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COMPTE RENDU N° 21

(Application de l'article 46 du Règlement)

12/03/95

Mercredi 17 février 1999
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE



—  Examen de l’avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (n° 1365)

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—  Audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN


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La Commission a procédé à l’examen pour avis, sur le rapport de M. Guy-Michel Chauveau, du projet de loi autorisant la ratification du traité d’Amsterdam modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (n° 1365).

Le Président Paul Quilès, après avoir rappelé que le traité d’Amsterdam marquait quelques progrès dans la construction de l’Europe de la défense, a estimé que, pour modestes qu’ils puissent paraître, ces progrès témoignaient d’une dynamique nouvelle qui a récemment conduit, par exemple, à la déclaration franco-britannique de Saint-Malo ou à l’acceptation par les principaux pays européens de responsabilités importantes dans la formation d’une éventuelle force de paix au Kosovo.

Après avoir fait valoir que les modalités d’application des dispositions du traité d’Amsterdam concernant la sécurité permettraient de déterminer si l’Europe était capable d’assumer, de manière autonome, de plus grandes responsabilités pour sa défense, il a souligné que cette question était au cœur des préoccupations de la Commission et des réflexions qu’elle avait engagées à propos des négociations relatives au nouveau concept stratégique de l’OTAN.

M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur pour avis, a tout d’abord exposé qu’en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), entendue de façon générale, le traité d’Amsterdam comportait deux avancées par rapport au traité de Maastricht, d’abord une meilleure visibilité de cette politique, puisqu’elle sera désormais confiée à une institution identifiable, le Secrétaire général du Conseil, ensuite une meilleure systématisation, puisqu’elle obéira à des “stratégies communes ” que décidera le Conseil européen et qui serviront de cadre aux “ actions communes ” et aux “ positions  communes ” déjà instituées par le traité de Maastricht.

En ce qui concerne les dispositions en matière militaire, le rapporteur pour avis a estimé que si, au premier abord, le traité d’Amsterdam apparaissait plus volontariste que le traité de Maastricht, il s’agissait très largement là d’un effet d’annonce, aucune disposition positive d’intégration de la défense des pays membres de l’Union n’étant en fait prévue. Il a ajouté que le traité d’Amsterdam précisait que la politique de l’Union n’affectait ni le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, cette formule visant la dissuasion nucléaire, ni les obligations découlant du traité de l’Atlantique Nord pour les Etats membres qui considèrent que leur défense commune est actuellement réalisée dans le cadre de l’OTAN. Il a souligné que le traité ne comportait aucune disposition concernant la défense des actuels pays neutres membres de l’Union européenne, c’est-à-dire l’Irlande, la Suède, la Finlande et l’Autriche.

Il a conclu que le traité d’Amsterdam établissait clairement qu’il ne saurait avoir de conséquences sur les choix de méthodes ou d’alliances faits par les Etats membres pour l’organisation de leur défense et qu’en conséquence il n’établissait donc, pas plus que le traité de Maastricht, les principes d’une défense commune aux pays de l’Union européenne.

Le rapporteur pour avis a ajouté qu’il en était de même dans le domaine de coopération européenne en matière d’armement, qui était laissée à la liberté d’appréciation des Etats membres. Il a relevé que l’OCCAR (organisme conjoint de coopération en matière d’armement) n’était pas cité, alors qu’il représentait l’institution la plus prometteuse dans ce domaine, observant toutefois que son renforcement était récent.

M. Guy-Michel Chauveau a alors jugé qu’en matière militaire, la véritable nouveauté concernait l’attribution à l’Union d’une capacité d’action armée à l’appui des décisions qu’elle pouvait être amenée à prendre en matière de politique étrangère et de sécurité internationale, puisqu’étaient insérées dans le champ du traité d’Amsterdam les missions humanitaires d’évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions d’emploi de la force pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix.

