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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 juin 1999
(Séance de 18 heures 30)

Présidence de M. Paul Quilès, Président,

et de M. Jean-Bernard Raimond, Vice-Président

de la Commission des Affaires étrangères

SOMMAIRE

 

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– Audition de Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères

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La Commission de la Défense nationale et des Forces armées et la Commission des Affaires étrangères ont procédé à l’audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères.

Se félicitant du retour de la paix au Kosovo, dans un cadre de légitimité internationale satisfaisant sous l'égide de l'ONU, le Président Paul Quilès a souhaité recueillir l'analyse du Ministre des Affaires étrangères sur les difficultés rencontrées dans la préservation de cette paix. Il a également demandé quelles sont les conditions susceptibles de la rendre durable.

Le Ministre des Affaires étrangères a indiqué que la construction de la paix au Kosovo, si elle constitue une phase nouvelle, ne doit pas conduire les Alliés à relâcher leur effort. L'unité des Européens, des Alliés et même des membres du G8 est tout autant nécessaire aujourd'hui, dans la mesure où l'hypothèse d'affrontements ne peut être exclue. Dans un tel contexte, la KFOR est seule à même d'assurer une coexistence des populations d'origines différentes dans l'attente de la mise en place des institutions prévues pour le Kosovo, ce qui constitue le cœur du projet des Alliés et des Russes, même si certaines divergences se sont exprimées au sujet des moyens d'y parvenir. A cet égard, le Ministre a précisé qu'en évitant d'attribuer la responsabilité exclusive d'un secteur aux Russes, les accords relatifs aux modalités de leur participation à la KFOR ont permis de préserver l'unité de la politique de sécurité au Kosovo. Désormais, la principale difficulté reste la démilitarisation de l'UCK, laquelle implique une dissolution des structures militaires et le retrait des armes lourdes.

Au delà du problème sécuritaire, la mise en place d'une administration civile est également cruciale. Par ailleurs, l'Union européenne a proposé trois noms au Secrétaire général de l'ONU : Mme Bonino, MM. Ashdown et Kouchner. M. Vieira de Mello, un homme de très grande valeur, a été nommé à titre intérimaire. Cela était nécessaire puisque le représentant du Secrétaire général de l'ONU doit organiser au plus vite les structures de police de la province sur la base des contributions de la communauté internationale. Parallèlement, le HCR devra superviser le retour des réfugiés, alors que l'OSCE sera responsable du processus politique et électoral et que l'Union européenne pilotera la reconstruction économique.

S'agissant du statut du Kosovo, le Ministre des Affaires étrangères a rappelé que la communauté internationale a pris position sur un statut d'autonomie substantielle. Ni les Accords de Rambouillet, ni aucun autre texte ne prévoient de référendum sur l'indépendance. Par ailleurs, aucun échéancier précis n'a été fixé pour la mise en place des institutions et le déroulement des élections, qui relèveront d'une évaluation pragmatique du Secrétaire général de l'ONU.

Néanmoins, beaucoup dépend désormais de l'évolution intérieure de la Serbie. Aussi, les Alliés s'interrogent-ils sur les moyens de favoriser un changement en Yougoslavie. A cet égard, le rétablissement d'une situation plus favorable au Kosovo, une stabilisation du Monténégro et le pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, conjugués à la reconstruction de certains équipements, pourraient amener le peuple serbe à s'interroger sur ses errements passés.

La souveraineté yougoslave sur le Kosovo n'est aucunement remise en question par la résolution 1244 du Conseil de Sécurité, même si elle est actuellement mise entre parenthèses à cause de la politique du Président Milosevic. A ce titre, le déplacement ministériel au Kosovo du 23 juin prévu par MM. Cook, Fischer et Dini, et auquel le Ministre des Affaires étrangères doit prendre part, a fait l'objet d'une notification officielle au Secrétaire général de l'ONU, en application de cette résolution. L'indépendance demeure exclue et la convergence de vues entre l'Europe et les Etats-Unis n'a jamais faibli sur ce point, comme sur de nombreux autres d'ailleurs.

A aucun moment les Américains n'ont imposé leurs idées, même si la supériorité de leur engagement militaire et leur influence au sein de l'OTAN étaient évidentes. Cette unité plus large constitue un acquis pour les Européens qui peuvent prolonger et transposer cette expérience à d'autres sujets les concernant. Certes, l'intervention alliée contre la Yougoslavie au Kosovo a coïncidé avec la finalisation du nouveau concept stratégique de l'OTAN au cours de laquelle les Américains, par la voix de Mme Albright, ont cherché à soustraire l'OTAN au cadre des Nations Unies. Pour autant, cette intervention ne constitue pas un précédent validant leur position, le Président de la République et le Premier Ministre français s'étant attachés à démontrer le caractère exceptionnel d'une situation où le recours à la force était devenu nécessaire. Sous leur impulsion, le Conseil de sécurité a retrouvé un rôle important et la résolution 1244 du 10 juin dernier en est la traduction. Mais du succès de l'application de cette dernière dépend pour une large part l'attitude américaine à l'égard de l'ONU pour régler les crises à venir.

