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COMPTE RENDU N° 23

(Application de l'article 46 du Règlement)

12/03/95

Mercredi 17 Mars 1999
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

SOMMAIRE



—  Audition du Général Jean-Pierre Kelche, Chef d’état-major des Armées, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN

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—  Information relative à la Commission


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La Commission a entendu le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d’état-major des Armées, sur les négociations relatives au concept stratégique de l’OTAN.

Accueillant le Général Jean-Pierre Kelche, le Président Paul Quilès a souligné qu’après les auditions des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, ainsi que du Secrétaire général de la Défense nationale, celle du Chef d’état-major des Armées avait une grande utilité pour la préparation du rapport d’information sur la négociation du nouveau concept stratégique de l’OTAN qu’il présenterait à la Commission le 24 mars.

Il a ensuite souhaité que le Chef d’état–major des Armées puisse fournir à la Commission des informations sur la gestion militaire de la crise du Kosovo, dont l’évolution et les résultats ne manqueront pas de peser sur cette négociation.

Enfin, faisant allusion à un article de presse annonçant la fin anticipée du service national, il lui a demandé de faire, pour la Commission, le point sur la position du ministère de la Défense à ce sujet.

Le Général Jean-Pierre Kelche a relevé que la rénovation du concept stratégique de l’Alliance revêtait une importance politique incontestable, puisqu’elle déterminerait son évolution dans les années à venir. Il a cependant précisé qu’il limiterait son propos aux conséquences militaires potentielles de cette rénovation qui n’étaient pas toujours faciles à percevoir.

Expliquant qu’après l’implosion de la menace principale traditionnelle, l’Alliance s’était tournée vers la prise en compte de nouvelles menaces ou de nouveaux risques, il a fait apparaître qu’après une phase de flottement, elle avait su s’adapter, qu’elle s’était efforcée de proposer des réponses aussi bien de court terme, pour traiter les crises, que de moyen ou long terme, dans le domaine de la planification, et qu’elle avait ainsi su se rendre indispensable, même si l’on pouvait encore se demander si l’adaptation de ses structures avait été suffisante.

Il a fait observer qu’en mettant l’accent sur l’apparition de nouvelles menaces, parfois difficiles à identifier, le débat avait provoqué des clivages au sein de l’Alliance, à propos des missions de cette dernière, nombre d’alliés, dont la France, l’Allemagne et les trois nouveaux membres considérant que la défense collective devait rester sa finalité essentielle.

Il a ainsi évoqué des propos du Secrétaire d’Etat des Etats-Unis, Mme Madeleine Albright, aux termes desquels l’une de ces nouvelles menaces, la prolifération balistique, pouvait être le ciment de l’Alliance.

Il a considéré que le concept de contre-prolifération soulevait des difficultés sérieuses, dans la mesure où, désignant quelques pays dotés de capacités balistiques émergentes, il préconiserait, pour faire face aux risques qu’ils présentaient, des mesures collectives de protection, voire de neutralisation, éventuellement préventive, risquant ainsi de créer de profondes dissensions au sein de la communauté internationale.

Il a ajouté qu’une politique de traitement militaire de la prolifération, qui était à l’origine notamment du projet américain de défense antimissile nationale (NMD), risquait, même si elle était présentée comme ponctuelle et limitée, de relancer la course aux armements. Il a relevé à ce propos que le dispositif antibalistique envisagé par les Etats-Unis remettait en cause le traité ABM et s’est inquiété de la compétition entre mesures offensives et défensives que cette politique risquait d’entraîner dans certaines régions du monde.

Il a précisé qu’il ne fallait pas non plus oublier l’importance des enjeux économiques attachés aux programmes de défense antibalistique dont les coûts étaient considérables.

Il a ajouté également que, si elle représentait bien un risque réel, la prolifération se développait cependant moins vite que les hypothèses faites dans le passé le laissaient prévoir, certains pays dont on pensait qu’ils contribueraient à son aggravation ayant modéré leur politique dans ce domaine ou y ayant mis fin.

Il a fait remarquer que d’autres types de prolifération, comme la prolifération biologique, étaient plus inquiétants que la prolifération balistique, et qu’en tout état de cause, pour utiliser l’arme biologique, la façon la plus facile de procéder n’était pas le recours aux vecteurs balistiques.

Concluant sur ce point, il a souligné que c’est par une politique globale privilégiant notamment le recours à des instruments diplomatiques et économiques et n’utilisant l’instrument militaire qu’à titre accessoire, comme ultime argument, que la prolifération pouvait être traitée de la manière la plus adaptée.

Abordant le terrorisme, qui constituait une autre des nouvelles menaces, le Général Jean-Pierre Kelche s’est montré très sceptique sur la possibilité d’organiser au sein de l’Alliance la lutte contre ce type d’actions hostiles, surtout si, comme il l’avait entendu, il fallait l’élargir à la protection contre le terrorisme informatique, exercé par exemple à l’égard des banques. Il a estimé que la lutte antiterroriste relevait au contraire d’abord d’une approche policière multinationale et que la force militaire ne pouvait être utilisée pour sa prévention qu’à titre d’appoint. Il a ajouté qu’un tel élargissement des missions de l’Alliance ne pouvait qu’aboutir à en faire une sorte d’organisme mondial de sécurité au détriment de son efficacité actuelle.

