
ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES
COMPTE RENDU N° 34
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 17 juin 1998
(Séance de 16 heures 15)
Présidence de M. Paul Quilès, Président,
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Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations darmement et les opérations extérieures
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Information relative à la Commission
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La Commission de la Défense a procédé à laudition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur les exportations darmement et les opérations extérieures.
Le Président Paul Quilès a tout dabord souligné que la Commission de la Défense attachait dautant plus dimportance à laudition du Ministre de la Défense sur les exportations darmement et sur les opérations des forces françaises sur des théâtres extérieurs quil sagissait de domaines largement soustraits, dans le passé, au contrôle parlementaire.
Après avoir rappelé quil avait remis, en décembre 1997, un rapport au Parlement sur les mesures daide et de soutien à lexportation des matériels de défense, M. Alain Richard a présenté les fondements de la politique suivie par la France en ce domaine. Il a fait valoir que les quelque 150 pays dotés dune armée parmi les 185 membres de lONU étaient confrontés à des menaces diverses, comme lillustre la permanence denviron une vingtaine de foyers de tension dans le monde. Il a considéré queu égard aux conséquences dangereuses de la tentation humaniste dun désarmement unilatéral qui laisserait libre cours à lusage incontrôlé de la force, il convenait de mettre en place les instruments dune politique responsable visant à encadrer la vente et la cession de matériel militaire. Il a souligné le caractère contestable, tant dun point de vue éthique que politique, des condamnations globales des exportations darmement, faisant au contraire ressortir la légitimité de la politique déquipement militaire des pays acquéreurs qui ne peuvent se voir dénier leur droit à se défendre. Il a néanmoins rappelé quaux yeux de la France, les échanges darmement ne devaient pas être dissociés dun partenariat politique et ne sauraient être considérés exclusivement sous langle économique ou commercial. Précisant que ce partenariat politique pouvait être dicté par des considérations stratégiques ressortant dune politique de prévention, il a cité en exemple le déséquilibre flagrant en matière déquipement militaire entre Serbes dune part, Croates et Musulmans dautre part, auquel les accords de Dayton avaient notamment pour objet de remédier en permettant à la fédération croato-musulmane de se doter de capacités défensives minimales. Il a ajouté quil sagissait là dun des éléments expliquant le rétablissement de la paix en Bosnie-Herzégovine.
Le Ministre de la Défense a ensuite procédé à lanalyse géographique de la politique française dexportation de matériel militaire.
Il a rappelé que deux zones faisaient lobjet, de la part de la France, dune attention particulière, lUnion européenne et lEurope centrale et orientale dune part, zone dans laquelle lintégration à lOTAN de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque ne devait pas saccompagner dun monopole américain des fournitures darmements ; le Proche-Orient, dautre part, région dans laquelle la France a développé des relations de défense avec des pays dont lhistoire récente témoigne dune volonté de préservation de la stabilité stratégique. Sagissant du marché asiatique, M. Alain Richard a rappelé que la France cherchait à y développer sa présence, que ce soit pour empêcher la domination exclusive dautres puissances comme les Etats-Unis ou la Chine, ou pour instaurer un dialogue politique original avec les Etats de cette zone, dans le prolongement, par exemple, de linitiative de forum euro-asiatique, ou encore pour les aider à conforter leur indépendance par des coopérations industrielles variées. Quant à labsence dexportation de matériel militaire vers lAfrique, le Ministre de la Défense a souligné quelle tenait tant au dénuement économique de ce continent quà lexistence dautres outils de prévention et déquilibre, tels que les accords de Défense. Evoquant enfin le marché sud-américain, il a indiqué que la France, globalement peu présente, y occupait toutefois certaines positions auprès de pays soucieux dassurer leur indépendance.
Présentant ensuite lévolution récente du marché global des exportations darmement, M. Alain Richard a indiqué quil avait diminué de 50 % depuis la fin des années 80 pour sétablir aujourdhui entre 200 et 250 milliards de francs de chiffre daffaires. Il a dressé un panorama des principaux fournisseurs darmement, au premier rang desquels figurent trois pays assurant à eux seuls 75 % des exportations, les Etats-Unis pour 105 milliards de francs, le Royaume-Uni (45 milliards de francs) et la France (30 milliards de francs).
Il a indiqué que venait ensuite un groupe dexportateurs de matériels de défense que lon peut qualifier de moyens, comprenant la Russie, qui réalise 20 milliards de francs de chiffre daffaires, la République Fédérale dAllemagne et la Chine, présentes pour chacune à hauteur de 5 à 10 milliards de francs. Il a enfin évoqué les exportateurs émergents que sont Israël, le Brésil, lAfrique du Sud et la Corée du Sud.