Il a estimé que ces dispositions habilitaient l’Union à mener en son nom propre des actions allant jusqu’à l’envoi de forces de combat, les missions de rétablissement de la paix étant exercées pour l’essentiel en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Il a cependant considéré que, dans la mesure où les opérations d’évacuation de ressortissants sont, par définition, des opérations ponctuelles qui n’emportent aucune tentative d’influence de la force ainsi envoyée sur les événements qui se déroulent dans le pays concerné, et où les opérations de maintien ou de rétablissement de la paix requièrent un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, les prérogatives nouvelles ainsi conférées à l’Union restaient limitées, d’autant que ces missions faisaient déjà l’objet d’une politique européenne, dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale. Il a remarqué qu’il s’agissait en fait des “ missions de Petersberg ”, définies par la déclaration du même nom du Conseil des ministres de l’UEO du 19 juin 1992 et qu’en conséquence le traité d’Amsterdam pouvait s’analyser comme une simple opération de transfert vers l’Union européenne des missions militaires de sécurité autrefois consenties dans le cadre de l’UEO.

Le rapporteur pour avis a cependant insisté sur plusieurs éléments significatifs qui accompagnaient ce transfert. Il a d’abord fait remarquer que, alors que la déclaration de Petersberg concernait les seuls membres pleins de l’UEO, les nouvelles dispositions concernaient l’ensemble des membres de l’Union européenne, c’est-à-dire non seulement les dix Etats qui sont membres à part entière de l’UEO, mais aussi les cinq qui y sont observateurs. Il a conclu que ce ralliement des Etats neutres membres de l’Union européenne et du Danemark à la conduite collective des missions de Petersberg créait dans ce domaine, et pour la première fois, une possibilité d’unité d’action des pays de l’Union.

Il a ensuite exposé que si l’article J13 du Traité disposait que les décisions touchant à la défense étaient normalement prises par le Conseil à l’unanimité des suffrages exprimés, il prévoyait aussi qu’un Etat membre pouvait s’abstenir lors d’un vote tout en assortissant son abstention d’une déclaration formelle, et que dans ce cas, cet Etat, tout en n’étant pas tenu d’appliquer la décision, acceptait qu’elle engage l’Union. Il a estimé que l’instauration de ce principe d’“ abstention constructive ” était un élément de très bon augure pour la mise en œuvre des nouvelles dispositions en matière d’intervention militaire, et cité a contrario l’impossibilité de placer sous l’égide de l’UEO l’opération Alba, menée en Albanie au printemps 1997, du fait de l’absence de cette procédure.

Il a néanmoins précisé que, pour conserver un caractère représentatif aux décisions de l’Union européenne, le champ de l’abstention constructive avait été limité au tiers des voix pondérées au sein du Conseil.

Le rapporteur pour avis a alors abordé la question des relations entre l’Union européenne et l’UEO, le traité exposant très clairement que la partie de la PESC qui a trait à la défense devait passer par l’UEO.

Sur ce point, il a fait remarquer que la procédure d’abstention constructive n’existait toujours pas à l’UEO, mais fait valoir qu’il était peu vraisemblable qu’un Etat, après avoir accepté, en choisissant d’avoir recours à cette procédure, qu’une mesure soit décidée par l’Union européenne, s’empresse de la bloquer au stade de sa mise en oeuvre dans le cadre de l’UEO.

Il en a conclu qu’en matière de missions de Petersberg, le cadre réel des choix et des décisions serait désormais l’Union européenne, l’UEO devenant simplement l’organisme d’application de ces décisions.

Il a jugé que, même si le domaine d’action ainsi défini était limité, il s’agissait là d’une avancée sérieuse en matière d’identité européenne de sécurité et de défense.

A ce propos, il a rappelé que, depuis le début des années 1990, l’UEO avait progressivement renforcé ses capacités opérationnelles, en se dotant d’un centre d’analyse, d’un centre de renseignement satellitaire, d’un comité des chefs d’état-major, et en identifiant des “ FRUEO ”, forces européennes relevant de son autorité et prêtes à être utilisées pour des missions décidées par elle, mais souligné qu’elle avait été incapable de se doter de la capacité effective de prendre la décision d’employer ces forces. Il a fait valoir que, dans la mesure où l’UEO deviendrait l’organe d’application des décisions politico-militaires de l’Union européenne, il y avait là le début d’une réponse à la question de l’impuissance institutionnelle de l’Europe dans le domaine de la défense. Il a également estimé que c’était bien la direction qui était maintenant prise.

