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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 37

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 1er février 2001
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du projet de loi sur la prime à l'emploi

2

- Information relative à la Commission

6

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Didier Migaud, Rapporteur général, le projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi (n° 2906).

Le Président Henri Emmanuelli a préalablement indiqué la manière dont il a considéré que l'article 40 de la Constitution doit être appliqué au projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi. La prime pour l'emploi est un mécanisme dont la philosophie est indéniablement fiscale : le projet institue en effet un « droit à récupération fiscale ». Elle doit donc s'analyser, vis-à-vis de l'article 40 de la Constitution, comme une opération de recette et non pas de charge. Toute autre interprétation aurait réduit à néant le droit d'amendement des parlementaires. Par conséquent, la modulation de la prime constitue une diminution de recette, gageable dans les conditions habituelles relatives aux compensations en matière de recettes.

Le Président Henri Emmanuelli a ensuite fait observer que le dispositif présentait néanmoins une autre difficulté. En effet, le projet prévoit, au troisième alinéa du IV de l'article 200 sexies du code général des impôts, que, lorsque le bénéficiaire n'est pas redevable de l'impôt sur le revenu, ou lorsque le montant de l'impôt sur le revenu dû est inférieur à celui de la prime, la différence est versée aux intéressés. Ce versement constitue matériellement une dépense. Par conséquent, tous les amendements visant à étendre le champ du texte tendent à augmenter cette dépense. Aussi, pour qu'une telle initiative ne soit pas financièrement irrecevable, il convient que les auteurs d'amendements prévoient un gage et précisent explicitement que leur amendement ne peut augmenter cette restitution. Ce schéma est certes un peu complexe, mais il permet de garantir l'exercice du droit d'amendement. Il va de soi que lorsque le Gouvernement, le cas échéant, lèvera le gage, il lui reviendra, bien entendu, de lever également le dispositif relatif à la restitution, qui n'a d'autre objet que de permettre au gage de ne s'appliquer qu'à une diminution de recettes.

M. Philippe Auberger a estimé qu'il existait une certaine confusion quant à la nature du texte en discussion. Il semble en effet que celui-ci constitue à la fois un prolongement du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, dont l'article 3 relatif à la ristourne de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) a été annulé par le Conseil constitutionnel, et un nouveau développement de la loi de finances pour 2001, au regard de sa nature fiscale. Par ailleurs, lors de la réunion du Conseil des ministres du 31 janvier 2001, le Président de la République a déclaré qu'il serait opportun d'apporter certaines modifications au texte en discussion. Or, l'intervention du Président Henri Emmanuelli peut laisser entendre que les capacités d'amendement des parlementaires seraient fort limitées.

Le Président Henri Emmanuelli, a répondu qu'a contrario, son intervention n'avait pour seul objet que d'expliquer les modalités par lesquelles l'exercice du droit d'amendement des parlementaires serait garanti.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a préalablement tenu à féliciter le Président d'avoir ainsi précisé les modalités d'exercice du droit d'amendement sur le dispositif de la prime pour l'emploi, avant de rappeler qu'il revenait à la Commission des finances d'examiner ce projet de loi, puisque le Conseil constitutionnel avait annulé la mesure de ristourne de la CSG et de la CRDS en faveur des titulaires de bas revenus d'activité, prévue par l'article 3 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

La prime pour l'emploi constitue un dispositif très spécifique, qualifié par le projet de loi de « droit à récupération fiscale », restituable aux personnes non imposables, et inséré à l'article 200 sexies du code général des impôts. La mise en _uvre de la prime est prévue sur trois ans, d'une manière progressive, par tiers, mais le dispositif du projet de loi ne concerne que l'année 2001. Le champ de la prime pour l'emploi est semblable à celui de la mesure annulée, puisque la prime est attribuée aux personnes percevant un revenu d'activité inférieur à 1,4 fois le montant du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), soit un revenu annuel déclaré égal à 96.016 francs. S'agissant des couples dont les deux membres exercent une activité, ce seront ainsi deux primes qui seront attribuées. Seuls les revenus d'activité professionnelle sont pris en compte.

Le Rapporteur général a ensuite indiqué que, conformément aux observations du Conseil constitutionnel, plusieurs mécanismes sont prévus de manière à prendre en considération l'ensemble des revenus du foyer, notamment les revenus du conjoint, et à tenir compte des charges de famille.

