimilation, elle a reconnu que, dans cette perspective, la disposition du projet qui limite aux hypothèses de flagrance véritable les exceptions à l’exigence d’un avis préalable du Ministre de la Défense pourrait devenir sans objet.

Se félicitant que la réforme du code de justice militaire fasse l’objet d’un projet de loi et non d’une ordonnance prise en application d’une disposition annexée à une loi relative à l’organisation de la défense nationale, comme cela avait été tout d’abord envisagé, M. René Galy-Dejean a estimé que les droits des justiciables militaires, tout comme leurs intérêts spécifiques ne pourraient qu’y trouver leur compte. Rappelant que l’appel sous les drapeaux était simplement suspendu et qu’il pourrait donc être rétabli si des événements tels que, par exemple, une déclaration de guerre l’exigeaient, il a demandé si les dispositions du projet de loi relatives au temps de guerre s’appliqueraient alors seulement à l’armée professionnalisée ou aussi aux appelés. Exposant ensuite que l’armée professionnalisée allait comporter une part notable de civils, il a souhaité savoir si, en temps de paix, les civils employés à l’intérieur des enceintes militaires seraient soumis aux dispositions du code de justice militaire ou s’ils continueraient à relever du droit commun.

M. Arthur Paecht a, tout d’abord, avoué sa perplexité devant la philosophie du projet de loi. Faisant remarquer que les guerres n’étaient plus déclarées, il s’est demandé si les dispositions sur l’état de guerre pourraient jamais trouver à s’appliquer et si le projet de loi se référait non seulement à des textes abrogés mais aussi à une situation d’un autre temps. Il s’est alors interrogé sur le fait de savoir s’il ne fallait pas redéfinir la notion de « temps de guerre ».

Il a ensuite estimé qu’en temps de paix et sur le territoire national, dans ou hors des enceintes militaires, il ne pouvait exister que deux possibilités. Soit un militaire commet une infraction de droit commun, et dans ce cas, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas soumis aux dispositions et aux juridictions de droit commun ; soit il s’écarte des règles auxquelles il a volontairement souscrit en signant son contrat d’engagement et, dans ce cas, c’est dans le cadre de dispositions disciplinaires qu’il doit être sanctionné. Il a jugé que seuls ne devaient dès lors relever des juridictions militaires que les cas où des militaires auraient accédé ès qualités à des informations intéressant la sécurité nationale et auraient commis des infractions dans ce cadre, sachant cependant qu’en tout état de cause, des civils pourraient se trouver dans la même situation. M. Arthur Paecht a alors suggéré de mettre en place un système simple dans lequel les militaires seraient traduits devant les juridictions de droit commun, sauf dans le cas d’atteinte au secret de la défense nationale. Rappelant qu’il avait déjà, en tant que rapporteur pour avis du projet de loi relatif au Livre IV du code pénal, soulevé la question de ne maintenir une justice militaire que pour des infractions de nature spécifique, il a regretté que le texte proposé paraisse plus l’expression d’un compromis que d’une volonté de réforme claire et affirmée.

Le Garde des Sceaux a apporté les éléments de réponse suivants :

— en cas de rappel sous les drapeaux, les appelés, qui deviennent alors des militaires, seront soumis au code de justice militaire ;

— les civils travaillant dans les enceintes militaires ne relèveront du code de justice militaire que s’ils sont complices de militaires ;

— on pourrait considérer que les infractions de droit commun devraient relever d’une justice unique ; le Gouvernement a cependant préféré maintenir une certaine spécificité de la justice militaire, tout en ayant le souci de réduire l’écart qu’elle présente par rapport au droit commun.

M. Robert Poujade a alors jugé qu’en examinant le projet de loi portant réforme du code de justice militaire, la Commission débattait de la lente extinction d’un archaïsme indispensable.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. François Lamy rapporteur pour avis sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1996 (n° 587).


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