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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 mars 2001
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information de M. Jean-Marie Le Guen sur la télévision numérique terrestre

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- Examen de la proposition de résolution de M. Olivier de Chazeaux tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'évaluation et d'utilisation du prix des licences UMTS au regard du plan de financement des retraites et de gestion de la dette (n° 2917)

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- Information relative à la Commission

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La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a tout d'abord examiné le rapport d'information de M. Jean-Marie Le Guen sur la télévision numérique terrestre (TNT).

M. Jean-Marie Le Guen, rapporteur spécial du budget de la communication, a indiqué que son rapport comportait deux chapitres bien distincts, le premier étant une étude du modèle économique de la télévision numérique terrestre et le second une évocation plus politique de la stratégie à venir du service public de l'audiovisuel.

L'avènement de la télévision numérique terrestre (TNT) semble inéluctable en raison de l'économie de fréquence hertzienne qu'elle génère mais aussi de la possibilité d'améliorer la qualité de l'image et du son et de promouvoir la télévision interactive. Elle est également politiquement souhaitable puisqu'elle permettra notamment la rupture avec le « jacobinisme télévisuel » et l'émergence de télévisions locales et régionales.

Sa mise en _uvre économique est cependant difficile en raison du nécessaire achat d'un décodeur dont le coût minimal sera de l'ordre de 2.000 F. et dont le financement ne peut reposer, au départ, que sur l'intervention d'un opérateur privé de télévision payante sous forme de préachat, ensuite remboursé par l'abonnement mensuel du téléspectateur. C'est la raison pour laquelle les télévisions payantes devraient constituer le moteur de la TNT dans sa phase de lancement et qu'elles pourraient occuper un gros tiers des capacités, le reste étant attribué au secteur public (7 à 8 chaînes, incluant la chaîne parlementaire), à un canal associatif, à un canal régional et aux chaînes privées en clair.

S'agissant de la méthode, il serait bon d'instituer un Comité national de pilotage co-animé par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et des représentants des ministères concernés afin d'animer la promotion de cette nouvelle technologie et de suggérer les réformes techniques ou normatives indispensables à son développement.

Quant au service public de l'audiovisuel, il doit s'orienter vers une stratégie de numérisation sur tous les supports et ne pas reposer exclusivement sur la TNT, puisque le satellite et le câble continueront à occuper une place importante. Devant la croissance des coûts de production de la télévision, il sera indispensable de renforcer les moyens financiers du secteur public, mais à la condition de faire des choix, aussi bien sur ses missions que sur son périmètre. Ces missions sont l'information, les télévisions locales et régionales, les programmes en direction de l'enfance, notamment pour le public âgé de 2 à 12 ans, la promotion de la création culturelle, l'aide au secteur de la production audiovisuelle et la fédération du plus large public possible.

Le coût du développement de la télévision publique dans le numérique , avec la création d'une chaîne d'information en continu et d'un réseau de chaînes régionales, peut être évalué à un montant d'environ 700 millions de francs par an. Cet investissement ne saurait être consenti qu'en échange de réformes du secteur public, comme par exemple le rapprochement fonctionnel et géographique des rédactions du groupe France-Télévision en vue de leur fusion à terme. Cette réforme a été entreprise à la BBC avec des gains de productivité de l'ordre de 50 %. Ces réformes pourront générer des économies d'échelle importantes.

Après avoir observé que les choix technologiques s'imposaient, en pratique, toujours au législateur, et s'être déclaré séduit par la description des missions du service public faite par le rapporteur, M. Pierre Forgues l'a interrogé sur les différences actuelles entre TF1 et France 2.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Olivier de Chazeaux a souhaité savoir quelle distinction le rapporteur faisait entre le secteur public de l'audiovisuel et le service public de l'audiovisuel. Il s'est demandé quelle devait être l'ampleur des réformes à y entreprendre, au-delà des propositions du rapporteur et a indiqué qu'il était favorable, quant à lui, à une libéralisation de ce secteur comme par exemple une ouverture du capital de France Télévision - et non une privatisation -sur le modèle de celle qui a été faite à France Télécom et qui a réservé une grande place à la participation des salariés.

