
ASSEMBLÉE NATIONALE
COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES
COMPTE RENDU N° 20
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mercredi 10 février 1999
(Séance de 17 heures)
Présidence de M. Didier Boulaud, Vice-Président,
puis de M. Paul Quilès, Président
SOMMAIRE
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Présentation du rapport dinformation sur les relations entre la Nation et son armée
(M. Bernard Grasset, rapporteur)
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Information relative à la Commission
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M. Bernard Grasset, rapporteur, a présenté à la Commission son rapport dinformation sur les relations entre les armées et la Nation.
M. Bernard Grasset a tout dabord précisé quil avait retenu les termes de « relations entre la Nation et son armée » pour définir lobjet de son rapport. Il a ensuite indiqué quil avait, pour la préparation de ce rapport, rencontré de nombreux militaires dont beaucoup servaient avec enthousiasme dans des unités opérationnelles. Il a alors présenté les termes de la problématique qui avaient guidé ses réflexions : la professionnalisation des armées et son corollaire, la suppression du service militaire, ont-elles pour conséquence inéluctable la disparition du lien entre la Nation et son armée ? La Nation se désintéressera-t-elle dune armée moins présente sur le territoire, en raison de la dimension de son format, et qui ne serait plus irriguée par le flux des conscrits, mais aussi apparemment moins utile compte tenu de la disparition dune menace géographiquement précisée ? Si larmée venait alors à être coupée du reste du pays, ne risquerait-elle pas de se refermer sur elle-même ? En réponse à ces questions, M. Bernard Grasset entend proposer une série de propositions simples et pragmatiques, susceptibles, sinon de refonder, du moins dentretenir le lien nécessaire entre la Nation et son armée.
Il a estimé quaujourdhui lexpression « Armée-Nation » avait fini par être galvaudée après avoir fait partie, avec la dissuasion nucléaire, des thèmes essentiels de la réflexion stratégique. Pourtant, les interrogations sur le lien de la Nation avec son armée ont, pour une part leur origine dans la dissuasion nucléaire. Avec lapparition de cette dernière, la défense des intérêts vitaux des pays nétait plus le fait de la Nation en armes. Il a souligné que les soldats de Valmy étaient des professionnels et des militaires, et non des conscrits, et que lidée de Nation en armes na connu son âge dor quau cours de la première guerre mondiale. Dès 1945, malgré lamalgame réalisé par le Général de Lattre de Tassigny entre les combattants dAfrique du Nord et les maquisards, la guerre froide, la décolonisation, les conflits dIndochine et dAlgérie ont profondément transformé la perception quavait la population française de son armée.
Evoquant la rupture géostratégique provoquée par effondrement de lURSS et la disparition de lennemi désigné, M. Bernard Grasset a estimé quelle permettait de comprendre la décision du Président de la République de professionnaliser les armées. Cette mesure aura pour conséquence une raréfaction de la proportion de citoyens ayant été en contact direct avec linstitution militaire, ce qui pose avec une acuité accrue la question de lévolution des relations entre la Nation et son armée. Cette interrogation apparaît dautant plus pertinente que lévolution géostratégique pourrait entraîner une démobilisation de la vigilance du citoyen.
M. Bernard Grasset a considéré quil convenait de tout mettre en uvre pour que la Nation ne séloigne pas de son armée et que larmée ne séloigne pas de la Nation, précisant quil ne sagissait pas de maintenir un lien « Armée-Nation », qui serait celui de deux entités égales en poids et en légitimité, mais bien de conforter le lien nécessaire entre la Nation et son armée. Il a présenté plusieurs propositions concrètes à cette fin.
Les premières dentre elles ont pour objectif de rapprocher la Nation de son armée.
Ce rapprochement passe, notamment, par une meilleure connaissance de linstitution militaire par la population. A cet effet, il conviendra dassurer une meilleure formation scolaire et universitaire sur les questions de défense, de multiplier les contacts entre linstitution militaire et la population, en organisant de façon active des journées portes ouvertes, des visites damitié et une journée de la Défense et des forces armées, en accentuant la communication objective de défense, en refondant le devoir de mémoire.
Le rapprochement entre la Nation et son armée passe également par une meilleure insertion des militaires dans leur environnement civil ; à ce titre, il faudrait instaurer une structure mixte élus-militaires dans les villes où sont implantées des unités, pourvoir rapidement aux emplois civils vacants, recourir à lexternalisation de certaines tâches et développer des partenariats avec les acteurs économiques, sanitaires et sociaux des collectivités locales.