M. Alain Richard a fait ressortir le caractère récent de la hiérarchie actuelle, notamment dans les premiers rangs : il a souligné à ce propos que les Etats-Unis étaient passés dune attitude prudente au cours de la guerre froide à un effort dexportation soutenu puisque, depuis 1988, le volume de leurs ventes darmes est resté constant alors que le marché sest globalement réduit de moitié. Il a ajouté quavec une part de marché de lordre de 50 %, les Etats-Unis étaient désormais très loin devant la Russie.
M. Alain Richard a ensuite présenté les principaux acheteurs, soulignant la concentration dun marché sur lequel une trentaine de pays (sept pays du Golfe et du Proche-Orient, dix pays dAsie et douze pays dEurope occidentale) génèrent 95 % du chiffre daffaires. Après avoir fait observer que quatre pays (Arabie Saoudite, Taiwan, Turquie, Japon) représentaient à eux seuls 35 à 40 % du marché, il a indiqué que venaient ensuite une douzaine de pays dont le montant annuel des importations darmement est de 5 à 7 milliards de francs. Il a précisé que les premiers importateurs de cette catégorie étaient les Etats-Unis, le Royaume-Uni, les Emirats Arabes Unis, lAustralie et les Pays-Bas, et ajouté que neuf autres pays (Israël, Suède, Singapour, Corée du Sud, Koweït, Suisse, Grèce, Norvège et Allemagne) intervenaient pour des montants annuels moins élevés, de lordre de 4 à 5 milliards de francs.
Commentant la configuration particulière du marché européen, le Ministre de la Défense a fait observer quil regroupait seulement trois grands pays producteurs généralistes, quatre sétant spécialisés sur certains créneaux de léventail technologique (lItalie, lEspagne, les Pays-Bas et la Suède), et les autres intervenant quasi exclusivement à titre dacheteurs. Il a toutefois remarqué que la part des exportations intraeuropéennes darmement ne pouvait que baisser, la proximité géographique et lintensité des relations industrielles entre les pays européens conduisant à privilégier la production en coopération.
Le Ministre de la Défense a, à ce propos, estimé que lesprit de résistance à légard de la prédominance américaine était, en Europe, plus répandu dans le domaine industriel que dans le domaine politique. Il a par ailleurs regretté que la perception de la réalité géopolitique que constituent les exportations darmements souffre dun certain déficit dinformations.
M. Alain Richard a ensuite présenté les principes et les règles qui encadrent la politique française dexportation darmement. Il a souligné que la France, qui ne participait daucune façon à la prolifération darmes de destruction massive figurait bien au contraire parmi les pays qui la combattaient le plus activement. Il a rappelé que notre pays menait en ce domaine une coopération intense avec les puissances signataires des conventions internationales de lutte contre la prolifération, dès lors que des relations de confiance étaient établies avec elles. Il a également indiqué que la France respectait les embargos fixés par lONU ou par lUnion européenne et se conformait aux critères dexportation définis tant par le Conseil de sécurité de lONU que par le Conseil européen de 1991 à 1993. Il a précisé que la France avait, en ce domaine, milité pour la transparence et linstitution de mécanismes de contrôle des engagements pris dans le cadre dune politique générale de développement dun droit international fiable, ne permettant pas le détournement ou le discrédit des normes élaborées en commun.
Le Ministre de la Défense a rappelé que, sous la présidence du Royaume-Uni, lUnion européenne avait adopté en 1998 un code de conduite sur les exportations incluant un dispositif de consultation réciproque des pays européens exportateurs darmement. Il a souligné que les principes de contrôle qui étaient à la base de ce dispositif ne représentaient pas une innovation complète pour la France mais quils constituaient un changement important pour le Royaume-Uni qui ne disposait pas jusquà présent dun système légal et réglementaire de suivi des exportations darmements. Il a précisé que le code de conduite concernait en priorité les pays exportateurs déquipements militaires, que le système de consultation ne concernait que ces derniers et que linformation des autres membres de lUnion européenne serait assurée par un compte rendu annuel.
Evoquant la procédure de la CIIEMG, créée il y a près de cinquante ans, M. Alain Richard a fait observer quelle permettait dévaluer les demandes dexportation dans un cadre interministériel et quelle portait sur les trois phases de prospection, de négociation et de vente. Il a également rappelé que le départ physique des armements depuis la France était soumis à contrôle.
