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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 19 janvier 1999
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE

 

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— Echange de vues avec une délégation de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes du Royaume-Uni 2


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La Commission de la Défense a procédé à un échange de vues avec une délégation de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes du Royaume-Uni, conduite par son Président, M. Bruce George.

Après avoir accueilli la délégation de la Commission de la Défense de la Chambre des communes, le Président Paul Quilès a remarqué en premier lieu que le gouvernement britannique venait d’achever un réexamen approfondi de sa politique de défense (strategic defence review). Il a précisé que la Commission de la Défense de la Chambre des Communes avait récemment consacré un rapport à ce réexamen. Il a ensuite constaté une convergence des deux politiques de défense, la programmation militaire, qui vient d’être ajustée par la revue de programme, comme la strategic defence review, mettant l’accent sur la capacité de réaction rapide en cas de crise et sur la coopération interarmées au sein des forces, tout en maintenant une dissuasion nucléaire adaptée aux nouveaux risques. Il a également souligné que les deux forces armées devaient répondre aux mêmes exigences de flexibilité, de projection et de mobilité.

Il a alors observé que la strategic defence review n’entraînait pas de réduction majeure en pouvoir d’achat du budget de la Défense britannique, qui s’établissait à actuellement à 22,24 milliards de livres, et qui devait passer pour l’exercice 2001-2002 à 23  milliards de livres en termes nominaux. Il s’agit de montants un peu supérieurs à ceux du budget français mais du même ordre de grandeur, puisqu’ils représentent entre 205 et 210 milliards de francs. La nécessité de répondre aux nouveaux risques créés par l’instabilité de l’environnement international ne permet pas de réduire le budget de la Défense au-delà des économies déjà réalisées. Il n’en reste pas moins que, dans les deux pays, les budgets de la Défense subissent une contrainte financière sévère qui oblige à des efforts constants de rationalisation de l’outil industriel et d’amélioration des procédures d’acquisition des équipements.

Le Président Paul Quilès a ensuite évoqué les perspectives nouvelles de coopération entre la France et le Royaume-Uni dans le domaine de la défense et de la sécurité. Il a rappelé que le Premier ministre britannique, M. Tony Blair, avait récemment déclaré devant l’Assemblée de l’Atlantique Nord qu’il était inacceptable que la voix de l’Europe se fasse aussi peu entendre et de manière aussi peu efficace, étant donné le poids économique collectif des pays européens et leurs intérêts stratégiques communs. Soulignant que M. Tony Blair avait demandé que l’Europe devienne capable de parler d’une seule voix sur les principaux problèmes internationaux et se donne les moyens de mener, seule si nécessaire, des interventions militaires efficaces, il a exprimé son accord avec cette orientation.

Il a alors rappelé les principaux termes de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, signée le 4 décembre dernier : « l’Union doit avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales. (...) Pour pouvoir prendre des décisions et, lorsque l’Alliance en tant que telle n’est pas engagée, pour approuver des actions militaires, l’Union européenne doit être dotée de structures appropriées. Elle doit également disposer d’une capacité d’évaluation des situations, de sources de renseignement, et d’une capacité de planification stratégique. (....) A cet égard, l’Union européenne devra pouvoir recourir à des moyens militaires adaptés, moyens européens pré-identifiés au sein du pilier européen de l’OTAN, ou moyens nationaux et multinationaux extérieurs au cadre de l’OTAN. »

Après s’être félicité que les deux gouvernements réfléchissent en liaison avec leur partenaire allemand à la construction de l’Europe de la Défense, puisque, très prochainement, une réunion des ministres de la Défense et des Affaires étrangères des trois pays se tiendra pour en débattre, il a souligné que de difficiles questions restaient à trancher, notamment sur les rapports entre l’OTAN et l’Union européenne. Rappelant que l’UEO avait vocation à assurer l’interface entre l’OTAN et l’Union européenne aux termes des traités de Maastricht et d’Amsterdam, il s’est demandé s’il convenait de prévoir, comme le proposent les gouvernements allemand et français, une fusion de l’UEO et de l’Union européenne, ou l’inclusion dans le traité d’Union européenne d’une clause d’assistance militaire mutuelle calquée sur l’article 5 du traité de l’UEO. Il s’est interrogé sur la prise en compte, dans une telle démarche, de la situation spécifique des pays neutres.