Enfin, il convient dinsister sur le lien entre Défense et citoyenneté, notamment par lorganisation, chaque année, dun débat au Parlement sur la politique de défense, de multiplier les déplacements délus dans les forces et daccueillir plus fréquemment des visites de militaires dans les institutions concourant à la vie démocratique, dinstituer une consultation systématique du Parlement sur les engagements de forces françaises en opérations extérieures et déviter le dessaisissement du Politique au profit des experts de défense.
M. Bernard Grasset a ensuite proposé une série de mesures visant à rapprocher larmée de la Nation.
Il a estimé quil convenait à cet effet dassurer une formation destinée aux militaires, qui soit ouverte sur la citoyenneté, en favorisant le recrutement de diplômés de luniversité dans les écoles dofficiers, en rénovant les préparations militaires, en accélérant la réforme des réserves, en créant une académie de défense, en introduisant des stages en entreprises ou dans les administrations dans la scolarité du Collège interarmées de défense, en maintenant dans de bonnes conditions le service militaire adapté et en renonçant au principe des compagnies tournantes dans les DOM-TOM.
Il sagit également de propager dans linstitution militaire des méthodes de fonctionnement sinspirant de celles de la société civile par un aménagement du droit dexpression des militaires, en favorisant le dialogue direct dans les unités, en développant la mobilité professionnelle entre civils et militaires et en accentuant la féminisation dans les armées.
Enfin, il paraît nécessaire de faciliter la réinsertion professionnelle des militaires à leur sortie dactivité, en appuyant laction des associations et réseaux danciens, en préparant la reconversion professionnelle des militaires en fin de contrat de courte durée et en favorisant limplantation des anciens militaires dans le bassin demploi de lunité.
En conclusion, M. Bernard Grasset a insisté sur limportance du lien entre la Nation et son armée, estimant quil convenait dêtre attentif à sa préservation même si, dans limmédiat, il nétait pas menacé. Il a également souligné quen veillant à ce que les valeurs républicaines demeurent solides, reconnues et défendues par nos concitoyens, le Politique pouvait donner à notre armée la certitude dêtre comprise, respectée et aimée.
Remerciant le rapporteur pour la qualité et lutilité de son travail, dont il a estimé que certains aspects restaient dailleurs à approfondir, le Président Paul Quilès sest félicité de la méthode de travail adoptée, fondée sur des témoignages et des propositions formulées par les acteurs de la défense eux-mêmes.
Après avoir à son tour remercié le rapporteur pour son effort de recherche et de proposition, ainsi que pour lanalyse exhaustive et intéressante quil avait proposée, M. René Galy-Dejean a jugé particulièrement utile la proposition dune journée portes ouvertes dans les infrastructures liées à la défense, évoquant notamment lintérêt quavait suscité dans le public la visite du porte-avions Clémenceau au moment de son retrait du service.
Sagissant de la coupure entre larmée et la Nation, née de la dissuasion nucléaire, il a jugé que ce constat était plus vrai aujourdhui que par le passé et souligné à cet égard que, dans le Livre Blanc sur la défense de 1972, la conscription était présentée comme partie prenante à la dissuasion. Le Livre Blanc sur la défense de 1994, en ne faisant plus figurer la dissuasion parmi les missions de la conscription, affaiblissait son lien avec la Nation. Il a jugé que ce problème était appelé à évoluer encore dans léventualité de la mise en place dune dissuasion concertée.
Il a ensuite interrogé le rapporteur sur le déroulement effectif, lefficacité et lutilité de la journée dappel de préparation à la défense et sest inquiété de la circonspection, voire de la grande réserve, des chefs détablissement et des enseignants à lencontre de lenseignement des principes de la défense.
Soulignant lampleur du sujet traité, M. Charles Cova a regretté que le rapporteur ait manqué de temps pour examiner la situation particulière de chacune des armées. Il a estimé quil y avait là une lacune à combler. Il a ensuite évoqué la journée dappel de préparation à la défense, rappelant lintérêt quelle suscitait parmi les jeunes, qui jugent insuffisante sa durée actuelle. Puis il a fait allusion à lintérêt quaurait eu, du point de vue sanitaire, linstauration dune visite médicale lors de cette journée. Sagissant de la question des compagnies tournantes, il sest déclaré en plein accord avec le rapporteur, jugeant que lenvoi de ces compagnies en opérations extérieures était un non-sens, alors que les troupes de marine et la Légion sont préparées à servir outre-mer. Il a enfin regretté que ne lui ait pas été donnée loccasion de faire part de son expérience à M. Bernard Grasset dans la confection de son rapport.
M. Georges Lemoine sest interrogé sur la composition des jurys des concours dentrée dans les écoles militaires, estimant quils étaient caractérisés par une trop grande permanence et quun renouvellement régulier de leurs membres serait souhaitable.
Il a, par ailleurs, souligné la dimension européenne de la problématique du lien entre les armées et la Nation. Il a considéré que cette articulation de notre système de défense dans un cadre international mériterait des développements particuliers.
