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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 65

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 septembre 2000
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, M. François LOGEROT, Président de la Première chambre et M. Bernard CIEUTAT, Conseiller-maître, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1999 (N° 2534)



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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, M. François Logerot, Président de la Première chambre, et M. Bernard Cieutat, Conseiller-maître, sur le projet de loi portant règlement définitif du budget de 1999 (n° 2534).

M. Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, en réponse à une question de M. Didier Migaud, Rapporteur général, sur la communication par certains ministères, pour la première fois, de comptes-rendus de leur gestion budgétaire pour l'exécution 1999, a déclaré qu'il s'agissait d'un progrès très sensible, tant pour les ministres que pour les parlementaires. Cette démarche devra être perfectionnée, car on s'aperçoit, en comparant des actions de même nature conduites par des ministères différents, que les concepts retenus ne sont pas toujours homogènes.

M. Pierre Joxe s'est par ailleurs réjoui des progrès encore réalisés en matière de calendrier, qui permettent au Parlement d'examiner le projet de loi de règlement avant le projet de loi de finances de l'année suivante.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a rappelé que l'examen du projet de loi de règlement du budget de 1999 se situait dans un contexte nouveau - marqué par une volonté partagée de réformer l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances - qui devrait permettre de rompre avec l'exercice convenu auquel donne lieu habituellement cet examen, alors qu'il doit s'agir d'un moment fort d'évaluation de la politique budgétaire. Il s'est également réjoui de l'avancement de la date d'examen du projet de loi de règlement, tout en estimant qu'il faudra encore progresser dans ce sens.

Il a ensuite posé trois questions :

- au sujet de l'amélioration de la présentation des comptes de l'Etat, avec notamment l'introduction d'informations relatives aux engagements financiers hors bilan, qui constituent une innovation essentielle, il a constaté que la Cour des comptes, tout en se félicitant de cette avancée, regrette que l'on ne soit pas encore en présence d'un système d'information comptable et financier rénové, et il a demandé quelles seraient les améliorations qui permettraient d'y parvenir ;

- s'agissant de la nouvelle forme de régulation budgétaire basée sur les contrats de gestion, dont l'objectif est d'apporter de la souplesse aux gestionnaires, le Rapporteur général, évoquant les annulations de crédits de paiement qui ont atteint 34,6 milliards de francs (5,27 milliards d'euros) en 1999, a demandé comment la Cour explique ces annulations, qui paraissent en contradiction avec la recherche d'une plus grande autonomie et d'une plus grande responsabilité de gestion des administrations ;

- enfin, à propos des opérations de fin d'exercice qui ont été particulièrement surveillées, tant par le Parlement que par la Cour, en 1999, en raison de l'accélération des rentrées fiscales de fin d'année, le Rapporteur général a rappelé le fonctionnement critiquable des comptes d'imputation provisoires et a demandé s'il paraissait possible de faire en sorte qu'à l'avenir, les recettes encaissées au cours d'un exercice soient obligatoirement comptabilisées sur ce même exercice.

M. François Logerot, Président de la Première chambre de la Cour des comptes, a tout d'abord présenté des observations d'ensemble sur l'exécution du budget 1999, dont la Cour s'est efforcée de clarifier les conditions d'exécution. Deux points ont particulièrement retenu son attention : l'évolution des recettes fiscales, à propos de laquelle il y a quelques divergences d'analyse entre la Cour et le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ; les opérations de fin de gestion, sous forme de reports de recettes ou d'anticipations de dépenses, lesquelles, contrairement à certains commentaires, résultent de choix gouvernementaux faits, le plus souvent, dans le respect des règles actuelles de la comptabilité de l'Etat.

M. François Logerot a appelé de ses v_ux la modification de ces règles dans le sens de la permanence des méthodes et d'une plus grande transparence, afin qu'une même opération ne puisse plus être imputée sur un exercice ou sur un autre en fonction de considérations d'opportunité et dans la plus grande opacité.

