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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 59

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 juillet 2001
(Séance de 15 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président,

puis de M. Didier Migaud, Rapporteur général,

puis de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur le renseignement par l'image (M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial)

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- Audition de M. Michel Prada, Président de la Commission des opérations de Bourse

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La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a tout d'abord examiné le rapport d'information de M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial, sur le renseignement par l'image.

M. Jean-Michel Boucheron a tout d'abord relevé que le sujet de ce rapport n'appartenait pas aux zones d'intérêt traditionnel du contrôle parlementaire puisqu'il traitait de données dont certaines étaient classifiées et il a tenu à particulièrement remercier le ministre de la Défense d'avoir rendu possible ce travail.

Depuis le déclin accentué de la Russie dans le domaine spatial, les États-Unis représentent la seule puissance mondiale disposant d'un système global de renseignement par l'image qu'ils s'apprêtent à développer encore, grâce à des investissements massifs, aussi bien dans les satellites que dans les drones (avions sans pilote). Cette multiplication des capteurs et des systèmes de fusion de données qui les exploitent laissent présager l'édification d'un véritable métasystème. Dès lors, la question est de savoir si l'Europe est en mesure de construire un système alternatif qui puisse permettre d'imposer le dialogue avec les États-Unis, même s'il n'est pas réaliste d'envisager une relation d'égal à égal.

Ces métasystèmes d'observation reposent sur l'exploitation de plusieurs bandes du spectre électromagnétique (optique, infrarouge et radar) et mettent en jeu des vecteurs aussi différents que les satellites en orbite basse, dont la résolution peut descendre jusqu'à quinze centimètres, les avions et les drones qui permettent une certaine permanence sur zone et ont le grand avantage de ne pas engager des vies humaines.

Il existe plusieurs catégories de drones, depuis le Haute altitude longue endurance (HALE) qui vole en limite de l'espace aérien, en passant par le Moyenne altitude longue endurance (MALE) et les drones tactiques pour finir avec les microdrones, plus adaptés aux combats urbains, et, dans un avenir qui reste à préciser, les nanodrones, dont la taille s'apparente plutôt à des insectes.

Dans la construction d'un outil européen d'observation, la France a joué un rôle majeur en décidant de lancer les programmes satellitaires civil SPOT et militaire HELIOS. Ces instruments ont déjà permis une évaluation autonome des crises, face aux Etats-Unis dont les représentants ne laissent jamais leurs interlocuteurs disposer des clichés présentés à l'appui de leurs affirmations. Les performances s'améliorent puisque les satellites HELIOS I offraient une résolution métrique alors que les satellites HELIOS II permettront une résolution largement submétrique, autorisant la reconnaissance des équipements militaires ainsi qu'une capacité infrarouge consacrée à la détection d'activité. Ces programmes ont été coûteux mais il existe une possibilité d'économies, d'un montant de l'ordre de 500 millions de francs, sur les lancements des satellites HELIOS II, si l'on décidait de recourir au lanceur Soyouz plutôt qu'à Ariane 5, qui est surdimensionnée pour de tels lancements.

Les principaux projets consistent désormais à développer notre capacité technologique en matière de drones, notamment grâce aux deux programmes de drones intérimaires qui viennent d'être lancés, mais aussi d'échanger des capacités en matière satellitaire avec l'Allemagne et l'Italie qui ont décidé, chacune pour leur part, de se doter de satellites d'observation radar.

Le Président Henri Emmanuelli a demandé si le Rapporteur disposait d'informations précises sur le système Échelon.

M. Jean-Pierre Delalande a jugé le rapport très éclairant. De manière générale, la Grande-Bretagne aide surtout les États-Unis et joue peu le jeu de l'Europe ; le problème est donc de construire un système européen, soit en ignorant la Grande-Bretagne, soit en prenant le risque de voir ce pays livrer des informations aux États-Unis. Pourquoi prévoir d'utiliser le lanceur Soyouz plutôt que la fusée Ariane ? Nos satellites peuvent-ils être interceptés ou détruits ? Enfin, comment concilier le métasystème avec le respect des libertés publiques et privées ? Y-a-t-il d'autres programmes européens en cours, ou bien la France est-elle la seule à financer ces équipements avant de les mettre à la disposition des autres ?

M. Arthur Dehaine a souhaité savoir si les États-Unis peuvent perturber le fonctionnement du GPS qui est largement utilisé dans la vie quotidienne, notamment par les taxis ?

M. Gilbert Gantier a félicité le Rapporteur spécial et s'est demandé pour quelles raisons le lancement à partir de l'Équateur augmente-t-il les performances des lanceurs ?

