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ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 58

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 31 mai 2000
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Henri Emmanuelli, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information de MM. Gilles Carrez et Yves Tavernier sur la situation économique en Nouvelle-Calédonie

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- Examen en application de l'article 88 du Règlement, des amendements à la proposition de loi, rejetée par le Sénat, relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises (n° 2201) (M. Jean Vila, rapporteur)



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La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a d'abord procédé à l'examen du rapport d'information présenté, en application de l'article 145 du Règlement, par MM. Gilles Carrez et Yves Tavernier sur la situation économique en Nouvelle-Calédonie.

M. Yves Tavernier, Rapporteur, a tout d'abord rappelé l'éloignement géographique et culturel de la Nouvelle-Calédonie, et indiqué que certaines particularités de la vie politique et sociale locale, parfois étonnantes, devaient dès lors se comprendre. Il a ensuite articulé son propos autour de trois points : un rapide bilan de la situation économique actuelle, une présentation des obstacles tels qu'ils lui sont apparus, et une esquisse des perspectives de développement.

Il a expliqué que, sur le terrain, l'exécution des contrats de développement était très satisfaisante. Elle a permis à l'État, qui a fait son devoir, d'améliorer considérablement les infrastructures publiques, et de réduire les différences d'équipement entre les provinces. Il s'est aussi félicité de l'action menée en faveur de la formation des hommes.

Mais ces réalisations ne sont pas encore parvenues à stimuler très fortement l'initiative privée, comme le montre un bilan économique en demi-teinte. Si le prix du nickel connaît actuellement une forte remontée, il est très erratique, ce qui affaiblit une économie qui en est très dépendante. Le tourisme, dans lequel les Calédoniens placent beaucoup d'espoirs, ne parvient guère à décoller, victime qu'il est de la crise asiatique, et de problèmes de desserte aérienne. La place de la production agricole demeure modeste, même si la pêche et l'aquaculture progressent de manière régulière et encourageante. L'archipel demeure, au total, étroitement dépendant des flux financiers provenant de la métropole, ceux-ci s'élevant, tous ministères confondus, à 5,26 milliards de francs dans la loi de finances pour 2000.

M. Yves Tavernier a ensuite évoqué trois obstacles principaux à l'accélération du développement de la Nouvelle-Calédonie. Le premier est politique et institutionnel : il tient à la mise en _uvre de l'accord de Nouméa. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, qui devait fonctionner selon le principe de la collégialité, d'après la loi organique, suit en fait la règle de la majorité, ce qui conduit à marginaliser la minorité, en l'occurrence le Front de libération national kanak et socialiste (FLNKS), la Fédération des comités de coordination des indépendantistes (FCCI) s'associant au Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) pour constituer la majorité. Le sénat coutumier a du mal à trouver sa place, tandis que la nomination des membres du conseil économique et social de la Nouvelle-Calédonie a été très contestée. Les quatre principaux syndicats de salariés ne sont même pas membres du conseil économique et social. Les difficultés sociales constituent un deuxième handicap majeur : les syndicats, nombreux et désunis, malgré la constitution récente d'une intersyndicale, mènent une action qui passe volontiers par la grève. Enfin, - troisième difficulté - le rééquilibrage des activités économiques entre les provinces est loin d'être réalisé : la province Sud continue son développement, tandis que les provinces Nord et des Îles, malgré des moyens publics considérables, restent en retard, en termes notamment d'espérance de vie, d'attractivité pour les immigrants et les investisseurs, de part des actifs dans l'ensemble de la population... Le blocage que connaît actuellement la procédure de partage entre les trois provinces de participations au capital des sociétés minières SLN et Eramet témoigne de l'ensemble de ces tensions. Il semblerait qu'il soit aujourd'hui le fait du RPCR.

Malgré ces difficultés, les Calédoniens apparaissent aujourd'hui pleins d'espoirs. De grands projets sont actuellement à l'étude. Les plus importants concernent le secteur du nickel : le projet d'implantation d'une nouvelle usine en province Sud, par le groupe canadien Inco, est bien avancé ; celui relatif à l'établissement d'une usine dans la province Nord, qui est autant politique qu'industriel et financier, pose des problèmes tout autres. Un accord sur ce projet a été le préalable aux négociations qui ont conduit à l'accord de Nouméa, et les études, menées par la société Falconbridge, sont en cours. Mais les investissements à réaliser sont considérables, et incluent, outre l'usine, un barrage, une centrale électrique et un port. Le seul apport de la Société minière du Sud-Pacifique (SMSP), la société provinciale associée au projet, étant le massif minier, il n'est pas exclu qu'une nouvelle participation de l'État soit demandée.

D'autres projets ont des chances de se réaliser, dans la filière alimentaire, grâce à la possible implantation d'un gros élevage avicole, à des possibilités de développement de la pêche et à des projets d'expansion de l'aquaculture, et dans le secteur touristique, où le problème de la desserte aérienne semble sur le point d'être résolu et où les investissements connaissent un rythme soutenu.

