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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 66

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 20 septembre 2000
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, de Mme Florence Parly, secrétaire d'État au Budget, et de M. Christian Pierret, secrétaire d'État à l'Industrie, sur le projet de loi de finances pour 2001.

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- Information relative à la Commission

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Le Président Henri Emmanuelli a indiqué en préambule que le calendrier prévisionnel d'examen du projet de loi sur l'épargne salariale serait modifié : la commission siégera le mercredi 27 au matin, à la demande de M. Philippe Auberger. De ce fait, la limite de dépôt des amendements sur ce texte sera avancée au 26 septembre à 16 heures.

Puis, la Commission a procédé à l'audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, de Mme Florence Parly, secrétaire d'État au Budget, et de M. Christian Pierret, secrétaire d'État à l'Industrie, sur le projet de loi de finances pour 2001.

M. Laurent Fabius a indiqué que le projet de loi de finances pour 2001 s'articule autour de quatre termes : dynamisme de la croissance, maîtrise des dépenses, allégements d'impôts et justice sociale.

Ce projet repose sur l'hypothèse du dynamisme de la croissance. La fourchette de prévisions pour 2001 se situe entre 3 % et 3,6 %, soit une moyenne de 3,3 %, contre 3,4 % pour 2000. Elle repose sur une hausse prévisionnelle de la consommation des ménages de l'ordre de 3,5 % et sur une hausse de l'investissement de 6,9 %, tandis que la progression de la demande externe sera probablement d'environ 7,6 % ou 7,7 %, contre une prévision de 12 % pour 2000. Le pouvoir d'achat des ménages devrait ainsi croître de 1,7 %, par tête, la prévision de son augmentation par tête n'ayant été que de 0,6 % pour 2000.

L'inflation, hors tabac, est prévue à 1,2 %. Pour ce qui est du chômage, toute prévision est difficile : sa baisse devrait être encore importante, sans doute moins forte qu'en 2000, l'effet de la réduction du temps de travail à 35 heures devant être moins sensible en 2001. L'objectif reste de ramener ce nombre à deux millions de chômeurs, autour de 8 % de la population active.

Ces prévisions doivent aussi tenir compte de l'augmentation du prix du pétrole : c'est l'incertitude face à son évolution qui explique qu'une assez large fourchette de taux de croissance ait été retenue : si la hausse du prix du pétrole est ralentie, selon l'hypothèse d'un baril à 25,6 $ en moyenne en 2001 (contre 28 $ prévus en 2000), la croissance économique pourrait atteindre 3,6 %. Si la hausse du prix est forte et durable, la croissance sera moindre. Cette incertitude rend d'autant plus importants les allégements d'impôts, dont un des effets sera naturellement d'amortir l'amputation causée par le prix du pétrole sur le revenu des ménages.

Le deuxième objectif du Gouvernement est la maîtrise des dépenses publiques. Alors que la prévision moyenne de croissance est de 3,3 %, les dépenses publiques ne devraient progresser que de 0,3 % en volume, soit 1,5 % en tenant compte de l'inflation prévue. C'est ce qui explique que quatre priorités aient été retenues : l'éducation nationale, dont les crédits croissent de 2,7 % pour atteindre 388 milliards de francs, la sécurité, soutenue par une augmentation de 4,9 % des moyens de la police nationale et de la gendarmerie, la justice dont l'enveloppe progresse de 3 % et l'environnement, budget plus modeste, mais qui enregistrera une hausse sensible de 8,2 %. Au total, les budgets civils progresseront de 1,6 %, celui de la Défense de 0,8 %.

Les augmentations de personnel se concentrent sur ces quatre axes eux aussi prioritaires : 6.671 emplois seront créés dans l'éducation nationale, 800 dans la police, 1.614 au ministère de la justice et 324 pour celui de l'environnement. Au total, on comptera en 2001 11.337 emplois supplémentaires.

Pour ce qui est des collectivités locales, leurs concours actifs augmenteront de 2,6 %, hausse qui atteint 14,8 % si on prend en compte la compensation, qui sera intégrale, des allégements de fiscalité qui ont des conséquences pour les finances locales. Le soutien à l'intercommunalité est poursuivi.