En réponse, M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial, a développé les points suivants :

- en raison de la vitesse de rotation de la Terre à l'Équateur, un lancement au départ de Kourou permet de multiplier presque par deux les performances du lanceur ;

- s'agissant des programmes européens, la logique qui prévaut est celle d'une répartition du travail : à la France, le visible et l'infrarouge ; à l'Allemagne et l'Italie, l'observation radar. Cette partition des tâches obligera les services de renseignements à travailler ensemble.

- le GPS est certes un système efficace, mais il se brouille facilement et c'est pour cette raison que l'Europe s'apprête à lancer le programme Galiléo ;

- la conciliation du renseignement et des libertés publiques est une question aussi ancienne que l'existence des services secrets elle-même. Par nature, le renseignement porte atteinte à la vie publique et privée ;

- le recours à Soyouz s'explique pour des raisons techniques. Ariane 5 est dimensionnée pour le lancement de satellites de 10 tonnes en orbite géostationnaire, alors que les militaires utilisent des satellites de 5 tonnes, en orbite basse. Le vecteur adapté est donc un petit lanceur plutôt qu'Ariane 5 ;

- seuls les États-Unis seraient actuellement en mesure de maîtriser la technique de destruction des satellites. Quant au système Échelon, on peut douter de son efficacité à l'heure où les échanges s'effectuent simultanément sur des millions de signaux : téléphone, fax, internet... Il faudrait des milliers de gens pour traiter l'ensemble des informations disponibles.

Le Président Henri Emmanuelli a souligné que le rapport du Parlement européen affirme le contraire et qu'il existe des logiciels de recherche à l'aide de mots clé.

M. Jean-Michel Boucheron, Rapporteur spécial, a répondu que ces logiciels peuvent facilement être saturés ou évités. Le rapport du Parlement européen décrit le système Échelon, indique où sont posées les antennes mais ne va guère au-delà, faute pour ses auteurs d'avoir été reçus à Washington. Quant aux relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne évoquées par M. Jean-Pierre Delalande, il faut bien reconnaître que les deux pays entretiennent une proximité étroite. L'objectif d'une politique européenne doit être de disposer d'une masse critique de capteurs, qui doit permettre de déboucher sur un dialogue politique. A cet égard, la Grande-Bretagne n'a pas de technologie propre et dépend des informations que les États-Unis acceptent de lui donner.

M. Gilbert Gantier  s'est demandé si certaines affaires d'espionnage ont pu altérer les relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Le Président Henri Emmanuelli a félicité le Rapporteur pour la passion qui l'avait animé dans la rédaction de ce rapport. Puis la Commission a autorisé, conformément à l'article 146 du Règlement, la publication de ce rapport.

*

* *

La Commission a ensuite procédé à l'audition de M. Michel Prada, Président de la Commission des opérations de bourse (COB).

M. Michel Prada a dressé un bilan de l'activité de cette commission en 2000, en soulignant le nombre exceptionnel de visas et d'agréments divers qu'elle a délivrés.

La COB a dû faire face à la bulle de la « net-économie », en assortissant ses visas de nombreux avertissements à l'attention du public, sans pouvoir, pas plus que ses homologues étrangers, endiguer l'emballement. Le système financier a cependant bien résisté à l'éclatement de cette bulle. L'exercice 2000 a connu des débuts difficiles, marqués par la remise en cause, par la Cour d'appel de Paris, de la procédure de sanction appliquée par la COB, et par l'affaire d'initié qui a éclaté au sein des services de la Commission. D'importantes décisions de réorganisation interne sont intervenues depuis lors. Une nouvelle procédure de sanction est entrée en vigueur. La situation est donc normalisée. L'année écoulée se distingue également par le lancement du projet Euronext, destiné à fusionner les bourses de Paris, d'Amsterdam et Bruxelles, et pour lequel il a fallu construire un système de régulation.

M. Michel Prada a ensuite présenté les grands chantiers en cours. En premier lieu, il a rappelé que la fusion de la COB et du Conseil des marchés financiers (CMF), prévue par le projet de loi portant réforme des autorités financières, constituait une réforme indispensable, de nature à améliorer la visibilité et la représentativité internationales du système français de régulation. Ce projet recueille un large assentiment et il serait souhaitable qu'il puisse être examiné par le Parlement le plus rapidement possible. Le texte déposé peut cependant appeler trois observations :