A l’appui de ses propos, il a cité deux déclarations du Conseil des ministres de l’UEO, celle du 22 juillet 1997 qui précise notamment que, pour mettre en oeuvre les décisions et les actions pour lesquelles l’Union a recours à l’UEO, cette dernière agira conformément aux orientations définies par le Conseil européen, et celle faite à Rome le 17 décembre 1998, aux termes de laquelle le renforcement des relations de l’UEO “ avec l’Union européenne permet d’adjoindre aux instruments politiques et économiques de l’Union les capacités politico-militaires de l’UEO pour gérer les crises (...) et où, pour la première fois, il est pris acte de la nouvelle organisation institutionnelle pour la mise en oeuvre de deux actions concrètes, en réponse à une demande faite par l’Union européenne, une mission d’assistance au déminage en Croatie et un recours au Centre satellitaire de l’UEO.

Il a également évoqué la déclaration franco-britannique de Saint-Malo, ainsi que celle faite par le ministre allemand des affaires étrangères le 6 février dernier dans le cadre de la conférence de Munich sur la sécurité, aux termes de laquelle l’Union européenne doit développer la capacité de gérer elle-même les crises, chaque fois qu’il existe un besoin d’action du point de vue européen.

En conclusion, estimant qu’en matière d’identité européenne de sécurité et de défense, le traité d’Amsterdam était un petit pas, mais un vrai pas, le rapporteur pour avis a souligné le caractère novateur pour l’Union européenne de ses dispositions. Il a ajouté qu’aujourd’hui, les instruments de la construction de l’identité européenne de sécurité et de défense (IESD) étaient effectivement disponibles et que leur mise en œuvre était désormais une affaire de volonté politique. Evoquant la question du Kosovo, il a souligné les progrès faits par l’Europe depuis les premiers combats en Bosnie-Herzégovine, puisque les pays européens du Groupe de contact avaient pu, grâce à leur action commune, favoriser de manière décisive la tenue de la conférence de Rambouillet.

Estimant que la Conférence de Rambouillet représentait un progrès considérable dans la recherche du règlement du conflit du Kosovo, M. René Galy-Dejean a demandé si le Rapporteur ou le Président disposaient d’informations relatives à une éventuelle intervention militaire de l’OTAN en cas d’échec des négociations.

Le Président Paul Quilès a d’abord souligné le caractère novateur de la démarche franco-britannique à l’origine de la conférence, faisant référence à la prééminence américaine au cours de la réunion de Dayton qui a mis un terme au conflit bosniaque. Il a ensuite rappelé que la priorité restait à la recherche d’une solution diplomatique mais qu’une action militaire de l’OTAN était inévitable en cas d’échec politique. Des frappes aériennes d’avertissement paraissent probables dans cette hypothèse pour maintenir la crédibilité de l’OTAN face au régime autoritaire de Belgrade. Mais ces frappes de sommation devront être suivies rapidement par une reprise de la démarche diplomatique, l’action militaire seule ne permettant pas d’aboutir à une solution.

M. Georges Lemoine s’est inquiété de l’attitude de la Russie, estimant qu’elle jouait de ses relations avec la Serbie pour affirmer son influence face à l’élargissement de l’OTAN et soulignant qu’une solution pacifique nécessitera son adhésion.

Le Président Paul Quilès a indiqué que l’OTAN était désormais prête à agir militairement au Kosovo. Il a estimé que la situation actuelle de la Russie l’empêcherait probablement d’adopter une attitude d’opposition radicale aux actions de l’OTAN, même si Moscou a visiblement peur que ne se crée au Kosovo une jurisprudence qui pourrait ultérieurement être appliquée ailleurs, voire sur son territoire même. Il a en outre indiqué qu’en cas de constitution d’une force de paix de l’OTAN au Kosovo, la Russie pourrait participer à ses états-majors et rappelé qu’il était envisagé de l’inviter au prochain sommet de l’Alliance à Washington.