S'agissant de l'amélioration de la présentation des comptes de l'Etat, M. François Logerot a souligné les innovations présentées dans le compte général de l'administration des finances, avec, notamment, l'inscription de provisions pour les créances fiscales, la présentation de la dette en droits constatés, ainsi qu'une meilleure approche du patrimoine immobilier de l'Etat. Il s'agit là des premières retombées des travaux qui ont été conduits depuis plusieurs années sur le système financier de l'Etat, par l'actuel responsable de l'Agence comptable centrale du Trésor, M. Jean-Jacques François. En ce qui concerne les engagements financiers hors bilan de l'Etat, des progrès sont accomplis en matière de garanties, de commerce extérieur et d'épargne-logement, éléments qui sont clairement détaillés. En revanche, on doit constater une lacune en ce qui concerne les retraites des agents de l'Etat, pour lesquelles aucun chiffrage n'est produit.

M. François Logerot s'est interrogé sur l'amélioration de la qualité des informations relatives à la comptabilité hors bilan. Le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie mène une réflexion sur ce sujet, notamment dans le cadre du comité des normes comptables, au sein duquel la Cour des comptes est représentée. Il est important d'observer ce que les autres Etats membres de l'Union européenne ont mis en _uvre en la matière. De plus, un effort d'harmonisation des normes de la comptabilité hors bilan sera nécessaire, puisque les règles de programmation pluriannuelle des finances publiques et de calcul du déficit et de la dette sont désormais communes à tous les Etats membres de l'Union européenne. La Cour des comptes veillera à ce que le comité des normes comptables intensifie ses travaux relatifs à la comptabilité hors bilan. Par ailleurs, dans le cadre du processus actuel de réforme de l'ordonnance du 2 janvier 1959, la mise en _uvre de normes plus précises devrait contribuer à promouvoir une meilleure présentation de cette comptabilité.

Il a ensuite abordé la question du Rapporteur général concernant les comptes d'imputation provisoire. Il est d'abord nécessaire, à ses yeux, de distinguer ce problème de celui relatif à la doctrine choisie en termes de comptabilité de l'Etat. Actuellement, celle-ci est essentiellement fondée sur les encaissements et les décaissements. La Cour des comptes, et d'autres avec elle, souhaitent qu'une comptabilité en droit constaté lui soit substituée, mais cette substitution ne réglerait pas à elle seule le problème des comptes d'imputation provisoire.

A la fin de l'exercice 1999, 37 milliards de francs (5,64 milliards d'euros) de recettes et 21 milliards de francs (3,2 milliards d'euros) de dépenses ont été maintenus sur ces comptes et n'ont donc pas été imputés sur les résultats budgétaires de l'année. Le montant du solde budgétaire en est faussé de quelque 16 milliards de francs (2,44 milliards d'euros).

Lors de ses investigations, la Cour des comptes a relevé que les problèmes les plus importants concernaient les recettes fiscales et, plus particulièrement en 1999, les nouvelles modalités de paiement de la TVA. En effet, le seuil au-dessus duquel les dettes de TVA doivent obligatoirement être payées par virement à la Banque de France a été abaissé, ce qui a entraîné le gonflement des sommes recouvrées selon cette modalité, mais des difficultés de coordination entre la Banque de France et les services du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie ont conduit à ce que certains recouvrements de TVA ne figurent ni sur le compte de la TVA recouvrée par l'Etat, ni sur les comptes des redevables, mais dans un compte d'imputation provisoire. Ce phénomène résulte donc d'un dysfonctionnement technique et non d'une volonté de dissimulation.

Il a précisé que la « journée complémentaire » comptable se poursuit actuellement durant tout le mois de janvier et que le compte général de l'administration des finances est définitivement arrêté à la fin du mois de mars. Cependant, en début d'année, les trésoriers-payeurs généraux n'ont que quelques jours pour procéder aux imputations définitives des sommes recouvrées ou dépensées au titre de l'exercice précédent. Ils n'ont ainsi pas les moyens techniques de procéder à toutes les imputations définitives nécessaires. Ce sont donc les règles et les pratiques de la comptabilité publique qui sont en cause. Il est nécessaire de les modifier afin de parvenir à limiter le poids des comptes d'imputation provisoire, puis à les éliminer. Pour sa part, la Cour des comptes, notamment dans le cadre du contrôle juridictionnel qu'elle exerce sur les comptables publics, procédera à un examen approfondi de ces questions, afin que les services de la comptabilité publique soient sensibles à la nécessité d'éliminer à terme les comptes d'imputation provisoire.