Soulignant que les divergences actuelles entre la France et le Royaume-Uni ne portaient pas seulement sur les questions institutionnelles, mais aussi sur la définition collective par les Européens de leurs intérêts communs de sécurité, il a fait observer que la différence de réaction des deux pays face à l’attitude de l’Irak montrait à quel point ils étaient encore loin de partager une appréciation identique du degré d’urgence et de gravité des risques et une conception commune des moyens diplomatiques et militaires permettant d’y faire face.

Il a souhaité que la négociation actuellement en cours sur le nouveau concept stratégique de l’OTAN, suivie au sein de la Commission par un groupe de travail spécifique, permette de rapprocher les positions. Il a rappelé les préoccupations essentielles de la France : il ne saurait être question pour l’OTAN de s’autosaisir de toute crise survenant dans le monde ; les interventions de l’OTAN doivent rester subordonnées à la légalité internationale et demeurer sous l’autorité de l’ONU, comme le prévoit d’ailleurs l’article 7 du Traité de l’Atlantique Nord ; le champ d’intervention de l’OTAN, hors article 5, ne saurait être illimité, notamment du point de vue géographique ; l’OTAN a pour vocation première de contribuer à la sécurité de l’Europe et n’est pas destinée à servir d’outil militaire de projection partout dans le monde ; la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique constitue un domaine d’intérêt commun des alliés, mais il serait erroné de lui donner des réponses exclusivement militaires, la diplomatie restant en ce domaine l’instrument le mieux adapté ; enfin, le nouveau concept stratégique de l’OTAN, s’il doit maintenir le dialogue transatlantique parmi les fonctions de l’Alliance, ne saurait empêcher ou entraver la constitution d’une véritable identité européenne de défense, permettant à l’Europe d’agir sans les Etats-Unis et, si nécessaire, dans des structures spécifiques extérieures à l’OTAN.

Evoquant la reprise par British Aerospace de GEC Marconi, le Président Paul Quilès a conclu son intervention en soulignant la nécessité du rapprochement des industries européennes de défense pour faire face à une concurrence américaine accrue sur un marché des armements en faible expansion, voire en contraction.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, a fait observer que les députés britanniques éprouvaient des difficultés à obtenir du Gouvernement, notamment du ministère de la Défense, des informations de qualité, ce qui nécessitait l’élaboration, au sein des commissions permanentes spécialisées de la Chambre, de rapports détaillés sur des sujets revêtant un intérêt particulier. Il a précisé que la Commission qu’il préside élaborait un rapport sur les négociations relatives au nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, qui serait présenté avant le sommet de Washington en vue de contribuer à la formulation de la position britannique.

Indiquant que, tout en restant atlantistes, les Britanniques souhaitaient le développement d’une identité européenne de défense et de sécurité, il a souligné que la liberté d’expression dont bénéficient les parlementaires leur permettra d’exprimer un point de vue indépendant sur l’avenir de l’OTAN, son élargissement et le développement de la politique européenne de sécurité et de défense.

Après avoir indiqué que la Commission de la Défense de la Chambre des Communes avait déjà établi un rapport sur l’acquisition des matériels militaires et la politique industrielle dans le secteur de la défense, il a relevé que l’annonce du rapprochement entre British Aerospace et GEC Marconi montrait que les plus grands groupes industriels voyaient l’avenir dans leur collaboration et non plus dans leur concurrence. Il a ajouté qu’un tel rapprochement n’excluait aucune autre réorganisation, la survie des groupes européens de l’industrie d’armement rendant nécessaire leur rapide consolidation. Il a souligné que la fusion, aux Etats-Unis, de groupes comme Boeing et Mac Donnel Douglas donnait une idée de la concurrence qu’avaient à affronter les pays européens et que, si la France avait à jouer un rôle à part entière dans la restructuration de l’industrie d’armement européenne, aucun partenariat avec des entreprises américaines n’était cependant à exclure.