Ces chances doivent être saisies par les Calédoniens. Pour s'en donner les moyens, ils doivent relever trois défis majeurs : il s'agit pour eux de se donner des ressources propres, grâce à une réforme nécessaire de la fiscalité qui permettrait de limiter la dépendance vis-à-vis de la métropole, alors que la fiscalité calédonienne est aujourd'hui très différente de celle de la métropole - la taxe sur la valeur ajoutée n'existe pas -, et que la pression fiscale y est deux fois moindre ; ils doivent aussi normaliser les relations sociales et, avant tout, lever les incertitudes institutionnelles et politiques. En effet, l'avenir sera incertain aussi longtemps que le consensus, sur lequel repose l'accord de Nouméa, n'aura pas été retrouvé.

Au total, le développement de la Nouvelle-Calédonie, territoire lointain dont le potentiel économique est important, connaît un profond déséquilibre selon les régions et les communautés. Cette situation demeure préoccupante.

M. Gilles Carrez, Rapporteur, a ensuite fait part des impressions, contrastées, qu'il a ressenties au cours de sa mission. Il a d'abord souligné les atouts incontestables que possède la Nouvelle-Calédonie : des liens forts avec l'État, dans les domaines de la justice, de la sécurité, de l'éducation, avec des transferts financiers importants, une base industrielle exceptionnelle, une population jeune, mais dont la démographie est stabilisée, des équipements publics de très bon niveau, mais aussi des institutions et une volonté manifeste de vivre ensemble, dont témoignent à la fois le grand métissage de la population, surtout à Nouméa, et l'intégration croissante dans la région.

La principale faiblesse dont souffre l'archipel réside dans ses disparités.

Celles-ci sont d'abord culturelles, et constituent un problème de fond. D'un côté, il y a le monde de la ville et la culture occidentale qui se répand par le biais des médias, de la consommation de masse et de l'environnement régional ; de l'autre, il y a la brousse du Nord, la coutume et la culture kanak ainsi que l'organisation tribale. La coexistence entre les deux cultures est conflictuelle, et conduit au problème politique du choix entre consensus et majorité.

M. Gilles Carrez a évoqué deux éléments qui lui semblent déterminants pour l'avenir de l'archipel : le temps et les jeunes. Il a rappelé que la participation des Mélanésiens à la vie de la société moderne était très récente mais que les jeunes, vers lesquels sont dirigés des efforts réels, connaissaient des difficultés d'accès à l'emploi et finalement une certaine frustration, qui les amenaient parfois à retourner en tribu après avoir obtenu leurs diplômes.

En ce qui concerne les disparités économiques, le projet d'usine métallurgique au Nord est très important, mais c'est dans le Sud que le processus cumulatif d'investissements est enclenché.

Il a conclu sur le fait que l'urgence était aujourd'hui de choisir clairement entre un mode de fonctionnement collégial ou majoritaire au sein du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

M. Jean-Pierre Delalande s'est interrogé sur la compatibilité entre le principe constitutionnel de l'unité de la République et les droits considérables accordés à la Nouvelle-Calédonie par la révision constitutionnelle et la loi organique du 19 mars 1999, notamment dans le domaine de la fiscalité et du droit du travail. Ce problème se pose également pour la Polynésie française, où la fiscalité reste à réinventer. Il a estimé contradictoire d'accorder plus d'autonomie à un territoire, alors même que sa participation à la République n'était pas remise en cause.

M. Yves Tavernier, Rapporteur, a considéré que la réalité locale de la Nouvelle-Calédonie, caractérisée par la coexistence de plusieurs communautés, avait nécessité d'adapter son statut, et que la révision constitutionnelle accompagnée de l'adoption d'une loi organique avait permis de donner une valeur législative à l'accord de Nouméa, selon un processus semblable à celui qui avait présidé aux accords de Matignon.

Même s'il convient d'être mesuré dans l'expression, force est de reconnaître que le fonctionnement institutionnel de la Nouvelle-Calédonie pose problème. Le consensus, qui caractérisait la signature de l'accord de Nouméa, n'existe plus à l'heure actuelle, compte tenu du fait que le signataire majoritaire, le RPCR, exerce une influence hégémonique au sein du gouvernement.

M. Gilles Carrez, Rapporteur, a souligné que la question de la compatibilité entre unité territoriale de la République et autonomie croissante de la Nouvelle-Calédonie pouvait se justifier par l'existence, d'une part, d'une pression fiscale locale très faible, et d'autre part, de plus de 5,26 milliards de francs de transferts à partir de la métropole. Les esprits évoluent et les prémices d'une modernisation de la fiscalité, passant par une fiscalisation du nickel fondée sur les stocks plus que sur les flux, et par la création éventuelle d'un système proche de la TVA, étaient posées. Ce problème d'exception fiscale constitue un thème récurrent des territoires et départements d'outre-mer, mais également de la Corse.