Le Ministre de la Défense a ensuite mis laccent sur les enjeux économiques des exportations darmement. Il a indiqué que, pour lannée 1997, le montant des livraisons avait atteint 30,2 milliards de francs et celui des prises de commande 43,3 milliards de francs. Il a précisé quen 1996, les exportations avaient représenté une part élevée du chiffre daffaires de plusieurs grandes entreprises françaises : 45 % pour Thomson-CSF ; 46 % pour Aérospatiale ; près de 70 % pour Matra, pour des volumes certes inférieurs ; 19 % pour la DCN ; 52 % pour GIAT-Industries et 43 % pour Dassault Aviation.
Soulignant que 20 à 25 % des emplois du secteur des industries de défense étaient liés aux exportations, M. Alain Richard a rappelé que de nombreux grands programmes, tels que les programmes Mirage, Rafale, La Fayette ou Tigre, ne pouvaient être menés à bien sans perspectives dexportation en raison du coût de leur développement. Il a fait observer que cette dépendance à légard des exportations plaçait la France dans une situation spécifique, analogue à celle du Royaume-Uni, alors quaux Etats-Unis les exportations représentent seulement 10 à 15 % du chiffre daffaires des grandes entreprises.
Après avoir relevé limportance du rôle de lEtat pour la détermination du cadre politique des exportations darmement, M. Alain Richard a enfin souligné que ce rôle devait également sinscrire dans une relation de partenariat avec les industriels et de coopération politique et technologique avec les pays clients.
Remarquant que lUnion européenne navait adopté quun « code de conduite » en matière dexportation darmements et non un « code de bonne conduite », le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur la procédure de consultation prévue en cas dacceptation dun marché précédemment refusé par un autre Etat membre. Soulignant que la procédure devait rester confidentielle, il sest demandé si lengagement de ne pas en tirer davantages commerciaux ne sapparentait pas à un « voeu pieux ».
Le Ministre de la Défense a indiqué que le nouveau dispositif concernait principalement le Royaume-Uni et la France, lAllemagne obéissant déjà à un système dautorisations parlementaires qui na pas dailleurs évité certains dérapages de la part dentreprises privées, notamment dans une affaire dexportation de matériels susceptibles de permettre la production darmes chimiques. Il a précisé que, selon le code de conduite, un pays qui décidait de refuser une autorisation dexportation devait lannoncer aux autres Etats et que si lun deux décidait néanmoins de permettre une transaction globalement identique, il devait communiquer ses motifs aux pays qui avaient renoncé à cette vente. Il a estimé que ce mécanisme avait une valeur dissuasive certaine dans la mesure où il exposait lEtat qui choisirait dexporter malgré le refus dun autre Etat à un risque de controverses publiques sur sa politique de ventes darmes. Reconnaissant que des tricheries restaient possibles, le Ministre a relevé quelles comportaient le risque de scandales tels que celui que le Royaume-Uni vient de connaître à propos dune vente darmes à une faction armée du Sierra Leone.
Rappelant les trois autorisations successives que requiert la procédure suivie devant la CIEEMG pour la prospection, la négociation puis la vente et faisant valoir la gêne que pouvait constituer pour les industriels lobligation dobtenir une autorisation pour la seule action commerciale de prospection, M. René Galy-Dejean a demandé si le commerce de certaines armes, ou avec certains pays, ne pouvait pas être dispensé de cette première autorisation.
Evoquant ensuite le plan que le précédent Ministre de la Défense avait présenté à lAssemblée nationale lannée dernière pour encourager les exportations darmements et le qualifiant de plan de combat très innovant, il sest interrogé sur ce quil en était advenu et si le Gouvernement en avait retenu une partie, voire lavait fait sien.
Il a ensuite demandé si les services du ministère des Finances avaient affiné leurs méthodes danalyse des risques à lexportation en vue de leur couverture. Il a à ce propos cité lexemple de certains pays jugés trop pauvres pour quon fasse bénéficier leurs contrats darmement de la garantie de lEtat alors que lexpérience montrait quils réglaient toujours ponctuellement leurs achats de matériel militaire.
Enfin, évoquant un cas où une importante commande darmement en suspens sétait rapidement débloquée après quune décision eut été prise sur les conditions de la présence en France de certains ressortissants du pays acheteur, il a demandé quelle cohérence pouvait être établie entre les exportations de matériels de défense et les autres aspects de la politique suivie à légard des Etats qui sen portent acquéreurs.