Evoquant les fonctions fondamentales de l’Alliance, le Général Jean-Pierre Kelche a souligné qu’il convenait de ne pas mettre sur le même plan les missions de défense collective et celles de gestion des crises. Il a relevé que la fonction, définie en termes très généraux, de défense des “ valeurs communes ” ou des “ intérêts communs ”, recelait des possibilités d’extension quasi-illimitées de son champ d’action géographique. Il a estimé que le discours, selon lequel l’appartenance de quelque cinquante pays partageant les mêmes valeurs démocratiques à l’OTAN et à son partenariat pour la paix suffisait à rendre les actions de cette organisation légitimes, pouvait être contesté. A ce propos, il a noté que le partenariat pour la paix conduisait à une extension progressive des interventions de l’Alliance, qui pouvait être utilisée pour faire croire à sa vocation mondiale. Au total, il a mis en garde contre les conséquences potentielles des propositions de définition de nouvelles menaces, d’extension des missions de l’OTAN et de décloisonnement de son champ d’action, soulignant qu’elles étaient étrangères à sa nature d’organisation de défense collective.

Il a également indiqué que l’extension des fonctions fondamentales de l’OTAN, cumulée avec le décloisonnement géographique de son champ d’action, justifiait un accroissement très sensible des capacités militaires des pays membres, que ce soit en termes de mobilité stratégique, de capacité de commandement, de maîtrise de l’information ou de simulation opérationnelle des différentes menaces. De la même manière, les demandes d’accroissement des capacités liées à la redéfinition des fonctions fondamentales de l’OTAN pouvaient conduire à renforcer une conception normative de l’interopérabilité.

Il a enfin abordé la question de la divergence entre Européens et Américains en matière d’effort de défense, les premiers se situant dans une phase de décélération forte tandis que les seconds prévoyaient une remontée de leurs dépenses militaires. En conséquence, le Général Jean-Pierre Kelche a insisté sur la nécessité, pour les pays européens, d’analyser leurs priorités et de déterminer le niveau de leur effort de défense en fonction de leur besoins propres, regrettant, au passage, que certains de ces pays aient parfois, dans les années récentes, renoncé à des capacités qui seraient utiles pour construire l’Europe de la défense.

Le Chef d’état-major des Armées a ensuite évoqué la question du Kosovo. Après avoir fait référence aux propos du ministre des Affaires étrangères sur la difficulté de la négociation qui se déroule actuellement à Paris et dont l’objectif est de convaincre les Serbes de signer les deux volets, politique et militaire, de l’accord destiné à conférer une autonomie substantielle à la province, il a indiqué que le scénario de déclenchement de frappes aériennes, en cas d’échec des pourparlers, était planifié et mis à jour en permanence. Il a néanmoins insisté sur le problème du “ jour d’après ”, faisant allusion aux conséquences politiques des bombardements. Il a relevé que la situation s’était détériorée sur le terrain depuis la fin des négociations de Rambouillet, les Serbes ayant accru, souvent en réaction à des actions de l’UCK, le volume de leurs forces.

En cas d’accord entre Serbes et Kosovars, le Général Jean-Pierre Kelche a indiqué qu’une force suffisante était disponible pour entrer au Kosovo dans des délais très courts.

Le Chef d’état-major des Armées a évoqué en dernier lieu la transition de l’armée mixte vers l’armée professionnelle, en abordant la question de l’évolution du service national. La mutation que traversent actuellement les Armées est profonde et s’opère à un rythme rapide mais elle se déroule néanmoins dans de bonnes conditions, le Gouvernement assumant l’ensemble des décisions de restructuration et donnant, par des annonces suffisamment précoces, une lisibilité d’ensemble au processus. Au regard de cette situation qui permettait de satisfaire les besoins en termes de ressource disponible, le Général Jean-Pierre Kelche a insisté sur la nécessité de ne pas casser la mécanique enclenchée, soulignant la nécessité de préserver la crédibilité de la transition. Il a déclaré que les Armées ne souhaitaient pas que s’ouvre un débat à propos de conjectures sur l’interruption anticipée du service national. Il a souligné avec force que la professionnalisation des Armées en était à un moment-clé et que sa bonne marche dépendait du maintien d’un flux suffisant d’appelés.

Le Président Paul Quilès a noté les conséquences négatives que certains commentaires sur l’évolution de la ressource en appelés pouvaient avoir en suscitant des anticipations infondées de la part des jeunes en instance d’incorporation et ce, alors que la diminution progressive des effectifs semble s’opérer dans de bonnes conditions.

