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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 51

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 30 mai 2001
(Séance de 11 heures 45)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

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Audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, préalable au débat d'orientation budgétaire pour 2002



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La Commission des finances, de l'économie générale et du plan a procédé à l'audition de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de Mme Florence Parly, secrétaire d'Etat au budget, préalablement au débat d'orientation budgétaire pour 2002.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a souhaité récapituler les grands axes de la politique menée depuis quelques années par le Gouvernement, avant d'indiquer dans quel esprit pouvait être préparée la période budgétaire à venir.

Il a indiqué que, depuis 1997, le Gouvernement avait eu avant tout la volonté d'améliorer l'emploi, ce qui supposait de réveiller la croissance. On peut noter que chaque exercice de cette période a été marqué par un choc extérieur, qu'il s'agisse de la crise des pays émergents de 1998 et 1999, du choc pétrolier de l'automne dernier ou des incertitudes pesant aujourd'hui face au fort ralentissement de l'activité économique américaine. Toutefois, le Gouvernement a réussi à obtenir une croissance plus forte que celle de nos principaux partenaires, à améliorer la situation des finances publiques - même si beaucoup reste à faire - à accroître la justice sociale et à maintenir la confiance des ménages et des entreprises.

La croissance française se caractérise jusqu'ici par deux traits principaux : son ampleur et sa relative régularité. Avec les Etats-Unis et le Canada, la France se trouve dans le peloton de tête au sein du G7, mais, dans le même temps, de tous les pays du G7, elle est, avec le Royaume-Uni, celui dont la croissance a enregistré le moins d'à-coups. Deux facteurs permettent d'expliquer le chemin de la croissance française : d'une part, une demande intérieure plus dynamique portée par des créations d'emplois plus vigoureuses et un climat de confiance mieux orienté que chez nos voisins, d'autre part, une économie rendue moins sensible aux chocs de conjoncture grâce à un appareil de production qui s'est modernisé et fait une plus large part aux services qu'auparavant.

L'action menée depuis quatre ans a contribué à augmenter le potentiel de croissance à moyen terme de notre économie. En menant une politique active en faveur de l'emploi et de la formation, en luttant contre l'exclusion du marché du travail, en soutenant l'innovation et la diffusion des technologies de l'information et de la communication dans l'économie, en améliorant, par certaines réformes de structure, l'efficacité des producteurs privés et publics, au total nous avons renforcé notre potentiel de croissance. Le signe le plus évident en est que le taux de chômage a retrouvé au mois de mars 2001 un niveau qu'il n'avait pas connu depuis 18 ans. Ce résultat est d'autant plus remarquable qu'il intervient - fait très rarement souligné - dans un contexte de forte progression de la population active, celle-ci augmentant de près de 200.000 personnes par an depuis 1998.

Il faut également souligner le fait que cette progression de l'emploi accompagne un rééquilibrage des revenus entre le capital et le travail. Nous avons travaillé sur la question de savoir à qui avait profité le surplus de richesses dégagées. Les résultats de l'enquête montrent que, depuis 1997, le travail bénéficie d'environ les deux-tiers des surplus de richesses créés chaque année dans les entreprises, sous forme de progression du pouvoir d'achat des salaires. Les données les plus récentes mettent en particulier en évidence que la ponction pétrolière sur le pouvoir d'achat a été un peu plus faible que cela avait été initialement estimé en 2000, ce qui a finalement permis un gain de pouvoir d'achat supérieur à un demi-point. Les indications disponibles sur le début de l'année portent même à 1% la hausse du pouvoir d'achat sur un an. Il faut ajouter que ces évolutions ne prennent pas en compte les baisses d'impôts : compte tenu de celles-ci, le travail a en fait bénéficié de 80% des fruits de la croissance, le capital de 20%.