M. Jean-Pierre Delalande a fait part de son inquiétude quant au projet de lancer une chaîne publique exclusivement destinée aux enfants, à moins qu'elle consacre une grande place aux programmes d'aide pédagogique à destination des enseignants. Il est toujours inquiétant de voir l'État prétendre assurer l'éducation des enfants, même par le biais de la télévision.

M. Christian Cabal a exprimé son scepticisme sur la nécessité de lancer la télévision numérique terrestre en France. Il faut rappeler que le câble a été financé par des investissements colossaux sur la base de perspectives erronées de certains ingénieurs et le satellite qui, lui, est une solution très économique connaît un grand succès, même si la concentration des opérateurs peut être un sujet de préoccupation. Lancer la télévision numérique terrestre au seul motif d'assurer le développement de France Télévision risque d'aboutir à un gaspillage des deniers publics, sans réelle plus-value, alors que le paysage dit « de complément » constitué de chaînes thématiques se développe déjà beaucoup. Les équipements de diffusion et de réception seront coûteux et les expériences étrangères aux États-Unis et au Royaume-Uni n'ont pas connu un succès incontestable. Comment sera financé le nouveau système ? Il y a un risque de voir s'établir une taxe supplémentaire ou une augmentation de la redevance, sans que le télespectateur en tire un avantage évident.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-Marie Le Guen a souligné que la TNT et le développement du service public de l'audiovisuel étaient deux dossiers distincts et que ce dernier devait être présent sur l'ensemble des plates-formes, notamment le câble et le satellite. Le lancement de la TNT est économiquement fondé puisqu'il permettra une meilleure gestion des fréquences hertziennes et un développement des télévisions régionales ; il reposera exclusivement sur des fonds privés, à la différence du plan câble. Par ailleurs, le câble et le satellite ne couvriront jamais l'ensemble du territoire, ne serait-ce que pour des raisons juridiques en habitat collectif.

Pour ce qui concerne les programmes télévisés à destination des enfants, c'est bien la situation actuelle qui est choquante puisque ces émissions sont financées par de la publicité et pilotées par le marché, sans souci pédagogique. On doit s'interroger sur le bien-fondé de certaines publicités destinées aux jeunes. Le renforcement du service public vis-à-vis de ceux-ci n'aboutirait pas à un monopole, puisque les nombreuses chaînes thématiques existantes ne seraient pas menacées et pourraient même bénéficier d'un transfert de recettes publicitaires en provenance des chaînes nationales hertziennes si l'on décidait d'y interdire la publicité dans les programmes pour enfants.

Il n'y a pas d'avenir pour le secteur public de la télévision sans recentrage sur ses missions de service public. L'ancien triptyque "informer, divertir, cultiver" est obsolète, notamment dans sa composante divertissement, en raison de l'abondance actuelle de l'offre de programmes.

Le Président Henri Emmanuelli a alors souhaité savoir si cette obsolescence concernait aussi les seuils de concentration, qui renvoient au problème de la liberté de communication.

M. Jean-Marie Le Guen a répondu que la limitation à 49 % du capital des chaînes nationales serait vraisemblablement modifiée pour la TNT, mais qu'il convenait de réfléchir à l'institution d'un autre mécanisme, fondé sur des critères plus pertinents que la propriété du capital, comme, par exemple, les parts de marché, et éventuellement inspirés de la réglementation en vigueur dans d'autres pays européens. Cet allégement de la réglementation anti-concentration ne saurait être unilatéral, compte tenu de la nécessité de préserver les groupes audiovisuels d'OPA hostiles et de maintenir des instruments de maîtrise du paysage audiovisuel.

La réglementation anti-concentration régionale devra aussi faire l'objet d'une adaptation.