Enfin, il sest fait lavocat du mécanisme des compagnies tournantes, moyen de permettre aux militaires français de découvrir concrètement létendue du territoire quils ont à charge de défendre.
M. André Vauchez a observé que la fin de la conscription était à lorigine des interrogations actuelles sur le lien entre larmée et la Nation. Remarquant que la seule existence de la conscription permettait à chaque citoyen de sinterroger sur lutilité de linstitution militaire, quand bien même il ny était pas assujetti, il sest demandé quelle image la Nation allait désormais conserver de son armée. Il sest inquiété de la difficulté, dans ces conditions nouvelles, de justifier lexistence et lexigence de crédits considérables pour la défense. Il a estimé que la légitimité des besoins des armées ne pouvait être comprise et reconnue que grâce à un travail éducatif réalisé dès ladolescence. Il a souligné à cet égard que le service public de lEducation nationale, plus encore que lappel de préparation à la défense, était le mieux à même de sensibiliser les plus jeunes aux problèmes stratégiques et de sécurité nationale.
Après avoir rappelé le caractère passionnant et passionnel du lien armée-Nation, M. Guy Teissier a regretté que le rapporteur nait pas assez insisté sur la question des réserves qui lui est apparue essentielle. Il a fait valoir que les cent mille personnes qui les composeraient, immergées tout à la fois dans la vie civile et la vie militaire, constitueraient un des meilleurs liens entre larmée et la Nation.
Il a également regretté que la vie associative nait pas été davantage mise en valeur, suggérant que des associations dofficiers et de sous-officiers délèguent certains de leurs membres dans les écoles pour favoriser lenseignement de défense. Il a ensuite insisté sur la nécessité de développer les liens entre larmée et les collectivités locales. Citant les exemples du 11ème Régiment de Cuirassiers, basé à Marseille, qui assure la logistique du semi-marathon Marseille-Cassis, ou des remises de fourragères organisées dans sa circonscription, il a invité larmée à multiplier les actions de communication comme les journées portes ouvertes ou laccueil des jeunes dans les casernes ou sur les navires.
Enfin, il sest déclaré en désaccord avec ceux de ses collègues opposés aux rotations dunités outre-mer ou dans les pays qui ont conclu des accords de coopération avec la France. Rappelant le rôle de creuset joué par larmée française, il sest opposé à la sélection des unités appelées à stationner hors de métropole et a rappelé la contribution au rayonnement de la France quapportent les unités basées dans les pays défavorisés.
M. Antoine Carré a regretté la brièveté de la durée de lappel de préparation à la défense. Faisant état de son souci de ne négliger aucun effort pour resserrer le lien entre larmée et la Nation, il a préconisé le développement des relations entre les unités et les collectivités locales, précisant quil convenait de préserver les moyens financiers mis à la disposition des formations militaires pour assurer ces relations. Il a insisté sur le rôle essentiel de lenseignement pour rapprocher larmée de la Nation et a regretté que le principe de la visite médicale lors de la journée dappel de préparation à la défense nait pas été retenu. Il a conclu en soulignant lintérêt du service militaire adapté qui permet aux jeunes gens issus de loutre-mer de pouvoir effectuer le service national dans leur collectivité.
Félicitant le rapporteur pour la qualité de son exposé, M. Robert Poujade a estimé que le débat sur le lien entre la Nation et son armée prenait aujourdhui un sens alors que, dans le système de la conscription, ce lien était une évidence théorique et que sa description sapparentait à une tautologie. Il a jugé que, dans un tel contexte, il convenait de ne pas répéter à linfini sur ce sujet les débats anciens, souvent superficiels, soulignant quaujourdhui, il sagissait pour la Nation dapprendre à connaître une armée qui ne lui était plus consubstantielle. Il a ajouté que ce nouveau débat devait être mené à partir de deux constatations : dune part, que le métier militaire était différent des autres, les militaires ayant la charge de défendre leurs compatriotes et de mourir pour eux, dautre part, que les militaires étaient aussi des hommes comme les autres, malgré leurs servitudes particulières. Il a ajouté que larmée devait, dans ce contexte, répondre aux trois exigences douverture, de transparence et de déontologie.
Sagissant des compagnies tournantes, il a mis en doute lopportunité de généraliser un tel système dans une armée faite pour la spécialisation, corollaire de la professionnalisation. Souhaitant nuancer les observations du rapporteur, il sest enfin déclaré frappé de la très bonne intégration des militaires dans leur ville daffectation et de leur connaissance de la vie et des procédures parlementaires.