- il n'apparaît pas opportun de donner au collège spécialisé dans la conduite des offres publiques le pouvoir d'en fixer la réglementation. L'autorité créée par le projet de loi, par fusion de la COB et du CMF, comporterait en effet deux formations spécialisées, la première chargée des sanctions administratives, la seconde - dénommée « collège des offres publiques » - reprenant l'activité actuelle du CMF dans ce domaine. Il est prévu que ce collège ait non seulement le pouvoir de suivre les offres, mais aussi celui d'en fixer les règles. Cette disposition constituerait une dérogation au principe selon lequel la réglementation doit être fixée par l'autorité dans sa formation plénière. Elle aurait pour effet matériel d'exclure du pouvoir de réglementation les membres de l'autorité qui n'appartiennent pas au collège des offres publiques, à savoir les représentants des trois ordres de juridictions et ceux désignés par les Présidents des assemblées. Il est par conséquent souhaitable que le projet de loi puisse être amendé sur ce point afin de prévenir de sérieuses difficultés de fonctionnement pour la nouvelle institution.

- s'il maintient le délit d'initié, lequel constitue une sanction pénale destinée à punir une faute intentionnelle, le projet de loi prévoit de supprimer le manquement d'initié qui est constitué par une faute de comportement et qui est sanctionné par une amende. Cette suppression serait justifiée par le souci de limiter le cumul de sanctions administratives et pénales. Elle a cependant l'inconvénient de faire disparaître une sanction très utile, notamment lorsque la gravité du manquement n'est pas telle qu'elle justifie la mise en oeuvre d'un lourd processus pénal, soit lorsque l'intentionnalité n'est pas aisée à prouver, alors même que le manquement est établi. Cette disparition serait d'autant plus paradoxale qu'un projet de directive européenne, largement inspiré du système français actuellement en vigueur, reprend le manquement d'initié au nombre des abus de comportement susceptibles de sanctions administratives ;

- il est enfin regrettable que, comme le prévoit le projet de loi, le représentant de la Banque de France ne siège plus en qualité de membre de l'autorité, mais en qualité de simple observateur. Il faudrait maintenir sa voix délibérative. À la différence du système britannique, lequel concentre tous les pouvoirs de régulation financière dans les mains d'une seule autorité, la France est attachée au système dit des « deux piliers », qui distingue la régulation prudentielle des intermédiaires financiers de celle des marchés. Ce dispositif suppose cependant une coordination entre ces deux régulations, actuellement assurée par la présence d'un représentant de la Banque de France à la COB et d'un représentant de la COB au CECEI. Il est essentiel qu'une étroite concertation entre les deux institutions soit maintenue.

M. Michel Prada a ensuite fait état de la décision de réexaminer l'ensemble des procédures en vigueur au sein de la COB, notamment pour ce qui concerne la délivrance des visas de prospectus et l'exercice des contrôles sur l'information financière. Ce réexamen répond aux exigences internationales et tient compte de la nécessité de clarifier la jurisprudence de la Commission. Par ailleurs, parmi les dispositions du projet de loi portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier, l'article relatif à la diffusion de prospectus en « langue usuelle en matière financière » constitue un réel enjeu de compétitivité. En effet, depuis l'arrêt « Géniteau » du Conseil d'État, le volume des admissions d'obligations à la Bourse de Paris a significativement baissé. Le prospectus devenant un document juridique de plus en plus lourd et de moins en moins à la portée des particuliers, la pratique du résumé pourrait au demeurant être développée dans la logique retenue par la Commission européenne, qui admet des prospectus dans une langue usuelle dès lors qu'ils sont accompagnés d'un résumé.

M. Michel Prada a ensuite évoqué les deux chantiers en cours sur le plan externe. Le premier est la mise en place d'Euronext, qui constitue un défi essentiel. Il associe trois marchés avec des cultures différentes qui doivent constituer une plate-forme unique. Pour arriver à ce résultat un travail empirique est mené. Il repose, au départ, sur trois lettres d'intention des ministres des finances concernés et sur le travail en commun des différentes autorités de marché. Un comité associe les quatre régulateurs : belge, néerlandais et les deux français. Plusieurs groupes de travail s'occupent de problèmes tels que l'introduction en Bourse, les règles de trading, d'appartenance des membres, de sanctions... Il faut poursuivre l'harmonisation européenne ainsi amorcée, afin d'attirer de nouveaux partenaires, alors que l'arrivée prochaine du Nasdaq Europe renforcera encore le caractère concurrentiel du marché.

Le second chantier externe concerne les suites du rapport Lamfalussy, qui correspond à la philosophie française d'harmonisation du droit boursier et des systèmes de régulation. Le FESCO est amené à se transformer en comité consultatif et réseau de régulateurs. La COB y joue, depuis l'origine, un rôle central.