M. Francis Delattre a constaté la présence de trois grands groupes prédominants. Il s'est, par ailleurs, interrogé sur les périodes durant lesquelles sont lancés de grands chantiers, tels que la construction du Grand Stade où l'octroi des licences de téléphonie mobile UMTS. Est-il sain que de tels marchés soient lancés un an avant les élections présidentielles ? Le décideur public a-t-il vraiment, dans ces conditions, une liberté de man_uvre ?

Le Rapporteur est convenu que les « nouveaux entrants » dans le secteur de l'audiovisuel n'étaient probablement pas aussi nouveaux qu'il y paraissait. Le droit de la concurrence dans le secteur de l'audiovisuel devra être sans doute réformé, notamment pour accorder à la puissance publique la place qui doit lui revenir et sur ses missions.

Par exemple, il est légitime de s'interroger sur le lancement d'une chaîne d'informations en continu, dont le coût s'élève entre 250 et 300 millions de francs par an, alors qu'il en existe déjà une, privée, et d'ailleurs concurrencée par Euronews dans laquelle le secteur public est actionnaire.

Cela étant, la situation de l'offre paraît moins préoccupante en France que dans certains pays étrangers. Il faut, en effet, rappeler qu'au Royaume-Uni, il existe, dans le secteur satellitaire, un monopole du groupe Murdoch, dont les liens avec la presse tabloïd sont bien connus.

M. Pierre Forgues a insisté, à nouveau, sur le manque de spécificité des chaînes de télévision du secteur public en France. Il est impératif de redéfinir le projet de la télévision de service public, afin de déterminer, ensuite, les moyens qui lui sont nécessaires. Il est préoccupant de constater que le secteur public de l'audiovisuel est de plus en plus financé par des ressources provenant de la publicité, sans que l'on sache bien si ce processus doit se poursuivre.

La Commission, a ensuite autorisé en application de l'article 146, la publication de ce rapport.

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La Commission a procédé à l'examen, sur le rapport de M. Jacques Guyard, Rapporteur, de la proposition de résolution (n° 2917) de M. Olivier de Chazeaux tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'évaluation et d'utilisation du prix des licences UMTS au regard du plan de financement des retraites et de gestion de la dette.

M. Jacques Guyard, Rapporteur, a tout d'abord indiqué qu'il ne conclurait pas en faveur de la création de la commission d'enquête, souhaitée par l'auteur de la proposition, compte tenu du fait que celle-ci ne répondait pas aux conditions de recevabilité des commissions d'enquête, fixée par la loi organique et l'article 140 du règlement de l'Assemblée nationale. En effet, la proposition concerne une procédure en cours, et ne peut donc pas être considérée comme visant les « faits » précis qui sont exigés par les textes, puisque les candidatures pour obtenir les autorisations d'exploiter sont en cours d'examen par l'Autorité de régulation des télécommunications (ART). La commission des finances, pendant la précédente législature, dans le cas, assez proche, d'une proposition de création d'une commission d'enquête sur la procédure, alors en cours, de privatisation de Thomson avait décidé , il y a environ quatre ans, de rejeter cette proposition pour le même motif.

Par ailleurs, la création d'une commission d'enquête répond, en principe, à la nécessité de faire toute la lumière, grâce à des pouvoirs d'investigation étendus, sur des questions qui l'exigent. Or la procédure d'attribution des licences est parfaitement claire : le calendrier et les conditions d'attribution des licences sont totalement transparents. En revanche s'il est vrai que les conditions d'attribution des licences de téléphonie mobile de troisième génération posent un problème politique de fond, il convient d'observer que cette question a déjà été longuement débattue par l'Assemblée. Enfin, le niveau de prix fixé par le Gouvernement pour l'attribution des licences, s'il est bien inférieur à celui d'autres États comme le Royaume-Uni et l'Allemagne, qui ont choisi la procédure des enchères, témoigne sans doute d'une mauvaise appréciation largement partagée, en particulier de la part des entreprises, à une époque où les perspectives de développement d'Internet apparaissaient très supérieures à l'évaluation, plus réaliste, d'aujourd'hui. De surcroît, la commission européenne, qui a déterminé les conditions d'une démarche coordonnée d'introduction de cette technologie entre les États membres, a manifestement sous-évalué le délai au terme duquel celle-ci pourrait effectivement être mise en place et exploitée commercialement. S'il existe un problème de date de la mise sur le marché de ces licences, il faut bien constater que celui-ci est plus crucial au fur et à mesure que le temps passe : le problème est encore pire en Italie. Il faudra bien trouver des moyens de sortir de cette situation, mais la création d'une commission d'enquête n'apparaît pas pertinente à cet égard.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Olivier de Chazeaux a estimé que, s'il y avait une « jurisprudence » Thomson, celle-ci pouvait connaître un revirement. Il importe à la représentation nationale de connaître les conditions dans lesquelles les licences UMTS ont été évaluées.