M. René Galy-Dejean a ensuite interrogé le Président Paul Quilès sur une éventuelle action militaire terrestre au Kosovo.

Le Président Paul Quilès, après avoir souligné que les forces aériennes étaient prêtes à agir rapidement, a estimé qu’une action de déploiement de troupes terrestres pourrait demander, en revanche, un délai de plusieurs semaines, même si les préparatifs semblent bien avancés.

M. Georges Lemoine s’est inquiété de la situation des observateurs de l’OSCE, à la merci de représailles en cas de frappes aériennes de l’OTAN.

Le Président Paul Quilès a répondu que la nécessité de leur évacuation préalable semblait évidente. Il a précisé qu’elle devrait être extrêmement rapide, dans la mesure où elle donnerait un signal aux belligérants.

M. Bernard Grasset s’est interrogé sur la capacité de la force d’extraction à intervenir de la Macédoine, où elle est installée, et sur le caractère suffisant de sa dotation en hélicoptères.

M. Guy-Michel Chauveau a souligné que le relief montagneux du Kosovo ne faciliterait effectivement pas l’intervention éventuelle de la force d’extraction, celle-ci ne disposant que de quelques dizaines d’hélicoptères alors que le nombre d’observateurs à évacuer était d’environ 800.

Il a relevé que le regroupement des observateurs de l’OSCE en un même lieu pouvait faire partie de la “ gesticulation de crise ” au cours des négociations. Il a enfin noté que le problème d’éventuelles prises d’otages ne devait pas être sous-estimé, notamment à l’égard de l’opinion publique.

Le Président Paul Quilès a observé que les événements du Kosovo constituaient un cas d’application pratique du Traité d’Amsterdam, avant même la ratification de celui-ci.

La Commission de la défense a alors donné, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La Commission a ensuite entendu M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN.

Rappelant que l’actualisation du concept stratégique de l’Alliance atlantique avait été demandée en 1997, notamment à l’occasion du Sommet de Madrid, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que les réflexions des Alliés sur les questions liées à cette actualisation s’inscrivaient dans un processus continu, engagé dès le Sommet de Rome, en novembre 1991, et marqué par la prise de conscience des transformations de l’environnement stratégique, l’affirmation de nouvelles priorités, en particulier en matière de gestion de crises, et la prise en compte accrue de la dimension européenne de l’Alliance.

C’est au Sommet de Rome de 1991 qu’a été défini le concept stratégique actuellement en vigueur, structuré, à partir de l’analyse du nouvel environnement stratégique qui prévalait alors, autour de trois axes : le développement des formes de coopération de l’Alliance atlantique avec l’ensemble des Etats européens, les dispositifs militaires multinationaux et le consensus sur la dissuasion, la France s’associant aux développements politiques relatifs à cette dernière question. A l’occasion du Sommet de Bruxelles en 1994, on assiste à une montée en puissance du concept d’identité européenne de sécurité et de défense (IESD), et à l’approfondissement de la notion de pilier européen de l’Alliance, qui fait écho au traité sur l’Union européenne, dont certains paragraphes pertinents sont d’ailleurs intégralement repris dans la déclaration adoptée alors. Par ailleurs, les préoccupations des membres de l’Alliance se tournent, à ce moment, vers la constitution des groupes de forces interarmées multinationales (GFIM), vers le développement du Partenariat pour la paix ainsi que vers la lutte contre la prolifération nucléaire et balistique, un groupe de travail étant chargé de traiter cette dernière question. Quant au Sommet de Madrid qui s’est tenu en juillet 1997, s’il reprend à nouveau le thème de l’IESD, en intégrant les principes agréés à Berlin, en juin 1996, il est également consacré au lancement de l’élargissement de l’Alliance.

A l’issue de ce bref rappel historique, M. Jean-Claude Mallet a fait valoir que progressivement, s’était constituée une nouvelle forme d’organisation atlantique, plus ouverte, au moins dans les textes.