A ce résultat s'en ajoutent deux autres : d'une part, le taux d'investissement, c'est-à-dire la part des richesses créées que notre économie consacre à la création de richesses futures, atteint un niveau inconnu depuis une vingtaine d'années. D'autre part, l'inflation est contenue, même si elle est encore un peu forte, alors que, chez nos partenaires, flambée des cours pétroliers et baisse de l'euro vis-à-vis du dollar ont fait grimper les prix. Il convient de signaler un phénomène nouveau s'agissant des prix pétroliers : certes, l'augmentation importante des prix du brut et le fléchissement de l'euro ont contribué à la hausse de ces prix, mais il semble qu'à la différence de ce qui avait pu se passer auparavant, les marges du raffinage ont progressé : peut-être faut-il y voir l'effet d'un phénomène de cartellisation. La relative sagesse des prix français est un indice encourageant pour l'avenir et suggère qu'il reste une marge significative pour faire baisser encore le chômage et améliorer l'emploi. L'ensemble de ces facteurs, création forte d'emplois, demande intérieure puissante, diffusion de l'innovation dans l'économie, font qu'une croissance annuelle proche de 2,5 à 3% et durablement non inflationniste est à notre portée, alors que notre potentiel de croissance était limité à 2% au milieu des années 90. Cela devrait permettre à la France, en partie mais en partie seulement, de rester à l'abri, en tout cas mieux que d'autres, des effets du ralentissement américain.

S'agissant de ce dernier, il faut tenir un langage de vérité. L'atterrissage de l'économie américaine était attendu, mais il a surpris par son ampleur et sa rapidité. Les Etats-Unis sont passés d'un rythme de croissance annualisé de 5% au début de l'année 2000 à un rythme de l'ordre de 1,5% au début de 2001. Si l'on ajoute à cette situation le fait que l'activité au Japon est atone, c'est une part très significative du PIB mondial qui est affectée, dans un contexte de chute des valeurs technologiques et de corrections des marchés financiers. Au sein de l'Union européenne, les situations sont très différenciées. L'Allemagne est sans doute le pays le plus exposé au ralentissement américain, ce qui est préoccupant, dans la mesure où il s'agit d'un de nos plus importants partenaires. En effet, la relance de la consommation intérieure reste faible et, s'ajoutant aux problèmes de compétitivité, les liens des entreprises allemandes avec les entreprises américaines sont beaucoup plus forts que ceux des entreprises françaises. La prévision de croissance officielle pour 2001 est de l'ordre de 2%, mais il ne serait pas surprenant que les résultats se situent en-dessous de ce chiffre.

S'agissant de la France, nous allons réexaminer nos prévisions de croissance fin juin-début juillet. Il est exact que les résultats du premier trimestre sont décevants, avec une croissance de 0,5%. En effet, si la consommation des ménages reste forte, avec une progression de 1,3%, les importations et les exportations sont plus modérées, compte tenu du contexte économique mondial, et, surtout, les entreprises ont procédé à un déstockage massif, qui a contribué à réduire de 0,8% l'activité au premier trimestre. Les chefs d'entreprise ont sans doute surréagi à l'évolution de la conjoncture en déstockant massivement, comme l'avaient fait leurs homologues américains. La brutalité même de cet ajustement au premier trimestre devrait cependant préserver l'activité des trimestres à venir. On peut observer à travers ce phénomène que, dans une économie de plus en plus globalisée, le délai de diffusion des chocs entre les grandes zones économiques est beaucoup plus court qu'auparavant. Si le premier trimestre est décevant, les prévisions d'investissements restent bonnes malgré tout, avec une croissance prévue de 6% sur l'exercice, contre 8% anticipés précédemment.

Il conviendra toutefois d'être attentif au maintien d'une demande interne forte, en soutenant tout d'abord la confiance des ménages par une maîtrise de l'inflation et une poursuite des baisses d'impôts, ces dernières n'étant d'ailleurs désormais plus guère critiquées. Ensuite, il ne faut pas décourager les entreprises, afin de leur faire retrouver un bon rythme d'investissement.

S'agissant de la conjoncture outre-Atlantique, un retour immédiat aux taux de croissance connus à la fin des années 90 n'est pas envisageable. Il conviendra sans doute d'attendre des mois, voire des trimestres, avant de pouvoir constater une reprise significative. Les effets de contagion de ce phénomène ont été brusques et notre économie devra affronter non seulement l'atonie de la demande que nous adressent les Etats-Unis, mais aussi celle d'autres pays touchés à leur tour par ce ralentissement. S'il s'agit bien d'un ralentissement et non pas d'un retournement, il convient certes de rester vigilants, mais aussi de ne pas surréagir, en gardant confiance dans la solidité de l'économie française. Compte tenu de la robustesse confirmée de la consommation des ménages, notre économie sera affectée par la conjoncture américaine, mais ne connaîtra pas d'inversion de la croissance.