Le Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes a ajouté que les rapports établis par la Commission qu’il préside faisaient apparaître de nombreux points communs avec les travaux de son homologue de l’Assemblée nationale et qu’ils mettaient notamment en évidence la nécessité d’une meilleure adaptation des forces européennes. Il a, par ailleurs, estimé qu’au regard de la diminution des budgets militaires en Europe, il convenait de ne pas se fixer des ambitions supérieures aux ressources disponibles. Il a ensuite souligné que, dans le nouveau contexte né de la fin de la guerre froide, l’Europe devait trouver sa place tant au niveau de la construction d’une identité européenne de défense qu’en matière industrielle. Il a rappelé, à cet égard, que d’importantes concessions avaient été mutuellement consenties par les gouvernements français et britannique. Il a notamment relevé l’attitude enthousiaste de la Grande-Bretagne à l’égard de l’identité européenne de sécurité et de défense, qui représente une évolution fondamentale, même si elle ne doit pas se faire au détriment de l’OTAN. Il a rappelé qu’à l’époque, le Président Kennedy avait, s’agissant des relations des Etats-Unis avec une éventuelle défense européenne, émis le souhait que ces deux entités constituent deux piliers égaux au sein de l’Alliance Atlantique. Tout en admettant qu’une telle perspective était encore lointaine, le Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes a estimé que cet objectif ne pourrait être atteint qu’à condition d’adapter les ambitions aux ressources. Il a, à cet égard, noté qu’à budget militaire égal, les Etats-Unis assuraient une production d’armement supérieure à celle de l’Europe et qu’il convenait par conséquent que les Européens modifient leur façon de faire, dans leur propre intérêt comme dans celui de la Communauté atlantique.

Soulignant la diversité des sujets abordés et après avoir souhaité que cette rencontre marque le début d’un nouveau mode de collaboration entre les Commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et de la Chambre des Communes, M. Guy-Michel Chauveau a souhaité évoquer plus précisément la question de l’avenir de l’industrie aéronautique européenne. Il a rappelé que, depuis plus d’un an, un groupe de travail commun aux Commissions de la Défense et de la Production avait été mis en place pour étudier cette question. Evoquant la position française, fondée sur une logique industrielle de regroupement par métiers, il a fait observer que telle n’était pas la position de British Aerospace qui privilégiait une logique financière aux orientations et aux contours très flous, ainsi que les parlementaires français avaient pu le constater à l’occasion d’une visite auprès de plusieurs établissements de cette entreprise. Rappelant que, pour la France, la restructuration de l’industrie aéronautique par métiers au niveau européen était un préalable à d’éventuelles alliances transatlantiques, il a souhaité connaître la position des membres de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes sur ce sujet.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, a souhaité que les échanges d’informations et de documents soient plus systématiques entre les deux Commissions, évoquant même la possibilité de rencontres informelles entre celles-ci, en vue, notamment, de l’établissement de rapports communs.

Evoquant le rapport sur l’acquisition des matériels militaires et la politique industrielle dans le secteur de la défense publié par la Commission qu’il préside, il a noté le changement de mentalité très important de la part du gouvernement britannique et de British Aerospace, dont témoignait l’adhésion enthousiaste de cette société au projet de constitution d’un géant industriel européen dans le secteur aéronautique et spatial. Soulignant qu’il ne s’agirait plus de simples coopérations ad hoc, comme dans le cas du Tornado, mais de la constitution d’une entreprise européenne intégrée, il a noté combien British Aerospace avait su prendre la mesure des évolutions du secteur de la défense, marqué, tout particulièrement aux Etats-Unis, par de très importants regroupements. Après avoir observé que les regroupements industriels américains avaient bénéficié d’une impulsion décisive du Pentagone, il a ensuite relevé qu’il reviendrait aux actionnaires de British Aerospace, dès lors que le choix politique du regroupement industriel a été fait par l’Etat britannique, de réaliser le géant européen de l’industrie aéronautique et spatiale, avec la participation de la France si possible ou, dans un premier temps, sans elle. Sur ce point, il a mis en garde contre des retards trop importants, rappelant la rapidité avec laquelle la fusion entre Boeing et Mac Donnel Douglas avait eu lieu aux Etats-Unis. Il a relevé que le processus de rationalisation, dont l’objectif est de produire des matériels d’aussi bonne qualité que les Américains à des coûts compétitifs, était déjà largement engagé au Royaume-Uni. Arguant de l’efficacité de British Aerospace, il a estimé que les actionnaires de cette société n’accepteraient pas sa fusion avec une entreprise incapable de prendre les mêmes décisions difficiles que celles qu’elle avait prises pour accroître sa rentabilité. Il a jugé que, dans ces conditions, ni British Aerospace ni le gouvernement britannique ne pouvaient souhaiter un rapprochement avec une entreprise perçue comme le prolongement de l’Etat français. Il a émis le souhait que soient trouvées des solutions dans le délai le plus bref possible, soulignant que, plus les restructurations tardaient, plus les entreprises éprouveraient des difficultés à rester compétitives. Il s’est alors interrogé sur la position de la France quant au niveau de la participation de l’Etat dans le capital de la future société aéronautique et spatiale européenne.