Le Président Henri Emmanuelli a rappelé que les articles 73 et 74 de la Constitution de 1958 prévoyaient, bien avant la révision constitutionnelle de 1998, explicitement, la possibilité d'instituer pour les territoires et départements d'outre-mer des régimes dérogatoires dans de très nombreux domaines. En outre, il a mis en garde contre les amalgames qui tendaient à assimiler la Corse à un territoire situé hors de la métropole, le régime spécifique accordé à cette île ne découlant pas de dispositions constitutionnelles.

M. Alain Rodet a interrogé les rapporteurs sur les perspectives de développement de secteurs, tels que l'agriculture, la pêche ou le tourisme. Le maintien de la structure économique actuelle fondée à titre principal sur le secteur traditionnel du nickel et les importations risquerait de perpétuer une situation néocoloniale.

M. Yves Tavernier, Rapporteur, a rappelé que la région bénéficiait d'un potentiel économique fort, notamment dans les domaines de l'aquaculture, de la pêche et du tourisme, mais qu'il convenait de relever la différence entre le développement du Sud et celui, plus hésitant, de la province Nord, dominé par le règlement de la question de l'usine métallurgique de Koné, qui constituait un problème majeur, tout comme le développement touristique des îles. L'enjeu n'est pas seulement économique, mais également politique. Un milliard de francs a déjà été accordé par l'État pour l'échange de massifs miniers ; la même somme a financé une cession d'actions des sociétés ERAMET et SLN au profit des trois provinces, mais leur répartition est actuellement totalement bloquée.

M. Gilles Carrez, Rapporteur, a précisé que la suspension de cet accord ne remettait pas en cause l'opération toute entière, qui avait été largement initiée par le président du RPCR, mais seulement la répartition des actions, qui doit conduire à une répartition plus équilibrée du capital entre les trois provinces.

Le Président Henri Emmanuelli a fait remarquer que le n_ud de l'opération consistait à mieux répartir les richesses entre les provinces et les communautés. Il est compréhensible que les discussions soient bloquées sur cette question, compte tenu de l'importance de l'enjeu.

M. Philippe Auberger a souhaité fait trois remarques. En premier lieu, si les fonctions de rapporteur spécial des crédits des territoires d'outre-mer interdisent de mettre en avant des considérations d'ordre purement politique, il convient d'être prudent dans l'analyse de la situation, et de relever que le FLNKS ne se présente pas uni dans les négociations. L'accord de Nouméa comporte ainsi plusieurs signataires. Ensuite, les travaux menés dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle devraient permettre de constater que :

- le choix entre les trois projets miniers, concernant Koné, Goro, et la Société Le Nickel n'a pu être effectué, alors qu'ils ne peuvent être menés parallèlement ;

- la situation financière de la SMSP est particulièrement floue. Personne n'arrive à l'appréhender de manière précise, y compris l'Agence française de développement qui en est actionnaire, ce qui a justifié une mission d'audit par un cabinet australien ; or, avoir des informations précises sur cette situation apparaît nécessaire après les pertes qui ont inévitablement découlé de la récente crise du marché du nickel ;

- l'existence effective d'un accord écrit sur la répartition des actions de la SMSP n'est pas démontrée. S'il existe, il doit figurer en annexe du rapport.

Enfin, il faut s'interroger sur le développement touristique de l'archipel et du devenir du dispositif institué par la loi dite « loi Pons ». En effet, la conception que l'on a du tourisme en Nouvelle-Calédonie apparaît erronée. Outre le problème des transports, l'île se trouvant dans une position éloignée des principaux pays à l'origine des flux touristiques potentiels, demeure celui de l'infrastructure hôtelière, qui n'est pas d'un niveau suffisant pour accueillir une clientèle soucieuse de confort, telle que les Américains.

M. Gérard Saumade s'est déclaré troublé par la description faite par M. Yves Tavernier de la situation actuelle de la Nouvelle-Calédonie, et a exprimé sa crainte que rien n'y ait changé depuis son dernier passage en 1998. La Nouvelle-Calédonie s'est semble-t-il enfoncée dans une ambiguïté redoutable dans laquelle les lois de la République ne sont toujours qu'une façade. Stigmatisant le comportement des puissants, il s'est refusé à imaginer que leur pouvoir puisse continuer à s'exercer avec la bénédiction de la représentation nationale.

La Commission a autorisé la publication du rapport d'information.

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La Commission était appelée à statuer, en application de l'article 88 du Règlement, sur le rapport de M. Jean Vila, rapporteur, sur les amendements à la proposition de loi, rejetée par le Sénat, relative à la constitution d'une commission de contrôle nationale et décentralisée des fonds publics accordés aux entreprises (n° 2201).

La Commission a constaté qu'elle n'était saisie d'aucun amendement.

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