L'évolution de la conjoncture, autant que les résultats obtenus depuis quatre ans, nous invitent à poursuivre notre stratégie de finances publiques. Sa clé de voûte en est connue : une évolution maîtrisée des dépenses, grâce à une gestion dynamique, avec la fixation d'objectifs pluriannuels. Pour 2002, le Premier ministre a fixé l'augmentation des dépenses à 0,5%, taux qui doit être comparé à l'augmentation de 0,3% prévue en 2001. Au total, nous restons dans la fourchette d'une croissance des dépenses de 1% sur trois ans. Cela nécessite pour les ministères concernés de définir un budget serré. Toutefois, cette maîtrise de la dépense est indispensable et permet de jouer sur les mécanismes d'amortisseurs. Nous avons décidé, en effet, de ne pas définir nos objectifs de dépenses en fonction de la conjoncture économique, et ce afin de ne pas contrarier la croissance et de ne pas déséquilibrer nos finances publiques.

M. Laurent Fabius a ainsi précisé que, depuis 1997, plus de 30 milliards de francs d'économies et de redéploiements ont été réalisés chaque année, ce qui a permis de financer les mesures nouvelles. Grâce à cette gestion active de la dépense, près de 90% de la progression du budget de l'Etat ont pu être affectés aux secteurs prioritaires que sont l'éducation, la lutte contre les exclusions, la sécurité, la justice et l'environnement. Les budgets correspondant à ces secteurs prioritaires ont progressé de 14% en valeur entre 1997 et 2001, contre 1,6% pour les autres budgets. Ces chiffres illustrent parfaitement la gestion sélective de la dépense menée depuis 1997.

Les baisses d'impôt se sont élevées à 160 milliards de francs depuis 1997. Elles portent pour les deux tiers sur les grands impôts nationaux et pour un tiers sur la fiscalité locale. Ces baisses ont été compensées, en 1999, par le dynamisme spontané des recettes fiscales et sociales, les recettes fiscales ayant été soutenues par une élasticité très élevée à la croissance, spécialement pour l'impôt sur les sociétés, et les recettes sociales ayant été influencées par la progression de la masse salariale. Le taux de prélèvements obligatoires s'est cependant nettement infléchi en 2000 et sa diminution devrait se poursuivre en 2001 et 2002. Au total, les allégements volontaristes de prélèvements obligatoires pourraient représenter 2,2 points de PIB entre 1997 et 2002.

Le besoin de financement des administrations publiques s'est nettement réduit depuis le début de la législature, passant de - 3,5% du PIB en 1997 à - 1,3% en 2000. En outre, depuis 1999, le poids de la dette publique dans le PIB diminue de plus d'un point de PIB par an en moyenne et le Gouvernement entend poursuivre dans cette voie.

Pour fixer à moyen terme l'évolution des dépenses publiques, la politique budgétaire de la France doit prendre en compte deux préoccupations : le soutien à la croissance potentielle et le renforcement de l'efficacité de la dépense publique, d'une part, l'anticipation des conséquences financières du vieillissement de la population, d'autre part. Sur ce dernier point, la France occupe une situation moyenne en Europe. Ces deux préoccupations commandent d'alléger le poids de la dette léguée aux générations futures. Il n'apparaît pas souhaitable, néanmoins, de procéder à cet allégement par une augmentation des prélèvements obligatoires, car, en premier lieu, cette augmentation pourrait avoir des effets inverses de ceux désirés et, en second lieu, une évolution modérée des dépenses paraît compatible avec les objectifs de la politique de l'emploi.

Le budget 2002 devrait être un budget de mouvement et de redéploiements. Compte tenu des évolutions probables des charges de la dette et des dépenses de fonction publique, le montant des mesures nouvelles devrait être sensiblement égal à celui des redéploiements réalisés. La progression en volume des dépenses de l'Etat a été de 0,33% par an en moyenne entre 1998 et 2001, ce qui est cohérent avec la norme de 1% sur 3 ans fixée dans le programme pluriannuel. Le cadrage de 0,5% en volume retenu pour le projet de loi de finances pour 2002 est également conforme à ce programme. Les baisses d'impôts devront se poursuivre également en 2002, conformément au plan pluriannuel 2001-2003, à hauteur de 38 milliards de francs. La réduction dégressive du barème de l'impôt sur le revenu sera mise en _uvre pour la troisième année consécutive et la deuxième étape de la suppression de la surtaxe dite « Juppé » sur les bénéfices des entreprises sera franchie en 2002. Le doublement de la prime pour l'emploi sera proposé et la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle disparaîtra complètement en 2003. Par ailleurs, le déficit budgétaire devrait pouvoir être réduit en 2002 par rapport à la loi de finances pour 2001, mais l'ampleur de la réduction sera en partie déterminée par la croissance économique.