Il a ensuite exposé les principaux enjeux de la négociation actuelle, qui vise non seulement à enregistrer, dans un nouveau concept, l’ensemble des évolutions intervenues depuis 1991, mais également, en particulier aux yeux des Américains, à légitimer l’existence de l’Alliance atlantique pour le siècle prochain. Il a indiqué que le nouveau concept aborderait essentiellement quatre questions : l’évaluation des menaces et des risques, le rôle et les missions de l’Alliance, l’IESD et, enfin, les orientations générales de la politique de défense de l’OTAN en vue des futurs travaux de l’organisation sur la planification militaire.

S’agissant de l’évaluation des menaces et des risques, il a noté qu’au contraire de l’analyse faite en 1991, qui évoquait encore largement l’Union soviétique et considérait le maintien de l’équilibre stratégique en Europe comme l’une des fonctions essentielles de l’Alliance, l’accent était mis aujourd’hui, en ce qui concerne la Russie et les anciens membres du bloc soviétique, sur les différents instruments de coopération, que sont l’Acte fondamental entre l’OTAN et la Russie et le Partenariat pour la paix. Quant aux risques dont la diversité est aujourd’hui soulignée, les évolutions futures sont essentiellement abordées sous l’angle de la prolifération des armes de destruction massive, à laquelle les Etats-Unis portent une attention soutenue. Le Secrétaire général de la Défense nationale a noté à cet égard que, si la France approuvait la nécessité d’évaluer de manière précise les risques en matière nucléaire, balistique, biologique ou bactériologique, elle entendait, en revanche, éviter que les informations disponibles en ce domaine soient manipulées à des fins politiques et conduisent à donner à l’OTAN un rôle qui ne lui revient pas, compte tenu des régimes internationaux de contrôle existants.

S’agissant du débat sur le rôle de l’Alliance atlantique et la légitimité de ses actions qui dépasse le cadre strict des négociations sur le concept stratégique mais les influence néanmoins - M. Jean-Claude Mallet a observé que la question centrale était de savoir s’il fallait faire des missions de maintien de la paix et de gestion des crises une tâche fondamentale (core function), comme le souhaitent les Etats-Unis. Il a rappelé que, sur ce point, la position de la France était d’éviter tout amoindrissement du rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies dans l’encadrement et la légitimation des missions de maintien de la paix. Il a insisté, en outre, sur l’enjeu majeur que représentait la question du mandat, symbolique de la différence de conception des rapports internationaux opposant Européens et Américains. Il a rappelé que le Traité de Washington, en son article VII, faisait référence au rôle “ primordial ” du Conseil de sécurité des Nations Unies, d’ailleurs réaffirmé lors des Sommets de 1992 et 1994, les Alliés pouvant “ soutenir au cas par cas les opérations de maintien de la paix menées sous l’autorité du Conseil de sécurité ”. Il a fait valoir qu’aux yeux de beaucoup d’Européens, il était dangereux, voire impraticable, de fixer et de figer une “ doctrine des exceptions ” sur ce point, compte tenu de la cohérence de notre stratégie à l’égard de la Russie, d’une part, et, d’autre part, du risque de multiplication, dans le reste du monde, d’autosaisines d’autres alliances ou de puissances individuelles, sans référence à l’ONU.

S’agissant ensuite de l’IESD, le Secrétaire général de la Défense nationale a observé qu’elle occupait une part croissante des déclarations de l’Alliance depuis 1991 et que le souhait des autorités françaises était que le nouveau concept stratégique prenne en compte en ce domaine l’acquis de la PESC et du Traité d’Amsterdam. Il a fait remarquer à ce sujet que se posait le problème des Etats-membres de l’OTAN n’appartenant pas à l’Union européenne. Il a ajouté que les négociations sur le concept stratégique devraient également tenir compte de la déclaration de Saint-Malo, Britanniques, Allemands et Français souhaitant que le nouveau texte reflète les progrès en cours dans la constitution du pilier européen de l’Alliance. M. Jean-Claude Mallet a toutefois rappelé que, pour les Etats européens, les vraies échéances concernant l’Europe de la défense étaient le sommet européen de Cologne de juin prochain et, à plus long terme, la présidence française de l’Union européenne en l’an 2000. On ne pourrait faire du seul Sommet de Washington un test des progrès de l’Europe de la défense. Il a enfin fait observer que, dans le cadre des négociations sur l’IESD, il convenait à présent d’obtenir l’application des principes arrêtés en 1997 dans plusieurs dossiers, y compris la relation OTAN-UEO.