Sinquiétant des évolutions de long terme, M. Jean-Claude Sandrier a demandé si les données relatives au volume du marché mondial des armements et à la part de lexportation dans le chiffre daffaires des entreprises de défense étaient disponibles pour la période des dix années écoulées et, symétriquement, sil existait des études prospectives sur létat du marché des exportations darmement dans dix ans. Evoquant ensuite les programmes en coopération et notamment le VBCI, il sest déclaré préoccupé du risque que leur développement, imposé par laggravation de la concurrence, conduise à la fabrication déquipements qui ne répondraient pas tout à fait aux besoins exprimés par les armées.
M. Georges Lemoine a demandé quels étaient les produits français qui avaient le plus de succès à lexportation.
Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :
la suppression de lautorisation pour la phase de prospection des exportations déquipement les moins sensibles est à létude ; il importe toutefois de tenir compte de la situation sensible et conflictuelle de certaines zones, où de simples actions de prospection peuvent suffire à soulever de graves difficultés politiques ;
certaines des mesures daide à lexportation élaborées par le Gouvernement précédent sont appliquées par le Gouvernement actuel et mobilisent dimportants moyens humains au sein des Etats-majors et de la DGA qui sefforcent de développer leur partenariat avec les entreprises pour soutenir la présence de ces dernières à létranger ;
le travail dévaluation fait par les services du ministère des Finances pour lassurance des contrats dexportation nopère pas de distinction fondamentale entre les transactions civiles et militaires, et il nappartient pas au Gouvernement détablir un double barème pour tenir compte de la propension de certains Etats à mieux tenir leurs engagements en matière militaire quen matière civile ;
des actions daccompagnement peuvent être menées par le Gouvernement à lappui dune opération dexportation lorsquelles sont conformes à sa politique étrangère et aux principes généraux de son action ; mais le Gouvernement nenvisage pas dinfléchir sa politique ou de manquer à ses principes pour obtenir un marché ;
sagissant des études prospectives, il convient de distinguer le court et le long terme. Pour établir des prévisions à court terme, la DGA réunit des séries de contrats et leur affecte un coefficient de réussite. La prévision est cependant dautant moins sûre que les contrats ont une valeur unitaire élevée et quils présentent un caractère exceptionnel. La prospective à long terme implique, quant à elle, une réflexion densemble sur lévolution des conditions stratégiques et économiques. Deux facteurs sont donc à prendre en compte pour évaluer la croissance des marchés darmement : le développement économique et la « conflictualité » de la région considérée. Il apparaît toutefois que le premier de ces facteurs tend à lemporter sur le second comme en Asie, où la croissance a conduit à la hausse des budgets de défense alors que la conflictualité a plutôt diminué, ou encore au Moyen-Orient, où la baisse des PNB liée à lévolution des prix du pétrole a provoqué une certaine restriction des marchés darmements bien que la conflictualité reste forte ;
le lancement de programmes en coopération entre des partenaires disposant dune industrie darmement établie donne lieu dabord à des échanges difficiles, chacun tenant à ses traditions et considérant quelles correspondent au meilleur choix militaire. Le programme de frégate Horizon en est un bon exemple. Il nen reste pas moins quen face de la concentration de lindustrie américaine, les pays européens ne pourront maintenir chacun un marché national indépendant. Ils sont donc de plus en plus contraints au choix de la coopération, dailleurs souvent justifié par des politiques de défense aux objectifs convergents.
Le Président Paul Quilès a alors abordé la question des opérations extérieures. Il a dabord exposé que des décisions importantes concernant la force de stabilisation en Bosnie-Herzégovine venaient dêtre prises par lOTAN et lONU, aux termes desquelles celle-ci était maintenue jusquen décembre 1998, date après laquelle elle ferait lobjet dun réexamen régulier à intervalle de six mois. Il a également noté que la force de stabilisation disposerait de moyens renforcés pour soutenir les autorités locales face aux désordres civils. Evoquant ensuite les risques de déstabilisation quentraînerait la poursuite de la guerre civile au Kosovo, il a rappelé que le Ministre de la Défense avait déclaré, à lissue de la dernière réunion du Conseil des Ministres de la Défense de lOTAN, que lAlliance avait fait étudier une gamme très étendue de mesures militaires propres à concourir à la stabilité régionale et à contribuer, en appui des mesures de pression diplomatique, au règlement de la crise. Il a également souligné quun débat sétait instauré entre les Etats-Unis et les autres alliés sur la base juridique dune éventuelle intervention militaire, les récentes déclarations de responsables américains et en particulier du Ministre de la Défense des Etats-Unis faisant ressortir que, pour ce pays, lapprobation du recours à la force par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne serait plus la condition indispensable dune intervention dimposition de la paix. Il a alors demandé au Ministre quel jugement il portait sur cette tendance de certains Etats, et en particulier des Etats-Unis, à vouloir saffranchir des contraintes du mandat du Conseil de sécurité, ajoutant quil en comprenait certaines motivations mais quil la considérait comme dangereuse pour lavenir.