M. René Galy-Dejean, soulignant que les propos de M. Bruce George étaient en parfaite adéquation avec la position qui avait été présentée par les dirigeants de British Aerospace aux membres de la Commission lors de leur déplacement en Grande-Bretagne, a comparé les relations franco-britanniques, notamment en matière industrielle, à des relations affectives. Il a rappelé que la liaison entre les deux pays était fondée sur des sentiments fraternels et chaleureux, qui s’étaient trouvés renforcés par l’annonce de M. Tony Blair selon laquelle la Grande-Bretagne achèterait désormais des Airbus. Il a toutefois souligné la déception de la France de se voir, peu de temps après, exclue des négociations bilatérales entre British Aerospace et Dasa. Ces négociations ne semblant pas trouver d’issue, le gouvernement britannique a favorisé un rapprochement entre British Aerospace et GEC Marconi, alors même que Thomson-CSF négociait les conditions d’une fusion avec cette dernière entreprise et que le gouvernement français s’était déclaré prêt à modifier considérablement la structure du capital de Thomson-CSF pour faciliter l’opération. Il s’est étonné du rapprochement qui venait d’être décidé par les deux entreprises britanniques, estimant qu’un partenariat entre GEC Marconi et Thomson-CSF avait plus de sens sur le plan industriel. Il a relevé en outre que, dans le programme de frégate Horizon, des incertitudes apparaissaient également quant à la volonté britannique de poursuivre la coopération tripartite entre la France, l’Italie et le Royaume-Uni, notamment pour la construction du système d’armement antiaérien. Cet exemple conduit également les Français à s’interroger sur les intentions réelles des Britanniques en ce qui concerne la construction d’une industrie européenne de défense.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, a souligné que les négociations avec les industriels français n’étaient pas toujours faciles et que ces derniers s’avéraient redoutables dans les pourparlers. Il a insisté sur les préoccupations propres aux industriels britanniques, qui sont conscients des comptes qu’ils doivent rendre à leurs actionnaires. Il a estimé que le rapprochement de British Aerospace et GEC Marconi pourrait être le prélude à d’autres partenariats industriels, auxquels l’industrie française pourrait à l’évidence être partie prenante, sous réserve que l’Etat diminue sa participation au capital des entreprises concernées, le niveau actuel de cette participation constituant un obstacle aux regroupements.

M. Crispin Blunt a précisé que le gouvernement britannique ne pouvait en aucun cas se substituer aux entreprises, ce qui explique l’indépendance des choix de British Airways dans la composition de sa flotte aérienne. Il s’est félicité que les gouvernements français, britannique et allemand aient pu s’accorder sur les modalités devant présider aux rapprochements industriels. Il a souligné que le partenariat entre British Aerospace et GEC Marconi constituait une étape importante d’un point de vue capitalistique qui ne saurait exclure, à ses yeux, la constitution future d’une grande entreprise européenne de défense à laquelle la France pourra participer, dès lors que sera résolue la question de la répartition du capital dans les entreprises françaises de défense concernées. Il a demandé si les Français considéraient que la construction de l’Europe de la défense devait rester du domaine de la coopération entre les gouvernements ou s’ils acceptaient qu’elle se situe dans le cadre des institutions de l’Union européenne. Il a souligné que l’émergence d’une politique de défense européenne dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune pouvait constituer un facteur d’intégration européenne, mais que son succès était subordonné aux rapprochements des politiques et des institutions nationales de défense et ne serait pas sans incidences sur les efforts budgétaires militaires des différents partenaires.