M. Bernard Cieutat, Conseiller-maître, a répondu à la question du Rapporteur général relative aux annulations de crédits. En 1999, ces annulations s'élèvent effectivement à 34,6 milliards de francs (5,27 milliards d'euros). Elles se décomposent en deux masses :

- la première est constituée d'annulations de crédits évaluatifs relatifs à la charge de la dette publique. Les annulations en cause varient fortement d'une année sur l'autre, notamment en fonction de l'évolution des taux d'intérêt : en 1999, elles atteignent 10,7 milliards de francs (1,63 milliard d'euros), contre moins d'un milliard de francs en 1998. Il s'agit d'annulations de constatation qui n'affectent pas les moyens des ministères ;

- la seconde masse est constituée des annulations portant sur les moyens des ministères. Leur montant connaît une certaine constance depuis cinq ans, quelles que soient les modalités de la régulation budgétaire, entre un minimum de 20 milliards de francs en 1998 et un maximum de 29 milliards de francs en 1995. Leur montant en 1999 n'est donc pas exceptionnel, puisqu'il s'élève à 23,8 milliards de francs (3,63 milliards d'euros). Un peu plus de la moitié de ces annulations concerne des crédits civils de fonctionnement et d'intervention. Le reste porte sur des crédits militaires d'équipement.

On ne saurait contester la possibilité, pour le Gouvernement, de procéder à de telles annulations, qui sont d'ailleurs prévues par l'ordonnance du 2 janvier 1959. De plus, le Gouvernement se fixe des objectifs en termes de montant des dépenses, objectifs que les annulations de crédits contribuent à atteindre. En revanche, les modalités de ces annulations peuvent être critiquées. Certes, depuis deux ans, des contrats de gestion concernant quelques ministères permettent à ceux-ci d'être mieux informés des annulations qu'ils vont subir. Mais ces contrats n'ont de contractuel que le nom et les économies correspondantes restent très largement imposées. Il faut donc poursuivre l'effort consistant à mieux informer les ministères, qui, aujourd'hui, demeurent souvent prévenus des annulations les concernant au dernier moment.

Il a estimé que ces méthodes ne contribuaient pas à faciliter la tâche des ordonnateurs et que l'amélioration de la gestion passait par des progrès dans l'information et la prévision en matière d'annulations de crédits.

M. Alain Rodet a souhaité savoir quels avaient été les ministères civils les plus touchés par les annulations de crédits ces dernières années.

M. Philippe Auberger a considéré qu'un mauvais procès était fait au Parlement concernant le peu d'intérêt qu'il était supposé porter aux lois de règlement. Les rapporteurs spéciaux utilisent avec profit les analyses fournies par la Cour des comptes, notamment dans ses monographies, dans le cadre de l'examen de l'exécution budgétaire, tâche qui fait partie intégrante de leurs attributions.

Il a déclaré ne pas suivre le raisonnement de la Cour concernant la régularité du défaut d'encaissement de certaines recettes en 1999, s'agissant notamment des contributions de la Caisse des dépôts et consignations et de la COFACE. Ces prélèvements ont une nature contractuelle, voire réglementaire, qui devait entraîner leur rattachement à l'exercice de constatation. L'argumentation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de l'époque tendant à expliquer que ces recettes n'étant pas nécessaires immédiatement, leur encaissement pouvait être différé, n'est pas recevable.

Il a souligné que, s'agissant du compte d'affectation des produits de cession de titres du secteur public, chaque année une très large part des dépenses était effectuée durant la période complémentaire. Cette pratique, qui ne traduit pas une bonne gestion, est d'autant plus regrettable que ni la Cour des comptes, ni le rapporteur spécial en charge de ce dossier n'ont véritablement les éléments permettant d'analyser cette période.

Il s'est réjoui de la réforme récente de la gestion de la dette permettant de recourir aux échanges financiers (swaps) et aux marchés dérivés. Il s'est interrogé sur la capacité de la Cour à contrôler effectivement ces nouvelles opérations, ainsi que sur l'opportunité de créer un budget annexe retraçant les opérations relatives à la dette publique.

M. Jean-Jacques Jégou s'est félicité que, pour la première fois, un projet de loi de règlement soit présenté à l'Assemblée nationale avant l'examen du projet de budget de l'année « n+2 ». Il a relevé que le défaut d'encaissement du prélèvement de l'Etat sur la Caisse de dépôts et consignations en 1999 soulignait le décalage existant entre l'affichage d'une volonté de transparence et la réalité des pratiques. Ce décalage s'est manifesté également à l'occasion de la présentation des derniers projets de loi de finances, avec des prévisions de dépenses qui, pour être tenues, nécessitaient souvent des annulations de crédits en tout début d'année, ce qui ne contribue pas à une gestion lisible et sincère du budget.