Evoquant dabord la situation en Bosnie-Herzégovine, le Ministre de la Défense a souligné quen dépit des réticences dont font preuve les communautés et de progrès encore insuffisants dans la mise en oeuvre du plan de paix, il convenait de souligner lamélioration considérable de la situation depuis la signature des accords de Dayton, les affrontements armés ayant cessé. Il a néanmoins indiqué que les tâches restant à accomplir pour parvenir à la construction dune Bosnie-Herzégovine où les communautés coopéreraient entre elles justifiaient le maintien dune force dintervention extérieure. Il a précisé quun accord prévoyant le maintien dune force de volume identique avait été conclu entre les pays participants et ajouté que les missions de cette force seraient davantage orientées vers le soutien aux actions civiles. Il a rappelé que la création dune force de police internationale avait constitué un point dachoppement du débat entre alliés, la France, sans marquer à cet égard dopposition de principe, y étant hostile dans le cas particulier de la Bosnie-Herzégovine où stationnent depuis six ans des troupes envoyées par la communauté internationale et pour laquelle un règlement politique est intervenu depuis trois ans. Il a relevé quil aurait été quelque peu contradictoire de constater lamélioration de la situation et de mettre simultanément en place une force de police internationale. Il a précisé quun compromis était intervenu, prévoyant que les contingents étrangers assureraient une mission dordre public, sous le contrôle du commandant de la SFOR, les missions de police judiciaire restant entre les mains des autorités locales. M. Alain Richard a, à ce propos, fait part du faible enthousiasme des différents pays concernés pour participer à cette force spéciale, dont le commandement serait assuré par lItalie, et souligné que, quant à elle, la Gendarmerie française, déjà très sollicitée sur de nombreux théâtres dintervention, ne pouvait assurer, en supplément de ses tâches actuelles, quune mission de formation des forces de police locales.
Faisant état des échéances à venir, M. Alain Richard a fait ressortir limportance de lenjeu que représentent les élections de septembre prochain qui doivent permettre à des hommes politiques moins engagés dans les conflits du passé de participer au pouvoir. Parmi les tâches à accomplir dans les mois à venir, il a également cité la réinstallation des réfugiés qui avaient fui leur pays et la poursuite du plan de capture des personnes inculpées pour crime de guerre. Le Ministre a à cet égard précisé que la moitié de ces personnes avait déjà été transférée à La Haye pour y être jugées.
Abordant ensuite lanalyse de la situation au Kosovo, quil a qualifiée de préoccupante, le Ministre de la Défense a souligné le caractère injustifiable du comportement de la police et de larmée serbes, qui multiplient, à lencontre de la population civile dorigine albanaise, des exactions sans commune mesure avec les actes de terrorisme subis par les personnes dorigine serbe. M. Alain Richard a déploré que M. Milosevic ait engagé une vaste opération de répression brutale, alors même que des discussions politiques samorçaient et a estimé qualors que M. Rugova, le représentant des Albanais du Kosovo refusant loption de la violence, avait assumé les risques inhérents à la négociation, M. Slobodan Milosevic avait gravement compromis par son action les faibles chances de paix.
M. Alain Richard a indiqué que les diplomaties occidentales se donnaient néanmoins pour objectif de faire pression sur M. Milosevic afin de rétablir les conditions propices à la négociation et que la France sefforçait de préserver la cohésion entre Européens en jouant un rôle actif au sein du groupe de contact afin dencadrer et de limiter la crise. Il a rappelé que, face au comportement de M. Milosevic dont ils avaient déjà lexpérience, les pays occidentaux avaient demandé à lAlliance atlantique de planifier un schéma de riposte possible, que cette planification avait été mise à létude et examinée par les Ministres de la Défense de lOTAN la semaine dernière. Le Ministre de la Défense a toutefois fait observer quil ne pouvait être question dune mise en oeuvre précipitée de ce plan, apparemment souhaitée par certains alliés de la France. Il a présenté ensuite la gamme des mesures envisagées, allant du soutien à laction humanitaire à lintervention dune force armée sur le sol du Kosovo, en passant par le contrôle de lespace aérien, le déclenchement de frappes aériennes et linterdiction pour les armements lourds serbes deffectuer des mouvements au sol. Il a souligné que ce plan, loin dêtre un projet descalade, représentait un message de fermeté indiquant à M. Milosevic les conditions du retour à une négociation sur lautonomie du Kosovo, sans lequel il ne peut y avoir de rétablissement dune situation de paix.