Le Gouvernement n'a pas retenu les évaluations effectuées par l'ART. L'évaluation des licences a été établie en méconnaissance du marché et des perspectives d'évolution de la norme UMTS. Il semble bien, en fait, que l'évaluation de 32,5 milliards de francs par licence ait été faite, par le Gouvernement, de manière quelque peu arbitraire pour répondre aux besoins de financement du compte d'affectation spéciale créé par l'article 36 du projet de loi de finances pour 2001, c'est-à-dire, en pratique, pour financer le fonds de réserve pour les retraites et le désendettement de l'État.

La procédure d'octroi des licences paraît, en outre, entachée d'irrégularités dans la mesure où deux opérateurs se sont retirés. Pourtant, le Gouvernement et l'ART ont considéré qu'il fallait aller au terme de la procédure. L'évaluation du prix des licences, comme le problème financier actuel, justifient donc la création de cette commission d'enquête.

M. Francis Delattre a rappelé que la politique des « noyaux durs » et des privatisations avait pu faire l'objet d'une commission d'enquête, tel fut le cas pour la privatisation de TF1. On ne voit donc pas quelles raisons peuvent être avancées pour refuser la commission d'enquête proposée, d'autant qu'il ne serait pas compris que l'Assemblée nationale n'examine point les conditions d'évaluation des licences UMTS et reste silencieuse, alors que le Sénat s'alarme des conditions de financement du fonds de réserve pour les retraites.

Le Président Henri Emmanuelli a considéré que le parallèle avec la commission d'enquête sur les privatisations n'avait pas lieu d'être dans la mesure où les privatisations avaient été effectuées à l'époque de la création de cette commission, alors que le processus visé par la présente proposition de résolution n'est pas achevé et que rien d'anormal ou d'opaque n'entache le processus de dévolution des licences. La création d'une commission d'enquête n'est pas opportune, - une commission d'enquête n'est, à l'évidence, pas utile pour constater que les sommes escomptées ne sont pas allées là où il était prévu qu'elles aillent. En revanche, l'audition du Gouvernement, comme celle de l'ART, par la commission seraient plus utiles. Le Gouvernement avait d'ailleurs pris des engagements en ce sens. Cela étant, il faut convenir que, dans cette affaire, la Commission européenne et les entreprises se sont largement trompées et le Gouvernement un peu moins. Les évaluations effectuées par ce dernier ont été, de toute évidence, plus raisonnables qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne.

M. Olivier de Chazeaux a rappelé que les propositions d'évaluation avaient été contestées.

Le Président Henri Emmanuelli a indiqué que nombre d'opérateurs, lors du lancement de l'opération, avaient eu des craintes alors que ces évaluations étaient connues, de ne pas être retenus. Il y a donc eu, y compris de leur part, un manque de lucidité.

La Commission a ensuite rejeté, conformément à la position du Rapporteur, la proposition de résolution.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a désigné M. Jacques Guyard comme rapporteur sur la proposition de résolution de M. Olivier de Chazeaux tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'évaluation et d'utilisation du prix des licences UMTS au regard du plan de financement des retraites et de gestion de la dette (n° 2917).

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