Le développement de la transparence budgétaire, qui a déjà bien avancé avec la charte de budgétisation et l'amélioration de la présentation des dépenses publiques (« bleu » par acteur et programme, contractualisation et globalisation des crédits, expérimentation du contrôle de gestion dans certains ministères...) sera amplifié. L'objectif est d'aller vers une comptabilité assurant une meilleure connaissance du patrimoine de l'État. Dans cette perspective, le Ministre s'est déclaré partisan de la réforme de l'ordonnance organique de 1959, qui est actuellement l'objet d'une concertation à partir des travaux parlementaires menés par le Rapporteur général. Reste à trouver une place dans l'ordre du jour, chargé, du Parlement.

Les allégements d'impôts reposent sur un plan triennal 2001-2003 : le Parlement se prononcera cette année sur ses modalités pour 2001 et, également, sur une partie de celles de 2002. En 2001, ces réductions devraient porter sur 59 milliards de francs, dont 48 milliards de francs de mesures nouvelles, la poursuite de l'allégement de la taxe professionnelle et du droit au bail représentant la différence entre ces deux chiffres.

Les ménages bénéficieront d'une nouvelle réduction de l'impôt sur le revenu. Cette réduction portera sur toutes les tranches, mais ses effets seront plus forts sur les tranches les plus basses : les ménages concernés, dans le cadre du vote de la loi de financement de la sécurité sociale, bénéficieront en outre d'une baisse, voire d'une suppression de la contribution sociale généralisée pour ceux qui touchent le SMIC et d'une forte dégressivité pour ceux dont le revenu est compris entre 1 et 1,3 SMIC. Dès le 1er janvier 2000, les salariés rémunérés au niveau du salaire minimal recevront de ce fait 160 à 170 francs de plus. A terme, ils toucheront l'équivalent d'un mois de salaire supplémentaire.

Pour les entreprises, la surtaxe de 10 % de l'impôt sur les sociétés instituée en 1995, sera supprimée progressivement tandis que les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs ne seront soumises qu'à un taux d'imposition de 15 % dans la limite de 250.000 francs de chiffre d'affaires à partir du 1er janvier 2002.

La fiscalité pétrolière doit être allégée dans le respect de l'environnement et de l'équilibre des comptes. Il est donc proposé d'instituer un prélèvement sur les compagnies pétrolières et de mettre en place une taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) « stabilisatrice », c'est-à-dire dont le produit évoluerait avec le prix du pétrole, compensant les mouvements de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). 6,5 milliards de francs de TVA supplémentaire auraient en effet été perçus du fait de l'augmentation des prix. C'est un montant supérieur, qu'il est proposé de restituer aux Français par le biais du mécanisme de la TIPP stabilisatrice, auquel s'ajouteront les effets de la suppression de la vignette dès novembre 2000 pour les véhicules des particuliers. Cette TIPP permettra, dès le 1er octobre 2000, une réduction des taxes qui devrait entraîner une baisse de 20 centimes par litre d'essence. S'y ajoutera également, dès le 21 septembre, la réduction de la TIPP sur le fioul domestique. Enfin, les engagements récemment contractés avec les professionnels les plus touchés par la hausse du coût du pétrole seront évidemment tenus. Des crédits seront ouverts à cette fin dans le projet de loi de finances rectificative pour 2000.

La réduction du déficit public sera poursuivie en 2001 : le déficit est fixé à 186 milliards de francs. Ce chiffre nous place dans la lignée des objectifs précédents, dont l'exécution a dépassé les prévisions : 285 milliards de francs de déficit en 1997, 258 milliards de francs en 1998, 237 milliards de francs en 1999 et 215 milliards de francs en 2000. Pour ce qui est des recettes provenant de la vente des licences de téléphonie mobile dites « UMTS », il a été prévu pour les percevoir un système distinguant les deux premières années d'une part, le reste de l'exercice d'autre part. Ainsi que le Gouvernement l'avait annoncé, il n'est pas envisagé d'affecter ces produits aux dépenses de fonctionnement courant de l'État : une partie sera utilisée en 2001, à hauteur de 18,5 milliards de francs pour alimenter le fonds de réserve des retraites et à hauteur de 14 milliards de francs pour financer la caisse d'amortissement de la dette publique. Ainsi, la part de la dette dans le PIB passera de 60 % en 1998 à 57,2 % en 2001 et les prélèvements obligatoires seront réduits de 0,5 % sur trois ans, ce qui traduit une solidarité avec les générations futures.