M. Alain Richard a estimé que si la parole devait rester à la diplomatie et si les contacts entre MM. Eltsine et Milosevic avaient produit certains résultats, les propositions du dirigeant serbe restaient insuffisantes et justifiaient le maintien de la pression occidentale.
Il a enfin fait observer quun éventuel recours à la force ne pourrait être autorisé que par le Conseil de sécurité de lONU. Tout en relevant que certaines déclarations américaines récentes nallaient pas dans ce sens, le Ministre de la Défense a estimé que la position des Etats-Unis ne pouvait être considérée comme définitivement arrêtée. Il a néanmoins indiqué que si, dans lhypothèse de la poursuite de loffensive serbe, la Russie bloquait les décisions nécessaires au sein du Conseil de lONU et ne se ralliait pas au projet de résolution présenté par le Royaume-Uni pour autoriser lusage de la force, elle risquait de donner raison à ceux qui préconisent une action unilatérale de lOTAN.
Le Président Paul Quilès a fait valoir que la mention de « base juridique pertinente », figurant dans la récente déclaration du Conseil des Ministres de la Défense de lOTAN relative au Kosovo, avait dû être longtemps méditée et quelle reflétait de sensibles divergences entre alliés. Il a remarqué quil paraissait difficile dinvoquer, à lappui dune intervention unilatérale de lOTAN larticle 51 de la Charte des Nations Unies relatif à la légitime défense.
M. Alain Richard a signalé que certains pays alliés étaient à la recherche dune base juridique autre que celle dun mandat du Conseil de sécurité pour une intervention de lOTAN au Kosovo. Il a par ailleurs estimé que lOSCE nétait pas en mesure dautoriser les mesures nécessaires au rétablissement de la paix en cas daggravation de la crise.
Evoquant le mandat de la SFOR et la mission que la Commission de la Défense avait effectuée le mois dernier en Bosnie-Herzégovine, M. François Lamy a regretté que les forces présentes sur le terrain soient dans lincapacité dassurer la sécurité des réfugiés et des déplacés en ex-Yougoslavie et a émis la crainte quune partition de fait sinstalle de manière irréversible. Il sest également interrogé sur la notion daffaires civilo-militaires en en relevant limportance pour la stabilisation politique et économique des pays concernés.
Le Ministre de la Défense a indiqué que, selon lui, une partition de fait existait et que la question était de savoir si elle pouvait être rendue irréversible par limpossibilité du retour des réfugiés. Faisant référence à des rencontres récentes avec la présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine, il a fait état dun certain raidissement dans lapplication des règles de cohabitation. Il a en revanche noté que lévolution de la Republika srpska devait être prise en compte dans la mesure où son gouvernement actuel représentait une alternative crédible aux extrémistes. Il a à ce propos souligné que lenjeu des prochaines élections était de favoriser une relève politique capable de dépasser les crispations actuelles.
M. Alain Richard a ensuite fait état dexpériences positives de retour des réfugiés. Mais il a également déclaré quil fallait éviter de créer les conditions dun durcissement des positions à lapproche des élections législatives.
Il a enfin souligné que les affaires civilo-militaires supposaient une coopération entre de nombreux partenaires et en particulier entre la Défense et les autres ministères intéressés, notamment ceux de la Justice et de lIntérieur. Soulignant que les réservistes américains apportaient une contribution significative aux projets de reconstruction, il a indiqué que le projet de loi sur les réserves, qui sera présenté au Parlement au cours de la prochaine session, fournirait loccasion dune nouvelle réflexion à ce sujet.
fpfp
Information relative à la Commission
La Commission a désigné M. Robert Gaïa rapporteur pour avis sur les projets de loi, adoptés par le Sénat, autorisant la ratification du protocole II dinterdiction des mines et pièges, annexé à la Convention de Genève (n° 29) et de la Convention dOttawa sur linterdiction des mines antipersonnel (n° 964).
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