Concernant l’OTAN, il s’est demandé si le niveau d’interopérabilité atteint par les forces françaises était suffisant. Il s’est également interrogé sur l’adaptation du concept de Groupes de Forces Interarmées Multinationales (GFIM) aux conditions actuelles d’intervention et sur le degré de permanence des structures de commandement de ce nouveau dispositif.

M. Guy-Michel Chauveau a demandé quel était le niveau d’interopérabilité des systèmes de communication au sein de l’OTAN, compte tenu notamment des différents procédés de cryptage.

M. Christian Martin s’est interrogé sur les perspectives d’adhésion à l’OTAN de la Roumanie et de la Slovénie, dont la candidature, soutenue par le Président de la République française, n’avait pas été retenue dans le cadre de la première vague d’élargissement.

M. Yves Fromion, après s’être inquiété de la décélération des efforts budgétaires consacrés, en Europe, à la défense, s’est interrogé sur les chances de mettre sur pied une force européenne autonome par rapport à l’OTAN.

M. René Galy-Dejean a tout d’abord demandé si les frappes aériennes envisagées pour permettre un règlement du conflit du Kosovo ne risquaient pas d’engager la France dans une diplomatie qu’il a qualifiée “ d’aéromissilière ”, dont elle ne serait pas en mesure de juger l’efficacité ni de prévoir la fin. Il a également souhaité savoir quelle serait la participation française à ces bombardements, dans quelles conditions elle serait assurée et avec quelles attentes de résultats. Il a ensuite interrogé le Chef d’état-major des Armées sur l’engagement de chars Leclerc sur le théâtre d’opérations, compte tenu de la présence dans la zone de chars Leopard allemands et Challenger 2 britanniques.

M. Didier Boulaud a évoqué les risques encourus en cas d’engagement terrestre en raison de la présence de mines sur les territoires contrôlés par les Serbes et s’est interrogé sur les moyens techniques d’y faire face.

M. Jean Michel a demandé s’il était prévu de solliciter une autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies avant d’effectuer une nouvelle opération militaire au Kosovo.

Le Général Jean-Pierre Kelche a apporté les éléments de réponse suivants :

— concernant l’interopérabilité, il faut veiller à ce que nos concepts soient compatibles avec ceux de nos alliés et que nos structures d’état-major aient l’habitude de travailler avec les quartiers généraux de l’OTAN. Pour le moment, le niveau d’interopérabilité atteint par la France est satisfaisant mais demande un travail continu d’adaptation. Le fait que notre pays ne fasse pas partie de la structure intégrée complique notre situation, notamment parce qu’il nous est difficile d’intervenir en amont. Mais la qualité de nos concepts, de notre doctrine, de nos états-majors et de nos hommes nous permet d’affirmer notre présence ;

— l’interopérabilité ne peut jamais être totale d’autant qu’elle est très coûteuse. Elle doit donc être sélective. Dans le domaine essentiel des communications, le besoin d’interopérabilité est ressenti essentiellement à l’échelon des états-majors opératifs qui doivent pouvoir échanger les renseignements dont ils disposent sur la situation du théâtre afin d’assurer la sécurité des troupes et le succès de la manœuvre ;

— le concept de GFIM s’adapte bien aux besoins, mais d’autres solutions peuvent également être mises en œuvre. Les quartiers généraux de GFIM comportent un noyau-clé permanent où des officiers français sont présents ;

— l’organisation militaire intégrée pourrait encore utilement évoluer, notamment dans le sens d’une plus grande modularité des forces. La structure des quartiers généraux des GFIM, avec 500 officiers, paraît trop lourde pour des crises ayant un faible degré de complexité ;

— les candidatures de la Roumanie et de la Slovénie à l’OTAN relèvent d’une décision politique, où les critères militaires sont secondaires ;

— il existe un déséquilibre surprenant entre la puissance économique de l’Europe et sa faiblesse militaire. 2 500 unités de combat européennes sont actuellement disponibles, mais les pays européens souffrent d’un manque d’options stratégiques pour gérer les crises. L’Europe est ainsi globalement dépourvue de capacités adéquates de renseignement, d’évaluation et de validation des options stratégiques ;

— il est effectivement prévu que des chars Leclerc participent à la force terrestre qui serait déployée au Kosovo ;

— les membres de l’Alliance peuvent recourir à des bombardements aériens pour sanctionner le refus de la République fédérale de Yougoslavie d’accepter l’accord proposé. Douze avions de combat français pourraient être amenés à participer à une telle opération sur des cibles définies et étudiées en détail ;

— des mines antipersonnel et antichars ont été posées sur une grande partie de la frontière albanaise du Kosovo, dans plusieurs zones de la province, et également sur des ouvrages d’art. Un accord des parties à Paris impliquerait nécessairement l’enlèvement de certains de ces obstacles.

——fpfp——

Information relative à la Commission

La Commission a procédé à la désignation des membres de la mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement.

Ont été désignés :

— M. Christian Martin

— M. Jean-Claude Sandrier

— M. Alain Veyret.


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