En conclusion, M. Laurent Fabius a rappelé que la politique menée par le Gouvernement avait pour objet principal la réduction du chômage et l'accroissement de la solidarité, dans une conjoncture marquée par un ralentissement sans retournement.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a observé qu'en mars 2001, le Gouvernement avait procédé à une révision à la baisse des hypothèses de croissance et que, par ailleurs, les recettes fiscales nettes au premier trimestre sont dans l'ensemble assez peu dynamiques. Il a donc souhaité obtenir des estimations sur la progression des recettes en 2001, notamment au regard des prévisions inscrites dans la loi de finances initiale. Il a également demandé des éléments d'information sur l'exécution du budget 2001 en matière de dépenses, car il semblerait que des dépassements ont été constatés par rapport au rythme observé en 2000.

S'agissant du ralentissement des investissements, il s'est interrogé sur ses conséquences sur l'ensemble de la croissance en 2001.

En ce qui concerne le financement des allégements de charges sociales patronales liés au passage aux 35 heures, il a souhaité connaître les ajustements rendus nécessaires par la remise en cause des modalités arrêtées l'année dernière. En outre, il a demandé des précisions sur les principes généraux qui devraient guider la fixation de règles de compensation prenant en compte la contribution apportée par la politique de l'emploi à l'amélioration de tous les comptes publics.

Enfin, ayant rappelé l'amélioration des comptes des administrations sociales et de ceux des collectivités locales depuis 1997, il a fait valoir qu'il serait peut-être temps d'entreprendre un réexamen des relations entre les budgets sociaux, ceux des collectivités locales et le budget de l'Etat.

M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a tout d'abord noté que l'effet du ralentissement conjoncturel sur les recettes ne pourra être évalué avec une relative précision qu'à la fin du mois de juin, après le versement du deuxième acompte de l'impôt sur les sociétés. Il a néanmoins indiqué qu'il n'avait pas d'inquiétude particulière sur l'évolution de la TVA, que les moindres rentrées enregistrées en matière de taxe intérieure sur les produits pétroliers résultaient des mesures d'allégement votées par le Parlement et qu'il ne devrait pas y avoir de surprise en matière d'impôt sur le revenu. La principale inconnue est donc liée aux rentrées de l'impôt sur les sociétés, l'ensemble devant se trouver sensiblement en ligne avec les prévisions.

En ce qui concerne l'exécution des dépenses, des contrats de gestion ont été conclus avec les « ministères dépensiers » et, si l'Etat doit faire face à des dépenses exceptionnelles, notamment pour atténuer les conséquences de l'encéphalopathie spongiforme bovine, la situation est néanmoins maîtrisée.

La poursuite du déstockage par les entreprises pourrait être préoccupante, mais cela n'empêcherait pas la croissance de correspondre aux prévisions : la croissance devrait finalement être assez proche du plancher retenu par les prévisions révisées, qui retiennent une fourchette de plus ou moins 0,2 point autour d'une moyenne de 2,9%.

Les allégements des charges sociales sont principalement constitués par la ristourne dégressive décidée par le gouvernement de M. Alain Juppé. Par ailleurs, même si c'est l'Etat qui compense la majeure partie de ces allégements, il paraîtrait légitime que la sécurité sociale, qui bénéficie de surplus financiers grâce aux créations d'emplois liées aux allégements précités, apporte sa contribution à leur financement.

Les comptes des collectivités locales, prises globalement, sont excédentaires de 40 milliards de francs en 2000, bien que certaines d'entre elles soient dans une situation financière difficile. La sécurité sociale est également excédentaire, à hauteur de 54 milliards de francs, et l'État, en 2000, affiche un déficit de 190 milliards de francs.