Enfin, la dimension de justice sociale du projet de loi de finances doit être appréciée en tenant compte également des mesures proposées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001. Les priorités retenues, s'agissant des recettes, tant en ce qui concerne la réduction des inégalités ou l'amélioration de la vie quotidienne des citoyens, ainsi que les mesures fiscales d'allégements de l'impôt sur le revenu, de CSG et de fiscalité sur les produits pétroliers, comme la contribution des sociétés pétrolières vont toutes, en effet, dans le sens d'une même équité fiscale. Les priorités relatives aux dépenses vont également dans le même sens. Pour le Gouvernement, la poursuite de la baisse du chômage constitue la principale contribution à la réduction des injustices et tous les moyens doivent y concourir.

Le Président Henri Emmanuelli, constatant que certaines annonces gouvernementales, notamment sur le prix des carburants, sont intervenues avant que le Parlement ne se soit prononcé, a souhaité obtenir confirmation du fait que l'affectation du produit de la vente des licences UMTS relève effectivement du pouvoir législatif.

M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, a confirmé la compétence du législateur en la matière et indiqué que ceci figurait au projet de loi de finances pour 2001.

Exprimant sa satisfaction générale et globale face à un projet de loi de finances qui répond aux souhaits exprimés par la majorité parlementaire, M. Didier Migaud, Rapporteur général, s'est félicité de la mise en _uvre, pour la première fois, d'une « charte de budgétisation » permettant de mieux appréhender les modifications de structures budgétaires. Le Gouvernement démontrera sa volonté de poursuivre dans cette voie de transparence en inscrivant rapidement à l'ordre du jour du Parlement la révision de l'ordonnance organique relative aux lois de finances.

Abordant le contexte macro-économique, le Rapporteur général a souhaité savoir si la présidence française de l'Union européenne prendrait des initiatives afin que soient trouvées des solutions à une augmentation des prix du pétrole qui affecte l'ensemble des États membres. S'agissant de l'euro, alors que le ministre italien du Trésor estime que la convergence budgétaire et fiscale des États membres est insuffisante, la diversité des prises de position des responsables politiques s'ajoute aux difficultés de compréhension des décisions de la Banque centrale européenne.

L'évolution des recettes appelle également quelques précisions. La tendance récente des rentrées d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée permet-elle de confirmer l'estimation du supplément de recettes budgétaires effectuée en juin, soit une trentaine de milliards de francs ? Le Gouvernement a-t-il évalué les incidences des décisions de justice qui sont récemment intervenues en matière d'application de la TVA sur les péages d'autoroutes et sur la déductibilité de la TVA appliquée aux frais de représentation des entreprises ? A-t-il également évalué les recettes supplémentaires de TVA dues aux fortes augmentations constatées sur les prix des produits pétroliers hors taxes ? Les modalités de fixation de la contribution exceptionnelle des compagnies pétrolières sont-elles en adéquation avec les bénéfices, parfois insolents, qu'elles réalisent ?

Considérant l'engagement de discussions sur les salaires dans la fonction publique et le lancement du processus de réduction de temps de travail, les hypothèses fondant la programmation pluriannuelle, notamment la stabilisation des effectifs, doivent-elles être révisées en conséquence ? Au vu des débats actuels sur les tensions que connaît l'appareil de production, évoquées par l'INSEE dans sa note de conjoncture, et sur l'impact de la réduction du temps de travail, le secteur productif a-t-il la capacité de donner l'impulsion de productivité nécessaire face à ce « choc d'offre » et comment le projet de loi de finances prend-il en compte ces contraintes ?

Enfin, dans la redéfinition des relations financières entre l'État et les organismes de sécurité sociale, quelles sont les priorités de règlement des différends existants et de redéploiement des champs de compétence respectifs ?

Soulignant qu'au-delà des difficultés de court terme, le choix de l'euro était extrêmement positif d'un point de vue économique et politique, M. Laurent Fabius, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, a estimé que sans la monnaie unique, la France aurait dû subir bien plus fortement les chocs externes successifs - notamment les crises russe et asiatique - avec pour conséquences une hausse des taux d'intérêt, une baisse de la croissance et une augmentation du chômage. La création de l'euro, au contraire, a amorti ou évité ces chocs. L'hypothèse retenue dans le cadre du projet de loi de finances de 0,95 dollar pour un euro, correspond à la moyenne des huit premiers mois de l'année. La faiblesse conjoncturelle de l'euro par rapport au dollar, dont les ministres des finances du « groupe euro » ont à nouveau débattu à la fin de la semaine dernière, s'explique par la vigueur de l'économie américaine, par un insuffisant « marketing » de la monnaie unique qui ne sait pas dire ses succès, par les incertitudes pesant sur la configuration future de l'Europe, mais aussi par le fait, trop souvent négligé, que les entreprises européennes sont dans une situation positive et investissent massivement aux États-Unis, ce qui entraîne des sorties d'euros et des achats de dollars. Ce phénomène positif finira d'ailleurs, à terme, par jouer en faveur de l'euro, d'autant que l'économie des États-Unis présente également des points faibles.