En premier lieu, la prime n'est attribuée que sous condition de ressources. Ainsi, les revenus du foyer fiscal doivent être inférieurs à 1,54 fois le SMIC pour un célibataire, et 3,08 fois le SMIC pour un couple, soit 10% de plus que la borne supérieure du champ d'application de la prime, permettant ainsi aux titulaires de revenus d'activité modestes de continuer à bénéficier de la prime même s'ils disposent de quelques revenus complémentaires, tout en excluant des foyers plus aisés dont l'un des membres est titulaire d'un faible revenu d'activité. Des majorations de ces plafonds sont prévues pour les enfants à charge, à raison de 0,4 fois le SMIC, environ, pour chaque demi-part.

En deuxième lieu, une majoration forfaitaire de 500 francs est prévue en faveur des couples dont un seul des membres exerce une activité, majoration qui est même maintenue au-delà de 1,4 fois le SMIC et ce, jusqu'à 2,1 fois le SMIC, ce qui permet de rapprocher le régime des couples dont un seul des membres travaille sur celui des couples dont les deux membres ont une activité.

En troisième lieu, une majoration de 200 francs par enfant à charge est également prévue. Elle est portée à 400 francs pour le premier enfant à charge des parents isolés.

Le Rapporteur général a ensuite indiqué que, l'enveloppe budgétaire, d'un montant de 8,5 milliards de francs, affectée au financement de la prime pour l'emploi étant la même que celle prévue initialement pour le dispositif annulé par le Conseil constitutionnel, le dispositif de ladite prime est, compte tenu de ses aménagements, globalement moins avantageux que ledit dispositif, sauf pour les couples dont un seul membre exerce une activité et pour les contribuables ayant un certain nombre d'enfants à charge. Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'une mesure qui répond aux objectifs que s'était fixés la majorité. La prime proprement dite, hors majoration, représente en 2001 2,2% du revenu d'activité jusqu'au niveau du SMIC, après conversion du revenu en équivalent temps plein. Elle diminue ensuite progressivement et devient nulle dès lors que le revenu d'activité est égal à 1,4 fois le SMIC.

La prime devrait ainsi s'élever en 2001 à 1.500 francs par an pour une personne rémunérée au niveau du SMIC dans le cadre d'un emploi à temps plein. Pour mémoire, il faut noter que le montant de la ristourne de CSG et de CRDS était de 2.079 francs pour la première année. La prime sera en 2001 d'un montant de 750 francs pour un salarié exerçant une activité à mi-temps rémunérée au niveau du SMIC. Elle sera d'un montant de 750 francs également pour un salarié travaillant à temps plein et rémunéré à un niveau équivalent à 1,2 fois le SMIC. Ces montants devraient être doublés en 2002 et triplés en 2003.

Le Rapporteur général a conclu qu'il faut considérer que le dispositif atteint son objectif, à savoir le retour à l'emploi et le maintien de l'activité. Le montant de la prime hors majoration pour charges de famille est d'autant plus élevé que le salaire horaire du bénéficiaire est proche du SMIC. S'agissant de ses effets, il faut observer que la prime pour l'emploi devrait concerner près de 10 millions de personnes et environ 8 millions de foyers fiscaux. Elle devrait bénéficier dans 70% des cas à des foyers non imposables, et dans 30% des cas à des foyers imposables. Elle devrait être en 2001 supérieure à 1.000 francs pour 5 millions de foyers fiscaux, et à 2.000 francs pour 600.000 d'entre eux. Elle devrait bénéficier dans 60% des cas, à des parents isolés, dans 20% des cas, à des couples dont un seul des membres exerce une activité et dans 20% des cas, à des couples dont les deux membres ont une activité. Enfin, elle devrait bénéficier dans près de la moitié des cas, à des personnes âgées de moins de 35 ans. Si le texte proposé par le Gouvernement est complexe, la raison en est que celui-ci a été contraint d'élaborer un dispositif qui se devait d'être équilibré et qui devait répondre aux observations du Conseil constitutionnel.

M. Philippe Auberger a indiqué que son groupe n'avait pas déposé d'amendement, certaines déclarations de la secrétaire d'Etat au budget, Mme Florence Parly, ayant pu laisser supposer que les amendements au projet de loi pourraient être frappés d'irrecevabilité financière, voire d'inconstitutionnalité, puisque l'enveloppe financière était précisément fixée.