M. Bernard Cieutat a indiqué qu'en 1999, sur 23,8 milliards de francs (3,63 milliards d'euros) d'annulations de crédits autres que ceux afférents à la dette, 9,5 milliards de francs (1,45 milliard d'euros) représentaient des annulations sur les crédits d'équipement du ministère de la défense, et, s'agissant des ministères civils, 7,4 milliards de francs (1,13 milliard d'euros) avaient porté sur le budget de l'emploi et résultaient, pour l'essentiel, d'économies de constatation, liées à l'amélioration de la situation du marché du travail. Pour le reste, la direction du budget procède à des abattements sur différentes dotations de nombreux ministères.

M. François Logerot a rappelé qu'il avait déjà eu l'occasion de dire que, selon lui, il était impossible de priver un Gouvernement de tout moyen de régulation budgétaire en cours d'exercice. Certes, le Gouvernement peut toujours présenter un projet de collectif budgétaire, mais cette procédure est longue et, dans certains cas, peu compatible avec les nécessités d'une réaction rapide en cas de changement de conjoncture économique. Toutefois, il est vrai que la possibilité conférée par l'ordonnance organique de 1959 d'annuler des crédits dits « sans objet » a, en fait, débouché sur un pilotage unilatéral du budget par le ministère des finances, laissant peu la parole aux ministères concernés par les annulations ni au Parlement. Les contrats de gestion constituent certes un petit progrès, mais il conviendrait peut-être de réfléchir à la possibilité d'identifier, dès le projet de loi de finances, les crédits susceptibles de faire l'objet d'annulations en fonction de la conjoncture.

Il a indiqué que c'était notamment en vue de prêter assistance aux rapporteurs spéciaux que la Cour avait décidé de publier, depuis six ans, des monographies portant sur certains ministères, en annexe du rapport sur l'exécution des lois de finances, étant précisé que l'action de l'administration doit être appréciée dans un cadre pluriannuel.

S'agissant des rattachements de recettes opérés en fin de gestion 1999, il est vrai que, par exemple, dans le cas de la rémunération de la garantie de l'Etat accordée aux caisses d'épargne, les droits de l'Etat étaient bien établis. Toutefois, la simple application des règles budgétaires actuelles n'obligeait pas formellement le Gouvernement à imputer cette recette à son exercice de constatation.

Abordant la question de la récurrence du versement d'importantes dotations en capital à partir du compte d'affectation des produits de cession de titres du secteur public au cours de la période complémentaire, il a noté que, pour 1999, la Cour s'était interrogée sur une dotation d'un montant élevé en faveur de la Compagnie générale maritime. Cette pratique procède du pilotage habituel effectué en la matière par la direction du budget, sous l'autorité du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Tout progrès vers la diminution de la durée de la période complémentaire sera donc appréciable de ce point de vue.

S'agissant de la gestion de la dette publique, la Cour des comptes pourrait effectivement réfléchir à l'éventuelle création d'un budget annexe, mais il ne semble pas nécessaire de procéder à un nouveau démembrement de la loi budgétaire, alors que les atteintes aux principes budgétaires sont déjà trop nombreuses, notamment s'agissant des comptes spéciaux du Trésor. On peut d'ailleurs observer que la proposition de loi relative aux lois de finances, déposée le 11 juillet dernier par M. Didier Migaud, propose la suppression des budgets annexes. Par ailleurs, l'important est surtout, d'une part, de pouvoir identifier les opérations portant sur la dette - ce qui est possible dans le cadre du titre premier - et, d'autre part, de distinguer les opérations de trésorerie des opérations budgétaires. Sur ce point, la Cour des comptes a déjà eu l'occasion de critiquer certains manques de transparence.

Le Président Henri Emmanuelli a remercié les membres de la Cour des comptes pour les éclaircissements qu'ils avaient apportés et s'est félicité que le projet de loi de règlement puisse être examiné à l'automne avant la discussion du projet de loi de finances. Il a néanmoins considéré que cette procédure pourrait encore être perfectionnée.


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