M. Jean-Claude Mallet a ensuite indiqué que les doctrines nucléaires ne faisaient pas l’objet de grands débats, le texte du concept stratégique actuel restant en ce domaine une base commune aux Alliés. Il a souligné que les initiatives américaines pour orienter les capacités de défense, notamment vers plus de mobilité, correspondaient sur le fond aux analyses françaises et aux décisions prises dans le cadre de la programmation militaire, de même qu’à la revue stratégique de défense effectuée par la Grande-Bretagne. Les autorités françaises appelaient cependant l’attention sur le risque que l’idée d’une modernisation des moyens militaires, préconisée par les Etats-Unis, ne vise à imposer à l’ensemble des Alliés “ une vision opérationnelle  commune ”, préalablement définie à Washington et, par le biais d’une “ culpabilisation ” des pays européens à l’égard de leur retard technologique supposé, ne favorise d’abord l’acquisition de produits américains.

En conclusion, il a souligné que la position française au sein de l’Alliance atlantique avait évolué depuis l’adoption du concept de 1991. Le ministre français de la Défense siège aux réunions du Conseil atlantique et du Partenariat pour la paix. Le Chef d’Etat-major des Armées siège aux sessions du Comité militaire de l’OTAN. La France participe aux GFIM, elle est présente en Bosnie-Herzégovine, dans le cadre de la SFOR, et en Macédoine, dans celui de la force d’extraction. Elle maintient strictement sa position de non participation à la structure militaire intégrée ni à la planification de défense. Sa politique consiste à accompagner les évolutions de l’Alliance, tout en maintenant sa spécificité et en privilégiant une approche pragmatique, mais vigilante sur la conception des équilibres internationaux.

Le Président Paul Quilès a évoqué l’état des réflexions du groupe de travail de la commission de la Défense sur le nouveau concept stratégique. Il a indiqué qu’il avait le sentiment qu’il restait une marge de négociation possible, qui conduirait à un texte moins ambitieux que prévu en raison des divergences d’appréciation entre Alliés. Après avoir fait remarquer que le débat sur la sécurité européenne se prolongerait au-delà du sommet de Washington, il a demandé si les conclusions du Livre blanc de 1994 sur la contribution de l’engagement militaire américain à la stabilité du continent restaient valables, quel pouvait être le niveau souhaitable de cet engagement et, plus généralement, s’il convenait de revoir les analyses stratégiques du Livre blanc.

M. Jean-Claude Mallet a souligné que, pour les membres européens de l’Alliance appartenant à l’organisation militaire intégrée, comme pour les candidats à l’élargissement, la présence américaine est un élément de stabilité et de sécurité en Europe. Les liens très étroits que ces pays européens entretiennent avec l’OTAN pour l’organisation de leur défense, et notamment pour les éléments de commandement auxquels ils sont liés de façon quasi organique, les empêchent de concevoir leur système de défense en dehors de l’Alliance atlantique. Quant à la France, elle continue, dans la situation stratégique actuelle, à miser sur le maintien d’un lien étroit entre l’Europe et les Etats-Unis. Les analyses du Livre blanc de 1994 sont marquées par le contexte de l’époque, mais elles ont été actualisées à deux reprises, en 1996 dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 et en avril 1998, au moment de la revue de programmes. Les principales conclusions du Livre blanc relatives aux grands enjeux stratégiques et à l’évolution des risques ne paraissent pas avoir perdu leur pertinence. Mais on ne peut exclure qu’une réflexion soit engagée à la demande des autorités françaises, par exemple lors de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire qui succédera à celle qui vient à échéance en 2002.