M. Guy-Michel Chauveau a estimé que le premier tournant dans la relation entre les militaires et la Nation avait eu lieu en 1984-1985, lors de la publication du rapport sur la condition militaire qui avait vu, pour la première fois, les armées sexpliquer sur les problèmes de leur fonctionnement interne au même titre que dautres institutions. Il a jugé quune deuxième étape devait maintenant être franchie, même si chacun constatait les progrès considérables de limmersion des militaires dans le monde associatif ou dans le milieu sportif.
Après avoir souligné la profonde évolution des missions militaires, il a regretté que ce point ne donne pas véritablement lieu à débat. Il a à ce propos exprimé son étonnement sur labsence de présentation par les médias de la force dextraction en Macédoine et émis le vu que les enseignants trouvent, dans le cadre de leurs cours, loccasion de traiter des questions de sécurité dans les Balkans. Il a jugé quun plus grand intérêt des médias ou de lEducation nationale pour les questions de défense contribuerait au renforcement du lien entre la Nation et son armée.
Exprimant son accord avec les propos de M. Guy-Michel Chauveau, le Président Paul Quilès a constaté, pour le regretter, lapparent désintérêt du public à légard dune question dactualité aussi brûlante que la crise du Kosovo et fait remarquer que les médias accordent une place plus importante à ce sujet aux Etats-Unis quen France, ce qui peut paraître paradoxal. Il a estimé opportun que de telles questions soient évoquées dans les collèges et les lycées, lors des cours dhistoire notamment. Il a jugé que linstauration de débats sur les graves crises internationales au sein de lécole permettrait non seulement de former des citoyens, mais également de faire comprendre aux jeunes Français comment, pourquoi et dans quelles circonstances une nation pouvait prendre la décision, particulièrement grave, de participer à des opérations militaires. Il a estimé quabandonner une telle décision au seul pouvoir exécutif, voire à une seule personne en son sein, non seulement heurtait le sentiment démocratique, mais allait également à lencontre de lefficacité. Une décision aussi grave devrait être démocratiquement ratifiée. Il a ainsi souligné limportance de la question du lien entre larmée et la Nation, vers laquelle convergent des problématiques politiques de premier plan.
M. Robert Gaïa a réaffirmé le caractère primordial du rôle de lEducation nationale, estimant quelle devait prendre en charge, de manière institutionnelle, un enseignement de défense sur la base de programmes scolaires identiques et obligatoires pour tous. Il a ajouté que la possibilité dengagements courts (de 8 ans environ), doublée du mécanisme des compagnies dites tournantes (tous les 7-8 mois) avait pour conséquence dempêcher toute intégration locale des militaires et de leurs familles. Ce faisant, le lien entre larmée et la société, notamment dans les DOM-TOM, se trouve menacé.
M. Jean Briane a estimé que la seule IHEDN nétait pas en mesure de cultiver lesprit de défense. Il sest alors demandé si une partie de la solution ne résidait pas dans une pédagogie adaptée et progressive des questions de défense, commençant dès lenseignement élémentaire. Il a ajouté que cette suggestion valait aussi bien pour lensemble des questions touchant à la citoyenneté ou à la vie en société comme linstruction civique ou la connaissance des problèmes denvironnement.
Répondant aux différents intervenants, M. Bernard Grasset a souligné que lesprit de défense reposait désormais pour une large part sur léducation des futurs citoyens. Il a estimé que les enseignants ny étaient pas hostiles, pour peu que les choses soient présentées sous langle de lactualité. Il a par ailleurs reconnu la pertinence du débat sur les compagnies tournantes. Après avoir émis le vu dune meilleure communication des armées, il sest prononcé en particulier pour une plus grande liberté de parole des responsables militaires et a reconnu que la construction de lEurope de la défense modifiait les données du problème des relations entre larmée et la Nation. Même si les opérations extérieures des armées françaises sont bien perçues par lopinion publique, rien ne permet de considérer quil en serait de même au cas où un drame se produirait. Certes, lexpérience du Liban a montré que lopinion publique admet les risques encourus par son armée. Néanmoins, linternationalisation des crises et des conflits et la multiplication des interventions françaises pourraient, à terme, modifier cet état de fait. M. Bernard Grasset a enfin souhaité rendre hommage aux épouses dofficiers et de sous-officiers dont la vie professionnelle est souvent rendue difficile par la mobilité de leurs conjoints.
Après sêtre félicité de la qualité des propositions contenues dans le rapport, le Président Paul Quilès sest déclaré favorable à ce que la Commission en fasse le bilan avant la fin de lannée.
La Commission a alors autorisé la publication du rapport dinformation, conformément à larticle 145 du Règlement.
fpfp
Information relative à la Commission
La Commission a nommé M. Michel Dasseux, rapporteur sur le projet de loi, déposé au Sénat, portant organisation de la réserve militaire et du service de défense.
© Assemblée nationale
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