Abordant les questions du prix et de la fiscalité du pétrole, le Ministre a indiqué que l'hypothèse de baisse des prix retenue dans le cadre du projet de loi de finances, soit 25,6 dollars par baril, tenait compte des différentes prévisions qui, à terme, concluent toutes à une baisse, par rapport aux fortes tensions actuelles, dans une fourchette de prix comprise entre 20 et 28 dollars le baril. Cependant, il faut insister sur le fait que ce problème est avant tout d'ordre politique et international, dans la mesure où c'est l'offre, et non les taxes, qui a fait monter les prix. A titre d'exemple, la part des taxes dans le prix de l'euro-super est de 69,5 % aujourd'hui, contre 80 % en 1995 et ces pourcentages sont respectivement de 68,8 % et 79,8 % pour le super sans plomb « 98 » et de 33 % et 41 % pour le fuel. Dans ce dossier, le Gouvernement se conforme à un « devoir d'écoute » - que ce soit à l'égard de différentes professions particulièrement touchées ou en direction de l'ensemble des Français, au travers de la stabilisation de la TIPP, de la diminution des prix de 20 centimes par litre et de la baisse de 30 % de la taxe sur le fioul domestique au 21 septembre -mais aussi à un « devoir de vérité » : tant que les pays producteurs et les sociétés pétrolières raréfieront l'offre, le pétrole sera cher. C'est pour cette double raison qu'une solution internationale s'impose. C'est également dans cet esprit que le Président de la République et le Premier ministre ont demandé au ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie que la question soit abordée au cours des prochaines réunions des pays les plus industrialisés (G7) et du Fonds monétaire international, ainsi qu'au Conseil européen de Biarritz. Quoi qu'il en soit, il serait très dangereux et illusoire de « brancher » directement les finances publiques sur les décisions des pays producteurs : non seulement chaque franc de baisse des prix du carburant entraînerait un coût de 50 milliards de francs pour l'État, dont on voit mal au détriment de quels budgets, de quelle baisse d'impôt, de quelle diminution du déficit, il pourrait les trouver, mais ce serait également encourager la flambée des cours. Les hommes politiques ne doivent pas se dérober à ce devoir de vérité. Enfin, le Gouvernement entend favoriser la diversification énergétique ainsi qu'une politique active d'économies d'énergie.

Mme Florence Parly, secrétaire d'État au Budget, a confirmé que les recettes fiscales de l'exécution du budget 2000 seraient supérieures, en net, de 30 milliards de francs par rapport aux prévisions, à raison de 7 milliards de francs pour l'impôt sur le revenu (s'ajoutant aux 18 milliards de francs déjà constatés), 12 milliards de francs pour l'impôt sur les sociétés (s'ajoutant aux 15 milliards de francs déjà constatés), le solde étant principalement assuré par les rentrées de TVA. La décision de justice relative au remboursement de TVA aux sociétés d'autoroutes coûtera environ 4 à 5 milliards de francs au budget de l'État et sera prise en compte dans le prochain collectif budgétaire. Quant à la décision de justice sur les frais de représentation des entreprises, le Gouvernement souhaite au préalable en évaluer le coût. Les remboursements ne pourront s'effectuer que sur pièces justificatives.

Le programme pluriannuel des finances publiques de 2001 à 2003 reste d'actualité, et le projet de loi de finances pour 2001 s'inscrit même en amélioration par rapport aux prévisions dans la mesure où le déficit, évalué à l'origine à 1,2 % du PIB, s'établira vraisemblablement autour de 1 %. Le projet de loi de finances pour 2001 n'intègre pas pour l'instant les effets d'un accord salarial dans la fonction publique, puisque la négociation n'a pas encore commencé. L'État poursuit par ailleurs ses efforts de clarification auprès du Parlement avec notamment une description plus précise des mouvements financiers entre l'État et la sécurité sociale, détaillés dans la charte de budgétisation. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale indiquera les éléments d'équilibre du FOREC et clarifiera les missions de l'UNEDIC dans le sens de l'amélioration de l'indemnisation du chômage, de l'aide au retour à l'emploi, de la baisse des cotisations et de la clarification des relations de l'UNEDIC avec l'État.