M. Jacques Baumel a souhaité savoir comment la négociation de l’accord-cadre entre l’UEO et l’OTAN s’intégrait dans les discussions relatives à la constitution de GFIM, “ séparables mais non séparés ”, et a souligné la difficulté d’un arrangement qui mettrait à la disposition des pays européens des moyens militaires spécifiques de l’Alliance de manière automatique, c’est-à-dire sans subordination à un accord des Etats-Unis.

M. Jean Briane s’est interrogé sur l’avenir institutionnel de l’UEO face à l’évolution de l’Alliance atlantique et à la construction d’un pilier européen de l’Alliance.

Le Secrétaire général de la Défense nationale a alors apporté les éléments de réponse suivants :

—  l’accord-cadre UEO/OTAN n’est toujours pas conclu et fait encore l’objet de discussions au sein d’un groupe de travail spécifique conjoint UEO-OTAN. L’objectif fixé par la France, en accord avec la Grande-Bretagne et l’Allemagne, est d’obtenir sa conclusion rapide ;

—  la difficulté d’organiser la mise à disposition automatique des moyens de l’Alliance provient essentiellement de la nécessité d’identifier au préalable ces moyens pour pouvoir les détacher. Il ne paraît pas concevable d’emprunter, sans leur accord, des moyens de l’Alliance fournis par les Etats-Unis. Mais les pays européens ont essentiellement besoin de structures de commandement, au sein desquelles les personnels européens et américains sont associés et où il est théoriquement possible, mais difficile en pratique, d’identifier des éléments détachables en vue de permettre leur mise à disposition automatique. Cette identification est actuellement en cours ;

—  les partenaires européens de la France, et notamment le Royaume-Uni, semblent d’accord pour créer une véritable capacité européenne détachable au sein de l’Alliance atlantique. Il sera nécessaire d’affirmer une volonté commune pour en disposer en pratique. Mais le choix a été fait de raisonner au cas par cas sur des exemples concrets avant toute théorisation ;

—  les travaux actuellement menés en matière de défense européenne portent sur la constitution d’une chaîne de décision politique et militaire dépendant du Conseil européen, comme prévu par le traité d’Amsterdam. On observe actuellement, de la part de l’Allemagne qui assure la présidence de l’UEO en même temps que celle de l’Union européenne, une volonté de progresser dans la constitution de l’IESD, en vue notamment du sommet européen de Cologne, avec l’entier soutien des responsables français.

M. Georges Lemoine a interrogé M. Jean-Claude Mallet sur la nature de la capacité autonome d’action en matière militaire dont pourrait disposer l’Union européenne. Par ailleurs, il s’est demandé quelle place le dialogue méditerranéen prenait dans la négociation sur le concept stratégique de l’OTAN.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué que la capacité autonome dont devait disposer l’Union européenne permettrait de donner au Conseil européen la possibilité d’apprécier des situations stratégiques évolutives, de connaître les options militaires disponibles pour faire face aux crises et d’assurer la conduite politico-stratégique des opérations. Réaffirmant ensuite l’importance du dialogue méditerranéen pour la sécurité de l’Europe, il a jugé que l’OTAN ne devait pas s’arroger en ce domaine un rôle excessif par rapport à d’autres processus déjà engagés, notamment par l’Union européenne et l’UEO.

M. Loïc Bouvard a souligné que l’idée de “ pilier européen ”, vouée à devenir une réalité à mesure que l’Europe politique se construit, conduira nécessairement à une OTAN à deux têtes, ce que Washington, qui souhaite continuer à discuter avec chacun des Etats membres séparément, ne semble pas prêt à accepter.

M. Paul Quilès a ajouté que l’évocation d’une OTAN au sein de laquelle les pays européens constitueraient un bloc (“ caucus ”) a suscité une certaine gêne de certains interlocuteurs américains du groupe de travail de la Commission sur le concept stratégique. Il s’est étonné que ce qui reste encore une simple éventualité provoque autant d’embarras de la part des négociateurs américains.