Il faut éviter le raisonnement simpliste et erroné qui attribue à une mauvaise gestion le déficit de l'État. Un raisonnement correct consiste plutôt à affirmer que la bonne gestion est nécessaire, tant pour l'État que pour les collectivités locales et la sécurité sociale, et que chacun doit prendre sa part des efforts visant à améliorer la situation générale des finances publiques.

Par exemple, il n'y a certainement pas assez de solidarité s'agissant des collectivités locales. Or, la solidarité doit se manifester d'abord entre les collectivités elles-mêmes plutôt que reposer sur une intervention accrue de l'État. Il faut refuser l'approche démagogique qui consisterait à soulager les collectivités locales en accroissant les difficultés de l'État.

En matière de sécurité sociale, il convient d'analyser l'origine des évolutions favorables que l'on a pu constater ces toutes dernières années, tout en se projetant sur une plus longue période. Une partie du redressement provient, à l'évidence, de l'amélioration de la conjoncture : il est normal que les comptes sociaux bénéficient de la baisse du chômage et de l'augmentation de l'emploi. Cependant, cette évolution doit s'inscrire dans la durée. On doit donc réfléchir à la façon d'assurer l'équilibre à long terme de la branche « maladie » comme de la branche « retraites ». De même, les caisses nationales ne doivent pas considérer qu'elles sont propriétaires de leurs excédents respectifs éventuels : elles ont une responsabilité commune dans l'équilibre financier des comptes sociaux. A cet égard, le Gouvernement doit constater que les conditions dans lesquelles ont été menées les négociations, entre les partenaires sociaux, sur le dispositif relatif à l'Association pour la gestion de la structure financière (ASF) se sont traduites par une perte de cotisations de 10 milliards de francs environ.

Mme Florence Parly, secrétaire d'État au budget, a rappelé que les résultats d'exécution budgétaire au 31 mars 2001 montraient, en apparence, une dégradation par rapport à la période équivalente de l'année 2000. En particulier, le déficit est supérieur de 28 milliards de francs au niveau atteint à la fin du premier trimestre de 2000. Mais cette lecture rapide donne une image erronée de la réalité :

- en matière de dépenses, les dépenses militaires en capital avaient été exceptionnellement modérées dans la première partie de l'année 2000. Elles retrouvent en 2001 un profil d'exécution plus conforme à la normale. Le niveau des dépenses constaté à la fin du mois de mars 2001 n'annonce donc pas un dérapage en fin d'année, mais traduit un rééquilibrage de la consommation infra-annuelle des crédits ;

- en matière de recettes, on constate des moins-values sur la TVA et la TIPP par rapport aux encaissements du premier trimestre 2000. Cependant, les comparaisons sont faussées par le fait que le taux normal de TVA était encore de 20,6% sur cette période, alors qu'il a été depuis ramené à 19,6%. De même, le mécanisme de « TIPP flottante » instauré par la loi de finances pour 2001 a des conséquences sensibles sur les encaissements. Il apparaît, en fait, que les pertes de recettes découlant des allégements fiscaux précités correspondent exactement aux moins-values constatées pendant les trois premiers mois de l'année 2001. Il n'y a donc pas, à ce stade, d'inquiétudes à nourrir quant au niveau des recettes fiscales pour l'ensemble de l'année 2001, même si l'aléa est aujourd'hui, contrairement aux années passées, à la baisse.

En tout état de cause, le processus des « contrats de gestion » a été réactivé en 2001 dans les mêmes conditions qu'en 2000, ce qui contribuera à maîtriser le niveau de la dépense sur l'ensemble de l'exercice.

Par ailleurs, le décret d'avance du 21 mai 2001 a ouvert un peu plus de 3 milliards de francs de crédits supplémentaires, gagés par des annulations d'un même montant, les crédits étant destinés, pour l'essentiel, à faire face au traitement de la crise de l'ESB et de l'épizootie de fièvre aphteuse.

M. Philippe Auberger a qualifié l'exposé du ministre de lénifiant. Quatre points mériteraient, pour le moins, des explications complémentaires.