Le Président Paul Quilès a fait remarquer que les budgets de défense des différents pays européens enregistraient des baisses notables et qu’il convenait, dès lors, de se poser la question de savoir quel serait le niveau de dépenses militaires compatible avec la mise en œuvre d’une défense européenne indépendante des Etats-Unis. Il a souligné qu’en-deçà d’un certain effort budgétaire, l’édification d’une défense européenne perdrait son sens, ce qui traduirait une volonté politique de s’agréger à une alliance atlantique sous hégémonie américaine. Il a estimé que l’argument rebattu, selon lequel la présence de l’Etat dans le capital des entreprises françaises de défense empêchait tout regroupement européen, n’était pas recevable, d’autant que le Gouvernement français avait clairement annoncé son intention de diminuer sa participation et que des modifications de la répartition du capital des entreprises de défense avaient d’ores et déjà été opérées. Il a considéré que l’attitude des entreprises britanniques répondaient plus à des considérations financières qu’à des impératifs stratégiques politiques et a fait valoir que le secteur industriel de la défense ne pouvait, compte tenu de son particularisme, répondre aux mêmes exigences de gestion que d’autres secteurs industriels, dans la mesure où l’Etat-client, même non-actionnaire, investissait des sommes considérables dans les différents projets d’équipement militaire. Enfin, il a souhaité que, compte tenu de l’enjeu particulier que représentait la sécurité des Etats, l’hypocrisie soit absente des négociations portant sur l’avenir de l’industrie européenne de défense et que l’on reconnaisse clairement que les décisions fondamentales prises en ce domaine relevaient aussi de choix politiques et pas simplement du niveau attendu des dividendes.

Soulignant que l’industrie de défense ne pouvait méconnaître la logique d’entreprise et les déterminations financières, Mme Dari Taylor a reconnu que le rôle particulier d’employeur joué par l’Etat français lui imposait de conduire une politique de restructuration dans la durée, sous peine de se heurter à de sérieux conflits sociaux. Cette situation particulière que connaît la France est de nature à expliquer le manque de souplesse et de rapidité qui caractérise l’évolution de l’industrie française de défense et ses difficultés à conclure des partenariats internationaux.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, a insisté sur les risques que prendraient les entreprises françaises à rejoindre tardivement les rapprochements industriels en cours, soulignant que la France s’était d’elle-même exclue de certains programmes en coopération européenne, comme le Tornado ou l’Eurofighter, ce qui était de nature à expliquer ses difficultés actuelles. Il a fait valoir que l’Europe devrait négocier de futurs partenariats avec les Etats-Unis en position de force et non de division. Il a, à ce propos, souligné la volonté des industriels britanniques de participer à la création d’entreprises de défense européenne indépendantes des Etats-Unis. S’il a reconnu que l’Etat exerçait des responsabilités étendues en matière de défense, il n’en a pas moins considéré que les positions britanniques trouvaient leur justification dans le constat qu’une intervention publique excessive avait le plus souvent des conséquences dommageables et estimé que la présence d’un Etat actionnaire ne facilitait pas les alliances entre entreprises européennes.

Le Président Paul Quilès a fait état de son désaccord avec les analyses formulées, notamment quant au rôle de l’Etat. Il a estimé que, si en France le rôle industriel de l’Etat n’avait pas toujours été exempt de reproches, les grandes réussites technologiques de projets comme le TGV, la fusée Ariane ou le développement de l’électricité nucléaire, dans lesquels des entreprises privées ne se seraient pas engagées, devaient conduire à éviter de formuler des jugements hâtifs.

M. René Galy-Dejean a exprimé son désaccord avec l’idée que l’Etat français ait pris des participations industrielles hors de tout projet politique. Citant l’exemple du satellite Hélios I, lancé conjointement par la France et l’Allemagne malgré les pressions des Etats-Unis, il a fait remarquer qu’il y a quelque temps, ce satellite avait permis aux Français de démentir les informations américaines selon lesquelles l’Irak procédait à des mouvements de troupes justifiant une intervention, et donc de fonder le refus français de s’associer à des frappes aériennes si celles-ci étaient décidées.