Le Président Paul Quilès a souligné que la coordination entre la KFOR et l’administration civile du Kosovo était une question cruciale. Il a fait observer que le point 6 de la résolution 1244 priait le Secrétaire général de donner pour instruction à son représentant spécial chargé de l’administration civile du Kosovo d’agir en étroite coordination avec la KFOR. La question était de savoir comment cette orientation se traduirait concrètement, notamment, si l’administration civile aurait le pouvoir de donner des instructions à la KFOR et comment seraient réglées les éventuelles divergences entre les présences internationales civile et militaire.

M. François Léotard a estimé que la France avait bien joué son rôle et que le Président de la République, tout comme le Gouvernement, avaient pris une position juste et courageuse en décidant que la France participerait à l’action des Alliés. Ceux qui ont critiqué cet engagement ne peuvent que reconnaître, au vu des révélations d’aujourd’hui sur les exactions commises, qu’ils s’étaient trompés. Puis il a demandé au Ministre des Affaires étrangères s'il ne serait pas possible d’élire le plus vite possible au Kosovo des autorités municipales, sans attendre des élections générales. Quels sont les éléments essentiels du projet de pacte de stabilité des Balkans ? A quelle échéance la France envisage-t-elle de rétablir des relations diplomatiques et politiques normales avec la Yougoslavie et ce rétablissement est-il subordonné au départ de Milosevic ?

Les Américains ont-ils reconnu qu’ils avaient pu commettre une erreur à propos du rôle du Conseil de sécurité et sont-ils prêts à en tirer des conclusions s’agissant de l’Irak ?

M. Jean-Bernard Raimond, Président, a demandé à quel accord précis les Russes et les Américains étaient parvenus à propos de l’unification du commandement de la KFOR ? Quel peut être aujourd’hui le rôle des dirigeants du Monténégro qui ont fait preuve d’un grand courage pendant le conflit ? L’analyse faite par M. Brzezinski de l’attitude de la Russie pendant la crise n’est elle pas erronée dans la mesure où les Russes ont largement adhéré aux objectifs des Alliés ?

Après avoir observé que les efforts diplomatiques de la France et de l'Union européenne pour trouver une solution à la crise avaient abouti, M. Alain Juppé a tenu à exprimer, à ce propos, sa satisfaction. Il a ensuite demandé si M. Milosevic était encore en mesure de se maintenir au pouvoir et quel était, à l'heure actuelle, l'état du rapport des forces entre les différentes composantes politiques de la Serbie. Il s'est ensuite interrogé sur le degré réel de détermination de la France, des autres pays européens et des Etats-Unis à se débarrasser de M. Milosevic. Enfin, il a demandé s'il était possible d'établir une ligne de partage claire entre l'aide humanitaire et l'aide à la reconstruction.

M. Didier Boulaud a évoqué la question du retour au Kosovo des Albanais qui se sont réfugiés temporairement en France. Il a pu constater dans sa circonscription que certains réfugiés souhaitaient retourner immédiatement au Kosovo mais que ceux-ci manquaient de moyens pour rentrer au pays. Il a demandé dans quel délai ces personnes pourraient être rapatriées et s'est interrogé sur les moyens que la France entendait consacrer à cette action.

Le Président Paul Quilès a estimé qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que les Etats-Unis et l'Union européenne aient le même point de vue à propos de la question de la répartition du coût de la reconstruction du Kosovo. Il ressortait en effet des propos tenus par le Président Clinton que l'Union européenne serait la seule entité à assumer ce coût. Il a souhaité connaître l'opinion du Ministre des Affaires étrangères sur cette question et savoir si le coût de la reconstruction pouvait être évalué.

M. François Léotard, après avoir exposé qu'il avait rencontré récemment Mme Arbour et que celle-ci souhaitait une plus grande implication de la France dans les travaux du Tribunal pénal international, s'est interrogé sur l'importance de la participation française au bon fonctionnement du tribunal de La Haye. La France envisage-t-elle de mettre des policiers à la disposition de ce tribunal ? Il a également souhaité savoir si le prochain président du Tribunal pénal international pouvait être un Français.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu aux commissaires.

A propos de la coordination entre l’administration civile et la KFOR, seule l’expérience permettra de définir exactement comment doivent se régler les articulations mais chacun est bien conscient qu’il s’agit d’un point fondamental.

Il serait certainement utile que les municipalités soient dotées rapidement de représentants politiques. Il est probable que le représentant spécial provisoire s’emploie déjà à trouver des interlocuteurs à ce niveau.

Le déploiement de la KFOR se déroule dans de bonnes conditions.

Le projet de pacte de stabilité pour les Balkans procède d’une approche globale, plus large que le pacte de stabilité mis en œuvre pour l’Europe centrale et orientale. Il comporte une dimension de sécurité mais aussi des dispositions sur la démocratisation, la reconstruction et le développement. La présidence allemande de l'Union européenne a fait un travail de synthèse remarquable à partir des nombreux projets présentés dans le passé.