La situation de la place de Paris est actuellement bonne : la place est en pleine croissance, elle est dynamique et techniquement performante, mais sa position reste fragile tant la volatilité des marchés est grande et la concurrence violente, d'une part, avec les marchés traditionnels, notamment allemand et britannique, d'autre part, avec les nouveaux marchés électroniques. Il faut donc tout mettre en _uvre pour conforter l'environnement juridique et fiscal de la place.

M. Didier Migaud, Rapporteur général, a rappelé, s'agissant de l'information financière et de la bulle boursière, qu'il incombe au régulateur de faire en sorte que l'information soit pertinente et cohérente, même lorsque les repères économiques et financiers sont brouillés. L'information ne doit pas suivre les effets de mode mais refléter l'évolution structurelle. S'agissant, par ailleurs, de la construction de l'Europe financière et de la coopération des autorités de régulation de marchés au sein du FESCO, on doit souligner l'importance prise par cet organisme qui réfléchit, notamment, sur l'évolution de la réglementation. Comment les rôles seront-ils répartis dans ce domaine entre les régulateurs réunis au sein du FESCO et leurs autorités de tutelle ? Les travaux du FESCO sont-ils marqués par l'opposition entre droit anglo-saxon et droit latin ? Reflètent-ils une conception dominante ? Enfin, peut-on considérer le FESCO comme un embryon du comité que le rapport Lamfalussy préconise ?

M. Jean-Pierre Delalande a demandé si la « langue usuelle » évoquée par M. Michel Prada était nécessairement l'anglais et si un document entièrement en anglais pouvait être juridiquement opposable en France. Le choix de la langue anglaise implique d'autres références juridiques. Il n'est pas neutre.

Le Président Henri Emmanuelli a fait part de son inquiétude sur le rôle de certains analystes dans le phénomène de spéculation et dans la constitution de la récente « bulle » financière. Il a souligné que la question de la langue était importante et ne devait pas être caricaturée. Le Québec a imposé l'usage du français pour tous les documents boursiers, ce qui n'y a pas empêché une très forte augmentation de l'implantation des entreprises anglo-saxonnes Il s'est demandé s'il ne convient pas, en la matière, de résister à l'air du temps.

En réponse à ces questions, M. Michel Prada a apporté les précisions suivantes :

- Il n'appartient pas à la COB de donner un avis en opportunité sur les informations financières diffusées. Ces dernières doivent seulement être cohérentes et pertinentes. Le fait qu'une information ne corresponde pas nécessairement à des critères traditionnels, comme dans le cas du développement d'Internet, ne saurait, en lui-même, empêcher sa diffusion. La COB doit seulement veiller à ce qu'une information complète soit disponible et avertir les investisseurs des risques, mises en garde qu'il leur appartient de suivre ou pas ;

- Le positionnement des analystes vis-à-vis du marché a posé de réels problèmes aux États-Unis. Il apparaît anormal que les analystes américains reçoivent un accueil privilégié auprès des chefs d'entreprises, pratique qui est interdite en France, où tout émetteur doit simultanément informer les analystes et le marché. Pour ce qui est du positionnement des analystes, il est, en principe, régi par des règles déontologiques, mais les analystes du côté vendeur travaillent pour des entreprises d'investissement dans des conditions qui peuvent engendrer des conflits d'intérêts. Aux Etats-Unis, de tels conflits se sont multipliés. Il n'est pas démontré que le même problème se pose en France. Mais il est clair que si des faits analogues à ce qui a été relevé aux USA étaient établis, nos règles et notre déontologie justifieraient des sanctions. Le problème des conflits d'intérêts entre les analystes et leurs clients est un sujet suffisamment grave pour avoir été choisi comme sujet d'étude international lors de la récente rencontre des régulateurs de l'OSCV à Stockholm.

Avant la création, en 1997, du FESCO, dont la COB assure le secrétariat, il n'existait qu'un groupe informel des présidents des autorités de régulation. Le FESCO est à l'origine de rapports à diffusion interne ou à destination de la Commission européenne. Ses membres sont les autorités de régulation de chaque pays. FESCO sera l'embryon du nouveau Comité consultatif créé par la Commission, qui aura trois fonctions : il aura pour mission de donner des avis à la Commission ; il contribuera à l'harmonisation de la mise en _uvre des textes à appliquer, tout en gardant à l'esprit que c'est la loi nationale qui s'impose aux autorités de régulation ; il assurera la coopération physique entre les régulateurs. Ce système semble le plus efficace, car un système supranational ne serait pas praticable aujourd'hui et un système purement national conduirait à des dysfonctionnements graves au plan européen.