M. Loïc Bouvard a estimé qu’à l’heure d’un tournant dans la construction politique de l’Europe, des projets de fusion entre des sociétés allemandes et britanniques, venant après l’annonce du rapprochement des bourses de Londres et de Francfort, ne pouvaient pas ne pas inquiéter les Français.

Il a insisté sur le fait que la construction de l’Europe supposait des relations serrées entre les trois pays, même si, dans un premier temps, c’est sur la base du lien franco-allemand qu’elle s’était effectuée. Il a fait valoir que, par rapport à cet objectif, les signes concernant le rapprochement entre les sociétés British Aerospace et Dasa étaient perturbateurs alors même que, dans l’Histoire, l’axe Londres-Berlin avait pu avoir la priorité sur l’axe Londres-Paris et que l’Allemagne était désormais une puissance forte de plus de 80 millions d’habitants au cœur de l’Europe.

C’est pourquoi il a souhaité que les rapprochements entre les trois pays s’effectuent sans qu’un lien soit privilégié par rapport à un autre.

Le Président Paul Quilès a demandé au Président et aux membres de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes quelle était leur interprétation de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et leur sentiment sur la conformité avec cette déclaration de l’intervention conjointe américano-britannique en Irak.

Jugeant qu’un groupe aéronaval était essentiel à la conduite d’opérations extérieures, et rappelant que la France ne disposait plus que d’un seul porte-avions alors même que la nécessité d’un second apparaissait à beaucoup, M. Charles Cova a demandé si, alors que le gouvernement britannique prévoyait désormais d’en construire deux, il pouvait être envisagé que les résultats des études menées pour leur fabrication soient communiqués aux Français, ou même que la construction ait lieu en commun.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, après avoir rappelé que, depuis les années soixante, la Grande-Bretagne ne disposait plus que de trois petits porte-aéronefs permettant d’utiliser des avions à décollage vertical, a exposé que cette force avait désormais été jugée insuffisante et qu’en conséquence il était envisagé l’achat ou la construction de trois porte-avions. Il a expliqué que c’était une affaire que la Commission de la Défense britannique suivait de très près, le coût élevé du programme pouvant susciter, au ministère des Finances, la tentation de le retarder.

Dans l’hypothèse où la France souhaiterait disposer d’une porte-avions supplémentaire, il s’est déclaré favorable à une collaboration si elle pouvait améliorer l’efficacité du projet, sachant que l’échéance des livraisons, fixée à 2012, ne pourrait pas souffrir le moindre retard.

Il a estimé que la même collaboration pouvait être envisagée en matière de sous-marins nucléaires, et qu’il faudrait reprendre le programme de frégates Horizon. Il a ajouté que, dans la mesure où tant le format de la flotte française que celui de la flotte britannique avaient été réduits, il n’y avait pas non plus de raison de ne pas envisager des collaborations opérationnelles.

Rappelant ensuite que les relations politiques et militaires entre l’Allemagne et la France étaient beaucoup plus étroites que celles entre la France et la Grande-Bretagne et que l’axe Paris-Bonn avait toujours été plus fort que l’axe Londres-Bonn, il a jugé que ce n’était pas une fusion entre British Aerospace et Dasa qui pouvait être de nature à remettre en cause ces relations.

S’agissant de la conformité de la décision britannique de participer aux frappes aériennes américaines sur l’Irak avec la déclaration de Saint-Malo, il a exposé que cette déclaration n’empêchait pas la Grande-Bretagne d’entreprendre des actions miliaires sans l’accord de la France. Il a estimé par ailleurs que la politique suivie par la France à l’égard de l’Irak pouvait avoir été inspirée par des intérêts spécifiques, d’ordre notamment économique.

De façon générale, le Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes a conclu que l’avenir des deux pays, la France et la Grande Bretagne, était lié et qu’il ne fallait pas laisser des divergences limitées empêcher la construction de l’Europe de la défense, notamment dans le secteur des industries d’armement.