M. Philippe Auberger a estimé que les engagements du Premier ministre s'agissant d'une diminution des prélèvements obligatoires n'étaient pas tenus, dans la mesure où ces derniers ne seraient pas ramenés au niveau de 1995. La promesse d'une baisse supplémentaire du déficit n'est pas tenue non plus puisque celui-ci demeure supérieur à 180 milliards de francs, comme il avait été précédemment annoncé. L'analyse des mouvements financiers entre l'État et la sécurité sociale reste malaisée et conserve de nombreuses zones d'ombre. Le risque persiste de transfert de recettes fiscales pour financer des dépenses telles que le soutien à la réduction du temps de travail - le chiffre de 11 milliards de francs étant parfois cité -, ou la compensation de la CSG. L'hypothèse d'un transfert du produit de la taxe sur les conventions d'assurance est-elle d'actualité ?

M. Philippe Auberger a jugé que le mécanisme d'amortissement de la TIPP présentait quelque intérêt mais a considéré que la chute de l'euro est à l'origine d'environ 30 % de la hausse du prix du pétrole, ce qui induit le paradoxe d'un affaiblissement de la monnaie européenne favorisant les rentrées fiscales. Il a appelé à ce que la présidence française de la Communauté européenne défende plus vigoureusement l'euro. S'agissant de l'impôt sur le revenu, il a proposé de revoir le barème plutôt que le mécanisme d'indexation, estimant que les avantages donnés aux contribuables dans l'exercice 2000 étaient annulés par la hausse des prix. Il a enfin regretté la diminution des crédits civils d'investissement et déploré que le présent projet de budget ne soit pas un élément de réforme de l'État.

M. Augustin Bonrepaux a salué un projet de budget qui respecte les engagements du Gouvernement et les votes du Parlement, avec une réduction des impôts, une limitation de la dépense publique et la maîtrise des déficits. Il a approuvé les moyens supplémentaires donnés aux services publics, comme l'éducation ou la police, ainsi que ceux accordés aux collectivités locales grâce à une majoration de 3,4 milliards de francs de la DGF. Il a cependant appelé à la plus grande vigilance afin que la progression de la coopération intercommunale entre agglomérations ne se fasse pas au détriment des autres formes de coopération, notamment en défavorisant les zones rurales.

Les réductions d'impôts correspondent aux demandes exprimées dans le cadre du débat d'orientation budgétaire, et la diminution de la CSG permettra de donner aux salariés les plus modestes l'équivalent d'un mois de pouvoir d'achat supplémentaire.

Abordant la question de la fiscalité des carburants, M. Augustin Bonrepaux a souligné que ceux qui crient au voleur, en accusant l'État, ne se penchent pas sur la question de savoir qui organisé le vol. Il a rappelé que l'année 1995 avait vu une augmentation sans précédent des prix du carburant, en raison d'une part taxable à 80 %, alors que le présent Gouvernement avait stabilisé le prix de l'essence sans plomb depuis deux ans. Toute politique du carburant doit être élaborée dans un souci d'une politique de l'énergie. Il faut enfin se réjouir de la suppression de la vignette qui provoque des phénomènes de dumping fiscaux et économiques entre départements. La diminution du taux d'impôt sur les sociétés pour les petites et moyennes entreprises est également positive. Il conviendrait cependant de mener une réflexion sur une progressivité de l'impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices, les profits des entreprises pouvant être parfois très élevés.