En premier lieu, le suivi de la conjoncture montre que des incertitudes nouvelles apparaissent chaque jour, qui justifieraient de réviser assez sensiblement à la baisse les prévisions de croissance. M. Wim Duisenberg, Président de la Banque centrale européenne, a indiqué, il y a quelques jours, que la zone euro ne connaîtrait pas, en moyenne, une croissance supérieure à 2,5% en 2001. La fourchette de 2,9-3,3% initialement retenue pour la France par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie apparaît manifestement surévaluée. On peut donc s'interroger sur les répercussions de ce ralentissement économique sur les finances publiques en 2001. Par ailleurs, il faudra bien que l'État finance le « trou » du FOREC, qui est estimé à 25 ou 30 milliards de francs pour l'année 2001. Faudra-t-il donc recourir à l'affectation à ce fonds d'une part supplémentaire du produit de la taxe sur les conventions d'assurance ?

En deuxième lieu, on voit mal comment la baisse des prélèvements obligatoires, telle qu'elle est affichée dans le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, pourrait advenir, dès lors que les allégements d'impôts évoqués par le ministre se limitent à une trentaine de milliards de francs.

En troisième lieu, rien n'a été dit sur l'objectif de déficit en 2002. Une amélioration de 5 milliards de francs est, à l'heure actuelle, prévue entre le résultat d'exécution pour 2000
(- 191 milliards de francs) et le solde prévisionnel de la loi de finances initiale pour 2001
(- 186 milliards de francs). L'évolution sera-t-elle identique entre 2001 et 2002 ? En matière de réduction du déficit public, la France est déjà à la traîne de ses partenaires en 2001 ; en sera-t-il de même en 2002 ?

Enfin, l'Autorité de régulation des télécommunications doit indiquer dans les tout prochains jours quelle doit être la marche à suivre au regard de l'attribution des licences UMTS. Le Gouvernement, pour sa part, a indiqué que l'essentiel des recettes tirées de la vente de ces licences irait au fonds de réserve pour les retraites (FRR). Or le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, adopté par l'Assemblée nationale le 10 mai dernier, propose d'ériger le FRR en établissement public administratif. Les règlements de comptabilité publique obligent cette catégorie d'établissements à limiter leurs placements financiers aux obligations d'État ou titres assimilés, à l'exclusion des actions. Ces règlements seront-ils appliqués au FRR ? La constitution d'un fonds n'aurait alors aucun intérêt financier et il vaudrait mieux désendetter l'État directement. Une dérogation sera-t-elle mise en _uvre pour le FRR ? On aboutirait alors à la création d'un fonds de pension mutualisé par capitalisation, ce qui serait en décalage flagrant avec les options affichées par les promoteurs du FRR.

M. Pierre Méhaignerie a estimé que l'intervention du ministre témoignait d'une certaine inquiétude et contenait beaucoup d'imprécisions. Cela est dû, certainement, aux incertitudes de la conjoncture et, au moins autant, à celles affectant les futurs arbitrages en matière de finances publiques.

Le changement de conjoncture est très perceptible : on devine déjà, dans les collectivités locales, un prochain « effet de ciseau » dû à la rétraction des recettes et à l'accroissement des dépenses. Les 35 heures et l'allocation personnalisée d'autonomie ne sont pas étrangères à ce sentiment largement partagé. Quelles sont donc les marges de man_uvres de l'État en 2001 ? Une régulation budgétaire sera-t-elle mise en _uvre ? Les investissements seront-ils, comme d'habitude, sacrifiés ?

Au-delà des aspects conjoncturels, le ministre a affirmé que le Gouvernement souhaitait élever le potentiel de croissance à moyen terme de l'économie française. Or, le message commun qui vient du monde des entreprises - y compris de la part d'anciens collaborateurs du ministre - est que la France est en train de perdre la bataille de la croissance, car elle tarde à mettre en place des réformes structurelles profondes. Le parallélisme entre 2002 et 1992 est frappant : on observe simultanément une diminution des marges de man_uvre et une incapacité inquiétante à prendre les mesures nécessaires pour surmonter les difficultés et rebondir ensuite.

Le Président Henri Emmanuelli a remarqué que d'aucuns pourraient s'interroger sur l'exemple des États-Unis, qui passent d'un taux de croissance de 5% en 2000 à 1% ou 1,5% en 2001, malgré leurs prétendues « performances » en matière de réformes structurelles.

M. François d'Aubert a estimé qu'une conjoncture « mouvante » expliquait peut-être l'extrême prudence du ministre. Il faudra bien pourtant affronter le bouclage du budget 2001 et la préparation du budget 2002, qui ne pourra être qu'un budget « électoral ».