En ce qui concerne la question de la langue française, il n'est pas possible de ne pas tenir compte du fait que les marchés et les territoires sont ouverts et qu'une logique territoriale conduirait à la marginalisation. Au Québec, le marché des actions perd des positions au profit du marché de Toronto, lui-même phagocyté par la place de New-York. Ceci est très différent de ce que l'on peut observer dans l'implantation, au Québec, d'entreprises anglo-saxonnes, qui ne sont pas rebutées par l'usage obligatoire de la langue française. En effet, ces deux phénomènes relèvent de deux logiques bien différentes. L'appel public à l'épargne n'est pas une démarche commerciale, laquelle consiste à conquérir des consommateurs pour leur vendre des biens et des services. En effet, au plan mondial, l'épargne française n'est pas cruciale et peut, pour partie, être sollicitée par d'autres voies que le marché français. C'est en fait une opportunité pour la France de pouvoir participer directement, par sa propre bourse, au marché mondial des affaires. De plus, comme les partenaires européens de la France ont pour la plupart accepté le principe d'un prospectus en anglais et d'un résumé dans leur langue nationale, notre pays, engagé par ailleurs dans Euronext, prendrait un risque majeur s'il était intransigeant sur cette question. En toute hypothèse, ce n'est pas la langue du prospectus qui influe sur le droit applicable à l'entreprise : une société américaine restera soumise au droit américain, que le prospectus soit ou non traduit. Ce qui est important, c'est que l'investisseur soit correctement informé. On ne peut rien contre cette évolution, inéluctable.

M. Dominique Baert s'est interrogé sur l'activité du collège des autorités de contrôle ainsi que sur l'impact des politiques fiscales sur le développement de l'activité boursière.

M. Gilbert Gantier s'est indigné du fait que le Nasdaq s'installe en Europe sans que les marchés européens puissent faire la même chose aux États-Unis, alors que dans le même temps, l'Union européenne est capable d'empêcher la fusion de General Electric et de Honeywell.

M. Jacques Guyard a regretté que l'organisation du travail parlementaire rende difficile un contrôle efficace des articulations des mécanismes de coordination des régulateurs européens. Les zones de régulation se déplacent, ce qui ne permet pas de savoir qui contrôle le pouvoir de régulation.

Le Président Henri Emmanuelli s'est inquiété du risque que la coordination de ces autorités conduise à élaborer des règles en dehors de tout mécanisme de contrôle démocratique.

En réponse aux différents intervenants, M. Michel Prada a apporté les précisions suivantes :

- Si le collège des autorités ne se réunit pas fréquemment, cela ne signifie pas pour autant que la coordination ne fonctionne pas, car les relations entre autorités sont fréquentes et aisées ;

- La politique fiscale doit notamment avoir pour finalité de maintenir des traders et des analystes de qualité sur la place de Paris ; il faut agir sur le statut des « impatriés » et si possible réduire les charges fiscales spécifiques au secteur financier ;

- Le Nasdaq ne vient pas en Europe pour installer directement un marché américain de produits américains. Il a racheté Esdaq, qui est un marché belge, soumis aux règles européennes. Cependant, le Nasdaq pourrait coordonner son marché new-yorkais avec le marché belge et japonais, ce qui lui permettrait de travailler 24 heures par jour et de bénéficier de certaines facilités réglementaires. Par exemple, les sociétés cotées en Europe doivent respecter les règles comptables européennes. Or, certains marchés, comme la Belgique, tolèrent la cotation de sociétés répondant aux normes américaines, ce que la France dénonce. Ainsi, une valeur pourrait être cotée en Belgique sur le Nasdaq Europe en normes US, ce qui peut faciliter d'éventuelles relations avec le Nasdaq New York ;

- Les Parlements et les gouvernements sont préoccupés par la coordination des autorités de régulation et la hiérarchie des pouvoirs qu'elle implique. Pourtant le cadre normatif européen est élaboré par les gouvernements. La Commission européenne propose un texte, débattu par les gouvernements qui l'adoptent au sein du Conseil, avant transmission au Parlement européen. Ces prérogatives sont bien réelles, comme le montre le tout récent rejet par le Parlement européen de la directive relative aux OPA pourtant débattue depuis de nombreuses années et dont l'édiction serait nécessaire. Les autorités administratives indépendantes n'interviennent qu'à un troisième degré de réglementation. Le futur comité consultatif n'est donc pas destiné à amoindrir les prérogatives des Parlements nationaux.

Le Président Henri Emmanuelli a tenu à rappeler que cette question de légitimité démocratique n'était pas abstraite, mais que les citoyens demandaient souvent à quoi servent les élus si les règles s'élaborent en dehors d'eux.

Il a enfin remercié M. Michel Prada.

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