M. Pierre Méhaignerie a considéré normal que le Gouvernement présente une image optimiste de la situation économique mais on peut cependant craindre un brutal retournement de conjoncture, comme en 1992. Il faut en outre souligner les risques actuels de voir se produire des goulets d'étranglement pour les entreprises en raison de l'application de la loi sur les 35 heures. Il serait dommageable de se retrouver avec 2 millions de demandes d'emploi et 1 million d'offres non satisfaites. On ne peut parler de maîtrise des dépenses publiques lorsque les effectifs de l'État augmentent de 11.300 personnes. La Cour des Comptes montre d'ailleurs régulièrement que la dépense publique évolue beaucoup plus vite que prévu. L'anomalie fiscale française ne réside pas dans l'impôt sur les sociétés ou dans la fiscalité locale mais dans les charges qui pèsent sur le coût du travail. On peut à cet égard s'interroger sur le poids réel, en termes de pouvoir d'achat, que représente un allégement qui, pour un salarié rémunéré au SMIC, aboutira à terme à un pouvoir d'achat supplémentaire de 180 francs par mois, à la fin du processus triennal de réduction d'impôt. Il s'est déclaré partisan d'une solution beaucoup plus massive et lisible des baisses des charges sur les bas salaires. Une forte diminution aurait été parfaitement justifiée, plus claire, et elle aurait produit des effets bénéfiques sur l'économie dans son ensemble. Des amendements allant dans ce sens pourraient peut-être transcender certains clivages politiques.

M. Jean-Pierre Brard a estimé que le ministre de l'Économie et des Finances présentait son projet de budget avec une grande habileté et un souci rhétorique et s'est prononcé pour une défense énergique de l'impôt, dès lors que celui-ci est lisible et juste. Il convient donc d'être opposé à des projets de manifestations qui se contenteraient d'attaquer l'État et d'exonérer de leurs responsabilités les compagnies pétrolières. Le Gouvernement ne tient pas assez compte des propositions du Rapporteur général et des députés de la commission des Finances relatives à la redevance télévision ou au remboursement réel d'une part de la CSG, mesures qui seraient propices au soutien à la consommation. Les allégements de toutes les tranches du barème de l'impôt sur le revenu ne sont pas les plus pertinents : un Gouvernement de gauche allégera ainsi de 1.000 francs par an l'impôt d'une personne rémunérée à hauteur de 8.000 francs par mois, tandis qu'un contribuable comme Jean-Marie Messier verra son prélèvement allégé de 295.000 francs. Il faut donc savoir s'il existe des marges de discussion dans le débat parlementaire et, dans l'hypothèse d'une réponse affirmative, « ces marges ne doivent pas être marginales ».

M Yves Cochet s'est déclaré globalement satisfait par les baisses d'impôts annoncées par le Gouvernement. Toutefois, certains points posent problème. La réforme du barème de l'impôt sur le revenu aboutit ainsi à un résultat paradoxal, difficilement explicable à nos compatriotes, dans la mesure où, tout en accroissant la progressivité de l'impôt, elle revient à consentir aux ménages les plus riches une diminution nominale de prélèvement plus importante que celle octroyée aux plus pauvres. Pour sa part, l'allégement de CSG est une bonne mesure, même s'il convient d'en améliorer la lisibilité. Les modalités de mise en _uvre de la réforme de la fiscalité pétrolière doivent être précisées sur plusieurs points. Le montant du prélèvement sur les compagnies pétrolières est-il plus important que celui envisagé initialement, et à partir de quand s'appliquera-t-il ? Sur quel cours la TIPP stabilisatrice s'articulera-t-elle ? La fixation d'un prix garanti risque en effet d'assurer une rente de situation au profit des pays et des compagnies producteurs puisque, dans l'hypothèse d'une hausse des cours, la part revenant à l'État baissera tandis que celle revenant aux producteurs ne changera pas. Enfin, la baisse de vingt centimes est-elle comprise dans le mécanisme de stabilisation ?

Répondant aux intervenants, le Ministre a apporté les précisions suivantes :

_ les prévisions sur lesquelles se fonde le Gouvernement ne pêchent pas par optimisme, puisqu'elles sont proches de celles annoncées aussi bien par le FMI que par l'immense majorité, et presque le consensus des économistes. L'un et les autres, respectivement, tablent sur un taux de croissance de 3,5 % et 3,4 %. Le projet de loi de finances pour 2001 prévoit un déficit budgétaire de 186 milliards de francs contre 215 milliards de francs votés en loi de finances initiale pour 2000. Il y a donc bien, dans les prévisions, une réduction de ce déficit ; si l'on se réfère à l'exécution, depuis 1997, les déficits constatés sont toujours inférieurs aux déficits prévus. On peut espérer qu'il en sera de même en 2001. Le Gouvernement fera tout pour y parvenir ;