C’est Belgrade qui a pris l’initiative de rompre ses relations diplomatiques avec certains pays européens. Pour le moment, ces derniers n’ont pas tranché sous quelles conditions ces relations pourraient être rétablies, mais travaillent à la définition d’une position commune.

Les Etats-Unis sont plus que jamais conscients de leur puissance et convaincus de leur rôle providentiel pour de nombreux pays qui les exhortent à l'assumer. Dans leur esprit, le Conseil de sécurité est un relais parmi d’autres dont ils estiment pouvoir se passer si des risques de blocage existent en son sein.

Comme nous le préconisions, les négociations achevées à Helsinki ont abouti à l’association de la Russie à tous les niveaux de commandement de la KFOR, tout en préservant l'unité de celle-ci.

Les dirigeants du Monténégro ont été courageux au cours du conflit et ont d’ailleurs apprécié le soutien que les Alliés leur ont apporté. Cet appui continue aujourd’hui dans le respect de la souveraineté yougoslave et sans inciter cette république à l’indépendance. Il convient de souligner par ailleurs que le Monténégro est hostile à l’indépendance du Kosovo, tout comme à l’octroi à cette province d’un statut de république autonome.

M. Brzezinski estime en effet que la Russie doit faire l’objet d’une vigilance implacable. Il a été de ceux qui ont critiqué Madeleine Albright pour sa mollesse supposée. Dans ses analyses, il regrette que les Etats-Unis n’aient pu imposer leurs vues s’agissant des relations entre l’OTAN et le Conseil de la sécurité. Il ne tient pas compte du fait que la Russie, au-delà de certaines déclarations, a toujours pris de bonnes décisions dans cette crise.

S'agissant de l'aide à la reconstruction et de l'aide humanitaire, les pays du G8 font preuve d'une réelle unité de vues. La position de ces pays est la suivante : tant que M. Milosevic restera au pouvoir, la Serbie pourra bénéficier de l'aide humanitaire mais elle ne pourra prétendre à une aide économique pour assurer son développement. L'aide susceptible d'être versée au titre de la reconstruction fera l'objet de décisions au cas par cas. Il est difficile de différencier l'aide humanitaire de l'aide à la reconstruction car cette dernière, sous certains aspects, a une dimension humanitaire, notamment pour tout ce qui touche au chauffage et à la distribution de l'eau. En ce qui concerne la reconstruction des ponts, le Président des Etats-Unis affiche à ce sujet une hostilité de principe tandis que les pays de la région du Danube, tels que l'Autriche, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, se montrent plus réceptifs à une action dans ce domaine, pour des raisons économiques évidentes.

S'agissant de l'avenir politique de M. Milosevic, il est très difficile de faire de la prospective dans ce domaine. Une réflexion a été entamée au sein de l'Alliance sur l'impact psychologique de l'aide sur une population dont le sentiment national a été humilié. L'évolution politique de la Serbie est conditionnée par plusieurs facteurs. Quelle sera l'attitude de l'armée ? Est-ce que M. Draskovic va tenter un retour sur la scène politique ? Enfin, il convient de rappeler que les médias restent soumis au contrôle du pouvoir politique. Autant les dirigeants des pays occidentaux souhaitent le départ de M. Milosevic, autant ceux-ci s'interrogent sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif. Les Alliés se demandent comment créer un choc politique qui libérerait les Serbes de leur envoûtement nationaliste.

S'agissant du retour au Kosovo des Albanais réfugiés en France, le rapatriement ne peut avoir lieu que si la situation au Kosovo est définitivement stabilisée. Il est donc nécessaire d'attendre la mise en place de l'administration civile internationale. Si M. Vieira de Mello, le représentant spécial de M. Kofi Annan au Kosovo, est déjà sur place, le représentant du HCR n'est pas encore arrivé. Les responsables de cette administration seront à même de fournir les éléments d'information qui permettront d'organiser de la meilleure façon possible le rapatriement des Kosovars.

S'agissant de la prise en charge de la reconstruction, il existe des divergences entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Le Président des Etats-Unis a déclaré que l'Europe devait assumer la majeure partie du coût de la reconstruction car les Etats-Unis ont été les principaux contributeurs de l'effort de guerre. Le Ministre des Affaires étrangères a rappelé qu'il avait répondu que l'Europe n'était pas "une machine à sous". L'Union européenne a joué un rôle considérable sur tous les plans et c'est pour cette raison qu'il est normal que l'Union européenne soit active dans l'administration civile internationale. Quant au coût effectif de la reconstruction, il n'est pas encore possible de le chiffrer.

L'aide apportée par la France au Tribunal pénal international est considérable ; elle concerne l'équipement des salles, l'archivage, les moyens de traduction, mais aussi le concours actif aux enquêtes et au recueil des témoignages. Tous les pays sont appelés à contribuer dans ce domaine.

——fpfp——


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