Il a ajouté que le dispositif exigeait que les services fiscaux procèdent à des opérations nouvelles, telles que le calcul des heures rémunérées dans l'année et des prorata correspondants par rapport à la durée légale du travail, ce qui représentait une source de complexité. Certaines questions, comme le traitement des personnes rémunérées par chèque service, sont particulièrement délicates.

Mme Nicole Bricq a considéré que le Conseil constitutionnel pourrait, peut-être, bénéficier d'une prime à l'innovation, de même que le président de la Commission des finances pour son interprétation favorable au pouvoir d'amendement des députés, à propos du projet de loi en discussion. Elle s'est félicitée de la volonté du Gouvernement d'améliorer les revenus des plus modestes, la mesure concernant les non imposables dans une proportion de 70%. De plus, cette mesure est favorable à l'activité, et, ainsi, conforme à l'objectif de plein emploi. Le soupçon d'une rupture de l'égalité entre les couples monoactifs et les couples biactifs doit être relativisé, puisque l'égalité de traitement entre ces deux types de ménages n'est jamais absolue, en droit fiscal. La prime pour l'emploi concerne dans une forte proportion des parents isolés, qui sont surtout des femmes seules, et permet de corriger les effets pervers de certaines aides parentales qui enferment ces femmes dans l'inactivité. Elle présente par ailleurs un caractère redistributif, conforme à la vocation et au rôle de l'impôt. Ce mécanisme est plus souple que la ristourne de CSG et de CRDS et montre qu'il est possible de procéder à une réforme effective de la fiscalité directe relative aux ménages.

M. Pierre Hériaud a considéré qu'au plan individuel, le montant de la prime était peu élevé, comme le confirmeraient sans doute les cas mentionnés dans le rapport du Rapporteur général.

Le Rapporteur général a observé que les sommes versées la première année restaient modestes, mais que la mise en _uvre de la réforme aurait une plus grande portée en rythme de croisière, puis a précisé que le formulaire de la déclaration des revenus 2000 avait été modifié pour permettre la prise en compte d'éléments relatifs aux revenus professionnels et à la durée d'activité.

La Commission a ensuite procédé à l'examen de l'article unique du projet de loi.

Article unique : Prime pour l'emploi :

La Commission a examiné un amendement présenté par le Président Henri Emmanuelli, visant à maintenir, pour une période de six mois, le bénéfice de la prime pour les personnes ayant fait l'objet d'un licenciement économique, de manière à ce que le salarié licencié ne soit pas privé à la fois de son emploi et de la prime qui lui est afférente.

Le Président Henri Emmanuelli a indiqué que son amendement, qui ne recevait l'accord ni du Rapporteur général, ni du Gouvernement, était retiré, compte tenu de la complexité de la situation et des arbitrages rendus.

Il a regretté que la prime pour l'emploi repose sur l'intervention, dans les relations salariales, de l'Etat, tiers payant interposé entre le salarié et l'entreprise et a ajouté que le fait que la perte de l'emploi entraîne, en outre, une perte de la prime, serait difficile à expliquer aux chômeurs. Il a craint que, dans un grand nombre d'entreprises, l'existence de la prime ne bride l'augmentation des salaires. Il a fait observer que le projet de loi aurait des incidences considérables sur les relations du travail, encore non mesurables, et qu'il conviendrait fort probablement d'aménager ultérieurement le dispositif prévu.

M. Philippe Auberger a craint que l'objectif de suppression d'une trappe à inactivité n'entraîne la création d'une trappe à pauvreté.

Le Rapporteur général a déclaré comprendre les préoccupations exprimées par le Président Henri Emmanuelli. Toutefois, la logique de la prime pour l'emploi est d'être assise sur les seuls revenus d'activité. Il semble, en outre, que l'extension proposée serait préjudiciable à l'économie générale du dispositif.

Le Président Henri Emmanuelli a souhaité éviter que l'on souscrive au raisonnement selon lequel la perte de la prime pour l'emploi, voire la réduction des allocations de chômage, puisse constituer une incitation au travail.

La Commission a adopté sans modification l'article unique du projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi.

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Information relative à la Commission

La Commission a nommé M. Didier Migaud, Rapporteur général, rapporteur du projet de loi portant création d'une prime pour l'emploi.

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