En 2001, on observe déjà une diminution sensible des recettes et une augmentation des dépenses. Au demeurant, ce décalage montre clairement combien les baisses d'impôt
- qui sont en soi une bonne chose - doivent aller de pair avec une baisse des dépenses pour assurer un véritable assainissement des finances publiques. Existe-t-il un plan de régulation budgétaire pour assurer l'exécution dans de bonnes conditions du budget 2001 ?

Le ministre a indiqué que les investissements des entreprises sont en diminution. Y a-t-il une corrélation entre ce phénomène et la mise en place des 35 heures ? Peut-être, lorsqu'on voit que des grands groupes français préfèrent désormais investir à l'étranger plutôt qu'en France.

Les grands problèmes structurels de l'économie française ne sont, pour leur part, toujours pas traités : on ne voit rien venir en matière de retraites, les hôpitaux manquent de personnel et le passage aux 35 heures dans la fonction publique aura nécessairement un coût sur lequel il faudra bien faire la lumière. Comment le Gouvernement compte-t-il régler tous ces problèmes dans une conjoncture affaiblie ?

M. Daniel Feurtet a souligné qu'une croissance riche en emplois reposait sur une forte demande intérieure, laquelle était fonction non seulement du pouvoir d'achat, mais également de l'importance des investissements réalisés en matière de formation ou de recherche et par les entreprises. Or, une demande intérieure forte est désormais une nécessité pour faire face aux variations de la demande extérieure.

Par ailleurs, beaucoup de gens se sentent exclus de la croissance : il faut des choix budgétaires plus imaginatifs pour envoyer des signes politiques forts en direction de cette frange de la population.

Il s'est déclaré préoccupé par l'importance des compensations versées par l'Etat aux collectivités locales, déplorant que l'Etat ait à supporter, comme cela est le cas pour la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, des charges incombant à d'autres. Si l'Etat se voyait déchargé d'une part de ces obligations de compensation en faveur des collectivités locales, cela permettrait d'accroître autant les marges de man_uvre de la politique budgétaire. De même, les travaux de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) mettent en évidence l'importance des marges d'efficacité de la dépense publique en France : il serait donc souhaitable que le Gouvernement entende davantage les recommandations de la MEC.

M. Michel Bouvard a souhaité obtenir des précisions sur les conséquences budgétaires de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, rappelant que celle-ci allait se cumuler avec le départ en retraite d'un nombre important d'agents, réduisant d'autant les moyens humains de cette fonction publique. Il s'est par ailleurs inquiété du faible niveau de l'investissement public, et notamment des investissements de l'Etat : lorsque la croissance est susceptible de se ralentir, l'investissement public doit jouer un rôle de soutien. Or, bien que la France paraisse désormais confrontée à cette situation, il semblerait que l'investissement public soit destiné à servir de variable d'ajustement au ralentissement de la croissance. Or, de nombreux rapports de la Cour des comptes soulignent la faiblesse de l'investissement de l'Etat, par exemple dans le domaine du patrimoine routier.

Après s'être interrogé sur l'avenir de « l'écofiscalité » en France, M. Yves Cochet a souligné les insuffisances du discours sur la croissance. Certes, celle-ci, moins forte que dans le passé, sera sans doute mieux partagée. Mais ce discours s'adresse essentiellement aux couches moyennes de la population. En revanche, les couches les plus populaires, confrontées à la montée des inégalités, se sentent exclues de la croissance. Il convient de mettre un terme à cette situation, car une bonne croissance est avant tout celle qui permet l'adhésion à la démocratie. Il convient donc de faire bénéficier les couches les plus populaires des fruits de la croissance. Ne pourrait-on pas deserrer « les cordons de la bourse » en faveur des plus démunis, par exemple en augmentant les minima sociaux et le SMIC ?

M. Augustin Bonrepaux a souhaité que le Gouvernement maintienne le cap de la politique suivie depuis quatre ans et se garde, bien que la conjoncture présente des signes de faiblesse, de trop réduire les dépenses publiques ou de trop accroître la fiscalité. Des marges de man_uvre budgétaires existent bel et bien : des économies sont ainsi tout à fait réalisables dans la fonction publique, où il y a des marges de productivité.