_ le projet de budget est bâti sur une progression globale des dépenses de l'État limitée à 0,3 % en volume. Dans ce contexte qui est aussi une contrainte, il est difficile de prévoir une large revalorisation des crédits inscrits en faveur des investissements civils de l'État  ;

_ si on ne peut soutenir que la faiblesse de l'euro entraîne par elle-même un surcroît de rentrées fiscales dues aux achats de produits pétroliers, il existe en revanche une difficulté réelle du fait que ces achats sont faits systématiquement en dollars. Il serait souhaitable que les prix pratiqués en Europe soient libellés en euros ;

_ la hausse de la TIPP résulte des décisions prises par l'ancienne majorité au cours des années 1993, 1995 et 1996, les mesures décidées par le Gouvernement actuel privilégiant, au contraire, la stabilité des taux de prélèvement et une politique volontariste en faveur de l'environnement. Le dispositif de prélèvement sur les compagnies pétrolières prendra effet à partir de 2001. Ce prélèvement sera calculé à partir des provisions effectuées par ces compagnies, notamment de la provision pour hausse de prix. En effet, les activités d'extraction ayant, dans leur immense majorité, lieu à l'étranger, le résultat fiscal dégagé en France n'est pas un critère déterminant. Le montant du prélèvement, au-delà des 3,5 milliards de francs actuellement prévus, reste à débattre. Pour sa part, le mécanisme de stabilisation de la TIPP se déclenchera à partir d'un dépassement de prix sur deux mois, le cours de référence étant d'environ 25 dollars, soit la moyenne des cours constatés en janvier 2000. Une première stabilisation devrait entraîner, par exemple une baisse de 13 centimes sur le super sans plomb à laquelle un dispositif de bonus ajoutera une diminution supplémentaire des prix à la consommation de sept centimes ;

_ 1 % seulement des vignettes sont supérieures à 2.000 francs. Dans de telles conditions, faut-il continuer d'imposer 99 % des Français au prétexte de ne pas « favoriser » 1 % d'entre eux, alors même que toutes les enquêtes d'opinion montrent que nos compatriotes sont très favorables à la suppression de la vignette ?

_ s'agissant des goulets d'étranglement, la situation diffère selon le secteur d'activité concerné, les difficultés les plus lourdes se concentrant dans le bâtiment et l'informatique. Sur ce point, le projet de loi de finances prévoit plusieurs mesures qui vont dans le bon sens, notamment l'allégement d'impôt sur les PME et la baisse de la CSG, qui incitera au retour à l'emploi ;

_ le dispositif de franchise de cotisations sociales souhaité par M. Pierre Méhaignerie dépasse la marge budgétaire dont dispose le Gouvernement pour l'année 2001. Une franchise de 500 francs par personne et par mois coûterait, en effet, 120 milliards de francs par an, qu'il faudrait bien financer, et comment ? Par ailleurs, la réduction de la cotisation vieillesse se heurterait à des difficultés spécifiques de financement des retraites liées aux évolutions démographiques prévisibles pour les prochaines années ;

_ l'idée d'un remboursement de la CSG par un mécanisme de « chèque-cotisation » n'a pas été retenue. Elle risquait, en effet, d'instaurer un décalage trop long entre le retour à l'emploi des personnes concernées et la répercussion, à leur profit, de la baisse de la CSG. Elle posait, par ailleurs, des problèmes techniques qui auraient pu déboucher sur un nombre d'erreurs important, inhérentes au mécanisme lui-même, tant il est difficile, par exemple, de prendre en compte la mobilité géographique des salariés ;

_ le débat sur le taux marginal de l'impôt sur le revenu est, dans une certaine mesure, artificiel puisque c'est le taux moyen d'imposition qui détermine le niveau effectif de prélèvement. A cet effet, les feuilles d'imposition mentionneront, dès 2001, le taux moyen auquel chaque contribuable est soumis ;

_ bien entendu, le Gouvernement restera, lors de la discussion du budget, très ouvert à toutes les modifications que les parlementaires pourraient proposer. D'une manière générale, il souhaite, comme l'a exprimé M. Jean-Pierre Brard, que l'utilité des prélèvements fiscaux soit réaffirmée, les impôts devant être à la fois allégés et réhabilités, comme un élément de démocratie et de citoyenneté.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M Jean-Pierre Balligand comme rapporteur sur le projet de loi sur l'épargne salariale (n° 2560).

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