Evoquant la proposition, exposée récemment à Munich par M. Rudolf Scharping, Ministre allemand de la Défense, d’intégrer l’UEO dans l’Union européenne, M. Jacques Baumel s’est interrogé sur sa faisabilité, un tiers des membres de l’Union européenne étant neutre ou, du moins, peu enclin à accentuer leur effort de défense. Il a rappelé en outre que, si tous les membres de l’UEO sont membres de l’OTAN, tel n’était pas le cas de certains membres de l’Union européenne. Il s’est demandé quelles procédures seraient susceptibles, dans une telle configuration, de permettre de prendre des décisions en matière de défense au sein de l’Union européenne.

Revenant sur l’idée de “ pilier européen de l’OTAN ”, le Secrétaire général de la Défense nationale a rappelé que cette notion, ancienne, est réapparue officiellement lors du sommet des chefs d’Etats et de gouvernement de 1994 et donc avec le plein soutien de l’administration Clinton. Il a cependant ajouté qu’il n’y a plus été fait référence depuis, lors des sommets ultérieurs de l’organisation. Il a reconnu que la crainte américaine de l’émergence d’un “ caucus ” européen n’y était pas étrangère. Le Secrétaire général de la Défense nationale a estimé que c’était là négliger les perspectives de renforcement qu’une Europe, elle-même forte parce qu’unie, pouvait offrir à l’Alliance. La déclaration de Saint-Malo évoquait à nouveau, quant à elle, le “ pilier européen ” mais il ne fallait pas trop s’attacher au vocabulaire. Il a fait cependant observer que le projet de donner à l’Union européenne une dimension de défense pouvait se heurter à des réticences de la part des alliés européens qui n’en sont pas membres.

Il a en outre indiqué que, dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, les Etats-Unis tentaient de promouvoir un arsenal diversifié de moyens, allant de la protection NBC classique au système de défense antimissile. Il a d’ailleurs rappelé que l’accord récemment conclu en matière budgétaire entre le Président Clinton et le Congrès stimulerait sans doute les investissements américains dans ce domaine. Il a noté que la France, avec ses partenaires européens, adoptait sur ce sujet une conduite prudente, même s’il est vrai qu’elle avait, à l’instar de ses voisins, lancé des programmes pouvant avoir une certaine capacité antimissile. Il a ajouté qu’en tout état de cause, les Etats-Unis auraient des difficultés à imposer leurs choix technologiques à l’Allemagne ou au Royaume-Uni, étant donné les contraintes budgétaires qui pèsent sur ces pays. Il n’a cependant pas exclu que le débat rebondisse après le Sommet de Washington au vu des progrès américains en la matière.

Il a par ailleurs considéré que les partenaires de l’Union européenne, non membres de l’OTAN, pouvaient apparaître quelquefois comme des interlocuteurs de culture stratégique différente, mais qui apportaient une contribution utile et active aux débats relatifs à la sécurité. C’est ainsi par exemple que la Suède, en raison des capacités dont elle dispose dans le secteur de l’armement, a cosigné la lettre d’intention ministérielle de l’été 1998 sur les restructurations des industries de défense en Europe.

M. Jean-Claude Mallet a indiqué que les réflexions sur les mécanismes de décision à introduire au sein de l’Union européenne pour lui permettre d’accéder à une compétence de défense n’ont pas encore abouti. Plusieurs systèmes sont envisageables. Quelle que soit la solution envisagée, le Conseil européen gardera une fonction majeure.

Le Secrétaire général de la Défense nationale a estimé que, du point de vue français, il convenait, dans tous les cas, d’être prudent sur l’évolution institutionnelle de l’UEO et d’éviter toute suppression des dispositifs existants au sein de l’UEO avant que l’Union européenne n’ait été dotée de réelles capacités de décision et d’organisation.

M. Jean-Claude Mallet a enfin souligné la nécessité de préparer les échéances au-delà du sommet de Washington, dans la mesure où la crédibilité du pilier européen de l’Alliance n’aura de sens que si l’Europe de la défense s’affirme également en dehors de l’organisation atlantique.

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