Le Président Paul Quilès s’interrogeant sur les motifs prétendument mercantiles qui étaient prêtés à la décision française de ne pas intervenir contre l’Irak, M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, a répondu que la France était largement perçue comme ayant développé d’étroites relations économiques avec ce pays. Il a ajouté qu’on ne pouvait que constater la force des liens entre la France et l’Irak, par rapport à ceux qui pouvaient exister entre la Grande-Bretagne et l’Irak. Il a également souligné que la Grande-Bretagne ne pouvait pas subordonner sa politique aux analyses de la France.

Le Président Paul Quilès a estimé qu’il y avait là une opposition totale d’analyse. Il a soutenu que l’analyse française des conflits du Moyen-Orient n’était pas déterminée par des positions commerciales, mais qu’elle était avant tout de nature politique. Citant Montesquieu, pour qui la Grande-Bretagne avait la politique de son commerce et la France le commerce de sa politique, il a jugé que cette différence d’attitude avait pu être souvent observée, pour le malheur du commerce français. S’agissant de l’Irak, il a souligné qu’ayant été au Gouvernement au moment de la guerre du Golfe, il pouvait affirmer que la France y avait participé sans considération de nature commerciale. Il a également exposé que, si la France avait pris position contre les récentes frappes, c’est pour la seule raison qu’elle considérait qu’il s’agissait d’une erreur politique et militaire. Il a ajouté que l’analyse des conséquences de ces bombardements montrait que leurs résultats n’avaient permis d’atteindre aucun des objectifs qu’ils étaient destinés à servir.

M. Jean Michel a souligné qu’il ne s’étonnait pas des différences d’appréciation entre la France et la Grande-Bretagne, compte tenu de la tradition britannique de « préférer le grand large », selon les propos célèbres de Winston Churchill. Il a rappelé que la Grande-Bretagne avait longtemps conçu la Communauté européenne comme une zone de libre échange, n’impliquant aucun engagement fort de solidarité et d’indépendance à l’égard des Etats-Unis. Il a opposé cette attitude à celle des pays qui s’étaient engagés dans la création de la monnaie unique. Soulignant qu’il avait fallu attendre 1998 pour que la Grande-Bretagne annonce, pour la première fois, son intention d’acheter des avions Airbus, à la construction desquels elle était pourtant associée depuis plus de 20 ans, il a émis la crainte que les groupes industriels britanniques veuillent faire progresser les restructurations européennes dans le seul objectif d’en prendre le contrôle et, à terme, de nouer des partenariats avec les groupes américains, qui sont pourtant les seuls véritables concurrents des entreprises européennes.

Il a ensuite exprimé son accord avec l’opinion selon laquelle la décision de la Grande-Bretagne de participer aux frappes aériennes contre l’Irak était en contradiction avec les propos tenus au sommet de Saint-Malo par le Premier Ministre britannique, M. Tony Blair, et s’est interrogé sur la réalité de la volonté du Royaume-Uni de participer à la construction de l’Europe de la Défense. Enfin, il a considéré que l’existence d’un potentiel économique européen comparable à celui des Etats-Unis, le maintien en Europe d’un niveau suffisant de dépenses d’équipement militaire et la possession, avec l’euro, d’une monnaie capable de concurrencer le dollar offraient les bases d’une véritable identité européenne de défense et de sécurité. Il a souligné à cet égard la nécessité pour l’Europe d’assurer sa complète indépendance sans s’en remettre pour sa sécurité à un pays, même ami, extérieur au continent européen.

Soulignant qu’il était opposé à la décision du gouvernement britannique de participer aux frappes aériennes sur l’Irak, M. Harry Cohen a toutefois approuvé les propos de M. Bruce George relatifs à la prégnance des intérêts économiques dans le conflit irakien. Il a d’ailleurs fait observer que l’échange de vues entre les deux Commissions avait privilégié les questions économiques et qu’il convenait par conséquent de ne pas minorer cette dimension. Il a précisé que son opposition aux frappes sur l’Irak était liée à des raisons humanitaires et au souci de limiter le coût humain de la crise et ajouté que le souci humanitaire devrait également prévaloir s’agissant du Kossovo comme de la Bosnie Herzégovine. Il a estimé qu’en ce domaine existaient de larges possibilités d’actions communes.