En matière de fiscalité, il a appelé de ses v_ux la poursuite de la politique de simplification mise en _uvre par le Gouvernement, évoquant l'exemple de la suppression de la vignette automobile qu'il conviendrait de mener jusqu'à son terme.

Les compensations versées par l'Etat aux collectivités locales sont importantes, notamment depuis 1997. Toutefois, ces compensations se révèlent insuffisantes au regard des charges supplémentaires que l'on impute aux collectivités locales. Par exemple, les charges de l'allocation personnalisée d'autonomie, qui ne feront pas l'objet d'une compensation intégrale de la part de l'Etat, se répercuteront sur le contribuable local.

Il a évoqué la politique en faveur de la coopération intercommunale d'agglomération, déplorant que, dans les faits - même si cela ne correspondait pas à la volonté du législateur - celle-ci se soit traduite par des transferts financiers au détriment des groupements en zones rurales. Il est urgent de corriger cette évolution, afin de pérenniser un système globalement égalitaire.

M. Charles de Courson a fait part de trois inquiétudes. La première est relative aux perspectives incertaines en matière de dépenses d'assurance-maladie et de retraites, aux aléas affectant le financement du FOREC ainsi qu'à la dérive des dépenses de l'Etat, dont les dépenses de fonctionnement ne cessent d'augmenter alors que les dépenses d'investissement s'effondrent. En deuxième lieu, on ne peut affirmer que les prélèvements obligatoires ont diminué, alors qu'ils se situaient à 44,7% du PIB en 1997 et qu'ils devraient atteindre 44,5% en 2002. En fait, les fruits de la croissance ont été dilapidés sans avoir contribué à la réduction des prélèvements, les baisses d'impôt n'étant qu'une simple restitution aux Français des surplus de prélèvements constatés. Enfin, on ne note, au cours des trois dernières années, aucune baisse du solde structurel, qui avait été réduit de 3,1 points entre 1993 et 1997.

M. Gilbert Gantier a demandé comment le Gouvernement comptait réagir face à la décroissance de la productivité française globale comparée à celle des autres pays, constatée depuis trois ans.

M. Laurent Fabius a remercié les différents intervenants et répondu sur les principaux points abordés, soulignant que le débat en séance publique offrirait l'occasion de poursuivre cet échange.

Sur le financement des 35 heures, il n'est pas question qu'il entraîne la détérioration de la situation budgétaire. Aucun plan de régulation budgétaire n'est prévu pour 2001 : s'agissant des recettes, la plupart d'entre elles sont assises sur des bases de 2000, ce qui les met, pour cette année, à l'abri de la conjoncture ; s'agissant des dépenses, les contrats de gestion avec les ministères rempliront leur rôle sans régulation autoritaire. En revanche, des incertitudes subsistent pour le budget 2002, mais il est encore trop tôt pour les aborder.

On ne peut affirmer que la France est en train de réduire ses capacités de faire face à l'avenir. Un rapport a été demandé à M. Michel Charzat, député, sur ce point et sur l'évolution prévisible de la productivité, question qui deviendra encore plus cruciale avec la mise en circulation de l'euro. En terme de compétitivité globale de la Nation, il faut trouver un point d'équilibre entre le juste niveau des prélèvements obligatoires et le bon fonctionnement des services publics : si l'on raisonne en ces termes, certaines affirmations simplistes perdent toute pertinence.

Si le rythme des investissements des entreprises s'atténue, il reste néanmoins très important, de l'ordre de 6%, ce qui est bien supérieur à ce qu'il était dans le passé. Il ne faut pas opposer consommation intérieure soutenue et investissement, car la croissance à besoin des deux et il existe une corrélation entre eux.

Le ministre a approuvé la nécessité de réduire encore les exclusions, d'approfondir la réflexion sur l'écofiscalité, de renforcer l'efficacité de la dépense publique partout où c'est possible, notamment en tenant compte des propositions qui pourront être faites par les parlementaires, et, enfin, de réfléchir au niveau souhaitable des transferts effectués par l'Etat en direction des collectivités locales.

Il est faux de parler de gaspillage de la croissance et de l'absence de baisse des prélèvements obligatoires. L'augmentation de la richesse nationale a été utilisée pour des baisses d'impôts massives et l'amélioration du sort du plus grand nombre. Il est faux également de soutenir que les dépenses d'investissement de l'Etat décroissent, alors qu'elles repartent de façon significative.


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