Concernant les finalités de la construction européenne et le souci français d’indépendance à l’égard des Etats-Unis, il a rappelé que la position de la Grande-Bretagne était de maintenir toutes les options ouvertes et de prendre en compte les interdépendances économiques. S’agissant plus spécifiquement de la construction d’une Europe de la Défense, il a estimé que la décision britannique concernant l’Irak ne se situait pas dans la logique du processus organique initié à Saint-Malo. Il a, à cet égard, estimé nécessaire d’être patient quant à la concrétisation de ce processus.

M. Bruce George, Président de la Commission de la Défense de la Chambre des Communes, s’est félicité de la rencontre entre les deux commissions. Il a insisté sur l’apport positif qu’elle représentait pour les relations franco-britanniques et souligné l’intérêt que lui avaient accordé les participants. Il a fait observer que l’échange de vues avait surtout porté sur les points de divergence entre la France et la Grande-Bretagne, alors que prédominent les convergences d’approche entre les deux pays, notamment du fait des décisions très importantes prises récemment par le gouvernement britannique. Rappelant que géographiquement, la Grande-Bretagne était séparée du continent, il a souhaité que ses collègues français n’interprètent pas la lenteur de la Grande-Bretagne à adhérer à la construction européenne comme une volonté de prendre systématiquement ses distances. Il a ajouté que le ralliement de l’opinion publique à la nouvelle politique d’engagement en faveur de l’Europe prendrait également du temps. Il a précisé que la Grande-Bretagne n’avait toutefois pas l’intention d’exclure de l’équation les Américains, pour des raisons historiques, politiques et militaires. Il a donc jugé nécessaire que les Européens unissent leurs efforts pour discuter sur un pied d’égalité avec les Américains, que ce soit en matière de défense ou dans le domaine industriel. Il a enfin précisé que la Grande-Bretagne ne souhaitait pas exclure la France des rapprochements industriels, tout au contraire. S’agissant de l’Irak, il a reconnu qu’existaient des divergences, évoquant notamment les suspicions relatives à l’influence des intérêts commerciaux dans la gestion de la crise irakienne.

Le Président Paul Quilès, convenant que l’échange de vues avait essentiellement porté sur les points de divergence entre la France et la Grande-Bretagne, a toutefois souligné que, les rencontres entre les Commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et de la Chambre des Communes étant peu fréquentes, elles ne devaient pas s’apparenter à une cérémonie ni se limiter à des échanges diplomatiques, mais tout au contraire se dérouler en toute franchise. Il a souhaité que ces échanges de vues soient plus fréquents à l’avenir, avant de faire observer que la prédominance des questions économiques au cours de la discussion était largement liée à l’actualité. A cet égard, il a jugé intéressant de noter que les dernières rencontres entre les Commissions de la Défense de l’Assemblée nationale et de la Chambre des Communes avaient été marquées par des décisions économiques britanniques de grande portée, aujourd’hui le choix de British Aerospace par GEC de préférence à Thomson-CSF, la dernière fois celui de l’hélicoptère Apache au détriment du Tigre.

Il a toutefois considéré que les questions politiques n’en étaient pas moins fondamentales. S’agissant de la construction européenne, il a précisé que la France souhaitait qu’elle se fasse non pas contre les Américains, mais d’abord entre Européens. Abordant enfin la situation au Kossovo, il a rappelé que si les négociations avaient été menées par les Etats-Unis, les troupes envoyées sur place étaient européennes et que cette région était plus proche de Londres et de Paris que de Washington. Il a considéré, pour cette raison, que les Européens devraient affirmer leur capacité d’initiative dans des crises qui se déroulent à proximité de leurs frontières.

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Erratum au compte rendu n° 15

A la page 4 de ce compte rendu, au lieu de (M. Michel Voisin) « s’est étonné que l’on puisse assimiler les opérations de maintien de l’ordre de la Gendarmerie mobile dans les départements et territoires d’outre-mer à des opérations extérieures » lire (M. Michel Voisin) « s’est étonné que l’on puisse assimiler les opérations de maintien de l’ordre de la Gendarmerie mobile dans les départements et territoires d’outre-mer, qui font partie intégrante du territoire national, à des opérations extérieures »


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